Kosovo
Question de :
M. André Lajoinie
Allier (3e circonscription) - Communiste
Question posée en séance, et publiée le 31 mars 1999
M. le président. La parole est à M. André Lajoinie.
M. André Lajoinie. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, en exprimant le désaccord des communistes aux bombardements de la Yougoslavie, Robert Hue, vendredi dernier, affirmait ici même: «loin de soulager les souffrances de la population et de faire reculer les possibilités de l'armée de Milosevic de poursuivre la répression des Kosovars, ils aggravent la situation.»
Malheureusement, les faits ont confirmé cette analyse. Les bombes qui s'abattent sur la Yougoslavie ont effectivement des effets contraires aux objectifs proclamés. Elles coalisent ce peuple autour du dictateur Milosevic, renforcent les nationalismes, favorisent l'amplification des exactions intolérables au Kosovo et portent en germe des conflits dans toute la région.
Quels sont les véritables objectifs de ces bombardements quand ils s'abattent sur Belgrade au moment même où le Premier ministre russe tente une médiation à la demande des Européens ? N'y a-t-il pas, de la part de l'OTAN, la volonté de ne pas faciliter une issue politique, comme l'attestent les appels à une fuite en avant avec l'engagement des troupes au sol ?
Il est temps, pour les Européens, de mettre tout leur poids dans la balance afin d'éviter toute dérive et de dépasser les questions qui ont bloqué les négociations de Rambouillet. Pour cela, il faut que cesse la répression au Kosovo, que s'arrêtent les bombardements, comme le demande le parlement italien. En même temps, il faut déployer au Kosovo, en démilitarisant les zones de combat, une force de paix et d'interposition européenne sous l'égide de l'ONU, afin de protéger les populations, comme le propose l'ancien commandant de la FORPRONU en Bosnie, le général Cot.
Ces dispositions immédiates s'inscriraient dans le cadre d'une conférence européenne ouverte à toutes les parties concernées, sous l'autorité de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, pour un règlement politique, pour la reconstruction, ce qui suppose un engagement fort de l'Union européenne.
Monsieur le Premier ministre, dans ces moments dramatiques pour la paix en Europe, ne croyez-vous pas que la France doit prendre de nouvelles initiatives pour stopper l'engrenage meurtrier en Yougoslavie et poser les jalons de solutions durables, qui ne peuvent être que politiques, à ce conflit majeur au coeur du continent européen ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)
M. Michel Hunault. Vive la solidarité gouvernementale !
M. Pierre Lellouche. Quelle cacophonie !
M. Lucien Degauchy. Et voilà que les communistes font la morale !
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le président, je voudrais d'abord m'associer à l'hommage que vous avez rendu à notre ami Michel Crépeau. J'ai été me recueillir quelques instants auprès de lui ce matin. Nous serons un certain nombre de personnalités à l'accompagner à sa dernière demeure dans quelques jours. Je partage votre émotion, et pour ce qui me concerne, je ressens de la peine.
Je voudrais, maintenant, monsieur le député, répondre à votre question. Des soldats français sont engagés dans des opérations militaires. Que l'on approuve ces opérations, ce qui est, je crois, le cas de la majorité ici, qu'on les critique, il est logique de s'interroger sur les fins et les moyens des actions qui doivent être entreprises pour apporter une solution au drame du Kosovo. Cette interrogation est celle de nos concitoyens, celle des responsables politiques et celle des commentateurs. Je la trouve normale et légitime et j'ai vu, d'ailleurs, qu'elle traversait de nombreux rangs et de nombreux groupes.
Depuis le débat qui a eu lieu ici même, vendredi dernier, où j'ai à la fois introduit la discussion puis répondu aux questions et aux interpellations pour faciliter le dialogue et l'échange, et au-delà des contacts que prennent les ministres de la défense et des affaires étrangères avec vos commissions compétentes, j'ai proposé ce matin à votre conférence des présidents de recevoir, demain matin, l'ensemble des présidents de groupe et des commissions de la défense nationale et des affaires étrangères de l'Assemblée nationale et du Sénat. Cela pour donner à vos représentants les informations dont ils ont besoin et nouer ce dialogue politique et civique, qui est nécessaire. Je recevrai également, après le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat.
S'il est légitime de s'interroger, s'il est difficile de se former une opinion certaine, unique et catégorique, encore faut-il s'entendre sur certaines vérités simples qui me semblent assurées et que nous devrions tous partager.
Situons d'abord, dans cette crise, les responsabilités. Les exactions serbes et les mouvements de réfugiés au Kosovo ne datent pas d'il y a huit jours. Les exactions et les violences sont une réalité quotidienne de la vie des Kosovars. Ce n'est pas l'intervention de l'OTAN qui a déclenché les hostilités. Au mois d'août 1998, au plus fort de la crise humanitaire au Kosovo, le nombre de réfugiés et de personnes déplacées s'élevait à 400 000. Quant aux exécutions sommaires et aux massacres collectifs, ils sont, malheureusement, réguliers depuis dix-huit mois, depuis que s'est enclenchée au Kosovo une crise dont les autorités serbes portent la responsabilité en raison de leur refus de lui trouver, avec la communauté internationale, une issue politique, une issue pacifique.
Les responsables des massacres, des exactions, de la purification ethnique - on devrait d'ailleurs dire de l'«élimination ethnique» - sont ceux qui les commettent, mesdames et messieurs les députés, et non pas ceux qui s'efforcent de les prévenir et de les empêcher, même si l'on peut discuter des moyens utilisés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. Jean-Pierre Brard. Très bien !
M. le Premier ministre. Si les frappes n'avaient pas été entreprises, comme le passé l'a montré et comme ce qui s'est passé ces derniers jours l'indiquent, cette répression aurait eu lieu; elle était d'ailleurs militairement préparée. Elle a déjà eu lieu dans le passé, hors de toute frappe aérienne, et c'est au contraire la menace des frappes aériennes qui l'avait fait reculer.
Les auteurs de ces crimes doivent savoir qu'ils devront personnellement rendre des comptes, comme en a décidé le Conseil de sécurité...
M. Alain Madelin. Très bien !
M. le Premier ministre. ... dans ses résolutions 1160 et 1207, qui établissent la compétence du tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie. Et l'exemple du général Pinochet montre que l'histoire n'oublie pas les exactions dont ont été victimes des populations innocentes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. Jean-Pierre Brard. Très bien !
M. le Premier ministre. Les opérations aériennes, au-dessus de la République fédérale de Yougoslavie, commencées il y a six jours, ont pour seul but de casser le dispositif militaire et répressif serbe. Elles visent d'une part la destruction des systèmes de commandement et de transmission de la défense yougoslave et d'autre part, depuis le début de la phase 2, la destruction d'objectifs au Kosovo liés à la répression même qui s'exerce sur les populations kosovares. Ces actions sont conduites avec détermination, et avec le souci de minimiser les dégâts collatéraux pour la population et les risques pris par nos pilotes.
L'ampleur des départs des populations des villages du Kosovo vers les provinces ou les pays voisins, ces derniers jours, est difficile à évaluer. Mais, à la demande pressante de notre pays, notamment, l'Union européenne devrait réunir d'urgence une conférence humanitaire pour définir la réponse européenne et aider les pays d'accueil à prendre en charge matériellement et financièrement les réfugiés en provenance du Kosovo. Mme Emma Bonino, commissaire européenne compétente, se rend sur place aujourd'hui même pour évaluer les besoins.
Au-delà de sa contribution à l'aide européenne, la France apportera, à titre national, une assistance à ces pays d'accueil. Nous travaillons actuellement à évaluer précisément les besoins. Je m'en suis entretenu hier avec M. d'Alema au tunnel du Mont-Blanc, l'Italie étant particulièrement préoccupée par la situation en Albanie.
Oui, monsieur le député, nous préférons des méthodes de dialogue, nous préférons la paix, nous préférons une issue politique. Mais comment déboucher sur une issue politique, comment pratiquer le dialogue, comment pratiquer efficacement la diplomatie, qui a été le coeur de la politique française depuis plusieurs mois, avec le processus de Rambouillet notamment, si les dirigeants serbes et M. Milosevic s'y refusent ? Je n'ai pas vu ici que nous était présentée une alternative. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Nous continuons à appeler le président Milosevic à la raison, c'est-à-dire à l'arrêt des actes de répression contre les populations civiles et au retour à la négociation. Mais s'il persiste dans son refus, il doit savoir, comme l'a rappelé hier soir le Président de la République s'adressant aux Français, que ne faiblira pas dans notre volonté de casser son appareil militaire et répressif.
Quant à la visite à Belgrade du premier ministre russe, M. Primakov, nous en évaluerons le contenu exact et les effets possibles lorsque celui-ci en aura informé la présidence allemande de l'Union européenne et nos autorités, comme il en a l'intention. Nous ne doutons pas que la Russie, membre important du groupe de contact, avec lequel nous avons constamment maintenu le dialogue, puisse jouer un rôle très utile dans cette crise. Nous l'apprécierons le moment venu. (Applaudissements sur les bancs du groupe socaliste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Auteur : M. André Lajoinie
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Politique extérieure
Ministère interrogé : Premier Ministre
Ministère répondant : Premier Ministre
Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 31 mars 1999