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N° 1288

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 3 octobre 2018.

 

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES
SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2019 (n° 1255)

TOME XIII

OUTRE-MER

PAR M. Max Mathiasin

Député

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 Voir les numéros : 1255 et 1302 (Tome III, annexe 31).


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SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION

Première partie : la hausse globale du budget de la mission « outre-mer » et ses évolutions internes résultent des effets comptables de la réforme des aides économiques dans les outre-mer, à moyens constants

I. Le budget de la mission affiche une hausse des crédits de plus de 20 % pour 2019, à moyens globaux Néanmoins constants

II. Au sein du budget de la mission, certains postes de dépenses voient leurs crédits augmenter à la suite d’une rebudgétisation et d’un redéploiement de crédits engendrés par la réforme des aides économiques

A. La structure du budget évolue légèrement cette année

B. Le programme 138 (Emploi outre-mer) connaît une forte hausse de ses crédits du fait des conséquences comptables du basculement du CICE applicable en outremer vers des allègements de charges sociales, d’une part, et du redéploiement de crédits, d’autre part

1. Le basculement du crédit d’impôt compétitivité emploi applicable dans les outre-mer en allègements de charges sociales conduit à une hausse comptable d’environ 300 M€ des crédits

2. L’action n° 4 (Financement de l’économie), nouvellement créée, porte le redéploiement de 50 M€ de crédits en CP, issus de la suppression du dispositif de la TVA non perçue récupérable et de la réduction du plafond sur l’abattement sur l’impôt sur le revenu dans les DOM

C. Le programme 123 (Conditions de vie outre-mer) voit ses crédits augmenter de façon significative également du fait du redéploiement de crédits

1. L’action n° 2 (Aménagement du territoire) connaît une hausse de ses crédits de 9 M€ en CP et de 28 M€ en AE

2. L’action n° 6 (Collectivités territoriales) bénéfice d’une hausse de ses crédits de 15 M€ en CP (crédits stables en AE)

3. L’action n° 8 (Fonds exceptionnel d’investissement) voit ses crédits augmenter de 29 M€ en CP et de 70 M€ en AE

4. L’action n° 9 (Appui à l’accès au financement bancaire) connaît une hausse de ses crédits de 15 M€ en CP mais une baisse de 7 M€ en AE

DEUXIÈME partie : la réforme des aides économiques spécifiques aux outre-mer portée par le présent projet de loi de finances apparaÎt opportune dans ses principes mais mérite d’être interrogée dans ses modalités

I. La réforme présentée vise dans son principe à améliorer l’efficacité des dispositifs, à moyens constants

A. La réforme des aides économiques répond au double objectif de dynamiser les dispositifs existants et, surtout, de les rencentrer sur les bas salaires et les secteurs prioritaires

B. Il est effectivement nécessaire de repenser les aides économiques spécifiques aux outre-mer pour en améliorer l’efficacité, dans un contexte socioéconomique insatisfaisant

II. les modalités de la réforme proposée présentent, pour certains dispositifs, des écueils qu’il convient de corriger

A. La célérité de la conception et de la mise en œuvre de cette réforme d’ampleur et l’approche peu différenciée entre territoires constituent des facteurs d’inquiétude

B. La prolongation des mécanismes de défiscalisation en faveur de l’investissement dans les outre-mer offre une prévisibilité nécessaire aux entreprises ultramarines

C. La suppression du dispositif de la tva non perçue récupérable et l’abaissement du plafond sur l’abattement sur l’impôt sur le revenu dans les dom, ainsi que le redéploiement de crédits qu’ils financent, méritent d’être repensés

1. La suppression du mécanisme de la TVA non perçue récupérable : une réforme souhaitable mais une mise en œuvre trop précoce

2. L’abaissement du plafond de l’abattement sur l’impôt sur les revenus applicable dans les DOM : une mesure qui ne convainc pas

3. Le redéploiement de crédits en faveur de l’activité économique : une idée opportune mais une mise en œuvre qui demeure trop floue

a. Les redéploiements prévus

b. Des redéploiements dont la pérennité n’est pas garantie et dont les affectations concrètes doivent être clarifiées

D. La réforme DES ZONES FRANCHES d’activité et a fortiori des mesures d’allègements du coût du travail dans les outre-mer induisent de lourdes conséquences économiques qui doivent être précisément évaluées et pourraient utilement faire l’objet d’ajustements

1. La réforme des zones franches d’activité pourrait faire l’objet d’améliorations

2. La politique d’allègement du coût du travail fait l’objet d’une réforme d’une grande ampleur, dont les lourdes implications économiques doivent être mieux évaluées et les modalités ajustées

a. La réforme proposée saisit l’occasion du basculement du CICE en allègements de charges sociales pour rationaliser le régime spécifique des exonérations de charges sociales dans les outre-mer

b. Les conséquences de cette réforme, qui s’appliquera dès l’année prochaine, sur les entreprises seront lourdes et n’ont pas été suffisamment évaluées

c. Deux séries d’améliorations pourraient être apportées à cette réforme

E. La réforme pourrait être complétée par un travail de réflexion sur les aides économiques applicables au secteur de l’agriculture ultramarine

Examen en commission

liste des personnes auditionnÉes


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   INTRODUCTION

Les territoires ultramarins connaissent depuis plusieurs années une dynamique forte de réforme visant à assurer leur développement économique et l’égalité vis-à-vis de la métropole. Cette dynamique a été portée très récemment par l’adoption de la loi « EROM » ([1]) l’année dernière et l’organisation des Assises des outre-mer, qui ont débouché cette année sur la présentation du Livre bleu des outre-mer par le Gouvernement en juin.

Aujourd’hui, l’heure est à la réforme des aides économiques spécifiques à ces territoires. Après avoir engagé un processus de revue des dispositifs concernés en fin d’année dernière, le Gouvernement présente, dans le cadre du présent projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, une réforme d’ampleur.

Les équilibres du budget de la mission « Outre-mer » traduisent cette réforme et en sont fortement affectés. Globalement, les crédits de la mission sont en effet en hausse d’un peu plus de 20 % par rapport à l’année dernière du fait des conséquences comptables de la réforme de certains dispositifs, qui implique de budgétiser davantage de dépenses. Mais comme la ministre des outre-mer, Mme Annick Girardin, l’indique elle-même, le budget – tout comme le montant des aides économiques – est en réalité globalement stable, à périmètre constant.

Dans ce contexte, il est apparu naturel au rapporteur de consacrer l’essentiel de son propos à la réforme des aides économiques. Il s’agit non seulement d’exposer ses répercussions budgétaires mais surtout d’en analyser les motivations, les modalités et les conséquences économiques.

Dans un contexte budgétaire contraint, votre rapporteur souscrit à la démarche du Gouvernement qui consiste, pour résumer, à faire mieux avec autant en faveur du développement économique des outre-mer. Il interroge toutefois les modalités de la réforme, dont les écueils doivent être soulignés afin que les ajustements nécessaires soient faits. Votre rapporteur insiste en particulier sur la nécessité d’évaluer a priori les effets économiques des mesures proposées, de garantir aux entreprises ultramarines, si ce n’est une stabilité, au moins une prévisibilité du cadre fiscal, d’assurer une modulation des dispositifs en fonction des spécificités de chacun des territoires ultramarins et, enfin, de prendre en compte les caractéristiques et les handicaps structurels de ces collectivités.

En somme, votre rapporteur porte, sur le principe, un œil positif sur la réforme et le budget qui la porte. L’analyse de ses modalités le conduit néanmoins à formuler des propositions d’amélioration.


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   Première partie : la hausse globale du budget de la mission « outre-mer » et ses évolutions internes résultent des effets comptables de la réforme des aides économiques dans les outre-mer, à moyens constants

Le présent budget de la mission « Outre-mer » voit ses crédits augmenter très significativement. D’un point de vue global, cette évolution du montant des crédits résulte en réalité des effets comptables de la réforme de certains dispositifs d’aide économique outre-mer (I). Une analyse plus fine permet de mettre en lumière des redéploiements de crédits au sein de la mission, d’une ampleur importante (II).

I.   Le budget de la mission affiche une hausse des crédits de plus de 20 % pour 2019, à moyens globaux Néanmoins constants

Les crédits de la « mission Outre-mer » du projet de loi de finances pour 2019 affichent une hausse de 424 millions d’euros (M€) en crédits de paiement (CP), soit une augmentation de 20,5 % par rapport aux crédits ouverts en 2018, pour atteindre 2,491 milliards d’euros (Md€). En autorisations d’engagement (AE), la hausse est de 472 M€, soit une augmentation de 22,5 %, pour atteindre 2,576 milliards d’euros.

Toutefois, cette hausse globale résulte des conséquences comptables de la réforme des aides économiques spécifiques aux outre-mer portée par le présent projet de budget. À périmètre constant, aides fiscales comprises, les moyens sont globalement stables par rapport à l’année dernière, non seulement pour les entreprises mais également pour la mission elle-même.

En effet, les 472 M€ de crédits nouveaux (en AE) se divisent en :

– Environ 300 M€ de crédits nouveaux destinés à compenser auprès des organismes de sécurité sociale la hausse des allègements de cotisations sociales, qui viennent se substituer au crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) applicable jusqu’ici dans les outre-mer, sans que l’engagement financier en faveur des entreprises ne soit modifié ;

– Environ 170 M€ de crédits nouveaux provenant d’un redéploiement au sein de la mission des économies tirées de la suppression du dispositif de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) non perçue récupérable (pour 100 M€) et de l’abaissement du plafond sur l’abattement sur l’impôt sur les revenus applicable dans les départements d’outre-mer (pour 70 M€).

II.   Au sein du budget de la mission, certains postes de dépenses voient leurs crédits augmenter à la suite d’une rebudgétisation et d’un redéploiement de crédits engendrés par la réforme des aides économiques

Les implications budgétaires du basculement du CICE en allègements de charges sociales et le redéploiement de crédits issus de la suppression du dispositif de la TVA non perçue récupérable et de l’abaissement du plafond sur l’abattement sur l’impôt sur le revenu applicable dans les départements d’outre-mer (DOM) conduisent à des évolutions dans la structure (A) et dans les montants des crédits des programmes et actions de la mission (B et C). Votre rapporteur ne relève ici que les évolutions les plus significatives.

A.   La structure du budget évolue légèrement cette année

La structure de la mission « Outre-mer » évolue légèrement cette année. Elle demeure organisée autour de deux programmes, le programme 138 (Emploi outre-mer) et le programme 123 (Conditions de vie outre-mer). Une quatrième action est toutefois créée au sein du programme 138, l’action n° 4 : Financement de l’économie.

Au total, la mission est donc composée de deux programmes et de 12 actions.

B.   Le programme 138 (Emploi outre-mer) connaît une forte hausse de ses crédits du fait des conséquences comptables du basculement du CICE applicable en outre‑mer vers des allègements de charges sociales, d’une part, et du redéploiement de crédits, d’autre part

Le programme 138 connaît une hausse de ses crédits de 358 M€ par rapport à 2018 en CP (382 M€ en AE). Cette hausse résulte de deux évolutions distinctes (1 et 2).

1.   Le basculement du crédit d’impôt compétitivité emploi applicable dans les outre-mer en allègements de charges sociales conduit à une hausse comptable d’environ 300 M€ des crédits

Afin de compenser les effets dans les outre-mer de la réforme nationale visant à basculer le CICE vers des baisses de charges sociales, les exonérations applicables en outre-mer voient leur assiette élargie à compter du 1er janvier 2019, en intégrant des contributions supplémentaires à l’assiette.

Or, les exonérations de cotisations de sécurité sociale spécifiques aux outre-mer sont compensées par l’État auprès des organismes de sécurité sociale à partir des crédits inscrits au programme 138.

Le basculement suppose de ce fait de transférer les sommes anciennement allouées à cette dépense fiscale vers des crédits. De ce fait, les crédits ouverts au titre des exonérations de charge sur le programme 138 augmentent d’environ 300 M€ en CP.

Au total, les aides aux entreprises (aide fiscale et allègements de charges compris) demeurent constantes.

2.   L’action n° 4 (Financement de l’économie), nouvellement créée, porte le redéploiement de 50 M€ de crédits en CP, issus de la suppression du dispositif de la TVA non perçue récupérable et de la réduction du plafond sur l’abattement sur l’impôt sur le revenu dans les DOM

Les sommes dégagées par la suppression de la TVA non perçue récupérable et l’abaissement du plafond sur l’abattement sur l’impôt sur le revenu dans les DOM sont partiellement redéployées au sein de cette action nouvellement créée (pour 50 M€).

C.   Le programme 123 (Conditions de vie outre-mer) voit ses crédits augmenter de façon significative également du fait du redéploiement de crédits

Le programme 123 connaît une hausse de ses crédits de 66 M€ en CP et de 92 M€ en AE. Ces crédits supplémentaires sont issus du redéploiement d’une autre partie des sommes dégagées par la suppression de la TVA non perçue récupérable et de la réforme du plafond sur l’abattement sur l’impôt sur le revenu applicable dans les DOM.

Le redéploiement s’opère principalement au profit de l’action n° 2 (Aménagement du territoire), de l’action n° 6 (Collectivités territoriales), de l’action n° 8 (Fonds exceptionnel d’investissement) et de l’action n° 9 (Appui à l’accès au financement bancaire).

1.   L’action n° 2 (Aménagement du territoire) connaît une hausse de ses crédits de 9 M€ en CP et de 28 M€ en AE

Les nouveaux contrats de convergence et de transformation créés par la loi dite « EROM » du 28 février 2017 bénéficient de cette hausse de crédits.

2.   L’action n° 6 (Collectivités territoriales) bénéfice d’une hausse de ses crédits de 15 M€ en CP (crédits stables en AE)

Cet abondement en crédits supplémentaires en CP se fait notamment au profit de dotations de construction et d’équipement dans le domaine de l’éducation dans certaines collectivités ultramarines.

3.   L’action n° 8 (Fonds exceptionnel d’investissement) voit ses crédits augmenter de 29 M€ en CP et de 70 M€ en AE

L’objectif affiché par le fort renforcement des crédits du fonds exceptionnel d’investissement (FEI) par le présent budget est de rattraper le retard en équipements structurants, notamment dans le domaine de l’eau potable et de l’assainissement.

4.   L’action n° 9 (Appui à l’accès au financement bancaire) connaît une hausse de ses crédits de 15 M€ en CP mais une baisse de 7 M€ en AE

L’objet du dispositif porté par cette action est de favoriser les investissements des acteurs publics en réduisant les coûts des ressources empruntées et d’assurer une meilleure couverture des risques. Cette action est mise en œuvre par l’intermédiaire de l’Agence française de développement (AFD).

Les documents budgétaires indiquent que parmi les crédits de cette action, 12 M€ de CP et 15 M€ d’AE sont issus du redéploiement de crédits. Au total, les autorisations d’engagement sont néanmoins en recul de 7 M€ par rapport à 2018.


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  DEUXIÈME partie : la réforme des aides économiques spécifiques aux outre-mer portée par le présent projet de loi de finances apparaÎt opportune dans ses principes mais mérite d’être interrogée dans ses modalités

Le présent projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 portent une réforme d’ampleur des aides économiques spécifiques aux outre-mer. Celle-ci vise, pour résumer, à faire mieux avec autant pour le développement économique des outre-mer. Si, dans un contexte budgétaire contraint, votre rapporteur peut comprendre cette démarche (I), il souhaite questionner et améliorer ses modalités (II).

I.   La réforme présentée vise dans son principe à améliorer l’efficacité des dispositifs, à moyens constants

La réforme présentée par le Gouvernement vise à améliorer l’efficacité des aides en faveur du développement économique des outre-mer en dynamisant les dispositifs et en recentrant l’effort sur les bas salaires et les secteurs prioritaires (A). Les modalités de la réforme doivent néanmoins être interrogées, afin de répondre à certains écueils (B).

A.   La réforme des aides économiques répond au double objectif de dynamiser les dispositifs existants et, surtout, de les rencentrer sur les bas salaires et les secteurs prioritaires

La réforme des aides économiques dans les outre-mer vise deux objectifs principaux selon le Gouvernement :

– Substituer à ce que le Gouvernement présente comme un empilement de dispositifs aux finalités jugées parfois dispersées et mal articulées, une vision stratégique, pérenne et offensive de ces aides afin d’assurer le développement d’un nouveau modèle économique ;

– Recentrer ces aides sur les bas salaires, afin de favoriser l’emploi, et sur certains secteurs prioritaires, notamment ceux exposés à la concurrence extérieure et ceux fortement pourvoyeurs de valeur ajoutée et d’emplois.

B.   Il est effectivement nécessaire de repenser les aides économiques spécifiques aux outre-mer pour en améliorer l’efficacité, dans un contexte socio‑économique insatisfaisant

Votre rapporteur partage les objectifs affichés de cette réforme. En effet, si les dispositifs existants ont montré une certaine efficacité à de nombreux égards, il est nécessaire de chercher à en améliorer les principes et les modalités, au service du développement des économies ultramarines. À l’heure où le Gouvernement met en œuvre, notamment à travers le projet de loi dit « PACTE ([2]) », sa démarche globale en faveur de la compétitivité des entreprises et de leur développement dans un contexte légal, réglementaire et fiscal simplifié et incitatif, il est en effet indispensable d’appliquer la même démarche aux outre-mer.

Cette réforme doit donc être mise en œuvre, dans des territoires souffrant de handicaps structurels notables. Pour rappel, le taux de chômage, qui s’élevait à 9,4 % en France entière (hors Mayotte) en 2017 atteignait 22,4 % en Guadeloupe, 22,8 % à La Réunion et 25,9 % à Mayotte. S’agissant plus spécifiquement des jeunes de 15 à 24 ans, le taux de chômage en France entière s’élevait à 22,3 % contre 53,3 % en Guadeloupe, 39,1 % à La Réunion et 43,1 % à Mayotte. Par ailleurs, le taux de pauvreté, qui s’élevait à 14,1 % en France métropolitaine en 2014, atteignait 32 % en Martinique et 41,8 % à la Réunion. Le coût de la vie dans les outre-mer est en outre très élevé : en 2015, le panier de consommation des ménages de métropole avait un coût plus élevé de 16,2 % en Guyane, de 17,1 % en Martinique et de 55 % en Polynésie française ([3]) .

Votre rapporteur constate par ailleurs que cette réforme est faite à moyens constants, dans un contexte budgétaire très contraint ; le montant total des aides économiques spécifiques aux outre-mer resterait donc fixé à environ 2,45 milliards d’euros. Par ailleurs, les différences de chiffrage des différentes mesures par le Gouvernement, d’une part, et certains acteurs auditionnés, d’autre part, attirent son attention.

Car si chacun s’accorde sur le principe de cette réforme, ses modalités suscitent davantage d’interrogations et de propositions d’améliorations, auxquelles le Gouvernement doit répondre (II).

II.   les modalités de la réforme proposée présentent, pour certains dispositifs, des écueils qu’il convient de corriger

D’un point de vue général, la réforme présentée par le Gouvernement est marquée par son ampleur mais également par sa rapidité et son approche peu différenciée entre territoires, caractéristiques qui méritent d’être interrogées (A). S’agissant de l’analyse plus précise des différentes mesures, il apparaît que certaines sont opportunes, tandis que d’autres pourraient utilement faire l’objet d’une discussion (B, C, D et E).

A.   La célérité de la conception et de la mise en œuvre de cette réforme d’ampleur et l’approche peu différenciée entre territoires constituent des facteurs d’inquiétude

La réforme des aides économiques dans les outre-mer fait suite à un processus de revue amorcé fin 2017 par le Gouvernement. Ses principes ont été posés par le Livre bleu des outre-mer présenté en juin 2018. Suivant la même dynamique, le Gouvernement engage une réforme globale d’ampleur qui a vocation à s’appliquer dès le 1er janvier 2019.

Ces éléments appellent plusieurs commentaires de la part du rapporteur.

Premièrement, si le rapporteur se félicite de ce volontarisme, il s’interroge toutefois sur les implications d’une telle célérité dans la conception, d’une part, et de la mise en œuvre, d’autre part, de la réforme.

S’agissant de la conception de la réforme, votre rapporteur constate qu’il s’est écoulé moins d’un an entre le moment où la revue des aides économiques a été engagée et la présentation de la réforme. Si le Gouvernement a consulté et assuré la transparence de son travail et de ses propositions, en particulier dans le Livre bleu des outre-mer, il est permis de s’interroger sur la solidité des évaluations préalables à la prise de décision. Votre rapporteur constate que les éléments d’évaluation disponibles à ce jour sont lacunaires, alors que la réforme est d’une grande ampleur.

Concernant la mise en œuvre de la réforme, des préoccupations semblables doivent être soulevées. En effet, la réforme a vocation à s’appliquer dès le 1er janvier 2019 pour la majorité des dispositifs concernés. En outre, votre rapporteur relève que peu de dispositifs transitoires ou de sortie progressive sont prévus. Il s’inquiète que ces éléments soient de nature à nuire à la prévisibilité légale, réglementaire et économique que les entreprises ultramarines sont en droit d’attendre, a fortiori en matière de cotisations sociales ou d’aides fiscales notamment.

Deuxièmement, votre rapporteur tient à rappeler la nécessité de prendre en compte les spécificités de chacun des territoires d’outre-mer dans la mise en œuvre de la politique économique et fiscale du Gouvernement. Or, de ce point de vue, la réforme des aides économiques proposée procède d’une démarche globale qui laisse peu de place à la prise en compte de cet état de fait, voire revient sur des dispositifs de priorisation des territoires existants. Une telle démarche induit le risque d’entrer en contradiction avec les évolutions légales et politiques récentes visant à permettre et à favoriser cette différenciation. De plus, la réforme prend le risque, dans certains cas, d’être partiellement inadaptée aux réalités locales, très différentes en fonction des territoires.

Ces réserves générales exposées, une analyse détaille des principales dispositions de la réforme est nécessaire (B, C, D et E).

B.   La prolongation des mécanismes de défiscalisation en faveur de l’investissement dans les outre-mer offre une prévisibilité nécessaire aux entreprises ultramarines

L’article 55 du présent projet de loi de finances pour 2019, conformément à l’engagement pris dans le Livre bleu des outre-mer, prolonge de cinq années l’applicabilité des mécanismes actuels, dits de « défiscalisation », de soutien à l’investissement productif outre-mer, soit jusqu’en 2025. Cette mesure importante est de nature à garantir la prévisibilité nécessaire à l’engagement des investissements par les entreprises ultramarines.

Cette prorogation est associée à un encadrement plus fort de ces dispositifs afin de lutter, selon l’exposé des motifs de l’article précité, contre des pratiques ou situations non conformes aux objectifs qu’ils poursuivent. Ainsi :

– en premier lieu, le délai minimal d’exploitation des investissements relatifs à la construction, à la rénovation ou à la réhabilitation d’hôtels, de résidences de tourisme et de villages de vacances bénéficiant de l’aide fiscale ainsi que celui portant sur la détention par les investisseurs métropolitains des parts de la société ou du groupement qui a réalisé de tels investissements sont portés de cinq à quinze ans ;

– en deuxième lieu, le crédit d’impôt pour l’investissement productif est recentré pour que l’intégralité de l’avantage fiscal bénéfice aux seuls exploitants domiens ;

– en troisième lieu, les obligations d’inscription et de déclaration des intermédiaires en défiscalisation sont renforcées pour protéger les investisseurs et les exploitants, et l’amende sanctionnant les manquements à ces obligations est ramenée à un montant ne pouvant excéder 50 000 euros.

Ces mesures d’encadrement des dispositifs appellent deux remarques de votre rapporteur.

Concernant l’aide fiscale applicable aux investissements relatifs à la construction, la rénovation ou la réhabilitation d’hôtels, de résidences de tourisme et de villages de vacances, votre rapporteur invite à revenir sur l’allongement de l’obligation portant sur les investisseurs.

En effet, cette mesure aux apparences très techniques emporte en réalité des conséquences économiques lourdes et un risque très fort de recul de l’investissement dans ce secteur, essentiel pour le tourisme.

En outre, votre rapporteur constate que le basculement progressif du mécanisme traditionnel de défiscalisation vers le système du crédit d’impôt, mis en place en 2014, n’est pas remis en cause par la présente réforme. En conséquence, le seuil, en termes de chiffre d’affaires, au-dessus duquel la solution du crédit d’impôt est obligatoire pour l’entreprise continuera à être abaissé progressivement pour s’établir à 15 millions d’euros au 1er janvier 2019 et à 10 millions d’euros au 1er janvier 2020, au lieu de 20 millions d’euros aujourd’hui.

Or, la solution du crédit d’impôt pose un problème sérieux en termes de préfinancement de l’investissement. En effet, avec ce nouveau mécanisme, l’aide ne peut désormais parvenir à son destinataire qu’au titre de l’exercice qui suit la réalisation des investissements productifs et non plus, comme auparavant, grâce aux fonds apportés par les investisseurs dans le cadre des mécanismes traditionnels de défiscalisation au cours de l’exercice de leur mise en service, ou de l’achèvement des fondations lorsque le programme d’investissement comprend des constructions. Il en résulte que l’aide attendue par les entreprises est perçue de manière décalée et que celles-ci doivent trouver une solution pour obtenir un préfinancement de cette aide dans l’attente de sa perception.

Comme le soulignent MM. Philippe Gomès et Philippe Vigier dans un rapport d’information sur la défiscalisation ([4])  : « La capacité des entreprises à surmonter ce décalage de perception des fonds, dépend étroitement de la solidité de leur trésorerie et, par là-même, de leur puissance économique et financière. Or il est patent que la plupart des entreprises ultramarines font face à un manque chronique de fonds propres, qui les empêche bien souvent d’avoir accès au crédit dans des conditions satisfaisantes. Le succès de la mise en œuvre du crédit d’impôt est donc étroitement lié à la possibilité de mettre en place un préfinancement quelle que soit la taille de l’entreprise, que ce soit par les institutions spécialisées ou les banques du secteur concurrentiel, dans l’attente de l’imputation ou de la restitution du crédit d’impôt ».

Or, les solutions de préfinancement disponibles aujourd’hui, notamment celles proposées par Bpifrance, ne sont pas à la hauteur des besoins.

Dans cette mesure, votre rapporteur estime nécessaire de geler la baisse de seuil de chiffre d’affaires emportant l’obligation de basculer du mécanisme de la défiscalisation vers celui du crédit d’impôt à 20 millions d’euros, le temps de disposer de la garantie qu’un préfinancement à 100 % soit effectivement assurée.

C.   La suppression du dispositif de la tva non perçue récupérable et l’abaissement du plafond sur l’abattement sur l’impôt sur le revenu dans les dom, ainsi que le redéploiement de crédits qu’ils financent, méritent d’être repensés

Le présent projet de loi de finances prévoit de supprimer le dispositif de la TVA non perçue récupérable (1), d’une part, et d’abaisser le plafond sur l’abattement sur l’impôt sur le revenu applicable dans les DOM (2), d’autre part, et de redéployer les sommes dégagées dans des crédits d’intervention de la mission « Outre-mer » au service du développement économique (3).

1.   La suppression du mécanisme de la TVA non perçue récupérable : une réforme souhaitable mais une mise en œuvre trop précoce

Le dispositif de la « TVA non perçue récupérable », codifié à l'article 295 A du code général des impôts, prévoit que les livraisons ou importations en Guadeloupe, en Martinique ou à La Réunion de biens d'investissement neufs exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée donnent lieu à une subvention, versée aux entreprises au moyen du mécanisme de la déduction de TVA.

L’article 5 du présent projet de loi de finances prévoit la suppression de ce mécanisme. Le Gouvernement, qui estime que cette aide est peu efficace, peu lisible, difficile à tracer et mal pilotée, propose en effet de redéployer la dépense fiscale, estimée à environ 100 millions d’euros par an, en crédits budgétaires au service d’une politique économique ultramarine.

Votre rapporteur soutient l’idée du redéploiement en crédits budgétaires des sommes allouées à ce dispositif complexe et dont l’utilisation est difficilement traçable. Une meilleure utilisation de ces sommes à des fins de développement économique est indéniablement possible.

Néanmoins, il regrette la rapidité de la mise en œuvre de cette réforme. En effet, si la suppression du dispositif a été annoncée dans le Livre bleu des outre‑mer, il demeure qu’une mise en œuvre dès le 1er janvier 2019 est excessivement précoce. Elle induit un risque important de déstabilisation des entreprises qui en sont bénéficiaires.

C’est pourquoi votre rapporteur propose de reporter la mise en œuvre de la suppression du dispositif, a minima au 1er janvier 2020. L’option la plus satisfaisante serait de prévoir une suppression échelonnée du dispositif, par exemple sur quatre ans, option d’ailleurs évoquée dans le document d’évaluations préalables des articles du projet de loi de finances pour 2019.

2.   L’abaissement du plafond de l’abattement sur l’impôt sur les revenus applicable dans les DOM : une mesure qui ne convainc pas

Dans les cinq DOM, les contribuables bénéficient, en application de l’article 197 du code général des impôts, d’un abattement sur l’impôt sur le revenu, instauré en 1960. Cet abattement s’élève actuellement à 30 %, dans la limite de 5 100 euros, pour les contribuables domiciliés dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de La Réunion et de 40 %, dans la limite de 6 700 euros, pour les contribuables domiciliés dans les départements de Guyane et de Mayotte.

L’article 4 du présent projet de loi de finances ramène le plafond applicable en Guadeloupe, à la Martinique et à La Réunion de 5 100 euros à 2 450 euros et celui applicable en Guyane et à Mayotte de 6 700 euros à 4 050 euros, soit une réduction d’environ 50 % et 40 %, respectivement. Les taux d’abattement ne sont quant à eux finalement pas modifiés, un doute ayant subsisté jusqu’ici depuis la présentation du Livre bleu des outre-mer.

Le Gouvernement avance deux justifications principales à cette mesure :

– en premier lieu, il présente la réforme de cet avantage, qui bénéficierait selon le Gouvernement, pour près de trois quarts, aux 10 % de contribuables les plus aisés, comme une mesure de solidarité en faveur de l’égalité et de la justice sociale, dans des territoires où les inégalités sont très prononcées. Il précise que seuls 4 % des foyers fiscaux ultramarins seraient impactés par cette réforme ;

– en second lieu, le Gouvernement insiste sur le fait que les 70 M€ dégagés par cette mesure (par rapport à un coût total de cet avantage d’environ 400 M€) sont redéployés intégralement dans la mission « Outre-Mer » au service du développement économique, principalement à travers l’amélioration des infrastructures permise par l’abondement du Fonds exceptionnel d’investissement.

Le document d’évaluations préalables des articles du projet de loi de finances pour 2019 précise que l’abaissement des limites de la réfaction d’impôt concernera environ 50 000 foyers fiscaux, lesquels subiront une hausse d’impôt moyenne de 1 534 euros. Aucune évaluation précise des répercussions économiques possibles n’est en revanche fournie.

Votre rapporteur exprime ses plus vives réserves sur l’opportunité de cette mesure et sur la vision des territoires d’outre-mer dont ses justifications semblent procéder.

En premier lieu, il doit être rappelé avec fermeté que les dispositifs économiques et fiscaux spécifiques aux outre-mer, souvent présentés désormais comme des avantages, présentent des justifications économiques et historiques incontestables, a fortiori ce dispositif. Une réforme des aides économiques et de l’abattement sur l’impôt sur le revenu ne saurait d’ailleurs faire l’économie d’une vision plus générale sur l’histoire des outre-mer, leurs handicaps structurels et leur légitimité à revendiquer l’égalité réelle avec la métropole.

En deuxième lieu, il convient d’être attentif à appréhender la réforme en fonction des réalités locales. Ainsi, le coût très élevé de la vie et les contraintes spécifiques outre-mer doivent conduire à relativiser la prétendue richesse des contribuables concernés par la baisse des plafonds applicables.

Par ailleurs, il est surprenant de constater qu’alors que le Gouvernement mène une politique visant à réduire les prélèvements obligatoires pesant sur les particuliers et les entreprises, la présente réforme conduise à une augmentation du nombre d’ultramarins contribuant effectivement à l’impôt sur le revenu. Ce sont ainsi 20 % des foyers fiscaux ultramarins contribuant effectivement à l’impôt sur le revenu qui seraient concernés par la baisse du plafond. Ils verraient leurs revenus être amputés en moyenne de 10 %.

De plus, votre rapporteur s’interroge sur l’opportunité du redéploiement de crédits permis par la baisse des plafonds. En effet, ce redéploiement revient à prélever sur les contribuables pour donner aux entreprises, via le Fonds exceptionnel d’investissement. Or les contribuables concernés sont également ceux qui consomment et investissent le plus dans ces territoires, générant ainsi des recettes pour l’État et les collectivités territoriales, au profit de tous. À titre d’exemple, leur rôle dans l’augmentation du nombre de chambres chez l’habitant, qui porte en partie le développement du secteur du tourisme actuellement, est révélateur. En outre, ces foyers constituent une source d’activité importante pour les entreprises ultramarines, sans que leurs délais de paiement posent les mêmes problèmes qu’en ce qui concerne les collectivités publiques.

3.   Le redéploiement de crédits en faveur de l’activité économique : une idée opportune mais une mise en œuvre qui demeure trop floue

a.   Les redéploiements prévus

Dans le présent budget de la mission « Outre-mer » pour 2019, les sommes dégagées par la suppression du dispositif de la TVA non perçue récupérable (soit 100 M€), d’une part, et l’abaissement du plafond sur l’abattement applicable à l’impôt sur le revenu (soit 70 M€), d’autre part, sont réinjectés sous la forme de crédits, pour un total de 170 M€.

L’ambition du Gouvernement est de passer d’une logique de guichet à une logique partenariale.

Premièrement, divers dispositifs en faveur des entreprises ultramarines sont renforcés ou créés dans le cadre de l’action n° 4 du programme 138 (préfinancement, prêts bonifiés etc.). Il s’agit principalement :

– du renforcement du dispositif « Avance + » de Bpifrance permettant de répondre aux besoins de trésorerie des petites et moyennes entreprises qui détiennent des créances sur les acteurs publics, à travers nouveau fonds de garantie (doté par l’État de 10 M€) ;

– de la création d’un dispositif d’appels à projets calibré aux capacités réelles des opérateurs outre-mer (15 M€ de crédits nouveaux) ;

– du renforcement du prêt de développement outre-mer (PDOM) mis en place en 2017 par Bpifrance pour financer le besoin en fonds de roulement des entreprises, y compris les besoins de préfinancement de subventions publiques et de crédits d’impôt (10 M€ supplémentaires) ;

– du renforcement des outils de capital investissement en faveur des entreprises dans les outre-mer (10 M€ de crédits nouveaux) ;

En deuxième lieu, le Fonds exceptionnel d’investissement (action n° 8 du programme 123) est doté de 70 M€ supplémentaires en 2019 en AE. L’objectif est de rattraper le retard en équipements structurants, notamment dans le domaine de l’eau potable et de l’assainissement. Le Gouvernement met en avant l’impact significatif sur la commande publique et donc l’activité économique auxquels doit conduire l’augmentation des crédits disponibles.

En dernier lieu, des crédits sont ouverts pour diverses actions du programme 123, en particulier les contrats de convergence et de transformation, pour plusieurs dotations en faveur d’équipements d’éducation, et pour l’appui à l’accès au financement bancaire.

b.   Des redéploiements dont la pérennité n’est pas garantie et dont les affectations concrètes doivent être clarifiées

Le redéploiement des crédits au service de l’activité économique ultramarine était une promesse qui est tenue sur le principe. Toutefois, deux éléments appellent l’attention du rapporteur.

S’agissant des sommes en jeu, votre rapporteur remarque qu’alors que les sommes allouées au dispositif de la TVA non perçue récupérable et à l’abattement sur l’impôt sur le revenu résultaient directement de l’activité économique sans faire l’objet d’une décision politique ou publique, cela n’est pas le cas des crédits budgétaires qui les remplacent. D’une part, la pérennité sur le moyen terme du redéploiement des sommes concernées dépend d’un arbitrage annuel dans le cadre du projet de loi de finances, sans qu’aucune garantie sur leur maintien ne puisse être apportée. D’autre part, l’utilisation effective des crédits ouverts en loi de finances n’est pas garantie non plus, d’autant que le redéploiement de la majorité des crédits concernés concerne des dépenses qui sont subordonnées à la sélection de projets, lesquels pourraient être soit trop peu nombreux soit ne pas répondre aux critères exigés (dans le cas du Fonds exceptionnel d’investissement ou des prêts ou avances de Bpifrance notamment).

Concernant l’affectation précise des 170 M€ de crédits nouveaux, votre rapporteur souligne la persistance d’un certain flou, en particulier s’agissant du Fonds exceptionnel d’investissement. Pourtant, des dispositifs existants auraient pu permettre d’assurer la consommation de ces crédits de façon efficace et transparente, à l’instar de l’aide au fret.

D.   La réforme DES ZONES FRANCHES d’activité et a fortiori des mesures d’allègements du coût du travail dans les outre-mer induisent de lourdes conséquences économiques qui doivent être précisément évaluées et pourraient utilement faire l’objet d’ajustements

1.   La réforme des zones franches d’activité pourrait faire l’objet d’améliorations

Le Gouvernement estime que la coexistence de plusieurs dispositifs fiscaux zonés dans les départements d’outre-mer (principalement zones franches d’activité (ZFA), zones de revitalisation rurale et zones franches urbaines – territoires entrepreneurs), dont chacun répond à des règles et des besoins propres, n’est pas optimale. Il estime en effet que :

– le ciblage infra-territorial est peu efficace, compte tenu de la taille des territoires ;

– la complexité des règles de zonage et leur contrepartie en termes de formation professionnelle pour les ZFA sont pesantes pour les petites entreprises ;

– les dispositifs s’adaptent peu aux spécificités de chaque territoire ;

– à l’inverse, les ZFA ont efficacement concouru à améliorer la rentabilité des entreprises concernées.

Sur ces fondements, la réforme engagée par l’article 6 du présent projet de loi de finances est censée permettre de moderniser le dispositif des zones franches d’activité pour le rendre plus puissant et plus lisible et d’accompagner prioritairement certains secteurs clefs pour le développement des territoires.

Cette réforme repose sur deux piliers. D’une part, le Gouvernement simplifie le paysage des dispositifs fiscaux zonés dans les outre-mer. Il est prévu :

– la suppression des dispositifs de « zone de revitalisation rurale » (ZRR) et de « zone franche urbaine – territoire entrepreneur » (ZFU-TE) dans les DOM. La situation des entreprises qui bénéficient déjà des exonérations correspondantes n’est, en revanche, pas remise en cause ;

– la création de « zones franches d’activité nouvelle génération » (ZFANG), présentées comme mieux ciblées et renforcées.

D’autre part, plusieurs évolutions concernent les taux d’exonération applicables et l’application du régime de droit commun et du régime majoré.

Premièrement, les taux d’exonérations applicables en matière d’impôt sur les bénéfices, de cotisation foncière des entreprises (CFE), de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) sont augmentés.

 

(Source : dossier de presse du budget 2019 de la mission Outre-mer)

 

Deuxièmement, le régime majoré est maintenu en Guyane et à Mayotte, quel que soit le secteur, et, dans les autres départements et régions d’outre-mer, dans les secteurs prioritaires.

Toutefois, votre rapporteur relève que les îles des Saintes, de Marie‑Galante, de La Désirade et certaines communes de La Réunion qui bénéficiaient également du régime majoré quel que soit le secteur d’activité n’en bénéficieront plus. Il s’interroge sur les raisons d’un tel choix qui consiste à retirer un élément de différenciation utile au profit de certains territoires connaissant des contraintes spécifiques.

Par ailleurs, à l’issue des auditions menées, votre rapporteur propose de rajouter l’industrie à la liste des secteurs prioritaires bénéficiant du régime majoré, par parallélisme avec le régime de compétitivité renforcée en matière d’exonération de charges sociales, pour renforcer sa compétitivité. De même, votre rapporteur propose d’ajouter le secteur du nautisme, très porteur dans les outre-mer, ainsi que les activités de conseil aux entreprises.

Troisièmement, il est mis fin au taux majoré actuellement réservé à certaines zones géographiques au sein de départements et régions d’outre-mer ainsi qu’à la contribution à la formation professionnelle qui conditionnait jusqu’alors le bénéfice des abattements fiscaux.

Globalement, votre rapporteur estime que cette réforme va dans le bon sens dans ses grandes lignes. Il souhaite toutefois que soit menée une évaluation poussée de ses impacts économiques si ce n’est a priori, au moins a posteriori.

2.   La politique d’allègement du coût du travail fait l’objet d’une réforme d’une grande ampleur, dont les lourdes implications économiques doivent être mieux évaluées et les modalités ajustées

a.   La réforme proposée saisit l’occasion du basculement du CICE en allègements de charges sociales pour rationaliser le régime spécifique des exonérations de charges sociales dans les outre-mer

Le dispositif d’allégements et d’exonérations de cotisations de sécurité sociale dont bénéficient les entreprises et les travailleurs indépendants ultramarins, tel que modifié par la loi dite « LODEOM ([5]) » du 27 mai 2009, constitue le principal axe financier d’intervention de l’État en matière de soutien à l’emploi. Le coût de ces exonérations de charges est estimé à 1,25 milliard d’euros par le Gouvernement.

Il vise à soutenir le développement économique des outre-mer en accordant une exonération dégressive du montant des cotisations. Les bas et moyens salaires, sur lesquels l’impact des exonérations est censé être le plus fort, les petites entreprises et les secteurs présentant de forts potentiels ainsi que les zones géographiques prioritaires sont plus particulièrement ciblés.

Ce régime spécifique d’exonération de cotisations sociales a été régulièrement modifié, ce qui conduit aujourd’hui à la coexistence de 6 barèmes. L’échelle des allègements diffère en fonction de différents critères, en particulier la taille de l’entreprise, la nature de l’activité, son implantation géographique et l’éligibilité au CICE. Outre cette diversité de barèmes, ce régime est caractérisé par des points de sortie relativement élevés (jusqu’à 4,5 SMIC, contre 2,5 SMIC pour le CICE par exemple). Depuis plusieurs années, le Gouvernement a néanmoins engagé un recentrage de ces aides sur les bas salaires, les très petites entreprises (TPE) et les secteurs prioritaires.

L’article 8 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 prévoit une réforme d’ampleur, à la double occasion du basculement du CICE en baisses de charges et de la réforme des aides économiques outre-mer. Le présent projet de loi de finances tire par ailleurs les conséquences financières du basculement du CICE en allègements de charges sociales ([6]).

La réforme comporte deux objectifs principaux selon l’étude d’impact du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019.

Premièrement, la réforme vise à compenser la suppression du CICE applicable en outre-mer (au taux de 9 %) et à recentrer le dispositif d’exonération sur les bas salaires, où l’impact du coût du travail sur la demande d’emploi est le plus important. Il est ainsi prévu d’aligner le niveau maximal des exonérations LODEOM sur celui des allègements de droit commun qui seront en vigueur fin 2019, passant de 28,7 % (exonérations LODEOM + réduction de 1,8 point de la cotisation famille) à 40 % au niveau du SMIC, soit un gain de 11,3 points permettant de compenser à ce niveau la suppression du CICE.

 

(Source : étude d’impact du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019)

Deuxièmement, afin de rationaliser les exonérations LODEOM et améliorer leur efficacité, le nombre de barèmes est ramené de 6 à 2. La modulation se fera ainsi en fonction de la taille des employeurs (moins de 11 salariés ou 11 salariés et plus) et des secteurs économiques.

Les employeurs de moins de 11 salariés et ceux des secteurs appartenant au dispositif de compétitivité bénéficieront du maintien du taux maximal d’exonération jusqu’à 1,3 SMIC, tandis que les employeurs des secteurs de compétitivité renforcée, quelle que soit leur importance, bénéficieront du maintien du taux maximal d’exonération jusqu’à 1,4 SMIC. Les points de sortie de ces dispositifs d’allègements renforcés sont respectivement fixés à 2 SMIC et 2,4 SMIC.

Au final, trois dispositifs coexisteront (un dispositif de droit commun correspondant aux allègements généraux, un dispositif de compétitivité et un dispositif de compétitivité renforcée), selon la répartition suivante :

 

(Source : étude d’impact du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019)

La répartition des secteurs et des entreprises, en fonction de la taille, entre les trois régimes répond selon le Gouvernement à différentes préoccupations :

– l’inclusion de l’ensemble des entreprises de moins de 11 salariés dans le régime de compétitivité a pour objectif de développer l’emploi et la croissance de ces entreprises, dont le niveau de marge est faible et pour lesquelles le coût du travail représente un élément déterminant ;

– le choix d’inclure le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) dans le barème de compétitivité constitue une réponse au fait que le coût du travail est la principale charge de cette activité, qu’elle a un effet d’entraînement sur le reste de l’économie ultramarine et que les collectivités ultramarines présentent un déficit en matière de logement social, d’infrastructures de base (réseaux d’eau et d’assainissement) et d’infrastructures de transport ;

– enfin, le choix des secteurs bénéficiant du barème de compétitivité renforcée répond soit à leur fragilité économique dans un contexte de concurrence internationale, soit à leur contribution au rattrapage en matière d’infrastructures de base, à la modernisation des entreprises ou à la transition écologique.

b.   Les conséquences de cette réforme, qui s’appliquera dès l’année prochaine, sur les entreprises seront lourdes et n’ont pas été suffisamment évaluées

La réforme du régime spécifique d’exonérations de charges sociales dans les outre-mer emporte des répercussions globales, d’une part, et spécifiques à chacun des secteurs d’activité, d’autre part.

Premièrement, la réforme proposée induit des conséquences globales importantes.

Sur le plan financier, si le Gouvernement indique que la réforme s’opère à coûts constants, votre rapporteur constate qu’il ne dispose pas de suffisamment d’éléments chiffrés précis en la matière, ce qui est pourtant un élément fondamental pour apprécier les effets de la réforme sur l’aide apportée aux entreprises.

En outre, sur le plan économique, votre rapporteur regrette qu’aucune réelle étude d’impact n’ait été menée, ce qui est particulièrement surprenant au regard de l’ampleur de la réforme. Plus précisément, il s’interroge sur les conséquences économiques du net recentrage des exonérations sur les bas salaires. S’il est certain que les exonérations ont un plus fort impact sur l’emploi au niveau des bas salaires, il convient toutefois d’associer les préoccupations en matière d’emploi à celles tenant à la mise en place de stratégies de filières, de création de valeur et de développement économique. Or, de ce point de vue, la réforme ne parvient peut-être pas au point d’équilibre tant l’abaissement du point de sortie des dispositifs est fort, passant de 4,5 SMIC au maximum à 2,4 SMIC désormais.

Une telle évolution pourrait générer plusieurs effets pervers. D’une part, le risque est de faire naître un phénomène de trappe à bas salaires dû à l’effet de seuil au niveau de 2,4 SMIC. D’autre part, les secteurs employant un personnel qualifié, notamment dans les filières innovantes, seront pénalisés, alors que ces filières constituent la promesse du développement économique qui est justement recherché. En outre, il pourrait devenir plus difficile pour les entreprises ultramarines de recruter à des postes d’encadrement.

Deuxièmement, la réforme proposée génère des effets redistributifs importants entre secteurs d’activité à la suite du changement de barèmes. Ici encore, le Gouvernement ne fournit pas d’évaluation précise des effets attendus pour les différents secteurs ni ne justifie concrètement, pour chacun des secteurs, les raisons qui ont présidé au choix du régime applicable. Or, les évolutions sont profondes. Certains secteurs bénéficieront après la réforme d’un régime plus favorable. C’est le cas en particulier des secteurs du BTP, de l’industrie et du tourisme. À l’inverse, de nombreux secteurs se verront appliquer un régime moins favorable, à l’image des secteurs du transport aérien, maritime ou fluvial.

Votre rapporteur invite donc le Gouvernement à procéder à une étude d’impact approfondie de cette réforme et à la porter à la connaissance de la Représentation nationale afin qu’une discussion plus précise puisse être engagée sur sa portée et sur ses modalités.

c.   Deux séries d’améliorations pourraient être apportées à cette réforme

Votre rapporteur formule plusieurs propositions tendant à apporter une forme de flexibilité au régime d’exonération proposé, tant en ce qui concerne les taux d’exonération et les points de sortie applicables en fonction des secteurs que leur application dans les différents territoires ultramarins.

Afin de répondre à l’enjeu du soutien aux secteurs innovants et plus largement à ceux qui génèrent une forte valeur ajoutée, il pourrait être envisagé de rehausser le point de sortie des différents régimes d’exonérations. À titre d’exemple, il pourrait être pertinent de porter le point de sortie à 3 SMIC dans le secteur industriel, qui bénéficie du régime de compétitivité renforcée, au lieu de 2,4 SMIC.

En outre, face au problème spécifique de l’emploi des jeunes dans les outre-mer, qui concerne chacune des collectivités ultramarines, il pourrait être envisagé d’augmenter de façon intersectorielle les taux d’exonérations applicables les concernant, sans modification du point de sortie.

S’agissant des territoires, il est souhaitable que la réforme prenne mieux en compte les différentes réalités de chacun des territoires ultramarins, en fonction de leurs besoins économiques, qui sont loin d’être identiques. De ce point de vue, il ne serait pas incongru qu’un territoire comme Saint-Martin, par exemple, qui connaît des contraintes structurelles et conjoncturelles spécifiques, bénéficie d’un régime particulier, ce qui était le cas jusqu’à présent.

E.   La réforme pourrait être complétée par un travail de réflexion sur les aides économiques applicables au secteur de l’agriculture ultramarine

La réforme des aides économiques dans les outre-mer présentée par le Gouvernement aura des effets sur le secteur agricole dans les outre-mer, notamment par le biais de la réforme des exonérations de charges sociales. Le secteur agro-alimentaire bénéficiera en effet du régime de compétitivité renforcée.

Toutefois, les aides au secteur agricole ne font pas l’objet d’une réforme spécifique. Or, la place qu’occupe l’agriculture dans l’emploi et l’économie des collectivités ultramarines justifieraient une telle démarche.

Aujourd’hui, selon les analyses détaillées de qualité de l’Observatoire de l’économie agricole d’outre-mer de l’Office de développement de l’économie agricole outre-mer (ODEADOM), l’ensemble des soutiens publics à l’agriculture ultramarine s’est élevé en 2014 à environ 675 M€. Ces soutiens se décomposent en trois grands ensembles : les aides attribuées dans le cadre du Programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité des DOM (POSEI), celles relevant du développement agricole et rural, que les financements soient d’origine communautaire, nationale ou locale, et les autres soutiens publics en faveur des secteurs agricoles, forestiers et agroalimentaires ([7]).

 

Sur la base de ces éléments, le rapporteur souhaite insister, d’une part, sur la nécessité de préserver, a minima, le montant global des aides à l’agriculture dans les outre-mer et, d’autre part, sur l’opportunité d’engager une réflexion sur la possibilité de diriger davantage les concours publics vers le soutien à la diversification agricole.

La détermination du montant global des aides dépend de plusieurs acteurs, que sont l’Union européenne, l’État et des collectivités ultramarines. Votre rapporteur invite l’ensemble des acteurs à continuer à soutenir au moins au niveau actuel l’agriculture ultramarine.

De ce point de vue, il convient de prêter une grande attention aux évolutions du montant du POSEI, qui pourraient évoluer dans le cadre de la réforme de la politique agricole commune au niveau de l’Union européenne. Le 1er juin 2018, la Commission européenne a en effet fait part de son intention de baisser de 3,9 % les aides directes de la politique agricole commune (PAC) et donc de baisser du même taux le budget accordé au POSEI. Une telle évolution n’est pas acceptable. La ministre des outre-mer, Mme Annick Girardin, a d’ailleurs réagi à cette annonce en affirmant que la France n’acceptera pas cette baisse. Votre rapporteur sera vigilant quant à la concrétisation de cette promesse, dans un contexte où la France pourrait avoir la tentation de concentrer ses forces dans la négociation sur le montant global de la PAC, au détriment de celui du POSEI.

En outre, il est nécessaire d’engager une réflexion sur une hausse des aides à la diversification des productions agricoles dans les collectivités ultramarines. La sévère concurrence extérieure que subissent les productions agricoles facilement transportables, à l’image du riz, le durcissement des conditions climatiques dans certaines zones qui affectent plus fortement certaines productions, à l’image de la banane dans les Antilles, la nécessité de favoriser les circuits courts, la qualité de l’alimentation et l’autosuffisance alimentaire dans nos collectivités ultramarines sont autant de justifications à cette diversification. Elle doit donc être encouragée financièrement.

Aujourd’hui, les secteurs de la banane et de la canne, sucre et rhum bénéficient de la majorité des aides, ce qui se justifie par leur importance en termes de production et d’emplois. Hors aides octroyées dans le cadre des programmes de développement ruraux, 75 % des aides publiques sont destinées à ces secteurs dits « de grande culture », selon l’ODEADOM.

Détail des soutiens publics
directement affectables aux « grandes cultures » (en M€)

En comparaison, les montants des aides versées au profit de la diversification végétale et animale sont beaucoup plus faibles, la France ayant par exemple créé un fonds destiné à aider ces filières qui demeure limité, à hauteur de 40 M€. Or, la diversification, mise en avant depuis de nombreuses années, constitue une stratégie de développement agricole reconnue par l’ensemble des acteurs du secteur. Votre rapporteur propose donc que cette aide soit portée à 100 M€ pour financer une hausse de ces aides à la diversification.

À titre d’exemple, le maraîchage devrait être davantage soutenu. La vente de fruits et légumes frais, peu exposée à la concurrence extérieure en raison des difficultés de transport, répond à la fois aux enjeux de l’autosuffisance alimentaire, à la volonté de favoriser les circuits courts et à celle de garantir une alimentation de qualité. En outre, le maraîchage est moins exposé aux aléas climatiques que d’autres cultures.

Cette politique d’incitation à la diversification pourrait être associée à une démarche plus globale visant à valoriser les productions locales, à travers notamment la mise en place de labels et de garanties données au consommateur sur la qualité des produits.


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   Examen en commission

Au cours de sa réunion du mardi 23 octobre 2018, la commission des affaires économiques a examiné pour avis, sur le rapport de M. Max Mathiasin,, les crédits de la mission « Outremer ».

Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, présidente. La commission des affaires économiques se réjouit de pouvoir examiner aujourd’hui le budget de la mission « Outre‑mer » du projet de loi de finances (PLF) pour 2019. Notre commission a toujours manifesté un fort intérêt pour les questions liées aux outre-mer et joue d’ailleurs très régulièrement un rôle actif dans les évolutions et les adaptations législatives nécessaires aux collectivités ultramarines.

Le budget de la mission « Outre-mer » pour 2019, dont les crédits sont en hausse d’environ 20 % par rapport à l’année dernière, se caractérise par la réforme d’ampleur des aides économiques qu’il porte. Cette réforme, qui fait suite aux Assises des outre-mer, vise à repenser les aides économiques aux entreprises d’outre-mer afin d’en dynamiser le fonctionnement et d’en renforcer l’efficacité, au service de l’emploi et du développement économique. À ce titre, elle intéresse tout particulièrement notre commission.

Dans le présent budget de la mission, le Gouvernement propose notamment de transformer des dépenses fiscales en crédits budgétaires, davantage ciblés. En outre, il assure la transformation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) applicable en outre-mer en allégements de charges sociales. Au total, ces évolutions aboutissent à une augmentation des crédits de la mission d’environ 470 millions d’euros. D’autres mesures importantes, concernant notamment les zones franches d’activité et les exonérations de charges sociales, sont prises dans le présent projet de loi de finances, notamment en première partie, ainsi que dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2019.

M. Max Mathiasin, notre rapporteur sur cette mission, a procédé à un examen rigoureux de cette réforme. Ses propositions d’amélioration doivent faire l’objet d’un examen attentif, d’autant plus que le Gouvernement s’est déclaré ouvert à la discussion sur les modalités de la réforme.

Monsieur le rapporteur pour avis, pouvez-vous nous exposer votre analyse générale de la réforme des aides économiques proposée et ses répercussions possibles sur l’emploi et le développement économique dans les outre-mer ?

M. Max Mathiasin, rapporteur pour avis. Le budget de la mission « Outre-mer » que nous examinons aujourd’hui intervient à un moment charnière pour nos collectivités ultramarines.

En effet, la loi sur l’égalité réelle outre-mer, source d’espoir pour les outre-mer, a été adoptée l’année dernière. La clôture des Assises des outre-mer est intervenue il y a à peine quelques mois. En outre, le Gouvernement a lancé une revue des aides économiques outre‑mer en fin d’année dernière pour déboucher sur une réforme de grande ampleur, que le Gouvernement présente aujourd’hui dans le PLF et le PLFSS.

Dans ce contexte, c’est peu dire que le présent budget était très attendu, tant en ce qui concerne les dépenses que les mesures fiscales.

Or, dans les outre-mer, ce budget déçoit. Il inquiète même. S’agissant du budget de la mission « Outre-mer », tout d’abord, les chiffres affichés ne doivent pas nous leurrer : derrière la hausse de plus de 20 % des crédits de la mission, se cachent en réalité des conséquences comptables de la réforme des aides économiques. À périmètre inchangé, le budget est en réalité constant.

Mais, cette année, le présent PLF doit être jugé davantage par la réforme des aides économiques qu’il met en œuvre, pour une part conjointement avec le PLFSS. Cette réforme d’une grande ampleur porte non seulement sur les dépenses de la mission « Outre-mer » mais aussi sur la fiscalité et les prélèvements sociaux pesant sur les entreprises : elle est déployée par plusieurs articles du PLF, en première et seconde parties.

C’est donc naturellement que j’ai choisi, dans le cadre du rapport, d’accorder l’essentiel de mon attention à cette réforme économique qui intéresse tout particulièrement notre commission.

Or cette réforme, dont les principes semblaient faire consensus, ne cesse de susciter toujours plus d’inquiétude depuis quelques semaines.

Sur le principe, l’objectif du Gouvernement est de faire « mieux avec autant ». La ministre, Mme Annick Girardin, l’a elle-même annoncé : le montant total des aides économiques spécifiques aux outre-mer resterait fixé à environ 2,45 milliards d’euros. Ce sont leur affectation et leurs modalités qui doivent évoluer pour améliorer l’efficacité de ces dispositifs afin de favoriser le développement économique et l’emploi dans les outre-mer.

Sur le principe, je partage l’ambition du Gouvernement. À l’heure où celui-ci met en œuvre, notamment par le biais du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises (PACTE), sa démarche globale en faveur de la compétitivité des entreprises et crée un environnement légal et fiscal favorable à leur développement, il est indispensable, dans la même logique, de repenser les aides économiques aux entreprises d’outre-mer.

Mais au-delà du principe, ce sont les modalités concrètes de la réforme qui inquiètent. Comme je l’indique dans le rapport, j’émets de fortes réserves sur plusieurs points.

En premier lieu, la méthode elle-même appelle plusieurs remarques. Si la volonté d’agir vite est un mérite de notre Gouvernement, une réforme d’une telle ampleur aurait sans doute nécessité, dans sa conception, de faire l’objet d’une plus grande réflexion et d’une plus grande concertation. C’est notamment le cas de la réforme du plafond de l’abattement applicable sur l’impôt sur le revenu dans les départements d’outre-mer.

De manière encore plus inquiétante, la réforme est appelée à s’appliquer très rapidement – pour la plupart des dispositifs dès le 1er janvier 2019 – sans que des mesures transitoires aient été prévues. Or les entreprises dépendent fortement de la prévisibilité de leur environnement légal et fiscal ; cette réforme ne prend pas suffisamment en compte cette réalité économique.

En outre, la réforme pèche par le manque de travaux d’évaluation sur ses impacts budgétaires et économiques. Or une réforme d’une telle ampleur méritait de s’attarder sur ses répercussions possibles, en particulier dans des territoires où les entreprises sont souvent fragiles. Plusieurs dispositifs d’aide, comme les zones franches d’activité et les exonérations de charges sociales, font l’objet de lourdes modifications sans que l’on puisse y voir clair sur leurs implications budgétaires et leurs conséquences économiques.

En deuxième lieu, une forte interrogation subsiste s’agissant des montants d’aides en jeu. Si le Gouvernement assure que la réforme se fait à moyens constants en faveur des entreprises ultramarines, il est difficile d’en avoir la certitude. C’est en particulier le cas de la transformation, en allégements de charges, du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) spécifique aux outre-mer. Un doute persiste également quant à l’effectivité et à la pérennité du redéploiement de 170 millions d’euros de crédits issus de la suppression du dispositif de la TVA non perçue récupérable et de l’abaissement du plafond de l’abattement applicable à l’impôt sur le revenu dans les départements d’outre-mer.

En troisième lieu, en affinant l’analyse, je constate que dans ses modalités, la réforme de certains dispositifs est imparfaite, voire présente de sérieux écueils. C’est en particulier le cas de la suppression du dispositif de la TVA non perçue récupérable, de la réforme des exonérations de charges sociales pour les entreprises et de celle des zones franches d’activité. Je fais des propositions pour améliorer ces modalités.

En dernier lieu, je souhaite revenir sur la logique qui préside à cette réforme. Comme je le disais tout à l’heure, elle intervient à un moment charnière pour les outre-mer. Leur volonté de développement, leur demande de différenciation et leur revendication à bénéficier d’une égalité réelle par rapport à l’hexagone ont fait l’objet d’une attention particulière ces dernières années, que ce soit dans la loi, lors des Assises des outre-mer ou dans les discours du Président de la République.

Or cette réforme ne semble pas aller dans ce sens. Tant la méthode employée que ses modalités témoignent d’une vision parfois erronée voire négative des outre-mer. C’est notamment le cas de la réforme du plafond de l’abattement applicable à l’impôt sur le revenu – plafond drastiquement abaissé, de 40 à 50 % en fonction des départements d’outre-mer. Cette mesure présente des risques forts en matière d’attractivité de ces territoires et donc de développement économique. Surtout, la justification de cette mesure, que l’on a pu entendre, consistant à dire que l’objectif initial de cet abattement était d’acclimater les ultramarins au paiement de l’impôt, frôle l’irrespect. Elle témoigne de l’insuffisante prise en compte des handicaps structurels des outre-mer qui souffrent notamment d’un coût de la vie très élevé et d’un développement économique insuffisant, éléments qui justifient justement l’existence et le maintien de cet abattement et du niveau actuel de son plafonnement.

Cette réforme nous conduit à faire ce rappel ferme : les dispositifs économiques et fiscaux spécifiques aux outre-mer, souvent présentés désormais comme des avantages, reposent sur des justifications économiques et historiques incontestables. Une réforme des aides économiques ne saurait faire l’économie d’une vision plus générale prenant en compte l’histoire des outre-mer, leurs handicaps structurels et leur légitimité à revendiquer l’égalité réelle avec la métropole.

Pour conclure, la réforme présentée et le budget qui la porte méritent d’être repensés en partie, d’être modifiés et d’être assortis de davantage de garanties pour les entreprises ultramarines et pour le développement économique des collectivités concernées.

Mme Célia de Lavergne. Je voudrais tout d’abord associer à mon propos ma collègue Marie Lebec, membre de la délégation aux outre-mer, qui a largement contribué à la position que je vais vous présenter.

Pour aborder cette mission « Outre-mer » du projet de loi de finances pour 2019, il me semble important de rappeler le contexte dans lequel nous nous inscrivons. Cette mission est en effet une première traduction budgétaire d’engagements forts pris par la majorité au terme d’une année de travail conséquent mené dans le cadre des Assises des outre-mer. Ce moment de réflexion collective a rencontré un très grand succès : 26 000 participants se sont mobilisés et ont échangé partout dans les outre-mer, 550 ateliers locaux ont été organisés sur le terrain, 219 réunions publiques se sont tenues, sans oublier les consultations en ligne et les sondages.

C’est au terme de huit mois de consultations et de la présentation du Livre bleu outre-mer, rendu public le 28 juin dernier en présence du chef de l’État, qu’ont été fixés les ambitions et les leviers mobilisés autour de quatre axes en faveur des territoires d’outre-mer : territoires « à vivre », territoires « accompagnés », territoires « pionniers » et territoires « d’influence ». Les trois premières priorités des citoyens ultramarins à avoir émergé de ces Assises sont l’amélioration des équipements publics, le développement économique et l’accès à l’emploi – priorités dont nous verrons la traduction dans ce budget.

Permettez-moi de revenir sur le vote, la semaine dernière, des articles 4 et 5 de la première partie du projet de loi de finances. Grâce à ce vote, nous avons dégagé 170 millions d’euros réinvestis dans la mission que nous examinons aujourd’hui.

L’article 4 de ce PLF diminue une dépense fiscale en abaissant les plafonds de la réduction d’impôt sur le revenu applicable aux contribuables domiciliés dans les départements et régions d’outre-mer. Les Assises des outre-mer avaient permis de relever le caractère inégalitaire de ce dispositif. L’article 4 exclut du bénéfice de l’avantage fiscal les plus hauts revenus, à savoir 4 % des contribuables ou 50 000 foyers fiscaux. C’est donc une mesure de justice fiscale, qui a permis de dégager 70 millions d’euros.

L’article 5, quant à lui, supprime la TVA non perçue récupérable. Les Assises des outre-mer avaient là aussi conclu que ce mécanisme était inefficace, cette dépense fiscale étant jugée peu traçable et non pilotée et ses effets sur le développement économique apparaissant illisibles. La suppression de cette mesure permet de dégager 100 millions d’euros. Ce sont donc au total 170 millions d’euros qui sont ainsi récupérés. Je tiens à insister ici sur le fait que 100 % de cette somme est réaffecté à l’outre-mer.

Ce sont ces mesures qui nous permettent de répondre aux défis soulevés par les Assises et d’engager la concrétisation des objectifs du Livre bleu. Les crédits de paiement de la mission « Outre-mer » augmentent pour s’élever en 2019 à 2,49 milliards d’euros contre 2,07 milliards d’euros en 2018. Le budget est axé sur les infrastructures, le développement économique et le logement.

Une hausse de 70 millions d’euros est allouée au Fonds exceptionnel d’investissement (FEI), réservé aux investissements structurants et de proximité ainsi qu’à la construction d’établissements scolaires. Le FEI est un outil essentiel : c’est justement lui qui vient aider les collectivités à combler les retards constatés dans les territoires d’outre-mer. Ce fonds passera ainsi à 110 millions d’euros. Parallèlement, 56 millions d’euros seront affectés à une nouvelle action destinée à aider au financement de l’économie, créée au sein du programme 138 « Emploi outre-mer ». C’est un effort important au service du développement économique des territoires. Il s’agira notamment d’apporter une aide au fret, de faciliter l’accès au financement pour les entreprises et de réduire les effets négatifs des délais de paiement auxquels elles sont confrontées.

Le programme 138, qui vise à renforcer la compétitivité des entreprises et à améliorer la qualification professionnelle des actifs, verra ses crédits de paiement passer de l,33 milliard d’euros en 2018 à l,69 milliard d’euros en 2019. Le programme 123 de la mission sera également augmenté et passera de 733 millions d’euros en 2018 à 799 millions d’euros en 2019. L’effort se portera notamment sur l’amélioration de l’accès au logement des résidents ultramarins, par des actions de développement et de rénovation du logement social mais également de résorption de l’habitat insalubre.

Infrastructures, développement économique, accès à l’emploi et logement sont donc bien mis à l’honneur dans cette mission, ce dont nous nous félicitons.

Le budget 2019 pour les outre-mer est un budget de transformation qui met la dépense publique au service du plus grand nombre et construit un écosystème économique performant, stable et attractif. C’est pourquoi le groupe La République en Marche l’adoptera.

M. Serge Letchimy. Sans reprendre le débat que nous avons eu en séance publique, je voudrais simplement faire plusieurs rappels.

C’est la première fois que je vois un budget de l’outre-mer construit avec autant d’incertitude dans les chiffres ; sans doute mérite-t-il d’être expertisé. Nous pourrions suggérer au ministère d’aller le plus loin possible et de nous communiquer les documents de politique transversale, les statistiques et les études d’impact nécessaires afin que nous puissions réellement analyser les chiffres et résoudre toutes ces contradictions : quand ma collègue Mme de Lavergne parle de 4 % de contribuables touchés, moi, je parle de 20 % Quand elle parle de 50 000 personnes concernées par l’abaissement du plafond de l’abattement fiscal, je les estime quant à moi entre 100 000 à 150 000 personnes. Quand on dit que seuls les contribuables avec des revenus supérieurs à 75 000 euros seront touchés, je soutiens quant à moi que cette mesure frappera tous ceux dont les revenus dépassent 45 000 euros… D’autant que la ministre elle-même a clairement indiqué devant nos collègues qu’elle n’avait organisé aucune concertation sur la question de l’abaissement du plafond de l’abattement ; elle l’a même regretté. Il y a un vrai problème : on ne peut pas revenir sur une mesure aussi importante prise en 1960 dans le but de lutter contre les inégalités, sauf à considérer que celles-ci ont définitivement disparu. Cela étant, le débat a eu lieu, vous avez la majorité, vous avez gagné – tout comme vous avez gagné la suppression de l’APL accession outre-mer, dont la ministre vient d’annoncer le rétablissement ! Cela montre bien qu’on peut gagner quelque chose par conviction, se tromper lourdement et rétablir un dispositif qu’on a supprimé. Je ne sais pas si vous reviendrez sur l’abaissement du plafond de l’abattement, mais je rappelle que nous n’avons pas le même régime fiscal : vous ponctionnez sur cinq départements mais vous redistribuez la ressource sur neuf départements… Il y a donc un problème – je ne sais même pas si ce procédé est constitutionnel.

Cela étant, il y a des choses intéressantes et positives dans ce budget. Par exemple, je suis pour l’émancipation économique locale ou, en termes plus simples, pour le développement local de l’économie de sorte qu’on soit moins dépendant des importations et de la consommation passive, surtout si c’est pour s’entendre dire – fût-ce tacitement – que nous sommes des assistés ! Il faut relancer la machine interne. La ministre des outre-mer a pris une initiative à mes yeux très intéressante en prévoyant la possibilité de créer de nouvelles zones franches nous permettant de travailler sur les filières de production domiciliées territorialement. Je demande cela depuis très longtemps et je vous invite, Madame la présidente, à faire une suggestion à la ministre : on ne peut pas avoir de zones franches sans ports francs – une zone franche qui tourne sur elle-même n’a pas de sens. Il faut penser à l’exportation, y compris à proximité ; or, pour l’instant, on en reste à une sorte de « tunnellisation » économique, comme à l’ère coloniale : on importe tout de Bordeaux, de Paris ou d’ailleurs. Alors que des pays voisins ont des matières premières à peu près identiques, il n’y a pas de jonction économique avec les secteurs de proximité.

Par ailleurs, il y a de mon point de vue une aberration économique. Quand le ministère appelle à passer du stade guichet – autrement dit de la distribution de subventions – au stade projet. J’en suis d’accord, mais si le projet est conceptualisé depuis Paris, économiquement, cela pose un problème, car cela revient à rapatrier au niveau national des fonds qui étaient domiciliés localement – tels que ceux de la TVA non perçue récupérable – pour les redistribuer ensuite sur l’ensemble des territoires ultramarins au titre du FEI. Il y a là un réel problème de conception de la décentralisation économique. La proximité économique est essentielle.

Enfin, entre 6 millions d’euros d’augmentation budgétaire et près de 370 millions d’euros de ponction rapatriés dans le budget de l’outre-mer, si l’on prend en compte dans le calcul la transformation du CICE en un allègement de charges, je ne vois pas trop où est l’équilibre… Même si, en gros, la ministre a tout de même réussi à maintenir la stabilité du budget de l’outre-mer.

Mme Justine Benin. Les conclusions de l’excellent rapport de mon collègue Max Mathiasin me poussent à venir défendre devant vous l’idée qu’il est nécessaire d’adapter les crédits « Outre-mer » aux réalités économiques des territoires pour gagner la bataille de l’emploi et restaurer la confiance dans les territoires.

En tant que députée de la Guadeloupe qui, vous le savez, regorge de ressources naturelles inestimables mais qui souffre de nombreuses difficultés et notamment d’un chômage important, je suis particulièrement sensible aux crédits alloués au programme 138 qui concerne l’emploi. Cette augmentation est notamment due à la création d’une nouvelle ligne budgétaire relative au financement de l’économie, qui fait suite à la suppression de la TVA non perçue récupérable en première partie du PLF.

Je prends acte du fait que la rebudgétisation de la TVA non perçue récupérable accompagne le développement économique et social des territoires des outre-mer.

Je me réjouis, bien entendu, de l’augmentation du budget affecté à nos territoires qui permettra, je l’espère, d’améliorer la compétitivité et l’attractivité de nos entreprises et d’encourager la création d’emplois pérennes.

Les spécificités des outre-mer justifient, je le reconnais, un accompagnement renforcé de l’État et la mise en place de dispositifs fiscaux adaptés. Ainsi, l’article 4 du PLF qui vise la réforme des plafonds de l’abattement applicable à l’impôt sur le revenu a été adopté alors que plusieurs collègues, dont moi-même, en avaient demandé la suppression. Tout à l’heure, en commission des lois, j’ai demandé à Mme la ministre des outre-mer des précisions sur l’affectation de ces fonds en faveur des investissements réalisés dans nos territoires afin qu’aucune démarche budgétaire ultérieure ne vienne en diminuer le montant. J’ai aussi demandé à la ministre s’il était prévu de créer une instance spécifique pour garantir une gestion efficace de ces fonds. Enfin, je lui ai demandé de garantir la présence des collectivités majeures et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) au sein de cette instance.

Bien entendu, je suis favorable à la refonte fiscale et aux investissements et je plaide donc pour une transformation de notre économie en pleine cohérence avec nos réalités locales. Permettez-moi toutefois d’émettre une inquiétude quant à la situation du logement, caractérisée dans nos territoires, de façon plus marquée que dans l’hexagone, par une insuffisance de l’offre. Je sais que la ligne budgétaire unique (LBU) n’est pas le seul levier pour la construction de logements. Néanmoins, il nous semble important de préserver les aides à l’accession à la propriété et à l’amélioration de l’habitat privé. En commission des lois, Mme la ministre a annoncé le rétablissement temporaire de l’APL accession à la propriété pour 2019 et qu’un travail serait fait pour pérenniser cette APL accession à partir de 2020. Les crédits en hausse et les nombreuses annonces faites par Mme la ministre montrent qu’elle a pu sanctuariser son budget, en augmentation de 20 %. Dès lors, pouvez-vous nous expliquer les choix budgétaires du Gouvernement ? Pourquoi cette diminution des budgets pour le logement alors que les besoins sont immenses ?

M. Damien Adam. Je n’ai pas vraiment de question à poser mais plutôt un « coup de gueule » à pousser. Sur le fond, ma collègue Célia de Lavergne a tout dit : ce budget est en augmentation, traduisant l’ambition que nous portons pour les territoires d’outre-mer. Je me permets néanmoins de revenir sur les dépenses fiscales au profit des outre-mer, point que vous avez évoqué, Monsieur Letchimy : nous augmentons les crédits de 20 % pour l’outre-mer… Cela méritait d’être précisé alors même que vous avez dit exactement le contraire à l’instant.

Je voudrais également m’exprimer sur le nombre de députés présents ce soir. L’opposition est toujours prompte à donner des leçons à la majorité – que ce soit à La République en Marche ou au Mouvement Démocrate et apparentés – alors que l’exemplarité de cette opposition est bien souvent à démontrer : nous en avons un exemple concret et cynique ce soir. Les territoires d’outre-mer, c’est la France ; et parce que c’est la France, nous avons besoin que le Parlement dans sa diversité puisse s’exprimer sur les budgets qui leur sont dédiés et non pas les seuls députés des outre-mer. Il est regrettable de constater qu’aucun député de l’opposition en dehors de ces territoires n’est présent ce soir – aucun ! – alors même qu’il y a quelques minutes, ils étaient autrement plus nombreux quand nous étudiions le budget de l’agriculture. Le travail à l’Assemblée nationale, ne se limite pas à choisir ses sujets en fonction de ses affinités : cela suppose de siéger, quelle que soit l’heure et quel que soit le thème. L’attitude de l’opposition vis-à-vis des outre-mer est grave et doit être relevée ! J’espère que les Français résidant dans ces territoires auront vent de cette situation et sauront en tirer toutes les conséquences.

Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, présidente. Je vous remercie, Monsieur Adam. Je ne suis pas loin de partager votre « coup de gueule » : il peut m’arriver aussi de déplorer le peu de présence dans nos commissions sur certains sujets ou en fin de séance. J’invite tous les collègues qui seraient amenés à visionner cette fin de réunion en streaming à un peu plus de présentéisme.

Monsieur le rapporteur, je vous cède la parole pour répondre aux interrogations de nos collègues.

M. Max Mathiasin, rapporteur pour avis. Je vous remercie, Madame la présidente.

Vous avez évoqué, Madame de Lavergne, le contexte économique dans lequel ce budget a été préparé et présenté ; vous avez aussi rappelé le contexte des Assises des outre‑mer et la manière dont elles ont été menées ainsi que le nombre d’ateliers et de projets qui ont été présentés. Permettez-moi de vous faire remarquer à mon tour que ce n’est pas la première fois que nous tenons des assises. En 2009, à la suite d’une crise sociale profonde qui avait singulièrement affecté la Guadeloupe et la Martinique mais aussi la Guyane, nous avions organisé des états généraux. Beaucoup de mesures avaient été arrêtées à cette occasion, qui n’ont pas connu d’application sur le terrain. C’est d’ailleurs pour cette raison que votre rapporteur avait été sceptique quant à l’utilité des assises.

Vous parlez de l’augmentation globale du budget de la mission. Il faut savoir que l’augmentation des crédits de l’ordre de 20 % n’est qu’une conséquence comptable de la réaffectation de crédits qui étaient déjà affectés aux outre-mer. Elle correspond notamment, comme vous l’avez vous-même souligné, aux conséquences de la réfaction de l’abattement applicable à l’impôt sur le revenu, qui représente 70 millions d’euros, auquel il faut ajouter 100 millions d’euros liés à la re-fiscalisation par l’État de la TVA non perçue récupérable. Ces 170 millions étaient donc déjà injectés dans l’économie ultramarine. Qui plus est, le redéploiement de crédits va profiter à l’ensemble des outre-mer alors que le prélèvement fiscal n’affectera que la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, La Réunion et, dans une moindre mesure, Mayotte. Cela aussi méritait d’être noté.

Le collègue Letchimy vous a apporté des précisions. Vous estimez que 5 % seulement des contribuables seront concernés par la réduction de l’abattement, mais celle-ci touchera en fait 20 à 24 % des contribuables assujettis à l’impôt sur le revenu. Dans les outre‑mers, les contribuables s’inquiètent à juste titre car les 20 à 24 % d’ultramarins assujettis à l’impôt sur le revenu qui sont concernés par la mesure seront les seuls à voir leur impôt augmenter, en moyenne de 10 %. Ajoutez à cela l’augmentation de la contribution sociale généralisée (CSG) et la non-indexation des retraites sur l’inflation et vous comprendrez que beaucoup se sentent touchés par cette augmentation d’impôt.

Rappelons également que l’abattement instauré en 1960 n’était pas initialement destiné à acclimater les ultramarins – dont les territoires furent des colonies jusqu’en 1946 – au paiement de l’impôt, mais bien à permettre la mise en place d’une administration au moment de la départementalisation. Les colonisés étaient très peu instruits et n’avaient pas l’habitude de l’administration : il fallait donc inciter les fonctionnaires métropolitains à venir travailler dans les outre-mer. Il en va de même de la prime de 40 à 50 %, selon les outre-mer, qui était constituée à l’origine d’une prime « de chaleur » de 15 % et d’une prime d’éloignement de 25 %. Cet abattement avait donc bien été conçu comme une aide à l’économie et non pas comme une faveur ou une mesure visant à nous acclimater au paiement de l’impôt.

Mais allons plus loin et entrons dans l’analyse économique. L’économie des territoires ultramarins est peu qualifiée : elle reste une économie postcoloniale de comptoir essentiellement fondée sur la monoculture – nous aurons d’ailleurs à rediscuter avec vous de l’augmentation de la taxe sur le rhum consommé sur place. Cette économie se limite à la seule exportation : la colonie ne doit rien transformer sur son territoire, pas même un fer à cheval, disait Colbert… Aucun véritable artisanat ni une véritable industrialisation n’ont pu se développer, précisément à cause de ce facteur historique, mais également et surtout du fait d’un environnement caribéen très difficile : il nous est impossible de résister à la concurrence de voisins qui n’ont pas les mêmes lois sociales que nous. Il eût été nécessaire de faire une évaluation économique des conséquences de la réfaction de ces 70 millions d’euros avant d’appliquer cette mesure, afin de prévoir dès le départ les mesures d’accompagnement qui s’imposent.

Pour ce qui est de la TVA non perçue récupérable, cette appellation complexe désigne une disposition décidée par l’État pour subventionner l’économie, comme on subventionne l’agriculture ou certains autres secteurs. Elle aurait pu s’appliquer différemment et s’appeler autrement. Nous savons qu’elle est très difficilement compréhensible pour nos collègues de l’hexagone ; mais ce qui nous inquiète, c’est que les recettes de cette taxe entrent dans le budget de l’État sans que nous sachions comment leur produit sera réparti, année après année, entre les territoires ultramarins. Nous n’avons pas d’étude d’impact à ce jour ni aucun document de politique transversale. Enfin, nous notons des contradictions dans les chiffres.

Monsieur Adam, vous avez indiqué que le budget était en augmentation de 20 %. Je vous ai déjà répondu qu’il s’agissait d’une conséquence comptable de la réforme des aides économiques. Vous avez aussi poussé un « coup de gueule » : vous avez raison, cher collègue, mais c’est justement contre cela que nous nous battons ! Ce que nous déplorons, c’est précisément cette absence de réflexe ultramarin dans l’hémicycle, chez nos collègues. Les outre-mer sont une dimension de la France. La France, c’est bien sûr l’hexagone, mais ce sont aussi ses archipels et ses îles. Le réflexe républicain ne saurait se limiter à une vision du développement économique dans l’hexagone ; car l’hexagone ne peut être performant si les outre-mer ne sont pas développés au même titre. Ce sont eux qui font de la France la deuxième puissance maritime du monde ; ils constituent une forme de prolongement de l’hexagone, pour ne pas dire une vitrine.

Ma collègue Benin nous appelle à gagner la bataille de l’emploi. Cette remarque très importante nous renvoie à la question de l’évaluation des créations d’emplois que nous pourrions générer grâce à ces mesures : or celle-ci n’a pas été faite. Votre rapporteur reste donc sur sa position, chère collègue, et maintien qu’il aurait fallu procéder au préalable à cette évaluation. On ponctionne ces 170 millions d’euros dans un contexte économique particulier ; c’est précisément là que la théorie du « premier de cordée » chère au Président de la République doit entrer en application, faute de quoi l’économie ultramarine va être handicapée. Si, dans un territoire où il y a 25 % de chômeurs – voire 30 à 35 % à Mayotte – et 50 % de chômeurs parmi les jeunes, il n’y a pas d’éclatement social, c’est précisément grâce à la solidarité non seulement familiale mais aussi transfamiliale et communautaire, qui nous permet de tenir. Il ne fallait donc pas, à mon sens, réduire tout de go la portée de ces abattements. Peut-être aurait-il fallu aller progressivement vers d’autres mesures pour accompagner l’industrialisation, l’ingénierie et le développement de start-up pour nos jeunes car ceux-ci sont pour le moment obligés de partir en métropole, au Canada ou ailleurs. La Martinique est le plus vieux département de France par l’âge de ses habitants et la Guadeloupe n’en est pas loin !

Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, présidente. N’étant saisie d’aucun amendement, je vais demander au rapporteur de bien vouloir formuler un avis sur les crédits de la mission.

M. Max Mathiasin, rapporteur pour avis. Madame la présidente, mes chers collègues, nous avons échangé des opinions. Du côté de La République en Marche, vous avez une « lecture progressive » de ce budget ; quant à moi, j’en ai une lecture progressiste. Je veux dire par là que le budget aurait pu être meilleur qu’il n’est. Compte tenu des réserves que j’ai exprimées, il me paraît cohérent d’émettre un avis de sagesse sur les crédits de la mission « Outre-mer ».

M. Serge Letchimy. J’ai peut-être été mal compris tout à l’heure : je reconnais bien que ce budget est en augmentation – de 6 millions d’euros, ai-je précisé. Cependant, la « ponction globale » des quelque 370 millions d’euros est telle que, dans le report de crédits, le compte n’y est pas. J’admets que la ministre s’est bien battue pour maintenir son budget. Mais à nos yeux, la difficulté réside dans le caractère radical et extrêmement surprenant des différentes décisions qui ont amputé les départements et régions d’outre-mer de quelque 370 millions d’euros. Nous n’avons pas de garanties concernant la sanctuarisation des crédits : les 70 millions réalloués peuvent devenir 10 millions en cas de changement de ministre ou de Gouvernement. C’est pourquoi nous resterons dans cette opposition que je représente – et je suppose, cher collègue Adam, que vous parliez de l’opposition de droite…

M. Damien Adam. Exactement !

M. Serge Letchimy. Je symbolise à moi tout seul non pas la République (Rires) mais le groupe Socialistes et apparentés. Comme nous sommes peu nombreux – vous êtes trois cents, nous ne sommes que trente –, nous nous répartissons les tâches et j’ai bien compris que votre propos ne m’était pas adressé. Nous émettrons un avis défavorable à l’adoption de ce budget.

Au terme de ces explications de vote, la commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Outre-mer ».

 

 


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   liste des personnes auditionnÉes

 

Cabinet du ministère des outre-mer

Mme Raphaëlle Seguin, conseiller

M. Fabrice Thibier, conseiller

Assemblée permanente des chambres de métiers et de l’artisanat (APCMA) *

M. Thierry Bachtanik, directeur de l’appui à l’organisation du réseau et aux projets du réseau

Mme Valérie Chaumanet, directrice des relations institutionnelles

Mme Véronique Mattéoli, directrice adjointe des relations institutionnelles

Mme Marianne Villeret, responsable du service des politiques territoriales et des financements publics

Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM) *

M. Hubert Carré, directeur général

Mme Emilie Gélard, juriste

Mme Caroline Ton, chargée de mission

Fédération des entreprises d’outre-mer (FEDOM) *

M. Laurent Renouf, directeur des affaires économiques

Office de développement de l’économie agricole outre-mer (ODEADOM)

M. Hervé Deperrois, directeur

Mme Thérèse Hartog, chargée de mission de l’Observatoire de l’Office

EURODOM *

M. Benoit Lombrière, délégué général adjoint

Mme Laetitia de La Maisonneuve, chargée des relations avec le Parlement

Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) *

M. Dominique Vienne, président de la CPME La Réunion

Mme Joëlle Prévot-Madère, présidente de la CPME Guyane

Mme Santhi Veloupoulé, déléguée générale de la CPME La Réunion

Mme Sabrina Benmouhoub, chargée de mission Affaires publiques

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.

 


([1]) Loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique

([2]) Projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 19 juin 2018

([3]) Tableau de bord des outre-mer, Institut d’émission des départements d’outre-mer (IEDOM) et Institut d’émission d’outre-mer (IEOM), juin 2018

([4]) Rapport d’information n° 1153 sur la défiscalisation dans les outre-mer fait au nom de la délégation aux outre-mer par MM. Philippe Gomès et Philippe Vigier, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 11 juillet 2018.

([5]) Loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer

([6]) Voir première partie du présent rapport

([7]) Les notes de l’Observatoire de l’économie agricole dans les DOM, février 2018