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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2015-2016

Compte rendu
intégral

Séance du mercredi 04 mai 2016

SOMMAIRE

Présidence de M. Claude Bartolone

1. Questions au Gouvernement

Autorité de l’État

M. Philippe Cochet

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Refondation de l’école

M. Pascal Demarthe

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche

Situation en Tunisie

M. Jean-Pierre Maggi

M. Harlem Désir, secrétaire d’État chargé des affaires européennes

Services publics en Seine-Saint-Denis

Mme Marie-George Buffet

M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports

Réforme du permis de conduire

M. Gilles Savary

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Prime annuelle des enseignants du premier degré

Mme Virginie Duby-Muller

M. Manuel Valls, Premier ministre

Épidémie de dengue à La Réunion

M. Philippe Naillet

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé

Filière nucléaire

M. Claude de Ganay

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Traité transatlantique

M. François de Rugy

M. Matthias Fekl, secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger

Lutte contre le radicalisme dans les forces de sécurité et l’administration pénitentiaire

M. Yves Albarello

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice

Statut des intermittents du spectacle

M. Patrick Bloche

Mme Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication

Finances publiques

M. Charles de Courson

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Insécurité dans les transports franciliens

M. Franck Riester

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche

Aides au logement pour les apprentis

M. Laurent Degallaix

Mme Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l’habitat durable

Taxation des CDD

M. Pascal Thévenot

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Suspension et reprise de la séance

Présidence de Mme Sandrine Mazetier

2. Nouvelles libertés et nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s

Rappel au règlement

M. André Chassaigne

Suspension et reprise de la séance

Rappels au règlement

M. Gérard Cherpion

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales

M. Francis Vercamer

Discussion des articles

Article 1er

M. Damien Abad

M. Yannick Favennec

M. Pierre-Alain Muet

Mme Jacqueline Fraysse

M. Frédéric Lefebvre

M. Denis Jacquat

M. Jean-Charles Taugourdeau

M. Francis Vercamer

M. Christian Paul

M. Gilles Lurton

M. Gabriel Serville

M. Guillaume Chevrollier

M. Pascal Cherki

M. Pouria Amirshahi

Mme Dominique Orliac

M. Ibrahim Aboubacar

M. Jean-Pierre Vigier

M. Daniel Goldberg

M. Benoît Hamon

M. Éric Woerth

M. Arnaud Viala

M. Lionel Tardy

M. Christophe Cavard

M. Thierry Benoit

M. Jean Lassalle

M. Nicolas Sansu

M. Marc Dolez

M. André Chassaigne

M. Gaby Charroux

M. Michel Issindou

M. Alain Calmette

Mme Isabelle Le Callennec

Mme Aurélie Filippetti

M. Jean-Pierre Door

M. Dominique Lefebvre

Mme Monique Iborra

M. Yves Blein

M. Christophe Borgel

M. Christophe Caresche

M. Bernard Debré

Mme Marie-George Buffet

M. Yves Albarello

M. Renaud Gauquelin

M. Jean-Marc Germain

M. Arnaud Richard

M. Guillaume Larrivé

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

3. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Autorité de l’État

M. le président. La parole est à M. Philippe Cochet, pour le groupe Les Républicains.

M. Philippe Cochet. Monsieur le Premier ministre, où est l’autorité de l’État ? (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.) Alors que l’état d’urgence a été décrété, tous les jours des attaques en règle sont perpétrées contre les forces de l’ordre. Les policiers font face à des voyous armés de barres de fer, de harpons, d’acide et d’engins incendiaires, qui peuvent blesser, voire tuer, ces femmes et ces hommes défenseurs de la République. Stop à la haine anti-flic ! (« Bravo ! » sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

Où est l’autorité de l’État quand, face à des voyous, on vous entend donner des leçons, avec des déclarations magistrales non suivies d’effet ? Techniquement, l’État a la capacité de donner des ordres pour mettre ces voyous hors d’état de nuire.

Où est l’autorité de l’État quand, chaque nuit, on voit dans certaines villes des regroupements ressemblant davantage à une cour des miracles qu’à une agora républicaine ? Les riverains n’en peuvent plus. Les touristes du monde entier sont atterrés et diffusent des images désastreuses de notre pays.

Où est l’autorité de l’État quand, dans certains quartiers de notre pays, les règles d’une communauté se substituent aux règles de la République française ?

Où est l’autorité de l’État quand, au sein même de votre propre gouvernement, des ministres s’affranchissent de la politique qu’ils mettent en œuvre sous votre prétendue autorité ?

Vous incarnez l’inefficacité politique. Celle-ci rejaillit sur chacun d’entre nous et sur l’ensemble des élus. Votre voix ne porte pas, vous n’avez plus aucune autorité. Le verbe ne peut se substituer à l’action. Alors, monsieur le Premier ministre, ressaisissez-vous pour la dernière année qui vous reste ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, où est la vérité, dans votre question, dès lors que vous donnez des leçons sur l’autorité de l’État après avoir soutenu, pendant cinq ans, avec le même verbe haut et plein de nuances, un gouvernement responsable de la suppression de 13 000 postes dans la police et dans la gendarmerie…

M. Michel Lefait. Eh oui !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …et de la diminution de 17 % des crédits de fonctionnement de la police et de la gendarmerie, et tellement soucieux de l’autorité de l’État qu’il a réussi, en cinq ans, à fermer, dans les forces de sécurité, treize unités mobiles dont nous aurions bien besoin aujourd’hui ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. – Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Où est la vérité dans votre question, monsieur le député, lorsque vous donnez à penser qu’il y aurait une certaine complaisance du Gouvernement à l’égard des casseurs ?

M. Philippe Cochet et plusieurs députés du groupe Les Républicains. C’est le cas !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. J’ai pourtant donné des instructions extrêmement claires pour qu’ils soient interpellés : depuis le début du mouvement social en cours, 1 000 casseurs ont été interpellés et, grâce à une collaboration exceptionnelle entre les forces de sécurité et les procureurs de la République, un grand nombre d’entre eux ont été jugés en comparution immédiate et le droit est systématiquement passé. Il n’y aura aucune complaisance de la part du Gouvernement à l’égard de ceux qui, masqués et équipés de cocktails Molotov et d’armes extrêmement dangereuses, s’en prennent aux forces de l’ordre. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Vis-à-vis de ces casseurs, nous sommes d’une fermeté totale (Vives exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Philippe Meunier. Ils n’ont pas l’air impressionnés !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …mais dans le respect rigoureux des principes de l’État de droit, car l’autorité de l’État, c’est aussi le respect, à chaque instant, des principes de droit par ceux qui sont investis de la responsabilité politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. – Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Enfin, où est l’autorité de l’État chez ceux qui préconisent qu’on interdise des manifestations, en contravention avec tous les principes posés par le Conseil constitutionnel ? (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) L’autorité de l’État, c’est aussi le respect de l’État de droit. C’est ce que nous faisons, avec fermeté et loin de la démagogie et du mensonge qui ont inspiré votre question. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, du groupe écologiste et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. – Vives protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Refondation de l’école

M. le président. La parole est à M. Pascal Demarthe, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Pascal Demarthe. J’associe à cette question ma collègue Régine Povéda, également membre de la commission des affaires culturelles.

Madame la ministre de l’éducation nationale, lundi 2 et mardi 3 mai vous avez organisé les Journées de la refondation de l’École de la République. (« Allô » sur les bancs du groupe Les Républicains.) Elles ont réuni près de 2 000 acteurs de l’éducation entre débats et échanges autour de la loi pour la refondation de l’école de la République, votée en 2013 et qui repose sur quatre piliers : la réussite scolaire pour tous, un système éducatif juste et efficace, les élèves au cœur de la refondation, des personnels formés et reconnus. La jeunesse est une des grandes priorités du quinquennat, et la refondation de l’école en est une base fondamentale.

Madame la ministre, vous avez ouvert ces journées aux côtés de vos prédécesseurs messieurs Vincent Peillon et Benoît Hamon, dont nous pouvons saluer le travail, tout comme le vôtre d’ailleurs. Hier soir, le Premier ministre Manuel Valls a clôturé ces journées avec des annonces fortes.

Parmi les mesures annoncées figure notamment une hausse de 800 euros de l’indemnité annuelle de suivi et d’accompagnement des élèves – ISAE – des enseignants du primaire, et ce dès la rentrée 2016. Son montant sera ainsi aligné sur celle perçue par les professeurs du secondaire, qui est de 1 200 euros.

Je tiens à saluer cette annonce car investir dans l’école, c’est investir dans l’avenir. C’est la gauche qui effectue ce choix courageux et ambitieux. Je ne peux que penser à cette citation d’Abraham Lincoln : « Si vous trouvez que l’éducation coûte cher, essayez l’ignorance ».

Madame la ministre, pouvez-vous nous préciser les modalités de cette hausse ? (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. Paul Molac. Très bien.

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. S’il fallait retenir une chose, monsieur le député, de ces deux journées de débat, d’échanges et de réflexions qui viennent de s’écouler, c’est que la loi pour la refondation de l’école telle que vous l’avez adoptée dans cet hémicycle au mois de juillet 2013 est à l’œuvre dans nos écoles et sur tous les territoires.

Elle est à l’œuvre pour offrir un meilleur temps scolaire à nos élèves, avec neuf demi-journées, elle est à l’œuvre pour offrir un meilleur encadrement aux élèves, avec 60 000 créations de postes, elle est à l’œuvre pour faire réussir tous les élèves, dans leur diversité, en luttant résolument contre le décrochage, avec une réforme des programmes et de l’évaluation qui permet à chacun de s’épanouir.

Elle est à l’œuvre pour préparer nos élèves au monde de demain, avec le grand plan numérique ou avec une meilleure préparation aux langues étrangères mais également à l’expression orale. Elle est à l’œuvre, enfin, dans un domaine qui nous tient à tous à cœur, je le sais : la réparation des injustices, la lutte contre les inégalités sociales…

M. Céleste Lett. Vous les accentuez !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. …et ce déterminisme socio-scolaire qui nous insupporte tant, grâce aux moyens supplémentaires dévolus à l’éducation prioritaire et au travail pour favoriser la mixité sociale.

Mais pour la réussite de cette école… de la réussite, il fallait des professeurs formés, soutenus, reconnus. Nous avons restauré la formation initiale dès 2013 avec la création des Écoles supérieures du professorat et de l’éducation – ESPE. Je ferai en sorte de graver dans le marbre l’exigence de formation continue. Et nous n’avons cessé de renforcer l’accompagnement des enseignants.

Restait la question de la rémunération des enseignants. Avons-nous attendu 2016 pour l’améliorer ? Non ! C’est en 2013 que la prime ISAE dont vous venez de parler a été créée, alors dotée d’un montant de 400 euros. C’est en 2014, lors de la réforme de l’éducation prioritaire, que nous avons considérablement augmenté les indemnités des enseignants qui y exercent. Et c’est en 2016, en effet, que nous réparons une injustice historique en portant l’ISAE à 1 200 euros. Ce sera le cas dès le mois de septembre prochain pour les enseignants du premier degré. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et quelques bancs du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Situation en Tunisie

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Maggi, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Jean-Pierre Maggi. Monsieur le ministre des affaires étrangères, Tunisie et France ont toutes deux été durement frappées par le terrorisme en 2015. Unis dans la douleur, les deux pays le sont aussi, plus fortement que jamais, dans les valeurs, depuis que la population tunisienne a mis à terre le régime mafieux et dictatorial de Ben Ali, depuis qu’elle a opté pour un système politique pluraliste fondé sur l’alternance du pouvoir, depuis que la Constitution tunisienne a consacré le caractère civil de l’État, l’égalité stricte entre hommes et femmes, la liberté d’expression et la liberté de croire ou de ne pas croire. Dès lors, comment ne pas voir dans ce pays un allié de poids ?

Le premier défi que doit relever la Tunisie aujourd’hui est celui de la sécurité. Elle est en effet au front contre l’ennemi commun qu’est Daech. Elle en a subi les foudres en 2015 avec les trois attentats meurtriers du Bardo, de Sousse et contre un bus de la garde présidentielle, quelques jours après les attaques de Paris. Il y a à peine deux mois, un commando d’une centaine de djihadistes a tenté vainement d’annexer la ville tunisienne frontalière de la Libye, Ben Gardane. Il a été majoritairement neutralisé par les forces de sécurité appuyées par une population locale particulièrement hostile au délire terroriste de Daech.

Admirables en pareilles circonstances, les Tunisiens font corps autour de leur révolution, de leur police, de leur armée, de leurs institutions, bref, de leur nation. Mais combien de temps la Tunisie tiendra-t-elle ? L’économie du pays, essentiellement fondée sur les investissements étrangers et le tourisme, est à genoux.

La France doit appuyer cet allié historique aujourd’hui menacé mais qui reste résolument tourné vers la modernité et vers son environnement, notre environnement : l’espace méditerranéen. Quels moyens sont ou seront mis en œuvre pour aider la Tunisie ? (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes.

M. Harlem Désir, secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Monsieur le député, la France, comme la Tunisie, est la cible du terrorisme en raison de ses valeurs démocratiques de pluralisme et d’ouverture. Vous avez rappelé le chemin extraordinaire accompli par la Tunisie depuis la révolution de 2011 pour adopter une Constitution sans précédent dans un pays du monde arabe, qui réaffirme l’ancrage de la Tunisie dans ces valeurs démocratiques.

Suite à l’attaque contre Ben Gardane, le ministre des affaires étrangères Jean-Marc Ayrault s’est rendu en Tunisie, en mars, pour renouveler l’expression de la solidarité de la France. Comme vous l’avez fait, il convient de souligner la réaction et le professionnalisme remarquables des forces de sécurité tunisiennes qui, grâce au soutien de la population, ont pu se défendre contre cette attaque terroriste.

La France est pleinement engagée afin de soutenir les autorités tunisiennes. Notre coopération sécuritaire et militaire a été multipliée par quatre en 2015 par rapport à 2014 et une aide exceptionnelle de 20 millions a été débloquée dans le domaine militaire pour 2016-2017.

L’attaque de Ben Gardane confirme également l’urgente nécessité d’une stabilisation de la situation en Libye puisque nombre des attaquants ont été entraînés par Daech sur le sol libyen.

Par ailleurs, il convient d’aider la Tunisie à poursuivre son redressement économique et social. L’annonce qu’a faite le Président de la République, à l’occasion de la visite du Premier ministre tunisien le 22 janvier dernier, d’un plan de soutien de 1 milliard d’euros sur cinq ans confirme notre détermination à soutenir en tout domaine la Tunisie démocratique. Ce plan financera l’aide à la formation et à l’emploi de la jeunesse tunisienne.

Enfin, la France se mobilise pour que l’Union européenne se place aussi totalement aux côtés de la Tunisie. L’Union a annoncé une nouvelle assistance macro-financière de 500 millions pour 2016 et se mobilise dans la lutte anti-terroriste de même que pour oeuvrer à la réforme du secteur de la sécurité.

Pour la France, l’aide à la Tunisie constitue une priorité. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Services publics en Seine-Saint-Denis

M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Mme Marie-George Buffet. Monsieur le Premier ministre, la République a fait de l’égalité l’un de ses fondements. La marche vers cette égalité a reposé, depuis lors, sur les mobilisations populaires, leur traduction dans la loi et les services publics qui la font vivre. C’est sur ce dernier point que je veux vous interroger.

Les discours sur les ghettos sont non seulement mal perçus par nombre de familles qui y vivent et y travaillent, mais ils deviennent provocateurs lorsque leurs auteurs restent muets face à la fermeture des services publics.

Là où se concentrent les difficultés, là où les inégalités s’aggravent, le service public est le dernier garant des droits. L’école, la protection sociale, les fonctionnaires de police, les services déconcentrés de l’État jouent un rôle essentiel. S’ils sont mis à mal, c’est la République qui est en panne.

Lors de sa venue à La Courneuve, M. le Président de la République avait déclaré : « Il n’y a pas une France périphérique à côté d’une France des villes […] Non, il la France dans laquelle l’égalité doit être assurée. » Or la réalité contredit parfois ce propos. La ville de La Courneuve a vu fermer les accueils de la caisse d’allocations familiales et la moitié de ceux de la sécurité sociale, comme partout dans le département, et c’est maintenant au tour de la trésorerie principale et du centre médico-psycho-pédagogique d’être menacés. Lorsqu’on sait les besoins d’écoute et de conseil des familles, on mesure la difficulté des personnels à assurer leur mission dans ces conditions.

Vous avez créé un secrétariat d’État dédié à l’égalité réelle. Mais comment donner de la crédibilité à cet objectif sans un service public en capacité de rendre ces droits effectifs ?

Monsieur le Premier ministre, la ville de La Courneuve, comme toute la Seine-Saint-Denis, ne demande pas des plans spécifiques ; elle demande simplement que les droits et les valeurs de la République s’appliquent avec les moyens nécessaires. Aussi, allez-vous mettre fin à la fermeture des services publics dans ce département ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports.

M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports. Madame la députée, la présence de l’État et des services publics est un élément majeur de la nouvelle politique de la ville. Je vous rappelle que celle-ci concerne 1 500 quartiers et 5,5 millions de nos concitoyens, pour lesquels il ne s’agit pas d’avoir moins ou mieux d’État, mais d’avoir plus d’État. C’est tout le sens de la politique menée par ce gouvernement, au travers des trois comités interministériels à l’égalité et à la citoyenneté, que nous avons portés avec le Premier ministre, Manuel Valls, mais aussi du futur projet de loi égalité et citoyenneté, qui sera présenté à l’Assemblée nationale en juin prochain.

Permettez-moi, madame la députée, de vous donner quelques chiffres pour illustrer la présence de l’État.

Dans le cadre de la refondation de l’école, nous avons créé 60 000 postes au cours de ce quinquennat, notamment en vue du renforcement de l’éducation prioritaire.

M. Bernard Roman. Très bien !

M. Patrick Kanner, ministre. En matière de sécurité, nous avons créé les zones de sécurité prioritaires, essentiellement dans les quartiers urbains prioritaires, où nous avons également introduit le dispositif des adultes-relais, qui permet à des personnes en difficulté de retrouver une activité professionnelle de qualité auprès de leurs concitoyens.

M. Maurice Leroy. Quand comptez-vous répondre à la question et parler de La Courneuve ?

M. Patrick Kanner, ministre. Je songe encore aux 400 emplois que nous avons créés auprès de Pôle emploi pour favoriser l’emploi dans ces quartiers, sans oublier, naturellement, le rétablissement des crédits au secteur associatif, l’augmentation de la péréquation en faveur des communes classées en quartier prioritaire de la ville ou encore la création de l’Agence France entrepreneur pour développer le secteur économique endogène dans ces quartiers.

Madame la députée, vous voyez très concrètement, au travers de toutes ces mesures, que nous sommes dans une démarche dynamique. Il n’y a pas de quartier perdu pour la République.

Donner plus à ceux qui ont moins, reconnaître leurs difficultés en étant en permanence au plus près de ces quartiers, tel est le sens de l’action du Gouvernement. Vous pouvez être certaine de notre mobilisation et de la pérennisation des services publics dans ces quartiers. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. François Rochebloine. À la semaine prochaine !

M. Maurice Leroy. Quel succès !

Réforme du permis de conduire

M. le président. La parole est à M. Gilles Savary, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Gilles Savary. Monsieur le ministre de l’intérieur, j’ai eu l’honneur de rapporter, dans cette assemblée, les dispositions touchant à la réforme du permis de conduire inscrites dans la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

En votre qualité de ministre de tutelle, vous l’aviez anticipée, dès l’été 2014, par une série de mesures pragmatiques, qui consistaient à produire plus de places d’examen pour gagner du temps d’apprentissage et, par conséquent, pour rendre l’accès au permis de conduire moins coûteux.

Le permis de conduire est le premier examen de France, avec 3 millions de candidats par an, dont 1,3 million pour le seul permis B, et 800 000 nouveaux postulants par an. La situation dont vous aviez hérité se résume en quelques chiffres édifiants : un délai d’attente moyen entre deux passages d’examen de 98 jours, pouvant aller jusqu’à 140 à 150 jours dans certains départements, contre 45 jours en moyenne en Europe. En découlait un prix moyen du permis B de l’ordre de 1 500 euros, qui pouvait même atteindre 3 000 euros en fonction des délais de passage. Mais, surtout, de proche en proche, on estimait entre 3 et 4 millions le nombre de candidats en attente, stockés au fil des ans par l’incapacité à absorber les nouveaux entrants.

Cette situation socialement inacceptable, qui était devenue une affligeante exception française en Europe et affectait, comme toujours, les départements les plus nécessiteux, comme la Seine-Saint-Denis, appelait une réforme audacieuse. Celle-ci a été adoptée et, puisque nous testons cette semaine, pour la première fois à grande échelle, le nouveau programme et les nouvelles épreuves du code de la route – non sans quelques difficultés de rodage –, je souhaite vous interroger sur sa mise en œuvre et, le cas échéant, sur ses premiers résultats. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, je vous remercie de votre question, qui me donne l’occasion de rappeler les objectifs poursuivis à travers la réforme du permis de conduire : il s’agissait d’en raccourcir considérablement le délai et d’en réduire sensiblement le coût pour les jeunes ; il nous importait en effet que les jeunes, pour qui le permis de conduire représente un permis de travailler, puissent l’obtenir rapidement à moindre coût.

Jusqu’à présent, si le coût moyen du permis de conduire se situait entre 1 000 et 1 500 euros, il pouvait atteindre 3 000 euros pour ceux qui doivent le repasser. Alors qu’avons-nous fait ? Premièrement, nous avons simplifié l’épreuve pratique, consécutive au code, afin d’accroître le nombre de places. Deuxièmement, nous avons simplifié l’épreuve du code de la route et décidé de créer des postes d’inspecteur du permis de conduire et de mettre en place, sous le contrôle de l’État, un réseau de structures agréées chargées de le faire passer.

À cet effet, nous avons mobilisé les réservistes de la police et de la gendarmerie. Nous avons également, dans le cadre de la loi présentée par Emmanuel Macron, donné la possibilité à des employés de La Poste de faire passer les épreuves du permis de conduire. Ce faisant, en l’espace d’un an, nous avons ramené la durée de passage du permis de conduire de 90 à 70 jours, et même, dans certains départements, à 45 jours, ce qui montre que les objectifs de la réforme pourront être atteints.

Nous aurons ainsi un permis qui sera plus rapidement passé et beaucoup moins cher pour les jeunes. Par ailleurs, ceux qui auront commencé la conduite accompagnée à l’âge de quinze ans pourront passer le permis de conduire dès l’âge de dix-sept ans et demi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Prime annuelle des enseignants du premier degré

M. le président. La parole est à Mme Virginie Duby-Muller, pour le groupe Les Républicains.

Mme Virginie Duby-Muller. Monsieur le Premier ministre, vous avez confirmé hier le versement d’une prime supplémentaire de 800 euros pour les enseignants du premier degré, ce qui correspond à un alignement sur la prime que perçoivent leurs collègues du second degré. C’est évidemment une bonne nouvelle pour les 330 000 professeurs des écoles concernés, dont les salaires sont faibles. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) La nouvelle est cependant moins bonne pour nos finances publiques, puisque cela représente une dépense supplémentaire de près de 300 millions d’euros, bien sûr non financée.

Il est vrai qu’en matière éducative, le Gouvernement est passé à côté de son quinquennat. Vous méritez à cet égard un zéro pointé !

M. Pascal Popelin. Dire ça, après ce que vous avez fait !

Mme Virginie Duby-Muller. Nous avons eu la coûteuse réforme des rythmes scolaires, qui réunit contre elle la contestation des enseignants et le ras-le-bol des maires, et qui n’est pas adaptée à nos enfants. Nous avons eu aussi la réforme du collège, qui soulève une opposition significative des acteurs concernés. Vos assises de la refondation de l’école consistaient d’ailleurs uniquement en un exercice d’autosatisfaction.

Cette prime ressemble donc à un baroud d’honneur, pour sauver une partie de votre électorat. En réalité, ce n’est qu’un paquet de plus dans le grand sac de cadeaux électoraux que vous distribuez depuis le début de l’année : la hausse du point d’indice des fonctionnaires, le plan de formation des chômeurs, le plan exceptionnel de soutien à l’élevage, le plan en faveur de la jeunesse, le fonds de soutien en faveur des intermittents du spectacle… Au total, plus de 5 milliards d’euros de cadeaux catégoriels ont été annoncés qui ne sont en aucun cas financés !

Quel Français peut se permettre de dépenser ce qu’il n’a pas ? Vous, monsieur le Premier ministre, vous le faites, et le chéquier que vous partagez avec le Président de la République n’a visiblement pas de limites. Et, cerise sur le gâteau électoral, vous préparez même une baisse d’impôt pour 2017, alors que les Français paieront dans le même temps, pour la première fois, plus de 1 000 milliards d’euros de prélèvements obligatoires. Cette nouvelle annonce n’est finalement que la tentative désespérée de reconquérir l’opinion, mais les Français ne sont pas dupes.

Monsieur le Premier ministre, ouvrir les vannes avant les élections est une vieille manœuvre. Ne croyez-vous pas qu’après quatre ans de matraquage fiscal et d’espoirs déçus sur tous les pans de votre politique, la ficelle est un peu grosse ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. Maurice Leroy. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Madame la députée, je vous réponds bien volontiers, parce que votre question est l’occasion d’ouvrir un débat. Le Gouvernement fait des choix, des choix justes, qu’il assume, et que je veux assumer pleinement en vous répondant.

Oui, nous avons choisi d’augmenter l’indemnité annuelle de suivi et d’accompagnement des élèves des enseignants du primaire de 800 euros nets dès la rentrée prochaine. Je l’ai annoncé hier, Mme la ministre de l’éducation nationale vient d’en rappeler les modalités. Et nous assumons ce choix parce que, madame la députée, les enseignants de ce pays méritent d’être pleinement respectés et soutenus dans leur mission essentielle.

M. Philippe Cochet. Les policiers aussi !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Mettez-vous donc d’accord avec vous-même : soit on les respecte et on les augmente, soit on ne les augmente pas et alors on ne les respecte pas. Il faut faire un choix clair. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Yves Censi. Il ne fallait pas les appauvrir !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Pour notre part, nous avons tenu parole en agissant pour que l’éducation nationale redevienne en 2015, avec 65 milliards d’euros, le premier poste budgétaire de l’État. Et nous avons tenu parole en engageant la création de 60 000 postes couvrant tous les métiers de l’éducation nationale…

M. Claude Goasguen. Des postes de quel niveau ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. … alors que vous, et cela a déjà été rappelé hier, vous avez supprimé au cours du quinquennat précédent 80 000 postes d’enseignants.

M. Jean-Claude Perez. C’est honteux !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Nous avons choisi en effet, madame la députée, de revaloriser de 1,2 point l’indice des fonctionnaires. Ces derniers ont également largement contribué à l’effort de redressement national, et c’est une marque de considération légitime pour ces agents qui assurent au quotidien l’accessibilité et la qualité du service public, souvent au plus près des Français. Là aussi, madame la députée, je suis prêt à débattre avec ceux qui considèrent que l’État et les services publics sont indispensables pour la cohésion nationale et qui, comme vous, proposent la suppression de 300 000 fonctionnaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur plusieurs bancs du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.) Ce débat doit avoir lieu devant le pays.

Oui, nous avons choisi, madame la députée, de consacrer 600 millions d’euros à la formation des chômeurs, parce que nous voulons tout faire pour l’emploi.

M. Philippe Meunier. Ce n’est plus le Premier ministre, c’est Gérard Majax !

M. Sylvain Berrios. Noël au printemps !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Oui, madame la députée, nous l’assumons. Nous direz-vous que vous n’êtes pas d’accord ? Êtes-vous d’accord ou non avec le fait d’avoir décidé d’engager 1,3 milliard d’euros pour soutenir les agriculteurs ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) C’est un débat que nous pouvons avoir.

D’une manière générale, madame la députée, il ne s’agit pas de cadeaux. Quelle vision ! Quel mépris des agriculteurs, du service public, des enseignants, des fonctionnaires en général quand on parle de cadeaux et d’électoralisme ! (Mêmes mouvements.) Ce pays, la France, s’est construit – et sa colonne vertébrale est ainsi faite – autour d’un État, de services publics qui ne sont pas désincarnés. Ce sont des hommes, des femmes, des agents qui travaillent pour l’intérêt général et pour les Français.

Et vous avez oublié de mentionner, ce qui est assez curieux mais plutôt intéressant, l’effort engagé notamment par le ministre de l’intérieur pour soutenir les policiers et les gendarmes, dont l’un de vos collègues parlait voilà un instant. Policiers et gendarmes viennent en effet de bénéficier d’une augmentation non seulement des moyens humains – 9 000 postes ont été créés au cours de ce quinquennat, alors que Bernard Cazeneuve a rappelé que vous en aviez supprimé 13 000 – mais aussi du soutien matériel et de leur régime indemnitaire, et nous l’assumons. (Nouveaux applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.) Cela représente 800 millions d’euros, cela n’avait jamais été fait et la plupart des syndicats me soutiennent.

Alors oui, madame la députée, j’assume, nous assumons ces choix, et le ministre des finances y reviendra tout à l’heure. Nous le faisons en réalisant les économies nécessaires. Vous proposez la suppression de 300 000 postes de fonctionnaires, vous proposez des économies qui ne pourraient être financées que par des augmentations d’impôts, alors que pour notre part nous les baissons. (Exclamations et « Non ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.) Et si nous pouvons continuer d’agir ainsi nous le ferons. C’est cela, la solidarité et le sérieux budgétaire. Je vous attends pour un vrai débat, aujourd’hui et demain. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Épidémie de dengue à La Réunion

M. le président. La parole est à M. Philippe Naillet, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Philippe Naillet. Madame la ministre des affaires sociales et de la santé, La Réunion est sous la menace d’une épidémie de dengue. Alors que la saison chaude touche à sa fin, l’agence régionale de santé a annoncé 146 cas de dengue en quatre mois, dont 26 cette semaine. Malgré l’arrivée de l’hiver austral, la circulation virale risque de se poursuivre et d’engendrer une augmentation massive du nombre de cas au retour de l’été. Ce qui retient le plus l’attention, c’est le changement de rythme de la contamination : nous sommes passés de 10 cas par semaine à plus de 25.

Chacun a encore en mémoire les conséquences terribles de l’épidémie de chikungunya de 2005 : les conséquences pour le secteur touristique, avec des centaines d’emplois supprimés et une baisse durable de la fréquentation de notre île ; les conséquences économiques difficiles, quand 10 000 employés ne pouvaient plus se rendre sur leur lieu de travail ; les conséquences humaines dramatiques, avec pas moins de 258 morts.

Cette épidémie avait été sous-estimée par les autorités de l’époque. Si la dengue n’est pas le chikungunya, nous devons néanmoins tirer les enseignements de 2005. Aujourd’hui, la population est mobilisée pour lutter contre les points d’eau stagnante et pour apporter une protection particulière aux enfants et aux seniors. Ces gestes sont connus, mais il faut encore les expliquer pour qu’ils soient mieux appliqués. Nous devons renforcer la connaissance, la surveillance et la préparation de la réponse à apporter face au risque d’introduction et de diffusion des maladies vectorielles. Nous devons également renforcer l’indispensable expertise locale et la coopération régionale en matière de santé avec les îles voisines.

Cependant, madame la ministre, ce que la population réunionnaise attend aujourd’hui, c’est de savoir quelles mesures vous comptez mettre en œuvre pour éviter une épidémie de grande ampleur sur le territoire de La Réunion. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et quelques bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le député, je tiens tout d’abord à vous souhaiter la bienvenue dans cet hémicycle, que vous avez rejoint à l’occasion de l’entrée au Gouvernement d’Ericka Bareigts. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Philippe Naillet. Merci.

Mme Marisol Touraine, ministre. Vous avez raison de rappeler que La Réunion a été confrontée, au cours des dix dernières années et un peu plus, à des épidémies importantes – la dengue, le chikungunya – qui ont marqué douloureusement la population, mais qui, en même temps, ont permis de forger une véritable expérience, une véritable compétence sur cette île. Je veux saluer le travail remarquable mené par les collectivités, les professionnels de santé, les hôpitaux et les agences de l’État de ce territoire.

Il est vrai que, depuis la fin de l’année dernière, nous constatons un développement de la dengue à La Réunion, dont la propagation s’est intensifiée au mois de mars dernier avec 146 nouveaux cas.

En lien avec la préfecture et l’agence régionale de santé, nous avons adressé des messages de prévention à la population et nous avons mobilisé l’ensemble des secteurs de la lutte anti-vectorielle. Depuis le début de l’année, 6 000 visites à domicile ont été réalisées, et je peux vous annoncer que nous sommes prêts à renforcer ces moyens par l’envoi de professionnels du service d’urgence sanitaire, jusqu’à présent rattachés à l’EPRUS – Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires – dont les missions ont été reprises par la nouvelle agence Santé publique France.

Par ailleurs, vous le savez, Sanofi a mis sur le marché dans certains pays un vaccin contre la dengue. Celui-ci n’est pas encore accessible en France, mais si la situation l’exige, nous examinerons les conditions d’une mise à disposition anticipée de ce vaccin à La Réunion. Nous sommes mobilisés aux côtés de La Réunion, monsieur le député. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme Huguette Bello. Très bien !

Filière nucléaire

M. le président. La parole est à M. Claude de Ganay, pour le groupe Les Républicains.

M. Claude de Ganay. Monsieur le Premier ministre, à défaut d’aller mieux ou d’être en marche, la France constate tristement vos échecs, vos promesses révolues et les déclarations contradictoires au sein même du Gouvernement. Quoi de mieux pour illustrer cet état de fait que la déclaration récente du chef de l’État concernant la réduction arbitraire de la part du nucléaire dans notre mix énergétique de 75 à 50 % d’ici à 2025 ?

M. Paul Molac. Bravo à lui !

M. Claude de Ganay. La fermeture programmée d’une partie du parc nucléaire n’interviendra finalement qu’après avis rendu par l’Autorité de sûreté nucléaire, à la fin de l’année 2018. Comment qualifier ce report autrement que comme un enterrement en bonne et due forme d’une promesse de campagne inconséquente ?

Malgré les avertissements des professionnels du secteur et les vives mises en garde en provenance de nos bancs, vous avez persisté dans cette direction, fragilisant durablement la troisième filière industrielle française. Comment ne pas relier les difficultés d’EDF, d’Areva et des nombreuses entreprises sous-traitantes à cette décision, qui relève d’une faute stratégique majeure ?

M. Michel Ménard. Cela n’a rien à voir !

M. Claude de Ganay. Je n’ose imaginer que vous étiez conscient que cette réduction viendrait à menacer plus de 40 000 emplois directs et à mettre à mal une activité économique essentielle pour nos territoires ruraux, déjà durement affectés par la crise économique. Rénover notre industrie nucléaire est une nécessité, je vous l’accorde, mais la précipiter vers sa fin ne serait que dogmatisme.

Monsieur le Premier ministre, profiterez-vous de ce report pour redéfinir une politique énergétique d’avenir, fondée sur un mix énergétique pragmatique, et ainsi stopper l’hémorragie qui remet en cause la crédibilité indispensable du nucléaire tricolore ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

Un député du groupe socialiste, républicain et citoyen. Lobbyiste !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Monsieur le député, je tiens tout d’abord à vous annoncer une nouvelle : ce que le Président de la République a confirmé la semaine dernière, c’est un engagement de campagne,…

M. Bernard Accoyer. Quand un engagement est stupide, il faut savoir le renier !

M. Emmanuel Macron, ministre. …celui-là même qui a été traduit dans la loi relative à la transition énergétique et qui sera mis en œuvre. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Il consiste précisément dans la réduction de la dépendance du mix énergétique français à l’égard du nucléaire. Lorsqu’on regarde les exemples internationaux, entre autres l’exemple japonais, c’est une bonne chose. Il faut toutefois le faire en bon ordre et au bon rythme,…

M. Thierry Solère. Surtout prenez votre temps ! N’allez pas trop vite !

M. Bernard Accoyer. Vous n’allez donc pas toucher à Fessenheim ?

M. Emmanuel Macron, ministre. …dans le cadre d’une programmation qui sera présentée d’ici à l’été, sans sacrifier d’emplois ni fragiliser notre souveraineté énergétique. C’est ce que le Président de la République a confirmé et ce que Ségolène Royal avait également pu déclarer, parce qu’on ne ferme pas une centrale du jour au lendemain. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

J’entends les déclarations d’amour parfois tardives à l’égard du nucléaire français. (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Gosselin. Nous n’avons jamais varié !

M. Emmanuel Macron, ministre. Le nucléaire français, il ne suffit pas de l’aimer. Il faut bien l’organiser, le protéger et le prévoir dans le cadre d’une politique de long terme, c’est-à-dire une politique industrielle. C’est précisément ce que fait ce gouvernement, dans une démarche responsable.

M. Bernard Accoyer. C’est la meilleure !

M. Emmanuel Macron, ministre. Je suis au regret de vous le dire, monsieur le député, les difficultés actuelles rencontrées chez Areva, chez EDF et sur certains sites industriels – j’étais encore en début de semaine au Creusot (« Oh ! » sur les bancs du groupe Les Républicains) – ne résultent pas de la transition énergétique. Elles découlent d’un marché nucléaire mondial qui s’est profondément transformé après Fukushima, d’un marché énergétique qui a été profondément bousculé par le gaz de schiste et d’un État actionnaire défaillant, dont la stratégie, durant plusieurs années, a essentiellement consisté à prélever des dividendes et à considérer qu’il n’y avait pas de cohérence à assurer dans cette filière.

M. Jean-Luc Laurent. C’est exact !

M. Bernard Accoyer. Votre discours est en lui-même antinucléaire !

M. Emmanuel Macron, ministre. La refondation de la filière nucléaire accompagne la transition énergétique. C’est notre politique à l’égard du nucléaire qui permettra de le défendre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Traité transatlantique

M. le président. La parole est à M. François de Rugy, pour le groupe écologiste.

M. François de Rugy. J’aurais pu également répondre à M. de Ganay qu’il n’a manifestement pas entendu parler de la faillite d’Areva et du fiasco de l’EPR… (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. – Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mais ma question porte sur la négociation du traité de libre-échange entre l’Europe et les États-Unis.

Évidemment, d’un point de vue économique, on ne peut qu’être favorable au développement des échanges commerciaux. Celui-ci doit toutefois se faire dans le cadre d’une démarche progressive, équilibrée et réciproque, sans quoi des pans entiers de notre économie seraient affaiblis. On pense évidemment, s’agissant des États-Unis, à l’agriculture et à l’agroalimentaire, en particulier.



Rappelons d’abord que, contrairement à une idée reçue, les Américains sont très protectionnistes dans un certain nombre de secteurs, comme les télécommunications, la construction automobile et, c’est moins connu, la construction navale : ils y dressent beaucoup de barrières.

Les divergences entre les conceptions américaines et européennes sont très importantes. Les normes sont généralement très différentes, voire inconciliables. Les conceptions des arbitrages en cas de conflit entre les entreprises et les États, précisément à propos de ces normes, s’opposent. Des divergences sérieuses portent également sur le principe de précaution : aux États-Unis d’Amérique, on considère qu’on peut mettre un produit sur le marché sans en avoir préalablement évalué les risques, quitte à arrêter sa commercialisation s’ils sont démontrés par la suite ; nous autres Européens défendons la logique inverse, qui consiste à mesurer les risques avant la mise sur le marché d’un produit.

Monsieur le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, tout en saluant la position de la France, exprimée très clairement hier par le Président de la République, je souhaite vous interroger sur les étapes suivantes. Quels sont les alliés de la France dans l’Union européenne ? Celle-ci suspendra-t-elle les négociations avec les États-Unis ? (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger.

M. Matthias Fekl, secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger. Monsieur le député, je vous remercie pour votre question et salue l’implication de nombreux parlementaires sur ce sujet, à propos duquel j’ai eu l’occasion, à de nombreuses reprises, de m’exprimer dans cet hémicycle.

Vous l’avez rappelé à juste titre, ces négociations soulèvent de nombreux principes et posent de nombreux problèmes de fond.

Du point de vue de la transparence, d’abord, il est proprement scandaleux que les citoyens doivent attendre des fuites pour savoir ce qui se passe. La France, depuis le début, n’a eu de cesse de réclamer la transparence. Nous avons obtenu des progrès avec le contrôle parlementaire sur les documents.

M. Philippe Cochet. Quelle autorité !

M. Matthias Fekl, secrétaire d’État. Il faut aller beaucoup plus loin en la matière, y compris en recourant à l’open data et en rendant accessibles aux citoyens les négociations qui les concernent et qu’ils ont le droit de connaître.

Un député du groupe socialiste, républicain et citoyen. Chiche !

M. Matthias Fekl, secrétaire d’État. Vous avez évoqué la problématique des tribunaux d’arbitrage : j’ai porté, au nom de la France, la proposition d’une cour de justice commerciale internationale, afin de remplacer les tribunaux privés par une juridiction publique et les arbitres privés rémunérés par les parties par des juges publics rémunérés par les États. L’objectif en jeu, après trente années de dérégulation, c’est de remettre des règles dans la mondialisation et de faire correspondre à une économie mondialisée des règles adaptées à cette réalité. C’est le retour de la puissance publique – une puissance publique moderne – dans les négociations commerciales internationales.

Le Président de la République a indiqué avec beaucoup de force que la France envisageait l’arrêt des négociations et que pour nous, en l’état, c’était non. J’ai été le premier membre d’un gouvernement à l’indiquer, dès 2015, en élaborant cette stratégie, en lien permanent avec le Président de la République et le Premier ministre, sous leur autorité. Nous avons travaillé avec l’Allemagne sur ce sujet et nous tenons bon ; une déclaration commune franco-allemande a encore été publiée ces derniers jours.

La France, dût-elle finalement être seule, tiendra bon. C’est l’honneur de notre diplomatie de défendre des intérêts, des principes et des valeurs. Comptez sur nous pour le faire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)

Lutte contre le radicalisme dans les forces de sécurité et l’administration pénitentiaire

M. le président. La parole est à M. Yves Albarello, pour le groupe Les Républicains.

M. Yves Albarello. Monsieur le Premier ministre, il y a quelques mois, j’avais interrogé votre ministre de l’intérieur au sujet des mosquées salafistes radicalisées, suite à la fermeture de la mosquée de Lagny-sur-Marne, dans ma circonscription. Ces mosquées radicalisées, implantées sur l’ensemble du territoire national, constituent un véritable danger pour la sécurité des Français.

Mais nous savons que certaines administrations, notamment la police et les services pénitentiaires, peuvent être également confrontées à ce problème de radicalisation ou de fondamentalisme. Les entorses à la laïcité progresseraient dans les commissariats et les prisons, ce qui est bien entendu inacceptable. Ce phénomène doit être regardé avec beaucoup d’attention, compte tenu de la mission exercée par les personnels concernés.

Il n’est en aucun cas question de jeter l’opprobre sur l’écrasante majorité de ces fonctionnaires essentiels à notre sécurité qui respectent, comme tous les républicains, le principe de laïcité. Cependant, nous ne pouvons accepter des comportements intolérables, même s’ils ne concernent que très peu de personnes : dix-sept cas de policiers convertis à l’islam ont été signalés, dans une note confidentielle, par la direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne.

Quant au personnel pénitentiaire, la radicalisation dans les prisons semble désormais déborder des rangs des détenus pour gagner ceux des surveillants. Mon collègue Christian Kert a été alerté par un syndicat de personnel pénitentiaire sur le fait que deux surveillants de la prison d’Arles, dans les Bouches-du-Rhône, refuseraient depuis quelque temps de serrer la main de leurs collègues féminines, y compris de leurs deux directrices d’établissement, au seul prétexte que leur religion leur interdit de serrer la main des femmes. Pour l’anecdote, ces deux surveillants ne rechignent pas à serrer la main des détenus et à s’entretenir avec certains en langue arabe.

Monsieur le Premier ministre, au-delà de la condamnation évidente de ces comportements, quelles mesures envisagez-vous de prendre pour faire cesser de tels agissements ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, mes propos engageront également le ministre de l’intérieur. Ces phénomènes sont évidemment bien observés, et il faut les aborder à trois étapes : avant l’intégration dans la fonction publique, pendant la scolarité et enfin sur le lieu d’exercice de la fonction, en qualité de stagiaire ou de titulaire.

M. Jacques Myard. Cela change de Taubira !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. S’agissant des recrutements, des mesures ont déjà été prises pour les concours de la police et de la gendarmerie, et nous y réfléchissons pour ceux de l’administration pénitentiaire. Il faut inventer des « dispositifs dédiés » – permettez-moi d’employer cette expression discrète – de façon à éviter l’intégration dans l’administration de personnes présentant des signes potentiellement négatifs.

Quand ces personnes sont néanmoins recrutées, parce que les signes de radicalisation n’ont peut-être pas pu être détectés, nous exerçons, dans toutes les écoles de police, de gendarmerie et à l’École nationale de l’administration pénitentiaire, une vigilance particulière afin d’éviter toute incertitude.

Comme vous, monsieur le député, j’ai pris connaissance des comportements que vous avez évoqués à la maison d’arrêt d’Arles. Quand on est surveillant, on sert la République.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. On doit donc respecter les valeurs de la République. Ce n’est pas une option, mais une obligation. C’est même un devoir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

J’ai donné des consignes extrêmement fermes aux dix directeurs interrégionaux des services pénitentiaires.

M. Jean-François Copé. Il y aura donc des sanctions ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Les personnels ne respectant pas ces valeurs feront l’objet de sanctions, allant du blâme à la mise à pied. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains, du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Dans le cas d’espèce, les personnels en question ont déjà été convoqués, et les sanctions seront prononcées. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Statut des intermittents du spectacle

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Patrick Bloche. Madame la ministre de la culture et de la communication, jeudi 28 avril, les partenaires sociaux représentatifs dans le domaine du spectacle ont conclu un accord historique, qui assure enfin la pérennisation durable du régime d’assurance chômage des intermittents, modèle unique qui permet aux artistes et techniciens de vivre de leur métier dans notre pays. C’est la conséquence directe de dispositions opportunément introduites dans la loi relative au dialogue social votée l’an dernier. Que de chemin parcouru, invariablement jalonné de conflits à répétition, depuis 2003, date à laquelle avait été créé un comité de suivi mobilisant nombre de parlementaires !

C’est donc une première qu’il faut saluer, tant les avancées sont majeures : ouverture des droits à partir de 507 heures travaillées sur douze mois, rétablissement, essentiel, de la date anniversaire pour le calcul de ces droits, prise en compte des congés de maternité ou encore des heures d’enseignement artistique ou technique. Autant de mesures préconisées, dès avril 2013, dans le rapport que Jean-Patrick Gille avait présenté au nom des commissions des affaires culturelles et des affaires sociales de notre assemblée.

La représentation nationale ne peut donc que féliciter les négociateurs de cet accord pour leur sens des responsabilités, qui conduira notamment à une hausse de 1 % des cotisations patronales.

Comment ne pas souligner également l’engagement décisif du Gouvernement, et tout particulièrement du Premier ministre, qui se traduira par le versement annuel d’une dotation de l’État de 90 millions d’euros au fonds de soutien à l’emploi créé pour le secteur du spectacle ?

Aussi, madame la ministre, pouvez-vous nous donner l’actualité des prochaines étapes, qu’il s’agisse de l’étude financière par le comité d’experts, de l’engagement des gestionnaires de l’UNEDIC ou des perspectives que vous souhaitez ouvrir pour conforter l’emploi culturel et, par là même, la vitalité de la création dans notre pays ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Jean-Luc Laurent. Excellente question !

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la culture et de la communication.

Mme Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication. Vous l’avez dit, monsieur le président Bloche : l’accord signé lundi dernier est historique.

Il l’est d’abord parce qu’il valide une méthode, celle que vous avez rappelée et qui a été voulue par le Président de la République, par le Premier ministre et par votre assemblée quand elle a adopté en août 2015 la loi relative au dialogue social.

Il est surtout historique parce qu’il a été signé par la totalité des organisations syndicales et patronales du secteur. C’est inédit ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Bernard Roman. Très bien.

Mme Audrey Azoulay, ministre. Pour la première fois, ces organisations ont eu les clés de la négociation. Elles ont trouvé un point d’équilibre répondant, comme vous l’avez rappelé, à des revendications soulevées depuis 2003. Grâce à des efforts consentis de part et d’autre, que vous avez rappelés, cet accord contribuera également à réaliser des économies, dans l’intérêt général de l’assurance chômage et donc de façon responsable.

Il est historique, enfin, parce qu’il s’inscrit dans une politique du Gouvernement qui a mis l’emploi artistique et culturel au cœur de ses préoccupations. Il faut le redire : l’intermittence n’est pas un métier. Derrière l’intermittence, il y a des artistes, des techniciens, qui contribuent chaque jour, dans nos territoires, à la vitalité artistique et économique du pays.

C’est pour soutenir l’emploi que le Premier ministre avait annoncé, dès l’an dernier, la possibilité de créer un fonds de dotation de 90 millions d’euros annuels, qui soutiendra l’emploi culturel, dans le secteur du spectacle vivant mais aussi enregistré. Il contribuera à pérenniser des emplois aujourd’hui intermittents. Je réunirai, le 18 mai prochain, un conseil national des professions du spectacle pour échanger sur les conditions de mise en œuvre de ce fonds.

Quant à l’accord, vous le savez, il est en cours de chiffrage par le comité d’experts prévu par la loi. Dès la fin du mois, il sera transmis au niveau interprofessionnel. Je suis persuadée que les gages donnés à la fois par le secteur et par le Gouvernement mettront chacun devant ses responsabilités. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et quelques bancs du groupe écologiste.)

Finances publiques

M. le président. La parole est à M. Charles de Courson, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Charles de Courson. Monsieur le ministre des finances et des comptes publics, le groupe de l’Union de démocrates et indépendants a décidé de vous décerner le titre de grand prestidigitateur des finances publiques. (Applaudissements et sourires sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.)

En effet, vous avez réussi à faire disparaître de la dette publique de l’État, au sens du Traité de Maastricht, 22,5 milliards d’euros, soit l’équivalent de 1 % de la richesse nationale.

M. Maurice Leroy. C’est Gérard Majax !

M. Charles de Courson. Par quel tour de passe-passe, mes chers collègues, le ministre a-t-il réussi, en 2015, à limiter la croissance de la dette publique de l’État à 50 milliards d’euros alors que le besoin de financement de l’État était de 71,3 milliards d’euros ? C’est très simple : en émettant massivement des titres à des taux d’intérêt supérieurs aux taux du marché, ce qui permet d’obtenir un montant de remboursement de ces titres inférieur à leur valeur d’émission.

M. Claude Goasguen. C’est vrai.

M. Charles de Courson. Mais, en agissant ainsi, monsieur le ministre, vous allez aggraver les charges d’intérêts de la dette de l’État pour les années à venir. Merci, monsieur le grand prestidigitateur des finances publiques, pour vos successeurs ! (Rires sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.)

Aurez-vous le même talent lorsqu’il s’agira d’expliquer comment financer, dès le budget 2016, l’ensemble des dépenses publiques nouvelles accumulées de mois en mois ?

M. Maurice Leroy. Bonne question !

M. Charles de Courson. Dans son rapport relatif au programme de stabilité, notre rapporteure générale Valérie Rabault estime cet ensemble de dépenses à 4 milliards dès 2016, 7 milliards en 2017 et 10 milliards en 2018. Et c’était sans compter l’annonce par le Président de la République d’une nouvelle baisse de l’impôt sur le revenu des ménages.

Monsieur le ministre, ma question est double.

Premièrement, le tour de passe-passe de 22,5 milliards sur le montant de la dette de l’État traduit-il une gestion responsable des finances publiques ?

Un député du groupe Les Républicains. Non !

M. Charles de Courson. Deuxièmement, l’accumulation des dépenses publiques nouvelles, voire des baisses d’impôts, traduit-elle le renoncement du Gouvernement à réduire le déficit des finances publiques sous 3 % du produit intérieur brut, en contradiction avec nos engagements européens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des finances et des comptes publics.

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Monsieur le député, vous siégez sur ces bancs depuis quelques années – nous y avons même siégé ensemble – et êtes membre de la commission des finances depuis aussi longtemps. Aussi devriez-vous parler avec le sérieux qui s’impose à de tels sujets. (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Monsieur de Courson, les chiffres de la dette ne sont pas établis par le Gouvernement mais par l’INSEE et EUROSTAT, et ils se comparent, d’un pays à un autre, dans les mêmes conditions. Il n’y a ni miracle ni magie mais simplement le sérieux budgétaire qui caractérise notre manière de gérer l’État.

M. Jacques Myard. Ce n’est plus le 1er avril !

M. Michel Sapin, ministre. Monsieur de Courson, vous qui avez de la mémoire, vous vous souvenez du niveau de la dette de la France en 2007 et en 2012, et vous savez à quel taux elle s’établit aujourd’hui : elle avait pris 25 points en cinq ans, entre 2007 à 2012 (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur certains bancs du groupe écologiste – Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants) ; aujourd’hui, nous la stabilisons parce que c’est absolument indispensable pour respecter les générations qui viennent. (Mêmes mouvements.)

Monsieur de Courson, vous n’y êtes pas encore habitué, parce que la majorité de l’époque que vous souteniez n’agissait pas ainsi, mais il va falloir vous y faire : les déficits baissent, alors que, sous votre responsabilité, ils avaient augmenté. (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Cochet. C’est complètement fou !

M. le président. Monsieur Cochet, si seulement votre voix baissait autant que les déficits !

M. Michel Sapin, ministre. Il va aussi falloir vous habituer à ce que les impôts – en France, on parle de « prélèvements obligatoires » – baissent, parce qu’ils baissent : ils ont baissé en 2015, ils baissent en 2016 et continueront de baisser en 2017.

Enfin, il va falloir vous habituer au fait que ce Gouvernement sait faire des choix dans les dépenses publiques et est capable de faire face à des urgences, que vous soutenez : la lutte contre le terrorisme, l’action pour davantage de sécurité sur notre territoire, l’allocation de moyens supplémentaires à la défense nationale, pour faire face à la menace extérieure, alors que vous lui en aviez retirés. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) Nous le faisons en maîtrisant nos dépenses publiques et en réduisant les déficits. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, sur quelques bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et sur certains bancs du groupe écologiste.)

Un député du groupe Les Républicains. Pinocchio !

Insécurité dans les transports franciliens

M. le président. La parole est à M. Franck Riester, pour le groupe Les Républicains.

M. Franck Riester. Ma question, à laquelle je souhaite associer Thierry Solère ainsi que mes autres collègues franciliens, s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.

M. Christian Jacob. Il n’y en a plus !

M. Franck Riester. Chaque jour, plusieurs millions de Franciliens empruntent les réseaux SNCF et RATP, qui desservent un grand nombre de communes d’Île-de-France.

Au-delà des conditions de transport, parfois exécrables, dont sont victimes les usagers, je veux évoquer la sécurité et la tranquillité à bord de ces trains.

Un député du groupe socialiste, républicain et citoyen. Adressez-vous à Pécresse !

M. Franck Riester. Sur de trop nombreuses lignes, comme la tristement célèbre ligne P, qui dessert la Seine-et-Marne, les passagers subissent en permanence des incivilités et des agressions, commises pratiquement en toute impunité. Consommation de tabac et de stupéfiants, dégradation de matériel, agressions verbales ou physiques : tel est le quotidien de nombreux Franciliens.

Pourtant, monsieur le ministre, des solutions existent. C’est le cas de la loi Savary, votée à l’unanimité sur nos bancs et promulguée cette année. Ce texte a d’ailleurs été largement renforcé par les contributions des élus Les Républicains, notamment par la nouvelle présidente de la région Île-de-France, madame Valérie Pécresse.

L’article 4 de cette loi donne aux agents de sécurité de la SNCF et de la RATP la possibilité d’effectuer des patrouilles en civil, qui faciliteront la prise en compte des flagrants délits, dans un unique et seul objectif : que les auteurs des infractions soient enfin sanctionnés.

Monsieur le ministre, les décrets d’application ne sont toujours pas publiés. Pouvez-vous nous préciser quand sera concrètement mise en œuvre cette disposition et quand seront publiés l’ensemble des décrets d’application de cette loi, qui permettra de lutter efficacement contre la fraude, la violence et les incivilités dans nos transports en commun ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le député, vous avez raison de rappeler l’importance pour nos concitoyens de la sécurité dans les transports en commun, utilisés chaque jour par plus de 10 millions de personnes. Vous avez aussi eu raison de rappeler le travail parlementaire, fortement accompagné le Gouvernement, qui a conduit à l’adoption de la proposition de loi dite « Savary » – à travers son auteur, je veux du reste remercier l’ensemble du Parlement.

Cette loi, qui a été publiée au Journal officiel le 22 mars dernier, comporte des dispositions d’application immédiate et d’autres requérant l’adoption de textes d’application. Parmi les mesures d’application immédiate, je veux le rappeler, figurent notamment celles renforçant les pouvoirs des structures de sécurité interne. Nous avions malheureusement constaté que les services de sécurité de la SNCF mais aussi de la RATP étaient privés d’un certain nombre de pouvoirs, notamment celui de contrôler les bagages des passagers des trains. Autre mesure d’application immédiate, nous avons accordé de nouveaux pouvoirs aux officiers de police judiciaire : en particulier ceux de procéder à des inspections visuelles des bagages ou à des fouilles de véhicules sur les emprises immobilières des transports publics de voyageurs. Nous avons également donné de nouveaux pouvoirs à d’autres acteurs : vous savez que les agents municipaux pourront dorénavant intervenir dans la lutte contre les fraudes.

Restent des questions, notamment celle que vous évoquez, relative à la possibilité d’intervention en civil. Le Gouvernement a saisi le Conseil d’État et attend sa réponse pour publier l’arrêté correspondant le plus rapidement possible.

La loi, adoptée rapidement par le Parlement, a été publiée le 22 mars. C’est un sujet essentiel pour le Gouvernement et je le suis avec le ministre de l’intérieur. Tous ceux qui critiquent les pouvoirs publics devraient reconnaître que, En l’occurrence, les institutions de la République ont été au rendez-vous. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Aides au logement pour les apprentis

M. le président. La parole est à M. Laurent Degallaix, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Laurent Degallaix. Ma question s’adresse à Mme la ministre du logement. Depuis quelques semaines, le Gouvernement distribue les cadeaux et les milliards à grand renfort de communication – 10 milliards, dont la moitié n’est toujours pas financée.

M. Michel Pouzol. Caricature !

M. Laurent Degallaix. Mais il prend aussi un certain nombre de mesures de façon beaucoup plus discrète. Je ne prendrai qu’un seul exemple pour expliciter mon propos : en décembre 2015, un décret est paru, modifiant les critères d’attribution de l’allocation au logement. Sans entrer dans les détails, la caisse d’allocations familiales évalue aujourd’hui de façon forfaitaire, pour les gens qui ne payent pas l’impôt sur le revenu, le montant de leurs ressources, en y incluant leur salaire mais aussi leurs primes, ce qui a forcément des incidences importantes.

Cette petite mesure, au fond assez discrète, touche une population qui était au cœur des préoccupations du candidat Hollande, à savoir les jeunes, et, plus particulièrement encore, une population au cœur des préoccupations de ce gouvernement : les jeunes apprentis.

Cette mesure s’apparente pour eux à la double peine : ils attendaient déjà beaucoup de la prime d’activité, qu’ils ne percevront pas puisque vous avez fixé le minimum de ressources à 900 euros, ce que, hélas, beaucoup d’apprentis ne perçoivent pas. Les voilà aujourd’hui privés de tout ou partie de leur APL – aide personnalisée au logement – ou de l’ALS – allocation de logement à caractère social.

Madame la ministre, cette mesure est profondément injuste puisqu’elle touche une population qui est déjà en difficulté financière. Près d’un jeune sur cinq ne va pas au bout de sa période d’apprentissage pour des raisons essentiellement financières.

Ma question est donc simple : n’est-il pas possible de revenir à la situation d’avant ce décret pour permettre à ces jeunes d’aller sereinement au bout de leur période d’apprentissage et de ne pas avoir cette épée de Damoclès financière au-dessus de leur tête ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et quelques bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du logement et de l’habitat durable.

Mme Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l’habitat durable. Monsieur le député, en matière de logement, le Gouvernement ne distribue pas des cadeaux : il agit. On peut le constater aujourd’hui avec les chiffres de la reprise en matière de construction tant dans le logement que dans l’activité.

M. Marc Dolez. Répondez à la question !

Mme Emmanuelle Cosse, ministre. Ils montrent que ces mesures sont efficaces et que la bataille du logement, dans laquelle le Gouvernement est particulièrement engagé, paye.

Pour répondre à votre question sur les aides personnelles au logement, je tiens à rappeler que celles-ci bénéficient à 6,5 millions de personnes ; elles sont les plus redistributives de tous les minima sociaux et sont essentielles dans la politique du logement.

Il est vrai que, l’an passé, dans la loi de finances, vous avez fait le choix – outre la poursuite des aides au logement, qui représentent 18 milliards : ce n’est pas rien, comme engagement financier ! – de mesures d’économies ciblées dont certaines concernent les allocataires possédant un patrimoine ou ayant des loyers manifestement très élevés.

J’en viens aux apprentis. Votre question est très importante puisque 840 000 étudiants et 110 000 étudiants salariés ou apprentis bénéficient aujourd’hui de l’APL.

Il a été envisagé, dans la loi de finances, d’adopter un nouveau calcul des ressources pour les apprentis, lesquels, du fait de leur mode de rémunération et du calcul annuel, sont manifestement en situation d’inégalité et d’iniquité. Pour cette raison, nous avons décidé de différer l’entrée en vigueur de cette mesure, contrairement aux autres, pour aider l’ensemble des apprentis qui sont aujourd’hui soutenus par les APL.

Je tiens également à rappeler que ces apprentis sont soutenus par la garantie VISALE – Visa pour le logement et l’emploi – quand ils entrent dans le logement, et ce pour plusieurs années. C’est ainsi que nous les aidons à mieux se loger et mieux se former. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. Marcel Rogemont. Excellent !

Taxation des CDD

M. le président. La parole est à M. Pascal Thévenot, pour le groupe Les Républicains.

M. Pascal Thévenot. Monsieur le Premier ministre, je me souviens encore de votre discours d’ouverture de l’Université d’été du MEDEF en 2015. Vous affirmiez : « La France a besoin de ses entreprises », car « Ce sont elles qui créent la richesse, ce sont elles qui créent l’emploi ». Vous mentionniez aussi qu’elles « contribuent à l’aménagement et à la cohésion de nos territoires », pour conclure par ce propos : « J’aime l’entreprise ! »

Mais, depuis le débat sur la loi travail, plus rien ! Vous réunissez autour de la table des négociations les représentants des syndicats étudiants, de la CGPME et du MEDEF pour n’écouter in fine que le président de l’UNEF, qui, à 27 ans, est toujours étudiant en économie sociale et solidaire.

M. Rémi Pauvros. Et alors ?

M. Pascal Thévenot. Monsieur le Premier ministre, vous savez que si 90 % des embauches se font en CDD, c’est parce que le CDI fait peur aux PME. Cela n’est en rien corrélé au coût du CDD, qui est déjà surtaxé de plus de 7 % pour les courtes durées. Alors pourquoi vous immiscer, de force, dans les discussions des partenaires sociaux, qui sont pourtant seuls à détenir la responsabilité du financement de l’assurance chômage ?

L’improvisation de votre annonce a même provoqué un désordre d’ampleur au sein de vos rangs. Votre ministre de l’éducation nationale a parlé de « bonus-malus » quand le Président de la République, lui, a déclaré que rien ne changerait dans la taxation du CDD.

Monsieur le Premier ministre, les mesures visant à renchérir l’embauche en CDD n’ont permis ni d’endiguer leur progression, ni d’améliorer le financement de l’assurance chômage. Pire, elles ont eu des effets néfastes sur l’emploi et la compétitivité française. Quelles raisons vous poussent donc à penser que cette mesure aurait aujourd’hui des effets positifs ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Il y a trois ans, les partenaires sociaux, dans le cadre de l’Accord national interprofessionnel, ont souhaité moduler les cotisations d’assurance chômage, c’est-à-dire exonérer partiellement, pour trois ou quatre mois, selon la taille de l’entreprise, le recrutement en CDI d’un jeune de moins de 26 ans, tout en appliquant une surcotisation aux CDD.

Un bilan doit être mené de cette expérimentation : il est d’ailleurs inscrit dans la loi relative à la sécurisation de l’emploi. Je tiens à rappeler les propos du Premier ministre : les modalités pratiques de cette modulation relèvent et relèveront toujours des partenaires sociaux.

Il est important de souligner que nous avons, dans notre pays, une problématique tenant aux CDD particulièrement courts. Je citerai quelques chiffres : 70 % des CDD dans notre pays sont de moins d’un mois. Pire, 50 % sont de moins d’une semaine ! Parallèlement, 82 % des embauches en CDD sont des réembauches. Toutes ces personnes qui collectionnent des contrats particulièrement courts et les périodes de chômage connaissent des difficultés d’accès au crédit et au logement.

L’enjeu de la réflexion actuellement menée par les partenaires sociaux est de faire le bilan des premières expériences de la modulation qui a été mise en œuvre – nous parlons bien de « modulation » et non de « surcotisation » – afin de voir s’il faut aller en deçà du CDD d’un mois et s’il faut appliquer la modulation à des CDD encore plus courts.

Je tiens à rassurer l’ensemble des députés comme l’ensemble des employeurs. Notre pays a besoin des CDD, mais l’hyper-précarité existe. Le Gouvernement envoie donc un signal politique en proposant, dans un article du projet de loi qui sera discuté avec l’ensemble des parlementaires, que la possibilité de modulation devienne obligatoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et quelques bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. Bernard Roman. Très bien !

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de Mme Sandrine Mazetier.)

Présidence de Mme Sandrine Mazetier

vice-présidente

La séance est reprise.

2

Nouvelles libertés et nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s

Suite de la discussion d’un projet de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s (nos 3600, 3675, 3626).

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne, pour un rappel au règlement.

M. André Chassaigne. Je souhaite en effet, madame la présidente, faire un rappel au règlement sur le fondement de l’article 58, alinéa 1, qui concerne le déroulement de nos travaux.

Je veux évoquer une question qui me semble d’une extrême gravité, à savoir les propos que vient de tenir M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement dans la salle des Quatre colonnes. M. le secrétaire d’État s’est en effet permis de mettre en cause le travail parlementaire et de mépriser la représentation patronale… (Rires sur divers bancs), pardon, nationale : la représentation patronale, il a plutôt tendance à la flatter…

M. le secrétaire d’État, donc, s’est permis de dire que les amendements déposés n’avaient aucun lien avec le texte (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains),…

M. Damien Abad. Inacceptable !

M. Gilles Lurton et M. Thierry Benoit. Scandaleux !

M. André Chassaigne. …et qu’ils avaient pour seul objectif l’obstruction. Chacun le sait bien, de tels propos, dans la bouche du secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, visent seulement à justifier l’utilisation, la semaine prochaine, de l’article 49, alinéa 3 et de faire assumer aux députés la responsabilité de cette forfaiture ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Au regard de ces propos que je qualifierai de gravissimes et méprisants pour la représentation nationale, je demande, madame la présidente, une suspension de séance. (« Très bien ! » sur de nombreux bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La suspension est de droit : elle sera en l’occurrence de dix minutes.

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures trente-cinq, est reprise à seize heures quarante-cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Rappels au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Cherpion, pour un rappel au règlement.

M. Gérard Cherpion. Nous nous associons tout à fait à la demande qui vient d’être faite par nos collègues du groupe GDR. La question qui se pose, à cet instant, est celle de la véritable volonté du Gouvernement, dès lors que l’un de ses membres se permet des propos aussi insupportables : si la stratégie est de dire que les amendements n’ont aucun rapport avec le texte, nous nous battrons, nous aussi, avec des arguments qui ne sont pas forcément les bons, même si telle n’est pas notre intention.

Tout cela est donc intolérable ; et comme ne souhaitons pas, pour notre part, retarder les débats – comme M. Le Guen a tenté de le faire, et continue à le faire avec ses propos –, je ne demande pas de suspension de séance, mais que l’on examine le texte. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Je comprends M. Chassaigne : au fond, si M. Le Guen a tenu les propos qu’on lui prête, il a aussi remis en cause ma propre appréciation sur les amendements déposés. (« Ah ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme Isabelle Le Callennec. Il n’a pas dû les lire !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Cela voudrait dire, en somme, que j’ai laissé passer des amendements qui n’ont aucun rapport avec le projet de loi : ces propos me semblent donc étonnants. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

M. Damien Abad. Enfin une présidente indépendante !

Mme la présidente. La parole est à M. Francis Vercamer.

M. Francis Vercamer. M. le secrétaire d’État a effectivement mis en cause Mme la présidente de notre commission : si les amendements sont des cavaliers, ils ne devraient par définition pas être débattus dans l’hémicycle. Ces propos sont donc désobligeants pour nous, parlementaires, qui avons rédigé les amendements, mais aussi pour Mme la présidente de la commission, qui est chargée de vérifier leur validité.

Je souhaiterais néanmoins savoir comment nos travaux vont se dérouler. En effet, 5 000 amendements ont été déposés, et notre ordre du jour prévoit que nous ne siégerons, la semaine prochaine, que jusqu’au jeudi.

Dans la mesure où nous perdons déjà du temps – il est peu vraisemblable que nous examinions beaucoup d’amendements au cours de cette séance –, nous ne débuterons véritablement l’examen des articles que lundi après-midi, ce qui nous amènera à examiner ces 5 000 amendements en trois jours et demi – et encore, l’Assemblée ne siégera pas ni le mardi ni le mercredi dans la matinée. Je me demande, par conséquent, comment nous allons faire.

J’aimerais avoir quelques explications à ce sujet afin de régler notre agenda. Si la discussion du projet de loi se poursuit jusqu’à la fin de la semaine prochaine, voire la semaine suivante, il faudrait peut-être nous en informer à l’avance, afin que nous puissions nous rendre disponibles et faire notre travail de parlementaires dans de bonnes conditions. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. Thierry Benoit. Il a raison !

Discussion des articles

Mme la présidente. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.

Article 1er

Mme la présidente. Nous en venons aux orateurs inscrits à l’article 1er.

La parole est à M. Damien Abad.

M. Damien Abad. Je souhaiterais, tout d’abord, que Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social puisse nous répondre, sur le fond comme sur la forme.

M. Marc Dolez. Oui, nous voulons entendre le Gouvernement !

M. Damien Abad. Il est inacceptable de voir nos débats dévoyés de la sorte : le travail fait en commission des affaires sociales comme celui des parlementaires ont, en effet, été remis en cause par le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. En outre, madame la ministre, la moindre des choses serait que vous nous précisiez le calendrier d’examen du texte !

Par ailleurs, vous envisagez certainement d’employer l’article 49, alinéa 3, et nous avons très bien compris que vos manœuvres aujourd’hui n’avaient surtout pour but que de gagner du temps, afin que nous ne puissions pas débattre ni examiner les amendements. Dans ces conditions, comment parler du fond ? Franchement, ce n’est pas une manière de travailler ni de respecter le Parlement. Ce projet de loi constitue déjà, au fond, un renoncement : son examen conduira également à un renoncement des parlementaires et des droits du Parlement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Favennec.

M. Yannick Favennec. Je m’associe bien entendu aux propos du précédent orateur. Madame la ministre, je suis convaincu de la nécessité de réformer le code du travail, mais le projet de loi qui nous est présenté – et dont nous commençons à examiner l’article 1er – n’est pas satisfaisant.

D’ailleurs, 74 % des Français n’en veulent pas, en premier lieu en raison de la méthode choisie qui consiste à négliger les discussions en amont avec les partenaires sociaux. Elle a conduit à la présentation d’un second texte très éloigné des propositions initiales. Ce projet de loi a finalement, à force de réécriture et de compromis, perdu toute sa cohérence.



Sur le fond, il ne s’attaque pas aux véritables obstacles qui découragent l’embauche : le poids démesuré des charges sociales qui alourdit considérablement le coût du travail, les 35 heures et la rigidité du contrat de travail qui précarisent les salariés et déstabilisent les employeurs, et enfin l’inadaptation de la formation initiale et les carences de la formation continue.



Ce texte contient, de surcroît, des dispositions anti-compétitivité, ni financées, ni évaluées, et qui risquent de déstabiliser davantage le marché de l’emploi. Pour embaucher, les entreprises, et notamment les TPE et les PME, ont besoin de visibilité comme de confiance.



Notre pays se trouve confronté à un chômage de masse, même si les derniers chiffres montrent une baisse du nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A, dont l’évolution se caractérise justement par un basculement vers des contrats de courte durée et ce en raison, notamment, d’un manque de visibilité des carnets de commandes.



Taxer le contrat à durée déterminée, qui constitue la principale porte d’accès à l’emploi, va casser cette fragile dynamique. Cette mesure revient en effet à pénaliser financièrement ceux qui prennent des risques afin de développer leur entreprise et créer des emplois.



Enfin, une généralisation de la surtaxation existante pénaliserait des pans entiers d’activités à fort taux de main d’œuvre. Ce projet de loi ne créera pas d’emplois ni n’incitera à l’embauche. Il complexifiera encore davantage notre code du travail.



Madame la ministre, afin que la réforme du droit du travail soit utile dans la lutte contre le chômage, vous devez abandonner ce projet de loi qui n’a pas la moindre cohérence ni le moindre cap. Il faut construire sur des bases partagées un nouveau projet en faveur de l’emploi, de la compétitivité et des salariés.

M. Francis Vercamer. Excellent !

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Alain Muet.

M. Pierre-Alain Muet. La philosophie de ce texte repose sur une idée juste et importante, mais, également, sur deux idées fausses.

L’idée juste est la suivante : dans une économie plus mobile dans laquelle l’emploi à vie n’est plus garanti, la mobilité du salarié comme la transition d’un emploi à l’autre doivent être sécurisées.

Ce projet de sécurité sociale professionnelle, qu’à gauche nous portons depuis longtemps, est esquissé dans le compte personnel d’activité : c’est une bonne chose. J’approuve également le rôle accru de la négociation sociale en faveur de laquelle j’ai toujours plaidé et voté.

En revanche, les deux idées fausses s’inspirent de l’idéologie dominante en Europe, dont le moins qu’on puisse dire est que les résultats ne sont guère probants.

La première erreur consiste à croire que la protection de l’emploi serait la cause du chômage, alors que celui-ci résulte d’abord des politique macro-économiques inadaptées conduites en Europe depuis plusieurs années, et dont nous sommes, heureusement, en train de sortir petit à petit.

En matière de protection de l’emploi, le seul résultat bien établi, y compris par l’OCDE – peu suspecte dans ce domaine – est « qu’il n’y a aucune preuve empirique d’un impact de la protection de l’emploi sur le chômage ».

M. Régis Juanico. Très bien !

M. Pierre-Alain Muet. Il suffit d’ailleurs, pour s’en convaincre, d’observer le cas de l’Allemagne. Ce pays est en effet en Europe à la fois l’un de ceux où la protection de l’emploi en contrat à durée indéterminée est la plus forte et où le taux de chômage est le plus faible.

La seconde erreur est de croire qu’il est possible de s’en remettre à la seule négociation d’entreprise en inversant la hiérarchie des normes et en réservant aux branches un rôle accessoire alors qu’elles sont essentielles pour que la concurrence ne tire pas vers le bas les conditions de travail ni les salaires.

La hiérarchie des normes et le principe de faveur ne protègent pas seulement notre modèle social, même si c’est déjà beaucoup : ils favorisent également la bonne compétitivité, celle qui privilégie l’innovation économique et sociale, et non l’ajustement vers le bas.

Si nous ouvrons des brèches dans notre protection sociale, d’autres, à droite notamment, s’y engouffreront : il est encore temps de choisir le bon chemin. J’espère que notre débat y contribuera. (Applaudissements sur certains bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen ainsi que sur plusieurs bancs du groupe écologiste et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Jean-Marc Germain. Excellente intervention !

Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.

Mme Jacqueline Fraysse. Ce projet de loi marque une rupture historique avec la vocation première du droit du travail : protéger les travailleurs placés en état de subordination, juridique et économique, vis-à-vis de leurs employeurs. Il est important de rappeler ici que le code du travail s’est d’abord construit afin de préserver la santé des travailleurs et de leur assurer des revenus et des conditions décents.

En traitant le droit du travail comme un outil au service de la performance économique, en proposant que les travailleurs s’adaptent aux besoins du marché de l’emploi, vous inversez le sens du droit et du code du travail.

Il s’agit d’un changement sans précédent de philosophie. Avant toute réforme en profondeur du droit du travail, il conviendrait de répondre à cette question : quelle réorganisation du travail voulons-nous promouvoir, et pour quelle société ?

À ce stade, il ne fait aucun doute que nos réponses divergent diamétralement. Si nous partageons l’idée selon laquelle il faut revisiter l’actuel code du travail afin d’y introduire de nouveaux droits sociaux et démocratiques en phase avec la société d’aujourd’hui, à l’ère du numérique, de l’Europe et de la mondialisation, nous ne pouvons accepter d’en abandonner l’essence, c’est-à-dire la protection des droits des salariés placés en situation de dépendance vis-à-vis de leur employeur.

Madame la ministre, si vous écoutiez les citoyens qui se mobilisent contre votre texte depuis plus de deux mois, vous entendriez leur volonté de donner une nouvelle place – plus émancipatrice – au travail et de combattre, grâce à un meilleur partage du temps et du temps de travail, la précarité.

Or vous faites le contraire : recul sur le temps de travail, recul sur la protection contre les licenciements abusifs, recul sur la santé au travail ! Bref, ce n’est pas d’une modernisation dont il s’agit, mais d’un retour au XIXe siècle, pour ne pas dire au Moyen-Âge.

Mme Marie-Christine Dalloz. Allez chercher Zola !

Mme Jacqueline Fraysse. Nos concitoyens l’ont bien compris, ce qui explique la légitime levée de boucliers à laquelle nous assistons dans tout le pays et à laquelle nous serions bien inspirés de répondre favorablement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Jean-Luc Laurent. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Lefebvre.

M. Frédéric Lefebvre. Que dire sur ce texte ?

M. Jean-Luc Laurent. Rien !

M. Frédéric Lefebvre. J’avoue qu’il est un peu compliqué, aujourd’hui, de savoir ce que nous allons faire : c’est la raison pour laquelle j’ai tenu à prendre la parole au tout début de la discussion des articles.

Madame la ministre, je vous l’avais d’ailleurs dit : je suis tout à fait ouvert à la discussion, sur un texte de cette importance, qui touche aux partenaires sociaux, notamment dans les entreprises, ainsi qu’aux questions d’emploi.

Je crois l’avoir prouvé à de nombreuses reprises depuis quatre ans : mon sentiment est que le devoir des uns et des autres, sur tous les bancs de cette assemblée, est de s’unir quand l’intérêt de nos compatriotes est en jeu.

J’ai déposé une trentaine d’amendements. Je me doute bien que, s’agissant d’un grand nombre d’entre eux, il sera difficile de trouver des points d’accord. J’espère cependant que sur d’autres, nous aurons la possibilité de nous entendre.

Par ailleurs, j’entends et je lis que nous risquons de ne pas aller au bout de la discussion de ce projet de loi, qu’elle risque de s’achever un peu brutalement.

Quoi qu’il en soit, madame la ministre, je vous répète, comme je vous l’avais dit lorsque nous nous étions croisés à RTL : de mémoire, vous y étiez invitée par Olivier Mazerolle, alors que je l’étais par Yves Calvi. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Arnaud Leroy. C’est vraiment passionnant !

M. Jean-Luc Laurent. Vous allez nous dérouler tout votre agenda ?

M. Frédéric Lefebvre. Nous avions échangé sur ce texte ainsi que sur plusieurs sujets, notamment sur le revenu universel. (Mêmes mouvements.) Mes chers collègues, il me paraît utile, même lorsqu’on est frondeur – j’en vois s’exclamer un certain nombre –, de s’écouter mutuellement et de se réunir lorsque il en va de l’intérêt de nos compatriotes.

C’est pourquoi je tiens à le dire dès début de cette discussion : si, sur certains sujets que considère comme essentiels pour nos compatriotes ou pour l’économie française, des voix venaient à manquer sur les bancs de la majorité, je n’hésiterai pas à voter en faveur de tel article ou de tel amendement.

M. Jean-Luc Laurent. Politicien ! C’est lamentable !

M. Frédéric Lefebvre. Je considère en effet que nous devons d’abord nous préoccuper de l’intérêt des Français.

M. Jean-Luc Laurent. C’est vraiment le niveau zéro de la politique !

M. Pouria Amirshahi. Vous êtes le supplétif de la majorité ?

M. Frédéric Lefebvre. Pour le reste, je jugerai évidemment, en fonction de la discussion, de l’ouverture dont fait preuve le Gouvernement et de la capacité des uns et des autres à s’engager dans un véritable débat de fond plutôt qu’à adopter des postures.

M. Jean-Luc Laurent. Vous, vous êtes dans l’imposture !

Mme la présidente. La parole est à M. Denis Jacquat.

M. Denis Jacquat. Une question, une interrogation, un constat, un vœu, un souhait.

La question : la version initiale du projet de loi prévoyait, lorsque l’employeur souhaitait porter le temps de travail d’un apprenti à quarante heures, de passer d’un régime d’autorisation à un régime de déclaration. Cet article a disparu : pourquoi ?

Une interrogation : la commission a entériné le principe de portabilité, mais aussi de fongibilité des droits inscrits sur le compte personnel d’activité, le CPA. Or il faut se rappeler que le CPA comporte le compte pénibilité, qui, en plus d’être inapplicable dans les TPE et dans les PME, est dramatiquement sous-financé.

M. Régis Juanico. Arrêtez !

M. Denis Jacquat. Le risque est grand de le voir devenir une usine à gaz comportant des droit fongibles dont une partie n’est pas financée. Pourquoi créer un mélange explosif mêlant fongibilité et sous-financement ?

Un constat : la taxation des contrats à durée déterminée est un coup de poignard dans le dos des entreprises. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Un vœu : la modernisation de la médecine du travail, dans le sens d’une adaptation est, nécessaire. Il est en effet indispensable de tendre vers la prévention primaire. Il faut également simplifier : par exemple, dans le cas des salariés multi-employeurs, il n’est pas obligatoire de compter autant de visites médicales et de fiches d’aptitude que d’employeurs.

M. Damien Abad. C’est vrai.

M. Denis Jacquat. Un souhait, enfin : il faut rendre plus accessible et plus intelligible le droit du travail, notamment dans les TPE et dans les PME, car elles sont confrontées à une insécurité juridique croissante.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Charles Taugourdeau.

M. Jean-Charles Taugourdeau. L’article 1er prévoyait initialement l’insertion d’un préambule au code du travail contenant les principes essentiels du droit du travail. Or on sait bien, en droit français, que lorsqu’on procède à ce type d’insertion, comme cela a été fait dans notre constitution avec la Charte de l’environnement, on établit des principes qui se réduisent à des interdictions.

Or, on l’a déjà dit, le code du travail est plus un code d’interdiction de travailler qu’un code de protection du travail. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Mme Jacqueline Fraysse. C’est un code de protection des salariés !

M. Jean-Charles Taugourdeau. Dans le texte issu des travaux en commission, l’article 1er institue une commission d’experts et de praticiens chargée de proposer une refonte du code. Il serait plus simple et plus rapide d’opter pour les accords d’entreprise !

Le préambule a été supprimé mais il en reste des traces, dans l’article 1er ter par exemple. Le préambule précisait en effet que le harcèlement moral ou sexuel était interdit au travail, mais il est interdit partout en France, y compris pendant les temps de repos, y compris quand on ne travaille pas !

Mme Catherine Coutelle. Et alors ?

M. Jean-Charles Taugourdeau. Une fois de plus, madame la ministre, votre texte stigmatise le travail et le lieu de travail. Cela vaut aussi pour la grossesse et la maternité, qui ne doivent pas donner lieu à une sanction ni à un licenciement : cela figure déjà dans le code du travail ! Et je ne parle pas de la rémunération supposée assurer des conditions de vie digne ni du respect du salaire minimum. Franchement, je ne vois pas ce que tout cela apporte de plus ni comment cela va libérer le travail en France.

Mme la présidente. La parole est à M. Francis Vercamer.

M. Francis Vercamer. Après une longue discussion générale, nous voici enfin à l’examen des articles.

Alors que le projet de loi, madame la ministre, ambitionne d’« instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections » pour les entreprises et les actifs, l’article 1er, lui, prétend refonder le code du travail dans le respect des règles légales en vigueur. Allez m’expliquer comment on peut légiférer à droit constant tout en voulant instituer de nouvelles libertés ! Le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement affirme que les amendements déposés n’ont pas de lien avec le texte mais, selon moi, c’est l’article 1er qui ne correspond pas au titre du projet de loi que nous examinons !

Sur le fond, l’idée de refonder le code du travail, de réfléchir à un code plus restreint et laissant plus de place à la négociation collective, me paraît excellente. Croire au dialogue social, c’est une excellente idée, sur laquelle nous ne pouvons que vous suivre.

Néanmoins, quand on lit cet article – et le Conseil d’État a d’ailleurs fait la même remarque –, on voit qu’il relève du domaine réglementaire : pour créer une commission, il suffit d’un arrêté ministériel. On ne comprend donc pas bien pourquoi il vient en préambule d’un projet de loi destiné à instaurer des libertés nouvelles et des protections pour les entreprises et les salariés.

Ces dispositions sont donc inutiles et ne relèvent pas du travail législatif. Même si le principe sur lequel il repose est louable, je ne vois pas ce que cet article fait dans le projet de loi.

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Paul.

M. Christian Paul. L’article 1er invite à la refondation du code du travail. C’est donc le moment pour chacun d’entre nous d’affirmer les principes qui guident nos positions dans ce débat, qu’il faut conduire bien sûr avec sérieux mais avec une totale détermination à ne pas laisser affaiblir les droits des salariés.

On ne peut pas, madame la ministre, invoquer le progrès social, la volonté de compromis quand un projet de loi provoque à un tel degré de la tension sociale. Ce texte est en effet facteur de division dans le pays et de désordre dans les esprits.

Il n’y a pas de fatalité à dégrader des droits essentiels pour tenter en vain, avec quelques droits nouveaux, de trouver un équilibre improbable. Pour lutter contre le chômage, comme l’a très bien démontré Pierre-Alain Muet à l’instant, il n’est ni utile ni nécessaire d’introduire la précarité jusqu’au cœur même du contrat de travail à durée indéterminée.

Il faut donc réécrire le texte en profondeur puisque le Gouvernement n’a pas souhaité le retirer.

M. Marc Dolez. Hélas !

M. Christian Paul. Il traduit en effet des choix inacceptables, dont, à aucun moment, je le répète, le Gouvernement n’a démontré l’efficacité économique.

Je cite deux de ces points durs.

Premier point, la hiérarchie des normes, qu’il faudrait prétendument inverser. C’est ouvrir la porte au moins-disant social.

Mme Marie-George Buffet et M. Marc Dolez. Bien sûr !

M. Christian Paul. La négociation collective doit être réinventée, elle ne doit pas être rabaissée. Les branches professionnelles doivent être non pas affaiblies mais consolidées. La souplesse devient la faiblesse si l’ordre public social se délite.

Le second point dur, ce sont les conditions du licenciement économique. Chacun le sait : du fait de la brutalité d’une économie mondialisée, les conditions de licenciement sont déjà très défavorables aux salariés.

Comme des dizaines de parlementaires qui ne peuvent pas voter ce texte en l’état, je ne suis pas fermé au dialogue. Le dialogue est incontournable, il doit être ferme, il sera loyal. Il n’y aura pas d’obstruction et, pour ma part, je concentrerai mes interventions sur une dizaine d’amendements au plus.

Nous ne pratiquerons pas l’obstruction, mais nous ne ferons pas non plus preuve de naïveté. Si ce débat est interrompu dans quelques jours, ce sera un échec politique majeur, d’abord pour le Gouvernement, parce que c’est nous et parce que ce sont les droits des Français dont il s’agit. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton.

M. Gilles Lurton. Avec l’article 1er, madame la ministre, le Gouvernement nous propose de mettre en place une commission d’experts chargée de refonder le code du travail.

J’approuve la décision de la commission des affaires sociales de supprimer de cet article les soixante et un principes essentiels du code du travail issus du comité Badinter. Vous ne pouvez pas à la fois renvoyer l’écriture du code du travail à une commission et l’enfermer dans une série de principes qui auraient totalement figé ses travaux.

De façon singulière, les parlementaires, dont le rôle premier est pourtant de faire la loi, sont exclus de cette commission. J’ai du mal à comprendre, alors que nous détenons notre légitimité du suffrage universel, c’est-à-dire du peuple français, que nous nous en dessaisissions une fois élus pour la confier à des personnes dont nous ne connaissons toujours pas l’identité et dont nous ne savons pas par qui et comment elles seront nommées.

M. Nicolas Sansu. Il a raison !

M. Gilles Lurton. J’attends d’un tel projet de loi qu’il permette aux 6 millions de demandeurs d’emploi de retrouver le chemin du travail. Je regrette donc que toutes les mesures susceptibles de relancer l’emploi dans notre pays en aient été exclues.

Nous savons tous – et vous ne pouvez pas le nier, même si vous avez fait semblant de l’ignorer en commission – que ce projet de loi a connu une première version.

De même, nous savons tous que ce sont les PME qui créent les emplois. Le Premier ministre soulignait lui-même à la fin du mois de février, avant la parution de la première version du texte, que cette loi était faite pour les petites et moyennes entreprises. Il ajoutait dans la même interview que « c’était « du gagnant-gagnant » pour l’entreprise et les salariés. « Sortons de la théorie, disait-il, et prenons l’exemple de la barémisation. Elle permet notamment aux PME d’anticiper ce que leur coûterait un licenciement. »

M. Christian Paul. Il s’agit de licenciement abusif !

M. Gilles Lurton. « Plutôt que d’embaucher systématiquement en CDD ou d’avoir recours à des intérimaires, poursuivait-il, cela les inciterait à embaucher en CDI. »

Le Premier ministre avait raison, mais qu’est devenue la barémisation dans cette nouvelle version du texte ? Malheureusement, reculant devant la rue, vous avez vidé celui-ci de son contenu.

Nous comprenons la nécessité d’apaiser l’inquiétude des jeunes, préoccupés par leur avenir, mais la situation actuelle impose de recréer un lien et de rétablir un dialogue permanent entre employeurs et salariés. Ce lien de confiance n’existe plus. Quant à votre projet de loi, il ne satisfait plus personne. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gabriel Serville.

M. Gabriel Serville. Madame la ministre, permettez que je salue la mise en place de la commission de refondation de la partie législative du code du travail et le but affiché de faire de la négociation collective un pilier de notre droit du travail.

Cette initiative devrait permettre d’abandonner la logique binaire du marché de l’emploi, qui voit s’opposer malgré elles deux catégories de la population : d’un côté les personnes ayant un emploi et jouissant d’un cadre réglementaire ultra-protecteur et, de l’autre, celles qui sont laissées à la marge de l’emploi et désespèrent de s’insérer dans le monde du travail du fait de règles trop contraignantes.

Aussi, j’aurais aimé vous apporter mon soutien sur ce texte, qui a le mérite de s’attaquer au grand défi de ce début du XXIe siècle qu’est l’emploi.

Néanmoins, en tant que député de Guyane, je n’ai eu de cesse de répéter sur ces bancs qu’aucune loi, aucune règle ne saurait être efficace sans un réel degré d’adaptation aux réalités observées sur le terrain, et c’est bien là le sens et la raison des revendications qui émanent de la base guyanaise.

Nous devons entendre et comprendre les salariés, en particulier ceux des très petites entreprises, qui redoutent qu’une plus grande place laissée à la négociation collective ne permette, dans de nombreux cas, au patronat de leur imposer des conditions moins favorables que celles dont ils jouissent aujourd’hui. Nous devons surtout répondre à ces inquiétudes en accordant à la représentation des salariés la place qui lui revient afin qu’elle puisse remplir efficacement le rôle qui lui est confié.

J’espère donc que cette commission proposera des mesures favorables à une véritable resyndicalisation de l’emploi salarié. Ce n’est qu’à cette condition que les objectifs de flexisécurité posés par le projet de loi seront pleinement atteints.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.

M. Guillaume Chevrollier. Madame la ministre, ce devait être une loi pour lutter contre le chômage, si élevé dans notre pays, et simplifier notre droit du travail devenu illisible. Je suis contraint d’utiliser l’imparfait car cette énième mouture que vous nous proposez aujourd’hui ne correspond en rien au but recherché. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Ce texte, mal préparé, a réussi l’exploit de mécontenter tout le monde, et son seul résultat sera de produire une nouvelle loi pour rien. De plus, cette nouvelle version va sans nul doute continuer à s’orienter dans le mauvais sens car, faute de majorité, et à moins de recourir à l’article 49, alinéa 3, vous allez être contrainte d’accepter des amendements de l’aile gauche. Adieu donc la souplesse, la flexibilité, la compétitivité dont nous avons tant besoin.

Alors que tous les chefs d’entreprise que je rencontre dans mon département de la Mayenne, qu’ils dirigent des TPE, des PME ou même des grandes entreprises, attendent du Gouvernement de la souplesse, de la simplification, de la stabilité, vous leur imposez le contraire.

Si les contrats aidés que vous multipliez font baisser temporairement le chômage, ils ne constituent pas une solution d’avenir. Où est le courage politique ? Vous pliez devant la rue, devant des syndicats et même des organisations dépourvu de représentativité ou faiblement représentatifs. Alors que nos voisins européens ont su faire des réformes, qui réussissent d’ailleurs puisque le chômage baisse, vous, vous ne réformez pas, vous reculez.

Devant les pressions, vous avez abandonné le barème plafonnant les indemnités prud’homales ; vous avez reculé sur les mesures de simplification de l’apprentissage ; le compte personnel d’activité a des contours flous, et son bénéfice tend à s’élargir sans qu’aucune étude d’impact n’ait été effectuée ; enfin, vous proposez inconsidérément d’aggraver la taxation des contrats courts – autant de mesures néfastes !

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. C’est vrai !

M. Guillaume Chevrollier. L’article 1er a, lui, subi un régime favorable grâce à la suppression des soixante et un « principes du droit du travail », jugés essentiels par leurs auteurs, mais dont certains étaient des plus malvenus et inopportuns. Il continue cependant à prévoir la création d’une commission chargée de procéder à la refondation de notre droit du travail, une tâche qui devrait être celle du Parlement. C’est un vrai scandale pour le Parlement !

Je regrette donc la présentation d’un tel texte, qui ne règle en rien le problème du chômage, ne répond pas aux besoins des entreprises, nullement incitées à embaucher, divise les Français et dévalorise une fois de plus l’image de notre pays sur la scène internationale. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Cherki.

M. Pascal Cherki. Madame la ministre, ce texte est une occasion manquée, une erreur politique.

C’est une occasion manquée parce que la grande loi qu’il aurait fallu faire, c’est la loi instituant une sécurité sociale professionnelle à laquelle nous avions tant réfléchi avec les organisations syndicales quand nous étions dans l’opposition. Nous partions d’un constat assez simple : un nombre grandissant de salariés ne travailleront pas tout au long de leur vie au sein de la même entreprise. Il fallait donc attacher les droits sociaux non plus à l’entreprise mais à la personne du salarié et organiser leur portabilité tout au long de la vie.

Telle était la grande réforme, le grand chantier que nous aurions dû conduire de concert avec les organisations syndicales, salariales et patronales, de manière à bâtir le droit moderne du XXIsiècle, le seul qui puisse aujourd’hui concilier la nécessité de s’adapter dans un monde économique changeant et celle de garantir de vrais droits aux salariés.

Au lieu de cela, vous avez fait le choix d’une loi archaïque, qui puise dans le fonds de commerce idéologique du social-libéralisme, qui a échoué. Pour vous, comme l’a très justement souligné Pierre-Alain Muet, c’est la trop grande protection de l’emploi qui est la cause du chômage. Or, à cause de cette antienne que nous servent depuis des années les experts auprès de l’Union européenne, notre continent est dévasté par le chômage de masse. C’est l’erreur fondamentale que vous avez faite. En période de fort chômage, il faut au contraire maintenir les protections des salariés ; c’est en période de plein-emploi qu’il faut multiplier les assouplissements.

Vous allez encore plus loin puisque vous inversez l’un des principes fondamentaux de notre droit, la hiérarchie des normes, qui avait été déjà très écornée en 2008 par la loi Fillon, à laquelle, quand nous, socialistes, étions dans l’opposition, nous étions opposés avec la plus farouche énergie.

Mme Marie-Christine Dalloz. Vous êtes toujours dans l’opposition, c’est de culture !

M. Pascal Cherki. Aujourd’hui, parce que nous gouvernons, nous devrions faire passer par-dessus bord ces principes auxquels nous étions tant attachés depuis des décennies ?

En définitive, l’inversion de la hiérarchie des normes, ce n’est pas une disposition favorisant le dialogue social, mais le dialogue du renard libre dans le poulailler libre. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pouria Amirshahi.

M. Pouria Amirshahi. J’ai souligné hier, dans la discussion générale, à quel point la philosophie de ce projet tournait le dos à la modernité, nécessairement plus protectrice et, en même temps, adaptée aux nouveaux enjeux de régulation d’un monde du travail parfois atomisé, dans lequel la précarisation grandit, l’individualisation dans le rapport au travail pouvant nuire gravement aux identités professionnelles et aux métiers.

J’ai aussi eu l’occasion d’expliquer comment vous généralisez la concurrence de tous contre tous, en ouvrant la boîte de Pandore de la compétition entre les entreprises ou les établissements. Dès lors que l’une tirera vers le bas des standards sociaux, l’autre voudra s’aligner sur elle, ce qui tirera tout le monde vers le bas. Quant à certaines mesures concrètes, sur la médecine du travail, le nombre d’heures travaillées par jour ou les temps de pause, qui nous semblaient acquises, personne n’aurait pu penser une seule seconde qu’elles feraient l’objet d’un débat, si ce n’est pour en améliorer les conditions et supprimer les dispositions dangereuses et inquiétantes.

Dans cet article 1er, confus, brouillon et dont, je l’avoue, je ne comprends pas l’objet exact, vous créez un comité Théodule, dont la seule qualité est d’être paritaire, composé d’experts, pour discuter de la refondation d’un droit du travail dont nous sommes censés débattre en ce moment. En outre, on peut deviner l’horizon unique de pensée qui guidera ces experts, puisque ce sont toujours les mêmes. Avec cette commission, vous tournez le dos au fameux dialogue social que vous appelez de vos vœux. C’est une ombre portée sur ce que doivent être la qualité, la dynamique et la fécondité d’un dialogue social réel et sérieux.

Si, dans notre débat, vous placez les réformes relatives au droit du travail, lesquelles dépendent de ce que disent les salariés, leurs représentants et, in fine, la représentation nationale, sous le patronage d’une commission d’experts aussi tristes que l’horizon comptable qui les guide, nous n’allons pas beaucoup avancer. (Applaudissements sur certains bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Philippe Noguès et Mme Eva Sas. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Orliac.

Mme Dominique Orliac. Avant le passage en commission, cet article reprenait les soixante et un principes du comité Badinter, afin de poser une base de réflexion pour les futurs travaux de la commission de refondation du code du travail. La liberté de manifester ses convictions, y compris religieuses, en entreprise, initialement inscrite à l’alinéa 11, figurait parmi ces principes essentiels du droit du travail et reflétait la jurisprudence actuelle. Pour nous, radicaux de gauche, fervents défenseurs de la laïcité, l’entreprise ne doit pas devenir un lieu de propagande confessionnelle, risquant de créer des clivages et des tensions. Le principe de neutralité permet à tous de vivre et de travailler ensemble, par-delà les différentes appartenances religieuses.

Il nous paraissait donc important de rappeler que le rôle du législateur n’est pas d’enregistrer passivement la jurisprudence, mais bien de fixer, si nécessaire, des règles plus appropriées. Dès lors, nous sommes satisfaits d’avoir pu obtenir la suppression de l’inscription de ces principes dans le code du travail.

Cet article initial comportait aussi des problématiques juridiques majeures, en visant à inscrire dans la loi des principes de valeurs différentes – européens, constitutionnels, législatifs et jurisprudentiels. Ces principes n’ayant pas la même place au sein de la hiérarchie des normes, leur inscription risquait, à cause de l’ambiguïté, de remettre en cause leur force et leur application.

Cependant, cet article comporte encore, à nos yeux, un défaut majeur. Il nous semble que le renvoi à une commission d’experts pour refondre le droit du travail constitue, comme certains de mes prédécesseurs l’ont dit, un véritable dessaisissement du Parlement. C’est pourquoi nous avons déposé un amendement visant à supprimer cette disposition.

Mme la présidente. La parole est à M. Ibrahim Aboubacar.

M. Ibrahim Aboubacar. Cet article engage la refondation du code du travail. Le nouveau code s’articulera en trois niveaux : les dispositions d’ordre public, celles régies par la négociation et celles dites supplétives. Cette refondation ambitionne de donner une plus grande place à la négociation collective, en réservant une marge de manœuvre plus large au niveau de l’entreprise. Les départements d’outre-mer relevant de l’identité législative sont naturellement concernés par cette réforme.

Si la nouvelle architecture n’appelle pas de remarques de fond particulières, il n’en est pas de même des ambitions relatives à la négociation collective. Le principe de l’identité législative n’ayant pas son pendant dans le champ conventionnel, un hiatus s’est peu à peu créé, depuis la loi Perben de 1994, entre les dispositions conventionnelles en vigueur en métropole et celles des DOM. Au-delà de ce hiatus, les organisations professionnelles nationales, certes compétentes en matière conventionnelle dans les DOM, n’ont pas intégré cette dimension dans leur pratique ou, à tout le moins, l’ont peu à peu perdue depuis 1994.

Si on ajoute à cela la réalité du tissu des entreprises dans ces territoires, on est naturellement conduit à souligner la nécessité d’insister pour qu’elle soit prise en compte et pleinement traitée par les travaux de la commission de refondation du code du travail instituée par cet article. D’expérience, nous savons que cela ne va pas de soi. C’est le sens des observations faites sur ce point par la délégation aux outre-mer, sous l’égide du rapport de Mme Orphé, que je salue, lequel fonde les amendements que nous serons un certain nombre à défendre.

Au-delà de ces amendements, nous nous poserons également la question de l’articulation entre les organisations professionnelles nationales et les organisations professionnelles locales dans les DOM, qu’elles soient ou non les prolongements des premières.

Pour conclure, un hasard du calendrier veut que, d’ici au 1er janvier 2018, nous ayons à créer un code du travail dans le département de Mayotte que je représente, pour permettre à ce département de s’inscrire par la suite dans le chantier de refondation.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Vigier.

M. Jean-Pierre Vigier. Madame la ministre, voici ce que me disaient les acteurs économiques en février – en février ! – sur votre avant-projet de loi : « Ce projet de loi est ambitieux et va indéniablement dans le bon sens. Il est susceptible de faire bouger les lignes sur le front de la création d’emplois. » Voici les retours du terrain sur sa version actuelle : « Ce projet de loi est un texte qui pose de très nombreuses difficultés aux entreprises, aux artisans, aux commerçants et aux acteurs de l’économie de proximité. Il faut soutenir les petites et moyennes entreprises, dont les besoins sont spécifiques. »

Avez-vous entendu ce message venu des acteurs du terrain, madame la ministre ? Pourquoi ne faites-vous pas confiance à ceux qui donnent du travail ?

Mme Jacqueline Fraysse. Oh, ils n’en donnent pas tant que cela !

M. Jean-Pierre Vigier. N’est-ce pas de simplification et de souplesse qu’ils ont besoin, afin de répondre à l’urgence française actuelle : offrir des emplois aux chômeurs qui veulent retrouver la vie active ? À cette fin, il faut lever les freins à l’embauche et offrir de la prévisibilité. Or, votre texte contient de nombreuses zones d’ombre : recul sur les mesures de simplification de l’apprentissage, surtaxation des CDD ou encore absence de barème clair pour les indemnités prud’homales. Madame la ministre, faites de ce projet une loi véritablement en faveur du travail et de l’emploi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Jean Lassalle. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Goldberg.

M. Daniel Goldberg. L’article 1er pose une question. Réformer, est-ce transformer, déréglementer ou se soumettre à ceux qui recherchent à tout prix le profit le plus rapide possible – certes, ce ne sont pas les plus nombreux et ils ne sont pas représentatifs de l’ensemble des entrepreneurs de notre pays ? S’il existe un code du travail et des règles, c’est pour protéger les salariés. La première loi relative au travail concernait l’indemnisation des accidents du travail. Nous pourrions nous retrouver très largement sur les bancs de la gauche pour dire que la réforme du code du travail doit aller dans le sens du progrès et d’un équilibre gagnant-gagnant entre salariés et employeurs.

Si les rapports au travail sont conflictuels et si la loi doit protéger les salariés, c’est parce qu’il n’y a pas d’égalité de situation entre l’employé et l’employeur qui fournit le travail, ses horaires, son contenu et son salaire – et qui doit être reconnu pour cela –, mais aussi parce qu’il y a une situation de dépendance entre l’employeur et l’employé. Les entrepreneurs en sont-ils pour autant à vilipender ? Bien sûr que non ! Néanmoins, il faut reconnaître cette dépendance et cette inégalité de situation, lesquelles imposent de rechercher le dialogue social le plus pertinent, le plus efficace et au meilleur niveau qui soit. C’est pour cette raison qu’il ne faut pas inverser la hiérarchie des normes.

Parce que la loi protège, il existe un droit du travail. Parce que la branche encadre, nous devons aller vers un ordre public conventionnel. Au niveau de l’entreprise, on doit faciliter le dialogue, en recherchant des accords locaux. Sans la protection de la loi, ni l’encadrement de la branche, il y a un risque d’affaissement social et de dumping. Les entrepreneurs, notamment ceux des plus petites entreprises, risquent d’en être les premières victimes. C’est pour cela que je ne peux accepter d’entendre sur certains bancs, y compris ceux sur lesquels je siège, ou dans la bouche de certains ministres, que le code du travail est un puissant répulsif à l’emploi. (Exclamations sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

M. Éric Straumann. Qui a dit cela ?

M. Daniel Goldberg. C’est ce type de phrases qui a fini par envenimer le débat public. Je suis persuadé, madame la ministre du travail, madame la secrétaire d’État chargée de la formation professionnelle et de l’apprentissage, que ce n’est pas votre état d’esprit. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à M. Benoît Hamon.

M. Benoît Hamon. Je vais à mon tour me livrer à quelques commentaires, en préambule à ce débat parlementaire, dont je forme le vœu qu’il aille à son terme, afin que nous puissions débattre jusqu’au bout des amendements déposés,…

M. Éric Straumann. C’est mal barré !

M. Benoît Hamon. …qui sont nombreux, en effet, même si ce projet de loi ne constitue pas un record en la matière.

Je veux, comme mes collègues, débattre du fond, sans intervenir sur tout ni me livrer à une obstruction, et aller au bout d’un débat que le Premier ministre a lui-même considéré comme philosophique, quand il s’est exprimé mardi devant le groupe socialiste. Il a parlé de sa démarche, parfaitement respectable, comme d’une démarche philosophique qui accorde désormais une place nouvelle au contrat par rapport à la loi et défend une nouvelle hiérarchie des normes, en remettant notamment en cause le principe de faveur.

Nous avons souvent entendu ce mot de « philosophie » dans la bouche de certains ministres. Il y a là une rupture philosophique avec ce qui existait avant et, sans doute, avec ce qui a été l’histoire de la gauche.

M. Marc Dolez. Absolument !

M. Benoît Hamon. Quelle sera la conséquence concrète de cette nouvelle hiérarchie des normes ? Elle permettra de soustraire la négociation d’entreprise à la force normative de la loi, d’une part, et de l’accord de branche, d’autre part, notamment dans le domaine de l’organisation du travail et de sa durée. Cela encouragera des accords moins-disants sur le terrain, parce que des entreprises chercheront et trouveront des avantages comparatifs vis-à-vis de leurs concurrents, en allongeant la durée du travail et en diminuant la rémunération des heures supplémentaires.

M. André Chassaigne. Très juste !

M. Benoît Hamon. Voilà ce qui va se passer ! Ce texte de loi conduira à un allongement de la durée du travail en France. J’aimerais que la ministre me démontre – et je continuerai à l’interroger sur ce point jusqu’à obtenir une réponse – le bénéfice qu’elle en attend pour les Français, l’économie française et la baisse du chômage. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste et sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Woerth.

M. Éric Woerth. Badinter, Combrexelle, beaucoup de commissions se sont déjà réunies autour du code du travail. Pourtant, elles semblent ne pas suffire, puisqu’il faut en créer une autre. C’est un peu ubuesque ! En ce cas, que faisons-nous ici ? L’article 1er vise à créer une commission pour réformer le code de travail. Or, je croyais que c’était vous, madame la ministre, qui en portiez la réforme ! Cette idée est un peu farfelue.

Le texte pourrait se résumer à son article 1er. Nous créons une commission pour refonder le code du travail, après avoir défini les quelques principes sur lesquels le faire. La commission ferait son travail ; ainsi, le code du travail aurait été refondé et discuté démocratiquement par le Parlement, mais aussi par les partenaires sociaux et tous les experts que vous auriez joints au projet.

Mais ce n’est pas ainsi que les choses se passent. Vous dites qu’il faut refonder le code du travail, mais les dizaines d’articles du projet de loi dessinent non une refondation, mais une réforme ou un amendement, ici ou là, à la marge. Ce Gouvernement se spécialise dans la refondation : vous refondez l’école – on attend le résultat ! –, vous voulez refonder l’économie – nous avons passé des centaines d’heures dans cet hémicycle à débattre de la loi Macron. En réalité, madame la ministre, votre texte est au travail ce que la loi Macron est à l’économie : il n’amène rien, sinon une complication, à la place des solutions tant attendues. Il aura pour résultat d’allonger encore le code du travail, le rendant plus lourd, plus long et plus gros qu’auparavant.

La composition de votre commission, dont le Parlement est totalement absent, est également curieuse. Je crois que la vraie démocratie – la démocratie politique – doit dominer lorsqu’il s’agit de refonder les relations de travail. Cela doit évidemment se faire en relation avec les syndicats et les partenaires sociaux, nul ne peut le contester, mais non en oubliant complètement le Parlement. Faut-il que celui-ci découvre le texte au moment où on lui enjoindra de le voter ? Faut-il que la commission amende un texte qui aura été décidé ailleurs ? Drôle de manière d’agir !

Sur le fond, votre commission manque de liberté. Vous dites que tout ce qui n’aura pas été choisi, c’est-à-dire tout ce qui relève des dispositions supplétives, restera à droit constant. Pourquoi ce verrouillage ? On se demande ce qu’on fait ici, alors que votre commission est verrouillée et que tout le monde conteste ce texte. C’est une drôle de manière de refonder le code du travail, et tout le monde a compris que cette refondation n’en était pas une. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Viala.

M. Arnaud Viala. Madame la ministre, pour poursuivre dans le droit fil de ce que vient de dire Éric Woerth, la place des parlementaires dans l’examen de ce texte est manifestement, depuis le départ, réduite à la portion congrue. Je n’ai jamais voulu parler de la première version du projet de loi, dont vous invoquez sans cesse l’esprit. Les parlementaires n’en avaient eu connaissance qu’au moment où elle était déjà ensevelie sous la troisième ou la quatrième version. Auparavant, vous en aviez discuté avec des gens extérieurs à l’hémicycle. Aujourd’hui, nous assistons à des modifications du rythme du débat qui font que nous serons certainement privés du vote sur ce projet de loi puisqu’on s’achemine manifestement vers le recours à l’article 49, alinéa 3 (« Eh oui ! sur les bancs du groupe Les Républicains), privation suprême de leur voix pour les parlementaires.

Je vous ai interrogée à plusieurs reprises sur trois points, tant en commission que dans l’hémicycle, sans jamais recevoir de réponse. Je vous repose donc ces questions à nouveau. Premièrement, comment, dans la réforme que vous prévoyez, tenez-vous compte de la spécificité des PME et des TPE dont vous dites alléger les contraintes ? À mon avis, ces entreprises se retrouveront au contraire sous une nouvelle vague d’alourdissement de toutes les contraintes qui pèsent déjà sur elles.

M. Gérard Cherpion. Exact !

M. Arnaud Viala. Deuxièmement, en quoi répondez-vous à la problématique des jeunes en surtaxant les CDD, alors que les jeunes et les entreprises demandent aujourd’hui que le CDD soit une voie d’accès à l’emploi et à la mobilité de l’emploi ? Troisièmement, enfin, pourquoi avoir renoncé à un vrai débat sur l’évolution du temps de travail – indispensable ! – et sur la notion de responsabilité individuelle et collective, le sacrifiant sur l’autel des principes surannés de gauche ? Je fais ici référence à tous les articles qui ont été évacués en bloc en commission pour éviter d’en débattre. J’attends maintenant, madame la ministre, des réponses précises à mes questions. Je vous les ai déjà posées de nombreuses fois, mais vous les éludez toujours. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Que reste-t-il du projet de loi travail ? Pas grand-chose : une coquille vide dont la plus grande partie servira à inverser la hiérarchie des normes du code du travail. C’est bien peu ! Certains points de l’avant-projet de loi ont été conservés, mais principalement ceux qui font plaisir aux syndicats : les 20 % d’heures de délégation supplémentaires, l’avis du délégué du personnel avant le reclassement d’un salarié ou encore l’extension du compte personnel d’activité qui ne représente rien d’autre qu’une plate-forme en ligne qui s’annonce tentaculaire et dont la réalisation promet d’être très compliquée. À l’inverse, le plafonnement des indemnités prud’homales a été remplacé par un barème facultatif, alors même que le 18 février, madame la ministre, vous en vantiez les mérites pour faciliter l’emploi.

S’attaquer aux rigidités du marché du travail en France sans toucher aux 35 heures ni aux seuils sociaux, c’est laisser des miettes sur lesquelles on ne peut plus fonder de réel espoir pour créer de l’emploi. L’apogée du grotesque a été atteint lorsque le Premier ministre a mis sur la table, au mois dernier, la surtaxation des CDD. Ce serait une idiotie sans nom ! Non seulement taxer tout ce qui bouge ne fonctionne pas, mais surtout, ce n’est pas en taxant les CDD que vous obtiendrez plus de CDI ; vous n’aurez ni l’un ni l’autre.

M. Jean-Charles Taugourdeau. En effet !

M. Lionel Tardy. Même le rapporteur ne semble pas vous suivre, et c’est tant mieux. Je le remercie pour sa lucidité.

Nous ne sommes pas dans une stratégie d’opposition systématique, nous avons des propositions concrètes. J’ai pour ma part déposé une cinquantaine d’amendements, même si je ne me fais pas d’illusions quant au sort qui leur sera sans doute réservé. J’ai essayé, autant que possible, d’apporter mon expérience de chef d’entreprise. Lorsqu’un chef d’entreprise passe la nuit debout, c’est souvent parce qu’il a peur que la trésorerie de son entreprise soit dans le rouge à la fin du mois, et même s’il s’en sort, tout repart à zéro le mois suivant.

M. Jean Lassalle. Exactement !

M. Lionel Tardy. Ce qu’il craint, c’est que son carnet de commandes soit vide, et qu’il n’ait pas de quoi payer ses salariés et ses charges à la fin du mois. Il n’est donc pas dans une démarche d’opposition avec ses salariés, il n’y a pas deux clans, comme vous semblez le croire. Un patron de PME ne peut pas passer toutes ses journées à faire du dialogue social ou du travail administratif, il doit faire tourner son entreprise. Alors si on peut l’aider à alléger les contraintes, à simplifier, à libérer et à créer de l’emploi, il faut le faire. Mais avec ce texte, le compte n’y est pas, n’y est plus. Je persiste à croire, à moins d’un recours au « 49.3 », que tout n’est pas perdu. Il y a encore des choses à sauver, à condition d’y aller franchement et de ne pas avoir peur des conservatismes.

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Cavard.

M. Christophe Cavard. Madame la ministre, nous attaquons les travaux sur l’article 1er de ce texte dans un contexte législatif incertain puisque les couloirs de notre assemblée bruissent de rumeurs quant à l’utilisation possible de l’article 49, alinéa 3 par le Gouvernement. Il ne sera donc peut-être pas possible de continuer à travailler et à débattre de cette loi. C’est très dommage ! Alors, madame la ministre, je voudrais le redire ici : je reste convaincu que les droits fondamentaux de la personne au travail, dans leur rédaction issue de la commission présidée par Robert Badinter, doivent figurer au préambule du code du travail, comme prévu à l’origine. Ces principes ont vocation à rendre le droit du travail lisible et accessible à chacun et à chacune. Ils ont été supprimés en commission des affaires sociales et je le regrette vraiment car pour favoriser la démocratie sociale et encourager la participation des travailleurs à la négociation collective dans de bonnes conditions, ceux-ci doivent connaître les grands principes sur lesquels reposent leurs droits.

Je le redis : la culture de la négociation n’est pas spontanée. De ce point de vue, les craintes qui s’expriment sont légitimes. Pour une négociation équitable et loyale, il faut que chacune des parties connaisse ses droits élémentaires ; il faut des accords de méthode préalables à la négociation ; il faut pouvoir se former à cette pratique. Le principe qui veut que nul n’est censé ignorer la loi ne peut s’entendre qu’à la condition que la loi énonce le fondement de ses règles. C’est pourquoi j’ai déposé un amendement qui vise à réintroduire les principes essentiels du droit du travail en préambule du code du travail.

Le texte initial du projet de loi le justifie ainsi : « Le préambule issu de la commission Badinter intègre les principes constitutionnels et les engagements internationaux et européens de la France. Il met au premier plan le respect des droits fondamentaux et de la dignité de la personne dans toute relation de travail. Il sanctuarise des principes protecteurs tels que le caractère de droit commun du contrat à durée indéterminée, la nécessité de justifier tout licenciement par un motif réel et sérieux, la fixation de la durée normale du travail par la loi ou encore la responsabilité de l’employeur en matière de sécurité ou de formation des salariés. » Madame la ministre, je vous demande de soutenir le retour de ces principes dans la loi, soit en acceptant les amendements qui vont dans ce sens, si l’on peut en discuter, soit en les réintroduisant si l’article 49, alinéa 3 est finalement utilisé pour faire adopter ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Benoit.

M. Thierry Benoit. Ma chère ministre, avec ses 3 689 pages et ses 8 000 articles, le code du travail est devenu un texte « obscur », « inquiétant » et « atteint d’obésité ». Ce jugement sans appel, formulé en juin 2015, n’est pas celui d’un adepte des théories libérales, mais d’une des plus illustres voix du Parti socialiste français, Robert Badinter. Si le constat n’est pas nouveau, il est bienvenu qu’une personnalité de gauche, et non la moindre, dénonce aujourd’hui la rigidité du droit du travail français, devenu impraticable pour l’immense majorité des entreprises. Alors que les chiffres du chômage atteignent des sommets records, réformer notre marché du travail est devenu une impérieuse nécessité. Imposée au forceps, par un Gouvernement en mal de majorité, la loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les actifs et les actives reste malheureusement bien trop timorée et ne s’attaque pas aux racines du mal.

M. Benoît Hamon. Mais vous êtes pour !

M. Thierry Benoit. Réformer le marché du travail imposait, selon l’Union des démocrates et indépendants, deux priorités : revaloriser la valeur travail pour plus d’opportunités et réécrire le code du travail pour plus de simplicité. Vecteur de compétitivité et de progrès, le travail est aussi, pour tout pays, un outil au service de la production et de la croissance. À titre d’exemple, monsieur Hamon, la journée de solidarité du lundi de Pentecôte a rapporté en 2014, à elle seule, près de 2,4 milliards d’euros. C’est dire si le travail est source de création de richesse pour un pays ! Mais malgré cette efficacité avérée, l’outil travail reste encore, à ce jour, largement sous-estimé. La France est le deuxième pays d’Europe où les salariés à temps plein travaillent le moins, avec 1 661 heures de travail annuel, contre 1 847 en Allemagne.

M. Michel Pouzol. Mais ses salariés sont parmi les plus productifs !

M. Thierry Benoit. Deuxième point : il faut réformer le code du travail pour honorer enfin la promesse présidentielle du choc de simplification. Les effets d’annonce, surtout les plus louables, doivent être traduits en actes. Madame la ministre, vous souhaitiez que cette loi soit audacieuse, mais elle est en train de devenir un texte sans envergure. Nous vous demandons de desserrer l’étau des 35 heures, d’aplanir les effets de seuil, de renoncer à la surtaxe des CDD et surtout de simplifier le compte personnel d’activité qui comprend désormais le compte personnel de prévention de la pénibilité et le compte engagement citoyen. Ce dispositif va devenir ingérable pour les entreprises, même si le Gouvernement s’en sert comme d’un hochet que l’on agite en permanence. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. Rémi Delatte. Belle intervention !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Lassalle.

M. Jean Lassalle. Merci, madame la présidente, de laisser un petit sursis à chacun des orateurs. Madame la ministre, je vous souhaite de présenter un jour un texte à la hauteur de votre courage et de votre panache à le défendre. Pour cela, il faudra certainement que vous l’écriviez vous-même au lieu de vous le faire imposer.

M. Christophe Sirugue, rapporteur de la commission des affaires sociales. C’est une déclaration !

M. Jean Lassalle. Cela dit, cet exemple montre, une fois de plus, les difficultés à négocier dans notre pays sur cette épineuse question du travail. Il est vrai que nous sommes aujourd’hui totalement enserrés dans la politique mondiale du capitalisme spéculatif triomphant, servi par une technocratie internationale sans faille. À partir de là, la négociation à la française est bien loin !

Assez paradoxalement, ce texte favorise plutôt les grosses et les très grosses entreprises. Si elles veulent engager un plan social dans leur filiale française, elles n’auront plus à se justifier sur la situation de leurs filiales à l’étranger évoluant dans le même secteur. On pourra faire des millions de bénéfices dans un autre pays et serrer la vis en France. Dans le même temps, nombre de nos collègues sur tous les bancs de cette assemblée ont souligné que là où l’on pourrait créer de l’emploi – dans les PME, chez les petits artisans ou chez les commerçants –, où un seul homme ou une seule femme, en en embauchant un ou une autre, pourrait immédiatement créer un emploi de plus, cela devient de plus en plus difficile. Ce texte ne facilite absolument pas ce genre de démarches.

Mais il y a pire : ne répondant à aucune des questions, ce texte donne le sentiment de s’attaquer au code du travail, …

Mme Jacqueline Fraysse. C’est une réalité.

M. Jean Lassalle. …à tous les droits sociaux difficilement acquis depuis des décennies et qui témoignent de siècles d’histoire de notre pays, pour précariser encore davantage le travail, sans créer un seul emploi supplémentaire.

M. André Chassaigne. Excellent.

M. Jean Lassalle. Malgré tout, une bonne nouvelle émerge, madame la ministre, des débats autour de ce projet de loi : le renouveau de la jeunesse française. Je suis de ceux qui se félicitent du mouvement Nuit debout ou de ce merveilleux film « Merci patron ! ». Il est dommage que des casseurs, des mauvais esprits, des manipulateurs venus de toute part, tentent de briser ce mouvement car c’est en s’appuyant sur ces bases-là que la France pourra retrouver le chemin du travail et de l’entente, d’une certaine ferveur et de la confiance en elle-même.

Mme Marie-George Buffet et M. André Chassaigne. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Nicolas Sansu.

M. Nicolas Sansu. Alors que nous abordons l’examen des articles de ce projet de loi – lequel, au passage, attaque bel et bien le code du travail, monsieur Lassalle –, permettez-moi, madame la ministre, de livrer à l’Assemblée le résultat d’une enquête d’opinion sortie aujourd’hui, et qui n’aura sans doute pas échappé à votre sagacité car elle révèle l’état d’esprit des Français au sujet de ce projet de loi : 74 % des Français interrogés se déclarent opposés au projet de loi du Gouvernement et un Français sur deux veut son retrait. Il est important que tous les collègues de ce côté-ci de l’hémicycle agissent en conscience, et sachent, quelle que soit leur préférence partisane, qu’une majorité de nos concitoyens rejette ce texte qui dégrade la protection des salariés et n’assure nullement la promotion de l’emploi. C’est en menant une politique macro-économique adéquate et en mettant en place un cadre sécurisant d’emploi et de formation que l’on gagnera la bataille de l’emploi. Or, la philosophie de ce projet de loi est toute autre. Je me devais de le dire en préambule.

Dans ce cadre, que penser de l’article 1er ? Même plus qu’édulcoré, il est tout simplement une anomalie législative. En effet, il tend à créer une commission d’experts, que l’on ne connaît pas, chargés de proposer une réforme globale du code du travail. Ce n’est peut-être rassurant, ni pour Éric Woerth, ni pour moi, ni pour les deux, mais je suis d’accord avec lui : que cet article 1er soit adopté, et nous pourrons alors en rester là, à attendre que la commission travaille. Si par bonheur, ou plutôt par hasard, vous occupiez encore ce poste dans deux ans, madame la ministre, vous auriez l’occasion de conduire la réforme globale du code du travail.

Pourtant, cet article 1er pose une autre difficulté, bien plus grave. Depuis quand le Parlement, chargé de légiférer au nom du peuple français, doit-il déléguer à une commission d’experts le soin de proposer les modifications de la partie législative du code du travail ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. Jean Lassalle. Bravo !

M. Nicolas Sansu. Cet article sonne comme une défiance vis-à-vis du Parlement, alors qu’il eut été possible de créer une commission parlementaire ad hoc chargée de conduire les travaux,…

Mme Isabelle Le Callennec. Exactement.

M. Nicolas Sansu. …en s’appuyant sur les analyses des experts, mais aussi sur celles des représentants des organisations syndicales, opportunément écartés de la commission d’experts si j’en crois les diverses interventions.

Madame la ministre, vous devez retirer cet article 1er. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. André Chassaigne. Excellent !

M. Jean Lassalle. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Madame la ministre du travail, de toute ma longue vie de militant, jamais, je vous le dis sincèrement, je n’aurais imaginé participer un jour à un tel débat. Jamais je n’aurais pensé qu’un gouvernement se réclamant de la gauche propose au Parlement d’inverser la hiérarchie des normes et de remettre en cause le principe de faveur. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Jean Lassalle, Mme Brigitte Allain et Mme Eva Sas. Très bien !

M. Jean-Charles Taugourdeau. C’est pour créer des emplois.

M. Marc Dolez. En effet, la hiérarchie des normes, en vertu du principe républicain d’égalité, permet de garantir à tous les salariés un minimum d’égalité dans l’exercice de leurs droits. Dois-je vous rappeler, alors que nous célébrons le 80anniversaire du Front populaire, que la hiérarchie des normes et le principe de faveur comptent parmi leurs principales conquêtes ? Le Gouvernement commet une faute politique en inversant cette hiérarchie et en consacrant la primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche. Si, aujourd’hui, vous permettez que des accords d’entreprise prévoient des dispositifs moins favorables aux salariés que les dispositions générales ou les accords de branche, c’est parce que vous en êtes arrivés à nier le lien de subordination qui existe entre l’employeur et le salarié. Vous l’avez d’ailleurs répété hier dans la discussion générale : la négociation collective placerait sur un pied d’égalité le patron et les salariés, ce que nous récusons totalement.

Pour toutes ces raisons, nous sommes résolument opposés à ce texte et nous en exigeons le retrait. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Jean Lassalle. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Je ne reviendrai pas sur les propos tenus par de si nombreux collègues des rangs de la gauche, ces députés que je qualifierais de progressistes, mais je tiens à réaffirmer que vous commettez aujourd’hui une erreur historique gravissime, en opérant un recul qui fera sauter les digues difficilement construites tout au long de décennies de lutte sociale.

M. Jean Lassalle. Bravo !

M. André Chassaigne. Prenez-vous la mesure de cette régression historique ? Certes, vous l’habillez de mots dans vos discours, sans doute une résurgence de votre souffrance intérieure. Jean Vilar disait qu’au théâtre, l’habit fait le moine, mais nous sommes à l’Assemblée nationale. Les mots ne font pas le caractère progressiste d’une loi, même lorsque vous employez des mots-valises – « confiance », « souplesse », « plus favorable aux salariés », « renforcement des moyens syndicaux ». Votre argumentation est fallacieuse, en particulier lorsque vous placez votre texte dans la continuité d’autres lois votées depuis 2012, comme celle relative à la sécurisation de l’emploi. Comment pouvez-vous dire que désormais, seuls 8 % des plans de sauvegarde de l’emploi – PSE – sont contestés contre 25 % auparavant ? Vous savez bien que cette loi tendait justement à réduire la contestation auprès du juge judiciaire en accordant un rôle pivot aux directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, désormais chargées de valider un PSE. Dans ce contexte, le juge administratif ne peut plus être interrogé et le juge judiciaire n’a plus vocation à porter une appréciation sur la validation d’un PSE. Vous ne pouvez pas comparer.

Qui ignore, par ailleurs, les difficultés pour saisir le juge judiciaire ? Dans certaines entreprises, j’en connais une, les salariés disposent de deux mois seulement, parfois trois, pour bâtir le PSE, le signer, et permettre sa validation, sinon celui du patronat sera homologué.

Dans ces conditions, ne dites pas qu’il y a eu des progrès, et que le juge judiciaire est moins saisi. Tout simplement, la loi ne le permet plus comme auparavant.

Vous vous êtes également réclamée des lois Auroux ! Vous rendez-vous compte de ce que vous avez dit ? J’ai relu le compte rendu : « C’est précisément dans ce sillon, à la fois politique et culturel, que nous inscrivons aujourd’hui notre action avec fierté, détermination ». Vous ne pouvez pas dire cela car les lois Auroux consacraient justement la subordination de l’accord d’entreprise à l’accord de branche.

M. Marc Dolez. Bien sûr !

M. André Chassaigne. Ce n’est pas du tout pareil ! Ces lois reconnaissaient de surcroît le rôle primordial des délégués syndicaux, que vous préférez écarter au profit de personnes mandatées. C’était l’un de leur socle ! Ce n’est pas une continuité, mais une rupture historique.

M. Jean Lassalle. Très bien !

M. André Chassaigne. Vous devez le reconnaître, plutôt que de chercher à nous leurrer avec de grandes phrases, de grands mots, qui revêtent parfois une dimension pathétique tant vous y mettez de l’émotion. Mais cela ne suffira pas à masquer la réalité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur plusieurs bancs du groupe écologiste.)

M. Jean Lassalle. Bravo !

Mme la présidente. La parole est à M. Gaby Charroux.

M. Gaby Charroux. Cet article 1er du projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs tend à mettre en place une commission d’experts et de praticiens chargés de proposer au Gouvernement une refondation du code du travail. Après avoir reculé sur votre volonté d’intégrer les soixante et un principes de la commission Badinter, vous avez décidé d’en faire le socle du travail de cette commission. Pour qualifier ce rapport Badinter, je m’appuierai sur quelqu’un que vous connaissez bien, inspecteur du travail et membre du bureau national de votre parti (Exclamations sur certains bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen) : « Le code du travail depuis 1910 était fait de sueur et de sang, de luttes et de larmes, c’était l’expression des rapports de force sociaux à travers des décennies, une co-construction historique exceptionnelle, salariés et patrons, propre à notre pays, depuis 1906, la terrible catastrophe de Courriers, 1910 la naissance juridique du code, les grèves de 1936, de 1945, de 1968, de 1995 et les lois qui en étaient issues… Là, ce rapport Badinter, c’est un bricolage médiocre […] déconnecté de la réalité, de l’histoire, et surtout soucieux de plaire au maître du moment, le MEDEF. »

Que dire de plus ? Vous avez dressé, madame la ministre, un constat accablant sur la situation des recrutements, de la sécurité de l’emploi et du recours aux CDD alors que tout démontre que seul le CDI peut améliorer l’emploi. Le remède que vous proposez est encore plus terrible que le mal car, loin de s’attaquer aux causes, il aggrave les conséquences. Pour toutes ces raisons, nous voterons résolument contre cet article. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Issindou.

M. Michel Issindou. J’apporterai une tonalité différente et je prie mes vingt-cinq prédécesseurs – sans doute aussi ceux qui suivront –, de m’en excuser.

M. Marc Dolez. C’est dommage.

M. Michel Issindou. Vous vous en doutez, je défendrai ce texte.

M. Arnaud Richard. C’est courageux !

M. Michel Issindou. En effet, mais j’assume mes convictions.

Nous sommes tous d’accord pour constater que le monde du travail évolue très rapidement. Nous sommes entrés dans une autre dimension, et le chômage est devenu un chômage de masse.

Mme Isabelle Le Callennec. Enfin, nous parlons des chômeurs !

M. Michel Issindou. Nous parlons beaucoup des salariés mais je pense aussi à ceux qui ne font pas partie du monde de travail et n’ont pas la chance de pouvoir débattre de cette réforme. Si la lutte contre le chômage ne passe pas forcément par ce projet de loi, je ne peux pas non plus affirmer le contraire. Certains ont la certitude qu’il ne créera pas d’emploi, mais de mon côté, je ne puis affirmer ni qu’il en créera, ni qu’il n’en créera pas.

En revanche, il est évident que l’on ne pourra pas lutter contre le chômage sans rétablir la confiance, ce qui se fera par le dialogue social et non par une opposition stérile entre les bons et les mauvais patrons ou les bons et les mauvais salariés. Sortons de ce débat caricatural.

La négociation collective est au cœur de ce projet qui promeut un dialogue au plus près des salariés et des entreprises. Rappelons que 41 000 accords sont signés chaque année, y compris par la CGT et beaucoup d’autres syndicats pour qui le dialogue se déroule dans de bonnes conditions, au plus près des acteurs, en tenant compte des garde-fous, que j’estime nécessaires et qui figurent dans le texte – qu’un accord de branche puisse rectifier un mauvais accord d’entreprise et que les principes fondamentaux soient rappelés. Qui peut refuser la démocratie sociale ? (Exclamations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Nous appelons partout la démocratie de nos vœux mais il semble que son existence soit fragile dans l’entreprise. Je préfère que la démocratie s’exerce au sein de l’entreprise, plutôt que devoir faire jouer la loi par la suite.

M. Jean-Frédéric Poisson. Vous ne disiez pas cela, il y a cinq ans.

M. Michel Issindou. On me rappellera l’opposition de la rue. On l’invoque quand cela arrange ! Je vous renverrai aux manifestations contre l’abolition de la peine de mort, puisque nous parlions de Robert Badinter. Les parlementaires ont su surmonter la colère de la rue. (Exclamations sur les bancs du groupe écologiste.)

Mme Brigitte Allain. Ce n’est pas comparable !

M. Michel Issindou. Il y a aussi des syndicats réformateurs, progressistes dans ce pays…

M. André Chassaigne. Progressistes ?

Mme Jacqueline Fraysse. Il y a des syndicats aux ordres !

M. Michel Issindou. …puisqu’ils soutiennent ce texte, parfois avec plus de conviction que certains députés de mon groupe. Ils ne s’y sont pas trompés, ils ont bien pris conscience que dans ce texte figuraient des droits fondamentaux nouveaux qu’ils soutiennent avec conviction.

C’est le début de la démocratie sociale et de la Sécurité sociale professionnelle. À ce titre, ce texte mérite d’être défendu. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Calmette.

M. Alain Calmette. Je pense que ce débat illustre très bien ce qui se passe : les uns, de l’autre côté de l’hémicycle, ne parlent que des entreprises et de leurs libertés qui seraient bridées ; les autres, à l’extrême gauche, ne parlent que des salariés et de leurs droits qui seraient dégradés. On voit bien que l’alliance objective observée lors du vote, hier soir, sur la motion de rejet préalable, repose sur des points de vue totalement opposés et irréconciliables.

Ce texte traite à la fois des entreprises et des salariés. Qui peut aujourd’hui nier l’évolution du marché du travail à travers le développement des travailleurs indépendants, le télétravail, l’ubérisation, les autoentrepreneurs et autres ? Qui peut nier que cela n’impose pas une évolution parallèle du code du travail ? Et, surtout, qui peut croire que ce code est protecteur pour tous les salariés ? Sur le terrain, on voit bien que les accords d’entreprise existent souvent dans les TPE et dans les PME, mais fréquemment de manière quelque peu détournée, à la limite de la légalité, quelquefois dans un esprit de confiance, mais d’autres fois dans un esprit de soumission qui conduit à des dérives inacceptables.

Dorénavant, les accords d’entreprise seront encadrés par des garde-fous solides : tout d’abord, il y aura la règle de la double approche de la majorité. Je fais partie, comme le précédent orateur, de ceux qui n’ont pas peur de la démocratie en entreprise. De plus, la consultation ne pourra être qu’à l’initiative des syndicats et non pas des employeurs ; troisièmement, le mandatement sera obligatoire pour valider lesdits accords. Voilà des verrous forts car l’objet de ce texte est de bien placer le curseur entre protection des salariés et souplesse pour les entreprises. D’un côté, certains pensent que cette souplesse est totalement niée au profit d’une protection supérieure des salariés, ce qui serait inacceptable ; de l’autre, certains estiment que leur protection est totalement rétrogradée au profit d’une liberté excessive laissée aux entreprises.

Au vu de cette double critique, je pense au contraire que ce projet est un texte équilibré, qui renforce à la fois la protection des salariés et la souplesse des entreprises, et en le défendant, je crois me situer dans le camp des progressistes. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Le Callennec.

Mme Isabelle Le Callennec. Madame la ministre, initialement, l’article 1er devait créer un préambule au code du travail rassemblant les 61 principes essentiels issus des conclusions du rapport Badinter. Mais la version que nous étudions à partir de cet après-midi se réduit désormais à faire référence à ces principes sans les inclure dans le code, en renvoyant à une commission d’experts dont, cela a été rappelé, on ne connaît pas l’identité – probablement les mêmes que ceux qui ont déjà réfléchi depuis des années à l’évolution du code du travail… Et ils auront deux ans pour réfléchir à l’extension du champ de la négociation collective et notamment aux normes supplétives qui devront être mises en œuvre à droit constant. Autant dire que cet article n’exprime plus rien et que l’idée d’une refondation du droit du travail s’éloigne.

Nous, législateurs, aurions pourtant été bien inspirés de prendre nos responsabilités en définissant ce qui relève des normes sociales fondamentales, à savoir les protections légitimes des salariés, et ce qui doit être renvoyé à la négociation au niveau des branches ou des entreprises. C’est devenu indispensable, au vu des profondes mutations de notre économie que notre collègue a rappelées, et de la révolution numérique qui affecte les relations sociales et le rapport au travail.

Ce projet de loi débute donc par une occasion manquée.

M. Thierry Benoit. C’est vrai !

Mme Isabelle Le Callennec. Nous aurions dû discuter de chaque principe, un par un, et retenir à tout le moins ceux qui font consensus entre nous, et je suis certaine qu’il y en a. Mais ce ne sera pas le cas et c’est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains ne pourra pas voter cet article. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Thierry Benoit. Très bien argumenté !

Mme la présidente. La parole est à Mme Aurélie Filippetti.

Mme Aurélie Filippetti. À l’ouverture de la discussion sur ce premier article, je voudrais moi aussi revenir sur ce qui me semble une erreur majeure, une erreur de fond, avant que l’on entre dans l’examen des amendements : celle qui consiste à donner finalement raison aux arguments de nos adversaires, c’est-à-dire à ceux dont l’inspiration en matière d’analyse économique n’est pas celle des progressistes mais bien, au contraire, celle des conservateurs. Il y aurait ainsi un lien de causalité entre le droit du travail, dont on nous dit qu’il serait obèse, indigeste, illisible…

M. Éric Straumann. C’est vrai !

Mme Aurélie Filippetti. …et l’absence de croissance économique. C’est là que réside l’erreur parce que le progressisme, c’est au contraire considérer que la protection des droits des salariés, l’amélioration des conditions de travail et de la santé au travail sont des garanties pour améliorer l’activité économique des entreprises qui les emploient.

Par conséquent, considérer le droit du travail comme un obstacle à la croissance économique, ce qui est sous-entendu dans tout ce texte et en constitue même la base, malgré des améliorations apportées par le travail parlementaire, voilà quelle est sa vision. Ce n’est pas une vision progressiste, quoi que vous en disiez, madame la ministre. Tout mouvement, tout déplacement de lignes, n’est pas forcément synonyme de progrès. Celui-ci consisterait au contraire à débattre d’un texte d’inspiration réellement sociale-démocrate, c’est-à-dire qui renforcerait le pouvoir des organisations syndicales, des représentants des salariés.

M. Christophe Sirugue, rapporteur et M. Christophe Caresche. C’est le cas !

Mme Aurélie Filippetti. Or ce texte institue la possibilité de réaliser de quasi-coups d’État sociaux au sein même des entreprises.

M. Éric Straumann. Ça sent le 49-3 !

Mme Aurélie Filippetti. En outre, il repose sur une vision irénique des relations sociales alors qu’au sein d’une entreprise, il n’y pas une relation d’égalité entre l’employeur et les salariés, mais une relation de subordination. Cela ne veut pas dire qu’il y aurait d’un côté les méchants employeurs, et, de l’autre, les gentils salariés : il s’agit simplement de reconnaître la réalité de la divergence des intérêts. Prendre en compte cette opposition, naturelle et normale au sein de l’entreprise, c’est s’affronter au réel, être l’héritier de Jaurès, afin de pouvoir mettre en place une véritable réforme améliorant le code du travail qui permette de rendre notre législation plus lisible et plus facile à appliquer, en particulier pour les petits entrepreneurs, mais aussi et surtout de renforcer les droits et la protection des salariés.

Or ce texte, qu’il s’agisse de l’inversion de la hiérarchie des normes, une erreur majeure, des licenciements économiques, assimilables dorénavant à un permis de délocaliser, ou de la médecine du travail, une régression en particulier pour les travailleurs de nuit, ne correspond ni à mon idéal ni à mon fondement théorique et économique concernant les relations sociales.

Alain Supiot, l’un des inspirateurs de l’amélioration de la sécurité professionnelle des salariés dont vous vous revendiquez avec le CPA, madame la ministre, disait que le rôle d’un dirigeant de PME, c’est de produire des biens et des services, et non des règles de droit. Là encore, il y a une erreur dans votre texte parce qu’au lieu d’apaiser les relations sociales, en particulier au sein des petites et moyennes entreprises, l’inversion de la hiérarchie des normes va les durcir.

Ouvrons cette discussion des articles mais acceptez, madame la ministre, les amendements et les opinions divergentes qui proviennent de toutes les gauches, parce qu’ils vont dans le sens des salariés mais aussi de la croissance économique de notre pays. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Mme la présidente. Vous avez constaté mes chers collègues, que j’ai été extrêmement souple dans la gestion des temps de parole pour le début de l’examen des articles ; nombre d’intervenants ont allègrement dépassé les deux minutes imparties, d’autres respectant leur temps de parole, voire parlant moins de deux minutes, comme Mme Le Callennec. Par souci d’égalité entre tous les orateurs, je vous demande de respecter le temps de parole imparti, et j’annonce par avance que je serai beaucoup plus rigoureuse dans l’application de notre règlement sur les amendements et sur les autres articles.

La parole est à M. Jean-Pierre Door.

M. Jean-Pierre Door. Madame la présidente, je vous promets de respecter les deux minutes qui me sont imparties.

Mme la présidente. Mais par souci d’égalité, je viens d’indiquer que vous pourrez les dépasser, mon cher collègue.

M. Jean-Pierre Door. Je ne le ferai pas, madame la présidente.

Ce projet de loi qui visait à mettre en œuvre des réformes structurelles susceptibles de favoriser l’emploi de façon significative semblait assez positif et était très attendu par les petites et moyennes entreprises. Mais vous avez compromis cette ambition initiale, madame la ministre, du fait des arbitrages gouvernementaux : vous avez fait le choix d’intérêts politiques et idéologiques plutôt que d’intérêts collectifs pour notre pays, ce qui est regrettable. La gravité de la situation a tout de même conduit de nombreuses organisations patronales, démarche à laquelle mon groupe souscrit, à exiger le retour au texte initial. Contrairement à d’autres qui en demandaient purement et simplement le retrait, nous en demandons le retour.

Madame la ministre, comme certains l’ont déjà souligné ici, vous commettez une erreur en annonçant la hausse de la taxation sur les CDD car c’est une réelle faute que de considérer qu’une taxe supplémentaire serait susceptible de favoriser l’emploi. Cette mesure est pour moi d’autant plus une déception que, quand vous vous êtes rendue il y a peu de temps dans une entreprise de ma circonscription qui marche bien, vous n’aviez pas du tout le même discours. Vous êtes très loin entre le discours sur le terrain et celui que vous tenez aujourd’hui.

M. Philippe Vigier. C’est dommage !

M. Thierry Benoit. Aïe ! Aïe ! Aïe !

M. Jean-Pierre Door. L’article 1er invente une commission de refondation du code du travail…. Ce n’est qu’un trompe-l’œil, un artifice, un faux-semblant car cela ne résout rien et notamment pas le problème du chômage, à moins de s’engager dans un réel amaigrissement du code du travail et de toutes ses normes.

Éric Woerth a raison : arrêtons-nous à l’article 1er, qui pourrait à lui seul nous permettre de débattre de la réforme du code du travail, et ce serait largement suffisant. Si on veut aller plus loin et rêver de la réécriture du code du travail à travers les dizaines d’articles suivants, nous ne voterons pas ce texte.

M. Yves Albarello et M. Pascal Thévenot. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Lefebvre.

M. Dominique Lefebvre. La manière dont nos débats s’engagent sur l’article 1er m’amène à faire deux observations.

Tout d’abord, une observation de forme : j’ai l’impression que d’aucuns entendent poursuivre la discussion générale qui nous a déjà occupés près de quatre heures… Si nous faisons de même pour chacun des articles, nous allons mettre du temps à entrer dans le vif du sujet. J’aimerais donc que chaque orateur inscrit sur l’article en revienne à l’objet de l’article.

Sur le fond, il est vrai que cet article peut prêter à diverses considérations. Non pas, comme je l’ai entendu, qu’il dessaisirait le Parlement de son rôle, car si le Gouvernement propose une architecture de réforme du code du travail au législateur, c’est bien le Parlement qui aura, le moment venu, à légiférer.

M. André Chassaigne. Belle sémantique !

M. Dominique Lefebvre. En revanche, j’ai bien vu que tous les conservateurs et tous les conservatismes se rejoignaient dans cet hémicycle sur une divergence de fond, une divergence qui fait se réunir, comme souvent sur ce texte, des extrêmes contraires : à la droite, ceux qui pensent qu’on modernisera le pays sans négociation sociale, sans dialogue social, sans partenaires sociaux. (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.) C’est bien ce que proposent certains membres du groupe Les Républicains, qui voudraient procéder par ordonnance et supprimer une disposition qu’ils avaient eux-mêmes inscrite dans la loi et qui obligeait à avoir une concertation préalable avec les partenaires sociaux avant chaque modification du code du travail.

Et puis, de l’autre côté – c’est un vieux débat à gauche –, se trouvent ceux qui pensent que la loi doit primer sur le mouvement social….

M. André Chassaigne. Et là, il y a les réactionnaires, comme celui qui a le micro !

Mme la présidente. Seul M. Lefebvre a la parole !

M. Dominique Lefebvre. …et qui se refusent à faire confiance aux partenaires sociaux et aux salariés.

Cet article est important car, à terme, la réforme du code du travail vise en effet à donner la primauté à la négociation collective, à renforcer le mouvement social, le dialogue social et la compétitivité économique du pays.

M. André Chassaigne. Héritier de Jules Moch !

M. Dominique Lefebvre. C’est ainsi que nous nous en sortirons et c’est pourquoi il faut voter cet article. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. André Chassaigne. Il nous insulte !

Mme la présidente. Mes chers collègues, jusqu’à présent, chacun a pu s’exprimer, même très longuement, dans le calme. J’aimerais pouvoir continuer à présider cette séance dans le calme, et à entendre les orateurs.

La parole est à Mme Monique Iborra.

Mme Monique Iborra. Avec tout le respect que nous nous devons, à l’écoute d’arguments différents, de prises de position différentes, de situations décrites parfois avec beaucoup d’émotion, nous pouvons difficilement accepter l’idée qu’il y aurait d’un côté ceux qui protègent les salariés et de l’autre, ceux qui veulent les livrer au bon plaisir des chefs d’entreprise cupides et inhumains. Heureusement, nous en sommes loin !

C’est parce que nous avons conscience des rapports de force que nous voulons renforcer le dialogue social. Encore faut-il se mettre d’accord sur ce qu’est le dialogue social. Certains privilégient l’accord au dialogue. Nous essayons de mettre en place un dialogue, avant de signer un accord. Nous n’avons pas la même lecture de ce projet de loi, cela est certain. Hier, aujourd’hui et dans la rue, ce texte se focalise sur l’inversion de la hiérarchie des normes. Or il s’agit de conforter et de développer le dialogue social dans l’entreprise, tout en encadrant les conditions de licenciement, lorsque celui-ci doit avoir lieu.

J’entends les craintes de dumping social, évoquées par certains. C’est la raison pour laquelle notre rapporteur, dont l’important travail doit être souligné, a présenté un amendement demandant un rapport d’évaluation, avant toute extension d’un accord d’entreprise. Ces licenciements continueront donc d’être appréciés par les juges car les entreprises devront justifier et démontrer les difficultés économiques auxquelles elles sont confrontées. Sans accord, la loi s’appliquera.

M. Christophe Caresche. Très bien !

Mme Monique Iborra. Pourquoi nier cet élément ? Pourquoi n’en parlez-vous jamais ? (Exclamations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Aujourd’hui, 44 000 accords d’entreprise ont été signés par les organisations syndicales, y compris par celles qui manifestent aujourd’hui. Ces accords rencontraient l’adhésion de seulement 30 % des représentants du personnel, contre les 50 % prévus par la loi. Pourquoi n’en parlez-vous jamais ?



Ces accords ont logiquement suivi la loi relative à la sécurisation de l’emploi, dont Jean-Marc Germain était le rapporteur convaincu.

M. André Chassaigne. Il existe douze accords !

Mme Monique Iborra. Par ailleurs, il semble aujourd’hui – cela demande à être vérifié – que seules 50 des 700 branches existantes soient référentes et réellement actives. En réalité, le projet de loi fait une part importante au dialogue social, que certains veulent réserver à quelques-uns. Cela n’a plus rien à voir avec l’efficacité recherchée.

Des syndicalistes eux-mêmes affirment que le code du travail ne protège plus personne. Pourquoi ne voulez-vous pas engager des réformes qui apporteraient des protections aux salariés ?

Enfin, Christian Paul a indiqué à mots couverts que si le débat devait s’arrêter brutalement, le Gouvernement en serait responsable. Mais on peut interpréter différemment ce qui pourrait se passer demain – et que personne ne souhaite. Si, demain, le débat devait s’arrêter brutalement, on est en droit de se demander si les objectifs poursuivis par certains sont bien ceux qu’ils décrivent aujourd’hui. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Jean-Marc Germain. Cela mérite une explication !

M. André Chassaigne. Elle dit tout haut ce que certains pensent tout bas !

M. Yves Albarello. Si vous voulez vous expliquer, nous pouvons sortir !

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Blein.

M. Yves Blein. Madame la ministre, alors que nombre d’orateurs ont semblé vouloir poursuivre la discussion générale, je vais vous surprendre en m’exprimant sur l’article 1er.

Je partage avec moi-même la conviction selon laquelle, souvent, la forme est une respiration du fond. (Sourires.) C’est pourquoi j’ai souhaité m’exprimer sur l’article 1er, qui pose le principe d’une commission d’experts et de praticiens. Cette structure proposera « au Gouvernement une refondation de la partie législative du code du travail », sans toutefois méconnaître les dispositions de l’article 34 de la Constitution, en vertu duquel seule la loi détermine les principes fondamentaux du droit du travail et du droit syndical. L’article 1er précise également que la commission associe à ses travaux des organisations professionnelles d’employeurs et syndicales de salariés représentatives au niveau national.

J’ai entendu certains évoquer un comité Théodule, ou accuser la commission que la loi installera de dessaisir de son rôle la représentation nationale elle-même. Or ces mêmes orateurs n’ont jamais de mots assez durs pour dénoncer, qui, le manque de concertation, qui, les excès d’une loi trop bavarde, imposant de multiples corrections, lesquelles, bien souvent, rendent notre droit illisible in fine.

Madame la ministre, un député vous demandait il y a peu pourquoi vous ne laissiez pas faire ceux qui créent de l’emploi, les entreprises, et ceux qui vivent de leur travail, les salariés. C’est précisément ce que je retiens de l’article 1er de ce texte.

Mme Isabelle Le Callennec. Ce n’est pas ce qui est écrit dans l’article !

M. Yves Blein. Cet article nourrit l’ambition de donner la parole aux acteurs de l’emploi, experts naturels de cette matière qu’est le code du travail, afin qu’ils s’expriment, confrontent leurs avis, élaborent des propositions, lesquelles, par la suite, pourront être soumises à l’examen et au débat de la représentation nationale, pour être éventuellement adoptées. Dans de multiples domaines, on parle avec éloge à ce propos d’expertise d’usage, car il est souvent de bon sens d’écouter les usagers, de tenir compte de leur avis, avant d’établir une règle commune, pour être sûrs que celle-ci soit adaptée à la réalité et qu’elle ne devienne pas une entrave aux pratiques en usage.

C’est précisément ce principe que l’article 1er pose en introduction du projet de loi. La commission qu’il institue ne dessaisit pas l’Assemblée de son rôle, monsieur Woerth, puisque le texte précise qu’elle a un devoir de proposition. Or poser comme principe que l’expertise d’usage, l’échange et la confrontation de points de vue doivent précéder le travail législatif, c’est créer une situation à laquelle, souvent, nous aspirons tous ici.

D’une certaine façon, madame la ministre, l’article 1er donne le ton de l’ensemble du texte que vous nous proposez. Parce que, justement, nos concitoyens rejettent aujourd’hui des règles qui viennent d’en haut, hors-sol, comme l’on dit souvent, et qu’ils souhaitent s’emparer du débat, contribuer, participer, cette méthode est pour moi la bonne. Je souhaite qu’elle inspire l’ensemble de la réforme du code du travail que nous appelons de nos vœux. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. André Chassaigne. Il nous a décrit un soviet ! (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Borgel.

M. Christophe Borgel. Madame la présidente, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, l’article 1er nous interroge sur la nécessité de revoir notre code du travail et d’y apporter des modifications. Comme d’autres l’ont dit avant moi, les salariés et les entreprises sont à présent confrontés à une nouvelle réalité.

Sur ce point, je n’ai pas de désaccord fondamental avec Pascal Cherki, qui indiquait que les parcours linéaires sont de plus en plus rares. La plupart d’entre nous sommes désormais conduits, dans notre vie professionnelle, à changer d’entreprise, de métier, parfois, de région, de pays. Quant aux entreprises, elles sont confrontées à une compétition plus rude, plus difficile. Dans ce décor, nous avons choisi d’avancer, avec la double volonté de construire d’une part les protections des salariés confrontés à cette nouvelle réalité du monde du travail – le texte, me semble-t-il, y répond – et, d’autre part, une visibilité pour les entreprises.

Certains estiment que ces deux termes peuvent présenter des contradictions : viser la compétitivité de nos entreprises peut conduire à exercer des pressions sur les salariés. Il ne s’agit pas de le nier, mais de faire avancer les garanties, les garde-fous qui peuvent être offerts. Le rapporteur, qui l’a déjà fait en commission, poursuit dans cette voie dans l’hémicycle.

D’autres indiquent, par de grandes tirades, qu’il faudrait aller plus loin dans la réforme. Eux, qui ont peu fait hier, nous promettent pour demain, qui à coup d’ordonnances, qui à coup d’avancées sans dialogue avec aucun des partenaires sociaux, de tout faire disparaître de ce qui protège aujourd’hui les salariés.

Mme Isabelle Le Callennec. Ce n’est pas cela que nous disons ! C’est caricatural !

M. Christophe Borgel. Oui, nous préférons marcher vers un compromis raisonné, équilibré, qui fait le pari de marier la protection des salariés, les nouvelles protections nécessaires dans un monde qui bouge, et les éléments de visibilité…

Mme Isabelle Le Callennec. Quelle visibilité ?

M. Christophe Borgel. …dont les entreprises de notre pays ont besoin pour faire face à une compétition accrue à l’échelle internationale.

Mes chers collègues, le rapport Gallois, Pacte pour la compétitivité de l’industrie française, mentionnait un troisième pilier de la compétitivité, trop souvent oublié dans notre pays : le dialogue social. Il est au cœur de ce texte, et c’est lui que nous voulons faire avancer. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Michel Issindou. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Caresche.

M. Christophe Caresche. S’agissant du contexte dans lequel nous nous trouvons et du déroulement du débat, je fais aussi partie de ceux qui souhaitent que ce débat aille jusqu’au bout : cela ne dépend pas seulement du Gouvernement, mais aussi de nous. Or depuis le début de cette discussion générale, deux oppositions irréductibles se font face.

M. Gérard Cherpion. Des oppositions entre vous ?

M. Christophe Caresche. Je ne les confonds pas, mais elles sont parfaitement contradictoires. Elles campent sur des positions de refus, qui semblent difficiles à concilier. Le Gouvernement comme le rapporteur ont pourtant recherché un compromis, et l’ont trouvé en commission.

Mme Isabelle Le Callennec. Mais combien étiez-vous ?

M. Christophe Caresche. La commission a en effet adopté un texte, après plusieurs dizaines d’heures de travail, après avoir examiné plus de mille amendements, dont beaucoup ont été adoptés. Travaillons donc à partir du compromis qui a été adopté en commission ! Si chacun en a la volonté, il est possible de trouver un compromis.

Il est vrai, comme cela sera dit lorsque nous examinerons l’article 2, que nous voulons donner davantage de place à la négociation dans l’entreprise…

Mme Jacqueline Fraysse. Aux patrons !

M. Christophe Caresche. Non, précisément, pas aux patrons !

Mme Valérie Fourneyron. Il y a des patrons de très petites entreprises !

M. Christophe Caresche. Nous voulons donner davantage de place à la négociation dans l’entreprise. Pour cela, nous donnons certaines garanties aux syndicats, notamment sur la manière dont seront conclus ces accords. Conformément au principe de l’accord majoritaire, les représentants de 50 % des salariés devront en approuver le texte.

Cela veut dire que nous donnons aux syndicats les moyens d’obtenir un compromis et de défendre les intérêts des salariés. Nous ne livrons pas ceux-ci pieds et poings liés aux patrons : cela n’est pas vrai ! Et j’ai beaucoup de mal à comprendre pourquoi un certain nombre d’organisations syndicales refusent ce qui pourrait dynamiser la négociation collective.

M. André Chassaigne. Ce n’est pas ça, la réalité !

M. Christophe Caresche. Pourquoi le refusent-elles ? Eh bien, je vais vous le dire : c’est parce que ces syndicats ne sont plus dans les entreprises ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. Applaudissements sur certains bancs du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Charles Taugourdeau. Il a raison !

Mme Jacqueline Fraysse. Lamentable !

M. André Chassaigne. C’est l’aile gauche des Républicains !

M. Christophe Caresche. C’est ça aussi, la réalité ! Quand on regarde les taux de syndicalisation dans les entreprises privées, on voit bien qu’il y a un petit problème !

Mme Jacqueline Fraysse. Oh ! Taisez-vous !

M. André Chassaigne. Il est socialiste et républicain, lui ?

Mme la présidente. Un peu de calme, chers collègues.

M. Christophe Caresche. Nous, ce que nous voulons, c’est précisément que dans toutes les entreprises, les salariés soient défendus, qu’ils soient défendus par des syndicats qui soient forts.

Mme Jacqueline Fraysse. Heureusement qu’il y avait des syndicats chez Smart !

M. Christophe Caresche. Mais nous aurons cette discussion ultérieurement – et, sur ce point, je défendrai la logique du texte.

M. André Chassaigne. C’est un député de gauche qui s’est exprimé ?

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Debré.

M. Bernard Debré. Dix-neuf ; vingt ; vingt et un. Non, ce ne sont pas des articles ; ce sont des siècles. Car on a l’impression, en écoutant certains orateurs, que nous sommes retournés au dix-neuvième siècle !

M. Nicolas Sansu. Ah oui ? Pourtant, 70 % des Français pensent comme eux !

M. Bernard Debré. La lutte des classes ! Les patrons contre les ouvriers ! Quand on voit comment ça se passe dans la réalité… Mais enfin, vivez-vous dans les entreprises ?

M. Nicolas Sansu. Oui !

M. Bernard Debré. Je crois qu’en vérité, beaucoup n’ont jamais vécu dans aucune entreprise. (Exclamations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Mme Jacqueline Fraysse. 70 % des Français sont contre ce texte !

Mme Isabelle Le Callennec. Ils ne savent pas ce qu’il y a dedans !

M. Bernard Debré. Dans une entreprise de quelques employés, il n’y a pas de patron qui va donner des directives intempestives à des ouvriers : nous ne sommes plus au dix-neuvième siècle – ni même au vingtième siècle ! Soyez au vingt et unième siècle !

M. Michel Pouzol. Allez dire cela aux salariés de la grande distribution !

M. Bernard Debré. Mais il n’y a pas que la grande distribution ! Où sont les emplois ? Ils sont dans les milliers de TPE-TPI, dans les centaines de milliers de petites entreprises. Vous, vous vous focalisez sur les immenses entreprises !

Mme Jacqueline Fraysse. Ne parlez pas de ce que vous ne connaissez pas !

M. Bernard Debré. Enfin ! Regardez un peu ce qui se passe autour de vous !

Deuxième argument, madame la ministre : ce texte est bavard. Comme, d’ailleurs, tous les textes de loi depuis des années et des années – je ne mets pas de barrière temporelle : cela fait des années que nous faisons des lois bavardes.

Cet article 1er est donc bavard.

Mme Isabelle Le Callennec. Il est inutile !

M. Bernard Debré. Nous discutons de la transformation du code du travail : certains sont d’accord, d’autres non, il y a des oppositions – et, monsieur Caresche, il est normal que ces oppositions ne soient pas forcément identiques ; voyez dans votre propre majorité : il y a des oppositions différentes.

Mme Monique Iborra. Nous sommes au courant, merci.

M. Bernard Debré. Il y a les communistes, qui sont restés un peu au dix-neuvième siècle… (Exclamations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Mme Jacqueline Fraysse. Pas très moderne, comme remarque…

M. Bernard Debré. Mais cela a été votre gloire, le dix-neuvième siècle ! Certes, ce fut moins le cas du vingtième…

Mme Marie-George Buffet. Le PCF n’existait pas, au dix-neuvième siècle !

M. Bernard Debré. Et puis il y a des frondeurs.

Mais j’en reviens à mon propos. Nous devrions être en train de discuter de la transformation du code du travail, et l’on nous dit, tout d’un coup, à l’article 1er, que l’on va créer une commission d’experts. Mais dans ce cas, comme le notait M. Woerth, autant arrêter tout et attendre le résultat de la commission d’experts !

M. Jean-Charles Taugourdeau. Eh oui ! Deux ans d’insécurité juridique !

M. Bernard Debré. D’ailleurs, on ne sait pas très bien quels seront ces experts, puisque, par définition, ce ne seront pas des députés.

Mme Isabelle Le Callennec. Nous avons essayé de le savoir, mais on ne nous a rien dit !

M. Bernard Debré. C’est en effet une commission extraparlementaire qui sera chargée de faire le travail des députés et des ministres !

C’est pourquoi, madame la ministre, il faut supprimer l’article 1er.

Quant au chapitre Ier bis sur le harcèlement sexuel, pourquoi le mettre dans ce texte ? Le harcèlement est interdit partout ! Pourquoi ce traitement spécifique ? Voilà pourquoi j’estime que le texte est bavard : on y reprend des arguments qui n’ont pas à y être.

Madame la ministre, je vous l’avais dit : nous étions, pour beaucoup d’entre nous, prêts à voter votre projet de loi. Mais celui-ci a été dénaturé, il est devenu bavard, il est devenu inutile – peut-être même est-il devenu dangereux.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-George Buffet.

J’invite chacun à l’écouter dans le silence.

Mme Marie-George Buffet. Refonder le droit du travail – et l’on confierait cela à une commission d’experts et de praticiens ? Mais, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, si nous voulons refonder le droit du travail, il faut confier cela au monde du travail : aux organisations syndicales, aux hommes et aux femmes qui agissent aujourd’hui dans l’entreprise !

Moi, je suis d’accord pour refonder le code du travail, mais pas en effaçant des années et des années d’acquis – des acquis liés aux luttes !

Quand je pense qu’un député de gauche peut, comme on vient de l’entendre, s’en prendre aux syndicats ! Combien de luttes syndicales ont permis de sauver des entreprises ? Sans les syndicats et leurs luttes courageuses, on n’aurait pas pu sauver des dizaines et des dizaines d’entreprises ces dix dernières années ! Il faut leur rendre hommage, car ceux qui agissent le plus pour l’entreprise, ce sont souvent les hommes et les femmes engagés dans l’action syndicale.

Refonder, oui, mais refonder non pas pour aller en arrière, mais parce que le monde change. Parce qu’il y a les multinationales, et aussi les petites et très petites entreprises. Parce qu’aujourd’hui, il faut encore mieux protéger les travailleurs : le besoin de flexibilité fait que nous avons besoin d’emplois et de formations, et le manque de transparence dans les multinationales fait que nous avons besoin de nouveaux droits, afin que les travailleurs soient associés à la gestion des entreprises. Alors oui, je veux bien refonder le code du travail, mais dans ce sens-là !

Vous, que proposez-vous à l’article 1er ? Vous proposez de valoriser la négociation collective ; mais à travers cette idée, à travers la remise en cause de la hiérarchie des normes, vous créez en réalité les conditions pour une augmentation du temps de travail et une stagnation des salaires dans de très nombreuses entreprises.

M. Marc Dolez. Bien sûr !

Mme Marie-George Buffet. Vous le savez bien : l’entreprise, ce n’est pas le monde des Bisounours. Certes, je sais qu’il y a des patrons très sympas, mais enfin, il y a aussi des gestions d’entreprise qui sacrifient l’emploi et les salaires pour faire encore plus de profit !

M. Jean-Luc Laurent. Évidemment !

M. Jean-Charles Taugourdeau. Cessez de stigmatiser les entreprises !

Mme Marie-George Buffet. Alors, je vous le dis : la loi est nécessaire, l’accord de branche est nécessaire, les accords d’entreprise ne peuvent être supérieurs à l’accord de branche. Et je le dis dans l’intérêt des entreprises elles-mêmes, car les accords d’entreprise favoriseront le dumping social entre entreprises d’une même branche.

M. Nicolas Sansu. Absolument !

M. Jean-Luc Laurent. Très juste !

M. Rémi Delatte. Vous caricaturez !

Mme Marie-George Buffet. Par conséquent, même au plan économique, ce n’est pas nécessaire !

Moi, je suis pour la refondation, je suis pour m’adapter aux temps modernes, mais s’adapter aux temps modernes, ce n’est pas revenir à Charlot ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Benoît Hamon et M. Jean-Luc Laurent. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Albarello.

M. Yves Albarello. Madame la ministre, votre projet de loi est un texte de renoncement.

Le plafonnement des indemnités prud’homales : vous y avez renoncé. La libéralisation du temps de travail des apprentis : on a oublié. La souplesse du forfait jour pour les PME-TPE : vous l’avez abandonnée. Et que dire de la surtaxation des CDD proposée par le Premier ministre ? Le texte que vous nous proposez est un fiasco : plus personne n’en veut !

J’ai écouté avec attention vos amis députés frondeurs – qui sont déjà partis. Ils s’apprêtent à détricoter votre projet de loi en déposant des amendements qui vont complètement le transformer ; il deviendra incohérent. Je crains fort qu’avec les propositions des députés de la majorité, il ne reste plus beaucoup de mesures simplifiant la vie des entreprises ! Les amendements socialistes vont vider encore davantage le texte de sa substance.

À l’origine, vous nous aviez présenté le projet de loi El Khomri comme une réforme en profondeur d’un code du travail volumineux, incompréhensible, parfois inapplicable, qui constitue un redoutable frein à l’embauche.

M. Benoît Hamon. Faux ! C’est une fable, un poncif !

M. Yves Albarello. Je reconnais que cela partait d’un bon sentiment. Nos entreprises rechignent à embaucher car une législation étouffante les en dissuade, alors que notre pays compte plus de 6 millions de chômeurs. Les jeunes générations restent aux portes d’un marché du travail surprotecteur pour les salariés en place, mais inaccessible pour ceux qui veulent y rentrer. Les 2 millions de jeunes qui ne sont ni au collège, ni en formation, ni au travail pointent à Pôle Emploi ; ils attendent des actes forts pour libérer le travail. Malheureusement, ce n’est pas votre projet de loi, madame la ministre, qui va résoudre ces problèmes ; nous sommes en effet très loin de la vraie réforme du marché du travail que les Français attendent.

M. Yannick Moreau. Il a raison !

M. Yves Albarello. Enfin, l’article 1er prévoyant la refondation du code du travail en mettant de côté les parlementaires, comme nombre d’orateurs qui m’ont précédé, je voterai contre. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Renaud Gauquelin.

M. Renaud Gauquelin. Vous voudrez bien pardonner la qualité de mon intervention : je ne suis qu’un élu local – j’ai été pendant vingt ans maire et conseiller général. Ici, en séance publique, les débats sont bien plus longs, passionnés et vifs que dans nos collectivités territoriales ; mais nous autres maires savons quand même faire travailler ensemble des personnes d’opinions très différentes : nous savons, par exemple, faire travailler ensemble les missions locales et Pôle Emploi, ce qui n’est pas toujours facile…

Il me semble qu’entre ce qu’a proposé le Gouvernement, l’examen extrêmement approfondi du texte qu’a fait la commission des affaires sociales, avec la présidente et le rapporteur, et le travail effectué dans les groupes parlementaires et dans les autres commissions, soit au total quelque chose comme cent heures de discussions, il devrait y avoir de quoi avancer un peu plus rapidement qu’aujourd’hui et trouver un compromis.

En effet, entre le projet de loi deuxième version – et Dieu sait, si j’ose dire, que je n’étais pas partisan de la première version, tant s’en faut – et les amendements déposés, qui sont d’ailleurs au nombre non pas de 5 000, car il y a des redites, mais plutôt de 2 000 ou 3 000, nous devrions pouvoir déboucher sur un texte qui, s’il n’est pas parfait, nous sortirait de la situation actuelle. En effet, les Français ne comprendraient pas que nous n’arrivions pas à modifier les choses dans le respect dû aux salariés et aux entreprises. Je suis de ceux qui pensent que l’emploi viendra des petites et moyennes entreprises, et pas seulement de la fonction publique et des emplois aidés, et qu’il viendra aussi des forces syndicales ; pour ma part, je me refuse à qualifier certaines de « réformistes » et d’autres de « non réformistes », mais il se trouve que certains syndicats sont viscéralement contre le texte et d’autres viscéralement pour.

M. Yannick Moreau. Quelle analyse…

M. Renaud Gauquelin. Je souhaite donc que nous arrivions à un compromis intelligent, et je pense que nous y arriverons si chacun y met du sien. Dans le cas contraire, les Français ne le comprendraient pas ; et s’ils ne le comprennent pas, que feront-ils ? Ils iront vers les partis extrêmes, qui ne s’expriment pas dans ce Parlement. Aujourd’hui, je n’ai pas entendu un élu du Front national…

M. Gilbert Collard. Coucou, je suis là !

Mme Isabelle Le Callennec. Ne le réveillez pas, voyons !

M. Renaud Gauquelin. …même si certains sont présents, s’exprimer. Les jeunes, surtout – il y en a quelques-uns dans les tribunes –, ne comprendraient pas. Voyez-vous, je fais partie de ces parlementaires qui ont la prétention de représenter les jeunes de banlieue. Eh bien, je peux vous dire que dans nos banlieues, à Vaulx-en-Velin, à Rillieux-la-Pape, en région parisienne, dans les quartiers de Marseille, il y a 41 % des jeunes, garçons et filles, qui sont au chômage ; ceux qui trouvent du boulot, pour 90 % c’est en CDD ou en intérim ; ceux qui trouvent du boulot en CDD, pour un sur deux c’est pour trois ou quatre jours !

Je pense donc que nous avons le devoir impérieux de réussir, non seulement pour les seniors – dont je fais partie –, mais surtout pour la jeunesse de ce pays. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Jean-Charles Taugourdeau. Alors, votez nos amendements !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Germain.

M. Jean-Marc Germain. J’aborde ce débat avec une farouche volonté de réforme, et je crois que cette volonté est majoritairement partagée sur ces bancs : il n’y a pas d’un côté les réformateurs et de l’autre les conservateurs. En revanche, je crois que nous sommes tous attachés au contenu de la réforme ; et, pour moi, il n’est de réforme qui vaille que si elle est synonyme de progrès social et écologique.

J’ai une conviction chevillée au corps, c’est qu’il n’y a pas qu’une seule politique. Il y a deux façons de faire face à la crise à laquelle nous sommes confrontés, en France comme dans l’ensemble des pays développés.

La première – qui mérite d’être étudiée – serait de tâcher d’être aussi concurrentiels que les pays dont les normes sociales sont inférieures aux nôtres ; cela reviendrait à renoncer – évidemment le cœur déchiré, pour une femme ou un homme de gauche –, une à une, loi après loi, aux protections des salariés.

Mais il existe une autre voie, à laquelle je crois profondément : c’est celle que nous appelons, depuis plusieurs années, la « sécurité sociale professionnelle ». Cette belle idée consiste à dire que puisque l’on ne peut pas empêcher les fermetures d’entreprise lorsqu’elles sont inéluctables, il faut éviter que les salariés confrontés aux licenciements économiques tombent au fond du trou en passant par la case chômage, mais faire en sorte qu’ils puissent rebondir vers un autre emploi, et donc les accompagner, en maintenant leurs droits – droit aux congés, droit à la formation, droit à des complémentaires santé – quand ils passent d’un emploi à l’autre : c’est ce que nous essayons de faire avec le compte personnel d’activité.

Or, je vous le dis solennellement, cette belle idée est gâchée par une erreur historique. Beaucoup ont évoqué cette erreur : il s’agit, dans l’article 1er et dans l’article 2, du renoncement au principe de la hiérarchie des normes posé par le Front populaire, dont nous avons fêté hier les 80 ans.

M. Jean-Luc Laurent. Eh oui !

M. Jean-Marc Germain. Selon ce principe, l’accord d’entreprise doit être plus favorable que l’accord de branche, qui lui-même doit être plus favorable que la loi. C’est ainsi que l’histoire sociale de notre pays s’est construite ; c’est ce qui fait aussi que la France est un pays aimé et admiré dans le monde.

M. Jean-Luc Laurent. Tout à fait !

M. Jean-Marc Germain. Nous avons pris le meilleur de ce qui avait été inventé dans les entreprises ; nous avons pris le meilleur de ce qui s’était construit dans les branches professionnelles. J’ai travaillé pendant dix ans dans le Nord, où fut inventé par exemple le 1 % logement. Petit à petit, nous avons cherché à étendre ces bonnes idées, à les généraliser : il en est ainsi du principe de faveur et de la hiérarchie des normes, sur lesquels vous proposez de revenir.

Vous avez dit hier, madame la ministre, qu’il n’y avait pas d’inversion de la hiérarchie des normes. Je ne suis pas d’accord avec cette affirmation.

Sur la question du travail, non seulement il y a une inversion de la hiérarchie des normes, mais cette inversion est double : une inversion entre la loi et la branche, puisque vous créez des dispositions supplétives – si c’est supplétif, c’est que cela passe après l’accord –, et une inversion, encore plus grave de mon point de vue parce que je suis un tenant de la négociation collective, entre la branche et l’entreprise puisque, systématiquement, l’accord d’entreprise passe avant l’accord de branche, lequel devient accessoire ; mes collègues ont parfaitement exposé les risques que cela comporte.

Mme la présidente. Merci, monsieur Germain.

M. Jean-Marc Germain. Puisque la présidente m’invite à conclure, je vais me presser, même si je pensais que nous pouvions, avec quatre orateurs, terminer à vingt heures et entamer ensuite l’examen des amendements.

Je vous propose une méthode simple : éliminons tout ce qui procède du dumping social. J’aurai l’occasion d’y revenir lors de la défense de mes amendements, mais je pense bien sûr à cet article 2 que je viens d’évoquer.

Je pense également à l’article 30, qui facilite les licenciements, et à l’article 11, qui impose la primauté de l’accord d’entreprise sur le contrat de travail et que le salarié ne peut refuser. Je pense bien sûr au référendum, qui permettrait de contourner les syndicats alors qu’ils sont si essentiels dans notre pays.

Je partage le cri de colère de ma collègue Marie-George Buffet contre notre collègue qui, peut-être, s’est temporairement égaré, parce que je crois que les syndicats méritent d’être confortés dans la tâche difficile qui est la leur.

Enfin, et ce sera mon dernier mot, Mme la ministre a fait le premier pas en disant que le Gouvernement souhaiterait éviter le recours à l’article 49 alinéa 3 : pour ma part, je souhaite qu’au nom du Gouvernement, vous en preniez l’engagement.

Cela permettrait, comme l’a souhaité notre collègue Benoît Hamon, que nous allions au bout de nos débats, mais surtout que nos débats éminemment nobles et sérieux, tant entre la gauche et la droite qu’au sein de la gauche, soient tranchés par la seule méthode qui vaille en démocratie : le vote. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. Monsieur Germain, vous avez explosé votre temps de parole, que vous avez quasiment multiplié par trois !

M. Christophe Sirugue, rapporteur. Il a eu plus de temps que pendant la discussion générale !

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Richard. Je vous invite, même si je ferai preuve de souplesse, à respecter votre temps de parole !

M. Arnaud Richard. Je serai un peu plus bref parce que je partage beaucoup de ce que Jean-Marc Germain a dit, ce qui prouve que l’on peut se retrouver sur les différents bancs de cet hémicycle.

Concernant le respect pour notre système de protection sociale, il a fait référence au Front populaire ; je crois qu’aujourd’hui, cette référence est partagée par tous.

Manifestement, le système de protection sociale est mis à mal par le Gouvernement. Votre article 1er est en réalité un « article 0 » en termes de méthode démocratique. En évoquant cet article 1er, je pense à un grand homme : Robert Badinter. Vous lui aviez demandé d’écrire le préambule du code de travail, préambule qui est devenu la feuille de route d’une pseudo-commission.

Quelle tristesse d’avoir demandé à un grand homme de travailler à la rédaction de principes dont certains étaient constitutionnels et d’autres n’étaient que la reprise de la jurisprudence !

Quelle tristesse qu’un homme comme Robert Badinter ait travaillé sur ce qui devait constituer le préambule, les prolégomènes du code de travail, qui aujourd’hui dorment dans un tiroir !

Deuxième point : je ne partage pas l’avis de Mme Filippetti, qui considère qu’elle est progressiste tandis que nous serions conservateurs. Le progressisme est sur tous les bancs de cet hémicycle ; mais il n’est pas au sein du Gouvernement aujourd’hui.

Tout cela me navre ! Comment peut-on, à un an de l’élection présidentielle, présenter un pareil texte, qui crée une commission qui travaillera un an avant et un an après cette élection ? Cette commission sera nommée par le pouvoir en place et remettra son rapport à la prochaine majorité : je crains, madame la ministre, que vous n’exerciez plus les fonctions qui sont les vôtres à cette date.

Pour toutes ces raisons, nous souhaitons évidemment le retrait – la disparition ! – de ce sinistre article 1er, qui n’est en fait qu’un « article 0 ».

M. Jean-Charles Taugourdeau. Excellent !

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Chaque matin, chaque après-midi, chaque soir, le Président de la République, François Hollande, promène son autosatisfaction : il va dans les médias, il va au théâtre du Rond-Point, il explique aux Français que cela va mieux.

La vérité, c’est que cela va beaucoup plus mal puisqu’il y a 1,1 million de chômeurs de plus depuis l’élection de François Hollande à l’Élysée.

Mais nous sommes sauvés puisqu’il y a la loi El Khomri ! Cette loi commence par un article 1er qui a l’outrecuidance de créer une commission Théodule, qui réfléchira peut-être à une réforme du droit de travail, qui rendra ses conclusions le 1er juillet 2018 – plus d’un an après la prochaine élection présidentielle ! On nage en plein délire !

Je ne sais pas si les Français vont lire attentivement les comptes rendus des débats de ce soir, mais commencer cette loi dite de « réforme du droit du travail » par un article 1er à ce point absurde qu’il n’est en rien normatif, qu’il crée une commission Théodule et qu’il renvoie un an après l’élection d’un nouveau Président de la République et d’une nouvelle Assemblée nationale, tout cela n’est absolument pas sérieux !

La vérité, c’est que cet article 1er est la victoire de la « coalition Hibernatus », qui va de Jean-Luc Mélenchon et du Parti communiste français jusqu’à Marine Le Pen et au Front national…

Mme Marie-George Buffet. C’est honteux de dire cela !

M. Guillaume Larrivé. …en passant par la CGT, en passant par Martine Aubry, en passant par tous ces frondeurs qui ne veulent rien changer à rien… (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme Marie-George Buffet. Scandaleux !

M. Guillaume Larrivé. …et qui sont coupables de ces blocages dans lesquels la France est aujourd’hui enfoncée.

Mme Jacqueline Fraysse. Et vous, vous êtes coupables du chômage !

M. Guillaume Larrivé. Tout cela, madame la ministre, est absolument lamentable ! Ces débats ne produiront rien en réalité, rien qu’un statu quo. La France s’enfonce dans l’immobilisme et les Français, eux, continuent de souffrir de l’explosion du chômage. (Mêmes mouvements.)

M. Benoît Hamon. Fossoyeur !

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Nous venons d’avoir une sorte de discussion générale, qui est allée bien au-delà de l’article 1er ! Mais il est essentiel et nous sommes là justement pour débattre.

J’ai bien entendu celles et ceux qui prétendent me donner une leçon de gauche. Parce que je suis de gauche, j’ai confiance dans le dialogue social. On ne réforme pas pour réformer, mais pour transformer les choses. Quitte à en décevoir quelques-uns, notamment à gauche, je pense que nous n’avons plus la capacité d’adaptation nécessaire.

Je n’ai jamais dit, ni même pensé, que le code du travail était responsable du chômage dans notre pays. Si le code du travail est épais, c’est parce qu’il y a eu de multiples dérogations, à la demande des organisations patronales.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Et aussi des organisations syndicales !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Mais ce système est aujourd’hui à bout de souffle et il est impératif, à mon sens, de développer cette capacité d’adaptation au plus près de l’entreprise.

J’ai été étonnée d’entendre que le fait de parler d’accord d’entreprise revenait à être à la main de l’employeur. Je n’ai pas cette vision de l’entreprise. Pour moi, l’entreprise n’est pas qu’un patron : c’est une communauté humaine. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, sur les bancs du groupe Les Républicains et sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Je le dis très clairement, parce qu’il faut regarder les choses telles qu’elles sont : aujourd’hui, notre droit du travail est contourné parce qu’il n’est pas en capacité de s’adapter. Il est contourné par le recours au travail indépendant et au travail détaché : voilà la réalité.

Ces questions sont complexes : assumons cette complexité ! Faire confiance à un accord d’entreprise ne signifie pas que l’on soumet les salariés à la décision unilatérale de l’employeur. Certains le proposent : il a été dit, ici ou là, qu’il faudrait que les référendums soient à la main de l’employeur. Cela n’est absolument pas la version proposée dans ce projet de loi.

Je souhaite répondre à Mme la députée Filippetti. Selon elle, si ce projet est vraiment social-démocrate, alors il faut donner des moyens aux syndicats. Mais c’est justement ce qui est proposé dans ce projet de loi ! Nous augmentons de 20 % les moyens des organisations syndicales.

M. Christophe Sirugue, rapporteur. Tout à fait !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Nous posons la question de la loyauté et de la transparence ; nous posons la question des accords de méthode, qui sont essentiels ; nous posons enfin la question de la formation. Il ne suffit pas de renforcer l’objet de la négociation : il faut aussi renforcer la légitimité des acteurs, et la question de la formation des négociateurs, tant employeurs que salariés, est à mes yeux essentielle.

Nous oublions toutefois quelque chose de majeur : la question des accords d’entreprise s’inscrit bien dans le cadre des lois Auroux. Certains syndicats, Force ouvrière en tête, s’étaient déjà opposés à l’époque aux lois Auroux.

Mais je ne supporte pas que l’on puisse dire, comme l’a fait Mme la députée Fraysse dans cet hémicycle, que les syndicats « réformistes » – pour ma part, je ne les appelle pas ainsi –, qui ont souligné les avancées de ce texte, seraient « aux ordres ».

Mme Jacqueline Fraysse. Je n’ai pas dit « aux ordres » !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Si, vous l’avez dit, en aparté sans doute, mais vous l’avez dit !

M. André Chassaigne. Un lapsus !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Respectons l’ensemble des syndicats !

Mme Jacqueline Fraysse. Je les respecte !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Je suis dans le dialogue et le débat avec l’ensemble des députés tout comme je le suis avec l’ensemble des syndicats : encore faut-il qu’ils daignent venir dans mon bureau quand nous avons rendez-vous !

Par ailleurs, je souhaite revenir sur l’idée que cette loi serait annonciatrice d’une précarisation générale de nos concitoyens, en soumettant ces derniers à la logique vorace du marché.

J’ai évoqué la précarité hier lors de mon discours : elle est croissante dans notre société, je ne l’ignore pas. Je ne l’accepte pas davantage : elle est notre ennemie, et cette loi est une des armes dans ce combat.

En quoi une loi qui donne plus de place et de moyens aux organisations syndicales ferait-elle le lit de la précarité ? En quoi une loi qui renforce nos capacités d’adaptation et d’anticipation, dont nos entreprises ont besoin, de façon négociée, ferait-elle le lit de la précarité ?

En quoi une loi qui pose le droit universel à la formation, qui abonde les comptes pour les demandeurs d’emploi et pour les salariés les moins qualifiés, une loi qui propose le droit universel à la garantie jeunes, en quoi ferait-elle le lit de la précarité ?

M. André Chassaigne. C’est un problème de rapport de forces !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Laissez-moi m’exprimer ! Tout le monde a pu intervenir : c’est le sens du débat.

Que nous ayons des divergences quant aux moyens mis en œuvre pour y parvenir, j’en suis tout à fait d’accord. Mais je n’accepte pas le procès que vous nous faites quant à nos objectifs fondamentaux. Vous n’avez pas le monopole de la défense des salariés ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Comme vous, madame la députée Marie-George Buffet, je considère qu’il n’est pas indifférent de laisser un salarié seul face au pouvoir unilatéral de l’employeur, seul face à son contrat de travail. Cela a été le cas dans certains pays : le modèle américain est là pour nous le prouver. Mais ce n’est pas et ce ne sera pas le choix de la France.

En revanche, je considère comme vous qu’une personne qui s’engage et qui a à ses côtés un syndicaliste, un représentant syndical, est formée et accompagnée par une structure. Autant la relation est déséquilibrée entre un salarié et un employeur, autant ce déséquilibre s’efface un peu lorsqu’une personne est représentée par une organisation syndicale. Cela me semble essentiel.

Tout le monde fait des propositions pour que notre droit s’adapte mieux au monde contemporain et c’est tout à fait louable, mais nous divergeons quant aux voies permettant d’y parvenir. Faisons en sorte d’en discuter véritablement !

Enfin – mais j’ai encore bien des choses à vous dire ! – vous me reprochez de procéder avec ce texte à une inversion de la hiérarchie des normes.

M. André Chassaigne. En effet.

Mme Myriam El Khomri, ministre. Je l’ai dit hier et je le répète, malgré les brillants orateurs qui se sont exprimés ici ou là : c’est totalement faux.

M. André Chassaigne. Allons !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Premièrement, le texte ne remet aucunement en cause la hiérarchie des normes consacrées dans notre droit. Cette notion, je le rappelle, signifie que certaines normes supérieures s’imposent à des normes inférieures. Ainsi la Constitution prévaut-elle sur la loi, laquelle prévaut sur l’accord. Cela restera pleinement le cas demain.

M. Jean-Marc Germain. Et les dispositions supplétives ?

Mme Myriam El Khomri, ministre. Où la loi fixe elle-même les règles, l’accord ne pourra y déroger.

Deuxièmement, je vous rassure, il n’y aura pas un code du travail par entreprise, contrairement à ce que nous pouvons entendre : la loi demeure comme cadre mais la diversité des entreprises et des statuts est une réalité. Qui peut dire que des salariés de l’entreprise Total sont dans la même situation que ceux d’entreprises sous-traitantes de la même branche ?

Mme Marie-George Buffet. Justement, comment va-t-on défendre les sous-traitants ?

M. André Chassaigne. C’est bien là le problème !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Les jours de congé ou l’organisation du travail sont-ils les mêmes ? (Protestations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Permettez-moi de continuer à m’exprimer ! Vous voulez débattre et je suis là pour cela, y compris bien sûr lorsque nous discuterons des nombreux articles de la loi !

M. André Chassaigne. Nous avons jusqu’à vendredi prochain !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Les situations diffèrent – et dans une proportion importante, vous le savez comme moi – entre sous-traitants de Total ou de Sanofi et, pourtant, ils ont des règles communes. L’organisation du travail de ces entreprises est-elle la même ? Non. Les avantages sociaux sont-ils les mêmes ? Non. Les syndicats des grands groupes se mettraient-ils à négocier à la baisse tous leurs acquis…

Mme Marie-George Buffet. Et dans les filiales ?

Mme Myriam El Khomri, ministre. …alors même que rien ne l’empêche aujourd’hui et, heureusement, qu’ils n’en font rien ?

Troisièmement, dans les PME où il n’y a pas d’implantation syndicale rien ne changera car ce n’est pas possible sans accord et c’est toujours celui de la branche qui s’applique.

Si nous développons les accords types de branche dans les PME et les TPE, si essentielles, celles-ci pourront bénéficier de souplesses qui auront été négociées à ce niveau-là.

Où les syndicats sont implantés, pensez-vous vraiment que les salariés – c’est d’ailleurs en cela que nous devons je crois prolonger notre discussion – accepteraient de voter pour un délégué syndical qui irait contre leurs intérêts ?

Je rappelle que les accords d’entreprise pouvaient être signés par des syndicats représentant moins de 5 % des salariés et, à partir de 2008, 30 %. Pourquoi nier qu’avec ce texte ils doivent représenter 50 % d’entre eux ? N’est-ce pas pour que le consensus soit suffisamment large ? Pourquoi, lorsque nous parlons des salariés et des accords d’entreprise, les intervenants ne considèrent que l’employeur et oublient les syndicats qui, à mes yeux, ont un rôle majeur à jouer en la matière ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Les syndicalistes ayant envie d’être réélus, que se passerait-il si les accords étaient mauvais ? Cela aussi, c’est la vraie vie ! Le syndicat perdrait la majorité.

Je peux entendre les craintes, les mêmes qui s’étaient d’ailleurs exprimées lors de la discussion des lois Auroux et de la part des mêmes syndicats qu’aujourd’hui.

Ce projet ne vise pas à donner plus de pouvoir à l’accord pour déroger à la loi mais à donner plus de place à la négociation, à lui donner une place autonome. Là est le changement. Pour développer cette culture du compromis, il faut accepter d’élargir l’objet de la négociation, c’est évident.

Mme Marie-George Buffet. Bien sûr !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Négocier uniquement par item laisse moins de place au débat pour le mieux – ou le moins – disant sur tel ou tel point. Il est vrai que l’élargissement de l’objet de la négociation implique de laisser plus de place et plus de capacité d’adaptation au terrain.

Cela fait longtemps – au moins depuis 1982 – que la loi réserve un domaine propre à la négociation collective et aux partenaires sociaux. Depuis, toutes les lois ont été en ce sens. Aujourd’hui, 36 000 accords d’entreprises ont été signés. Encore une fois, l’accord ne prévaut pas sur la loi mais, dans certains domaines, le législateur estime – et ce sera encore le cas, j’aurai l’occasion d’y revenir, avec la commission de refondation – que ce sont les acteurs qui sont les mieux à même de déterminer les règles qu’ils veulent se voir appliquer au plus près du terrain, et c’est ce que nous faisons.

M. Pascal Cherki. Nous sommes en République ! Chacun ne fait pas sa propre loi !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Monsieur le député Cherki, permettez-moi de continuer !

La loi reste la garante des règles communes parce qu’elle définit les règles d’ordre public auquel aucun accord ne peut déroger – c’est notre principe des « trois étages » –, ces règles fondamentales qui doivent s’appliquer à tous. Lorsqu’il n’y a pas d’accord, c’est la loi qui définit les règles supplétives qui s’appliquent.

Un accord d’entreprise ne sera donc valide en entreprise que s’il n’est pas signé par des organisations. C’est le droit actuel qui s’applique s’il n’y a pas d’accord.

Permettez-moi de poursuivre : inverser la hiérarchie des normes, cela voudrait dire que l’accord d’entreprise peut dans tous les cas déroger à la loi…

M. André Chassaigne. Ne jouez pas avec les mots !

Mme Myriam El Khomri, ministre. …autrement dit qu’il n’existe plus vraiment de loi commune. Si l’on pousse la logique jusqu’au bout, inverser la hiérarchie des normes, c’est dire qu’il n’y a plus de normes générales posant le cadre et les règles fondamentales.

M. André Chassaigne. Embrouillamini !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Vous ai-je interrompu ? Soyez respectueux, s’il vous plaît !

Les règles fixées par loi s’appliquent à tous.

Mme Jacqueline Fraysse. Assumez !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Je n’ai pas le sentiment que la CGT, qui signe de nombreux accords d’entreprise, considère qu’il existe un code du travail par entreprise.

M. Nicolas Sansu. Parce que les progrès se font dans le cadre de l’accord de branche !

Mme la présidente. Seule Mme la ministre a la parole.

Mme Myriam El Khomri, ministre. Monsieur le député Hamon, vous m’avez demandé si l’objectif de cette loi était de diminuer les droits des salariés…

M. Benoît Hamon. D’allonger la durée du temps de travail !

Mme Myriam El Khomri, ministre. …d’allonger la durée du temps de travail ou de baisser le pouvoir d’achat.

M. Benoît Hamon. Non.

Mme Myriam El Khomri, ministre. Je l’ai déduit de votre question.

La réponse, clairement, est négative. Encore une fois, je crois qu’il existe une différence d’appréciation sur les conséquences qu’il y aurait à donner une plus grande marge à l’accord d’entreprise – je dis bien, à l’accord d’entreprise et non au pouvoir unilatéral de l’employeur. (Protestations sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Nous pouvons débattre de tout mais il existe des règles dans cet hémicycle et lorsque je m’exprime, je souhaite ne pas être tout le temps interrompue.

En 1982, lorsque les lois Auroux ont permis de moduler le temps de travail via l’accord de branche ou l’accord d’entreprise, des voix ont évoqué le risque de dumping social en invoquant une dérogation à la norme commune.

Aujourd’hui, je gage que nous considérons toutes et tous que ces lois ont constitué un progrès. Les lois Aubry ont partagé la même philosophie visant à permettre des dérogations : les accords sur l’aménagement du temps de travail ont permis de donner une plus grande place à l’accord d’entreprise et de laisser plus d’autonomie à la négociation.

Les accords réalisés lors de la loi sur les 35 heures ont constitué une avancée incontestable pour les entreprises et pour les salariés.

Vous pourriez dire que le contexte a changé, qu’avec la crise et les difficultés, les syndicats sont affaiblis et risquent de signer en craignant le chantage à l’emploi.

Souvenons-nous des débats qui ont eu lieu lors de la discussion de la loi de sécurisation de l’emploi – M. Germain rapportait le texte. Plusieurs voix se sont élevées pour dire que les syndicats seraient sous pression et signeraient des accords au rabais. Cela fut-il le cas ? Non !

M. Yves Blein, rapporteur pour avis. Très bien !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Les plans de sauvegarde de l’emploi sont largement signés, y compris par les organisations syndicales qui se prévalent d’une ligne dure et qui, aujourd’hui, s’élèvent contre ce texte.

Je tiens à rappeler le principe majoritaire. Dans nombre de vos interventions, vous avez laissé entendre que l’accord d’entreprise était toujours à la main des employeurs.

M. André Chassaigne. Il peut l’être.

Mme Myriam El Khomri, ministre. Mais ce n’est absolument pas le cas. Lorsque l’on augmente de 20 % les moyens des organisations syndicales, lorsque l’on pose dans la loi la question de leur formation, lorsque l’on pose dans la loi la question de la loyauté, de la transparence, des accords de méthode et qu’en même temps on pose ce verrou majoritaire, à quoi ce dernier servirait-il si l’on n’élargissait pas l’objet de la négociation ?

Bien évidemment, nombre d’entre vous, sur tous les bancs, m’ont également interrogée sur cette commission de refondation. Permettez-moi d’y revenir.

L’article 1er ne vise absolument pas à dessaisir le Parlement – contrairement à ce que certains semblent craindre – mais à l’éclairer comme cela fut le cas à l’occasion de nombreuses autres réformes.

Mme Isabelle Le Callennec. C’est faux ! Nous disposons de toute la matière nécessaire ! Il faut choisir !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Le rapport Combrexelle l’a rappelé : ce travail est particulièrement lourd. La commission sera composée d’experts – dont la loi n’a pas à citer les noms – et de praticiens du droit social. Les partenaires sociaux doivent y participer d’une manière ou d’une autre même si cela peut être compliqué pour ceux qui sont en poste. Quoi qu’il en soit, il est essentiel que ce soit des praticiens.

Le rôle de cette commission sera de formuler des propositions au Gouvernement et ce sera au Parlement, ensuite, de légiférer.

Mme Marie-George Buffet. Pourquoi légifère-t-on maintenant, alors ?

Mme Myriam El Khomri, ministre. Pourquoi soulignons-nous que cette commission procédera à une refonte à droit constant ? Parce que c’est au législateur de modifier le droit. Il s’agit là d’un point essentiel. Il revient bien évidemment au législateur de faire évoluer le droit.

La commission remettra le résultat de ses travaux au Gouvernement dans un délai de deux ans, lequel retiendra ce qu’il juge bon d’être retenu. Le Parlement, ensuite, sera saisi de ces propositions. Nul contournement de la représentation nationale !

MM. les députés Cavard et Richard m’ont interrogée sur les principes posés par la commission Badinter. Comme vous, je salue le très important travail qu’il a accompli avec toute son équipe. À mes yeux, ces principes importants constituent la déclaration universelle du travailleur.

Le Premier ministre a souhaité que la commission Badinter élabore des principes afin qu’ils bénéficient aux travaux de la commission de refondation. Le projet de loi soumis à l’Assemblée prévoyait que ces principes serviraient d’orientation et de guide pour la refonte du code du travail.

Dans le cadre des discussions en commission des affaires sociales, vous avez renoncé à inscrire ces principes dans la loi par souci de lisibilité et de sécurité juridiques. Pour autant, rien n’empêchera la commission de refondation de s’en inspirer – même s’ils ne seront pas intégrés dans le code du travail après la promulgation du texte. Nous verrons ce qu’il en sera à l’issue des travaux de la commission.

M. André Chassaigne. Il reste quarante-cinq minutes !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Beaucoup d’entre vous m’ont interrogée au sujet de la taxation des CDD, et je voudrais revenir précisément sur cette question.

Dans le cadre de l’accord national interprofessionnel de 2013, les organisations patronales et syndicales se sont entendues sur le principe d’une modulation des cotisations d’assurance chômage, avec une surtaxation de certains types de CDD – mais pas de tous – et une exonération de cotisations d’assurance chômage pour une durée de trois à quatre mois, en fonction de la taille de l’entreprise, en cas d’embauche d’un jeune de moins de 26 ans en CDI. Cet accord a été mis en œuvre dans le cadre de la convention assurance chômage.

Néanmoins, de l’avis même des partenaires sociaux, cette modulation n’a pas eu l’effet escompté, parce qu’elle était relativement modeste et ne touchait pas l’ensemble des contrats courts. Dans le cadre des discussions sur la convention d’assurance chômage, il revient donc aux partenaires sociaux de définir les nouvelles modalités de cette modulation. Cela reste de leur compétence, et le Gouvernement n’entend absolument pas empiéter sur celle-ci.

Cela étant, parce que près de 50 % des CDD ont une durée inférieure à une semaine ; parce que la France est le deuxième pays de l’Union européenne en matière d’utilisation de CDD de moins d’un mois ; parce que les jeunes, les femmes et les personnes qui n’ont pas eu accès à un premier niveau de qualification sont les victimes de cette situation, avec toutes les conséquences que l’on sait en termes d’accès au logement ou au crédit ; pour toutes ces raisons, il nous a semblé important que le Gouvernement prenne ses responsabilités.

C’est la raison pour laquelle un amendement du Gouvernement tend à rendre cette modulation, aujourd’hui rendue possible par la loi, obligatoire. Alors que la rédaction actuelle dispose que les partenaires sociaux peuvent moduler les cotisations, nous souhaitons indiquer que les partenaires sociaux doivent moduler les cotisations – afin de lutter contre l’hyper-précarité. Mais je répète que nous ne prétendons pas assumer des responsabilités qui ne sont pas les nôtres : ce n’est pas à nous de décider de ces modulations, mais bien aux partenaires sociaux. Nous respectons tout à fait leur compétence en la matière et nous n’ignorons pas que leurs discussions sont animées.

Parce que l’article sur la représentativité patronale nous a, lui aussi, beaucoup occupés au cours des dernières semaines, et qu’il a même été l’un des points de cristallisation des débats qui entourent ce projet de loi, il est essentiel de rappeler, pour la clarté du débat, que le Gouvernement n’a absolument pas l’intention de se substituer aux partenaires sociaux pour fixer les modalités de cette modulation. Le problème de notre pays, ce sont ces contrats particulièrement courts – surtout quand on sait que 82 % des embauches en CDD sont des réembauches.

J’ai également été interrogée à de nombreuses reprises sur la question des TPE et des PME. Beaucoup d’entre vous se sont plaints du manque de lisibilité du droit du travail pour les TPE et les PME. Permettez-moi de rappeler les mesures que nous avons prises pour remédier à ce problème : nous avons fait le choix de mobiliser l’administration, en créant des cellules d’appui sur l’ensemble du territoire, qui permettront, sur toute question relative au droit du travail ou aux conventions collectives, d’interroger les services des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi – DIRECCTE – afin de régler d’éventuels contentieux. Voilà qui améliorera la lisibilité de notre droit du travail.

La question du mandatement a également été soulevée. C’est un point essentiel à mes yeux, même si nous savons bien que le patronat fait parfois preuve, dans notre pays, d’une forme d’incompatibilité culturelle avec le mandatement. Je tiens à rappeler son principe : c’est un salarié de l’entreprise qui est mandaté par une organisation syndicale. Vous m’avez interrogée sur cette question, monsieur Chassaigne…

M. André Chassaigne. En effet, madame la ministre.

Mme Myriam El Khomri, ministre. …et vous avez dit que le mandatement conduira à l’éviction des délégués syndicaux de l’entreprise. Mais c’est là une vision totalement erronée du dispositif, puisque le mandatement n’est ouvert qu’en cas d’absence de délégués syndicaux. Il n’y a donc pas de substitution aux délégués syndicaux – il me paraît important de le dire. Je peux d’ailleurs vous assurer, vu la défiance des organisations patronales vis-à-vis du mandatement, qu’aucun employeur ne préférera aller chercher un salarié ou un élu mandaté, plutôt que d’avoir un délégué syndical au sein de son entreprise. Oui, je crois au mandatement, parce qu’il faut aussi donner la capacité aux TPE et aux PME de signer ces accords, tout comme les accords types de branche, qui sont essentiels.

Il a beaucoup été question, justement, des branches et des accords de branche. Nous avons voulu renforcer l’importance donnée aux accords de branche, de diverses manières. D’abord, il nous est apparu que, pour dynamiser les négociations au niveau de la branche, il était essentiel de restructurer les branches professionnelles, comme le préconisent de nombreux rapports, dont celui du député Jean-Frédéric Poisson. Cette restructuration devrait permettre de ramener le nombre de branches de 700 à 200 en trois ans, ce qui renforcera évidemment leur rôle. Plus elles seront fortes, mieux elles pourront jouer le rôle de régulateur de l’ensemble d’un secteur.

Je vous rappelle qu’une vingtaine de branches ont encore un niveau inférieur au SMIC. Or ce n’est pas par la négociation au niveau de la branche que nous arriverons à faire évoluer ce type de situation, mais par l’implication de mon ministère, qui travaille sur ces questions. La restructuration des branches permettra de donner une importance accrue aux négociations qui ont lieu à leur niveau. Or la restructuration des branches ne doit pas répondre au seul impératif de la taille et du nombre minimum de salariés ; elle doit aussi favoriser la mobilité professionnelle, grâce à une norme conventionnelle de meilleure qualité.

Mme Isabelle Le Callennec. En effet.

Mme Myriam El Khomri, ministre. Je le répète : ce n’est pas la taille des branches en elle-même qui m’intéresse – et si nous avons fixé des délais de manière autoritaire, c’est afin d’accélérer le mouvement. Pour améliorer la formation aux métiers en tension et l’adaptation aux mutations de certains métiers, nous devons faciliter les mobilités professionnelles au sein des branches, et leur restructuration y aidera.

Nous instaurons par ailleurs les commissions paritaires permanentes de négociation, qui devront définir leur agenda, se réunir régulièrement et transmettre un rapport d’activité à la Commission nationale de la négociation collective – CNNC. Nous reconnaissons par ailleurs le droit aux branches de conclure des accords types, notamment pour les TPE et les PME, afin de renforcer leur rôle d’appui.

Je sais que la manière dont la branche pourrait jouer un rôle d’analyse et d’évaluation des accords d’entreprise qui seront mis en œuvre dans le cadre de l’élargissement des objets de la négociation suscite des discussions. Je suis tout à fait ouverte au débat, et nous pouvons y travailler, mais je crois qu’il est important de rappeler qu’en matière de durée du travail – puisque c’est le chapitre qui a été réécrit dans ce sens – tout ne se décide pas à l’échelle de l’entreprise. La question du temps partiel, comme celle du taux de rémunération des heures complémentaires, sont des questions dont nous avons souhaité qu’elles continuent d’être négociées au niveau de la branche.

Il est par ailleurs d’autres domaines où prime toujours l’accord de branche : les classifications, la prévoyance, les fonds de la formation professionnelle et les salaires minima. Il est enfin des décisions, comme celles touchant à la modulation du temps de travail au-delà d’une année, qui ne pourront être prises que si elles ont été autorisées par un accord de branche.

Vous voyez donc bien qu’il y a, dans le même mouvement, un renforcement du niveau de la branche et une ouverture de ma part pour que nous réfléchissions au rôle du comité de branche, dont le rôle pourrait s’accroître lorsque nous élargirons l’objet de la négociation dans les accords d’entreprise. Si nous souhaitons avoir un accord type de branche pour les PME et les TPE, c’est bien parce que nous accordons une grande importance aux accords de branche.

M. André Chassaigne. Il vous reste trente-cinq minutes, madame la secrétaire d’État !

Mme Brigitte Bourguignon. Vous pourriez faire preuve d’un peu de correction vis-à-vis de Mme la ministre, monsieur Chassaigne !

Mme Myriam El Khomri, ministre. J’entre dans ce débat avec la volonté d’écouter, d’argumenter et de convaincre. Je veux débattre aussi longtemps qu’il sera nécessaire pour que nous parvenions ensemble à faire aboutir ce texte de loi, au bénéfice des salariés et des entreprises. Et ce sera ma conclusion. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Très bien !

Mme Isabelle Le Callennec. Et les demandeurs d’emploi ?

Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

3

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, lundi 9 mai, à 16 heures :

Suite du projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures vingt-cinq.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly