ART. 13N°CF186

ASSEMBLÉE NATIONALE
23 juillet 2018

LUTTE CONTRE LA FRAUDE - (N° 1142)

Adopté

AMENDEMENT N°CF186

présenté par

Mme Cariou, rapporteure

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ARTICLE 13

Rédiger ainsi cet article :

Le livre des procédures fiscales est ainsi modifié :

1° Le IV de la section II du chapitre III du titre II de la première partie est complété par un article L. 142 A ainsi rédigé :

« Les agents des finances publiques sont déliés du secret professionnel à l’égard du procureur de la République avec lequel ils peuvent échanger des informations couvertes par ce secret indépendamment de l’existence d’une plainte ou d’une dénonciation déposée en application de l’article L. 228 ou d’une procédure judiciaire en cours. » ;

2° L’article L. 228 est ainsi rédigé :

« Article L. 228. – I. – Sans préjudice des plaintes dont elle prend l’initiative, l’administration est tenue de dénoncer au procureur de la République les faits qu’elle a examinés dans le cadre de son pouvoir de contrôle prévu à l’article L. 10, qui ont conduit à l’application, sur des droits dont le montant est supérieur à un seuil fixé par décret en Conseil d’État :

« 1° Soit de la majoration de 100 % prévue à l’article 1732 du code général des impôts ;

« 2° Soit de la majoration de 80 % prévue au c du 1 de l’article 1728, au b ou c de l’article 1729, au I de l’article 1729‑0 A ou au dernier alinéa de l’article 1758 du même code ;

« 3° Soit de la majoration de 40 % prévue au b du 1 de l’article 1728 ou au a ou b de l’article 1729 du même code, lorsque le contribuable a déjà fait l’objet lors d’un précédent contrôle de l’application des majorations visées aux 1° à 3° ou d’une plainte de l’administration.

« L’administration est également tenue de dénoncer les faits au procureur de la République lorsque des majorations de 40 %, 80 % ou 100 % ont été appliquées à un contribuable soumis aux obligations prévues à l’article 1er de la loi organique n° 2013‑906 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique et aux articles 4 et 11 de la loi n° 2013‑907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, quel que soit le montant sur lequel elles ont été appliquées.

« Lorsque l’administration dénonce des faits en application du présent I, l’action publique pour l’application des sanctions pénales est exercée sans plainte préalable de l’administration.

« Les dispositions du présent I ne sont pas applicables aux contribuables ayant déposé spontanément une déclaration rectificative.

« II. – Sous peine d’irrecevabilité, les plaintes tendant à l’application de sanctions pénales en matière d’impôts directs, de taxe sur la valeur ajoutée et autres taxes sur le chiffre d’affaires, de droits d’enregistrement, de taxe de publicité foncière et de droits de timbre portant sur des faits autres que ceux mentionnés aux premier à cinquième alinéas du I du présent article sont déposées par l’administration à son initiative sur avis conforme de la commission des infractions fiscales.

« La commission examine les affaires qui lui sont soumises par le ministre chargé du budget. Le contribuable est avisé de la saisine de la commission qui l’invite à lui communiquer, dans un délai de trente jours, les informations qu’il jugerait nécessaires.

« Le ministre est lié par les avis de la commission.

« Un décret en Conseil d’État fixe les conditions de fonctionnement de la commission.

« Toutefois, l’avis de la commission n’est pas requis en cas de présomptions caractérisées qu’une infraction fiscale a été commise et pour laquelle existe un risque de dépérissement des preuves et qui résulte :

« 1° Soit de l’utilisation, aux fins de se soustraire à l’impôt de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d’organismes établis à l’étranger ;

« 2° Soit de l’interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis à l’étranger ;

« 3° Soit de l’usage d’une fausse identité ou de faux documents au sens de l’article 441‑1 du code pénal, ou de toute autre falsification ;

« 4° Soit d’une domiciliation fiscale fictive ou artificielle à l’étranger ;

« 5° Soit de toute autre manœuvre destinée à égarer l’administration. »

« 3° Le I de la section II du chapitre II du titre III de la première partie est complété par un article L. 228 C ainsi rédigé :

« Article L. 228 C. – Lorsque l’administration a déposé une plainte tendant à l’application de sanctions pénales en matière d’impôts directs, de taxe sur la valeur ajoutée et autres taxes sur le chiffre d’affaires, de droits d’enregistrement, de taxe de publicité foncière et de droits de timbre ou dénoncé les faits au procureur de la République, l’action publique peut être exercée sans nouvelle plainte ou dénonciation en cas de découverte de faits de fraude fiscale concernant le même contribuable et portant sur des impôts ou sur une période différents de ceux mentionnés dans la plainte ou la dénonciation initiale. »

EXPOSÉ SOMMAIRE

Le présent amendement aménage le dispositif dit du « verrou de Bercy » dans le but d’accroître les prérogatives du parquet concernant le déclenchement des poursuites des infractions de fraude fiscale. Il procède à une réécriture globale de l’article introduit par le Sénat. Il reprend l'essentiel des recommandations formulées par la mission d'information sur les procédures de poursuite des infractions fiscales (Assemblée nationale, rapport n° 982 du 23 mai 2018).

I Un mécanisme de transmission automatique au parquet des affaires ayant donné lieu aux pénalités administratives les plus importantes

Il institue une obligation à la charge de l’administration d’informer le parquet de tous les manquements fiscaux, sur des droits dépassant un seuil fixé par décret, et ayant donné lieu aux pénalités administratives les plus plus importantes, soit les majorations de :

- 100 % en cas d’évaluation d’office,

- 80 % en cas de découverte d’une activité occulte, d’abus de droit, de manœuvres frauduleuses, ou d’absence de déclaration de certaines sommes et certains actifs.

L’obligation de transmission porte aussi sur les manquements réitérés ayant donné lieu à une pénalité de 40 % lorsque la déclaration ou l’acte n’a pas été déposé dans les trente jours suivant la réception d’une mise en demeure, ou en cas de manquement délibéré.

Les affaires relatives à des personnes tenues à une exigence renforcée d'exemplarité seront transmises au parquet dès le premier manquement ayant donné lieu à la pénalité d'au moins 40 %, et même si le montant des droits éludés est inférieur au seuil fixé.

Le parquet exerce ensuite librement l’opportunité des poursuites sur les dossiers transmis.

Le dispositif dit du "verrou de Bercy" ne s'appliquerait donc plus sur ce vivier de dossiers.

Par exception, les dossiers ne sont pas transmis au parquet lorsque la pénalité appliquée résulte d’une déclaration rectificative déposée spontanément par le contribuable, c’est-à-dire avant l’engagement d’un contrôle fiscal.

Le périmètre des dossiers sur lesquels le ministère public pourra exercer l'opportunité des dossiers sera ainsi considérablement élargi. Il intègrera, outre les affaires ayant donné lieu à une plainte de l'administration (voir II), l'ensemble des affaires dépassant le seuil fixé et ayant fait l'objet de sanctions administratives manifestant une intention d'éluder l'impôt, à l'exception de celles révélant un premier manquement délibéré ou un premier manquement à l'obligation de déposer une déclaration dans les trente jours d'une mise en demeure (pénalités à 40 %).

II Le maintien de la faculté de déposer plainte pour l’administration, sur avis conforme de la commission des infractions fiscales

L’administration conserve la faculté de déposer plainte, sur avis conforme de la commission des infractions fiscales, pour les affaires ne répondant pas aux critères précédemment définis.

Ainsi, pour les dossiers qui n'ont pas fait l'objet des pénalités administratives les plus importantes, une plainte préalable demeurerait nécessaire pour le déclenchement des poursuites par le parquet.

III La suppression de l’avis de la commission des infractions fiscales pour les dossiers de présomptions caractérisées

L’avis de la commission des infractions fiscales, en revanche, serait supprimé pour les dossiers de présomptions caractérisées de fraude fiscale. L'administration pourra ainsi déposer plainte directement pour ces dossiers de suspicion de fraude fiscale.

Cela permettra en pratique au parquet d’étendre plus rapidement ses investigations lorsqu’il découvrira une fraude fiscale connexe à une infraction sur laquelle il enquête déjà. Il suffira en effet au parquet de solliciter le dépôt d'une plainte de la part de l'administration. Ce dépôt interviendra rapidement compte tenu de l'absence de passage du dossier devant la commission des infractions fiscales.

Cette disposition a donc pour effet de satisfaire la recommandation formulée par la mission d'information tendant à supprimer le "verrou de Bercy" pour les fraudes fiscales découvertes de manière incidente dans le cadre des enquêtes judiciaires.

IV L’introduction pour le parquet de la faculté de poursuivre les fraudes fiscales connexes à celles dont il est déjà saisi

L’amendement permet également au parquet de poursuivre directement les fraudes fiscales connexes à celles dont il est déjà saisi, c'est-à-dire pour les fraudes qui portent sur d'autres impôts et d'autres périodes que la fraude initialement visée.

V Une levée du secret fiscal à l'égard du procureur de la République

Le présent amendement délie les agents de l'administration fiscale du secret professionnel à l’égard du procureur de la République avec lequel ils pourront échanger des informations couvertes par ce secret indépendamment de l’existence d’une plainte, d’une transmission ou d’une procédure judiciaire en cours.

Cette levée du secret est indispensable pour permettre le bon fonctionnement de l'aménagement du "verrou de Bercy" proposé. Il permettra à l'administration fiscale et au parquet de discuter en amont sur certains dossiers de façon à déterminer de façon conjointe le traitement approprié : sanctions administratives ou poursuite pénale.

Cela va dans le sens des recommandations de la mission d'information sur les procédures de poursuite des infractions fiscales. La mission avait en effet recommandé que la coopération et le dialogue soient renforcés entre l'administration fiscale et le parquet, comme cela se pratique dans beaucoup de pays.

VI Un aménagement du « verrou de Bercy » plus important que celui adopté par le Sénat en première lecture

La réécriture de l’article 13 proposée par cet amendement permet un aménagement du « verrou de Bercy » plus important que celui adopté par le Sénat sur trois points :

- il ajoute aux critères de transmission obligatoire au parquet celui de la réitération d’un manquement délibéré sanctionné par une pénalité de 40 % ;

- il supprime l’avis de la commission des infractions fiscales pour les dossiers de présomptions caractérisées ;

- il permet au au parquet de poursuivre directement les fraudes fiscales connexes à celles dont il est déjà saisi.

Par ailleurs, il substitue au mécanisme de dépôt de plainte obligatoire, un mécanisme de transmission obligatoire. Cela évitera des dépôts de plainte dans des dossiers qui seraient ensuite classés sans suite sur le plan pénal en opportunité.