N° 2303

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 octobre 2019.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2020 (n° 2272),

 

TOME V

 

ÉCOLOGIE, DÉVELOPPEMENT ET MOBILITÉ DURABLES

 

 

PAR M. Jean François MBAYE

Député

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 Voir le numéro 2301.


 


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SOMMAIRE

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Pages

introduction

I. LÉTAT DES FORÊTS DANS LE MONDE : UN DÉCLIN préoccupant, SYMBOLE DES DANGERS QUE LHUMANITÉ FAIT PESER SUR LA NATURE

A. Les activités humaines sont les principales Causes de la DESTRUCTION DES FORÊTS mondiales

1. Le recul inquiétant du couvert forestier à léchelle mondiale

a. Leffondrement des forêts primaires

b. La situation des forêts par zones géographiques

i. Forêts tempérées en Europe

ii. Forêts boréales

iii. Forêts tropicales

2. Les origines de la déforestation et de la dégradation des forêts

a. La distinction entre les notions de déforestation et de dégradation des forêts

b. La prévalence des facteurs humains dans les atteintes portées aux forêts

B. La forêt constitue un espace vital pour lhumanité

1. Le rôle des forêts dans la régulation du climat

2. Le rôle des forêts dans la préservation de la qualité de leau et la régulation de son écoulement

3. Le rôle des forêts dans la lutte contre la pauvreté et en faveur de la sécurité alimentaire

II. Le renforcement de la mobilisation en faveur de la préservation et de la restauration des forêts mondiales paraît impératiF

A. Le caractère insuffisant et disparate de la protection internationale

1. Des initiatives internationales nombreuses mais trop fortement éclatées

a. Labsence dune conventioncadre des Nations unies pour la préservation et la restauration des forêts mondiales constitue un manque criant

b. Le foisonnement dinitiatives internationales et régionales produit des résultats mais nuit à la visibilité et à la cohérence des actions menées en faveur des forêts mondiales

i. Les initiatives internationales en faveur des forêts

ii. Les mobilisations régionales

2. Une mobilisation européenne effective quil faut néanmoins renforcer afin de limiter drastiquement les effets de la déforestation importée

a. Un plan daction européen efficace sagissant de lexploitation forestière du bois tropical

b. Un projet de renforcement de laction de lUnion européenne sagissant de la protection et de la restauration des forêts mondiales

B. Les actions concrètes menées par la France au profit de la préservation et de la restauration des forêts mondiales

1. La gestion durable des forêts

2. La lutte contre la déforestation importée et la nécessaire évolution des comportements de consommation

3. Le levier de laide publique au développement et lexportation du savoir-faire français, en matière de gestion forestière

a. Les actions de lAFD et du FFEM en faveur des forêts mondiales

b. La valorisation du savoir-faire français, en matière de gestion forestière grâce à laction de lONFInternational

TRAVAUX DE LA COMMISSION

EXAMEN DES CRÉDITS

annexe  1 : Liste des personnes auditionnées par LE RAPPORTEUR


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SYNTHÈSE DES RECOMMANDATIONS DU RAPPORTEUR

1) Promouvoir l’établissement d’une convention juridique contraignante unifiée et cohérente sous l’égide des Nations unies pour la préservation et la restauration des forêts mondiales. Afin d’obtenir un consensus sur cette question, un tel instrument devra assurer la protection des forêts dont le rôle est vital pour l’ensemble de l’humanité tout en permettant le développement des pays du Sud et le respect de leur souveraineté.

2) Soutenir l’élaboration et l’adoption d’un accord juridiquement contraignant sur la gestion et la préservation des forêts en Europe dans le cadre des travaux du processus d’Helsinki (désormais dénommé « Forest Europe »).

3) Inciter la nouvelle Commission européenne, dirigée par Ursula von der Leyen, à concrétiser rapidement les ambitions de l’Union européenne en matière de lutte contre la déforestation importée dans la droite ligne de la communication de la précédente Commission, en date du 23 juillet 2019.

4) Promouvoir dans le cadre des travaux de la commission des affaires étrangères un contrôle continu et public de la mise en œuvre de la stratégie nationale de lutte contre la déforestation française (SNDI), afin de maintenir sous tension le déploiement de cette feuille de route ambitieuse.

5) Développer des actions pédagogiques à destination du grand public et plus particulièrement des plus jeunes au sujet de l’impact de notre consommation de produits agricoles (soja, huile de palme, cacao, élevages bovins…) et forestiers (bois d’œuvre, pâte à papier…) sur les forêts tropicales.

6) Rehausser le niveau d’exigence des certifications agricoles et forestières via la notion de « certification de territoires » sur le modèle du label européen « appellation dorigine protégée » (AOP) qui permettrait aux consommateurs de disposer d’une information complète et transparente sur la provenance d’un produit lié à l’exploitation d’une zone forestière.

7) Maintenir un haut niveau d’aide au développement en appui au secteur forestier afin de permettre le renforcement des capacités des acteurs locaux, l’amélioration de la gouvernance et la promotion d’une gestion durable des forêts.

 


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   introduction

Chaque année, la commission des affaires étrangères examine à l’occasion du projet de loi finances les instruments, les objectifs et les modalités de la diplomatie environnementale.

L’examen du budget et plus particulièrement de la mission Écologie, développement et mobilité durables est ainsi l’occasion de réaliser un focus sur les actions de la France aux échelles européenne et internationale en lien avec la protection de l’environnement. Cet avis vise à donner au Gouvernement les recommandations de la commission des affaires étrangères sur les objectifs que doit porter la France sur ces thématiques.

Cette année, les travaux de votre rapporteur se sont portés sur les questions relatives à la préservation et à la restauration des forêts mondiales.

Comme l’avait formulé le Président de République, Jacques Chirac, à l’occasion du quatrième Sommet de la Terre, en 2002, à Johannesburg, en Afrique du Sud : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. » Pourtant, cet été, les terribles feux de forêts qui ont ravagé l’Amazonie ont servi de signal d’alarme et ont permis de sensibiliser l’opinion publique mondiale sur le devenir de nos forêts. Il nous faut, à présent, regarder en face ce problème qui fait peser de lourds risques pour l’humanité et entrer résolument dans le temps de l’action. La France, grâce à son réseau diplomatique et au levier de l’aide publique au développement, doit continuer de se mobiliser sur cette question et peser de façon décisive sur la scène internationale pour que des mesures concrètes et globales soient prises en faveur de la préservation et de la restauration du couvert forestier mondial.

Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (OAA ou Food and Agriculture Organization of the United Nations – FAO en anglais), une forêt est un territoire occupant une superficie d’au moins 0,5 hectare, avec des arbres atteignant ou capables d’atteindre in situ une hauteur supérieure à 5 mètres et un couvert arboré de plus de 10 %. Cette définition exclut logiquement les terres à vocation agricoles ou urbaines prédominantes. En revanche, cette approche peut paraître réductrice, car elle néglige certaines caractéristiques essentielles propres aux espaces forestiers. En effet, les forêts sont également des zones abritant une biodiversité exceptionnelle – près de la moitié de la flore et de la faune connues dans le monde sont rassemblées dans les forêts tropicales – et jouant un rôle déterminant au profit de la fertilité des sols, de la qualité des eaux et de la régulation du climat. Par ailleurs, elles représentent un abri pour certaines populations autochtones et fournissent de nombreuses matières premières à l’humanité (production de bois, de viandes de brousse, de plantes médicinales…). De plus, les forêts possèdent une fonction sociale, patrimoniale, historique et culturelle qu’il nous faut tout autant prendre en compte et protéger.

La mobilisation du Président de la République en faveur de la préservation de la forêt amazonienne, à l’occasion de la dernière réunion du G7 à Biarritz en août dernier, apparaît comme une preuve de la détermination de la France à agir résolument sur la scène internationale en faveur de la protection et de la restauration des forêts à l’échelle européenne et mondiale.

La surface terrestre compterait, aujourd’hui, plus de trois trillions d’arbres appartenant à plus de 80 000 espèces différentes, ce qui équivaut à plus de 400 arbres par être humain. Il faut souligner que la présence des arbres sur Terre est bien plus ancienne que la nôtre, ces derniers étant apparus il y a environ 385 millions d’années contre seulement 3 millions d’années pour l’espèce humaine. Le processus de destruction des forêts mondiales en raison des activités humaines a débuté avec l’invention de l’agriculture mais s’est très significativement aggravé au cours des deux derniers siècles avec une nette accélération des diverses atteintes portées aux forêts au cours des dernières décennies ([1]).

Les évolutions touchant la superficie forestière mondiale sont inégales selon les zones géographiques concernées. Le changement dans les forêts boréales et tempérées a été graduel, contrairement au déclin de la superficie forestière par habitant dans les tropiques. Celle‑ci a, en effet, presque diminué de moitié au cours des vingt-cinq dernières années.

Sur la période 2000‑2017, 3,4 millions de kilomètres carrés (km2) d’arbres ont été défrichés dans le monde entraînant une réduction du couvert forestier mondial de l’ordre de 8,4 %. Le taux de déforestation mondial moyen sur cette même période équivaut à plus de cinq fois la superficie de Paris par jour. Les pays les plus touchés par la déforestation sont le Brésil, le Canada, les États‑Unis, l’Indonésie, la République démocratique du Congo et la Russie qui représentent à eux seuls 83 % des forêts primaires subsistantes dans le monde ([2]).

L’humanité s’ingénie à détruire les forêts – et plus particulièrement dans les zones tropicales abritant une biodiversité exceptionnelle – en dépit des services écosystémiques inestimables qu’elles nous procurent et du rôle qui est le leur pour l’équilibre écologique de notre planète. Au rythme actuel de dégradation et de destruction, ce qu’il reste des espaces forestiers mondiaux aura encore diminué de moitié dans cent cinquante ans ([3]).

I.   L’ÉTAT DES FORÊTS DANS LE MONDE : UN DÉCLIN préoccupant, SYMBOLE DES DANGERS QUE L’HUMANITÉ FAIT PESER SUR LA NATURE

Le rapport d’évaluation mondiale sur la biodiversité de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (ou Intergovernmental Platform on Biodiversity and Ecosystem Services – IPBES en anglais), publié en mai 2019, relève une stabilisation de la superficie des forêts au niveau mondial.

Néanmoins, comme le note l’OAA, cette stabilisation est globalement attribuable à une augmentation des surfaces forestières en milieu tempéré qui compense les pertes de surfaces dans les forêts tropicales.

Par ailleurs, nous assistons à une destruction des forêts primaires, qui sont des écosystèmes vierges dont les processus écologiques n’ont pas été perturbés par les activités humaines. Or, les plantations de forêts artificielles ne sont pas en mesure de compenser la perte de la biodiversité exceptionnelle que ces forêts originelles abritent.

A.   Les activités humaines sont les principales Causes de la DESTRUCTION DES FORÊTS mondiales

1.   Le recul inquiétant du couvert forestier à l’échelle mondiale

La couverture forestière, à la fin de la dernière ère glaciaire – il y a environ 8 000 ans – est estimée à 62 millions de km2 soit près de la moitié des terres émergées du globe. En 2000, plus d’un tiers des forêts mondiales avait totalement disparu ([4]).

Sur la période 2000-2017, plus d’un quart de la déforestation mondiale observée (27 %) est définitive en raison d’un changement durable d’affectation des terres au profit de l’agriculture ou de l’urbanisation. Cette disparition définitive des forêts se concentre dans les zones tropicales et subtropicales dont le couvert forestier se voit également fortement dégradé par la progression de l’agriculture rotative (agriculture sur abattis-brûlis). Ce sont les zones tropicales qui enregistrent la plus forte perte nette de couverture arborée de l’ensemble des régions du monde ([5]).

La déforestation nette, qui est le résultat d’une disparition de certaines forêts compensée, au moins partiellement, par le boisement ou reboisement d’autres surfaces, est évaluée en moyenne à 5,2 millions d’hectares par an entre 1990 et 2015 mais elle a varié de 7,3 millions d’hectares par an au cours des années 1990 pour décroître à 3,3 millions d’hectares entre 2010 et 2015.

Les forêts naturelles sont ainsi passées de 3 961 millions d’hectares en 1990 (96 % des forêts) à 3 721 millions d’hectares en 2015 (93 % des forêts). Elles ont donc perdu 9,6 millions d’hectares par an. Dans le même temps, les plantations se sont accrues de 168 à 278 millions d’hectares, c’est-à-dire de 4,4 millions d’hectares par an, et sont passées en valeur relative de 4 à 7 % des surfaces de forêts mondiales. De la sorte, les plantations gagnent donc du terrain tout en n’occupant encore qu’une partie réduite des forêts ([6]).

Lorsqu’on s’intéresse au classement des pays selon le niveau de leur produit intérieur brut (PIB) par habitant, toutes les catégories voient leur surface forestière se réduire à l’exception de la catégorie des pays les plus riches. Plus le niveau de vie est faible et plus le rythme de la déforestation est élevé ([7]). Toutefois, il faut noter que, dans les pays à revenu moyen, la déforestation s’est réduite au cours du temps.

Les principales zones touchées par la déforestation appartiennent à des pays en développement de l’Afrique subsaharienne, de l’Amérique latine et Caraïbes et de l’Asie du Sud-Est. L’augmentation de la surface forestière, dans les pays où elle se produit, résulte à la fois de reboisements et de la recolonisation naturelle de terres abandonnées par l’agriculture, comme en Europe et en Amérique du Nord. La France, par exemple, suit ce schéma avec une multiplication par 1,5 à 2 de ses surfaces forestières au cours des deux derniers siècles et une progression qui se poursuit aujourd’hui au rythme élevé de l’ordre de 100 000 hectares par an ([8]).

La carte ci‑après présente le rapport entre gain et perte net annuel de forêt par pays entre 1990 et 2015 :

Source : OAA (2018).

a.   L’effondrement des forêts primaires

Moins du tiers des 39,9 millions de km2 de forêts restantes était encore épargné par l’exploitation humaine. Ces zones forestières primaires ne sont pas nécessairement vierges de toute présence humaine. Entre 40 à 80 % d’entre elles sont, en effet, habitées par des peuples autochtones qui participent d’ailleurs à leur préservation ([9]).

Les forêts primaires stockent plus de carbone que les autres et constituent des niches de biodiversité d’une richesse inouïe. Leur disparition est particulièrement inquiétante : 50 % des forêts primaires ont été détruites au cours du siècle dernier et près de 10 % l’ont été depuis le début du XXIe siècle. La déforestation des forêts primaires renforce l’aggravation des maladies et des catastrophes naturelles, la désertification et le réchauffement climatique.

Les dernières forêts primaires restantes se concentrent principalement dans les zones tropicales (48 %) et boréales (36 %) ([10]) . Elles sont officiellement protégées par la convention‑cadre des Nations unies sur la diversité biologique (CDB), signée lors du Sommet de la Terre de Rio (1992) mais qui reste hélas inégalement appliquée.

Le graphique ci‑après présente les pertes de forêts primaires par pays en hectares :

Source : World Ressources Institute (WRI).

Entre 2000 et 2017, le couvert forestier primaire mondial a été réduit de 9,3 % avec une perte moyenne de 205 km2 par jour, soit environ deux fois la superficie de la ville de Paris ([11]). Il convient de relever que certaines recherches n’excluent désormais plus la possibilité de points de non-retour pour certaines forêts primaires. Ainsi, en Amazonie, il était admis jusqu’à récemment que le seuil de bascule à partir duquel la forêt ne serait plus capable de s’auto‑régénérer, pourrait être atteint à partir de 40 % de sa surface détruite, chiffre que certaines études fixent désormais à 20 % de forêt disparue.

En 2002, deux pays – le Brésil et l’Indonésie –représentaient à eux seuls 71 % des pertes de forêts primaires tropicales. Des données plus récentes montrent que les frontières de la perte de forêts primaires commencent à se déplacer. Le Brésil et l’Indonésie n’ont représenté que 46 % des pertes de forêts primaires en 2018, tandis que des pays comme la Colombie, la Côte d’Ivoire, le Ghana et la République démocratique du Congo ont vu leurs taux de pertes augmenter considérablement. En 2018, on estime à 3,6 millions d’hectares la superficie des forêts tropicales primaires ayant disparu, soit une superficie équivalente à celle de la Belgique.

À ce rythme, de nombreuses forêts primaires pourraient avoir disparu d’ici la fin du siècle menaçant ainsi l’intégrité écologique de notre planète ([12]).

La carte ci‑après présente l’année de disparition prévue des forêts primaires humides :

Source : Centre commun de recherche de la Commission européenne (2019).

b.   La situation des forêts par zones géographiques

Il est important d’aborder ces données de manière plus détaillée selon les types de forêt et les zones bioclimatiques ou socio-économiques concernées, les processus de déforestation variant fortement en fonction des zones géographiques.

Les forêts boréales et tempérées sont principalement touchées par l’exploitation forestière et les incendies naturels se propageant à proximité des zones d’activité humaine. On note dans ces régions une régénération des forêts sur le long terme ainsi que par de nouvelles pousses dans des zones initialement trop froides pour accueillir des arbres mais rendus propices par le réchauffement climatique([13]). Cependant il faut garder à l’esprit que l’on ne parle ici que de couverture forestière qui est un élément quantitatif et non qualitatif ([14]). Une forêt riche et diversifiée offre une infinité d’habitats et soutient une grande communauté animale alors que les monocultures sont de pauvres environnements pour accueillir une faune diversifiée. Ces dernières sont également plus sensibles aux maladies et parasites qui y trouvent une homogénéité favorable à leur propagation ([15]).

Le graphique, ci‑après, présente le changement annuel de la superficie forestière par domaine climatique entre 1990 et 2015 :

Source : OAA (2015).

i.   Forêts tempérées en Europe

Les forêts tempérées occupent une surface plus réduite, mais celle-ci s’est fortement accrue, de 2,7 millions d’hectares par an, entre 1990 et 2015 pour faire passer leur proportion de 15 à 17 % des forêts mondiales ([16]).

Au sein de l’Union européenne, la couverture forestière a progressé de 10,5 % au cours des deux dernières décennies. 43 % de la superficie de l’Union européenne, soit 182 millions d’hectares, sont recouverts de forêts ou autres surfaces boisées, dont 134 millions d’hectares disponibles pour l’approvisionnement en bois. Les forêts de l’Union européenne se sont étendues : entre 1990 et 2015, le couvert forestier ayant progressé d’une superficie équivalente à celle de la taille de la Grèce, grâce à des programmes de boisement et de reboisement et à la repousse naturelle.

La politique forestière de l’Union européenne fournit un cadre assurant la cohérence des politiques en rapport avec les forêts. Les forêts représentent la moitié des zones de protection de la nature du réseau Natura 2000, couvrant 38 millions d’hectares, c’est-à-dire plus de 20 % des ressources forestières de l’Union.

Ces chiffres satisfaisants, résultats des politiques de reforestation volontariste, s’accompagnent également de chiffres plus préoccupants : 6 % des forêts d’Europe sont malades, affectées par des insectes ravageurs, des tempêtes ou des incendies. Jusqu’à 20 % des arbres seraient touchés par ces phénomènes que le réchauffement climatique ne cesse d’aggraver.

ii.   Forêts boréales

La forêt boréale pousse dans les régions froides de l’hémisphère Nord. Elle est constituée de conifères qui résistent au froid, comme l’épicéa et le sapin. Elle représente 29 % de la superficie forestière mondiale et constitue l’un des plus vastes réservoirs de carbone organique vivant de la planète.

Certaines forêts boréales, notamment celles du Canada et de la Russie, sont confrontées à un processus de dégradation et de morcellement accéléré lié à des pratiques non durables telles que les coupes à blanc de l’industrie papetière.

D’autre part, comme le relève le rapport spécial du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) sur le changement climatique et les terres (2019), le réchauffement climatique des régions boréales est deux à trois fois plus élevé que la moyenne mondiale. Un assèchement de la forêt boréale a pour conséquence une hausse des feux de forêts et une augmentation importante de la quantité de dioxyde de carbone (CO2) rejetée par les tourbières et les sols, accentuant les effets des changements climatiques.

Enfin, si la hausse de la température planétaire a tendance à accroître la productivité des forêts en augmentant le taux et la période de croissance des arbres, cet effet pourrait être annulé voire même s’inverser, notamment dans les forêts boréales, par un possible manque d’eau qui tendrait alors à limiter leur croissance.

iii.   Forêts tropicales

Les forêts tropicales qui occupent 12,5 millions de km2 de la surface terrestre ne représentent qu’une petite part de l’ensemble des terres émergées (9,8 %). Cependant les écosystèmes qu’elles abritent sont d’une richesse et d’une diversité exceptionnelle. Elles comptent 800 milliards d’arbres, soit 26 % de l’ensemble des arbres du monde et près de la moitié des espèces de plantes et d’animaux connues dans le monde y vivent ([17]). Elles représentaient, en 1990, 48 % des forêts mondiales mais elles se sont réduites en moyenne de 5,5 millions d’hectares par an et ne représentaient plus en 2015 que 44 % des forêts mondiales. Ces régions concentrent en moyenne 90 % des pertes annuelles de forêts naturelles depuis le début des années 1990.

Ces massifs forestiers, dont l’importance biologique est cruciale pour notre planète, se révèlent particulièrement vulnérables. Ces espaces enregistrent la plus importante perte nette de couverture arborée de l’ensemble des régions du monde. Les forêts tropicales sont victimes de l’exploitation massive de leur bois et de leur conversion en terres agricoles au profit de vastes plantations (caoutchouc dans le bassin du Congo, palmiers à huile en Asie du Sud‑Est, soja en Amérique du Sud) et de pâturages (élevage bovin en Amérique du Sud).

Au Brésil, c’est le développement de zones de colonisation agricole qui a provoqué une perte massive du couvert forestier de l’Amazonie. Aux alentours de la ville de Colniza, dans l’État du Mato Grosso, les exploitations d’élevage bovin se sont multipliées jusqu’aux limites des espaces protégés. Plus de 639 000 hectares de forêt ont ainsi disparu entre 2000 et 2017, ce qui représente plus de 23 % de la couverture forestière existante en 2000 ([18]).

En Malaisie, c’est l’expansion des plantations de palmiers à huile qui menace directement la forêt tropicale. Autour de la ville de Maran, ce sont plus de 717 000 hectares de forêts qui ont ainsi disparu depuis 2000, représentant plus de 40 % du couvert forestier originel ([19]). En Indonésie, selon l’OAA, entre 1990 et 2000 ce sont près de 6 millions d’hectares de plantations d’huile de palme qui auraient progressivement remplacé les forêts locales. L’industrie de l’huile de palme a de fait longtemps été l’un des plus gros contributeurs de la déforestation en Asie du Sud-Est. 80 % de la déforestation indonésienne résulteraient de pratiques illégales.

L’ampleur de la déforestation sur l’ensemble du continent africain est plus importante qu’en Asie : environ 2 millions d’hectares de forêt disparaissent chaque année en Afrique. C’est également sur ce continent que le processus de dégradation des forêts est le plus important. À l’inverse de l’Asie ou de l’Amazonie, l’Afrique subit une déforestation dont les principales origines ne sont pas liées à l’agriculture commerciale. La majorité de la déforestation et de la dégradation des forêts est liée à l’exploitation illégale des forêts ainsi que le fait de petits paysans qui produisent une agriculture locale de subsistance (agriculture sur abattis-brûlis) ou pour qui la forêt représente une source de bois de chauffage. En République démocratique du Congo, la construction de routes au cœur de la forêt tropicale pour les besoins de l’industrie forestière entraîne à sa suite une colonisation de ces zones où les paysans installent de nouvelles exploitations. À proximité de la ville de Bumba, dans le Nord du pays, ce sont plus de 585 000 hectares de forêt qui ont disparu entre 2000 et 2017, soit plus de 21 % des surfaces de la région ([20]).

Les graphiques, ci‑après, présente l’évolution de la destruction des forêts tropicales entre 2000 et 2017 :

Source : Bruce Albert, Fabrice Dubertet, François‑Michel Le Tourneau, Op. cit., p. 288 et 289.

L’année 2016 a enregistré la plus forte perte de surface annuelle de forêts tropicales, suivie de près par l’année 2017 au cours de laquelle 10 milliards d’arbres auront été abattus dans ces zones.

La forêt amazonienne

Des incendies ravageurs :

L’Amazonie qui s’étend sur une superficie de 5,5 millions de km² abrite une biodiversité exceptionnelle en réunissant sur son territoire quelque 390 milliards d’arbres et 30 000 espèces de plantes, 2 500 espèces de poissons, 1 500 espèces d’oiseaux, 500 espèces de mammifères, 550 espèces de reptiles et 2,5 millions d’insectes (1). Environ 33 millions de personnes la peuplent et environ 420 communautés autochtones vivent directement de ses ressources (2). Disposant de 60 % de l’Amazonie sur son territoire et de 15 à 20 % de la biodiversité mondiale, le Brésil jouit d’un couvert forestier considérable et de la plus grande biodiversité de la planète.

Depuis les années 1960, l’Amazonie est soumise à une déforestation rapide : elle aurait perdu près de 760 000 km2 de surface de forêts depuis les années 1960, soit près de 20 % de sa surface initiale. Depuis les années 1980, le développement de l’agriculture industrielle et notamment de l’élevage, a entraîné une accélération rapide de la déforestation. Selon l’OAA, l’élevage serait responsable d’environ 70 à 80 % de la déforestation dans la région amazonienne (en incluant la production d’aliments pour le bétail dont le soja). Le développement d’une production intensive d’élevage, associée à une consommation toujours plus importante de viande dans les pays développés serait ainsi la cause principale de la déforestation amazonienne. Depuis 1970, près de 20 % de la forêt amazonienne et 25 % des forêts de mangrove ont disparu.

Malgré l’occurrence annuelle de feux dans la région au cours de la saison sèche, l’ampleur des incendies constatés à l’été 2019 n’a rien à voir avec celle des années précédentes. Selon l’Institut national de recherche spatiale brésilien (INPE), 72 843 départs de feux ont ainsi été enregistrés en 2019, contre 39 759 en 2018, correspondant à une hausse inquiétante de 83 %.

La principale cause résiderait dans la reprise d’une déforestation massive en début d’année 2019, coïncidant avec l’arrivée au pouvoir du président brésilien, Jair Bolsonaro. L’INPE relève ainsi une augmentation de 88  % de la déforestation au Brésil, en juin, par rapport à ce qui avait été recensé l’année précédente. En 2019, le rythme de la déforestation en Amazonie a connu une forte augmentation avec la disparition de près de 5 000 km² de forêt amazonienne, soit l’équivalent de la surface du département des Bouches-du-Rhône.

Le service Copernicus de lutte contre le changement climatique de l’Union européenne a, par ailleurs, observé un « pic perceptible » d’émissions de monoxyde et de dioxyde de carbone générées par les incendies dans la forêt amazonienne, dont la fumée toxique a voyagé jusqu’aux côtes de l’Atlantique, dégradant fortement la qualité de l’air dans les régions traversées (3).

 

(1)    Organisation du Traité de coopération amazonienne (OTCA), Our Amazon.

(2)    OOA, L’Amazonie, un bien commun: protéger simultanément la biodiversité et les moyens de subsistance.

(3)    Copernicus, Carbon monoxide from Amazon fires.

 

Un drame qui a permis de mobiliser la communauté internationale à l’initiative de la France :

Ces feux de forêt ont suscité un émoi planétaire et provoqué un début de prise de conscience collective. La France s’est très rapidement mobilisée en faveur de l’Amazonie et votre rapporteur s’en félicite. Ainsi, dans le prolongement des premières annonces faites par le Président de la République lors du sommet du G7 à Biarritz, en août dernier, la France a impulsé le 23 septembre 2019, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies à New York, la tenue d’une réunion de haut niveau de lancement de l’Alliance pour la préservation des forêts tropicales afin de fédérer et donner une visibilité accrue à la question de la protection de ces forêts essentielles pour la régulation du climat et pour la biodiversité mondiale. Le Président de la République a indiqué que la France consacrerait 100 millions de dollars à l’Alliance.

Co-présidée par le Président de la République et ses homologues chilien et colombien, cette réunion a ainsi donné un espace d’intervention privilégié aux acteurs et pays clés pour les forêts tropicales et la lutte contre la déforestation. L’événement a été marqué par une présence au plus haut‑niveau de plusieurs États de forêts tropicales (Bolivie, République démocratique du Congo), de pays et organisations bailleurs (Norvège, Allemagne, Banque mondiale, Banque interaméricaine de développement), du Saint‑Siège ainsi que de l’Union européenne avec le président du Conseil européen.

Le Président de la République a rappelé les enjeux de la préservation des forêts tropicales, qui concernent directement la France en tant que « pays amazonien », 90 % du territoire guyanais étant occupé par l’Amazonie. Après avoir salué les engagements et soutiens financiers internationaux existants sur la lutte contre la déforestation et les efforts des pays du Pacte de Leticia (réunissant les pays amazoniens que sont le Brésil, la Bolivie, la Colombie, l’Équateur, le Guyana, le Pérou et le Surinam mais sans le Venezuela, ni la France), il a souligné le caractère inclusif de l’Alliance, en appelant le Brésil à la rejoindre rapidement. La communauté internationale a été appelée, à travers cette Alliance, à éviter la dispersion des initiatives et à accélérer la mise en œuvre de ses engagements.

Le chef de l’État a également plaidé pour la désignation d’une équipe de travail en charge de définir, d’ici à la COP 25 de la CCNUCC, qui se tiendra à Santiago du Chili en décembre prochain, une gouvernance et un plan d’action.

À l’occasion de cet évènement, d’autres annonces de financement en faveur de la lutte contre la déforestation ont été formulées à hauteur de 500 millions de dollars, comprenant une contribution du fonds ProGreen de la Banque mondiale sur la préservation de la biodiversité qui bénéficiera d’une participation de l’Allemagne d’un montant de 200 millions de dollars et de l’annonce de projets de l’Union européenne à hauteur de 190 millions d’euros.

2.   Les origines de la déforestation et de la dégradation des forêts

a.   La distinction entre les notions de déforestation et de dégradation des forêts

Il est tout d’abord important de distinguer les notions de déforestation et de dégradation des forêts. La deuxième notion précède souvent la survenance de la première. Les écosystèmes forestiers sont généralement d’abord dégradés avant d’être totalement détruits. Selon l’OAA, la superficie forestière mondiale a été réduite de 130 millions d’hectares, soit près de huit fois la superficie de la forêt française métropolitaine, sur la période 1990‑2015.

La déforestation se traduit par une diminution définitive du couvert forestier alors que la dégradation correspond à une baisse de la qualité de son écosystème (réduction de la végétation, dégradation des sols, effondrement de la biodiversité…). Les gains (expansion de la forêt) et pertes de forêt (déforestation) s’opèrent continuellement et sont donc très difficiles à surveiller, même à l’aide d’une imagerie satellitaire à haute résolution. La dégradation des forêts est encore plus difficile à mesurer, car il s’agit de la réduction de la capacité des forêts à fournir des biens et des services.

b.   La prévalence des facteurs humains dans les atteintes portées aux forêts

La déforestation et la dégradation des forêts sont causées par de multiples facteurs, certains humains et d’autres naturels. Les facteurs naturels sont les incendies de forêt, les maladies pouvant affecter les arbres ou les parasites. Néanmoins, la principale cause de déforestation et de dégradation des forêts à l’échelle mondiale reste l’expansion agricole pour la production de matières premières, en particulier la culture du soja, de l’huile de palme et l’élevage de bovins. Ces facteurs peuvent être directs avec le remplacement d’une parcelle de forêt par une exploitation agricole ou indirects avec l’ouverture d’une route dans un massif forestier qui va entraîner dans son sillon des populations dont les activités vont conduire à une altération de l’écosystème forestier.

Selon l’OAA, l’agriculture serait ainsi responsable à hauteur de 80 % de la déforestation et de la dégradation des forêts à l’échelle mondiale (30 à 35 % pour l’agriculture de subsistance et 45 à 50 % pour l’agriculture commerciale ou industrielle). Les 20 % restants se répartissent entre l’exploitation forestière (production de bois d’œuvre, de bois d’industrie et de bois‑énergie), les pratiques illégales liées à la récolte, à la transformation et au commerce du bois et des produits ligneux, l’industrie minière et l’expansion urbaine.

Parmi toutes les exploitations agricoles, c’est la culture du soja qui apparaît comme la plus destructrice pour la forêt. Sa production a été multipliée par deux ces dernières années et par plus de quatre au Brésil ces deux dernières décennies. Ce « boom du soja » est porté par la demande mondiale d’aliments, destinés notamment à l’élevage industriel (entre 70 % et 90 % de la production de soja est utilisée pour nourrir des animaux délevage ([21])) et entraîne la destruction de nombreux écosystèmes forestiers, en particulier en Amérique du Sud.

Une étude d’impact de la Commission européenne de 2013 montre que sur la période 1990‑2008, le soja représentait 60 % des importations de produits à risque, l’huile de palme 12 % et le cacao 8 %. Ces matières premières constituent à elles trois 80 % des importations pouvant générer de la déforestation dans les pays producteurs. Ainsi, notre consommation alimentaire a un impact direct et important sur la déforestation dans les zones tropicales : les pays européens sont responsables de plus d’un tiers de la déforestation liée au commerce international de produits agricoles.

B.   La forêt constitue un espace vital pour l’humanité

Les forêts mondiales apportent aux sociétés humaines de nombreux bénéfices sous la forme de biens et services. L’évaluation des écosystèmes pour le millénaire des Nations unies (2005) ([22]) distinguait trois catégories de services écologiques supports apportés par les forêts :

– les services d’approvisionnement (en eau, en matériaux et multiples biens non ligneux, notamment alimentaires et médicinaux) ;

– les services de régulation (du climat, des eaux, des sols…) ;

– les services socio‑culturels. Les forêts ont toujours représenté pour les civilisations humaines une source de réflexion métaphysique, d’inspiration esthétique ainsi que des lieux de loisirs.

En 2015, après deux années de négociations, les chefs d’État et de gouvernement réunis lors du Sommet spécial sur le développement durable, ont adopté, sous l’égide de l’Organisation des Nations unies, l’agenda 2030 qui fixe dix-sept objectifs de développement durable (ODD). Une nouvelle fois, les forêts sont incluses dans la quasi-totalité d’entre eux, et très souvent de manière significative ([23]).

1.   Le rôle des forêts dans la régulation du climat

Les forêts mondiales apportent une contribution remarquable à la lutte contre le changement climatique, sous diverses formes : séquestration de carbone en forêt par les arbres en croissance, stockage dans la biomasse vivante, puis la biomasse morte et la matière organique du sol. Elles constituent, derrière les océans, le deuxième plus grand puits de carbone de la planète. Selon des données publiées dans le rapport spécial du GIEC sur la désertification et la dégradation des terres dans le monde ([24]), d’août 2019, le sol et la couverture végétale et boisée des forêts contribuent à absorber 30 % des émissions de gaz à effet de serre. Par ailleurs, il apparaît que les forêts primaires – qui sont les plus menacées – offrent les capacités de stockage du carbone les plus importantes.

À titre d’illustration, en France, avec près de 70 millions de tonnes de CO2 captées chaque année, la forêt participe activement à la lutte contre le réchauffement climatique, sans compter le carbone stocké dans les produits en bois et l’énergie fossile économisée par l’utilisation du bois comme source d’énergie ([25]).

Par conséquent, la réduction de la déforestation, le boisement et la préservation et la gestion durable des forêts existantes sont des actions qui contribuent concrètement à l’atténuation du changement climatique. En sens inverse, la déforestation et la dégradation des forêts ont un impact négatif direct sur la régulation du climat en réduisant la capacité des forêts existantes à séquestrer et stocker le carbone et en augmentant les émissions de gaz à effet de serre via les incendies. Ainsi la déforestation, avec d’autres changements d’affectation des sols, est responsable de 12 % des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale selon des données du GIEC.

Dans son rapport spécial sur le réchauffement planétaire de 1,5 °C (2018) ([26]), le GIEC précise que, même si nous parvenons à éliminer toutes les émissions de combustibles fossiles, il sera nécessaire, pour empêcher la planète de se réchauffer au‑delà du seuil de 1, 5 °C, d’éliminer de l’atmosphère des quantités extrêmement importantes de carbone. Il apparaît donc comme une nécessité d’améliorer la capacité de séquestration et de stockage des gaz à effet de serre. L’urgence climatique nous oblige à préserver les forêts existantes et à restaurer les forêts dégradées pour qu’elles puissent pleinement jouer leur rôle.

2.   Le rôle des forêts dans la préservation de la qualité de l’eau et la régulation de son écoulement

Les forêts mondiales sont primordiales pour la régulation du cycle hydrique. Elles agissent directement en favorisant les précipitations, en permettant la recharge des nappes phréatiques et en renvoyant de l’humidité dans l’atmosphère par évapotranspiration. L’absorption de l’eau en forêt, qui est six fois supérieure à celle d’une simple parcelle d’herbe de surface égale, permet également de filtrer l’eau et de la purifier. En effet, les concentrations en nitrates et en produits phytosanitaires sont considérablement réduites (moins de 5 milligrammes par litre pour les nitrates) dans les eaux issues de la forêt ([27]). Plus des trois-quarts des réserves en eau utilisables du globe proviendraient de bassins versants forestiers ([28]) et plus de la moitié de la population mondiale dépendrait d’elles pour ses tâches domestiques et ses activités agricoles et industrielles.

De plus, les forêts, en absorbant de forts volumes d’eau qu’elle restitue progressivement, jouent également un rôle de tampon permettant de limiter les phénomènes d’érosion, qui peuvent provoquer des crues et des glissements de terrain. En outre, le couvert forestier protège le sol du vent et des fortes pluies, qui sont les deux principaux responsables de l’érosion et de la dégradation des sols.

3.   Le rôle des forêts dans la lutte contre la pauvreté et en faveur de la sécurité alimentaire

Les forêts mondiales jouent un rôle important en matière de lutte contre la pauvreté en procurant des moyens de subsistance aux 820 millions de personnes vivant sous les tropiques et à proximité des forêts, dont 251 millions se trouvent en dessous du seuil de pauvreté (soit 40 % des personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté) et en apportant des services de régulation à la petite agriculture rurale ([29]).

Les forêts mondiales contribuent par ailleurs directement ou indirectement à la sécurité alimentaire : elles produisent des compléments alimentaires et offrent certains services écosystémiques essentiels (pollinisation, protection des eaux et des sols…) bénéficiant aux productions agricoles alimentaires alentours. Par ailleurs, environ 2,4 milliards de personnes dans le monde utilisent des combustibles ligneux pour cuisiner ou pour chauffer leur habitation. 765 millions d’entre eux environ s’en servent pour faire bouillir et stériliser l’eau Le recours aux combustibles ligneux est plus élevé en Afrique (63 %), suivie de l’Asie et de l’Océanie (38 %), de l’Amérique et des Caraïbes (15 %).

L’accès aux produits et aux biens et services forestiers joue souvent un rôle de « filet de sécurité » face aux aléas de revenus. Certaines études indiquent que les forêts et les arbres pourraient représenter environ 20 % du revenu des ménages ruraux dans les pays en développement, en leur procurant un revenu monétaire ou en leur permettant de satisfaire des besoins de base. On estime que les produits forestiers non ligneux apportent des aliments, un revenu et une diversité nutritionnelle à une personne sur cinq dans le monde, notamment aux femmes, aux enfants, aux paysans sans terre et à d’autres personnes en situation de vulnérabilité.

Le graphique ci‑après présente le pourcentage par pays du revenu des ménages tiré des produits forestiers non ligneux :

Une étude de 2015 a prouvé que l’exclusion des forêts des portefeuilles de moyens d’existence ruraux aurait une incidence considérable sur les taux de pauvreté.

Par ailleurs, les femmes prennent une part très active aux travaux forestiers, tels que la collecte de bois de feu, de plantes médicinales, ainsi que dans la recherche de nourriture destinée à la consommation familiale. Ainsi, près de 83 % des 850 millions de personnes qui collectent du bois de feu ou qui produisent du charbon de bois sont des femmes selon des données de l’OAA (2014). Les forêts apportent des centaines de produits et services commercialisables, et l’accès des femmes à ces derniers, présente un fort potentiel de renforcement de l’égalité homme‑femme dans le monde en développement ainsi qu’une autonomisation économique et politique des femmes.

Obligées de vivre sur un territoire de plus en plus restreint pour chasser, les populations autochtones pâtissent du manque de reconnaissance du rôle de la forêt comme principale source de leur survie et luttent chaque jour pour défendre leur indépendance. Dans le même temps, la déforestation menace leurs moyens de subsistance et donc leur sécurité alimentaire, tout en aggravant le changement climatique, les conflits (y compris hommes‑animaux) et les migrations de population.

II.   Le renforcement de la mobilisation en faveur de la préservation et de la restauration des forêts mondiales paraît impératiF

A.   Le caractère insuffisant et disparate de la protection internationale

1.   Des initiatives internationales nombreuses mais trop fortement éclatées

La gouvernance mondiale des forêts se caractérise par l’absence de traité spécifique. Cette situation constitue indéniablement, aux yeux de votre rapporteur, un manque. De plus, l’éclatement du sujet au sein de différentes conventions internationales ainsi que la multiplicité des déclarations et des partenariats globaux et régionaux existants nuisent à la visibilité et à la cohérence des actions menées en faveur de la préservation et de la restauration des forêts mondiales.

Cet état de fait traduit à la fois l’importance des enjeux liés aux forêts mais également la complexité et la pluralité des causes, des conséquences et des solutions envisagées.

a.   L’absence d’une convention‑cadre des Nations unies pour la préservation et la restauration des forêts mondiales constitue un manque criant

L’existence d’un clivage entre pays développés et pays en développement a jusqu’à présent fait obstacle à l’établissement d’un instrument multilatéral contraignant spécifique aux forêts. Les pays du Nord font habituellement valoir que les forêts constituent un patrimoine d’intérêt mondial qui, en tant que tel, nécessite des dispositions internationales. Les pays du Sud arguent, au contraire, du fait que les forêts sont des ressources naturelles et mettent en avant leur souveraineté sur ce qui constitue pour eux un potentiel de développement économique. Ils craignent, en effet, le spectre d’une gouvernance mondiale sur les zones forestières qui les priverait d’un accès à leurs ressources naturelles.

Cette opposition à l’adoption d’un cadre unifié a conduit, en 1992, lors du Sommet de la Terre de Rio, à un éclatement des problématiques environnementales relatives aux forêts au sein des différentes conventions des Nations unies que sont :

– la convention‑cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) ;

– la convention sur la diversité biologique (CDB) ;

– la convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD).

Depuis lors, les questions forestières sont abordées de manière fragmentée dans le cadre de ces trois grandes conventions relatives au climat, à la biodiversité et à la désertification. La question des forêts est également traitée dans le cadre de la convention relative aux zones humides, impulsée par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), dite convention de Ramsar (1971).

Au sein de la CCNUCC, les forêts sont prises en compte à la fois dans les inventaires nationaux de gaz à effet de serre et dans les contributions nationalement déterminées (CDN) pour atteindre les objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. La contribution du couvert forestier est reconnue dans le cadre du protocole de Kyoto ainsi que dans celui de l’accord de Paris. Les forêts sont d’ailleurs explicitement évoquées à l’article 5 de l’accord de Paris en tant que « puits et réservoirs de gaz à effet de serre ».

La CDB traite des forêts à travers un programme de travail élargi sur la diversité biologique forestière, adopté en 2002, visant à la conservation de la biodiversité forestière, l’utilisation durable de ses composantes et l’utilisation juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques forestières.

Au sein de CNULCD, adoptée en 1994, les forêts et espaces boisés sont intégrés à la définition préalable de la notion de « dégradation des terres », qui désigne « la diminution ou la disparition, dans les zones arides, semi-arides et subhumides sèches, (…) des forêts ou des surfaces boisées, du fait de lutilisation des terres ou dun ou de plusieurs phénomènes, notamment de phénomènes dus à lactivité de lhomme et à ses modes de peuplement ». En conséquence, les programmes d’action nationaux définis en application de la convention doivent prévoir des mesures de protection et gestion durable des ressources naturelles, y compris des forêts (article 8 de la CNULCD).

Les problématiques relatives aux mangroves et tourbières forestières sont traitées quant à elles dans le cadre d’un instrument international spécifique au travers de la convention de Ramsar.

En 2000, huit ans après l’échec des négociations lors du Sommet de la Terre de Rio visant à aboutir à un accord global contraignant sur les forêts, un arrangement international sur les forêts (International Arrangement on Forests) a été établi dans le cadre du Conseil économique et social (ECOSOC) des Nations unies dans le but de promouvoir la gestion, la conservation et le développement durable de tous les types de forêts et de renforcer un engagement politique à long terme en ce sens.

Cet arrangement international comprend deux volets :

– le Forum des Nations unies sur les forêts (FNUF) qui regroupe tous les états membres des Nations unies ;

– le Partenariat de collaboration sur les forêts (PCF) qui fédère et coordonne quatorze organisations impliquées dans les questions forestières.

Le FNUF a notamment négocié un instrument juridiquement non contraignant sur tous les types de forêts adopté en 2007 par l’Assemblée générale des Nations unies, visant la mise en œuvre effective de la gestion durable des forêts. Cependant cet arrangement international sur les forêts apparaît plus comme un espace de concertation que comme un lieu de prises de décisions. Ce n’est pas dans son cadre que semble se jouer l’avenir mondial des forêts. Pour votre rapporteur, la France doit tirer profit de la prise de conscience mondiale, qui a été ravivée, ces derniers mois, par les incendies qui ont ravagé l’Amazonie, pour œuvrer en faveur de l’établissement d’un instrument mondial cohérent et viable intégrant l’ensemble des questions forestières. Il nous faut parvenir sur cette question à un consensus permettant d’assurer le développement des pays du Sud tout en préservant les forêts mondiales qui sont vitales pour l’ensemble de l’humanité.

Les mois qui viennent seront riches en opportunités permettant de concrétiser cette ambition aux échelles européenne et mondiale en faveur de la gouvernance des forêts. Le congrès mondial de la nature de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), à Marseille en juin 2020, constituera notamment une occasion exceptionnelle pour mobiliser les chefs d’État et de Gouvernement, la communauté scientifique mondiale ainsi que l’opinion publique internationale sur cette thématique.

À l’instar de ce qui a été fait pour la question climatique, il est urgent que nous prenions collectivement conscience de notre responsabilité s’agissant de la dégradation et de la disparition des forêts. Il est impératif de mettre un terme à l’indifférence générale sur cette question et d’agir, résolument, en faveur de la protection de la nature et du vivant.

La France, comme elle l’a fait par le passé sur la question climatique, doit apparaître comme une nation cheffe de file sur cette thématique. Elle dispose pour cela de nombreux atouts : elle jouit d’une véritable légitimité puisqu’elle dispose de couverts forestiers tempérés en métropole mais également tropicaux en Guyane (90 % de ce territoire étant occupé par la forêt amazonienne), elle est riche d’une expertise reconnue dans le domaine forestier – notamment aux travers des actions de l’Office national des forêts International (ONFI) et de l’Agence française de développement (AFD) – et se trouve être le premier pays à avoir élaboré et adopté une stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée (SNDI) aussi ambitieuse. Une mise sous tension du réseau diplomatique est actuellement à l’œuvre sur cette problématique – tous les ambassadeurs ont reçu en juillet 2019 une note du ministère chargé des affaires étrangères sur les enjeux de la lutte contre la déforestation – ce dont votre rapporteur se félicite.

Les forêts mondiales méritent une préservation à la hauteur de leur importance pour l’intégrité écologique de notre planète. Compte tenu des lourdes menaces qui pèsent actuellement sur elles, une convention‑cadre des Nations unies permettrait d’apporter un niveau de protection plus important dans un cadre cohérent et unifié ainsi qu’une meilleure visibilité. La transposition d’un régime ambitieux de protection similaire à celui ayant cours en Antarctique n’est pas réaliste. Les forêts sont des espaces qui abritent des populations nombreuses et représentent d’une manière ou d’une autre un fort potentiel de développement économique. Toutefois, un équilibre peut et doit être trouvé pour parvenir à une gestion raisonnée des forêts mondiales. Une telle ambition doit être inscrite en haut de notre agenda diplomatique pour les mois et les années à venir avec, comme objectif, l’adoption d’une convention‑cadre sous l’égide des Nations unies.

b.   Le foisonnement d’initiatives internationales et régionales produit des résultats mais nuit à la visibilité et à la cohérence des actions menées en faveur des forêts mondiales

L’absence d’un cadre juridique international unifié et contraignant se double depuis une vingtaine d’années d’un foisonnement d’initiatives internationales et régionales en faveur des forêts. Certaines d’entre elles produisent des résultats satisfaisants et présentent parfois l’avantage de faciliter les échanges entre les acteurs locaux. Mais, la prolifération de ces initiatives a pour effet de diluer la mobilisation générale en faveur des forêts mondiales et d’affaiblir la visibilité de cette problématique sur la scène internationale.

i.   Les initiatives internationales en faveur des forêts

Le programme de collaboration des Nations unies sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre liées à la déforestation et à la dégradation des forêts dans les pays en développement (programme ONU-REDD) est un programme partagé entre trois agences des Nations unies : le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et l’OAA, tirant parti du rôle et de l’expertise technique de chacune de ces agences. Ce programme, lancé en 2008, vise à soutenir les pays forestiers dans leur volonté de développer et de mettre en œuvre le mécanisme REDD+ ([30]).

Ce mécanisme est une approche introduite dans les années 2000 dans le cadre de la CCNUCC. Cet acronyme désigne les démarches concrètes engagées et les incitations positives mises en place pour réduire les émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts et favoriser la conservation et l’augmentation des stocks de carbone forestier, ainsi que la gestion forestière durable dans les pays en développement (+). La pérennité de cette approche repose sur une mise en œuvre effective, transparente et fiable de ces activités sur le terrain et la mobilisation des ressources financières suffisantes, à la fois pour la mise en œuvre des activités et pour le paiement pour résultats des réductions d’émission.

Le programme ONU-REDD est un programme de coopération au développement financé principalement par la Norvège. Les autres bailleurs de fonds sont la Commission européenne, le Danemark, le Japon, l’Espagne, le Luxembourg et la Suisse. Le financement investi depuis 2008 s’élève à 320 millions de dollars (dont 270 millions de dollars de la Norvège) et les engagements ont été pris jusqu’en 2020. Le programme ONU‑REDD est déployé dans vingt-cinq pays en Amérique latine, Afrique, ainsi qu’en Asie du Sud-Est.

La France ne finance pas directement ce programme. En revanche, elle prend part au mécanisme REDD+ via des actions de coopération bilatérale mis en place par l’AFD et d’autres programmes multi‑partenaires.

La déclaration de New York sur les forêts est un instrument politique juridiquement non contraignant. Elle est née du dialogue entre gouvernements, entreprises et société civile, et initié à l’occasion du Sommet sur le climat du Secrétariat général des Nations unies en 2014. Le bilan de cette initiative est globalement positif. Elle repose sur deux engagements majeurs :

– réduire de moitié la perte naturelle de forêts d’ici 2020, et y mettre fin d’ici 2030 ;

– restaurer les forêts et les terres cultivées sur un territoire d’une superficie plus grande que l’Inde.

La France, qui a signé la déclaration de New York, dès septembre 2014, s’est donnée les moyens de remplir cet engagement en adoptant sa SNDI, en novembre 2018, qui vise à mettre fin à la déforestation issue de nos importations de denrées produites de manière non durable.

Dans ce cadre, soixante-quinze États sont en train d’élaborer ou de mettre en œuvre des stratégies nationales globales et des plans d’action nationaux pour réduire la perte de forêts, augmenter le couvert forestier et gérer durablement leurs forêts. Nombre de pays donateurs ont fourni un total de plus de 5 milliards de dollars en financement à plus de cinquante pays pour des programmes de soutien à des projets qui visent à ralentir, inverser ou arrêter la déforestation.

Par ailleurs, des producteurs et négociants de produits de base se sont engagés à réduire à zéro leurs émissions en termes de déforestation et d’améliorer la traçabilité de leurs produits. Le Forum des biens de consommation (Global Consumer Forum), alliance mondiale regroupant 400 grandes entreprises, s’est engagé pour sa part à éliminer la déforestation de l’offre de biens de consommation de ses membres d’ici à 2020.

Les déclarations d’Amsterdam (2015) engagent les signataires à coordonner leurs efforts sur la demande afin déliminer la déforestation provenant de lapprovisionnement en huile de palme et dautres chaînes dapprovisionnement agricoles, renouvelant ainsi les objectifs de la déclaration de New York sur les forêts.

La France a pris part à cette initiative aux côtés de l’Allemagne, du Danemark, de l’Italie, des Pays‑Bas, du Royaume‑Uni et de la Norvège. Alors qu’elle assurait la présidence du partenariat pour les déclarations d’Amsterdam, au premier semestre 2018, la France s’était engagée à respecter l’objectif de promotion de l’élimination de la déforestation, intention politique juridiquement non contraignante, et à soutenir les efforts du secteur privé pour atteindre une déforestation nette nulle.

Elle soutient également l’engagement du secteur privé en faveur d’une chaîne d’approvisionnement en huile de palme pleinement durable d’ici à 2020 (European Sustainable Palm Oil – ESPO en anglais) signé par huit organisations nationales et trois organisations sectorielles européennes.

Quatre ans après sa création, le partenariat pour les déclarations d’Amsterdam demeure un groupe soudé et dynamique, qui échange régulièrement et se montrer actif. À la fin de l’année 2018, les membres de ce partenariat ont envoyé une lettre commune à la Commission européenne lui demandant la mise en place d’un plan d’action ambitieux en matière de déforestation importée.

Le « défi de Bonn » a été lancé en 2011 à l’occasion d’un événement organisé par le gouvernement allemand et l’UICN. L’objectif de cette initiative est de restaurer 150 millions d’hectares de terres dégradées et déboisées d’ici à 2020 qui devrait permettre de stocker jusqu’à 1,7 gigatonne de CO2 équivalent par an. La cible du « défi de Bonn » a été rehaussée à 350 millions d’hectares d’ici à 2030 par la déclaration de New York sur les forêts, lors du Sommet sur le climat des Nations unies, en 2014.

C’est également un instrument de mise en œuvre de certaines priorités nationales comme un accès sûr à l’eau, à la sécurité alimentaire et au développement rural. Le « défi de Bonn » vise à aider les pays à contribuer à la réalisation de leurs engagements dans le domaine du changement climatique, de la biodiversité et de lutte contre la dégradation des terres.

En 2019, les promesses d’engagement de cinquante-sept gouvernements, associations et entreprises s’élèvent sur une surface correspondant à 170 millions d’hectares. Quelques résultats très positifs de cette initiative méritent d’être mis en avant :

– une restauration de paysages forestiers réalisée à grande échelle. Sur les treize pays ayant présenté des rapports sur les superficies, 43,7 millions d’hectares sont en cours de restauration ce qui équivaut à 29 % de l’objectif total du « défi de Bonn » ;

– ces activités de restauration ont permis la création de 354 000 emplois supplémentaires dans les zones concernées ;

– environ un milliard de tonnes d’équivalent CO2 ont été séquestrées grâce à ces programmes.

L’Initiative mondiale pour les tourbières a pour ambition, avant 2030, de renforcer la conservation, la restauration et la gestion durable des tourbières dans vingt-cinq pays clés, de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et de maintenir les avantages fournis par leurs écosystèmes.

Les tourbières se composent de matière végétale accumulée depuis des milliers d’années sans être totalement décomposée, compte tenu du milieu saturé d’eau dans lequel elles se trouvent. Elles représentent les stocks de carbone les plus efficaces par rapport à l’espace qu’elles occupent sur terre : ne couvrant que 3 % de la superficie émergée, elles contiennent plus de carbone que toute la biomasse forestière du monde. Lorsqu’une tourbière est drainée, la tourbe se décompose et libère le carbone dans l’atmosphère, sous forme de gaz à effet de serre. À l’échelon mondial, 15 % des tourbières ont été drainées. Les 65 millions d’hectares de tourbières dégradées que cela représente couvrent moins de 0,4 % des terres émergées mais sont responsables de 5 % des émissions anthropiques de CO2.

Parmi les membres fondateurs de l’initiative mondiale pour les tourbières, nous retrouvons notamment : les gouvernements de l’Indonésie, du Pérou, de la République du Congo, le PNUE, la convention de Ramsar sur les zones humides, l’OAA, le Fonds international de développement agricole (FIDA) et la Commission européenne. Pour sa part, la France traite de la question spécifique des tourbières par le biais de la convention de Ramsar, instrument universel de la conservation des zones humides, partie prenante de cette initiative.

Par ailleurs, la troisième réunion de l’initiative, qui s’est tenue à Brazzaville en 2018, a permis de mettre en lumière le capital environnemental des tourbières de la cuvette centrale du bassin du Congo et son rôle mondial. Cette zone constitue un écosystème humide remarquable, par son extension géographique (156 000 km²), sa singularité et ses spécificités bioécologiques ainsi que par la richesse des savoirs et des cultures autochtones qui ont permis sa préservation et sa valorisation. Les tourbières de la cuvette du bassin du Congo rendent des services environnementaux majeurs. Elles constituent un puits de carbone gigantesque (de l’ordre de 30 gigatonnes équivalent carbone) essentiel pour l’équilibre du climat mondial. En tant que zone de rétention d’eau, elles exercent une fonction critique de régulation de l’hydrologie dans toute la région. Elles contribuent ainsi à la pérennité des écosystèmes et de la couverture forestière du bassin du Congo.

Cette mobilisation a permis non seulement de confirmer le rôle essentiel des tourbières pour le climat et la biodiversité et mais aussi de susciter à l’échelon régional la coopération transfrontalière entre les deux Congo qui sont dans des situations différentes et se distinguent dans leurs approches. Le Congo‑Brazzaville abrite environ un tiers des tourbières de la cuvette centrale du bassin du Congo et la pression anthropique dans cette zone est relativement faible tandis que le Congo‑Kinshasa abrite les deux tiers restants, dans une zone où la pression anthropique est particulièrement marquée. L’initiative mondiale pour les tourbières favorise ainsi un rapprochement entre les deux pays au profit de la protection des tourbières. Un protocole d’accord a été signé en ce sens en février 2018, par les deux Congo pour la création d’un organe de gestion commun de l’écosystème concerné.

ii.   Les mobilisations régionales

La première conférence ministérielle pour la protection des forêts en Europe ou « processus dHelsinki » a été initiée en 1989, par les ministres de l’agriculture et de la forêt français et finlandais. Elle est depuis 2009 dénommée « Forest Europe ».

L’idée était de créer, dans le domaine de la protection et de la gestion durable des forêts, une dynamique politique au niveau du continent européen, pour appuyer la mise en œuvre effective d’un nombre limité de projets concrets réunissant le double critère d’un bon état de maturité technico‑scientifique et d’une forte attention politique.

À ce jour, quarante-cinq États du continent européen en sont membres ainsi que l’Union européenne. Depuis son lancement, cette initiative a notamment permis l’élaboration de critères de gestion forestière durable (« les critères dHelsinki ») et s’est engagée dans l’élaboration d’un accord juridiquement contraignant sur les forêts en Europe à l’horizon 2020. Démarche que votre rapporteur soutient et qui pourrait éventuellement préfigurer, en cas de succès, l’élaboration d’un accord plus large sous l’égide des Nations unies.

Le groupe de travail du processus de Montréal a été lancé en 1994 et s’est donné pour mission l’élaboration d’un ensemble de critères et d’indicateurs de gestion durable pour les forêts tempérées et boréales des pays membres que sont l’Argentine, l’Australie, le Canada, le Chili, la Chine, le Japon, la Corée du Sud, le Mexique, la Nouvelle‑Zélande, la Russie, les États‑Unis, et l’Uruguay. Ces douze pays représentent à eux seuls 49 % des forêts mondiales et plus de 45 % des produits de l’exploitation forestière.

En février 1995, les membres groupe de travail du processus de Montréal ont signé la déclaration de Santiago définissant un ensemble de lignes directrices permettant d’évaluer les tendances forestières nationales et les progrès à réaliser en faveur d’une gestion durable des forêts tempérées et boréales.

Les chefs d’État de l’Afrique centrale, réunis à Yaoundé en 1999, afin d’examiner les problèmes liés à la conservation et à l’utilisation durable des écosystèmes forestiers de la région, ont décidé à cette occasion la création de la Commission des forêts d’Afrique centrale (COMIFAC), organisation en charge de l’orientation, de l’harmonisation et du suivi des politiques forestières et environnementales en Afrique centrale.

Les pays membres de la COMIFAC sont le Burundi, le Cameroun, le Congo‑Brazzaville, le Gabon, la Guinée équatoriale, le Rwanda, Sao Tomé-et-Principe, la République centrafricaine, la République démocratique du Congo et le Tchad.

En 2015, les membres de la COMIFAC se sont engagés à agir de façon conséquente et durable en faveur de la régénération et du reboisement forestier, du développement et de la mise en œuvre des stratégies nationales d’adaptation aux changements climatiques, du développement et de la mise en œuvre des mesures d’atténuation aux changements climatiques, de la lutte contre la dégradation des terres et de la désertification. L’objectif stratégique poursuivit vise à stabiliser le taux de déforestation et de dégradation des forêts dans tous les pays d’Afrique centrale d’ici à 2025.

La COMIFAC souffre d’une carence en ressources humaines et financières et doit régulièrement avoir recours à l’expertise internationale pour soutenir ses projets, ce qui n’est pas de nature à lui permettre de se forger une compétence propre dans des domaines tels que les liens entre préservation des écosystèmes forestiers et lutte contre le changement climatique. Par ailleurs, pour la mise en œuvre de la politique de la COMIFAC, tous les États parties conservent leur souveraineté législative et réglementaire. Aussi, les décisions prises au niveau de la COMIFAC ne s’appliquent pas automatiquement. Il appartient à chaque État, avec toutes les difficultés et les obstacles (politiques, financiers…) que cela comporte, de transposer la politique de la COMIFAC dans sa législation nationale.

2.   Une mobilisation européenne effective qu’il faut néanmoins renforcer afin de limiter drastiquement les effets de la déforestation importée

a.   Un plan d’action européen efficace s’agissant de l’exploitation forestière du bois tropical

Initié en 2003, le plan d’action européen pour l’application des réglementations forestières, la gouvernance et le commerce (Forest Law Enforcement, Governance and Trade – FLEGT en anglais) est un dispositif de l’Union européenne visant à promouvoir la gestion durable de la forêt tropicale et l’arrivée du bois légal sur les marchés européens. Il se compose de deux outils :

– les accords de partenariat volontaires (APV) ;

– le règlement « Bois » de l’Union européenne (RBUE) ([31]).

Les APV sont des accords bilatéraux signés entre l’Union européenne et des États partenaires, producteurs de bois, aux termes desquels ceux-ci s’engagent à améliorer leur cadre légal d’exploitation du bois et à mettre en place un système de traçabilité de la ressource. Une fois que la Commission européenne estime que l’État partenaire a réalisé les réformes nécessaires, elle offre une présomption de légalité au bois originaire de ce pays. Six accords FLEGT ont ainsi été signés (avec le Cameroun, la Centrafrique, le Congo, le Ghana, le Libéria, l’Indonésie) et neuf sont en cours de négociation (la Côte d’Ivoire, le Gabon, la République démocratique du Congo, le Guyana, le Honduras, le Laos, la Malaisie, la Thaïlande et le Vietnam). Depuis le 15 novembre 2016, les premières licences FLEGT ont été attribuées en Indonésie, premier pays autorisé à exporter du bois vers les marchés européens sous présomption de légalité.

Le règlement « Bois » de l’Union européenne interdit la mise sur le marché de bois exploité illégalement et oblige les entreprises mettant pour la première fois du bois sur le marché à mettre en place un système de diligence raisonnée permettant d’assurer la traçabilité du bois et de réduire le risque que celui-ci soit issu d’une récolte illégale. Ce règlement, adopté par le Parlement et le Conseil européen en octobre 2010, est entré en application en mars 2013.

La diligence raisonnée qui est une démarche active ayant pour objectif d’éviter de commercialiser du bois illégal se fait en plusieurs étapes :

– collecte des informations : description des marchandises y compris de leur poids et volumes et des essences de bois concernées, informations prouvant le respect de la législation en vigueur dans le pays de provenance, et coordonnées des fournisseurs ;

– évaluation et analyse du risque d’illégalité et du risque essence ;

– atténuation du risque, par exemple en demandant des informations additionnelles, la vérification par une organisation de contrôle tierce‑partie, ou en changeant de fournisseur.

Le RBUE couvre toutes les entrées sur le marché communautaire, notamment les produits qui sont transformés dans des pays qui importent des grumes ou des produits de base des pays forestiers tropicaux, afin de les réexporter sous une forme plus élaborée vers l’Europe.

Comme indiqué à votre rapporteur, à l’occasion de plusieurs auditions, le processus FLEGT a un effet structurant sur l’amélioration de la gouvernance dans les pays forestiers tropicaux. Ce plan d’action doit être considéré comme un catalyseur permettant l’amélioration des pratiques de gouvernance des pays forestiers tropicaux avec lesquels l’Europe entretient des relations commerciales. Le processus FLEGT permet un renforcement du respect des législations environnementales du pays de récolte, contribue à assurer l’effectivité des recettes fiscales pour ces mêmes pays, renforce les capacités des administrations locales et améliore la transparence des filières forestières dans leur ensemble.

Une telle réglementation pourrait utilement servir de modèle et être promue à l’échelon international, afin de renforcer significativement la préservation des forêts tropicales. En l’absence de généralisation, persistera, en effet, le risque de « double marché » : un marché vertueux pour les États appliquant une réglementation similaire au processus FLEGT et un marché à bas‑coûts pernicieux et peu regardant sur le traitement réservé aux forêts.

b.   Un projet de renforcement de l’action de l’Union européenne s’agissant de la protection et de la restauration des forêts mondiales

La Commission européenne a publié le 23 juillet 2019 une communication intitulée Action pour protéger et restaurer les forêts du monde. Cette communication se donne un double objectif :

– protéger et améliorer la santé des forêts existantes ;

– accroître sensiblement la couverture forestière et biodiversifiée dans le monde.

L’objectif principal est le renforcement des moyens pour protéger les forêts et les restaurer durablement, objectif conforme au cadre d’engagement temporel formulé lors de la précédente communication de 2008 de mettre un terme à la perte du couvert forestier mondial à l’horizon 2030, mais aussi en lien avec les stratégies et les engagements internationaux existants de l’Union européenne.

Cette approche se veut partenariale, tant avec les pays producteurs qu’avec la société civile. Si un système de revue n’est pas clairement mentionné, il est laissé à la prochaine Commission européenne le soin de mettre en œuvre et de renforcer les actions proposées.

Pour répondre à ces enjeux, la Commission européenne a défini cinq priorités que la France a déjà intégrées dans sa propre stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée (SNDI) :

1) réduire l’empreinte de la consommation de l’Union européenne sur les terres et encourager la consommation de produits issus de chaînes d’approvisionnement sans déforestation dans l’Union ;

2) travailler en partenariat avec les pays producteurs pour réduire les pressions sur les forêts ;

3) renforcer la coopération internationale pour mettre fin au déboisement et à la dégradation des forêts et encourager la restauration des forêts ;

4) réorienter le financement pour soutenir des pratiques d’utilisation des terres plus durables ;

5) soutenir la disponibilité, la qualité et l’accès à l’information sur les forêts et les chaînes d’approvisionnement en produits de base, et soutenir la recherche et l’innovation.

Il reviendra à la nouvelle Commission européenne dirigée par Ursula von der Leyen, qui prendra ses fonctions le 1er novembre 2019, de concrétiser cette ambition afin que l’Union européenne se dote d’un véritable cadre lui permettant de décloisonner les questions agricoles et forestières, de lutter efficacement contre la première cause de déforestation mondiale que représente l’agriculture en zone tropicale et de mettre sur pied une stratégie en vue de développer son autonomie protéinique.

B.   Les actions concrètes menées par la France au profit de la préservation et de la restauration des forêts mondiales

Les efforts de conservation de la biodiversité entrepris depuis vingt-cinq ans, auxquels la France a pris pleinement part, ont été réels et les étendues forestières affectées à cette fin sont vraisemblablement amenées à augmenter dans les années à venir. En revanche, une forêt secondaire voire une forêt artificielle en monoculture n’offrira jamais le même niveau de bénéfices écosystémiques. Le déclin global de la biodiversité, qui trouve notamment son origine dans la dégradation ou l’amenuisement de la forêt primaire, s’inscrit dans une tendance lourde et préoccupante contre laquelle il est impératif de se mobiliser.

Afin d’enrayer ce déclin, l’intégration des politiques de conservation aux programmes plus globaux de développement constitue une solution efficace, ainsi qu’une prise en compte plus systématique de la conservation de la biodiversité au regard des autres besoins de la société. L’expansion des pratiques de gestion durable des forêts est également de nature à favoriser la conservation des forêts tout comme la prise d’engagements nationaux vis-à-vis des principaux facteurs de déforestation ou de dégradation des écosystèmes forestiers, à l’image de la SNDI française, dont il nous faut encourager et contrôler le déploiement. Il convient de continuer à promouvoir des dispositifs juridiquement contraignants, qui permettent non seulement de fixer des obligations minimales communes mais également d’encourager les pays à progresser dans le maintien de leur couvert forestier, notamment dans le domaine de l’exploitation.

L’approche française en la matière repose ainsi sur trois piliers :

– la promotion d’une gestion durable des forêts s’agissant de l’exploitation forestière ;

– le décloisonnement des questions agricoles et forestières sur le modèle de notre SNDI comportant des mesures pour gérer les impacts de la consommation française sur les forêts tropicales et la volonté d’atteindre rapidement notre autonomie protéinique ;

– l’engagement à rapprocher les questions climat‑biodiversité, dans la droite ligne des actions de la diplomatie environnementale française qui cherche à construire une séquence politique permettant de mettre en avant la biodiversité et de l’adosser à la question climatique.

1.   La gestion durable des forêts

L’exemple des forêts tropicales pour développer une gestion durable des massifs forestiers convient d’être relevé. La gestion des forêts tropicales a longtemps été réduite à la production de bois d’œuvre par des compagnies forestières disposant de grandes concessions d’exploitation. Néanmoins, depuis une vingtaine d’années, les populations rurales (communautés forestières traditionnelles, agriculteurs, etc.) ont été progressivement plus impliquées. Leurs objectifs de gestion sont sensiblement différents et ajoutent à la production de bois d’œuvre celle des produits forestiers non ligneux tels que la viande de brousse, les plantes comestibles ou médicinales. Plus récemment, la fourniture de services environnementaux par les forêts a été identifiée comme un nouvel objectif de gestion, incluant le stockage du carbone, le maintien de la biodiversité, la protection des sols, la régulation du cycle de l’eau. Ainsi, la gestion forestière tropicale doit s’adapter à de nouveaux enjeux et viser l’optimisation de la production de multiples biens et services, tout en maintenant les fonctions sociales et patrimoniales de la forêt. Le concept de gestion durable des forêts tente donc de concilier ces différents objectifs, selon le principe de « multifonctionnalité » des espaces, largement défendu par la France.

Dans les pays tropicaux, les surfaces des forêts dotées de plans d’aménagement et de certificats de gestion sont des indicateurs permettant d’observer des évolutions positives en direction de la gestion durable des forêts.

La progression de l’aménagement et de la certification a été rapide ces vingt dernières années en particulier en Afrique centrale grâce à l’aide publique au développement de la France.

Le graphique ci‑après présente le pourcentage de superficie forestière soumise à un plan de gestion de forêts, par domaine climatique, sur la période 1990‑2010 :

La certification des forêts trouve justement son origine dans l’émergence de la notion de développement durable. Lancées et mises en œuvre avant l’adoption du plan d’action communautaire FLEGT (cf. supra) les initiatives de certification de la gestion forestière visent à garantir, tout au long de la chaîne d’approvisionnement, que les produits forestiers commercialisés proviennent de forêts gérées durablement.

La certification se rapporte à « la délivrance dune assurance écrite par un organisme extérieur indépendant, qui audite un système de management et vérifie quil est conforme aux exigences spécifiées dans la norme ». Dans le cas des forêts il s’agit de démarches volontaires privées, qui peuvent compléter les réglementations en vigueur et les mesures plus classiques de politiques publiques. À travers ces démarches, les entreprises cherchent à démontrer à leur clientèle sensibilisée aux questions environnementales et sociales leur volonté d’aller au-delà des exigences de gestion légales. Certains gouvernements jouent néanmoins un rôle actif dans la mise en œuvre de ces dispositifs privés et ont également largement contribué au financement des initiatives privées de certification. Enfin, dans les pays consommateurs et les pays producteurs, les gouvernements peuvent ou non encourager le développement de la certification à travers un éventail de mesures tel que les projets de coopération, les politiques forestières, la fiscalité ou les achats publics de produits certifiés.

Dans le domaine forestier, la certification de la gestion, basée sur une démarche volontaire, vise notamment à renforcer la démarche d’aménagement, notamment sur le plan social et environnemental.

Le tableau ci-après recense les principaux systèmes de certification de forêts existants :

 

Principaux systèmes de certification des forêts existants

Système de certification

Créé par

Année de création

Forest Stewardship Council (FSC)

ONG, avec des industries forestières

1993

Sustainable Forestry Initiative (SFI)

American Forest and Paper Association

1995

Système de gestion forestière durable de l’Association canadienne de normalisation (CSA)

Forest Products Association of Canada et Gouvernement canadien

1996

Malaysian Timber Certification Council (MTCC)

Ministère malaisien des industries primaires et Malaysian Timber Council

1998

Programme pour l’approbation de la certification forestière (PEFC)

Groupes d’intérêt nationaux du secteur forestier, en particulier associations de petits propriétaires forestiers

1999

CERTFOR

Gouvernement chilien et Asociación de Industriales de la Madera (ASIMAD), Association chilienne des manufactures de bois

2002

Australian Forestry Standard (AFS)

Conseil des ministres des forêts, des pêches et de l’aquaculture, et industries forestières australiennes

2003

CERFLOR

Ministère brésilien du développement, de l’industrie et du commerce

2003

En complément de l’aménagement du territoire, le respect d’un certain nombre de mesures de gestion environnementale est exigé par les systèmes de certification. Ces mesures portent essentiellement sur la préservation de la faune, la baisse des niveaux de prélèvement des essences exploitées, l’application de mesures d’exploitation à faible impact qui permettent de mieux protéger les cours d’eau et de mieux lutter contre l’érosion, la protection d’un certain nombre d’arbres situés dans des zones écologiques de haute valeur pour la conservation.

Les travaux récents qui portent sur l’analyse des effets environnementaux et sociaux de la certification forestière délivrée par le Forest Stewardship Council (Conseil de gérance des forêts en français) (FSC) mettent en avant l’amélioration des pratiques de gestion liées à la certification forestière, qui semblent avoir un effet environnemental et social bénéfique. Sur le plan socio‑économique, les conditions de vie et de travail des employés des grandes sociétés forestières certifiées dans les régions tropicales se sont globalement améliorées, la certification imposant des critères d’amélioration sociale (hygiène, sécurité au travail, éducation, santé, formation professionnelle) et d’emploi local qui sont régulièrement contrôlés et dont les effets sociaux positifs sont reconnus.

À l’heure actuelle, deux grands systèmes de certification de la gestion forestière représentent la quasi‑totalité des surfaces forestières certifiées dans le monde. Il s’agit principalement du FSC, créé en 1993 sous l’impulsion des grandes organisations environnementales, du secteur privé et d’experts internationaux, et du PEFC (Program for the Endorsement of Forest Certification ou Programme de reconnaissance des certifications forestières en français), créé en 1999 sous l’impulsion de la filière.

Les superficies forestières soumises à des programmes internationaux de certification de gestion forestière ont augmenté pour passer de 14 millions d’hectares en 2000 à plus de 500 millions en 2019 dont 58 % assujettis au programme de certification du PEFC et 42 % à celui du FSC. À ce jour, les surfaces de forêts tropicales certifiées demeurent bien en‑deçà (à peine 20 % des surfaces totales) de celles portant sur les forêts boréales et tempérées.

Le FSC est un programme de certification dont l’assemblée générale a établi une série de normes économiques, sociales et environnementales pour guider les compagnies forestières. Le logo FSC – une coche verte et un arbre – vise à assurer aux consommateurs que les produits du bois certifiés ont été suivis tout au long de leur chaîne d’approvisionnement et qu’ils proviennent de forêts gérées de manière responsable et contrôlées par des auditeurs tiers crédibles. Le FSC représente, à ce jour, 200 millions d’hectares certifiés dans le monde.

Le PEFC, à l’origine Pan European Forest Council (Conseil paneuropéen des forêts en français), a été créé en 1999, à l’initiative des petits propriétaires forestiers européens. Il propose une adhésion des propriétaires à des systèmes nationaux et régionaux régissant la profession qui permet de certifier en bloc de vastes zones et d’éviter une certification individuelle. Cette certification a donc été initialement conçue pour les forêts européennes, qui sont pour la plupart des forêts cultivées et en extension, où l’exploitation forestière ne pose pas de problèmes majeurs. Le PEFC a décidé en 2003 de certifier des bois exotiques souvent issus des dernières forêts primaires du monde. Ce système s’est donc internationalisé en adoptant un nouveau nom, Program for the Endorsement of Forest Certification, et des objectifs désormais globaux. Le PEFC représente, à ce jour, 311 millions d’hectares certifiés dans le monde.

2.   La lutte contre la déforestation importée et la nécessaire évolution des comportements de consommation

Dans la droite ligne des engagements pris à la suite de la signature de l’accord de Paris sur le climat en 2015, le Gouvernement français s’est engagé dans le cadre du Plan climat (axe n°15) à adopter une stratégie visant à « mettre fin à limportation en France de produits contribuant à la déforestation ». Cette SNDI 2018‑2030 a été publiée en novembre 2018, faisant de la France, le seul pays au monde à disposer d’une stratégie aussi complète sur le sujet.

La SNDI se donne pour objectif de mettre un terme à la déforestation importée, c’est-à-dire à la déforestation causée par l’importation de produits agricoles et forestiers issus de systèmes de production non durables. Les entreprises françaises figurant parmi les premiers acheteurs de commodités forestières et agricoles à l’échelle internationale, notre pays a donc en la matière une responsabilité particulière. Les principales importations agricoles concernées sont le soja, l’huile de palme, le bœuf, le cacao, l’hévéa (arbre à caoutchouc), ainsi que le bois.

La SNDI contient dix-sept objectifs, classés selon cinq grandes orientations :

1) développer, partager et valoriser les connaissances ;

2) développer les actions de lutte contre la déforestation importée dans le cadre de coopérations internationales pour favoriser une offre durable ;

3) intégrer la lutte contre la déforestation aux politiques publiques pour favoriser une demande française de produits durables ;

4) favoriser et coordonner l’engagement des acteurs ;

5) garantir l’atteinte des objectifs de la stratégie nationale.

La mise en place de cette stratégie doit permettre une prise de conscience collective des enjeux de la lutte contre la déforestation, tout en mobilisant les différents leviers étatiques et les entreprises concernées autour de ce même objectif. La SNDI vise, par ailleurs, à insuffler et à accélérer une dynamique de transformation de l’exploitation, de l’approvisionnement et de la consommation aux échelles nationale, européenne et internationale.

Dans ce but, la SDNI aborde plusieurs phénomènes distincts ayant un impact sur les écosystèmes forestiers : la déforestation, la dégradation des forêts, la conversion des écosystèmes naturels et les changements d’affectation des sols indirects. Pour lutter contre ces différents aspects de la déforestation importée, plusieurs outils et leviers ont été élaborés, notamment :

– la constitution de « feuilles de route » par pays exportateurs ou régions exportatrices dont l’usage des terres est intimement lié au marché français, sur la base d’un dialogue social et d’un accompagnement des politiques de développement des pays producteurs, afin de conclure des « contrats de territoires durables » et d’encourager une implication entre les acteurs ;

– la mise en place d’une stratégie sur les protéines au plan national, qui devra par la suite être déclinée au niveau européen, afin d’atteindre une certaine autonomie protéinique. Le Président de la République, Emmanuel Macron, a appelé de ses vœux, à l’occasion de la dernière réunion du G7 à Biarritz, en août 2019, à « recréer la souveraineté protéinique de lEurope ». Le Plan protéines végétales que le Gouvernement devrait présenter très prochainement constituera une première déclinaison de cette ambition ;

– le rehaussement du niveau d’exigence des certifications et la redéfinition de leurs critères environnementaux et sociaux ainsi que l’amélioration de leur diffusion auprès du grand public ;

– le développement d’axe « déforestation importée » dans le cadre de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), en créant des indicateurs partagés et spécifiques aux approvisionnements « zéro déforestation ».

Face à un défi écologique interconnectant de multiples acteurs, à diverses échelles, la SNDI est une initiative parvenant à mobiliser la société civile, les entreprises et les institutions publiques autour d’un même objectif que votre rapporteur tient à saluer.

Cependant cette feuille de route ambitieuse doit être traduite en actes et rendue visible par l’ensemble des citoyens. Il serait opportun, aux yeux de votre rapporteur, que le déploiement de la SNDI soit soumis à un contrôle régulier et public, grâce à la mise en place d’une plateforme numérique présentant la méthode et les avancées réalisées pour chacun des objectifs ou via la publication de rapports d’étapes, afin de permettre un suivi des engagements pris. Une telle surveillance pourrait, d’ailleurs, faire l’objet d’un contrôle parlementaire.

De plus, il paraît essentiel pour votre rapporteur que des actions pédagogiques soient mises en place à destination du grand public et plus particulièrement des plus jeunes concernant l’impact de notre consommation de produits agricoles (soja, huile de palme, cacao, élevages bovins…) et forestiers (bois d’œuvre, pâte à papier…) sur les forêts tropicales. Les consommateurs doivent pouvoir, grâce à une traçabilité et une transparence renforcée, pleinement comprendre les implications de leurs achats sur le devenir des forêts mondiales.

3.   Le levier de l’aide publique au développement et l’exportation du savoir-faire français, en matière de gestion forestière

a.   Les actions de l’AFD et du FFEM en faveur des forêts mondiales

En termes d’aide publique au développement, au travers des actions de l’AFD et du Fonds français pour l’environnement mondial (FFEM), la France a engagé près de 350 millions d’euros sur la période 2000-2017, principalement en faveur des pays et des institutions du bassin du Congo. Ces projets concernent principalement l’aménagement forestier et les territoires ruraux, mais aussi des aires protégées, de l’appui à l’administration pour améliorer la gouvernance du secteur à des projets d’appui aux filières. Des projets d’assistance technique, principalement dédiés au renforcement des capacités des administrations forestières, sont également financés.

Entre 1999 et 2015, l’AFD est intervenue en appui au secteur forestier dans vingt-neuf pays et a octroyé 1,1 milliard d’euros pour 117 projets. Ce montant prend en compte les projets financés par le FFEM cofinancés ou portés par l’AFD.

L’Afrique subsaharienne concentre le plus grand nombre de projets (45 % des projets soit 53 au total dont 33 dans le bassin du Congo – pour un montant de l’ordre de 195 millions d’euros soit 17 % des engagements en volume) :

– les projets dans le bassin du Congo concernent principalement l’aménagement forestier ou les territoires ruraux (15 projets), les aires protégées (4 projets), l’appui à l’administration pour améliorer la gouvernance du secteur (4 projets) et les projets d’appui aux filières (4 projets). Le reste concerne des projets d’assistance technique, principalement dédiés au renforcement des capacités des administrations forestières (6 projets) ainsi que des projets d’agroforesterie ;

– dans les autres pays africains qui mobilisent 64 millions d’euros pour 20 projets, les interventions concernent majoritairement les aires protégées (8 projets) et les projets d’aménagement forestier, de territoires ruraux (6 projets), le bois‑énergie et l’agroforesterie.

La majorité des engagements en volume concerne la Méditerranée, avec 465 millions d’euros soit 40 % des engagements en volume, essentiellement concentrés sur trois aides budgétaires en appui à la politique forestière turque de l’ordre de 450 millions d’euros entre 2011 et 2015.

Les interventions en Asie représentent 252 millions d’euros soit 22 % des engagements en volume et se concentrent principalement en Chine sur des projets de reforestation et de conservation (4 projets entre 2010 et 2015 pour un montant de 72 millions d’euros) et en Indonésie à travers les composantes « Forêt » des prêts budgétaires pour le programme national contre le changement climatique (118 millions d’euros entre 2008 et 2010). Le portefeuille est complété par un projet de 54,5 millions d’euros en Inde en appui à la gestion durable des forêts dans l’État de l’Assam.

En zone Amérique latine et Caraïbes, 175 millions d’euros sont mobilisés soit 15 % des engagements en volume. L’intervention se concentre principalement sur les composantes « Forêts » d’un prêt budgétaire en appui à la lutte contre le changement climatique au Mexique (100 millions d’euros) et un prêt budgétaire dédié à la protection de la biodiversité (60 millions d’euros).

Les interventions multi‑pays y compris régionales, pour un montant de 68 millions d’euros soit 6 % des engagements en volume, concernent 32 projets. Elles regroupent 19 projets africains dont 15 dans le bassin du Congo :

– 4 projets soit 13 millions d’euros concernent la contribution de l’AFD à la facilité du partenariat pour le carbone forestier (FCPF), fonds précurseur de la REDD+ ;

– 4 projets soit 4 millions d’euros s’inscrivent dans l’accord cadre France‑UICN et concernent la protection des forêts du bassin du Congo ;

– 3 projets soit 16 millions d’euros sont dédiés à la surveillance des forêts assistées par satellite dans le bassin du Congo et en Afrique de l’Ouest.

Le graphique ci‑après présente la répartition géographique des projets « Forêt » de l’AFD de 1999 à 2015 (en volume d’engagement) :

Source : AFD.

Le diagramme circulaire, ci‑après, présente la répartition géographique des projets « Forêt » de l’AFD de 1999 à 2015 (en volume d’engagement) :

Source : AFD

Le diagramme circulaire, ci‑après, présente la répartition géographique des projets « Forêt » de l’AFD de 1999 à 2015 (en volume d’engagement) :

Source : AFD

Sur la période 1999-2015, 83 % des interventions, en nombre de projets, ont été financées en dons (41 % en subvention, 35 % sur contrat de désendettement et de développement, 20 % par le FFEM, 4 % sur délégation de fonds). Ces interventions en don représentent 23 % du volume des financements engagés.

À partir de 2010, le secteur « Forêt » mobilise des montants plus importants principalement destinés à des projets financés en prêt de l’ordre de 913 millions d’euros soit 79 % en volume d’engagements total.

Le graphique, ci‑après, présente la répartition par produits financiers des projets « Forêt » 1999-2015 (en volume d’engagements) :

Source : AFD

 

Depuis les années 1990, l’AFD a appuyé en Afrique centrale le développement d’un modèle de gestion durable des forêts qui fait désormais référence : le Plan d’aménagement forestier (PAF). De ce fait, elle est devenue un acteur central du dialogue entre les gouvernements, les exploitants forestiers, les organisations professionnelles et les grandes organisations non gouvernementales spécialisées dans l’environnement. La diffusion des PAF auprès des opérateurs forestiers a conduit à faire évoluer les cadres légaux (lois forestières, codes forestiers et normes d’aménagement) et à les standardiser au niveau régional.

Les projets de l’AFD et du FFEM ont permis le passage sous aménagement forestier d’environ 20 millions d’hectares dans le bassin du Congo, dont plus de 8 millions bénéficient d’un régime de certification aux standards internationaux (FSC).

À compter de 2005, les interventions de l’AFD en faveur des forêts se sont ouvertes à de nouvelles zones géographiques (Asie, Méditerranée), mobilisent de nouveaux outils de financement (aides budgétaires) et prennent la forme de nouveaux types de projets qui transcendent la parcelle forestière pour s’inscrire à l’échelle des territoires en prenant en compte toutes les composantes de son développement.

La préservation et la restauration des forêts libanaises

Avec une très forte densité de population (375 habitants au km²), le Liban est un pays dans lequel le milieu naturel connaît des pressions anthropiques particulièrement élevées. Traditionnellement connu pour la richesse de ses forêts, ses ressources naturelles se trouvent menacées.

Lors de son déplacement sur le terrain, votre rapporteur a pu constater les efforts menés dans ce pays en faveur de la préservation et de la restauration des forêts locales. L’année 2019 est, sur cette thématique, une année particulière au Liban puisqu’après vingt-deux ans d’attente la loi cadre sur les réserves naturelles a été enfin promulguée. Les problèmes environnementaux sont nombreux sur l’ensemble du territoire libanais (problème de gestion des déchets, dysfonctionnements des services d’assainissement, urbanisation anarchique, utilisation excessive de générateurs électriques extrêmement polluants…). Cependant une prise de conscience au sein de la société civile semble peu à peu se dessiner, comme en atteste la vitalité des associations écologiques qui, à l’image de Terre Liban, visent à sensibiliser la société libanaise au développement durable et à la protection des ressources naturelles, ou de Jouzour Loubnan qui œuvre pour le reboisement au Liban.

Le couvert forestier libanais a très fortement souffert des effets de l’exploitation forestière qui remontent à la période ottomane, de l’agriculture, des ravages de la guerre civile et de dégâts provoqués par la pollution. Les forêts du Liban sont par ailleurs, de nos jours, confrontées aux effets du réchauffement climatique qui fragilise particulièrement les forêts de cèdres – emblème national du pays – en les exposant à des invasions de parasites qui se révèlent de plus en plus difficilement maîtrisables. Les effets de la guerre civile en Syrie ont également eu un impact indirect sur la flore libanaise : l’afflux de réfugiés syriens, qui se sont déplacés avec leurs bêtes, a eu pour effet de renforcer la pression du pâturage sur des paysages libanais déjà très fortement dégradés.

Votre rapporteur a également eu l’opportunité de rendre dans le nord du pays sur le site de Tannourine pour observer la mise en place d’un projet soutenu par l’AFD et porté par la municipalité locale avec l’appui de l’Université de Balamand et de l’association de reboisement AFDC. Ce projet s’inscrit dans le cadre du programme national libanais « 40 millions d’arbres » visant à lutter contre la désertification. L’objectif n’est pas de développer une industrie forestière pour l’exploitation de produits ligneux mais de favoriser l’écotourisme et la préservation de l’environnement du Liban dans un pays où 80 % de la population vit à présent en zone urbaine. Cette action de l’AFD menée dans le cadre du projet Parsifal devrait contribuer à l’afforestation de 56 hectares avec la plantation de près de 3 700 plans composés à 80 % de genévriers, dans le courant de l’année 2020. De telles actions se révèlent extrêmement bénéfiques pour les communautés locales en permettant le rétablissement de bénéfices écosystémiques essentielles qui avaient disparu ou s’étaient très fortement dégradés et en générant des ressources économiques respectueuses de l’environnement.

b.   La valorisation du savoir-faire français, en matière de gestion forestière grâce à l’action de l’ONF‑International

Depuis sa création en 1997, l’ONFI a pour mission de valoriser à travers le monde le savoir‑faire français, en matière de gestion forestière. C’est une filiale de l’ONF français qui a généré un chiffre d’affaires de 4,4 millions d’euros en 2017.

La force de l’ONFI réside dans sa triple approche d’intervention :

– un volet institutionnel, dans le cadre de projets de coopération internationale ;

– un volet concurrentiel, en tant que cabinet de conseil et d’expertise ;

– un volet recherche et développement, dans le cadre duquel l’ONFI développe des projets innovants à l’instar de l’imagerie satellitaire.

Ainsi que dans sa triple thématique d’intervention :

– au service de la gestion des écosystèmes forestiers ;

– au service de l’aménagement du territoire ;

– dans le cadre de la lutte contre les effets du changement climatique.

L’ONFI intervient dans plus de quarante pays en 2018 et dispose d’implantations permanentes dans trois pays que sont le Brésil, la Colombie et la Côte d’Ivoire.

En Côte d’Ivoire, l’ONFI réalise actuellement un inventaire forestier et faunique national (IFFN). Cette mission, qui devrait s’étaler sur une période de deux à trois ans, a pour objectif de dresser un panorama de la biodiversité dans les forêts ivoiriennes. Un tel travail n’avait pas été mené dans le pays depuis quarante ans et permettra de dresser une photographie précise de l’état du couvert forestier ivoirien.

L’ONFI mène notamment des recherches sur son site brésilien de la Fazenda Sao Nicolao où vingt ans de travaux ont permis de restaurer plus de 2 000 hectares. Le site apparaît comme un îlot forestier à proximité du front de déforestation. L’objectif de l’ONFI est de démontrer la durabilité d’une approche multifonctionnelle de la forêt (exploitation du bois naturel, plantations, éducation à l’environnement, écotourisme, pépinière pour la reforestation). Cette Fazenda de l’ONFI développée comme un laboratoire pour une utilisation raisonnée de la forêt apparaît désormais comme un modèle multifonctionnel et durable.

La France, riche de son expertise forestière, peut ainsi légitimement endosser le rôle de nation cheffe de file concernant la préservation et la restauration des forêts mondiales. Les innovations développées par l’ONFI, notamment en matière de gestion durable des forêts, pourraient utilement permettre de concilier, à terme, développement économique et préservation des massifs forestiers dans les régions tropicales.


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 16 octobre 2019, la commission des affaires étrangères examine le présent avis budgétaire.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Notre rapporteur pour avis, Jean François Mbaye, a choisi de travailler sur la question de la forêt avant même que l’actualité dramatique de cet été ne place, de nouveau, cette problématique sur le devant de la scène.

C’est une question absolument vitale et essentielle. Des incendies sévissent en Amazonie, en Sibérie et en Indonésie, mais aussi en Afrique, en Amérique du Nord, en Australie et en Europe du Nord, jusqu’au cercle polaire ou presque. Ces incendies sont une réalité planétaire depuis une vingtaine d’années. Par leur force, leur durée, leurs dimensions et leurs conséquences, ces feux, qui semblent de moins en moins contrôlables, constituent un effet et une cause du réchauffement climatique.

Au-delà de ces feux, se pose la question de la préservation des forêts primaires
– celles qui n’ont jamais été défrichées, exploitées ou modifiées par l’homme – et plus généralement de la lutte contre la réduction tendancielle du couvert forestier mondial. Il suffit de rappeler quelques chiffres : selon les dernières données de l’Institut national de recherche spatiale du Brésil, 7 853 kilomètres carrés ont été déboisés en Amazonie au cours des neuf premiers mois de 2019, contre 4 075 pendant la même période en 2018 ; d’après les experts brésiliens, la déforestation pourrait toucher 10 000 kilomètres carrés cette année.

Face à ces enjeux, les réactions sont nombreuses – vous en faites l’inventaire dans votre rapport. Lors du dernier G7, la France a notamment été à l’initiative d’une réaction globale – et d’ampleur – en faveur des forêts tropicales. Cette initiative a été relayée lors de l’Assemblée générale des Nations unies, le 23 septembre dernier, avec l’annonce du lancement d’une alliance pour les forêts tropicales. La protection de nos forêts exige de retrouver un rapport de bonne intelligence avec la nature. Vous proposez, dans cette perspective, une série de sept recommandations que vous allez pouvoir nous présenter.

M. Jean François Mbaye, rapporteur pour avis. Notre commission étudie chaque année, dans le cadre du projet de loi de finances, les objectifs, les instruments et les modalités de la politique menée par la France dans ce domaine. L’examen du budget est l’occasion de réaliser un gros plan sur les actions conduites par la France à l’échelle européenne mais aussi internationale en matière de protection de l’environnement. Cette année, j’ai choisi de consacrer mes travaux à la question de la préservation et de la restauration des forêts mondiales.

Comme l’a dit Jacques Chirac en 2002, lors du quatrième sommet de la Terre, à Johannesburg, « notre maison brûle et nous regardons ailleurs ». Cet été, les terribles feux de forêts qui ont ravagé l’Amazonie ont tout de même servi de signal d’alarme : ils ont permis de sensibiliser l’opinion publique mondiale au devenir de nos forêts. Nous devons maintenant regarder en face ce problème, qui expose l’humanité à des risques lourds. Il faut entrer résolument dans le temps de l’action. La France, notamment grâce à son réseau diplomatique et au levier de son aide publique au développement, doit continuer de se mobiliser et peser de façon décisive sur la scène internationale pour que des mesures concrètes et globales soient réellement prises en faveur du couvert forestier mondial.

Les forêts constituent un espace vital pour l’humanité. Elles abritent une biodiversité exceptionnelle – près de la moitié de la flore et de la faune connues dans le monde se trouve dans les forêts tropicales. Les forêts jouent aussi un rôle déterminant en ce qui concerne la fertilité des sols, la qualité des eaux et la régulation du climat. Elles représentent un abri pour certaines populations autochtones et fournissent de nombreuses matières premières à l’humanité – du bois, de la viande de brousse ou encore des plantes médicinales. Par ailleurs, les forêts représentent depuis toujours un patrimoine culturel et une source de réflexion métaphysique et d’inspiration esthétique pour les civilisations humaines.

Malgré de nombreux bénéfices écosystémiques qui sont indispensables à notre survie et au bon équilibre écologique de la planète, l’humanité s’ingénie à détruire les forêts. Voici une carte qui montre les gains et les pertes de couvert forestier dans le monde au cours de la période 1990-2015 :

 S’agissant des régions tempérées et boréales, on a observé une régénération des forêts qui résulte des programmes de reboisement et de la recolonisation naturelle de terres abandonnées par l’agriculture. Cependant, il faut garder à l’esprit qu’il n’est ici question que de la couverture forestière, qui est un élément quantitatif et non qualitatif. Une forêt riche et diversifiée offre une infinité d’habitats et peut abriter une communauté animale importante, alors que les monocultures artificielles constituent de pauvres environnements pour l’accueil de la faune. Par ailleurs, les forêts secondaires sont plus sensibles aux maladies et aux parasites, qui y trouvent une homogénéité favorable à leur propagation.

Les zones les plus fortement menacées sont les forêts tropicales, en Amazonie, dans le bassin du Congo et en Asie du Sud-Est – je reviendrai plus en détail sur ce sujet tout à l’heure.

Le processus de destruction des forêts mondiales a débuté avec l’invention de l’agriculture, mais il s’est aggravé très significativement au cours des deux derniers siècles, et il y a eu une nette accélération des atteintes portées aux forêts depuis vingt ans.

Le graphique suivant illustre l’aggravation du problème.

Les bâtons orange montrent l’évolution annuelle de la déforestation, qui se compte en milliers de kilomètres carrés, tandis que la droite en haut, de couleur violette, fait apparaître la réduction continue du couvert forestier mondial depuis l’an 2000. Au rythme actuel de dégradation et de destruction, ce qu’il reste des espaces forestiers mondiaux aura diminué de moitié dans cent cinquante ans.

Plus d’un quart de la déforestation observée dans le monde au cours de la période 2000-2017 est définitive, du fait du changement durable d’affectation des terres au profit de l’agriculture ou de l’urbanisation. La disparition définitive des forêts a principalement lieu dans les zones tropicales, qui enregistrent la plus forte perte nette de couverture arborée au niveau mondial. Les forêts tropicales sont victimes de l’exploitation massive de leur bois et de leur conversion en terres agricoles – des plantations de soja en Amérique du Sud, d’arbres à caoutchouc dans le bassin du Congo et de palmiers à huile en Asie du Sud-Est, ou bien des élevages bovins en Amérique du Sud.

Les cartes qui suivent montrent les principales causes de la déforestation en Amérique du Sud et en Asie du Sud-Est.

Le phénomène le plus important est la déforestation due aux produits de base. Une étude d’impact réalisée en 2013 par la Commission européenne a montré que le soja représentait 60 % des importations de produits à risque au cours des années 1990-2008, l’huile de palme 12 % et le cacao 8 %. Ces matières premières constituent, à elles seules, 80 % des importations pouvant générer une déforestation dans les pays producteurs. Notre consommation alimentaire a un impact direct et importantissime sur la déforestation dans les zones tropicales. Les pays européens sont responsables de plus d’un tiers de la déforestation liée au commerce international de produits agricoles. Pour cette raison, j’estime qu’il est essentiel de développer des actions pédagogiques à destination du grand public, et plus particulièrement des plus jeunes, en ce qui concerne l’impact de notre consommation sur l’état des forêts mondiales.

Les forêts tropicales occupent 12,5 millions de km2. Elles ne représentent qu’une petite partie – 9,8 % – de l’ensemble des terres émergées, mais les écosystèmes qu’elles abritent sont d’une richesse et d’une diversité considérables. Alors que ces forêts représentaient 48 % des forêts mondiales en 1990, leur superficie s’est réduite de 5,5 millions d’hectares par an en moyenne, et elles ne constituaient plus que 44 % des forêts mondiales en 2015. Ces espaces ont subi, en moyenne, 90 % des pertes annuelles de forêts naturelles depuis le début des années 1990. C’est en 2016 qu’on a enregistré la plus forte perte annuelle de surface dans les forêts tropicales – juste devant 2017, qui a vu l’abattage de 10 milliards d’arbres dans ces zones.

Les forêts mondiales sont mal protégées. La gouvernance internationale se caractérise en la matière par l’absence de traité spécifiquement consacré aux forêts. Jusqu’à présent, l’existence d’un clivage entre les pays développés et ceux en développement a fait obstacle à l’établissement d’un véritable instrument multilatéral contraignant dans ce domaine. Les pays du Nord font habituellement valoir que les forêts constituent un patrimoine d’intérêt mondial qui nécessite, en tant que tel, des dispositions internationales. Les pays du Sud arguent, de leur côté, du fait que les forêts sont des ressources naturelles, et ils mettent en avant leur souveraineté sur ce qui constitue un potentiel de développement économique pour eux.

L’opposition à l’adoption d’un cadre unifié a conduit en 1992, lors du sommet de la Terre qui s’est tenu à Rio, à un éclatement des problématiques environnementales relatives aux forêts entre la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), la convention sur la diversité biologique (CDB) et la convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD).

L’absence de cadre juridique international unifié et contraignant s’accompagne, depuis une vingtaine d’années, d’un foisonnement d’initiatives internationales et régionales. Certaines d’entre elles produisent des résultats satisfaisants et peuvent présenter, dans certains cas, l’avantage de faciliter les échanges entre les acteurs locaux. Cependant, la prolifération des initiatives a pour effet de diluer la mobilisation générale pour les forêts et d’affaiblir la visibilité de cette problématique sur la scène internationale.

Les forêts mondiales méritent d’avoir une préservation à la hauteur de leur importance pour l’intégrité écologique de notre planète. Dans le contexte des graves menaces qui existent actuellement, une convention-cadre des Nations unies permettrait d’apporter un niveau de protection plus important, dans un cadre cohérent et unifié qui bénéficierait d’une meilleure visibilité.

Il ne serait pas réaliste de vouloir transposer le régime ambitieux de protection qui a cours en Antarctique. Les forêts sont des espaces qui abritent des populations nombreuses et qui représentent, d’une manière ou d’une autre, un fort potentiel de développement économique. Toutefois, un équilibre permettant d’arriver à une gestion raisonnée des forêts mondiales peut et doit être trouvé. Il faut inscrire cette ambition en haut de notre agenda diplomatique pour les mois et les années à venir, en se fixant comme objectif l’adoption d’une convention-cadre sous l’égide des Nations unies.

La France, comme elle l’a fait par le passé à propos de la question climatique, doit jouer un rôle de chef de file. Nous avons plusieurs atouts en la matière. Notre pays jouit d’une véritable légitimité puisqu’il dispose d’un important couvert forestier tempéré, en métropole, mais aussi tropical, en Guyane, où 90 % du territoire est occupé par la forêt amazonienne. La France a une expertise reconnue, notamment au travers des actions menées par l’Office national des forêts international (ONFI) et l’Agence française de développement (AFD). Nous sommes également le premier pays à avoir élaboré et adopté, en 2018, une stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée (SNDI) – elle est très ambitieuse.

Les mois qui viennent seront riches en opportunités pour agir concrètement, au plan européen mais aussi mondial, en faveur de la gouvernance des forêts. Une négociation est en cours à l’échelle du continent européen en vue d’aboutir à un accord juridiquement contraignant à l’horizon 2020. Nous devons continuer à soutenir résolument cette démarche, qui pourrait préfigurer, en cas de succès, l’élaboration d’un accord plus large sous l’égide des Nations Unies. Le Congrès mondial de la nature qui se tiendra à Marseille en juin prochain sera, par ailleurs, une occasion exceptionnelle de mobiliser les chefs d’État et de Gouvernement, la communauté scientifique mondiale et l’opinion publique internationale sur cette thématique qui mérite vraiment une attention particulière.

La mobilisation de la France est réelle, comme le montrent les initiatives engagées lors de la dernière réunion du G7 et en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, en septembre dernier. Notre diplomatie se met en ordre de bataille avec détermination pour promouvoir l’émergence d’une gouvernance mondiale en faveur de la préservation et de la restauration des forêts.

Afin que notre diplomatie environnementale puisse disposer de moyens lui permettant de mener à bien ses missions, je vous invite, mes chers collègues, à émettre un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Écologie, développement et mobilité durables pour 2020.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Un grand merci, vraiment, pour votre connaissance et votre enthousiasme sur ce sujet, depuis le début de nos travaux. C’est plus que bienvenu, et je pense que l’ensemble de la commission vous soutient totalement lorsque vous demandez l’émergence d’une gouvernance mondiale pour les forêts.

M. Mounir Mahjoubi. Merci, cher collègue, et bravo pour la qualité des travaux qui viennent d’être présentés.

Il nous revient aujourd’hui, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2020, de nous prononcer sur les crédits alloués à la mission Écologie, développement et mobilité durables. Notre rôle, au sein de la commission des affaires étrangères, est de mettre ces crédits en perspective de l’ambition qui est celle de la France au plan européen comme international.

La lutte contre la déforestation, comme vous l’avez rappelé, doit devenir une priorité. Le Président de la République l’a dit à plusieurs reprises, notamment à l’ONU, dans des termes forts qui ont reçu le soutien de nombreux autres pays.

La situation est extrêmement préoccupante. Pendant votre exposé, l’équivalent de cinq terrains de foot a été déforesté à travers le monde. Chaque année, du fait de la consommation des Français, c’est l’équivalent de la Bretagne tout entière qu’on déforeste.

Si vous n’avez pas le temps de consulter l’intégralité du rapport, je vous invite à lire les sept recommandations qui figurent à la page 5. Au nom du groupe La République en Marche, j’appelle non seulement à voter en faveur des crédits alloués à cette mission budgétaire, mais aussi à soutenir les sept propositions de notre rapporteur pour avis. Elles visent à créer une gouvernance mondiale en utilisant le droit international, notamment par l’adoption d’une convention-cadre, à faire pression sur la Commission européenne pour qu’elle porte le message en la matière, mais aussi – et c’est la cinquième proposition – à passer par les Français eux-mêmes pour agir, en matière d’éducation, de transparence et de consommation.

Nous sommes au début d’un chantier que mon groupe soutient totalement, et je suis sûr qu’il en va de même pour l’ensemble de la commission. Il y a eu hier un programme télévisé de France 2 sur ce sujet : on voit bien que le peuple tout entier s’intéresse à cette question, et que c’est enfin le moment d’en parler.

Je voudrais aussi évoquer notre ambassadeur délégué à l’environnement, Yann Wehrling : il incarne la diplomatie environnementale et mériterait d’être régulièrement auditionné. C’est lui qui est chargé de la stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée. Il est très important que nous puissions participer à l’analyse et au suivi qui sont réalisés dans ce domaine.

M. Claude Goasguen. Votre rapport est très intéressant, cher collègue, mais je trouve qu’il manque des solutions suffisamment fortes en la matière. C’est un peu comme pour l’immigration : on n’arrête pas d’en parler, on constate ce qui se passe, mais on n’essaie pas de comprendre.

Entre le IXe siècle et le XIVe siècle, la France a perdu toutes ses forêts. Lisez les Œuvres de Georges Duby qui viennent d’être publiées par la Bibliothèque de la Pléiade – c’est extraordinaire. Notre pays est devenu une grande puissance parce qu’il a procédé à une déforestation massive pendant cette période, qui précède la grande époque de la France. Il faut avoir cela en tête quand on pense aux États en pleine déforestation : l’intérêt national ne coïncide pas toujours avec l’intérêt international. On le voit aussi en matière d’immigration.

Il faudra que les institutions internationales fassent, tôt ou tard, ce qu’elles n’ont pas encore fait dans ce domaine comme dans celui de la déforestation, car on a affaire à des éléments gênants. L’immigration profite à beaucoup de gens, des deux côtés de la Méditerranée et ailleurs. La déforestation profite aussi à beaucoup de gens. Si nous ne proposons pas rapidement un statut particulier pour les forêts que nous voulons protéger – ce qui nous coûtera très cher –, dans le cadre d’instruments juridiques internationaux, tout le reste ne donnera rien et nous connaîtrons le même échec qu’en matière d’immigration : on se contentera de répéter qu’il faut sauver la forêt.

Nous donnerons de l’argent au Brésil, sans trop savoir ce qu’il en fera. Cette situation semble placide, alors qu’elle est en réalité dramatique ; la France aurait intérêt à davantage éveiller ses partenaires internationaux à son sujet. J’estime que notre monde est dirigé d’une manière placide, comme si nous refusions de voir un certain nombre de problèmes. La lecture du livre de Georges Duby fait comprendre l’importance de la dimension historique des problèmes. Nous devrions donc avoir le courage, de temps en temps, de rompre cette placidité gestionnaire.

Ce rapport est très intéressant, sa lecture m’a appris beaucoup et je le conserve précieusement. Toutefois, il convient d’identifier un projet international pour la France, peut-être sous la forme d’un chantier puissant dans le cadre européen. En effet, l’Europe est dépourvue de cette dimension alors même qu’elle tire profit de la déforestation.

Dans ces conditions, je suis très réservé au sujet des crédits de la mission Écologie, développement et mobilité durables : au nom des Républicains je ne voterai pas l’avis.

M. Bruno Joncour. Au nom du groupe du Mouvement démocrate et apparentés, je remercie M. le rapporteur de cet éclairage, à la fois intéressant et particulièrement opportun, sur les enjeux soulevés par la déforestation. Nous avons été sensibles au désastre qu’ont constitué les immenses incendies de cet été en Amazonie, comme nous l’avons été également à propos des incendies survenus en Californie, en Australie et au Canada.

Vous avez raison de le souligner, le soin que nous saurons apporter aux espaces forestiers si importants pour la viabilité de notre Terre sera déterminant pour notre avenir. C’est pourquoi nous saluons l’action de la France en la matière. En effet, elle a su porter ce sujet au cœur des échanges internationaux. Ce fut le cas avec l’accord de Paris signé en 2015, mais aussi lors de la réunion du G7 à Biarritz cet été, grâce à l’action du Président de la République.

Les chiffres avancés dans votre rapport sur l’état de la déforestation et sur son accélération sont terrifiants. Vous rappelez également les multiples actions qui seront lancées en la matière, notamment par l’Agence française de développement. Son action se développe en particulier sur le plan de l’aménagement forestier, dont vous soulignez l’efficacité. Alors que notre Assemblée aura bientôt l’occasion de se prononcer sur la réorganisation et l’orientation de l’aide publique au développement, il serait utile que vous puissiez détailler le fonctionnement des aides dédiées à ces actions, la manière dont les projets sont élaborés ainsi que leur efficacité sur le terrain. Ces initiatives me semblent particulièrement utiles en Afrique centrale et au Sahel, afin d’enrayer l’avancée du désert, mais aussi pour rendre visibles des terres qui étaient autrefois des terres agricoles ou d’élevage.

M. Christian Hutin. Je ne voudrais pas que vous pensiez que le groupe Socialistes et apparentés est psychorigide, mais il est vrai que nous avons une « Idéfix » concernant ce dossier, à l’instar de l’adoration bien connue que porte aux arbres ce personnage.

La passion de M. le rapporteur, la qualité absolue et le réalisme de son rapport, qui dépassent le cadre de la commission, sont admirables. Mon groupe votera en faveur de l’avis.

L’idée défendue par le Président de la République au G7 de Biarritz a été inspirée par M. le rapporteur, mais celui-ci avait dix-huit mois d’avance.

Comme l’a dit M. Goasguen, entre le IXe et le XVe siècle, la France a connu une déforestation massive. Il est peut-être nécessaire, au niveau national, de revenir sur ce type de pratiques. Ainsi, pour ma grand-mère agricultrice, les arbres n’avaient rien de sympathique, car ils n’étaient pas productifs : rien ne pousse en-dessous. Il conviendrait de réfléchir à la possibilité de procéder à la reforestation de notre propre pays, avant de donner des leçons aux autres. Peut-être pourrions-nous le faire sur des surfaces moindres, mais avec une véritable philosophie.

M. Christophe Naegelen. Je tiens à féliciter M. Mbaye pour son excellent rapport.

À l’extérieur de l’Union européenne, nous nous inquiétons des conséquences de la déforestation, notamment de la perte des arbres qui sont le poumon de la planète. La déforestation entraîne également la disparition de la biodiversité abritée par ces forêts. La perte de la faune et de la flore est la perte d’une véritable richesse. Serait-il possible, via le conditionnement de certaines des dotations de l’AFD par exemple, de garantir le maintien écologique des pays qui en sont destinataires ?

Dans notre pays, la surface des forêts est en augmentation, à tout le moins dans les Vosges. Cependant, l’Est de la France et l’Allemagne sont frappés depuis quelques mois par des scolytes. À l’instar de l’aide accordée par l’Allemagne aux propriétaires fonciers pour replanter des arbres, serait-il possible d’aider les propriétaires forestiers français, par le biais de fonds européens ou français ? En effet, les scolytes, qui touchent une partie du territoire, sont dévastateurs pour nos forêts.

Quoi qu’il en soit, le groupe UDI et indépendants votera l’avis favorable aux crédits de la mission.

M. M’jid El Guerrab. Aux effets d’annonce, je préfère les annonces suivies d’effets. Le 12 juin dernier, dans son discours de politique générale, le Premier ministre annonçait de nouveaux engagements écologiques, laissant entrevoir un budget pour 2020 plus vert et plus durable. Cependant, le virage écologique que nous attendions ne semble pas à la hauteur des défis à relever. Alors que le Gouvernement met en avant l’urgence écologique, le budget alloué à la mission Écologie, développement et mobilité durables est légèrement inférieur à 12 milliards, en trop faible augmentation par rapport au budget pour 2019. Certains aspects des crédits de la mission qui sont soumis pour avis nous semblent problématiques au regard de leur véritable efficacité. Il en est ainsi de l’aide à l’acquisition de véhicules propres en 2020 ; le dispositif bonus automobile et prime à la conversion augmentera de 40 %, alors que parallèlement le Gouvernement durcit les conditions d’éligibilité, notamment en excluant les véhicules coûtant plus de 60 000 euros.

Il en va de même de l’accompagnement financier de la transition énergétique. Certes, c’est le poste le plus important de la politique de l’énergie, avec un montant de 1,2 milliard. Pour autant, le système actuel de crédit d’impôt pour la transition énergétique sera transformé dès la fin des travaux en 2020 : celui-ci ne concernera que les ménages les plus modestes, puis les classes moyennes en 2021.

Le groupe Libertés et territoires redoute que cette mesure ne permette pas d’atteindre l’objectif fixé de 500 000 logements rénovés par an. En transformant un crédit d’impôt profitant à tous en une prime dont le budget est limité, la portée de cette mesure sera réduite. De plus, le reste à charge pour les ménages modestes et très modestes demeure significatif. Nous nous interrogeons également sur l’effectivité de l’action de protection des consommateurs en situation de précarité énergétique, qui perd 808 millions suite à une modification du programme « Service public de l’énergie ».

Notre groupe souhaite que les crédits de la mission Écologie, développement et mobilité durables soient véritablement à la hauteur des enjeux.

Nous saluons l’enthousiasme de M. Mbaye et nous soutiendrons ses propositions. Néanmoins, nous dénonçons l’accord commercial avec le Mercosur, alors que la déforestation industrielle brésilienne est responsable des incendies qui ravagent l’Amazonie. Des feux dévorent chaque année une partie de la plus grande forêt tropicale du monde, mais la déforestation en Amazonie brésilienne a atteint un niveau inégalé à ce jour : les incendies ont touché 6 404 kilomètres carrés supplémentaires, soit une augmentation de 91 % par rapport à la même période en 2018. Le Président brésilien, en plus d’être un goujat, ne respecte pas l’accord de Paris relatif au climat. Notre groupe a déjà exprimé son opposition à la signature de l’accord avec le Mercosur, en raison notamment de la déforestation massive. Par conséquent, que signifie réellement l’annonce du Président de la République de ne pas signer en l’état cet accord ? Nous avons la garantie que rien ne sera fait tant que le Président brésilien ne s’engagera pas à respecter la plus grande forêt tropicale et à tenir les engagements de la COP21.

M. Jean-Luc Mélenchon. La France insoumise ne votera pas en faveur du budget général, ni en faveur des crédits de la mission Écologie, développement et mobilité durables. Mes collègues ont d’ores et déjà donné leur avis dans le cadre de la commission des finances. Nous en sommes au point qu’un comité de défense de l’existence du ministère de l’écologie a été créé en son sein, par ceux-là même qui le font vivre, en raison notamment du nombre de postes supprimés et de la baisse des budgets.

La France aurait intérêt à appuyer le mandat confié par l’ONU à l’Équateur et à l’Afrique du Sud pour créer un cadre législatif, certes non contraignant, incitant les entreprises multinationales à respecter les normes sociales et environnementales. Une discussion se tient à ce sujet à l’ONU ; les États-Unis s’en sont retirés suite au refus d’en changer la présidente, alors équatorienne. La France, quant à elle, n’y est plus qu’observatrice. J’estime que nous pourrions mieux faire en ce domaine.

Je salue la qualité du rapport de M. Mbaye, sur lequel la France insoumise s’appuiera dans le cadre de l’initiative qu’elle prépare concernant les forêts. Votre participation, monsieur Mbaye, serait vivement appréciée.

Si au Moyen Âge la France a connu une forte déforestation, c’est parce que la richesse à cette époque résidait dans la terre. Le contexte aujourd’hui est différent : la terre, en particulier la terre arable, est toujours une richesse, mais la déforestation ne constitue plus une obligation pour faire prospérer un pays. Les causes de la déforestation sont désormais entièrement sociales. La première d’entre elles est le besoin en énergie ; ainsi, partout où les populations ont accès à d’autres sources d’énergie, telles que l’électricité, le processus de déforestation ralentit et, parfois, s’inverse.

Par ailleurs, je partage l’analyse de M. Baye quant à la responsabilité du commerce international et des modes de consommation occidentaux dans la déforestation. Le soja n’est pas la seule protéine végétale accessible au bétail ; par conséquent, les quantités décrites dans le rapport ne sont pas nécessaires, en particulier si nous mettons fin au développement du recours aux protéines carnées. En effet, le rapport entre protéine carnée et protéine végétale est si désastreux que des quantités considérables de ces dernières sont nécessaires pour produire les premières. La même logique s’applique à la production de cacao.

Le rapport affirme que 30 % de la déforestation sont dus au commerce et à nos modes de consommation. La solution réside précisément dans cette affirmation.

Certes, la France se reboise, d’une part car des terres sont abandonnées, d’autre part grâce à l’action de l’ONF. Malheureusement, ce reboisement n’est pas toujours bénéfique : ainsi, planter massivement des sapins n’est pas nécessairement une bonne idée, en particulier en plaine. Cette essence est choisie car elle présente le rendement financier le plus rapide, et parce que les machines existantes ne sont pas en mesure de traiter des troncs dont le diamètre est supérieur à 40 centimètres. Là encore, un déterminant économique s’impose à la gestion forestière. Par ailleurs, l’Office est géré à court terme, ce qui constitue un danger ; ses personnels sont en souffrance et le nombre de suicides, en augmentation, demeure très inquiétant.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Le reboisement de la France est avéré. Par ailleurs, toute monoculture forestière est en effet néfaste.

M. Jean-Paul Lecoq. J’ai cherché en vain dans le rapport un lien direct avec le budget. Néanmoins, cela ne remet pas en cause la qualité de ce travail. Pour autant, un avis nous est demandé sur les crédits de la mission Écologie, développement et mobilité durables. À n’en pas douter, ce budget est mauvais. Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine ne peut rendre un avis favorable à un budget prévoyant en 2020 près de 1 000 suppressions de postes au sein du ministère de la transition écologique et solidaire. Cette situation est d’autant plus critique que nous considérons que ce ministère pourrait jouer un rôle important auprès des ambassades des pays évoqués dans le rapport, afin d’engager la reforestation, ou, à tout le moins, de mettre un terme à la déforestation.

Une incohérence existe entre d’une part, les attentes légitimes d’actions en matière de lutte contre la déforestation, d’autre part, les moyens qui y sont affectés. De plus, la dégradation des forêts entraîne la dispersion d’une multitude de gaz. La question de la taxe sur le kérosène se pose, elle aussi, à l’échelle internationale : la pollution liée au kérosène a un impact sur les forêts, mais il n’en est pas question dans le rapport.

Il manque, au sein de la présente commission, les comptes rendus des actions des députés au sein des instances internationales. Ainsi, nous ignorons ce qui est décidé par les délégations françaises en matière d’écologie au Conseil de l’Europe, mais aussi à l’Assemblée parlementaire de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Quels sont les messages envoyés et au nom de qui le sont-ils ? En un peu plus de deux ans, la question relative aux actions des délégations françaises dans les instances internationales n’a jamais été abordée au sein de la commission. Nous n’avons aucune information quant aux sujets qui y sont défendus.

Les conséquences de ce budget sur la réalité de l’effort écologique de notre pays montrent que nous ne sommes pas à la hauteur des enjeux.

Enfin, M. le rapporteur a effectué un déplacement au Liban ; j’ai cherché en vain dans le rapport le rôle de ce pays dans la lutte contre la déforestation.

M. Sylvain Waserman. Je m’associe au concert de louanges relatif au travail de M. le rapporteur. Un point cependant me semble insuffisamment présent dans ce rapport ; il ne figure d’ailleurs pas dans les sept recommandations. Pourtant, il est lié à de vifs débats que nous avons eus ici au sujet du commerce international. Ainsi, il est impossible de s’intéresser à la déforestation au Brésil sans s’interroger sur nos importations. Le rapport dénonce à cet égard une colonisation agricole. Cependant, le commerce international est également un levier d’action. La position française en la matière a suscité un débat : elle consiste à utiliser le commerce international, parallèlement à un engagement réciproque à respecter l’accord de Paris, comme cela est fait dans le cadre de l’accord économique et commercial global (AECG), ou CETA.

Le commerce international doit être utilisé comme un levier d’action, ce qui permettra de dire que l’Union européenne, à terme, commercera de façon privilégiée avec les pays et les entités respectant les enjeux de biodiversité et l’accord de Paris.

Ce sujet ne fait pas partie à part entière d’une recommandation. Pourtant, il y a lieu de répéter constamment la position française, qui est encore trop peu entendue au sein de l’Union européenne : conditionnons, à terme, nos accords internationaux de commerce aux impacts environnementaux en matière de respect de la biodiversité et de gestion du climat.

Mme Bérengère Poletti. Nous avons déjà eu ici des débats très intéressants au sujet du climat, des océans, et, aujourd’hui, des forêts. Il est aussi très intéressant de comprendre comment la politique française en matière de relations internationale a un impact sur ces sujets, qui sont liés.

Selon une étude récente, les surfaces recouvertes de forêts ont augmenté au niveau mondial de 7 % depuis 1982. Cela correspond à une augmentation de 2,22 millions de kilomètres carrés. Toutefois, l’implantation de ces forêts et la répartition des essences montrent un déséquilibre. Les zones tropicales sont menacées à la fois par la déforestation et par les conséquences à venir du changement climatique. La déforestation y est illégale et génératrice de corruption. Tel n’était pas autant le cas au moyen âge dans notre pays.

Dans les zones tropicales, la forêt laisse place à des cultures d’huile de palme et de soja, ainsi qu’à de l’élevage intensif, pour alimenter la consommation des pays développés. Les traités commerciaux sont cruciaux en la matière : nous sommes concernés au premier chef par les conséquences de nos choix commerciaux et de nos engagements dans des traités de libre-échange.

L’AFD offre un outil de soutien aux pays en développement, les premiers concernés par la déforestation et ses conséquences. Quelles sont nos exigences en la matière à son égard ? Quels sont les moyens que l’AFD consacre à ces sujets ?

Mme Annie Chapelier. Je remercie à mon tour M. Mbaye pour son remarquable rapport. Celui-ci nous rappelle les bienfaits, nombreux et incontestables, dont les arbres sont à l’origine : rendre la température plus clémente et l’atmosphère moins irrespirable, servir de refuges à différentes espèces, atténuer le changement climatique, réduire la pollution atmosphérique et lutter contre le ruissellement et l’érosion des sols.

Toutefois, un arbre ne pousse pas rapidement et planter a un coût. Si planter des arbres et veiller sur les forêts sont de bonnes choses, ne pas les couper, en particulier les grands, est encore plus profitable. Plutôt que de trouver une justification à chaque coupe, pourquoi ne pas rechercher une solution alternative qui préserve l’arbre visé ?

Un arbre nécessite en effet de l’entretien, du savoir-faire et du temps, trois éléments auxquels notre époque répugne, tant elle valorise l’immédiateté et l’usage unique. Un arbre ne saurait être présent seulement quelques semaines par an pendant les canicules, puis disparaître et réapparaître dès que ses vertus redeviennent nécessaires, comme le ferait un faux sapin de Noël rangé dans un placard. Pourtant, sous prétexte d’aménagement du territoire, tous les jours des arbres tombent. Couper un arbre, et à plus forte raison une forêt, relève à notre époque d’une démarche irresponsable.

Alors que l’ONF traverse une crise profonde de gouvernance, avec l’industrialisation croissante et la surexploitation des forêts publiques, quelles actions la France mène-t-elle en faveur de la protection des forêts ? Comment s’articulera le financement français de cette protection ? Nos forêts sont nos alliées les plus précieuses dans la lutte contre le changement climatique. Or dans ce combat inégal, nous avons bien peu d’alliés.

Mme Valérie Boyer. Je remercie moi aussi M. Mbaye pour son intéressant rapport, qui évoque le rôle de la France au sein de l’Europe, mais aussi dans le reste du monde. La déforestation est un sujet majeur de notre histoire ; elle a été un important facteur de développement.

L’été dernier, pendant que l’Amazonie brûlait, les forêts du centre de l’Afrique brûlaient également. Pourtant, ces incendies n’ont pas été relayés dans les médias, alors que la catastrophe écologique qu’ils représentaient était aussi importante, bien que liée à des facteurs différents.

Dans le rapport sont évoqués des exemples de reforestation en Europe et en Chine : comment ont-ils été conduits ? Quelles en sont les conséquences aujourd’hui ?

Comment mettre en cohérence nos exigences en matière de climat, d’écologie et de protection des forêts avec nos accords commerciaux ? En effet, les injonctions contradictoires sont encore trop nombreuses.

Enfin, en plus du schéma très éclairant concernant la perte nette de forêt, j’aurais aimé trouver dans le rapport une courbe relative à la démographie. En effet, il n’est pas suffisamment question dans le rapport de l’impact des activités humaines et du déséquilibre démographique. Or nous devrions nous en préoccuper en premier lieu, car les conséquences des activités humaines sont majeures en matière d’écologie et de changement climatique.

Mme Isabelle Rauch. Je remercie M. Mbaye pour son excellent rapport et pour le plaidoyer qu’il nous a présenté aujourd’hui. Si nous n’avions pas encore perçu l’importance de ces sujets, c’est désormais chose faite.

Je n’ai qu’une question à poser : quels sont les résultats obtenus par le forum des Nations unies sur les forêts ?

Mme Laurence Dumont. Christian Hutin a déjà évoqué tout le bien qu’il pensait de ce rapport, et je partage ses remarques. Cependant, notre vote concerne les crédits de la mission Écologie, développement et mobilité durables.

Je note une baisse des crédits concernant le secteur ferroviaire, la sécurité et la sûreté maritime, les gens de mer et l’enseignement maritime, mais aussi une diminution de l’enveloppe consacrée à la prévention des risques technologiques et des pollutions, avec des indicateurs prévoyant moins de contrôles en 2020 qu’en 2018 (respectivement 17 et 20). Je constate également une forte baisse du budget relatif à la prévention des risques naturels, alors que ceux-ci sont amenés à se développer conséquemment au changement climatique. De nombreuses associations, telles que France nature environnement, ont émis de sévères critiques et s’alarment d’un budget manquant d’ambition.

Quant aux moyens humains du ministère, la hausse annoncée du budget masque mal des suppressions de postes massives, correspondant à une réduction de 1,8 % des effectifs. Cela amène à la suppression de 1 700 postes en 2020 et de près de 5 000 postes d’ici à trois ans. Pourtant, la transition écologique a besoin des services du ministère dans les territoires pour se concrétiser et accompagner les collectivités et les entreprises.

Comment le nouvel Office français de la biodiversité (OFB) sera-t-il en mesure de remplir son rôle crucial de protection de la biodiversité avec moins d’effectifs ? Comment éviter de nouveaux accidents industriels, tels que celui de l’usine AZF à Toulouse, en l’absence de personnel pour inspecter les installations industrielles ? Plus récemment, l’accident survenu à Rouen nous montre notre vulnérabilité, ainsi que le besoin de personnel pour contrôler le respect des règles et assurer notre sécurité.

Ce budget, qui manque d’ambition, motive un vote défavorable aux crédits de la mission Écologie, développement et mobilité durables. Pour autant, en aucun cas il ne s’agit d’une critique à l’égard du rapport qui, encore une fois, est remarquable.

M. Frédéric Petit. Pour ma part, j’établis un lien entre le budget et l’excellent rapport de M. Mbaye. Nous recueillons là les fruits du travail mené depuis trois ans, après avoir approfondi un certain nombre de sujets. Ce travail permet d’apporter un éclairage bienvenu à la commission sur les budgets. Je suis rapporteur pour avis sur la diplomatie d’influence et je ne partage pas la différenciation opérée par certains entre le vote relatif aux crédits de la mission Écologie, développement et mobilité durables et un rapport approfondissant un sujet et complétant ce faisant les travaux des deux années précédentes.

Le terme d’ambassadeur n’apparaît pas dans le rapport, alors qu’il est question de l’AFD et de différentes conventions. Le discours récemment tenu par le Président de la République aux ambassadeurs confirme l’importance de leur rôle. Toutefois, l’ambassadeur de France au Brésil a-t-il une feuille de route différente de celle de l’ambassadeur de France en Pologne ou en Chine, s’agissant des forêts ? Quel est votre avis, monsieur le rapporteur, sur l’évolution de l’application de la politique en matière d’affaires étrangères ? En effet, nous sommes là dans notre rôle de contrôle du ministre des affaires étrangères.

Par ailleurs, je siège à l’Assemblée parlementaire de l’OSCE et j’ai proposé il y a déjà quelque temps à la commission de rendre compte des actions que mènent les députés français au sein de cette institution.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Cela sera porté à l’agenda de notre commission.

M. Frédéric Petit. Enfin, je rappelle qu’en Pologne, il est criminel de couper un arbre.

M. Jérôme Lambert. Au cours des précédentes législatures, Bernard Deflesselles, Arnaud Leroy et moi-même produisions un rapport annuel sur les négociations relatives au climat, leurs enjeux, leurs tenants et leurs aboutissants. Nous avons eu maintes occasions d’aborder l’exploitation du domaine forestier et le rôle de celui-ci dans l’équilibre climatique, par le biais d’études que nous nous sommes procurées ou que nous avons menées nous-mêmes, en Europe, au Brésil, en Chine, en Inde et dans différents pays d’Afrique. Je partage donc les préoccupations présentées dans ce rapport, qui sont les nôtres aujourd’hui. L’Assemblée nationale travaille sur ces questions depuis près d’une quinzaine d’années.

S’agissant de l’ensemble des crédits ayant trait au développement durable, je m’interroge au sujet du Fonds vert en rapport avec le changement climatique. En effet, ce fonds constitue un enjeu majeur pour la plupart des pays en voie de développement. Où en est-il ? Je ne parle pas tant de la contribution française, qui mérite néanmoins un point d’étape, que du fonds lui-même.

M. Jean-Louis Bourlanges. La remarque de M. Petit sur les ambassadeurs m’a rappelé une anecdote concernant Louis XV. Un solliciteur lui avait déclaré : « Rappelez-vous, Sire, que je suis du bois dont on fait les ambassadeurs. » Ce à quoi Louis XV avait répondu : « Je penserai à vous lorsque jaurais besoin dambassadeurs en bois. »

Je félicite M. Mbaye pour son rapport, que je trouve tout à fait remarquable. Je suis sensible à l’argumentation développée par Claude Goasguen et à sa lecture de Georges Duby concernant la déforestation. Néanmoins, je crois qu’il faut aller plus loin : ce qui est caractéristique, c’est l’après déforestation européenne. Ainsi, dès Louis XIV et Colbert, la surface des forêts françaises s’est stabilisée. L’équilibre alors créé a été globalement maintenu puisqu’aujourd’hui encore, la France et l’Europe sont en cours de reforestation.

Nous devons nous interroger sur le modèle bien plus que sur le processus de déforestation en lui-même. Quelle est la surface que nous souhaitons, à terme, voir maintenue en état de forêt ? Quelles sont les essences que nous voulons conserver ? Quelles sont les latitudes concernées ? La carte que vous nous avez présentée est fascinante : elle ressemble à celle des enfants du capitaine Grant ! La déforestation est massive au sud du globe et quasiment inexistante au Nord. Bien évidemment, cela ne signifie pas que le Nord est vertueux et que le Sud ne l’est pas ; cela signifie en réalité que le Nord exploite la déforestation du Sud.

Dans ce rapport, les considérations relatives au multilatéralisme me frappent. Le cœur des propositions repose sur un accord juridique contraignant au plan mondial et sur une politique européenne. Celle-ci s’articule autour d’outils très intelligents tels que l’accord de partenariat volontaire et le règlement bois. Ces outils ont pour conséquence une mise en cause de nos intérêts et de notre compétence juridique à un échelon multinational. Face à ces enjeux mondiaux, nous avons des entités politiques prétendument souveraines qui sont totalement fragmentées, éparpillées et impuissantes. Telle est la conclusion sous-jacente de ce rapport.

M. Jean François Mbaye, rapporteur pour avis. Je ferai parvenir, le cas échéant, des réponses écrites aux collègues auxquels je n’aurais pas eu le temps de répondre ce matin.

Je remercie M. Mahjoubi pour son implication dans les problématiques que nous avons évoquées. Je ne peux que répondre par l’affirmative à ses propositions, en particulier celle consistant à créer un espace de travail partagé permettant d’aller au-delà de la présente réflexion.

Monsieur Goasguen, vous avez posé la question des actes : nous pouvons agir sur la gestion durable des forêts. À cet égard, j’ai auditionné des acteurs en charge de la certification. La logique de gestion durable permet d’obtenir la certification des territoires et d’offrir un cercle vertueux aux consommateurs. Il s’agit là encore de respecter un équilibre. Nous devons travailler dans un premier temps à l’échelle nationale.

M. Claude Goasguen. Cela ne sert à rien !

M. Jean François Mbaye, rapporteur. Si, cela sert bien à quelque chose. En effet, les consommateurs sont demandeurs de ce type d’initiatives, qui s’inscrivent dans un cercle vertueux.

Bruno Joncour, Annie Chapelier et Bérengère Poletti se sont interrogés sur les actions que mène la France et sur leur financement. La France occupe une place importante : elle est en effet le premier pays européen gestionnaire d’une forêt tropicale, en Guyane. Par ailleurs, sa politique d’aide publique au développement lui confère un rôle majeur en matière de lutte contre la déforestation. La France défend des propositions dans certaines enceintes, telles que les conventions de Rio et de Ramsar, ou encore le forum des Nations unies pour les forêts. Elle plaide également pour une reconnaissance durable des forêts, de leurs services et de leur importance pour les populations locales. Les financements s’élèvent à 350 millions d’euros pour la période 2000-2017, dans le cadre de l’APD, soutenue à la fois par l’AFD et le Fonds français pour l’environnement mondial (FFEM). Ils ciblent les aménagements forestiers et des territoires ruraux, mais aussi des aires protégées ; ils prennent également la forme de soutiens aux administrations pour améliorer la gouvernance du secteur et de projets d’appui aux filières. La France finance des projets d’assistance technique pour le renforcement des capacités des administrations forestières et apporte des contributions, par le biais de l’AFD, et en lien avec la banque mondiale au Fonds de partenariat pour les écosystèmes critiques (10,3 millions de dollars) et au fonds carbone (5 millions de dollars). Elle soutient aussi l’initiative pour les forêts d’Afrique centrale et contribue au fonds pour l’environnement mondial, à hauteur de 300 millions de dollars pour la période 2018-2022. Enfin, la contribution de la France au fonds vert pour le climat s’élève à 774 millions d’euros pour la période 2015-2018.

Monsieur Hutin, reforester est une bonne chose ; l’ONFI et l’AFD, dans une moindre mesure, s’y emploient. Cependant, une forêt secondaire sera toujours moins diversifiée qu’une forêt primaire. C’est pourquoi la préservation des forêts demeure indispensable.

En matière de diplomatie environnementale, évoquée par plusieurs d’entre vous, je vous invite à consulter le premier avis que j’ai produit l’année dernière. J’y avais en effet insisté sur la nécessité de mettre sous tension le réseau diplomatique pour la lutte contre le changement climatique. En matière de lutte contre la déforestation, nous devons pareillement demander régulièrement aux ambassadeurs de nous communiquer des points d’étape. Tous les ambassadeurs ont reçu au mois de juillet une feuille de route leur permettant de faire respecter ces enjeux.

Monsieur Lecoq, le cèdre, symbole du Liban, a lui aussi souffert du changement climatique. Je me suis rendu sur place, afin de mesurer l’impact des actions de l’AFD sur ces problématiques. Un partenariat a en effet été noué entre l’AFD et les autorités locales, les municipalités et des acteurs associatifs, afin de reboiser certaines terres ayant souffert à la fois du changement climatique et des conflits.

Monsieur Naegelen, je vous invite à la prudence. Tant pour le conditionnement de l’APD que pour le climat, nous devons faire preuve d’une vigilance quant à la durabilité des projets.

Monsieur El Guerrab, nous devons rester dans le cadre qui nous a été fixé. J’ai traité, par le biais de ce rapport, le volet international. Par ailleurs, le Président de la République s’est exprimé au sujet des traités commerciaux internationaux. J’ai pour ma part souligné que ceux-ci, en favorisant la consommation, fragilisent l’action de lutte contre la déforestation ; nous devons être vigilants à ce sujet. La France porte l’initiative de stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée, ce qui constitue un moyen d’affirmer le sérieux de ce sujet.

Madame Boyer vous avez raison, la démographie a un impact sur les forêts. Toutefois, le problème a trait avant tout à notre consommation. C’est pourquoi nous devons promouvoir à l’échelle internationale une gestion durable des forêts et, pour ce faire, renforcer et encadrer le commerce international. À cet égard, nous pouvons nous appuyer sur le programme éducatif qui est évoqué dans le rapport.

L’action de la France en matière de lutte contre la déforestation est très complète, notamment dans les différentes enceintes internationales que j’ai évoquées.

Madame Rauch, le forum des Nations unies sur les forêts a élaboré un instrument juridique non contraignant dénommé « l’instrument forestier », adopté en 2007 par l’Assemblée générale des Nations unies. En 2015 a été décidé un plan stratégique à moyen terme de l’ONU sur les forêts pour la période 2017-2030 ; ce plan a permis de mettre en cohérence les objectifs de développement durable. En janvier 2017 ont été adoptés simultanément le plan stratégique et le programme de travail quadriennal du forum pour la période 2017-2020.

Le temps me manque ce matin pour vous répondre plus complètement, mais, je l’ai dit, je pourrais vous parvenir des réponses écrites ultérieurement.

M. Jean-Paul Lecoq. Je souhaiterais poser une question et soulever un point d’ordre.

Monsieur le rapporteur, compte tenu des évolutions de notre politique écologique au plan national, je souhaiterais savoir si, dans le cadre de vos auditions, vous avez interrogé des multinationales françaises du secteur des agrocarburants sur les pays dans lesquels elles se fournissent et sur l’impact de leurs fournitures sur la forêt – il faut aller au bout du raisonnement.

Par ailleurs, je n’ai pas entendu, au cours de votre exposé, d’arguments de nature à me convaincre d’approuver les crédits de la mission Écologie, développement et mobilité durables – vous nous avez indiqué que votre avis était favorable, mais vous ne nous avez pas expliqué pourquoi. En revanche, je voterais volontiers l’ensemble de votre rapport, hormis la première page. Je suis donc très gêné : soit la présidente appelle les crédits de la mission, et il me sera très facile de me prononcer, soit elle soumet à notre vote votre rapport, indépendamment des crédits budgétaires, mais ce n’est pas ce qui était prévu à notre ordre du jour…

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Nous approuvons tous le rapport, de façon consensuelle : Claude Goasguen a bien exprimé quelques divergences, mais, sur le fond, nous sommes tous d’accord. Cependant, c’est sur les crédits budgétaires que nous devons nous prononcer.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Je vous remercie, monsieur Mbaye, pour vos travaux sur la question de la préservation et de la restauration des forêts. Notre commission y reviendra certainement, car celles-ci font partie de ce que l’on appelle les biens communs de l’humanité.

 

 


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   EXAMEN DES CRÉDITS

 

Suivant l’avis du rapporteur, la commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Écologie, développement et mobilité durables tels qu’ils figurent à l’état B annexé à l’article 38 du projet de loi de finances pour 2020.

 

 

 


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   annexe n° 1 :
Liste des personnes auditionnées par LE RAPPORTEUR

 

Association œuvrant en faveur de la protection de la nature sur la question spécifique des forêts :

 

Audition commune sur les actions de la France en faveur de la préservation des forêts aux échelles européenne et mondiale

 

Déplacement au Liban du 22 au 25 septembre 2019

 

Contributions écrites d’associations œuvrant en faveur de la protection de la nature sur la question spécifique des forêts :

 


([1]) Bruce Albert, Fabrice Dubertet, François‑Michel Le Tourneau, Un monde de forêts dossier contenu dans le catalogue de l’exposition Nous les arbres, Fondation Cartier pour l’art contemporain (2019), p. 286.

([2]) Ibid.

([3]) Ibid., p. 275.

([4]) Ibid., p. 282.

([5]) Ibid., p. 287.

([6])  Audition de MM. Jean‑Luc Peyron, directeur et Bernard Riera, chargé de recherches du groupement d’intérêt public (GIP) ECOFOR.

([7]) Ibid.

([8]) Ibid.

([9]) Bruce Albert, Fabrice Dubertet, François‑Michel Le Tourneau, Op. cit., p. 282.

([10]) Ibid.

([11]) Ibid.

([12]) Ibid.

([13]) Ibid., p. 286.

([14]) Audition de MM. Pierre-Emmanuel Leclercq, directeur général et de M. Gilles Moynot, directeur technique de l’Office national des forêts international (ONFI).

([15]) Audition de Mme Magda Bou Dagher Kharrat, professeur, directeur du département des sciences de la vie et de la terre‑biochimie à la faculté des sciences de l’Université Saint‑Joseph de Beyrouth.

([16]) Audition de MM. Jean‑Luc Peyron, directeur et Bernard Riera, chargé de recherches du groupement d’intérêt public (GIP) ECOFOR.

([17])  Bruce Albert, Fabrice Dubertet, François‑Michel Le Tourneau, Op. cit., p. 288.

([18]) Ibid.

([19]) Ibid.

([20]) Ibid.

([21]) Documents clés de Greenpeace (2017).

([22]) Évaluation des écosystèmes pour le millénaire, ONU.

([23])  Audition de MM. Jean‑Luc Peyron, directeur et Bernard Riera, chargé de recherches du groupement d’intérêt public (GIP) ECOFOR.

([24]) Rapport spécial du GIEC sur le changement climatique et les terres (2019).

([25]) Les forêts, de gigantesques puits de carbone, ONF.

([26]) Rapport spécial du GIEC sur le réchauffement planétaire de 1,5 °C (2018).

([27]) La forêt et l’eau, un équilibre savant, ONF.

([28]) OAA, La situation des forêts du monde : les forêts au service du développement durable, Rome, 2018.

([29]) Ibid.

([30]) Acronyme de « Reducing Emissions from Deforestation and forest Degradation » soit « réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation forestière » en français.

 

([31]) Règlement (UE)  995/2010 du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010 établissant les obligations des opérateurs qui mettent du bois et des produits dérivés sur le marché.