N° 2303

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 octobre 2019.

AVIS

PRÉSENTÉ

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2020 (n° 2272),

 

TOME IV

 

DÉFENSE

 

 

PAR M. Guy TEISSIER

Député

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 Voir le numéro  2301.


 

 


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SOMMAIRE

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 Pages

Introduction

Première partie : Budget pour 2020, la remontée en puissance  de nos armées se poursuit

I. La loi de progRammation représente un effort considérable pour nos armées

II. Le budget pour 2020 représente la deuxième année de mise en œuvre de la LPM

A. Un budget en hausse de 1,7 milliard deuros

B. Des programmes budgétaires renforcés

1. Le programme 212 Soutien de la politique de défense

a. Les dépenses hors titre 2

b. Les dépenses de titre 2

2. Le programme 178 Préparation et emploi des forces

3. Le programme 146 Équipement des forces

4. Le programme 144 Environnement et prospective de la politique de défense

III. Trois sujets méritent une certaine attention

A. Le financement du surcoût des OPEX et des MISSINT

B. Les livraisons des équipements prévus par la LPM

C. Le service de santé des armées

1. Des moyens préservés

2. Des résultats contrastés

3. Des personnels féminisés

Deuxième partie : Les conditions de vie des personnels militaires

I. La remise en cause de la singularitÉ militaire pourrait mettre en danger la capacitÉ des armÉes à recruter et à fidéliser

A. La singularitÉ militaire est aujourdhui remise en cause

1. La condition militaire : sujétions et compensations

2. La singularité militaire est aujourdhui menacée

B. Les armÉes font face à un défi sur le plan du recrutement et de la fidélisation

1. Le recrutement reste satisfaisant…

2. … mais la fidélisation se fragilise

II. Le ministère des armÉES a pris la mesure de ce dÉfi mais doit faire preuve de cohÉrence et de constance

A. Une ambition « à hauteur dhommes »

1. La rémunération des militaires progresse

2. Léquilibre entre la vie privée et la vie professionnelle saméliore

B. Un ministère des armÉes au défi de la cohÉrence

1. Un réel effort doit être réalisé sur le logement et lhébergement

2. Les spécificités du système des pensions militaires doivent être reconnues

Troisième partie : Les dÉfis de lOTAN, soixante-dix ans aprÈs sa crÉation

I. LOTAN sest tranSformÉe depuis la fin de la guerre froide

A. LÉlargissement continu des missions de lAlliance

B. LOTAN Aujourdhui, sous le concept stratÉgique de 2010

II. LOTAN continue de sadapter À lÉvolution de la menace

A. Les menaces se multiplient et se durcissent

B. LOTAn sadapte à l’Évolution de la menace

III. Malgré les dissensions, lalliance nest pas menacée

A. Lunité de lAlliance est affaiblie

1. Les divergences danalyse stratégique

2. Les relations transatlantiques sont en crise

B. La résilience de lOTAN tient avant tout à la démonstration de son utilité

1. À quoi sert encore lOTAN ?

2. Une organisation en voie délargissement

IV. les alliés doivent travailler à lavenir de loTAn

A. Vers un nouveau concept stratégique ?

1. Lévolution des technologies

2. Lessor de la Chine

3. Les conséquences sécuritaires du réchauffement climatique

B. Vers une plus grande complémentarité avec lUE ?

TRAVAUX DE LA COMMISSION

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR pour avis et déplacements

ANNEXE 1 : Présentation des crédits par programme et par action de la mission « Défense »

ANNEXE 2 : Principales livraisons déquipements militaires prévues en 2019

ANNEXE 3 : Principales livraisons déquipements militaires prévues en 2020

ANNEXE 4 : Les mesures qui visent à améliorer le quotidien du soldat dans le cadre de la LPM

ANNEXE 5 : Les mesures qui visent à améliorer le quotidien du soldat Hors du cadre de la LPM


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   Introduction

Chaque année, la commission des affaires étrangères rend un avis sur les crédits de la défense dans le cadre du projet de loi de finances (PLF). En dépit de son autonomie propre, la défense est aussi le bras armé de la politique étrangère de la France. L’importance prise par les enjeux stratégiques contribue d’ailleurs à une imbrication toujours plus étroite des questions militaires et diplomatiques.

Le PLF pour 2020, qui représente la deuxième année de mise en œuvre de la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 ([1]), poursuit la remontée en puissance des armées, en actant une nouvelle hausse des crédits de 1,7 milliard d’euros. Le budget des armées s’établit à 37,5 milliards d’euros, ce qui rapproche la France de l’objectif de consacrer 2 % du produit intérieur brut (PIB) à l’effort de défense d’ici 2025.

Si les crédits sont bien au rendez-vous, tout dépend toujours de leur exécution. Votre rapporteur regrette ainsi que les armées peinent à absorber une partie des hausses de crédits, en particulier les crédits de titre 2 consacré aux dépenses de personnel et ceux destinés aux infrastructures de défense, ce qui affaiblit d’ailleurs le ministère des armées dans les négociations interministérielles qui ont lieu, en fin d’année, sur la prise en charge du surcoût représenté par les opérations extérieures (OPEX) et les missions intérieures (MISSINT). Par ailleurs, alors qu’une grande partie des crédits est consacrée à la modernisation des équipements, le ministère des armées doit assurer un suivi rigoureux des programmes d’armement afin d’éviter les retards dommageables au rattrapage capacitaire dans lequel les armées sont engagées.

Au-delà de ces considérations budgétaires, votre rapporteur a souhaité consacrer son avis à deux sujets majeurs pour nos armées – l’amélioration des conditions de vie des personnels militaires et l’avenir de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) – et réaliser des développements spécifiques sur des sujets qui méritent attention, comme le service de santé des armées (SSA).

Si la remise à niveau capacitaire est une priorité, l’homme reste et restera le premier des systèmes d’armes. La prise en compte des conditions de vie des militaires est donc intrinsèque au commandement : souvent, les armées n’auront pas attendu le plan « Famille » pour en faire une priorité.

Néanmoins, votre rapporteur constate avec inquiétude la tentation consistant à vouloir remettre en cause les singularités militaires, qui fondent un certain nombre de compensations – et non d’avantages – attachées au métier de soldat. C’est pourquoi le volet de la LPM consacré à « lamélioration du quotidien du soldat » mérite d’être salué. La dégradation, ces dernières années, des conditions de vie des militaires explique en effet une bonne partie des difficultés des armées à fidéliser dans leurs rangs. Le ministère des armées doit toutefois être conscient que la multiplicité des chantiers en cours, dont les contours sont parfois flous, nourrissent des inquiétudes légitimes chez nos soldats sur l’évolution de la condition militaire, de la solde au système de pensions. Il est donc nécessaire de mieux communiquer pour rassurer.

Cet avis est également l’occasion d’aborder un sujet de défense à forte composante diplomatique : les défis de l’OTAN. Soixante-dix ans après sa création, l’OTAN fait face à une modification brutale du contexte sécuritaire international ainsi qu’à des tensions internes, qui génèrent des inquiétudes sur l’unité de l’Alliance. Chacun se souvient des dissensions qui avaient émaillé le sommet de Bruxelles de 2018, lors duquel le président américain s’en était pris violemment à ses alliés, jugés incapables de fournir les efforts nécessaires pour assurer leur propre sécurité. Chacun regarde aujourd’hui avec inquiétude les actions entreprises par la Turquie, deuxième armée en effectifs de l’Alliance, en décalage de plus en plus important avec les valeurs et les intérêts de l’OTAN.

Pour autant, malgré les tensions, malgré les crises, votre rapporteur estime que l’OTAN n’est pas menacée : elle continue de jouer un rôle irremplaçable pour les Alliés. Son avenir dépendra de sa capacité à s’adapter, comme elle n’a cessé de le faire, avec succès, depuis la fin de la Guerre froide.


   Première partie :
Budget pour 2020, la remontée en puissance
de nos armées se poursuit

En 2020, conformément à la trajectoire fixée par la LPM sur la période 2019-2025, l’effort de défense sera augmenté de 1,7 milliard d’euros pour s’établir à 37,5 milliards d’euros, soit l’équivalent de 1,86 % du PIB ([2]).

La France poursuit ainsi la remontée en puissance et la modernisation des armées, après des années de fragilisation de notre outil militaire, dans un contexte sécuritaire où la menace ne cesse de se durcir.

I.   La loi de progRammation représente un effort considérable pour nos armées

Promulguée le 13 juillet 2018, la LPM 2019-2025 s’inscrit en rupture avec une décennie d’érosion lente et continue du budget des armées. L’effort de défense a connu une inflexion à la suite des attentats de novembre 2015, qui ont mis en évidence le décalage entre les moyens accordés aux armées d’une part, et d’autre part, l’intensification des menaces et le niveau d’engagement opérationnel.

La LPM est le résultat de cette prise de conscience, inscrite dans la revue stratégique de défense et de sécurité nationale adoptée à la fin de l’année 2017. Dans le cadre fixé par la revue stratégique, la LPM consent un effort financier important pour les armées en cohérence avec l’objectif de porter le budget de la défense à 2 % du PIB à l’horizon 2025. Au total, ce sont près de 300 milliards d’euros qui bénéficieront à la défense entre 2019 et 2025.

Ces moyens supplémentaires visent à traduire en actes plusieurs priorités pour les armées. Ils seront en grande partie orientés vers la modernisation des équipements, en particulier les études amont, les grands programmes d’armement conventionnel, le renouvellement des composantes de la dissuasion nucléaire et l’entretien programmé des matériels. Un accent est mis sur la préparation de l’avenir des forces, avec d’importants investissements dans les domaines clés pour les conflits de demain, dont le renseignement, l’espace et le cyber.

La LPM, placée à « hauteur dhommes », ne néglige pas l’enjeu des ressources humaines. Elle fixe une trajectoire de 6 000 emplois supplémentaires sur la période 2019-2025, essentiellement ciblés sur le renseignement et la cyberdéfense. La hausse des effectifs s’accompagne de mesures en faveur de l’amélioration des conditions de vie des personnels du ministère des armées.

Comme le relevait notre collègue Didier Quentin dans son avis budgétaire l’année dernière, « la remontée en puissance ne peut être que progressive ». Ce temps nécessaire tient non seulement à la lenteur des grands programmes d’armement, mais également à la manière dont est réparti l’effort sur la durée de la LPM, la hauteur de la marche à gravir devenant beaucoup plus élevée à compter de la fin du quinquennat. Les trois quarts des créations de poste sont ainsi prévues entre 2023 et 2025.

Or, selon le général François Lecointre, chef d’état-major des armées, la LPM permettra seulement, jusqu’en 2021, de « réparer » les armées. Il dépendra donc du prochain Président de la République de savoir si les armées entreront bien dans la phase suivante de la LPM, celle du renouvellement et de l’augmentation.

II.   Le budget pour 2020 représente la deuxième année de mise en œuvre de la LPM

A.   Un budget en hausse de 1,7 milliard d’euros

En 2020, le budget de la défense sera en hausse pour la troisième année consécutive. La loi de finances initiale (LFI) pour 2019, qui incarnait la première annuité de la LPM, a augmenté les crédits de la mission Défense de 1,7 milliard d’euros, portant le budget des armées à 35,9 milliards d’euros hors pension. En 2020, les crédits de la mission Défense s’élèveront à 37,5 milliards d’euros hors pension, ce qui représente un nouvel effort supplémentaire de 1,7 milliard d’euros ([3]) par rapport à 2019. Au total, l’effort de défense atteindra 1,86 % du PIB l’année prochaine. Votre rapporteur se félicite de la fidélité de la prévision budgétaire à la trajectoire de la LPM et appelle à ce que les engagements soient également tenus les prochaines années.

Source : ministère des armées.

B.   Des programmes budgétaires renforcés

1.   Le programme 212 Soutien de la politique de défense

a.   Les dépenses hors titre 2

Hors titre 2, le programme 212 rassemble les financements des fonctions de soutien interarmées et des politiques transverses du ministère, comme la politique immobilière. Les crédits budgétaires du programme 212 hors titre 2 s’élèvent en 2020 à 1,321 milliard d’euros en autorisations d’engagement (AE) et 1,277 milliard d’euros en crédits de paiement (CP), ce qui représente une baisse de plus de moitié par rapport au budget pour 2019.

Cette très forte baisse des crédits résulte en large partie d’une modification de l’architecture budgétaire de l’infrastructure de défense, qui se traduit par le transfert au programme 146 des crédits d’infrastructure pour l’accueil des programmes d’armement et au programme 178 des crédits destinés aux infrastructures à caractère opérationnel. Cette réforme est destinée à renforcer la cohérence des périmètres de chaque programme budgétaire et surtout à responsabiliser les gestionnaires.

Le périmètre du programme 212 est donc limité aux infrastructures liées aux réseaux et bâtiments d’intérêt général ainsi qu’aux conditions de vie et de travail des personnels et des familles. À ce titre, l’année 2020 verra le lancement d’un programme de construction et de rénovation d’hébergement doté de 980 millions d’euros sur les cinq prochaines années.

b.   Les dépenses de titre 2

Le programme 212 centralise également les crédits de personnel de l’ensemble du ministère des armées. En l’occurrence, les crédits de titre 2, pensions incluses, progressent de 107 millions d’euros. Cet effort financier traduit principalement la poursuite du renforcement des effectifs, avec la création nette de 300 équivalents temps plein (ETP) en 2020, et des actions destinées à renforcer la fidélisation des personnels civils et militaires et l’attractivité des carrières.

Toutefois, Mme Isabelle Saurat, secrétaire générale pour l’administration du ministère des armées, explique que les dépenses de titre 2 prévues dans le budget pour 2020 s’écartent de la trajectoire fixée par la LPM. Les exercices précédents ont en effet été marqués par une sous-consommation des crédits de titre 2 qui est liée en partie à des difficultés de recrutement ([4]). Aussi, le budget pour 2020 acte une diminution de 140 millions d’euros de la ressource en titre 2 par rapport à la LPM qui, selon les explications fournies par l’administration non sans un certain flou, sera réaffectée au profit de « la couverture des besoins prioritaires de la loi de programmation militaire et du renforcement des ambitions ministérielles ».

2.   Le programme 178 Préparation et emploi des forces

Le programme 178 regroupe les crédits qui financent la conduite des opérations et la préparation des forces, en particulier les crédits qui se rattachent à la préparation des forces terrestres, navales et aériennes, aux fonctions de soutien opérationnel, comme la fonction santé, et aux surcoûts générés par les OPEX et les MISSINT.

En 2020, le programme 178 voit ses crédits augmenter de 14 % en CP et de 8 % en AE. Cette hausse s’explique par la réception d’une partie des crédits dédiés à la politique immobilière, l’augmentation des moyens dédiés au financement des OPEX et des MISSINT et la poursuite de l’effort engagé sur le maintien en condition opérationnelle (MCO).

3.   Le programme 146 Équipement des forces

Le programme 146 agrège les crédits relatifs aux armements et matériels nécessaires à la réalisation des missions des armées. En 2020, les CP du programme 146 sont en hausse de 16 % pour atteindre 12,588 milliards d’euros, tandis que le niveau des AE augmente de 75 % pour s’établir à 25,352 milliards d’euros.

Ces hausses de crédit très substantielles viennent alimenter la mise à niveau capacitaire des armées.

4.   Le programme 144 Environnement et prospective de la politique de défense

Le programme 144 rassemble les crédits destinés à éclairer le ministère des armées sur l’environnement stratégique présent et futur, afin d’orienter les évolutions de la politique de défense. Dans le cadre du budget pour 2020, le niveau des ressources du programme 144 s’établit à 1,548 milliard d’euros en CP, en progression de 72 millions d’euros, et à 1,766 milliard d’euros en AE, soit une hausse de 137 millions d’euros.

Les efforts portent sur les études amont, dont les financements atteignent 821 millions d’euros, en hausse de 8 %, conformément à l’objectif fixé par la LPM de les porter à 1 milliard d’euros en 2022. Les moyens mis à disposition des services de renseignement – direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) – sont sanctuarisés, ce qui doit leur permettre d’absorber la hausse de leurs effectifs et de faire face à certains défis, comme celui du traitement de données de masse.

III.   Trois sujets méritent une certaine attention

A.   Le financement du surcoût des OPEX et des MISSINT

Le programme 178 Préparation et emploi des forces comprend une dotation prévisionnelle annuelle destinée à financer les OPEX et les MISSINT. Pendant longtemps, cette dotation prévisionnelle était largement sous-estimée par rapport au coût réel que représentent ces engagements pour les armées. Pour financer le surcoût net venant en dépassement de la provision initiale, le ministère des armées était obligé, chaque année, de réduire ses ressources financières en gestion, en particulier celles destinées à financer les programmes d’armement.

Afin de mettre fin à cette approche court-termiste, la loi a inscrit le principe d’un financement interministériel du surcoût des OPEX et des MISSINT. La solidarité gouvernementale se justifie par le fait que le ministre des armées n’a pas la main sur le niveau d’engagement opérationnel des forces, qui relève du plus haut niveau de l’État. Jusqu’en 2017 inclus, le surcoût net a ainsi fait l’objet d’un financement interministériel par le moyen de décrets d’avance qui intervenaient généralement au dernier trimestre de chaque année.

Dans le cadre de la nouvelle LPM, le Gouvernement a entrepris une « sincérisation » du financement des OPEX et des MISSINT, à savoir une augmentation de la provision pour la rapprocher progressivement du coût réel. Après être passée à 750 millions d’euros en 2018, la dotation initiale a atteint 950 millions d’euros en 2019. Conformément à la LPM 2019-2025, le PLF pour 2020 prévoit de relever la provision à 1,2 milliard d’euros, montant qui devrait être stabilisé lors des exercices suivants. À cette ressource prévue en LFI s’ajoutent des remboursements de certaines organisations internationales ou de pays tiers destinés à compenser le coût de l’engagement des forces françaises à l’étranger.

Source : ministère des armées.

Malgré sa hausse progressive, la provision initiale reste encore insuffisante pour couvrir la totalité des coûts liés aux OPEX et aux MISSINT. Or, en 2018, le financement du surcoût, qui a atteint 578 millions d’euros, n’a pas fait l’objet d’un financement interministériel. Il a été assuré, dans le cadre de la loi de finances rectificative (LFR) pour 2018 ([5]), par l’annulation de 404 millions d’euros de crédits des autres programmes de la mission Défense. Le résidu a quant à lui été principalement financé par le redéploiement interne de 150 millions d’euros de crédits de titre 2 du ministère des armées.

Votre rapporteur se félicite de l’effort de « sincérisation » du financement des OPEX et des MISSINT qui se traduira, en 2020, par le vote d’une provision initiale qui se rapproche  toutefois sans latteindre  du montant des dépenses constatées ces dernières années, sans préjuger de lévolution de lengagement opérationnel des forces armées. Celui-ci regrette néanmoins que la « sincérisation » au niveau du financement initial se fasse au prix d’une insincérité au stade de l’exécution puisque, en l’absence de solidarité interministérielle, les armées ne sont pas assurées de disposer des crédits qui leur sont destinés.

Le surcoût OPEX-MISSINT prévisionnel pour 2019, qui devrait être du même ordre de grandeur que celui de 2018, sera annoncé avant la fin de l’année. Se posera inévitablement la question de son mode de prise en charge, par la solidarité interministérielle ou par les armées. Le financement du surcoût par les armées est d’autant plus probable que les armées pourraient afficher, cette année encore, une sous-exécution des crédits, notamment des crédits de titre 2. Votre rapporteur appelle donc le ministère des armées à plus de rigueur dans l’exécution des crédits adoptés en LFI afin que puisse jouer le principe de la solidarité interministérielle, qui reste parfaitement légitime.

B.   Les livraisons des équipements prévus par la LPM

Comme on l’a vu, une grande partie de l’augmentation des crédits prévue par la LPM vise à moderniser les équipements des armées.

Selon les réponses fournies par l’administration, l’année 2020 constitue « une année clef de la LPM » en raison de l’importance des investissements qui seront réalisés pour moderniser des équipements majeurs. Seront lancés en 2020 de nouveaux programmes structurants, comme le système de combat aérien du futur (SCAF), et des programmes visant à remplacer des capacités vieillissantes avec l’arrivée, en particulier, de l’avion de surveillance et d’intervention maritime (AVSIMAR) et du successeur de l’avion de guet aérien avancé embarqué E2C Hawkere (futur E2D). Enfin, près de 3,8 milliards d’euros seront consacrés à la poursuite de la modernisation de la dissuasion avec, notamment, le développement du sous-marin nucléaire lanceur d’engins de troisième génération (SNLE 3G).

Par nature, les programmes d’armement d’une certaine ampleur se caractérisent par une forte inertie et mettent du temps à se concrétiser, ce qui en fait d’ailleurs une cible privilégiée des coupes budgétaires en cours de gestion. Pour autant, certaines livraisons très importantes auront été livrées d’ici la fin de l’année 2019, dont quatre-vingt-douze véhicules blindés multirôles Griffon, dix hélicoptères NH90 Caïman, une frégate multi-missions FREMM, un avion de transport A400M et un avion ravitailleur Multi-Rôle Transport Tanker (MRTT). Par ailleurs, des livraisons très attendues des trois armées sont prévues en 2020, à commencer par les quatre premiers engins blindés de reconnaissance et de combat (ERBC) de type Jaguar, le premier sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) de type Barracuda ou encore les deux premiers Mirage 2000 D rénovés dans l’armée de l’air ([6]).

Votre rapporteur tient à attirer l’attention sur les retards susceptibles d’affecter certains programmes d’armement. Le premier SNA de type Barracuda sera livré avec près de trois ans de retard, même si le retard devrait être plus limité pour les sous-marins suivants. La livraison des véhicules Griffon prévus en 2019 et 2020 pourrait aussi accuser du retard. Alors que l’année 2020 est marquée par le lancement de plusieurs programmes d’armement stratégiques, votre rapporteur appelle à rester vigilant sur le respect des délais de livraison.

Votre rapporteur a réalisé un déplacement au 3ème régiment d’infanterie de marine (RIMa) à Vannes afin de faire le point sur la mise en œuvre du programme SCORPION au sein de l’armée de terre. Selon les mots du chef de corps du 3ème RIMa, le colonel Éric Talleu, le programme SCORPION incarne un nouveau système de commandement et de communication qui doit permettre de « gagner la guerre du cycle décisionnel » en plus de réduire les opérations de maintenance et d’accroître la disponibilité opérationnelle. Contrairement aux programmes d’armement lancés dans le cadre des LPM précédentes, qui manquaient parfois de cohérence entre eux, le programme SCORPION constitue un « programme de programmes ». Il repose sur un nouveau système de radio et un ensemble de capteurs, destinés à renforcer l’interopérabilité et la communication entre unités, qui seront opérés à partir de nouveaux blindés, les véhicules Griffon, Serval et Jaguar, simples vecteurs de ce nouveau système de commandement et de communication. Le 3ème RIMa devrait recevoir les premiers Griffon au mois de février 2020.

C.   Le service de santé des armées

1.   Des moyens préservés

Le service de santé des armées (SSA) a fait l’objet d’importants efforts de réduction d’effectifs, de diminution de coûts et de réorganisation ces dernières années. Lancé à la fin de l’année 2013, le projet de transformation du service, baptisé « SSA 2020 », a eu pour conséquence une déflation des effectifs de 10 % entre 2014 et 2018. De ce fait, le SSA montre aujourd’hui des signes de tension aggravés par le niveau élevé d’engagement opérationnel des personnels et le sous-effectif chronique de certaines spécialités médicales.

La LPM prévoit en revanche la stabilisation des effectifs du SSA sur la période 2019-2025. Compte tenu de la durée de formation des futurs médecins, plusieurs années seront nécessaires avant de percevoir les bénéfices de cette inflexion. En attendant, le SSA s’est fixé un objectif de recrutement de contractuels, dont beaucoup seront issus de la réserve. Interrogée par votre rapporteur, la médecin général des armées Maryline Gygax Généro, directrice centrale du SSA, exprime sa satisfaction vis-à-vis du budget pour 2020, qui « permet de répondre aux enjeux stratégiques les plus importants ».

2.   Des résultats contrastés

En attendant les effets produits par ces nouveaux moyens, le SSA affiche des résultats contrastés. Selon le colonel Éric Talleu, le SSA est très performant sur le champ de bataille, ce qui est fondamental pour le moral des soldats, qui savent qu’ils seront rapidement pris en charge en cas de blessure. En revanche, ces bons résultats en OPEX se font au détriment du soutien de proximité apporté sur le territoire national. En cas de blessure, le commandement en est parfois réduit à appeler le 15 ou le 18. Le soutien de proximité s’est dégradé sous l’effet, non seulement des coupes budgétaires, mais également de l’« interarmisation » qui a retiré aux chefs de corps la maîtrise du soutien opérationnel.

S’il paraît difficile de revenir sur l’interarmisation, la stabilisation des effectifs devrait permettre d’améliorer le service rendu aux armées sur le territoire national. En même temps, le SSA a pour objectif de recentrer le travail des personnels sur le temps médical au détriment de certaines tâches, de la chancellerie à la préparation opérationnelle, qui pourraient être récupérées par les armées. Votre rapporteur se félicite de cette orientation, en cours d’expérimentation au sein de l’armée de terre, qui devrait permettre de restaurer la proximité qui prévalait lorsque les personnels du SSA étaient enracinés dans les régiments.

3.   Des personnels féminisés

La féminisation des personnels du SSA pose certains défis sur le plan de la projection des personnels en OPEX. La proportion relativement élevée de femmes, qui représentent 60 % des personnels du SSA, est le reflet du monde de la santé publique. Selon la médecin général des armées Maryline Gygax Généro, l’importance des grossesses entraîne une « sur-sujétion opérationnelle relative pour les hommes [entre 30 et 40 ans] qui est parfois mal vécue ».

Le SSA développe des solutions en interne pour gérer les effets de la féminisation. Sa directrice lutte contre la tendance paternaliste consistant à ne pas faire partir de jeunes mères en OPEX, ce qui est d’autant plus dommageable qu’elle entraîne pour ces dernières un ralentissement des carrières. Par ailleurs, afin de faciliter la mobilité opérationnelle des personnels dont les enfants sont en bas âge, la durée de certains mandats en OPEX est divisée par deux. Mme Gygax Généro constate avec satisfaction que ces mandats réduits sont utilisés dans les mêmes proportions par les femmes et par les hommes au sein du SSA.


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   Deuxième partie :
Les conditions de vie des personnels militaires

Dans le cadre de cet avis budgétaire, votre rapporteur a souhaité se concentrer sur les conditions de vie des personnels militaires. De par leur statut, les personnels militaires sont en effet soumis à de fortes contraintes qui font l’objet de compensations spécifiques. Ces compensations sont multiples et touchent à toutes les dimensions qui se rapportent à la vie des soldats. Ne seront évoquées ici que celles qui paraissent les plus décisives : les rémunérations et les pensions, l’hébergement et le logement, ainsi que la prise en compte de la situation familiale des militaires.

Votre rapporteur est aujourd’hui inquiet face au contexte de remise en cause de la singularité militaire qui se traduit par une tendance à vouloir aligner le statut des militaires sur celui des personnels civils sans tenir compte des différences de situation. La reconnaissance de la singularité militaire, et donc de la militarité, est pourtant au cœur du contrat qui lie l’armée et la Nation. Sa remise en cause ne peut qu’aggraver le défi d’attractivité et de fidélisation auxquels font face les armées.

Le Gouvernement a bien pris la mesure de cet enjeu en adoptant une LPM 2019-2025 à « hauteur dhommes », mais le discours doit rester cohérent et l’effort continu, afin d’assurer les personnels militaires de la considération de la Nation pour les sacrifices qu’ils sont prêts à consentir pour la protéger.

I.   La remise en cause de la singularitÉ militaire pourrait mettre en danger la capacitÉ des armÉes à recruter et à fidéliser

A.   La singularitÉ militaire est aujourd’hui remise en cause

1.   La condition militaire : sujétions et compensations

Les militaires sont régis par un statut dérogatoire du statut général de la fonction publique de l’État qui tient compte de l’incidence particulière de l’état militaire sur la vie personnelle et familiale des personnels. L’article L. 4111-1 du code de la défense définit la condition militaire comme « lensemble des obligations et des sujétions propres à létat militaire, ainsi que les garanties et les compensations apportées par la Nation aux militaires ».

Les sujétions qui fondent la singularité militaire sont :

– la disponibilité en tout temps et en tout lieu, qui amène le soldat à quitter fréquemment son domicile ;

– la mobilité géographique, qui est bien supérieure à celle de la fonction publique civile et qui s’impose, de fait, aux familles des militaires ;

– et l’esprit de sacrifice, pouvant aller jusqu’au sacrifice suprême, et qui se traduit par la participation aux OPEX.

En plus de la récompense immatérielle représentée par « le respect des citoyens et la reconnaissance de la Nation », les militaires bénéficient de plusieurs compensations d’ordre matériel parmi lesquelles :

– certaines primes qui composent la rémunération des militaires, à commencer par l’indemnité pour charges militaires (ICM) ;

– les quarante-cinq jours de permissions de longue durée, qui sont le pendant de l’obligation de disponibilité, et les quinze jours de permissions complémentaires planifiées, dont une partie peut être monétisée si le niveau d’activité l’exige ;

– le développement d’une politique de logement à destination des militaires pour compenser la forte mobilité de ces personnels.

2.   La singularité militaire est aujourd’hui menacée

L’équilibre entre sujétions et compensations, qui est au cœur de la condition militaire, est aujourd’hui remis en cause.

D’un côté, certaines évolutions récentes ont tendance à renforcer les sujétions, comme l’intensité et le durcissement de l’engagement opérationnel sur les théâtres d’opérations extérieures ainsi que sur le territoire national, la détérioration du soutien délivré localement et la perte de confiance dans le processus de paiement de la solde induit par le scandale « Louvois ».

De l’autre côté, la société peine de plus en plus à se représenter ce que représente l’état militaire. Mue par une tentation égalitariste, celle-ci est tentée de remettre en cause les compensations des sujétions de la vie militaire, perçues comme des avantages. Ainsi que l’exprimaient les représentants d’une association professionnelle nationale de militaires (APNM), l’APNM-Commissariat, devant votre rapporteur, « la singularité sefface dans les esprits ».

Votre rapporteur tient à rappeler avec force que le métier des armes n’est pas un métier comme les autres. La banalisation de la condition militaire ne peut constituer qu’un contre-modèle. Certains pays, comme l’Allemagne, sont allés très loin dans cette direction, en ouvrant par exemple aux militaires le droit de se syndiquer. Votre rapporteur considère que, si les APNM jouent un rôle utile et équilibré, la syndicalisation signifie la fin des armées.

Fort heureusement, nombreux sont les responsables qui reconnaissent la singularité irrépressible de l’état militaire. M. Francis Lamy, le président du Haut Comité d’évaluation de la condition militaire (HCECM), a souligné devant votre rapporteur que la fonction militaire « nest pas une fonction publique avec des spécificités ». Dans son traditionnel discours aux forces armées prononcé à l’Hôtel de Brienne le 13 juillet 2019, le Président de la République a lui-même rappelé que « létat militaire est un état singulier, et cette singularité nous oblige à tracer un chemin propre, balisé par le statut militaire, qui prévoit une juste compensation aux contraintes, aux sujétions qui simposent [aux personnels militaires] ».

Afin que cette évidence soit partagée par le plus grand nombre, il est nécessaire de la répéter inlassablement, tant au monde militaire, qui accepte de faire face aux sujétions propres à sa condition, qu’au monde civil, qui doit sa reconnaissance aux armées. Les lieux de brassages entre militaires et civils, tels que l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), sont des espaces formidables pour renforcer la compréhension mutuelle.

Afin de renforcer les liens entre les armées et la haute fonction publique en particulier, votre rapporteur aimerait faire sienne la proposition du HCECM datant de septembre 2017 et visant à mettre en place un stage militaire pour tous les élèves de l’École nationale supérieure de police (ENSP) et de l’École nationale d’administration (ENA), ou de l’organisme de formation qui pourrait lui succéder, sur le modèle du cursus des élèves de l’École Polytechnique.

B.   Les armÉes font face à un défi sur le plan du recrutement et de la fidélisation

1.   Le recrutement reste satisfaisant…

À ce jour, les armées n’ont pas de difficulté majeure à atteindre leurs cibles de recrutement de manière générale. Le général Bernard Barrera, major général de larmée de terre, que votre rapporteur a rencontré, explique notamment que larmée de terre parvient à recruter les 16 000 personnels par an, dont 12 000 militaires du rang, dont elle a besoin.

Source : HCECM.

En revanche, sur le plan qualitatif, le recrutement est marqué par une hausse des inaptitudes médicales déclarées au cours de la sélection. Selon le HCECM, entre 23 et 28 % des candidats à l’engagement comme militaire du rang sont déclarés inaptes médicaux, contre 17 % il y a dix ans.

En outre, la sélectivité du recrutement tend à s’éroder depuis 2015, même si celle-ci varie fortement en fonction des métiers proposés. Le taux de sélection des militaires du rang reste globalement stable tandis que certaines spécialités, comme les spécialistes des systèmes d’information et de communication ou les pilotes d’engin blindés, sont de plus en plus recherchées.

Source : HCECM.

2.   … mais la fidélisation se fragilise

Dans un rapport paru en juillet 2019, le sénateur Dominique de Legge ([7]) estime que « si le recrutement constitue une source de difficultés ponctuelles pour les armées, le sujet majeur est sans nul doute celui de la fidélisation des effectifs incorporés ». Cette difficulté se manifeste par l’existence d’une forte déperdition des candidats à tous les stades de la procédure de recrutement puis, une fois les personnels recrutés, au moment du renouvellement de leur contrat. Cette situation est très marquée chez les militaires du rang, notamment dans l’armée de terre. Selon le général Bernard Barrera, elle entraîne une fatigue pour l’encadrement qui doit entretenir un outil d’instruction permanent.

Comment expliquer cette difficulté des armées à fidéliser ?

Certains métiers, comme ceux de fusiliers marins ou de fusiliers commandos de l’air, peinent à fidéliser compte tenu du caractère aride et répétitif des missions. D’autres spécialités recherchées par les armées souffrent d’une concurrence directe du secteur civil, souvent capable d’offrir de meilleures conditions de travail et de rémunération. Tel est le cas de personnels essentiels aux missions des armées comme les personnels de maintenance des matériels aéronautiques, les informaticiens en cyberdéfense ou encore les ingénieurs atomiciens. Comme le reconnaît Mme Gygax Généro, les spécialistes du SSA font aussi l’objet d’« une vraie hémorragie » à l’âge où ces derniers peuvent prétendre à la retraite à jouissance immédiate, qui correspond également à l’âge où les spécialistes hospitaliers deviennent mieux rémunérés que ces derniers.

Ces difficultés sont aggravées par le changement sociologique représenté par l’arrivée de nouvelles générations moins enclines à s’engager sur le long terme et percevant le passage par les armées comme une expérience dans leur carrière. Cette génération est aussi plus soucieuse que les précédentes de l’équilibre entre la vie privée et familiale et l’engagement professionnel.

Dans ce contexte, le déséquilibre de la condition militaire pourrait être lourd de conséquence sur la capacité des armées à recruter et à fidéliser. Il est révélateur que la réforme des retraites représente une source d’inquiétude aussi vive pour de nombreux militaires parfois très loin de l’âge de départ.

II.   Le ministère des armÉES a pris la mesure de ce dÉfi mais doit faire preuve de cohÉrence et de constance

A.   Une ambition « à hauteur dhommes »

La LPM 2019-2025 a fait de l’attractivité de la condition militaire et de la fidélisation du personnel une de ses priorités. Pour y parvenir, elle prévoit plusieurs mesures spécifiques et s’accompagne, en parallèle, d’un plan consacré à l’amélioration des conditions de vie des personnels et à l’accompagnement des familles, dit « plan Famille » ([8]).

1.   La rémunération des militaires progresse

● La rémunération est le levier le plus évident pour tenter d’améliorer le recrutement et la fidélisation. Entre 2015 et 2019, les militaires ont bénéficié de mesures catégorielles qui avoisinent près de 450 millions d’euros. Aussi n’est-il pas surprenant que les représentants des APNM rencontrés par votre rapporteur aient exprimé plusieurs points de satisfaction dans ce domaine.

Sur le plan statutaire, les militaires ont notamment bénéficié, à partir de 2017, de la transposition du protocole Parcours professionnels, carrières et rémunérations (PPCR) qui vise à adapter la fonction publique aux évolutions de l’action publique et à améliorer la politique de rémunération des fonctionnaires. En 2020, la troisième annuité de la transposition du protocole PPCR se traduira par le versement de 71,25 millions d’euros supplémentaires aux militaires.

Les représentants des APNM regrettent toutefois le fait que la transposition du protocole PPCR aux militaires ait fait l’objet d’un décalage d’un an, ce qui est contraire au statut militaire, qui prévoit que toute mesure générale dont bénéficie la fonction publique civile en matière de rémunération doit être transposée – et si nécessaire, adaptée – de façon simultanée aux militaires. Une autre déception partagée par les APNM porte sur le fait que les officiers du ministère des armées ne seront revalorisés qu’à compter de 2022.

Sur le plan indemnitaire, le ministère des armées a créé en 2019 une prime de lien au service (PLS) qui vise à faciliter le recrutement et le renouvellement des contrats sur les métiers en tension. Selon Mme Isabelle Saurat, secrétaire générale pour l’administration du ministère des armées, son fonctionnement a été assoupli pour laisser plus d’autonomie au commandement dans la modulation des primes. Le plan catégoriel pour 2020 prévoit 14,37 millions d’euros pour financer la seconde annuité de la PLS.

● Au-delà de ces mesures catégorielles, la rémunération des militaires fait l’objet de nombreuses réformes.

Le logiciel « Louvois », qui calcule la paie des militaires, est progressivement remplacé par un nouveau logiciel appelé « Source Solde ». Chacun se rappelle des nombreux dysfonctionnements du logiciel Louvois et de ses conséquences désastreuses sur la confiance des militaires dans le versement de leur solde, qui constitue la première des compensations du statut militaire. Aujourd’hui, Louvois continue d’être structurellement instable, mais ses effets sont maîtrisés dans l’attente du passage au nouveau système. La vigilance doit rester de mise, puisque Louvois devrait être utilisé jusqu’en 2021.

Début 2019, la Marine nationale a basculé sur le nouveau logiciel Source Solde, tandis qu’un logiciel voisin, appelé « Agorha Solde », a été déployé pour régler la solde de la Gendarmerie. Ces opérations ont été compliquées par la mise en œuvre simultanée du prélèvement à la source. Si les retours sont positifs – ce qui semble être pour l’instant le cas –, Source Solde sera étendu à l’armée de Terre en 2020 puis à l’armée de l’Air et au SSA en 2021. Louvois pourrait bientôt n’être qu’un douloureux souvenir, ce que votre rapporteur espère avec force.

À moyen terme, un vaste chantier de refonte de la rémunération des militaires, appelé « nouvelle politique de rémunération des militaires » (NPRM), doit voir le jour à compter de 2021. La NPRM consiste en une mise à plat des dispositifs indemnitaires très nombreux dont bénéficient les militaires afin de les rendre plus lisibles et plus simples. La partie indemnitaire de la solde des militaires serait réorganisée autour de trois grandes thématiques : les singularités militaires, les finalités professionnelles et les capacités personnelles.

Cette réforme présente l’intérêt de simplifier les modalités de calcul de la solde – et d’éviter un nouvel accident de type Louvois – mais également de fonder une nouvelle politique des ressources humaines qui permette une meilleure maîtrise de la masse salariale et une plus grande souplesse pour recruter et conserver les compétences concurrentielles et s’adapter aux évolutions des métiers. Le HCECM a toutefois mis en garde le Gouvernement sur la nécessité de conserver l’indemnité phare que représente l’ICM et de ne pas prévoir, pour chaque sujétion, une indemnité correspondante, sous peine de remettre en cause le principe même de disponibilité.

2.   L’équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle s’améliore

À la faveur des évolutions de la société, l’équilibre du militaire entre sa vie professionnelle et sa vie privée et familiale est devenu l’enjeu majeur de la fidélisation. M. Francis Lamy décrit « une situation de tension entre des soucis de protection de la sphère familiale et une aspiration très forte par lactivité militaire », renforcée par le fort niveau d’engagement opérationnel des armées.

Facteurs majeurs de défidélisation, les contraintes de la condition militaire sur la vie familiale sont multiples. Elles concernent aussi bien les familles, compte tenu de l’impact de la mobilité géographique sur le travail du conjoint et la scolarisation des enfants, que les célibataires géographiques, qui doivent pouvoir compenser leurs absences et retrouver leurs familles régulièrement, et les célibataires, également soucieux de maintenir des liens avec leurs proches.

Votre rapporteur salue l’adoption par le ministère des armées du plan Famille, qui développe, de manière opportune, une approche globale pour alléger les contraintes de l’engagement sur les familles et mieux intégrer ces dernières dans la communauté de défense. Ce plan représente une enveloppe financière de près de 300 millions d’euros sur la période 2018-2022.

Certaines mesures du plan Famille sont perçues positivement par les militaires, à l’image du déploiement progressif du wifi gratuit en garnison, du développement d’une plateforme destinée à alléger les contraintes administratives liées au déménagement des militaires et de la mise en place d’une carte SNCF « Famille » désormais utilisable par chaque membre de la famille, sans la présence du militaire et sans avoir à justifier d’une absence opérationnelle.

Néanmoins, une partie du plan Famille est considérée comme un effet d’annonce par de nombreux militaires. Votre rapporteur a pu constater, lors des échanges avec les soldats du 3ème RIMa de Vannes, que les principaux besoins des personnels étaient déjà largement pris en compte par le commandement ([9]). Le plan Famille est en réalité le regroupement d’un certain nombre de mesures, dont certaines étaient déjà mises en œuvre, accompagnées de quelques moyens financiers, qui restent mesurés à l’échelle d’un régiment.

Par ailleurs, il existe sur plusieurs points un écart entre l’ambition affichée et les effets concrets ressentis par les militaires. C’est le cas de l’accroissement des offres de garde d’enfant, et en particulier de l’engagement de créer des places en crèche pour les enfants de militaires. Les militaires sont encore plus sévères sur la situation du logement et les conditions d’hébergement dans les enceintes militaires dont l’amélioration est pourtant une des promesses du plan Famille.

B.   Un ministère des armÉes au défi de la cohÉrence

1.   Un réel effort doit être réalisé sur le logement et l’hébergement

La priorité du ministère des armées doit désormais porter sur les conditions d’hébergement et de vie en caserne et sur le logement dans les zones en tension. Les militaires nourrissent une très forte attente dans ce domaine. Comme l’affirme notre collègue sénateur Dominique de Legge, « les difficultés de fidélisation sont davantage à rechercher dans les conditions matérielles dexercice des missions, telles que la dégradation ressentie du soutien, des infrastructures et de lhébergement » ([10]).

D’une part, l’état global de l’hébergement en enceinte militaire pour les célibataires et les célibataires géographiques est aujourd’hui très inquiétant. Des années de sous-investissement en matière immobilière ont conduit à des situations très dégradées. D’autre part, les militaires et leurs familles ont de grandes difficultés à se loger dans certaines zones en tension, en particulier à Toulon, à Bordeaux et en région parisienne. Près du tiers des militaires en région parisienne habitent à plus de 100 kilomètres de leur lieu d’activité.

Prenant acte de cette situation, la LPM 2019-2025 porte l’effort de remise à niveau du parc immobilier à 1,7 milliard d’euros par an au lieu de 1,2 milliard d’euros auparavant. Toutefois, une large partie de ces crédits sera consacrée à la réalisation d’opérations d’infrastructures destinées à l’accueil d’une nouvelle génération d’équipements militaires, comme le SNA de type Barracuda à Toulon. Les crédits effectivement destinés à la construction et la rénovation de logements et d’hébergements sont donc moindres et, s’ils permettront d’éviter la dégradation de la situation, ils ne permettront pas pour autant de remédier à de nombreuses lacunes.

Au-delà des montants affichés, l’effort dans ce domaine reste hypothéqué par la sous-consommation des crédits du service d’infrastructure de la défense (SID). Selon Mme Isabelle Saurat, le SID ne dispose pas des effectifs, qui ont été réduits dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), pour absorber la hausse des crédits décidés dans le cadre de la LPM.

Afin de remédier à cette situation, le SID est engagé dans un plan de transformation qui repose sur la déconcentration auprès des commandants de base de défense (BdD) des crédits pour les menus travaux et sur un recours plus massif à l’externalisation des opérations d’infrastructure. Les perspectives de l’externalisation restent toutefois incertaines compte tenu du caractère très concurrentiel du marché de l’immobilier dans les zones dans lesquels des logements de militaires sont nécessaires, mais également du manque de personnels au sein du SID pour encadrer les travaux confiés à des prestataires extérieurs. La montée en puissance du SID devrait donc prendre un certain temps.

Votre rapporteur estime que d’autres leviers existent pour améliorer la situation du logement des militaires. Il appelle à recentrer la politique du logement du ministère des armées sur sa raison d’être, à savoir l’accompagnement des situations de mobilité pour l’ensemble de ses personnels.

Surtout, votre rapporteur considère que l’administration déconcentrée de l’État et les collectivités territoriales ont les moyens d’améliorer significativement la condition militaire. Les quotas préfectoraux pourraient par exemple être employés pour faire une place aux militaires dans les logements sociaux. Une telle idée requiert au préalable d’organiser, par le biais d’une instruction interministérielle, la relation entre les chefs de corps et les acteurs locaux, cette relation étant aujourd’hui laissée à la bonne volonté des uns et des autres.

2.   Les spécificités du système des pensions militaires doivent être reconnues

Dans un contexte de remise en cause des singularités militaires et de confiance entamée par le scandale Louvois, les nombreuses réflexions en cours sur la solde et la retraite créent une « instabilité de lavenir qui inquiète » selon les termes du général Bernard Barrera. La réforme des retraites est à l’heure actuelle le principal sujet de préoccupation du monde militaire.

Pour rappel, le régime de retraite des militaires est le même que celui des fonctionnaires d’État, mais comporte certaines spécificités qui se justifient par l’impératif de disposer en permanence d’une armée jeune, apte à faire campagne.

Ces spécificités sont :

– le principe de la retraite à jouissance immédiate en cas de départ anticipé, après dix-sept ans de services effectifs pour les militaires du rang et les sous-officiers ([11]), permettant un renouvellement permanent des effectifs. Afin de garantir la reconversion professionnelle des militaires, cette retraite est intégralement cumulable avec un revenu lié à une reprise d’activité, lequel ouvre, après perception de la pension militaire, un nouveau droit à la retraite ;

– la bonification du cinquième du temps, qui majore d’un an chaque tranche de cinq années de service pendant les vingt-cinq premières années de service, et les bonifications spécifiques, comme les bénéfices de campagne relatives aux OPEX, qui visent à compenser les fortes sujétions ou les risques aggravés pris par certains militaires au cours de leur carrière. Ces bonifications sont par ailleurs intégrées dans les services pris en compte dans le calcul de la pension.

La réforme des retraites annoncée par le Président de la République a pour ligne directrice la mise en place d’un système universel de retraite dans lequel chaque euro cotisé donne accès aux mêmes droits pour tous, ce qui, appliqué tel quel, pourrait remettre en cause les spécificités des pensions militaires. Si les contours de ce chantier restent encore flous, votre rapporteur estime que les inquiétudes des militaires sont justifiées, ce d’autant plus qu’aucune réelle concertation n’a pour l’instant eu lieu avec les intéressés.

Votre rapporteur s’inquiète de la tentation d’amalgamer le système des pensions militaires avec les régimes spéciaux. Les règles propres aux pensions militaires se justifient par l’impératif de jeunesse des armées et le souci de compenser les sacrifices consentis par les militaires pour protéger la Nation. Ces règles se distinguent de celles qui caractérisent les régimes spéciaux, qui sont fondées sur des conditions de travail qui ont fortement évolué au cours du temps.

Le Président de la République a assuré à plusieurs reprises que les singularités du métier des armes seraient prises en compte dans la réforme des retraites. Dans son discours prononcé à l’Hôtel de Brienne le 13 juillet dernier, le chef des armées a notamment affirmé que « la singularité du métier militaire et les exigences du modèle darmée, une armée tournée vers les opérations, seront prises en compte dans les réformes à venir, notamment celle de notre système de retraite. Les pensions militaires relèvent dabord de la condition militaire et dun contrat passé entre la Nation et ses armées ».

Cinq jours plus tard, le Haut-Commissaire à la réforme des retraites, M. Jean-Paul Delevoye, confirmait que « le système universel maintiendra ces particularités objectivement justifiées par les missions assignées aux militaires ». La retraite à jouissance immédiate après dix-sept années de services pour les militaires non-officiers et le principe des bonifications seront maintenus, même si les bénéfices de campagne pourraient être remplacés par un système par points.

Les déclarations du Président de la République et du Haut-Commissaire à la réforme des retraites satisfont, dans l’ensemble, votre rapporteur quant aux garanties qui sont données sur le maintien des principales dispositions propres aux militaires. Cependant, de très nombreuses précisions doivent encore être apportées. Alors que les réunions techniques devraient bientôt commencer, il importe de s’assurer que les précisions soient conformes aux grandes orientations qui ont été tracées.


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   Troisième partie :
Les dÉfis de l’OTAN, soixante-dix ans aprÈs sa crÉation

Le 3 et 4 décembre prochain, les chefs d’État et de Gouvernement de l’OTAN se réuniront à Londres pour célébrer les soixante-dix ans de l’Alliance créée en 1949 dans le seul objectif de lutter contre la menace soviétique. Depuis la fin de la Guerre froide, l’OTAN, qui rassemble vingt-neuf pays d’Europe et d’Amérique du nord, est entré dans l’« ère de la transformation » ([12]) qui oblige l’organisation à se réinterroger continuellement sur sa raison d’être. Les divergences en matière d’analyse stratégique ainsi que la fragilisation du lien transatlantique ont récemment suscité de fortes inquiétudes quant à l’unité de l’organisation militaire.

Malgré ces défis, votre rapporteur estime que l’OTAN conserve une forte résilience, qui est liée au rôle fondamental qu’elle joue pour les pays qui en sont membres. L’avenir de l’OTAN dépend néanmoins de sa capacité à s’adapter à l’évolution de la menace, en s’interrogeant sur la pertinence de son concept stratégique en date de 2010, et à repenser ses relations avec l’Union européenne (UE), qui affiche des ambitions renouvelées dans le domaine de la défense.

I.   L’OTAN s’est tranSformÉe depuis la fin de la guerre froide

A.   L’Élargissement continu des missions de l’Alliance

Créée après la Seconde guerre mondiale par le traité de l’Atlantique Nord (TAN) le 4 avril 1949, l’OTAN répond originellement à la volonté de maintenir une garantie de sécurité américaine en Europe occidentale face au renforcement de la menace soviétique. Depuis sa création, l’OTAN incarne ainsi la solidarité militaire au cœur de la relation transatlantique. Durant toute la Guerre froide, l’Alliance n’a eu qu’une mission fondamentale : la défense collective, qui repose sur l’article 5 du traité, en vertu duquel une attaque contre un membre de l’Alliance sera interprétée comme une attaque contre tous.

L’effondrement du bloc de l’Est à partir de 1989 a conduit à une remise en cause profonde pour l’Alliance, qui perdait sa principale raison d’être. Dans ce contexte, l’Alliance s’est vue confier une deuxième mission : la coopération dans le domaine de la sécurité, ou « sécurité coopérative », afin de créer les conditions d’un environnement international plus sûr. Sur ce fondement, les Alliés ont signé la « Déclaration de Rome » du 8 novembre 1991 qui ouvre l’OTAN aux anciens pays du bloc soviétique, ce qui s’est concrétisé par l’adhésion, dès 1999, de trois premiers pays, la Pologne, la Hongrie et la République tchèque. L’OTAN a également lancé le « Partenariat pour la Paix », un programme de coopération militaire avec plusieurs pays partenaires qui n’ont pas vocation à adhérer. La Russie a adhéré à cette initiative à laquelle elle reste membre, même si le partenariat avec ce pays est aujourd’hui en sommeil.

L’OTAN est entrée dans la troisième phase de son histoire après les attaques terroristes du 11 septembre 2001 à New York. Ces attentats ont conduit à au seul cas d’activation de l’article 5 du TAN pour légitimer le soutien de l’OTAN à la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) en Afghanistan. L’article 5 du TAN a été employé, non pas sur le fondement de la défense collective, mais sur la base de ce qui été reconnu comme la troisième mission de l’Alliance : la gestion de crise ([13]). L’OTAN reste encore présente en Afghanistan dans le cadre de la mission non combattante Resolute Support qui prévoit une assistance aux forces de sécurité et aux institutions afghanes.

B.   L’OTAN Aujourd’hui, sous le concept stratÉgique de 2010

Pour mieux marquer l’évolution de ses priorités, l’OTAN a développé des « concepts stratégiques », qui fixent ses missions et son niveau d’ambition. Le concept stratégique de l’OTAN, intitulé « engagement actif, défense moderne », a été adopté lors du sommet de l’OTAN à Lisbonne en 2010 ([14]).

Toujours en vigueur aujourd’hui, le concept stratégique de 2010 dresse un inventaire détaillé des menaces pour l’Alliance, parmi lesquelles les processus de modernisation des armées dans certaines régions du monde, la prolifération des missiles balistiques et des armes de destruction massive (AMD), le développement du risque cyber ou encore le terrorisme décuplé par les progrès technologiques. Ainsi que l’explique le général Denis Mercier, ancien chef du commandement suprême allié pour la transformation (SACT) de l’OTAN, s’« il ny a plus dennemi, cela ne veut pas dire quil ny a pas de menaces ».

Cette analyse de l’environnement stratégique impose à l’Alliance de pouvoir répondre à tous les types de défis et de menaces sécuritaires, quelle que soit leur origine, et d’adopter une posture dite « à 360° ». Le concept stratégique de 2010 réaffirme donc les trois « tâches fondamentales » acquises par l’Alliance au cours de son histoire : la défense collective, la sécurité coopérative et la gestion de crise.

Pour assurer ces grandes tâches, les chefs d’État et de Gouvernement de l’Alliance réunis à Lisbonne ont construit la posture actuelle de l’Alliance, qui a par la suite connu divers ajustements lors des sommets de Chicago en 2012, au Pays de Galles en 2014, à Varsovie en 2016 et à Bruxelles en 2018. Cette posture de défense repose avant tout sur un équilibre entre dissuasion nucléaire, forces conventionnelles et une défense aérienne et antimissile intégrée. Sur cette base, les Alliés définissent leur niveau d’ambition opérationnelle et leur niveau d’ambition pour la planification de défense dans le cadre du cycle capacitaire de l’OTAN.

II.   L’OTAN continue de s’adapter À l’Évolution de la menace

A.   Les menaces se multiplient et se durcissent

Déjà ancienne, la menace terroriste reste une préoccupation majeure. Alors que la situation reste chaotique en Afghanistan près de vingt ans après le lancement des opérations militaires occidentales, le Sahel et le Levant sont désormais les théâtres d’une nouvelle guerre au long cours. Cet engagement durable à des effets déstabilisants, dont la multiplication d’attentats d’inspiration djihadiste commis sur les territoires nationaux, le risque du retour des djihadistes démobilisés et l’accélération des flux migratoires vers l’Europe.

Surtout, la dernière décennie se caractérise par le retour des rapports de force entre États puissance provoquant, selon les termes du général Bernard Barrera, major général de l’armée de terre, un « réveil brutal du monde ». Alors que de nombreux pays consentent des efforts considérables pour leur défense, la suprématie militaire occidentale dans les milieux d’affrontement classiques (terre, air et mer) est de plus en plus contestée. La multiplication des systèmes de déni d’accès et d’interdiction de zone (anti access, area denial, ou A2/D2) réduit la capacité des Alliés à pénétrer certains espaces stratégiques. Cette nouvelle donne stratégique se traduit déjà par un renforcement des tensions dans le monde.

De par sa compétence géographique, l’OTAN est essentiellement confrontée au retour de la Russie. Les tensions se sont accrues avec la remontée en puissance de l’appareil militaire russe avant de culminer avec l’annexion de la Crimée et la crise en Ukraine à partir de 2014. La puissance russe adopte aujourd’hui une posture agressive vis-à-vis de l’est de l’Europe et des exercices de l’OTAN, en même temps qu’elle renforce sa présence militaire dans de nombreux pays en crise, en Syrie, en Centrafrique ou en Libye.

En parallèle, le champ de l’affrontement ne cesse de s’étendre et de nouvelles menaces apparaissent. Dans le domaine cyber, les actions d’espionnage, de déstabilisation et les agressions à l’encontre des membres de l’Alliance sont aujourd’hui quotidiennes. Dans l’espace exo-atmosphérique, de nouveaux systèmes permettent à certains pays de protéger leurs capacités et de mener des actions agressives, ce qui inclut l’espionnage et la destruction de moyens adverses. Certaines démonstrations de puissance, des tirs antisatellites aux brouillages des systèmes de positionnement, ont récemment confirmé que l’espace est aujourd’hui devenu un nouveau champ de confrontation.

Enfin, si l’environnement stratégique de l’Alliance est non seulement plus dangereux, il est aussi plus instable. L’ensemble de la périphérie de l’Alliance est marqué par des crises et des conflits, des révoltes arabes de 2010-2011 ([15]) à la guerre civile syrienne, en passant par l’affrontement qui perdure dans l’est de l’Ukraine. À une autre échelle, la poursuite de la course aux armements dans le monde, les risques d’une relance de la prolifération nucléaire en Iran et en Corée du Nord et la dispersion des missiles balistiques ou de croisières, dont certains sont désormais entre les mains d’acteurs non étatiques comme les Houthis au Yémen, alimentent les inquiétudes des Alliés.

Le multilatéralisme a été, par le passé, une réponse à l’aggravation des tensions mondiales. Force est aujourd’hui de constater la crise du multilatéralisme qui se traduit par l’érosion progressive mais rapide de l’architecture de sécurité collective, ce dont témoigne la violation des traités qui l’encadrent, comme le traité sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI) par la Russie, et la remise en cause des accords négociés, comme l’accord sur le nucléaire iranien par les États-Unis.

B.   L’OTAn s’adapte à l’Évolution de la menace

Si l’OTAN est parfois critiquée pour sa capacité d’adaptation à l’évolution des menaces, votre rapporteur estime que cette critique est en large partie infondée. Certes, le concept stratégique de l’OTAN a désormais près de dix ans, mais il n’empêche pas l’Alliance de s’adapter à l’évolution du contexte sécuritaire.

L’intensification de la menace terroriste et l’émergence de la crise migratoire ont conduit l’OTAN, à l’initiative des pays européens riverains de la Méditerranée, à porter une attention accrue aux défis provenant de son flanc Sud. L’Alliance a ainsi renforcé sa contribution à lutte internationale contre le terrorisme en rejoignant la coalition internationale contre Daech en 2017 ainsi qu’à travers ses activités de formation des forces de sécurité irakiennes.

Surtout, la réémergence des tensions avec la Russie a conduit les Alliés à renforcer le pilier défense collective de lAlliance. Comme l’a expliqué à votre rapporteur M. Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), « en 2014, lOTAN a retrouvé le cœur de sa mission », permettant à l’organisation de mettre de côté les interrogations sur sa raison d’être qui n’avaient cessé depuis la fin de l’Union soviétique.

L’OTAN a déployé de nombreux concepts pour avoir des forces facilement déployables de manière à réagir contre toute tentative de déstabilisation menée par la Russie. Le sommet de Newport, au Pays de Galles, en 2014, a permis de créer une force de réaction rapide en alerte sous très court préavis. À l’occasion du sommet de Varsovie en 2016, les Alliés ont mis en place la présence avancée renforcée (Enhanced Forward Presence – EFP), un contingent permanent stationné à l’est de l’Europe qui a pour but de dissuader la Russie de mener de nouvelles actions de déstabilisation dans son environnement proche et, par conséquent, de rassurer les pays baltes qui vivent dans l’obsession du retour de la Russie.

Les mesures de fermeté vis-à-vis de la Russie se sont renforcées en 2018 avec l’adoption, lors du sommet de Bruxelles, de l’initiative « 4 × 30 » dont l’objectif est, selon l’Alliance, de pouvoir déployer « 30 bâtiments de premier rang, 30 bataillons de manœuvre moyens ou lourds et 30 escadrons de chasse, assortis de forces facilitatrices, et prêts à être déployés dans un délai maximum de 30 jours » ([16]). Par ailleurs, les Alliés, qui mènent régulièrement des exercices en commun, ont organisé un exercice de grande ampleur baptisé « Trident Juncture » qui s’est déroulé en Norvège à la fin de l’année 2018 sur la base d’un scénario de défense collective au titre de l’article 5 du TAN.

Depuis le sommet de Varsovie de 2016, les Alliés ont toutefois tenu à rétablir un équilibre entre la fermeté et le dialogue avec la Russie. Ce dialogue prend la forme de réunions « OTAN-Russie » et le maintien en permanence, au niveau politique et militaire, d’un canal minimal d’échange entre l’Alliance et la partie russe. Au niveau bilatéral, certains pays de l’Alliance, comme la Norvège, entretiennent par ailleurs des relations très soutenues avec la Russie. Si l’on en croit les récents propos du Président de la République à la conférence des ambassadeurs et des ambassadrices au mois d’août dernier, la France devrait se rapprocher de la Russie pour l’amener à une approche plus constructive.

III.   Malgré les dissensions, l’alliance n’est pas menacée

A.   L’unité de l’Alliance est affaiblie

1.   Les divergences d’analyse stratégique

Les Alliés n’ont plus la même appréciation de la menace ou, à tout le moins, de l’intensité de chaque menace. La sensibilité au risque d’un conflit de haute intensité varie beaucoup entre les pays : les pays baltes y sont beaucoup plus sensibles que l’Italie et la France, qui ne font pas face à la même menace existentielle. Les pays du sud de l’Europe sont quant à eux davantage préoccupés par la menace terroriste et l’instabilité de la zone euro-méditerranéenne.

La posture « à 360° » et l’affirmation de la cohérence des trois tâches fondamentales du concept stratégique sont essentielles pour maintenir la cohésion de l’Alliance face à l’ensemble des menaces. Les nombreuses mesures de réassurance prises vis-à-vis des pays de l’est de l’Europe, de même que la prise en compte du phénomène terroriste dans les missions de l’OTAN, écartent en partie le risque d’un découplage entre Alliés. Néanmoins, ainsi que le note M. Bruno Tertrais, il reste difficile de savoir si l’unité de l’Alliance survivrait à l’hypothèse d’un conflit majeur avec la Russie ou d’un événement majeur en dehors de l’Atlantique Nord, comme un affrontement entre les États-Unis et l’Iran.

La plus grande inquiétude porte aujourd’hui sur la Turquie, qui représente la deuxième armée de l’OTAN du point de vue des effectifs, mais dont les valeurs et les intérêts divergent de plus en plus du reste des membres de l’Alliance. La divergence stratégique de la Turquie par rapport au reste de l’OTAN a éclaté avec la décision turque d’acquérir des systèmes de défense antiaérienne et antimissile S-400 auprès de la Russie, ce qui a conduit les États-Unis à suspendre en retour la vente des avions de chasse F-35 à la Turquie. Les interventions menées contre les Kurdes en Syrie, pourtant alliés des Occidentaux dans la lutte contre Daech, renforcent la prise de distance de la Turquie vis-à-vis l’OTAN.

Votre rapporteur rappelle que, depuis son adhésion en 1952 et pendant toute la Guerre froide, la Turquie a longtemps été un pilier essentiel pour l’OTAN face aux puissances du pacte de Varsovie. Toutefois, les événements récents, qui produisent une situation à front renversé, doivent conduire les Alliés à s’interroger sur la place de la Turquie au sein de l’OTAN.

2.   Les relations transatlantiques sont en crise

Les relations transatlantiques connaissent des tensions importantes sur la question du partage du « partage du fardeau » de la sécurité de l’Atlantique Nord. Depuis de nombreuses années, les États-Unis reprochent aux pays européens de se reposer sur la garantie de sécurité américaine apportée dans le cadre de l’OTAN pour se défausser de leurs responsabilités en matière de sécurité.

La question du partage du fardeau s’est imposée comme un sujet majeur de l’Alliance depuis le sommet du Pays de Galles en 2014. À cette occasion, les chefs d’État et de Gouvernement de l’Alliance se sont engagés, dans le cadre du Defence Investment Pledge (DIP), à porter les dépenses de défense de leur pays à un niveau de 2 % du PIB, dont un minimum de 20 % des dépenses consacrées aux investissements capacitaires, en l’espace de dix ans.

Sept pays sur les vingt-neuf États membres de l’OTAN ont d’ores et déjà atteint la cible des 2 %. Ces pays comprennent, d’une part, certains Alliés historiques (les États-Unis et le Royaume-Uni) et, d’autre part, des pays qui ont de fortes inquiétudes pour leur sécurité (Estonie, Lettonie, Roumanie, Pologne et Grèce).

 

Source : OTAN (juin 2019).

La capacité des pays européens à assurer leur sécurité ne saurait se réduire au volume des dépenses de défense de chaque pays pris individuellement. Pour cette raison, l’OTAN mesure la contribution des Alliés au partage du fardeau à l’aune, non seulement du volume financier consacré à la défense, mais aussi des capacités opérationnelles et de la faculté de projection de ces capacités.

Si la France investit plus de 20 % de son budget de défense dans des équipements majeurs, elle reste encore en deçà de l’objectif des 2 % du PIB, objectif qu’elle s’est engagée à atteindre en 2025 dans le cadre de l’actuelle LPM. En revanche, l’armée française dispose de capacités militaires de pointe et se déploie dans différentes régions du monde, du Sahel au Levant, ce qui contribue activement à la sécurité de l’Atlantique Nord.

En dépit des efforts affichés par les pays européens, l’exigence d’un meilleur partage du fardeau est redevenue une priorité depuis l’élection de Donald Trump. Les critiques répétées du président américain vis-à-vis de ses Alliés européens, au premier rang desquels l’Allemagne, suscitent de fortes inquiétudes sur la solidité de la relation transatlantique. Chaque sommet des chefs d’État et de Gouvernement comporte désormais un risque d’image sur l’unité de l’OTAN compte tenu de la facilité avec laquelle le président Trump condamne une Alliance qu’il a qualifiée d’« obsolète » à de multiples reprises.

Selon M. Olivier Sueur, sous-directeur de l’action multilatérale à la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) du ministère des armées, le déséquilibre de l’Alliance atlantique est devenu un point de crispation majeur sous l’administration Trump pour plusieurs raisons :

– la lassitude de l’ensemble de la classe politique américaine, aussi bien démocrate que républicaine, vis-à-vis d’une Europe qui peine à assumer ses responsabilités ;

– la conviction du Président Trump que la faible contribution des pays européens à leur outil de défense leur confère un avantage commercial ;

– la difficulté des États-Unis à exporter leurs matériels de défense vers l’Europe sans une plus forte hausse du budget de défense des pays européens.

Les tensions au sein de l’Alliance atlantique ont atteint un tel niveau que, selon M. Bruno Tertrais, l’hypothèse d’un retrait des États-Unis de l’OTAN en cas de réélection de Donald Trump en 2020 n’est plus inenvisageable.

Les divergences entre les États-Unis et les pays européens, bien réelles, sont toutefois à nuancer. L’ensemble des pays de l’OTAN ont affirmé leur attachement aux trois tâches fondamentales de l’Alliance. Par ailleurs, une importante présence militaire américaine se maintient sur le sol européen, avec des chiffres en hausse par rapport à l’administration Obama ([17]). Ces éléments invitent à davantage d’optimisme sur l’avenir de l’OTAN.

LOTAN, une alliance dominée par les États-Unis ?

L’OTAN est parfois qualifiée d’instrument de domination des États-Unis, soucieux d’exercer une forme de « tutelle » sur une Europe affaiblie et dépendante du parapluie sécuritaire américain. C’est l’idée défendue par l’ancien général Dominique Delawarde et la chercheuse hongroise Hajnalka Vincze qui estiment que la montée en puissance de l’OTAN s’est traduite par des abandons de souveraineté successifs de l’Europe. L’OTAN serait fondée sur une « logique transactionnelle » entre les États-Unis et l’Europe, cette dernière acceptant un lien de subordination en échange de la protection du monde libre. L’Europe aurait donc intérêt à se libérer de cette organisation dominée par les États-Unis.

Si les États-Unis conservent une influence considérable sur l’OTAN, forts de leur poids politique mais aussi de leur contribution financière et matérielle, votre rapporteur considère que cette image de subordination mécanique doit être relativisée. D’un point de vue institutionnel, le processus de prise de décision par consensus confère à chaque Allié un pouvoir de veto de facto. D’un point de vue stratégique, l’intérêt américain pour l’OTAN en tant qu’outil d’influence doit être nuancé. Vue de Washington, l’Alliance est davantage un outil de maintien de la supériorité occidentale contre des puissances émergentes qu’un cheval de Troie destiné à entretenir la dépendance européenne vis-à-vis des États-Unis.

B.   La résilience de l’OTAN tient avant tout à la démonstration de son utilité

1.   À quoi sert encore l’OTAN ?

En dépit de l’évolution rapide de l’environnement sécuritaire et des tensions entre Alliés, l’OTAN continue de jouer un rôle utile soixante-dix ans après sa création, ce qui garantit la résilience de cette organisation militaire.

En premier lieu, l’ensemble des pays européens conçoivent leur défense, en matière de doctrine, de normes et de capacités, dans le cadre de l’OTAN. Cette règle ne comporte que deux exceptions : la Turquie, compte tenu son analyse stratégique propre, et la France, en raison de sa tradition d’autonomie nationale.

En deuxième lieu, l’OTAN est le seul cadre d’action collective permettant de faire face à l’hypothèse d’un conflit armé sur le continent européen. L’UE reste dans l’incapacité de gérer cette menace. Le sommet de Bruxelles en 2018 a démontré l’attachement de l’ensemble des Alliés à un certain nombre de fondamentaux, parmi lesquels l’article 5 du TAN. Depuis 1949, cette crédibilité de l’OTAN sur le plan de la défense collective contribue à garantir la paix.

En troisième lieu, l’OTAN est une matrice d’interopérabilité qui permet de combattre ensemble. L’interopérabilité, qui repose sur l’adoption de normes communes, est éprouvée à l’occasion des exercices et des opérations de l’OTAN. Elle permet aux Alliés d’agir ensemble, y compris hors de l’OTAN. À titre d’exemple, l’interopérabilité permet aujourd’hui aux Britanniques de fournir des hélicoptères qui s’intègrent parfaitement dans l’opération Barkhane.

Enfin, l’OTAN est un forum crédible sur la question nucléaire et sur la maîtrise des armements parce qu’elle a une approche exclusivement fondée sur la sécurité collective et la stabilité stratégique. Dans des organisations comme l’ONU ou l’UE, ces sujets seraient traités sous l’angle du désarmement ainsi que l’a montré, par exemple, l’adoption par cent vingt-deux États réunis au sein de l’Assemblée générale des Nations Unies d’un traité sur l’interdiction complète des armes nucléaires (TIAN) en juillet 2017. L’OTAN est donc le meilleur cadre pour rebâtir une nouvelle architecture de sécurité collective, récemment mise à mal par la dénonciation du traité FNI par les États-Unis.

2.   Une organisation en voie d’élargissement

La bonne santé de l’OTAN s’illustre également par l’attrait que cette organisation militaire continue d’exercer sur de nombreux pays.

Le prochain élargissement concernera la Macédoine du Nord. Les vingt-neuf États membres de l’Alliance ont signé le protocole d’accession de la Macédoine du Nord à l’OTAN le 6 février 2019 et l’adhésion sera effective après ratification de ce protocole par chaque membre de l’Alliance.

L’élargissement comporte deux dimensions :

– d’un côté, l’élargissement à certains pays comme les Balkans participe d’une dynamique positive en ce qu’il contribue à la stabilisation de la région. L’adhésion du Monténégro en 2017 et, bientôt, de la Macédoine du Nord montre que le processus d’intégration des Balkans est en cours, mais il sera plus compliqué à mener jusqu’à son terme pour la Bosnie et la Serbie ;

– d’un autre côté, l’élargissement aux pays dans la sphère d’influence de la Russie est susceptible d’avoir des conséquences négatives. La Russie a démontré, par ses réactions violentes, qu’elle considérait l’adhésion à l’OTAN de certains pays, comme l’Ukraine et la Géorgie, comme une atteinte à sa sécurité nationale. L’engagement de l’OTAN en faveur de l’adhésion à terme de la Géorgie a ainsi largement contribué à l’éclatement de la deuxième guerre d’Ossétie du Sud en août 2008. Votre rapporteur estime que, dans le contexte actuel, l’adhésion de ces pays à l’OTAN ne doit pas être précipitée.

IV.   les alliés doivent travailler à l’avenir de l’oTAn

A.   Vers un nouveau concept stratégique ?

En 2019, l’Alliance reste régie par le concept stratégique de 2010. Comme on l’a vu, ce concept stratégique assure l’unité de l’Alliance par la réaffirmation des trois « tâches fondamentales » qui fondent la posture « à 360° » de l’OTAN. Par ailleurs, les sujets identifiés dans le concept stratégique anticipaient largement les évolutions du contexte mondial dans les années 2010, comme l’importance de la sécurité des voies d’approvisionnement énergétique ou la menace des nouvelles technologies comme la guerre électronique.

Cependant, le paysage sécuritaire a sensiblement évolué depuis 2010. À cette époque, l’Atlantique Nord connaissait une période de relatif apaisement : l’OTAN ne connaissait pas de menace étatique proche et son effort majeur portait sur l’Afghanistan, à des milliers de kilomètres de l’espace euro-atlantique. Aujourd’hui, alors que le monde est devenu plus dangereux et plus instable, certaines hypothèses décrites dans le concept de 2010 ne sont plus valides. Le général Denis Mercier identifie trois hypothèses obsolètes : « la reconnaissance du partenariat avec la Russie, laffirmation quun conflit interétatique est hautement improbable ou que le flanc sud de lAlliance est une zone stable. »

Certes, l’Alliance a tout de même su évoluer au cours de la dernière décennie. Dernièrement, la stratégie militaire de l’Alliance adoptée en mai 2019 propose une nouvelle description du contexte stratégique qui intègre des éléments de prospective comme le changement climatique ou les migrations. Toutefois, ce type d’ajustement n’emporte pas le même effet sur l’Alliance que l’adoption d’un nouveau concept stratégique. En dépit de la difficulté de rouvrir ce débat avec vingt-neuf États membres, il sera bientôt nécessaire de réécrire un concept stratégique.

Au-delà de la mise à jour du concept stratégique au contexte sécuritaire actuel, les Alliés devront s’interroger sur les nouvelles menaces.

1.   L’évolution des technologies

Alors que le champ de la confrontation ne cesse de s’accroître, l’OTAN doit adapter ses modes d’action aux nouvelles frontières de la guerre :

– le risque cyber est désormais reconnu comme un champ d’affrontement par l’Alliance. Lors du sommet de Varsovie en 2014, les Alliés ont énoncé la nécessité d’intégrer cette nouvelle menace dans la stratégie de défense collective et la possibilité d’invoquer l’article 5 à la suite d’une cyberattaque ;

– l’espace fait l’objet de réflexions approfondies au sein de l’OTAN, ce dont témoigne l’adoption d’une politique générale spatiale en juin 2019. Comme pour le cyber, l’OTAN envisage de faire de l’espace exo-atmosphérique un domaine d’opérations à part entière ;

– enfin, les Alliés ont la volonté d’anticiper les effets de l’innovation de défense, de l’intelligence artificielle aux armes autonomes, qui pourraient avoir des conséquences considérables sur la manière de faire la guerre.

2.   L’essor de la Chine

L’OTAN a un champ de compétence limité à la zone de l’Atlantique Nord. Or, à ce jour, la Chine n’est pas une menace sur le territoire de l’Alliance et n’a donc a priori pas vocation à intéresser l’OTAN.

Pourtant, la question chinoise est de plus en plus discutée au sein de l’OTAN. Ainsi que l’explique M. Guillaume Lasconjarias, chercheur sur les questions de défense, les investissements chinois dans le secteur des télécommunications font peser des risques d’interception des communications militaires, tandis que les prises de contrôle des infrastructures portuaires européennes pourraient limiter la mobilité des forces de l’OTAN.

Certaines hypothèses particulières pourraient faire entrer la Chine dans le viseur de l’OTAN. Tel serait le cas si la Marine chinoise renforçait sa présence en Méditerranée, qui est sur le territoire couvert par le traité. À une autre échelle, en cas de conflit entre la Chine et les États-Unis, les pays solidaires des États-Unis seraient menacés collectivement par la Chine, ce qui justifierait une réaction de l’Alliance.

Au-delà de ces inquiétudes, certes bien réelles, les États-Unis sont en grande partie responsables du foisonnement des réflexions qui concernent la Chine au sein de l’OTAN. Alors que les États-Unis ont repositionné leurs intérêts commerciaux vers l’Asie, la puissance américaine s’interroge sur ses capacités militaires vis-à-vis de son principal adversaire. En ce sens, les Alliés discutent de la Chine pour démontrer l’utilité de l’OTAN aux États-Unis.

Si les réflexions sur la Chine à l’OTAN constituent sans doute un phénomène de surréaction, elles ont pour mérite de participer à un éveil des consciences sur l’influence chinoise qui permet notamment de décentrer certains États pour qui la Russie est la seule obsession.

Votre rapporteur estime que la Chine ne doit pas, pour l’instant, conduire à une modification de la posture de défense de l’OTAN. Alors que la Chine, traditionnellement portée par une ambition régionale, développe depuis quelques années une stratégie d’influence mondiale, il n’est cependant pas exclu que la Chine soit, à terme, prise en compte comme une menace pour les Alliés.

3.   Les conséquences sécuritaires du réchauffement climatique

Si des réflexions sont en cours sur ce sujet, le changement climatique n’est pas perçu comme une menace en tant que telle par l’OTAN, même si celui-ci pourrait aggraver certains facteurs de déstabilisation.

Votre rapporteur s’est interrogé sur les conséquences de la fonte des glaces sur le niveau de conflictualité dans l’Arctique. Pour rappel, durant la Guerre froide, l’Arctique était un terrain d’affrontement entre les deux blocs qui était marqué par la présence de radars et de sous-marins. L’Arctique ne devrait pas redevenir un terrain de confrontation pour plusieurs raisons :

– les ressources les plus importantes sont situées dans les eaux territoriales des États, et non dans les eaux internationales ;

– le cercle polaire reste un lieu très hostile, peu propice aux actions de combat ;

– l’Arctique est aujourd’hui un lieu de coopération plus que de conflictualité, ce qui explique que certains Alliés, comme le Canada, la Norvège ou le Danemark, sont réticents à ce que l’OTAN y soit plus présente.

De façon générale, votre rapporteur considère que les Alliés doivent résister à la tentation d’élargir sans limites les compétences de l’OTAN. C’est la position défendue avec constance par la France, qui estime depuis longtemps que « l’OTAN ne doit pas devenir une organisation englobant des compétences disparates qui n’auraient plus aucun lien avec son cœur de métier » ([18]). L’Alliance doit donc se concentrer sur son domaine d’excellence et rechercher un meilleur partage des tâches avec l’UE.

B.   Vers une plus grande complémentarité avec l’UE ?

L’UE et l’OTAN entretiennent des liens importants en raison du fait que l’UE regroupe la plupart des Alliés, et réciproquement. Compte tenu du conflit qui oppose la Grèce et la Turquie sur Chypre, les relations entre les deux organisations ne sont pas formalisées et reposent sur des relations de travail entre institutions.

Pour lOTAN, quelle relation avec lONU ?

Contrairement à l’UE et l’OTAN, l’ONU est une organisation internationale dont les membres sont issus du monde entier. L’OTAN ne concerne pas la majeure partie des pays membres de l’ONU, dont deux des cinq membres du conseil de sécurité qui tendent d’ailleurs à voir l’OTAN comme une organisation hostile. De ce fait, selon M. Olivier Sueur, l’OTAN et l’ONU entretiennent des relations « excessivement faibles ». Les deux organisations disposent d’un bureau de liaison et ne coopèrent que très ponctuellement.

Au cours des trente dernières années, l’OTAN et l’UE ont multiplié les points de convergence. Lancée au début des années 1990, cette coopération portait essentiellement, au cours des années 2000, sur l’approfondissement des relations institutionnelles entre les deux organisations et sur la gestion de crises, dont le cadre a été fixé par les accords de « Berlin plus » de mars 2003.

Depuis le sommet de Lisbonne de 2010, les chefs d’État et de gouvernement de l’Alliance ont opté pour une approche fondée sur des coopérations concrètes. La coopération se déploie actuellement dans plusieurs domaines parmi les plus avancés, comme la lutte contre les menaces hybrides et les cybermenaces et la mobilité militaire.

Alors que les Alliés se sont entendus sur la nécessaire complémentarité entre les deux organisations, la récente montée en puissance de l’UE dans le domaine de la défense modifie cet équilibre. Plusieurs nouvelles initiatives européennes en matière de défense méritent d’être citées :

– le fonds européen de défense (FEDEF) permet aux Européens de financer des projets communs dans le domaine de la défense. Plusieurs programmes pilotes sont d’ores et déjà lancés ;

– la coopération structurée permanente (CSP) est un cadre pour le développement de projets participant au renforcement des capacités d’action européennes. Trente-quatre projets sont en cours ;

– l’initiative européenne dintervention (IEI), décidée hors du cadre de l’UE, a pour ambition de développer une culture stratégique européenne commune afin de permettre, à terme, aux Européens d’intervenir ensemble.

L’ensemble de ces initiatives participent à la construction d’une autonomie stratégique européenne. Votre rapporteur estime que ce terme implique, non pas la remise en cause des engagements des Européens au titre de l’OTAN, qui reste l’expression de la solidarité transatlantique et le cœur de la défense collective du continent, mais simplement la prise en charge par les Européens de leurs responsabilités en matière de défense. Il importe d’écarter toute incompréhension sur ce point vis-à-vis des États-Unis, prompts à critiquer certaines initiatives européennes qui contribuent pourtant à la posture de l’OTAN et participent pleinement au partage du fardeau défendu par les États-Unis.

L’émergence d’un pilier européen plus fort et plus responsable accentue aujourd’hui la nécessité d’une meilleure coordination entre l’OTAN et l’UE. Deux pistes pourraient être explorées :

– les missions de l’OTAN pourraient être recentrées sur la défense collective, tandis que l’UE et les nations européennes hériteraient de la gestion des crises qui ont une incidence sur l’Europe. Si l’Europe s’était montrée impuissante à gérer les guerres de l’ex-Yougoslavie, la montée en puissance des capacités de défense et d’intervention européennes doit pouvoir conduire l’UE à faire face à de telles crises à l’avenir. Demain, ainsi que l’imagine le général Bernard Barrera, l’UE doit pouvoir mener des interventions équivalentes à l’opération Serval menée par la France au Mali en 2013 ;

– l’UE pourrait fournir un appui constant à l’OTAN pour apporter une réponse non militaire à certaines menaces. En effet, pour lutter contre certaines menaces, la réponse militaire, qui est la seule dont est capable l’OTAN, est insuffisante. L’Alliance doit donc être soutenue par l’UE qui a le pouvoir d’édicter des normes. À titre d’exemple, l’UE doit pouvoir définir des règles visant à la limiter la participation des entreprises étrangères sur les réseaux d’infrastructures critiques pour limiter la menace chinoise naissante.

Votre rapporteur rappelle que la volonté française de construire une défense européenne ne sera crédible auprès de ses partenaires que si ce projet est articulé avec l’OTAN et si la France est elle-même crédible au sein de l’OTAN. La France a déjà fait des efforts pour renforcer sa présence au sein de l’Alliance. La réintégration de la France dans le commandement intégré de l’OTAN en 2009 a relevé le pouvoir d’influence de la France à la hauteur de son pouvoir militaire. L’objectif des 2 % du PIB consacré à l’effort de défense s’inscrit également dans cette volonté de renforcer la crédibilité de la France au sein de cette organisation.

Le général Denis Mercier regrette cependant que la France continue d’être réticente à peser davantage dans l’OTAN. La France a ainsi refusé de prendre le commandement d’un des quatre bataillons de la présence avancée renforcée. Nous ne sommes pas non plus très actifs pour porter les normes françaises auprès de l’OTAN. Cet effort est portant nécessaire pour peser ensuite dans l’UE.



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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 23 octobre 2019, la commission des affaires étrangères examine le présent avis budgétaire.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Chers collègues, nous entamons aujourd’hui notre deuxième séance d’examen des avis budgétaires dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020, en commençant par la mission Défense, pour laquelle Guy Teissier est notre rapporteur pour avis.

Le budget pour 2020 représente la deuxième année d’application de la loi de programmation militaire (LPM) pour la période 2019-2025, qui prévoit un effort financier de la Nation pour les armées dans un contexte global marqué par la maîtrise de la dépense publique.

Comme en 2019, ce budget prévoit une hausse des moyens accordés à la défense de 1,7 milliard d’euros, ce qui est fidèle à la trajectoire qui doit conduire la France à consacrer 2 % de son produit intérieur brut (PIB) à sa défense d’ici 2025.

Monsieur le rapporteur, vous avez décidé de consacrer une partie importante de votre avis budgétaire aux conditions de vie des militaires. Vous rappelez que la priorité donnée à la modernisation des équipements ne doit pas faire oublier que chaque soldat a besoin d’un soutien à la fois matériel et moral. Ce soutien est indispensable pour préserver l’engagement de nos soldats et accorder une juste compensation à leurs sacrifices.

L’autre partie de votre rapport porte sur l’avenir de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), alors que cette organisation militaire a soixante-dix ans cette année. Vous vous interrogez sur la capacité de l’Alliance à s’adapter aux bouleversements du contexte sécuritaire international et à surmonter ses divisions internes, notamment sur l’épineuse question du « partage du fardeau ».

L’actualité la plus récente – je fais allusion bien sûr à l’agression turque dans le Nord-Est syrien – doit nous conduire à nous demander si le socle de valeurs et d’intérêts communs qui fonde l’Alliance existe toujours. J’ai été frappée comme vous de l’absence à peu près totale de réaction du secrétaire général de l’OTAN, qui a seulement demandé aux Turcs de faire preuve de retenue, alors que les États-Unis avaient abandonné sur le terrain leurs alliés, membres de l’OTAN, et amis kurdes, et que la Turquie, membre de l’OTAN, avait agressé et continue d’agresser ses alliés et amis kurdes dans le combat contre le terrorisme. Comprenne qui pourra !

Monsieur le rapporteur, l’OTAN existe-t-elle toujours ? Vous ne manquerez sans doute pas de revenir sur cette question.

M. Guy Teissier, rapporteur pour avis. Madame la présidente, vaste programme que celui que vous venez d’énoncer !

Chers collègues, notre présidente a introduit le sujet. Je ne surprendrai personne en disant que j’attendais avec impatience cette deuxième annuité pour voir si elle s’inscrirait dans la continuité de la volonté présidentielle de porter le budget de la défense nationale à 2 % du PIB attendus d’ici à 2025. Force est de reconnaître que le budget attendu est au rendez-vous avec une hausse des crédits de 1,7 milliard d’euros. Il progresse donc vers ce qui était pour moi non pas un horizon lorsque je présidais la commission de la défense nationale et des forces armées mais un mirage, faute de ne pouvoir être atteint.

Les crédits sont bien au rendez-vous, mais tout dépend toujours de leur exécution, car il y a une partie affichage et une partie réalisation. C’est la raison pour laquelle, pendant mes dix années de présidence, j’avais créé une commission d’abord uniquement constituée de députés, puis de députés et de sénateurs, afin de contrôler tous les trois mois la bonne exécution du budget. Je regrette que, dans l’année qui vient de s’écouler, les armées aient peiné à absorber l’augmentation du budget. Sans doute ont-elles été dépassées par le flot des commandes et par le grand nombre d’infrastructures à construire, mais cela affaiblit le ministère des armées dans les négociations interministérielles.

J’avais créé à l’époque une encoche budgétaire pour les opérations extérieures (OPEX), puisque les armées prenaient sur leur substantifique moelle le budget qui leur était nécessaire, lequel devait ensuite être compensé dans le cadre des négociations interministérielles. Depuis plus de dix ans, les OPEX ont leur budget propre. À mon époque, on y consacrait 400 millions d’euros, ce qui était nettement insuffisant. Aujourd’hui, je reconnais un effort de « sincérisation » du budget, puisque 1,1 milliard sont consacrés aux OPEX et 100 millions sont dédiés aux opérations intérieures (OPINT), montants qui se rapprochent des coûts effectifs des opérations à mener.

Par ailleurs, alors qu’une grande partie des crédits est consacrée à la modernisation des équipements, le ministère des armées doit assurer un suivi rigoureux des programmes d’armement afin d’éviter les retards dommageables au rattrapage capacitaire dans lequel les armées sont engagées. Le développement du Barracuda, nouveau sous-marin nucléaire d’attaque – jusqu’à présent, tous nos sous-marins d’attaque étaient de type dit classique, donc diesel –, a pris trois ans de retard. Il faudrait réduire le retard dans la livraison de nos armements. C’est vrai aussi pour d’autres programmes.

Au-delà de ces considérations budgétaires, j’ai souhaité consacrer mon avis à trois sujets importants pour nos armées : l’amélioration des conditions de vie de nos soldats, hommes du rang, sous-officiers ou officiers ; l’avenir du traité de l’Atlantique nord et le rôle de l’OTAN aujourd’hui ; et enfin, le service de santé des armées, petit service dont on parle peu, presque oublié, mais si important pour la vie de nos soldats, surtout lorsqu’ils se trouvent sur des terrains d’opération.

Concernant les conditions de vie de nos militaires, si le sujet peut paraître périphérique au regard des grands programmes d’équipement en cours, il est en réalité vital pour le bon fonctionnement de nos armées. Si de nouveaux jeunes gens embrassent la carrière militaire, puis y restent, c’est qu’ils se savent soutenus par l’institution et par leur pays.

Je rappelle que la vie militaire et surtout le métier de militaire ne ressemblent à nul autre. Il exige une disponibilité en tout temps et en tout lieu, une mobilité géographique que ne connaît aucun corps de métier – certaines carrières de militaires sont émaillées de dix-huit ou vingt déménagements – et un esprit de sacrifice qui peut aller jusqu’au don de sa vie ou de son intégrité physique. En contrepartie, les militaires ont droit à des compensations qui incluent les permissions, certaines primes spécifiques, un système de pensions particulier ou encore une politique de logement à destination des familles de nos soldats ou des militaires célibataires.

Je n’imaginais pas, avant de réaliser ce rapport, que nos jeunes engagés dans leur premier contrat d’une durée de cinq ans s’intéresseraient autant au problème des retraites. Les hommes du rang et les sous-officiers ont un système particulier qui leur permet d’obtenir, après dix-sept ans de service, une retraite proportionnelle, ce qui, pour les plus modestes de nos soldats, notamment les caporaux-chefs, est très important pour leur avenir. Il apparaît normal que les caporaux-chefs puissent quitter l’institution après dix-sept ans de service, puisqu’on a besoin de jeunesse, de réactivité et parce que ce métier use. Ce système de proportionnalité des années de service est important pour eux. Nous avons eu quelques assurances par des déclarations présidentielles et par le haut-commissaire à la réforme des retraites qui reconnaissent que le métier de soldat est différent des autres et que leur retraite doit connaître une exemption à la réforme générale des retraites.

Nous devons rester attentifs à la préservation de cet équilibre entre sujétions et compensations, qui est au cœur de la condition militaire. Sa remise en cause, au motif que ces compensations seraient des avantages indus, aggraverait les difficultés que rencontrent les armées pour fidéliser dans leurs rangs. Aujourd’hui, le défi de l’armée est d’investir dans les jeunes recrues qui sont très professionnelles mais qui, au bout de cinq ans, peinent à se projeter dans l’avenir et quittent l’institution. Or, le point d’équilibre financier pour les armées se situe à sept ou huit ans. Il est donc nécessaire que nos jeunes soldats aient des conditions de vie les plus proches possible du standard de la vie civile.

Le problème du logement touche tous nos soldats, et notamment les caporaux-chefs, qui ont plus de cinq ans de service, une petite famille et un salaire qui n’est pas très élevé. Cela vaut même pour certains officiers. Dans le cadre de l’élaboration de mon rapport, j’ai rencontré un colonel, que j’avais déjà rencontré au 1er régiment étranger de cavalerie au camp de Carpiagne, à Marseille, qui venait d’avoir son logement à Paris après un long moment d’attente. Père de famille, il a six enfants. Ce problème d’accès au logement complique considérablement la vie de nos hommes et de nos femmes sous les drapeaux.

Le risque de défidélisation existe bel et bien lorsque l’on entend de jeunes soldats, pourtant très éloignés de l’âge de la retraite, s’inquiéter de l’incidence que pourrait avoir la réforme des retraites sur le système des pensions militaires.

Je constate que le Gouvernement a pris la mesure de ce défi, en plaçant la LPM « à hauteur d’homme », selon la formule consacrée. Un plan « Famille » est notamment mis en œuvre pour alléger les contraintes de l’engagement sur les familles des militaires. Si beaucoup de progrès ont eu lieu en matière d’équipement du soldat, des casques aux gilets pare-éclats, c’est beaucoup plus compliqué pour les conditions de vie quotidienne. Non que l’institution ne soit pas allante pour offrir plus de confort, mais souvent, l’étalement foncier n’existe pas aux alentours des casernes, la mise en chantier d’immeubles est compliquée et tout cela est laissé à l’appréciation des chefs de corps.

Je me suis rendu au 3e régiment d’infanterie de marine, à Vannes, qui est le premier des régiments professionnalisés, hors Légion étrangère. Le chef de corps du régiment, qui a le sens de l’humain, a créé des petits logements à loyer très modéré sur des emprises militaires, pour permettre aux arrivants de se loger, soit seul, soit avec leur compagne, dans l’attente d’un logement définitif. C’est un palliatif. Les chefs de corps et les bases de défense sont aussi confrontés au fait que les fonds employés à la préparation des infrastructures pour recevoir les nouveaux équipements, notamment les engins blindés qui arriveront dans ce régiment dès le mois de février, ne peuvent l’être pour le logement de nos soldats.

Le plan « Famille » n’est pas très efficace pour améliorer les conditions d’hébergement en caserne et l’accès au logement dans les zones en tensions comme Bordeaux, Toulon et la région parisienne. Il s’agit pourtant du sujet le plus important pour relever le déficit de fidélisation dans les armées.

La loi de programmation militaire augmente bien les crédits du service d’infrastructure de la défense (SID), mais une partie de ces moyens est orientée vers la construction des infrastructures nécessaires pour accueillir les nouveaux équipements prévus. En outre, le SID a été submergé par les projets. Le service n’est pas assez étoffé pour répondre à la demande.

Je veux insister sur un point : il existe une tendance à l’érosion de la « militarité » et à vouloir faire de nos soldats des « civils en uniforme ». Il faut être attentif au maintien de la militarité dans les rangs de nos soldats. Cela vaut aussi pour la société, notamment ses dirigeants. C’est pourquoi je défends l’idée selon laquelle tous les élèves de l’École nationale d’administration (ENA) puissent faire un stage militaire sur le modèle de l’École polytechnique, qui n’est pas une école militaire mais une école à statut militaire, suivant une réforme qui remonte à Michel Debré.

Je finis sur cette proposition pour passer à la dernière partie de mon rapport, qui porte sur un sujet plus directement relié aux affaires étrangères. Je veux parler de l’avenir de l’OTAN, soixante-dix ans après sa création.

Depuis la fin de la Guerre froide, paradoxalement, les missions de l’OTAN n’ont cessé de s’étendre, de la défense collective, qui constitue sa raison d’être initiale, à la gestion de crise, en ex-Yougoslavie et en Afghanistan, en passant par la conclusion de partenariats de sécurité pour créer les conditions d’un environnement international plus sûr.

S’agissant de cette dernière mission, il faut reconnaître que l’OTAN a davantage contribué à un environnement international moins sûr au Moyen-Orient et à l’est de l’Europe.

Comme par le passé, l’OTAN est aujourd’hui mise au défi de s’adapter à l’évolution des menaces parmi lesquelles le durcissement du terrorisme, le retour de la Russie sur la scène internationale, l’extension des frontières de la guerre, qui intègre désormais l’espace et le cyber, et l’affaiblissement de l’architecture de sécurité collective. Je pense également aux effets de la mondialisation et à la vente à la découpe des ports comme ceux du Pirée et de Haïfa rachetés par les Chinois, ainsi qu’à la mainmise de la Chine sur la quasi-totalité du continent africain.

La capacité de l’Alliance à se transformer, qui explique sa pérennité jusqu’en 2019, fait aujourd’hui face à un défi d’ampleur : celui des divisions internes entre Alliés. D’une part, la question du « partage du fardeau » ne cesse de mettre sous pression la relation transatlantique, alors même que les Européens augmentent leur effort de défense. D’autre part, l’actualité récente conduit à nous interroger sur le devenir, au sein de l’Alliance, d’un pays comme la Turquie, qui représente pourtant la deuxième armée de l’OTAN sur le plan des effectifs.

À l’heure actuelle, compte tenu du rôle fondamental que l’OTAN continue à jouer pour les Alliés, sa survie n’est pas en jeu, mais son rôle pourrait être redéfini.

Les divisions internes entre Alliés sont néanmoins une inquiétude légitime à long terme. Elles pourraient empêcher l’OTAN de s’adapter à l’évolution de la menace et de faire de la place à un nouveau venu dans le domaine de la défense : l’Union européenne. Je parierais plutôt sur la montée en puissance de l’Union européenne pour être en capacité d’intervenir sans l’OTAN sur ce qu’il est convenu d’appeler dans le jargon militaire des conflits de basse ou de moyenne intensité, comme les conflits en Europe centrale, notamment en Bosnie, si tout le monde fait l’effort nécessaire, ce qui n’est pas encore le cas.

Madame la présidente, mes chers collègues, j’ai souvent imaginé un budget pour nos armées de cette importance. Je trouve que ce projet de budget est plutôt bon. Je serai donc favorable à une abstention positive. Si les réponses que nous attendons en séance publique parvenaient à nous convaincre, nous pourrions même peut-être le voter.

M. Jacques Maire. Je remercie Guy Teissier pour son travail. Ce « peut-être » est un encouragement à aller jusqu’au bout de la pensée, puisqu’il est difficile de dire que ce n’est pas un bon budget. C’est un budget qui tient ses promesses, un budget à hauteur de l’ambition de la loi de programmation militaire 2019-2025, un budget qui permet, dans ce domaine, d’être sur la trajectoire des 2 % du PIB d’ici à 2025. Chaque année est un combat particulier à mener et celui-ci se présente plutôt bien.

En outre, cette hausse des crédits alloués repose exclusivement sur une base de crédits budgétaires et non pas sur des recettes exceptionnelles. On nous a souvent fait le coup, pour ce ministère et pour d’autres, et nous avons été déçus, en fin de course.

Du point de vue de la commission des affaires étrangères, la budgétisation des OPEX est un aspect important. Il ne s’agit pas de les encourager mais d’éviter qu’elles n’aient lieu aux dépens de la colonne vertébrale du ministère. Les OPEX, constituent parfois de bons terrains de développement et d’entraînement, mais elles affaiblissent nos capacités. Tel ne sera pas le cas si ce dispositif doté d’un crédit de 1,1 milliard d’euros est maintenu.

C’est aussi un message important sur la poursuite de nos engagements, notamment sur la portée de la présence française avec l’opération « Barkhane », qui doit être dépassée, avec la contribution des pays alliés et des pays de la région. À ce titre, il convient de se satisfaire de ce que ce budget prévoie à terme le renforcement des armées locales. Je pense en particulier que les budgets prévoyant la formation de 30 000 militaires dans le contexte de la force conjointe G5 Sahel représentent une bonne complémentarité au financement de Barkhane, car nous préparons l’avenir.

Un autre élément important pour la commission des affaires étrangères est le renforcement de la modernisation et du renouvellement des équipements. En termes d’équipements, nous sommes à 83 % des crédits d’engagement et 14,7 milliards d’euros, ce qui est important. Par proximité sentimentale, je soulignerai la présence des sept patrouilleurs d’outre-mer qui permettent de montrer le pavillon français et la présence française dans des endroits où nous sommes peu présents sur le plan diplomatique et géographique. Il importe aussi de faire référence au programme SCORPION, puisque nous avons autorisé la ratification, dans cette commission, du programme de coopération CAMO avec la Belgique qui, pour la première fois, va lancer la révolution d’une intégration de composantes belges au sein de l’armée française quand c’est nécessaire. Le programme SCORPION est entièrement respecté et il nous permet d’aller au bout de notre engagement.

Je citerai enfin le renforcement capacitaire dans le cadre des évolutions stratégiques en cours avec les moyens spatiaux et le porte-avions de nouvelle génération dont on lance les études. En termes de projection de puissance et de présence sur les territoires extérieurs, le porte-avions est fondamental.

Nous avons un budget particulièrement complet et, pour toutes ces raisons, madame la présidente, nous n’hésiterons pas à le voter.

M. Didier Quentin. Tout d’abord, je tiens à saluer l’excellent rapport de notre collègue Guy Teissier, notamment sur les conditions de vie des militaires et l’avenir de l’OTAN.

Comme lui-même, nous nous félicitons de l’augmentation du budget de la défense pour 2020, ainsi que de la fin annoncée et demandée dès 2013 par le groupe Les Républicains (LR), des déflations d’effectifs dans nos armées, qui se concrétise avec la création nette de 300 postes supplémentaires, dont plus de 150 dans le renseignement et près de 100 pour le cyber. En 2020, les effectifs du ministère des armées s’élèveront donc à 271 125 agents, ce qui nous conforte dans notre place de première armée en Europe.

Comme je l’avais indiqué l’année dernière en tant que rapporteur pour avis de notre commission, nous saluons aussi l’effort de « sincérisation » du financement des OPEX. Toutefois si la provision adoptée pour le budget 2020 devrait couvrir en grande partie le financement des OPEX à venir, il n’en est pas de même pour le budget 2019, toujours en cours, qui avait prévu un financement de 850 millions. Plus de 400 millions resteront à financer, alors que le principe de la solidarité interministérielle avait été malencontreusement remis en cause fin 2018, comme l’avait souligné notre collègue François Cornut-Gentille devant la commission des finances. Cette inquiétude forte demeure. Nous demandons donc le respect de cette solidarité interministérielle.

Enfin, nous restons inquiets quant à un éventuel financement par le ministère des armées du service national universel (SNU), ce qui serait contraire à l’article 3 de la loi de programmation militaire 2019-2025. Les crédits inscrits sur le programme 163 Jeunesse et vie associative s’élèvent en effet seulement à 30 millions. De plus, il est inscrit dans le « bleu » budgétaire que des crédits supplémentaires issus d’autres ministères parties prenantes au SNU pourront venir compléter cette dotation, ce qui ne fait que confirmer nos inquiétudes déjà exprimées.

C’est pourquoi les députés LR soutiennent la proposition du président de la commission des affaires étrangères et des forces armées du Sénat de créer une mission budgétaire spécifique consacrée au financement du SNU. Aussi, tout en saluant l’effort supplémentaire de 1,7 milliard d’euros, les députés du groupe LR ne peuvent-ils cacher leur inquiétude devant les montants à mobiliser pour l’avenir. Mais, nous souvenant de saint Augustin disant que « rien n’est perdu tant qu’il reste l’inquiétude », nous ne voterons pas contre ce budget mais nous nous abstiendrons dans un esprit positif et vigilant, et nous irons peut-être même vers un vote favorable si nous obtenons des réponses positives à nos questions.

M. Bruno Joncour. Il s’agit du deuxième budget de mise en œuvre de la loi de programmation militaire. Nous nous félicitions l’an dernier de l’augmentation substantielle du budget de la défense de 1,7 milliard, et nous sommes satisfaits de constater que l’exécutif tient de nouveau ses promesses en portant le budget de la défense à 37,5 milliards, en hausse de 1,7 milliard.

Nous remercions le rapporteur pour son travail sur la condition militaire et pour l’éclairage qu’il apporte sur un point important de la redéfinition de notre approche en matière de défense et de sécurité collective en portant son regard sur l’avenir de l’OTAN. Vous le rappelez fort à propos, cette organisation doit être profondément repensée, au regard des principes et des objectifs que nous fixons à nos armées. Parmi ces objectifs, nous devons avoir conscience de la probable nécessité d’intervenir davantage à l’extérieur de nos frontières, dans les années qui viennent.

Je souhaiterais à cette occasion rappeler les mots du chef d’état-major des armées, le général Lecointre, au sujet des opérations extérieures : « À l’issue de la nouvelle programmation militaire, notre armée ne sera plus éreintée, sous-équipée, sous-dotée. Reste à savoir si elle sera capable d’être engagée sur plusieurs théâtres dans des conflits peut-être plus violents, dans tous les cas, très différents. » La question se pose, comme vous le soulignez d’ailleurs dans votre rapport. Les guerres à venir seront probablement d’un genre totalement différent de ce que nous anticipions. Il faudra toutefois y répondre. C’est pourquoi, comme nous le redoutons, il faudra se préparer à d’éventuelles interventions dans de nouvelles opérations.

Pour s’y préparer, nous devons donc stabiliser les modes de financement des OPEX. Quelles seraient vos propositions en ce sens ? Par ailleurs, il nous faut recourir plus largement aux Nations unies et aux organisations régionales. Ceci ne peut se faire qu’à la condition d’un renforcement parallèle de notre aide à la stabilisation, ce qui rejoint le débat que nous devons avoir sur l’aide publique au développement. Ne faut-il pas avancer aussi sur ce sujet ? Ne faut-il pas faire davantage de nos forces armées des forces de stabilité et de formation des cadres militaires qui pourront prendre le relais de nos troupes ?

Le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés donnera un avis favorable aux crédits de la mission Défense.

M. Alain David. Je félicite moi aussi Guy Teissier pour la qualité de son rapport.

Je voudrais poser une question sur notre intervention au Sahel. En particulier, l’intervention militaire que nous effectuons pour la sécurité de l’Europe induit des dépenses très importantes. À plusieurs reprises, des membres de notre commission sont intervenus sur ce sujet. À maintes reprises, la présidente de notre commission a demandé que l’Europe prenne en compte ces dépenses. Des démarches particulières ont-elles été entreprises auprès de Bruxelles et ont-elles des chances d’aboutir ?

Je voudrais appeler l’attention sur la précarité de la situation des jeunes engagés pour des contrats de cinq ans, souvent sur les opérations extérieures pour des périodes de quatre mois, alors que les officiers ont des garanties supplémentaires. Cette précarité, que vous avez signalée, Monsieur le rapporteur, est regrettable à notre époque car elle les empêche d’avoir une vie familiale normale et leur interdit l’accès au crédit. On loue toujours nos militaires pour leur participation aux interventions extérieures, mais on ne sait pas leur accorder une certaine stabilité. Il conviendrait de conforter la situation salariale de nos militaires. Cela vaut également pour la gendarmerie. Ces métiers sont ceux où l’on dénombre le plus de divorces.

M. Christophe Naegelen. Je félicite notre collègue pour son rapport et les points importants qu’il a évoqués, notamment la retraite des militaires. Nous pouvons nous inquiéter que des statuts spécifiques mais justifiés par un engagement quotidien puissent être remis en question par la future réforme des retraites. Nous nous félicitons également de la hausse du budget de la défense.

J’évoquerai le point particulier des militaires morts en exercice et non sur des théâtres d’opérations. Un militaire tué en opération extérieure a droit à la reconnaissance du statut de « mort pour le service de la Nation » et ses enfants sont pris en charge, mais pour un militaire tué en exercice, il y a très peu d’aide et ces familles se sentent abandonnées. Il conviendrait donc de dégager des crédits supplémentaires afin d’aider les familles de ces militaires dont on parle peu. La France doit soutenir aussi ces familles.

Mme Frédérique Dumas. Monsieur Teissier, merci pour votre rapport.

Le contexte géopolitique dans lequel nous sommes nous oblige à repenser complètement nos méthodes et nos concepts en matière militaire, notamment en matière de renseignement, de dissuasion et de défense. Les incertitudes face aux décisions américaines, l’augmentation des influences étrangères dans les conflits, l’internationalisation de la guerre et les nouvelles menaces, tous ces facteurs sont propices à la survenance de conflits, qu’ils soient voulus ou accidentels. De nouveaux espaces se dessinent à travers des théâtres d’opérations toujours plus complexes, comme cela est le cas pour l’espace et le cyberespace.

Face à des défis, le budget traduit une augmentation que l’on ne peut que saluer, mais il existe des contradictions au regard de la volonté affichée et de la concurrence internationale croissante. Je reviendrai donc sur deux points.

Le premier concerne le budget attribué aux actions civilo-militaires définies dans le projet de loi de finances pour 2020 comme étant des opérations ciblées menées au profit de la population locale et permettant l’intégration de la force française dans son environnement. Ces actions sont plus que déterminantes, elles sont au cœur de la réussite de nos actions sur la durée. À l’heure où les opérations extérieures n’atteignent pas toujours leurs objectifs militaires, elles atteignent de moins en moins leurs objectifs civils. C’est pourtant de la bonne intégration de nos forces dans leur environnement que dépend aussi la confiance et, par conséquent, la sécurité sur le terrain. Or, notre présence est de plus en plus contestée par les populations, notamment dans les pays du G5 Sahel. Des tensions existent au Niger, certes dans une moins mesure, mais l’opération Barkhane est de plus en plus dénoncée par la société civile malienne, et ce sentiment nourrit la montée des rivalités des conflits potentiels.

Il peut être préjudiciable, donc, que l’augmentation du budget de 250 millions pour les surcoûts des OPEX, les crédits passant de 850 à 1,1 milliard d’euros, ne permette pas d’augmenter le budget pour ces actions civiles et militaires de manière plus importante. Ce sont seulement 500 000 euros supplémentaires qui y sont consacrés, puisque cette action passe de 1 à 1,5 million d’euros, ce qui est une infime proportion.

Le budget alloué aux relations internationales est également revu à la baisse, de 6 %, par rapport à 2019. C’est principalement l’action Diplomatie de défense, dont nous avons bien besoin aujourd’hui, qui est impactée, avec une diminution significative de son budget de 8 % entre 2019 et 2020.

Mon second point concerne la question spatiale. La nécessité de remplacer d’anciens satellites par de nouveaux plus performants grâce à une coopération européenne est une bonne chose. Le commandement de l’espace, composé de 220 militaires, qui a des compétences dans la mise en œuvre de la politique spatiale militaire et dans le domaine opérationnel, doit permettre à l’armée de l’air de devenir une armée de l’air et de l’espace. Sa création est très récente. Il est donc difficile de se prononcer à ce jour sur son efficience.

Concernant le budget, la loi de programmation militaire prévoit 3,6 milliards d’euros pour le spatial de la défense. L’inscription de 700 millions supplémentaires a été annoncée par la ministre, ce qui ferait passer ce budget à 4,3 milliards. Pour autant, ce ne sont finalement que 448 millions qui figurent au projet de budget pour 2020. Après les 400 millions de 2019, la trajectoire n’est donc pas évidente. Or les modalités de la conquête spatiale évoluent très rapidement et sont devenues un enjeu prioritaire, alors même que la budgétisation programmée a pris du retard et que certaines parties de ce programme ne sont pas au rendez-vous, comme c’est le cas avec le programme « capacité d’écoute et de renseignement électromagnétique spatiale » (CERES), programme de satellites militaires d’écoute électronique. Ce programme en phase de développement prévoyait le lancement d’un premier satellite en 2020.

En conclusion, ce sont bien la mise en œuvre des dispositifs et la répartition des crédits qui nous conduit à nous interroger. Néanmoins, pour aller dans le sens de mon collègue LR, l’effort est quand même à saluer. De notre côté, nous voterons en faveur de ces crédits.

M. Jean-Luc Mélenchon. Je voudrais aborder le sujet qui nous occupe ce matin sous l’angle de notre propre commission, c’est-à-dire les affaires étrangères. Sans reprendre les arguments qui ont été développés par mon camarade Bastien Lachaud à la commission de la défense, j’estime que l’on aurait dû commencer par parler de l’usage qui est fait de nos moyens. Que va-t-il se passer au Mali ? Que faisons-nous ? Comment allons-nous y rester ou en sortir ? Que dit le projet de budget à ce sujet ? De même, pour pratiquement toutes les interventions françaises, on aurait dû en faire le tour pour savoir de quelle manière on y affecte ou on y récupère des moyens.

J’ajoute qu’une grande modification s’est opérée dans l’ordre international sans que l’on semble sans émouvoir. Jusqu’à présent, un traité international de démilitarisation de l’espace était en vigueur. Les Nord-Américains ont décidé que c’était fini et nous, Français, avons emboîté le pas. Pourquoi pas ? Pour ma part, j’en suis assez d’accord, compte tenu des conditions créées par les Américains. Nous créons un état-major de l’espace. Quelle en est la stratégie ? Qu’est-ce qui l’accompagne ? Quels en sont les moyens au-delà du financement de l’état-major ? Que va-t-on faire ? Que programme-t-on ? Nous n’en saurons rien.

Cela revêt tout de même une grande importance. On peut se réjouir d’acheter des arcs, des flèches et même des arbalètes, mais c’est assez vain quand d’autres ont des fusils. Or, depuis l’espace, on peut interrompre toutes les communications terrestres. Par conséquent, les neuf dixièmes du matériel militaire français ne serviront strictement plus à rien, à rien du tout !

La même remarque peut être faite à propos de la cyber-armée. Nous n’en entendons plus parler. Nous savons que des moyens y sont affectés, mais lesquels ? Pour quelle stratégie ? Dans quel délai ? C’est pourtant là le cœur des guerres du futur.

J’ai apprécié les euphémismes de mon collègue Guy Teissier à propos de l’OTAN. Il nous a dit d’une manière élégante et à sa manière que l’on ne savait plus très bien à quoi cela servait mais qu’on voyait bien que cela aggravait les problèmes plutôt que cela les réduisait. Il m’amuse de me réclamer de lui pour vous dire qu’à mon avis, l’OTAN ne sert strictement à rien. Si mes informations sont bonnes, nous venons d’essuyer en Turquie un tir d’une armée de l’OTAN auquel nous avons riposté. Nous avons là-bas 300 membres des forces spéciales, qui ne sont pas des boy-scouts et donc en état de faire un maximum de ravages pour faire payer ceux qui nous ont agressés et qui sont censés être nos alliés.

L’OTAN, c’est une machine à faire fonctionner les 2 % de notre budget, dont personne ne nous dit pourquoi 2 %, pourquoi pas 3 %, 4 % ou 1 % ? Si c’est la guerre, c’est 10 %. Une proportion ne veut rien dire, sinon qu’elle nous oblige à monter en puissance dans un budget. Pour quoi faire ? Pour acheter du matériel qui soit interopérationnel avec celui des Nord-Américains et rien d’autre. Autrement dit, ces 2 % sont une machine à relancer l’économie d’armement des Américains et pas la nôtre.

La preuve en est donnée par ce qui est en train de se passer à Alstom. Les turbines qui sont fabriquées là-bas et qui sont maintenant dans la main des Nord-Américains équipent la plupart de nos matériels militaires pourvus de turbine. Que ceux qui croient que les Américains sont nos amis et toujours prêts à nous faire des sourires se souviennent de ce qui s’est passé quand nous avons décidé de ne pas les accompagner en Irak. Ils ont mis un embargo sur le matériel militaire pendant six mois. Pendant six mois, les catapultes du porte-avions Charles de Gaule ne pouvaient plus obtenir de pièces de rechange. Ce seul exemple résume ce que j’en pense. Évidemment, il n’y a pas de montée en puissance à 2 % sans une industrie d’armement française indépendante. Sinon on achète le matériel des autres et on n’est pas en état de décider ce qu’on fait quand il y a besoin d’agir.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Nous reviendrons largement sur les questions de stratégie en recevant – enfin ! – le chef d’état-major des armées, le mercredi 6 novembre.

M. Jean-Paul Lecoq. Je voudrais saluer le rapport de Guy Teissier, non seulement parce qu’il connaît bien la situation et traduit son expertise, mais encore parce qu’il prend en compte les conditions de vie des militaires. Les députés communistes ont toujours dit qu’ils soutiendraient une augmentation du budget du ministère des armées dès lors qu’elle serait destinée à améliorer les conditions de vie des soldats.

Ce n’est toutefois pas le seul élément notable de ce budget. Comme Jean-Luc Mélenchon, nous nous interrogeons sur l’espace. À qui appartient l’espace ? Avant de se l’approprier et de le militariser, peut-être faut-il se poser la question et envisager de créer des règles d’utilisation de l’espace. Depuis un an, j’ai sollicité la présidente de la commission sur ce sujet.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Une table ronde sur la question de l’espace est en cours d’organisation, qui devrait avoir lieu au début du mois de janvier.

M. Jean-Paul Lecoq. Mais cela fait tout de même un an que je le réclame.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. L’espace est toujours là !

M. Jean-Paul Lecoq. L’autre sujet est la bombe atomique. Quelle est aujourd’hui son utilité face aux menaces et aux enjeux ? Puisque nous sommes à la commission des affaires étrangères, nous observons que pour poser la France comme une des puissances nucléaires, 10,5 millions seront consacrés par jour à la bombe atomique cette année !

Nous apprécions les propos du rapporteur au sujet des retraites. S’il existe en France des régimes spéciaux de retraite, c’est en raison de la spécificité de certains emplois. Ceux des militaires et d’autres en font partie. Que chacun se rappelle de ce qui s’est dit ce matin lorsque nous serons appelés à aborder ce sujet important !

Les communistes ne peuvent plus admettre que l’on considère que l’OTAN, c’est comme avant et que cela ne pose pas de problème. Ce qui s’est passé en Turquie pose totalement la question de notre participation à cette organisation, mais elle se posait déjà avant, au regard de l’évolution des relations internationales, des puissances et du rôle de chacun. Il conviendra d’avoir une autre approche. Notre commission aborde souvent le multilatéralisme et le pouvoir à redonner à l’ONU. Or nous considérons que le multilatéralisme et le pouvoir de l’ONU sont aujourd’hui entravés par une puissance telle que l’OTAN. Je sais qu’une réunion de l’assemblée parlementaire de l’OTAN a eu lieu récemment à Londres, au cours de laquelle il n’a pas dû être simple de savoir quelle position adopter aux côtés des députés turcs.

En outre, au-delà de l’opération Barkhane proprement dite, se pose la question de l’utilisation éventuelle par les États et les chefs d’État dans cette région, qui ne sont pas tous des démocrates, des formations et des équipements que nous apporterions à leurs armées contre leurs propres peuples, comme cela s’est déjà vu. Notre armée devrait avoir une réflexion philosophique sur ce que nous allons laisser après notre départ.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Je vous informe également que la présentation que j’avais suggérée au nom de la commission des affaires étrangères, par les huit présidents de groupe unanimes, d’une proposition de résolution visant à condamner l’offensive turque a été acceptée hier matin en conférence des présidents, ce dont je me réjouis. Ce texte, validé par les huit présidents de groupe, sera débattu mercredi prochain 30 octobre, à 15 heures, dans l’hémicycle. L’Assemblée nationale pourra donc exprimer officiellement et publiquement sa condamnation unanime de ce qui se passe dans le Nord-Est syrien.

M. Michel Herbillon. Je voudrais féliciter notre collègue Guy Teissier de son rapport. Il est intéressant que notre collègue ait fait des focus sur la condition de vie des militaires, sur le service de santé des armées et sur l’OTAN. Il a de nouveau montré sa connaissance de ces questions, notamment du fait de ses précédentes fonctions de président de la commission de la défense.

J’appellerai son attention sur le logement des gendarmes qui n’est pas toujours en bon état, ce qui est un euphémisme. Dans ma circonscription, à Maisons-Alfort, sur le deuxième site de gendarmerie en France et au siège de la première région de gendarmerie, des centaines de familles sont privées de l’accès à leur balcon depuis des années, faute de sécurisation, sans que le ministère ait trouvé des moyens pour régler le problème. Or, vous savez combien les gendarmes ont été sollicités pour les opérations de maintien de l’ordre, notamment récemment avec la crise des « gilets jaunes ».

Mais ma question est relative au SNU. Comme mon collègue Didier Quentin, je m’interroge sur son efficacité et sur son coût. Bien entendu, les deux mille volontaires ont trouvé sympathique de passer du temps avec des gens de leur âge. Puisque c’était leur choix, il est bien normal qu’ils aient été contents. Mais un certain nombre de missions du SNU devraient être prises en compte par d’autres institutions. Je pense à la détection de l’illettrisme par l’école ou aux gestes de premiers secours.

Pour les 30 000 volontaires de l’année prochaine, il est prévu un budget de 30 millions d’euros, mais quand il faudra passer à une classe d’âge de 800 000 jeunes, les estimations font état d’un coût d’un à deux milliards d’euros, la marge d’appréciation montrant d’ailleurs que l’on ne sait pas très bien combien cela va coûter. Se pose donc la question du financement. Sera-t-il assuré par le budget de la défense, contrairement à l’article 3 de la LPM ?

M. Nicolas Dupont-Aignan. Merci au rapporteur. Je concentrerai mon propos sur la politique étrangère et la défense, en particulier sur le chapitre consacré à l’OTAN, que j’ai lu attentivement.

Je me souviens d’une réunion de la commission de la défense, en 2008, où nous avions reçu M. Hervé Morin, ministre de la défense, qui nous disait qu’il fallait abandonner les bases en Afrique, en créer une à Abu Dhabi, réintégrer le commandement militaire intégré de l’OTAN, de sorte que ce serait formidable, nous pèserions davantage et les Américains nous respecteraient. Nous avons vu le résultat. Il est catastrophique.

Je me réjouis évidemment de l’augmentation du budget, mais pour quoi faire ? Nous le voyons en Turquie, au Kurdistan et en Syrie, il n’y a pas de politique étrangère indépendante sans autonomie stratégique. Orn nous n’en avons gagné aucune. Nous avons perdu une indépendance technologique avec l’affaire Alstom. L’interopérabilité est un moyen de casser notre industrie de défense, et nous avons de la chance que Mme Goulard ne soit pas restée ministre de la défense.

D’une manière générale, au-delà des moyens, la question est celle de l’usage des moyens. Si nous ne sommes pas capables de défendre notre industrie de défense et notre autonomie technologique, si nous ne sommes pas capables d’investir de manière autonome, nous pourrons mettre tous les crédits que nous voudrons sur la table, et tant mieux s’il y en a davantage, cela ne permettra pas, aux moments clés, et nous le voyons au nord de la Syrie, d’intervenir différemment des Américains.

Quant à l’OTAN, la seule solution est de sortir de nouveau du commandement militaire intégré, de recouvrer notre autonomie et de bâtir des coopérations européennes avec les pays qui le souhaitent. Mais peut-on continuer à déverser des crédits avec des pays européens qui ne fournissent pas l’effort de défense nécessaire ? Je regardais dans votre rapport le très bon tableau sur les sept pays qui atteignent les 2 %. Nous voyons bien où en est l’Allemagne et où en sont les autres grands pays. Nous ne pouvons pas continuer ainsi. La question majeure est donc de savoir si la France veut rester indépendante. Sinon, elle sera condamnée à avoir une politique étrangère de parole.

M. Jean-Claude Bouchet. Le rapporteur a dit que ce budget était un bon budget, et la plupart d’entre nous en sont conscients, mais au-delà de l’aspect financier, je reviendrai sur le moral de nos troupes, sur les inquiétudes au sujet des retraites et sur les contrats courts qui font planer beaucoup d’incertitudes. L’armée attire-t-elle toujours ? Guy Teissier a parlé d’une armée qui incorpore des « civils en uniforme » et du problème de la militarité.

Par ailleurs, les événements internationaux qui se produisent actuellement, les différentes décisions de l’OTAN qui peuvent être perçues comme prises à l’emporte-pièce et l’imprévisibilité des États-Unis, sans parler de son président, ne sont-ils pas de nature à entamer la confiance de nos militaires en leur capacité à défendre nos territoires dans le monde ?

M. Guy Teissier, rapporteur pour avis. Je commencerai par remercier M. Maire de m’avoir remercié… La provision faite aujourd’hui sur le budget des OPEX est intéressante, car elle évitera probablement les difficultés que nous connaissions encore l’année dernière liées à la non-prise en charge du surcoût par la solidarité interministérielle. Ce n’était pas un cas d’école : depuis presque toujours, les armées ont beaucoup de difficulté à récupérer en négociations interministérielles le budget qui doit leur revenir pour les OPEX. Avec la sincérisation de ce budget à 1,1 milliard et à 100 millions pour les OPINT, nous nous rapprochons du coût réel des opérations. Néanmoins, cela restera probablement insuffisant. Nous sommes soumis à des aléas. Va-t-on maintenir une présence aussi importante dans le cadre de l’opération Barkhane que celle d’aujourd’hui ? Peut-on espérer une meilleure répartition de la tâche avec nos voisins européens ? C’est possible puisque, au-delà des Britanniques qui nous fournissent des hélicoptères, nous voyons pour la première fois un engagement des Espagnols, à partir de cette année. Mais cela se fait tout de même à dose homéopathique et la France porte le fardeau.

De manière générale, je le répète, il y a une sous-exécution des crédits par nos armées, ce qui est très regrettable.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Quels domaines cette sous-exécution concerne-t-elle ?

M. Guy Teissier, rapporteur pour avis. Nous sommes très en retard dans les dépenses de personnels et d’infrastructures.

Mon excellent prédécesseur Didier Quentin a évoqué le financement du SNU. Je pense que c’est un leurre, une mystification, une rigolade. Cela me fait penser à une joyeuse colonie de vacances

Mme Bérengère Poletti. Tout à fait !

M. Guy Teissier, rapporteur pour avis. Cela n’a strictement rien de militaire. L’établissement pour l’insertion dans l’emploi (EPIDE) créé par Michèle Alliot-Marie à l’époque où je présidais de la commission de la défense a un squelette reposant sur les armées et présente une tendance à la militarité. Les plus humbles d’entre les nôtres, ceux qui n’ont aucun bagage, ont ainsi la possibilité de suivre une formation pendant six mois, renouvelables six mois. Dans les EPIDE, le taux moyen d’intégration dans l’emploi des jeunes filles et des jeunes hommes, tous français, est d’environ 50 %, ce qui me paraît tout à fait extraordinaire lorsqu’on sait qu’un certain nombre d’entre eux ne savent quasiment pas écrire et parler le français.

Aucun crédit n’est prévu dans le projet de budget de la défense pour le SNU. Il est financé par le ministère des sports. Il y a peut-être une tentation de le faire financer par les armées, je n’en disconviens pas. Soyons donc vigilants.

Monsieur Joncour, l’OTAN est un des piliers de la solidarité transatlantique. Je rappellerai qu’en 1966, lorsque le général De Gaulle quitte à grand fracas le commandement intégré de l’OTAN, les Américains se déchaînent, ont des mots très durs à notre endroit et le président américain a cette formule : « Avec les Français, on peut être les meilleurs ennemis en temps de paix et des alliés en temps de guerre. » Cela résume ce que pourrait être l’OTAN, aujourd’hui. Cela étant, la tendance actuelle de l’OTAN laisse à penser que nous avons plus de difficulté partout où elle est que là où elle n’est pas. Je reviendrai sur le cas emblématique de la Turquie, difficile et douloureux.

La relation avec l’OTAN devrait être faite de partage et équilibre. Or, les États-Unis essaient d’envelopper l’Europe. Il faut savoir qu’il existe dans l’OTAN un bureau « renseignement » ouvert aux alliés et un bureau « renseignement » américain inaccessible aux alliés. Ce qui prouve bien une double action à l’intérieur de l’OTAN, que nous ne sommes pas, les uns et les autres, considérés à égalité dans ce pacte et qu’il y a une relation hégémonique de l’OTAN dans le système de défense européen d’aujourd’hui.

Monsieur David, nous peinons à mettre en place le G5 Sahel, comprenant les cinq pays du Sahel, pour leur laisser la main dans l’opération. Les problèmes qui se posent à nous pour constituer un état-major européen se posent pareillement à nos voisins et amis africains. Ils ne parviennent pas à s’accorder sur la nationalité du général qui pourrait en prendre le commandement. J’ai rencontré un général mauritanien d’excellente qualité qui ferait un excellent chef d’état-major, mais il est récusé par d’autres. Faute d’état-major et faute de chef, nous n’arrivons pas à le mettre en place.

S’agissant des jeunes, vous avez raison, mon cher collègue, la quasi-majorité de ceux qui ont embrassé le métier des armes sont des contractuels, ce qui pose d’importants problèmes de vie. Mais compte tenu de la spécificité du métier des armes, on ne peut professionnaliser immédiatement, avant un premier contrat d’une durée de cinq ans, des jeunes hommes ou des jeunes femmes qui ne connaissent pas ce métier et qui pourraient vouloir le quitter au bout de quelques années. Un système permet de passer du statut de contractuel à celui de sous-officier sous contrat (SOC), mais il n’est ouvert qu’aux sous-officiers. Pour sortir de cette précarité, les hommes du rang ont la possibilité, soit d’intégrer l’école des sous-officiers d’active, soit d’accéder au rang de sergent. Certains officiers servent aussi d’une manière contractuelle : les officiers sous contrat, limités au grade de capitaine et à vingt-deux ans de service.

Notre collègue M. Naegelen a posé la douloureuse question des soldats qui meurent en service. Ainsi, huit légionnaires ont récemment perdu la vie, emportés par une avalanche. On ne peut pas considérer que les soldats morts en entraînement sont morts au combat. Cette distinction a toujours existé et il me paraît normal de la faire. Je ne crois pas que les familles ne soient pas soutenues. Pour en avoir connu plusieurs exemples, je dirai même qu’ils font l’objet d’une attention particulière et qu’un soutien psychologique est apporté aux familles et aux blessés. Au grand hôpital militaire de Marseille, l’hôpital Laveran, j’ai pu apprécier la qualité des soins et l’environnement familial apportés à nos jeunes soldats traumatisés par des accidents graves.

Madame Dumas, c’est le fondement de nos armées de faire du civilo-militaire. Depuis toujours, nos armées ont eu le souci d’apporter de l’eau, de soigner les gens, etc. Je pourrais citer des exemples à n’en plus finir mais je n’en retiendrai qu’un, joli. À Djibouti, après des heures de route en plein désert, j’ai vu, au milieu de rien, ce qu’on appelle en Afrique un kéké, c’est-à-dire un petit épineux auprès duquel les trouvaient deux véhicules de la légion étrangère, dont un véhicule d’évacuation sanitaire. Nos soldats, médecins, infirmiers, recevaient des gens qui avaient cheminé à pied depuis des jours et des nuits pour venir se faire soigner. Cela se fait depuis toujours, mais vous m’accorderez qu’il est plus difficile de faire du civilo-militaire dans les zones hostiles du Sahel que dans des endroits où l’on est en relative sécurité. Il est plus difficile d’aller au-devant des populations qui vous jettent des pierres que de celles qui font la queue devant nos camps à partir de 6 heures du matin pour se faire soigner ou faire soigner leurs enfants, comme je l’ai vu au Tchad. Cela fait la grandeur de notre service de santé, mais pas seulement. Nos militaires apportent aide et assistance aux populations chaque fois qu’ils peuvent le faire dans le temps du service qui leur est imparti.

M. Mélenchon a fait un grand exposé à sa façon que nous apprécions. Vous condamnez l’OTAN d’une manière irréversible en demandant à quoi sert ce budget si ce n’est d’atteindre le niveau de 2 % imposé par l’OTAN aux pays européens ? Vous n’avez pas tort car c’est la norme demandée par l’OTAN. Mais vous êtes dans une forme de contradiction, car plus l’Europe sera puissante, plus elle pourra se défendre elle-même, mieux ce sera et moins nous aurons besoin de l’OTAN. Notre collègue a remarqué que seuls sept pays ont atteint ce pourcentage, dont la Grèce à un niveau extraordinaire…

Mme Bérengère Poletti. En pourcentage !

M. Guy Teissier… mais le reste est insignifiant, notamment dans les anciens pays du pacte de Varsovie et dans les pays scandinaves, qui préfèrent consacrer leur budget à autre chose parce qu’ils pensent bénéficier du paratonnerre de l’OTAN. Des responsables polonais m’ont dit : pourquoi voulez-vous que nous augmentions notre budget, puisque nous avons l’OTAN ? Peut-être faudrait-il mieux avoir une défense européenne plus crédible afin de pouvoir, au moins dans des conflits de basse ou moyenne intensité, se passer de l’OTAN.

Monsieur Lecoq, vous avez introduit une dichotomie entre l’humain et le matériel. Vous avez approuvé la partie de mon rapport sur les hommes, qui nous rassemble tous, tout en étant plus dubitatif sur le reste.

Vous avez évoqué l’arme nucléaire. Citez-moi des pays ayant réduit leur puissance nucléaire !

M. Jean-Paul Lecoq. La Grande-Bretagne.

M. Guy Teissier, rapporteur pour avis. Et puis ? La Russie ? La Chine ?

M. Jean-Luc Mélenchon. Ce ne sont pas des ennemis !

M. Guy Teissier, rapporteur pour avis. Je m’étonne que vous ne citiez pas en premier la France qui, la première, a fait cet effort.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Tout à fait !

M. Guy Teissier, rapporteur pour avis. Puisque nous avons supprimé l’une de nos trois composantes, la composante terrestre. Or vous ne le saviez pas ou vous ne le disiez pas.

M. Jean-Luc Mélenchon. Si, il le sait !

M. Guy Teissier, rapporteur pour avis. Dans ce domaine, s’il est un pays exemplaire, c’est le nôtre, car nous l’avons fait en premier. Malheureusement, nous n’avons pas été tellement suivis.

Je vous suis sur la question des pensions, sauf qu’il faudra que cela reste limité à celles et ceux qui exposent leur vie pour la sécurité et la défense des autres.

M. Jean-Luc Mélenchon. Lesquels, par exemple ?

M. Guy Teissier, rapporteur pour avis. Les gendarmes, les policiers, les pompiers.

Monsieur Herbillon, l’état des logements des gendarmes est très préoccupant. La situation est ancienne, dramatique pour les familles, scandaleuse, mais la République a pour habitude de maltraiter ses enfants et ceux qui la défendent.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Tout à fait !

M. Guy Teissier, rapporteur pour avis. Dans chacune de nos villes, les bâtiments les moins bien entretenus sont les sous-préfectures, les préfectures, les tribunaux, tout ce qui représente l’État, et, bien entendu, les logements des gendarmes qui sont dans un état pitoyable. Il n’y a pas si longtemps, en montagne, dans une sous-préfecture, la gendarmerie avait encore des parquets en bois datant du siècle dernier et un système de chauffage très ancien.

Je partage aussi votre point de vue au sujet du SID. Il faut partiellement l’externaliser ou le rénover de fond en comble car il est dans une situation de quasi-somnolence. Ils n’arrivent pas à s’en sortir. Tous les chantiers qui ne touchent pas au « confidentiel défense » peuvent parfaitement être gérés par des sociétés civiles.

Notre collègue Dupont-Aignan souligne l’importance de l’autonomie opérationnelle de notre armée et je partage ce point de vue. Ce qui se passe en Syrie est inquiétant et nous n’avons pas l’autonomie nécessaire pour gérer seuls ce type de conflit. Le Président de la République a pris une position qui me paraît aller dans le sens de ce que vous dites et de ce que je dis. La solution n’est sûrement pas de sortir du commandement intégré où nous sommes retournés. Je ne me sentais pas plus mal avant mais je ne me sens pas moins bien aujourd’hui. Je pense qu’il faut davantage peser à l’intérieur de l’OTAN et que nous avons encore des marges de progrès à réaliser.

Monsieur Bouchet, il faut savoir que notre pays, contrairement à presque tous les autres pays européens, continue à attirer, à un rythme variable en fonction des périodes de tension intérieures ou extérieures, des hommes et des femmes vers le métier des armes, en assez grand nombre pour une période de cinq ans. Cela n’est pas plus mal, car nous avons besoin de jeunes, même si le point d’équilibre au regard de l’investissement est plutôt à sept ou huit ans de service. L’armée est le plus gros employeur du pays, avec chaque année 27 000 jeunes engagés pour l’ensemble des armées. Je n’ai pas dit que ces jeunes étaient des « civils en uniforme ». Certes, au moment de leur engagement, ils ne connaissent pas l’armée, ils deviennent militaires après un temps de formation. Mais j’ai dit que la société avait tendance à gommer ce qui fait la singularité du métier de militaire. Ces 27 000 jeunes engagés chaque année sont plutôt de bonne qualité, de bon niveau, alors que nos voisins espagnols peinent à remplir leurs quotas, avec, en permanence, 6 à 8 % des effectifs à couvrir.

Enfin je pense que la Turquie bafoue les règles de l’Alliance en attaquant les Kurdes qui étaient nos alliés et qui ont combattu à nos côtés l’affreuse hydre de Daech. La Turquie menace l’équilibre de la région tout entière. Ce pays qui existe depuis environ cent ans continue à porter le rêve impérialiste ottoman. Cet impérialisme est insupportable. Il y a très peu de temps encore, presque un tiers de la population était composé de chrétiens et il n’en reste plus. Après le massacre des Arméniens, il y a eu celui des assyro-chaldéens, des Grecs, etc. La position actuelle de la Turquie est insoutenable. Elle mérite, madame la présidente, que nous ayons un vrai débat.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Comme je vous l’ai dit, nous aurons ce débat, à notre demande, mercredi prochain, à 15 heures, en vue d’une condamnation unanime par notre Assemblée nationale.

Mme Sonia Krimi. Madame la présidente, en tant que membre de l’assemblée parlementaire de l’OTAN, je rappellerai tout d’abord que je ne suis ni pro-russe, ni pro-américaine, ni pro-communiste, ni libérale. Je fais seulement partie d’une génération qui pense qu’il faut arrêter le « bashing » de nos institutions.

J’entends dire : « Pourquoi 2 % ? Pourquoi pas 3 % ou 4 % ? » Ce chiffre a été calculé par rapport à l’apport des États-Unis, qui financent actuellement à plus de 70 % le budget de l’OTAN. Les États-Unis sont nos meilleurs amis en temps de guerre et nos meilleurs ennemis en temps de paix, c’est bien résumé.

Je m’étonne que les alliés n’aient pas accès à toutes les sources de renseignement de l’Alliance. Je viens d’envoyer un message au Secrétaire général de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN à ce sujet et je m’engage à vous répondre par écrit. Il peut y avoir des cellules de coordination différentes, mais on ne peut pas dire qu’il existe une structure de renseignement interdite aux alliés. Ce serait grave. Cela voudrait dire qu’ils agissent contre nous, ce qui n’est pas vrai.

L’OTAN a évité bien plus de guerres qu’elle n’en a générées. Vous dites que son action est très faible, j’ai envie de vous dire : bienvenue en politique. Nos ennemis poussent, on recule, ils reculent, on pousse. Si on évite de se parler et si on se prive d’organes, même imparfaits, comme l’OTAN, alors ce sera la guerre.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Madame la députée, c’est votre opinion et vous avez le droit et la légitimité de la défendre.

Je ne doute pas que nous reviendrons sur la question de l’OTAN dans les semaines à venir.

Avant de nous prononcer sur les crédits de la mission Défense, je tiens, comme d’habitude, à saluer, au nom de la commission des affaires étrangères, tous ceux qui sont engagés sur le terrain pour notre pays.

Je ne suis saisie d’aucun amendement.

La commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Défense.

 


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   LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR pour avis et déplacements

 

Auditions à Paris

 

        Sur les défis de l’OTAN

 

 

        Sur les conditions de vie des personnels militaires

 

 

Déplacement au 3ème régiment dinfanterie de marine (RIMa) à Vannes

 


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   ANNEXE 1 : Présentation des crédits par programme et par action de la mission « Défense »