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N° 1188

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 24 juillet 2018

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE,

 

relatif à la lutte contre la fraude ( 1142)

PAR M. Jean TERLIER
Député

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Voir les numéros :

Sénat : 385, 602, 603 et 600 et T.A. 133 (2017‑2018).

Assemblée nationale : 1142.

 


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SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION............................................ 5

discussion générale

EXAMEN DES ARTICLES

Titre Ier renforcer les moyens alloués À la lutte contre la fraude fiscale, sociale et douanière

Article 1er A (supprimé) (art. L. 10 B du livre des procédures fiscales) Concours des agents de la direction générale des finances publiques à la recherche des infractions de blanchiment

Article 1er B (supprimé) (art. L. 228 C [nouveau] du livre des procédures fiscales) Saisine préjudicielle du juge de limpôt

Article 1er (art. L. 28-2 du code de procédure pénale) Création dun nouveau service à compétence nationale chargé de mener des enquêtes judiciaires en matière de fraude fiscale

TITRE II renforcement des sanctions de la fraude fiscale, sociale et douanière

Article 7 (art. 1740 A bis [nouveau] et 1753 du code général des impôts, L. 80e du livre des procédures fiscales, L. 114-18-1 [nouveau] du code de la sécurité sociale) Sanction administrative à légard des tiers complices de fraude fiscale et sociale

Article 8 (art. 1741 du code général des impôts) Aggravation des peines damendes encourues en cas de fraude fiscale

Article 9 (art. 495-16 et 804 du code de procédure pénale) Extension à la fraude fiscale de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité

Article 9 bis (art. 41-1-2 du code de procédure pénale) Extension de la convention judiciaire dintérêt public à la fraude fiscale

Article 9 ter (supprimé) (art. L. 228 du livre des procédures fiscales) Inscription dans la loi de la possibilité pour le parquet de poursuivre le délit de blanchiment de fraude fiscale

titre III réforme de la procédure de poursuite pénale de la fraude fiscale

Article 13 (nouveau) (art. L. 141 B [nouveau], L. 228, L. 228 A, L. 188 B et L. 232 du livre des procédures fiscales, art. 131262 du code pénal et art. 705 et 70611 du code de procédure pénale) Encadrement du dépôt de plaintes pour fraude fiscale par ladministration

Article additionnel après article 13 (art. L. 229 du livre des procédures fiscales) Dépôt de plainte par les directions des finances publiques chargées du contrôle fiscal

PERSONNES ENTENDUES PAR Le RAPPORTEUR


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Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude déposé sur le Bureau du Sénat le 28 mars 2018 a pour ambition de renforcer l’efficacité de la lutte contre la fraude fiscale, douanière et sociale sur le plan national, en complément des efforts entrepris par la France à l’échelle européenne et internationale. Il a pour objet de mieux détecter la fraude, de mieux l’appréhender et de mieux la sanctionner.

Ce texte se veut ainsi le pendant du projet de loi pour un État au service d’une société de confiance qui, en posant notamment le principe du droit à l’erreur, vise, quant à lui, à insuffler davantage de bienveillance et de simplicité dans les relations entre l’administration et le public.

Le Sénat a modifié et complété substantiellement le présent projet de loi, en particulier en supprimant certains articles ou en adoptant des articles additionnels. Il a notamment intégré dans le texte des dispositions tendant à aménager le « verrou de Bercy », c’est-à-dire la procédure, prévue à l’article L. 228 du livre des procédures fiscales, d’après laquelle l’administration dispose du monopole pour le dépôt des plaintes pour fraude fiscale devant la juridiction pénale.

La lutte contre la fraude est un sujet particulièrement important pour la commission des Lois qui a créé, dès le 11 octobre 2017, avec la commission des Finances, une mission d’information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales. Celle-ci a rendu son rapport le 23 mai dernier ([1]). Compte tenu de l’enjeu essentiel de ce texte, la commission des Lois a décidé de se saisir pour avis de neuf articles relevant plus directement de son champ de compétences. Elle s’est ainsi penchée, entre autres, sur la création d’une nouvelle « police fiscale » au sein du ministère chargé du budget, sur l’aggravation des sanctions pénales réprimant la fraude fiscale ou encore sur l’extension à celle-ci de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) et de la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP). Elle a surtout, s’agissant du « verrou de Bercy », substitué au système proposé par le Sénat un dispositif moins restrictif et, à ses yeux, plus sûr d’un point de vue juridique.

En se concentrant ainsi sur des sujets en lien avec le droit pénal et la procédure pénale, la commission des Lois a souhaité faire bénéficier de son expertise à la fois le Gouvernement et la commission des Finances en vue de contribuer à l’effort commun de renforcement de la lutte contre la fraude.

 

 

 

La position de la commission des Lois

La Commission a, à l’initiative du rapporteur, adopté plusieurs amendements tendant à :

— supprimer l’article 1er A étendant au délit de blanchiment le champ des infractions pour lesquelles le procureur de la République peut solliciter l’expertise des agents de la direction générale des finances publiques ;

— supprimer l’article 1er B prévoyant une faculté de saisine préjudicielle du juge de l’impôt au profit de la personne faisant l’objet de poursuites pénales pour fraude fiscale ;

— rétablir l’article 1er, supprimé par le Sénat, relatif à la création d’un nouveau service à compétence nationale chargé de mener des enquêtes judiciaires en matière de fraude fiscale ;

— modifier l’article 7, relatif aux sanctions administratives encourues par les tiers ayant aidé des contribuables à commettre des infractions de fraude fiscale et sociale, en subordonnant ces sanctions à la condamnation pénale définitive des auteurs de la fraude ;

— supprimer l’article 9 ter, introduit par le Sénat, visant à inscrire dans la loi la possibilité, reconnue par la jurisprudence dite « Talmon », de poursuivre directement, sans passer par la procédure du « verrou de Bercy », le délit de blanchiment de fraude fiscale ;

— réécrire l’article 13 relatif au « verrou de Bercy », en adoptant un dispositif de dénonciation obligatoire au Parquet des dossiers issus du contrôle fiscal et remplissant certains critères, fixés par la loi, de gravité.

La Commission a par ailleurs émis un avis favorable à l’adoption des articles 8, 9 et 9 bis sans modifications.

La Commission a enfin, sur proposition de Mme Laurence Vichnievsky, adopté un amendement portant article additionnel. Complétant l’article L. 229 du livre des procédures fiscales, il permet le dépôt de la plainte pour fraude fiscale non seulement par les services en charge de l’assiette ou du recouvrement de l’impôt, comme c’est le cas aujourd’hui, mais aussi par ceux chargés uniquement du « contrôle » de celui-ci.

 

 

 

 

 

   discussion générale

Lors de sa première réunion du mardi 24 juillet 2018, la Commission procède à lexamen pour avis du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude (articles 1erA, 1er B, 1er, 7, 8, 9, 9 bis, 9 ter, 13) (M. Jean Terlier, rapporteur pour avis) (n° 1142).

M. Jean Terlier, rapporteur. Le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude a été déposé par le Gouvernement le 28 mars 2018, avec engagement de la procédure accélérée. Il vise à renforcer l’efficacité de la lutte contre la fraude fiscale, douanière et sociale à l’échelle nationale, en complément des efforts entrepris par la France à l’échelle européenne et internationale. Il poursuit plus particulièrement trois objectifs : mieux détecter la fraude, mieux l’appréhender, mieux la sanctionner.

Ce projet de loi a été adopté le 3 juillet dernier par le Sénat, qui l’a modifié et complété sur des points importants, en supprimant par exemple certains articles, ou en adoptant des articles additionnels.

Compte tenu de l’enjeu essentiel de ce texte et de l’entrée de certaines de ses dispositions dans le champ de compétences de la commission des lois, celle-ci a décidé de se saisir pour avis de neuf articles. En tant que rapporteur pour avis, j’ai pu me joindre aux auditions organisées par la rapporteure au fond désignée par la commission des finances, notre collègue Émilie Cariou. Je la remercie d’avoir bien voulu ouvrir ces auditions à l’ensemble des commissaires aux lois qui le souhaitaient. Nous avons pu ainsi entendre le directeur général des finances publiques, le directeur des affaires criminelles et des grâces, le parquet national financier, et des organisations non gouvernementales.

Permettez-moi de vous présenter brièvement les articles qui font l’objet de notre saisine.

L’article 1er A étend le concours des agents de la direction générale des finances publiques aux enquêtes du procureur de la République en cas de blanchiment. Cet article additionnel a été adopté par le Sénat contre l’avis du Gouvernement. Je vous proposerai un amendement tendant à le supprimer.

L’article 1er B prévoit une faculté de saisine préjudicielle du juge de l’impôt au profit de la personne faisant l’objet de poursuites pénales pour fraude fiscale. Là encore, cet article additionnel a été adopté par le Sénat contre l’avis du Gouvernement. Je vous proposerai un amendement tendant à le supprimer, compte tenu notamment des très forts risques de ralentissement, voire de paralysie, de la procédure pénale qu’il comporte.

L’article 1er prévoyait la création d’un nouveau service à compétence nationale chargé de mener des enquêtes judiciaires en matière de fraude fiscale. Il s’agissait d’une « police fiscale », située à Bercy, pouvant être saisie concurremment avec l’actuelle brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF). Cet article a été supprimé par le Sénat. Je vous proposerai un amendement tendant à le rétablir.

L’article 7 autorise l’administration à prononcer des sanctions notamment administratives à l’encontre de tiers ayant intentionnellement aidé des contribuables à commettre des infractions de fraude fiscale et sociale. Je vous proposerai de modifier cet article dont certaines dispositions me paraissent excessivement rigides sur plusieurs points.

L’article 8 prévoit une aggravation des peines d’amendes encourues en cas de fraude fiscale.

L’article 9 étend à la fraude fiscale la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC).

Issu d’un amendement adopté par le Sénat, l’article 9 bis étend également à la fraude fiscale la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP).

Issu également d’un amendement adopté par le Sénat, l’article 9 ter vise à inscrire dans la loi la possibilité pour le parquet de poursuivre directement, sans passer par la procédure dite du « verrou de Bercy », le délit de blanchiment de fraude fiscale. Il s’agit, ce faisant, de graver dans la loi la jurisprudence dite « Talmon » de la Cour de cassation selon laquelle le délit de blanchiment de fraude fiscale est une infraction autonome par rapport au délit sous-jacent de fraude fiscale. Je vous proposerai un amendement tendant à supprimer cet article, eu égard notamment aux risques d’a contrario qu’il comporte.

L’article 13 enfin, qui est au cœur du dispositif, résulte lui aussi d’un amendement adopté par le Sénat. Il a pour objet d’aménager le « verrou de Bercy » en instaurant une obligation pour l’administration de déposer plainte pour fraude fiscale lorsque trois critères cumulatifs sont réunis : l’application au contribuable d’une majoration d’au moins 80 % ; un montant de droits fraudés supérieur à un seuil fixé par décret en Conseil d’État, et une gravité particulière du comportement du contribuable, soit parce qu’il est soumis à des exigences renforcées de probité du fait de ses fonctions ou de ses mandats électifs, soit parce qu’il a déjà été sanctionné récemment pour des faits identiques, soit parce que les faits incriminés peuvent être qualifiés de fraude fiscale aggravée.

Comme vous le savez, ce sujet du « verrou de Bercy » a fait l’objet d’une mission d’information commune à notre commission et à celle des finances, présidée par Éric Diard et dont la rapporteure était notre collègue Émilie Cariou, qui a rendu ses conclusions le 23 mai dernier. Notre commission a donc été étroitement associée aux conclusions de ce travail concernant l’évolution souhaitable de la procédure encadrant l’engagement de l’action publique pour fraude fiscale.

Je vous proposerai un amendement tendant à réécrire globalement l’article 13. Sa rédaction est la même de celle de l’amendement déposé par notre collègue Éric Diard. Il résulte d’une coconstruction avec la commission des finances, ce qui, eu égard au sujet, était particulièrement souhaitable. Les choix faits par le Sénat ne sont pas satisfaisants, car il a prévu un système de dépôt de plainte obligatoire et des critères à la fois cumulatifs et restrictifs qui me paraissent inadéquats.

Voilà, mes chers collègues, en résumé, les dispositions dont nous sommes saisis pour avis et les modifications que je vous suggère d’y apporter afin de donner toute sa portée et sa pleine efficacité à ce texte dont l’ambition est de doter les services de l’État et l’autorité judiciaire des instruments nécessaires dans leur lutte contre la fraude.

M. Jean-Louis Masson. Ce projet de loi souhaite apporter une réponse au défi structurel que représentent la fraude, l’évasion et l’optimisation fiscales, qui représenteraient une perte financière pour la France estimée entre 20 et 80 milliards d’euros par an.

Le texte propose un catalogue de mesures auxquelles nous souscrivons pour une grande part : la création d’une police fiscale, des sanctions renforcées contre les intermédiaires, la désignation publique des fraudeurs, une procédure de plaider-coupable, l’élaboration de la liste noire des paradis fiscaux, l’investissement pour renforcer le data mining, la suppression du « verrou de Bercy », sujet sur lequel mon collègue Éric Diard soutiendra un amendement.

Les sénateurs saisis du projet de loi avant l’Assemblée ont adopté plusieurs dispositions importantes pour le renforcer. Ils ont considérablement assoupli le « verrou de Bercy ». Le rapporteur, M. Albéric de Montgolfier, a fait adopter un amendement introduisant trois critères – manœuvre frauduleuse, montant élevé de la fraude, et récidive – qui déclencheraient obligatoirement le dépôt de plainte sans l’aval de l’administration fiscale. Le Gouvernement avait donné un avis favorable à cet amendement, soutenant ainsi pour la toute première fois d’assouplissement de ce verrou. Le Sénat élargit, par ailleurs, l’application de la convention judiciaire d’intérêt public à la fraude fiscale. Il a adopté des amendements sur le durcissement de la lutte contre le trafic de contrebande de tabac, la suppression de la police fiscale, et le renforcement de la lutte contre la fraude à la TVA dans le commerce en ligne.

Je profite de l’occasion qui m’est donnée pour rappeler que notre collègue Éric Woerth, ministre du gouvernement de François Fillon en 2009, avait particulièrement milité pour convaincre ses homologues du G20 de la nécessité de la levée du secret bancaire, ce qui rejoint pleinement d’esprit de ce projet de loi.

Mme Laurence Vichnievsky. Le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés considère que ce projet de loi comporte d’indéniables avancées dans plusieurs domaines : je pense à la publication des sanctions administratives pour les fraudes les plus importantes, ou à l’alourdissement des amendes, car certaines étaient d’un montant symbolique.

Pour ce qui concerne les modifications apportées par le Sénat, nous ne sommes pas d’accord – et en cela, nous partageons l’avis du Gouvernement – avec le renvoi préjudiciel devant le juge de l’impôt en cas de procédure pénale en cours du fait de fraude fiscale. En revanche, nous sommes favorables à l’inscription dans la loi de la jurisprudence de la Cour de cassation qui donne la possibilité aux procureurs de poursuivre le délit de blanchiment de fraude fiscale sans plainte préalable du ministre du budget.

Je tiens à ce propos à saluer le travail de la mission qui avait été créée par l’Assemblée, en remerciant particulièrement mon collègue Éric Diard qui m’a permis d’assister à ses travaux. Je rends également hommage à la qualité du travail d’Émilie Cariou.

Ce texte contient, c’est vrai, des avancées concernant le « verrou de Bercy », à ceci près que l’assouplissement apporté par le Sénat était quasiment nul : la quantité de critères cumulatifs exigée revenait à ce qu’en réalité on ne déverrouille rien.

Les amendements que nous présenteront tout à l’heure notre rapporteur et notre collègue Diard proposent des avancées, mais nous souhaitons aller plus loin en soutenant deux sous-amendements, le premier pour limiter le caractère trop restrictif du déverrouillage, le second pour réserver au législateur le soin de fixer le seuil du montant des droits éludés au-delà duquel l’administration sera tenue de dénoncer certaines fraudes : nous n’entendons pas laisser ce sujet à l’autorité réglementaire.

Mme Cécile Untermaier. Je salue à mon tour le travail des rapporteurs de la mission et de ce projet de loi. Le groupe Nouvelle Gauche est évidemment très favorable à un projet de loi visant à renforcer l’efficacité de la lutte contre la fraude fiscale, douanière et sociale sur le territoire national, avec l’objectif de mieux détecter, appréhender et sanctionner la fraude.

Je ne saurai pour autant ne pas rappeler, en toute humilité, les travaux précédents qui ont leur importance : la loi du 6 décembre 2013 relative à la fraude fiscale et à la grande délinquance économique et financière, qui a aggravé les peines en cas de fraude fiscale ; la loi organique du 6 décembre 2013 créant le procureur de la République financier à compétence nationale, chargé de la lutte contre la corruption et la fraude fiscale ainsi que contre le blanchiment de fraude fiscale ; la loi enfin du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « loi Sapin 2 », qui comporte un important volet de dispositions relatives à la lutte contre la fraude fiscale.

Il faut cependant aller plus loin. C’est l’objet de ce projet de loi, et je pense que les propositions de notre collègue Laurence Vichnievsky méritent toute notre attention.

Le groupe Nouvelle Gauche présentera dix amendements en commission des finances, qui viseront à muscler le projet de loi en rétablissant la police fiscale rattachée à Bercy – je crois que nous avons l’assentiment du rapporteur pour avis sur ce sujet –, en établissant une liste française précise et complète des paradis fiscaux, et en allant encore un peu plus loin, peut-être de façon cadencée, dans les limitations apportées au fameux « verrou de Bercy ».

Enfin, pour ce qui est du délit de blanchiment de fraude fiscale, nous sommes très favorables à l’idée de laisser la main au procureur.

M. Guillaume Vuilletet. Ce projet de loi correspond à un engagement fort du Gouvernement, non seulement parce qu’il s’agit de morale publique mais aussi parce qu’il y va de l’équilibre du budget de la nation, compte tenu de l’étendue de la fraude. La situation de nos finances serait bien différente si nous parvenions à combattre ce phénomène plus efficacement. C’est l’objet de ce projet de loi, qui vise aussi à adapter davantage la lutte contre la criminalité fiscale aux contingences techniques et numériques de notre époque.

Il faut saluer le premier accroc porté au « verrou de Bercy ». Le sujet avait été abordé dès l’élection de la nouvelle majorité ; le Gouvernement s’était engagé à le traiter. Nous ne pouvons que constater que ces engagements sont en cours de réalisation.

Mme Danièle Obono. Étant donné le niveau de fraude fiscale en France et dans le reste du monde, le sujet est à la fois considérable et urgent. Le groupe La France Insoumise ne peut que regretter que la majorité ait pris autant de temps pour le traiter – il semble qu’elle ait eu d’autres priorités. Connaissant l’impact économique, mais aussi social et moral, de la fraude fiscale, nous considérons que ce texte n’est pas encore à la hauteur des enjeux.

Même si certaines mesures vont dans le bon sens, elles ne sont pas assez dissuasives et risquent en conséquence d’être inefficaces. Les sanctions prévues nous paraissent généralement trop faibles, et la plupart des mesures ou, en tout cas, un certain nombre ne changeront rien à la situation puisqu’elles existent d’ores et déjà : la police fiscale existe déjà ; la simple transposition de la liste, relativement restreinte, des paradis fiscaux de l’Union européenne est une solution un peu rapide ; quant à la question du verrou de Bercy, elle est traitée de manière à ce qu’il soit non pas amené à disparaître, mais simplement aménagé – alors que nous en contestons, pour notre part, le principe même.

Plus généralement, il nous semble que le projet de loi ne vise que les petits poissons, en laissant filer les gros fraudeurs. Les banques, les multinationales et les plus riches ne semblent pas devoir être inquiétés.

Enfin, ce texte ne s’attaque suffisamment ni à la fraude illégale ni à l’évasion fiscale légale : c’est à nos yeux une de ses principales limites. Nous pensons qu’il faut renforcer les moyens humains et budgétaires de l’ensemble des administrations en charge de la lutte contre la fraude fiscale, comme le demandent les syndicats concernés. Si l’on veut mieux lutter contre cette fraude, il faut renforcer les sanctions contre les fraudeurs et s’attaquer au fléau de l’évasion. Nous proposerons un certain nombre de dispositions, et nous serons très attentifs et très actifs pour faire en sorte qu’elles soient adoptées afin que ce projet de loi ait une réelle efficacité.

La Commission en vient à lexamen des articles dont elle est saisie pour avis.

   EXAMEN DES ARTICLES

Titre Ier
renforcer les moyens alloués À la lutte contre la fraude fiscale, sociale et douanière

Article 1er A (supprimé)
(art. L. 10 B du livre des procédures fiscales)
Concours des agents de la direction générale des finances publiques à la recherche des infractions de blanchiment

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 1er A a été introduit par un amendement de Mme Nathalie Goulet adopté par la commission des finances du Sénat. Lors de l’examen en séance, un amendement de suppression présenté par le Gouvernement a été rejeté.

Cet article étend le concours des agents de la direction générale des finances publiques (DGFiP) aux enquêtes du procureur de la République en cas de blanchiment.

Position de la commission :

À l’initiative du rapporteur, la commission des Lois a adopté un amendement tendant à supprimer l’article 1er A.

I.   le droit existant

L’article L. 10 B du livre des procédures fiscales a été créé par l’article 59 de la loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne. Il prévoit le concours des agents de la DGFiP ([2]) à la recherche de plusieurs infractions faisant l’objet d’une enquête menée sur instructions du procureur de la République.

Dans ce cadre, les agents de la DGFiP procèdent à des recherches de nature fiscale permettant de contribuer à la preuve desdites infractions. Ils en portent le résultat à la connaissance du procureur de la République.

L’article L. 10 B autorise le Procureur de la République à solliciter l’expertise des agents de la DGFiP afin de rassembler des éléments de preuve concernant les infractions pénales suivantes :

-         articles 222-38 et 222-39-1 du code pénal ([3]) : blanchiment de capitaux ou train de vie injustifié en lien avec un trafic de stupéfiant ;

-         article 225-4-8 : infraction liée à la traite d’êtres humains ;

-         articles 225-5 et 225-6 : proxénétisme ;

-         article 321-1, deuxième alinéa : recel du produit d’un crime ou d’un délit ;

-         article 321-6 : train de vie injustifié en lien avec des crimes ou délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement ;

-         article 421-2-3 : train de vie injustifié en lien avec des actes de terrorisme ;

-         article 450-2-1 ([4]) : train de vie injustifié en lien avec des personnes participant à une association de malfaiteurs.

Parallèlement à ces coopérations et dans le cadre de leurs enquêtes en matière de fraude fiscale ou de blanchiment, les juges d’instruction et procureurs peuvent également saisir la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF), créée par le décret n° 2010-1318 du 4 novembre 2010 sur le fondement de l’article 28-2 du code de procédure pénale ([5]). La BNRDF est composée de 42 membres associant 22 officiers fiscaux judiciaires et 20 officiers de police judiciaire.

II.   la réforme adoptée par le sénat

Le Sénat a adopté un amendement de Mme Nathalie Goulet visant à étendre aux infractions de blanchiment simple et aggravé définies aux articles L. 324-1 à L. 324-6-1 du code pénal le droit de réquisition fiscale du Procureur de la République qui lui permet de solliciter les agents de la DGFiP afin de réaliser des recherches susceptibles de contribuer à la preuve des infractions.

Le Sénat justifie cette extension par la nécessité de renforcer la collaboration entre le ministère public et l’administration fiscale afin de réprimer les infractions liées au blanchiment, pour lesquelles l’expertise de la DGFiP pourrait ainsi être mobilisée.

Lors de l’examen en séance, le Gouvernement a proposé la suppression de cet article, eu égard au risque de surcharge d’activité que cette extension ferait peser sur l’administration fiscale, au détriment de ses missions traditionnelles afférentes au contrôle fiscal.

III.   la position de la commission des lois

La commission des Lois a adopté un amendement du rapporteur tendant à supprimer l’article 1er A.

*

*  *

La Commission est saisie de l’amendement CL34 du rapporteur.

M. Jean Terlier, rapporteur. Nous proposons de supprimer l’article 1er A, introduit au Sénat, qui étend aux délits de blanchiment le champ des infractions pour lesquelles le procureur de la République peut solliciter l’expertise des agents de la direction générale des finances publiques (DGFIP) afin de bénéficier de leur appui. Le champ déjà visé à l’article L. 10 B du livre des procédures fiscales (LPF) comprend notamment les trafics de stupéfiants, le proxénétisme et le recel.

La prise en compte des infractions de blanchiment conduirait à une extension excessive et inappropriée du périmètre concerné car elle entraînerait la mobilisation globale et générale de l’administration fiscale en appui de la procédure pénale, au détriment de l’exercice habituel des missions de contrôle fiscal qui constitue le cœur de son action.

Pour répondre à la préoccupation exprimée par cet article, l’autorité judiciaire peut d’ores et déjà saisir des services d’enquête judiciaires spécialisés en matière fiscale comme la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF) ou le service national des douanes judiciaire (SNDJ), parfaitement compétents en matière de blanchiment.

Elle pourra également saisir les officiers fiscaux judiciaires qui seraient affectés à Bercy et qui viendraient renforcer et compléter les capacités d’enquête judiciaire en matière fiscale, comme le propose l’article 1er du projet de loi de lutte contre la fraude, supprimé par le Sénat, mais que je proposerai de rétablir grâce à l’un de mes amendements.

Mme Laurence Vichnievsky. Défendez-vous en même temps la suppression de l’extension au délit de blanchiment du champ d’application de l’article L. 10 B du LPF et la création de la police fiscale ?

M. Jean Terlier, rapporteur. Mon amendement CL34 ne concerne que l’intervention des agents de la DGFIP. Nous commençons par supprimer les articles 1er A et 1er B ; la question de la police fiscale sera traitée à l’article 1er, que nous vous proposerons de rétablir.

Mme Laurence Vichnievsky. Il y a un lien entre les deux, puisque le Sénat a introduit l’article 1er A supprimant la police fiscale.

Pour ce qui nous concerne, nous sommes opposés à la création d’un service de police fiscale pour des raisons que je développerai par la suite. J’insiste sur le fait qu’il s’agit bien d’une création. J’entends dire que ce service existe déjà : c’est faux, il n’existe pas. Il est bel et bien proposé la création d’un autre service que celui qui est actuellement en charge de ce type d’enquête sous l’autorité du ministère de l’intérieur, c’est-à-dire la BNRDF. Nous nous opposerons donc à la suppression de l’article 1er A, dans la mesure où nous tenons à supprimer la police fiscale.

M. Éric Diard. Si je comprends bien, en cas de blanchiment, le Sénat voulait que le procureur ne puisse agir qu’avec l’accord de la commission des infractions fiscales (CIF) ?

M. Jean Terlier, rapporteur. Non : le texte du Sénat rend possible le recours par le procureur aux agents de la DGFiP pour recueillir des éléments de preuve.

M. Éric Diard. Nous sommes défavorables au texte du Sénat que j’avais du mal à comprendre.

La Commission adopte l’amendement, exprimant ainsi un avis favorable à la suppression de l’article 1er A.

Article 1er B (supprimé)
(art. L. 228 C [nouveau] du livre des procédures fiscales)
Saisine préjudicielle du juge de limpôt

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 1er B, adopté lors de l’examen en séance, résulte de deux amendements identiques présentés par les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste, et par Mme Nathalie Goulet. Le Gouvernement a émis un avis défavorable.

Cet article permet à la personne visée par une enquête en matière de fraude fiscale, recel de fraude fiscale ou blanchiment de fraude fiscale de saisir en urgence le juge de l’impôt afin que celui-ci détermine si les impositions visées par l’enquête sont effectivement dues ainsi que leur montant exact. Ces dispositions s’appliquent avant toute décision sur l’action publique, hors ouverture d’une information judiciaire ou procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.

Position de la commission :

À l’initiative du rapporteur et de Mme Laurence Vichnievsky, la commission des Lois a adopté un amendement tendant à supprimer l’article 1er B.

I.   le droit existant

Aux termes de l’article 386 du code de procédure pénale, la personne visée par l’enquête peut présenter une exception préjudicielle au juge pénal. Si les conditions de recevabilité sont satisfaites, celui-ci peut décider d’admettre l’exception préjudicielle. Le prévenu peut alors saisir le juge de l’impôt, c’est‑à‑dire, en pratique, très majoritairement le juge administratif, afin de contester la réalité de l’imposition due au fisc ou le montant exact de celle-ci.

Les deux procédures pénale et administrative sont indépendantes : le juge pénal n’est pas tenu de surseoir à statuer lorsque le juge de l’impôt est saisi d’une contestation. Cette situation peut faire apparaître un risque de contrariété entre les décisions pénale et administrative.

Cependant, à l’occasion de deux décisions QPC « M. Jérôme C. » et « M. Alec W » rendues le 24 juin 2016, le Conseil constitutionnel a précisé que « les dispositions de larticle 1741 du code général des impôts ne sauraient, sans méconnaître le principe de nécessité des délits, permettre quun contribuable qui a été déchargé de limpôt par une décision juridictionnelle devenue définitive pour un motif de fond puisse être condamné pour fraude fiscale ».([6])

Concrètement, cette interprétation rend donc impossible une contrariété de décisions entre le juge pénal et le juge de l’impôt dans l’hypothèse où le juge pénal statue après une décision définitive du juge de l’impôt, à l’exception de la situation dans laquelle la décharge d’imposition est intervenue pour un motif procédural.

En revanche, la possibilité d’une contrariété de décisions si le juge pénal statue avant le juge de l’impôt demeure réelle puisque le premier n’est pas, en l’état actuel du droit, contraint de surseoir à statuer si le second est saisi d’une contestation sur la matérialité de l’infraction.

II.   la réforme adoptée par le sénat

Dans le but de prévenir tout risque de contrariété entre les décisions du juge pénal et du juge administratif ([7]), le Sénat a adopté cet article qui vise à ouvrir une faculté de saisine en urgence du juge de l’impôt par le contribuable mis en cause afin de déterminer, dans un délai de six mois ([8]), si les impositions contestées sont réellement dues.

Cette disposition est présentée comme assurant une meilleure articulation des procédures juridictionnelles, tout en garantissant de manière effective les droits des contribuables, le juge pénal ne pouvant rendre sa décision avant que le juge de l’impôt n’ait statué définitivement.

Le Gouvernement a prononcé un avis défavorable à cet amendement eu égard aux risques de manœuvres dilatoires qu’engendrerait un tel dispositif susceptible d’être détourné par une utilisation abusive, dans l’unique but de retarder l’aboutissement des procédures.

Par ailleurs, cette disposition apparaît contradictoire avec l’article 8 du projet de loi par lequel le juge pénal peut prévoir des amendes pénales pouvant être portées au double du produit tiré de l’infraction, c’est-à-dire le montant faisant l’objet de la fraude, en dépit de toute décision du juge de l’impôt sur celui-ci.

III.   la position de la commission des lois

La commission des Lois a adopté un amendement identique du rapporteur et de Mme Laurence Vichnievsky tendant à supprimer l’article 1er B.

*

*     *

La Commission examine les amendements identiques CL36 du rapporteur et CL16 de Mme Laurence Vichnievsky.

M. Jean Terlier, rapporteur. Mon amendement vise à supprimer l’article 1er B, introduit au Sénat, qui permet à la personne visée par une enquête pénale en matière de fraude fiscale de saisir le juge de l’impôt afin de déterminer dans un délai de six mois si les impositions sont effectivement dues ainsi que leur montant exact.

Cet article 1er B ne me semble pas opportun pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, je rappelle qu’en réponse à des questions prioritaires de constitutionnalité, les décisions QPC du Conseil constitutionnel rendues le 24 juin 2016 ont rendu impossible une contrariété de jugement entre le juge de l’impôt et le juge pénal. Sur le fondement du principe de nécessité des peines, le Conseil constitutionnel a en effet jugé qu’une sanction pénale pour fraude fiscale ne peut être appliquée à un contribuable qui, pour un motif de fond, a été définitivement jugé non redevable de l’impôt.

Ensuite, les principes d’indépendance des ordres de juridiction et de plénitude de juridiction du juge pénal s’opposent à la mise en place d’un renvoi préjudiciel systématique vers le juge de l’impôt.

Enfin, cette mesure pourrait constituer une manœuvre dilatoire nuisible à l’efficacité de la répression puisque tout contribuable poursuivi pour fraude fiscale pourrait systématiquement utiliser ce mécanisme afin de retarder le cours de la procédure alors même que, dans la très grande majorité des dossiers donnant lieu à des poursuites pénales, la réalité des droits fraudés est indiscutable.

Mme Laurence Vichnievsky. Je vais totalement dans le sens du rapporteur. Il s’est d’ailleurs inspiré de l’exposé sommaire de l’amendement déposé au Sénat par le Gouvernement, qui était particulièrement pertinent. Je le fais mien, à mon tour.

La Commission adopte les amendements, exprimant ainsi un avis favorable à la suppression de l’article 1er B.

En conséquence, les amendements CL10, CL11, CL8, CL9 et CL12 de Mme Marie-France Lorho, tombent.

Article 1er
(art. L. 28-2 du code de procédure pénale)
Création dun nouveau service à compétence nationale chargé de mener des enquêtes judiciaires en matière de fraude fiscale

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 1er du projet de loi vise à supprimer la seconde phrase du III de l’article 28-2 du code de procédure pénale qui dispose que les officiers fiscaux judiciaires sont affectés au seul ministère de l’Intérieur. Cette modification ouvre la voie à la prise d’un décret permettant d’affecter des officiers fiscaux judiciaires au ministère chargé du budget afin de constituer, auprès du pôle judiciaire formé par le service national des douanes judiciaires, un nouveau service d’enquête judiciaire fiscale spécialisé.

Modifications apportées par le Sénat :

La commission des lois du Sénat a adopté deux amendements identiques de Mmes Nathalie Delattre et Nathalie Goulet supprimant cet article. Son rétablissement proposé par un amendement du Gouvernement lors de l’examen en séance a été rejeté.

Position de la commission :

À l’initiative du rapporteur, la commission des Lois a rétabli l’article 1er, supprimé par le Sénat.

I.   le droit existant

L’article 28-2 du code de procédure pénale créé par la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 dispose que des agents des services fiscaux de catégories A et B, spécialement désignés par arrêté des ministres chargés de la justice et du budget peuvent être habilités à effectuer des enquêtes judiciaires sur réquisition du procureur de la République ou sur commission rogatoire du juge d’instruction.

Ils exercent leur mission au sein de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF), qui est un service d’enquête judiciaire fiscale créé par le décret n° 2010-1318 du 4 novembre 2010. La BNRDF dépend de l’Office Central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) institué par le décret n° 2013-960 du 25 octobre 2013.

Ces agents sont compétents pour rechercher et constater, sur l’ensemble du territoire national, les infractions de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale.

Exerçant leur fonction sous la direction exclusive du procureur de la République, sous la surveillance du procureur général et sous le contrôle de la chambre de l’instruction, ils sont placés au sein du ministère de l’Intérieur. Sur réquisition du procureur de la République ou sur commission rogatoire d’un juge d’instruction, ils procèdent à des enquêtes judiciaires et disposent des mêmes prérogatives et obligations que celles attribuées aux officiers de police judiciaire.

La BNRDF est composée de 42 membres associant 22 officiers fiscaux judiciaires et 20 officiers de police judiciaire. Elle réalise en moyenne une quarantaine d’enquêtes par an. Le délai de traitement d’une enquête s’élève à environ 24 mois.

II.   la réforme rejetée par le sénat

La réforme proposée à l’article 1er du projet de loi vise à supprimer la mention figurant à la deuxième phrase du III de l’article 28-2 du code procédure pénale selon laquelle les agents des services fiscaux sont « placés au sein du ministère de lIntérieur ». Cette modification permet ainsi la création par voie réglementaire d’un nouveau service d’enquêtes fiscales judiciaires placé au sein du ministère en charge du budget.

L’article 1er a été supprimé par deux amendements identiques présentés par Mmes Nathalie Delattre et Nathalie Goulet lors de l’examen en commission des Lois. Le rétablissement de l’article 1er proposé par le Gouvernement lors de la séance a été rejeté par les sénateurs.

La création d’un nouveau service à compétence nationale chargé de mener des enquêtes judiciaires en matière de fraude fiscale fait l’objet d’interrogations quant à la naissance d’éventuelles rivalités de services entre le ministère de l’Intérieur au sein duquel est placée la BNRDF et le nouveau service d’enquête qui serait situé à Bercy. Suivant cette logique, l’avis du Conseil d’État met en évidence l’impératif de « bonne administration » qu’il convient de respecter.

À l’inverse, l’étude d’impact annexée au projet de loi justifie la création d’un nouveau service au sein du ministère chargé du budget. Cette réforme garantirait une expertise accrue en matière de fraude fiscale et de blanchiment sur laquelle les magistrats judiciaires pourraient s’appuyer. Le nouveau service s’inspirerait à cet égard du service national de douane judiciaire (SNDJ) créé par un arrêté du 5 décembre 2002 regroupant près de 250 officiers de douane judiciaire réalisant les enquêtes que leur confient les procureurs et juges d’instruction.

Une mutualisation des moyens avec le SNDJ pourrait également être envisageable, parallèlement à un redéploiement d’effectifs de la DGFiP à hauteur d’une trentaine d’agents, qui disposeraient, en tant qu’officiers fiscaux judiciaires, de pouvoirs identiques à ceux déjà exercés par les officiers de douane judiciaires composant le SNDJ.

Par ailleurs, la création de ce nouveau service permettrait à l’autorité judiciaire de disposer d’une pluralité d’options en matière de saisine, selon l’évolution de la charge de travail des services d’enquêtes judiciaires et leur spécialisation rendue nécessaire par la technicité croissante des problématiques fiscales.

III.   la position de la commission des lois

La commission des Lois a adopté un amendement du rapporteur afin de rétablir l’article 1er, supprimé par le Sénat.

*

*     *

La Commission est saisie de l’amendement CL35 du rapporteur.

M. Jean Terlier, rapporteur. Nous proposons de rétablir la rédaction initiale de l’article 1er du projet de loi déposé au Sénat, rédaction qui prévoyait la création d’une police fiscale à Bercy.

En supprimant la disposition par laquelle les officiers fiscaux judiciaires sont uniquement affectés au sein du ministère de l’intérieur, cette modification ouvre la voie à la prise d’un décret permettant d’affecter des officiers fiscaux judiciaires au ministère chargé du budget.

Cette réforme organisationnelle a reçu l’assentiment de nombreuses personnes que nous avons pu entendre avec la commission des finances. Nous avons par exemple constaté que la création de ce nouveau service était souhaitée par le parquet national financier. Ce nouveau service d’enquête judiciaire fiscale, spécialisé dans la lutte contre la fraude fiscale, travaillera sous la direction d’un magistrat et auprès du pôle judiciaire formé par le service national des douanes judiciaires (SNDJ), ce qui permettra une mutualisation des moyens.

Cette police fiscale répond directement aux défis que posent l’augmentation et la technicité croissante des dossiers sur lesquels la justice doit enquêter. La spécialisation des services d’enquête judiciaire fiscale est rendue nécessaire par la complexité des affaires à traiter.

L’autorité judiciaire pourra ainsi saisir ce nouveau service au sein du SNDJ, ou la BNRDF, selon le type de dossiers. Cette évolution était souhaitable et attendue.

Mme Laurence Vichnievsky. Permettez-moi d’expliquer les réserves qui sont les nôtres. Elles ne sont pas motivées par une quelconque défiance et elles ont d’ailleurs été reprises dans l’avis du Conseil d’État. Elles tiennent au dédoublement des services, car un service parfaitement opérationnel et compétent existe déjà, qui dépend du ministère de l’intérieur : la BNRDF.

Conformément aux préconisations du « plan d’action publique 2022 » qui veut rationaliser et éviter les doublons, la bonne manière de procéder aurait été de renforcer les effectifs de la BNRDF. La force de ce service, placé sous l’autorité du ministère de l’Intérieur, réside dans son caractère interministériel et dans la complémentarité des cultures. Les offices centraux, par essence interministériels, représentent une réelle plus-value par le fait qu’y cohabitent des fonctionnaires venant d’horizons divers.

Il faut aussi éviter la concurrence des services – on sait ce qu’est la guerre des polices. Cet argument avait d’ailleurs motivé la réunion de la gendarmerie et de la police sous une même autorité s’agissant des missions de police judiciaire.

M. Éric Diard. Monsieur le rapporteur, j’ai cru lire dans Les Échos qu’une police aurait en charge les délits relevant de la seule la fraude fiscale, et que l’autre s’occuperait des fraudes connexes à la fraude fiscale. Est-ce bien cela ?

M. Jean Terlier, rapporteur. L’audition de la DGFiP nous a permis d’en savoir plus sur l’affectation des officiers fiscaux judiciaires à Bercy : ils rejoindront le service national des douanes judiciaires (SNDJ). Il ne s’agit donc pas de la création d’un nouveau service au sens propre, mais d’une incorporation dans un service déjà existant.

Une lecture fine de l’avis du Conseil d’État montre qu’il s’exprime en opportunité et qu’il ne se prononce pas juridiquement sur la création d’une police fiscale à Bercy.

J’ajoute que nos auditions ont montré que la BNRDF était quelque peu saturée. Les délais pour sortir les dossiers deviennent de plus en plus considérables.

L’audition du parquet national financier aura permis de déterminer qu’il était souhaitable de créer un service plus spécialisé à Bercy à côté de la BNRDF afin que le choix soit possible au moment de confier telle ou telle affaire à un service.

Mme Laurence Vichnievsky. J’entends ce que vous me dites, monsieur le rapporteur. L’avis du Conseil d’État a été donné en opportunité, et je crois que nous donnons le nôtre en opportunité, et en tant que professionnels.

Je voudrais que nos collègues comprennent qu’il existe déjà un service performant, dont les compétences ne sont pas contestées, et qui pourrait être renforcé, plutôt que de créer un service nouveau. J’ai entendu le parquet national financier, que je connais bien par ailleurs, et j’ai aussi entendu les offices centraux : les avis ne sont pas tous exactement sur la même ligne.

La création d’un nouveau service est contradictoire avec l’effort de mutualisation qui nous est demandé. Vous me répondez qu’un magistrat chapeautera tout cela ; j’en suis très heureuse, mais la question n’est pas là : elle est de savoir s’il y a bien un service compétent, à l’heure actuelle, dont on ne conteste pas le professionnalisme. Si c’est le cas, il mérite être renforcé puisque vous me dites qu’il est surchargé. Il le mérite et il aurait pu l’être utilement par les effectifs qui vont être affectés à la création de ce nouveau service de police fiscale à Bercy.

Mme Cécile Untermaier. Les propos de Mme Laurence Vichnievsky m’amènent à m’interroger. Peut-être sommes-nous allés un peu vite sur ce sujet ?

Le renforcement d’un service qui a fait ses preuves paraît effectivement préférable à la création d’un service en parallèle. Nous avons actuellement tous le souci de la simplification, et vous avez comme objectif de réduire le nombre de fonctionnaires. Peut-être vaut-il mieux adopter une approche circonstanciée.

Enfin, qu’en sera-t-il du service rattaché au ministère de l’intérieur ? Sera-t-il dessaisi ou au contraire maintenu avec des tâches parallèles à celles attribuées à Bercy ? Bercy déshabillera-t-il le ministère de l’intérieur ?

M. Jean Terlier, rapporteur. Il nous a été indiqué, lors des auditions, que les services de la BNRDF ne seraient pas démantelés au profit de ceux du SNDJ. Un engagement a été pris en ce sens.

La Commission adopte l’amendement.

Elle exprime par ce vote un avis favorable au rétablissement de l’article 1er ainsi rédigé.

TITRE II
renforcement des sanctions de la fraude fiscale, sociale et douanière

Article 7
(art. 1740 A bis [nouveau] et 1753 du code général des impôts, L. 80e du livre des procédures fiscales, L. 114-18-1 [nouveau] du code de la sécurité sociale)
Sanction administrative à légard des tiers complices de fraude fiscale et sociale

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 7 du projet de loi autorise l’administration à prononcer des sanctions notamment pécuniaires à l’encontre de tiers ayant intentionnellement aidé des contribuables à commettre des infractions de fraude fiscale et sociale.

Modifications apportées par le Sénat :

La commission des finances du Sénat a adopté un amendement de M. Albéric de Montgolfier afin de préciser les actes pouvant conduire à prononcer une amende contre les tiers, et de permettre l’application de cette sanction dans le seul cas où la sanction initiale visant l’auteur de l’infraction de fraude fiscale ou sociale est devenue définitive.

Lors de l’examen en séance publique, deux amendements de M. Julien Bargeton ont été adoptés afin d’interdire les tiers ayant fait l’objet de sanctions de siéger au comité de l’abus de droit fiscal et à la commission des infractions fiscales.

Dernières modifications législatives intervenues :

La loi du 23 décembre 2016 de financement de la sécurité sociale pour 2017 a créé l’article L. 133-11 du code de la sécurité sociale par lequel le tiers déclarant peut subir une interdiction d’exercer sa mission de mandataire auprès des organismes de sécurité sociale pour une durée maximale de cinq ans en cas de fraude ou de complicité de fraude sociale.

Position de la commission :

À l’initiative du rapporteur, la commission des Lois a modifié l’article 7 en subordonnant les sanctions administratives qu’il prévoit à la condamnation pénale définitive des auteurs de la fraude. 

I.   LE DROIT EXISTANT

Contrairement aux auteurs des infractions de fraude fiscale, les tiers ayant conseillé ces derniers ne sont passibles d’aucune sanction administrative. La poursuite pénale des tiers complices n’est possible que dans l’hypothèse où des poursuites pénales ont déjà été engagées à l’encontre des contribuables eux-mêmes.

Les sanctions pénales applicables aux tiers relèvent notamment de la complicité du délit de fraude fiscale prévue par l’article 1742 du code général des impôts ainsi que des dispositions visées par l’article 1743 relatives au délit comptable et aux opérations d’entremise avec l’étranger en vue de faire échapper à l’impôt tout ou partie de la fortune d’autrui.

En matière de fraude sociale, c’est-à-dire la réduction du montant des cotisations payées par l’employeur ou l’obtention de prestations sociales injustifiées, les tiers peuvent être poursuivis pénalement sur le fondement de l’article L. 114-18 du code de la sécurité sociale réprimant l’incitation des assujettis à refuser de se conformer aux prescriptions de la législation de la sécurité sociale.

Conformément à l’article L. 133-1 du code la sécurité sociale créé par la loi du 23 décembre 2016 de financement de la sécurité sociale pour 2017, les tiers déclarants reconnus coupables de fraude ou de complicité de fraude peuvent se voir retirer la faculté d’exercer leur mission de mandataire auprès de l’ensemble des organismes de sécurité sociale pour une durée maximale de cinq ans.

Dans le cadre des lois de finances pour 2014 et 2015, le législateur a souhaité mettre en place des sanctions administratives à l’encontre des tiers complices de fraude fiscale. Cependant, ces deux tentatives ont été censurées par le Conseil constitutionnel en raison de l’imprécision des dispositions retenues. La première concernait l’obligation de déclaration de « schéma d’optimisation fiscale » dont le non-respect était sanctionné par une amende forfaitaire. La seconde visait à appliquer des sanctions fiscales à l’encontre des intermédiaires en cas de complicité de fraude fiscale poursuivie pénalement.

II.   la réforme adoptée par le sénat

Le présent article crée un nouvel article 1740 A bis qui prévoit que toute personne physique ou morale exerçant une activité professionnelle de conseil juridique, financier ou comptable ou de détention de biens ou de fonds pour le compte d’un tiers est redevable d’une amende dans les cas où elle a intentionnellement fourni aux contribuables sanctionnés par l’administration fiscale des prestations permettant directement la commission par ces derniers des infractions de fraude fiscale ou sociale.

La sanction est encourue par les tiers dans le seul cas où l’administration fiscale a prononcé une sanction de majoration de 80 % de l’impôt éludé. La commission des finances a adopté un amendement précisant que cette sanction infligée au contribuable doit être définitive afin que le tiers puisse à son tour faire l’objet de la sanction.

Les prestations accomplies par les tiers sont détaillées de manière exhaustive. Elles consistent à :

– permettre au contribuable de dissimuler son identité par la fourniture d’une identité fictive ou d’un prête-nom ou par l’interposition d’une personne physique ou morale ou de tout organisme, fiducie, ou institution comparable établis à l’étranger ;

– permettre au contribuable de dissimuler sa situation ou son activité par un acte fictif ou comportant des mentions fictives ou par l’interposition d’une entité fictive ;

– permettre au contribuable de bénéficier à tort d’une déduction du revenu, d’un crédit d’impôt ou d’une réduction d’impôt par la délivrance irrégulière de documents ;

– ou réaliser pour le compte du contribuable tout acte destiné à égarer l’administration.

Le caractère intentionnel de la prestation doit être démontré par l’administration afin de prononcer l’amende à l’encontre des tiers. Le montant de cette sanction fiscale s’élève à 10 000 € et est porté, s’il est supérieur, à 50 % des revenus tirés de la prestation illicite fournie au contribuable.

La procédure applicable correspond aux modalités prévues par l’article     L. 80 D du livre des procédures fiscales selon laquelle l’amende infligée aux tiers doit être motivée par l’administration fiscale et prononcée après un délai de trente jours à compter de sa notification. Ce délai permet aux personnes mises en cause de présenter leurs observations à l’administration fiscale.

Le tiers sanctionné sur le fondement du nouvel article L. 1740 A bis sera désormais interdit de siéger au sein des commissions administratives des impôts locales et nationales. Deux amendements adoptés lors de la séance ont étendu cette interdiction au comité de l’abus de droit fiscal et à la commission des infractions fiscales.

Le présent article introduit également un nouvel article L. 114-18-1 au sein du code de la sécurité sociale afin d’étendre cette amende aux cas de fraude sociale. La sanction infligée à l’encontre des tiers dépend de la commission, par l’auteur de la fraude sociale, d’un abus de droit défini à l’article L. 243-7-2 du code de la sécurité sociale.

Cette amende visant les tiers complices de fraude sociale s’élève à un montant identique à celle précitée réprimant la complicité de fraude fiscale et s’inscrit dans un cadre procédural similaire.

III.   la position de la commission des lois

La commission des Lois a adopté un amendement du rapporteur tendant à subordonner la prise de sanctions administratives à l’encontre des tiers ayant aidé à des contribuables à commettre des infractions fiscales à la condamnation pénale définitive des auteurs de la fraude.

*

*     *

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL38 du rapporteur pour avis, CL22 de M. Stéphane Mazars et CL15 de Mme Laurence Vichnievsky.

M. Jean Terlier, rapporteur pour avis. L’article 7 vise à créer une sanction administrative, exclusive des sanctions pénales qui sont appliquées aux personnes qui concourent par leur prestation de services à l’élaboration de montages frauduleux ou abusifs. Il vise donc à sanctionner les professionnels complices des manquements fiscaux et sociaux.

La commission s’est émue d’une situation qui pourrait aboutir à ce que le contribuable ne puisse faire l’objet d’aucune poursuite devant le juge judiciaire, tandis que son conseil pourrait se voir appliquer des sanctions administratives. L’amendement CL38 vise donc à subordonner la possibilité de sanction administrative du tiers conseil à la condamnation pénale définitive des auteurs de la fraude fiscale.

Cette solution est gage de souplesse en permettant de prendre des sanctions administratives pour combattre la fraude fiscale, mais dans des cas limités et qui résultent de la constatation, par la juridiction pénale, de la condamnation pénale du contribuable.

M. Stéphane Mazars. Je retire mon amendement CL22 au bénéfice de celui du rapporteur pour avis, qui précise que la condamnation doit être définitive.

Mme Laurence Vichnievsky. Les arguments du rapporteur pour avis méritent réflexion, mais je maintiens mon amendement qui vise à rétablir le texte initial du Gouvernement : la disposition en question est effectivement assez rigoureuse, mais il me semble que la matière le justifie.

L’amendement CL22 est retiré.

La Commission adopte l’amendement CL38.

En conséquence, l’amendement CL15 tombe.

La Commission examine successivement les amendements CL26 et CL30 de M. Stéphane Mazars.

M. Stéphane Mazars. L’amendement CL26 vise à préciser que les manœuvres commises par le contribuable doivent avoir été qualifiées de fraude fiscale. Je le retire, car il est satisfait par l’adoption de l’amendement CL38. Il en va de même pour l’amendement CL30.

Les amendements sont retirés.

La Commission examine l’amendement CL18 de Mme Laurence Vichnievsky.

Mme Laurence Vichnievsky. Je le retire.

L’amendement est retiré.

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 7 modifié.

Article 8
(
art. 1741 du code général des impôts)
Aggravation des peines damendes encourues en cas de fraude fiscale

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 8 du projet de loi prévoit que le montant maximum de l’amende encourue au titre de l’article 1741 du code général des impôts relatif au délit de fraude fiscale et de fraude fiscale aggravée peut être porté au double du produit tiré de l’infraction. Le Sénat a adopté cet article sans modification.

Dernières modifications législatives intervenues :

La loi de finances du 30 décembre 2017 pour 2018 a augmenté le montant de l’amende encourue en cas de délit de fraude fiscale aggravée, celui-ci s’élevant ainsi à compter du 1er janvier 2018 à 3 millions d’euros.

Position de la commission :

La commission des Lois a adopté cet article sans modification.

I.   LE DROIT EXISTANT

Selon l’article 1741 du code général des impôts, la peine encourue par les personnes physiques condamnées pour fraude fiscale s’élève à cinq ans d’emprisonnement et 500 000 euros d’amende.

En cas de fraude fiscale aggravée, les peines encourues sont portées à sept ans d’emprisonnement et 3 millions d’euros d’amende depuis le 1er janvier 2018 ([9]), contre 2 millions d’euros précédemment.

Pour rappel, la fraude fiscale aggravée est caractérisée lorsque les faits de fraude fiscale sont commis en bande organisée, ou réalisés ou facilités au moyen de :

– comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d’organismes établis à l’étranger ;

– l’interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis à l’étranger ;

– l’usage d’une fausse identité ou de faux documents, au sens de l’article 441-1 du code pénal, ou de toute autre falsification ;

        domiciliation fiscale fictive ou artificielle à l’étranger ;

– la réalisation d’un acte fictif ou artificiel ou par l’interposition d’une entité fictive ou artificielle.

Conformément à l’article 131-38 du code pénal, le montant maximum de l’amende applicable aux personnes morales est cinq fois plus élevé, soit 2,5 millions d’euros pour la fraude fiscale et 15 000 000 d’euros pour la fraude fiscale aggravée.

II.   la réforme adoptée par le sénat

L’article 8 alourdit le montant des amendes pénales encourues, en précisant que celui-ci pourrait être porté au double du montant des sommes faisant l’objet de la fraude fiscale simple ou aggravée.

L’avis du Conseil d’État précise que l’assiette de l’amende maximale présenterait ainsi un lien direct avec les montants tirés de la fraude fiscale, ce qui garantit le caractère proportionné du dispositif eu égard à la gravité des manquements réprimés.

Ce dispositif s’applique déjà à la répression de plusieurs infractions en matière de probité, à l’image du délit de concussion visé à l’article 432-10 du code pénal depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.

Préconisée par le rapport d’information de Mme Sandrine Mazetier et M. Jean-Luc Warsmann adopté par l’Assemblée nationale en février 2017 ([10]), cette mesure poursuit un objectif dissuasif. En effet, en l’état actuel des peines encourues, certaines grandes entreprises peuvent privilégier des stratégies d’arbitrage fondées sur des comparaisons entre le gain tiré de l’infraction fiscale et le montant de l’amende réprimant celle-ci.

La réforme permettrait d’adapter le montant des peines encourues à la réalité des montants susceptibles d’être tirés des infractions de fraude fiscale commises par les personnes morales.

*

*     *

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 8 sans modification.

Article 9
(art. 495-16 et 804 du code de procédure pénale)
Extension à la fraude fiscale de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité

Résumé du dispositif et effets principaux :

Le présent article étend au délit de fraude fiscale la possibilité de recourir à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC).

Modifications apportées par le Sénat :

La commission des lois du Sénat a adopté un amendement rédactionnel sur cet article.

Position de la commission :

La commission des Lois a adopté cet article sans modification.

I.   LE DROIT EXISTANT

La CRPC, caractérisée comme une procédure de « plaider-coupable », a été introduite aux articles 495-7 et suivants du code de procédure pénale par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

Le recours à la CRPC est possible pour tous les délits, à l’exception de ceux relatifs aux atteintes volontaires et involontaires à l’intégrité des personnes et d’agressions sexuelles prévus aux articles 222-9 à 222-31-2 du code pénal lorsqu’ils sont punis d’une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à cinq ans, ainsi que de l’ensemble des délits mentionnés à l’article 495-16 du code de procédure pénale, à savoir les délits de presse, les délits d’homicide involontaire, les délits politiques et ceux dont la procédure de poursuite est prévue par une loi spéciale.

La CRPC permet au procureur de la République de proposer une peine d’amende ou de prison dont la durée ne peut être supérieure à un an ni excéder la moitié de la peine encourue à toute personne physique ou morale ([11]) reconnaissant les faits qui lui sont reprochés. La personne mise en cause peut également demander elle-même au procureur de la République de recourir à ce dispositif.

En cas d’acception de la peine proposée, le tribunal correctionnel est saisi aux fins d’homologuer celle-ci à l’occasion d’une audience publique. Le juge peut également refuser de valider la peine, obligeant ainsi le parquet à saisir le tribunal correctionnel afin de poursuivre la procédure selon le droit commun. Le juge ne peut ni modifier, ni compléter la peine proposée par le procureur de la République et acceptée par le prévenu.

Le recours à la CRPC a sensiblement augmenté entre 2015 et 2016, passant d’environ 70 000 condamnations délictuelles sur la base de ce dispositif à plus de 76 000. Cette évolution traduit l’utilisation croissante de ce mode de poursuite simple et rapide afin de réprimer efficacement les délits.

En l’état actuel du droit, la fraude fiscale étant poursuivie sur le fondement d’une loi spéciale régie par l’article L. 231 du livre des procédures fiscales, la procédure de CRPC n’est pas applicable à ce délit, alors qu’elle l’est pour le délit de blanchiment de fraude fiscale.

II.   la réforme adoptée par le sénat

L’article 9 du projet de loi supprime la mention figurant à l’article 495-16 du code de procédure pénale selon laquelle la CRPC n’est pas applicable aux délits dont la procédure de poursuite est prévue par une loi spéciale, ce qui est précisément le cas de la fraude fiscale. Ainsi, le délit de fraude fiscale pourra faire l’objet d’une procédure de CRPC, dans les conditions prévues aux articles 495-7 et suivants du code de procédure pénale.

L’évolution proposée figure parmi les préconisations du rapport d’information de Mme Émilie Cariou et M. Éric Diard adopté par l’Assemblée nationale en mai 2018 ([12]).

Cette modification entraîne également l’application de la CRPC à la répression des délits commis lors des audiences des cours et tribunaux, régis par une loi spéciale sur le fondement des articles 675 à 677 du code de procédure pénale.

En outre, le II de l’article 9 modifie l’article 804 du code de procédure pénale afin de rendre les dispositions du projet de loi applicables en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna.

À l’exception d’un amendement rédactionnel, cet article a été adopté sans modification par le Sénat.

*

*     *

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 9 sans modification.

Article 9 bis
(art. 41-1-2 du code de procédure pénale)
Extension de la convention judiciaire dintérêt public à la fraude fiscale

Résumé du dispositif et effets principaux :

Le présent article additionnel, introduit par un amendement de Mme Nathalie Goulet adopté par la commission des finances du Sénat, étend le champ d’application de la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) à la fraude fiscale. Lors de l’examen en séance, un amendement de suppression de cet article sur lequel le Gouvernement a émis un favorable a été rejeté.

Dernières modifications législatives intervenues :

L’article 41-1-2 du code de procédure pénale portant création de la CJIP a été ajouté par l’article 22 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi « Sapin II ».

Position de la commission des Lois :

La commission des Lois a adopté cet article sans modification.

I.   LE DROIT EXISTANT

Introduite par la loi « Sapin II » du 9 décembre 2016, la CJIP peut être proposée par le procureur de la République à une personne morale tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement pour les délits visés au I de l’article 41-1-2 du code de procédure pénale relevant de faits de corruption, de trafic d’influence ou d’entrave à l’exercice de la justice.

Les délits de blanchiment des infractions prévues aux articles 1741 et 1743 du code général des impôts, à l’image du blanchiment de fraude fiscale, figurent également dans le champ d’action de la CJIP.

La CJIP permet à un officier de police judiciaire, sur autorisation du procureur de la République, de transiger avec la personne morale mise en cause afin de convenir d’un montant d’une amende d’intérêt public qu’elle devra verser au Trésor public, dans la limite de 30 % du chiffre d’affaires annuel moyen constaté au cours des trois derniers exercices.

La CJIP contraint également l’auteur des faits à suivre un programme de mise en conformité d’une durée maximale de trois ans et sous le contrôle de l’Agence française anticorruption destiné à s’assurer de l’existence et de la mise en œuvre en son sein des mesures et procédures visant à prévenir la commission de nouvelles infractions.

En cas d’accord sur la proposition de convention, le président du tribunal de grande instance est saisi aux fins de rendre une ordonnance de validation de la convention conclue. La décision du président du tribunal de grande instance de valider ou non la convention est insusceptible de recours.

L’ordonnance de validation n’entraîne pas de déclaration de culpabilité et n’est pas inscrite au casier judiciaire de la personne morale. La convention est publique et consultable sur le site internet de l’Agence française anticorruption.

En 2017 et 2018, le parquet national financier (PNF) a conclu des CJIP avec certaines banques mises en cause pour des faits de blanchiment de fraude fiscale, permettant ainsi au Trésor public de recouvrer des amendes s’élevant à plusieurs centaines de millions d’euros.

II.   la réforme adoptée par le sénat

L’article 9 bis du projet de loi adopté par le Sénat étend le champ d’application de la CJIP aux infractions de fraude fiscale. Selon le Sénat, l’encadrement du dispositif présente des garanties suffisantes afin de s’assurer que les conventions conclues respectent l’intérêt public, dans un souci d’accélération du traitement des infractions fiscales et de recouvrement des sommes soustraites au fisc.

Au même titre que l’extension de la CRPC prévue à l’article 9, cette mesure est également préconisée par le rapport d’information précité de Mme Émilie Cariou et de M. Éric Diard.

Le Gouvernement a émis un avis favorable à deux amendements de suppression de cet article discutés lors de l’examen texte en séance, privilégiant à ce stade l’exercice de poursuites pénales au profit de l’extension de la CJIP aux infractions de fraude fiscale.

*

*     *

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 9 bis sans modification.

Article 9 ter (supprimé)
(art. L. 228 du livre des procédures fiscales)
Inscription dans la loi de la possibilité pour le parquet de poursuivre le délit de blanchiment de fraude fiscale

Résumé du dispositif et effets principaux :

Le présent article additionnel, introduit par un amendement de Mme Nathalie Goulet adopté par la commission des finances du Sénat, vise à inscrire dans la loi la jurisprudence Talmon de la Cour de cassation indiquant que le délit de blanchiment de fraude fiscale est une infraction autonome du délit de fraude fiscale, permettant ainsi au parquet de mettre en œuvre les poursuites indépendamment de la procédure spéciale dite du « verrou de Bercy » prévue par l’article L. 228 du livre des procédures fiscales.

Lors de l’examen en séance, un amendement de suppression présenté par le Gouvernement a été rejeté.

Position de la commission :

À l’initiative du rapporteur, la commission des Lois a adopté un amendement tendant à supprimer l’article 9 ter inscrivant la jurisprudence Talmon à l’article L. 228 du livre des procédures fiscales.

I.   LE DROIT EXISTANT

L’article L. 228 du livre des procédures fiscales prévoit que par dérogation aux règles du code de procédure pénale, l’engagement des poursuites pénales par le parquet en matière de fraude fiscale est conditionné au dépôt préalable d’une plainte de l’administration, celui-ci étant soumis à l’avis conforme de la commission des infractions fiscales (CIF).

Cependant, par un arrêt Talmon du 20 février 2008 rendu par la Cour de cassation ([13]), le délit de blanchiment de fraude fiscale a été reconnu comme une infraction générale, distincte et autonome vis-à-vis du délit de fraude fiscale. À ce titre, le parquet peut donc poursuivre le délit de blanchiment de fraude fiscale de sa propre initiative, sans qu’une plainte de l’administration n’ait été déposée.

II.   la réforme adoptée par le sénat

L’article 9 ter adopté par le Sénat complète l’article L. 228 du livre des procédures fiscales relatif au « verrou de Bercy » en indiquant que la poursuite du délit de blanchiment de fraude fiscale ne relève pas de ces dispositions.

Le Sénat justifie cette modification par la nécessité de sécuriser la jurisprudence Talmon dans la loi, afin de garantir la liberté du parquet quant à l’engagement ou non des poursuites en matière de blanchiment de fraude fiscale.

Le Gouvernement a présenté un amendement de suppression de cet article. L’infraction de blanchiment de fraude fiscale présentant un caractère autonome, l’inscription dans la loi de la non-application des dispositions prévues par l’article L. 228 au sujet d’une autre infraction – le délit de fraude fiscale – n’apparaît ni nécessaire ni souhaitable, eu égard à un impératif de lisibilité législative.

III.   la position de la commission des lois

La commission des Lois a adopté un amendement du rapporteur tendant à supprimer l’article 9 ter inscrivant la jurisprudence Talmon à l’article L. 228 du livre des procédures fiscales.

*

*     *

La Commission examine l’amendement de suppression CL37 du rapporteur pour avis.

M. Jean Terlier, rapporteur pour avis. Cet amendement vise à supprimer la légalisation de la jurisprudence dite Talmon, issue de la Cour de cassation. L’article 9 ter adopté par le Sénat est venu compléter l’article L. 228 du livre des procédures fiscales, en ajoutant que la poursuite du délit de blanchiment de fraude fiscale ne relève pas de ces dispositions, conformément à la jurisprudence Talmon.

La jurisprudence étant claire et univoque, son inscription dans la loi n’apporte aucun avantage réel. Mais surtout, cette légalisation n’est pas souhaitable car l’infraction de blanchiment étant une infraction autonome, il apparaît peu opportun d’introduire une disposition indiquant que le régime juridique de l’article L. 228 applicable aux poursuites concernant une autre infraction – la fraude fiscale – ne lui est pas applicable.

L’introduction d’une telle disposition pour les faits de blanchiment n’est pas cohérente puisqu’il existe d’autres infractions autonomes qui peuvent trouver à s’appliquer à des faits de fraude fiscale, et dont la poursuite n’est pas subordonnée à une plainte préalable de l’administration fiscale – le délit d’escroquerie à la TVA, par exemple.

Cette modification pourrait conduire, par un raisonnement a contrario, à signifier que d’autres infractions trouvant leur origine dans la fraude fiscale pourraient désormais être soumises aux dispositions de l’article L. 228.

Mme Laurence Vichnievsky. Vos arguments ne parviennent pas à me convaincre. La jurisprudence Talmon a été une manière, pour le Parquet, de déverrouiller un dispositif qui subordonnait les poursuites en matière pénale à la plainte préalable du ministre du budget. La jurisprudence a considéré que le délit de fraude fiscale était une infraction autonome, mais elle pourrait évoluer et je pense que les sénateurs ont été sages lorsqu’ils ont souhaité l’inscrire dans la loi.

C’est seulement le délit de blanchiment qui est une infraction autonome ; il demeure nécessaire de qualifier l’infraction qui sous-tend le blanchiment. Voilà pourquoi nous maintenons que la jurisprudence doit être inscrite dans la loi ; nous voterons donc contre l’amendement tendant à supprimer l’article.

M. Éric Diard. Les auditions que nous avons menées ont fait paraître de nombreux cas où des procureurs se sont saisis du blanchiment, alors qu’il s’agissait d’une infraction connexe. Aménager, dans d’importantes proportions, le verrou de Bercy évitera ce type de problème.

Je reste dans l’incapacité de savoir s’il faut graver dans le marbre de la loi la jurisprudence Talmon ou la laisser en l’état.

M. Jean Terlier, rapporteur pour avis. Je ne partage pas vos inquiétudes, madame Vichnievsky. La jurisprudence Talmon est fixée depuis 2008 : le risque de la voir inversée me semble considérablement réduit.

Ce qui me gêne davantage, et je ne doute pas que vous me rejoindrez sur ce point, c’est que cet article vise le seul délit de blanchiment de fraude fiscale. Or il existe d’autres infractions autonomes ; limiter la disposition au délit de blanchiment de fraude fiscale pourrait amener à interpréter a contrario l’article et conclure que tout ce qui ne relève pas du blanchiment de fraude fiscale est soumis au verrou de Bercy. Cela me semble dangereux au regard de l’objectif visé.

Mme Laurence Vichnievsky. Vous savez bien, monsieur le rapporteur pour avis, que la jurisprudence de la Cour de cassation – c’est heureux – évolue. Nous avons tous connu des revirements considérables. J’estime qu’il est prudent de légaliser cette jurisprudence.

La comparaison que vous faites avec le délit d’escroquerie à la TVA ne me convainc pas car le blanchiment est une infraction générale, qui doit s’appliquer à quelque chose, alors que l’escroquerie à la TVA se suffit à elle-même. Voilà pourquoi je maintiens qu’il est utile de suivre sur ce point la position du Sénat.

La commission adopte l’amendement, exprimant ainsi un avis favorable à la suppression de l’article 9 ter.

titre III
réforme de la procédure de poursuite pénale de la fraude fiscale

Article 13 (nouveau)
(art. L. 141 B [nouveau], L. 228, L. 228 A, L. 188 B et L. 232 du livre des procédures fiscales, art. 131262 du code pénal et art. 705 et 70611 du code de procédure pénale)
Encadrement du dépôt de plaintes pour fraude fiscale par ladministration

Résumé du dispositif et effets principaux :

Le présent article additionnel, introduit par un amendement de M. Albéric de Montgolfier adopté par la commission des finances du Sénat, a pour objet d’aménager le « verrou de Bercy » en instaurant une obligation pour l’administration de déposer plainte pour fraude fiscale lorsque trois critères cumulatifs sont réunis :

– l’application au contribuable d’une majoration d’au moins 80 % ;

– un montant de droits fraudés supérieur à un seuil fixé par décret en Conseil d’État ;

– une gravité particulière du comportement du contribuable, soit parce qu’il est soumis à des exigences renforcées de probité du fait de ses fonctions ou de ses mandats électifs, soit parce qu’il a déjà été sanctionné récemment pour des faits identiques, soit parce que les faits incriminés peuvent être qualifiés de fraude fiscale aggravée. La référence aux exigences particulières de probité liées aux fonctions exercées a été insérée lors de l’examen en séance par un amendement du Gouvernement.

Dernières modifications législatives intervenues :

La loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière a élargi le champ de la procédure judiciaire d’enquête fiscale qui autorise l’administration à saisir l’autorité judiciaire en présence de seules « présomptions caractérisées [de fraude fiscale] pour laquelle existe un risque de dépérissement des preuves ».

Position de la Commission :

À l’initiative de M. Éric Diard et du rapporteur, la commission des Lois a adopté un dispositif aménageant le « verrou de Bercy » selon des principes différents des deux retenus par le Sénat.

Ce nouveau dispositif met à la charge de l’administration fiscale une obligation de dénonciation d’un certain nombre de dossiers de fraude fiscale, déterminés en fonction de critères larges fixés par la loi. L’administration conserve la faculté de porter plainte pour les autres dossiers, le passage obligatoire par la commission des infractions fiscales (CIF) étant toutefois supprimé pour les dossiers relevant de la procédure judiciaire d’enquête fiscale. Pouvoir est enfin donné au ministère public de poursuivre directement, dans certaines conditions, la fraude fiscale découverte de manière incidente et portant sur d’autres périodes ou d’autres impôts que ceux visés dans la plainte ou la dénonciation initiales.

I.   Le droit existant

L’expression « verrou de Bercy » désigne une procédure spécifique, aujourd’hui prévue à l’article L. 228 du livre des procédures fiscales, d’après laquelle l’administration dispose du monopole pour le dépôt des plaintes pour fraude fiscale devant la juridiction pénale. Ce monopole est ancien puisqu’une loi du 25 juin 1920 portant création de nouvelles ressources fiscales prévoyait déjà que, s’agissant de la répression du délit général de fraude fiscale, « les poursuites seront engagées à la requête de ladministration compétente ». Les sanctions pénales ainsi infligées viennent en complément des sanctions administratives prononcées par l’administration ([14]), qu’il s’agisse des pénalités de 10 % ou de 20 % en cas d’omissions ou de retards ou des pénalités allant de 40 % à 100 % en cas de manquements délibérés (pénalités exclusives de bonne foi), voire de manœuvres frauduleuses caractérisées ou de comportements d’obstruction tendant à éviter l’établissement ou le paiement de l’impôt ([15]).

Seules les infractions fiscales définies par le code général des impôts, c’est-à-dire, principalement, le délit général de fraude fiscale défini aujourd’hui à l’article 1741, sont soumises à la procédure du « verrou de Bercy ». Les infractions fiscales de droit commun relevant du code pénal, telles que l’escroquerie à la TVA et le blanchiment de fraude fiscale, n’y sont en revanche pas assujetties. Par son arrêt Talmon du 20 février 2008 ([16]), la Cour de cassation a ainsi jugé que le blanchiment de fraude fiscale était une infraction générale, distincte et autonome et qu’elle n’était donc pas soumise aux dispositions de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales.

La procédure se déroule en trois étapes.

En premier lieu, les dossiers à profil pénal font l’objet d’une sélection administrative à l’échelon des directions départementales et régionales des finances publiques.

En deuxième lieu, l’administration saisit pour avis conforme la commission des infractions fiscales (CIF), organisme administratif indépendant composé de vingt-quatre magistrats judiciaires et administratifs élus par leurs corps respectifs et de quatre personnalités qualifiées nommées par les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat. La CIF a été créée par l’article 1er de la loi n° 77-1453 du 29 décembre 1977 ([17]) en vue de protéger les contribuables contre d’éventuelles plaintes abusives de l’administration fiscale. Outre les dossiers issus d’un contrôle fiscal achevé, la CIF peut, depuis 2010, recevoir des dossiers de présomptions caractérisées d’infractions fiscales (dossiers dits de « police fiscale ») avant la clôture, voire l’ouverture, d’une opération de contrôle fiscal. Dans ce dernier cas, le contribuable n’est pas avisé de la saisine de la commission ni informé de son avis ([18]).

Dossiers issus du contrÔle fiscal transmis À la CIF

Année

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Nombre de contrôles fiscaux externes

51 529

51 452

50 968

49 661

48 540

47 900

Nombre de dossiers répressifs*

16 194

16 166

15 943

15 374

15 065

14 228

Nombre de dossiers répressifs avec des droits notifiés supérieurs à 100 000 €

4 124

4 406

4 480

4 520

4 423

4 785

Nombre de dossiers transmis à la CIF

1 068

1 102

1 050

961

874

946

* Il sagit, dune part, des dossiers faisant lobjet dune proposition de poursuites pénales et, dautre part, des dossiers pour lesquels sont appliquées des pénalités exclusives de bonne foi :

- dont le montant est supérieur à 50 % du total des montants des sanctions ;

- ou bien dont le montant est dau moins 7 500 euros et supérieur à 30 % des droits rappelés.

Source : Direction générale des finances publiques (citée par le rapport de la mission dinformation commune de lAssemblée nationale sur les procédures de poursuite des infractions fiscales).

Dossiers de prÉsomptions caractérisÉes transmis À la CIF

Année

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Nombre

57

80

89

100

70

27

Source : Direction générale des finances publiques (citée par le rapport de la mission dinformation commune de lAssemblée nationale sur les procédures de poursuite des infractions fiscales).

En cas d’avis favorable de la CIF (aujourd’hui quasi systématique), l’administration procède au dépôt formel de la plainte.

Nombre et sens des avis rendus par la CIF

Année

1978

1980

2000

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Dossiers examinés

96

435

928

1 081

1 113

1 155

1 086

1 063

992

Avis favorables

78

393

860

987

1 018

1 069

1 027

997

944

Avis défavorables

18

42

68

92

95

86

59

66

47

Pourcentage davis favorables

81,3 %

90,3 %

92,7 %

91,3 %

91,5 %

92,6 %

94,6 %

93,8 %

95,0 %

Source : commission des infractions fiscales (citée par le rapport de la mission dinformation commune de lAssemblée nationale sur les procédures de poursuite des infractions fiscales).

II.   les réflexions engagées en vue de moderniser la réponse pénale aux comportements de fraude fiscale

1.   Les critiques formulées à l’encontre du « verrou de Bercy »

Le principal reproche formulé à l’encontre du « verrou de Bercy » tient au manque de transparence de la procédure. Les critères d’après lesquels certains dossiers de fraude fiscale doivent faire l’objet de poursuites pénales figurent aujourd’hui dans une simple circulaire dont les termes laissent au demeurant une marge d’appréciation à l’administration fiscale ([19]). On ne peut donc exclure que certains dossiers échappent à toute transmission à l’autorité judiciaire alors même que leur gravité ou le devoir d’exemplarité du contribuable concerné justifieraient qu’ils fassent l’objet d’une plainte.

Il est également parfois reproché au dispositif actuel de privilégier, semble-t-il, la transmission à l’autorité judiciaire de dossiers de moyenne importance, au détriment de fraudes plus graves mais dont la complexité est telle que la probabilité d’aboutir à une condamnation pénale apparaît faible.

Ces critiques trouvent un écho particulier dans l’opinion en un temps où la situation des finances publiques conduit nos concitoyens à juger sévèrement les tentatives d’échapper à l’impôt et toute atteinte en la matière à l’égalité devant la loi.

Le thème de la suppression ou de la réforme du « verrou de Bercy » a été abordé par le Parlement à l’occasion de l’examen de plusieurs textes, qu’il s’agisse par exemple de la discussion à l’été 2017 du projet de loi pour la confiance dans la vie publique ou plus récemment du débat au Sénat portant sur la proposition de loi renforçant l’efficacité des poursuites contre les auteurs d’infractions financières et supprimant le « verrou de Bercy ». Les différents projets en ce sens, incomplets ou insuffisamment travaillés, n’ont toutefois pas abouti à ce jour.

2.   Les préconisations du rapport d’information de l’Assemblée nationale du 23 mai 2018

C’est précisément à l’occasion de l’examen du projet de loi pour la confiance dans la vie publique qu’il a été convenu de créer une mission d’information commune aux commissions des finances et des lois sur les procédures de poursuite des infractions fiscales. Celle-ci, présidée par M. Éric Diard et dont la rapporteure était Mme Émilie Cariou, a rendu ses conclusions le 23 mai 2018 ([20]).

Dans son rapport, la mission d’information a recommandé de fixer dans la loi les critères d’après lesquels les dossiers issus d’un contrôle fiscal devraient donner lieu à un examen systématique de l’opportunité d’engager des poursuites pénales. Cet examen devrait être effectué de manière conjointe par l’administration fiscale et le Parquet. Il appartiendrait au pouvoir réglementaire de préciser les modalités de cet examen, qui pourrait intervenir selon un rythme trimestriel et à un niveau déconcentré avec les procureurs localement compétents. Perdant sa raison d’être, la CIF pourrait être supprimée ou, à tout le moins, cantonnée à un rôle consultatif.

Quant aux fraudes dévoilées non pas à l’issue d’un contrôle fiscal, mais à l’occasion des investigations du parquet, le ministère public aurait la possibilité de les poursuivre directement dès lors qu’elles seraient corrélatives à des fraudes ayant fait l’objet d’une plainte de l’administration et portant sur d’autres périodes ou d’autres impôts. Le parquet pourrait aussi poursuivre directement les fraudes fiscales aggravées corrélatives à une autre infraction faisant déjà l’objet d’investigations de sa part. Plus généralement, la mission d’information appelait à institutionnaliser le suivi du traitement des informations transmises par l’autorité judiciaire à l’administration fiscale en organisant des échanges réguliers et systématiques.

III.   la réforme adoptée par le sÉnat

1.   L’aménagement du « verrou de Bercy » introduit par la commission des finances du Sénat

La commission des finances du Sénat a adopté un amendement de son rapporteur général, M. Albéric de Montgolfier, créant un titre III nouveau intitulé « Réforme de la procédure de poursuite pénale de la fraude fiscale » comportant un article 13 nouveau.

Le 1° du I de larticle 13 vise à préciser à l’article L. 228 du livre des procédures fiscales trois critères dont le cumul doit entraîner obligatoirement un dépôt de plainte pour fraude fiscale par l’administration :

1° les faits sont d’une nature qui justifie, en application des dispositions du code général des impôts, l’application de pénalités d’au moins 80 %, ce qui correspond notamment à des activités occultes, des situations d’abus de droit ou des manœuvres frauduleuses caractérisées ;

2° le montant de droits fraudés excède un seuil déterminé par décret en Conseil d’État ;

3° le comportement du contribuable apparaît d’une gravité particulière, soit parce qu’il a déjà été sanctionné au cours des années précédentes pour des faits identiques, soit parce que les faits incriminés peuvent être qualifiés de fraude fiscale aggravée ([21]).

L’objet de ce dispositif est de cibler les cas les plus graves de fraude fiscale afin de se conformer aux conditions posées par le Conseil constitutionnel pour permettre le cumul des sanctions pénales et des sanctions administratives. Dans ses décisions n° 2016-545 QPC et n° 2016‑546 QPC du 24 juin 2016 ([22]), le Conseil constitutionnel a en effet précisé que « le recouvrement de la nécessaire contribution publique et lobjectif de lutte contre la fraude fiscale justifient lengagement de procédures complémentaires dans les cas de fraudes les plus graves ». Le principe de nécessité des délits et des peines impose « que les dispositions de larticle 1741 ne sappliquent quaux cas les plus graves de dissimulation frauduleuse de sommes soumises à limpôt. Cette gravité peut résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention. »

Le dispositif ménage néanmoins l’existence d’une procédure dérogatoire pour le cas où l’administration considérerait que la voie pénale n’est pas appropriée, nonobstant la réunion des trois critères. Il pourrait en aller ainsi, par exemple, en raison de l’âge avancé du contribuable ou de sa situation de santé. L’administration est alors tenue d’informer et de fournir tous les éléments utiles au parquet, celui-ci restant libre d’engager les poursuites s’il le souhaite.

Si les critères de dépôt automatique de plainte ne sont pas remplis, il est toujours loisible à l’administration fiscale de déposer plainte, en se conformant à la procédure actuelle.

En résumé, plus qu’à une suppression du « verrou de Bercy », le dispositif prévu à l’article 13 s’apparente plutôt à un aménagement de celui-ci, aménagement assez timide si l’on en juge par le caractère cumulatif et relativement restrictif des critères choisis.

Le 2° du I de larticle 13 abroge l’article L. 228 A du livre des procédures fiscales, cet article ayant été rendu sans objet par l’ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016 renforçant le dispositif français de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Il est à noter que le décret n° 2018-501 du 20 juin 2018 portant incorporation au livre des procédures fiscales de divers textes modifiant et complétant certaines dispositions de ce livre a procédé parallèlement à la même suppression.

Le 3° du I de larticle 13 crée au sein du livre des procédures fiscales un nouvel article L. 141 B aux termes duquel les agents de l’administration sont déliés du secret professionnel à l’égard du procureur de la République dans les cas où, par dérogation, l’administration considère qu’il convient de ne pas déposer plainte bien que les critères en ce sens soient remplis.

Le 4° du I de larticle 13 permet, dans les mêmes circonstances, à l’administration fiscale de se porter partie civile si le parquet décide d’engager l’action publique nonobstant l’avis de l’administration.

Le II de larticle 13 procède à une coordination juridique en abrogeant l’article 1er de la loi de 1977 ayant créé la CIF, les dispositions de cet article ayant été codifiées à l’article L. 228 du livre des procédures fiscales et à l’article 1741 A du code général des impôts.

Le III de larticle 13 prévoit la remise par le Parlement au Gouvernement, au plus tard dix-huit mois après le 1er janvier de l’année suivant l’entrée en vigueur du I, d’un rapport présentant le bilan de la mise en œuvre de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales dans sa nouvelle rédaction. Ce rapport doit indiquer notamment le nombre de plaintes déposées au cours d’une année civile et les suites données par l’autorité judiciaire aux dossiers ayant fait l’objet de poursuites.

2.   Les modifications apportées par le Sénat en séance publique

Un amendement du Gouvernement a été adopté par le Sénat en séance publique. Il a ajouté un autre critère qui, se cumulant aux deux premiers, doit entraîner le dépôt obligatoire d’une plainte pour fraude fiscale : l’administration fiscale serait ainsi tenue de déposer plainte lorsque le contribuable est soumis, du fait de ses mandats électifs ou de ses fonctions, à une exigence particulière d’exemplarité. L’amendement vise plus précisément les personnes entrant dans le champ de la loi organique n° 2013-906 et de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique, c’est-à-dire, notamment, les sénateurs, les députés, les personnes titulaires d’un mandat exécutif local, les membres du Gouvernement et leurs collaborateurs, et les personnes exerçant un emploi ou des fonctions à la décision du Gouvernement et pour lesquels elles ont été nommées en Conseil des ministres.

Un amendement rédactionnel de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances, a par ailleurs été adopté par le Sénat en séance publique. Il a notamment supprimé le II de l’article 13, et est donc revenu sur l’abrogation de l’article 1er de la loi du 29 décembre 1977, le maintien de ce dernier ayant été jugé nécessaire afin de ne pas fragiliser juridiquement le décret ayant codifié ses dispositions.

IV.   La position de la Commission des lois

Votre commission des Lois a adopté deux amendements identiques présentés par M. Éric Diard et par le rapporteur, ayant pour objet de réécrire l’article 13 afin d’aménager le « verrou de Bercy » selon un dispositif à la fois moins restrictif et plus sûr juridiquement que celui adopté par le Sénat.

Plutôt qu’un système de plainte obligatoire, inconnu en droit français et jugé fragile d’un point de vue juridique, ce nouveau dispositif prévoit une obligation de dénonciation au Parquet des dossiers issus du contrôle fiscal et présentant un certain degré de gravité. Fixés à l’article L. 228 du livre des procédures fiscales, les critères de dénonciation sont plus larges que ceux, à la fois étroits et cumulatifs, retenus par le Sénat. Ils consistent en un seuil minimal de droits éludés fixé par décret en Conseil d’État et un niveau minimal de pénalité administrative (100 %, 80 % ou 40 % si le contribuable a déjà fait l’objet de majorations lors d’un précédent contrôle). La dénonciation est également obligatoire en cas d’application d’une majoration de 40 %, 80 % ou 100 % à un contribuable soumis à certaines obligations en matière de transparence.

Les autres dossiers de fraude fiscale, c’est-à-dire ceux ne répondant pas aux critères fixés par la loi, peuvent également faire l’objet de poursuites pénales, par le biais d’une plainte de l’administration, sous réserve de l’avis conforme de la CIF. Les amendements adoptés suppriment toutefois le passage obligatoire par la CIF pour les dossiers de présomptions caractérisées de fraude fiscale (dossiers dits de « police fiscale ») qui sont ensuite confiés à des agents des services fiscaux habilités, les officiers fiscaux judiciaires.

Les amendements adoptés créent par ailleurs un nouvel article L. 228 C au sein du livre des procédures fiscales tendant à permettre au Parquet de poursuivre directement les fraudes fiscales corrélatives à celles ayant déjà fait l’objet d’une plainte de l’administration fiscale et portant sur d’autres périodes ou d’autres impôts, sans qu’une nouvelle plainte soit nécessaire.

Enfin, ces amendements insèrent dans le même livre un article L. 142 A prévoyant la levée du secret professionnel auquel est astreinte l’administration fiscale, en ce qui concerne le dialogue qu’elle peut nouer avec le Parquet en amont de toute plainte ou de toute dénonciation.

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La Commission examine les amendements identiques CL33 du rapporteur pour avis et CL20 de M. Éric Diard, qui font l’objet des sous-amendements CL31 et CL32 de Mme Laurence Vichnievsky.

M. Jean Terlier, rapporteur pour avis. La paternité de ces amendements revient à notre collègue Diard.

M. Éric Diard. La mission d’information, dont j’étais le président, est close. Place au projet de loi et à son rapporteur…

M. Jean Terlier, rapporteur pour avis. L’aménagement du verrou de Bercy proposé par le Sénat consiste en un système de dépôt de plainte automatique dans un certain nombre de cas. Ce dispositif, inconnu en droit français, paraît juridiquement fragile. Une personne physique ou morale, publique ou privée, est libre de porter plainte si elle estime avoir subi un préjudice ; il paraît assez incongru de la contraindre par la loi à déposer plainte.

Au dispositif suggéré par le Sénat, les amendements CL33 et CL20 proposent de préférer, dans une nouvelle rédaction de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales, un dispositif de dénonciation obligatoire au Parquet des dossiers issus du contrôle fiscal et présentant un certain degré de gravité.

Les critères proposés sont plus larges que ceux, à la fois restrictifs et cumulatifs, retenus par le Sénat. Les critères proposés consistent en un seuil minimal de droits éludés, fixé par décret en Conseil d’État, et un niveau minimal de pénalité administrative – 100 %, 80 % ou 40 % si le contribuable a déjà fait l’objet de majorations lors d’un précédent contrôle. La dénonciation est également obligatoire en cas d’application d’une majoration de 40 %, 80 % ou 100 % à un contribuable soumis à certaines obligations en matière de transparence.

L’article L. 228 préciserait aussi que les autres dossiers de fraude fiscale, c’est-à-dire ceux ne répondant pas aux critères fixés par la loi, peuvent également faire l’objet de poursuites pénales, par le biais d’une plainte de l’administration, sous réserve de l’avis conforme de la CIF. Nous proposons toutefois de supprimer le passage obligatoire par la CIF pour les dossiers de présomption caractérisée de fraude fiscale, dits « de police fiscale », qui sont ensuite confiés à des agents des services fiscaux habilités, les officiers fiscaux judiciaires.

Cet amendement crée par ailleurs un nouvel article L. 228 C au sein du livre des procédures fiscales, tendant à permettre au Parquet de poursuivre directement les fraudes fiscales corrélatives à celles ayant déjà fait l’objet d’une plainte de l’administration fiscale et portant sur d’autres périodes ou d’autres impôts, sans qu’une nouvelle plainte soit nécessaire.

Enfin, cet amendement insère dans le même livre un article L. 142 A prévoyant la levée du secret professionnel auquel est astreinte l’administration fiscale, en ce qui concerne le dialogue qui peut avoir lieu avec le Parquet en amont de toute plainte ou de toute dénonciation.

M. Éric Diard. Ces amendements sont le fruit du travail de la mission d’information. Il consacre la levée du secret fiscal et met fin au verrou de Bercy, qui devient quasiment inexistant. Certes, et Mme Vichnievsky ne manquera pas de le souligner, nous aurions pu aller plus loin – la CIF existera encore, mais seulement pour Bercy, qui souhaite disposer d’une expertise. Mais, compte tenu de ce que pensaient les journalistes et de ce qui était sorti de la loi pour la moralisation de la vie politique, nous faisons là un pas de géant.

Mme Laurence Vichnievsky. Je salue les travaux de la mission. Il est vrai que ces amendements, déposés par M. Diard et M. le rapporteur pour avis, constituent une avancée à deux égards : la levée du secret fiscal, indépendamment de l’existence d’une plainte ou d’une procédure judiciaire. J’observe aussi que cet amendement prévoit la faculté pour le ministère public de poursuivre directement la fraude fiscale découverte de manière incidente, sans qu’une nouvelle plainte soit nécessaire ; malheureusement, cette possibilité n’est valable que sur des impôts ou sur une période différents de ceux mentionnés dans la plainte ou la dénonciation initiale, et non pour des délits connexes comme nous aurions pu le souhaiter.

Le déverrouillage existe, c’est vrai, conformément aux décisions du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation, mais il reste très partiel et est réservé aux fraudes les plus importantes. Vous observerez par ailleurs que, dans le II de l’article L. 228, le verrou de Bercy est maintenu.

Dans le I de l’article L. 228, la gravité des faits est déterminée sur la base de critères précis, fixés par la loi, combinant le montant des droits fraudés, les méthodes de fraude utilisées et l’éventuelle qualité d’élu du contribuable.

Cependant, dans la dernière version du projet, l’obligation de dénonciation est subordonnée à l’application au contribuable des majorations prévues pour sanctionner les faits de fraude. C’est là que le bât blesse : cela revient à faire dépendre l’obligation à laquelle est désormais tenue l’administration de l’accomplissement par elle d’une de ses propres diligences. En s’abstenant de procéder à cette majoration, ou simplement en la différant, l’administration peut se soustraire à son obligation de dénonciation.

C’est la raison pour laquelle mon sous-amendement CL31, en insérant à l’alinéa 7, après le mot « qui » les mots « sont passibles ou », vise à faire dépendre l’obligation de dénonciation de la seule situation objective de fraude, constituée par les agissements ou les omissions du contribuable, dès lors que l’administration fiscale en aura eu connaissance, sans y ajouter la condition que la fraude ainsi révélée ait fait de surcroît l’objet d’une notification de majoration de droits.

Ce sous-amendement s’inscrit parfaitement dans la finalité du projet de loi : pour les infractions fiscales les plus graves, l’administration ne doit plus disposer de l’opportunité des poursuites pénales. Elle ne doit plus garder, en quelque sorte, la main sur les procédures.

Enfin, il revient au législateur de fixer le seuil du montant des droits éludés : par le sous-amendement CL32, je propose de le fixer à 100 000 euros, ce qui, dans la pratique, correspond au seuil de transmission des dossiers à la CIF.

M. Jean Terlier, rapporteur pour avis. Le sous-amendement CL31 vise à inclure dans le champ de la dénonciation des faits passibles de majorations de 100 %, 80 % ou 40 %. Cette disposition ne serait pas opérationnelle, dans la mesure où l’administration serait tenue de dénoncer au Parquet des faits qu’elle estime passibles de majorations, sans pour autant prononcer lesdites majorations… Les services vérificateurs se mettraient ainsi en tort en affichant une forme d’incohérence. D’où mon avis défavorable.

Le chiffre de 100 000 euros est effectivement celui actuellement retenu par la CIF et l’administration fiscale pour définir les dossiers « pénalisables ». Mais il ne me semble pas pertinent de le fixer dans la loi, car il faudrait alors revenir devant le législateur s’il y avait lieu un jour, au vu de la pratique et du volume de dossiers que l’on souhaite voir transmis automatiquement au Parquet, de le faire évoluer légèrement à la hausse ou à la baisse. Avis défavorable.

Mme Laurence Vichnievsky. Je pensais pourtant être convaincante… Permettez-moi d’oser une comparaison un peu réductrice : le contribuable est tenu de déclarer tous ses revenus. Si l’on découvre qu’il n’a pas respecté cette obligation, la réaction se fait immédiatement sentir. C’est un peu la même démarche que je propose dans mon sous-amendement CL31 : l’administration ne transmettra pas tous les dossiers, même en cas d’absence de notification de majoration, mais cette obligation existera. Nous savons bien qu’il peut arriver, à l’occasion d’autres enquêtes ou d’autres poursuites, qu’une fraude émerge ; dans ce cas, il doit être possible pour chacun d’observer si cette obligation a été respectée ou non. C’est une manière de redonner l’opportunité des poursuites au Parquet.

S’agissant du sous-amendement CL32, vous savez bien, monsieur le rapporteur pour avis, que nous aurions la possibilité de modifier ce seuil lors de chaque examen budgétaire. Je maintiens qu’il revient au législateur de le fixer, quitte à l’abaisser à 50 000 euros si cela apparaît nécessaire.

M. Rémy Rebeyrotte. Même si le dispositif peut être encore discuté, nous vivons un moment historique. Je rappelle que lors de l’examen du projet de loi pour la confiance dans la vie politique, le sujet du « verrou de Bercy » était apparu comme étant particulièrement d’actualité. Mais l’annonce de la création d’une mission d’information avait été accompagnée d’un profond scepticisme sur de nombreux bancs de notre assemblée, tant cette question faisait partie de ces serpents de mer qui, depuis des dizaines années, ressurgissent régulièrement, avant d’être systématiquement éludés.

Cela n’a pas été le cas cette fois-ci, et je salue la majorité. Une mission s’est bel et bien mise en place, à laquelle l’ensemble des groupes ont participé. Je salue nos collègues qui ont effectué ce travail de fond, très dense. Un consensus a été ensuite recherché, madame Vichnievsky, pour faire reculer le « verrou de Bercy » et faciliter la judiciarisation de la fraude fiscale.

Cet article est très important, et je ne voudrais pas qu’il soit réduit à un simple débat technique. Il constitue une profonde avancée, historique, et je salue encore tous ceux qui y ont contribué.

M. Éric Diard. Cette mission d’information a été transpartisane. Je salue le travail de la rapporteure et de mes collègues de la majorité comme de l’opposition. Les parlementaires ont été nombreux à assister aux auditions, certains mêmes ne faisant pas partie de la mission, comme Mme Vichnievsky. Le représentant du MODEM, M. Bourlanges, a été très présent, ainsi que mon collègue Charles de Courson. Il a été difficile de trouver l’unanimité sur le rapport, les divergences qui se font jour sur cet amendement le montrent. Mais je dois reconnaître que l’avancée est réelle et que cette mission d’information, qui avait suscité le scepticisme sur tous les bancs – la majorité elle-même était très divisée sur le sujet au mois de juillet 2017 – a porté ses fruits.

M. Paul Molac. Je suis de ceux qui ont défendu des amendements visant à supprimer le « verrou de Bercy » et je songe à la satisfaction de M. de Courson, qui a mené ce combat pendant des dizaines d’années. Nous sommes parvenus à une rédaction assez équilibrée, qui contraindra à une négociation entre le juge et l’administration de Bercy. C’est une première étape, mais elle va incontestablement dans le bon sens.

La Commission rejette successivement les sous-amendements CL31 et CL32.

La Commission adopte les amendements identiques, exprimant par ce vote un avis favorable à l’adoption de l’article 13 ainsi rédigé.

Article additionnel après article 13
(art. L. 229 du livre des procédures fiscales)
Dépôt de plainte par les directions des finances publiques chargées du contrôle fiscal

Aux termes de l’article L. 229 du livre des procédures fiscales, les dépôts de plainte pour fraude fiscale sont réalisés par les seuls services chargés de l’assiette et du recouvrement de l’impôt ayant fait l’objet de la fraude.

Cependant, d’autres services fiscaux peuvent détecter la commission d’une infraction, à l’image des directions nationales ou spécialisées de contrôle fiscal qui ne sont pas chargées d’établir l’assiette et de procéder au recouvrement de l’impôt. Ainsi, en l’état actuel du droit, ces directions sont contraintes de saisir les directions départementales ou régionales territorialement compétentes afin d’effectuer les dépôts de plainte, faute de pouvoir déposer plainte elles-mêmes.

Dans un souci d’efficacité, cet article introduit par l’amendement CL17 de Mme Laurence Vichnievsky vise à simplifier et fluidifier le dispositif prévu à l’article L. 229 en autorisant les services en charge du contrôle à porter plainte directement, sans passer par l’intermédiaire des services chargés de l’assiette et du recouvrement.

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La Commission est saisie de l’amendement CL17 de Mme Laurence Vichnievsky.

Mme Laurence Vichnievsky. Il est défendu.

Suivant l’avis favorable du rapporteur pour avis, la Commission adopte l’amendement.

Elle émet, enfin, un avis favorable à ladoption de lensemble des dispositions dont elle est saisie, modifiées.

   PERSONNES ENTENDUES PAR Le RAPPORTEUR

(dans le cadre des auditions organisées par la

commission des finances)

   M. François Molins, procureur de la République, TGI de Paris

   M. Christophe Barret, procureur de la République, TGI de Montpellier

   M. Rodolphe Gintz, directeur général des douanes et droits indirects

   M. Michel Baron, chef du bureau « Affaires juridiques et contentieuses »

   M. Vincent Charmoillaux, secrétaire national

   M. Thomas de Ricolfis, chef de l’Office

   M. Tony Sartini, chef de la Brigade

   M. Vincent Talvas, délégué général

   Mme Sophie Blégent-Delapille

   Mme Catherine Cassan

   M. Jean-Pierre Lieb

   M. Marc-François Bornhauser, président

   Mme Eve Obadia

   M. Jacques Taquet, membre du conseil national des barreaux

   M. Bruno Parent, directeur général

   Mme Maïté Gabet, cheffe du service du contrôle fiscal

   M. Edouard Marcus, chef du service juridique et de la fiscalité

   Mme Eliane Houlette, procureur financier

   M. Jean-Luc Blachon, premier vice-procureur financier

   Rémy Heitz, directeur des affaires criminelles et des grâces

   M. Thibault Cayssials, chef du bureau de la législation pénale spéciale

   M. Manuel Rubio-Gullon, sous-directeur de la négociation et de la législation pénales

   M. Jérôme Simon, conseiller politique pénale auprès de la garde des Sceaux

   M. Grégoire Dulin, conseiller justice

 

 

 


([1]) Assemblée nationale, Mission d’information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales, É. Diard et É. Cariou, Rapport, n° 982, Transparence et coopération renforcée : les voies dune réforme de la procédure de poursuite pénale de la fraude fiscale.

([2]) La DGFiP est issue de la fusion en 2008 de la direction générale des impôts (DGI) et de la direction générale de la comptabilité publique (DGCP).

([3]) Article abrogé par l’article 24 de la loi n° 2006-064 du 23 janvier 2006.

([4]) Ibid.

([5]) Créé par la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009.

([6]) Considérant n° 13 des décisions n° 2016-545 et n° 2016-546 du 24 juin 2016.

([7]) Ces risques sont évalués à moins d’une dizaine de cas par an.

([8]) Le délai est réduit à deux mois dans le cas où la personne visée est en détention provisoire.

([9])  Article 106 de la loi de finances pour 2018.

([10]) Rapport d’information n° 4457 sur l’évaluation de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013,
relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière et de la loi organique n° 2013-1115 du 6 décembre 2013 relative au procureur de la République financier.

([11]) Circulaire du ministre de la Justice du 2 septembre 2004.

([12]) Assemblée nationale, Mission d’information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales, É. Diard et É. Cariou, Rapport, n° 982, Transparence et coopération renforcée : les voies dune réforme de la procédure de poursuite pénale de la fraude fiscale.

([13]) Cass. crim., 20 février 2008, Talmon, Bull. n° 65, pourvoi n° 07-82977.

([14]) Les principales pénalités administratives sont prévues aux articles 1728, 1729 et 1732 du code général des impôts.

([15]) Dans ses décisions QPC « M. Jérôme C. » et « M. Alec W. » du 24 juin 2016, le Conseil constitutionnel a encadré le cumul entre les sanctions administratives et les sanctions pénales. Le considérant 24 précise : « si léventualité que deux procédures soient engagées peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique quen tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de lune des sanctions encourues ».

([16]) Cour de cassation, chambre criminelle, 20 février 2008, Bull. n° 43, pourvoi n° 07-82977.

([17]) Loi n° 77-1453 du 29 décembre 1977 accordant des garanties de procédure aux contribuables en matière fiscale et douanière.

([18]) Cette procédure judiciaire d’enquête fiscale permet à l’administration de bénéficier des moyens d’investigations judiciaires.

([19]) Circulaire commune du Garde des Sceaux et du ministre du budget relative à la lutte contre la fraude fiscale du 22 mai 2014.

([20]) Assemblée nationale, Mission d’information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales, É. Diard et É. Cariou, Rapport, n° 982, Transparence et coopération renforcée : les voies dune réforme de la procédure de poursuite pénale de la fraude fiscale.

([21]) Les cas de fraude fiscale aggravée, pour lesquels les peines sont portées à 3 000 000 € d’amende et sept ans d’emprisonnement, sont prévus aux alinéas 2 à 7 de l’article 1741 du code général des impôts. Ils visent les hypothèses où les faits ont été commis en bande organisée ou réalisés au moyen de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d’organismes établis à l’étranger, de l’usage d’une fausse identité ou de faux documents, d’une domiciliation fiscale fictive ou artificielle à l’étranger, etc.

([22]) Cons. const., Décision n° 2016-546 QPC du 24 juin 2016, M. Jérôme C. et Décision n° 2016-545 QPC du 24 juin 2016, M. Alec W. et autre.