Question orale n° 1222 :
traité instituant une cour pénale internationale

13e Législature

Question de : M. Daniel Boisserie
Haute-Vienne (2e circonscription) - Socialiste, radical, citoyen et divers gauche

M. Daniel Boisserie appelle l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, sur la loi n° 2010-930 promulguée le 9 août 2010 et portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale. A travers l'article 7 de cette loi, le Gouvernement et sa majorité au Parlement ont fait le choix d'insérer dans le code pénal une disposition prescrivant l'action publique à l'égard des crimes de guerre au bout de trente ans. Avec comme motivation avancée la différence qui existerait entre crimes de guerre et crimes contre l'humanité qui demeurent imprescriptibles. L'adoption d'une telle mesure a profondément choqué les populations qui ont eu à subir les exactions de l'armée allemande et de ses affidés, pendant la seconde guerre mondiale. Les habitants de sa région natale, le Limousin, ont été particulièrement touchés et révoltés, eux qui ont toujours en mémoire les crimes de la Das Reich à Oradour-sur-Glane, Tulle et Combeauvert en juin 1944, massacres qui ont fait au total près de 900 morts. L'article 7 qui a été adopté ne permettrait plus aujourd'hui de juger les criminels d'Oradour puisqu'ils bénéficieraient de cette prescription. C'est également le cas pour le village de Maillé, en Indre-et-Loire, où la Wehrmacht a massacré 124 des 600 habitants de ce bourg, le 25 août 1944. Et alors que la justice allemande instruit actuellement une procédure à l'encontre des soldats survivants impliqués dans ces meurtres, nous ne sommes plus en mesure, nous Français, de juger ces assassins de citoyens français. Il lui demande s'il entend revenir sur cette prescription des crimes de guerre, afin que les descendants des victimes de la barbarie nazie ne se sentent plus abandonnées par la justice de leur pays.

Réponse en séance, et publiée le 10 décembre 2010

PRESCRIPTION DES CRIMES DE GUERRE

M. le président. La parole est à M. Daniel Boisserie, pour exposer sa question, n° 1222, relative à la prescription des crimes de guerre.
M. Daniel Boisserie. Monsieur le président, monsieur le ministre chargé de la coopération, je veux tout d'abord remercier mon collègue Éric Raoult, qui a accepté de me céder son tour.
M. Éric Raoult. À charge de revanche, cher collègue ! (Sourires.)
M. Daniel Boisserie. Monsieur le ministre, le 9 août 2010 a été promulguée la loi portant adaptation du droit pénal français à l'institution de la Cour pénale internationale. Par l'article 7 de cette loi, le Gouvernement et sa majorité parlementaire ont fait le choix contestable d'insérer dans le code pénal une disposition prescrivant l'action publique à l'égard des crimes de guerre au bout de trente ans. La motivation avancée était celle de la différence qui existerait entre crimes de guerre et crimes contre l'humanité, ces derniers demeurant imprescriptibles.
L'adoption d'une telle mesure a profondément choqué les populations qui ont eu à subir les exactions de l'armée allemande et de ses affidés pendant la Seconde Guerre mondiale. Les habitants de ma région natale, le Limousin, ont été particulièrement touchés et révoltés, eux qui ont toujours en mémoire les massacres perpétrés par la division Das Reich à Oradour-sur-Glane et à Tulle en juin 1944, massacres qui ont fait au total près de 900 victimes, sauvagement assassinées.
De nombreuses associations d'anciens combattants et de résistants protestent contre cet article, qui empêcherait de juger aujourd'hui les criminels d'Oradour, ainsi que les coupables du massacre de Maillé, en Indre-et-Loire, où la Wehrmacht a assassiné 124 des 600 habitants du bourg, le 25 août 1944. Alors que la justice allemande instruit actuellement une procédure à l'encontre des soldats survivants impliqués dans ces meurtres, nous ne sommes désormais plus en mesure, nous Français, de juger des assassins de citoyens français.
La prescription des crimes de guerre est en complète contradiction avec les déclarations du président de la République, qui a dénoncé fort justement, le 28 août 2008, lors de sa visite à Maillé, la faute morale commise par la France, qui a ignoré pendant soixante-quatre ans les martyrs de ce village. Doit-on désormais considérer, monsieur le ministre, que les criminels nazis seront mieux traités en France qu'en Italie, où les auteurs des crimes de guerre de Marzabotto ont été jugés en 2007 et ceux de Sant'Anna, en Toscane, en 2008, grâce à l'efficacité de l'action conjuguée des polices allemande et italienne ?
Doit-on désormais considérer comme normal que l'Allemagne accorde beaucoup plus d'intérêt à juger les criminels nazis que la France, comme elle l'a montré récemment à Munich, où un tribunal a infligé à un criminel nazi une peine de perpétuité pour des crimes de guerre commis en Italie en 1944 ?
Monsieur le ministre, entendez-vous revenir sur cette prescription des crimes de guerre, afin que les descendants des victimes de la barbarie nazie n'aient plus le sentiment d'être méprisés et que la mémoire des centaines d'hommes fusillés, de femmes et d'enfants brûlés vifs, ne soit pas bafouée ?
M. le président. La parole est à M. le ministre chargé de la coopération.
M. Henri de Raincourt, ministre chargé de la coopération. Monsieur le député, vous avez appelé l'attention du Gouvernement sur l'article 7 de la loi du 9 août 2010. Vous n'ignorez pas le rôle déterminant qu'a joué notre pays dans la négociation du statut de Rome, instituant la Cour pénale internationale, ni la contribution de la France au fonctionnement de cette juridiction.
S'agissant des crimes et délits de guerre, la règle de l'imprescriptibilité n'a pas été retenue, pour des raisons d'ordre juridique et des considérations d'opportunité. En droit, la prescription des infractions répond à une exigence constitutionnelle, et seuls les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles. En opportunité, l'imprescriptibilité des crimes de guerre aurait pour effet de banaliser la catégorie des crimes contre l'humanité en les faisant relever du même régime juridique.
C'est pourquoi les prédécesseurs de l'actuel garde des sceaux ont rappelé en plusieurs occasions que l'imprescriptibilité doit demeurer une règle exceptionnelle, limitée aux crimes contre l'humanité. M. Badinter a ainsi affirmé, lors des débats parlementaires relatifs à la loi du 22 juillet 1996 tendant à renforcer la répression du terrorisme, que " l'imprescriptibilité est née du refus de nos consciences d'accepter que demeurent impunis, après des décennies, les auteurs des crimes qui nient l'humanité. L'imprescriptibilité doit demeurer tout à fait exceptionnelle. Elle doit être limitée aux crimes contre l'humanité et ne saurait être étendue ".
Par ailleurs, la première des dix-sept recommandations du récent rapport du Sénat intitulé " Pour un droit de la prescription moderne et cohérent " confirme cette orientation et préconise de " conserver le caractère exceptionnel de l'imprescriptibilité en droit français, réservée aux crimes contre l'humanité ".
Enfin, même si la règle de l'imprescriptibilité avait été adoptée pour les crimes de guerre dans la loi du 9 août 2010, elle n'aurait pu, en tout état de cause, avoir d'effet rétroactif et permettre la poursuite des faits terribles que vous avez rappelés. En effet, les crimes de guerre ont toujours été prescriptibles en droit français. Avant la loi de 2010, la prescription était de dix ans. C'est ainsi que Klaus Barbie a été relaxé pour les faits constituant des crimes de guerre commis à l'encontre de Jean Moulin, et n'a été condamné que pour crimes contre l'humanité, notamment la déportation des enfants d'Izieu.
Les faits commis à Oradour ou dans d'autres localités, comme Maillé, étaient prescrits en application de la loi française telle qu'elle était applicable avant l'adoption de la loi du 9 août 2010. Cette loi n'a, par conséquent, rien changé au régime juridique de ces faits, ni d'aucun autre crime de guerre. Bien au contraire, elle a porté leur délai de prescription de dix à trente ans, prolongeant ainsi significativement les possibilités de poursuite de ce type de crimes.
M. le président. La parole est à M. Daniel Boisserie.
M. Daniel Boisserie. Je vous remercie pour votre réponse, monsieur le ministre. Cela étant, en tant que député d'Oradour, je ressens la douleur des familles et peux difficilement accepter cette prescription. Pour moi, la prescriptibilité des crimes de guerre ne devrait pas exister. Au demeurant, on peut se demander si le massacre d'Oradour est un crime de guerre ou un crime contre l'humanité. Je pense que cette question restera sans réponse.

Données clés

Auteur : M. Daniel Boisserie

Type de question : Question orale

Rubrique : Traités et conventions

Ministère interrogé : Justice et libertés

Ministère répondant : Justice et libertés

Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 30 novembre 2010

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