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N° 842

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 3 avril 2018.

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES
SUR LE PROJET DE LOI pour un nouveau pacte ferroviaire (n° 764)

PAR M. Damien ADAM

Député

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 Voir le numéro : 764.

 


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  SOMMAIRE

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Pages

introduction

I. une réforme globale du système ferroviaire français devenue indispensable

1. Un système ferroviaire aujourdhui en perte de vitesse

2. Une ouverture à la concurrence inéluctable et souhaitable

a. La concurrence : une opportunité plus qu’une contrainte

b. Des exemples de réussite à l’étranger

3. Une nécessaire réorganisation de la gouvernance

II. des rÉponses apportÉes par le projet de loi qui devront se traduire dans le contenu des ordonnances

1. Le recours aux ordonnances, justifié par la nécessité d’agir vite

a. Agir vite pour respecter nos engagements européens

b. Agir vite pour permettre une réforme progressive

2. Le contenu de l’habilitation : une réforme plurielle indispensable

a. Dispositions relatives à la transposition de la directive 2012/34/UE modifiée (article 2)

i. La fin du monopole de SNCF Mobilités et l’ouverture à la concurrence : vers une ouverture différenciée

ii. La modification de la gouvernance : vers une indépendance renforcée

b. Dispositions relatives à l’ouverture à la concurrence des services publics conventionnés de transport ferroviaire de voyageurs (article 3)

i. L’ouverture à la concurrence des services publics conventionnés de transport ferroviaire de voyageurs

ii. Le transfert des personnels

iii. Le transfert du matériel et des ateliers

iv. Le transfert des données de la SNCF pour l’organisation des appels d’offres

c. Dispositions diverses relatives à l’adaptation du système de transport ferroviaire à l’ouverture à la concurrence (article 4)

i. L’harmonisation des contraintes minimales du service public

ii. La billettique et les droits des passagers

iii. Les modalités de gestion des gares

iv. La sécurité et la surveillance

examen en commission

I. Discussion générale

II. Examen des articles

Article 2 Dispositions relatives à la transposition de la directive 2012/34/UE modifiée

Avant larticle 3

Article 3 Dispositions relatives à l’ouverture à la concurrence des services publics conventionnés de transport ferroviaire de voyageurs

Article 4 Dispositions diverses relatives à l’adaptation du système de transport ferroviaire à l’ouverture à la concurrence

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

 


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   introduction

Le chemin de fer français appartient au patrimoine national et au patrimoine individuel de chaque citoyen. Certains l’empruntent quotidiennement, d’autres occasionnellement, mais tous ont une histoire avec lui, et éprouvent pour lui, sans doute, une forme d’attachement.

Pourtant, le système ferroviaire français est, depuis plusieurs années, incontestablement en crise : retards, annulations, trains vétustes… Les critiques sont nombreuses et semblent requérir une réforme de grande ampleur du système dans son ensemble.

C’est ce que propose le présent projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire. Cette réforme doit être appréhendée dans le cadre plus large d’une réforme générale de la mobilité, qui fera l’objet d’un projet de loi ultérieur. Elle n’a pas pour objet d’opposer les modes de transport les uns aux autres, ni d’envisager la question uniquement sous l’angle des infrastructures, mais bien de fonder la réflexion sur les besoins des usagers et les manières d’y répondre au mieux.

Par cette réforme, le Gouvernement propose un nouveau cadre pour le système ferroviaire français, qui s’appuiera sur une modification de l’organisation de la gouvernance, ainsi que sur une ouverture à la concurrence du marché national. En parallèle, le groupe SNCF prépare un nouveau projet d’entreprise, qui devra s’inscrire dans ce cadre. Il ne s’agit en aucun cas de démanteler la SNCF, mais bien au contraire de la sauver, tout en replaçant les besoins de l’usager au cœur des propositions.

La commission des affaires économiques s’est saisie, pour avis, des articles relatifs à l’ouverture à la concurrence du marché ferroviaire de transport de voyageurs. Celle-ci ne peut, toutefois, être appréhendée que dans le cadre d’une vision plus large de la réforme du système ferroviaire français, dont elle ne constitue qu’un aspect. Si votre rapporteur y voit une opportunité de développement de la SNCF et du système ferroviaire français, ainsi que d’amélioration du service rendu aux usagers, il n’en reste pas moins que des précautions devront être prises au stade de la rédaction des ordonnances elles‑mêmes, qui sont explicitées dans ce rapport.

Votre rapporteur salue d’avance, par ailleurs, l’inscription « en dur », sous la forme d’articles de loi introduits dans le cadre des discussions parlementaires, de l’ensemble des dispositions qui auront pu faire l’objet d’un accord avec les organisations syndicales. Celles-ci concernent notamment l’ouverture à la concurrence.

I.   une réforme globale du système ferroviaire français devenue indispensable

1.   Un système ferroviaire aujourd’hui en perte de vitesse

Le système ferroviaire français affronte aujourd’hui de grandes difficultés.

Alors que les réformes se sont succédées depuis la fin des années 1990, il parait souffrir d’un manque d’adaptation aux exigences de la société actuelle, ne plus répondre aux attentes des citoyens, et ne pas suffire à satisfaire leurs besoins de mobilité. Beaucoup décrient la vétusté des installations et du matériel roulant
– notamment celui des Intercités – les retards et déprogrammations courants, le manque d’information et de communication, ou encore le prix croissant des billets et abonnements. Ceci est plus particulièrement vrai des usagers quotidiens des trains opérés par SNCF Mobilités, qui subissent des retards fréquents et pâtissent de l’inconfort d’un grand nombre de rames. Cela s’observe également pour les habitants des territoires ruraux, peu ou mal desservis.

Comme l’indique le bilan du marché du transport ferroviaire de voyageurs en France pour les années 2015 et 2016, publié par l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) en novembre 2017, la qualité de service du transport ferroviaire « ne peut être regardée comme satisfaisante ». En effet, en 2016, 5 % des trains programmés ont été supprimés et plus de 10 % des trains sont arrivés en gare avec un retard de plus de 5 minutes. Le taux moyen de retard des TER était de 10 % sur l’année 2016, 25 % des retards étant supérieurs à 20 minutes. Le taux moyen de retard des TGV était, pour sa part, de 18 % en 2016 et atteignait 25 % lors de la pointe du vendredi après-midi. Enfin, le taux de retard des Intercités était en moyenne de 22 %, et de 30 % aux heures de pointe.

En conséquence, la fréquentation décline. Celle des services conventionnés – trains express régionaux (TER), Transilien, trains d’équilibre du territoire, Intercités – a diminué de 5 % depuis 2012. Il en va de même pour les services non conventionnés, soit essentiellement les trains à grande vitesse (TGV), dont la fréquentation stagne depuis 5 ans – même si une reprise a été observée en 2017 – et qui se trouvent aujourd’hui confrontés à la concurrence des transports aériens à bas coûts – notamment sur les liaisons ferroviaires d’une durée supérieure à trois heures – mais également des transports par autocar ou du covoiturage. Comme l’indique l’ARAFER, « si le développement du TGV et des TER à la fin des années 1990 et au cours des années 2000 a permis au mode ferroviaire d’atteindre 10 % de part modale ([1]) en 2011 (contre 7,1 % en 1995), cette tendance s’est inversée : depuis 2011, la fréquentation recule avec le plafonnement de la fréquentation du TGV et la baisse de celle des TER (en particulier des passagers non abonnés), alors que celle des autres modes de transport (voitures particulières, avions, autocars […]) progresse. Avec une part modale de 9,2 % en 2016, en baisse constante depuis 2011, le transport ferroviaire de voyageurs ne bénéficie donc pas du développement de la mobilité observé en France ». Cette concurrence non organisée, déjà à l’œuvre, est d’autant plus néfaste que les transports alternatifs sont plus polluants que le train.

Source SDES – compte des Transports

En outre, le groupe ferroviaire public, et en particulier sa branche « Réseau », est lourdement endetté, à hauteur de près de 50 milliards d’euros (Md€). Cette dette progresse de 3 Md€ par an, et les seuls frais financiers annuels représentent environ 1,5 Md€ par an. Elle ne lui permet plus d’investir pour rénover ou moderniser ses infrastructures, et, partant, d’enrayer la dégradation générale. À ce sujet, la majorité des personnes auditionnées par votre rapporteur pour avis ont regretté l’investissement massif des dernières décennies pour de nouvelles lignes TGV au détriment des mobilités du quotidien et de l’entretien du réseau existant, aujourd’hui dégradé.

Cette situation n’apparait plus tenable.

Votre rapporteur pour avis souhaite toutefois être extrêmement clair sur un point : cet état des choses n’est, en aucun cas, le fait des salariés du  groupe SNCF. Il est essentiel de rappeler que ceux-ci font, au contraire, preuve d’un professionnalisme immense, et disposent d’une expérience et d’un savoir-faire exceptionnels.

Le constat est toutefois le suivant : si, malgré la compétence individuelle et collective de ces salariés, qui ne peut être mise en doute, la situation finale est aussi dégradée, c’est signe que le système lui-même est vicié, et qu’il est impératif de le changer dans son ensemble. Ce constat est d’autant plus alarmant que l’État, puis les régions, n’ont cessé d’augmenter les moyens accordés pour le système ferroviaire sans que la situation ne s’améliore. Notre service public coute donc cher aux contribuables – 14 Md€ chaque année – sans apporter satisfaction.

La réforme, aujourd’hui indispensable, devra poursuivre deux objectifs de fond : celui du renforcement de l’efficacité et de la compétitivité du système ferroviaire français et celui du retour de la confiance entre la SNCF et ses usagers.

2.   Une ouverture à la concurrence inéluctable et souhaitable

a.   La concurrence : une opportunité plus qu’une contrainte

L’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs est inéluctable. Ses modalités ont été arrêtées progressivement par l’Union européenne pour l’ensemble des États membres et vont trouver à s’appliquer au cours des prochaines années. Pour votre rapporteur, comme pour plusieurs des parties prenantes auditionnées, cette ouverture à la concurrence constitue une opportunité bien plus qu’une contrainte, à plusieurs égards, et pour peu qu’elle soit organisée de manière satisfaisante.

Les raisons de l’ouverture à la concurrence

L’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs répond, pour l’Union européenne, et depuis l’origine, à des objectifs bien plus ambitieux que la seule libéralisation du marché intérieur, qui ne constitue pas une fin en soi :

– en premier lieu, il s’agit de redynamiser le secteur ferroviaire. En effet, dès la fin des années 1980, la communauté européenne s’inquiète du déclin du transport ferroviaire face à la concurrence de l’automobile ou de l’avion. Ce diagnostic la conduit à ouvrir à la concurrence  successivement, en 25 ans, le transport des marchandises puis le transport international de voyageurs et enfin le transport domestique de voyageurs ;

– en second lieu, la Commission européenne voie dans l’ouverture à la concurrence un gage de gains d’efficacité et de qualité de service. La commissaire européenne aux Transports, Mme Violeta Bulc, le résumait parfaitement lors de l’adoption du quatrième paquet ferroviaire européen en 2016 : « Jusqu’à maintenant, le secteur n’a pas vraiment été incité à répondre à la demande des consommateurs et, par conséquent, il a vu sa part de marché diminuer constamment. L’ouverture progressive du marché devrait améliorer les performances des services ferroviaires » ;

– enfin, le projet de la Commission européenne, à terme, est de favoriser l’émergence d’un « espace ferroviaire unique européen » en uniformisant les normes de sécurité et les infrastructures propres à chaque État membre. Un objectif collatéral est, de plus, la multiplication des lignes grandes vitesse entre les métropoles européennes, pour favoriser la mobilité et les échanges économiques au sein de l’Union.

Tout d’abord, l’ouverture à la concurrence permet de replacer l’usager au cœur du système ferroviaire. Fort de sa situation de monopole, et sans pression concurrentielle, SNCF Mobilités n’était pas contrainte par les critiques d’usagers, ceux-ci étant, pour la plupart, captifs de ses services. Avec l’ouverture, l’opérateur historique sera incité à améliorer la qualité de son service, car c’est en grande partie sur ce critère que se fera la différentiation entre entreprises.

Par ailleurs, l’ouverture à la concurrence permettra de redynamiser le secteur ferroviaire, pour qu’il retrouve des parts de marché face aux autres modes de transport. Plus de concurrence, ce sont plus de trajets, de meilleurs services et une plus grande diversité de tarifs. Les exemples étrangers en témoignent. Votre rapporteur pour avis est convaincu que cette ouverture encouragera les entreprises concourant aux appels d’offres ou exerçant sur le marché à proposer les meilleurs services possibles, aux coûts les plus acceptables et permettra ainsi au système ferroviaire de retrouver son attractivité. Les différents opérateurs en concurrence seront également encouragés à innover et à proposer de nouvelles solutions, techniques ou commerciales. En outre, en restaurant la part modale du transport ferroviaire, elle aidera la France à atteindre ses objectifs en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

De plus, une telle ouverture peut également être profitable aux gestionnaires d’infrastructures, historiques ou indépendants. Ainsi, l’Association française des gestionnaires d’infrastructures ferroviaires indépendants (Agifi), auditionnée par votre rapporteur pour avis, se félicitait de cette notion « d’ouverture », aussi importante que celle de « concurrence ». Elle aurait pour conséquence de générer plus de passage sur le réseau, et ainsi plus de redevances, notamment pour les gestionnaires rémunérés sur le risque « trafic », plutôt que par loyer fixé dans une convention avec SNCF Réseau. En effet, avec une moyenne de 40 trains circulant chaque jour par kilomètre de ligne, et dans chaque sens, en 2015, la France ne se classe qu’à la 10ème position des États de l’Union européenne pour l’utilisation de son réseau ferroviaire, derrière l’Allemagne, le Royaume-Uni ou l’Italie : il existe en ce domaine une forte marge de progression, et ce d’autant plus que l’utilisation du réseau est très hétérogène : 80 % des circulations s’effectuent sur 27 % des lignes. L’Agifi précisait que cette ouverture entrainerait également une amélioration du service, de la qualité et de la performance du marché ferroviaire français, à la condition que les objectifs fixés soient clairs.

Enfin, votre rapporteur pour avis souhaite souligner qu’une telle ouverture à la concurrence est déjà à l’œuvre dans des pays étrangers, en particulier dans la majorité des États européens ([2]). Le groupe historique français a, de ce fait, l’opportunité de gagner des marchés à l’étranger, et une occasion de rayonner dans son secteur de compétence. La réciprocité qui existe sur le marché du transport ferroviaire en Union européenne est gage de développement commercial à l’international pour nos entreprises et la France – dont le marché de transport ferroviaire domestique est aujourd’hui l’un des derniers non ouvert à la concurrence – ne peut se permettre de rester en marge du mouvement en cours.

L’ouverture à la concurrence organisée au niveau européen par le règlement « OSP » et le 4ème paquet ferroviaire

Le règlement relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route dit « règlement OSP », publié le 3 décembre 2007 au Journal officiel de l’Union européenne, rend obligatoire la libéralisation du transport ferroviaire régional. Il s’applique aux services dont l’équilibre économique ne peut être assuré sans soutien public (y compris le service ferroviaire à longue distance, lorsqu’il est déficitaire). Le règlement OSP applique aux marchés de transports régionaux un modèle de concurrence régulée. Il fixe les conditions de conclusion de contrats de service public : l’autorité organisatrice de transport doit choisir l’opérateur dans le respect du droit européen et des concessions, c’est-à-dire par appels d’offres et mise en concurrence ([3]), à l’exception de certaines situations limitativement énumérées. Le règlement est entré en vigueur le 3 décembre 2009. Toutefois, il prévoit, dans son article 8, une période transitoire de dix ans – soit jusqu’au 3 décembre 2019 – qui permettra aux autorités organisatrices et aux opérateurs de se préparer progressivement à la concurrence.

Le quatrième paquet ferroviaire a été présenté dès 2013. Il s’agit d’un ensemble de six textes, comportant un volet « technique » (abordant notamment l’interopérabilité du rail), publié le 26 mai 2016 et un volet « politique » (relatif à la gouvernance et à l’ouverture à la concurrence), publié le 23 décembre 2016. Il a pour objectif de renforcer la compétitivité du transport ferroviaire et de faciliter la libre circulation des voyageurs en mettant en place un espace ferroviaire unique européen. Le pilier technique renforce l’harmonisation européenne des procédures d’autorisation portant sur les matériels et les opérateurs, fixe des « spécifications techniques d’interopérabilité » et limite l’existence de règles nationales au strict nécessaire. Le pilier politique organise l’ouverture à la concurrence des marchés ferroviaires nationaux, en distinguant les services conventionnés, faisant l’objet de contrats de service public de transport nationaux ou régionaux (les TER et trains d’équilibre du territoire, en France) et les services non conventionnés (les lignes à grande vitesse). Ces deux catégories de lignes pourront être ouvertes à la concurrence à partir du 3 décembre 2019. Pour les services non conventionnés, l’ouverture à la concurrence, possible dès 2019, devient obligatoire en 2021. En ce qui concerne les services conventionnés, l’attribution concurrentielle deviendra la règle en 2023 ; entre décembre 2019 et décembre 2023, les autorités compétentes auront le libre choix de l’attribution directe ou de la mise en concurrence des contrats de service public. Le 4ème paquet prévoit également des mesures de sauvegarde de l’indépendance du gestionnaire d’infrastructure plus fortes, sous le contrôle renforcé de l’autorité de régulation. Il s’agit de clarifier les relations du gestionnaire d’infrastructure avec les entreprises afin de garantir une ouverture à la concurrence équitable.

Les dispositions relatives à la gouvernance et à l’ouverture à la concurrence doivent être transposées avant le 25 décembre 2018. Les dispositions concernant la mise en place d’appels d’offres systématiques pour les contrats de service public sont, pour leur part, directement applicables dès décembre 2023.

b.   Des exemples de réussite à l’étranger

Dans les États où elle a été pratiquée, l’ouverture à la concurrence a entrainé une augmentation des trafics, une amélioration de la qualité des services et une réduction des contributions publiques.

Comme l’indique l’ARAFER, « dans tous les pays ayant ouvert à la concurrence les services de transport ferroviaire de voyageurs, une croissance de la demande a été observée ».

– en Allemagne, la fréquentation s’est accrue de 29 % depuis l’ouverture à la concurrence engagée en 1994 (1,6 % de hausse moyenne par an). Le déclin du rail, observé avant la réforme, a été enrayé. En 2017, la Deutsche Bahn a atteint son record en nombre de passagers transportés : 2 millions. Au total, la part modale du ferroviaire dans le transport de voyageurs en Allemagne a progressé de 6,7 % initialement à 8,1 % en 2016, grâce à l’augmentation du nombre de passagers de 5,5 % en 2016 et à la hausse du nombre de passagers par kilomètre de 7 % cette même année. Dans le transport régional, le taux d’utilisation du réseau est passé de 60,6 passagers par kilomètre et par train à 89,9 passagers par kilomètre et par train. Cette progression du trafic a permis d’amortir socialement la réforme, qui a été négociée avec le soutien des syndicats ;

– en Grande-Bretagne, la fréquentation a plus que doublé sur la période 1994-2015, avec une croissance annuelle moyenne de 4 % par an depuis 1997. Le nombre de passagers a été multiplié par deux depuis l’ouverture à la concurrence. La part modale du transport ferroviaire a également doublé, atteignant aujourd’hui près de 10 % des mobilités ;

– en Suède, le trafic ferroviaire a doublé ces 25 dernières années, et a triplé au niveau régional. La part modale du train est passée de 6,1 % en 1988 à 8,4 % en 2012. L’augmentation du nombre de passagers a été plus marquée sur le réseau régional (+ 200 %) que sur le réseau interrégional (+ 30 %). Le nombre d’opérateurs de train sur le marché suédois a augmenté. Toutefois, si les parts de marché de l’opérateur historique ont diminué, son volume global d’activité a été maintenu grâce à une augmentation du trafic sur le réseau suédois.

L’ouverture à la concurrence a également entrainé une hausse de l’offre. S’agissant des services conventionnés, comme pour la fréquentation, la libéralisation s’est accompagnée en Allemagne, au Royaume-Uni et en Suède, d’une hausse de l’offre mesurée en trains-kilomètres : celle-ci a augmenté de 20 % en Allemagne entre 1996 et 2014 (et de 30 % pour les transports régionaux), de 30 % au Royaume-Uni entre 1998 et 2016 et de 53 % en Suède entre 1990 et 2014.

Elle a permis une amélioration de la qualité de service. En Allemagne, la libéralisation s’est traduite par un renouvellement de grande ampleur du parc de matériel roulant, de sorte que l’âge moyen du parc de la Deutsche Bahn est passé de 17,3 ans à 7,5 ans entre 1997 et 2015. La Deutsche Bahn, a investi dans la qualité de service et propose désormais des trains plus confortables, et un service en ligne performant, notamment pour la billettique.

Elle n’a pas engendré de réduction de la sécurité. Au contraire, les pays européens qui ont ouvert leur marché à la concurrence dans le transport ferroviaire domestique de voyageurs sont parmi les plus sûrs en termes de sécurité ferroviaire en Europe. Ainsi, selon l’ARAFER, le Royaume-Uni et l’Allemagne affichent moins d’accidents de train, relativement au niveau de leur trafic ferroviaire, que la France. Le Royaume-Uni a aujourd’hui le réseau ferroviaire le plus sûr d’Europe, après le Luxembourg. De même en Suède, les indicateurs nationaux montrent que l’ouverture à la concurrence n’a pas eu d’impact négatif sur la sécurité, puisque celle-ci s’est améliorée sur la période, avec une diminution du nombre global d’accidents.

L’ouverture à la concurrence a entrainé une baisse de la charge financière supportée par les autorités organisatrices dans le cadre des services ferroviaires conventionnés. Rapportés au nombre de trains-kilomètres, les concours publics ont ainsi été réduits dans une fourchette comprise entre 10 % et 43 % en Allemagne, en Suède ou au Royaume-Uni.

À partir des exemples étrangers, l’ARAFER recense trois conditions indispensables à la réussite de l’ouverture à la concurrence :

« – la séparation verticale des activités de gestion d’infrastructure et de gestion des installations de service (notamment les gares) de celles des activités de transporteur, afin d’assurer une indépendance des gestionnaires des entreprises ferroviaires et un traitement équitable de ces dernières ;

« – des autorités organisatrices de transports disposant de moyens humains et financiers leur permettant de gérer efficacement les processus d’appels d’offres et la coordination des entreprises ferroviaires qui fournissent des services conventionnés sous leur autorité ;

« – la mise en place d’une régulation permettant d’assurer l’effectivité des procédures d’appels d’offres, dans des conditions transparentes et non  discriminatoires, ainsi que des conditions tarifaires d’accès aux facilités essentielles éventuellement plus favorables aux nouveaux entrants durant une période limitée. »

Votre rapporteur pour avis estime, par ailleurs, que la mise en concurrence pourra être considérée comme un succès en France à quatre conditions :

– une augmentation de l’offre de trains ;

– une amélioration du service proposé (moindres retards, meilleur confort des rames, etc.)

– une augmentation de la part modale du transport ferroviaire dans l’ensemble des transports en commun ;

– une absence d’augmentation de la dépense de la collectivité publique.

3.   Une nécessaire réorganisation de la gouvernance

Plusieurs réformes successives du système ferroviaire ont eu lieu depuis 1997, notamment pour tenir compte des transpositions des directives européennes. À ce jour pourtant, de nouvelles réformes sont nécessaires, notamment pour adapter le système ferroviaire à son ouverture prochaine à la concurrence.

À l’heure actuelle, et comme rappelé par le rapport remis par M. Jean‑Cyril  Spinetta au Premier ministre, le système ferroviaire français issu de la loi n° 2014-872 du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire, est composé sous la forme d’un groupe public à trois têtes, chacune relevant de la catégorie des établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) :

– l’EPIC SNCF dit « de tête », qui assure le contrôle, la cohérence économique et le pilotage stratégique du groupe ;

– l’EPIC SNCF Réseau, gestionnaire du réseau ferré national. Il résulte de la fusion de Réseau ferré de France, de la direction des circulations ferroviaires et de la branche infrastructure de la SNCF ;

– l’EPIC SNCF Mobilités, exploitant des services ferroviaires, auquel est rattachée la branche « Gares & Connexions ».

Cette organisation permet d’identifier un gestionnaire d’infrastructure de plein exercice, tout en préservant une certaine unité de la SNCF. Elle a été jugée compatible avec le droit européen, dans la mesure où le gestionnaire d’infrastructure est séparé comptablement des autres parties du groupe et où son président est nommé par le Gouvernement. La situation est la même pour la branche « Gares & Connexions », qui n’est rattachée à SNCF Mobilités que temporairement, comme indiqué dans la loi du 4 août 2014 précitée.

Le rapport des députés Gilles Savary et Bertrand Pancher sur la mise en œuvre de la loi n° 2014-872 du 4 août 2014 estime que l’organisation mise en place est globalement pertinente et que les principales dispositions de la loi ont un caractère vertueux, notamment en ce qui concerne le renforcement des compétences du régulateur.

Une nouvelle réforme de la gouvernance est toutefois aujourd’hui nécessaire, comme l’ont mentionné plusieurs acteurs auditionnés par votre rapporteur pour avis.

Il faut, en premier lieu, renforcer l’indépendance du gestionnaire de réseau. En effet, comme mentionné dans le rapport de MM. Savary et Pancher, certains acteurs estiment que l’indépendance du gestionnaire d’infrastructure est insuffisante et contestent le rôle prépondérant de l’EPIC « de tête », la SNCF, qui assume des missions de sécurité et de coordination en matière de gestion de crise. D’autres regrettent la porosité entre SNCF Mobilités et SNCF Réseau. Ainsi, l’ARAFER indique que « face aux risques inhérents à un défaut d’indépendance du gestionnaire d’infrastructure et à l’objectif d’ouverture du marché à la concurrence, l’Autorité considère que l’organisation du groupe public ferroviaire doit être revue en supprimant l’EPIC de tête et en séparant clairement les activités relatives à la gestion de l’infrastructure de celles relatives à l’exploitation des services de transport ». De même, l’Agifi indiquait que ses membres « ne sont pas convaincus que les dispositions mises en place garantissent une indépendance réelle du gestionnaire d’infrastructure sur les missions essentielles ». Elle note certains « mouvements de personnels à haut niveau » qui « interpellent » et précise que des situations de conflits d’intérêts sont possibles. Ceci lui parait regrettable car « une approche partiale ou discriminatoire du gestionnaire d’infrastructure dans l’exercice de ses missions pourrait dissuader de potentiels nouveaux entrants de se positionner sur le marché français ».

Par ailleurs, la question du statut d’EPIC de SNCF Mobilités comme de SNCF Réseau doit être examinée pour tenir compte des conséquences de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne rendu le 3 avril 2014. Cet arrêt confirme une jurisprudence plus ancienne par laquelle la Cour assimile le statut d’EPIC à durée indéterminée à une aide d’État, dans la mesure où la garantie publique « illimitée » – l’État n’étant pas exposé au risque de faillite comme une entreprise – permet à l’EPIC d’obtenir des conditions d’emprunt plus favorables que celles de ses concurrents. Cette analyse avait conduit à transformer France Télécom en société anonyme en 1994, puis à faire de même pour EDF en 2004 et La Poste en 2010. Le statut d’EPIC de SNCF Mobilités avait été préservé dans la mesure où le marché ferroviaire était jusque-là quasiment fermé à la concurrence. Ce statut ne semble toutefois pas pouvoir être maintenu au‑delà de l’ouverture à la concurrence, pour des raisons juridiques, mais également économiques. En effet, comme l’indiquait le Conseil d’État dans un rapport de 2009 relatif aux établissements publics, « on constate […] que l’établissement public est soumis à un double feu de critiques : il serait à la fois trop avantageux pour être parfaitement conforme au droit de la concurrence et trop lourd pour permettre le développement d’une activité économique dans des conditions satisfaisantes ». En outre, un tel statut n’incite ni l’État, ni la direction du groupe public à sélectionner les seuls investissements les plus rationnels, conduisant à un endettement croissant dont la réalité est aujourd’hui niée. Cette situation explique en partie les dérives d’une dette devenue désormais insoutenable.

Enfin, la question du rattachement de Gares & Connexions doit également être étudiée. En effet, ce rattachement, même s’il est compatible avec le droit de l’Union européenne, peut entretenir une suspicion quant à l’indépendance du gestionnaire des gares vis-à-vis de l’exploitant des lignes. Il est, par ailleurs, nécessaire de considérer les gares comme des installations de service à l’usage de tous les opérateurs (et non uniquement de celui de SNCF Mobilités), et, par conséquent, indispensable de les dissocier de SNCF Mobilités. L’Autorité de la concurrence, tout comme l’ARAFER, ont préconisé à plusieurs reprises de séparer Gares & Connexions de SNCF Mobilités. L’ARAFER indique ainsi que « seule l’instauration d’un gestionnaire indépendant des gares multitransporteurs, disposant de son propre personnel pour assurer les fonctions transverses au profit des différentes entreprises ferroviaires, est de nature à limiter le risque d’atteinte à la concurrence  ». Les députés Savary et Pancher le préconisaient également dans leur rapport sur l’application de la réforme de 2014. Par ailleurs, une clarification du statut et du rattachement devrait permettre de mettre fin à la situation actuelle, dans laquelle la répartition du patrimoine entre SNCF Réseau, SNCF Mobilités et
Gares & Connexions n’est pas toujours claire. Certains biens dans les gares ne sont pas affectés, or cette situation complexe est susceptible de poser un problème juridique en cas d’incident : quel acteur sera responsable ? Il semble plus que nécessaire de clarifier et de simplifier la répartition du patrimoine non affecté dans les gares.

II.   des rÉponses apportÉes par le projet de loi qui devront se traduire dans le contenu des ordonnances

Le projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi pour améliorer le fonctionnement du groupe public ferroviaire dans le contexte de l’ouverture à la concurrence. Il l’habilite ainsi, par exemple, à modifier l’organisation des services publics de transport ferroviaire de voyageurs, à définir et harmoniser les contraintes d’exploitation des services de transport ferroviaire de voyageurs ou encore à préciser les règles en matière de vente, d’information, d’assistance, de réacheminement et d’indemnisation des voyageurs ferroviaires.

Cette habilitation, de manière générale, semble tout à fait équilibrée à votre rapporteur : elle est précise, tout en offrant suffisamment de marges de manœuvre pour permettre aux discussions sur les modalités de l’ouverture à la concurrence de se poursuivre et à leurs conclusions d’être prises en compte. Le Conseil d’État livre cette même analyse : il s’agissait de définir l’habilitation avec une précision suffisante, mais également de manière suffisamment ouverte pour « ne pas être excessivement contraignant au stade de la rédaction de l’ordonnance et permettre au Gouvernement, comme l’indique l’exposé des motifs, de poursuivre la concertation avec les principales parties prenantes ».

Votre rapporteur pour avis souhaite par ailleurs insister sur le fait que le recours aux ordonnances ne réduit ni le débat parlementaire, ni la concertation, avec les syndicats notamment. Il se félicite de l’engagement pris par le Gouvernement de rédiger « en dur » tous les points qui auront fait l’objet d’un accord avec les syndicats représentatifs.

1.   Le recours aux ordonnances, justifié par la nécessité d’agir vite

a.   Agir vite pour respecter nos engagements européens

Le recours aux ordonnances se justifie par la nécessité de légiférer rapidement, afin de respecter nos engagements européens. En effet, le règlement relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route, dit « règlement OSP », qui prévoit la libéralisation du transport ferroviaire régional, s’applique à compter du 3 décembre 2019. Par ailleurs, le quatrième paquet ferroviaire, qui organise l’ouverture à la concurrence des marchés ferroviaires nationaux, doit être transposé en France avant le 25 décembre 2018, ce qui ne laisse que très peu de temps pour l’adoption d’un texte de loi, lequel devra préciser les modalités d’ouverture pour le transport de voyageurs conventionné et non conventionné, pour qui la concurrence sera généralisée, respectivement, en 2021 et en 2023. Ce texte devra également traiter la question du transfert des salariés, celle du transfert du matériel et des ateliers, ainsi que les règles applicables au cours de la période 2019-2023.

Une anticipation maximale est souhaitable, pour ne pas reconduire les erreurs constatées au moment de l’ouverture à la concurrence du fret : attendre le dernier moment avait alors conduit à mettre en œuvre une réforme de grande ampleur de manière brutale, qui avait fortement déstabilisé le système. De même, force est de constater que l’ouverture à la concurrence n’a pas été préparée en amont par les précédentes réformes, notamment celle de 2014, alors que les échéances étaient connues, obligeant ainsi le présent Gouvernement à agir à un rythme accéléré. À titre d’illustration, alors que le précédent Gouvernement avait annoncé vouloir s’emparer du problème de la dette, aucune mesure n’avait été prise.

Il ne s’agit pas de prendre de l’avance sur le calendrier fixé par l’Union européenne, mais, comme l’indique la proposition de loi déposée au Sénat en septembre 2017 par MM. Louis Nègre et Hervé Maurey, de « poser le cadre de cette réforme d’envergure dans le strict respect des échéances fixées ».

b.   Agir vite pour permettre une réforme progressive

En outre, comme mentionné par le rapport de M. Jean-Cyril Spinetta, et rappelé par les différents acteurs entendus au cours des auditions menées par votre rapporteur pour avis, une ouverture à la concurrence aussi progressive que possible est souhaitable pour ne pas déstabiliser le marché. Aussi, l’adoption d’une réforme de manière précoce permettra de mettre en œuvre cette progressivité.

De la même manière, comme l’indique l’Association des régions de France (ARF), auditionnée par votre rapporteur, « les régions sont convaincues que le processus d’ouverture doit être progressif ». L’ARF indique également que « pour ne pas retarder le lancement de ce processus, le dépôt du projet de loi doit intervenir sans tarder : l’objectif d’un vote avant l’été 2018 doit être maintenu. La loi et les décrets d’application doivent permettre de signer, dès le 3 décembre 2019, conformément au règlement européen relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route, un contrat d’exploitation ou de l’exploiter via un opérateur interne ».

L’adoption rapide d’un texte de loi permettra de définir une période transitoire, couvrant les années 2019-2023, permettant un « apprentissage » de la concurrence. Pendant cette période, l’attribution directe des contrats de service public pour les transports conventionnés pourrait perdurer, mais, par exception, les autorités compétentes pourraient commencer à attribuer une partie des services à d’autres entreprises ferroviaires à l’issue d’une mise en concurrence. Il serait également envisageable de prévoir une limite au volume d’activité que les pouvoirs publics pourraient mettre en concurrence dès 2019, pour garantir la progressivité de la réforme, ou de laisser à l’État la possibilité d’encadrer la liberté de choix des régions pendant cette période, comme l’y autorise le 4ème paquet ferroviaire.

Seule l’adoption d’une loi dans les tous prochains mois peut permettre de mettre en œuvre la progressivité souhaitée par tous. Sans cela, les premiers pénalisés seraient la SNCF, et à travers elle les cheminots, qui ont tout à perdre d’une ouverture à la concurrence mal préparée.

2.   Le contenu de l’habilitation : une réforme plurielle indispensable

Votre rapporteur pour avis se félicite que l’ensemble des points essentiels à traiter dans la réforme soient évoqués et fassent l’objet d’une habilitation précise. Leur intégration dans les ordonnances, dont le contenu sera soumis au Parlement pour ratification, est en effet indispensable.

Si la question de la dette n’est pas abordée frontalement par le projet de loi, elle n’en reste pas moins omniprésente. Votre rapporteur pour avis note avec satisfaction l’engagement pris par l’État d’honorer ses responsabilités en matière de reprise de la dette, éventuellement sur la durée du quinquennat de manière à respecter les engagements pris dans le cadre des objectifs de Maastricht de maintien d’une dette publique inférieure à 3 % du produit intérieur brut (PIB). En outre, la question de la dette est attaquée à la racine par le projet de loi, qui, en recherchant pour la SNCF une plus grande rentabilité, devrait conduire à minimiser sa progression annuelle. Votre rapporteur pour avis ne peut envisager que l’État reprenne la dette de la SNCF avant de s’être assuré que celle-ci ne puisse être reconstituée dans les mêmes conditions que par le passé. Ainsi, il préconise que le Gouvernement établisse un calendrier pluriannuel de déqualification ou de reprise de la dette et en limite l’impact sur les finances publiques, en respectant deux impératifs :

– que le déficit public ne dépasse pas 3 % du PIB ;

– que le pourcentage de dette de l’État par rapport au PIB ne dépasse pas 100 %.

a.   Dispositions relatives à la transposition de la directive 2012/34/UE modifiée (article 2)

L’article 2 habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi pour assurer la transposition de la directive  2012/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 établissant un espace ferroviaire unique européen, dans sa rédaction résultant de la directive (UE) 2016/2370 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2016 modifiant la directive 2012/34/UE en ce qui concerne l’ouverture du marché des services nationaux de transport de voyageurs par chemin de fer et la gouvernance de l’infrastructure ferroviaire.

Cette habilitation permettra d’organiser l’ouverture à la concurrence en mettant fin au monopole de SNCF Mobilités, mais également de refonder la gouvernance du groupe ferroviaire public.

i.   La fin du monopole de SNCF Mobilités et l’ouverture à la concurrence : vers une ouverture différenciée

L’habilitation faite au Gouvernement de transposer la directive 2012/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 est indispensable pour organiser l’ouverture à la concurrence. Elle permettra au Gouvernement de mettre fin au monopole de SNCF Mobilités actuellement organisé par le droit français, qui prévoit que l’ensemble des services de transport ferroviaire domestique est exercé par SNCF Mobilités ([4]). Il s’agit donc essentiellement de transposer l’article 10 de la directive qui pose le principe d’un droit d’accès des entreprises ferroviaires, à des conditions équitables, non discriminatoires et transparentes, à l’infrastructure ferroviaire de tous les États membres aux fins de l’exploitation de services de transport ferroviaire de voyageurs.

Votre rapporteur pour avis se satisfait de l’article proposé par le Gouvernement. Il recommande que l’ouverture à la concurrence, dont les modalités n’ont pas encore été précisées, soit bien réalisée selon celles qui semblent aujourd’hui envisagées, distinctes selon les catégories de lignes ferroviaires :

 une ouverture à la concurrence en open access pour les lignes à grande distance. Il s’agirait alors d’une concurrence « dans le marché », telle que décrite dans le rapport de M. Spinetta, caractérisée par un accès libre à l’infrastructure pour toute entreprise ferroviaire. Plusieurs acteurs agiraient ainsi simultanément sur un même segment de marché. La direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), entendue par votre rapporteur pour avis, indiquait que cette option était celle retenue à ce stade par le Gouvernement. Ce mécanisme présente l’avantage de laisser des marges de manœuvre à l’initiative et à l’innovation. Il créé des incitations à réduire les coûts, à améliorer la qualité de service et à satisfaire les clients, car la compétition entre entreprises est continue. Il permet une ouverture progressive à la concurrence, par une entrée échelonnée de nouveaux acteurs sur le marché. En outre, un tel choix n’empêche pas la péréquation : celle-ci serait en effet opérée par une modulation des droits de péages, pour inciter les opérateurs à prolonger leur ligne jusqu’à une desserte dite « terminale ». Ainsi, le train longue distance Paris-Lyon serait incité à prolonger sa desserte jusqu’à Chambéry par un droit de péage plus faible sur le tronçon « Lyon-Chambéry ». Il en irait de même pour le TGV Paris-Bordeaux, qui pourrait prolonger son trajet jusqu’à Hendaye. Ce système requière toutefois qu’une attention soit portée à la coordination de l’offre des différentes entreprises, ainsi qu’à la stabilité de cette offre, et que des règles précises et efficaces d’attribution des sillons soient définies. De plus, et comme indiqué par l’Agifi à votre rapporteur, il est indispensable de préciser les conditions de réalisation et la prise en compte des résultats du « test d’équilibre économique » pratiqué par l’ARAFER, de manière à ce que celui-ci ne devienne pas un prétexte pour ne pas ouvrir à la concurrence une ligne longue distance. En effet, à ce jour, l’ARAFER peut autoriser les autorités compétentes à limiter le droit d’accès des nouveaux opérateurs aux infrastructures si elle établit que cela porterait atteinte à l’équilibre économique d’un contrat de service public existant. La France devra être attentive aux choix posés dans le cadre de la redéfinition de ce test, actuellement en cours au niveau de la commission européenne ([5]).

 une ouverture à la concurrence sous forme de franchises pour les services conventionnés. Il s’agit ici d’une concurrence « pour le marché », caractérisée par l’exploitation de services dans le cadre de contrats de service public (les « franchises »).  Ces contrats seraient attribués par appels d’offres et donneraient à leur titulaire des droits exclusifs sur un segment de marché déterminé, pour une offre, une durée et une « plaque » géographique précises. Ce mode d’organisation, qui parait naturel pour les services non rentables, peut également être appliqué à des services rentables. L’autorité organisatrice de transports pourrait ainsi associer des lignes rentables à des lignes non rentables pour organiser une péréquation interne et attirer des candidats sur tous les lots. Ce mécanisme a l’avantage de conserver à l’autorité organisatrice le contrôle de l’offre. La présence d’un opérateur unique, lié par une convention, garantit par ailleurs la maitrise des coûts pour les finances publiques, mais également la stabilité de l’offre ou la coordination de plusieurs services conventionnés. En outre, les régions, autorités organisatrices de transport, pourront fixer dans le cahier des charges annexé à l’appel d’offres des exigences en matière de régularité, de fréquence, ou d’autres critères, et ainsi bénéficier de davantage de marges de manœuvre qu’elles n’en ont aujourd’hui face à SNCF Mobilités. La bonne gouvernance du contrat par l’autorité organisatrice sera nécessaire pour garantir le maintien de la qualité de service, dans la mesure où un tel système n’introduit de mise en concurrence réelle qu’au moment du renouvellement des contrats et où, le reste du temps, la pression concurrentielle est faible.

ii.   La modification de la gouvernance : vers une indépendance renforcée

D’autres articles de la directive devront également être transposés en droit interne, comme le précise l’étude d’impact annexée au projet de loi :

– l’article 7, relatif à l’indépendance du gestionnaire d’infrastructure ;

– l’article 7 bis, relatif à l’indépendance des fonctions essentielles ;

– l’article 7 ter, relatif à l’impartialité du gestionnaire de l’infrastructure en ce qui concerne la gestion du trafic et la planification de l’entretien ;

– l’article 7 quinquies, relatif à la transparence financière ;

– l’article 7 sexies, relatif aux mécanismes de coordination.

Cet article permettra ainsi de transposer les dispositions applicables à SNCF Réseau et aux autres gestionnaires d’infrastructures, de manière à mettre en œuvre les garanties d’indépendance et les règles de fonctionnement en adéquation avec les enjeux liés à l’ouverture du marché domestique du transport de voyageurs. Il permettra ainsi de définir de manière plus précise les notions de « conflits d’intérêts » ou d’« influence décisive », pour lesquelles la législation actuelle est lacunaire. Votre rapporteur pour avis se félicite de ce renforcement annoncé des garanties d’indépendance du gestionnaire d’infrastructure. Il souhaite préciser explicitement que ces garanties s’appliquent à l’ensemble des missions du gestionnaire d’infrastructure SNCF Réseau, et non uniquement aux fonctions essentielles d’allocation des sillons et de tarification.

D’autres modifications de gouvernance devront être envisagées, relatives au statut de Gares & Connexions et au statut d’EPIC de SNCF Mobilités et de SNCF Réseau.

Le rattachement de Gares & Connexions à SNCF Mobilités ne semble plus apporter les garanties d’indépendance suffisantes. En outre, ce rattachement avait été conçu pour n’être que provisoire. Plusieurs solutions sont envisageables :

– le rattachement de Gares & Connexions à SNCF Réseau, puis l’identification de deux filiales, l’une consacrée au réseau et aux gares, l’autre au développement commercial ;

– le rattachement de Gares & Connexions à l’EPIC de tête, sous la forme d’une société anonyme.

Ainsi, l’ARAFER « rappelle que les seules solutions garantissant une réelle indépendance du gestionnaire des gares seraient la création d’une filiale de SNCF Réseau ou la création d’une société anonyme à capitaux publics ».

Le premier scénario, celui du rattachement à SNCF Réseau, en tant que direction dédiée ou filiale, semble plus simple à mettre en œuvre. C’est la solution préconisée par le rapport de M. Spinetta, qui note que le rattachement du gestionnaire de gares au gestionnaire de réseau a été opéré dans plusieurs États européens, notamment en Autriche, en Grande Bretagne ou en Espagne. Ce rattachement à SNCF Réseau parait de nature à garantir une plus grande efficacité dans l’exploitation, ainsi que dans la programmation et dans la réalisation des investissements. Il ferait également disparaitre certaines incohérences sources de complexité (ainsi, les quais de gare sont aujourd’hui rattachés à SNCF Réseau, mais les bâtiments d’accueil des voyageurs à Gares & Connexions). Il conviendra toutefois d’être vigilant à ce qu’un tel rattachement ne nuise pas au développement des gares, compte tenu des contraintes et priorités de SNCF Réseau en matière d’investissements, et de la dette importante qu’assume le gestionnaire d’infrastructure : le schéma de filialisation le plus fin possible devra être étudié.

Le second scénario présente l’avantage d’isoler Gares & Connexions de la dette de SNCF Réseau, et de permettre un investissement potentiel plus important dans les gares. C’est la solution préconisée par la proposition de loi présentée par les sénateurs Maurey et Nègre. Le gestionnaire Gares & Connexions, auditionné par votre rapporteur, privilégie également ce scénario, qui lui donnerait une plus grande autonomie et encouragerait un plus grand développement commercial. Cette structure permettrait également d’envisager une ouverture du capital, dans un contexte ou le « travel retail », le secteur du commerce de gare, est extrêmement attractif pour les investisseurs. Ce scénario a pour inconvénient de rendre moins net le partage des responsabilités de terrain.

Pour l’ensemble de ces raisons, votre rapporteur pour avis préconise plutôt le premier scénario, c’est-à-dire le rattachement de Gares & Connexions sous la structure SNCF Réseau.

Par ailleurs, l’ARAFER précise que « la séparation du gestionnaire des gares ne peut se concevoir sans doter ce dernier des ressources financières et humaines suffisantes pour qu’il constitue un gestionnaire de plein exercice ». Votre rapporteur pour avis sera également attentif à ce dernier point.

Gares & Connexions, le gestionnaire de gares

SNCF Gares & Connexions est une branche de la SNCF, rattachée à SNCF Mobilités, chargée de gérer et de développer les gares « voyageurs » du réseau ferré national. Elle a été créée le 7 avril 2009 en réponse aux conclusions du rapport confié par le Premier ministre à Mme Fabienne Keller, pointant la nécessité d’investir dans des gares plus ouvertes sur la ville et multimodales. Elle a été rattachée à SNCF Mobilités à la suite de la réforme ferroviaire adoptée en 2014.

La branche a trois missions principales :

 la gestion du patrimoine : il s’agit de « moderniser les gares pour en faire des destinations de choix au cœur des transports ». À ce titre, Gares & Connexions est chargée de l’entretien et de la rénovation des près de 3 000 gares du réseau ferroviaire français ;

 l’offre de services : il s’agit d’« imaginer et animer des gares pratiques, utiles et accueillantes ». Gares & Connexions tend essentiellement à développer des surfaces commerciales au sein des gares. Toutefois, la branche propose aussi d’autres services, comme le déploiement du Wifi ou l’organisation de manifestations artistiques ou culturelles (à l’image du projet « un piano en gare ») ;

 l’exploitation : il s’agit de « gérer au quotidien 15 000 départs de trains et 10 millions de voyageurs dans 3 000 gares ». Gares & Connexions assure également la sécurité (c’est dans ce cadre qu’ont été installés des portiques de sécurité au départ de certaines lignes). Elle prend enfin en charge l’information aux voyageurs (signalétiques, agents mobiles, annonces en gare, bureaux d’accueil, etc.) et organise l’accessibilité. 

SNCF Gares & Connexions emploie près de 4 000 collaborateurs répartis dans quatre familles de métiers : le développement (29  %) ; l’exploitation et la commercialisation (7  %) ; la gestion de site et le patrimoine (19 %) ; la maintenance et les travaux (45 %).

La question du statut d’EPIC de SNCF Mobilités et de SNCF Réseau doit également être examinée, pour tenir compte des conséquences de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne rendu le 3 avril 2014 ([6]). Le rapport de M. Spinetta recommande une transformation de SNCF Mobilités en société nationale à capitaux publics détenue en totalité par l’État et dont les titres seraient incessibles. Ceci permettrait notamment une progression de la liberté contractuelle, un renforcement des fonds propres, le développement d’activités nouvelles par la suppression du principe de spécialité et la responsabilité renforcée des instances de contrôle. Un tel statut serait, en outre, plus responsabilisant pour l’entreprise comme pour l’État et permettrait une gouvernance plus « moderne », plus souple et plus efficace. Enfin, un tel statut limiterait la capacité d’emprunt et les risques de dérives de la dette, puisque, à la différence d’un EPIC, une société ne peut présenter de capitaux propres négatifs de manière durable. SNCF Réseau et
SNCF Mobilités, entendus à ce sujet, étaient favorables au passage du statut d’EPIC à celui de société nationale à capitaux publics, que votre rapporteur pour avis soutient également. Votre rapporteur tient à insister sur le fait qu’un tel statut garantirait que les entités restent publiques, puisque les titres ne pourraient être cédés.

b.   Dispositions relatives à l’ouverture à la concurrence des services publics conventionnés de transport ferroviaire de voyageurs (article 3)

i.   L’ouverture à la concurrence des services publics conventionnés de transport ferroviaire de voyageurs

Le projet de loi habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure destinée à assurer l’ouverture à la concurrence des services publics conventionnés de transport ferroviaire de voyageurs. Cette habilitation recouvre plusieurs aspects complémentaires.

Le projet de loi habilite en premier lieu le Gouvernement à modifier l’organisation des services publics de transport ferroviaire de voyageurs et à définir les compétences respectives des différentes personnes publiques en la matière. Il s’agit, en particulier, de préciser expressément que l’État est également autorité organisatrice de transports, ce que la législation actuelle ne laisse que sous‑entendre.

Le projet de loi habilite également le Gouvernement à préciser les conditions dans lesquelles les autorités compétentes en matière de service public de transport ferroviaire définissent les spécifications des obligations de service public, ainsi qu’à préciser les conditions et procédures de passation et d’exécution des contrats de service public. En effet, si les régions sont, depuis la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (dite loi « SRU »), les autorités organisatrices de transports collectifs d’intérêt régional, elles ne disposent pas, aujourd’hui, de la liberté de déterminer le mode d’attribution ou l’opérateur attributaire de ces services ferroviaires d’intérêt régional : elles doivent en déléguer l’exploitation à l’opérateur historique SNCF Mobilités. Une modification de nature législative est donc nécessaire. La loi devra définir les procédures d’attribution qu’il appartiendra aux autorités organisatrices de transport de mettre en œuvre afin de garantir la régularité de l’attribution des contrats ([7]). Elle devra également indiquer les conditions dans lesquelles une autorité organisatrice de transport pourra procéder à une mise en concurrence anticipée, au cours de la période transitoire 2019-2023.

Par ailleurs, le Gouvernement est également habilité à préciser les conditions dans lesquelles il pourra être fait exception à la mise en concurrence, pour procéder à l’attribution directe d’un contrat de service public de transport. Le règlement CE n° 1370/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007 relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route pose le principe d’une obligation de mise en concurrence à partir du 25 décembre 2023 mais prévoit, à son article 5, six cas autorisant de déroger à ce principe de mise en concurrence :

– lorsqu’une autorité compétente conclut un contrat avec un opérateur interne à ses services et exerce sur eux un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services ;

– en cas de circonstances exceptionnelles ;

– pour les contrats dont la valeur ou l’objet sont inférieurs à certains seuils ;

– lorsque le marché et le réseau présentent des caractéristiques structurelles et géographiques particulières et que l’attribution directe permet l’amélioration de la qualité du service et/ou de son rapport coût-efficacité. Cette exception impose alors à l’autorité compétente de définir des critères de performance qu’il lui revient de faire respecter ;

– lorsque le gestionnaire d’infrastructure est simultanément l’exploitant du réseau ;

– en cas d’urgence.

La possibilité de recourir à ces dérogations est subordonnée à l’absence d’interdiction expresse du législateur national (sauf pour la mesure d’urgence, qui s’applique de droit dans tous les États membres). Comme l’indique l’ARF, « le droit français ne doit pas aller plus loin que le texte communautaire. Il ne doit donc pas interdire le recours aux exceptions prévues […]. La possibilité de prolonger un contrat en cas de circonstances exceptionnelles, notamment lorsque de nombreuses procédures d’appels d’offres sont en cours, peut permettre une meilleure fluidité du marché ». En conséquence, l’habilitation à légiférer par ordonnance permettra d’indiquer expressément que les dérogations mentionnées par le règlement européen sont applicables en France. La loi devra toutefois préciser de manière plus détaillée, et non sujette à l’interprétation, les conditions dans lesquelles il sera possible de les invoquer.

ii.   Le transfert des personnels

Le projet de loi habilite le Gouvernement à prévoir les conditions de transfert des salariés de l’opérateur historique vers l’entreprise remportant l’appel d’offres, ainsi que les garanties attachées à ce transfert ou encore les modalités d’application ou de mise en cause des conventions d’entreprise. Cette habilitation est également nécessaire : il s’agira, pour le Gouvernement, et comme l’indique l’étude d’impact, de fixer le cadre social et les modalités de transfert des salariés entre exploitants, pour concilier l’exigence de continuité du service public et la garantie des droits des agents. Le Gouvernement devra plus spécifiquement légiférer sur les sujets liés à la poursuite des contrats de travail des personnels nécessaires à l’exploitation et à la continuité du service public. Il lui faudra aussi prévoir un « sac-à-dos social », bagage de droits qui seraient expressément garantis aux salariés transférés (notamment en matière de conditions de rémunération, d’emploi des agents sous statut, d’affiliation au régime spécial de retraite, etc…).

Votre rapporteur pour avis recommande que les modalités du transfert soient toutes envisagées et que le mécanisme retenu constitue une garantie pour les salariés, en leur permettant de continuer à exercer leur métier, et en interdisant au nouvel acteur de sélectionner ceux qu’il souhaite reprendre ou non. Si les syndicats, que votre rapporteur a entendus, recommandent plutôt une « mise à disposition » par SNCF Mobilités auprès de nouveaux exploitants, il semble que le Gouvernement s’oriente davantage vers un dispositif inspiré du droit commun du travail, prévu à l’article L. 1224-1 du code travail régissant le transfert de personnel en cas de perte d’un contrat de service public. C’est également l’option préconisée par le rapport de M. Spinetta, qui recommande un transfert des contrats de travail sur le modèle de ce qui existe dans le secteur privé. Ceci requiert une modification législative, pour adapter l’article L. 1224-1 du code du travail au secteur ferroviaire. En effet, le droit actuel ne s’applique pas s’agissant du transport ferroviaire de voyageurs, notamment parce qu’il ne prévoit pas le cas des salariés régis par un statut particulier. Votre rapporteur approuve ce mécanisme de transfert, qui lui parait protéger, plus que contraindre, les salariés. Une période transitoire, pendant laquelle un « droit au retour » pourrait toutefois être envisagé en cas de faillite du nouvel opérateur peut être étudiée, mais ce droit au retour ne saurait être pérenne.

Votre rapporteur pour avis préconise de valoriser le volontariat des salariés et de ne faire appel au transfert obligatoire qu’en tout dernier recours. En effet, une transposition du droit commun du travail aurait pour effet de rendre le transfert obligatoire sous certaines réserves. Ceci satisferait l’ARF, qui estime qu’un « principe mesuré d’obligation individuelle de transfert doit être défini par la loi. Une situation où l’ensemble des personnels travaillant sur les TER pourraient refuser leur transfert ne garantirait pas la continuité du service public ». De même, le rapport de M. Spinetta indique que la loi devrait prévoir un transfert obligatoire, selon les mêmes dispositions que celles qu’applique SNCF Mobilités en matière de mobilité fonctionnelle et géographique : après le refus d’une première proposition de mutation, SNCF Mobilités serait contrainte de faire au salarié une seconde proposition ; un second refus entrainerait la rupture du contrat de travail. Cette solution parait équilibrée à votre rapporteur pour avis.

S’agissant du transfert des acquis, votre rapporteur pour avis recommande que le « sac à dos social » soit aussi complet que possible. Ce sac à dos devra comporter des éléments relevant du domaine de la loi, notamment les dispositions relatives à l’emploi, à la retraite et à la rémunération, et des éléments relevant du domaine de la convention collective, en particulier ceux relatifs aux facilités de circulation, ou à la politique de logement et de santé. Il s’agit d’assurer aux salariés la conservation des acquis du statut les plus importants, à défaut de leur garantir le transfert du statut lui-même. Des protections permettant de lutter contre la tentative du moins-disant social, dans un contexte où les coûts fixes sont importants et ne permettent pas aux entreprises de se différencier les unes des autres pour minimiser leurs charges et réduire leurs prix, doivent être prises. Ceci semble faire consensus. Ainsi, l’ARF précise également qu’il est « indispensable de garantir le maintien, pour chaque agent transféré, de sa rémunération et des avantages liés à son contrat et à son statut, sous réserve des évolutions générales ultérieures de ce statut ». De même, selon le rapport de M. Spinetta, la loi devra prévoir la garantie de certains droits bénéficiant aux salariés de la SNCF, notamment leur régime spécial de retraite ou le système des facilités de circulation. La loi devra alors préciser que les conditions particulières réservées aux salariés transférés ne constituent pas une rupture du principe d’égalité de traitement des salariés. Toutefois, une transposition complète du statut n’est pas envisageable, notamment parce qu’il comporte des dispositions en matière disciplinaire qui ne peuvent être imposées aux nouveaux entrants. La question de la possibilité de transfert des documents internes, qui ne relèvent pas de conventions collectives mais de pratiques managériales doit être étudiée et le périmètre du transfert arrêté de manière extrêmement précise.

Une concertation sociale spécifique sur ce point est indispensable.

iii.   Le transfert du matériel et des ateliers

Le projet de loi prévoit l’habilitation du Gouvernement à déterminer le devenir des matériels roulants et ateliers de maintenance reçus, créés ou acquis par SNCF Mobilités pour l’exécution d’un contrat de service public, en particulier les conditions de transfert ou de reprise de ces biens par les autorités organisatrices de transport ou, le cas échéant, les modalités d’indemnisation de SNCF Mobilités.

En effet, les services ferroviaires de transport de voyageurs conventionnés nécessitent l’utilisation d’un certain nombre de biens, matériels ou immatériels, aujourd’hui détenus par l’entreprise en monopole SNCF Mobilités (matériels roulants, ateliers de maintenance, etc.). Ces biens ont souvent fait l’objet d’un financement total ou partiel par les autorités organisatrices par le biais de subventions d’investissement. La mise à disposition de ces biens, qui sont strictement nécessaires à l’exploitation du service, est indispensable afin de lever une barrière à l’entrée pour les candidats aux futurs appels d’offres et de traiter les opérateurs de façon équitable. En outre, le règlement CE n° 1370/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007 relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route demande aux autorités organisatrices de « garantir un accès effectif et non discriminatoire à du matériel roulant adapté ». Il n’évoque pas les ateliers de maintenance mais la problématique est similaire. En effet, l’ARAFER indique que « l’exigence, pour toute entreprise ferroviaire, d’assurer la maintenance du matériel roulant est constitutive d’une barrière à l’entrée lorsqu’elle a pour corollaire la nécessaire construction d’installations de maintenance coûteuses ».

Une modification législative est nécessaire, dans la mesure où le dispositif législatif actuel concernant le matériel roulant s’appliquant aux services conventionnés de transport ferroviaire de voyageurs flèche sa mise à disposition auprès de SNCF Mobilités uniquement. Les ordonnances devront donc organiser leur transfert à l’autorité organisatrice de transport selon des modalités qui restent à préciser, puis leur mise à disposition des nouveaux entrants, éventuellement sous forme de location.

Le rapport de M. Spinetta recommande que la loi prévoie « la cession à l’autorité compétente, si elle en fait la demande, du matériel roulant utilisé pour l’exécution des services mis en concurrence, en contrepartie du versement de sa valeur nette comptable à la SNCF ». Il estime de la même manière que la loi doit prévoir que les autorités compétentes puissent reprendre la propriété des ateliers affectés de manière majoritaire à l’entretien des matériels roulant transférés, pour les confier à l’entreprise ayant remporté la mise en concurrence, pour un prix équivalent à la valeur nette comptable. L’ARF indique également que « la loi doit prévoir le transfert des ateliers dès lors qu’ils sont totalement ou majoritairement utilisés pour la poursuite des missions prévues par un contrat TER, ceci après versement d’une indemnité égale à la valeur nette comptable ». Elle recommande aussi que le transfert se fasse à la demande de l’autorité organisatrice de transports, mais ne soit pas obligatoire.

Votre rapporteur pour avis soutient ces propositions et veillera à leur transcription dans l’ordonnance à venir.

iv.   Le transfert des données de la SNCF pour l’organisation des appels d’offres

Le projet de loi prévoit l’habilitation du Gouvernement à définir les modalités de fourniture aux autorités organisatrices de transport, par les opérateurs titulaires d’un contrat de service public, des informations nécessaires pour mener une procédure d’attribution des contrats de service public.

Une telle transmission est indispensable. En effet, SNCF Mobilités dispose d’un grand nombre d’informations relatives à l’état des lignes ferroviaires, à la fréquentation, à la qualité de service, à la maintenance, à la sous-traitance, au personnel ou encore à la dégradation éventuelle du matériel roulant. Il est fondamental que ces données, nécessaires à l’organisation des appels d’offres, soient communiquées aux autorités organisatrices de transport afin que celles-ci puissent, par la suite, organiser la bonne information des éventuels candidats aux appels d’offres et les sélectionner sur les critères les plus pertinents.

À ce jour, il semble que SNCF Mobilités considère qu’une partie de ces données relève du secret des affaires et ne seraient pas nécessaires aux entreprises candidates. Selon l’Agifi, SNCF Mobilités ne transmettrait pas toutes les données. L’ARF indique également que si « la loi pour une République numérique oblige le transfert des données relatives aux services conventionnés à l’autorité concédante », les régions « estiment qu’à ce jour, les données transmises par SNCF Mobilités ne sont pas assez précises et que leur exploitabilité reste insuffisante ». L’ARF demande ainsi que « le cadre juridique en matière d’accès aux données soit précisé dès le vote de la loi, sans attendre 2019 ou 2023 ». C’est l’option qui semble à ce stade être retenue et votre rapporteur pour avis s’en félicite.

Les régions sont également « en faveur d’une disposition extrêmement claire dans la future loi, qui prévoirait la publication d’une liste de données minimales que SNCF Mobilités, puis les entreprises ferroviaires qui assureront le service, doivent fournir à l’autorité organisatrice de transports sans contestation possible […]. Cette liste serait publiée via un décret en Conseil d’État après avis de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) […]. La loi devra également prévoir la possibilité d’ouvrir une procédure de sanction devant l’ARAFER en cas de non-respect de ces obligations de transparence. »

L’ARAFER, auditionnée par votre rapporteur pour avis, recommande de la même manière qu’une liste la plus exhaustive possible soit établie, et qu’elle soit suivie d’un décret également très précis. Elle indique que « le recueil, par les autorités organisatrices, des informations relatives à l’exploitation des services ferroviaires puis leur mise à disposition auprès de l’ensemble des candidats intéressés par l’attribution du contrat de service public est un facteur déterminant d’une ouverture à la concurrence effective et réussie du transport ferroviaire de voyageurs ». L’autorité de régulation a publié le tableau suivant, recensant les données qu’elle estime devoir être transmises.

Données à transférer aux autorités organisatrices de transport

Type de données

Détail des données requises

Fréquentation

Historique des fréquentations (par tranche horaire) passées sur la durée de la convention ainsi que les données de fréquentation  prévisionnelle, par liaison (avec les hypothèses sous-jacentes).

Tarifs

Plan tarifaire complet par liaison et par catégorie d’usagers (abonnés, occasionnels, familles nombreuses, etc.).

Finance

Détail des charges et des recettes passées et prévisionnelles (avec les hypothèses sous-jacentes).

Plan de transport

Détail des roulements commerciaux et techniques par liaison avec détail de l’affectation des matériels roulants par liaison et par mission.

Matériel roulant

Inventaire du matériel roulant, détail de la trame de maintenance de chaque unité de matériel roulant.

Centres de maintenance

Localisation des centres de maintenance qui entretiennent le matériel roulant, détail des installations et équipements et cartographie d’utilisation par les différents matériels roulants, disponibilité des centres de maintenance (avec identification des capacités utilisées par les services conventionnés qui ont vocation à être libérées à l’échéance du contrat de service public en cours), comptabilité analytique des centres de maintenance.

Personnel

Liste des personnels, cartographie des compétences associées à chaque individu, affectation actuelle de chaque individu.

Source : ARAFER, « L’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs », mars 2018.

L’ARAFER indique que le législateur pourrait soit « renvoyer à un décret en Conseil d’État, pris après avis de l’ARAFER, le soin de préciser le contenu des informations concernées et les modalités de leur transmission », soit « confier au régulateur le soin de détailler la liste des informations à transmettre, après consultation publique ». De plus, elle indique que le législateur pourrait étendre ses compétences de l’Autorité en matière de règlement des différends à cette question de la transmission des données, et lui permettre d’appliquer une sanction administrative en cas de manquement des opérateurs ferroviaires à leurs obligations.

Votre rapporteur pour avis se satisfait de ces propositions et suggère qu’eu égard à la mission nouvelle de contrôle de la bonne transmission des informations qui incomberait à l’ARAFER, la nécessité et la possibilité de lui allouer des personnels supplémentaires soit étudiée.

c.   Dispositions diverses relatives à l’adaptation du système de transport ferroviaire à l’ouverture à la concurrence (article 4)

L’habilitation prévoit enfin la définition d’un socle minimal d’exigences à respecter par les bénéficiaires des contrats de services publics, de manière à garantir la continuité du service public, la sécurité des installations et des voyageurs, ou encore l’harmonisation des règles applicables à toutes les entreprises ferroviaires. Elle conduit également à fixer des règles de tarification maximale, notamment pour certaines catégories de voyageurs.

i.   L’harmonisation des contraintes minimales du service public

Le Gouvernement est habilité à définir et à harmoniser les contraintes d’exploitation des services de transport ferroviaire de voyageurs ainsi que les règles générales applicables à toutes les entreprises de transport ferroviaire, fixant des obligations de service public visant à établir des tarifs maximaux pour l’ensemble des voyageurs ou pour certaines catégories d’entre eux, ainsi que leurs modalités de compensation. L’article 3 du règlement CE n° 1370/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007 relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route précise en effet que « les obligations de service public qui visent à établir des tarifs maximaux pour l’ensemble des voyageurs ou pour certaines catégories de voyageurs peuvent […] faire l’objet de règles générales ».

Les mesures envisagées par l’habilitation viseraient ainsi, d’après l’étude d’impact, à définir les contraintes d’exploitation ainsi que les prescriptions tarifaires applicables à toutes les entreprises de transport ferroviaire. En effet, il existe aujourd’hui 8 tarifs sociaux nationaux mis en œuvre par SNCF Mobilités sur les services ferroviaires, à la demande de l’État (familles nombreuses, accompagnateurs de personnes handicapées civiles, réformés et pensionnés de guerre, etc.). Ces tarifs font l’objet d’une compensation financière versée par l’État pour les services d’intérêt national et par les régions pour les services d’intérêt régional.

Votre rapporteur pour avis est favorable à cette mesure, qui permettrait d’harmoniser les contraintes tarifaires exigées de l’ensemble des exploitants ferroviaires et garantirait aux groupes jouissant aujourd’hui de tarifs spéciaux de continuer à en bénéficier, auprès de tous les opérateurs.

ii.   La billettique et les droits des passagers

L’habilitation faite au Gouvernement s’étend également à la question des systèmes de billettique et d’information des usagers. Le Gouvernement devra ainsi, par ordonnance, préciser les règles en matière de vente, d’information, d’assistance, de réacheminement et d’indemnisation des voyageurs.

En effet, le système billettique et de distribution actuel, mis en œuvre par SNCF Mobilités, ne parait pas pouvoir être remplacé à court terme. Certes, plusieurs régions travaillent au déploiement de systèmes propres, mais ceux-ci ne seront pas opérationnels avant plusieurs années. La loi doit donc prévoir, comme le recommande d’ailleurs le rapport de M. Spinetta, que le système billettique de la SNCF soit ouvert aux autres entreprises régionales dans des conditions assurant l’égalité de traitement, et ce pour la période transitoire courant de 2019 à 2023.

L’ARF indique que « les régions participeront à tout système commun et indépendant agrégeant l’information et la vente de billets. Dans l’attente d’un tel système, SNCF Mobilités doit expliciter les modalités de fonctionnement et d’accès à ses systèmes d’information voyageurs et de réservation permettant la commercialisation des billets ». Elle indique également que « la loi et la réglementation doivent organiser la continuité de la vente aux guichets physiques des billets ferroviaires de tous les opérateurs, TER et longue distance, avec obligation de réciprocité ».

De plus, comme indiqué par l’association des usagers du rail normand (ADURN), il est essentiel de replacer l’usager au cœur de la réforme et de faire en sorte que celle-ci soit source de simplification et non de complexification pour lui. À cet égard, il importe de garantir que l’achat de billets, éventuellement pour un voyage en correspondance impliquant des portions gérées par plusieurs transporteurs, ne soit pas plus complexe qu’il ne l’est aujourd'hui, que l’ensemble des portions puisse apparaitre sur un seul et unique titre de transport, et que la réservation puisse être faite en une seule fois. Un voyageur effectuant le trajet Paris-Marseille, en sélectionnant un opérateur pour la portion Paris-Lyon, et un second pour la portion Lyon-Marseille, devra pouvoir acheter son billet en une seule opération, et disposer de l’ensemble des informations sur un même titre de transport.

En ce qui concerne les abonnements, l’ADURN recommande d’étudier la possibilité d’un abonnement sur un « trajet », par exemple « Paris-Rouen-Paris », qui serait valable auprès de tous les transporteurs opérant sur cette ligne (de manière à ne pas limiter les abonnés à un seul horaire et à un seul opérateur, et à leur permettre d’ajuster leur trajet en cas de modification de leurs contraintes horaires).

Au-delà de la billettique, il s’agit également de garantir le respect des droits des voyageurs, notamment en cas de retard ou d’annulation de train. En effet, dans le contexte de l’ouverture à la concurrence, qui conduira à la coexistence de plusieurs opérateurs, le sujet des droits et obligations des voyageurs, notamment sur des trajets en correspondance, doit faire l’objet d’une prise en compte particulière et doit être intégré dans la législation à venir.

C’est ce que permet cet article et votre rapporteur pour avis sera attentif à sa traduction dans les ordonnances.

iii.   Les modalités de gestion des gares

Le projet de loi habilite le Gouvernement à modifier les modalités de gestion et d’exploitation des gares de voyageurs utilisées principalement par des services publics de transport ferroviaire, en permettant, notamment, aux autorités compétentes d’inclure à leur demande, dans le périmètre des contrats de service public de transport ferroviaire de voyageurs, tout ou partie des prestations de gestion ou d’exploitation de gares.

La France compte près de 3 000 gares, très hétérogènes. Parmi celles-ci, certaines, de petite taille, sont gérées selon le modèle du « transporteur‑intégrateur ». Ce modèle consiste en la réalisation de prestations régulées au profit de Gares & Connexions par des personnels des entreprises ferroviaires déjà présents en gare. Lorsque ce modèle s’applique,
Gares & Connexions délègue ainsi aux transporteurs (TGV, TER, Transilien…) de SNCF Mobilités l’exécution de prestations telles que l’information aux voyageurs, le préchauffage des rames, ou encore l’ouverture et la fermeture de la gare. Ce modèle opérationnel est particulièrement intéressant dans les petites gares et haltes ferroviaires, où les prestations ne justifient pas la présence d’agents de Gares & Connexions à temps plein. À cet égard, une disposition législative est nécessaire pour modifier les compétences des autorités organisatrices de transport et inclure, le cas échéant, le service en gares dans le périmètre des appels d’offres pour les TER, tout en précisant la liste des missions et des gares éligibles.

D’autres questions annexes devront être résolues en ce qui concerne la gestion des gares :

– votre rapporteur pour avis attire l’attention sur la nécessité d’attribuer les espaces qui ne le sont pas encore, soit à Gares & Connexions, soit à SNCF Réseau. Ces espaces non alloués, le plus souvent des places devant les gares, freinent voire empêche le développement de projets commerciaux et peuvent poser des difficultés juridiques en cas d’incident ;

– votre rapporteur pour avis insiste sur l’importance de conserver la péréquation qui existe aujourd’hui entre les gares. Il ne serait pas souhaitable de transférer les gares locales aux régions, et de ne faire conserver à
Gares & Connexions que les quelques gares les plus rentables (une trentaine le sont, sur 3 000). Ceci mettrait fin à la péréquation qui existe aujourd'hui et minimiserait les économies d’échelles et les investissements possibles dans les petites gares ;

– votre rapporteur pour avis recommande d’accroitre la transversalité au sein du groupe. En effet, deux gares construites récemment sans coordination avec Gares  et  Connexions – Rosa Parks et Montpellier – sont aujourd’hui en difficulté et témoignent que l’absence d’intégration initiale des projets de développement commercial au projet de gare ferroviaire empêche la réalisation d’une infrastructure optimale, bien intégrée au tissu local.

En revanche, votre rapporteur note avec satisfaction que Gares et  Connexions affirme ne pas s’inquiéter de la demande de locaux de vente de billets qui pourrait lui être adressée par de nouveaux opérateurs sur le marché
– et auquel il serait tenu de donner satisfaction au détriment des espaces commerciaux ou d’attente. En effet, il semble que les nouveaux opérateurs vendront essentiellement en ligne, ou n’installeront de guichet physique que dans les plus grandes gares. De même, votre rapporteur salue le fait que
Gares & Connexions prépare, pour octobre 2018, un mécanisme d’affichage relié à tous les opérateurs, qui seraient eux-mêmes chargés de le renseigner pour indiquer les retards ou informations à destination des voyageurs.

iv.   La sécurité et la surveillance

Enfin, la loi habilite également le Gouvernement à adapter la législation, afin de tenir compte de la création d’autres gestionnaires d’infrastructures et de leur possibilité de recourir à la sécurité privée. Il s’agit également de prendre en considération l’évolution du rôle même de la surveillance générale réalisée par la SNCF « de tête » par rapport aux autres gestionnaires d’infrastructures, entreprises de transport ferroviaire et autorités organisatrices de transport, ainsi que des conditions dans lesquelles doit s’exercer la régulation des prestations fournies.

En effet, la SNCF assure des prestations de sécurité des personnes et des biens pour l’ensemble des acteurs du système ferroviaire, dans le cadre d’un service interne de sécurité communément dénommé « surveillance générale » ou « SUGE  ». Ces prestations n’ont pas de caractère obligatoire mais sont régulées. Ainsi, l’article L. 2251-1-1 du code des transports indique que le service interne de sécurité de la SNCF réalise cette mission au profit de SNCF Réseau, de
SNCF Mobilités et de l’ensemble des autres entreprises ferroviaires utilisatrices du réseau ferré national ainsi que de leurs personnels, à leur demande et dans un cadre formalisé. La SNCF publie chaque année un document de référence et de tarification des prestations de sûreté. L’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières émet un avis conforme sur la tarification de ces prestations. De plus, l’EPIC SNCF « de tête » assure d’autres missions transverses au bénéfice de l’ensemble du système ferroviaire, notamment en matière d’innovation et de recherche, d’interopérabilité et de normes, et d’accessibilité.

Les mesures envisagées viseraient donc à définir les conditions de fourniture et les modalités de régulation des prestations rendues par les entités du groupe public ferroviaire au profit de l’ensemble des acteurs du système de transport ferroviaire national. L’EPIC SNCF « de tête », entendu par votre rapporteur pour avis, recommande que la SUGE devienne la « police de tout le secteur ferroviaire », et que tous les opérateurs entrant sur le marché soient contraints d’y recourir. Il s’agirait, ainsi, d’harmoniser les contrôles et les pratiques en matière de sécurité, ce que ne permettrait pas l’action simultanée de 6 ou 7 services de sécurité internes propres à chaque entreprise. Le rapport Spinetta recommande également de clarifier le rôle de la surveillance générale et son financement, d’adapter sa gouvernance pour en garantir l’indépendance et d’y associer l’ensemble des parties prenantes. À cet égard, il faudra décider à quelle entité juridique rattacher cette fonction essentielle. Enfin, l’Agifi suggère, en matière de sécurité, de donner davantage de moyens et de rendre plus attractif l’établissement public de sûreté ferroviaire (EPSF), pour garantir que l’ouverture à la concurrence ne se traduise en aucune manière par une dégradation de la sécurité. Il faut, pour cela, veiller à pourvoir les postes vacants au sein de l’EPSF, et ce d’autant plus que ses responsabilités d’homologation ou de contrôle vont être accrues par la multiplication des opérateurs.

Votre rapporteur pour avis sera attentif aux suites qui seront données à ces propositions et aux options qui seront retenues.

 


—  1  —

   examen en commission

I.   Discussion générale

Lors de sa réunion du mercredi 3 avril 2018, la commission des affaires économiques a procédé à l’examen pour avis du projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire (n° 764), sur le rapport de M. Damien Adam, rapporteur pour avis.

M. le président Roland Lescure. Mes chers collègues, notre commission s’est saisie pour avis du projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire (n° 764). Ce texte a été renvoyé au fond à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire qui commence en ce moment même la discussion générale. Le projet est inscrit à l’ordre du jour de la séance publique à partir du lundi 9 avril.

Le texte examiné en conseil des ministres et déposé à l’Assemblée nationale le 14 mars dernier présente un ensemble de mesures autorisant le Gouvernement à légiférer par habilitation – autrement dit par ordonnances –, en vertu de l’article 38 de la Constitution. Vendredi dernier, le Gouvernement a annoncé que l’avancée des discussions avec les partenaires sociaux permettait de transcrire les dispositions normatives relatives aux modalités de l’ouverture à la concurrence dès l’adoption du projet de loi et il a déposé plusieurs amendements en ce sens devant la commission du développement durable.

On peut le regretter, évidemment, car cela rend notre examen pour avis de ce texte un peu plus compliqué. On peut aussi s’en féliciter, car cela garantira davantage les prérogatives en matière d’amendements des parlementaires et limitera d’autant les ordonnances. Vous aurez toute latitude pour déposer des amendements la semaine prochaine, pour la séance publique.

Aujourd’hui, l’essentiel de nos débats portera sur la discussion générale et l’examen des amendements : cinquante-trois amendements ont été déposés sur ce texte, vingt-cinq ont été retirés, six ont été déclarés irrecevables au titre de l’article 38 de la Constitution – ils constituaient une extension de l’habilitation – et deux ont été déclarés financièrement irrecevables par la commission des finances. Nous aurons donc à examiner vingt amendements, après la présentation d’une dizaine de minutes de notre rapporteur pour avis, M. Damien Adam, et la discussion générale.

M. Damien Adam, rapporteur pour avis. Je suis très heureux que la commission des affaires économiques se soit saisie pour avis de ce projet de loi d’habilitation, et très honoré d’avoir été désigné rapporteur pour avis. La commission des affaires économiques se veut la commission du quotidien et le chemin de fer fait partie du quotidien des Français – plus de quatre millions de voyageurs l’empruntent chaque jour.

Personne ne niera que le système ferroviaire français est en crise depuis plusieurs années. Alors que les réformes se sont succédé depuis la fin des années quatre-vingt-dix, il ne semble plus répondre aux attentes des citoyens et satisfaire leurs besoins de mobilité. Retards, annulations, trains vétustes, prix croissant des billets, les critiques adressées à la SNCF sont nombreuses et légitimes : plus d’un train Intercités sur trois arrive en retard aux heures de pointe et 25 % des retards sont supérieurs à vingt minutes. Une part importante des incidents rencontrés par les usagers est imputable à l’état déplorable du réseau et des matériels. À ce sujet, la majorité des personnes que j’ai auditionnées a regretté l’investissement massif dans les lignes TGV au cours des dernières années, au détriment des mobilités du quotidien et de l’entretien du réseau existant.

Pendant des décennies, l’État n’a pas réalisé les investissements nécessaires et c’est visible ! 20 % du réseau fonctionnent au ralenti. Il fallait, par exemple, une heure quarante‑cinq pour faire le trajet Paris-Le Havre en 1973, il faut aujourd’hui en moyenne deux heures sept…

En conséquence, la fréquentation décline et le système ferroviaire est exposé à une concurrence féroce : celle du transport aérien – en particulier à bas coût –, mais également celle du transport par autocar ou par covoiturage.

En outre, le groupe ferroviaire public est lourdement endetté, à hauteur de près de 50 milliards d’euros. Cette dette ne lui permet plus d’investir pour rénover ou moderniser ses infrastructures afin d’enrayer la dégradation générale. L’État n’a pourtant pas réduit son engagement dans la SNCF : nous versons chaque année quatorze milliards pour le bon fonctionnement de l’entreprise – soit plus que les budgets de la police et de la gendarmerie réunis !

Ces critiques nombreuses, et pour la plupart fondées, semblent requérir une réforme de grande ampleur de l’ensemble du système. La compétence individuelle ou collective des cheminots ne saurait, en aucune manière, être remise en cause. Bien au contraire, il est essentiel de rappeler leur immense professionnalisme, leur expérience et leur savoir-faire exceptionnels. Il n’a jamais été question de vilipender les cheminots ! Ceux qui réduisent le débat aux polémiques qui n’ont rien à voir avec la réforme ne font qu’écarter les questions de fond.

Le constat est simple : si la situation actuelle est si dégradée, c’est que le système lui‑même est vicié. Il est donc impératif de le réformer globalement. C’est ce que propose le présent projet de loi. Par cette réforme, le Gouvernement définit le nouveau cadre du système ferroviaire français, qui s’appuiera sur une modification de son organisation et de sa gouvernance, ainsi que sur une ouverture à la concurrence du marché national.

Cette réforme sera en partie opérée par ordonnances. Je souhaite revenir sur ce point. Le recours aux ordonnances me semble justifié : il s’agit de légiférer rapidement, afin de mettre en œuvre progressivement la réforme, tout en respectant nos engagements européens. Il s’agit également de ne pas réitérer les erreurs du passé, lors de l’ouverture à la concurrence du fret : attendre le dernier moment avait conduit à appliquer une réforme massive de manière brutale, ce qui avait fortement déstabilisé le système. Cette anticipation et cette progressivité sont réclamées par tous les acteurs que j’ai auditionnés.

Par ailleurs, de manière générale, l’habilitation me semble tout à fait équilibrée : elle est précise, tout en offrant suffisamment de marges de manœuvre pour permettre aux discussions sur les modalités de l’ouverture à la concurrence de se poursuivre et à leurs conclusions d’être prises en compte. Elle ne restreint ni le débat parlementaire, ni la concertation, notamment avec les syndicats.

Enfin, je salue l’engagement pris par le Gouvernement d’amender le projet de loi pour y inclure progressivement tous les points qui feront l’objet d’un accord avec les syndicats représentatifs. Cela explique que des amendements aient été déposés ce week-end. Ils seront examinés par la commission du développement durable. Ils apportent plusieurs précisions au projet – dates d’ouverture à la concurrence des trains express régionaux (TER) et des trains Intercités, dérogations à l’ouverture à la concurrence, transfert des contrats de travail et des données pour mener à bien les appels d’offres, tarifs sociaux et surveillance générale du système ferroviaire. D’autres amendements pourraient être déposés au moment de la séance publique.

S’agissant du fond, je souhaite revenir sur trois points.

Tout d’abord, l’ouverture à la concurrence est inéluctable, mais surtout souhaitable. Elle n’a pas été décidée parce que le libéralisme constituerait une fin en soi, mais parce qu’elle est apparue nécessaire pour revitaliser notre système ferroviaire, restaurer la qualité de service au profit des usagers et tendre vers un marché ferroviaire unifié au sein de l’Union européenne. Cette ouverture constitue une opportunité bien plus qu’une contrainte pour beaucoup des acteurs auditionnés, pour peu qu’elle soit organisée de manière satisfaisante.

Elle permettra de replacer l’usager au cœur du système ferroviaire. L’opérateur historique, comme tous les opérateurs entrants, sera incité à améliorer la qualité de son service, car c’est en grande partie sur ce critère que les entreprises se différencieront.

Par ailleurs, elle redynamisera le secteur ferroviaire et lui permettra de retrouver des parts de marché face aux autres modes de transport : plus de concurrence, ce sont aussi plus de trajets, de meilleurs services et une plus grande diversité de tarifs.

En outre, elle sera profitable aux gestionnaires d’infrastructures, historiques ou indépendants, et permettra d’améliorer le taux d’utilisation de notre réseau ferroviaire.

Elle est déjà à l’œuvre à l’étranger, en particulier dans la majorité des États européens et, dans ces pays, on constate une augmentation de l’offre et de la fréquentation des trains : en Allemagne, depuis l’ouverture à la concurrence en 1994, la fréquentation des trains a augmenté de 29 %. L’ouverture à la concurrence a également amélioré la qualité des services au public : en Italie, les nouveaux entrants ont mis à la disposition des voyageurs du Wi-fi gratuit à bord des trains à grande vitesse. À cela s’ajoute une baisse du coût du service ferroviaire de 20 % en Allemagne ou de 30 % en Suède. Enfin, on dénonce souvent l’augmentation du prix des billets ferroviaires, mais ils ont augmenté en moyenne de 15 %, contre 75 % dans l’aviation et 25 % pour les déplacements routiers…

En outre, l’ouverture à la concurrence est une chance pour le rayonnement de la France. La SNCF pourra gagner des marchés à l’étranger et rayonner dans son secteur de compétence. La réciprocité en matière ferroviaire au sein de l’Union européenne est le gage d’un développement commercial international pour nos entreprises. La France ne peut se permettre de rester en marge du mouvement en cours !

Cette mise en concurrence sera un succès si elle respecte quatre conditions : une augmentation de l’offre de trains ; une amélioration du service proposé ; une augmentation de la part modale du transport ferroviaire dans l’ensemble des transports en commun ; une absence d’augmentation de la dépense de la collectivité publique.

Je reviendrai rapidement sur la nécessaire réorganisation de la gouvernance du système ferroviaire français. Le Gouvernement souhaite être habilité à la moderniser par ordonnance. Je serai plus particulièrement attentif à trois points.

En premier lieu, le renforcement de l’indépendance du gestionnaire de réseau est indispensable. En effet, certains acteurs regrettent la porosité entre SNCF Mobilités et SNCF Réseau, qui présente un risque en matière d’ouverture équitable à la concurrence.

En deuxième lieu, le statut d’établissement public industriel et commercial (EPIC) de SNCF Mobilités, comme celui de SNCF Réseau, doit être examiné. Il faut moderniser la gestion du groupe, mais également l’empêcher de s’endetter de manière illimitée et déraisonnable, comme cela a été le cas par le passé. Le nouveau statut de la SNCF doit donc être négocié avant que l’État n’entame la reprise progressive de la dette – en la matière, le Gouvernement a indiqué qu’il prendra sa part de responsabilité.

En troisième lieu, le statut de Gares & Connexions doit être révisé. Son rattachement à SNCF Mobilités n’apporte plus des garanties suffisantes d’indépendance. À ce stade, deux solutions sont envisageables : un rattachement à SNCF Réseau ou un rattachement à l’EPIC de tête, sous la forme d’une société anonyme. Pour ma part, je suis favorable à la première solution.

Il convient d’être attentif au volet social de la réforme – ce n’en est pas le parent pauvre. Le projet de loi habilite le Gouvernement à prévoir les conditions de transfert des salariés de l’opérateur historique vers une entreprise remportant l’appel d’offres. L’amendement déposé par le Gouvernement apporte davantage de précisions et me semble satisfaisant. Il tient compte des avancées de la concertation engagée avec les organisations syndicales, avec un dispositif protecteur permettant d’assurer la poursuite des contrats de travail des salariés en cas de changement d’opérateur.

Le nombre de salariés transférés sera fixé par la SNCF au jour de la publication de l’avis d’appel à la concurrence. La désignation des salariés dont les contrats sont transférables obéira à des modalités définies par accord de branche. Le volontariat sera privilégié et l’employeur ne désignera des salariés que si le nombre de volontaires est insuffisant pour assurer la continuité du service public. Par ailleurs, des garanties seront transférées avec le contrat de travail : les salariés employés statutairement par la SNCF conserveront le bénéfice de la garantie d’emploi et leur affiliation au régime spécial de retraite. Tous bénéficieront du maintien de leur niveau de rémunération. Le maintien d’autres garanties, telles que les facilités de circulation, devra faire l’objet d’un accord de branche.

Pour conclure, les ordonnances devront régler des questions annexes, mais indispensables à une ouverture à la concurrence réussie : transfert du matériel et des ateliers, transfert de la billettique ou encore modalités de gestion des gares. Sur l’ensemble de ces points, des propositions ont été faites et sont analysées dans mon rapport.

Je veillerai à l’équilibre des choix dans le cadre de la discussion parlementaire et lors de la rédaction des ordonnances.

Mme Marie Lebec. Pour le groupe La République en Marche, ce projet de loi participe à la transformation profonde du pays, engagée par le Gouvernement et notre majorité. Nous souhaitons réinventer un modèle ferroviaire performant, dans le cadre d’un marché ouvert à la concurrence. Ce projet doit participer à la refondation globale de notre politique de mobilité au service des usagers et des transports du quotidien : une mobilité plus propre, plus intermodale, plus connectée et plus soutenable.

Le transport ferroviaire est la priorité de cette refondation. Les Assises nationales de la mobilité, lancées en septembre dernier dans tout le territoire, et la mission spécifique confiée à M. Jean-Cyril Spinetta ont permis de dresser un état des lieux complet et de formuler des propositions. Le diagnostic est sans appel : le système actuel est à bout de souffle. Le rapport Spinetta et les différentes évaluations de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) le soulignent : le financement du système n’est tenable ni pour les opérateurs, ni pour l’État. La dette croît de 3 milliards d’euros chaque année ! Le sous-investissement chronique a fortement dégradé les performances des infrastructures – 20 % du réseau fonctionne au ralenti et nos coûts de production ferroviaire sont bien supérieurs à la moyenne européenne. La qualité des services garantis aux usagers n’est plus satisfaisante. Dans son bilan du marché en 2016, l’ARAFER indique que 5 % des trains programmés ont été supprimés. De même, le taux de retard moyen s’élève à 18 % pour les TGV, 10 % pour les TER et 22 % pour les Intercités. Dès lors, les usagers se détournent progressivement du train comme moyen de transport. L’ARAFER s’inquiète de la décroissance constante de la part du ferroviaire dans les transports de voyageurs en France depuis 2011, à l’inverse de nos partenaires européens.

Il est donc impératif d’agir si nous voulons relancer le ferroviaire et pérenniser notre service public. L’ouverture à la concurrence participera à cette transformation et permettra de réorganiser l’ensemble du dispositif pour répondre davantage aux attentes des usagers, aux défis de l’innovation et au besoin de nouveaux services. Cette évolution est en discussion depuis de nombreuses années à l’échelle européenne, dans le cadre du quatrième paquet ferroviaire. Les régions attendent ce changement, tout comme les opérateurs – qui l’anticipent.

Le projet de loi répond à cette nécessité d’action. Ses articles 2, 3 et 4
– dont notre commission s’est saisie pour avis – visent à préparer et à définir les conditions de cette ouverture à la concurrence. Ce projet opère tout d’abord la transposition de la directive européenne du 14 décembre 2016 relative à l’ouverture du marché des services nationaux de transport de voyageurs par chemin de fer et à la gouvernance de l’infrastructure ferroviaire. La directive fixe les conditions d’indépendance, d’impartialité et de transparence du gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire. Cette transposition est essentielle pour assurer une concurrence saine et loyale entre tous les opérateurs vis-à-vis du gestionnaire de réseau.

Le projet de loi encadre également les procédures d’attribution par les régions des contrats de service public des TER. Pour s’adapter aux besoins de chacune des régions, l’ouverture progressive du marché sera proposée à partir de décembre 2019 pour les régions qui le souhaitent, des contrats pouvant être maintenues à la SNCF jusqu’en 2023.

Enfin, certaines dispositions visent à assurer une concurrence loyale sur les services billettiques des gares, l’utilisation des installations de services et des ateliers et la prise en charge des voyageurs. Nous saluons les résultats positifs de la concertation menée avec l’ensemble des acteurs et partenaires sociaux. Présentées vendredi dernier, les nouvelles dispositions viendront enrichir le texte et nos débats.

Cette ouverture du marché représente une véritable opportunité pour dynamiser le secteur et la fréquentation du transport ferroviaire, tout en maintenant le service public. Sur les grandes lignes, de nouveaux acteurs pourront proposer davantage de TGV. Les régions pourront, quant à elles, choisir de conserver ou de changer d’opérateur sur la base d’un cahier des charges précis.

L’État accompagnera cette transformation en investissant massivement dans la rénovation du réseau actuel, à hauteur de 3,6 milliards d’euros par an pendant dix ans. Tous les États européens ayant ouvert leurs marchés ferroviaires ont connu une hausse significative de leur fréquentation. C’est le cas en Suède, en Allemagne ou au Royaume-Uni. En Italie, entre 2012 et 2015, la concurrence pour les services de trains à grande vitesse a entraîné une augmentation de 49 % du nombre de passagers. La France – deuxième réseau ferré en Europe – doit aussi relever ce défi.

Nous sortirons alors d’un paradoxe très français : nos entreprises sont des leaders du transport. Elles innovent, remportent des marchés en Europe et partout dans le monde mais leur marché domestique est fermé ! Si nous voulons encourager l’innovation et développer les savoir-faire français dans le domaine de la mobilité ou de la ville durable, nous devons démontrer la performance et la compétitivité de nos acteurs chez nous, au service des usagers. La SNCF
– elle-même – joue le jeu de la concurrence à l’international.

Le projet de loi ainsi proposé est donc extrêmement ambitieux. Il place les besoins des usagers au centre des préoccupations. C’est un pacte, qui a fait l’objet d’une concertation exemplaire. Il remplit nos objectifs d’investissement.

M. Julien Dive. Je ne reviendrai pas sur le contexte de la mise en concurrence, ni sur celui de la réforme. Nous aurons l’occasion d’aborder ces sujets et d’en débattre en séance publique. Je ferai simplement trois remarques. La première est de pure forme : la logistique parlementaire est extrêmement déséquilibrée. Nous sortons de quelques mois sans beaucoup de textes et arrivons dans une période très chargée. Nous subissons un véritable goulot d’étranglement : je regrette que notre commission, saisie pour avis, siège en même temps que la commission du développement durable, ce qui ne nous permet pas de nous positionner par rapport à la commission saisie au fond. En outre, les amendements du Gouvernement sont arrivés hier, lundi 2 avril ! Vous n’y êtes pour rien, Monsieur le président, mais je tenais à le souligner car cela ne nous permet pas de produire un travail parlementaire de qualité.

La deuxième remarque que je ferai au nom du groupe Les Républicains concerne les territoires. La commission saisie au fond est bien celle « du développement durable et de l’aménagement du territoire ». Les termes ont leur importance. En France, l’organisation du secteur ferroviaire est au service d’un principe républicain important : l’égal accès aux services publics, partout où l’on se trouve. Nous serons particulièrement attentifs à l’équilibre territorial de ce projet, qui doit prendre en compte la France des territoires et les petites lignes. En effet, le train est parfois la seule solution pour aller travailler, se former, se soigner. C’est aussi lui qui irrigue les territoires en permettant leur désenclavement économique.

Cette réforme et la mise en concurrence doivent se faire en préservant l’ensemble des lignes de nos territoires.

Ma troisième remarque porte sur le projet de rapport, dont les pages 31 à 33 traitent des modalités de gestion des gares de voyageurs : je note votre attachement, Monsieur le rapporteur, à ce que la péréquation existant entre elles soit préservée. Selon vous, il n’est pas souhaitable de transférer les gares locales aux régions et de ne laisser que les trente gares les plus rentables dans le giron de
Gares & Connexions, ce qui mettrait fin à la péréquation actuelle. Je suis assez d’accord avec vous sur le principe et j’espère que le groupe majoritaire adoptera la même position.

Enfin, et cela n’a pas encore été souligné, on doit garder à l’esprit que le maintien d’un service public de qualité dans le domaine de la mobilité ferroviaire dépend essentiellement de l’infrastructure. Si le réseau reste dans l’état actuel, ce n’est pas parce que les trains seront demain gérés par la Deutsche Bahn (DB) ou par Thello qu’ils rouleront mieux.

M. Jean-Luc Lagleize. Le projet de loi fait suite au rapport de la mission conduite par M. Jean-Cyril Spinetta sur l’avenir du transport ferroviaire. Ce rapport fait état d’une situation préoccupante sur le plan de l’efficacité et du service, où l’on observe une dégradation continue, et pose un diagnostic sévère sur la situation de la SNCF. Bien que la France continue de financer cette entreprise à hauteur de 14 milliards d’euros par an, le service se dégrade, les coûts d’exploitation sont en hausse constante et la dette augmente en parallèle de plus de trois milliards chaque année. Dans le même temps, le quotidien de nos concitoyens est marqué par des performances insatisfaisantes, notamment une multiplication des retards et des pannes, ces dernières conduisant parfois à des accidents graves. Une telle évolution de notre secteur ferroviaire, longtemps reconnu comme une référence au niveau mondial, n’est plus possible.

Sur la base de ce constat, le groupe du Mouvement démocrate et apparentés partage la conviction qu’une réforme globale du secteur est indispensable. Ce projet propose les mesures nécessaires pour réformer le système ferroviaire dans l’objectif d’assurer un meilleur service public au meilleur coût pour la collectivité. Nous devons faire évoluer la SNCF vers une organisation plus efficace et plus unifiée tout en maintenant le caractère public du groupe. Il faut créer un nouveau cadre pour l’emploi des salariés et améliorer la performance de la SNCF.

La réussite de l’ouverture des services domestiques de transport ferroviaire de voyageurs est l’un des quatre piliers du texte. C’est ce sujet que notre commission a choisi d’examiner en se saisissant pour avis des articles 2 à 4 du projet. Ces dispositions sont nécessaires pour transposer en droit national la directive établissant un espace ferroviaire européen, telle qu’elle a été modifiée par le quatrième paquet ferroviaire. Mon groupe, fervent défenseur de la construction européenne, se félicite de ces mesures qui favorisent l’intégration européenne dans ce secteur. L’ouverture à la concurrence sera encadrée et équilibrée, tant pour les usagers que pour les entreprises, et la continuité du service sera assurée. Il faut le rappeler car l’ouverture à la concurrence est parfois mal perçue en France. Nous sommes très attachés à nos services publics et à nos joyaux industriels et commerciaux. On doit percevoir cette ouverture à la concurrence comme une opportunité qui permettra aux usagers d’avoir accès à de meilleurs services et à nos entreprises d’exporter leurs savoir-faire et leur expertise chez nos partenaires européens. La réforme qui nous est proposée permettra de réussir cette évolution, au bénéfice des voyageurs, des cheminots et des régions, en posant les fondations d’une nouvelle SNCF, plus efficace, plus unifiée et plus réactive.

Nous regrettons toutefois que les mesures figurant dans ce texte ne soient pas traitées dans le cadre plus large de la mobilité : il est primordial de lier tous ces aspects. La segmentation du débat peut être préjudiciable à une politique nationale des transports et de la mobilité qui doit être exhaustive et à même de répondre aux multiples enjeux auxquels nos concitoyens sont confrontés. Nous avons besoin d’une réforme holistique, s’accompagnant d’une vraie réflexion sur l’aménagement du territoire et les mobilités du futur. Il est essentiel de ne pas omettre la question de la cohésion territoriale, sous l’angle du maintien des petites lignes, du renforcement des transports du quotidien, de l’amélioration de certaines lignes à grande vitesse et de l’intermodalité. L’enjeu est de désenclaver certains territoires tout en préservant les missions de service public, dans l’objectif de renforcer notre compétitivité et notre mobilité. Nous demandons une vraie réforme de la mobilité en vue d’offrir aux Français de meilleures dessertes, leur permettant de se déplacer et d’avoir un travail, ce qui favorisera l’inclusion sociétale.

Mon groupe soutient cette refonte nécessaire de notre modèle de transport ferroviaire dans un contexte d’ouverture à la concurrence, et appelle de ses vœux une réflexion sur les fractures territoriales que nous devons réduire. Nous nous félicitons par ailleurs que le Gouvernement ait trouvé, grâce à la concertation, les moyens de limiter le recours aux ordonnances dans le projet de loi.

M. Antoine Herth. Le groupe UDI, Agir et Indépendants voit ce texte arriver à l’Assemblée avec beaucoup d’intérêt. Il est vrai qu’il y a une certaine urgence : nous avons jusqu’au 25 décembre pour régler la question de l’ouverture à la concurrence des grandes lignes. Il faut donc agir rapidement et avec beaucoup de clairvoyance.

La première qualité de ce texte est la clarification qu’il apporte. Le Gouvernement précédent s’était déjà attaqué au sujet mais avait « calé » sur deux points : la dette et le statut. Clarifions ces points essentiels afin de permettre à la SNCF d’entrer dans la compétition en bénéficiant de la plénitude de ses moyens. Il faut aussi clarifier ce qu’est le service public. Ce n’est pas la SNCF : elle est une entreprise publique exerçant un service défini par une autorité politique, en l’occurrence l’État, qui se dote de la qualité d’autorité organisatrice de transport, comme c’est déjà le cas pour les régions et certaines agglomérations, dont les instances, élues, sont garantes de la notion de service public de transport. Ces autorités choisissent les opérateurs répondant au mieux au cahier des charges. Il est important de le dire : c’est la clef pour comprendre la problématique ferroviaire et pour sortir enfin de la confusion qui a empêché la France d’avancer sereinement sur cette question depuis des années.

En ce qui concerne l’article 2 du projet de loi, relatif à la transposition de la directive, nous souhaitons bien sûr que le Gouvernement reprenne les recommandations formulées dans le rapport Spinetta, c’est-à-dire une ouverture à la concurrence en open access avec le maintien des obligations de service public dont je viens de préciser les contours.

S’agissant de l’article 3, nous considérons que les recommandations de M. Jean-Cyril Spinetta doivent également être suivies, à savoir une ouverture rapide et provisoire, jusqu’en 2023, pour les régions qui le souhaitent, avec un encadrement très précis de la transmission des données pour les appels d’offres
– un accord de confidentialité est nécessaire lorsqu’il s’agit de données protégées. Il faut en outre prévoir des modalités particulières pour l’Île-de-France, car la RATP a réalisé des efforts considérables d’investissement dans les infrastructures et les équipements : on doit lui laisser le temps de les amortir en retenant un calendrier particulier.

Quant aux dispositions transversales de l’article 4, nous appelons à la vigilance sur les ateliers de maintenance : c’est un élément qui peut bloquer une concurrence saine et loyale. Comme le rapporteur l’a souligné, le Gouvernement doit en outre préciser rapidement sa position en ce qui concerne
Gares & Connexions. Les gares, en particulier en milieu rural, sont potentiellement des lieux de vie et de service public, à condition de faire évoluer leur statut et de mobiliser réellement l’énergie de la SNCF pour valoriser ce patrimoine, en en faisant des lieux d’échanges commerciaux et de services pour le public.

L’ouverture à la concurrence est une chance pour la SNCF, qui peut devenir très rapidement un opérateur important, comme elle a déjà prouvé qu’elle pouvait l’être dans un certain nombre de marchés européens, à condition que l’on règle les questions relatives au statut et, le cas échéant, aux accords de branche – c’est un élément particulièrement sensible à nos yeux.

Nous n’avons pas droit à l’échec, car ce projet de loi conditionne la réussite de la loi d’orientation sur les mobilités : le train constitue en quelque sorte une épine dorsale sur laquelle les autres moyens de mobilité viennent se greffer. Si nous réussissons ce texte, nous aurons une chance de faire en sorte que les Français regardent le XXIe siècle avec optimisme dans ce domaine.

M. Thierry Benoit. Excellent !

M. François Ruffin. Quand on n’a qu’un marteau, on voit tous les problèmes sous forme de clou. C’est le cas de la Commission européenne et, dans sa lignée, de ce Gouvernement. Vous n’avez, en effet, qu’une réponse à tout : l’ouverture à la concurrence, l’ouverture à la concurrence, l’ouverture à la concurrence ! Il y a par ailleurs un grand vide sur les questions environnementales. Ce vide est si grand que nos amendements visant à limiter le réchauffement climatique ont été déclarés irrecevables au motif que le texte ne mentionne nullement cette question : ils n’ont pu trouver de place dans ce projet de loi. Quand on parle de transport, l’environnement est pourtant une question centrale. Les émissions de gaz à effet de serre dans les transports ont augmenté de 6 % au cours des deux dernières années. Ce secteur est devenu le plus grand émetteur, 95 % du total étant dû au transport routier. On prévoit par ailleurs une augmentation de 39 % des émissions dans les prochaines années. Autrement dit, on s’habitue à la catastrophe climatique qui est annoncée, on avance tranquillement vers elle, sans qu’un texte comme celui-ci comporte le moindre acte fort dans ce domaine.

Que contient le projet de loi, en effet ? Il est une fois encore le fruit d’une technocratie libérale : il ne prévoit rien d’autre que l’ouverture à la concurrence et la libéralisation des marchés. Pourtant, cette même technocratie libérale a déjà fait beaucoup de mal au service public ferroviaire. Pourquoi est-il en panne ? Ce n’est pas à cause des cheminots, mais des décisions qui ont été prises, par exemple le choix de développer le TGV dans le cadre d’une politique de prestige. C’est l’État qui a demandé à la SNCF de desservir un certain nombre de villes, mais c’est elle qui a payé. Il y a eu en parallèle un abandon de certaines lignes, notamment dans le cadre des trains Intercités. Des milliers de kilomètres – 6 500, me semble-t-il – subissent des ralentissements. Moi qui suis un usager très régulier du rail partout en France, je peux vous dire que le service est remplacé par des cars dans des tas d’endroits, ce qui implique un niveau de confort très différent.

Un autre élément à prendre en compte est la séparation catastrophique entre le rail et le réseau, à partir de 1997. La SNCF a été complètement désorganisée et une vraie bureaucratie a vu le jour : la main invisible du marché a besoin de beaucoup de papier et de beaucoup d’organisation pour se mettre à fonctionner un peu. En l’occurrence, elle a très clairement dysfonctionné et on est plus ou moins revenu en arrière en 2014. Par ailleurs, la dette de SNCF Réseau a explosé. Elle a doublé en vingt ans à cause des choix concernant le TGV.

J’ajoute au passage que le rapport Spinetta annonce potentiellement le doublement du prix des billets : en Allemagne, ils coûtent deux ou trois fois plus cher qu’en France.

Nos propositions pour le rail sont simples : c’est à l’État de payer. Pour la route, c’est essentiellement l’État, les régions ou d’autres collectivités qui le font. Comment se fait-il que ce ne soit pas la même chose pour le rail ? De même, ce ne sont pas les péniches qui vont payer le canal Seine-Nord s’il est réalisé chez moi. Nous proposons ensuite une politique de rééquilibrage en faveur des petites lignes. Il faut aussi une taxe sur les camions. Sur ce point, devenons suisses : la Suisse a créé une redevance importante pour les poids lourds, ce qui a non seulement conduit à une diminution de la circulation des camions – on est passé de 1,4 million de camions par an à environ 650 000 – mais a aussi et surtout dégagé des moyens pour financer le rail. Voilà les propositions que La France insoumise fait dans ce débat.

M. Sébastien Jumel. Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine partage l’idée que cette réforme est adossée à une vision idéologique, qui consiste à épouser avec béatitude et enthousiasme les projets de Mme Thatcher, comme si une telle politique n’avait pas produit dans d’autres pays les conséquences que l’on sait.

Pour justifier cette approche idéologique, vous avez posé un diagnostic reposant sur des fakes news. La situation s’aggraverait de jour en jour à la SNCF et coûterait de plus en plus cher. Or, la SNCF a réalisé un chiffre d’affaires de 33,5 milliards d’euros en 2017 et un bénéfice net de 679 millions, soit trois fois plus qu’en 2016. La dette de la SNCF, nous dit-on – les ministères le répètent sans cesse sur les ondes –, augmenterait de 5 000 euros par minute. Cela revient à oublier les décisions prises par l’État, par exemple lorsque M. François Fillon a annoncé la réalisation de 2 000 kilomètres supplémentaires de TGV : on a creusé la dette de la SNCF en prévoyant des investissements non adossés à des financements. Autres fake news, on nous dit que le contribuable paie cher pour la SNCF – cela ne tient pas la route lorsque l’on regarde les investissements réalisés chez nos voisins européens – et on nous explique que le nombre de cheminots est trop élevé, ce qui coûterait cher à la SNCF, outre la question du statut. On compte pourtant 5 salariés pour 100 kilomètres de lignes en France, contre 6 en Allemagne – la compétitivité n’est pas de ce côté-là !

Sur la base de ce faux diagnostic, vous présentez l’ouverture à la concurrence comme l’alpha et l’oméga pour résoudre les maux de la SNCF. Vous oubliez de dire quels sont les problèmes : le sous-investissement, qui est notoire, la mise en miette de l’unicité de la SNCF et la désorganisation causée par les différentes mesures libérales que les sociolibéraux que vous êtes soutiennent depuis des décennies. Non, la SNCF ne saigne pas le contribuable. Non, elle n’a pas vocation à être inefficace en raison de son statut. Non, le statut des cheminots ne ruine pas la SNCF. Il y a aussi l’exemple de l’ouverture du fret à la concurrence, dont j’aimerais bien que l’on évalue le coût. On compte 45 000 décès prématurés liés aux émissions de gaz à effet de serre par an et 650 000 arrêts de travail liés à la pollution dans nos villes. En quinze ans, le nombre de camions a augmenté de 39 % à cause de l’abandon de la politique du fret. Il n’y a que 3 % de fret ferroviaire dans nos ports, notamment au Havre – je cite cet exemple parce vous êtes normand, Monsieur le rapporteur, ou du moins apparemment… – contre 30 % à Hambourg. L’ouverture à la concurrence du fret démontre que votre approche idéologique ne fonctionne pas.

Vous essayez de présenter les défenseurs du service public comme des partisans du statu quo. Nous allons tenter de montrer avec nos amendements à quel point ce n’est pas le cas : nous partageons avec les usagers du train l’idée qu’une telle galère au quotidien ne peut pas durer. La perte des savoir-faire a contribué à dégrader le service public ferroviaire et l’abandon des gares de triage, comme celle de Sotteville en Normandie, a contribué à la dégradation du service public. Nous allons proposer des solutions pour préserver nos lignes de vie, pour renforcer l’unicité de la SNCF, pour la désendetter et pour financer des investissements – je pense notamment à la mise à contribution des produits pétroliers et à l’élargissement du versement transport. Voilà autant d’amendements démontrant que l’on peut être attaché au service public sans être en faveur du statu quo pour ce qui va mal – c’est-à-dire ce qui résulte de vos politiques libérales.

M. Damien Adam, rapporteur pour avis. M. Dive a insisté sur le fait que la commission du développement durable examine le texte en même temps que nous. C’est vrai pour la discussion générale, mais l’examen des amendements ne débutera que ce soir à 21 heures : vous aurez tout loisir de participer à cette réunion.

La question de l’équilibre territorial et des petites lignes est extrêmement importante : le législateur doit être à l’affût afin d’éviter que des territoires se sentent délaissés à cause de la fermeture de certaines lignes.

Je ne reviens pas sur ce que vous avez dit, Monsieur Antoine Herth, au sujet des articles 2 et 3 – vous proposez de reprendre les préconisations du rapport Spinetta, ce qui me paraît intéressant. En ce qui concerne les gares dans les zones rurales, une réflexion est en cours sur les nombreuses innovations possibles pour en faire de vrais lieux de service public et d’échange. Pourquoi ne pas en faire, par exemple, des bureaux de poste ou des offices du tourisme, puisqu’il y a du passage. C’est un sujet qui a été évoqué dans le cadre des auditions que j’ai menées.

M. François Ruffin, vous avez regretté que votre amendement relatif à l’environnement et au réchauffement climatique n’ait pas été retenu : je ne vous savais pas favorable aux ordonnances au point de vouloir étendre leur champ…

Sur le fond, vous posez un vrai diagnostic : il faut avoir l’environnement et le réchauffement climatique à l’esprit lorsque l’on pense au ferroviaire. Et c’est précisément à quoi nous pensons en souhaitant ouvrir à la concurrence, ce qui, dans les autres pays européens, a permis de mieux remplir les trains : en Allemagne, plus 29 % de passagers au kilomètre. Cela se traduit par un véritable impact environnemental ; c’est aussi pourquoi nous devons ouvrir à la concurrence.

S’agissant les petites lignes remplacées par des cars, il serait intéressant d’observer les choix retenus lorsque l’on a fermé des lignes ferroviaires ; généralement ce sont des lignes qui ne sont même pas électrifiées, sur lesquelles circulent des trains au diesel. Aussi quand, pour une douzaine de passagers, on fait circuler un bus plutôt qu’un train, il me semble que le bilan écologique est meilleur.

Évoquant des fakes news, vous nous accusez de mentir sur les constats, mais, pour votre part, vous nous attribuez des mesures qui ne sont pas les nôtres. En effet, à aucun moment nous n’avons dit qu’il y avait trop cheminots. Il serait donc bon de parler de la réalité des faits, de la réalité des propositions. Surtout, j’apprécierais que vous nous disiez si vous êtes d’accord ou non avec le constat porté sur la SNCF : fonctionne-t-elle bien ou pas ?

Au sujet de la dette, vous avez raison : elle est grandement due au fait que l’État a décidé de faire des grandes lignes, de faire du TGV, plutôt que de réaliser les investissements voulus par la base de la SNCF, par les cheminots. Or, l’État doit être conscient du rôle qui est le sien et ne doit pas prendre des décisions contraires à l’intérêt de l’entreprise.

Enfin, Monsieur Sébastien Jumel, vous avez insinué que je n’étais pas normand, au motif que je suis élu en Normandie mais que je n’y suis pas né.

M. Sébastien Jumel. Cela m’a échappé !

M. Damien Adam, rapporteur pour avis. Peut-être ce propos vous a-t-il échappé mais vous devez l’assumer ! Pour ma part, j’ignorais qu’il convenait de réduire les élus à leur lieu de naissance. Cette attaque est d’une bassesse sans nom, elle n’est pas digne de vous !

M. Alain Bruneel. Et l’attaque contre les cheminots ?

Mme Célia de Lavergne. Si quand on n’a qu’un marteau, on ne voit que des clous, quand on a des œillères, on a forcément une vision très limitée ! En fait,
Monsieur François Ruffin, vous regardez vers l’arrière, vers toutes les erreurs qui ont été faites tandis que nous, nous avons choisi de regarder vers l’avant et de nous atteler à une réforme essentielle. Vous dites que le service n’est pas en panne à cause des cheminots, mais personne n’a dit que tel était le cas : c’est le fruit d’un ensemble de facteurs et de décisions auxquels nous sommes déterminés à nous attaquer.

Vous prétendez que nous avons abandonné les Intercités. Or, en dépit des conclusions du rapport Spinetta, loin de s’attaquer aux petites lignes, le Gouvernement a décidé d’en créer, de les sanctuariser et de travailler avec les régions à leur pérennisation.

Vous dites enfin que la dette a explosé, que l’État doit payer pour le rail ; eh bien nous sommes d’accord puisque les investissements seront de 10 millions d’euros par jour pendant dix ans, soit bien davantage que ce qui a été fait jusqu’à présent.

Au total, on le voit, nous avons pris les choses en main.

M. Daniel Fasquelle. Je souhaite faire un rappel au règlement sur la base de l’article 87, alinéa 3, car il n’est pas normal d’organiser nos débats comme ils le sont. Nous examinons pour avis la partie du projet de loi portant sur la concurrence au moment même où se déroule, devant la commission compétente au fond, une discussion générale à laquelle nous aurions aimé participer. D’ailleurs notre discussion a des allures de discussion générale, puisque nous n’avons pas d’autre lieu pour nous exprimer.

Qui plus est, le Règlement prévoit que la commission saisie pour avis se réunit avant la commission saisie au fond afin que la seconde puisse examiner les amendements adoptés par la première. On peut donc se demander comment les choses vont se passer, à moins que ce calendrier signifie simplement que vous avez d’ores et déjà décidé que notre commission n’adopterait aucun amendement… Quand bien même nous en adopterions, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire devrait les examiner dès ce soir : est-ce ainsi que l’on fait un bon travail législatif ?

Quant au procédé qui consiste à remplacer les ordonnances annoncées par des amendements que le Gouvernement nous a fait parvenir le week-end de Pâques, j’y vois un manque de respect pour l’Assemblée nationale et notre commission.

Enfin, la ministre nous a informés cet après-midi qu’elle rencontrera jeudi prochain les syndicats pour parler de l’ouverture à la concurrence : la coupe est pleine, on se moque vraiment de nous !

Je compte sur vous, Monsieur le président, pour ne pas laisser passer ce genre de comportements, auxquels on finit par s’habituer mais qui sont inacceptables !

Sur le fond, le texte que nous examinons va dans la bonne direction par certains côtés, mais il ne va pas suffisamment loin. Je pense notamment à la gouvernance : si on ne sépare pas clairement l’infrastructure et les services, on va à la rencontre de difficultés. On l’a vu dans la téléphonie mobile, quand France Télécom était à la fois opérateur et gestionnaire du réseau : l’Autorité de la concurrence a été saisie et on a fini par bien séparer les deux, comme cela a été fait partout car certaines infrastructures sont essentielles. Êtes-vous prêts à aller jusque‑là ?

Alors que l’ouverture à la concurrence porte sur les services proposés sur le réseau, vous laissez entière la question du réseau lui-même, de son état et de sa dette. Vous dites, Monsieur le rapporteur, qu’il n’est pas question d’investir davantage d’argent public dans le réseau, mais que va-t-il se passer si on ne le fait pas ? Et si de l’argent public doit être investi dans le réseau, notamment pour sauver les petites lignes, dites-nous qui le fera, quand et selon quel calendrier. Interpellez le Gouvernement à ce propos car il est inutile d’ouvrir à la concurrence un réseau sur lequel les trains ne pourront plus circuler parce qu’il sera complètement dégradé et délabré. Or, c’est bien ce que nous constatons tous dans nos circonscriptions.

Enfin, je suis préoccupé par l’avenir de la SNCF. Vous laissez la dette peser sur elle, vous ouvrez à la concurrence des lignes parmi les plus rentables. Ne risquez-vous pas ainsi de fragiliser l’établissement ? Allez-vous vraiment lui donner les moyens de concurrencer les nouveaux entrants sur le réseau ? Je suis rarement d’accord avec M. Ruffin, mais il a raison : l’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire a été une catastrophe ! Qu’allez-vous faire pour que l’ouverture à la concurrence du transport de passagers n’en soit pas une ?

M. le président Roland Lescure. Merci d’avoir évoqué les questions d’organisation mais je vous rappelle qu’il n’y a pas de rappel au règlement en commission. Toutefois, dans ma grande mansuétude, je n’ai pas décompté vos propos de votre temps de parole.

Sur le fond, j’aurais préféré que nous nous réunissions la veille, mais c’était le lundi de Pâques. La brièveté des semaines de travail des mois d’avril et de mai va nous conduire à jongler quelque peu avec l’agenda.

Enfin, bien évidemment tous les amendements que nous serions amenés à voter aujourd’hui auraient la possibilité d’être discutés par la commission du développement durable ce soir. Cela laissera peu de temps, mais le Règlement sera donc scrupuleusement respecté.

Dans la suite de la discussion générale, je donne la parole à
Mme Sarah El Haïry, membre de la commission des finances.

Mme Sarah El Haïry. Mon groupe soutient évidemment cette réforme et nous resterons vigilants ; ce qui justifie ma présence aujourd’hui, afin de m’inspirer de la qualité de vos débats pour les rapporter à mes collègues de la commission des finances, et y enrichir nos échanges.

M. Thierry Benoit. Puisque la commission des affaires économiques est saisie pour avis, je souhaitais formuler le mien : dans cette affaire personne n’est pris en traître parce que la question de l’ouverture à la concurrence, comme l’a dit tout à l’heure M. Bertrand Pancher dans l’hémicycle, est discutée en France et au Parlement depuis de nombreuses années.

Ensuite, personne ne peut nier que la SNCF est confrontée à des enjeux de restructuration de l’entreprise, d’évolution du statut de ses collaborateurs, les cheminots, et de restructuration d’une dette qui a doublé en vingt ans, de modernisation des infrastructures ferroviaires, notamment des lignes de proximité. M. Antoine Herth a évoqué à juste titre Gares & Connexions.

C’est un dossier difficile, mais je suis convaincu que la France et la SNCF vont réussir à opérer cette mutation parce qu’il y a nécessité d’harmoniser le marché ferroviaire européen.

Le Gouvernement sait sans doute ce qu’il a à faire, mais j’entends ce que disent dans les médias nos collègues de la majorité et je veux les mettre en garde : dans cette affaire, nous avons intérêt à faire la pédagogie de la réforme plutôt que de la provocation… Ainsi, affirmer que les cheminots et un certain nombre de Français seraient des adeptes de la grève par « gréviculture » est déplacé.

Pour ma part, je souhaite que l’essentiel ne soit pas oublié et nos collègues Sébastien Jumel, François Ruffin et Daniel Fasquelle ont donc raison de dire que l’on ne doit pas parler que de chiffres et de concurrence, mais de mobilité, de transport de voyageurs et de transport de marchandises.

L’aspect social de cette réforme ne doit pas non plus être négligé, car il est déterminant. Aussi il convient de rappeler – c’est en ce sens que je parlais de pédagogie de la réforme – que les cheminots sous statut bénéficieront toujours demain de la garantie de l’emploi, et que leur statut social, leur système de retraite seront préservés, ce qui est normal.

Ce qui est proposé, c’est une évolution pour les entrants, il en ira ainsi pour les cheminots, mais il faut bien avoir conscience que, fonctionnaire ou pas, tous nous serons demain logés à la même enseigne : députés, acteurs du secteur privé seront aussi amenés à évoluer.

M. le président Roland Lescure. À ma connaissance, les députés n’ont jamais eu la sécurité de l’emploi, je ne suis d’ailleurs pas persuadé que cela serait souhaitable. (Sourires.)

M. Alain Bruneel. Nous avons un débat de fond dans lequel s’expriment des points de vue divergents. Certains prônent toute la concurrence rien que la concurrence, et considèrent que la France doit honorer ses engagements européens. Pour autant, rien dans ce texte ne garantit ce que vous avancez.

Ce qui est certain et que l’on ne saurait négliger, c’est l’expérience de notre pays, son statut et son territoire. Hélas, nous ne parvenons pas à débattre des sujets vraiment importants, des moyens de faire progresser le statut de la SNCF, de la façon de faire avancer ce service public avec les citoyens.

On nous parle sans cesse de la dette, même si on assure qu’elle n’est pas due aux cheminots ; on nous parle du réseau, mal entretenu, à la limite du déraillement parfois ; on nous parle des trains en retard, comme si les cheminots en portaient la responsabilité – certes vous ne l’avez pas dit mais cela revient comme une antienne.

On veut faire comme pour le fret. Mais, dans mon territoire, cela fait huit ans que nous avons élaboré un projet portant sur le fret, sans avoir reçu la moindre réponse. Vous allez m’assurer que mon territoire sera pris en compte, et que les problèmes seront résolus du jour au lendemain ; c’est faux : les territoires du fret sont ignorés ! Or, c’est bien dans le même sens que va cette réforme.

Tout ce que vous faites serait destiné à réduire la dette, mais 25 000 emplois de cheminots ont été supprimés entre 2007 et 2017, cela a-t-il permis de résorber l’endettement ?

Vous comprendrez que je m’oppose à cette réforme qui ne fera rien avancer et qui, bien au contraire, appauvrira notre pays et ses industries.

M. José Evrard. Je ferai appel à un raisonnement simple sans être simpliste. Les cheminots sont en grève : le font-ils par plaisir ? Je ne le crois pas : la grève est un sacrifice, c’est de l’argent en moins. Il n’y a d’ailleurs pas que les cheminots qui sont en grève, mais aussi nombre de services publics comme les hôpitaux et les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. En fait, l’attaque menée par l’Union européenne contre les cheminots est en fait une remise en cause plus généralisée de l’État social.

L’achèvement du marché intérieur, évoqué dans la directive européenne du 21 novembre 2012, et le marché compétitif sont des instruments de la casse du service public. On oublie ce que la SNCF apporte au pays, on ne prend pas en compte les externalités, tels le développement régional, les activités industrielles, le lien entre les régions au bénéfice de l’activité.

Parce que les effets du transport vont bien au-delà des personnes transportées, parce que les rendements peuvent être croissants, on ne peut pas raisonner uniquement sur un prix de transport au kilomètre qui serait déterminé par la concurrence et par le marché.

En outre, la contribution de l’impôt au financement du rail profite aussi à ceux qui ne prennent jamais le train. Pour toutes ces raisons, la concurrence libre et le marché compétitif sont une hérésie économique.

Si l’on suit la seule logique des coûts que l’on veut appliquer à la SNCF, pourquoi ne pas fermer l’école publique puisque 25 % des élèves en sortent analphabètes et sans savoir compter ? Pourquoi ne pas fermer les hôpitaux parce qu’on ne sait pas bien soigner les malades ?

Cette réforme de la SNCF, c’est la casse de l’État social, dès lors, le combat des cheminots, c’est le combat pour la France !

M. Dino Cinieri. Je ne reviendrai pas sur le statut de la SNCF, sur la concurrence ou le mauvais entretien des lignes, plusieurs de nos collègues, dont Julien Dive et François Ruffin, se sont exprimés à ce propos.

Ma question porte plutôt sur les petites lignes, car je suis soucieux de l’accessibilité des territoires. La région Auvergne Rhône-Alpes, dont je suis élu, a lancé un vaste plan de sauvetage des petites lignes ferroviaires, doté de 264 millions d’euros pour la période 2016-2020. Les travaux de renouvellement des voies permettent de gagner en sécurité et en confort pour les voyageurs, qui ne l’oublions pas, sont avant tout des clients.

En Loire et en Haute-Loire, la ligne reliant Le Puy-en-Velay et Saint-Étienne a bénéficié d’une vaste opération d’un montant de 51 millions d’euros, qui s’est achevée à la fin de 2017. Une trentaine de kilomètres ont été rénovés entre Le Puy-en-Velay-Firminy, mais Saint-Étienne a été oublié, ce n’est donc pas suffisant. Ma question est simple : le Gouvernement peut-il nous garantir que les régions ne font pas ces efforts en vain ? Le Premier ministre vient de rappeler, lors des questions d’actualité, que les préconisations du rapport Spinetta sont définitivement enterrées pour ce qui concerne l’avenir des petites lignes ; mais avons-nous l’assurance qu’avec l’ouverture à la concurrence, la rentabilité ne constituera pas un critère déterminant pour l’entretien et le fonctionnement des lignes ?

M. Sébastien Jumel. Selon vous, l’ouverture à la concurrence serait la recette miracle pour sortir la SNCF de l’ornière, mais, comment expliquez-vous que l’application du remède au fret ferroviaire, décidée en 2006, ait abouti à l’augmentation du nombre de camions sur les routes, à l’aggravation de la dette de Fret SNCF, au recul du fret partout dans notre pays, à la division par deux – de 15 000 à 7 400 – du nombre d’agents employés, au laminage des gares de tri, à la baisse de la part du fret ferroviaire dans le transport de marchandises de 18 % en 2003 à 8 % aujourd’hui ? Cette part tombe même à 3 % dans les ports, comme ceux de Normandie, auxquels nous sommes tous les deux profondément attachés, Monsieur le rapporteur.

S’agissant des petites lignes, vous nous dites : « Ne vous inquiétez pas, nous en prenons soin ! ». Prenons l’exemple de la ligne qui permet de relier M. François Ruffin à M. Sébastien Jumel, Abbeville au Tréport. Trois députés, MM. Emmanuel Maquet, François Ruffin, et Sébastien Jumel, ainsi que deux présidents de région, M. Xavier Bertrand et M. Hervé Morin, ont saisi la ministre des transports au sujet de cette ligne. M. Xavier Bertrand a annoncé que la région des Hauts-de-France financerait 50 % de sa rénovation. Côté Gouvernement, nous n’avons eu aucune réponse, aucun rendez-vous. Est-ce cela le respect des petites lignes que la ministre nous annonce la veille de la réforme ? Permettez-nous de douter de la capacité de votre réforme à prendre soin des territoires de vie laminés par la casse des écoles rurales et par le recul de la République partout et pour tous.

M. François Ruffin. M. le rapporteur nous dit qu’il faut que nous ayons l’environnement à l’esprit. Il est tout de même bien dommage d’avoir rédigé un gros texte de soixante-trois pages sans avoir pensé une seule fois au réchauffement climatique. C’est un peu ballot quand même ! C’est bien regrettable de devoir rattraper le coup a posteriori et d’être obligé de se dire : « Ah, oui, il y a ce truc : l’écologie ! ».

Je signale un deuxième « oubli », qui n’en est pas un à mes yeux. Prenez le projet de loi, et faite une recherche automatique : Ctrl F « démocratie » ou « démocratiser » ! Vous n’obtiendrez aucune réponse. Pourtant la question de savoir comment on rend le train accessible à tous devrait être centrale. Elle n’est pas posée.

Je ne peux pas m’empêcher de penser aux « cars Macron ». Nous sommes dans une certaine continuité. C’est tout de même le Président Emmanuel Macron qui nous a vendu, alors qu’il était ministre de l’économie, cette excellente idée. Les cars Macron sont une aberration écologique consistant à doubler par le car des lignes de train existantes. Cela rend ces trajets accessibles aux pauvres, nous a expliqué, à l’époque, M. Emmanuel Macron. On a inventé une cinquième classe que ce soit en termes de temps – il faut trois heures pour aller de Paris à Amiens alors qu’on met une heure et demie par le train –, ou de confort – on ne peut pas travailler dans les cars. On s’oriente vers un transport à deux vitesses alors qu’il faudrait rendre le train accessible à tous. Mais cette question n’apparaît pas dans le projet de loi. Elle n’est pas posée à moins que vous n’imaginiez que le remède soit, comme vous le pensez d’habitude, l’ouverture à la concurrence.

Mme Marie Lebec. Les évolutions qui ont déjà eu lieu s’agissant de ce texte, en particulier en termes de procédure – puisque des ordonnances sont remplacées par des dispositions normatives – montrent la volonté des partenaires sociaux et du Gouvernement de donner une vraie place à la négociation. Il faut se féliciter de l’aboutissement de l’ensemble des avancées obtenues ce vendredi.

Personne ne remet en cause le droit de grève. En revanche, on ne peut que regretter l’attitude consistant à se mettre en grève avant l’aboutissement de la négociation, car elle ne nous permet pas de travailler dans des conditions sereines. Il faut le déplorer, et je crois que c’était le sens des propos de notre collègue Gabriel Attal.

S’agissant de la volonté d’investir dans les petites lignes, nous devons rappeler que 3,6 milliards d’euros seront investis pendant dix ans, ce qui représente tout de même 10 millions par jour pendant cette période : la volonté de garantir des infrastructures de qualité est claire.

J’étais ce matin en compagnie de M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances, pour parler des bons chiffres relatifs à l’attractivité de notre pays. Il a rappelé l’importance de la SNCF en ajoutant qu’il fallait garantir la qualité d’un service public. L’ouverture à la concurrence ne permettra que d’améliorer les services déjà proposés aujourd’hui en matière de transport ferroviaire.

M. Daniel Fasquelle. Je salue vos efforts pour défendre l’indéfendable, mais tout cela n’est pas très sérieux ! Vous reprochez aux syndicats d’avoir appelé à la grève aujourd’hui : ils ne l’ont fait que parce que le débat a déjà commencé à l’Assemblée nationale. Il fallait ouvrir une phase de concertation avec eux et proposer, ensuite, un texte à l’Assemblée en laissant le débat se dérouler normalement avec des articles que nous aurions eu le temps d’examiner. Vous avez court-circuité les syndicats et, à l’Assemblée, nous travaillons dans des conditions déplorables. Sur le fond, vous pouvez défendre ce que vous voulez, mais s’agissant de la procédure, ce qui se passe n’est pas acceptable.

M. Damien Adam, rapporteur pour avis. J’aurais aimé répondre à M. Sébastien Jumel à propos du fret mais il n’est plus présent…

M. le président Roland Lescure. Plusieurs collègues ont dû gagner l’hémicycle, ils nous rejoindront dès que possible.

M. Damien Adam, rapporteur pour avis. Monsieur Daniel Fasquelle, personne ne reproche aux syndicats d’avoir appelé à la grève. Il s’agit d’un droit constitutionnel dans notre pays. Toutefois, alors qu’une concertation est en cours, on peut peut-être regretter qu’en France on ait tendance à commencer par manifester et par faire grève avant de se mettre autour de la table. Il me semble qu’inverser cette logique ne serait pas inintéressant pour notre pays, c’est tout ce que je dirai à ce sujet.

Vous regrettez que les amendements aient été proposés par le Gouvernement vendredi, et qu’ils ne soient pas présentés devant notre commission. S’ils avaient été déposés, vous vous seriez plaint du délai trop bref pour les examiner. Je comprends que les délais soient contraints, mais, malheureusement, il faut que nous avancions. Nous espérons réunir un maximum de personnes dans la concertation et dans le débat puisque nous avons avancé. Vous aurez quelques jours avant l’examen en séance publique la semaine prochaine pour vous renseigner sur les amendements et vous faire un avis.

Vous souhaitez obtenir des éléments complémentaires sur la gouvernance. Ce sujet fait l’objet de concertations en cours avec les syndicats et de nouveaux amendements seront certainement présentés par le Gouvernement, dès la semaine prochaine, pour introduire dans la loi le statut de l’entreprise et la gouvernance.

S’agissant de l’état du réseau, je n’ai jamais dit qu’il n’y avait pas d’argent public à y consacrer et que nous allions réduire les montants engagés. Nous sommes, au contraire, en train de mettre beaucoup plus d’argent qu’auparavant dans l’entretien du réseau. À partir de l’année prochaine, nous consacrerons 3,6 milliards d’euros par an à sa rénovation. Aujourd’hui, 20 % du réseau sont ralentis en raison de son état. Vous imaginez, 20 % : c’est énorme ! Tout cela parce que l’on a préféré hier construire des TGV plutôt que d’entretenir les lignes du quotidien. Nous allons remédier à cela. Nous mettrons fin au vieillissement du réseau : 3,6 milliards d’euros, c’est 50 % de plus qu’il y a dix ans, c’est un montant important.

Non, nous ne laissons pas sa dette à la SNCF ! L’État a été très clair sur le fait qu’il prendrait ses responsabilités en la matière. Tout le monde comprend bien ce que cela veut dire : on va laisser à la SNCF une dette raisonnable par rapport à sa structure d’entreprise et l’État reprendra le reste. Plus il y aura de trains – avec l’ouverture à la concurrence nous voulons qu’il y ait demain plus de TGV –, plus le montant des péages perçus par SNCF Réseau augmentera, et plus il y aura d’argent pour entretenir le réseau. C’est aussi cela la logique globale de la concurrence : plus de trains signifie plus de péages et plus de moyens.

Vous avez été nombreux à évoquer l’ouverture du fret à la concurrence qui s’est très mal passée dans les années 2000. Ça s’est mal passé, c’est vrai, mais c’est parce que nous n’avions pas bien préparé cette réforme et qu’elle a été faite dans l’urgence…

M. Dino Cinieri et M. Daniel Fasquelle. Aujourd’hui, évidemment, ça n’a rien à voir ! (Sourires.)

M. Damien Adam, rapporteur pour avis. La majorité de M. Emmanuel Macron est arrivée en mai 2017 et le projet de loi est sur la table neuf mois plus tard. Cela ne me semble pas déraisonnable de réfléchir pendant neuf mois à un projet de loi.

Monsieur Thierry Benoit, aujourd’hui, dans les gares, le partage des rôles entre Gares & Connexions et SNCF Mobilités n’est pas toujours cohérent. L’information des voyageurs relève des premiers dans le hall de la gare et des seconds sur les quais. Grâce aux nombreuses auditions que j’ai menées, j’ai par exemple compris qu’aujourd’hui, on ne sait pas qui est propriétaire de la verrière de la gare de Lyon. Les gares françaises comportent de nombreuses zones dites non affectées – elles ne sont attachées à aucune structure de la SNCF. Nous souhaitons changer cela, et je propose que Gares & Connections récupère tout l’immobilier de la SNCF.

L’idée n’est pas d’attaquer les cheminots. Cette majorité n’a jamais dit que les cheminots étaient le problème : au contraire, l’ambition de cette réforme est avant tout de les aider à résister à l’ouverture à la concurrence. Si nous ne faisons rien, les cheminots seront en première ligne, et, demain, ce sont eux qui souffriront.

Monsieur José Évrard, vous évoquiez la problématique de l’Union européenne et de l’ouverture à la concurrence. Pardonnez-moi, mais je crains que vous n’ayez un « train de retard » : le débat sur l’ouverture à la concurrence remonte à 2014, il a été mené sous la majorité précédente.

M. José Évrard. Est-ce que c’est juste ?

M. Damien Adam, rapporteur pour avis. En tout cas, la majorité de l’époque a voté. On peut trouver beaucoup de choses positives dans cette évolution puisque, dans les autres pays de l’Union européenne, l’ouverture à la concurrence s’est traduite par plus de passagers, plus de services, et des prix souvent orientés à la baisse.

Monsieur Dino Cinieri, vous vous êtes interrogé sur les conséquences de la réforme pour les petites lignes. Il faut avoir à l’esprit que l’ouverture à la concurrence se fera de manière différenciée.

Pour les TGV et sur une partie des trains Intercités qui circulent entre plusieurs régions, on appliquera la logique de l’open access : les trains de la SNCF, TGV et Intercités, continueront de rouler, mais de nouveaux acteurs, comme Transdev, Thello, Deutsch Bahn ou d’autres, pourront proposer d’assurer des trajets.

Pour les réseaux régionaux, les régions choisiront par appels d’offres les acteurs qui interviendront. Elles pourront le faire pour des paquets de lignes, ou pour l’ensemble du réseau. Dans un premier temps, les régions auront certainement envie de tester l’ouverture à la concurrence sur certaines lignes, en trouvant à chaque fois un équilibre entre des lignes rentables et moins rentables. Il faut faire attention à ne pas se retrouver avec d’un côté les lignes les plus rentables qui rapportent du cash et, de l’autre, celles que les régions seront obligées de subventionner complètement. À terme, d’ici quinze ou vingt ans, l’ambition est que les régions mettent en concurrence l’ensemble de leur réseau. La question des petites lignes ne se posera donc plus puisque les acteurs devront reprendre toutes les lignes : les régions attribueront les marchés par paquet. La question ne se pose donc pas dans les termes que vous pensez.

Monsieur Sébastien Jumel, en tout état de cause vos problèmes concernant la ligne d’Abbeville au Tréport sont sans rapport avec la réforme actuelle. Je suis jeune, mais je ne suis pas un des collaborateurs du cabinet de Mme Elisabeth Borne : adressez-vous directement à eux, je ne peux pas faire l’intermédiaire. Et puis, il n’appartient pas à l’État d’intervenir en faveur des petites lignes : c’est aux régions de le faire. Ce n’est pas à l’État, depuis Paris, de décider de fermer ou non une ligne. C’est au président de région de se positionner, de faire l’analyse des besoins, et de dire s’il existe des alternatives plus pertinentes en termes économiques et écologiques, sans oublier le service rendu aux usagers.

Monsieur François Ruffin, vous m’interrogez sur l’accessibilité à tous des trains. Les tarifs sociaux qui existent aujourd’hui seront maintenus, et ils seront même étendus à l’ensemble des acteurs du ferroviaire. Aujourd’hui, un acteur comme Ouigo ne propose pas de tarifs sociaux : notre réforme permettra que tous les acteurs pratiquent ces tarifs. La question n’est pas tant celle de l’ouverture à la concurrence que de l’existence de règles claires.

 

 


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II.   Examen des articles

Article 2
Dispositions relatives à la transposition de la directive 2012/34/UE modifiée

La commission est saisie de deux amendements de suppression CE1 de M. François Ruffin, et CE24 de M. Sébastien Jumel.

Mme Bénédicte Taurine. Permettez-moi tout d’abord de faire remarquer une nouvelle fois que nous discutons d’un texte caduc puisque le Gouvernement a déposé de nouveaux amendements à la dernière minute.

Avec l’amendement CE1 nous proposons de supprimer l’article 2 qui ouvre à la concurrence le marché du transport des voyageurs. L’idée du Gouvernement repose sur la théorie libérale selon laquelle la concurrence ferait baisser les prix et améliorerait le service. C’est une ineptie ! Au Royaume-Uni, vingt ans après la privatisation, la qualité du service s’est dégradée, et les prix ont explosé. Nos voisins déboursent six fois plus que nous pour leurs transports. En France, on l’a déjà répété, l’ouverture à la concurrence du fret en 2006, se traduit par une catastrophe : la part des marchandises transitant par le rail est passée de 75 %, en 1974, à 10 %, en 2014, au profit du routier, ce qui a des conséquences sur l’environnement.

Pour le transport de voyageurs, la concurrence amène une augmentation des prix, contrairement à ce que vous affirmez, et surtout la fermeture massive de lignes de train au détriment de l’égalité des territoires. Nous souhaitons le rétablissement du monopole de la SNCF sur le fret et le réinvestissement, notamment dans les trains de nuit.

M. Alain Bruneel. En application des textes européens, la France a déjà ouvert à la concurrence le marché du fret ferroviaire – avec le deuxième paquet ferroviaire, transposé en 2006 –, et celui du transport international de voyageurs – avec le troisième paquet, transposé 2009. La directive du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012, modifiée par le quatrième paquet ferroviaire, vient parachever cette libéralisation des marchés ferroviaires en prévoyant l’ouverture à la concurrence de l’ensemble des services domestiques du transport ferroviaire de voyageurs.

L’ouverture à la concurrence n’a pourtant rien d’obligatoire. Si depuis sa modification, le 23 décembre 2016, le règlement dit « OSP » prévoit que l’ouverture à la concurrence devient le principe, les autorités organisatrices de transport peuvent faire valoir des motifs de dérogation pour attribuer les contrats de service public sans procédure de marché dès lors qu’elles considèrent que l’attribution directe est justifiée par des caractéristiques structurelles et géographiques pertinentes du marché, et lorsque cette attribution aurait pour effet d’améliorer la qualité des services ou le rapport coût-efficacité.

Tant en termes d’efficacité et de sécurité qu’en considération des déséquilibres démographiques qui affectent notre pays et de l’état très dégradé du réseau, le Gouvernement peut donc utilement s’opposer à une ouverture à la concurrence dont les usagers n’ont rien à attendre. Nous proposons en conséquence la suppression de l’article 2.

M. Damien Adam, rapporteur pour avis. Avis défavorable. Ces amendements visent à supprimer un article qui assure une transposition de directive que nous devons effectuer avant le 31 décembre 2018. Il est indispensable de respecter nos engagements européens et d’adopter cet article afin de ne pas risquer de nous exposer à un contentieux. En tant que législateurs, nous pouvons difficilement être favorables à ce genre d’amendement.

Par ailleurs, vous proposez d’invoquer des dérogations pour l’ensemble du réseau national, mais personne ne croira que des motifs de dérogation s’appliquent à la totalité du territoire. En revanche, les régions pourront parfaitement les invoquer et choisir de ne pas ouvrir leur réseau à la concurrence si elles sont satisfaites de ce que propose la SNCF.

La transposition me paraît nécessaire pour assurer la modernisation de la gouvernance de la SNCF et la préparer à l’ouverture à la concurrence qui est inéluctable.

La commission rejette les amendements.

Elle émet un avis favorable à ladoption de larticle 2 sans modification.

Avant l’article 3

La commission examine l’amendement CE25 de M. Sébastien Jumel.

M. Alain Bruneel. Il vise à généraliser le versement transport au niveau régional. Dans un contexte budgétaire extrêmement tendu, il convient en effet de garantir aux régions de nouvelles ressources pour développer le système ferroviaire régional.

Grâce à la mise en place d’un versement transport régional, elles bénéficieraient d’une ressource propre, pérenne et dynamique qui, aux côtés des dotations de l’État et des ressources de la billettique, contribuerait à financer le fonctionnement et les investissements des transports de voyageurs d’intérêt régional. À ce jour, l’Île-de-France est la seule région à bénéficier d’un tel système.

Cette ressource se révèle indispensable pour permettre aux régions de répondre à certains besoins, comme le renouvellement du matériel ferroviaire, et d’améliorer l’offre de transports collectifs de voyageurs.

Concrètement, l’instauration du versement transport régional pourrait se traduire par un taux régional plafonné à 0,3 %, pour les zones hors périmètre de transport urbain, devenu ressort territorial de l’autorité organisatrice de mobilité, et un taux additionnel au versement transport existant dans le ressort territorial de l’autorité organisatrice de mobilité, plafonné à 0,2 %.

M. Damien Adam, rapporteur pour avis. Avis défavorable. Cet amendement ne me paraît pas avoir sa place dans ce texte qui est un projet de loi d’habilitation pour un nouveau pacte ferroviaire. La généralisation du versement transport au niveau régional ne me semble pas relever de cette thématique. Si l’idée de la contribution des entreprises situées dans le ressort d’une région compétente pour l’organisation des transports régionaux de voyageurs au financement de ces transports mérite d’être étudiée, je pense qu’elle devrait faire l’objet d’une concertation plus approfondie et que les modalités de sa mise en œuvre devraient être précisées, notamment à l’occasion de la loi d’orientation des mobilités qui sera étudiée dans les prochains mois.

La commission rejette l’amendement.

Article 3
Dispositions relatives à l’ouverture à la concurrence des services publics conventionnés de transport ferroviaire de voyageurs

La commission examine l’amendement de suppression CE33 de M. Sébastien Jumel.

M. Alain Bruneel. L’article 3 habilite le Gouvernement à organiser l’ouverture à la concurrence des services conventionnés de transport ferroviaire de voyageurs, en permettant aux régions de disposer de la liberté de déterminer, sinon le mode d’attribution, du moins l’opérateur attributaire des services ferroviaires d’intérêt régional.

L’article autorise également l’exécutif à définir les conditions dans lesquelles les contrats de travail des salariés nécessaires à l’exploitation et à la continuité du service public de transport ferroviaire de voyageurs seront transférés au nouveau titulaire d’un contrat de service public, les conséquences d’un refus du salarié et les garanties attachées à ce transfert.

Ces remises en cause peuvent conduire à la fermeture d’une grande partie des lignes de desserte fine du territoire.

M. Damien Adam, rapporteur pour avis. L’ouverture à la concurrence ne constitue pas une contrainte, mais une chance pour notre système ferroviaire, et notamment pour le groupe public SNCF. Elle permettra de replacer l’usager au cœur des préoccupations, un point essentiel, mais aussi d’améliorer l’efficacité du service et de redynamiser le transport ferroviaire, plus vertueux au plan environnemental.

Supprimer cet article, c’est rester à la marge des mouvements à l’œuvre dans les autres États européens, et ne pas tenir les engagements que nous avons pris auprès de l’Union européenne. C’est aussi nous priver d’une opportunité de réussite et d’ouverture, d’autant que l’article prévoit l’ensemble des questions qui devront être traitées dans l’ordonnance, notamment le transfert du matériel, des salariés et des données, afin de garantir une ouverture à la fois protectrice et efficace. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CE2 de M. Loïc Prud’homme.

Mme Bénédicte Taurine. Cet amendement nous permet de réaffirmer notre opposition à la logique d’ouverture à la concurrence. L’exemple allemand est souvent érigé en modèle, mais, alors que l’ouverture à la concurrence remonte à 1994, la compagnie publique est restée en situation de quasi-monopole sur les grandes lignes – elle assure 99 % du trafic – et elle a une place prépondérante dans le transport régional. C’est bien parce que l’opérateur public allemand est resté prépondérant – et que sa dette a été épongée par l’État à deux reprises – que l’ouverture toute relative à la concurrence n’est pas un désastre.

Le Gouvernement se cache derrière l’Union européenne pour justifier l’ouverture à la concurrence. Mais il s’agit d’un choix politique, puisque le règlement européen n° 1370/2007 dit « OSP » permet des contrats de service public de dix ans, qui protègent du marché. Ce règlement s’applique aux services publics dont l’équilibre ne peut être assuré sans soutien possible, ce qui est le cas du rail en France. Le Gouvernement fait clairement un choix en faveur du marché et de la finance, au détriment des besoins de nos concitoyens.

M. Damien Adam, rapporteur pour avis. Pour les mêmes raisons, avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CE27 de M. Sébastien Jumel.

M. Alain Bruneel. Nous considérons que le système de transport ferroviaire national, dont le groupe public SNCF forme encore l’assise, concourt, selon le code des transports, « au service public ferroviaire et à la solidarité nationale ainsi qu’au développement du transport ferroviaire, dans un souci de développement durable ». Nous nous opposons donc à une nouvelle organisation des services publics susceptible de menacer la cohérence du système ferroviaire, lequel continue d’être un levier majeur du développement économique, industriel et social.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur par avis, la commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CE28 de M. Sébastien Jumel.

M. Alain Bruneel. Nous sommes favorables à l’attribution directe des services conventionnés à l’opérateur historique, seule procédure garante de la cohérence de la politique ferroviaire nationale. Nous demandons par conséquent la suppression de l’alinéa 3.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CE29 de M. Sébastien Jumel.

M. Alain Bruneel. Nous jugeons inopportun de préciser les conditions dans lesquelles il peut être fait exception à la mise en concurrence des services conventionnés, plus encore s’il s’agit par ce moyen d’interdire de manière expresse toute possibilité de recourir aux dérogations prévues par le règlement européen OSP.

M. Damien Adam, rapporteur pour avis. Les exceptions prévues par le règlement OSP ne s’appliquent pas de manière automatique, à l’exception de la dérogation motivée par l’urgence. La loi devra donc préciser expressément que les cinq autres cas permettant de déroger à la mise en concurrence sont applicables en France. Par ailleurs, votre amendement devrait être satisfait par ceux du Gouvernement visant à supprimer l’alinéa 4 et à lui substituer des dispositions concrètes. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CE53 de M. François Ruffin.

Mme Bénédicte Taurine. Le transfert des salariés de l’entreprise mère à des filiales suscite l’inquiétude des syndicats. Plusieurs cas de perte de statut ont été relevés. L’ouverture à la concurrence risque d’aggraver ce phénomène, notamment lorsque des lignes entières seront confiées à des sociétés privées. Cet amendement vise à clarifier les conditions de transfert des cheminots, lesquels devront conserver leur statut.

Le statut des cheminots n’est pas un privilège, mais un droit obtenu à l’issue d’une période d’essai d’un an – plus longue que dans le privé. Il est lié à la difficulté du métier, où le travail de nuit succède au travail le week-end. Il est aussi le fruit du travail des cheminots, puisque le régime spécial est abondé par des cotisations salariales plus importantes. Enfin, le statut des cheminots est un exemple de ce que pourraient être le service public et le droit du travail. C’est aux cheminots et à leurs luttes que l’on doit la création, au XIXe siècle, des premières caisses de maladie et de retraite. Plutôt que d’être attaqué, le statut devrait être amélioré et étendu à l’ensemble des travailleurs.

M. Damien Adam, rapporteur pour avis. Vous avez raison de rappeler que les cheminots ne sont pas des privilégiés. Ils ont simplement un statut particulier, avec des avantages et des inconvénients, dont une rémunération moins importante qu’ailleurs. Vous avez raison aussi de dire qu’il faut prévoir le statut du cheminot dans un monde ouvert à la concurrence. C’est pourquoi le Gouvernement présentera, devant la commission du développement durable, un amendement visant à préciser les éléments du statut qui seront repris dans le cadre d’une ouverture à la concurrence. La loi prévoira les éléments liés à la rémunération, l’emploi et la retraite. Les autres points seront traités dans le cadre de la convention collective, sur laquelle le secteur ferroviaire travaille depuis deux ans : facilités de circulation, logement, accès aux soins. Avis défavorable.

M. Thierry Benoit. À l’issue du vote de ce texte, il est bien garanti que les cheminots de l’entreprise mère conserveront leur statut s’ils sont mutés dans une filiale ?

M. Damien Adam, rapporteur pour avis. S’ils partent dans une autre entreprise, ils auront des conditions similaires aux éléments du statut. Défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CE30 de M. Sébastien Jumel.

M. Alain Bruneel. Le dispositif législatif actuel s’appliquant aux services conventionnés de transport ferroviaire de voyageurs ne permet pas la mise à disposition du matériel roulant à de nouveaux opérateurs, celle-ci étant fléchée uniquement vers SNCF Mobilités. Il en va de même pour les ateliers. Le Gouvernement estime que le fait de ne pouvoir bénéficier du matériel en place pourrait constituer un obstacle pour les nouveaux entrants. Mais permettre à des opérateurs de bénéficier de cette mise à disposition et d’engranger les subventions publiques des autorités organisatrices sans qu’ils n’aient à réaliser des investissements est pour le moins problématique !

Suivant l’avis défavorable du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CE31 de M. Sébastien Jumel.

M. Alain Bruneel. Nous sommes opposés à l’attribution concurrentielle tout comme à l’attribution directe des conventions à un nouvel entrant. Nous souhaitons supprimer l’alinéa 7, que nous jugeons d’autant plus inopportun que le droit positif prévoit déjà, ainsi que le souligne l’étude d’impact, la fourniture des informations utiles ou indispensables aux candidats et la protection des données relevant du secret commercial.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CE32 de M. Sébastien Jumel.

M. Alain Bruneel. Nous sommes opposés à la suppression des droits exclusifs de SNCF Mobilités sur l’exploitation des services publics de transport ferroviaire de voyageurs. Cet amendement vise à supprimer l’alinéa 8.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

Elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 3 sans modification.

Article 4
Dispositions diverses relatives à l’adaptation du système de transport ferroviaire à l’ouverture à la concurrence

La commission est saisie de l’amendement de suppression CE37 de M. Sébastien Jumel.

M. Alain Bruneel. Sous prétexte de définir et d’harmoniser les contraintes d’exploitation des services de transport ferroviaire ainsi que les règles générales applicables à toutes les entreprises ferroviaires fixant des obligations de service public, notamment les tarifs sociaux et les règles en matière d’assistance ou d’indemnisation des voyageurs, cet article met en relief les risques potentiels de dégradation de la qualité de service qui s’attachent à l’ouverture à la concurrence.

M. Damien Adam, rapporteur pour avis. J’userai de vos propres arguments : si nous voulons la transparence, l’accès à la billettique et l’indemnisation des passagers, cet article doit être maintenu. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CE34 de M. Sébastien Jumel.

M. Alain Bruneel. La compensation par l’État à la SNCF des dépenses liées à la mise en place d’une tarification sociale sur les liaisons nationales a régulièrement diminué, passant de 115 millions d’euros en 2004 à 25,7 millions en 2016.

Avec l’ouverture à la concurrence, il y a lieu de craindre que les prescriptions tarifaires applicables à toutes les entreprises de transport ferroviaire ne manquent d’ambition.

Au contraire, l’État doit relancer une politique nationale de tarification sociale : carte famille nombreuse à 50 % dès le deuxième enfant, création d’une carte jeunes-étudiants, revalorisation de la carte senior ou encore extension aux personnes privées d’emploi. Une telle évolution contribuerait à relancer les trafics ferroviaires, particulièrement ceux des Intercités et des TGV.

M. Damien Adam, rapporteur pour avis. Il convient de ne pas confondre les tarifs sociaux et les tarifs commerciaux, comme les réductions liées aux cartes senior, jeune ou week-end. Les tarifs sociaux, notamment ceux auxquels donne accès la carte famille nombreuse, sont spécifiques. C’est un point essentiel de la réforme : les règles doivent être les mêmes pour tous les acteurs du ferroviaire et les tarifs sociaux qui seront valables pour tous doivent être précisés. C’est la raison pour laquelle il convient de maintenir l’alinéa 2. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CE4 de M. Loïc Prud’homme.

M. François Ruffin. Cet amendement est inspiré d’une proposition que j’ai faite lors de ma campagne électorale – je ne doute pas que vous m’aiderez ce soir à tenir cette promesse ! Il s’agit de tendre vers une démocratisation du rail en instaurant de nouveaux tarifs sociaux, afin de rendre les voyages en train accessibles par exemple aux mères célibataires, aux précaires ou aux aidants familiaux.

J’ai proposé que chaque Français puisse bénéficier chaque année de mille kilomètres de déplacements en train gratuits. Mille kilomètres, cela permet à chacun d’aller au bord de la mer. Sous le Front populaire, les Français s’étaient vus donner la possibilité d’user du train pour profiter des premiers congés payés. Il revient à la majorité de décider de renouer avec l’une des pages les plus égalitaires et les plus enthousiasmantes de notre histoire !

M. Damien Adam, rapporteur pour avis. Je ne suis pas sûr de saisir : entendez‑vous supprimer les tarifs sociaux actuels pour établir de nouvelles règles ? Ce n’est pas le sens de l’histoire. Il faut faire en sorte que tous les acteurs puissent proposer les mêmes tarifs sociaux. C’est l’objet de cet alinéa. Avis défavorable.

M. François Ruffin. Je regrette que vous n’ayez pas lu l’amendement avant de répondre. Son objet est d’instaurer de nouveaux tarifs sociaux, ce qui n’exclut pas le maintien des anciens. Je suis pour le cumul de tous les tarifs sociaux imaginables, auquel pourraient s’ajouter ces mille kilomètres de train gratuit pour chaque Français. Je suis certain que vous êtes, vous aussi, enthousiaste à l’idée de démocratiser ainsi le rail !

M. Sébastien Jumel. Dans les villes dont je vous ai parlé tout à l’heure, entre Abbeville et Le Tréport, à Mers-les-Bains et dans un grand nombre de plages du littoral normand, il y avait les trains de marée et les trains de congés payés.

L’amendement défendu par M. François Ruffin est pertinent. En créant un tarif social forfaitaire, il permet d’apporter une contribution utile à la résorption des gaz à effet de serre en faisant la promotion du rail partout et pour tous, notamment en permettant à des familles modestes de redécouvrir le bonheur et l’utilité de prendre ces trains de plaisir.

Si vous souhaitez le développement du rail comme vous le prétendez, alors votez cet amendement. Si vous souhaitez l’abandon des créneaux non rentables et non profitables, votez contre.

M. Daniel Fasquelle. Je souhaite profiter de ce débat pour appeler l’attention sur un point dont on ne parle jamais : au départ d’une même gare, on peut proposer deux moyens de rejoindre sa destination, par TGV ou par le train Intercités. C’est le cas dans ma circonscription. La politique délibérée de la SNCF est de laisser se dégrader les trains d’équilibre du territoire et les voyageurs sont obligés de prendre le TGV, qui coûte deux fois plus cher. Faites très attention à ne pas laisser perdurer ce déséquilibre, car nos concitoyens risquent demain de ne plus avoir accès à la mobilité.

M. Antoine Herth. C’est un exemple typique de ce que je vous disais : c’est à l’autorité organisatrice des transports de définir les tarifs, tandis que l’opérateur, que ce soit la SNCF ou un autre, exécute. Ce n’est pas à la SNCF de définir les tarifs. Ceci étant, je prends mes précautions : si l’amendement de M. François Ruffin est voté, je lui demanderai d’augmenter les plafonds à 1 120 kilomètres, puisque j’habite la commune la plus éloignée de la mer en France, à 560 kilomètres de Gènes, et j’ai besoin que mes concitoyens reviennent chez eux… (Sourires.)

Mme Marie Lebec. Ce sont les autorités organisatrices qui définiront les tarifs sociaux. Les droits de péage seront modulés entre les lignes très attractives et les lignes moins attractives, ce qui permettra d’intéresser des opérateurs à reprendre ces dernières.

Enfin, les tarifs sociaux nationaux seront transférés en totalité aux nouveaux services non conventionnés, une fois le marché ouvert à la concurrence. Pour ce qui est des tarifs commerciaux proposés par différentes régions, leur statut reste inchangé.

M. Damien Adam, rapporteur pour avis. Monsieur Daniel Fasquelle, une part importante des Intercités vont être cédés aux régions…

M. Julien Dive. Avec les moyens qui les accompagnent ?

M. Damien Adam, rapporteur pour avis. Les régions recevront évidemment les moyens nécessaires. Surtout, elles pourront réfléchir à la tarification, puisque les régions sont les organes de décision des tarifs pour ces trains.

Monsieur Sébastien Jumel, le trajet aller-retour pour les congés payés est un tarif social qui existe déjà, et tout le monde peut en bénéficier : une fois par an, il est possible de bénéficier de prix spécifiques en faisant remplir un document par votre employeur.

Monsieur François Ruffin, je trouve dommage qu’en préconisant un nouveau tarif social, vous ne parliez pas du tout de la compensation des coûts de cette mesure. Il faut toujours, quand on décide d’une promotion, d’une réduction ou d’une exonération, réfléchir aux ressources de l’État qui devront y être consacrées. Puisque nous aurons l’occasion d’en reparler au cours de la séance publique, peut-être pourrez-vous préciser ces éléments ? Dans l’attente, j’y suis défavorable.

La commission rejette l’amendement CE4.

Elle est saisie de l’amendement CE35 de M. Sébastien Jumel.

M. Sébastien Jumel. Ce qui caractérise la notion de service public, c’est l’égalité d’accès, la continuité dans l’accès et la péréquation tarifaire. La mise en concurrence va éparpiller les tarifs « façon puzzle », avec des explosions tarifaires sur les lignes non rentables et des promotions commerciales à but lucratif sur les créneaux les plus rentables.

Vous n’avez pas exploré les possibilités ouvertes par le droit européen pour déroger à l’obligation de service public et renoncer à l’ouverture à la concurrence. Les textes européens le permettent lorsque l’intérêt des territoires ou les caractéristiques géographiques pertinentes du marché du réseau le justifient.

Cet amendement a pour objet de supprimer l’ouverture à la concurrence, en mettant l’accent sur le fait qu’un plus grand nombre d’opérateurs aggravera ce que nous avons connu avec la mise en miettes de l’opérateur ferroviaire, et entraînera, à n’en pas douter, plus de difficultés pour les correspondances ou pour se faire rembourser son billet lorsque l’on change d’opérateur. C’est le cas aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, quand on prend le train ou l’avion et que l’on se trouve obligé au dernier moment d’emprunter un opérateur qui n’était pas celui que nous avions choisi lors de la première réservation.

Cette ouverture à la concurrence va donc dégrader la qualité de l’offre aux usagers, la continuité de l’accès aux services publics, et au bout du compte, la réponse ferroviaire dans l’ensemble du territoire. C’est la raison pour laquelle cet amendement propose la suppression des deux alinéas qui prévoient cette ouverture à la concurrence, en vous alertant quant à l’aggravation que cette mise en miettes de l’unicité va provoquer.

M. Damien Adam, rapporteur pour avis. Nous avons évoqué le sujet des dérogations en votre absence.

M. Sébastien Jumel. J’étais en séance !

M. le président Roland Lescure. Nous l’avions noté.

M. Damien Adam, rapporteur pour avis. Je ne vous mets pas en cause, mais je ne vais pas répéter intégralement mes propos.

Les dérogations à la mise en concurrence sont effectivement permises, avec des règles très claires. Il ne sera pas possible de faire une dérogation pour l’ensemble du réseau national, mais ce sera effectivement possible pour les régions ; si elles estiment que le service proposé par la SNCF correspond tout à fait à ce qu’elles attendent, elles pourront décider de ne pas faire de mise en concurrence sur les fondements que vous avez rappelés.

S’agissant du remboursement, je ne suis pas sûr que ce soit un bon exemple, car les conditions de remboursement dans le secteur aérien sont bien plus favorables que dans le secteur ferroviaire, alors que le secteur aérien est ouvert à la concurrence et compte de nombreux acteurs privés. Je ne suis pas certain que le problème se situe à ce niveau ; il faut un régulateur fort, qui permette de réfléchir aux règles de remboursement. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CE5 de M. François Ruffin.

Mme Bénédicte Taurine. Dans les années 1990, la SNCF a été une des premières compagnies à adopter le système de tarification en temps réel, qui fixe les prix en fonction du moment du trajet et du taux de remplissage des TGV.

Cette pratique tarifaire a créé un transport ferroviaire à deux vitesses : les plus aisés ont la possibilité de partir au début et à la fin des vacances scolaires en prenant leur billet quelques jours à l’avance. Les plus modestes doivent partir hors saison et planifier leurs trajets des semaines voire des mois à l’avance, alors même qu’ils vivent souvent dans des conditions plus précaires et ont donc moins de visibilité quant à leur avenir.

Ce mode de tarification, s’il est perçu comme normal pour le transport aérien – un mode de transport de luxe – ne l’est pas pour un service public ayant vocation à participer de l’unité du territoire.

L’entreprise publique citoyenne que nous voulons ne peut pas pratiquer un tel mode de tarification, contraire à toute norme commerciale de base et nuisible à l’égalité des usagers. Nous en demandons l’abrogation et le remplacement par une grille tarifaire transparente, à la variabilité réduite et accessible à toutes et à tous.

M. Damien Adam, rapporteur pour avis. Ce qui est assez paradoxal, c’est que vous vous appuyez sur les bons résultats de la SNCF en 2017 pour expliquer qu’il n’est pas nécessaire de faire une réforme, alors qu’ils sont aussi liés à la tarification en temps réel, qui permet de faire varier le prix des billets en fonction de l’offre et de la demande. Il est dommage d’être d’accord avec la conséquence, mais de refuser la cause.

Ensuite, dans le cadre de l’ouverture à la concurrence, la politique tarifaire de la SNCF ne sera pas forcément celle des autres acteurs qui interviendront sur le marché. Il est possible que Thello, la Deutsche Bahn ou d’autres adoptent un prix fixe qui sera valable trois mois avant, ou trois heures avant. L’ouverture à la concurrence ne permet pas du tout d’empêcher chaque acteur de décider de sa tarification. Avis défavorable.

M. François Ruffin. C’est tout le problème, Monsieur le rapporteur ! Les nouveaux acteurs qui vont entrer sur le marché feront les tarifs qu’ils voudront, comme ils le voudront, d’où la nécessité d’un encadrement.

Je rebondis sur la remarque de notre collègue Daniel Fasquelle, avec qui je n’ai pas de difficulté à être en accord régulier (sourires), il ne le dirait pas ainsi, mais nous voyons bien une politique de classe menée par la SNCF depuis vingt ans, en instaurant des contraintes supplémentaires pour les usagers qui veulent utiliser les trains Intercités. Que va-t-il se passer sur le plan tarifaire ? Encore plus d’exclusion ? J’en reviens au rapport Spinetta ; à la page 25, il y est écrit que d’après GoEuro, le prix moyen en France serait de 7,80 euros pour 100 kilomètres ; contre 29,70 euros au Danemark ; 28,60 euros en Suisse ; 24 euros en Autriche. L’Italie et l’Allemagne auraient également des tarifs plus élevés. Le rapport est d’un à quatre !

L’ouverture à la concurrence dont on nous vante les vertus ne va-t-elle pas avoir pour conséquence une augmentation des tarifs, notamment pour les lignes que les gens sont condamnés à utiliser ? Je prends le train Intercités tous les matins entre Paris et Amiens, si cette ligne est confiée à un autre opérateur que la SNCF, elle sera évidemment extrêmement rentable et juteuse, et il existe un risque que ses tarifs augmentent.

Mme Marie Lebec. Monsieur François Ruffin, je suis très intéressée par votre argument, je pense qu’il traduit vraiment une différence de philosophie entre nous. Avant, quand il y avait trois opérateurs de téléphonie mobile sur le marché, le forfait coûtait le double. L’arrivée de Free a été bénéfique au consommateur et fait baisser le prix des forfaits. Les choses se passeront exactement de la même façon à l’ouverture à la concurrence de la SNCF et du réseau français, puisque le consommateur s’orientera vers les opérateurs qui proposent le prix le plus attractif.

M. François Ruffin. Il n’y aura pas plusieurs opérateurs sur la même ligne !

Mme Marie Lebec. Vous avez parlé de la ligne Amiens-Paris : si elle n’est plus attractive, il y aura toujours la possibilité de se tourner vers les autocars. C’est le jeu de la concurrence qui remettra en question les tarifs pratiqués par les opérateurs. Je ne vois pas en quoi l’ouverture à la concurrence entraînerait forcément une augmentation des prix, ou pourquoi il faudrait forcément des tarifs réglementés.

M. Antoine Herth. J’ai eu l’occasion de me pencher un peu sur le retour d’expérience de l’ouverture à la concurrence en Allemagne. En réalité, de multiples cas de figure sont possibles. Pour la tarification, l’autorité organisatrice des transports peut laisser les opérateurs libres de fixer le tarif qu’ils souhaitent ; elle peut décider de vendre elle-même les billets, donc décider des grilles tarifaires ; elle peut laisser l’opérateur vendre les billets, mais lui imposer, sur la partie des tarifs sociaux, de prendre en compte un certain nombre d’objectifs de service public. C’est une question intéressante qui mériterait d’être posée à la ministre. Est-ce que cette loi, avec ses ordonnances, va encadrer les possibilités ouvertes sur les TER pour les treize régions françaises, ou va-t-elle laisser à chaque région la possibilité de faire plus de social, ou de privilégier un cahier des charges différent ?

M. Daniel Fasquelle. Il faut faire attention, comparaison n’est pas raison. La comparaison avec la téléphonie mobile ne tient pas : rares sont les lignes où nous aurons la possibilité de choisir entre plusieurs compagnies de chemin de fer. Et dans les territoires ruraux, la conséquence de l’ouverture à la concurrence du marché de la téléphonie est que l’on n’y trouve toujours pas de réseau sans fil ou de fibre optique. Pour le rail, je me demande qui va payer, à la fin, car un certain nombre de lignes sont déficitaires.

Peut-être qu’entre Paris et Amiens, la ligne sera excédentaire, mais pour continuer jusqu’à chez moi, elle sera déficitaire car il y aura beaucoup moins de passagers. Qui va payer ? Le consommateur ? La comparaison avec les tarifs à l’étranger que vous avez donnés est édifiante sur ce point. Le contribuable ?

M. Richard Lioger. Les régions !

M. Daniel Fasquelle. Dans ce cas, une fois de plus, l’État se défausse sur les collectivités territoriales. Et les inégalités territoriales s’aggraveront d’une région à une autre. Ou alors, d’une ligne à une autre dans une même région, le tarif au kilomètre ne sera pas le même. Vous êtes en train de démolir tout le système de péréquation qui a été mis en place pour assurer l’égalité entre les Français sur le territoire national et de créer une vraie inégalité, nouvelle, entre eux.

M. Alain Bruneel. À ceux qui prétendent que la concurrence a bien fonctionné dans la téléphonie, je rappelle que l’État a lancé la privatisation de France Télécom en 1997, et, en 2005, les opérateurs de téléphonie ont été condamnés pour être convenus de maintenir des prix élevés. On compte plus de 13 030 plaintes à ce jour.

Il en va de même pour la fourniture de l’eau, toujours soumise à la concurrence. Cela a-t-il permis au citoyen de faire baisser les prix ? Pas du tout !

Et en 2005, l’entreprise publique EDF-GDF a été éclatée et partiellement privatisée. Depuis, le prix de l’électricité a augmenté de 30 %, celui du gaz de 80 %.

M. Damien Adam rapporteur pour avis. Pour la concurrence entre les acteurs, l’Autorité de la concurrence pourra être saisie dès qu’un problème est constaté, ce n’est pas vraiment le sujet.

Le débat qui vient de se tenir est extrêmement intéressant, mais nous mélangeons tous les sujets, car il y a deux cas de figure distincts. S’il s’agit d’un réseau régional, la région gérera les tarifs, l’opérateur n’aura pas la main. Les régions définiront tous les tarifs en vigueur. Effectivement, il y aura des différences entre les territoires, mais la situation en Normandie n’est pas la même que dans les Alpes, il faut avoir conscience de la réalité.

Pour la partie TGV, rien n’interdit à M. François Ruffin de mettre en place un train avec une tarification à 20 euros tous les jours pour le Paris-Amiens.

M. François Ruffin. Vous voulez que je rachète une ligne ?

M. Damien Adam rapporteur pour avis. Vous pouvez racheter un sillon, et offrir votre service !

La concurrence permet à chaque acteur de faire les choses différemment et de répondre au marché en fonction de ce qui lui semble le plus pertinent. Le sujet ne se pose pas, toutes les entreprises ne vont pas forcément choisir la tarification en temps réel, elles choisiront la politique de tarification qui leur semblera la plus pertinente.

Avis défavorable à cet amendement.

M. Daniel Fasquelle. Ce n’est pas sérieux. Vous dites que les opérateurs privés réduiront leurs tarifs pour attirer des clients. Ils voudront maximiser la rentabilité sur leurs lignes, à l’échelle de l’ensemble de l’entreprise, ils ne vont pas faire circuler des trains à perte.

Votre raisonnement ne tient pas ! Il y aura un « cochon de payeur », l’usager ou le contribuable. Il en est allé de même lors de la mise en concurrence de la téléphonie mobile, à la fin, il faut bien que quelqu’un paie pour le réseau, son entretien et son développement. Faire croire que l’ouverture à la concurrence est l’alpha et l’oméga, et que grâce à elle, nous n’aurons plus à dépenser d’argent pour entretenir le réseau ou avoir des trains bon marché, ce n’est pas sérieux.

M. François Ruffin. L’unité de la République n’est pas un vain mot. Dans le débat, on ne nous répond pas à ce sujet. On nous dit que telle région pourra fonctionner d’une certaine manière, telle autre d’une autre manière et que sur telle ligne, on verra bien mais que veut-on comme service public ferroviaire ? Le rail a été l’un des facteurs de construction de la nation au XIXème siècle, ce n’est pas rien ! Je trouve vos réponses très faibles et on atteint des sommets de dogmatisme quand on entend dire que la concurrence résout tous les problèmes et qu’il suffit de laisser les entreprises privées agir librement pour que ça aille mieux. Excusez‑moi mais je n’ai pas suffisamment confiance en les entreprises privées pour penser qu’elles vont faire naturellement ce qu’il y a de mieux pour le voyageur, pour tous les publics et pour les territoires. Qu’avez-vous à proposer et lesquelles de nos propositions retenez-vous pour qu’il y ait un encadrement a minima des politiques tarifaires et des politiques en faveur des territoires ruraux ?

M. Alain Bruneel. En disant que chaque région va pouvoir décider, on renforce la concurrence entre les territoires. Les citoyens ne seront donc pas à égalité, ce qui est dramatique. Cela se passe déjà ainsi dans les transports scolaires : sur chaque territoire, un tarif spécifique s’applique.

Mme Sophie Beaudoin-Hubiere. Depuis tout à l’heure, j’ai l’impression qu’on parle d’ouverture à la concurrence. Or, je ne suis pas certaine que le débat soit là puisqu’il a été tranché il y a de nombreuses années, à une époque où beaucoup d’entre nous ne pensaient pas être ici un jour. Pourrait-on par conséquent en revenir à la défense de cet amendement ?

M. Richard Lioger. Dans le cadre des appels d’offre que vont lancer les régions, comme dans celui des milliers de délégations de service public que passent aujourd’hui les collectivités locales en France dans tous les domaines, c’est le mieux-disant, tant sur le plan tarifaire que sur celui du service, qui sera retenu et s’il n’apporte pas satisfaction, il sera écarté la fois suivante. Il n’y a pas d’incompatibilité entre société privée et service public. Soit vous êtes de mauvaise foi, soit il va vous falloir accepter le fait qu’on soit dans le cadre d’une délégation de service public gérée par les collectivités – et en premier lieu, par les régions. Faisons confiance aux régions pour faire en sorte que le meilleur tarif soit proposé et que le meilleur service soit rendu.

M. Damien Adam, rapporteur pour avis. S’agissant des tarifs, il y a déjà une différenciation entre les régions. Que vous soyez contre l’ouverture à la concurrence n’y changera rien. Vous avez quelques années de retard, là encore.

Je ne sais, Monsieur Daniel Fasquelle, si vous êtes au courant qu’il y a déjà quelqu’un qui paie : si on dépense chaque année 14 milliards d’euros dans le secteur ferroviaire, c’est parce que l’État y met sa part. Si le réseau est mieux utilisé et qu’il y a plus de trains, les acteurs financeront plus de sillons et il y aura donc plus d’argent pour financer la rénovation du réseau. Ce sera positif pour tout le monde. On a donc intérêt à cette ouverture à la concurrence. Je vous croyais libéral mais je vois que vous l’êtes beaucoup moins depuis quelques mois.

Je reste défavorable à cet amendement.

La commission rejette l’amendement CE5.

Elle étudie l’amendement CE6 de M. Loïc Prud’homme.

Mme Bénédicte Taurine. Cet amendement vise à maintenir des points de vente physiques dans toutes les gares du territoire. Il est de plus en plus difficile pour les usagers d’acheter un billet ou d’avoir des informations à un guichet en gare ou en boutique. Entre 2011 et 2014, plus de 2000 emplois ont été supprimés à la vente dans les gares, les boutiques, les caisses et les centres d’appel. En 2014, 80 points de vente ont été fermés, à quoi il faut ajouter les réductions des amplitudes horaires et la fermeture des points de vente le week-end. Tout est mis en œuvre pour renoncer à une distribution digne du service public.

Nous nous opposons par cet amendement à la politique de suppression des points de vente et du tout numérique, telle qu’elle est menée. Celle-ci déshumanise le service public et supprime des emplois. Au contraire, nous demandons que soit maintenue l’accessibilité du service public au plus grand nombre.

M. Damien Adam, rapporteur pour avis. La présence de guichets physiques pour se procurer des billets de train un peu partout en France est un point important. C’est pourquoi il est mentionné dans les habilitations du Gouvernement à légiférer par ordonnances. Ce que prévoit le projet de loi est suffisant. Avis défavorable.

M. François Ruffin. On nous dit que l’ouverture à la concurrence n’est pas le débat. La question que nous soulevons dans tous nos amendements est de savoir, si l’on ouvre le secteur ferroviaire à la concurrence, quelles garanties on aura du maintien d’un service public pour les territoires et pour tous. Dans cet amendement, nous demandons un engagement sur la présence de points de vente physiques : il est déjà très compliqué aujourd’hui dans de nombreuses gares d’accéder à une machine – je ne parle même pas d’avoir accès à une personne physique – pour acheter son billet.

D’autre part, on nous dit que les régions vont s’organiser et qu’on verra bien quels appels d’offre elles passeront. Mais jusqu’à maintenant, la ligne Paris‑Amiens ou la ligne Paris-Étaples-Le Touquet a été assurée par un train Intercités et non par un train express régional. Ce projet de loi pourrait donc déterminer le sort de ces lignes Intercités sans que cette responsabilité soit déléguée à la région.

M. Thierry Benoit. Je vais me surprendre à soutenir un amendement du groupe La France insoumise. La question soulevée étant importante, cela m’ennuierait qu’elle soit réglée par voie d’ordonnance. On parle là des points de connexion des Français, qu’ils soient usagers réguliers ou clients, avec le réseau ferroviaire. Au moment où l’on parle d’ouverture à la concurrence, c’est un sujet dont nous parlementaires devons pouvoir débattre. Je suis tenté de voter cet amendement, à moins que le rapporteur ait une réponse plus complète à nous donner que celle qu’il a apportée à notre collègue tout à l’heure.

M. Daniel Fasquelle. La question de l’accueil physique dans les gares est primordiale. On connaît tous des gares dans lesquelles cet accueil a été supprimé, ce qui, on le sait très bien, a entraîné une baisse du nombre de clients. Rien n’est fait pour entretenir certaines lignes ni certaines gares et ensuite, on prend prétexte de ce qu’il y a peu d’usagers pour fermer les lignes. Ce n’est pas très sérieux ! Il faut entretenir les lignes mais aussi penser aux gares. Ces dernières ne sont pas seulement un lieu d’accueil des usagers : elles peuvent être aussi un formidable lieu de développement économique. J’ai d’ailleurs proposé dans ma circonscription de créer des pépinières d’entreprises aux abords des gares. Le Gouvernement pourrait imaginer demain un plan de ce type. Après, la question est toujours de savoir qui paie. Sont-ce les collectivités territoriales, les régions ? Quelle sera la participation de l’État ? La région et les collectivités ont dû financer l’essentiel du coût de rénovation des abords de la gare d’Étaples-Le Touquet. Et quand on a parlé de l’intérieur de cette gare, où la SNCF vend ses billets, cette dernière a accepté royalement de mettre 15 % du prix. Demain, qui paiera la rénovation de ces gares si on veut y maintenir un accueil physique ?

M. Thierry Benoit. La question se pose pour les gares mais aussi pour les boutiques SNCF, dans les territoires où il n’y a pas de gare, comme dans ma commune où le seul point de contact de mes concitoyens avec la SNCF est une boutique du réseau. Cet amendement englobe l’ensemble de la problématique – gares et boutiques SNCF. Il faut donc l’examiner avec attention et bienveillance, Monsieur le rapporteur.

M. Guillaume Kasbarian. La question des gares est importante. Ce sont des lieux de rencontre quotidiens, de lien social et de services pour les usagers, des lieux auxquels les citoyens sont bien évidemment tous attachés.

Cependant, quand on part du principe que tous les points de vente physiques d’aujourd’hui doivent être maintenus dans les années qui viennent, sans aucune limitation dans le temps, se pose la question de savoir qui va payer ces points de vente physique et combien de temps on va réussir à les faire tenir. On ne peut éluder cette question essentielle.

D’autre part, je suis assez choqué que dans l’exposé sommaire de leur amendement, nos collègues disent s’opposer au tout numérique. Le but n’est pas de tomber dans le tout numérique immédiatement mais le législateur a aussi pour rôle d’anticiper les ruptures technologiques et les changements d’usage qui vont arriver, qu’on le veuille ou non, dans les années qui viennent par le biais des applications mobiles et des systèmes de billetterie électronique. Plutôt que de s’opposer de façon dogmatique et irresponsable à ce mouvement technologique inéluctable, il faut se demander comment l’anticiper et former les usagers, y compris les personnes âgées et les personnes les plus fragiles, à ces usages numériques.

M. Damien Adam, rapporteur pour avis. Les gares qui pourraient voir leur guichet fermé ne sont pas les grandes gares mais les petites, sur les lignes TER dont les régions sont les autorités organisatrices. Ce n’est pas à l’État, depuis Paris, de décider s’il faut fermer tel ou tel guichet mais aux régions d’y réfléchir. Quand des boutiques SNCF ne sont pas dans la gare mais juste à côté, elles peuvent faire doublon. Il est intéressant qu’il y ait dans les villes un endroit où on peut se procurer des billets mais il ne doit pas forcément être dans la gare. Laissons la main à ceux qui ont le pouvoir de décider dans les régions. Encore une fois, dans le cadre du débat sur les ordonnances, nous discuterons de l’organisation territoriale de la vente des billets. On ne peut pas faire semblant que le numérique n’existe pas ni que les ventes au guichet ne se cassent pas la figure : les gens ont des abonnements et achètent aussi leurs billets sur internet et sur leur téléphone mobile. Le monde a changé. Il faut s’y adapter tout en offrant la possibilité à chaque citoyen de se procurer un billet. On doit effectivement offrir une solution aux gens qui n’ont pas d’outils numériques mais je ne suis pas sûr qu’elle passe forcément par un point de vente en gare. On peut très bien travailler avec l’office du tourisme ou le bureau de tabac – que sais-je ?

M. François Ruffin. Déjà qu’il n’y a plus de bureaux de poste…

M. Damien Adam, rapporteur pour avis. On peut trouver des solutions innovantes, pertinentes et qui offrent le même service mais pas forcément au même coût. Aussi, je reste défavorable à cet amendement.

La commission rejette l’amendement CE6.

Elle en vient à l’amendement CE36 de M. Sébastien Jumel.

M. Sébastien Jumel. Nous nous interrogeons quant à l’opportunité de modifier les modalités de gestion et d’exploitation des gares et quant aux conséquences de ces modifications sur la qualité du service.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

Elle aborde l’amendement CE8 de M. Loïc Prud’homme.

Mme Bénédicte Taurine. Cet amendement vise à freiner le développement déraisonné de la sous-traitance et de l’externalisation. Nous nous opposons à la logique d’exploitation privée et à la vente à la découpe des gares. Il est inconcevable que l’intégralité des services puisse être externalisée et sous-traitée. La sous-traitance est bien trop souvent un facteur de précarité pour les salariés du secteur et de baisse de qualité du service pour les usagers. Par cet amendement, nous demandons le maintien d’une gestion et d’une exploitation majoritairement publiques des gares de voyageurs.

M. Damien Adam, rapporteur pour avis. Actuellement, la branche Gares & Connexions est rattachée à l’établissement public industriel et commercial (EPIC) SNCF Mobilités. Il est prévu d’en faire soit une société anonyme rattachée à l’EPIC de tête, soit une filiale de la branche Réseau. Dans les deux cas, dans la mesure où ces entités devraient soit rester des EPIC, soit devenir des sociétés nationales à capitaux 100 % publics et à titres incessibles, cet amendement me semble satisfait et votre demande ne requiert pas d’habilitation spécifique. Avis défavorable.

M. François Ruffin. Alain Minc disait grosso modo que le marché était inéluctable, qu’on ne pouvait pas s’y opposer et qu’il était comme la pluie ou la loi de la gravité. En l’occurrence, vous faites un vrai choix politique qui est d’installer le marché : le marché n’a donc rien d’inéluctable. Et non seulement on est dans un économisme étroit qui limite de plus en plus la liberté humaine – puisque vous dites que ce n’est pas à nous mais au marché de décider – mais voilà maintenant que s’y ajoute l’idée que la technologie est inéluctable. Je ne le crois pas. Face à la technologie aussi, nous avons des choix à faire, notamment pour maintenir le contact humain. Les gens ne vont pas naturellement se tourner vers le numérique puisque vous dites vous-mêmes que les personnes âgées et les personnes fragiles seront exclues de ce mouvement et qu’il faudra les former, une fois que les personnes physiques auront disparu et auront été remplacées par un système à distance, requérant du matériel numérique. Enfin, on est pris en tenaille entre les entreprises, maîtresses de la décision dans le cadre de l’ouverture à la concurrence, et les régions autorités organisatrices : que restera-t-il à l’État et à la Nation dans tout cela ?

Mme Marie Lebec. Contrairement à M. François Ruffin, je pense que l’ouverture à la concurrence représente une véritable opportunité, à laquelle on doit se préparer puisqu’elle viendra en 2019, 2021 ou en 2023. Si on veut maintenir un service public de qualité, il est absolument impératif que la SNCF s’adapte à cette ouverture. Les régions, qui ont été dotées de nouvelles compétences, sont prêtes à se saisir de cette opportunité. Il faut donc que nous leur donnions les capacités de le faire. Enfin, je voudrais citer notre collègue député Benoît Simian qui a également été cheminot dans une vie antérieure : il rappelle que l’ouverture à la concurrence offre aussi la possibilité d’innovations pour la SNCF et pour d’autres entreprises et qu’avoir de nouvelles perspectives est source d’enrichissement et de plaisir au travail.

M. Daniel Fasquelle. Il ne faut pas se méprendre. L’ouverture à la concurrence, pourquoi pas, mais encore une fois, il ne faut pas en faire l’alpha et l’oméga et croire que cela va régler tous nos problèmes. Cela en règlera peut-être certains mais cela peut aussi en créer d’autres. Ainsi, l’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire a été un échec. Vous avez parlé de la téléphonie et du très haut débit : ce sont justement des secteurs dans lesquels l’État aurait dû prendre la main pour installer la fibre optique et des mâts partout en France pour louer ces derniers à des opérateurs de téléphonie. Tous les Français auraient alors eu accès, dans les mêmes conditions, à la téléphonie mobile et au très haut débit, comme ils l’ont eu à l’électricité et au téléphone filaire. Au lieu de cela, on rame encore. J’ai fait une réunion dans ma circonscription la semaine dernière en présence de la sous-préfète car plusieurs villages n’ont toujours pas le téléphone mobile, pas même en 2G. L’ouverture à la concurrence n’est pas la solution à tous nos problèmes : il faut encore qu’elle soit bien organisée et bien maîtrisée. Ne créez pas une France à deux vitesses. N’accroissez pas la cassure qui est en train de se créer dans notre pays.

M. Antoine Herth. Pour en revenir à l’amendement qui concerne le sort de
Gares & Connexions, M. le rapporteur nous dit que deux options sont sur la table. J’aimerais quand même qu’à l’occasion du débat en séance publique, on puisse comparer les avantages et inconvénients de ces deux options – rattachement à l’EPIC de tête ou filialisation au sein de SNCF Réseau. Je n’ai pas les éléments aujourd’hui pour juger quelle est l’option la plus intéressante.

M. Damien Adam, rapporteur pour avis. Monsieur François Ruffin, nous savions que vous lisiez Challenges,

M. François Ruffin. Je lis Les Échos

M. Damien Adam, rapporteur pour avis. … maintenant, vous citez Alain Minc, je commence à m’inquiéter sérieusement pour vous, compte tenu de votre glissement vers le libéralisme. (Sourires.)

Plus sérieusement, ce sont bien les régions qui sont autorités organisatrices des TER. S’agissant du TGV et des Intercités d’envergure nationale, l’État jouera évidemment son rôle, notamment par le biais de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) et de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER). C’est le cas aujourd’hui et cela ne changera pas.

Pour répondre à M. Daniel Fasquelle, il faut effectivement veiller attentivement à ne pas créer d’opposition entre les territoires et éviter de tout faire pour les zones urbanisées et rien pour la ruralité. C’est un débat qui dépasse les opinions politiques des uns et des autres. Dans ce projet de loi ferroviaire, nous avons à cœur de ne pas mettre de côté les territoires ruraux, c’est pourquoi nous n’avons pas repris la proposition de M. Jean-Cyril Spinetta sur les petites lignes : nous avons estimé que ce n’était pas l’objet de ce projet de loi que de les supprimer. Nous avons à cœur de le faire, bien au-delà du projet de loi ferroviaire mais comme ce n’est pas le sujet de notre discussion de ce soir, je ne m’y étendrai pas.

Pour avoir auditionné beaucoup d’acteurs au sujet de Gares & Connexions, je n’ai pas l’impression qu’une solution se distingue comme bien meilleure que l’autre. Il y a des différences de points de vue. Se pose la question de l’indépendance de Gares & Connexions vis-à-vis de sa structure – SNCF Réseau demain contre SNCF Mobilités aujourd’hui. Certains auraient aussi souhaité que nous sortions de Gares & Connexions les gares les moins intéressantes financièrement pour essayer de maximiser les revenus qui pourraient être dégagés. Nous ne sommes pas favorables à cette option. Quant à savoir où doit se placer Gares & Connexions dans la nouvelle organisation globale de l’entreprise, c’est tout l’objet des discussions en cours avec les syndicats. Le premier des deux mois de concertation est déjà passé. Trente réunions ont été organisées ; quarante autres sont prévues dans le mois qui vient. Il est bon de faire en sorte que les syndicats puissent donner leur point de vue car ils vivent l’entreprise de l’intérieur et ont une connaissance très fine des problèmes qui se posent. Nous parlions tout à l’heure sur le ton de la boutade des problèmes de verrière à la gare de Lyon mais ils sont réels pour les cheminots. Selon que c’est Gares & Connexions, SNCF Réseau ou SNCF Mobilités qui fait les travaux, cela ne soulèvera pas du tout les mêmes enjeux. Il faut écouter les syndicats et, en fonction de leurs points de vue, nous pourrons, en tant que législateurs, prendre nos responsabilités et en débattre la semaine prochaine en séance publique. Nous pourrons également demander son point de vue sur le sujet à la ministre.

Pour conclure, je serai défavorable à cet amendement.

La commission rejette l’amendement CE8.

Elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 4 sans modification.

Enfin, elle émet un avis favorable à l’adoption du projet de loi sans modification.

 

 


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LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

(par ordre chronologique)

Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER)

M. Bernard Roman, président

M. Jean-Marc Vié, secrétaire général

Mme Marine Gaignard, chef de cabinet du président

Fédération Sud Rail

M. Fabien Dumas, secrétaire fédéral

M. Eric Meyer, secrétaire fédéral

M. Christophe Abadi, secrétaire fédéral

Ministère des transports – direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM)

M. François Poupard, directeur général

Mme Anne-Emmanuelle Ouvrard, sous-directrice de la sécurité et de la régulation ferroviaires

Mme Alice Lefort, adjointe au sous-directeur du travail et des affaires sociales

SNCF Gares & Connexions *

M. Patrick Ropert, directeur général

M. Stéphane Volant, secrétaire général de la SNCF

Mme Laurence Nion, conseillère parlementaire de la SNCF

Association des usagers du rail normand (ADURN)

M. Valery Runemberg, président

Mme Karine Maubé-Courteaud, vice-présidente

M. Mathieu Marcinkiewicz, secrétaire

Association des régions de France (ARF)

M. Michel Neugnot, président de la commission transport de l’ARF, vice‑président de la région Bourgogne Franche Comté

Mme Patricia Perennes, conseillère transport

Mme Marie-Reine du Bourg, conseillère parlementaire

Association française du rail (AFRA)

M. Claude Steinmetz, président

M. Franck Tuffereau, délégué général

CFDT Cheminots

M. Didier Aubert

M. Sébastien Mariani

M. Rémi Aufrere-Privel

M. Olivier Boissou

M. Thomas Cavel

Force ouvrière Cheminots

M. François Grasa, secrétaire général

M. Philippe Herbeck, secrétaire général adjoint

Association française des gestionnaires d’infrastructures ferroviaires indépendants *

M. Alexis de Pommerol, président

M. Hervé Le Caignec Hervé, président de LISEA

Mme Pauline d’Héré, déléguée générale

UNSA Ferroviaire

M. Roger Dillenseger

Mme Fanny Arav

Mme Nathalie Wetzel

M. Florent Monteilhet

Île-de-France Mobilités

M. Stéphane Beaudet, vice-président du conseil régional d’Île-de-France, chargé des transports

M. Laurent Probst, directeur général

M. Christophe Saintillan, directeur général adjoint

SNCF *

M. Frédéric de Saint-Geours, président du conseil de surveillance de la SNCF

M. Guillaume Pepy, président du directoire de la SNCF et
président‑directeur général de SNCF Mobilités

M. Patrick Jeantet, président délégué du directoire de la SNCF et président‑directeur général de SNCF Réseau

M. Stéphane Volant, secrétaire général de la SNCF

Mme Laurence Nion, conseillère parlementaire

Fédération CGT Cheminots

M. Laurent Brun, secrétaire général

M. Thierry Durand, secrétaire fédéral

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire AGORA des représentants d’intérêts de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui vise à fournir une information aux citoyens sur les relations entre les représentants d’intérêts et les responsables publics lorsque sont prises des décisions publiques.

 


([1]) La part modale désigne le pourcentage des déplacements effectués en train par rapport à l’ensemble des déplacements effectués.

([2]) 16 États de l’Union européenne ont déjà ouvert à la concurrence leurs services de transport domestique de voyageurs. Cette ouverture est effective dans 12 de ces États (dans les 4 autres, l’ouverture à la concurrence n’a pas entrainé l’entrée d’un nouvel opérateur sur le marché domestique et l’opérateur historique demeure dans une situation de monopole de fait).

([3]) « Toute autorité compétente qui recourt à un tiers autre qu'un opérateur interne attribue les contrats de service public par voie de mise en concurrence » (art. 5 § 3).

([4]) Par exemple, l’article L. 2121-4 du code des transports précise que les services régionaux font l’objet d’une convention entre les régions, qui sont les autorités organisatrices, et SNCF Mobilités.

([5]) Comme l’indique l’ARAFER, « un dispositif […] confie au régulateur national le soin d’apprécier, via la réalisation d’un « test d’équilibre économique », une éventuelle atteinte à l’équilibre économique d’un contrat de service public qui, seule, autorise les autorités compétentes à limiter le droit d’accès aux infrastructures par de nouveaux services. Les mesures détaillant la procédure à suivre et les critères à respecter par le régulateur dans la réalisation de ce test seront définies dans des actes d’exécution de la Commission européenne qui doivent être adoptés au plus tard le 16 décembre 2018 et qui sont actuellement en cours de discussion […]. L’enjeu de l’interprétation de la définition des services ferroviaires de transport de voyageurs à grande vitesse est de savoir quel périmètre de services est concerné par le test d’équilibre économique, et donc par un risque d’interdiction toujours dissuasif pour tout nouvel entrant potentiel sur le marché ».

([6]) Voir ci-dessus, page 15.

([7]) Comme indiqué préalablement, le choix entre franchises et « open access » devra être opéré et les modalités de son exécution précisément décrites.