N° 285

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 octobre 2022.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES
SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2023 (n° 273)

TOME VII

ÉCONOMIE

COMMERCE EXTÉRIEUR

PAR M. Hervé de LÉPINAU

Député

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 Voir les numéros : 273 (Tome III, Annexe 20).


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SOMMAIRE

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Pages

introduction

PREMIÈRE PARTIE : analyse des crÉdits

I. les crÉdits de l’action n° 7 du programme 134, destinÉs À l’opÉrateur business France

II. Les crÉdits de l’action n° 7 du programme 134, destinÉs À la rÉmunÉration de bpifrance assurance export au titre de ses prestations rÉalisÉes pour le compte de l’État

III. les crÉdits de l’action n° 7 du programme 134 relatifs aux ÉvÉnements contribuant au dÉveloppement de l’Économie française À l’international

SECONDE partie : ANALYSE THÉmatique

I. L’ACTUALITÉ DU COMMERCE EXTÉRIEUR FRANÇAIS EST MARQUÉE PAR L’EXPLOSION DE LA FACTURE ÉNERGÉTIQUE ET LA DÉPRÉCIATION DE L’EURO FACE AU DOLLAR.

A. UNE FACTURE ÉNERGÉTIQUE MULTIPLIÉE PAR CINQ EN DEUX ANS

1. La dégradation du déficit commercial français est tirée par la hausse des prix de l’énergie importée

2. Les filières exportatrices françaises apparaissent en difficulté face au renchérissement du coût de l’énergie et aux tensions d’approvisionnement

3. Les partenaires européens de la France sont également affectés par la conjoncture économique et politique, constituant de fait une potentielle opportunité pour la compétitivité des entreprises françaises

B. UNE DÉPRÉCIATION DE L’EURO FACE AU DOLLAR QUI RENFORCE L’INFLATION, SANS FAVORISER POUR LE MOMENT LES EXPORTATIONS

1. Faiblesse de l’euro ou renforcement du dollar, « valeur refuge » dans un contexte d’incertitude ?

a. Une dépréciation de l’euro face au dollar

b. Un phénomène qui témoigne, en réalité, d’une appréciation du dollar

2. La dépréciation de l’euro face au dollar peut constituer une opportunité pour stimuler les exportations des entreprises françaises, mais de lourdes incertitudes pèsent sur cette hypothèse

a. Une théorie économique qui prédit une amélioration des performances à l’export des entreprises françaises à moyen terme

b. Les effets positifs de moyen terme sur la balance commerciale française pourraient néanmoins être annihilés par d’autres phénomènes

3. La dépréciation de l’euro nourrit la dynamique inflationniste actuelle

a. Une inflation croissante tout au long de l’année 2021

b. L’effet de la dépréciation de l’euro amplifie celui de la hausse du prix de l’énergie sur l’inflation

II. DES CHOCS MONÉTAIRES ET ÉNERGÉTIQUES QUI RÉVÈLENT DES FAIBLESSES STRUCTURELLES ET STRATÉGIQUES DE L’UNION EUROPÉENNE ET de LA ZONE EURO

A. UN MARCHÉ EUROPÉEN DE L’ÉNERGIE À RÉFORMER D’URGENCE

1. La déconnexion croissante des prix et des coûts de l’électricité révèle les failles du marché énergétique européen

a. Un marché intérieur européen de l’énergie dont les principes sont aujourd’hui très défavorables à la France

b. Une ouverture à la concurrence qui n’a pas atteint ses objectifs et qui s’est faite au détriment des capacités de production françaises

2. Le mix énergétique de la France doit être un atout pour amortir le choc et soutenir la compétitivité de notre appareil industriel

B. LA ZONE EURO EST MARQUÉE PAR DES DÉSÉQUILIBRES CROISSANTS ENTRE LE CENTRE ET LA PÉRIPHÉRIE

1. La mise en place de l’Union économique et monétaire a conduit à renoncer au mécanisme d’ajustement des déséquilibres extérieurs par le change

2. La monnaie unique masque des déséquilibres croissants entre les pays membres de la zone euro, qui mettent potentiellement en péril la pérennité de celle-ci

EXAMEN EN COMMISSION

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉes


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introduction

Député nouvellement élu en 2022, votre Rapporteur a souhaité aborder la question du commerce extérieur – et des crédits qui lui sont consacrés dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2023 – avec un regard neuf et en adoptant une perspective large. Au-delà de la seule analyse des crédits budgétaires attribués au commerce extérieur, il a souhaité étudier les conséquences de deux phénomènes conjoncturels sur le commerce extérieur français : la hausse massive du coût de l’énergie, qui dégrade fortement la balance commerciale française au premier semestre 2022 et la dépréciation de l’euro face au dollar.

Votre Rapporteur remercie très chaleureusement l’ensemble des acteurs
– universitaires, administrations et représentants de filières économiques – qui ont accepté de le rencontrer dans le cadre des auditions qu’il a conduites. Ces auditions, placées sous le régime d’une application partielle de la règle dite de « Chatham House » ([1]), qui garantit que les propos tenus ne seront pas publiquement attribués à leur auteur, ont permis des échanges spontanés et une grande liberté de parole, éclairant efficacement et sans tabou les travaux du rapporteur. Ainsi, la source des chiffres et des faits mentionnés dans ce rapport est-elle indiquée systématiquement lorsque ceux-ci ont fait l’objet d’une publication. En revanche, votre Rapporteur s’est engagé à garantir l’anonymat de ses interlocuteurs lorsque ceux-ci ont accepté de partager avec lui des analyses ou des intuitions plus personnelles, brisant ainsi un certain « politiquement correct » qui prévaut trop souvent dans le cadre des auditions parlementaires.

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La présente introduction propose un état des lieux de la situation du commerce extérieur français au premier semestre 2022 ainsi que des perspectives pour 2023 et 2024.

Le commerce extérieur français subit les conséquences d’un contexte international troublé depuis plusieurs années. La pandémie de covid-19 a, dans un premier temps, plus nettement creusé le déficit courant français que celui de ses principaux partenaires de la zone euro. Ce phénomène résulte notamment de la chute durable, au-delà de la période des confinements, du principal excédent français, celui de l’aéronautique dont le solde est passé de + 31 milliards d’euros (Md€) en 2019 à + 15 Md€ en mars 2021 (sur douze mois glissants) avant de se stabiliser à moins de 20 Md€ (sur douze mois) en juillet 2022. Il est également imputable aux importations d’articles de santé non produits en France (masques, puis vaccins), qui ont creusé le déficit d’au moins 6 Md€. Dans un second temps (depuis 2021), néanmoins, l’économie française a moins souffert du retournement des termes de l’échange, notamment de la hausse des prix d’importations des matières premières et de l’énergie, que ses principaux partenaires européens.

Taux de croissance en glissement annuel des termes de l’Échange
(prix exportations/prix importations) pour les biens et services

(Glissement entre le trimestre de l’année en cours et le même trimestre de l’année N - 1)

 

Source : Comptes nationaux trimestriels, Eurostat, Calculs Banque de France

Plus récemment, la guerre en Ukraine, qui a eu de lourdes conséquences sur les approvisionnements énergétiques européens, a contribué à dégrader la balance commerciale française. La politique de « zéro-covid » actuellement menée en Chine fait craindre un prolongement durable des ruptures d’approvisionnement, préjudiciable à la reprise de certains secteurs industriels exportateurs, notamment l’aéronautique et l’industrie automobile.

Le premier semestre 2022 se caractérise par une forte dégradation du solde des biens et un excédent historique du solde des services, qui constituent un solde courant français déficitaire de 10 Md€ ([2]).

Le solde des biens s’établit à – 71 Md€ contre – 51 Md€ au second semestre 2021. Cette dégradation est imputable à l’explosion de la facture énergétique, presque multipliée par deux, qui est passée de 27 Md€ à 48 Md€. Hors énergie et matériel militaire, ce déficit des biens se stabilise aux alentours de 36 Md€, un niveau historiquement bas. Les principaux excédents commerciaux français sont ceux des secteurs de l’aéronautique, du luxe, de l’agroalimentaire ainsi que de la pharmacie et des équipements médicaux (voir les deux graphiques cidessous).

DÉcomposition du Solde des biens France (en MD€)

Source : DGDDI, Calculs Banque de France

 

Évolution des soldes sectoriels (Md€, CAF/FAB, données cvs)

Source : Douanes

 

 

Le solde des services, en revanche, affiche un excédent historiquement élevé au premier semestre 2022, à 34 Md€ contre 23 Md€ au second semestre 2021. Cet excédent est ainsi largement supérieur à celui qui prévalait avant la crise de la covid-19 (+ 13 Md€ au second semestre 2021). Les exportations de services de transport maritime atteignent un record semestriel (+ 14 Md€), tandis que l’excédent des services de voyages dépasse son niveau d’avant crise (+ 8 Md€ contre + 7 Md€ au second semestre 2019, plus haut niveau depuis le premier semestre 2016). Enfin, le solde des services financiers atteint un record à + 4 Md€ (voir graphique).

Le nombre d’entreprises françaises exportatrices recensées entre le deuxième trimestre 2021 et le premier trimestre 2022 atteint 138 700 et constitue ainsi un nouveau record historique ([3]). L’augmentation du nombre d’entreprises exportatrices entre 2011 et 2021 (+ 20 300) a été principalement portée par les entreprises commerciales (+ 14 800) et par les entreprises de services (+ 4 900), tandis que le nombre d’entreprises exportatrices appartenant au secteur industriel a légèrement reculé ces dix dernières années (– 500). La structure de l’appareil exportateur français en 2021 se caractérise par une forte concentration, un taux de rotation légèrement supérieur à son niveau de 2011 et une part importante d’entreprises spécialisées dans les activités commerciales (48 % du nombre total des entreprises exportatrices en 2021).

Les conséquences de la guerre sur les échanges de biens de la France avec l’Ukraine et la Russie

– Ukraine : Dans le contexte de la guerre, les exportations françaises vers l’Ukraine diminuent par rapport au deuxième semestre 2021 (0,2 Md€ pour atteindre 0,4 Md€) tandis que nos importations passent de 0,5 Md€ à 0,4 Md€. Il faut noter que nos exportations se sont progressivement rétablies durant le premier semestre 2022 pour se rapprocher de leur niveau d’avant-guerre ;

– Russie : Sous l’effet des sanctions, les exportations de la France vers la Russie baissent de 43 % par rapport au deuxième semestre 2021, pour atteindre 2 Md€. S’agissant des importations, elles passent de 6 Md€ à 8 Md€, en lien avec la hausse record des prix de l’énergie.

o Au niveau infra-semestriel, les importations depuis la Russie sont en baisse depuis le début de la guerre (11 % entre février et juin). Une substitution est à l’œuvre et se traduit notamment par la baisse de la part de la Russie comme fournisseur d’énergie (passant de 21 % des importations en février, à 15 % sur la période cumulée de février à juin).

o S’agissant de l’impact des sanctions commerciales sur le commerce extérieur, environ 70 % des exports et imports entre la Russie et la France relèvent des « paquets » adoptés par l’Union européenne.

Source : DGDDI, Calculs Banque de France

Source : réponses écrites de la direction générale du Trésor et de la Banque de France

Les prévisions pour 2022 et 2023 sont contrastées. La direction générale du Trésor estime que la demande mondiale en biens adressée à la France ([4]) restera dynamique en 2022 (+ 5,5 %, après + 11,5 % en 2021) mais devrait connaître un fort ralentissement en 2023 (+ 1,6 %). Ainsi, en 2022, les exportations devraient poursuivre leur croissance (+ 6,8 % en volume), légèrement supérieure à celle des importations (+ 6,6 %). Les importations en volume retrouveraient en 2022 leur niveau de 2019, alors que les exportations demeureraient encore en-deçà de leur niveau d’avant crise (- 3,7 points par rapport à 2019), du fait notamment des difficultés persistantes des filières automobile et aéronautique, toujours pénalisées par les tensions d’offre. Le ralentissement des économies avancées devrait conduire, en 2023, à une forte baisse des échanges : la progression des exportations (+ 2,7 %) resterait proche de celle des importations (+ 2,5 %). Au‑delà de 2023, les exportations pourraient être tirées par l’allègement progressif des contraintes d’offre – en matière d’approvisionnement, notamment – qui pèsent fortement sur la production automobile ainsi que par le rétablissement progressif de la demande en matériel aéronautique.

Source : Direction générale du Trésor

 

Source : Insee, Hypothèses Eurosystème, Projections BDF

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Au terme de son analyse, votre rapporteur émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Économie » pour ce qui concerne le commerce extérieur.  


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PREMIÈRE PARTIE :
analyse des crÉdits

Les crédits destinés au financement et au soutien du commerce extérieur sont rassemblés, pour l’essentiel, au sein du programme 134 « Développement des entreprises et régulation » de la mission « Économie » et, plus particulièrement, au sein de l’action n° 7 « Développement international des entreprises et attractivité du territoire ».

Les politiques publiques financées dans le cadre du programme 134 concourent à l’atteinte de deux objectifs principaux :

     développer la compétitivité des entreprises et favoriser un environnement économique propice à la croissance et à l’emploi, dans une dimension nationale et internationale ;

     assurer la régulation et la sécurisation des marchés, ainsi que la protection des consommateurs.

L’action n° 7 « Développement international des entreprises et attractivité du territoire » représente 8,1 % des crédits du programme 134. Ces crédits concourent à l’atteinte des objectifs suivants :

     l’information et le soutien des entreprises françaises, notamment les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI), afin de favoriser leur internationalisation et leur développement sur les marchés extérieurs ;

     la prospection d’investissements étrangers ;

     la promotion du territoire français auprès des investisseurs internationaux susceptibles de s’y implanter ;

     la mise en œuvre d’une stratégie de communication pour améliorer l’image de la France à l’international.

Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023, l’action n° 7 représente un total de dépense de 184,88 millions d’euros (M€) en autorisations d’engagement (AE) et en crédits de paiement (CP), contre 135,66 M€ en loi de finances pour 2022 ([5]), soit une augmentation des crédits de 37 %.

 

Ces crédits sont ainsi répartis :

     une subvention pour charges de service public (SCSP) allouée à Business France (100,70 M€ en autorisations d’engagement et en crédits de paiement) ;

     la rémunération de Bpifrance Assurance Export (Bpifrance AE), au titre de ses prestations réalisées pour le compte de l’État (78,10 M€ en autorisations d’engagement et en crédits de paiement) ;

     le soutien à des évènements contribuant au développement de l’économie française à l’international et à l’attractivité de la France (0,70 M€ en autorisations d’engagement et en crédits de paiement) ;

     la participation à l’exposition universelle d’Osaka 2025 (5,40 M€ en autorisations d’engagement et en crédits de paiement en 2023).

 

 

PLF 2023 (M€ hors taux de mise en réserve de précaution)

LFI 2022 (M€ hors taux de mise en réserve de précaution)

Variations entre 2022 et 2023
(%)

Crédits destinés à l’opérateur Business France

100,7

85,1

+18%

Crédits destinés à la rémunération de Bpifrance Assurance Export

78,1

50,1

+56%

Crédits destinés aux événements contribuant au développement de l’économie française à l’international (y compris dépenses d’intervention associées à l’exposition universelle d’Osaka)

6,1

0,44

N.S.

I.   les crÉdits de l’action n° 7 du programme 134, destinÉs À l’opÉrateur business France

Issu en 2015 de la fusion d’Ubifrance et de l’Agence française pour les investissements internationaux (AFII), l’établissement public à caractère industriel et commercial Business France est l’opérateur de l’État placé au cœur de la réforme de l’internationalisation des entreprises annoncée le 23 février 2018 à Roubaix  par le Premier ministre Édouard Philippe([6]). Cet établissement est chargé de la mise en œuvre des dispositifs destinés à favoriser l’internationalisation de l’économie française, notamment celui de la « Team France Export », dispositif public d’accompagnement des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI) sur les marchés internationaux.

La Team France Export et la Team France Invest

La réforme de l’accompagnement à l’export lancée en 2018 repose sur la réorganisation, à l’échelle régionale et internationale, de différents dispositifs et sur la coopération des acteurs contribuant à l’accompagnement des entreprises à l’export, afin de substituer un interlocuteur unique et un parcours à l’export plus lisible à l’offre foisonnante proposée jusqu’alors.

La Team France Export (TFE) regroupe ainsi les opérateurs d’accompagnement à l’export que sont Business France, le réseau des chambres de commerce et d’industrie (CCI) et Bpifrance.

Au niveau français, des guichets uniques Team France Export ont été mis en place dans toutes les régions, réunissant des collaborateurs internationaux des CCI ainsi que des personnels issus de Business France afin de jouer sur la complémentarité de leurs expertises. 230 conseillers sont ainsi chargés de suivre, en 2022, 60 000 entreprises ([7]).

Au niveau international, des correspondants uniques de la Team France Export sont désignés. Ils peuvent être issus de Business France ou d’un acteur privé, sélectionné à l’issue d’une procédure transparente de concession de service public.

En outre, la TFE a lancé en 2019 une plateforme numérique, dite « plateforme des solutions » (www.teamfrance-export.fr) destinée à fournir aux entreprises des informations. Cette plateforme est déclinée par région, pour garantir une information plus pertinente.

Plus récemment, en février 2021, a été créée la Team France Invest (TFI), dispositif de soutien aux investissements étrangers en France. La TFI fédère les acteurs de l’attractivité (ministères, services déconcentrés, agences régionales de développement, Agence nationale de la cohésion des territoires, Business France, Banque des territoires, Bpifrance, etc.) afin d’améliorer les performances de la France en matière d’attractivité, en clarifiant et en fluidifiant les dispositifs existants pour les investisseurs étrangers, autour d’une « feuille de route » partagée ([8]).

Les missions de l’opérateur comprennent, en particulier :

     Le développement international des entreprises, en particulier des PME et ETI, et leurs exportations ;

     La gestion, la promotion et le développement du volontariat international en entreprise (VIE) ;

         Le développement des projets d’investissement étrangers en France par la détection de projets et la prospection d’investisseurs étrangers ;

         La promotion de l’image économique de la France et de ses territoires à l’international.

L’action de Business France est encadrée par un contrat d’objectifs et de moyens (COM) 20182022, dont le renouvellement fait actuellement l’objet de négociations.

Business France bénéficie des financements publics suivants :

– une subvention pour charges de service public du ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, au titre de l’action n° 7 du programme 134, d’un montant de 100,7 M€ en autorisations d’engagement et en crédits de paiement et qui fait l’objet de développements ci‑après ;

– une subvention pour charges de service public du ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, financée par le programme 112 « Impulsion et coordination de la politique d’aménagement du territoire » de la mission « Cohésion des territoires », d’un montant de 4,8 M€ en autorisations d’engagement et en crédits de paiement. Ce montant est stable par rapport aux montants inscrits en lois de finances initiales pour 2022, 2021 et 2020, mais en nette diminution par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2019 (5,8 M€) ;

– une subvention pour charges de service public du ministère de l’agriculture et de l’alimentation, financée par le programme 149 « Compétitivité et durabilité de l’agriculture, de l’agroalimentaire, de la forêt, de la pêche et de l’aquaculture », au titre de la mission d’accompagnement à l’international des entreprises du secteur agricole et alimentaire et d’autres activités connexes. Elle s’élève à 3,71 M€ en autorisations d’engagement et à 3,73 M€ en crédits de paiement dans le cadre du PLF 2023, soit un montant équivalent à celui de la LFI 2021 (3,70 M€).

La subvention pour charges de service public versée par le ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est rehaussée de 18,3 % dans le cadre du PLF 2023, soit une hausse de 13,70 M€ nets ([9]). Cette augmentation de la subvention pour charges de service public rompt avec une trajectoire de baisse inscrite dans le contrat d’objectifs et de moyens 2018‑2022, qui correspond, pour l’ensemble des subventions pour charges de service public, à – 10 % sur l’ensemble de la période.

Cette augmentation de la subvention pour charges de service public doit notamment permettre à l’opérateur de financer les actions ou mesures suivantes :

     des mesures de renforcement de la cybersécurité de l’agence ;

     le développement d’outils digitaux de prospection ;

     l’accroissement des programmes « booster » d’accompagnement collectif intensif sur des secteurs et géographies ciblés (en lien avec « France 2030 » notamment) ;

     la réduction du reste à charge, pour les entreprises exportatrices, des frais de participation à des salons internationaux et des foires d’affaires (afin de rapprocher la France des niveaux de prises en charge d’autres pays comme l’Allemagne) ;

     l’expérimentation d’une offre visant à financer la venue d’acheteurs internationaux sur des salons en France ;

     à titre subsidiaire, la compensation d’une partie de la hausse tendancielle de la masse salariale et des effets de l’inflation sur les coûts de l’agence.

Elle s’inscrit dans le prolongement du volet « export » du Plan de relance dont les dispositifs prennent fin en décembre 2022 (voir encadré ciaprès).

Le volet export du « Plan de relance »

Le plan « France relance » comportait un volet export, d’un montant de 247 M€, pour la période 2020-2022.

Le réseau de la Team France Export a été mobilisé pour accompagner et soutenir les entreprises exportatrices, notamment les PME et ETI. Dans le cadre de la loi de finances 2021, l’action de Business France (66,8 M€ en autorisations d’engagement et crédits de paiement) et de Bpifrance Assurance Export (15,4 M€) était soutenue par les crédits du programme 363 « Compétitivité » de la mission « Plan de relance ». Alors que ces crédits n’ont pas été renouvelés en LFI 2022, les dispositifs d’accompagnement sont, quant à eux, prolongés jusque fin 2022, grâce au report des crédits non-consommés en 2021, qui pourront être utilisés jusqu’à épuisement.

Le volet export du plan France relance prévoit ainsi plusieurs dispositifs de soutien, assurés principalement par la Team France Export :

– Le « Chèque Relance Export » est une subvention destinée aux PME-ETI, qui prend en charge 50 % des frais de participation à un salon international ou à l’achat d’une prestation de projection internationale individuelle ou collective. Le bilan, en août 2022, est de 13 431 prestations financées au profit de 7 601 PME-ETI, pour un encours de 23,1 M€.

– Le « Chèque volontariat international en entreprise (VIE) » est une subvention de 5 000 € pour l’envoi en mission d’un VIE par une PME-ETI. Au 1er septembre 2021, cette subvention est doublée (10 000€) pour le recrutement de jeunes issus de formation courte et de quartier prioritaire de la ville. Le bilan est de 1 432 chèques accordés à 1 107 PME-ETI, pour un montant de 7,2 M€.

– La création de trois « e-vitrines » sectorielles sur lesquelles les PME-ETI peuvent être recensées et mises en relation avec des acheteurs internationaux. Le bilan du dispositif fait état de l’inscription de 4 140 PME et ETI françaises sur les 3 e-vitrines sectorielles créées pour les secteurs de l’agro-alimentaire, des vins et des cosmétiques et de la mobilisation de 6 230 acheteurs étrangers.

– La mise en place d’une veille-information sur les marchés à destination des entreprises exportatrices. Depuis le 5 février 2021, des « comptes personnalisés de l’exportateur » sont disponibles pour les PME qui n’ont pas les moyens d’investir dans des activités de veille commerciale et internationale. Au mois d’août 2022, 13 804 comptes personnalisés ont été ouverts sur la plateforme Team France Export et 18 220 contenus ont été réalisés.

Par ailleurs, le « plan de soutien à l’export » prévoyait le renforcement des dispositifs d’accompagnement financier des entreprises exportatrices :

– L’Assurance-Prospection vise à accompagner le développement international des PME en période de crise. Alors que le dispositif a été sous-consommé par rapport aux crédits déployés pour les années 2020 et 2021 (84 M€ contre 109 M€ budgétisés), le bilan de la mesure fait état de l’accompagnement de 2 464 entreprises depuis novembre 2020.

– Le fonds d’études et d’aides au secteur privé (FASEP), dont l’enveloppe a été doublée dans le cadre du plan de relance (+ 27,8 M€), vise à soutenir les exportateurs qui se positionnent sur les projets d’infrastructures dans les pays émergents.

 

Le tableau ci-dessous présente le financement apporté par l’État à l’opérateur en 2022 et 2023.

Source : Projet annuel de performance, mission "économie", document annexé au projet de loi de finances (PLF) pour 2023

Le projet de loi de finances pour 2023 fixe le plafond d’emplois à 1 433 équivalents temps plein travaillé (ETPT), en diminution de 10 équivalents temps plein (ETP) par rapport à la loi de finances initiale pour 2022 (1 443 emplois).

Après une dégradation en 2021 du fait de la crise sanitaire, l’activité de Business France connaît désormais un rebond. Les objectifs métiers de l’agence n’ont pas fait l’objet de révision, à l’exception des deux indicateurs relatifs aux volontariats internationaux en entreprise (VIE) – à savoir le nombre total de missions VIE actives sur l’année et le nombre de missions VIE au sein de PME/ETI, qui ont été respectivement révisés à 77 % et 79 % de la cible initiale prévue par le contrat d’objectifs et de moyens pour 2022 (soit de nouvelles cibles, respectivement, de 14 300 et 5 950 missions). En 2022, 8 000 VIE sont en poste dans 130 pays.

Une activité ralentie en 2021 du fait de la crise

En 2021, le nombre de PME et ETI projetées à l’international par Business France était inférieur de 23 % au niveau d’avant crise (2019), hors salons. Concernant la mission d’attractivité de l’agence, en revanche, le nombre de projets d’investissements étrangers détectés est resté stable et s’est élevé à 1 826, contre 1 843 en 2019. Enfin, le nombre de nouveaux départs de VIE s’élevait à 5 119 en 2021, après seulement 4 377 départs en 2020, sans toutefois retrouver le niveau d’avant crise.

Dans ce contexte, plusieurs des objectifs du contrat d’objectifs et de moyens avaient dû être révisés pour neutraliser l’effet de la crise.

Source : projet annuel de performance annexé au PLF 2023

II.   Les crÉdits de l’action n° 7 du programme 134, destinÉs À la rÉmunÉration de bpifrance assurance export au titre de ses prestations rÉalisÉes pour le compte de l’État

Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit 78,10 M€ en autorisations d’engagement et crédits de paiement, contre 50 M€ en loi de finances initiale pour 2022, au titre de la rémunération de Bpifrance Assurance Export (Bpifrance AE) pour ses prestations réalisées pour le compte de l’État.

Cette dotation, en nette augmentation par rapport à la LFI 2022 (+ 56 %), correspond principalement à la rémunération de Bpifrance Assurance Export au titre de la gestion des garanties publiques et autres outils de soutien financier à l’export. Elle doit notamment permettre :

     de couvrir les coûts directs du transfert des missions financières jusque-là opérées par Natixis, le portage de ces nouvelles missions et le renforcement des capacités propres à Bpifrance AE, plus particulièrement en matière de gestion des sinistres/recouvrement. Il intègre ainsi une mesure de périmètre (2,50 M€) et un transfert en base (2,50 M€ depuis le programme 110 « Aide économique et financière au développement » de la mission « Aide publique au développement ») ;

     l’assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée au taux normal de l’ensemble de la prestation réalisée par Bpifrance AE à compter du 1er janvier 2023.

Les flux financiers liés aux garanties octroyées sont, pour leur part, retracés sur le compte de commerce « Soutien financier au commerce extérieur ».

III.   les crÉdits de l’action n° 7 du programme 134 relatifs aux ÉvÉnements contribuant au dÉveloppement de l’Économie française À l’international

La dotation prévue au titre de la contribution du ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique à l’organisation d’événements favorisant le développement à l’international des entreprises françaises et l’attractivité du territoire s’établit à 0,7 M€ en autorisations d’engagement et en crédits de paiement dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023.

En LFI 2022, un montant de 0,44 M€ était prévu pour l’organisation d’événements contribuant au développement de l’économie française à l’international. Cette dotation a pour objet de financer la participation du ministère à l’organisation d’évènements en faveur du développement à l’international des entreprises françaises et de l’attractivité du territoire.

Enfin, le programme 134 contribue pour le ministère à la participation de la France à la future exposition universelle d’Osaka-Kansaï (2025), assurée par la société par actions simplifiée publique Cofrex, pour un montant de 5,40 M€ en autorisations d’engagement et crédits de paiement en 2023.

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Votre rapporteur émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Économie » pour ce qui concerne le commerce extérieur. Les nouvelles missions confiées à Bpifrance Assurance Export ainsi que les négociations en cours sur le nouveau contrat d’objectifs et de moyens (COM) entre Business France et l’État invitent cependant à une grande vigilance dans les prochains mois afin de s’assurer de l’adéquation entre les missions confiées à ces acteurs et les crédits qui leur sont accordés.

De manière plus générale, votre rapporteur s’inquiète du manque relatif de visibilité de la Team France Export comme de la Team France Invest, confirmé par certains acteurs entendus en audition. Ces dispositifs demeurent insuffisamment connus des entreprises auxquels ils s’adressent, notamment les PME et les ETI. Un effort supplémentaire de communication vis-à-vis de ces acteurs est, à ses yeux, nécessaire.

 


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   SECONDE partie :
ANALYSE THÉmatique

I.   L’ACTUALITÉ DU COMMERCE EXTÉRIEUR FRANÇAIS EST MARQUÉE PAR L’EXPLOSION DE LA FACTURE ÉNERGÉTIQUE ET LA DÉPRÉCIATION DE L’EURO FACE AU DOLLAR.

L’explosion de la facture énergétique et la dépréciation de l’euro constituent deux phénomènes conjoncturels qui se combinent pour contribuer à la dégradation de la balance commerciale française au premier semestre 2022. Ils révèlent des faiblesses structurelles du marché intérieur de l’énergie et de l’union économique et monétaire, auxquelles votre Rapporteur consacre le II du présent rapport thématique.

A.   UNE FACTURE ÉNERGÉTIQUE MULTIPLIÉE PAR CINQ EN DEUX ANS

Entre 2020 et 2022, les prix de l’énergie importée ont connu une hausse de 381 %. Pour la première fois, la balance des échanges français d’électricité est déficitaire d’un milliard d’euros du fait de la moindre disponibilité du parc nucléaire et de la sécheresse qui a pesé sur la production hydraulique.

Votre Rapporteur s’alarme de cette hausse de la facture énergétique, susceptible de constituer un phénomène durable, qui place les entreprises – en particulier électro-intensives – dans une situation intenable. Les entreprises exportatrices voient ainsi leur compétitivité-prix affectée tandis qu’à plus long terme leur compétitivité hors prix est susceptible de se dégrader, du fait d’investissements moindres – quand ce n’est pas, dans de trop nombreux cas dont votre Rapporteur a eu connaissance, la survie même de ces entreprises, exportatrices ou non, qui se trouve menacée à court terme.

1.   La dégradation du déficit commercial français est tirée par la hausse des prix de l’énergie importée

Dans un contexte économique et politique instable, le solde commercial des biens français poursuit sa dégradation au premier semestre 2022 pour atteindre - 71 Md€.

La guerre en Ukraine, ainsi que les difficultés d’approvisionnement sur le marché de l’énergie et des matières premières, alimentent les tensions inflationnistes et renchérissent le coût des importations françaises. Selon les informations transmises à votre Rapporteur par la direction générale du Trésor, les prix de l’énergie importée ont ainsi été multipliés par cinq (+ 381 %) entre le second trimestre 2020 et 2022. Ce renchérissement du coût de l’énergie est particulièrement marqué pour les hydrocarbures naturels : le prix moyen du baril de Brent est passé de 69 € à 112 € (+ 63 %), et celui du gaz est passé de 25 €/MWh à 97 €/MWh (+ 290 %), entre le deuxième trimestre 2021 et le deuxième trimestre 2022.

Les déterminants de la hausse des prix de l’énergie

Le renchérissement actuel du coût de l’énergie résulte de facteurs à la fois conjoncturels et structurels :

– Pour ce qui concerne le pétrole, la hausse des prix résulte d’un décalage croissant entre l’offre et la demande. Alors que les pays de l’OPEP+ ont adopté une stratégie de production prudente, la demande mondiale est, quant à elle, particulièrement dynamique, du fait de la reprise de l’activité économique et de la levée des restrictions sanitaires en 2021. Les pressions à la hausse sur le prix du pétrole ont, en outre, été exacerbées par les anticipations négatives du marché liées au contexte géopolitique. Ainsi, le prix du baril du Brent a atteint 133 $ le 8 mars 2022, son plus haut niveau depuis 2008. Toutefois, l’Agence internationale de l’énergie note que l’augmentation de l’offre de pétrole, ainsi que la dégradation des perspectives de croissance mondiale, ont conduit à une baisse du prix du baril, qui a retrouvé son niveau pré-guerre (97 $) ([10]).

– Pour ce qui concerne le gaz, le renchérissement actuel des prix découle principalement du conflit en Ukraine, alors que la Russie est l’un des principaux exportateurs de gaz naturel au monde. Depuis le 24 février 2022, l’Union européenne a imposé six séries de sanctions à la Russie, limitant de fait les importations et exportations russes vers l’Union (biens énergétiques, matières premières). Ainsi, la réduction de l’offre de gaz, liée à la baisse des exportations russes vers l’Union européenne (- 70 %) ([11]), et les anticipations négatives des marchés font actuellement pression sur le prix du gaz. Le cours du gaz en Europe (indice TTF) a atteint un pic historique à 339 €/MWh au mois d’août 2022.

– Pour ce qui concerne l’électricité, la hausse des prix s’explique essentiellement par celle des prix du gaz. En effet, sur le marché européen de l’électricité, les prix sont fixés par les unités marginales de production, à savoir les centrales de production fossiles dont les coûts dépendent du cours des quotas d’émission carbone (multiplié par 2,4) et des énergies fossiles (gaz, charbon et fioul). Par ailleurs, la faible disponibilité des centrales nucléaires françaises fait anticiper un déséquilibre croissant entre l’offre et la demande à l’hiver 2022-2023. Ainsi, le prix de l’électricité sur le marché de gros (spot) a atteint en moyenne 700 €/MWh au cours de l’été 2022, contre 222 €/MWh en décembre 2021.

Par voie de conséquence, la facture énergétique de la France connaît un bond inédit, en atteignant 48 Md€ au premier semestre 2022 (contre 27 Md€ au second semestre 2021). La hausse des importations énergétiques révèle une augmentation en volume des importations de pétrole (50 % des importations énergétiques) et d’électricité (10 %), ainsi qu’une augmentation en valeur des importations de gaz (40 %). La France est, pour la première fois, importatrice nette d’électricité, accusant un déficit d’un milliard d’euros au premier semestre 2022.

L’accroissement du déficit commercial français est ainsi presque entièrement imputable à la hausse de la facture énergétique. Hors énergie et matériel militaire, le solde commercial tend à se stabiliser autour de -36 Md€, à un niveau historiquement faible.

2.   Les filières exportatrices françaises apparaissent en difficulté face au renchérissement du coût de l’énergie et aux tensions d’approvisionnement

Malgré une croissance dynamique des exportations en 2022, celles-ci n’ont pas retrouvé leur niveau d’avant-crise (- 3,7 points par rapport à 2019). Ce ralentissement s’explique notamment par les difficultés persistantes des industries aéronautique et automobile – pourtant historiquement contributrices à la balance commerciale française – qui constatent des baisses de 34 % et 8 % de leurs exportations, respectivement, par rapport à 2019. Les filières automobile et aéronautique sont, en effet, pénalisées par des contraintes d’offre, caractérisées par des tensions d’approvisionnement (micro-électronique) et la hausse des prix de l’énergie et des matières premières, ainsi qu’une reprise lente du rythme de production (en particulier, pour la filière aéronautique).

Outre ces contre-performances sectorielles, la hausse des prix de l’énergie et des matières premières pèse globalement sur les capacités de production de l’industrie française. En effet, les auditions menées par votre Rapporteur soulignent que le choc énergétique fragilise fortement les chaînes de production, compte tenu des risques anticipés et constatés de mise à l’arrêt. À cet égard, les vulnérabilités sont particulièrement vives pour les secteurs énergointensifs. Comme le souligne l’enquête annuelle sur la consommation d’énergie dans l’industrie (EACEI) publiée en 2021, « le secteur le plus énergivore est l’industrie chimique, suivi de la métallurgie et fabrication de produits métalliques. Alors que le premier consomme beaucoup de gaz et d’autres produits pétroliers, le second est plutôt utilisateur de combustibles minéraux solides (CMS) ». L’industrie agroalimentaire et celle du caoutchouc sont également concernées.

 

La hausse des prix des matières premières industrielles et agricoles

Alors que les prix des matières premières industrielles et agricoles ont connu une croissance soutenue depuis la crise de la covid-19, le choc énergétique actuel tend à exacerber les tensions observables, à travers un renchérissement du coût des matières énergo-intensives :

– S’agissant des intrants agricoles, les données statistiques du ministère de l’agriculture indiquent une hausse soutenue des prix (+ 30,1 % par rapport à mai 2021), qui est le reflet d’une augmentation du prix des engrais (+ 108,3 %), de l’énergie (+ 47,2 %) et des aliments pour les animaux (+ 26,9 %). À l’échelle sectorielle, la hausse du coût des intrants agricoles est marquée pour les filières d’élevage (bovins, + 26,7 %) et exploitations de céréales et oléo-protéagineux (+ 41,5 %). Cette croissance est non seulement liée à la guerre en Ukraine, la Russie étant l’un des principaux exportateurs d’engrais et de blé au monde, mais également aux tensions d’approvisionnement persistantes depuis la reprise de l’activité économique en 2021. Ainsi, l’augmentation des prix des intrants agricoles se traduit par une hausse des coûts de production et des prix sur l’ensemble de la chaîne de valeur. À cet égard, votre Rapporteur tient à souligner que l’audition de l’Association nationale des industries alimentaires (ANIA) met en lumière les difficultés de production de la filière agroalimentaire dans ce contexte inflationniste. Alors que les marges des producteurs et des industriels sont particulièrement contraintes – et plus faibles que celles de l’industrie agroalimentaire européenne – l’inflation des intrants agricoles et des prix de l’énergie pourrait peser durablement sur les capacités de production et la compétitivité de la filière.

– S’agissant des intrants industriels, les matériaux intensifs en énergie tels que l’acier, l’aluminium, le cuivre, ou encore le caoutchouc, connaissent une hausse des prix dynamique en 2022. Interrogés par l’Insee, les principaux industriels français ont ainsi indiqué que le choc énergétique pourrait amorcer une nouvelle hausse des prix, compte tenu de la réduction croissante des marges. Les auditions menées par votre Rapporteur, auprès des filières du bâtiment et de l’automobile font état de fermetures de capacités de production pour certains industriels qui ne parviennent pas à couvrir le renchérissement du coût de l’énergie.

Votre Rapporteur s’alarme de la hausse des prix de l’énergie pour les entreprises françaises, qui affecte directement leur compétitivité-prix vis-à-vis de leurs concurrents non-européens. La menace est particulièrement marquée pour les secteurs d’activité les plus énergivores, tels que l’agroalimentaire et la chimie-pharmacie qui contribuent positivement à la balance commerciale française. La réduction des marges des entreprises pour supporter la hausse des coûts de production risque, en outre, de se faire au détriment de l’investissement, ce qui aura des effets de long terme sur la compétitivité horsprix des entreprises françaises.

Plus largement, votre Rapporteur s’inquiète des conséquences de la crise sur le tissu de PME et ETI françaises, exportatrices ou non, qui font face ou feront face à court terme à des difficultés majeures de trésorerie. Une réforme profonde des mécanismes du marché intérieur de l’énergie lui paraît donc inévitable et urgente.

3.   Les partenaires européens de la France sont également affectés par la conjoncture économique et politique, constituant de fait une potentielle opportunité pour la compétitivité des entreprises françaises

La situation du commerce extérieur français ne constitue pas une exception en Europe. Entre le deuxième semestre 2021 et le premier semestre 2022, le solde commercial de la zone euro est ainsi devenu déficitaire pour la première fois depuis 2011 atteignant -131 Md€ au premier semestre 2022 contre un excédent de + 8,6 Md€ au semestre précédent. Au sein de la zone euro, le solde commercial s’est fortement dégradé en Allemagne (- 45,6 Md€), en Italie (- 28,7 Md€) et en Espagne (- 10,9 Md€). Le principal facteur expliquant cette dégradation est la hausse des prix mondiaux de l’énergie, qui renchérit la valeur des importations et dégrade la balance commerciale. Entre le 23 février 2022, veille de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et le 26 août 2022, date à laquelle il a atteint son plus haut historique, le gaz TTF néerlandais (cours de référence du gaz en Europe) a été multiplié par près de quatre, passant de 88,9 € à 339,2 € le MWh, avant un reflux limité en septembre ([12]).

Si la hausse des prix de l’énergie affecte donc le commerce extérieur de l’ensemble des principaux partenaires européens de la France, les tensions inflationnistes qui en découlent révèlent néanmoins d’importantes divergences. En effet, la zone euro se caractérise actuellement par des écarts d’inflation croissants : en cumul sur une période de douze mois, la France constate un taux d’inflation de 6,2 % au mois de septembre 2022, contre 10,9 % en Allemagne, 17,1 % aux Pays‑Bas et 10 % en moyenne pour la zone euro.

Ce constat s’explique essentiellement par un impact différencié de la hausse des prix de l’énergie sur les prix à la consommation. En effet, le degré de transmission de l’inflation énergétique aux prix à la consommation dépend de la composition du mix énergétique national et des mesures publiques mises en œuvre pour encadrer la hausse des prix. Comparée à l’Allemagne, la France se distingue (i) par un mix énergétique favorable, en raison d’une faible dépendance aux énergies fossiles ; et (ii) par un soutien des pouvoirs publics, à travers le « bouclier tarifaire », qui aurait réduit de moitié les effets de la hausse des prix de l’énergie sur l’inflation. Votre Rapporteur tient néanmoins à souligner que ces mesures d’urgence, nécessaires à très court terme, apparaissent difficilement soutenables sur le moyen terme : la crise doit être l’occasion d’une réforme en profondeur du marché intérieur de l’énergie (voir A du II).

À moyen terme, ce différentiel d’inflation pourrait bénéficier à la France, en améliorant la compétitivité prix des entreprises exportatrices françaises vis-à-vis de ses partenaires européens, avec lesquels s’effectuent 53 % de ses échanges commerciaux.

Conséquences de la hausse du prix de l’énergie sur le commerce extérieur des pays hors zone euro

Hors zone euro, les États-Unis et le Royaume-Uni ont également connu une forte dégradation de leurs balances commerciales (respectivement - 96,8 Md$ et - 29,2 Md£). Le premier facteur explicatif de la hausse des importations constatée aux États-Unis (+ 8,6 % en valeur entre le deuxième semestre 2021 et le premier semestre 2022) semble être le niveau élevé de la demande intérieure aux États-Unis, résultant des plans de relance successifs des administrations Trump et Biden qui reposaient sur des transferts à tous les ménages. L’énergie consommée par les États-Unis est essentiellement issue de la production domestique, ce qui neutralise les hausses observées actuellement en Europe.

À rebours, en Chine, sur les huit premiers mois de l’année, l’excédent commercial s’est élevé à 572 Md$, dépassant le record de 372 Md$ enregistré sur la même période en 2021, grâce au dynamisme des exportations, alors que la croissance des importations reste faible, pénalisées par le ralentissement de l’économie chinoise et le maintien de la stratégie « zéro Covid » qui bride la consommation des ménages.

Source : DG Trésor

B.   UNE DÉPRÉCIATION DE L’EURO FACE AU DOLLAR QUI RENFORCE L’INFLATION, SANS FAVORISER POUR LE MOMENT LES EXPORTATIONS

La dépréciation de l’euro face vis-à-vis du dollar est susceptible d’avoir des effets contrastés et difficiles à anticiper sur le commerce extérieur français. Après une première dégradation de la balance commerciale du fait du renchérissement du coût des importations, la dépréciation devrait contribuer à accroître la compétitivité-prix des biens français et, partant, le volume des exportations.

La crise énergétique actuelle, que la dépréciation de l’euro accentue pour les transactions d’énergie libellées en dollars, modifie ces mécanismes et rend plus incertaines ces anticipations. Les effets positifs pour le commerce extérieur de la France pourraient être entièrement annihilés dans ce contexte.

1.   Faiblesse de l’euro ou renforcement du dollar, « valeur refuge » dans un contexte d’incertitude ?

La situation monétaire actuelle témoigne moins d’une faiblesse de l’euro que d’une nette appréciation du dollar, à l’heure où la guerre en Ukraine crée de fortes incertitudes.

a.   Une dépréciation de l’euro face au dollar

Entre janvier 2021 et septembre 2022, le taux de change effectif nominal (TCEN) de l’euro s’est déprécié de près de 7 %, en pondérant les transactions par le poids des partenaires dans le commerce extérieur de la France.

Rappel historique sur les variations du cours de l’euro face au dollar

Le 26 octobre 2000, l’euro atteint son plus bas niveau historique, à 0,823 dollar. La valeur est inférieure à son cours d’introduction, en janvier 1999, dans un contexte de récession du début des années 2000.

Le 15 juillet 2008, l’euro passe au-dessus de la barre de 1,60 dollar et atteint son plus haut niveau historique. Ce pic s’explique avant tout par une chute du dollar, dans le cadre de la crise des subprimes.

Le 8 mai 2014, l’euro atteint son plus haut niveau depuis fin octobre 2011 (1,39 dollar). La décision de la Banque centrale européenne (BCE) de laisser à un niveau historiquement bas son taux directeur contribue à cette appréciation, alors que la reprise économique se confirme en zone euro, après la crise de la dette.

Le 16 mars 2015, l’euro retombe à 1,06 dollar. Ce recul résulte de l’adoption en juin 2014 par la BCE de mesures de soutien à l’économie. Leur mise en place, avec une nouvelle baisse des taux directeurs à la clé, avait pour but de déprécier l’euro face aux autres monnaies pour soutenir la croissance européenne et atteindre l’objectif d’inflation fixé par la BCE.

En 2018, le retour de la croissance en zone euro et les incertitudes pesant sur l’économie américaine font flamber l’euro face au dollar : le 2 février 2018, l’euro atteint 1,25 dollar.

Début 2020, la monnaie européenne fait l’objet de craintes liées à la propagation de l’épidémie de coronavirus en Chine. Le 20 mars 2020, l’euro baisse à 1,07 dollar.

L’actuelle dépréciation de l’euro est particulièrement marquée visàvis du dollar américain, atteignant 19 % tandis que le TCEN du dollar s’apprécie de 11,4 % sur la même période ([13]).

Taux de change effectif nominal (TCEN) de l’euro et taux de change bilatéral vis-à-vis du dollar US (2021-2022)

 

Source : Données BRI via DBnomics et calculs Banque de France.

b.   Un phénomène qui témoigne, en réalité, d’une appréciation du dollar

La dépréciation de l’euro doit être relativisée, en l’inscrivant dans un plus large panier de devises : si l’euro a fortement baissé par rapport au dollar, il a moins diminué sur la même période face au renminbi chinois (- 4,2 %), et s’est apprécié face à la livre britannique (+ 1,2 %) et au yen japonais (+ 5,3 %).

Le phénomène tient donc davantage à une forte appréciation du dollar qu’à une dépréciation de l’euro. Plusieurs causes simultanées favorisent cette appréciation :

     le dollar bénéficie de son statut de « valeur refuge » mondiale, dans un contexte d’incertitude résultant notamment de la guerre en Ukraine ;

     une exposition différenciée des deux zones monétaires au conflit en Ukraine au détriment de l’Europe, qui place la zone euro dans une situation de forte tension sur les approvisionnements énergétiques alors que les États-Unis sont autonomes énergétiquement et exportateurs nets d’hydrocarbures ;

     un retour de la divergence des politiques monétaires entre la zone euro et les États-Unis. En effet, depuis le début de l’année, la Fed a relevé ses taux directeurs de 225 points de base (pb). Même si la BCE a relevé ses taux directeurs de 125 pb et prévoit de continuer de les relever, les marchés anticipent une remontée des taux directeurs plus rapide aux États-Unis qu’en zone euro.

2.   La dépréciation de l’euro face au dollar peut constituer une opportunité pour stimuler les exportations des entreprises françaises, mais de lourdes incertitudes pèsent sur cette hypothèse

a.   Une théorie économique qui prédit une amélioration des performances à l’export des entreprises françaises à moyen terme

Les différents économistes reçus par votre Rapporteur dans le cadre de ses auditions ont insisté sur la nécessité de distinguer les effets à court et à moyen terme de la dépréciation de l’euro sur les performances à l’export des entreprises françaises.

Ces effets contrastés et décalés peuvent être représentés graphiquement par ce que les économistes appellent traditionnellement la « courbe en J ».

 

La « courbe en J » : une représentation des effets d’une dévaluation monétaire sur les exportations d’un pays

Lorsque survient une dévaluation monétaire, le premier effet (« effet prix ») est un renchérissement du prix des importations en euro, qui tend à dégrader le solde des échanges extérieurs. Dans un second temps, néanmoins, l’ « effet volume » l’emporte sur l’« effet prix » : la baisse relative des prix des exportations en monnaie étrangère conduit à une augmentation du volume de celles-ci. Enfin, dans un troisième temps, les prix d’exportation en euros augmentent du fait de l’incorporation du prix d’une partie des importations qui se sont renchéries.

 

La courbe en J | Alternatives Economiques

Source : Alternatives économiques

On estime qu’une dépréciation nominale de l’euro de −10 % vis-à-vis des autres monnaies entraîne ([14]) :

     une hausse immédiate des coûts de production pour les entreprises importatrices et une baisse du pouvoir d’achat des ménages avec une hausse du niveau de l’indice des prix à la consommation de + 0,2 point la première année et de + 0,4 point la suivante ;

     à moyen terme, la dépréciation conduirait à une amélioration des performances à l’export de l’économie nationale estimée à + 0,1 point la première année et + 0,2 point la suivante ;

     Au-delà, les prix nationaux s’aligneraient progressivement à la hausse sur les prix étrangers, l’amélioration de la compétitivité-prix se résorbant et la balance commerciale revenant à son niveau initial. L’effet sur le PIB à long terme serait nul.

L’effet de moyen terme (hausse en volume des exportations) pourrait favoriser le secteur de l’aéronautique, qui se compose de très peu d’opérateurs évoluant sur un marché oligopolistique à l’échelle mondiale et dont les prix tendent à être relativement rigides en dollars – y compris dans le moyen terme. Dans les secteurs de services, l’attractivité de la France comme destination pourrait également être renforcée via une amélioration du pouvoir d’achat des touristes extra européens, notamment nord-américains. Cet effet sur le tourisme ne doit cependant pas être surestimé.

Les effets de la dépréciation de l’euro sur le tourisme international en France

Les données de la Banque de France révèlent une nette amélioration en 2021 des recettes internationales du secteur touristique, qui se sont élevées à 34,5 Md€. Depuis le début de l’année 2022, le tourisme international est même revenu à des niveaux proches de 2019 (- 2,5 % sur les 7 premiers mois de l’année). Le retour de la clientèle européenne de proximité et de celle en provenance des États-Unis est notable. En revanche, les clientèles asiatiques demeurent absentes.

La dépréciation de l’euro tend à rendre plus attractive la France comme destination pour les touristes américains. Il ne faut cependant pas surestimer ce bénéfice :

– le tourisme américain ne représente qu’une part réduite du tourisme étranger, estimée par la Banque de France à 7,3 % en 2019 ;

– le rebond du tourisme américain en France avait précédé le phénomène de change.

Les données de la Banque de France montrent néanmoins une augmentation de la part des recettes américaines de 3 points, si l’on compare le total annuel de 2019 (7,3 %) aux résultats à la fin juillet 2022.

Le secteur de l’hébergement, en particulier celui de l’hôtellerie, sont les grands gagnants de la situation actuelle. D’après les données communiquées à Atout France par le cabinet d’études MKG, les prix moyens ont atteint des niveaux record pour les mois de juillet en France métropolitaine (+ 25 %) et en août (+ 18 %). Cette hausse des prix moyens s’explique notamment par le retour des clientèles étrangères, très solvables, dans certaines régions comme Provence-Alpes-Côte-d’Azur (PACA) et l’Île de France. Parmi les segments de l’hôtellerie, le secteur du haut de gamme et du luxe est celui qui a affiché les plus belles performances cet été (les hausses peuvent ainsi dépasser les + 30 %).

Au-delà des enjeux d’attractivité tarifaire associés aux évolutions de parité des devises, de nombreux paramètres sont à prendre en compte pour expliquer ces performances et anticiper leur durée, notamment les différences de niveau d’inflation entre les pays, l’importance du poste « Energie » dans les comptes d’exploitation et la structure du poste « Achats » avec la hausse mécanique des produits importés liés au dollar.

Source : éléments transmis à votre Rapporteur par Atout France

Enfin, le secteur des transports internationaux (en particulier CMA‑CGM) pourrait également bénéficier d’une amélioration de sa compétitivité. Le secteur pourrait néanmoins souffrir dans les prochains mois d’une baisse des prix sur le fret international, qui ont atteint un pic au début de l’année 2022, tandis que le ralentissement de l’activité mondiale, notamment en Chine, conduirait à une baisse globale des volumes de marchandises transportés ([15]).

b.   Les effets positifs de moyen terme sur la balance commerciale française pourraient néanmoins être annihilés par d’autres phénomènes

L’effet positif sur les exportations françaises pourrait cependant, dans la conjoncture actuelle, être entièrement annulé.

Il importe d’abord de rappeler que marché à l’export français est majoritairement intra-européen. L’Union européenne représente ainsi 53 % des échanges mondiaux de la France en valeur et est la région avec laquelle les échanges ont été les plus dynamiques depuis le second semestre 2019, passant de 279 Md€ à 341 Md€ ([16]). L’effet de change ne peut donc jouer que sur une part du commerce extérieur, qui ne représente en valeur qu’environ la moitié des échanges.

Exportations de biens en valeur par partenaire (en milliards d’euros)

 

Source : DGDDI, Calculs Banque de France

Dans le climat actuel, il est probable que les effets de la baisse de l’euro soient moins favorables dans le cas des échanges de biens, du fait de la hausse déjà forte des prix d’importations et des tensions d’approvisionnement. En effet, à la hausse des prix des importations résultant du phénomène de change, s’ajoute la hausse des prix de l’énergie qui pénalise les producteurs. L’un des intervenants entendus par votre Rapporteur qualifiait ainsi la situation de « double peine » pour les entreprises françaises.

Les échanges de services, à travers le fret maritime et le tourisme, pourraient cependant profiter de cette situation monétaire pour accroître leur compétitivité à l’export.

Une balance des services excédentaire, tirée notamment par les performances des services de transport

Au premier semestre 2022, les exportations de services de transports demeurent très dynamiques (+ 20 % par rapport au S2 2021, à 40 Md€), portées par le transport maritime (+ 17 %, à 24 Md€), mais aussi par le transport aérien (+ 52 %, à 5 Md€). Les exportations de services financiers et de services d’assurance et de pension progressent également, respectivement de 13 % (8 Md€) et 59 % (6 Md€).

 

Tableau : Décomposition du solde des échanges de services dans la balance des paiements

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Il est également important de noter ici qu’une part importante de la compétitivité provient de facteurs hors coûts – qualité du produit, contenu, services incorporés dans les biens ou vendus directement auprès des clients, par exemple. Ces facteurs hors coût sont, par définition, moins sensibles à l’inflation. La capacité de la France à gagner des parts de marché, dans un contexte d’inflation mondiale, dépend donc aussi de la capacité des producteurs français à adapter ou moderniser leur appareil productif pour mieux répondre à la demande et aux enjeux technologiques. La crise énergétique actuelle, qui dégrade la situation financière des entreprises, est susceptible de réduire les investissements et de porter préjudice à leur compétitivité hors coût.

3.   La dépréciation de l’euro nourrit la dynamique inflationniste actuelle

Si les effets de la dépréciation sur le commerce extérieur sont relativement incertains, il est en revanche avéré que celle-ci redouble les conséquences de la hausse de la facture énergétique sur les ménages et les entreprises, alimentant la dynamique inflationniste.

a.   Une inflation croissante tout au long de l’année 2021

L’inflation a augmenté tout au long de l’année 2021 – avec une hausse de + 2,8 % en décembre 2021 en glissement annuel de l’indice des prix à la consommation (IPC), contre + 0,6 % en janvier 2021 – sous l’effet des tensions post-covid ([17]). Ce phénomène a entraîné une hausse des cours des matières premières et des prix du fret qui ont alimenté l’inflation des produits alimentaires et manufacturés, tandis que les prix de l’énergie et des matières premières avaient fortement diminué en 2020 en raison de la baisse de la demande liée à la crise sanitaire.

Ces tensions commençaient à s’atténuer à la fin de l’année 2021 et au début 2022, lorsque le conflit en Ukraine a généré de nouvelles hausses des prix de l’énergie et des matières premières.

L’inflation, en glissement annuel de l’IPC, a continué sa progression depuis le début d’année 2022 : elle s’élevait à + 2,9 % en janvier, a atteint + 6,1 % en juillet avant un léger reflux à + 5,9 % en août.

La contribution de l’énergie à l’inflation sur un an a récemment reflué mais demeure élevée : plus de 30 % de l’inflation totale sur un an, en août 2022, s’explique par la hausse des prix de l’énergie pour les particuliers – pétrole, gaz et électricité. Les prix de l’alimentation, des services et des produits manufacturés ont augmenté au cours des derniers mois en lien avec les effets des tensions sur les prix de l’énergie et des matières premières, et la progression des salaires.

Source : Banque de France

L’inflation sous-jacente continue donc de progresser en glissement annuel (+ 4,7 % en août après + 4,3 % en juillet).

b.   L’effet de la dépréciation de l’euro amplifie celui de la hausse du prix de l’énergie sur l’inflation

La dépréciation de l’euro accentue le phénomène d’inflation des prix.

Les principaux flux d’approvisionnement en énergie et en matières premières étant libellés en dollar, ces variations sont retransmises aux prix des denrées alimentaires et de l’énergie. Dans ce contexte, la dépréciation de l’euro tend à accroître la facture énergétique française et à détériorer le solde commercial français en renchérissant le coût des importations.

Dépréciation de l’euro et inflation du baril de Brent

80 % de nos importations de pétrole (brut et raffiné) sont libellées en dollar. Ainsi, entre janvier et juin 2022, le prix du baril de Brent a augmenté de 39 € : cela reflète essentiellement la hausse du baril en dollar, mais environ 1/7e de la hausse (+ 14 %) s’explique par un effet de change.

Si l’effet sur les matières premières peut être compensé par une hausse des importations en provenance de la zone euro, l’énergie importée est plus difficilement substituable. 20 % du surplus de la facture énergétique sont ainsi liés à la dépréciation de l’euro ([18]).

 

Certains secteurs sont plus particulièrement pénalisés par cette dépréciation de l’euro. C’est notamment le cas des petites entreprises non exportatrices, des secteurs très dépendants du pétrole ainsi que des ménages dont le pouvoir d’achat s’érode.

Ces phénomènes conjoncturels d’inflation des prix de l’énergie et de dépréciation de la monnaie européenne invitent à repenser en profondeur les mécanismes fondamentaux du marché commun de l’énergie et du fonctionnement de la zone euro, afin d’élaborer des « règles du jeu » plus favorables au modèle économique et énergétique français.

II.   DES CHOCS MONÉTAIRES ET ÉNERGÉTIQUES QUI RÉVÈLENT DES FAIBLESSES STRUCTURELLES ET STRATÉGIQUES DE L’UNION EUROPÉENNE ET de LA ZONE EURO

A.   UN MARCHÉ EUROPÉEN DE L’ÉNERGIE À RÉFORMER D’URGENCE

La crise énergétique actuelle révèle, de l’aveu de l’ensemble des personnes auditionnées par votre Rapporteur – et peu susceptibles de nourrir des sentiments anti-européens ! – une profonde vulnérabilité de l’Europe amplifiée par des choix aujourd’hui inadaptés de « market design ».

1.   La déconnexion croissante des prix et des coûts de l’électricité révèle les failles du marché énergétique européen

Le mix énergétique français constitue un atout stratégique important, aujourd’hui neutralisé par la dépendance des prix du gaz et de l’électricité.

a.   Un marché intérieur européen de l’énergie dont les principes sont aujourd’hui très défavorables à la France

i.   Un principe d’ouverture à la concurrence

À partir des années 1990, l’Union européenne a poussé les États membres à conduire la réforme des marchés de l’électricité et du gaz afin d’accroître la concurrence au sein du secteur.

Rappel sur la libéralisation du marché européen de l’énergie

Au cours des années 1990, alors que la plupart des marchés nationaux de l’électricité et du gaz constituaient des monopoles, l’Union européenne a ouvert progressivement ces marchés à la concurrence.

Les premières directives de libéralisation (premier paquet « Énergie ») ont été adoptées en 1996 (électricité) et 1998 (gaz), en vue de leur transposition dans les systèmes juridiques des États membres à l’échéance de 1998 (électricité) et 2000 (gaz).

Le deuxième paquet « Énergie » a été adopté en 2003, ses directives devant être transposées en droit national par les États membres pour 2004, et certaines dispositions n’entrant en vigueur qu’en 2007. Les consommateurs industriels et particuliers étaient désormais libres de choisir leur propre fournisseur de gaz et d’électricité à partir d’une vaste gamme de concurrents.

En avril 2009, un troisième paquet « Énergie » destiné à poursuivre la libéralisation du marché intérieur de l’électricité et du gaz a été adopté, modifiant le deuxième paquet et constituant la pierre angulaire de la mise en œuvre du marché intérieur de l’énergie.

En juin 2019, un quatrième paquet « Énergie » a été adopté, constitué d’une directive [directive « électricité » (2019/944/UE)] et de trois règlements : le règlement sur l’électricité (2019/943/UE), le règlement sur la préparation aux risques (2019/941/UE) et le règlement instituant une agence de l’Union européenne pour la coopération des régulateurs de l’énergie (ACER) (2019/942/UE).

Le quatrième paquet « Énergie » introduit de nouvelles règles relatives au marché de l’électricité afin de répondre aux besoins liés aux énergies renouvelables et d’attirer les investissements.

Le cinquième paquet « Énergie », intitulé « Mettre en œuvre le pacte vert pour l’Europe », a été publié le 14 juillet 2021 dans le but d’aligner les objectifs énergétiques de l’Union sur les nouvelles ambitions européennes en matière de climat pour 2030 et 2050. Le débat sur ses aspects énergétiques est actuellement en cours.

Source : site internet du Parlement européen

Dans ce contexte de libéralisation du marché de l’énergie, la mise en place du dispositif d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) résulte d’un engagement de l’État français auprès de la Commission européenne. L’Arenh a été instauré par la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité. Il permet à tous les fournisseurs alternatifs de s’approvisionner en électricité auprès d’Électricité de France (EDF) dans des conditions fixées par les pouvoirs publics.

Le prix est actuellement de 46,20 €/MWh et le volume global maximal affecté au dispositif est égal à 120 TWh/an ([19]) pour 2022.

ii.   Des prix de l’électricité étroitement dépendants de ceux du gaz

Le prix de gros de l’électricité dans l’Union européenne est fixé par la dernière centrale électrique nécessaire pour répondre à la demande. Il s’agit ainsi de mobiliser les moyens de production en appelant d’abord ceux qui ont les coûts d’exploitation les plus faibles – renouvelables et nucléaire – puis, en dernier lieu, les centrales aux coûts les plus élevés – gaz et charbon.

Il existe ainsi un « effet de contamination » du prix du gaz sur celui de l’électricité, en particulier en cas de forte demande. Comme le soulignait l’une des personnes auditionnées par votre Rapporteur, « le market design européen amplifie très fortement les effets de la crise énergétique actuelle ».

b.   Une ouverture à la concurrence qui n’a pas atteint ses objectifs et qui s’est faite au détriment des capacités de production françaises

Le bilan de la libéralisation du marché et, plus particulièrement, de la mise en œuvre de l’Arenh apparaît négatif et particulièrement préjudiciable à l’heure de la crise énergétique :

     le dispositif, non ciblé, est extrêmement coûteux, car il bénéficie de manière indifférenciée aux entreprises, quelles qu’elles soient ;

     loin d’inciter les fournisseurs alternatifs à investir dans les moyens de production d’électricité, l’Arenh a contribué à créer une véritable situation de « passager clandestin » ([20]) : il n’a pas contribué au développement de moyens de production propres par les concurrents d’EDF ;

     il n’existe, enfin, aucune garantie que le bénéfice lié à l’Arenh soit retraduit dans la facture des clients finaux, la complexité des contrats et le nombre de fournisseurs bénéficiaires (80) rendant difficiles les contrôles des autorités.

Le mécanisme contribue ainsi à dégrader la situation d’EDF et à limiter sa capacité d’investissement. Votre Rapporteur résumerait la situation d’une formule : EDF, qui investit dans les capacités de production, se trouve contrainte de vendre une partie de l’électricité qu’elle produit au prix de 46,20 €/MWh à ses concurrents, lesquels pourront potentiellement la revendre au prix de 1 000 €/MWh sur le marché.

À l’heure des graves tensions sur le gaz, susceptibles de durer du fait de la situation géopolitique, le manque d’entretien et d’investissement dans le parc nucléaire, qui résulte en partie de ce phénomène, est extrêmement préjudiciable. Trente‑deux des cinquante-six réacteurs nucléaires français sont ainsi à l’arrêt. Traditionnellement exportatrice nette d’électricité, la France constate au premier semestre 2022, de manière inédite, un solde déficitaire d’un milliard d’euros ([21]).

2.   Le mix énergétique de la France doit être un atout pour amortir le choc et soutenir la compétitivité de notre appareil industriel

Le mix énergétique de la France, qui se compose de 40 % de nucléaire, 28 % de pétrole, 16 % de gaz naturel, 14 % d’énergies renouvelables et déchets et 2 % de charbon, est un atout par rapport aux autres pays européens, notamment du fait d’une dépendance moindre au gaz.

La réforme structurelle du marché européen de l’énergie annoncée par la Commission européenne le 9 septembre dernier, suivie de la réunion extraordinaire des ministres de l’énergie le 30 septembre, doit être l’occasion pour la France d’imposer des mécanismes plus favorables à son modèle énergétique et susceptibles de lui permettre de tirer parti de ses avantages comparatifs, notamment face à l’Allemagne. L’une des personnes auditionnées par votre Rapporteur résumait cet enjeu d’un mot : « En matière énergétique, il faut davantage de realpolitik face à l’Allemagne et moins de suivisme. ».

L’Allemagne : une croissance dont les principaux piliers s’effondrent

La croissance allemande prend appui sur trois principaux éléments :

– une énergie à bas coût en provenance de la Russie ;

– un modèle de commerce extérieur fondé sur l’exportation à destination de la Chine ;

– une main-d’œuvre relativement bon marché.

La situation actuelle remet en cause ces fondements : les tensions sur l’approvisionnement énergétique en provenance de Russie, la politique « zéro-covid » menée en Chine et l’inflation qui renchérit le coût du travail sont autant de coups portés au modèle d’un pays considéré comme la « locomotive de l’Union européenne ».

Une récession de l’ordre de 0,7 % est ainsi anticipée en 2023 en Allemagne ([22]).

B.   LA ZONE EURO EST MARQUÉE PAR DES DÉSÉQUILIBRES CROISSANTS ENTRE LE CENTRE ET LA PÉRIPHÉRIE

Les déséquilibres commerciaux des États membres de la zone euro sont aujourd’hui masqués par le système de règlement en temps réel de l’eurosystème, dit « Target 2 » mais n’en révèlent pas moins de profondes divergences entre les différents pays, qui pourraient s’accentuer avec la dégradation de la situation économique allemande.

1.   La mise en place de l’Union économique et monétaire a conduit à renoncer au mécanisme d’ajustement des déséquilibres extérieurs par le change

Avant l’introduction de l’euro, les déséquilibres commerciaux des États de l’Union européenne s’ajustaient au moyen d’opérations sur le taux de change des monnaies nationales. Ainsi, si le solde de la balance des paiements de la France était déficitaire par rapport à l’Allemagne, le franc était dévalué face au mark pour équilibrer le commerce extérieur français, entraînant la baisse des importations allemandes du fait du renchérissement de celles-ci.

Avec l’introduction de l’Union économique et monétaire, les États n’ont plus la possibilité d’ajuster leurs déséquilibres commerciaux en agissant sur le taux de change, puisque l’autorité monétaire relève de la Banque centrale européenne (BCE). Toutefois, la libéralisation des flux de capitaux doit permettre de compenser les déséquilibres commerciaux, à travers un financement des pays excédentaires vers les pays déficitaires – c’est le principe du mécanisme « Target 2 » qui est donc garant de la parité en zone euro.

Le système de règlement en temps réel de l’eurosystème (Target 2)

Le système de règlement en temps réel de l’eurosystème, dit « Target 2 » (Trans-European Automated Real-time Gross Settlement Express Transfer System) permet le règlement de transactions financières entre banques commerciales situées dans les différents pays de la zone euro via un système de compensation entre les banques centrales nationales et la banque centrale européenne.

2.   La monnaie unique masque des déséquilibres croissants entre les pays membres de la zone euro, qui mettent potentiellement en péril la pérennité de celle-ci

Les déséquilibres au sein de Target 2 traduisent actuellement une divergence croissante entre les pays « cœur » que sont l’Allemagne, les Pays-Bas et le Luxembourg, qui bénéficient d’excédents courants, et les pays périphériques (Italie, Grèce, Espagne, Portugal, Irlande), qui constatent des déficits courants persistants.

TE-284

Cette situation invite à s’interroger sur la solidité de la zone euro et, plus particulièrement, sur le rôle de l’Allemagne dans le cadre de l’Union économique et monétaire. Il est en effet permis de considérer que l’Allemagne constitue le centre monétaire de la zone euro et du système monétaire européen. Grâce au siège de la Banque centrale européenne à Francfort et à un système économique jusqu’à présent solide, l’Allemagne dispose d’une sorte de véto sur la monnaie, qui constitue un de ses principaux atouts. Dans une certaine mesure, l’Allemagne est souveraine monétairement, contrairement à ses partenaires européens – et plus particulièrement les pays du Sud, sur lesquels l’Allemagne, les Pays-Bas et le Luxembourg notamment détiennent des créances.

L’évolution des soldes au sein de « Target 2 » soulignent les déséquilibres forts entre pays et se traduit par des écarts marqués entre les taux d’emprunt au sein de la zone euro (« spreads »). Ils s’expliquent, depuis 2015 et après la crise des dettes souveraines de 2008, par un rôle accru d’intermédiation de la BCE et d’importantes injections de liquidité dans l’eurosystème, afin de pallier la fragmentation financière de la zone euro.

Un spécialiste auditionné par votre Rapporteur indiquait, plus largement, que l’Allemagne avait, au sein de l’Union économique et monétaire, joué un rôle non coopératif en contenant les hausses de salaires nominaux sous le niveau des autres pays du cœur de la zone euro, afin de gagner sur eux un avantage comparatif.

La situation économique et financière allemande appelle aujourd’hui à repenser en profondeur les équilibres au sein de la zone euro, sous peine de voir les divergences d’intérêt croissantes entre État menacer la pérennité de la monnaie unique.

*

*    *

Ces différents éléments d’analyse, invitent à reconsidérer un modèle énergétique et monétaire européen construit par et pour l’Allemagne, afin de permettre à la France de faire davantage valoir ses atouts, dans un environnement profondément bouleversé par des tensions internationales et une crise énergétique malheureusement appelées à durer.

 


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   EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 12 octobre 2022, la commission des affaires économiques a examiné pour avis, dans le cadre de l’examen de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2023, sur le rapport de M. Hervé de Lépinau, les crédits du programme « Commerce extérieur » de la mission « Économie ».

M. le président Guillaume Kasbarian. Chers collègues, nous poursuivons cet après-midi l’examen de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2023. Trois avis budgétaires sont inscrits à l’ordre du jour, qui se rattachent tous à la mission Économie : le commerce extérieur, le tourisme ainsi que les communications électroniques et l’économie numérique. Il restera l’avis sur les entreprises à examiner. Le vote sur les crédits de la mission Économie n’aura donc lieu qu’à l’issue de l’examen de ce dernier avis, mardi prochain.

M. Hervé de Lépinau, rapporteur pour avis. L’avis que je vais donner sur le commerce extérieur est assez marginal dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023. Je vous invite néanmoins à lire le rapport que j’ai rédigé, car c’est un outil de réflexion riche en données, qui vous permettra d’apprécier la réalité de la balance commerciale française. Nous avons auditionné vingt-neuf personnes de très haut niveau, dont les compétences m’ont permis de rédiger ce rapport en toute connaissance de cause.

Le commerce extérieur français subit les conséquences d’un environnement international profondément instable et dégradé. La guerre en Ukraine, la politique du « zéro covid » menée en Chine ainsi que les tensions d’approvisionnement liées à la reprise de l’activité économique après la pandémie grippent le fonctionnement de l’économie mondiale et pénalisent nettement notre commerce extérieur en 2022. Malgré un excédent historique du solde des services, qui s’élève à 34 milliards d’euros, le déficit commercial français poursuit sa dégradation et s’établit à
– 71 milliards d’euros au premier semestre 2022, contre – 51 milliards d’euros au second semestre 2021. Cette situation résulte de l’explosion de la facture énergétique française, passée de 27 à 48 milliards d’euros.

Dans ce contexte, les moyens budgétaires accordés au soutien du commerce extérieur sont d’une importance cruciale. Les crédits prévus à l’action n° 7 du programme 134 augmentent de 37 % pour s’élever à 184,88 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement. Cette augmentation s’explique principalement par la hausse des financements attribués à l’opérateur Business France et à Bpifrance Assurance Export.

Business France est l’opérateur chargé du développement international des entreprises françaises, de la gestion du volontariat international en entreprise (VIE), des projets d’investissements étrangers en France et de la promotion de l’image économique de la France. Pour exercer ses missions, l’opérateur bénéficie d’une subvention pour charges de service public qui s’établit à 100,7 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, soit une augmentation de 18 % par rapport à la loi de finances pour 2022.

Les moyens alloués à Business France sont encadrés par un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens, dont le renouvellement fait actuellement l’objet de négociations avec l’État. La hausse de la dotation prévue par le projet de loi de finances pour 2023 permettra de renforcer la digitalisation de l’activité de l’opérateur, d’adopter des mesures de cybersécurité et d’accroître les programmes d’accompagnement intensif de secteurs d’activité ciblés.

S’agissant de Bpifrance Assurance Export, le projet de loi de finances prévoit 78,10 millions en autorisations d’engagement et en crédits de paiement au titre de la rémunération de l’opérateur pour sa gestion des garanties publiques et des outils de soutien financier à l’export. Cette dotation, en augmentation de 56 % par rapport à 2022, permettra de couvrir les coûts associés au transfert des missions financières opérées par Natixis et à l’assujettissement à la TVA de l’ensemble de la prestation réalisée par Bpifrance Assurance Export.

Mon avis sur les crédits est favorable. Il convient néanmoins de tenir compte des circonstances géopolitiques du moment et de s’assurer que ces crédits sont bien adaptés aux missions des opérateurs, en particulier en ce qui concerne les nouvelles missions revenant à Bpifrance.

J’ai souhaité, dans le cadre de la seconde partie de mon rapport, m’intéresser à deux phénomènes conjoncturels qui me semblent révéler des faiblesses plus structurelles : la hausse du coût de l’énergie et la dépréciation de l’euro face au dollar.

Les prix de l’énergie importée ont connu une véritable explosion avec une hausse de plus de 380 % entre 2020 et 2022. Ce renchérissement du coût de l’énergie résulte en premier lieu des perturbations économiques et politiques mondiales, notamment de la guerre en Ukraine. La facture énergétique française a été multipliée par près de deux, passant de 27 à 48 milliards d’euros en 2022, et explique presque à elle seule la dégradation de notre balance commerciale. Le phénomène le plus marquant concerne l’électricité, puisque la France est, pour la première fois, importatrice nette d’électricité, avec un déficit de 1 milliard d’euros au premier semestre 2022. Les circonstances accidentelles seules ne suffisent pas à expliquer la faible disponibilité de notre parc nucléaire et on ne peut que regretter les choix politiques qui nous ont conduits, au nom d’une idéologie franchement irréaliste, à négliger ce qui constitue l’un de nos plus grands atouts.

Le renchérissement du coût de l’énergie est susceptible de constituer un phénomène durable et place nos entreprises dans une situation intenable. Les entreprises exportatrices voient ainsi leur compétitivité-prix affectée, tandis qu’à plus long terme leur compétitivité hors prix risque de se dégrader du fait d’un investissement insuffisant. Je tiens donc à alerter notre Assemblée sur la situation de notre tissu industriel qui, à court terme, va se trouver face à des difficultés majeures de trésorerie conduisant à la fermeture de capacités de production, notamment au sein de secteurs d’activité énergivores comme l’agroalimentaire, la chimie ou la pharmacie.

Cette conjoncture dégradée en France ne constitue pas pour autant une singularité en Europe. En effet, la zone euro dans son ensemble ainsi que nos principaux partenaires commerciaux – Allemagne, Italie, Espagne – sont durement affectés par ce choc énergétique. Outre une dégradation nette de leur balance commerciale, la conjoncture économique se traduit par un niveau d’inflation relativement plus élevé qu’en France. Ce différentiel d’inflation s’explique en partie par notre mix énergétique, ce qui souligne une fois encore la nécessité de renforcer notre indépendance en la matière.

La hausse conjoncturelle du prix de l’énergie révèle des faiblesses plus structurelles du marché européen de l’énergie. L’urgence est de réformer son fonctionnement, car il a joué un rôle d’amplification de la crise et non d’amortisseur. De manière générale, la fixation du prix de l’électricité par le coût de l’unité marginale de production, c’est-à-dire les centrales thermiques aux coûts de production les plus élevés – gaz, charbon et fioul – lie artificiellement le prix de l’électricité et du gaz, à notre désavantage. De plus, la libéralisation du marché énergétique français et la création du dispositif d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) sont un échec retentissant, tant sur les prix aux consommateurs que sur les investissements dans nos capacités de production. Le système actuel affecte fortement les capacités d’investissement d’EDF, qui apparaissent pourtant cruciales dans le contexte incertain et dégradé que nous connaissons. Je suis donc convaincu que la réforme structurelle du marché européen de l’électricité lancée par la Commission européenne, le 9 septembre, doit être l’occasion de refonder notre modèle et d’imposer des mécanismes plus favorables à notre modèle énergétique, notamment vis-à-vis de l’Allemagne.

La dépréciation très nette de l’euro face au dollar a également retenu mon attention. J’ai souhaité étudier ses conséquences sur le commerce extérieur français ainsi que sur le contexte inflationniste que nous connaissons. L’euro, pour la première fois depuis 2002, a atteint la parité avec le dollar, en raison d’une forte appréciation du dollar qui bénéficie d’un statut de valeur refuge et d’un environnement économique, politique et financier plus favorable. Les effets sur le commerce extérieur français sont difficiles à anticiper, notamment parce que d’autres phénomènes interviennent, déjouant ainsi les grandes lois de la théorie économique. Après une première dégradation de la balance commerciale du fait du renchérissement du coût des importations, la dépréciation devrait contribuer en théorie à accroître la compétitivité-prix des biens et services français, stimulant de fait nos exportations. Les secteurs de l’aéronautique, du tourisme ou encore du fret maritime pourraient ainsi être concernés par ces gains de compétitivité. Toutefois, la dépréciation alimente également l’inflation au travers des importations énergétiques et de matières premières libellées en dollars. Il semblerait donc que, dans ce cas précis, la conjoncture monétaire soit pénalisante pour la compétitivité des entreprises françaises, y compris à moyen terme.

Cette question m’a conduit à m’interroger sur les équilibres de la zone euro et sur ce que nous pouvions craindre des déséquilibres commerciaux croissants entre États membres – rappelons que 53 % de nos exportations concernent la zone euro. Le cadre de l’Union économique et monétaire ne permet plus aux États d’ajuster leurs déséquilibres commerciaux en agissant sur le taux de change. Cette situation est compensée par le mécanisme dit « Target 2 », propre à l’eurosystème, qui permet le financement de pays déficitaires par ceux en situation d’excédent. Alors que la locomotive de l’Union, l’Allemagne, s’apprête à entrer en décroissance, son déraillement aura des répercussions sur les pays du Sud, jusqu’à présent plutôt à la remorque.

Toutefois, les déséquilibres financiers entre les pays excédentaires – Allemagne et Pays-Bas – et les pays déficitaires – Italie, Espagne, Portugal et Grèce – se sont accrus depuis la crise des dettes souveraines et se traduisent par une dégradation des conditions d’emprunt des pays déficitaires. La situation économique de plus en plus préoccupante de l’Allemagne, qui devrait connaître une récession l’année prochaine, fait redouter une fragmentation de la zone euro.

J’appelle d’ailleurs votre attention sur une déclaration assez retentissante M. Christian Saint-Étienne, un économiste que l’on peut qualifier de mainstream et qui ne contribue pas à l’élaboration du programme économique et financier du Rassemblement national. Il a clairement posé la « question anglaise » : si l’Union européenne et plus particulièrement les fonctionnaires de Bruxelles deviennent des freins au rétablissement d’un équilibre des marchés financier et de l’énergie, alors la question d’une remise au pas de Bruxelles doit se poser de manière imminente. Nous entrons ainsi véritablement dans une zone de turbulences. La crise doit nous inviter à repenser le fonctionnement de l’Union européenne et de la zone euro.

En conclusion, le commerce extérieur français constitue un cas d’école politique qui permet d’embrasser les thématiques essentielles que sont les questions énergétiques et celles relatives au fonctionnement de l’Union européenne et de la zone euro. Les auditions que j’ai menées dans le cadre de ce rapport me conduisent à conclure en insistant sur les inquiétudes des acteurs économiques. Le renchérissement du coût de l’énergie et, dans une moindre mesure, le phénomène de dépréciation monétaire pèsent sur notre balance commerciale et fragilisent gravement notre appareil productif. Les effets à court terme, déjà visibles, et l’inquiétude exprimée par les entreprises sur l’ensemble de notre territoire doivent susciter une réaction volontariste et rapide des pouvoirs publics. Les effets à moyen et long termes consisteront en une dégradation préjudiciable de la compétitivité hors prix de nos entreprises. La conjoncture économique révèle en outre avec force le besoin de réformer structurellement, à l’échelle européenne, le fonctionnement du marché énergétique et celui de la zone euro. Il en va de la préservation de notre compétitivité et, plus largement, de notre avenir commun.

M. le président Guillaume Kasbarian. Nous en venons aux orateurs des groupes.

M. Charles Rodwell (RE). Monsieur le rapporteur, vous émettez un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Économie concernant le commerce extérieur, reconnaissant ainsi le caractère ambitieux des moyens qui sont alloués au commerce extérieur dans ce projet de loi de finances. Ces moyens, qui sont largement justifiés au regard de notre balance commerciale, s’inscrivent dans la stratégie du Gouvernement et de la majorité depuis cinq ans pour rétablir l’équilibre de notre balance, après trente ans d’abandon de notre industrie par les gouvernements successifs.

Notre stratégie repose sur trois piliers. Le premier consiste à protéger nos entreprises et nos industries, hier face aux délocalisations et à la covid-19, aujourd’hui face à la hausse des prix de l’énergie. Vous soulignez, dans votre rapport, les efforts faits par le Gouvernement pour contenir l’inflation, rappelant que la France se distingue par un mix énergétique favorable et par un soutien des pouvoirs publics avec le bouclier tarifaire. Celui-ci, qui donne à notre pays un avantage compétitif vis-à-vis de ses partenaires européens, doit être financé par un amendement qui prélèvera plusieurs milliards d’euros sur la rente des énergéticiens. J’espère que vous voterez cet amendement avec nous.

Le deuxième pilier de notre stratégie consiste à renforcer l’attractivité de notre pays. C’est ce que nous avons fait avec la baisse massive des impôts, la réforme du marché du travail, la simplification de la vie des entreprises ou encore le lancement d’événements comme le sommet Choose France. Cette stratégie paye : depuis 2019, la France est le pays le plus attractif d’Europe pour les investissements étrangers, notamment industriels.

Concernant la dépréciation de l’euro, si vous exprimez des inquiétudes, vous soulignez dans votre rapport que la dépréciation devrait contribuer à renforcer le volume des exportations de notre pays et l’attractivité de la France. Pourriez-vous préciser votre pensée en la matière ?

Enfin, troisième et dernier pilier de notre stratégie, nous soutenons nos entreprises à l’export. Vous avez indiqué dans votre rapport que le nombre d’entreprises françaises exportatrices atteint un record historique en 2022. La raison en est que nous avons mis les moyens pour soutenir nos entreprises à l’export. Vous soulignez les efforts exceptionnels accomplis en la matière : + 37 % de crédits alloués au commerce extérieur, + 18 % de moyens alloués à Business France, + 56 % de crédits pour la rémunération de Bpifrance Assurance Export. Vous soulignez les conséquences bénéfiques de nos réformes, alors que le Rassemblement national ne les a jamais soutenues : pourriez-vous nous expliquer votre position en la matière ?

Notre groupe votera l’avis favorable que vous proposez.

M. Hervé de Lépinau, rapporteur pour avis. Je tiens tout d’abord à remercier M. Rodwell, qui m’a fait l’honneur d’assister à plusieurs auditions – il est d’ailleurs le seul.

Les chiffres cités dans mon rapport sont ceux du premier semestre 2022, car nous ne disposons pas encore de ceux du deuxième semestre, lesquels devraient révéler une dégradation. Il aurait fallu que ce rapport soit établi avec un décalage de six mois pour pouvoir intégrer totalement l’année 2022.

Si nous ne pouvons que soutenir nos entreprises à l’export, je tiens tout de même à rappeler avec beaucoup de modestie la portée de l’avis qui est le mien : il consiste à dire si, oui ou non, nous devons continuer à accompagner ce super VRP qu’est Business France dans le cadre de la présentation de la force des entreprises françaises à l’export.

Mme Florence Goulet (RN). Je tiens à souligner la qualité du travail réalisé par notre collègue Hervé de Lépinau. Au-delà d’une photographie précise des crédits dédiés à l’appui au commerce extérieur, son avis met en exergue l’impact du contexte international sur notre commerce extérieur depuis la pandémie de covid-19 et rappelle que des secteurs « locomotives » de notre économie, comme l’aéronautique, ont vu leur solde positif divisé par deux en trois ans. Couplée aux effets croissants de la guerre en Ukraine, cette situation a créé les conditions d’un retournement négatif, avec une facture énergétique multipliée par cinq en deux ans et une dépréciation de l’euro face au dollar qui renforce l’inflation sans créer, pour le moment, de rebond à l’exportation.

Le rapporteur indique également les grandes orientations stratégiques à adopter d’urgence pour sortir de ce marasme, en particulier l’urgente réforme du marché européen de l’énergie, mal conçu et contraire à nos intérêts puisqu’il a entraîné l’accroissement artificiel du coût de notre énergie, alors que nous avions créé les conditions de notre indépendance nationale énergétique dès les premières années de la Ve République. Notre pays, souffrant de la hausse des prix d’importation des matières premières et de l’énergie, subit un fort ralentissement malgré le nombre croissant d’entreprises françaises exportatrices – cela souligne d’ailleurs la capacité de notre peuple et de nos entrepreneurs à faire face à la crise en dépit d’une conjoncture adverse et de règles du jeu trop souvent favorables à la concurrence internationale.

Ma question porte sur la réunion des chefs d’État qui s’est tenue le 7 octobre dernier dans le cadre d’un sommet informel consacré à la crise énergétique. Quel regard portez-vous sur le peu d’informations délivrées par le Gouvernement, alors que la stratégie française en matière de commerce extérieur nécessite des ajustements urgents en faveur de nos entreprises ?

M. Hervé de Lépinau, rapporteur pour avis. Concernant notre ligne politique, nous avons une divergence avec le parti gouvernemental, qui est dans le mantra et l’idéalisation de perspectives, alors que nous sommes dans le concret. Je ne voudrais pas que Business France se rende dans des salons internationaux avec des cadavres d’entreprises dans ses soutes. Le danger qui se présente, ce sont des dépôts de bilan en rafale : nombre de très petites entreprises (TPE), petites et moyennes entreprises (PME) et établissements de taille intermédiaire (ETI) ne pourront pas supporter l’explosion du coût de l’énergie.

Plutôt qu’un bouclier financé par la dette et ne servant que d’amortisseur, nous demandons une réforme structurelle du marché européen de l’électricité. Il faut décorréler immédiatement le prix de l’électricité de celui du gaz et sortir la France de ce mécanisme. Il est en effet totalement anormal, voire scandaleux, qu’EDF soit obligée de vendre son mégawatt à 42 euros pour le voir ensuite revenir sur le marché européen à plusieurs centaines d’euros, revendu par des opérateurs qui font ainsi des marges absolument colossales. Pour vous donner un exemple très précis, dans ma circonscription, une entreprise verra sa facture d’électricité multipliée par treize si rien n’est fait pour sortir la France du marché européen de l’électricité.

Mme Sophia Chikirou (LFI). Depuis quinze ans, le commerce extérieur français sombre : la balance commerciale est structurellement négative et la conjoncture actuelle ne fait que dégrader de façon exponentielle la situation. Nous connaissons l’ampleur des dégâts : – 85 milliards en 2021, – 156 milliards prévus en 2022 et – 154 milliards en 2023. Ce problème perdure, car ce sont les mêmes logiques qui sont répétées à l’envi. Depuis plus de quinze ans, la France dépense des centaines de millions d’euros pour aider des entreprises françaises à l’international sans aucune évaluation des politiques publiques de compétitivité, sans objectifs ni indicateurs clairs, sans fixer de conditions sociales et écologiques, sans même élaborer de plan stratégique.

Dans son rapport publié en octobre 2022, la Cour des comptes souligne les lacunes du contrat d’objectifs et de moyens conclu entre l’État et Business France pour la période 2018-2022, ce contrat ne mentionnant aucun secteur à accompagner de manière préférentielle, aucun objectif stratégique ni aucun indicateur. La méthode Business France consiste à laisser aux entreprises, par l’intermédiaire du Conseil national de l’industrie, le soin de déterminer leurs priorités en matière d’export. Autrement dit, l’argent public ne sert pas à mettre en œuvre une politique publique de commerce extérieur mais à financer des projets privés dont on se demande bien quels sont les critères de leur sélection. C’est là que le bât blesse : nous soutenons des entreprises dans des secteurs polluants, dans des zones et dans des pays socialement et humainement hautement critiquables. Comment justifie-t-on de financer des start-up à Dubaï dans le cadre du programme Booster ? En quoi le fait d’encourager l’évasion fiscale à Dubaï améliorerait-elle la balance commerciale française et la situation de l’emploi en France ?

Par ailleurs, comment intègre-t-on les exigences de l’accord de Paris dans la stratégie d’exportation ? Que voulons-nous produire en France, relocaliser à tout prix ou au contraire exporter ? Il faut un plan de souveraineté agricole, il faut un plan de relocalisation des productions stratégiques comme les médicaments, il faut travailler à notre souveraineté énergétique par le développement des énergies renouvelables. Enfin, il faut cesser de financer à vue et Business France doit répondre à un cahier des charges précis. En dépit de l’alerte de la Cour des comptes, rien n’est envisagé pour y remédier. Business France et Bpifrance coûtent donc 180 millions d’euros d’argent public, sans évaluation environnementale ni sociale, sans objectifs et sans indicateurs.

M. Hervé de Lépinau, rapporteur pour avis. Mon sujet n’était pas l’éthique en commerce international. Il s’agit d’un avis strictement budgétaire et, au regard de la mission qui est la mienne, je n’ai pas à me prononcer sur les considérants que vous avez évoqués. Nous avons les uns et les autres des approches différentes de ce que peuvent être la mondialisation et le commerce international et je respecte totalement les objections que vous avez formulées, mais ce n’était pas le cœur de ma mission. Quant à Business France, c’est un facilitateur qui aide les entreprises françaises à rencontrer des administrations locales, à s’implanter et à se faire connaître ; en aucune manière il ne peut interférer dans la stratégie de développement des entreprises.

M. Vincent Rolland (LR). Le commerce extérieur français se porte très mal. Les premiers regards se tournent vers l’Ukraine et la crise énergétique qui découle de la guerre, mais il serait trop facile d’évoquer cette seule difficulté pour expliquer la situation de notre commerce extérieur. Néanmoins, nous pouvons revenir quelques instants sur les questions énergétiques. Une politique d’errements depuis de nombreuses années et sous différents gouvernements a rendu la France fragile au regard de son autonomie énergétique et de sa souveraineté nationale.

S’agissant de problèmes plus structurels, notre pays connaît depuis de très nombreuses années une désindustrialisation qui a contribué à fragiliser notre commerce extérieur. Cela s’explique de plusieurs manières, notamment par un manque de compétitivité, les charges sociales, fiscales ou réglementaires qui pèsent sur notre économie étant bien plus importantes que chez nos voisins et nos concurrents immédiats. Selon certains, l’euro pénalise l’économie française et est en partie responsable des déficits commerciaux, alors même que l’Allemagne, avec la même monnaie, est un champion d’Europe, sinon le champion du monde. Nous avons aussi, hélas, constaté un manque de protection de la part de l’Union européenne autour de ses frontières.

Enfin, vous avez souligné qu’un certain nombre d’organismes publics ou parapublics bénéficiaient d’un soutien important de l’État. Je citerai pour ma part les CCI (chambres de commerce et d’industrie), qui ont décliné au fil du temps alors qu’elles ont joué un rôle majeur pendant la crise de la covid-19. Leur budget ne cesse d’être raboté alors qu’elles aussi peuvent accompagner et soutenir les entreprises à l’export.

M. Hervé de Lépinau, rapporteur pour avis. Concernant la dépréciation de l’euro, nous aurions pu bénéficier de la parité avec le dollar s’il n’y avait pas eu la crise énergétique. Quelques secteurs sont moins concernés, comme les services informatiques et le tourisme, même si des professionnels de la filière tourisme nous ont indiqué que le coût de l’énergie n’était pas neutre dans leur activité. Ainsi, la dépréciation de l’euro, qui aurait pu constituer un avantage, se trouve désormais neutralisée.

Par ailleurs, 53 % du commerce extérieur se fait dans la zone euro. La question de la parité n’a pas d’incidence. Pour le reste, près de la moitié du commerce effectué auprès de pays tiers se fait également en euros. La part restante est donc assez marginale.

Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Monsieur le rapporteur, vous consacrez une partie de votre rapport au risque que la crise énergétique fait peser sur la compétitivité des entreprises françaises. Nous en connaissons tous ici les causes, entre tensions sur l’approvisionnement en gaz et production électronucléaire insuffisante. L’Allemagne vient d’annoncer un bouclier tarifaire de 200 milliards d’euros, dont 25 milliards destinés à 25 000 entreprises consommatrices d’énergie, ainsi qu’une aide pour l’ensemble des PME et TPE. Ce plan représente une aubaine pour l’économie allemande, mais aussi un danger important pour le marché intérieur de l’Union européenne – en particulier pour les entreprises françaises, si nous ne leur proposons pas un bouclier tarifaire ambitieux. La compétitivité-prix, qui nous permet de compenser en partie notre manque de compétitivité hors prix, serait autrement laminée, avec des conséquences considérables pour tout notre écosystème export. Je souhaite donc connaître, à l’aune de vos travaux, votre point de vue sur le périmètre et les outils d’intervention d’un tel bouclier pour les entreprises.

Vous avez évoqué à plusieurs reprises le fonctionnement de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh). En pleine crise énergétique, nous voyons tous ses travers. Dans l’attente d’une refonte globale, êtes-vous favorable à un fléchage de l’Arenh vers les entreprises qui en ont besoin – et seulement celles-ci ?

Le fait que l’inflation en France soit inférieure à ce qu’elle est chez ses voisins pourrait constituer, à la lecture de votre rapport, un gisement de compétitivité et une chance pour nos entreprises. Cela résulte du retard – que nous dénonçons – dans le rattrapage de l’inflation par les salaires, mais pas uniquement. Pourriez-vous développer ce point ?

M. Hervé de Lépinau, rapporteur pour avis. Je crois l’avoir fait comprendre dans mon rapport, le bouclier tarifaire n’est pas nécessairement la solution que je retiendrais. Le bouclier tarifaire, ce sont des aides aujourd’hui et des impôts demain.

Le marché européen de l’électricité a été construit dans un contexte où il n’y avait pas d’inflation et où l’Allemagne était notre locomotive, car elle n’avait pas alors de difficultés d’accès aux énergies fossiles, qui constituent l’un des piliers de sa croissance économique. Compte tenu de ses fondamentaux, ce modèle a complètement volé en éclats. Selon moi, il serait mortifère pour l’Union européenne de maintenir coûte que coûte une architecture obsolète, au motif que sa remise en cause pourrait être considérée par certains comme une remise en cause de l’Union européenne elle-même. Il faut savoir faire la part des choses et, surtout, faire preuve de pragmatisme.

Le facteur temps joue : nous devons prendre des décisions à plus ou moins quinze jours. Nos entreprises sont dans une phase de renégociation de leurs contrats d’énergie, et ce qu’annoncent les opérateurs à ce sujet est tout à fait alarmant. J’ai pris cette image tout à l’heure : Business France doit-il avoir des cadavres d’entreprises dans ses soutes ? Je ne le crois pas ! La réponse doit être apportée tout de suite. Je pourrais comprendre que l’on se lance dans un bouclier tarifaire tel qu’il a été conçu pour les particuliers, mais je ne crois pas que ce soit la bonne solution.

M. Paul Molac (LIOT). La question du déficit commercial est un serpent de mer : certes, il se creuse aujourd’hui, notamment en raison du prix de l’énergie, mais nous en entendons parler depuis une bonne vingtaine d’années.

Pour 100 entreprises exportatrices françaises, on en compte 171 en Italie et 265 en Allemagne. C’est rarement souligné, mais cette plus grande facilité à exporter tient probablement à la structuration différente de ces deux pays, aux autonomies qui y sont instituées. On y est beaucoup plus réactif et rapide que dans un système centralisé comme le nôtre. Le système fédéral allemand est d’ailleurs vanté pour sa réactivité.

Une entreprise de ma circonscription, qui réalise 65 % de son chiffre d’affaires à l’export, a en ce moment des difficultés, non pas à cause du prix de l’énergie, mais parce qu’elle est engluée dans des questions administratives : elle a besoin de deux autorisations, et il faudrait que l’on demande pour cela une dérogation à un règlement européen, ce qui n’est pas fait. Ses clients étrangers – j’ignore par quelle voie ils ont été informés – lui demandant si elle a bien ces autorisations. De telles situations ne devraient tout simplement pas exister.

Il y a donc une question d’articulation et de simplification de notre architecture administrative. Pour pouvoir prendre des décisions à quinze jours, comme vous l’avez dit, il faut être réactif. Or nous n’avons pas cette capacité à répondre rapidement à une entreprise et à dénouer les situations. À mon sens, c’est sans doute le principal problème, car c’est là que la conquête des marchés se joue.

Le Gouvernement veut supprimer la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). D’une part, cela ôtera encore de l’autonomie aux collectivités locales. D’autre part, les Allemands prélèvent eux aussi des impôts de production, ce qui n’empêche pas leurs entreprises d’être compétitives.

M. le président Guillaume Kasbarian. Ils prélèvent 30 milliards de moins !

M. Paul Molac (LIOT). On fait parfois dire ce qu’on veut aux chiffres…

M. Hervé de Lépinau, rapporteur pour avis. L’Allemagne présente une particularité par rapport à la France : elle dispose d’un tissu dense d’entreprises de taille intermédiaire (ETI), notamment parce que la culture de l’entreprise familiale y est préservée. Cela soulève la question de la fiscalité applicable en cas de transmission du patrimoine industriel. En France, d’un côté de l’échiquier politique, on veut surtaxer les successions. Or nous savons où cela nous mène.

Notre construction administrative favorise effectivement la multiplicité des contrôles. Si la centrale de Flamanville ne démarre toujours pas, c’est parce qu’on a ajouté des processus de sécurité les uns aux autres. Un tel millefeuille d’intervenants crée les lourdeurs administratives que vous avez évoquées.

La France dispose de champions qui comptent dans sa balance commerciale, dans les services, le tourisme et l’informatique. En revanche, elle s’est désindustrialisée et a perdu énormément d’emplois industriels ; vous en connaissez mieux que moi les raisons.

M. le président Guillaume Kasbarian. Je rappelle que le vote sur les crédits de la mission aura lieu mardi prochain.

Après avoir examiné les cinq avis budgétaires se rattachant à la mission Economie, la commission a émis un avis favorable à l’adoption des crédits de cette mission lors de sa réunion du mardi 18 octobre 2022.

 


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LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉes

Association Nationale des Industries Alimentaires (ANIA) *

M. Jean-Paul Torris, vice-président, administrateur de l’ANIA

Mme Vanessa Quéré, directrice des affaires économiques et internationales

Atout France

M. Maud’hui, directeur du département ingénierie, prospective, développement des territoires

Banque de France

M. Bruno Cabrillac, directeur général adjoint des études et des relations internationales

Mme Véronique Bensaid-Cohen, conseillère parlementaire auprès du Gouverneur

Business France *

M. Benoit Trivulce, directeur général délégué – stratégie & ressources

M. Didier Boulogne, directeur général délégué – export

M. Quentin Geevers, chef de cabinet

Cabinet du Ministre délégué auprès de la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères chargé du Commerce extérieur, de l’Attractivité et des Français de l’étranger, M. Olivier Becht

Mme Sarah Finkelstein, directrice de cabinet adjointe

Mme Isabelle Camilier, conseillère en charge du pôle commerce extérieur

Mme Mariella Ceriani, conseillère spéciale chargée des affaires politiques et parlementaires

Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI)

M. Boris Guannel, chef du département des statistiques et des études économiques

M. Guillaume Vanderheyden, sous-directeur du commerce international

Direction générale du Trésor

Mme Nathalie Georges, sous-directrice des politiques macro économique

M. Thibault Cruzet, adjoint à la cheffe du bureau Echanges extérieurs et risques-pays

EDF *

M. François Dassa, directeur du pôle relations internationales de la Direction de la stratégie d’EDF

Mme Véronique Loy, directrice adjointe des affaires publiques

Fédération française du bâtiment (FFB) *

M. Loïc Chapeaux, directeur des affaires économiques

Mme Léa Lignères, chargée d’études des relations parlementaires et institutionnelles

Ministère de l’Europe et des affaires étrangères

Mme Caroline Gondaud, cheffe de la mission du commerce extérieur et de l’attractivité

M. François Hemelsoet, secrétaire des affaires étrangères

Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)

M. Éric Heyer, directeur du département « analyse et prévision » de l’OFCE et enseignant à Sciences Po Paris

Plateforme de la filière automobile (PFA) *

Mme Louise d’Harcourt, responsable des affaires publiques et parlementaires

Mme Maria Ianculescu, directrice des affaires internationales

Total Energie *

M. Jean-Marie Chouzenoux, directeur délégué relations institutionnelles France, Direction des Affaires Publiques

M. Jean-Pascal Clémençon, Senior Vice President Strategy et Markets

M. François Asselineau, président fondateur de l’Union Populaire Républicaine (UPR) accompagné de M. François-Xavier Grison, conseiller

M. Jérôme Héricourt, professeur à l’Université d’Evry/Université de Paris‑Saclay

Mme Lise Patureau, professeure d’économie à l’Université Paris-Dauphine

 

*  Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.


([1]) Utilisée notamment dans les milieux militaires et, en particulier, au Centre de hautes études militaires (CHEM) et à l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), la « règle de Chatham House » a été élaborée par le Royal Institute of International Affairs en 1927. Elle a depuis été redéfinie en 1992 et en 2002. Elle prévoit que les participants à une réunion placée sous son régime sont libres d’utiliser les informations collectées à cette occasion, mais qu’ils ne doivent révéler ni l’identité, ni l’affiliation des personnes à l’origine de ces informations, de même qu’ils ne doivent pas révéler l’identité des autres participants.

([2]) Ce solde est calculé par la Banque de France.

([3]) Source : Direction générale des douanes et droits indirects.

([4]) La demande mondiale adressée à la France constitue une mesure de l’évolution de la demande provenant des marchés extérieurs sur lesquels les entreprises françaises sont présentes à l’exportation.

([5]) 135 657 468 euros précisément.

([6]) Le « discours de Roubaix » est consultable en ligne : https://www.gouvernement.fr/discours/9996-discours-du-premier-ministre-sur-la-strategie-du-gouvernement-en-matiere-de-commerce-exterieur

([7]) Source : Business France.

([8]) Voir aussi l’avis budgétaire « commerce extérieur » de M. Antoine Herth sur le projet de loi de finances pour 2022, consultable en ligne (https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion-eco/l15b4527-tvii_rapport-avis#_Toc256000011).  

([9]) Hors hausse de la mise en réserve liée au passage d’un taux dérogatoire de 0,5 % au taux réglementaire.

([10]) Cf. Agence internationale de l’énergie, Oil Market Report, August 2022 (consultable en ligne : https://www.iea.org/reports/oil-market-report-august-2022).

([11]) Estimations du Fonds monétaire international : « How a Russian Natural Gaz Cutoff Could Weigh on Europe’s Economies », 19 juillet 2022.

([12]) Réponses écrites de la DG Trésor au questionnaire du rapporteur

([13]) Source : données Banque de France.

([14]) Réponses écrites de la DG Trésor au questionnaire du rapporteur. Voir également J. Héricourt, M. Philippe et G. Orefice, « Les exportateurs français face aux variations de l’euro », La Lettre du CEPII, 340, janvier 2014.

([15]) Éléments d’analyse transmis notamment par la Banque de France à votre Rapporteur.

([16]) Réponses écrites de la direction générale du Trésor au questionnaire de votre Rapporteur.

([17]) La forte reprise économique a nourri une demande dynamique et des tensions sur l’offre.

([18]) Source : Direction générale du Trésor.

([19]) Face à la montée des prix de l’électricité, plusieurs mesures ont été annoncées, dont le relèvement du volume d’Arenh de 20 TWh supplémentaires. La mise en œuvre de ce dispositif exceptionnel est encadrée par trois textes : l’arrêté du 11 mars 2022 fixant le volume global maximal d’électricité devant être cédé par Electricité de France au titre de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, qui rehausse le plafond de l’Arenh à 120 TWh pour l’année 2022 ; le décret n°2022-342 du 11 mars 2022 définissant les modalités spécifiques d’attribution d’un volume additionnel d’électricité pouvant être alloué en 2022, à titre exceptionnel, dans le cadre de l’Arenh ; l’arrêté du 11 mars 2022 fixant le prix des volumes d’électricité additionnels cédés dans le cadre de la période de livraison exceptionnelle instaurée par le décret susmentionné (source : site de la Commission de régulation de l’énergie).

([20]) Le concept de « passager clandestin », modélisé pour la première fois en 1965 par Mancur Olson dans un ouvrage intitulé Logique de l’action collective, désigne un type de défaillance du marché ou d’une organisation survenant lorsque ceux qui bénéficient d’une ressource ou d’un service ne le paient pas ou le paient en-deçà de son juste prix.

([21]) Source : réponses écrites de la DG Trésor au questionnaire du rapporteur.

([22]) OCDE, « Payer le prix de la guerre », Perspectives économiques, rapport intermédiaire, septembre 2022