N° 3404

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 octobre 2020

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI (n° 3360)
de finances pour 2021

TOME IV

JUSTICE

JUSTICE ET ACCÈS AU DROIT

PAR Mme Laetitia AVIA

Députée

——

 

 Voir le numéro : 3399 – III – 29

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En application de l’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), les réponses au questionnaire budgétaire devaient parvenir à la rapporteure pour avis au plus tard le 10 octobre 2020 pour le présent projet de loi de finances. À cette date, 79 % des réponses attendues étaient parvenues à votre rapporteure pour avis.


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SOMMAIRE

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 Pages

Introduction................................................ 5

PremiÈre partie : les crÉdits de la justice et de l’accÈs au droit pour 2021

I. Les moyens en faveur de la justice en forte progression

A. La conduite et le pilotage de la politique de la justice

1. Une forte hausse des crédits pour accompagner la mise en œuvre du plan de transformation numérique

2. Des effectifs renforcés pour soutenir la transformation numérique du ministère

B. La justice judiciaire

1. Des moyens supplémentaires pour améliorer le fonctionnement des juridictions

2. Des effectifs en hausse pour renforcer la justice pénale de proximité

C. Le Conseil supÉrieur de la magistrature

II. Les moyens pour l’accÈs au droit et À la justice en augmentation de plus de 10 %

A. L’aide juridictionnelle

B. L’accÈs au droit et le rÉseau judiciaire de proximitÉ

C. L’aide aux victimes

D. La mÉdiation familiale et les espaces de rencontre

Seconde partie :  La transformation numÉrique de la justice

I. durant le confinement, les progrÈs accomplis en matière numÉrique ont contribuÉ À assurer la continuitÉ du service public de la justice

A. un déploiement de matériel amorcÉ et un renforcement progressif du réseau pour permettre le travail à distance

1. L’équipement en ordinateurs portables

2. La modernisation des infrastructures

a. La montée en puissance des réseaux

b. Le recours croissant à la visioconférence

B. des mesures d’exception pour assurer la continuitÉ du service public de la justice

1. En matière pénale et civile

2. En matière d’organisation du travail

C. une communication Électronique avec les professionnels du droit amÉliorÉe

D. un nouvel outil de pilotage À pÉrenniser et À amÉliorer : le rÉfÉrentiel d’appui À la reprise d’activitÉ

II. six axes prioritaires pour mener À bien la transformation numÉrique de la justice

A. mettre l’accent sur l’Équipement numérique

1. Doter les juridictions d’un équipement informatique à la hauteur

2. Privilégier des outils souverains

B. le numérique pour assurer la fluidité des échanges entre les acteurs du droit

1. Accélérer le déploiement de PLEX en matière civile

2. Développer la visioconférence pour les audiences de mise en état

3. Faciliter la communication entre les professionnels du droit

C. dÉfinir des prioritÉs dans le dÉveloppement des grands projets

1. Une numérisation bien engagée en matière pénale

a. Les applications

b. La procédure pénale numérique

c. Le casier judiciaire

2. Une modernisation prioritaire en matière civile

a. Les applications

b. La procédure civile numérique

D. rÉussir la dÉmatÉrialisation de l’aide juridictionnelle

E. garantir la mise en œuvre des dispositions de la loi de programmation et de rÉforme de la justice relatives au numÉrique

1. Mobiliser les moyens pour mettre en place la juridiction nationale des injonctions de payer

2. Encourager la médiation et la conciliation numériques

3. Développer le dépôt de plainte en ligne

F. mieux organiser la transformation numÉrique de la justice

1. Créer un programme « Transformation numérique de la justice »

2. Améliorer le pilotage de la transformation numérique

3. Professionnaliser la transformation numérique de la justice

EXAMEN EN COMMISSION

Liste des propositions

Personnes entendues


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MESDAMES, MESSIEURS,

2021 est la deuxième année de mise en œuvre de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, qui prévoit une réforme d’ampleur du système judiciaire, qu’il s’agisse de la simplification des procédures civile et pénale, du renforcement de l’efficacité et du sens de la peine ou de l’amélioration de l’efficacité de l’organisation judiciaire.

Aussi, en portant les moyens en faveur de la justice à 10,1 milliards d’euros en 2021 – soit une hausse de plus de 7 % des crédits de paiement par rapport à 2020 –, le présent projet de loi de finances tire-t-il toutes les conséquences de la loi de programmation.

Après une augmentation de 3,9 % en 2020, cette forte progression témoigne de la mobilisation du Gouvernement en faveur de la justice, avec une attention particulière accordée à la justice de proximité et à l’administration pénitentiaire. L’évolution des autorisations d’engagement confirme cette volonté puisqu’elles s’établiront à plus de 12 milliards d’euros (+ 32,5 %).

Le présent avis porte sur la justice et l’accès au droit, c’est-à-dire sur les crédits des programmes « Justice judiciaire », « Conduite et pilotage de la justice », « Conseil supérieur de la magistrature » et « Accès au droit et à la justice » de la mission « Justice » ([1]).

En 2021, les moyens prévus pour la justice et l’accès au droit progresseront de 6,8 % en crédits de paiement, pour atteindre 4 846 millions d’euros. Les autorisations d’engagement augmenteront de 5,5 % pour s’établir à 4 851 millions d’euros. L’effort en faveur de la création d’emplois sera poursuivi avec l’inscription de 368 emplois nouveaux, dont 318 dans les juridictions.

Il s’agit ainsi de poursuivre la mise en œuvre de la loi de programmation et de réforme pour la justice, de renforcer la justice pénale de proximité, d’accroître la transformation numérique du ministère et d’améliorer l’accès au droit.

Cette année, votre rapporteure pour avis a choisi de s’intéresser à la transformation numérique de la justice, qui, après avoir fait l’objet d’une accélération pendant la période du confinement, constitue l’une des priorités affichées par le ministère de la Justice dans le projet de budget pour 2021.


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   PremiÈre partie :
les crÉdits de la justice et de l’accÈs au droit pour 2021

Les moyens consacrés à la justice et à l’accès au droit devraient s’élever en 2021 à 4 846 millions d’euros en crédits de paiement (+ 6,8 %) et à 4 851 millions d’euros en autorisations d’engagement (+ 5,5 %).

Le détail des évolutions de crédits par programme et à périmètre courant est retracé dans les tableaux suivants.

l’Évolution des crÉdits de paiement

(en millions d’euros)

Programme

LFI
2020

PLF
2021

Variation
2021/2020

Justice judiciaire

3 500,6

3 720,8

+ 6,3 %

Conduite et pilotage de la politique de la justice

500,5

534,8

+ 6,9%

Conseil supérieur de la magistrature

4,9

5,3

+ 7,2 %

Accès au droit et à la justice

530,5

585,2

+ 10,3 %

l’Évolution des autorisations d’engagement

(en millions d’euros)

Programme

LFI
2020

PLF
2021

Variation
2020/2019

Justice judiciaire

3610,3

3798,3

+ 5,2 %

Conduite et pilotage de la politique de la justice

452,3

463,3

+ 2,4 %

Conseil supérieur de la magistrature

6,0

4,4

– 26,0 %

Accès au droit et à la justice

530,5

585,2

+ 10,3 %

368 emplois supplémentaires sont prévus en 2021 :

– 318 emplois dans les juridictions, se répartissant en 50 emplois de magistrats et 268 emplois de fonctionnaires. Ils ont vocation à mettre en œuvre la réforme de la justice, renforcer la justice pénale de proximité et consolider les équipes autour des magistrats tout en résorbant les vacances d’emplois dans les greffes ;

– 50 emplois au secrétariat général pour accompagner la mise en œuvre du plan de transformation numérique du ministère.

I.   Les moyens en faveur de la justice en forte progression

En 2021, les moyens destinés au fonctionnement de la justice, qui sont inscrits au sein des programmes « Justice judiciaire », « Conduite et pilotage de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature », devraient progresser de 6,4 % en crédits de paiement pour atteindre 4 261 millions d’euros et de 4,9 % en autorisations d’engagement pour s’établir à 4 266 millions d’euros.

Cette évolution traduit la priorité accordée aux moyens des juridictions, avec la création de 318 emplois, la consolidation de leur dotation de fonctionnement, la mise en œuvre d’une nouvelle programmation immobilière dans le cadre de la nouvelle organisation judiciaire, enfin, la montée en puissance du plan de transformation numérique.

A.   La conduite et le pilotage de la politique de la justice

Le programme « Conduite et pilotage de la politique de la justice » a une double finalité : d’une part, il vient en appui des directions du ministère pour des compétences d’intérêt commun comme la transformation numérique ou l’action sociale et, d’autre part, il regroupe les moyens des services centraux de la Chancellerie et des opérateurs relevant du ministère (notamment l’Agence publique pour l’immobilier de la justice et l’Agence nationale des techniques d’enquêtes numériques judiciaires).

1.   Une forte hausse des crédits pour accompagner la mise en œuvre du plan de transformation numérique

Ce programme verra ses moyens progresser de 6,9 % pour atteindre 535 millions d’euros en crédits de paiement et de 2,4 % pour s’élever à 463 millions d’euros en autorisations d’engagement.

Si les crédits destinés à la masse salariale progresseront de plus de 3 % pour atteindre 188 millions d’euros et ainsi permettre la création de 50 emplois, les crédits de paiement hors masse salariale augmenteront de 9 % pour s’élever à 347 millions d’euros.

Ces moyens supplémentaires ont pour objectif d’accompagner la montée en puissance du plan de transformation numérique du ministère, l’adaptation immobilière des sites centraux du ministère et le développement de l’action sociale et de celle en faveur de la santé et de la sécurité au travail.

► Les crédits prévus dans le domaine informatique progressent de 13 % pour atteindre 232 millions d’euros en crédits de paiement, dont 31 millions sont destinés à la plateforme nationale d’interceptions judiciaires et 201 millions au plan de transformation numérique.

Ayant pour objectif de construire le service public numérique de la justice, ce plan repose sur trois priorités : la modernisation des infrastructures, le développement de projets applicatifs et l’accompagnement apporté aux usagers internes et aux utilisateurs externes.

Les moyens destinés à la transformation numérique de la justice en 2021 devront notamment permettre la mise à niveau des débits, l’augmentation du parc de visioconférence, la modernisation du parc des PC pour faciliter la migration de Windows 7 vers Windows 10, l’adaptation de la téléphonie sur IP, la poursuite des grands projets applicatifs ainsi que la modernisation de la gouvernance des systèmes d’information. Votre rapporteure y reviendra plus en détail dans la seconde partie du rapport.

► Les dépenses d’investissement s’élèveront à près de 7 millions d’euros en crédits de paiement, afin de poursuivre la mise en œuvre du plan de modernisation des sites centraux. Sont ainsi prévus la mise en œuvre d’une première tranche du schéma directeur de travaux pluriannuels du site historique de la place Vendôme avec la rénovation des façades et les travaux de mise en conformité et de rénovation du bâtiment, la poursuite de la sécurisation du bâtiment Olympe-de-Gouges, la réhabilitation des locaux de la direction interrégionale d’Île-de-France ainsi que l’aménagement du nouveau site d’archivage de Russy-Bémont.

► 32 millions d’euros sont prévus pour l’action sociale à destination des personnels du ministère, afin de financer l’action en faveur des personnes en situation de handicap, la protection sociale complémentaire, les services médico-sociaux, la restauration collective, le logement social et la petite enfance.

2.   Des effectifs renforcés pour soutenir la transformation numérique du ministère

50 emplois devraient être créés pour poursuivre la mise en œuvre du plan de transformation numérique.

B.   La justice judiciaire

Le programme « Justice judiciaire » regroupe les crédits nécessaires au fonctionnement de la justice civile, pénale, commerciale et sociale. Il concerne les magistrats et les agents des services judiciaires (fonctionnaires et contractuels), ainsi que les juges non professionnels bénévoles ou rémunérés à la vacation (juges consulaires, conseillers des prud’hommes, magistrats exerçant à titre temporaire, assesseurs des tribunaux pour enfants, etc.), assistants et agents de justice, déployés dans les juridictions judiciaires.

Ces dernières comprendront, au 1er janvier 2021, la Cour de cassation, 36 cours d’appel, le tribunal supérieur d’appel de Saint-Pierre-et-Miquelon et les juridictions du premier degré, dont 164 tribunaux judiciaires, auxquels sont rattachés 125 chambres de proximité, 134 tribunaux de commerce, 210 conseils de prud’hommes et 6 tribunaux du travail.

1.   Des moyens supplémentaires pour améliorer le fonctionnement des juridictions

Les moyens du programme « Justice judiciaire » progresseront de 6,3 % pour s’établir à 3721 millions d’euros en crédits de paiement et de 5,2 % pour s’élever à 3 798 millions d’euros en autorisations d’engagement. Il s’agit ainsi de renforcer la justice pénale de proximité, mettre en œuvre la réforme de l’ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante, accroître la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance économique et financière et accélérer la transformation numérique des juridictions judiciaires.

Au sein de cette enveloppe, les crédits de rémunération augmenteront de 2,8 % pour atteindre 2 452 millions d’euros, permettant ainsi la création de 318 emplois, l’achèvement du transfert du contentieux social, le recours accru aux magistrats à titre temporaire et aux magistrats honoraires juridictionnels ainsi que la mise en œuvre de mesures catégorielles, en particulier au profit des personnels de greffe.

Hors masse salariale, les crédits de paiement progresseront de 13,8 % pour s’élever à 1 269 millions d’euros et les autorisations d’engagement de 10 % pour atteindre 1 347 millions d’euros.

Les moyens de fonctionnement des juridictions progresseront pour s’élever à 380 millions d’euros en paiements (+ 4 %) et à 390 millions d’euros en engagements (+ 6 %) afin, notamment, d’accélérer l’équipement informatique et en visioconférence des juridictions (cf. partie II), accompagner l’augmentation des effectifs, améliorer l’attractivité de la fonction de conciliateur de justice en portant l’indemnité pour frais de 464 à 650 euros et de poursuivre la politique immobilière du ministère.

Les crédits consacrés aux frais de justice (618 millions d’euros) augmenteront fortement (+ 127 millions d’euros) afin de répondre à une consommation dynamique résultant de la mise en œuvre en année pleine de réformes prévues par la loi de programmation, de permettre des expertises de plus en plus poussées (grande technicité, rapidité d’expertise, performance accrue) et de renforcer la médecine légale.

Les crédits d’investissement destinés aux juridictions devraient progresser légèrement à 227 millions d’euros en paiements et diminuer à 294 millions d’euros en engagements. Hormis le financement des partenariats public-privé des palais de justice de Caen et de Paris, il s’agit en effet davantage d’assurer la poursuite d’opérations ([2]) que d’en lancer de nouvelles, à l’exception, toutefois, de la construction d’un nouveau bâtiment pour accueillir le pôle pénal du tribunal judiciaire de Bobigny, pour lequel 120 millions d’euros sont prévus en engagements.

2.   Des effectifs en hausse pour renforcer la justice pénale de proximité

318 créations d’emplois sont prévues dans les juridictions, dont 50 emplois de magistrats et 100 emplois de fonctionnaires de greffe. Il est ainsi prévu de créer 150 emplois supplémentaires (100 assistants de greffe, 15 assistants spécialisés et 35 juristes assistants) par rapport à ce qui a été voté en loi de programmation, afin de renforcer la justice de proximité.

C.   Le Conseil supÉrieur de la magistrature

En 2021, le programme consacré au Conseil supérieur de la magistrature (CSM) sera doté de 5,3 millions d’euros en crédits de paiement (+ 7,2 %) et de 4,4 millions d’euros en autorisations d’engagement (– 25,9 %).

Les dépenses de personnel s’établiront à 3,1 millions d’euros, en progression de plus de 10 %. Elles correspondent à la rémunération des 22 membres du CSM et à celle des effectifs du secrétariat général du Conseil qui, complétés par deux magistrats, s’élèveront à 24 équivalents temps plein annuel travaillé.

Le budget de fonctionnement du Conseil est stabilisé à 2,1 millions d’euros en crédits de paiement, tandis qu’il s’établit à 1,3 million d’euros en autorisations d’engagement.

II.   Les moyens pour l’accÈs au droit et À la justice en augmentation de plus de 10 %

En 2021, les moyens du programme « Accès au droit et à la justice » s’élèveront à 585 millions d’euros contre 530 millions d’euros en 2020, soit une progression de 10,3 %.

A.   L’aide juridictionnelle

Une dotation de 534 millions d’euros est prévue pour l’aide juridictionnelle, en progression de 50 millions d’euros (+ 10,3 %) par rapport à 2020.

Cet effort budgétaire a pour objet de couvrir l’augmentation tendancielle de l’aide juridictionnelle résultant des mesures de revalorisation ([3]) intervenues depuis 2016 et des effets de la réforme de la procédure civile ([4]) prévue par la loi du 23 mars 2019, les conséquences de la crise sanitaire comme le rattrapage de la sous-activité temporaire des juridictions et, enfin, la mise en œuvre de nouvelles réformes.

Une enveloppe de 25 millions d’euros sera ainsi réservée pour financer les premiers effets de la réforme de la justice pénale des mineurs et la mise en œuvre des propositions d’évolution de l’aide juridictionnelle (en particulier l’amélioration de la rétribution des avocats) remises au garde des Sceaux par la mission relative à l’avenir de la profession d’avocat, présidée par M. Dominique Perben, en juillet 2020.

L’enveloppe de 534 millions d’euros devrait être répartie entre :

– 435 millions d’euros (401 millions d’euros en 2020) au titre de l’aide juridictionnelle au sens strict et de l’aide à la médiation, qui servent à rétribuer les avocats et les autres auxiliaires de justice (huissiers, médiateurs, etc.) ;

– 87,2 millions d’euros (80 millions d’euros en 2020) d’aides versées aux avocats qui interviennent au cours des gardes à vue, auditions libres et retenues, au cours des déferrements devant le procureur de la République ou en matière de médiation et de composition pénales ou encore en matière d’assistance aux détenus ;

– 10,9 millions d’euros dans le cadre de la contractualisation locale avec les barreaux dont les modalités ont été simplifiées à la suite de la mise en place d’une nouvelle convention locale relative à l’aide juridique ;

– 900 000 euros destinés à l’union nationale des CARPA (UNCA), dont 800 000 euros au titre de la modernisation des logiciels de gestion de l’aide juridique des caisses autonomes des règlements pécuniaires des avocats (CARPA) afin de permettre un échange automatique de données avec le nouveau système d’information pour l’aide juridique mis en place par le ministère de la Justice.

Alors que l’aide juridictionnelle a, à l’initiative de Mme Naïma Moutchou et de M. Philippe Gosselin, rapporteurs de la mission d’information sur l’aide juridictionnelle ([5]), fait l’objet d’une première série de réformes en 2020 pour adopter le revenu fiscal de référence comme critère principal d’éligibilité et introduire la possibilité d’une demande en ligne, votre rapporteure encourage les nouvelles mesures prévues.

B.   L’accÈs au droit et le rÉseau judiciaire de proximitÉ

En 2021, 9,5 millions d’euros devraient bénéficier à la politique d’accès au droit, qui a pour objet de permettre à tout citoyen, en particulier ceux qui rencontrent le plus de difficultés, de connaître leurs droits afin de pouvoir les exercer et de se rapprocher de la justice. Cette dotation progresse de 9,5 % par rapport à 2020.

Ces crédits serviront, à hauteur de 8,2 millions d’euros, à cofinancer les 101 conseils départementaux d’accès au droit (CDAD) et les 1 748 points d’accès au droit. Il s’agit de créer de nouvelles permanences, en particulier au sein des maisons France services, et d’accroître les capacités des celles existantes, en permettant l’extension de leurs horaires d’ouverture et l’augmentation du nombre d’intervenants, afin d’accueillir un public plus large.

C.   L’aide aux victimes

L’aide aux victimes vise à améliorer la prise en charge des victimes d’infractions pénales, en leur apportant un soutien matériel et psychologique tout au long de leur parcours judiciaire et jusqu’à leur indemnisation.

32 millions d’euros sont prévus pour 2021, en progression de 11,4 % par rapport à 2020.

Il s’agit ainsi de renforcer l’action des associations locales d’aide aux victimes, en permettant à davantage de victimes d’être suivies et en offrant une prise en charge plus large grâce au développement du suivi social et administratif et de consultations réalisées par des juristes et des psychologues, mais également d’améliorer le service rendu aux victimes mineures et de permettre la réalisation d’initiatives locales comme la création d’unités d’accueil enfants en danger.

D.   La mÉdiation familiale et les espaces de rencontre

Les moyens prévus en 2021 pour la médiation familiale, qui a pour objet un règlement apaisé des conflits familiaux, et pour les espaces de rencontre, qui permettent le maintien des liens entre un enfant et ses parents dans des situations où ces derniers ne peuvent les accueillir à leur domicile, progresseront à nouveau fortement (+ 10,4 %) pour s’élever à 9,7 millions d’euros.

Cette dotation sera répartie entre 6,2 millions d’euros pour les associations locales gérant un espace de rencontre (+ 13 %), 3,3 millions d’euros pour les associations locales de médiation familiale (+ 6 %) et 140 000 euros (+ 17%) pour les fédérations et les associations nationales de médiation familiale et d’espaces de rencontre.

 


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   Seconde partie :
La transformation numÉrique de la justice

En septembre 2017, le ministère de la Justice a lancé un plan de transformation numérique afin, d’ici à cinq ans, de doter les magistrats et personnels de la justice d’outils performants, de faciliter les échanges avec les professionnels du droit et de donner au justiciable la possibilité de saisir la justice et de suivre ses affaires en ligne. Il s’agit ainsi d’offrir rapidement la possibilité d’une dématérialisation totale des procédures civiles et pénales ainsi qu’une évolution en profondeur des systèmes d’information de l’administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse.

À cet effet, la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a prévu de mobiliser 530 millions d’euros et de créer 260 emplois.

LES MOYENS budgÉtaires CONSACRÉS AU PLAN DE TRANSFORMATION NUMÉRIQUE

 (en millions d’euros)

 

2018

2019

2020 (*)

2021

2022

TOTAL

2018-2022

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Loi de programmation

81,9

65,5

110,8

97,7

123,9

127,0

127,3

127,7

86,2

113,2

530

530

Exécution budgétaire

84,1

65,9

119,7

113,1

110,9

112,8

314,7

291,8

(*) Au 30 septembre 2020.

Source : ministère de la Justice.

Au 30 septembre 2020, un peu plus de la moitié des crédits ont été consommés.

LES MOYENS humains CONSACRÉS AU PLAN DE TRANSFORMATION NUMÉRIQUE

(en nombre d’emplois créés)

 

2018

2019

2020 (*)

2021

2022

TOTAL

2018-2022

Loi de programmation

50

80

50

50

30

260

Exécution budgétaire

48

62

20

130

(*) Au 30 septembre 2020.

Source : ministère de la Justice.

 

Au 30 septembre 2020, 130 emplois ont été créés sur les 180 prévus. Si la moitié des emplois annoncés pour la période 2018-2022 ont été créés à mi-parcours, le ministère de la Justice devra en accélérer le rythme pour respecter ses engagements.

Alors que la France est classée dix-neuvième sur vingt-huit pays en matière de disponibilité de moyens électroniques dans le tableau de bord 2019 de la justice dans l’Union européenne, ce plan de transformation numérique représente un enjeu majeur pour la justice, d’autant plus qu’il doit accompagner des réformes d’ampleur portées par la majorité.

La crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 et la période de confinement qui s’en est suivie ont montré que le numérique était indispensable pour assurer la continuité du service public de la justice.

Il y a donc urgence à se saisir pleinement du sujet et à faire de la transition numérique non pas une ambition de long terme mais un projet à réaliser à court terme, avec des obligations de résultat. Il y va de la continuité et de l’efficacité du service public de la justice.

I.   durant le confinement, les progrÈs accomplis en matière numÉrique ont contribuÉ À assurer la continuitÉ du service public de la justice

Grâce à une organisation optimisée en télétravail et à la dématérialisation des procédures adoptée par la justice administrative depuis plusieurs années – avec les applications Télérecours et Télérecours citoyens – l’activité de cette dernière, aménagée par l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif, n’a pas réellement pâti du confinement et les audiences ont pu reprendre dans leur intégralité dès le 13 mai 2020.

Bien que bien moins dotée en moyens numériques, la justice judiciaire a su réagir afin de permettre, autant que possible, la continuité du service public. Le ministère de la Justice a ainsi mobilisé en urgence 18 millions d’euros pour accélérer sa transformation numérique.

A.   un déploiement de matériel amorcÉ et un renforcement progressif du réseau pour permettre le travail à distance

1.   L’équipement en ordinateurs portables

La crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 et la période de confinement qu’elle a entraînée ont tout d’abord conduit à l’accélération du déploiement d’ordinateurs portables au bénéfice, principalement, des magistrats.

Ainsi, avant la crise, environ 13 000 ultra-portables équipaient les services judiciaires et, en leur sein, principalement les magistrats. En 2019, le taux d’équipement des magistrats du parquet était de 80 %, celui du siège de 76 % et celui des greffes de 7 %. Par juridiction, le taux d’équipement était de 60 % pour les tribunaux de grande instance, 31 % pour les cours d’appel, 8 % pour les tribunaux d’instance et 1 % pour les conseils des prud’hommes.

Selon les données fournies par M. Paul Huber, directeur des services judiciaires, près de 1 500 ultra-portables ont été distribués dans les juridictions entre mars et mai 2020 afin d’autoriser le travail à distance pour les activités prévues dans le plan de continuation de l’activité.

Ce déploiement a, à nouveau, surtout bénéficié aux magistrats. Comme l’ont souligné MM. David Melison et Ludovic Friat, représentants de l’Union syndicale des magistrats (USM), ces ordinateurs portables ont été attribués aux magistrats ainsi qu’à certains greffiers relevant de services prioritaires. Mme Sophie Grimault, secrétaire générale adjointe du Syndicat des greffiers de France - FO, a ainsi indiqué que 300 ultraportables seulement avaient été distribués aux 13 000 greffiers.

Le sous-équipement des greffiers en ordinateurs portables les a empêchés d’avancer dans le traitement des dossiers et a conduit à la constitution d’un stock important d’affaires à traiter pendant l’après-confinement, comme l’ont souligné Mmes Sophie Legrand et Lucille Rouet, représentantes du Syndicat de la magistrature.

Depuis la reprise de l’activité, 3 500 ultra-portables ont été commandés afin d’être distribués entre octobre et décembre 2020. Ils devraient permettre de rattraper, au moins en partie, le retard pris dans l’équipement des greffiers.

2.   La modernisation des infrastructures

a.   La montée en puissance des réseaux

L’accent a été mis, pendant le confinement, sur le renforcement du Virtual private network (VPN), qui offre un accès à distance aux applications utilisées par les services judiciaires.

Alors que ce dernier permettait 2 000 à 2 500 connexions par jour au début du mois de mars 2020, conduisant les magistrats à devoir se connecter pendant la nuit, il a autorisé, en trois semaines, 30 000 connexions par jour. Cette infrastructure est aujourd’hui dimensionnée pour permettre plus de 100 000 connexions par jour, soit au-delà des besoins théoriques.

L’accès aux réseaux au sein des palais de justice et leurs débits sont également accélérés.

Alors que, fin 2019, 973 sites avaient été dotés d’un accès à la fibre optique, plus de 1 000 sites le sont désormais, avec un débit du réseau qui est passé d’un facteur 3 à 10.

En complément des réseaux locaux câblés, des accès wifi sont installés sur l’ensemble des sites du ministère. En septembre 2020, le parc compte 1 462 bornes wifi, soit 45 % de plus qu’en 2019.

b.   Le recours croissant à la visioconférence

Le développement des réseaux conjugué au renforcement du parc de visioconférence, porté à plus de 2 300 dispositifs opérationnels, ont permis la montée en puissance du recours à la téléaudience. M. Sébastien Gallois, secrétaire général adjoint, a en effet indiqué que le nombre de visioconférences avait quasiment triplé.

La visioconférence permet notamment d’assurer, en lieu et place des extractions judiciaires, la bonne tenue d’audiences, d’auditions ou de prolongations de gardes à vue – lorsque les capacités techniques et de connexion des salles d’audience le permettent. 20 % des extractions judiciaires sont ainsi désormais évitées.

B.   des mesures d’exception pour assurer la continuitÉ du service public de la justice

La situation exceptionnelle à laquelle la juridiction judiciaire a été confrontée lors du confinement a conduit le Gouvernement à prendre des mesures d’exception.

1.   En matière pénale et civile

L’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 a édicté des mesures pénales dérogatoires, afin de permettre le fonctionnement « dégradé » de l’institution judiciaire, comme le recours à la visioconférence sans l’accord des parties, la publicité restreinte des débats ou encore la modification des règles de garde à vue.

De même, l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndics de copropriété a introduit des règles d’organisation et de procédure qui dérogent ou écartent celles qui résultent des dispositions de droit commun, afin d’assouplir l’organisation des audiences et de permettre l’information des parties et l’organisation du contradictoire par tout moyen et, par conséquent, d’alléger le fonctionnement de ces juridictions. Elles portent sur la compétence territoriale (possibilité de transfert de compétence territoriale) et les formations de jugement des juridictions de l’ordre judiciaire (recours facilité au juge unique alors que le principe est celui de la collégialité) ainsi que sur les délais de procédure et de jugement, la publicité des audiences (dérogation au principe général selon lequel les débats sont publics) et leur tenue, le recours à la visioconférence et les modalités de saisine et d’organisation du contradictoire.

LE RECOURS AUX AUDIENCES DÉMATÉRIALISÉES PENDANT

L’ÉTAT D’URGENCE SANITAIRE

L’article 5 de l’ordonnance n° 2020-303 a autorisé le recours à la visioconférence sans l’accord des parties dans les affaires pénales. Seule la procédure criminelle fait exception.

En cas d’impossibilité d’avoir recours à la visioconférence, le juge peut utiliser d’autres moyens, y compris le téléphone, sous condition de qualité de la transmission et de confidentialité des échanges.

Le juge organise et conduit la procédure en veillant au respect des droits de la défense et en garantissant le caractère contradictoire des débats. Il s’assure du bon déroulement des débats. Le greffe dresse le procès-verbal des opérations effectuées.

L’article 7 de l’ordonnance n° 2020-304 a prévu que le juge, le président de la formation de jugement ou le juge des libertés et de la détention peut, par une décision non susceptible de recours, décider que l’audience ou l’audition se tiendra en utilisant un moyen de télécommunication audiovisuelle permettant de s’assurer de l’identité des personnes y participant et garantissant la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges entre les parties et leurs avocats.

En cas d’impossibilité technique ou matérielle de recourir à un tel moyen, le juge peut, par décision insusceptible de recours, décider d’entendre les parties et leurs avocats, ou la personne à auditionner, par tout moyen de communication électronique, y compris téléphonique, permettant de s’assurer de leur identité et de garantir la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges.

Les membres de la formation de jugement, le greffier, les parties, les personnes qui les assistent ou les représentent en vertu d’une habilitation légale ou d’un mandat, les techniciens et auxiliaires de justice ainsi que les personnes convoquées à l’audience ou à l’audition peuvent se trouver en des lieux distincts. Le juge organise et conduit la procédure. Il s’assure du bon déroulement des échanges entre les parties et veille au respect des droits de la défense et au caractère contradictoire des débats. Le greffe dresse le procès-verbal des opérations effectuées. Les moyens de communication utilisés par les membres de la formation de jugement garantissent le secret du délibéré.

Votre rapporteure considère que ces mesures, limitées dans le temps et entourées de garanties, ont permis aux juridictions d’assurer la continuité du service public de la justice.

Le recours à la visioconférence a, en particulier, montré son intérêt.

 

M. Roy Spitz, vice-président de la commission numérique du Conseil national des barreaux, a ainsi reconnu que la visioconférence a pu être utile lors du confinement, tout en soulignant que son usage doit rester exceptionnel car l’audience physique est indispensable.

M. Olivier Christen, directeur des affaires criminelles et des grâces, a souligné que l’usage de la visioconférence constituait un élément de fluidité du système mais qu’il ne s’agissait pas d’un outil miracle. M. Jean-François de Montgolfier, directeur des affaires civiles et du Sceau, a indiqué que les audiences par visioconférence avaient très bien fonctionné dans les tribunaux de commerce, alors que le recours à la visioconférence avait été plus expérimental dans les autres juridictions civiles.

2.   En matière d’organisation du travail

Pendant le confinement, le ministère de la Justice a dû modifier certaines règles de travail, notamment pour permettre l’accès aux dossiers. Ainsi, le directeur des services judiciaires a-t-il envoyé une note aux chefs de cour afin d’autoriser les greffiers à emporter chez eux des dossiers papier.

Alors qu’un groupe de travail a été mis en place pour renforcer le télétravail dans les juridictions, il convient de pérenniser cette autorisation.

C.   une communication Électronique avec les professionnels du droit amÉliorÉe

La communication électronique entre les juridictions et les professionnels du droit a longtemps été restreinte à l’utilisation de la messagerie électronique, de certains applicatifs métiers (IP web) ou encore des réseaux privés virtuels des avocats et des huissiers de justice (RPVA et RPSH) ([6]), avec des limites importantes comme la taille réduite des pièces jointes.

La période du confinement a montré les faiblesses de ces moyens de communication. En effet, le réseau privé virtuel de la justice (RPVJ) n’étant pas accessible à distance, les rares greffiers qui disposaient d’un ultra-portable ne pouvaient avoir accès aux dossiers ou aux documents déposés par les avocats ou les huissiers de justice. Il en a résulté un retard, non encore résorbé à ce jour, dans le traitement des dossiers.

Les magistrats, qui n’ont pas accès au réseau privé virtuel des avocats, ont dû recourir au système D pour informer les avocats de l’avancement procédural des dossiers, en recherchant par exemple leurs adresses mail et en utilisant leurs boîtes e-mails personnelles.

Toutefois, la période de la crise sanitaire a également servi d’accélérateur.

L’expérimentation relative à la procédure pénale numérique conduite à Blois et Amiens (cf. infra II.C.1.b) a en effet montré l’efficacité de l’application PLEX, qui permet des échanges sécurisés et à forte volumétrie avec tous les partenaires de justice et principalement les avocats, et l’intérêt d’accélérer sa mise à disposition auprès de l’ensemble des juridictions.

Aussi, le ministère de la Justice et le Conseil national des barreaux ont-ils conclu, le 12 mai 2020, un protocole permettant l’utilisation de l’application PLEX en matière pénale pendant toute la période de l’état d’urgence sanitaire. Après deux mois d’utilisation, plus de 20 000 procédures pénales ont été transmises par l’intermédiaire de PLEX, près de 5 000 avocats ayant créé leurs comptes.

D.   un nouvel outil de pilotage À pÉrenniser et À amÉliorer : le rÉfÉrentiel d’appui À la reprise d’activitÉ

Afin d’accompagner la reprise de l’activité des juridictions à partir du 11 mai 2020, l’inspection générale de la Justice a élaboré et mis en ligne sur l’Intranet de l’inspection, dès le 5 mai 2020, un référentiel d’appui à la reprise d’activité.

Conçu dans une optique opérationnelle, ce référentiel propose toute une série d’outils à même de faciliter l’accès à l’information et d’aider à l’organisation des juridictions.

LES OUTILS PROPOSÉS PAR LE RÉFÉRENTIEL D’APPUI À LA REPRISE D’ACTIVITÉ

1) Un accès actualisé au cadre juridique relatif à la crise sanitaire (textes applicables – lois, ordonnances, décrets et circulaires – et décisions de la Cour de cassation et du Conseil d’État) ;

2) Des données territoriales susceptibles d’avoir des conséquences sur l’activité des juridictions :

– l’activité épidémique ;

– les données économiques et sociales : les conditions de vie en période de confinement, la situation économique, la situation du marché du travail, l’activité des commissions de surendettement, les défaillances des entreprises, les données du fonds de solidarité et les échéances fiscales ;

– la cartographie des mesures de prévention ;

3) Des fiches thématiques, présentées sous forme de questions, sur les principales actions susceptibles d’être conduites, notamment avec les avocats et les collectivités territoriales. Au nombre de dix-neuf, elles portent sur les aspects organisationnels des juridictions, la comitologie, la communication, l’activité civile et correctionnelle des tribunaux judiciaires, le contentieux de la protection et les tribunaux de proximité, les entreprises en difficulté, l’exécution des peines, les aspects organisationnels des établissements pénitentiaires et le conseil de prud’hommes ;

4) Des tableaux de bord et des outils de pilotage pour accompagner la reprise d’activité notamment en matière de suivi des ressources humaines, de gestion des salles d’audience et des bureaux et d’aide au pilotage de l’activité civile et pénale des tribunaux judiciaires.

Fruit de partenariats développés avec l’INSEE, Santé publique France, la Banque de France et la DARES, ce référentiel, élaboré en trois semaines par une équipe de neuf inspecteurs de la Justice emmenés par M. Jean-Michel Etcheverry, inspecteur général, est actualisé quotidiennement en fonction de l’évolution de la situation sanitaire, des directives gouvernementales ainsi que des besoins et des initiatives issus du terrain.

Si ce nouvel outil est librement accessible à tout agent du ministère de la Justice, sa diffusion a, semble-t-il, principalement concerné les chefs de juridiction, en particulier ceux des petites juridictions auxquels il était avant tout destiné. Il eut été utile de mettre davantage en avant cet outil et d’en faire la communication auprès de l’ensemble des services judiciaires.

Votre rapporteure considère que ce référentiel, qui regroupe des informations particulièrement intéressantes pour l’ensemble des magistrats et qui peut constituer un instrument de gestion du stock de contentieux et d’audiencement, peut jouer un rôle essentiel dans l’organisation d’une juridiction. Il doit, par conséquent, être davantage mis en valeur auprès de l’ensemble des magistrats et être enrichi avec d’autres données qui pourraient, par exemple, être fournies par l’Éducation nationale, dans la perspective de sa pérennisation. Il doit aussi reposer sur un applicatif numérique dynamique, permettant de mieux traiter et exploiter les données saisies pour en faire un véritable outil de pilotage des juridictions.

Proposition n° 1 : enrichir, pérenniser et mieux diffuser le référentiel d’aide à la reprise d’activité pour en faire un véritable outil numérique d’information des magistrats et d’aide à l’organisation des juridictions.

II.   six axes prioritaires pour mener À bien la transformation numÉrique de la justice

Si l’ensemble du ministère s’est mobilisé pendant le confinement, notamment en accélérant sa transformation numérique, il convient désormais d’appréhender différemment la politique conduite en matière de nouvelles technologies de l’information.

Aussi, alors que le Comité directeur de la transformation numérique devrait se réunir d’ici à la fin du mois d’octobre 2020, votre rapporteure propose-t-elle six axes prioritaires pour mener à bien la transformation de la justice.

A.   mettre l’accent sur l’Équipement numérique

1.   Doter les juridictions d’un équipement informatique à la hauteur

L’effort de déploiement en ultra-portables conduit depuis le mois de mars 2020 devrait aboutir à ce que les services judiciaires soient équipés de 18 120 ultra-portables d’ici à la fin de l’année 2020, portant le taux d’équipement des juridictions à 62 % : 90 % pour les magistrats et 50 % pour les fonctionnaires.

Votre rapporteure considère qu’il convient d’accélérer l’équipement en ordinateurs portables, en particulier des greffiers.

Proposition n° 2 : accélérer le déploiement d'ordinateurs portables pour que chaque greffier puisse bénéficier d’un ultra-portable d’ici à la fin de l’année 2020.

Si ces nouveaux portables sont équipés de Windows 10, il convient également d’accélérer la modernisation du parc de PC, afin de faciliter la migration de Windows 7 vers Windows 10, et de doter chaque fonctionnaire de logiciels de bureautique adaptés.

Proposition n° 3 : équiper les services judiciaires de moyens de bureautique récents.

2.   Privilégier des outils souverains

Le recours à la visioconférence s’est particulièrement développé pendant le confinement. Toutefois, le dispositif de visioconférence proposé par le ministère présentant des dysfonctionnements, des audiences ont été tenues par l’intermédiaire de Zoom ou de Skype et des prolongations de garde à vue ont été réalisées grâce à What’sapp, comme l’ont souligné les représentants de l’USM.

Alors qu’une enveloppe d’1,5 million d’euros est prévue en 2021 pour développer un dispositif de téléaudiences afin de permettre, dans certaines procédures, la participation à distance d’un grand nombre d’acteurs extérieurs aux juridictions, votre rapporteure considère qu’il faut éviter, dans un domaine régalien comme celui de la justice, de recourir à des prestataires étrangers.

Un tel recours est d’autant plus regrettable qu’il existe des start-up françaises, comme Tixeo, qui propose une visioconférence sécurisée, qualifiée par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), et à laquelle le tribunal de commerce de Paris a fait appel avec succès, ainsi que l’a souligné Mme Marianne Tordeux, directrice des affaires publiques de France digitale.

Proposition n° 4 : privilégier le recours à des prestataires français de visioconférence sécurisée.

B.   le numérique pour assurer la fluidité des échanges entre les acteurs du droit

1.   Accélérer le déploiement de PLEX en matière civile

Le succès rencontré par l’application PLEX, qui permet des échanges sécurisés et à forte volumétrie avec les avocats, en matière pénale (cf. supra I.C.), devrait conduire à doter la justice civile de cet outil performant.

Un accord a ainsi récemment été conclu entre le ministère de la Justice et le Conseil national des barreaux pour étendre l’utilisation de PLEX en matière civile.

Dès lors que les conditions techniques et conventionnelles sont réunies pour l’usage de PLEX en matière civile, il faut accélérer et systématiser son déploiement.

Proposition n° 5 : accélérer et systématiser le déploiement de PLEX en matière civile.

2.   Développer la visioconférence pour les audiences de mise en état

Pendant le confinement, le recours à la visioconférence est apparu comme un outil supplétif, particulièrement utile en temps de crise.

Votre rapporteure plaide en faveur de son développement dans les audiences de mise en état.

Il apparaît en effet que l’usage de la visioaudience peut être justifié dans le cas d’échanges faisant intervenir les seuls professionnels, comme l’ont souligné les représentants de l’USM.

Il peut en outre, à l’occasion des audiences de mise en état, permettre de restaurer des échanges entre les magistrats et les avocats, alors que ces derniers regrettent que les interactions avec les magistrats soient moins fréquentes.

Proposition n° 6 : développer le recours à la visioconférence lors des audiences de mise en état.

3.   Faciliter la communication entre les professionnels du droit

La loi de modernisation de la justice du XXIe siècle a prévu que les huissiers de justice, les notaires, les commissaires-priseurs judiciaires, les avocats, les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, les commissaires aux comptes et les experts-comptables devaient proposer à leur clientèle une relation numérique dans un format garantissant l’interopérabilité de l’ensemble des échanges ([7]).

Toutefois, faute de décret d’application, cette disposition relative à l’interopérabilité des échanges entre les professionnels du droit est restée lettre morte.

Alertée par Mme Christine Valès et M. Gabriel Mecarelli, représentants de la Chambre nationale des commissaires de justice, votre rapporteure insiste sur la nécessité de prévoir l’interopérabilité des échanges de l’ensemble des professionnels du droit.

Proposition n° 7 : prévoir l’interopérabilité des échanges de l’ensemble des professionnels du droit.

C.   dÉfinir des prioritÉs dans le dÉveloppement des grands projets

Le ministère de la Justice se caractérise par des difficultés à respecter les coûts et les délais lors de la réalisation de grands projets informatiques. Ainsi, le taux d’écart budgétaire agrégé de ces grands projets s’élève à près de 33 % en 2018 et à 21 % en 2019. Le taux d’écart calendaire agrégé s’établit à plus de 24 % en 2018 et à près de 13 % en 2019.

Parmi ces grands projets, votre rapporteure a fait le choix de s’intéresser plus particulièrement à ceux conduits en matière pénale et civile.

Il en ressort qu’alors que la matière civile représente 75 % de l’activité judiciaire, les projets numériques la concernant sont emblématiques des écueils rencontrés par le ministère.

1.   Une numérisation bien engagée en matière pénale

La transformation numérique dans le domaine pénal ne semble pas soulever de difficulté particulière.

a.   Les applications

Les applicatifs pénaux (Cassiopée, APPI ([8]), MINOS ([9])) sont des weblogiciels relativement récents et accessibles à distance.

L’application Cassiopée, qui constitue le système d’information complet des juridictions de première instance pour leurs activités pénales et permet le partage entre les différentes juridictions d’informations essentielles à la conduite de l’action publique, a ainsi vu son déploiement s’achever en janvier 2019.

Lancée en 2014, la deuxième version de Cassiopée a pour objet d’équiper les cours d’appel et les cours d’assises d’ici à 2022.

Il s’agit désormais de procéder à leur actualisation pour tenir compte des mesures de la loi du 23 mars 2019 et de la réforme de l’ordonnance pénale des mineurs de 1945. En effet, actuellement, le volet relatif aux peines prévu par la loi du 23 mars 2019 n’est toujours pas intégré dans Cassiopée, ce qui oblige les greffiers à faire des fusions à côté de l’application, comme l’a souligné M. Henri-Ferréol Billy, secrétaire national du Syndicat national CGT des chancelleries et des services judiciaires.

b.   La procédure pénale numérique

Les ministères de la Justice et de l’Intérieur se sont engagés, en janvier 2018, dans une démarche commune afin de mettre en place une procédure pénale entièrement numérique.

Il s’agit ainsi de rendre la justice pénale plus efficace, avec l’abandon du papier et de la signature manuscrite au profit d’un dossier dématérialisé de l’acte d’enquête initial à l’exécution de la peine, servant d’unique support au procès pénal.

L’article 50 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice prévoit en effet « que les affaires puissent être étudiées sans support papier, du premier acte d’enquête à l’audience de jugement et à l’exécution de la peine, grâce à un dossier de procédure numérique ». Certaines formalités (obligation de signature page par page ou apposition d’un sceau, obligation de certification conforme, etc.) ont été assouplies en conséquence. Outre un allègement des contraintes administratives, le dossier de procédure numérique a notamment pour objectif de faciliter la consultation des pièces par toutes les parties prenantes.

Le même article prévoit « l’oralisation » de certaines procédures dans le cadre d’une expérimentation qui pourra être menée du 1er janvier 2019 au 1er janvier 2022. Dans les services concernés, il peut être procédé à un enregistrement sonore ou audiovisuel des formalités prévoyant, pour les personnes entendues, arrêtées ou placées en garde à vue, la notification de leurs droits. Cet enregistrement, conservé sous format numérique dans des conditions sécurisées, peut se substituer à un procès-verbal.

La possibilité d’un dépôt de plainte en ligne a en outre été prévue à l’article 42 de la même loi. Votre rapporteure y reviendra (cf. II.D.3).

LE CALENDRIER DE MISE EN PLACE DE LA PROCÉDURE PÉNALE NUMÉRIQUE

– 2019 : lancement d’une démarche expérimentale sur deux sites, Amiens et Blois, à partir des outils existants et de l’intégration d’un dispositif de signature électronique ;

– 2020 : accélération du calendrier de mise à disposition de l’application PLEX, qui permet des échanges sécurisés entre les juridictions et tous les partenaires de justice, principalement les avocats ;

– 2021 : dématérialisation des « petits X » ([10]) sur l’ensemble du territoire et des procédures avec poursuites centrées sur la filière correctionnelle d’urgence dans vingt-huit départements ([11]) ;

– 2022-2023 : déploiement de la filière correctionnelle d’urgence sur l’ensemble du territoire et couverture complète des actes prévus par le code de procédure pénale.

Comme l’a souligné le directeur des affaires criminelles et des grâces, l’expérimentation de la procédure pénale numérique à Blois et à Amiens a montré, pendant le confinement, « une capacité de résilience à la crise plus élevée » que dans les autres juridictions, car le travail des acteurs de la chaîne pénale a été facilité, en particulier grâce à la signature électronique. Il apparaît en outre qu’il s’agit d’un outil structurant pour le parquet.

Le développement de la procédure pénale numérique est fondé sur la conduite de front de deux chantiers :

– la dématérialisation de l’ensemble de la chaîne pénale par vagues successives : au nombre de cinq, la première devrait intervenir en octobre 2020 et être suivie de la deuxième en 2021 ;

– la mise à disposition d’applications (PLEX pour les échanges avec les avocats, NPP pour la numérisation des procédures pénales, LMP pour les logiciels métier du parquet, etc.) au fil de l’eau.

Pragmatique et agile, cette démarche n’apparaît pas rencontrer de difficultés particulières.

Bien que loin d’être achevée, la mise en place de la procédure pénale numérique, qui repose sur la numérisation totale de la procédure, l’interconnexion avec les systèmes de police et de gendarmerie et l’ensemble des acteurs de la chaîne pénale, porte déjà ses fruits : les dossiers numériques « permettent réellement de gagner du temps aux audiences et ajoutent un véritable confort à l’utilisation pour les présidents d’audience et les représentants du ministère public », comme l’ont indiqué les représentants de l’USM.

c.   Le casier judiciaire

Le casier judiciaire national dispose de deux applications complémentaires – la première consacrée aux personnes physiques (NCJ V2), la seconde aux personnes morales (CJPM) – qui, développées au début des années 1990, doivent être remplacées par le projet ASTREA.

L’objet de ce projet est, d’ici au début de l’année 2023, de refondre ces deux applications et d’assurer les fonctions suivantes : enregistrement des condamnations pénales et de certaines décisions judiciaires, gestion de ces données conformément aux règles légales, délivrance des bulletins de casier judiciaire pour les personnes physiques et les personnes morales.

Ce projet est divisé en trois paliers :

– le premier palier concerne la dématérialisation des extraits de casier judiciaire (bulletins n° 3) des personnes physiques « néant » ;

– le deuxième palier permet l’enregistrement, la gestion et la restitution des décisions prononcées à l’encontre des personnes morales ;

– le troisième palier permet l’enregistrement, la gestion et la restitution des décisions prononcées à l’encontre des personnes physiques.

Le premier palier a été mis en service avec succès le 26 septembre 2018. Selon le directeur des affaires criminelles et des grâces, le taux de dématérialisation atteint 90 % en septembre 2020.

Le deuxième palier devrait être mis en service d’ici au quatrième trimestre 2021 tandis que le troisième devrait être lancé la même année.

2.   Une modernisation prioritaire en matière civile

La transformation numérique dans le domaine civil doit faire l’objet de choix structurants. La priorité est la mise à jour et la portabilité des applicatifs civils, tandis que le projet de procédure civile numérique Portalis, pharaonique, doit être revu.

a.   Les applications

Les applications en matière civile sont très nombreuses. Les principales peuvent être regroupées en trois catégories :

– WinCI, qui recouvre les chaînes civiles des tribunaux judiciaires et des cours d’appel ;

– WinGes, qui équipe les conseils de prud’hommes ;

– X-TI, qui regroupe des applications spécialisées, destinées notamment à la protection des majeurs et des mineurs, aux saisies sur rémunération ou encore au contentieux de la nationalité.

La période du confinement a révélé les insuffisances notables de ces applications.

Quoique fonctionnel, l’ensemble des logiciels de la chaîne civile est très ancien – ils sont construits autour du logiciel de traitement de texte Wordperfect qui, datant des années 1990, est obsolète et incompatible avec les autres logiciels – ce qui rend complexe toute évolution, comme l’a souligné le directeur des affaires civiles et du Sceau. Il en résulte un retard notable par rapport aux standards applicables en la matière.

Par ailleurs, contrairement aux applicatifs de la chaîne pénale, qui sont des weblogiciels consultables à distance grâce à l’intranet du ministère, l’ensemble des applications de la chaîne civile ne fonctionnent que sur le serveur local de chaque juridiction. Elles ne peuvent donc être utilisées qu’au sein des palais de justice, ce qui a soulevé des problèmes d’accès des magistrats et des greffiers à ces applications pendant le confinement. Les représentants de l’USM ont ainsi indiqué avoir dû aller à la cité judiciaire pour télécharger les dossiers.

Le secrétaire général adjoint a indiqué que le ministère allait engager les travaux techniques pour rendre accessibles à distance les applicatifs civils dans des situations rares, c’est-à-dire pour les personnes fragiles et pour celles qui seraient l’objet d’un reconfinement géographiquement limité.

Devant ce constat d’obsolescence et d’absence de portabilité dressé de manière unanime, votre rapporteure ne peut que souligner l’extrême priorité que représente l’actualisation et la possibilité d’utilisation à distance de ces logiciels par tous les agents, qu’ils soient magistrats ou fonctionnaires, d’ici à la fin de l’année.

Proposition n° 8 : actualiser et permettre l’utilisation à distance des logiciels de la chaîne civile d’ici à la fin de l’année 2020.

b.   La procédure civile numérique

Lancé en 2014 et intégré dans le plan de transformation numérique du ministère de la Justice présenté en 2017, le projet Portalis est conçu comme un projet de dématérialisation de la chaîne civile, afin d’améliorer l’accès à la justice et la lisibilité de l’institution judiciaire.


LES ÉCHÉANCES DU PROJET PORTALIS PRÉSENTÉES EN 2017

– 12 mai 2016 : ouverture du portail internet du justiciable « justice.fr » ;

– 2018 : accès en ligne, pour l’ensemble des justiciables, à l’état d’avancement de leur procédure, civile ou pénale ; possibilité de recevoir des documents des juridictions (convocations, avis, récépissés) par voie dématérialisée ainsi que des rappels de convocation par SMS ;

– 2019 : possibilité de saisine en ligne de l’ensemble des juridictions civiles par les avocats et par tout justiciable ;

– à partir de 2020-2021 : mise en place du nouvel applicatif de la chaîne civile, « Portalis », qui remplacera les neuf applications informatiques civiles existantes et dématérialisation complète de la chaîne civile.

Le portail « justice.fr » rencontre un certain succès puisque, depuis son ouverture en mai 2016, il a été l’objet de pas moins de 16 millions de connexions. Il vise à informer le justiciable de ses droits et à l’orienter dans ses démarches pour toute la procédure pénale et civile, selon le litige voire la situation géographique, grâce à une recherche personnalisable. Le site met aussi à disposition l’ensemble des formulaires CERFA en vigueur, les listes de pièces justificatives à produire ainsi que les liens utiles vers les auxiliaires de justice. Il présente les modes alternatifs de règlement des litiges et propose différents simulateurs de calcul (aide juridictionnelle, pension alimentaire et saisie sur rémunérations).

Si la première étape du projet est un succès, les suivantes ont pris du retard.

Ce n’est, en effet, qu’en 2019 et en 2020 que les portails du service d’accueil unique du justiciable (SAUJ) ont été mis en service.

Le premier, qui s’adresse aux agents du SAUJ chargés de renseigner les justiciables sur l’ensemble des procédures civiles enregistrées sur le territoire national, a été lancé entre le 3 décembre 2018 et le 11 avril 2019.

Le second, qui permet à un justiciable, sous réserve qu’il ait consenti à échanger par voie dématérialisée, de se connecter à un espace réservé lui donnant accès aux principales informations sur l’état d’avancement de sa procédure civile et/ou pénale et aux documents disponibles sur son espace personnel sécurisé (avis, convocations et récépissés), a été mis en service le 6 mai 2019 dans les arrondissements judicaires de Lille et de Melun pour les affaires civiles avant d’être généralisé le 27 août 2019. Les affaires pénales seront intégrées au portail du justiciable dans le courant du troisième trimestre 2020, permettant ainsi la consultation en ligne des affaires pénales par le justiciable.

Alors que la possibilité de saisine en ligne de l’ensemble des juridictions civiles par les avocats et par tout justiciable était prévue pour 2019, une simple expérimentation a été lancée en septembre 2020 dans les tribunaux judiciaires de Rouen et Douai ne portant que sur la saisine en ligne des juridictions par le justiciable ([12]) sur deux contentieux seulement : pour les juridictions pénales, la constitution de partie civile, et pour les juridictions civiles, les requêtes dans le cadre de la protection des majeurs hors ouverture de mesure. Elle devrait être étendue d’ici à la fin de l’année 2020. Le périmètre devrait ensuite être élargi aux requêtes auprès du juge aux affaires familiales (hors divorce) puis à l’ensemble des requêtes sans représentation obligatoire.

Il est par ailleurs prévu de mettre en place, en 2021, les fondements du portail des juridictions, qui concrétise le « nouveau logiciel civil », issu de la refonte des applicatifs civils utilisés dans les tribunaux judiciaires, les conseils des prud’hommes et les cours d’appel. Cela devrait se traduire par une expérimentation, au premier semestre 2021, conduite auprès des conseils des prud’hommes. La communication électronique civile avec les avocats devrait être étendue parallèlement à la matière prud’homale. La mise en place d’une interopérabilité avec les systèmes d’information des caisses d’allocations familiales est par ailleurs envisagée pour permettre l’intermédiation du paiement des pensions alimentaires.

La mise en service du portail des juridictions auprès des conseils des prud’hommes devrait être suivie de son développement à d’autres contentieux, prioritairement ceux du juge aux affaires familiales (à l’exception du divorce) et ceux avec représentation obligatoire.

Votre rapporteure s’interroge sur la pertinence du choix des conseils des prud’hommes pour commencer à déployer le portail des juridictions alors qu’ils figurent parmi les juridictions les plus mal équipées en matière informatique.

Le retard dans la mise en œuvre du projet Portalis s’accompagne d’un dérapage financier. En effet, alors que le coût de ce projet était initialement estimé à 57,5 millions d’euros, il est désormais évalué à 94,5 millions d’euros, soit une hausse de près de 65 %.

Cette forte augmentation trouve certes, pour partie, une explication dans les mesures prévues par la loi du 23 mars 2019 qui nécessitent de nouvelles fonctionnalités. Mais elle s’explique, à titre principal, par le passage d’un modèle de développement classique à un mode agile du projet et par les modifications de la feuille de route technique qui ont induit des surcoûts sur différents postes (analystes, architectes, etc.).

Votre rapporteure considère que le projet de la procédure civile numérique, de par le retard pris et les surcoûts induits, est emblématique de ce qu’il ne faut plus faire en matière de projets numériques.

Il faut abandonner les projets pharaoniques, étalés sur dix ans ou plus, faisant l’objet d’une sous-évaluation dès l’origine et qui seront probablement obsolètes dès leur mise en œuvre.

Alors que le comité stratégique du numérique doit prochainement se réunir, votre rapporteure considère comme pleinement justifié de revoir le projet Portalis en se concentrant sur quelques priorités, en se fixant des objectifs réalisables et des échéances de court terme, en associant les acteurs de terrain comme les avocats et en faisant davantage appel à l’expertise des legal tech qui sont mieux à même de proposer des services adaptés et souverains.

Proposition n° 9 : revoir le projet de procédure civile numérique en se concentrant sur quelques priorités, en se fixant des objectifs réalisables et de court terme et en associant les acteurs de terrain et les legal tech.

Enfin, votre rapporteure estime que, dès lors que l’ensemble des procédures, pénale et civile, seront complètement numérisées, il conviendra de supprimer l’obligation d’archivage des dossiers en papier dans une l’objectif d’une optimisation du fonctionnement des services judiciaires et dans une approche éco-responsable.

Proposition n° 10 : à terme, supprimer l’obligation d’archivage des dossiers en papier.

D.   rÉussir la dÉmatÉrialisation de l’aide juridictionnelle

Le Comité interministériel de la transformation publique a annoncé, en octobre 2018, la mise en place d’un nouveau système informatique de gestion de l’aide juridictionnelle, baptisé SIAJ (suivi informatisé des affaires juridiques), afin que « l’aide juridictionnelle [soit] accessible en ligne dans une version simplifiée au plus tard le 31 décembre 2019. Elle sera numérisée de bout en bout, de la demande initiale à l’instruction et l’attribution, pour les justiciables comme pour les auxiliaires de justice ».

Bien que le projet ait pris du retard, une première version du SIAJ sera lancée en 2021.

LA PREMIÈRE VERSION DU SIAJ

Développé en mode agile d’intégration régulière des développements informatiques pour permettre une plus de souplesse dans son élaboration, le SIAJ, dans sa première version, devrait permettre :

– la réception et le traitement des demandes dématérialisées, sans ressaisie des données ;

– le partage d’informations entre acteurs locaux et nationaux mais aussi entre acteurs étatiques et non-étatiques ;

– la simplification de la procédure de demande et d’instruction ;

– le rattachement au programme « dites-le nous une fois » (DLNUF) au travers de FranceConnect ;

– l’importation d’informations d’autres administrations, en particulier du ministère chargé des finances, pour renseigner un formulaire de demande ;

– la simplification de l’instruction de la demande ;

– le travail à distance.

Cette première version du SIAJ fera l’objet d’une expérimentation auprès de trois à cinq sites pilotes, en vue d’une généralisation, auprès des juridictions judiciaires et administratives, au second semestre 2021. L’objectif est que 10 % des demandes d’aide juridictionnelle soient déposées et traitées par voie dématérialisée en 2021.

Par ailleurs, le ministère de la Justice accompagnera les caisses autonomes des règlements pécuniaires des avocats (CARPA) dans le renouvellement de leurs logiciels de gestion de l’aide juridique, afin de permettre un échange automatique des données avec le SIAJ et un meilleur suivi des prestations d’aide juridictionnelle. Une dotation de 800 000 euros est prévue à cet effet en 2021.

Cette première version a vocation à être complétée afin de :

– offrir la possibilité de former une demande pour le compte d’autrui (avocat pour le compte de son client, mandataire pour le compte d’un majeur protégé, etc.) ;

– traiter les attestations de fins de mission ;

– assurer le pilotage budgétaire grâce à la récupération d’informations financières auprès des CARPA, des services administratifs régionaux ou encore du Trésor public.

Après avoir prôné la transformation numérique de l’aide juridictionnelle tout en veillant à ne pas exclure les personnes les plus éloignées des nouvelles technologies dans son rapport pour avis sur le projet de loi de finances pour 2018 ([13]), votre rapporteure rappelle la nécessité qu’il y a à mener à bien la transformation numérique de l’aide juridictionnelle, afin d’améliorer l’accès à cette aide et d’accélérer les délais de traitement.

E.   garantir la mise en œuvre des dispositions de la loi de programmation et de rÉforme de la justice relatives au numÉrique

Avant d’aborder les mesures prévues par la loi du 23 mars 2019, votre rapporteure, à qui l’on a rapporté, lors des auditions, qu’il était encore fait allusion dans certains textes, aux disquettes ou au fax, souhaiterait que ces mentions obsolètes soient supprimées.

Proposition n° 11 : supprimer toutes les références aux outils informatiques et moyens de communication obsolètes dans les textes législatifs et réglementaires.

1.   Mobiliser les moyens pour mettre en place la juridiction nationale des injonctions de payer

La loi du 23 mars 2019 a prévu, en son article 27, la dématérialisation du traitement des injonctions de payer ainsi que sa centralisation auprès d’une juridiction nationale spécialisée à cet effet.

Ce tribunal spécialement désigné, qui devrait être celui de Strasbourg, connaîtra des demandes d’injonction de payer nationales et européennes et des oppositions aux ordonnances portant injonction de payer lorsqu’elles tendent exclusivement à l’obtention de délais de paiement.

Lors de l’examen du projet de loi, le ministère de la Justice avait estimé que le traitement de ce contentieux reposait sur 20 postes de magistrats, 3 500 vacations de magistrats à titre temporaire et 202 postes de fonctionnaires de greffe. Une des options avancées était de déléguer le traitement de ces requêtes à des greffiers expérimentés. Sur une moyenne de 50 dossiers, la Chancellerie estimait que cela reviendrait à occuper une vingtaine de greffiers environ.

Initialement prévue au 1er janvier 2021, la mise en place de la juridiction nationale des injonctions de payer a été reportée au 1er septembre 2021 par la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne.

Aussi, quelle n’a pas été la surprise de votre rapporteure, lorsqu’elle a appris, au cours des auditions, que le projet de création de la juridiction nationale des injonctions de payer pourrait être abandonné et que le ministère réfléchissait actuellement à une amélioration du traitement des injonctions de payer au niveau de chaque juridiction.

Compte tenu de l’utilité de cette juridiction spécialisée pour permettre une instruction plus rapide des procédures d’injonction de payer et unifier la jurisprudence en la matière, votre rapporteure insiste sur la nécessité de mobiliser les moyens nécessaires à sa mise en place. Pour être pleinement efficace, la création de cette juridiction spécialisée doit toutefois s’accompagner du développement d’un applicatif numérique natif, ce qui peut justifier de reporter d’une année son lancement.

Proposition n° 12 : reporter d’une année la création de la juridiction nationale des injonctions de payer afin de mobiliser les moyens budgétaires et humains nécessaires à sa mise en place et le développement de l’applicatif numérique natif afférent.

2.   Encourager la médiation et la conciliation numériques

La loi du 23 mars 2019 fixe, en son article 4, un cadre juridique pour l’activité des services en ligne de résolution des litiges et prévoit une faculté de certification de ces derniers.

Les plateformes peuvent en effet bénéficier, à leur demande, d’une certification par un organisme accrédité dans le but d’attester du respect par ces services en ligne des obligations fixées dans le cadre juridique.

Par exception, la certification est accordée de plein droit aux conciliateurs de justice, aux médiateurs inscrits sur la liste prévue à l’article L. 615-1 du code de la consommation au titre de leur activité de médiation de la consommation ainsi qu’aux personnes inscrites, dans le ressort d’une cour d’appel, sur la liste des médiateurs prévue à l’article 22-1 A de la loi n° 95-125 du 8 février 1995.

Le décret n° 2019-1089 du 25 octobre 2019 relatif à la certification des services en ligne de conciliation, de médiation et d’arbitrage a précisé les modalités d’obtention d’une certification par les plateformes de conciliation, de médiation et d’arbitrage en ligne.

LES MODALITÉS DE CERTIFICATION

Les sociétés candidates à la certification doivent s’adresser à un organisme certificateur.

L’organisme certificateur procède à un audit du service en ligne sur pièces et sur place, au regard d’une grille de critères (protection des données personnelles, confidentialité, délivrance d’une information détaillée sur le fonctionnement du service, formation, déontologie, indépendance, impartialité, traitement algorithmique, etc.).

À l’issue de cet audit, l’organisme certificateur peut prononcer le rejet de la certification, une demande de mise en conformité dans un délai donné ou, encore, la certification, valable pour une durée de trois ans et renouvelable.

Cette décision de certification est accompagnée de la délivrance d’un certificat qui doit contenir :

– le périmètre des activités certifiées ;

– le référentiel appliqué et sa version ;

– le nom de l’organisme certificateur ayant délivré le certificat ;

– la date de prise d’effet et de fin de validité du certificat.

Pour contrôler la conformité des pratiques après la délivrance de la certification sont prévus, d’une part, l’obligation de notifier toute modification concernant le statut juridique, l’organisation et le fonctionnement du service en ligne certifié à l’organisme certificateur et, d’autre part, des audits de suivi menés par le même organisme.

Lorsque ce dernier relève, lors d’un audit de suivi, de renouvellement ou à l’occasion d’une réclamation, que le service en ligne ne remplit plus une ou plusieurs des conditions requises par le référentiel de certification, il notifie au représentant du service en ligne les griefs et non-conformités retenus et lui octroie un délai qui ne saurait être supérieur à trente jours, pour se mettre en conformité. Il peut suspendre la certification pendant ce délai en cas de manquement manifeste aux exigences du référentiel. Sans mise en conformité dans le délai imparti, il notifiera la décision de retrait de la certification, qui devra être motivée et mentionner la voie de recours.

Enfin, il revient aux organismes accrédités d’informer sans délai le ministre de la Justice de la délivrance, de la suspension ou du retrait de la certification. Ils adressent au ministre de la Justice un rapport annuel d’activité qui comporte les renseignements relatifs au nombre de demandes, de délivrances et de retraits de certification, au nombre de contrôles effectués et décrit les difficultés rencontrées.

L’entrée en vigueur de ces dispositions est subordonnée à la signature, par le ministre de la Justice, des arrêtés nécessaires, ce qui devrait intervenir d’ici à la fin de l’année 2020.

Ainsi, à compter du 1er janvier 2021, la certification « Certilis » des plateformes de résolution des litiges devrait être effective.

Tout en se félicitant de la mise en œuvre de cette disposition emblématique de la loi du 23 mars 2019, votre rapporteure tient à rappeler sa volonté de favoriser le développement de la résolution des litiges du quotidien.

M. Jean-François Beynel, chef de l’inspection générale de la Justice et co-auteur avec M. Didier Casas du rapport sur la transformation numérique de la justice remis à la garde des Sceaux en janvier 2018, a en effet souligné que le stock des affaires civiles et le retard accumulé dans leur traitement plaidaient pour le développement de la médiation et de la conciliation numériques.

Votre rapporteure considère qu’il serait utile d’encourager le développement des modes alternatifs de règlement des différends en ligne, pour les petits litiges du quotidien, par le recours à la visioconférence.

Proposition n° 13 : encourager, pour les petits litiges du quotidien, le développement de la médiation et de la conciliation numériques par le recours à la visioconférence.

3.   Développer le dépôt de plainte en ligne

La loi du 23 mars 2019 prévoit, en son article 42, la possibilité d’un dépôt de plainte en ligne.

Distinct de la pré-plainte en ligne, ouverte en 2008 ([14]) et qui ne dispense pas d’un dépôt « physique » auprès du service concerné, le dispositif de la plainte en ligne est prévu par l’article 15-3-1 du code de procédure pénale. Il nécessite la mise en place d’un service de plainte en ligne automatisée, sans contact physique avec un policier ou un gendarme.

Initialement envisagé pour le mois de juin 2020, le dépôt de plainte en ligne ne sera pas disponible avant plusieurs années. En effet, ce n’est qu’au second semestre 2020 que l’élaboration d’un cahier des exigences fonctionnelles devrait débuter et les travaux de faisabilité ne devraient pas aboutir avant le mois de juin 2022.

Dans l’attente des résultats des études de faisabilité, un premier objectif a été fixé : étendre la compétence de la plateforme de signalement des violences sexuelles et sexistes aux violences conjugales, aux discriminations, au cyber-harcèlement et à toute forme de haine d’ici au mois de décembre 2020.

CALENDRIER D’EXTENSION DE LA PLATEFORME DE SIGNALEMENT

– Mars 2020 : bilan d’activité du portail de signalement des violences sexuelles et sexistes ;

– Juillet 2020 : projet de décret et analyse d’impact relative à la protection des données par les services juridiques de la police nationale et de la gendarmerie nationale ;

– Octobre 2020 : transmission à la CNIL pour avis ;

– Décembre 2020 : publication du décret.

Une mise à jour des thématiques sera effectuée sur le site service-public.fr afin d’inclure trois possibilités de tchats avec l’usager sur les sujets des violences conjugales, sexuelles et sexistes, des discriminations et du cyber-harcèlement. Il s’agit ainsi de permettre à l’usager victime de signaler de potentiels faits conduisant par la suite à un dépôt de plainte.

F.   mieux organiser la transformation numÉrique de la justice

1.   Créer un programme « Transformation numérique de la justice »

Pour mener à bien une politique, il faut se fixer des objectifs précis pouvant faire l’objet d’une évaluation et disposer d’une vision d’ensemble des moyens budgétaires et humains qui y sont consacrés.

Tel n’est pas le cas de la politique menée par le ministère de la Justice en matière de transformation numérique.

Dans le projet annuel de performances relatif à la mission « Justice », si l’essentiel des crédits est inscrit au sein de l’action 9 intitulée « Action informatique ministérielle » et rattachée au programme « Conduite et pilotage de la politique de la justice » géré par la secrétaire générale, une part non négligeable d’entre eux figure au sein du programme « Justice judiciaire », dont le responsable est le directeur des services judiciaires. Ainsi, l’enveloppe prévue pour l’équipement informatique est-elle éclatée entre les deux programmes, sans que l’on puisse d’ailleurs précisément identifier son montant dans l’action « Soutien » du programme « Justice judiciaire ».

Il apparaît en outre que, dans la présentation des objectifs et indicateurs de performance, deux indicateurs permettant de renseigner le point de vue du contribuable (l’un portant sur le respect des coûts et des délais des grands projets informatiques, l’autre sur la performance des systèmes d’information et de la communication) sont rattachés au programme « Conduite et pilotage de la politique de la justice », tandis qu’un indicateur relatif au point de vue de l’usager (taux d’usager accédant à leur dossier en ligne), au demeurant non renseigné, est rattaché au programme « Justice judiciaire ».

Aussi, votre rapporteure propose-t-elle, conformément à la définition du programme posée par l’article 7 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances ([15]), de créer, au sein de la mission « Justice », un programme qui permettrait de mieux appréhender la politique transversale menée par le ministère de la Justice en matière numérique. Ce programme, qui regrouperait l’ensemble des moyens consacrés à la transformation numérique de la Justice, devrait être doté d’indicateurs renseignés et être placé sous la responsabilité du secrétariat général du ministère.

Proposition n° 14 : créer, au sein de la mission « Justice », un programme « Transformation numérique de la justice ».

2.   Améliorer le pilotage de la transformation numérique

Il revient au Comité directeur de la transformation numérique, présidé par le garde des Sceaux, de définir la politique du ministère en matière numérique. Ce comité se réunit habituellement deux à trois fois par an. Alors que ce rythme s’est ralenti cette année, il devrait se réunir d’ici à la fin du mois d’octobre 2020 pour redéfinir les priorités du plan de transformation numérique.

Votre rapporteure considère que, compte tenu des enjeux humains et financiers de la transformation numérique de la justice, il convient que le Parlement soit mieux informé des choix faits en la matière et propose, par conséquent, que le ministère lui communique systématiquement les conclusions du comité stratégique.

Proposition n° 15 : communiquer au Parlement les conclusions du Comité stratégique de la transformation numérique.

Votre rapporteure propose également que le Parlement puisse disposer, pour tout projet de disposition législative susceptible d’avoir des conséquences en matière numérique, d’une étude d’impact qui identifie précisément ses effets en termes de mise en œuvre, de coût et de calendrier.

Proposition n° 16 : prévoir, pour tout projet de disposition législative susceptible d’avoir des effets en matière numérique, une étude d’impact qui identifie précisément ses conséquences en termes de mise en œuvre, de coût et de calendrier.

Le ministère de la Justice souffre par ailleurs de faiblesses dans le pilotage de sa transformation numérique. Comme l’a souligné M. Bou Hanna, directeur interministériel du numérique, il faut que le ministère cesse de lancer des projets pharaoniques de long terme, comme le projet Portalis, où les responsables sont, de fait, appelés à changer fréquemment et ne sont pas en mesure de contrôler le travail des prestataires. Il faut au contraire adopter un mode de fonctionnement plus souple et identifier des projets où les premières réponses peuvent être apportées à court terme.

À cet égard, le directeur interministériel du numérique a souligné que le ministère de la Justice était l’un des derniers ministères – ils sont quatre – à n’avoir pas mis en œuvre d’incubateur de projets.

Proposition n° 17 : mettre en place un incubateur de projets au ministère de la Justice.

3.   Professionnaliser la transformation numérique de la justice

Selon le ministère de la Justice, les personnels affectés à l’informatique s’élèvent à 557 équivalents temps plein travaillés (ETPT).

Au niveau local, ils comprennent notamment des correspondants locaux informatiques qui, rattachés à la cellule de proximité du service administratif régional, sont les référents en matière informatique au sein des juridictions. Ils assurent un accompagnement de proximité des utilisateurs, la maintenance de premier niveau et la sécurité du parc informatique.

Depuis 2020, des postes d’ambassadeurs de la transformation numérique sont créés et proposés à des greffiers afin d’accompagner la transformation numérique du ministère. Ils sont chargés de former les utilisateurs et de les assister dans la pratique quotidienne de l’outil numérique.

Toutefois, le recrutement de professionnels du numérique doit s’accélérer qu’il s’agisse de personnel technique ou de personnel très qualifié.

Il convient en effet de recruter davantage de personnels techniques pour assurer la maintenance et le soutien. Le constat est partagé au sein des juridictions : le manque de personnel à même de fournir une assistance informatique est criant. Les représentantes du Syndicat de la magistrature ont ainsi souligné que, dans les grands tribunaux, il arrive fréquemment qu’un seul correspondant local informatique soit en poste, ce qui rend impossible le suivi des parcs informatiques, les mises à jour et le traitement des incidents.

Proposition n° 18 : accélérer le recrutement de personnel technique de maintenance.

Il faut également mettre l’accent sur le recrutement d’experts en numérique. Le directeur interministériel du numérique a ainsi souligné que le ministère de la Justice est celui qui a le taux d’externalisation de ses compétences le plus élevé (91 % sur certains projets) alors qu’un taux supérieur à 80 % est systématiquement synonyme d’échec. Ce constat résulte notamment du manque d’attractivité du ministère de la Justice auprès des profils de haut niveau.

Certes, le ministère de la Justice organise des forums, comme le Vendôme Tech, mais cela ne suffit pas. Il faut qu’il participe davantage au programme « Entrepreneurs d’intérêt général » qui lance des appels à candidatures pour recruter des spécialistes du numérique aptes à relever des missions qui améliorent le service public.

 


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   EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du mercredi 21 octobre 2020, la Commission auditionne M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur les crédits de la mission « Justice » (Mme Laetitia Avia, rapporteure pour avis « Justice et accès au droit » ; M. Bruno Questel, rapporteur pour avis « Administration pénitentiaire et protection judiciaire de la jeunesse »).

Lien vidéo :

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.9701313_5f902f2b28aee.commission-des-lois--m-eric-dupond-moretti-garde-des-sceaux-ministre-de-la-justice-examen-pour--21-octobre-2020

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice, qui va nous présenter les crédits de la mission « Justice ».

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je suis heureux de vous présenter le projet de budget de la justice pour 2021. Exceptionnel et historique, il donnera, grâce à vous, à la justice des moyens inégalés depuis plus d’un quart de siècle, permettant à la fois le rattrapage prévu par la loi de programmation et de réforme pour la justice (LPJ) et le financement des priorités que j’ai affirmées lors de ma prise de fonction, au premier rang desquelles je place la justice de proximité.

Historique, car c’est la première fois depuis plus de vingt-cinq ans qu’il augmente autant : de plus de 8 %, soit 607 millions d’euros supplémentaires, plus du double de l’augmentation votée en 2019 pour l’année 2020. Exceptionnel par son montant – 8,2 milliards d’euros – et par le renforcement inédit des moyens humains de l’ensemble des métiers de justice prévu. En 2021, 1 500 recrutements nets auront lieu – soit 240 de plus que ce qui est inscrit dans la LPJ pour 2021 – auxquels s’ajoutent les 950 emplois supplémentaires que j’ai obtenus en 2020, déjà en cours de recrutement pour renforcer sans attendre les tribunaux, les établissements pénitentiaires et ceux de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Ce sont donc en tout 2 450 recrutements nets dont je vais vous donner la répartition.

Avec 1 100 recrutements nets pour les tribunaux, dont 50 magistrats, 130 directeurs de greffe et 596 greffiers et renforts de greffe, il n’y aura plus de vacances de poste structurelles ni dans les greffes ni chez les magistrats à la fin de l’année 2021. Seront aussi recrutés 1 200 renforts pour l’administration pénitentiaire, dont 711 surveillants et 335 conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation et 126 personnels supplémentaires pour la PJJ, dont 107 éducateurs. Ces moyens supplémentaires sont particulièrement bienvenus dans le contexte que nous connaissons : c’est un surcroît de ressources pour le renseignement pénitentiaire, la création de places destinées aux détenus radicalisés et le recrutement et la formation d’agents spécialisés, des psychologues en particulier.

Pour améliorer le fonctionnement général de notre justice, tous les maillons de la chaîne judiciaire seront renforcés pour mieux accueillir le justiciable, juger plus vite et mieux faire exécuter les peines.

Parce que la justice garantit le respect du droit dans la vie quotidienne, elle doit être accessible à tous les justiciables ; c’est le sens de la justice de proximité. Pour la mettre en œuvre, nous disposerons avec ce projet de budget de moyens inédits : 200 millions d’euros et 1 100 des 2 450 emplois mentionnés. En tout, 914 juristes assistants et renforts pour les greffes seront recrutés, dont 764 sont déjà en cours de recrutement. Ainsi magistrats et greffiers pourront-ils se concentrer sur la tâche essentielle : juger. Les délais de jugement seront significativement réduits, la présence d’un juriste assistant permettant, selon les situations, d’aller jusqu’à doubler le nombre de jugements rendus par un magistrat.

Les services judiciaires seront également renforcés par le recours accru aux magistrats à titre temporaire, aux magistrats honoraires et aux délégués du procureur. Aujourd’hui, près de 2 000 personnes concourent, selon les besoins, au service public de la justice : 484 magistrats exerçant à titre temporaire, 455 magistrats honoraires et 919 délégués du procureur. Leur apport est essentiel ; je souhaite le développer en portant leur nombre à 3 000 et en augmentant significativement le nombre de vacations qu’ils pourront réaliser ; 28 millions d’euros supplémentaires sont fléchés à cet effet et 1 000 personnes s’ajouteront ainsi aux 2 450 recrutements mentionnés.

L’administration pénitentiaire et la PJJ bénéficient également des moyens alloués à la justice de proximité. Nous recrutons dès maintenant 100 conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation supplémentaires, qui complètent par anticipation les 1 092 créations nettes prévues pour l’administration pénitentiaire, et 86 éducateurs pour la PJJ qui compléteront également par anticipation les 40 créations nettes projetées en 2021.

Les moyens alloués à la justice de proximité portent également sur les dépenses de fonctionnement, d’investissement et d’intervention. La hausse des crédits alloués aux frais de justice est de 127 millions d’euros, soit plus de 26 % d’augmentation. Cette augmentation considérable servira à renforcer les moyens destinés aux frais médicaux, aux frais d’expertise, aux enquêtes sociales rapides et aussi au maillage territorial des unités médico-légales : 20 millions d’euros supplémentaires sont destinés à la médecine légale. On permettra ainsi une meilleure prise en charge des justiciables, au plus près de leur lieu de résidence.

La justice de proximité passe également par l’accélération et la diversification de la réponse pénale, avec le déploiement des bracelets électroniques et des bracelets anti‑rapprochement et le développement des travaux d’intérêt général et du travail non rémunéré. En tout, 17 millions d’euros y seront dévolus.

La justice de proximité, c’est aussi l’accompagnement des mineurs délinquants, ce pour quoi nous consacrerons 20 millions d’euros au soutien des associations habilitées à intervenir au bénéfice des mineurs pris en charge par la PJJ.

La justice de proximité se voit donc allouer des moyens massifs destinés à rendre une justice plus rapide et de qualité, mettre les peines à exécution plus rapidement et permettre une meilleure prise en charge dans les établissements pénitentiaires pour mieux accompagner les mineurs délinquants afin d’éviter les récidives.

Mais ce budget ne donne pas uniquement des moyens remarquables à la justice de proximité ; il permet d’aller au-delà du simple rattrapage prévu par la LPJ. Avec 8,2 milliards d’euros, l’enveloppe est de près de 200 millions plus élevée que ce que prévoyait la LPJ pour 2021. Les 607 millions supplémentaires nous permettront de poursuivre et d’amplifier les politiques mises en œuvre depuis le début du quinquennat.

Pour les services judiciaires, outre ce que j’ai dit des frais de justice, nous allons investir plus encore dans l’immobilier pour améliorer l’état des tribunaux. Fin septembre, j’ai accompagné le Premier ministre au tribunal judiciaire de Bobigny, qui prend littéralement l’eau, et nous avons annoncé la construction d’un nouveau palais de justice pour 2025, avec l’engagement de 120 millions en crédits de paiement dès 2021. L’investissement immobilier augmente de 6 %, pour s’établir à 227 millions d’euros. Ils permettront la réalisation de projets concernant le tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence, le palais de justice de Bastia, la construction de nouveaux palais de justice à Lille, Mont-de-Marsan, Perpignan et, bien sûr, la restructuration du palais de justice de l’île de la Cité à Paris. En tout, les services judiciaires bénéficieront, avec 203 millions supplémentaires, soit plus de 7 % de hausse de crédits en un an, de 3 milliards d’euros.

L’administration pénitentiaire n’est pas oubliée : ses crédits augmentent de 9 %. Nous consacrerons 3,3 milliards d’euros au recrutement des surveillants, à la poursuite de la construction de prisons et à l’amélioration de la sécurité pénitentiaire. Ainsi, 556 millions de crédits de paiement seront consacrés au plan de construction des 15 000 places de prison annoncées, l’objectif étant toujours de programmer l’ensemble de la deuxième phase de 8 000 places d’ici à la fin du quinquennat. Ces crédits permettront, en 2021, la livraison du centre pénitentiaire de Lutterbach et de celui de Koné en Nouvelle-Calédonie, et l’ouverture des places prévues en structures d’accompagnement vers la sortie (SAS) – comme prévu dans la LPJ, 2 000 places en SAS seront ouvertes d’ici à 2022 par construction ou transformation. De plus, 63 millions d’euros – une hausse de plus de 10 % – permettront d’améliorer la sécurité pénitentiaire par le renforcement de la vidéo-surveillance, la lutte contre les drones malveillants et la poursuite de l’installation des systèmes de brouillage des communications.

La PJJ est également au cœur du projet de budget 2021 pour la justice. Avec 50 millions d’euros supplémentaires et 7 % d’augmentation en crédits de paiement, le ministère de la Justice se donne les moyens de renforcer les associations qui accompagnent les jeunes et de mettre en œuvre la réforme de la justice pénale des mineurs en 2021. Ces crédits supplémentaires serviront à développer les alternatives aux poursuites et à apporter une réponse plus rapide et plus efficace aux actes délinquants les moins graves. Des moyens financeront aussi des structures de prise en charge des mineurs qui, en raison de troubles du comportement, trouvent difficilement leur place dans les structures classiques : ainsi, 2,4 millions d’euros iront à la création de trois internats socio-éducatifs médicalisés pour adolescents. Le budget 2021 permet aussi de poursuivre la construction de vingt centres éducatifs fermés.

Ce projet de budget permettra également d’améliorer l’accès de tous à la justice. Pour mettre en œuvre sans attendre la réforme et la revalorisation de l’aide juridictionnelle, 50 millions d’euros supplémentaires sont alloués à cette ligne, en hausse de plus de 10 %. Nous entendons augmenter substantiellement la rémunération de l’heure travaillée par chaque avocat au titre de l’aide juridictionnelle dès le 1er janvier 2021, réviser le barème pour mieux rémunérer les médiations et l’assistance éducative et aussi développer des modes alternatifs de règlement des différends.

Enfin, pour le personnel du ministère, j’ai décidé de mettre en œuvre une politique de ressources humaines visant à reconnaître le professionnalisme, les compétences et les responsabilités. Ainsi, nous avons souhaité mieux valoriser les sujétions des éducateurs de la PJJ qui accompagnent les mineurs la nuit et le week-end en augmentant différentes primes qui, pour certaines, n’avaient pas été revalorisées depuis vingt ans. Nous souhaitons aussi rendre nos métiers plus attrayants pour les jeunes ; à cette fin, nous revaloriserons l’indemnité pour charge pénitentiaire des surveillants, en donnant en 2021 priorité aux jeunes professionnels, dont la rémunération augmentera de 300 euros. Nous nous attacherons aussi à fidéliser le personnel de la justice en revalorisant le régime indemnitaire des greffiers et des directeurs de greffe, qui a décroché par rapport à des corps équivalents alors que le greffe est un rouage essentiel du fonctionnement de la justice.

Tel est le projet de budget que je soumets à l’approbation de votre commission.

Mme Laetitia Avia, rapporteure pour avis des crédits de la justice et de l’accès au droit. Monsieur le ministre, le budget que vous nous présentez est effectivement exceptionnel. En votant la LPJ, nous avions adopté une loi ambitieuse prévoyant une augmentation de 300 millions par an et le recrutement de 1 260 équivalents temps plein (ETP) en 2021 ; vous nous proposez de doubler cet effort et nous nous en félicitons. Vous avez pris vos fonctions avec la mission de défendre la justice ; cela commence en lui donnant les moyens qu’elle mérite. Les crédits alloués à la justice et à l’accès au droit enregistrent une progression record, avec une augmentation de près de 7 % en crédits de paiement et de 5,5 % en autorisations d’engagement.

Pour l’aide juridictionnelle, il est prévu une augmentation de 50 millions, si bien que ce budget s’élèvera à 534 millions d’euros, montant jamais atteint à ce jour. Dans cette enveloppe, 25 millions d’euros financeront les premiers effets de la réforme de la justice pénale des mineurs et la mise en œuvre des propositions d’évolution de l’aide juridictionnelle de la commission Perben sur l’avenir de la profession d’avocat relatives à la rétribution des avocats. Cette augmentation substantielle est aussi une réponse aux propositions de nos collègues Naïma Moutchou et Philippe Gosselin. J’encourage la pleine réalisation de ces propositions concordantes ; quels axes retenez-vous, monsieur le garde des Sceaux, pour améliorer l’aide juridictionnelle ?

J’ai fait de la transformation numérique de la justice le thème central de mon avis budgétaire, la question revenant de manière récurrente et assez vive dans les débats parlementaires. Un plan doté de 530 millions d’euros lui est consacré pour la période 2018-2022. Le confinement a entraîné l’accélération de sa mise en œuvre, le numérique devenant indispensable pour assurer la continuité du service public de la justice. Après quelques difficultés d’adaptation initiales, la justice s’est pour l’essentiel organisée en déployant 1 500 ultra-portables ‑ nombre qui devra être porté à 3 500 d’ici la fin 2020 ‑, en augmentant les capacités de connexion VPN, en recourant davantage à la visioconférence et à la télé-audience, en développant, en matière pénale, la nouvelle application PLEX qui permet le transfert sécurisé de dossiers volumineux entre avocats et magistrats et en créant un outil d’aide à la reprise d’activité à la fin du confinement dont j’encourage la pérennisation et l’amélioration pour assurer le pilotage dynamique de nos juridictions.

On saluera les efforts faits récemment, mais ce rapport budgétaire est aussi l’occasion de faire un point d’étape sur les investissements réalisés et sur leur pilotage. Je souhaite, à cet égard, vous soumettre six axes prioritaires d’amélioration. D’abord, l’équipement numérique des juridictions doit être mis à niveau de manière urgente. Il convient d’accélérer la distribution d’ordinateurs portables pour en doter chaque greffier d’ici à la fin de l’année 2020 ; c’est impératif dans le contexte de crise sanitaire. D’autre part, les logiciels utilisés sont d’un autre temps, ce qui nuit à l’efficacité de la justice. Enfin, il faut investir dans des outils souverains de visio-audience de qualité au lieu que, trop souvent, les magistrats utilisent le système D et des plateformes américaines, ce qui doit absolument être évité.

Le deuxième axe de transformation doit consister à assurer la fluidité des échanges entre les acteurs du droit. Cela suppose d’accélérer et de généraliser le déploiement de la plateforme PLEX en matière civile également, et aussi de développer la visioconférence, notamment pour les audiences de mise en état. Un certain consensus s’est fait pour estimer que la vidéo-audience ne doit être utilisée pour juger que dans des circonstances exceptionnelles, mais rien ne s’oppose à l’optimisation de cet outil pour rapprocher les acteurs de la chaîne judiciaire, notamment dans le cadre des audiences de mise en état.

Le troisième axe doit être de définir des projets prioritaires. Une dizaine de chantiers de transformation numérique sont en cours, sans compter les projets dont la mise en œuvre n’est pas encore amorcée. Le ministère de la Justice a malheureusement des difficultés à respecter les coûts et les délais lors de la réalisation de grands projets informatiques. À cet égard, j’ai été surprise par les différences entre la justice pénale et la justice civile. En matière pénale, les applicatifs tels que Cassiopée fonctionnent plutôt bien, la mise en place de la procédure pénale numérique et les interconnexions avec le ministère de l’Intérieur semblent bien engagées et le projet Astria, qui vise à dématérialiser le casier judiciaire, se développe sans difficulté particulière. En revanche, la modernisation de la procédure civile semble plus difficile : les applicatifs n’étant pas accessibles à distance, les greffiers, même dotés d’ordinateurs portables comme je le préconise, ne pourraient pas travailler à distance quand leurs collègues du pénal le peuvent. Surtout, tout repose sur le projet pharaonique Portalis qui, lancé il y a six ans, peine à aboutir et dont l’enveloppe budgétaire a explosé, avec une augmentation supérieure à 65 %. Ce projet doit être redimensionné ; peut-on envisager de le mettre en pause, non pour l’abandonner mais pour le scinder en prévoyant des objectifs atteignables à court terme ?

La quatrième priorité est de dématérialiser l’aide juridictionnelle et je me félicite des engagements pris à ce sujet.

La cinquième priorité doit être de garantir l’application des dispositions de la LPJ relatives au numérique, qu’il s’agisse du dépôt de plainte en ligne – je sais que la publication d’un décret d’application est annoncée ce mois-ci – ou de la médiation et de la conciliation numériques pour les petits litiges, procédures qui peuvent bénéficier de l’essor des visioconférences. La création de la juridiction nationale des injonctions de payer (JUNIP) n’est pas encore engagée ; on a même envisagé l’abandonner. C’est pourtant un bon projet, soutenu par le Parlement, et nous devons y consacrer tous les moyens nécessaires pour le faire aboutir, quitte à le reporter ; en sera-t-il bien ainsi ?

Le sixième axe prioritaire doit être de mieux organiser la transformation numérique du ministère. À cette fin, je proposerai en séance publique la création d’un programme « Transformation numérique de la justice » ; ainsi aurons-nous à l’avenir une vision d’ensemble des moyens qui lui sont consacrés. Je pense aussi que le Parlement pourrait être davantage informé de l’effet des dispositions qui lui sont soumises. En amont, par la présentation, avant les votes, d’études d’impact des évolutions numériques prévues précisant le calendrier et les moyens nécessaires ; cela aurait été utile avant le vote du « bloc peine », dont les dispositions ne trouvent pas toutes un écho dans les logiciels actuellement utilisés. En aval, par la communication aux parlementaires des comptes rendus du comité stratégique que vous présidez, monsieur le ministre, et qui est chargé de piloter et de hiérarchiser les dispositions que nous votons.

J’espère que ces propositions recueilleront votre assentiment et celui de mes collègues. Nous avons vu ces derniers mois que notre justice est pleine de ressources et capable de résilience. Les efforts ne doivent pas se relâcher, singulièrement avec ce budget exceptionnel.

M. Bruno Questel, rapporteur pour avis des crédits des programmes « Administration pénitentiaire » et « Protection judiciaire de la jeunesse ». Je ne reviendrai pas en détail sur l’évolution des moyens de l’administration pénitentiaire et de la PPJ que vous venez de nous présenter. Il me semble toutefois nécessaire de souligner les efforts inédits déployés pour la quatrième année consécutive dans des proportions exceptionnelles en faveur de ces deux administrations confrontées à des difficultés très nettes et aux grands défis que sont la réforme du droit des peines d’une part, la réforme de la justice pénale des mineurs d’autre part. À cela se sont ajoutées les complications persistantes dues à la crise sanitaire.

La pandémie a conduit à réduire la population carcérale ; le taux global d’occupation des établissements est ainsi passé de 116 % à 106 % le 1er octobre 2020. Au-delà du flux habituel des personnes sortant d’incarcération, plusieurs mesures ont contribué à la baisse du nombre de détenus : le ralentissement de l’activité de jugement des tribunaux qui a freiné les placements sous mandat de dépôt des personnes condamnées, la facilitation des procédures permettant la libération anticipée des personnes condamnées et la réduction supplémentaire de peine à titre exceptionnel. Notre Commission, attentive à la gestion de la crise par l’administration pénitentiaire, a mené plusieurs auditions, et nous continuerons ce suivi. Pouvez-vous préciser les intentions du Gouvernement en ce domaine et les mesures mises en œuvre pour contenir la diffusion du coronavirus en milieu carcéral ?

Cette année, j’ai centré mon rapport sur la surpopulation carcérale. Elle augmente depuis le début des années 2000, faisant obstacle aux bonnes conditions d’incarcération des détenus et de travail du personnel pénitentiaire. Elle se traduit par la dégradation des conditions matérielles de détention et de délivrance des services aux détenus, qu’il s’agisse des soins, de l’accès aux dispositifs de réinsertion ou des liens avec l’extérieur, et aussi par l’augmentation des tensions, et donc des risques de violence, dans chaque établissement. Elle est en outre contraire au principe d’encellulement individuel des détenus, posé en 1875, réaffirmé par la loi pénitentiaire de 2009 et qui fait l’objet d’un moratoire, son application étant reportée à 2022.

La crise sanitaire a été l’occasion de réduire la population carcérale, je l’ai dit ; cette évolution va dans le sens de la politique volontariste du Gouvernement en ce domaine et des orientations prises pour refondre le dispositif des sanctions et l’échelle des peines prévus par la LPJ. Vous avez récemment indiqué, monsieur le ministre, avoir demandé aux procureurs généraux de requérir, chaque fois que cela est possible, des peines alternatives à l’emprisonnement. Pourriez-vous préciser comment cela permettra d’en finir, au moins partiellement, avec la surpopulation carcérale ?

La part jouée par la détention provisoire dans la surpopulation carcérale me semble insuffisamment prise en compte. En moyenne, ces dernières années, les prévenus représentaient un quart du nombre des personnes écrouées. Mais après le déclenchement de la crise sanitaire, le nombre de prévenus libérés ayant moins diminué que le nombre général des détenus, la proportion de prévenus dans la population sous écrou est passée de 29,8 % en janvier 2020 à 34 % le 1er juillet dernier. Quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre pour faire évoluer cette situation et les conditions de la détention provisoire ?

Les conditions de détention Outre-mer sont parfois plus difficiles encore qu’en France métropolitaine. Le plan de création de 15 000 places de prison nouvelles prévoit un effort significatif en faveur de ces collectivités et territoires mais les constructions de nouvelles places peuvent-elles répondre seules aux difficultés spécifiques des Outremers ? Quelles pistes envisagez-vous pour remédier à une situation que nous connaissons tous ?

Enfin, on dit régulièrement que la prison est un foyer de radicalisation. L’exercice des cultes en milieu carcéral est difficile et inégal, voire inéquitable, selon les religions. La nomination des imams, leur formation et leurs conditions d’exercice doivent être revues ; êtes-vous prêt, monsieur le ministre, à ouvrir ce chantier ?

M. Patrick Hetzel, rapporteur spécial de la commission des Finances. En 2021, la mission « Justice » bénéficiera d’un peu plus de 12 milliards d’euros en autorisations d’engagement et de 10 milliards en crédits de paiement, soit une augmentation de 32 % pour les premières et de 7 % pour les seconds. Cette fois, contrairement à ce qui fut le cas l’année dernière, le projet de loi de finances (PLF) pour 2021 respecte la trajectoire budgétaire prévue par la LPJ. Je rappelle que la loi de finances pour 2020 prévoyait un budget inférieur de plus de 115 millions à la programmation 2018-2022 adoptée quelques semaines auparavant. Considérant qu’en 2021 la mission « Justice » bénéficiera, hors contribution au compte d’affection spéciale « Pensions », de 8,2 milliards en crédits de paiement, ce budget ne fait que rattraper ce qui était prévu dans la LPJ.

En outre, le PLF prévoit un schéma d’emplois de 1 500 ETP supplémentaires qui dépasse légèrement le chiffre inscrit dans la LPJ et le Gouvernement a annoncé la création exceptionnelle de 950 ETP à compter de la fin de la gestion 2020 pour renforcer, nous dit-on, la justice de proximité. Tous les programmes de la mission voient leurs moyens budgétaires et humains progresser ; dont acte. Néanmoins, l’efficacité d’une politique publique ne tient pas seulement à l’importance des crédits et des emplois dont elle dispose : parallèlement à l’augmentation des moyens, il est nécessaire d’améliorer significativement les performances du ministère de la Justice et la manière dont ces moyens sont alloués puis déployés.

En cette matière, je crois nécessaire de vous faire part de trois sujets d’alerte et d’inquiétude majeure. Concernant la justice judiciaire, le « bleu budgétaire » confirme l’allongement des délais de jugement. Ce n’est pas une surprise : j’alerte sur ce point depuis plusieurs années en ma qualité de rapporteur spécial. Certes, la pandémie a perturbé l’activité des juridictions en 2020, mais reconnaissons qu’il s’agit d’un problème structurel : la situation était déjà critique avant la crise. Il faut y remédier. Plus que jamais, il est indispensable et urgent que le ministère de la Justice utilise les moyens supplémentaires qui lui sont octroyés pour réduire l’engorgement des juridictions.

L’administration pénitentiaire se voit confier des moyens considérables : 4,3 milliards en crédits de paiement, et même 6,3 milliards en autorisations d’engagement, soit une augmentation de 75 % par rapport à l’année dernière. Il s’agit de poursuivre la réalisation du plan de création de 15 000 nouvelles places dans les prisons d’ici à 2027, dont 7 000 d’ici à 2022. Mais, une fois encore, tout n’est pas que question de moyens, et les derniers exercices budgétaires ont montré la difficulté qu’éprouve votre ministère à consommer l’intégralité des crédits prévus pour ces investissements immobiliers ; j’avais alerté sur un problème de sincérité en la matière. C’est donc avant tout le pilotage du plan « prisons » qu’il convient d’améliorer. Je ne suis pas le seul à formuler des doutes à ce sujet : le Secrétariat général pour l’investissement, placé sous l’autorité du Premier ministre, émet sur la réalisation de ce plan un avis « réservé » ; il figure en page 31 du « jaune budgétaire » relatif à l’évaluation des grands projets d’investissements publics annexé au PLF pour 2021. Que le Secrétariat général pour l’investissement lui-même se dise « réservé » face à vos annonces est inquiétant et témoigne d’un certain recul dans la lutte contre la surpopulation carcérale ; je souhaite que vous nous en disiez quelques mots.

Enfin, le Gouvernement a annoncé une enveloppe de 200 millions d’euros et 950 emplois supplémentaires pour lutter contre la délinquance quotidienne et rapprocher la justice des justiciables. Cette mesure est bienvenue ; c’est d’ailleurs la ligne que j’avais défendue lors des débats sur la LPJ. Toutefois, ces moyens doivent être mis au service d’une justice de proximité réelle et cela suppose d’affecter au moins un nouveau magistrat à chaque tribunal judiciaire pour contrecarrer la tendance à l’éloignement de la justice dans les territoires ruraux et y garantir, par exemple, la présence d’un juge d’instruction à temps plein. Or, rien ne garantit qu’il en sera ainsi. Le Gouvernement devra s’y engager sous peine de remettre en cause la parole de l’État ; monsieur le ministre, vous y engagez-vous ?

Ces trois points majeurs d’alerte justifient un vote défavorable.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Monsieur le ministre, je vous ai adressé le 8 octobre dernier deux courriers récapitulant les décrets à ce jour non publiés et les rapports dus au Parlement qui ne lui ont pas été remis. Sept décrets n’ont pas été pris en temps utile dont certains datent de 2018 et d’autres de septembre 2019, mais le principe de la continuité de l’État vous oblige. Nous attendons notamment le rapport relatif à l’état d’avancement du programme de construction des SAS ; ces structures tiennent particulièrement à cœur à notre commission, qui avait préconisé leur création. Ces courriers vous ont été envoyés dans le cadre du bilan annuel des travaux de contrôle de la commission des Lois. Nous savons que la situation sanitaire a compliqué les choses mais nous nous devions de faire le point.

M. le garde des Sceaux. Madame la présidente, je découvre vos courriers, qui ne m’étaient pas parvenus ; soyez assurée que vous aurez une réponse ultra-rapide. La chronologie que vous avez mentionnée démontre du reste que mon innocence est totale.

Je vous remercie, madame Avia, pour vos aimables propos liminaires. Je partage votre point de vue sur la transformation numérique du ministère, élément essentiel de modernisation. Elle a été engagée avec le plan de transformation numérique, qui sera amplifié dans le cadre du plan de relance. Trois réalisations d’ampleur seront portées par le ministère en 2021 ; elles montrent que l’on agit bien pour le personnel du ministère et pour les justiciables. En premier lieu, le portail des juridictions, instrument de la réforme de la procédure civile dématérialisée, remplacera progressivement les huit systèmes d’information du domaine civil utilisés dans les tribunaux judiciaires. L’expérimentation des procédures devant les conseils des prud’hommes aura lieu début 2021, celle de la prise de date fin 2021. L’expérimentation du système d’information d’aide juridictionnelle, socle du projet de simplification et de dématérialisation du dispositif, commencera en mars 2021 en vue d’une généralisation à la fin de l’année. Enfin, l’expérimentation du portail des agents et des détenus débutera à la maison d’arrêt de Dijon au troisième trimestre 2021, et le déploiement national aura lieu à partir de la fin 2021.

Outre que les économies d’échelle attendues de la création de la JUNIP se révèlent beaucoup moins importantes qu’espéré pour les ressources humaines des greffes, on se heurte à des difficultés techniques majeures. Cela oblige à décaler d’un an l’entrée en vigueur de cette réforme.

En raison de la crise sanitaire, les télé-audiences ont été facilitées pour éviter aux personnes fragiles de se rendre dans les salles d’audience. Cette pratique, qui répond aux attentes des justiciables et de la justice, doit être pérennisée ; c’est un gage de modernisation pour un coût relativement faible.

Le programme Portalis vise à moderniser le service public de la justice en dématérialisant les interactions entre les acteurs de la chaîne judiciaire civile. J’en rappelle les étapes : déploiement du portail du service d’accueil unique du justiciable (SAUJ) entre le 3 décembre 2018 et le 11 avril 2019 ; portail du justiciable mis en service le 6 mai 2019 dans les arrondissements judiciaires de Lille et de Melun pour les affaires civiles, généralisation le 27 mai de la même année, lancement national le 27 août 2019 à Melun ; expérimentation de la saisine en ligne des juridictions civiles et pénales destiné aux justiciables dans les tribunaux judiciaires de Rouen et de Douai au quatrième trimestre 2020 ; expérimentation des procédures devant les conseils de prud’hommes au premier trimestre 2021.

Pour améliorer la transformation numérique, nous allons doubler le nombre d’ordinateurs portables. Le parc de matériel de visioconférences du ministère de la Justice est le plus important de ceux de tous les ministères et nous allons bientôt proposer d’utiliser cet outil dans le cadre des audiences civiles. Il ne s’agit pas d’éloigner le justiciable de la justice mais, parfois, sa présence n’est pas indispensable. Loin de l’exclure, nous cherchons à fluidifier les procédures pour économiser des énergies et gagner du temps, vous le savez.

Nous avons créé au sein du secrétariat général du ministère de la Justice un service du numérique ; il est légitime que le Parlement souhaite être informé de l’action de ce service. Le ministre pilote ce programme en présidant le comité ministériel de gouvernance du numérique, dont la prochaine réunion aura lieu dans quelques jours. Nous sommes évidemment en liaison avec la direction numérique de l’État. Si vous souhaitez que je vous fasse part plus régulièrement de l’avancement des choses, à un rythme que vous fixerez, j’en suis d’accord.

Votre première question, monsieur Questel, porte sur la crise sanitaire en milieu carcéral. J’étais hier avec les directeurs inter-régionaux, qui redoutent une nouvelle flambée de contaminations puisqu’il existe un lien direct entre surpopulation pénale et propagation du virus. J’ai salué plusieurs fois le personnel pénitentiaire, qui a été remarquable, sachant traiter les difficultés causées par le coronavirus et accrues par l’enfermement de telle manière qu’ils ont évité des mutineries comme l’Italie et le Brésil en ont connues. Je leur en suis infiniment reconnaissant.

Dès le mois de février, l’administration pénitentiaire s’est mobilisée pour éviter l’entrée et la propagation du virus dans les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) et les établissements et pour garantir la continuité du service public pénitentiaire en dépit des difficultés nouvelles qui s’ajoutaient à des conditions de détention déjà épineuses, qui appellent des efforts colossaux. La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) nous le rappelle régulièrement, la Cour de cassation l’a fait par un arrêt du 8 juillet 2020 et le Conseil constitutionnel n’a pas manqué de dire ce qui convenait. J’ai souvent souligné que l’état d’une démocratie se mesure aussi à la manière dont on détient les hommes.

Les directions inter-régionales sont extrêmement soucieuses de l’application maximale des mesures d’hygiène, de l’identification des personnes détenues vulnérables par les unités sanitaires et de la réduction des mouvements et des regroupements. Toutes les mesures sont prises pour éviter une flambée du virus. À l’annonce du confinement, les parloirs ont été suspendus ; quelques mouvements collectifs ont eu lieu qui ont été maîtrisés, et les détenus ont fait preuve d’esprit de responsabilité en acceptant ces mesures, soucieux aussi, sans doute, de préserver leurs propres familles.

Vous avez rappelé le défi que représente la surpopulation pénale. J’ai souvent exprimé mon sentiment à ce sujet. J’ai pris ma première circulaire de politique pénale à ce sujet et j’en ai longuement discuté avec les procureurs généraux. La grande difficulté, d’ordre culturel, est le recours systématique, ou à tout le moins excessif, à la détention provisoire. Les mentalités doivent changer pour que certaines peines alternatives soient prononcées. La France est championne de la détention provisoire, alors que l’on dispose de bracelets – et je rappelle, s’il en était besoin, que ne pas utiliser la détention provisoire à l’envi ne signifie en rien que les hommes ne sont pas jugés.

Je pense que les procureurs généraux feront tout pour que cette circulaire soit appliquée mais la sacro-sainte indépendance des juges du siège fait que l’on a parfois du mal à faire bouger les choses. Déjà, lors de la commission d’enquête parlementaire chargée de rechercher les causes des dysfonctionnements de la justice dans l’affaire dite d’Outreau, on disait qu’au fond il n’y avait pas d’erreur judiciaire puisque tout le monde a été acquitté, le drame étant que l’on ait à ce point utilisé la détention provisoire. Or, les mentalités ont peu évolué à ce sujet. Je voudrais vraiment faire changer les choses et toutes les bonnes volontés sont bienvenues. Aujourd’hui encore, en 2020, au pays des droits de l’homme, au pays des Lumières, des hommes dorment sur des matelas, au sol ! Je demande donc à mon administration pénitentiaire de prendre contact avec les magistrats pour tirer la sonnette d’alarme, d’autant que la jurisprudence récente nous y incite.

Je veux tout faire pour que l’ensemble des mesures alternatives à la prison soient utilisées mais, parce que j’entends parfois des cris d’orfraie, je tiens à souligner qu’il y a plusieurs délinquances. D’abord, on distingue classiquement les atteintes aux biens et les atteintes aux personnes, une différence établie par le Code pénal, on l’oublie. Cette première distinction étant faite, il faut bien sûr distinguer les infractions de basse intensité, celles qui correspondent à une délinquance moyenne – étant entendu que tout est insupportable – le grand banditisme et le terrorisme. On ne traite pas tous ces actes de la même manière. Pour éviter toute ambiguïté et toute exploitation politicienne de mon propos, je précise qu’en disant qu’il faut moins incarcérer, je parle évidemment de la délinquance de basse intensité. Il va de soi que si un criminel de grand chemin est placé en détention, peu de gens pleureront, et certainement pas le ministre de la Justice. Je n’ai jamais récusé l’emprisonnement, mais il ne peut se concevoir que si, corrélativement à sa mission punitive, la prison prend le détenu en charge pour qu’à la sortie il ne récidive pas.

À ce sujet, j’observe qu’il en va pour la récidive comme pour les crimes terroristes : on s’arrête sur le crime terroriste qui a été commis, jamais sur les attentats évités. Un crime terroriste est un échec ; les attentats déjoués sont des réussites dont on peut à tout le moins se féliciter si l’on veut être objectif. Il en est de même en matière de récidive. D’abord, personne ne peut prendre à un homme sa part de liberté : même s’il a été suivi et même si la justice a fait son travail, on ne peut jamais être entièrement sûr qu’un homme ne récidivera pas, c’est une évidence pour les gens de bonne foi. De surcroît, on ne souligne jamais combien de détenus ont été sauvés par les SPIP, on ne parle jamais de tous les gamins qui ne sont pas allés en prison et qui ont été sauvés parce qu’ils sont allés dans un centre éducatif fermé ou qu’ils ont été suivis par la PJJ – mais il suffit d’un dérapage pour que l’on se braque sur ce dérapage.

Je le redis, pour tout ce qui est délinquance de basse intensité, je souhaite que l’on n’enferme pas les gens. La prison est criminogène ; nous pourrions tous nous accorder à ce sujet, parce que tout le montre. S’il suffisait, pour éradiquer la délinquance, d’emprisonner et de cogner fort, on le saurait depuis des siècles. Il est facile de s’en tenir aux vieilles recettes et de dire qu’il suffit de taper fort pour que tout s’arrête, mais ce n’est pas vrai. Quand on met des gamins en prison, ils en sont presque heureux car c’est leur donner des galons. Procédons autrement : regardons-les différemment, éduquons-les, donnons-leur la culture qui leur manque parfois. Rappelons-nous aussi que la justice arrive « en bout de course » : beaucoup de choses ont eu lieu auparavant.

Je suis, monsieur le rapporteur, d’accord avec vous sur toutes ces questions, mais il faut parfois remettre les pendules à l’heure. Quand on me dit que la justice est « insupportablement laxiste », je perçois l’arrière-plan politicien de ce discours absolument mensonger. Qui regarde les chiffres objectivement voit que la durée des peines de prison augmente depuis des années, la courbe des détentions le montre, et là est la réalité. Cela peut signifier que la société demande davantage de répression. Tout cela demande à être analysé avec beaucoup de nuances mais la réalité arithmétique est celle-là : une sévérité croissante.

Nous faisons un effort important pour améliorer la situation des Outremers. J’ai mentionné la prochaine livraison du centre de détention de Koné, et je tiens à rassurer M. le député Dunoyer sur notre engagement à l’égard de son territoire, à Koné comme à Nouméa.

La question de l’aumônerie pénitentiaire prend tout son sens aujourd’hui, et je suis prêt à travailler avec vous sur ce sujet. Il y a aucune raison que dans la loi à venir on envisage tous les aspects du séparatisme sans évoquer le terrain pénitentiaire. Bien entendu, tout aumônier séparatiste doit être viré ; le terme est familier mais il est net. Certains détenus sont en demande de religieux ; c’est pourquoi l’aumônerie est nécessaire : s’il n’y en a pas, je crains qu’ils ne se tournent vers l’islamiste radical logé deux cellules au-dessus de la leur. Il faut donc veiller à un équilibre.

J’aurais aimé, monsieur Hetzel, que nous nous rencontrions pour évoquer ensemble les questions dont vous avez traitées et je vous y ai invité, mais vous ne l’avez pas souhaité.

M. Patrick Hetzel, rapporteur spécial de la commission des Finances. J’en ai été empêché : j’étais à l’isolement.

M. le garde des Sceaux. Je regrette que nous n’ayons pas eu cet échange républicain ; vous ne l’avez pas voulu…

M. Patrick Hetzel, rapporteur spécial de la commission des Finances. Monsieur le ministre, j’étais confiné !

M. le garde des Sceaux. Quoi qu’il en soit, il est faux de dire que ce budget est un budget de rattrapage. Quelle que soit votre manière de présenter les comptes, que la justice bénéficie de 200 millions supplémentaires est une donnée arithmétique : l’article 1er de la LPJ prévoit 8 milliards d’euros pour 2021 et le PLF 2021 s’établit à 8,2 milliards d’euros, c’est un fait.

S’agissant de l’allongement des délais de jugement, je rappelle qu’avant la Covid‑19, la grève des avocats est passée par là, ce que vous avez omis de mentionner. Nous ajoutons 607 millions et 2 450 emplois et, je le répète, un assistant permet de réduire les délais de jugement ; vous conviendrez que si un juge peut rendre deux jugements quand il n’en rendait qu’un, cela permet de résorber un peu le stock. De plus, vous aurez entendu que je veux renforcer la médiation, notamment en payant davantage les avocats, car toute médiation est du temps judiciaire gagné, qui peut aussi être utilisé à résorber les stocks.

La crise sanitaire n’expliquerait-elle pas pour partie la difficulté du ministère à consommer les crédits ? D’autre part, les terrains destinés à des constructions pénitentiaires sont difficiles à trouver – j’ai d’ailleurs besoin de votre aide, si vous en connaissez dans votre circonscription.

M. Patrick Hetzel, rapporteur spécial de la commission des Finances. J’ai proposé un terrain à votre prédécesseur ; je n’ai jamais eu de réponse de la chancellerie.

M. le garde des Sceaux. Nous irons voir, car on nous propose parfois des terrains qui ne correspondent pas à nos besoins. Je n’ai pas la perversité de dire que vous proposez un terrain dont vous savez qu’il ne convient pas mais, vous le savez aussi bien que moi, il y a des installations dont les élus ne veulent pas, tels les camps de gitans ou les prisons. Cela rend les choses très difficiles et devrait m’éviter ce reproche.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Notre collègue Caroline Abadie, présidente du groupe d’études « Prisons et conditions carcérales », souhaite déposer des amendements, auxquels je m’associe, visant à faciliter l’installation des centres de détention. Elle suggère soit de majorer la dotation globale de fonctionnement des communes et de s’aligner sur le dispositif décidé pour l’accueil de gens du voyage en disposant qu’une place de prison égale deux habitants, soit d’assimiler les nouvelles places de détention aux logements sociaux que la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains oblige les communes à fournir. Ces deux mesures pourraient inciter les communes à accueillir des centres de détention.

Mme Naïma Moutchou. « L’institution judiciaire est en voie de clochardisation » avait dit Jean-Jacques Urvoas, l’un de vos prédécesseurs, arrachant de haute lutte, en 2017, une augmentation de 4,5 % du budget de la justice, soit 300 millions d’euros. Chacun, à l’époque, s’en était félicité. Aujourd’hui, l’accroissement est supérieur à 8 %, avec 607 millions d’euros de plus que le budget figurant dans la loi de finances initiale pour 2020, lui-même déjà en augmentation. C’est du jamais-vu depuis vingt-cinq ans. Tous ceux qui sont attachés au fonctionnement de la justice peuvent vous remercier, monsieur le ministre, et j’aimerais que nous ne prenions pas prétexte des polémiques infondées dont vous êtes la cible parce que vous faites bouger les lignes pour ne pas saluer ce résultat. Nous débattrons certainement de la manière dont le budget sera réalisé mais vous faites, de manière tangible, de la justice une priorité et cela doit être dit.

Ce budget exceptionnel nous permettra de poursuivre la transformation de la justice nécessaire pour la faire entrer dans le XXIe siècle, conformément à l’engagement que nous avons pris avec le Président de la République. Nous nous sommes attaqués au nécessaire chantier de la transformation numérique dès 2018 mais, comme l’a souligné la rapporteure, la crise a mis en évidence les carences de l’outillage informatique de la justice. Vous en accélérez la mise en route dans les directions du ministère sous la forme du télétravail ; c’est très bien, mais nous sommes encore loin du compte pour les équipements dont sont dotés les tribunaux, alors même que la crise sanitaire a encore allongé les délais de traitement des procédures. C’est un des enjeux de la justice de proximité ; j’approuve donc les recommandations de notre rapporteure sur ces sujets. Nous contrôlerons l’application de ces mesures avec vigilance.

L’aide juridictionnelle fait l’objet de débats récurrents. Elle permet en effet l’accès de tous à la justice et, en ces temps de crise, c’est un outil puissant de lutte contre la précarité. Mon collègue Philippe Gosselin et moi-même avons rendu à ce sujet un rapport d’information dont les conclusions sont presque identiques à celles de la mission relative à l’avenir de la profession d’avocats à laquelle j’ai participé sous la présidence de M. Dominique Perben. Je constate avec satisfaction que certaines des mesures que nous avons préconisées ont été adoptées ; surtout, nous avons enfin un calendrier de dématérialisation de l’aide juridictionnelle, enjeu majeur de la simplification de l’accès au droit. Nous sommes sur la bonne voie.

Parler de l’aide juridictionnelle, c’est parler d’un million de demandeurs et d’un budget d’un demi-milliard d’euros ; c’est beaucoup. Je me réjouis que le PLF ne fasse pas l’impasse sur le sujet, alors que ce budget n’avait pas été augmenté depuis quatre ans. Surtout, 50 millions d’euros supplémentaires sont prévus, soit 10 % du budget total de l’aide juridictionnelle. Cette hausse considérable permettra, je l’espère, de suivre les recommandations du « rapport Perben » visant à revaloriser l’unité de valeur dont le niveau, insuffisant, est inadapté à la réalité des charges qui pèsent sur l’avocat, et à parfaire les barèmes en mettant l’accent sur l’assistance éducative, la rétribution de l’avocat de la partie civile, les modes alternatifs de règlement des conflits et les frais de déplacement pour les avocats de province. Mais j’aimerais que nous allions plus loin, et je suis sûre que nous trouverons les moyens de traduire le progrès qui reste à accomplir dans le PLF pour 2021 ; pouvez-vous nous dire de quelle manière, monsieur le ministre ?

M. Antoine Savignat. Ce serait donc un budget historique, caractérisé par une hausse inégalée pour permettre à la justice de fonctionner un peu mieux. La question des moyens est cruciale, mais on reste loin de l’investissement nécessaire pour réparer la machine et la faire fonctionner correctement. Les conditions de travail et les moyens des juges restent déplorables, le parc pénitentiaire est sans conteste insuffisant, l’exécution des peines tardive et illisible… Ce budget est à l’image de la justice : loin derrière les autres, puisque treizième sur les trente-quatre missions budgétaires. C’est effectivement un budget historique en ce qu’il appartient à l’histoire puisqu’il a été voté à l’euro près en 2019 dans la LPJ. Il comporte des hausses d’effectifs en trompe-l’œil, qui ne compensent pas, ou à peine, les départs en retraite et l’on a recours à des contractuels au lieu de créer des postes de long terme. Certes, les crédits de la justice augmentent de 6,2 % et ceux de l’administration pénitentiaire de 9 %, mais souvenons-nous de la baisse, elle aussi historique puisque supérieure à 45 %, infligée au fonctionnement de la justice judiciaire dans le budget 2020. Le retard est immense et il n’est pas certain que cette augmentation substantielle suffise à pallier les carences.

Pour l’administration pénitentiaire, les autorisations d’engagement sont historiquement hautes car liées à la nécessaire création de 7 000 places de prison, mais l’exercice 2021 ne verra pas d’amélioration significative avec seulement 4 % de crédits de paiement en plus. De même, la baisse de 2,51 % opérée en 2020 pour la conduite et le pilotage de la politique de la justice sera-t-elle compensée par la hausse de 10,57 % annoncée ? On peut en douter tant le chemin à parcourir est long.

Le PLF pour 2021 prévoit 1 500 postes supplémentaires pour l’ensemble du ministère. Parmi eux, 1 092 iront à l’administration pénitentiaire, dont 300 pour combler les vacances de postes au sein du personnel de surveillance, 90 pour compenser ce qui n’a pas été fait l’an dernier, 300 pour les SPIP dans le cadre de la réforme de la justice et 415 pour l’ouverture de nouveaux établissements. Seront aussi créés 50 postes de magistrats. C’est positif mais insuffisant : l’an dernier, on en a recruté 100. Le « bleu budgétaire » montre qu’au titre de son objectif de qualité, la direction des services judiciaires a pour seul critère le raccourcissement des délais, comme le regrette Mme Sophie Legrand, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature.

Les 200 millions d’euros supplémentaires au regard de la LPJ ne sont en fait que le report annoncé dès le 29 octobre 2019 en séance publique par la ministre de la Justice de l’époque, alors interpellée sur le non-respect de la LPJ pour 2020 : la hausse proposée est un simple rattrapage dû au décalage dans le temps de projets immobiliers. Le budget de la justice pour 2021 n’a donc rien de révolutionnaire et se limite à respecter la volonté du législateur, ce qui est la moindre des choses. En appliquant la LPJ, au demeurant insuffisante dès sa promulgation, le Gouvernement impose un budget qui ne permettra pas de répondre aux besoins réels de la justice, ni même de faire face aux conséquences de la crise sanitaire. La justice, qui a souffert pendant le confinement, ne bénéficiera pas du plan de relance, notamment pour réduire les délais, toujours trop longs, de traitement des dossiers. En outre, de nombreuses réformes engagées n’avaient pas été prises en compte dans l’élaboration de la LPJ. L’extension de l’expérimentation des cours criminelles demandera plus de moyens humains et matériels pour que ces cours fonctionnent parallèlement aux cours d’assises ; cette expérimentation à elle seule absorbe potentiellement les 50 créations de postes de juges, si bien qu’il en manque. L’entrée en vigueur du code de justice des mineurs exigera pendant la période transitoire des moyens humains considérables pour solder les dossiers en cours, ce qui n’avait pas été pris en compte dans la discussion de la LPJ.

Le budget de la justice pour 2021 comporte des améliorations éminemment prévisibles puisque déjà votées mais il ne prend pas en considération des éléments nouveaux qui le grèveront et le rendront encore insuffisant pour permettre à la justice de faire face. Bien plus : le recours massif aux vacataires n’apportera pas de solution durable et contribue à la grande précarisation de notre justice. Le groupe Les Républicains qui, la jugeant insuffisante, n’avait pas voté la LPJ, ne pourra voter ce budget qui en est la fidèle application.

M. Erwan Balanant. Le groupe du Mouvement Démocrate et Démocrates apparentés se félicite de l’accroissement historique des crédits alloués au ministère de la Justice. La hausse de 8,2 % présentée dépasse ce que prévoyait la LPJ. Le PLF participe ainsi nettement à l’ambition affichée dans ce texte d’augmenter le budget de la justice de 24 % entre 2018 et 2022. L’augmentation est primordiale pour pallier les défaillances, encore trop nombreuses, de notre appareil judiciaire.

Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a indiqué vouloir renforcer la justice de proximité pour lutter contre les incivilités et les délits du quotidien. Nous partageons cette préoccupation. J’avais contribué à la création de la contravention d’outrage sexiste et j’aurais apprécié que son effectivité soit renforcée ; les moyens déployés pour sanctionner les auteurs de cette infraction seront-ils augmentés ?

Les renforts attendus permettront, avez-vous dit, monsieur le ministre, de réduire significativement les délais de jugement en 2021 ; de combien de mois ?

Notre société carcérale est en proie à de nombreux maux. Les principaux sont les mauvaises conditions de détention et une surpopulation massive qui gangrène notre administration pénitentiaire au point de transformer certains établissements en lieux de déshumanisation. La hausse, significative, de 7,8 % des crédits alloués, soit 308 millions d’euros, vise à moderniser l’administration pénitentiaire, notamment pour améliorer la prise en charge des personnes écrouées et des prévenus. D’autre part, 82 millions d’euros sont consacrés au développement des peines alternatives à l’incarcération. Ce choix pertinent confirme l’idée qu’une peine efficace ne doit pas être synonyme d’emprisonnement, comme nous l’avions souligné lors des travaux parlementaires sur la LPJ. Mais vous avez rappelé que pour les infractions les plus graves, l’incarcération est parfois inévitable. Pour cette raison, un budget important, de 490,7 millions d’euros est consacré à des travaux de rénovation et d’entretien des établissements et à la création de 15 000 places de prison supplémentaires.

Le budget alloué à la PJJ augmente de 5,6 % avec la création de 40 emplois ; sont ainsi mobilisés 33 millions de crédits supplémentaires, dont 20 millions destinés au développement de réponses pénales rapides. Comment ces crédits seront-ils répartis entre les services de réparation pénale et les dispositifs de mise en œuvre rapide de ces mesures ? Quels moyens seront alloués à l’expérimentation de la mesure de médiation pénale lors de l’entrée en vigueur du futur code de justice pénale des mineurs ?

L’augmentation des crédits affectés au programme « Accès au droit et à la justice » vise notamment à améliorer l’accompagnement des victimes. Envisagez-vous d’augmenter les moyens destinés à fluidifier les procédures d’enquête auxquelles les victimes mineures doivent se soumettre, par exemple en procédant à l’enregistrement vidéo de leurs dépositions ?

Enfin, 158 millions d’euros consacrés aux investissements informatiques contribueront à l’utile poursuite du plan de transformation numérique de la justice, nécessaire pour garantir de meilleures conditions de travail au personnel judiciaire et un accès amélioré au service de la justice pour les citoyens. Notre groupe approuve la numérisation, mais celle‑ci ne doit pas supplanter la relation humaine indispensable à la qualité du lien entre le justiciable et les métiers de justice.

Notre groupe approuve l’augmentation des crédits de la justice, qui dépassent les objectifs déjà très ambitieux fixés dans la LPJ. Pour continuer à moderniser notre système carcéral, j’aimerais quelques précisions sur les crédits que vous envisagez d’allouer au module Respect. Les résultats des expérimentations de ce dispositif, qui permet aux détenus de disposer de la clé de leur cellule, sont extrêmement encourageants, notamment en termes de perspective de réinsertion ; il serait bon de le généraliser.

Mme Cécile Untermaier. Parce que nous ne pouvons ignorer le cadre européen, je rappelle que la France se situe au vingt-troisième rang des quarante-sept pays du Conseil de l’Europe pour ce qui est du budget consacré à la justice par habitant, et à l’avant-dernier rang pour le nombre de ses procureurs – ils sont trois pour 100 000 habitants –, eux qui ont, après leurs collègues luxembourgeois, le plus grand nombre de fonctions à remplir et de dossiers à traiter. Tel est le contexte que nous devons gérer depuis plusieurs années. Vous avez annoncé une augmentation, dite historique, de 8 % du budget de la justice. Je ne me livrerai pas à une bataille de chiffres ; en tout cas, le budget va dans le bon sens, celui d’une augmentation que nous devons évidemment saluer, même si ce n’est pas un événement puisque c’est ce que nous essayons de faire depuis plusieurs années. Et si l’on peut avoir une augmentation plus forte encore, vous pouvez compter sur nous pour vous soutenir, monsieur le ministre.

Si le problème de la justice est son budget, il faut s’assurer que l’augmentation des crédits s’accompagne d’une gestion optimale répondant aux objectifs que nous attendons tous du service public de la justice. Or, il ressortait de l’enquête menée en 2018 par la Cour des comptes à la demande du président de la commission des Finances que la planification et la gestion des crédits du ministère de la Justice devaient être sérieusement revues. C’est indispensable, puisqu’en dépit de l’augmentation des moyens depuis 2013, la performance des juridictions judiciaires s’est globalement dégradée. La Cour, évoquant des modalités insatisfaisantes, sinon inexistantes, de mesure de l’activité des juridictions et d’allocation des moyens nécessaires à leur fonctionnement, préconise l’élaboration d’un outil de pilotage intégré ; qu’envisagez-vous à ce sujet ?

D’autre part, les magistrats, avocats, greffiers et le Conseil supérieur de la magistrature, qui devront tous remplir leur mission avec les moyens qui leur sont alloués sont‑ils consultés au moment de l’élaboration du budget ? Peut-on la concevoir plus transversale que ne la pensaient vos prédécesseurs ?

Comme pendant le précédent quinquennat, on parle beaucoup du pénal, moins de la justice civile qui connaît un problème structurel. Comment garantir que l’augmentation du budget et des emplois permettra de réduire les délais de jugement ? La loi ne devrait-elle pas nous y aider en les encadrant, même largement, sauf à la juridiction de produire un procès‑verbal d’empêchement ? La transformation numérique étant le talon d’Achille du ministère de la Justice, je vous serais obligée de confirmer que la justice civile sera prioritairement l’objet de toutes les attentions numériques, puisque nous avons constaté lors du confinement qu’elle n’est pas en mesure de passer au télétravail.

Enfin, la France a encore une fois été condamnée par la CEDH en janvier 2020 en raison de la surpopulation carcérale ; elle le sera sans doute à nouveau. Pouvons-nous compter sur plus de lisibilité et de concertation au sujet du plan immobilier pénitentiaire de 15 000 places ? Il est nécessaire qu’à l’appui des amendements que vous déposerez, des critères aient été définis qui nous permettent de comprendre précisément les fondements de la décision publique au moment d’entreprendre des opérations engageant des crédits importants.

M. Dimitri Houbron. J’ai pris connaissance avec enthousiasme du budget de la mission « Justice » du PLF 2021, qui illustre la volonté véritable de rehausser l’efficacité de l’action du ministère. Tous les programmes verront leur budget augmenter et 2 450 recrutements auront lieu dont ceux de 50 magistrats supplémentaires. Je note également un effort budgétaire en faveur de l’investissement immobilier qui permettra, entre autres, la construction de la cité judiciaire de Cayenne et d’un nouveau tribunal judiciaire pour Lille, l’actuel n’étant plus aux normes depuis la fin des années 2000.

L’important accroissement des crédits alloués à l’investissement immobilier pénitentiaire intervient alors que, le 2 octobre dernier, le Conseil constitutionnel a jugé qu’il incombe au législateur de garantir aux personnes placées en détention provisoire la possibilité de saisir le juge si elles s’estiment détenues dans des conditions contraires à la dignité de la personne humaine. L’emprisonnement est certes une sanction, mais les conditions de l’incarcération jouent un rôle central dans la réussite de la réinsertion ultérieure. Nous devons assurer aux détenus des conditions de détention respectueuses de la dignité humaine. Cela passera notamment par la construction de nouvelles places de prison, comme ce PLF le permet en accordant des moyens historiques à l’amélioration du fonctionnement du seul ministère qui porte le nom d’une vertu et qui est, à raison, l’objet de tant d’attentes des Français.

Vous prévoyez de recruter 950 personnes, au nombre desquelles je ne vois pas mentionner les délégués du procureur, qui jouent pourtant un rôle central dans la justice de proximité. D’autre part, sur les 17 millions d’euros consacrés à l’accélération et à la diversification de la réponse pénale, combien seront spécifiquement consacrés aux travaux d’intérêt général ? Les ressources financières allouées à l’aide juridictionnelle augmentent, ce que je salue, comme la volonté affirmée de développer les modes de résolution amiable des conflits. Enfin, quelle entreprise a été choisie pour fabriquer les bracelets anti-rapprochement tant attendus pour empêcher les violences conjugales ? Où seront stockées les données personnelles recueillies par ce biais ? L’objectif est de mettre à disposition 2 000 de ces appareils d’ici à 2021 ; quel est-il à l’horizon 2023 ?

Le groupe Agir ensemble votera les crédits de cette mission.

M. Jean-Félix Acquaviva. Le Gouvernement fait état d’un budget historique pour la justice pour mettre en œuvre la LPJ. Cela est vrai : les crédits de paiement du ministère augmentent de 7,13 % en 2021, après une hausse de 2,8 % en 2020. L’exercice à venir verra aussi la création de 1 500 emplois qui s’ajouteront aux créations d’emplois autorisées en fin de gestion 2020 pour la justice de proximité et qui s’additionnent au millier d’emplois créé en 2018 puis en 2019. Cela étant, nous assistons à une forme de rattrapage, dans la mesure où la France, nous le répétons chaque année, ne se situe pas dans le peloton de tête des pays de l’OCDE qui consacrent un budget important à leur système judiciaire. Alors, est-ce suffisant ? Certainement pas, mais la trajectoire est la bonne ; tenons-la ! Nous comptons sur votre détermination, dont nous avons encore eu un aperçu aujourd’hui, monsieur le ministre.

Nous avons noté une politique volontariste au sujet des frais de justice, dont les crédits augmentent très sensiblement par rapport à l’an passé. C’est important, car cela concerne par exemple l’accueil des victimes au sein des unités médico-judiciaires ou la systématisation des enquêtes sociales rapides.

L’autre point qui tient à cœur aux membres du groupe Libertés et territoires est la mise en œuvre de la justice de proximité. Lors du débat sur la réforme de la justice, nous n’avons pas soutenu les mesures qui tendaient à déshumaniser la justice, à trop spécialiser les petits tribunaux pour les sauver, disait-on, ou à déjudiciariser certains litiges. À notre sens, c’est de juges et de greffiers que la justice a besoin avant tout, non de savants calculs visant à réaliser des économies de-ci de-là. Sans ignorer le contexte particulier de la crise sanitaire, nous devons souligner la dégradation des délais de jugement : de janvier à mai 2020, le stock d’affaires civiles s’est accru de 18 000. D’autre part, malgré les promesses de nouvelle échelle des peines, le taux d’aménagement de peine devrait stagner, tandis que le taux de mise en exécution des peines d’emprisonnement ferme à douze mois restera de 82 %.

Le projet de loi ratifiant l’ordonnance du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs n’a toujours pas été examiné par le Parlement. Les dispositions résultant de cette ordonnance devaient entrer en vigueur le 1er octobre 2020, précisément pour donner au législateur le temps de les examiner et, le cas échéant, de les modifier et de les enrichir. Pourtant, la partie réglementaire de ces ordonnances est en passe d’être adoptée, ce que dénoncent certains syndicats de la justice.

Enfin, la modernisation du service public pénitentiaire attendue doit inclure le renforcement de la sécurité des personnels et des établissements pour lutter contre la violence et la radicalisation violente. Alors que les violences entre détenus et à l’encontre du personnel sont les incidents les plus fréquents dans les établissements pénitentiaires, les mesures prises par l’administration pour les prévenir et les sanctionner plus sévèrement n’ont pas encore produit les effets escomptés. C’est ainsi que, depuis juillet, dix véhicules de surveillants de la prison de Borgo, en Haute-Corse, ont été brûlés.

En dépit de ces réserves, le groupe Libertés et territoires porte une appréciation positive sur les crédits de cette mission.

M. Pascal Brindeau. Monsieur le garde des Sceaux, je sais sincères votre enthousiasme et vos ambitions pour la justice mais les chiffres sont têtus : les 8,2 milliards d’euros inscrits au présent projet de budget ne sont, à l’euro près, que les crédits prévus par la LPJ. De ce point de vue, il n’y a pas encore d’« effet Dupond-Moretti » sur le budget de la justice. Nous savons aussi que ce budget est présenté dans le contexte d’une crise sanitaire qui se prolonge et qui pourrait avoir les mêmes effets qu’elle a eus au printemps sur le fonctionnement de l’institution judiciaire ; que la recrudescence de la menace terroriste demandera nécessairement des réponses judiciaires proactives ; que plusieurs réformes annoncées peuvent avoir un impact sur le bon déroulement de la consommation des crédits de votre ministère. Sans me lancer dans une bataille de chiffres, je note que le « bleu budgétaire » montre un budget en progression de 607 millions d’euros mais que l’exécution 2020, qui n’est pas totalement de votre fait, est en retrait de 417 millions ; autant dire que l’on n’est pas encore revenu au volume général de ressources prévu dans la LPJ. En outre, le budget de la justice représente toujours 3 % environ du budget de l’État, sans que cette proportion progresse.

Je retiens au moins deux points positifs : les efforts de lutte contre la radicalisation en milieu pénitentiaire et la progression des emplois pour la justice de proximité. Mettre un assistant de justice à la disposition d’un magistrat peut permettre de doubler le nombre de dossiers traités, avez-vous dit ; mais ne recruter que 50 magistrats limite l’effet positif de cette assistance.

Je vous sais attaché à l’aide juridictionnelle, clé d’entrée de l’accès à la justice pour les plus fragiles de nos concitoyens ; cependant, même si des efforts sont faits, nous savons tous que les moyens supplémentaires alloués ne sont pas à la hauteur des enjeux.

Vous avez dit votre vision de la politique carcérale, de la détention provisoire en particulier, et je suis en désaccord à peu près total avec ce que vous préconisez. Bien sûr, la peine privative de liberté est d’abord un échec ; c’est toujours le dernier recours, et je ne pense pas qu’un seul magistrat, un seul procureur de France n’en ait pas conscience. Vous avez dit qu’incarcérer un jeune homme, c’est lui donner des galons dans sa cité. Soit, mais c’est aussi lui donner des galons de le laisser perpétrer répétitivement des agressions physiques ou des trafics de drogue. Ces exemples ne sont pas des clichés ; ils traduisent la réalité que vivent certains de nos concitoyens, et pas seulement dans les banlieues. Je me mets du côté de la société, la victime, pour vous dire que beaucoup de nos concitoyens ne comprennent pas la justice, souvent peu claire à leurs yeux et trop peu rapide ; surtout, ils constatent que les peines qui devraient être effectuées ne le sont pas en totalité.

Le groupe UDI et Indépendants ne s’associera pas aux votes favorables aux crédits de la mission « Justice ».

M. Ugo Bernalicis. Il n’y a pas de « budget Éric Dupond-Moretti » pour 2021 mais un rattrapage des crédits prévus dans la LPJ, insuffisants en soi et que le groupe La France insoumise avait tenté, en vain, de rehausser par des amendements. Rattrapage, donc, puisque l’addition des budgets de la justice des trois dernières années est exactement celle que prévoyait la LPJ, avec une variante : l’année dernière, il y avait moins, cette fois il y a un petit peu plus. Mais, à chaque fois, c’est l’administration pénitentiaire qui tire son épingle du jeu : très largement l’an dernier, un petit peu plus cette année. Cela devrait nous faire nous interroger sur la fongibilité des crédits.

En matière pénale, le budget des frais d’expertise augmente de 127 millions d’euros. Je suis favorable à cet accroissement, mais je ne me l’explique pas. Pourquoi donc un tel besoin, quand toutes les personnes auditionnées dans le cadre de la commission d’enquête que Didier Paris et moi-même avons conduite ont affirmé qu’il n’y a jamais de frein budgétaire aux expertises demandées par les magistrats ? Sans doute y a-t-il une explication rationnelle à cet accroissement mais elle m’échappe d’autant plus que l’effort n’est pas le même en matière civile, qui fait pourtant l’essentiel de l’activité des juridictions. Aujourd’hui, il faut dix-sept mois pour qu’un juge aux affaires familiales traite un dossier ; tel est le délai auquel les citoyennes et les citoyens français ont à faire face pour la masse du contentieux.

D’autre part, le schéma d’emplois prévoit un nombre fluctuant de recrutements de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation ; les chiffres variant selon les pages – 235 ? 300 ? –, on ne sait lequel croire. Vous-même annoncez 350 primo-recrutements ; c’est bien, mais pour avoir le solde, il faut aussi recenser les sorties. D’ailleurs, vous annoncez 2 400 recrutements en tout au ministère de la Justice, mais quand on additionne l’évolution des emplois pour les différentes missions, on en trouve 1 490. L’attention s’impose sur les chiffres avancés pour ne pas se faire avoir.

Vous avez parlé des alternatives à l’incarcération. Je souscris à votre analyse : la prison est criminogène. Pourtant, le budget du placement à l’extérieur stagne à 8 millions d’euros, alors qu’il était encore de 9 millions en 2016. Pourtant, on ne peut tout miser sur la détention à domicile sous surveillance électronique ; il faut se donner tous les moyens sur tous les sujets, et je déplore que rien ne traduise dans les autorisations d’engagement la dimension pluriannuelle prévue pour ceux qui s’engagent dans des dispositifs de placement à l’extérieur.

Au lieu des 100 millions d’euros préconisés par le rapport Perben, 50 millions supplémentaires sont prévus pour l’aide juridictionnelle ; je présenterai des amendements à ce sujet. Enfin, je ne sais s’il y a vraiment lieu de se réjouir du recrutement de 50 magistrats supplémentaires en 2021 quand ils étaient 100 en 2020.

Je vais faire quatre propositions auxquelles j’espère, monsieur le ministre, que vous ne m’opposerez pas le mur des « non » et des non-réponses, comme on le fait d’habitude. Elles sont issues du rapport sur les obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire que Didier Paris et moi-même avons rendu et que je vais vous remettre immédiatement, parce que je vous ai demandé des rendez-vous et que mes demandes sont restées sans suite – ne vous emportez pas, monsieur le ministre. La première proposition est de soumettre pour avis l’avant-projet de budget de la justice au Conseil supérieur de la magistrature ; la loi ne l’empêche pas, mais elle n’y oblige pas, et je suis sûr que les sujets d’indépendance de la justice vous préoccupent. La deuxième est de revoir la cartographie budgétaire en revenant à un système où chaque cour d’appel est dotée d’un budget opérationnel de programme. La troisième est de mettre en place une comptabilité analytique à la chancellerie, l’un des rares ministères qui n’en a pas encore ; c’est regrettable si l’on veut se donner les moyens de piloter une politique publique aussi importante. La dernière proposition traduit une demande unanime des personnes que nous avons auditionnées : scinder le budget de la mission pour créer une mission « Justice » uniquement consacrée à la justice judiciaire, et une autre aux programmes d’administration pénitentiaire. Tout le monde y gagnerait.

M. le garde des Sceaux. Madame Moutchou, vous vous préoccupez de la rémunération des avocats qui interviennent à l’aide juridictionnelle. Une recommandation à ce sujet figurait dans le rapport que vous avez rédigé avec M. Gosselin et dans le rapport Perben. Parce que la profession connaît de grandes difficultés économiques, nous avons pris cette recommandation en considération sans attendre, après une concertation fructueuse dans le cadre du Conseil national de l’aide juridique. En tout, 50 millions d’euros seront mis sur la table dès le 1er janvier 2021 pour revaloriser le montant de l’unité de valeur et surtout refondre le barème de l’aide juridictionnelle : nous rémunérerons mieux la médiation, dont la prise en charge sera triplée. La somme n’est pas négligeable, et c’est un gage de crédibilité donné à la profession pour enclencher le travail nécessaire. C’est une première marche. La concertation engagée marque le début d’un processus que je souhaite global. Je recevrai demain la présidente du Conseil national des barreaux, la présidente de la Conférence des bâtonniers et le bâtonnier du Barreau de Paris pour expliquer ma démarche, qui vise une réforme ambitieuse. Ces 50 millions d’euros représentent une hausse de 10 %, déjà massive. Je souhaite qu’elle puisse être complétée à l’issue de la concertation et au regard des résultats obtenus dans ce cadre. Je note avec plaisir que le sujet réunit le groupe de La France insoumise, les socialistes et Les Républicains ; c’est suffisamment rare pour être souligné.

Monsieur le député Savignat, je trouve votre raisonnement extraordinaire…. Vous dites que ce budget est le rattrapage de la LPJ, ce qui n’est pas vrai, je le redirai autant de fois qu’il le faudra.

M. Antoine Savignat. Cela n’en fera pas une vérité.

M. le garde des Sceaux. Non plus que ce que vous dites, si bien que nous sommes à égalité pour ce qui est des mots ; mais, s’agissant des chiffres, la réalité est celle que j’ai décrite et que vous ne voulez pas entendre – peut-être est-ce le jeu de l’opposition politicienne, je découvre ces choses depuis peu de temps et elles m’émerveillent parfois. Vous expliquez qu’il y a une hausse mais qu’elle n’est pas suffisante, si bien que vous ne voterez pas ce budget. Aurais-je dû présenter un budget à la baisse pour que vous le votiez ? Alors qu’il n’y a pas eu de budget de la justice comparable à celui-ci depuis vingt-cinq ans, vous me reprochez en somme de le présenter en augmentation !

Les recrutements en emplois pérennes supposent que ceux qui les occupent aient suivi une longue formation. Seul le recours aux contractuels permet d’aider les juridictions immédiatement. Je rappelle qu’il n’y a plus de vacances de postes de magistrats, et que d’ici à la fin de l’année 2021, il n’y aura plus de vacances chez les greffiers.

À M. Erwan Balanant, qui veut en savoir plus sur les suites données à l’outrage sexiste, je peux dire qu’en septembre dernier, 2 000 infractions avaient été relevées et 142 sanctionnées. Le temps que l’arrivée des nouveaux personnels en juridiction fera gagner est difficilement quantifiable, chacun en conviendra, mais l’« injection » de contractuels équivaut à l’ingestion de sucres rapides, avec un effet immédiat pour la justice de proximité. Le temps gagné par les juges sera consacré à résorber les stocks mais aussi à aller, en véhicules verts, vers les justiciables les plus démunis. Il a été dit tout à l’heure que la justice n’avait rien à prendre dans le plan de relance ; ce n’est pas le sujet qui nous réunit aujourd’hui mais ce n’est pas exact.

Rien du programme immobilier n’est ourdi en secret, et Mme la députée Untermaier comme les autres commissaires peuvent être associés à son évolution par une communication régulière ; les députés exerceraient ainsi pleinement le contrôle démocratique de l’action du Gouvernement. La justice civile est en panne, c’est vrai. J’ai dressé dans mon propos liminaire la liste détaillée des recrutements de titulaires et de contractuels prévus en 2021 ; je n’y reviens donc pas.

M. Houbron m’a interrogé sur les fabricants des bracelets anti-rapprochement. Le marché public de l’extension du système d’information a été remporté par la société Worldline, celui des équipements a été attribué à l’entreprise G4S et celui de télé-assistance et de télésurveillance à Allianz.

Nous recourrons davantage aux délégués du procureur : 28 millions d’euros seront prévus à cet effet. Ils sont actuellement 919 ; soit nous en recruterons davantage, soit nous leur permettrons de travailler plus. Notre objectif est de doubler leur nombre car ils pourront, quand ils iront au contact de la délinquance de basse intensité, apporter une réponse immédiate. La détention peut être utile, même pour des gamins, mais elle a parfois des effets pervers – tout est question de nuance, ce à quoi je m’attache plutôt que de me laisser emporter par je ne sais quel vent mauvais. Parlant de ces questions avec les procureurs généraux, je leur ai posé une question à laquelle je connais la réponse, ayant vécu ces situations comme avocat : mieux vaut-il une peine de travail non rémunéré avec intervention possible du délégué du procureur ou deux mois d’emprisonnement avec sursis prononcés dix-huit mois après la commission de l’acte délictueux ? Un procureur général m’a répondu : « Mort de rire ! » – voilà comment le condamné peut recevoir l’énoncé de sa peine après un an et demi… De fait, cela n’a aucun sens. C’est dire l’importance du rôle des délégués du procureur.

Monsieur Acquaviva, j’ai saisi une mission d’inspection générale de la situation pénitentiaire à Borgo ; je n’en dirai donc pas plus ici. Nous attendrons que les magistrats indépendants qui la composent aient achevé leurs travaux, dont les conclusions seront peut-être rendues publiques et seront en tout cas communiquées à la représentation nationale.

Concernant le code de justice pénale des mineurs, je me suis engagé à ce que le Parlement en examine prochainement les dispositions.

Monsieur Brindeau, il est absolument certain que la prison ne peut pas être la seule réponse pénale. Telle qu’elle est conçue depuis des siècles, telle que l’a étudiée Michel Foucault, elle a trois objectifs : punir, protéger la société d’un individu dangereux et réinsérer. On sait qu’elle est criminogène : si elle éloigne parfois de la délinquance, elle peut aussi y ancrer davantage le détenu. On est parfois émerveillé, en revanche, des résultats des projets pédagogiques destinés à des gamins souvent défavorisés – j’ai horreur que l’on parle, avec mépris, de culture de l’excuse : chacun est le fruit de son histoire, et les choses sont plus compliquées pour un gamin né dans des conditions difficiles ; sans qu’il soit voué à devenir un délinquant, il existe à son endroit ce que l’on appelait des circonstances atténuantes quand cette notion existait encore dans le code pénal. Ces sujets méritent donc d’être abordés avec nuance.

Les juristes assistants ne sont pas des assistants de justice, mais des jeunes de niveau bac plus quatre. J’aurais préféré que le budget de la justice soit cinq ou dix fois supérieur ; il n’en demeure pas moins, de tous les budgets régaliens, celui qui connaît la plus forte augmentation.

M. Ugo Bernalicis. Ce n’est pas vrai !

M. le garde des Sceaux. Si, voyez les chiffres !

Je l’ai dit, il n’y a pas de vacance de postes de magistrat. Les juristes assistants font un travail effectif de juriste : ils ne décident pas, mais recherchent la jurisprudence ou analysent des pièces. On dit que chacun d’entre eux permet de doubler la capacité de jugement d’un magistrat. En Allemagne, pays que l’on cite souvent en exemple, les magistrats sont entourés d’une équipe de juristes assistants.

Pour en venir à citer le Syndicat national de la magistrature, la droite doit vraiment être à court d’arguments… Je vous amène un beau budget, vous trouvez que ce n’est pas assez ; que voulez-vous que je vous dise ?

Monsieur Bernalicis, je me félicite d’autant plus de l’augmentation du budget de la justice qu’elle vous permettra de déposer toutes les plaintes que vous voulez. Je vous rappelle que votre patron a été condamné pour avoir bousculé un juge et l’avoir insulté !

M. Ugo Bernalicis. Gardez votre calme, monsieur le ministre !

M. le garde des Sceaux. Je suis très calme. « Moi, la République » a bousculé un juge et deux policiers et a été condamné pour cela !

M. Alexandra Louis. Merci aux rapporteurs de leur travail. Le budget de la justice, en souffrance depuis des années, connaît pour la première fois depuis longtemps une hausse significative – même si on peut toujours en vouloir davantage.

La codification et la réforme de l’ordonnance de 1945 vont marquer un tournant en matière de justice des mineurs : elles permettront une réponse pénale plus rapide et plus adaptée. Le budget alloué à la protection judiciaire de la jeunesse augmente de 5,6 % ; après 18 millions d’euros l’an dernier, sa revalorisation est de 50 millions en crédits de paiement cette année, en toute cohérence avec les ambitions de la réforme. Mais qui dit réforme procédurale dit réorganisation. L’an dernier, Nicole Belloubet avait annoncé d’importants moyens pour accompagner la transition et pour tenir les nouveaux délais. Pourriez-vous détailler ces moyens et les mesures qu’ils permettront ?

Dans le cas des mineurs comme des adultes, il s’agit de donner un sens à la peine, pour les délinquants, la société, mais aussi les victimes. C’est l’intérêt de la nouvelle procédure de mise à l’épreuve éducative. Les crédits de l’action 01 du programme 182, « Mise en œuvre des décisions judiciaires », augmentent de 9,8 %, soit 32 millions d’euros, dont 20 millions destinés à permettre une réponse pénale rapide, notamment dans le cadre de la justice de proximité évoquée par Bruno Questel dans son rapport. Vous avez évoqué une réforme permettant moins d’incarcérations, ce qui n’équivaut pas à du laxisme puisqu’il existe toute une gamme de possibilités alternatives. Comment cette réponse pénale rapide va‑t-elle se concrétiser ?

M. Philippe Gosselin. Personne ne conteste l’effort budgétaire consenti, mais d’importantes questions demeurent.

Concernant les conditions d’incarcération, le programme immobilier prévu dans la loi de programmation n’est pas respecté ; j’aimerais obtenir sur ce point des engagements de votre part.

Concernant la numérisation, sans mettre en cause une quelconque catégorie de personnel, les liaisons informatiques ont été bien indigentes pendant le confinement, et la justice en a été ralentie. Il va falloir passer à la vitesse supérieure, et pour longtemps, mais sans perdre les justiciables en route.

L’augmentation de 50 millions d’euros du budget de l’aide juridictionnelle n’est pas négligeable, mais c’est à une centaine de millions que Naïma Moutchou et moi-même, de façon transpartisane, avons estimé les besoins, qui ont été confirmés par la mission Perben. S’ils ne sont pas alloués cette année, qu’en sera-t-il par la suite ?

Mme Nicole Dubré-Chirat. Merci de ce budget au service des justiciables et des conditions d’exercice des fonctionnaires concernés.

Vous avez parlé de 7 000 places de prison supplémentaires d’ici à 2022. Le retard pris en la matière vous conduit-il à revoir vos orientations, sachant qu’il était question à la fois de transférer des places existantes et d’en créer de nouvelles ? Allez-vous modifier le nombre de places dans les quartiers pénitentiaires dédiés à la radicalisation ?

Vous prévoyez de créer vingt nouveaux centres éducatifs fermés, mais le taux d’occupation des CEF stagne à 68 %. Y a-t-il lieu de remettre en cause leur fonctionnement et de prendre, dans ce domaine aussi, de nouvelles orientations ?

Le traitement du stock de dossiers par requalification et décision sans audience, expérimenté pendant le confinement et dont le bilan est plutôt positif, va-t-il continuer ? Même question concernant les audiences à distance, qui ont donné satisfaction, notamment, dans ma circonscription, concernant les hospitalisations sans consentement en psychiatrie.

Enfin, la médiation, initialement peu prisée des avocats, ne peut que leur bénéficier, ainsi qu’aux justiciables, en limitant ou en évitant le recours à une action judiciaire longue et coûteuse.

M. Thomas Rudigoz. À l’occasion de la réunion qui s’est tenue jeudi dernier, à l’Élysée, en présence du Président de la République, entre vous-même, le ministre de l’Intérieur et les syndicats de policiers, vous avez déclaré que la prison est criminogène, ce que vous venez de répéter ici même, et ajouté qu’elle était un facteur de radicalisation. Selon les documents budgétaires, le renseignement pénitentiaire poursuit sa montée en puissance et les équipes pénitentiaires se professionnalisent au sein de la communauté du renseignement. Depuis trois ans, le Gouvernement lutte résolument contre les violences en milieu fermé et ouvert ; dans ce cadre ont été créés des unités spécifiques pour détenus radicalisés et un programme de prise en charge adapté aux terroristes islamistes. Quelles dispositions et quels moyens comptez-vous mettre en œuvre en 2021 en matière de renseignement pénitentiaire et pour développer ces unités ?

M. Rémi Rebeyrotte. Je vous félicite du budget exceptionnel que vous avez obtenu et de votre langage de vérité, qui fait beaucoup de bien.

Quelle part du budget de l’institution judiciaire consacrerez-vous à la montée en puissance des cours criminelles départementales, dont le nombre doit doubler, et comment leur déploiement va-t-il se dérouler ?

Il a été décidé que les transfèrements de prisonniers pourraient être confiés à l’administration pénitentiaire, ce qui déchargerait les forces de police et de gendarmerie de cette tâche. Y travaillez-vous ? En vue de quelle échéance ?

M. Jean-Michel Mis. Je vous félicite à mon tour de l’augmentation du budget de votre ministère, en particulier celui de l’administration pénitentiaire – le mieux doté de la mission, avec 3,3 milliards d’euros –, conforme aux attentes de nos concitoyens comme des personnels pénitentiaires et des familles de détenus.

La maison d’arrêt de Saint-Étienne-La Talaudière fait partie selon votre administration des quinze prisons les plus vétustes de France. Il faut restructurer de tels établissements, et non simplement en construire de nouveaux. Votre prédécesseure s’y était engagée, les travaux ont été lancés, mais la crise ne permet pas de leur faire suivre un rythme aussi rapide que nous le souhaiterions. Le drame que nous venons de vivre ne les rend pourtant que plus urgents : pour lutter contre la radicalisation, il faut améliorer les conditions d’incarcération des détenus et d’intervention en prison de l’éducation nationale et des services psychiatriques.

M. Jean Terlier. Le pire, quand on engage une réforme, est de ne pas se donner les moyens de l’appliquer. Au contraire, ce budget est à la hauteur des ambitions de transformation de la justice pénale des mineurs : parvenir à des délais de jugement satisfaisants – moins de trois mois – et, pour cela, accroître significativement le nombre de magistrats et de greffiers et accélérer la mise en œuvre des mesures éducatives judiciaires – des moyens substantiels sont alloués à la protection judiciaire de la jeunesse. Je vous en remercie, ainsi que du déploiement du bracelet anti-rapprochement pour lutter contre les violences intrafamiliales, car pour qu’une loi soit efficace, son vote doit être suivi des mesures permettant de la concrétiser.

M. Brahim Hammouche. Selon le Conseil national des barreaux, 90 % des patients hospitalisés sous contrainte bénéficient de l’aide juridictionnelle. Mais l’appréciation des dossiers n’est pas uniforme : dans mon département, la prise en charge diffère selon les juridictions. Le Défenseur des droits a souligné en mai 2019 l’injustice que cela représente. Serait-il possible que tous les patients concernés bénéficient de plein droit de l’aide juridictionnelle sans condition de revenus ? Il arrive qu’en une année civile, une personne doive subir plusieurs hospitalisations dans ces conditions.

M. Pierre Morel-À-L’Huissier. Puisque vous êtes là pour faire bouger les choses, j’appelle votre attention sur deux dossiers auxquelles l’administration centrale semble peu favorable : les prisons ouvertes, dont les exemples étrangers confirment pourtant l’intérêt ; l’investissement dans de petites prisons comme celles de Mende, vieillissante, mais implantée au cœur de la ville, dans un environnement très adapté à la réinsertion.

Dans les petits tribunaux, même sans vacance de poste, les délais de nomination peuvent être longs. À Mende, toujours, le tribunal judiciaire attend depuis des mois l’arrivée d’un directeur des services de greffe et le remplacement d’un juge – et la présidente attend, elle, votre visite, monsieur le ministre !

M. le garde des Sceaux. En ce qui concerne les extractions judiciaires, le nombre de détenus ayant dû être remis en liberté d’office parce qu’ils n’ont pas été extraits à temps est un peu inquiétant – c’est un doux euphémisme – et la Covid‑19 aggrave la situation. Une inspection conjointe avec le ministère de l’Intérieur est en cours.

S’agissant des cours criminelles départementales, vous connaissez ma position : je trouve logique que le peuple juge puisque la justice est toujours rendue au nom du peuple français – il faudrait rappeler à ceux qui la trouvent trop laxiste que c’est lui qui décide des peines en matière criminelle. C’est une expérience fantastique pour les jurés, qui découvrent combien c’est difficile, éloigné de ce que l’on en dit, qui apprennent que la rumeur ne peut tenir lieu de preuve et toutes les autres règles qui honorent notre justice lorsqu’elle les respecte. Je suis donc tout à fait favorable aux cours d’assises classiques, qui ont été ma vie pendant trente ans. Laissons les expérimentations se poursuivre ; j’ai par ailleurs demandé à une commission de réfléchir aux améliorations que l’on pourrait apporter au fonctionnement des cours d’assises.

Concernant le centre pénitentiaire de La Talaudière, il a été décidé d’allouer une dotation de 12 millions d’euros à sa rénovation d’ici à 2022, et les travaux de sécurisation, qui devaient s’achever en novembre, seront livrés en janvier 2021. Patience et longueur de temps…

J’en viens à l’aide juridictionnelle. L’objectif est bien d’atteindre les 96 millions d’euros dont nous devons l’estimation à la mission Perben – je sais, monsieur Gosselin, que vous y veillerez –, mais il nous faut d’abord parler avec la profession des conditions d’entrée, d’exercice, de la question délicate de l’avocat en entreprise et des contreparties de la mesure. Je l’ai dit, les 50 millions d’euros sont une première marche – on partait de rien ! Vous refusez de voter le budget parce qu’il augmente, mais pas assez : c’est un peu paradoxal.

En ce qui concerne la mise en œuvre de la justice de proximité en matière pénale, le délégué du procureur peut intervenir par des propositions, du travail non rémunéré, afin de traiter la délinquance de basse intensité, qui pourrit la vie de nos concitoyens. Prenez le phénomène insupportable des rodéos urbains. Nous nous sommes demandé si nous pouvions saisir dans ce cas le scooter – une belle sanction, propre à marquer les esprits.

Mme Emmanuelle Ménard. Et s’il a été volé ?

M. le garde des Sceaux. Si le scooter a été volé, on le rend à son légitime propriétaire. Nous allons nouer des partenariats – parlez-en autour de vous, à Béziers par exemple – avec les élus locaux pour trouver des terrains grillagés où l’entreposer avant de le restituer, que ce soit au propriétaire ou au gamin qui s’en est servi si le véhicule est à lui et s’il a compris la leçon.

Mme Emmanuelle Ménard. Très bonne idée !

M. le garde des Sceaux. Merci de cette quasi-onction !

M. Philippe Gosselin. Extrême-onction ?

M. Éric Dupond-Moretti, ministre de la justice. Oh non, on ne peut pas parler d’extrême à propos de Mme Ménard !

Voilà qui ne concerne pas la moyenne ou la grande délinquance, mais c’est une réponse immédiate pour nos concitoyens.

En matière civile, il s’agit de dégager du temps pour que les magistrats aillent vers les plus défavorisés, auprès desquels ils se rendront en véhicule vert, mais aussi d’orienter ces publics vers la bonne juridiction, le bon tribunal – car pour accéder au service d’accueil unique du justiciable, encore faut-il se rendre au tribunal. C’est ainsi que l’on réconciliera les Français avec leur justice.

S’agissant de la déradicalisation, en 2021 seront ouverts deux quartiers d’évaluation de la radicalisation (QER), dont un pour femmes, 690 000 euros seront alloués à la formation du personnel, 64 agents supplémentaires seront dédiés à cette tâche et l’enveloppe fléchée sera reconduite à hauteur de 1,6 million d’euros.

À ce propos, dans la situation terrifiante dans laquelle nous plonge l’actualité, on s’est beaucoup enflammé, oubliant ce qui a été fait grâce aux expulsions, au renseignement pénitentiaire – renforcé dans des proportions inédites –, à la coordination entre les renseignements. Un attentat, c’est un échec ; trente-six attentats déjoués, ce n’en est pas un. Il est injuste de dire que rien n’a été fait : l’émotion n’autorise pas tout. Et nous n’avons pas oublié le terrorisme en concevant ce budget.

Je réponds enfin à Mme Dubré-Chirat : après 18 000 portables livrés en 2019, 20 000 l’auront été en 2020, portant à un total de 38 000 unités fin 2020, auxquelles s’ajouteront 20 000 nouveaux portables en 2021. Nous avons distribué 800 smartphones sécurisés ; 2 000 le seront d’ici à la fin de l’année et 4 000 unités en 2021. Ont été installés 2 400 équipements de visioconférence, concernant 24 % du parc ministériel en 2020 ; 2 000 agents bénéficient, avec Skype, de la visioconférence sur PC, l’objectif étant de 20 000 en 2021.

Merci à tous pour la qualité de nos échanges.

*

*     *

Après le départ du ministre et sous la présidence de Mme Naïma Moutchou, vice-présidente, la Commission examine, pour avis, les crédits de la mission « Justice » (Mme Laetitia Avia, rapporteure pour avis « Justice et accès au droit » ; M. Bruno Questel, rapporteur pour avis « Administration pénitentiaire et protection judiciaire de la jeunesse »).

Article 33 et état B : Crédits du budget général

La Commission examine l’amendement II-CL52 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Je propose de renforcer l’administration pénitentiaire pour lui donner les moyens de détenir et de contrôler les personnes incarcérées d’une manière à la fois digne et efficace. On se souvient qu’Emmanuel Macron avait promis pendant la campagne présidentielle de créer 15 000 places supplémentaires dans les prisons. À dix-huit mois de la fin de son mandat, nous sommes en droit de nous interroger sur la tenue de cette promesse. Mme Simonnot, pressentie pour être nommée Contrôleure générale des lieux de privation de liberté par le Président de la République, a affirmé la semaine dernière lors de son audition, qui était assez particulière, qu’elle ne croyait pas en la possibilité de créer ces 15 000 places. Mon amendement permettra de transférer 200 millions d’euros supplémentaires vers le programme « Administration pénitentiaire » pour commencer à concrétiser la promesse du Président de la République.

M. Bruno Questel, rapporteur pour avis. Vous pourrez lire davantage de précisions dans mon rapport, mais je rappelle déjà que les crédits prévus en matière d’investissement immobilier augmenteront de 917 millions en autorisations d’engagement et de 163 millions en crédits de paiement. Votre amendement étant d’une certaine manière satisfait, je vous invite à le retirer, à défaut de quoi j’émettrai un avis défavorable.

Mme Emmanuelle Ménard. Je propose 200 millions de plus que les crédits prévus. Par ailleurs, j’aimerais avoir une réponse à ma question de fond : où en est la création des places supplémentaires ?

M. Bruno Questel, rapporteur pour avis. Tout d’abord, il ne s’agit pas de créer 15 000 places d’ici à 2022, mais 8 000 dans un premier temps, puis 7 000. Nous sommes aux alentours de 5 000. Vous verrez dans mon rapport où nous en sommes précisément, région par région, notamment dans les Outremers, qui ont été évoqués tout à l’heure. Des efforts sont faits en fonction des besoins réels. Je vous propose d’échanger, de la manière que vous souhaiterez, pour que vous puissiez avoir des éléments aussi précis que possible en ce qui concerne le calendrier.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement II-CL40 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. La plupart de nos amendements prennent de l’argent sur les crédits prévus pour la construction de places de prison pour l’affecter ailleurs. Le gage pourrait être levé, bien entendu, mais il y a une logique dans notre démarche.

L’amendement II-CL40 vise à renforcer l’aide juridictionnelle de 50 millions d’euros pour porter les moyens prévus en la matière à 100 millions, comme le préconise le rapport de M. Perben – vous voyez à quel point c’est une innovation politique de ma part (Sourires). Le budget qui nous est proposé n’est pas le plus dingue de toute l’histoire de la justice… Il est, comme d’habitude, même s’il est en progression, en deçà des besoins.

Mme Laetitia Avia, rapporteure pour avis. Avis défavorable pour deux raisons. Tout d’abord, je ne pense pas qu’il faut prendre des crédits dans le budget prévu pour le programme immobilier de l’administration pénitentiaire pour augmenter celui de l’aide juridictionnelle. Ensuite, je rappelle que des engagements assez significatifs ont été pris lors de l’audition du garde des Sceaux : une consultation aura lieu prochainement, et nous allons avancer.

M. Ugo Bernalicis. Si j’ai sous-entendu que je n’étais pas très innovant, c’est parce que la préconisation de M. Perben permettra seulement de porter à 40 euros le montant de l’unité de valeur pour les avocats. C’est bien, mais il existe une autre problématique : les critères d’éligibilité des justiciables à l’aide juridictionnelle. Nous nous étions dit lors des débats sur la loi de programmation et de réforme pour la justice que le fait d’être au SMIC devrait permettre d’avoir une prise en charge à 100 % – mais il faudrait, pour cela, augmenter encore le budget. La majorité avait promis de mettre le paquet sur l’aide juridictionnelle lorsque nous avons prévu des modes alternatifs de règlement des litiges et des conflits, notamment par des médiations. La compensation légitime était d’augmenter l’aide juridictionnelle, d’autant que le périmètre de la représentation obligatoire par avocat a été étendu. Je déplore que cela ne se concrétise pas.

M. Philippe Gosselin. Je vais presque m’exprimer sous votre contrôle, madame la présidente – vous êtes, avec moi, à l’origine d’un rapport sur l’aide juridictionnelle. M. Bernalicis n’a pas totalement tort. L’aide juridictionnelle augmentera de 10 %, ce qui est très bien mais, en dépit de cette « première marche », le compte n’y est pas encore. On ne peut pas se satisfaire de la situation : un effort reste à faire. Nous le redisons régulièrement – j’avais déjà fait le point sur ce sujet il y a dix ans avec Mme Pau-Langevin. L’accès au droit est une exigence démocratique dans une société comme la nôtre. Tout ne se résume pas à l’aide juridictionnelle, mais elle est un élément important, qui mérite vraiment une grande attention.

Mme Laetitia Avia, rapporteure pour avis. J’ai appelé tout à l’heure à l’application de l’ensemble des mesures figurant dans le rapport de M. Perben mais aussi dans celui de Mme Moutchou et de M. Gosselin afin d’augmenter l’assiette de l’aide juridictionnelle. J’invite toutes celles et tous ceux qui veulent travailler davantage sur ce sujet d’ici à la séance à se rapprocher, avec moi, du garde des Sceaux, notamment en marge de sa rencontre avec les représentants de la profession d’avocat, pour voir comment nous pourrions aboutir à une solution opérationnelle et ambitieuse. N’hésitez pas, monsieur Bernalicis, à me contacter à l’adresse laetitia.avia@assemblee-nationale.fr (Sourires).

M. Philippe Gosselin. Je souscris à ce qui vient d’être dit, même si nous nous heurtons à une petite difficulté : certains amendements que nous avions déposés, non pour augmenter les charges mais pour les répartir un peu différemment, ont connu un sort funeste pour des raisons d’irrecevabilité.

Mme Laetitia Avia, rapporteure pour avis. Vous n’êtes pas le seul.

M. Philippe Gosselin. Cela ne me rassure pas, bien au contraire.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement II-CL44 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Cet amendement tend à souligner que les effectifs cibles, en particulier dans la magistrature, ne correspondent pas aux besoins. Il me semble d’ailleurs que la chancellerie avait entamé un travail sur cette question. Lorsque nous avions auditionné Nicole Belloubet sur le budget de l’année dernière, elle avait concédé qu’on ne pouvait pas se satisfaire de la situation.

Cela concerne en particulier les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS), qui nous tiennent particulièrement à cœur – elles sont en charge des affaires relevant de la criminalité organisée les plus difficiles et les plus complexes. On doit renforcer ces juridictions car elles ne comptent pas beaucoup de magistrats – seulement 91 du parquet et 71 juges d’instruction en 2017. Il y a eu un léger progrès mais nous n’avons pas encore les chiffres actualisés.

Je voudrais aussi évoquer le Parquet national financier. Lors de sa création, l’étude d’impact évoquait un magistrat pour huit dossiers. On en est à 18 magistrats pour 590 dossiers en cours, ce qui représente un magistrat pour 32 dossiers. Il ne faut pas s’étonner, dans ces conditions, que des enquêtes préliminaires soient un peu longues.

Mme Laetitia Avia, rapporteure pour avis. Avis défavorable. Vous voulez toujours prélever des crédits dans le programme de construction de l’administration pénitentiaire. Par ailleurs, l’effet de l’amendement n’est pas celui qui est affiché. En créant un nouveau programme propre aux JIRS, vous éclateriez leurs moyens entre deux programmes – « Justice judiciaire » et « Renforcement des moyens des JIRS » –, ce qui empêchera de les gérer.

M. Ugo Bernalicis. Je vais donc faire un petit cours sur la recevabilité des amendements. Si les miens ont été déclarés recevables, c’est peut-être parce qu’ils ont été rédigés ainsi. Cela peut sembler étrange – on pourrait envisager une réforme sur ce point –, mais quand on ne prend pas des crédits sur une ligne budgétaire pour les affecter à une autre, nouvelle en l’occurrence, à l’intérieur de la même mission, on s’expose à un risque d’irrecevabilité. L’exposé sommaire de l’amendement spécifie que l’objectif n’est pas, en soi, de créer une nouvelle ligne mais de renforcer les JIRS : je pense que tout le monde a compris le but réel.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement II-CL41 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. En ce qui concerne le placement à l’extérieur, les crédits pour 2021 demeurent à 8 millions d’euros, comme l’année dernière – on était descendu à 7 millions en 2017 alors que ce budget s’élevait à 9 millions en 2016.

Le placement à l’extérieur est un aménagement de peine très intéressant qui permet de suivre des personnes à l’extérieur de la prison dans un environnement marqué, tout de même, par de très fortes contraintes, ainsi que par une prise en charge, un accompagnement dans la perspective d’un retour à une citoyenneté pleine et entière.

Ce budget stagne alors qu’il s’agit d’une priorité. Nous avons vu le film tourné à la ferme de Moyembrie, qui est toujours mise en avant. Des projets d’essaimage existent un peu partout en France.

Par ailleurs, nous nous demandons pourquoi les autorisations d’engagement restent égales aux crédits de paiement, alors que des conventions pluriannuelles, sur trois ans, sont possibles pour assurer une sécurisation : nous avons adopté cette mesure dans le cadre de la loi de programmation pour la justice. J’avais trouvé que c’était très bien, mais le budget ne suit pas. Que faisons-nous donc ici ?

Je suis pour que le placement à l’extérieur ne soit pas utilisé seulement comme une forme d’aménagement de peine : il faut qu’il puisse également être décidé ab initio. C’est une mesure très intéressante, notamment pour des multiréitérants, s’agissant de certaines infractions. Il n’y a pas que la détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE). On doit avoir toute une palette d’alternatives à l’incarcération.

M. Bruno Questel, rapporteur pour avis. Il est vrai que les crédits pour le placement à l’extérieur resteront stables, mais ceux alloués à la DDSE augmenteront de 85 % – ils passeront de 17 à 31,5 millions d’euros. Des efforts sont donc accomplis dans ce domaine. Rome ne s’est pas faite en un jour… J’ajoute que le programme de construction de places de prison n’est pas remis en cause. Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis. C’est ce que je disais : vous mettez le paquet sur la DDSE. Il y aura plus de 2 000 mises sous bracelet, même si je ne sais pas bien comment on réalise la prouesse d’anticiper les décisions des magistrats.

Pourquoi ne faites-vous pas de même pour le placement à l’extérieur ? Vous pourriez me dire que prévoir 24 millions d’euros supplémentaires, ce serait beaucoup, parce qu’on n’arriverait pas à tout consommer, mais pourquoi ne pas doubler, au moins, les crédits actuels pour donner un signal aux associations ?

Le coût de la prise en charge d’une personne placée sous main de justice est compris, en moyenne, entre 35 et 40 euros par journée, contre 120 euros en détention classique, et on observe des résultats bien meilleurs en matière de prévention de la récidive : je me demande ce que nous attendons.

M. Bruno Questel, rapporteur pour avis. Le budget que vous défendez avec ardeur a augmenté de 14 % cette année. L’an prochain, ce sera le tour de la DDSE. Nous avançons pas à pas, et non d’une manière désordonnée.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement II-CL37 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Nous proposons d’augmenter de 10 millions les crédits du programme « Justice judiciaire » pour avoir suffisamment de fonctionnaires de greffe. On nous dit qu’on atteindra l’effectif cible, mais je n’y crois pas. L’exécution budgétaire a été plutôt chaotique au cours des années précédentes – le projet annuel de performances explique qu’un reliquat de 80 postes sera utilisé en 2021. Par ailleurs, l’effectif cible ne correspond pas aux besoins. Il faut recruter davantage de fonctionnaires de greffe, d’autant que cela nécessite moins de temps que pour les magistrats et que c’est préférable à l’embauche de juristes assistants et d’assistants spécialisés sous contrat, qu’on doit fidéliser.

Mme Laetitia Avia, rapporteure pour avis. Avis défavorable. Les recrutements, qui ont été détaillés tout à l’heure par le garde des Sceaux, seront deux fois plus élevés que ce que nous avions prévu dans le cadre de la loi de programmation : il y aura 2 450 agents supplémentaires, notamment des directeurs des services de greffe, des greffiers et des renforts de greffe. Des investissements et des recrutements auront lieu.

M. Ugo Bernalicis. Je suis désolé : il n’y aura pas 2 450 créations de postes, mais seulement 1 490 selon le projet annuel de performances. Il ne faut pas se limiter aux recrutements : on doit déduire les sorties prévues.

Il est indiqué, s’agissant des personnels de greffe, qu’il y aura + 333 postes en 2021. C’est très bien, mais cela reste notoirement insuffisant compte tenu des enjeux. On apprend dans le même document qu’il n’y aura finalement que 50 magistrats de plus.

Ce que je viens de dire au sujet des personnels de greffe n’est d’ailleurs pas tout à fait complet. Du fait des retards et des reliquats, il n’y aura en réalité, selon le deuxième tableau figurant à la page 60 du projet annuel de performances, que 100 emplois supplémentaires.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement II-CL43 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Nous représentons cet amendement que nous avions déjà déposé l’année dernière. Il s’agit de créer des pôles judiciaires spécialisés dans la lutte contre les discriminations. Nous devrions consacrer davantage de moyens à cette question qui est d’actualité.

Mme Laetitia Avia, rapporteure pour avis. Je me souviens très bien de la discussion que nous avons eue, et je vous ferai exactement la même réponse. La mesure que vous proposez n’est pas nécessaire, car la loi de programmation pour la justice donne déjà la possibilité de créer de tels pôles en fonction des besoins. Il y a ainsi des chambres spécialisées en la matière à Paris. Votre amendement est donc satisfait. Comme je sais que vous ne le retirerez pas, j’émets un avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis. Il ne s’agit pas seulement de créer ces pôles, mais d’y consacrer 10 millions d’euros.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement II-CL39 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Nous proposons de reprendre des crédits alloués à la construction de cinq centres éducatifs fermés de plus : on ne remplit déjà pas ceux qui existent – et qui connaissent des difficultés, qu’ils soient gérés directement par la Protection judiciaire de la jeunesse ou par des associations. Il serait plus utile d’embaucher du personnel supplémentaire avec ces crédits.

Je rappelle ce que le garde des Sceaux a dit, bien que ce ne soit pas forcément cohérent avec ce budget : nous sommes le pays d’Europe qui enferme le plus de mineurs. Nous pourrions changer de politique car ce n’est pas la bonne solution. Il n’existe pas de corrélation entre le taux d’enfermement des mineurs passés entre les mains de la justice et les statistiques de la délinquance. Cela prouve que la politique menée à l’heure actuelle ne produit pas les résultats escomptés. Nous nous honorerions de traiter nos enfants d’une manière plus adéquate.

M. Bruno Questel, rapporteur pour avis. Le garde des Sceaux a présenté tout à l’heure dans le détail les créations, importantes, de postes, notamment leur affection. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement II-CL42 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Il s’agit, dans le même état d’esprit, de promouvoir des mesures en milieu ouvert. Tout un ensemble de structures, notamment ce qu’on appelait les « lieux de vie », a disparu, non parce qu’elles ne fonctionnaient pas mais parce qu’on a supprimé des personnels et qu’on a préféré des structures intégrées. Un Président de la République qui s’appelait Nicolas Sarkozy a voulu faire de la communication politique sur le thème de la sévérité à l’égard des jeunes, considérés comme étant de plus en plus délinquants et de plus en plus sauvages – on croirait entendre, aujourd’hui, Gérald Darmanin. Ce n’est pas la bonne politique : il serait plus efficace de financer des mesures en milieu ouvert.

M. Bruno Questel, rapporteur pour avis. Dans le même état d’esprit, également, avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement II-CL38 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. C’est un amendement de bon sens : il faut qu’il y ait dans le budget de quoi fournir des masques à toutes et tous dans les établissements pénitentiaires. Compte tenu de la situation, je crois que je n’ai pas besoin de développer davantage.

M. Bruno Questel, rapporteur pour avis. Toutes les personnes qui devaient l’être ayant été équipées, cet amendement est satisfait. J’émets un avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis. Ce n’est pas exact. Le Conseil d’État a dû passer par là, et il y a eu quelques condamnations ici et là. Par ailleurs, que signifie l’expression « les personnes qui devaient l’être » ? Est-ce en fonction de la doctrine définie par l’administration pénitentiaire ou des règles sanitaires en vigueur dans notre pays ? Il y a toujours un décalage entre ce qui se passe en détention et ce qui se passe à l’extérieur.

On a considéré que les détenus n’avaient pas besoin d’avoir des masques car le virus ne peut venir que de l’extérieur. Sauf qu’on a oublié qu’il existe des porteurs asymptomatiques : le virus circule plus facilement qu’on le pensait. Les dépistages qui ont été faits, notamment à Seysses, ont prouvé que le principe de précaution, consistant à faire en sorte que tout le monde puisse respecter le mieux possible les gestes barrières, doit s’appliquer partout, et pas seulement dans les zones écarlates. La prison étant un milieu confiné dans lequel les gens sont les uns sur les autres, il faut prévoir davantage de moyens.

La Commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis des rapporteurs pour avis, la Commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Justice ».

Après l’article 55

La Commission est saisie de l’amendement II-CL61 du rapporteur pour avis.

M. Bruno Questel, rapporteur pour avis. Le présent amendement a pour objet de rétablir un délai de forclusion pour le dépôt des mémoires de frais : le délai dans lequel un collaborateur du service public est autorisé à soumettre pour paiement un mémoire de frais à la juridiction de l’ordre judiciaire compétente serait limité à une année à compter de la fin de sa mission.

La procédure actuelle ne prévoit aucun délai, ce qui suscite des difficultés en ce qui concerne la maîtrise des dépenses et la gestion des flux entrants de mémoires, aussi bien pour les services centralisateurs des frais de justice des tribunaux judiciaires que pour les services administratifs régionaux, responsables des budgets opérationnels de programme sur délégation des chefs de cour. Il est dommageable et risqué de permettre de présenter un mémoire pour paiement de très nombreuses années après l’accomplissement d’une prestation.

Le décret n° 59-318 du 25 février 1959 avait instauré un délai d’une année « à partir de l’époque à laquelle les frais ont été faits » pour présenter le mémoire, mais cette disposition a été abrogée en 1983.

La direction des affaires juridiques du ministère de l’Économie et des finances, saisie pour avis, a considéré qu’un tel délai de forclusion serait dérogatoire par rapport à la règle de prescription quadriennale des créances de l’État. C’est pourquoi je propose d’utiliser un vecteur législatif.

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine l’amendement II-CL49 de M. Dimitri Houbron.

M. Dimitri Houbron. Cet amendement vise à prolonger de deux années l’expérimentation relative à la tentative de médiation familiale préalable obligatoire (TMFPO), instaurée par la loi du 18 novembre 2016 afin de développer la culture de la résolution amiable des conflits, de pacifier les rapports sociaux et de recentrer le juge sur son office. Nous avons déjà prolongé cette expérimentation en 2019, mais la crise de la Covid‑19 est survenue.

Mme Laetitia Avia, rapporteure pour avis. Je suis très favorable à cet amendement qui s’inscrit dans le prolongement des travaux que vous avez menés lorsque vous étiez rapporteur pour avis de cette mission et que je tiens à saluer.

La Commission adopte l’amendement.


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   Liste des propositions

Proposition n° 1 : enrichir, pérenniser et mieux diffuser le référentiel d’aide à la reprise d’activité pour en faire un véritable outil numérique d’information des magistrats et d’aide à l’organisation des juridictions.

Proposition n° 2 : accélérer le déploiement d'ordinateurs portables pour que chaque greffier puisse bénéficier d’un ultra-portable d’ici à la fin de l’année 2020.

Proposition n° 3 : équiper les services judiciaires de moyens de bureautique récents.

Proposition n° 4 : privilégier le recours à des prestataires français de visioconférence sécurisée.

Proposition n° 5 : accélérer et systématiser le déploiement de PLEX en matière civile.

Proposition n° 6 : développer le recours à la visioconférence lors des audiences de mise en état.

Proposition n° 7 : prévoir l’interopérabilité des échanges de l’ensemble des professionnels du droit.

Proposition n° 8 : actualiser et permettre l’utilisation à distance des logiciels de la chaîne civile d’ici à la fin de l’année 2020.

Proposition n° 9 : revoir le projet de procédure civile numérique en se concentrant sur quelques priorités, en se fixant des objectifs réalisables et de court terme et en associant les acteurs de terrain et les legal tech.

Proposition n° 10 : à terme, supprimer l’obligation d’archivage des dossiers en papier.

Proposition n° 11 : supprimer toutes les références aux outils informatiques et moyens de communication obsolètes dans les textes législatifs et réglementaires.

Proposition n° 12 : reporter d’une année la création de la juridiction nationale des injonctions de payer afin de mobiliser les moyens budgétaires et humains nécessaires à sa mise en place et le développement de l’applicatif numérique natif afférent.

Proposition n° 13 : encourager, pour les petits litiges du quotidien, le développement de la médiation et de la conciliation numériques par le recours à la visioconférence.

Proposition n° 14 : créer, au sein de la mission « Justice », un programme « Transformation numérique de la justice ».

Proposition n° 15 : communiquer au Parlement les conclusions du Comité stratégique de la transformation numérique.

Proposition n° 16 : prévoir, pour tout projet de disposition législative susceptible d’avoir des effets en matière numérique, une étude d’impact qui identifie précisément ses conséquences en termes de mise en œuvre, de coût et de calendrier.

Proposition n° 17 : mettre en place un incubateur de projets au ministère de la Justice.

Proposition n° 18 : accélérer le recrutement de personnel technique de maintenance.


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   Personnes entendues

   M. Olivier Christen, directeur des affaires criminelles et des grâces

   M. Jean-François de Montgolfier, directeur des affaires civiles et du Sceau

   M. Paul Huber, directeur des services judiciaires

   M. Jean-François Beynel, chef de l’inspection générale de la Justice

   M. Sébastien Gallois, secrétaire général adjoint

   Mme Anne-Florence Canton, cheffe du service du numérique

   M. Nadi Bou Hanna, directeur interministériel du numérique

   Mme Muriel Decot, secrétaire de la CEPEJ

   Mme Christel Schurrer, secrétaire du groupe de travail sur l’évaluation des systèmes judiciaires

   Mme Christine Valès, secrétaire du bureau

   M. Gabriel Mecarelli, directeur des affaires juridiques

   M. Roy Spitz, vice-président de la commission numérique

   M. Arnaud Adelise, membre de la commission des affaires européennes et internationales

   M. Vincent Pénard, membre de la commission liberté et droits de l’homme

   M. Eric Le Quellenex, membre du Conseil de l’Ordre

   Mme Clarisse Surin, membre du Conseil de l’Ordre

   Mme Anne-Laure Casado, membre du Conseil de l’Ordre

   M. Philippe Baron, vice-président

   M. Arnaud de la Brunière, président

   M. Karim Benamor, directeur

   M. David Melison, trésorier national adjoint

   M. Ludovic Friat, chargé de mission

   Mme Sophie Legrand, secrétaire générale

   Mme Lucille Rouet, secrétaire nationale

   Mme Sophie Grimault, secrétaire générale adjointe

   M. Henri-Ferréol Billy, secrétaire national

   Mme Marianne Tordeux, directrice des affaires publiques

   Mme Clémence Arto, vice-présidente

   M. Romain Drosne, fondateur

 


([1]) Les crédits des autres programmes de la mission « Justice », « Administration pénitentiaire » et « Protection judiciaire de la jeunesse » font l’objet d’un avis distinct de votre commission des Lois, dont le rapporteur pour avis est M. Bruno Questel.

([2]) Il s’agit, en particulier, de la reconstruction du tribunal judiciaire et de la réhabilitation de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, de la construction de nouveaux palais de justice à Cusset, Lille, Lisieux, Mont-de-Marsan, Perpignan, Saint-Laurent du Maroni et d’un nouveau bâtiment judiciaire à Papeete, de la réhabilitation des cités judiciaires de Cayenne et de Nancy et des palais de Verdun et de Fort-de-France et, enfin, de la restructuration des palais de justice de l’île de la Cité à Paris, de Pointe-à-Pitre, Basse-Terre, Meaux et Toulon.

([3]) Comme l’augmentation des rétributions versées aux avocats ou le relèvement du plafond d’admission à l’aide.

([4]) En particulier l’extension des cas dans lesquels la représentation par avocat est obligatoire

([5]) Rapport n° 2183 déposé par la mission d’information sur l’aide juridictionnelle et présenté par Mme Naïma Moutchou et M. Philippe Gosselin, rapporteurs, Assemblée nationale, XVe législature, 23 juillet 2019.

([6]) Les échanges dématérialisés entre les greffes et les avocats reposent sur une interconnexion sécurisée entre le réseau privé virtuel de la justice (RPVJ) et le réseau privé virtuel des avocats (RPVA), qui leur permet de communiquer entre eux et avec les juridictions, notamment pour échanger des conclusions. Il en va de même pour les huissiers de justice avec leur réseau sécurisé (RPSH).

([7]) Article 3 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.

([8]) APPI permet le suivi des mesures de probation et d’insertion.

([9]) MINOS est une application de gestion des dossiers pénaux des contraventions de la première à la cinquième classe.

([10]) Il s’agit, par exemple, des atteintes aux biens, d’un préjudice faible, et pour lesquelles le contenu de la plainte et les premiers éléments d’enquête ne laissent aucune chance d’identifier l’auteur. Les « petits X » représentent 1,5 million de procédures annuelles.

([11]) Sont visées l’ensemble des comparutions immédiates, comparutions par procès-verbal, convocations par un officier de police judiciaire et comparutions à délai différé. Ce périmètre représente 45 % des poursuites correctionnelles, et la quasi-totalité des dossiers faisant l’objet d’une audience correctionnelle.

([12]) Il s’agit d’une personne physique non représentée par un avocat.

([13]) Rapport n° 278 pour avis fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et l’administration générale de la République sur le projet de loi de finances pour 2018 par Mme Laetitia Avia, tome V, Assemblée nationale, XVe législature, 12 octobre 2017.

([14]) Décret n° 2008-1109 du 29 octobre 2008.

([15]) « Un programme regroupe les crédits destinés à mettre en œuvre une action ou un ensemble cohérent d’actions relevant d’un même ministère et auquel sont associés des objectifs précis, définis en fonction de finalités d’intérêt général, ainsi que des résultats attendus et faisant l’objet d’une évaluation ».