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N° 341

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 octobre 2022

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI (n° 273)
de finances pour 2023

TOME IV

JUSTICE

JUSTICE ET ACCES AU DROIT

 

PAR Mme Sarah TANZILLI,

Députée

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 Voir les numéros : 292 – III – 30

 

En application de l’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), les réponses au questionnaire budgétaire devaient parvenir au rapporteur pour avis au plus tard le 10 octobre 2022 pour le présent projet de loi de finances. À cette date, 67 % des réponses au questionnaire thématique étaient parvenues à votre rapporteure pour avis qui souhaite remercier le Gouvernement et les services de l’État de leur diligence.

 

 

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION............................................ 5

PremiÈre partie : les crÉdits de la justice et de l’accÈs au droit pour 2023

I. Une augmentation consÉquente des crÉdits allouÉs à la justice judiciaire, nécessaire pour rattraper le retard

A. La hausse des crÉdits du programme Justice judiciaire finance les revalorisations et les recrutements nÉcessaires pour renforcer le service public de la justice

1. Renforcer les effectifs en juridiction

2. Revaloriser les rémunérations des personnels des services judiciaires

3. Maintenir une budgétisation réaliste des frais de justice

B. la Conduite et le pilotage de la justice

C. le Conseil supÉrieur de la magistrature

II. La hausse des crÉdits pour l’accÈs au droit et l’aide aux victimes doit renforcer les partenaires de l’État dans la mise en œuvre de ces politiques publiques

A. l’aide juridictionnelle

B. L’accÈs au droit et le rÉseau judiciaire de proximitÉ

C. L’aide aux victimes

D. La mÉdiation familiale et les espaces de rencontres

Seconde partie :  AccÈs au droit et accompagnement des personnes victimes de violences intrafamiliales

I. Un renforcement des moyens budgÉtaires pour favoriser l’accÈs au droit des personnes vicTimes de violences intrafamiliales

A. Multiplier les points d’entrée pour favoriser la prise en charge des victimes

1. Les différents professionnels susceptibles d’être en contact avec les victimes s’organisent pour les accueillir

2. La formation des personnels au contact des victimes

B. Des dispositifs pour protÉger les victimes de violences intrafamiliales qui montent en puissance

1. L’ordonnance de protection

2. Le dispositif du téléphone grave danger (TGD)

3. Le bracelet anti-rapprochement (BAR)

II. Maintenir un effort budgÉtaire important pour faire CESSER les violences intrafamiliales

A. Des moyens renforcÉs pour les acteurs de la chaÎne de prise en charge

1. Augmenter les moyens des associations qui accompagnent les victimes de violences intrafamiliales est essentiel pour garantir le fonctionnement des dispositifs de protection

2. Multiplier les lieux adaptés pour recueillir la parole des victimes

B. Continuer À faire de la protection des victimes une prioritÉ

1. Renforcer la prise en charge des conjoints violents

2. Améliorer encore la coordination entre les différents acteurs

3. Informer les victimes de leurs droits

EXAMEN EN COMMISSION

Personnes entendues

 

 


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Mesdames, Messieurs,

Ce budget s’inscrit dans la continuité des deux précédents budgets en proposant une hausse significative des moyens accordés aux services judiciaires. Le programme 166 Justice judiciaire voit ainsi ses crédits augmenter de 7,8 %. Pour renforcer les juridictions, ce budget crée 1 220 postes supplémentaires pour les services judiciaires, dont 200 postes de magistrats et 191 postes de greffiers. Cela constitue la première étape d’un plan de recrutement ambitieux qui verra le recrutement de 1 500 magistrats et de 1 500 greffiers supplémentaires sur le quinquennat. 

Ce budget traduit également la volonté d’améliorer les conditions d’exercice des personnels des services judiciaires : une enveloppe de près de 30 millions d’euros financera la revalorisation de l’indemnité des magistrats à hauteur de 1 000 euros brut par mois en moyenne à partir d’octobre 2023. Dans la continuité des efforts accomplis en 2022, les greffiers voient eux aussi leur traitement indiciaire et leurs indemnités revalorisées. 

Les efforts en faveur des associations d’aide aux victimes se poursuivent, avec une augmentation de 6,4 % des crédits qui leur sont alloués. Ces associations sont des partenaires indispensables de l’État pour assurer un accompagnement des victimes tout au long de leur parcours judiciaire.

*

Votre rapporteure a choisi d’orienter ses travaux cette année sur l’accès au droit et l’accompagnement des personnes victimes de violences intrafamiliales.

Rappelons tout d’abord que l’ambition du gouvernement de lutter plus efficacement contre les violences intrafamiliales se traduit par une perspective budgétaire extrêmement ambitieuse confirmée dans ce budget : le budget à l’attention des associations d’aide aux victimes de violences intrafamiliales augmente de 11,8% pour cette année, permettant de doubler l’enveloppe budgétaire annuelle allouée aux violences intrafamiliales entre 2020 et 2023.

L’une des clés pour faire progresser l’accès au droit des personnes victimes réside dans la multiplication des points d’entrée : elles doivent pouvoir se rendre dans les locaux des forces de l’ordre ou dans les points-justice et trouver une personne formée pour l’accueillir et l’orienter en fonction de ses besoins.

Le déploiement de lieux d’accueil spécialisés pour recueillir des enfants, comme les unités d’accueil pédiatriques des enfants en danger (UAPED) dans les hôpitaux et les salles Mélanie dans les locaux des forces de l’ordre est en bonne voie. La libération de la parole des mineurs doit être une priorité, alors que le nombre de mineurs victimes de violences sexuelles chaque année est estimé à 160 000 et qu’au regard des témoignages collectés par la CIIVISE, il semble que dans 8 cas sur 10, les violences soient commises dans le cercle familial.  

Les dispositifs pour protéger les personnes victimes de violences conjugales comme l’ordonnance de protection et le téléphone grave danger se sont largement diffusés après le Grenelle des violences conjugales en 2019. Des ajustements peuvent encore être apportés au bracelet anti-rapprochement, qui suscite encore certaines réticences au vu des alarmes intempestives qu’il déclenche parfois. 


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   PremiÈre partie :
les crÉdits de la justice et de l’accÈs au droit pour 2023

Quatre programmes sur les six qui composent la mission Justice sont examinés par la rapporteure pour avis :

– le programme 166 Justice judiciaire ;

– le programme 101 Accès au droit et à la justice ;

– le programme 310 Conduite et pilotage de la justice ;

– et le programme 335 Conseil supérieur de la magistrature.

Les crédits consacrés au fonctionnement de la justice et à l’accès au droit s’élèvent en 2023 à 5 996 millions d’euros en autorisations d’engagement (+ 14,6 %) et 5 547 millions d’euros en crédits de paiement (+ 7,2 %).

Tableau récapitulatif des crédits ouverts en loi de finances pour 2022 et dans le projet de loi de finances pour 2023

 

LFI 2022

PLF 2023

Variation
LFI 2022 / PLF 2023

(en millions d’euros)

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Justice judiciaire

3 921

3 849

4 516

4 148

+15,2%

+7,8%

Accès au droit et à la justice

680

680

712

712

+4,7%

+4,7%

Conduite et pilotage de la politique de la justice

619

638

764

682

+23,4%

+6,9%

Conseil supérieur de la magistrature

13,8

5,3

4,1

5

-70,3%

-5,7%

TOTAL

5 232,8

5 172,3

5 996

5 547

+14,6%

+7,2%

Source : documents budgétaires.

Le programme Justice judiciaire représente 75 % de ces crédits, comme l’illustre le graphique ci-dessous.

Répartition des crédits ouverts par le projet de loi de finances pour 2023 par programme

Source : commission des Lois, à partir des documents budgétaires.

I.   Une augmentation consÉquente des crÉdits allouÉs à la justice judiciaire, nécessaire pour rattraper le retard

Les crédits alloués aux différents programmes qui financent les juridictions judiciaires, les opérateurs et les administrations centrales augmentent significativement, à l’exception de ceux dédiés au Conseil supérieur de la magistrature (CSM), ce qui s’explique par une ouverture d’autorisations d’engagement exceptionnelle au cours de l’exercice budgétaire précédent.

A.   La hausse des crÉdits du programme Justice judiciaire finance les revalorisations et les recrutements nÉcessaires pour renforcer le service public de la justice

Le programme Justice judiciaire est composé de sept actions. Il finance à la fois le traitement des contentieux civils, la conduite de la politique pénale et la formation.

Les crédits du programme s’élèvent dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2023 à 3 921 millions d’euros en AE et 4 516 millions d’euros en CP, soit une augmentation de 7,8 % des crédits de paiement. Cette hausse significative des crédits s’explique notamment par le renforcement des effectifs en juridiction, les revalorisations indemnitaires des magistrats et des greffiers, mais aussi par le dynamisme des frais de justice. 

1.   Renforcer les effectifs en juridiction

Le schéma d’emplois prévoit une augmentation de 1 220 emplois en 2023, contre 40 en 2022. L’écart entre les créations de postes dans la loi de finances initiale pour 2022 et le PLF pour 2023 doit cependant être mis en perspective avec la pérennisation de 605 emplois en cours de gestion en 2022.

Ces 1 220 emplois se répartissent ainsi :

– 208 postes de magistrats : une partie de ces postes supplémentaires concerne les auditeurs de justice, qui arriveront donc en juridiction en 2025, après leur formation par l’École nationale de la magistrature (ENM) ;   

– 575 personnels d’encadrement, dont 300 juristes assistants, 261 personnels d’encadrement et 20 assistants spécialisés ;  

– 191 postes de greffiers ;

– 216 postes de catégorie B administratifs et techniques ;

– 50 postes de catégorie C administratifs et techniques.

Le schéma d’emploi montre que le renforcement se fait en priorité sur les services régionaux, qui accueilleront 1 015 emplois sur les 1 220 créés, ce qui témoigne de la volonté d’envoyer les magistrats au plus près des justiciables.

Ces créations d’emplois constituent une première étape : sur le quinquennat, l’objectif est de créer 1 500 emplois de magistrats et 1 500 emplois de greffiers. Le renforcement des juridictions en moyens humains est, pour la rapporteure, une nécessité vitale, comme l’illustrent les taux de vacance de postes chez les greffiers (une moyenne de 7 %) et chez les magistrats (estimé à 3,5 % en 2022). Elle salue cette première étape et sera vigilante à la progression des effectifs tout au long du quinquennat.

Enfin, les moyens des écoles de formation sont renforcés, en prévision des recrutements importants prévus sur le quinquennat. L’École nationale de la magistrature (ENM), opérateur du programme, bénéficiera d’une augmentation de sa subvention pour charges de service public de 2 millions d’euros, pour la porter à 35,2 millions d’euros. Son plafond d’emplois est également rehaussé de 26 emplois (dont 8 magistrats et 6 personnels d’encadrement), dans la perspective de former des promotions de 600 élèves dans les prochaines années (contre 450 élèves magistrats en 2023).

2.   Revaloriser les rémunérations des personnels des services judiciaires

Les crédits de titre 2, c’est-à-dire les dépenses de personnel, augmentent de 8,3 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2022.

Plusieurs mesures de revalorisations sont prévues.

Le traitement des magistrats sera rehaussé à partir d’octobre 2023 d’un montant moyen de 1 000 euros bruts par mois, soit une enveloppe de 29,2 millions d’euros en 2023. En année pleine, cette revalorisation devrait coûter 117 millions d’euros. Cette revalorisation se fera sous deux formes : une augmentation des primes forfaitaires, calculées en pourcentage du traitement brut de base, et une augmentation des primes modulables, attribuée de manière variable en fonction de la contribution du magistrat au bon fonctionnement de la juridiction.

 Le traitement versé aux auditeurs de justice devrait également être revalorisé pour qu’il soit aligné sur celui des élèves de l’Institut national du service public, pour un coût total de 1,3 millions d’euros en 2023.  

Diverses mesures de revalorisation sont prévues pour les greffiers et les directeurs de greffe, dont une revalorisation du régime indiciaire des greffiers à partir d’octobre 2023, pour un montant de 1,75 million d’euros, et une revalorisation de l’indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise (IFSE) à partir de juillet 2023, pour un montant de 5 millions d’euros. Cette revalorisation s’inscrit dans la continuité du relèvement du niveau de l’IFSE opéré en gestion au cours de l’année 2022. Ces mesures sont essentielles pour mettre les rémunérations des greffiers, qui appartiennent à la catégorie B, au niveau des personnels de catégorie équivalente qui travaillent dans les autres ministères, mais aussi pour garantir l’attractivité d’un corps dont le taux d’absentéisme est élevé.

Enfin, plusieurs mesures catégorielles interviendront pour les autres agents du ministère de la Justice, notamment les agents de catégorie C.

La rapporteure salue ces mesures de revalorisation qui sont un signal fort envoyé aux membres du corps judiciaire, en plus des recrutements importants annoncés sur le quinquennat. Elle sera attentive à leur mise en œuvre pour éviter toute déception parmi les fonctionnaires concernés.  

3.   Maintenir une budgétisation réaliste des frais de justice

Les crédits dédiés aux frais de justice dans le présent projet de loi de finances s’élèvent à 660,4 millions d’euros en AE et CP.

● Les frais de justice représentent les dépenses engagées par les magistrats et les personnes agissant sous leur direction ou leur contrôle au cours des procédures judiciaires, comme les officiers de police judiciaire. Ils représentent 58 % des dépenses de fonctionnement du programme 166.

Le montant alloué aux frais de justice pénale représente 92 % de l’enveloppe globale des frais de justice. Ces frais, dont l’article R 92 du code de procédure pénale dresse la liste, comprennent notamment les honoraires versés aux différents collaborateurs (experts, huissiers de justice, administrateurs ad hoc, personnes chargées des enquêtes sociales ou de personnalité…), les frais de mise sous séquestre, ou encore les frais résultant de certaines techniques d’enquête et de surveillance.

● Les crédits alloués aux frais de justice sont en augmentation de 2 % dans le projet de loi de finances pour 2023 (+ 12 millions d’euros). Cette hausse s’inscrit dans la continuité de l’évolution du budget alloué aux frais de justice ces dernières années : la consommation des crédits a ainsi augmenté de 23,7 % entre 2017 et 2021. Cette hausse continue s’explique notamment par des exigences probatoires de plus en plus élevées, ainsi que par la revalorisation l’année dernière des honoraires versés aux experts.

En 2021, la dynamique des frais de justice était soutenue par l’augmentation de trois postes en particulier : les analyses et expertises médicales (+ 17,5 %), les traductions et interprétariat (+ 17,5 %) et les scellés gardiennages (+ 16,7 %).

● Depuis 2021, un plan de maîtrise des frais de justice a été mis en œuvre par la direction des services judiciaires et les chefs de cour, selon trois axes principaux :

– la sensibilisation des acteurs ;

– l’animation du réseau de l’ensemble des acteurs de la justice ;

– le renforcement de la maîtrise des frais sur certains segments, comme le gardiennage des scellés et l’interprétariat.

L’objectif n’est pas de contraindre les magistrats dans l’exercice de leurs fonctions, mais d’optimiser la dépense.

S’agissant de l’interprétariat, les économies attendues sont liées au déploiement d’un logiciel de traduction automatique dans les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS). Les traductions faites par le logiciel sont ensuite revues par une personne physique.

S’agissant du gardiennage, qui représente en moyenne 28 millions d’euros chaque année, des conventions passées avec les fouriéristes dans les départements devraient produire des effets dès 2024.

● Le montant des crédits alloués aux frais de justice dans le projet de loi de finances est une estimation au regard des consommations passées : les magistrats, qui sont prescripteurs des actes, ne sont pas tenus par une enveloppe globale.

Or, l’enveloppe allouée aux frais de justice a été, par le passé, régulièrement sous-budgétée, c’est-à-dire que les crédits prévus en loi de finances initiale étaient insuffisants pour couvrir les besoins intervenus au cours de l’exercice budgétaire. À partir de 2021, un réel effort a été opéré pour que la fixation du budget initial repose sur une estimation plus fiable de ces besoins, comme l’illustre le tableau ci-dessous. 

Écart entre l’enveloppe ouverte au titre des frais de justice dans les lois de finances initiale depuis 2019 et les crédits consommés au titre des frais de justice

(en millions d’euros)

2019

2020

2021

2022

2023

Prévision

505,2

490,8

618,3

648,5

660,4

Exécution

531,8

544

613,2

nc

nc

Écart

+ 26,6

+ 53,2

-5,1

nc

nc

Source : commission des Lois.

La rapporteure salue cette trajectoire, ainsi que la budgétisation crédible et réaliste des frais de justice, qui offre la vision la plus juste possible à la représentation nationale.  

B.   la Conduite et le pilotage de la justice

Le programme 310 est composé de sept actions, dont la gestion de l’administration centrale, l’action informatique ministérielle et les politiques ressources humaines transverses.

Il finance donc les directions ministérielles, mais aussi le secrétariat général, qui coordonne l’action des directions et agit comme interface avec les directions interministérielles. Le programme comprend les crédits dédiés au financement de grands projets informatiques, tels que Astrea (refonte du système d’information du casier judiciaire des personnes morales) ou Portalis (nouveau système d’information pour la chaîne civile). Les crédits consacrés aux projets immobiliers, comme la poursuite des travaux de rénovation du site de Vendôme et la poursuite de la sécurisation du site Olympe de Gouge, sont également inscrits dans ce programme. 

Les crédits du programme s’établissent en 2023 à 764 millions d’euros en AE et à 682 millions d’euros en CP, soit une augmentation de 23,4 % en AE et 6,9 % en CP. 

Ces moyens supplémentaires renforcent l’action du ministère de la Justice sur plusieurs points.  

● L’augmentation des crédits du titre 2 finance la création de 132 emplois supplémentaires pour le secrétariat général. Ils viendront renforcer les équipes chargées du développement du numérique et celles qui sont chargées des ressources humaines, renforcement indispensable au vu des recrutements importants prévus pour les années à venir. Une partie de l’augmentation découle également de la revalorisation du point d’indice de la fonction publique intervenue en juillet 2022.

● Les crédits dédiés à l’Agence nationale des techniques d’enquêtes numériques judiciaires (ANTENJ), auparavant contenus dans l’action 9 Action informatique ministérielle, sont maintenant isolés au sein de l’action 5, Développement des techniques d’enquêtes numériques judiciaires. Ils financent la plateforme numérique d’interceptions judiciaires : en 2021, 50 143 interceptions judiciaires ont été effectuées. L’action 5 est dotée de 32 millions d’euros en AE et de 45,6 millions d’euros en CP, soit une augmentation de 12 % en CP par rapport à la LFI pour 2022. Cette augmentation doit notamment permettre d’adapter la plateforme aux évolutions technologiques.

● L’action informatique ministérielle représente 47,2 % des dépenses du programme, soit 361 millions d’euros en AE et 314 millions d’euros en CP. Les crédits consacrés à l’informatique du ministère de la Justice ont augmenté de 84,2 % en AE et de 46,4 % en CP depuis 2020 (en neutralisant les effets de périmètre). Cela finance des dépenses d’investissement pour des achats de matériels, ainsi que des opérations de maintenance. L’action porte notamment les crédits du plan de transformation numérique (PTN), soit 154,3 millions d’euros en CP. Ce plan a été lancé en 2018 pour moderniser les infrastructures et l’accompagnement apporté aux usagers internes et aux utilisateurs externes. Cette action rémunère également 585 ETPT.

● Enfin, parmi les moyens consacrés aux politiques RH transverses, les crédits dédiés à la petite enfance augmentent de 30,3 % (aide à la parentalité, places en crèches) et s’établissent à hauteur de 9,5 millions d’euros. Cela participe au bien-être des agents du ministère et à l’attractivité des postes.  

Trois opérateurs du ministère de la Justice sont également financés par le programme 310 : l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC), l’Institut des études et de la recherche sur le droit et la justice (IERDJ) et l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ). Leurs moyens sont renforcés, avec 15 ETPT supplémentaires pour l’AGRASC, qui ouvre deux antennes régionales, et 19 ETPT supplémentaires pour l’APIJ, pour faire face à son surcroît d’activité.

C.   le Conseil supÉrieur de la magistrature

Le programme 305 Conseil supérieur de la magistrature regroupe les crédits qui financent à la fois les dépenses de personnel du CSM et ses dépenses de fonctionnement, soit 4,1 millions d’euros en autorisations d’engagement et 5 millions d’euros en crédits de paiement demandés pour l’exercice 2023.

Cela représente une diminution de près de 70,5 % des autorisations d’engagement du programme par rapport aux AE ouvertes par la loi de finances pour 2022.

Cet écart important s’explique par la signature en 2022 d’un nouveau bail pour les locaux du CSM pour une période de neuf ans. La totalité des AE nécessaires au paiement des loyers jusqu’en 2031 avait été ouverte en LFI pour 2022, soit 9,6 millions d’euros.

Le programme rémunère à la fois les 22 membres du CSM et les 24 ETPT du secrétariat général. Les dépenses de personnel sont en hausse de 4,4 % par rapport à la loi de finances pour 2022, notamment pour prendre en compte l’évolution du point d’indice.

II.   La hausse des crÉdits pour l’accÈs au droit et l’aide aux victimes doit renforcer les partenaires de l’État dans la mise en œuvre de ces politiques publiques

Le programme 101 est composé de quatre actions. Il est doté pour 2023 de 712 millions d’euros en AE et CP, soit une augmentation de 4,7 % par rapport aux crédits ouverts par la LFI 2022.

A.   l’aide juridictionnelle

L’action qui porte les crédits dédiés à l’aide juridictionnelle représente 90 % des crédits du programme, soit 641 millions d’euros.

L’enveloppe prévue pour l’aide juridictionnelle augmente de 4,2 % par rapport à la LFI pour 2022 : cette hausse s’explique en partie par l’effet progressif des revalorisations de l’unité de valeur utilisée pour calculer la rétribution des avocats concernés.

Le budget de l’aide juridictionnelle stricto sensu est estimé pour 2023 à 500 millions d’euros. Le nombre de personnes admises au bénéfice de l’aide juridictionnelle est estimé pour 2023 à 1 150 000 personnes, soit une augmentation de 11,2 % par rapport au nombre de personnes admises en 2018.  

L’action comprend également :

– les crédits versés aux avocats au titre de leurs autres interventions (par exemple l’intervention de l’avocat pour les personnes gardées à vue), soit 102 millions d’euros prévus pour 2023 ;

 les crédits versés aux avocats en vertu d’un mécanisme de contractualisation locale (16 millions d’euros en 2023) ;

Les barreaux peuvent conclure avec les tribunaux judiciaires auprès desquels ils sont établis une convention triennale, appelée convention locale pour l’aide juridique (CLAJ). Ces conventions contiennent des clauses qui garantissent l’assistance d’un avocat dans les procédures juridictionnelles et non juridictionnelles, incluant notamment la mise en place de permanences, et permettent de prendre en compte les spécificités locales, en prévoyant des procédures spécifiques pour tel ou tel contentieux par exemple. Une dotation complémentaire à celle versée au titre de l’aide juridictionnelle est prévue pour les barreaux qui concluent ces conventions. Le montant total dédié à cette dotation complémentaire dans le PLF 2023 est de 16 millions d’euros, un montant en hausse de 18,5 % par rapport à 2022 (13,5 millions d’euros) qui s’explique par le succès du mécanisme.

– les crédits versés à l’Union nationale des caisses des règlements pécuniaires des avocats (UNCA), pour son rôle de coordination dans les dotations versées aux caisses des avocats (100 000 euros). 

B.   L’accÈs au droit et le rÉseau judiciaire de proximitÉ

L’action 2 Développement de l’accès au droit et du réseau judiciaire de proximité finance les structures garantes de l’accès au droit sur l’ensemble du territoire : les conseils départementaux de l’accès au droit (CDAD) et le réseau judiciaire de proximité, composé des maisons de justice et du droit (MJD).

Les CDAD sont présidés par le président du tribunal judiciaire, et placés sous la vice-présidence du procureur de la République du même tribunal. Sont également membres de droit les représentants des collectivités locales, les représentants des professionnels du droit dans le département (avocats, huissiers de justice, notaires) et les associations œuvrant dans le domaine de l’accès au droit et de l’aide aux victimes.

Le PLF pour 2023 prévoit une enveloppe de 14,7 millions d’euros pour l’action 2, soit une augmentation de 19,7 % des crédits par rapport à la LFI 2022. Une proportion importante de cette augmentation de crédits est consacrée aux CDAD (1,5 million d’euros sur l’enveloppe des 2,4 millions d’euros supplémentaires). 

La majeure partie de cette enveloppe finance les CDAD et les points-justice (qui comprennent les MJD) répartis sur l’ensemble du territoire, pour un montant de 12 millions d’euros. Si la contribution du ministère de la justice représente une majorité du budget de fonctionnement des CDAD (77 % en moyenne de leur budget total), les préfectures ou les collectivités peuvent également les financer. La hausse du budget prévue en 2023 doit notamment permettre d’accroître les capacités des permanences existantes et l’augmentation du nombre d’intervenants.

Les points-justice accueillent les justiciables pour les informer, les orienter vers les structures compétentes, ou encore les aider à accomplir certaines démarches nécessaires à l’exercice de leurs droits. Il existait 2 020 points-justice en 2021, dont 148 MJD. Trois nouveaux points-justice devraient ouvrir en 2023.  

Il existe également un numéro unique de l’accès au droit, le 3039 : l’usager qui l’appelle est mis directement en relation avec le point-justice le plus proche géographiquement parlant. Le nombre d’appels mensuels, depuis la mise en service en septembre 2021, s’élève à 4 900. 

C.   L’aide aux victimes

L’action 3 finance les crédits versés aux associations d’aide aux victimes, mais également certains dispositifs de protection des victimes, comme le dispositif permanent d’assistance téléphonique (le « 116 006 »), géré par la fédération France Victimes.

L’objectif est de soutenir et d’accompagner juridiquement, socialement et psychologiquement les victimes tout au long de la procédure judiciaire, jusqu’à l’indemnisation. La politique d’aide aux victimes est mise en œuvre par un réseau d’associations locales et coordonnée par des fédérations d’associations d’aide aux victimes ainsi que des associations nationales. Plus de 360 000 victimes d’infractions pénales ont été accueillies, informées et orientées par ces associations en 2021.

Les associations d’aide aux victimes sont ainsi fortement mobilisées pour mettre en œuvre les dispositifs de protection attribués aux personnes victimes de violences conjugales, comme le téléphone grave danger ou le bracelet anti-rapprochement (éléments développés dans la seconde partie du rapport)

L’action 3 représente 43 millions d’euros dans le PLF pour 2023, soit une hausse de 6,8 % par rapport à la loi de finances pour 2022. Cela s’inscrit dans la trajectoire d’augmentation continue des moyens accordés aux associations d’aide aux victimes depuis 2012, comme l’illustre le graphique ci-dessous.

Source : éléments transmis à la rapporteure par le service de l’accès au droit et à la Justice et de l’aide aux victimes.

L’enveloppe comprend notamment 6,4 millions d’euros pour financer les associations agréées qui tiennent des permanences dans les bureaux d’aide aux victimes (BAV), qui sont situés au sein même de chaque tribunal judiciaire.

La rapporteure se réjouit que les moyens accordés aux associations d’aide aux victimes soient renforcés : ce sont des relais indispensables pour garantir une prise en charge adaptée aux besoins des victimes.

D.   La mÉdiation familiale et les espaces de rencontres

Les crédits alloués à la médiation familiale, qui vise à trouver des solutions amiables aux litiges familiaux, et aux espaces de rencontre, qui permettent de maintenir le lien entre parents et enfants, s’élèvent à 13,7 millions d’euros pour 2023, soit une hausse de 11,7 % par rapport à la LFI 2022.

Les crédits soutiennent à la fois les associations locales de médiation familiale (6,37 millions d’euros, soit une hausse de 19,1 % par rapport à 2022) et les associations qui gèrent des espaces de rencontre (7,21 millions d’euros). Le partenariat avec les fédérations et les associations nationales bénéficie de 140 000 euros, soit une enveloppe stable par rapport à 2022.

Il convient de noter que la médiation est interdite lorsque des violences ont été commises au sein du couple ou sur un enfant. 

L’article 44 du projet de loi de finances prolonge l’expérimentation qui rend obligatoire de tenter la médiation préalable dans certaines affaires familiales.

Cette expérimentation a débuté en 2017 dans onze tribunaux judiciaires. En instaurant l’obligation de médiation familiale préalable, elle vise à la fois à promouvoir les modes alternatifs de règlement des conflits et à diminuer le nombre de requêtes devant le juge aux affaires familiales. Un premier bilan réalisé en juin 2022 a conduit à la décision de prolonger l’expérimentation jusqu’en 2024 et d’élargir le nombre de tribunaux judiciaires concernés à 44.

Le coût total de prolongation de l’expérimentation, estimé à 7,77 millions d’euros en année pleine, devrait être partagé entre la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), qui le financerait à hauteur de 4,9 millions d’euros, et le ministère de la justice, qui verserait 2,87 millions d’euros.


   Seconde partie :
AccÈs au droit et accompagnement des personnes victimes de violences intrafamiliales

Les violences au sein de la famille sont un phénomène d’ampleur. En 2021, 41,6 % des victimes prises en charge par les associations d’aide aux victimes – ce qui représente 149 506 personnes – étaient des femmes reçues pour des faits de violences intrafamiliales. À cela s’ajoutent les mineurs victimes de violences commises par des membres de leur famille : les travaux de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE) estiment que chaque année, 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles. Si la proportion de violences commises dans le cadre familial n’est pas connue, dans l’appel à témoignages lancé par la CIIVISE, 8 victimes sur 10 étaient des victimes d’inceste.

Or, le nombre de personnes accueillies par les associations ou par les forces de l’ordre ne représente qu’une partie du phénomène, puisque certaines victimes ne signalent pas les violences qu’elles subissent, d’autant plus lorsqu’il s’agit de violences sur mineurs. Selon les statistiques de l’INSEE, en 2019, 14 % seulement des victimes de violences conjugales avaient déposé plainte, et 30 % des victimes cohabitant avec leur conjoint avaient effectué une démarche médicale ou sociale après les faits ([1]). Ces chiffres datent de 2019, avant la mise en œuvre des mesures décidées dans le cadre du Grenelle des violences conjugales : la rapporteure a pu constater, lors de ses auditions, que de réels efforts avaient été faits pour favoriser le dépôt de plainte et la libération de la parole, efforts qui sont de nature à augmenter la proportion de signalements.  

I.   Un renforcement des moyens budgÉtaires pour favoriser l’accÈs au droit des personnes vicTimes de violences intrafamiliales

Les moyens budgétaires alloués aux dispositifs d’accès au droit et d’accompagnement des personnes victimes de violences intrafamiliales ont été considérablement augmentés au cours des dernières années. L’objectif est à la fois de multiplier les points d’entrée, pour favoriser la libération de la parole des victimes, mais aussi de diffuser les différents dispositifs de protection (ordonnance de protection, téléphone grave danger, bracelet anti-rapprochement) et d’encourager leur utilisation.

A.   Multiplier les points d’entrée pour favoriser la prise en charge des victimes

Les points d’entrée dans lesquels les victimes peuvent se signaler et chercher un accompagnement se sont multipliés et font intervenir divers professionnels.  

1.   Les différents professionnels susceptibles d’être en contact avec les victimes s’organisent pour les accueillir

La multiplication des endroits et des moyens de contacter un professionnel de santé, une association d’aide aux victimes ou les forces de l’ordre favorise l’exercice par les victimes de leurs droits. L’objectif est qu’une personne victime de violences intrafamiliales puisse se confier et être ensuite orientée vers l’interlocuteur adapté à sa situation.

● Les associations d’aide aux victimes sont des partenaires indispensables de la Justice. Elles accueillent les victimes de violences, leur proposent un accompagnement pluridisciplinaire et apportent des solutions d’hébergement.

Il existe à la fois des associations généralistes, qui viennent en aide à toutes les victimes, et des associations d’aide aux victimes spécialisées dans l’accompagnement des femmes victimes de violences.

En 2021, selon les documents budgétaires ([2]), le budget consacré aux associations d’aide aux victimes spécialisées dans l’accompagnement des femmes victimes de violences s’élevait à 2,5 millions d’euros, soit une progression de 10 % par rapport à 2020. Les associations locales généralistes ont reçu, la même année, 2,4 millions d’euros pour financer leurs actions de soutien des victimes de violences intrafamiliales. 

Ces associations ont des locaux, mais interviennent également dans les points justice : en 2021, les associations (généralistes et spécialisées) étaient intervenues dans 452 points-justice. Certains CDAD ont également mis en place des points-justice spécialisés dans l’accueil et l’orientation des personnes victimes de violences conjugales.

Elles peuvent aussi être sollicitées par le procureur de la République, en application de l’article 41 du code de procédure pénale.

Enfin, il existe un numéro de téléphone dédié aux femmes victimes de violences, le 3919, géré par la Fédération Nationale Solidarité Femmes.

● Les forces de l’ordre constituent un maillon essentiel de la chaîne de prise en charge des victimes de violences au sein des familles, à la fois lors de l’accueil des victimes au sein des commissariats et des gendarmeries, mais aussi au cours de leurs interventions.

Pour l’accueil dans les locaux des forces de l’ordre, doivent être valorisés tous les dispositifs qui garantissent à une victime de violences intrafamiliales de ne pas avoir à verbaliser le motif de sa venue, et de pouvoir le signaler discrètement. Des solutions simples existent, par exemple des gommettes affichées à l’accueil que la victime peut désigner du doigt sans verbaliser l’objet de sa demande, ce qui permet à l’agent d’accueil d’assurer une prise en charge immédiate et individualisée. Une personne victime amenée à attendre ou à devoir expliquer devant des témoins la raison de son déplacement pourrait être découragée.

Divers outils ont été développés pour aider les agents chargés de l’accueil des victimes à les orienter : le ministère de l’Intérieur a ainsi développé une grille de questions pour évaluer la situation de danger d’une victime de violences conjugales. Ce questionnaire vise à obtenir des informations plus précises sur le contexte des violences (fréquence des violences, accès ou non de la victime à ses documents administratifs, volonté de contrôle de la part de l’auteur des violences…) pour améliorer et accélérer la prise en charge de la victime. 

Des solutions alternatives à l’accueil physique en commissariat ou en gendarmerie existent. Le portail de signalement des violences sexuelles et sexistes, inauguré en novembre 2018, a évolué à compter d’avril 2021 pour devenir la plateforme numérique d’accompagnement des victimes (PNAV). Cette plateforme a pour objectif de faciliter les signalements et les dépôts de plaintes dans certains contentieux, notamment celui des violences conjugales. La personne qui se connecte sur la plateforme est ainsi mise en relation, de façon anonyme, avec un fonctionnaire de police ou un militaire de la gendarmerie formé à l’accompagnement et à l’écoute des victimes. Le nombre de signalements réalisés depuis le 1er janvier 2022 a augmenté de 40 % par rapport à 2021 sur la même période, ce qui témoigne de la montée en puissance de cette plateforme et de l’intérêt majeur qu’elle présente pour faciliter l’action des victimes.   

● Les professionnels de santé sont également des professionnels clés dans l’accueil et l’orientation des personnes victimes de violences intrafamiliales. Lors des consultations, ils peuvent être amenés à repérer des signaux envoyés par une personne victime de violences intrafamiliales.

L’article 226-14 du code pénal prévoit que la révélation par un médecin ou tout autre professionnel de santé d’une information à caractère secret n’est pas susceptible d’être sanctionné dans certains cas précis. Si le professionnel de santé constate des violences au sein d’un couple de nature à mettre la vie de la victime en danger immédiat et que celle-ci n’est pas en capacité de se protéger au regard de l’emprise exercée sur elle par l’auteur des violences, alors il peut procéder à la levée du secret médical et le signaler au procureur de la République.

Un vademecum a été élaboré à destination des professionnels de santé : diffusé en octobre 2020, il comporte notamment une fiche d’évaluation du danger immédiat et de l’emprise et une fiche décrivant le circuit juridictionnel du signalement.

La loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales a facilité la levée du secret professionnel, en précisant que le professionnel de santé peut signaler des violences conjugales même en l’absence de l’accord de la victime. La mise en œuvre de cette disposition mériterait d’être évaluée, pour comparer l’évolution du nombre de signalements réalisés par des professionnels de santé depuis son entrée en vigueur et étudier la répartition géographique des signalements. Une analyse plus approfondie pourrait ensuite être conduite, pour vérifier que la rédaction est suffisamment protectrice pour les professionnels de santé : c’est indispensable pour qu’ils procèdent à une levée du secret médical lorsqu’ils l’estiment nécessaire.

2.   La formation des personnels au contact des victimes

La multiplication des points d’entrée accessibles aux victimes de violences intrafamiliales doit s’accompagner d’un effort de formation des professionnels en contact avec les victimes.

L’objectif est de former les professionnels non seulement à détecter les signaux, mais aussi à bien orienter les personnes victimes. Depuis 2013, il existe une mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), qui élabore des outils de formation sur les violences au sein du couple à destination des professionnels les plus concernés. Elle met à disposition une mallette pédagogique comprenant plusieurs kits de formation, pour former les professionnels aux particularités des violences conjugales, mais aussi pour les aider à adapter leurs pratiques professionnelles. La MIPROF intervient aussi en matière de formation initiale, notamment pour les futurs officiers de police judiciaire.

La rapporteure considère qu’il est indispensable de former l’ensemble des professionnels concernés à l’accueil et l’orientation des victimes de violences intrafamiliales. Elle insiste par ailleurs sur l’importance de former les prestataires extérieurs qui sont amenés à être en contact direct avec les victimes, comme c’est le cas pour les sociétés qui gèrent les plateformes du téléphone grave danger et le bracelet anti-rapprochement.

La problématique de la formation des professionnels est encore plus prégnante s’agissant des violences commises sur les mineurs. Au vu des chiffres rappelés plus haut, il est fondamental que chaque professionnel en contact avec des mineurs, qu’il s’agisse des enseignants ou des agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM) par exemple, soit en capacité de détecter les potentiels signes de violences, de recueillir la parole de l’enfant et d’alerter ensuite les personnes compétentes. Pour cela, un recours plus large au protocole NICHD (National Institute of Child Health and Human Development) pourrait être envisagé. Ce protocole est destiné aux forces de l’ordre et aux intervenants sociaux lorsqu’ils s’entretiennent avec des enfants ayant été maltraités. Composé de plusieurs étapes, il a pour objectif de diminuer la tendance des personnes menant l’entretien à formuler des suggestions, pour que l’enfant donne un récit le plus détaillé possible. 

Vu la prévalence des violences sexuelles commises sur les mineurs et la gravité de ces actes, il semble absolument fondamental que chaque enfant soit interrogé sur ce sujet, pour lui donner un espace de parole – d’autant que les mineurs victimes de violences commises par des membres de leur propre famille sont encore plus démunis en l’absence de référents de confiance vers qui se tourner.

La sensibilisation au recueil de la parole des enfants est une politique publique qui doit être menée de façon interministérielle, en impliquant notamment les ministères chargés de l’Éducation nationale et de la Santé, ainsi que l’ensemble des associations qui œuvrent dans le domaine de l’enfance.

B.   Des dispositifs pour protÉger les victimes de violences intrafamiliales qui montent en puissance

Les dispositifs de protection des victimes comme l’ordonnance de protection ou les téléphones grave danger se sont largement diffusés depuis 2019. De mieux en mieux connus par les victimes, qui s’en saisissent de façon plus régulière, leur usage se généralise progressivement.

1.   L’ordonnance de protection

L’ordonnance de protection a été créée par la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants. Pour délivrer une ordonnance de protection, le juge aux affaires familiales, qui statue sur la demande d’ordonnance de protection, doit considérer que deux éléments sont caractérisés : des violences vraisemblables, et un danger vraisemblable pour la victime ou l’un ou plusieurs de ses enfants (article 515-11 du code civil).

Le juge aux affaires familiales peut prononcer diverses mesures de protection de la victime vraisemblable (interdiction d’entrer en contact, stage de responsabilisation de l’auteur vraisemblable…) et d’organisation de la séparation du couple (attribution du logement à la victime vraisemblable, détermination de la résidence habituelle des enfants…). Cette ordonnance constitue une première réponse pour toutes les victimes de violences conjugales, puisque la loi n’a pas conditionné sa délivrance au dépôt d’une plainte ou à l’existence d’une procédure pénale parallèle

Un rapport de l’Inspection générale de la Justice daté d’octobre 2019 ([3]) faisait le constat, s’agissant de l’ordonnance de protection, d’un mécanisme « inexploité », d’un outil « insuffisamment identifié et rarement utilisé par les victimes de violences conjugales les plus graves ainsi que par les acteurs de terrain ».

Depuis ce rapport, plusieurs modifications substantielles ont été apportées au mécanisme de l’ordonnance de protection pour accroître le recours des justiciables au mécanisme.

Initialement, l’article 515-11 du code civil prévoyait que le juge aux affaires familiales statuait dans les « meilleurs délais » : le délai moyen entre la date de la saisine et celle de la décision s’établissait alors à 42 jours. L’article 4 de la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille a imposé un délai de six jours entre la fixation de la date de l’audience et la délivrance de l’ordonnance de protection. Ce délai est aujourd’hui globalement respecté, avancée soulignée par le rapport d’information sur la mise en application de la loi de 2019 ([4]).

La loi a également modifié l’article 515-10 du code civil pour préciser explicitement que l’ordonnance de protection « n’est pas conditionnée à l’existence d’une plainte pénale préalable » : ce n’était pas un prérequis, mais certaines juridictions exigeaient, pour accepter une demande, que celle-ci soit accompagnée d’une plainte. Or, l’ordonnance de protection est une mesure civile, qui ne dépend pas des démarches entreprises par les victimes sur le plan pénal.

En juin 2020, un comité de suivi de l’ordonnance de protection (CNOP) a été mis en place, pour accompagner les juridictions dans le développement de l’ordonnance de protection et suivre son déploiement. Il a publié un premier rapport d’activité en juin 2021 ([5]), qui réalise un état des lieux du prononcé de l’ordonnance de protection et un suivi de l’application de la loi du 28 décembre 2019.

Le mécanisme de l’aide juridictionnelle garantie, prévu à l’article 234 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021, prévoit dans certaines procédures une rétribution garantie pour l’avocat. Aucune demande d’aide juridictionnelle n’a besoin d’être déposée, l’examen de l’éligibilité du demandeur se faisant a posteriori. L’article 19-1 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 dresse la liste des procédures concernées : toute personne demandant ou contestant la délivrance d’une ordonnance de protection est concernée par le mécanisme de l’aide juridictionnelle garantie, ce qui favorise l’exercice de leurs droits par les personnes victimes de violences conjugales.

Les moyens mis en œuvre pour favoriser le développement de ce mécanisme ont contribué à une augmentation du nombre d’ordonnances de protection demandées, et accordées ces dernières années, comme l’illustre le tableau ci-dessous.

Évolution du nombre de demandes d’ordonnances de protection et du taux d’acceptation entre 2018 et 2021

 

2018

2019

2020

2021

Nombre de demandes d’ordonnance de protection en France

3 411

4 141

5 718

5 921

Taux d’acceptation totale ou partielle d’ordonnance de protection sur le nombre de décisions ayant statué sur la demande

61,8 %

64,1 %

66,7 %

67,8 %

Source : Ministère de la Justice, direction des affaires civiles et du sceau.

Les chiffres transmis par la direction des affaires civiles et du sceau montrent également une évolution à la hausse du taux d’acceptation totale ou partielle d’ordonnance de protection : l’outil est donc à la fois plus demandé, avec une augmentation des demandes de 73,4 % entre 2018 et 2021, et plus souvent accordé.

La rapporteure salue les moyens déployés pour favoriser le recours à l’ordonnance de protection. Il lui apparaît essentiel de continuer à communiquer largement sur ce dispositif, pour que toutes les personnes victimes de violences conjugales puissent s’en saisir lorsque c’est pertinent. Elle est également favorable à une analyse approfondie de l’une des préconisations du CNOP : l’intégration des frais de signification au défendeur de la décision d’acceptation de l’ordonnance de protection en frais de justice. En effet, cette mesure semble à même de garantir l’effectivité de la décision de justice.

2.   Le dispositif du téléphone grave danger (TGD)

Le dispositif du téléphone grave danger a été expérimenté à partir de 2009 dans plusieurs cours d’appel, puis généralisé en 2014 à l’ensemble du territoire.

Les conditions de remise du téléphone sont prévues par l’article 41-3-1 du code de procédure pénale : le téléphone peut être accordé par le procureur de la République à une personne victime de violences de la part de son conjoint, pour une durée de six mois renouvelable. La victime doit donner son consentement et ne pas cohabiter avec l’auteur des violences.

Une fois le téléphone accordé, il est remis à la victime par une association d’aide aux victimes, qui lui présente le dispositif et vérifie le bon fonctionnement du téléphone. Lorsque la victime déclenche l’alerte, elle est mise en relation avec une plateforme de téléassistance gérée par Allianz, un prestataire externe qui évalue la situation et alerte éventuellement les forces de l’ordre en cas de situation dangereuse. Les associations suivent la personne détentrice d’un TGD tout au long de la mesure pour assurer un accompagnement pluridisciplinaire et adapter les mesures de protection à l’évolution de la situation de la victime. 

La loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille a élargi les cas possibles d’attribution d’un TGD aux situations dans lesquelles l’auteur des violences est en fuite ou la demande d’ordonnance de protection n’a pas encore fait l’objet d’une décision. 

Les différents interlocuteurs de la rapporteure ont confirmé que les juridictions s’étaient emparées du dispositif, comme en témoigne la hausse significative du nombre de TGD déployés.

Ainsi, au 1er août 2017, 543 téléphones étaient déployés sur le territoire. Au 2 septembre 2022, 4 367 TGD étaient déployés sur le territoire, dont 2 183 affectés à une victime. Cela représente une hausse de 700 % du nombre de TGD déployés en cinq ans. 

L’objectif à atteindre pour fin 2022 est fixé à 5 000 téléphones déployés.  

Le dispositif est intégralement financé par le programme 101 : son évolution suit la hausse du nombre de TGD déployés. Une partie de l’enveloppe est consacrée à financer les téléphones, l’abonnement et le fonctionnement de la plateforme, soit 6 millions d’euros. Le coût moyen mensuel du marché conclu avec le prestataire chargé de gérer le dispositif est estimé à 500 000 euros.

Le budget de l’accompagnement des victimes porteuses de TGD par les associations a considérablement augmenté depuis 2017, comme le montre le tableau ci-dessous.

Évolution des crÉdits de paiement pour l’accompagnement des bÉnÉficiaires de tÉlÉphones grave danger entre 2017 et 2022

 

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Crédits de paiement pour l’accompagnement des bénéficiaires de TGD

0,4

0,66

0,77

1,04

1,47

2,2

Source : réponse au questionnaire budgétaire transmis par la rapporteure.

Le PLF 2023 prévoit 2,2 millions d’euros afin de maintenir cet accompagnement essentiel pour assurer le bon fonctionnement du dispositif.

3.   Le bracelet anti-rapprochement (BAR)

La loi du 28 décembre 2019 mentionnée supra a créé le dispositif du bracelet anti-rapprochement (BAR). Il est délivré sur décision d’un magistrat du siège : soit par un juge d’instruction, soit par un juge des libertés et de la détention (article R 24-14 du code de procédure pénale). La décision du juge fixe la distance d’alerte, c’est-à-dire la distance minimale que doit respecter le porteur du bracelet avec la personne protégée, et la distance de pré-alerte, qui représente le double de la distance d’alerte. Dès que le porteur d’un bracelet s’introduit dans la zone de pré-alerte, le téléopérateur est averti et l’enjoint de s’éloigner. La distance d’alerte ne peut être inférieure à un kilomètre ou supérieure à dix kilomètres (article R 24-18 du code de procédure pénale).

La plateforme de téléassistance est gérée par un prestataire extérieur, Stanley, dont les agents ont été formés par l’association France Victimes à la prise en charge des victimes de violences conjugales. Les crédits consacrés au bracelet anti-rapprochement dans le budget de l’administration étaient de 4,7 millions d’euros en AE et CP en 2022 et sont prévus pour 2023 à hauteur de 11,5 millions d’euros en AE et CP, soit une hausse de 144 %, permettant de mettre en œuvre le développement de ce dispositif.  

Le rôle d’accompagnement par les associations d’aide aux victimes est similaire à celui décrit dans le cadre de la remise d’un TGD. Les crédits dédiés au financement des associations qui interviennent auprès des personnes dont le conjoint s’est vu imposer le port d’un BAR étaient de 200 000 euros en 2021, puis de 500 000 euros en 2022. 

Au 1er août 2022, 1 313 BAR avaient été prononcés par les juridictions, dont 661 au stade post-sentenciel et 13 dans le cadre d’une ordonnance de protection. À cette date, 798 BAR étaient actifs. 

Ce dispositif, complémentaire du TGD, peut être délicat à mettre en œuvre dans certaines zones : à Paris, où le métro quadrille toute la zone, un déplacement en transport en commun du conjoint violent peut déclencher l’alerte sans que celui-ci soit réellement en train d’approcher la victime. En zone rurale, les communes sont parfois trop petites pour pouvoir mettre en œuvre de façon satisfaisante les zones d’alerte. Or, la multiplication de fausses alertes peut être une réelle source d’angoisse pour la personne victime et accroître le sentiment d’emprise, déjà entretenu par ce dispositif. La mise en place du BAR doit donc se faire lorsque toutes les conditions sont réunies, en particulier en cas de risque d’une particulière gravité ou, comme le font déjà largement les juridictions, en post-sentenciel. 

II.   Maintenir un effort budgÉtaire important pour faire CESSER les violences intrafamiliales

Les avancées constatées depuis le Grenelle des violences conjugales ne sont qu’une étape pour atteindre l’objectif de mieux prendre en charge les victimes et, à terme, faire cesser les violences intrafamiliales.

A.   Des moyens renforcÉs pour les acteurs de la chaÎne de prise en charge

Les moyens alloués aux associations d’aide aux victimes ont considérablement augmenté ces dernières années, ce qui permet de financer plusieurs dispositifs particulièrement intéressants pour garantir l’accès au droit des personnes victimes de violences intrafamiliales. 

1.   Augmenter les moyens des associations qui accompagnent les victimes de violences intrafamiliales est essentiel pour garantir le fonctionnement des dispositifs de protection

Le budget consacré à l’aide aux victimes de violences intrafamiliales atteint 16,1 millions d’euros dans le PLF 2023, soit une augmentation de 11,8 % par rapport à la LFI 2022 et de 100 % par rapport à la LFI 2020, qui y consacrait 8 millions d’euros.

L’augmentation des frais de justice mentionnée supra va en partie soutenir les partenariats avec les unités médico-judiciaires et la mise en place d’enquêtes sociales sur les violences intrafamiliales.

Si cette hausse significative du budget mérite d’être saluée, plusieurs dispositifs mis en œuvre par les associations d’aide aux victimes mériteraient d’être particulièrement soutenus. 

● Un administrateur ad hoc représente un mineur dans une procédure en cours (civile, pénale ou administrative) lorsque ses tuteurs légaux ne sont pas en capacité de le faire, ou lorsque leurs intérêts sont contraires à ceux du mineur. Il a une mission procédurale : il agit pour le mineur au cours de la procédure, en prenant connaissance du dossier pénal, en se constituant partie civile au nom de l’enfant, ou encore en mandatant un avocat. Il accompagne aussi le mineur tout au long de la procédure, lui explique toutes les étapes et est présent à tous les rendez-vous judiciaires.

Seules les associations disposant d’une habilitation spéciale peuvent exercer les missions d’administrateur ad hoc. La fédération France Victimes estime qu’un tiers de ses adhérents disposent de cette habilitation.

Les indemnités sont versées aux administrateurs en fonction des missions qui leur sont attribuées. À titre d’exemple, le tarif pour l’accompagnement d’un mineur à une audience du tribunal pour enfants en matière correctionnelle est de 75 euros, et celui pour une instruction criminelle avec ouverture d’une information devant le juge d’instruction est de 450 euros. Ces indemnités sont financées par le programme 166 au titre des frais de justice.

Alors que le nombre d’administrateurs ad hoc a tendance à stagner, voire diminuer, aucune revalorisation de ces indemnités n’a eu lieu depuis 2007, ce qui n’est pas de nature à inverser cette tendance. Or, le mécanisme de l’administrateur ad hoc est essentiel pour assurer que les enfants puissent exercer leurs droits à un moment où, privés de leurs tuteurs légaux, ils sont particulièrement vulnérables. La rapporteure souhaite donc qu’un travail sur l’évolution de l’indemnité versée aux administrateurs ad hoc soit lancé : le Garde des Sceaux a confirmé lors de son audition du 25 octobre qu’un travail sur la rémunération et le statut des administrateurs ad hoc était en cours.

Un dispositif d’évaluation approfondie a été mis en place à partir de 2015. Il se distingue de l’évaluation précoce réalisée par les forces de l’ordre. Le questionnaire vise à obtenir des renseignements sur les caractéristiques de la victime, sa vulnérabilité et les risques, pour déterminer les besoins spécifiques de protection ou de mesures spéciales pendant la procédure pénale.

L’évaluation approfondie de la situation des victimes (EVVI) est réalisée sur réquisition du parquet par une association d’aide aux victimes agréée. Il existe des trames et des questionnaires type. Une fois l’évaluation réalisée, l’association rédige un avis qui est adressé au parquet, au magistrat saisi, voire au service enquêteur. 

En 2021, 23 431 entretiens ont été réalisés au titre de ce dispositif, pour 17 449 victimes. Le budget versé aux associations au titre de ces entretiens en 2021 s’élevait à 1,6 million d’euros, provenant du programme 101. Le montant des crédits alloués à ce dispositif en 2023 n’a pas été communiqué à la rapporteure, mais les chefs de cour d’appel avaient demandé plus de 2,3 millions d’euros de crédits.

La rapporteure considère que ce dispositif doit être plus largement diffusé : il est de nature à améliorer la prise en charge des victimes grâce à une connaissance plus fine de leur situation. Il est absolument essentiel que les crédits nécessaires soient versés aux associations, qui sont l’élément principal de mise en œuvre du dispositif. 

● De 2017 à 2022, les crédits dédiés à la prise en charge psycho-traumatique des victimes de violences intrafamiliales sont passés de 1,3 million d’euros à 4 millions d’euros, soit une hausse de 207 %. Ces crédits, versés aux associations d’aide aux victimes, financent à la fois un premier soutien après la survenance de l’évènement et les prises en charge de long terme. Il est indispensable que ce soutien budgétaire soit maintenu.

2.   Multiplier les lieux adaptés pour recueillir la parole des victimes

Améliorer les conditions de recueil de la parole des victimes est essentiel pour les inciter à se confier au plus tôt sur les violences dont elles sont l’objet.

Les dispositifs adaptés existent déjà : il s’agit maintenant de les multiplier pour assurer un maillage territorial fin. S’agissant du recueil de la parole des enfants, deux outils peuvent être mis en avant.

Depuis plusieurs années, les salles dites « Mélanie » se développent au sein des gendarmeries et des commissariats. Ce sont des salles spécialement aménagées et dédiées aux enfants victimes pour les mettre en confiance. Une caméra et du matériel de sonorisation sont installés pour enregistrer la parole de l’enfant et lui éviter d’avoir à répéter son récit.

Plus récemment, des unités d’accueil pédiatrique enfance en danger (UAPED) ont remplacé les unités d’accueil médico-judiciaires pédiatriques : ces unités, installées dans les services pédiatriques, prennent en charge les enfants de manière pluridisciplinaire. L’audition de l’enfant par un officier de police judiciaire se déroule en présence d’un professionnel médico-social formé et elle est filmée.

Pour assurer le déploiement des UAPED sur le territoire, 270 000 euros avaient été ouverts en 2022. Les données transmises à la rapporteure montrent que le déploiement des unités sur l’ensemble du territoire est en bonne voie. Une enveloppe de 40 000 euros est prévue dans le présent projet de loi de finances pour continuer ce déploiement. 

C’est le ministère de la Santé et des solidarités qui finance une part majoritaire du fonctionnement des UAPED. Le ministère de la Justice finance lui les actes de médecine réalisés dans ces UAPED grâce aux crédits du programme 166. 

Des lieux dédiés à la prise en charge des victimes majeures existent déjà : ce sont les unités médico-judiciaires, des structures de médecine légale qui accueillent les personnes victimes d’une agression sur demande d’une autorité judiciaire. Elles sont en partie financées par le ministère de la Justice selon un mécanisme similaire à celui des UAPED :  les actes de médecine légale réalisés dans les UMJ sont inclus dans l’enveloppe des frais de justice. Les UMJ bénéficient par ailleurs de subventions par le ministère de la Justice pour assurer les opérations de création, d’agrandissement et de renforcement. Une enveloppe de 20 millions d’euros y avait été consacrée en 2022.

Ces unités sont fondamentales pour accompagner les victimes, objectiver les violences subies et apporter les éléments de preuve indispensables à la condamnation des auteurs. Or, ces unités, comme les professions médico-sociales en général, éprouvent des difficultés à recruter des professionnels : la rapporteure alerte sur la nécessité pour le ministère de la Justice de se saisir du sujet en partenariat avec le ministère de la Santé et des Solidarités. 

Enfin, certaines associations développent des lieux d’accueil spécialisés. En Seine-Saint-Denis, un lieu d’accueil et d’orientation pour les jeunes femmes de 18 à 25 ans victimes de violences sexistes ou sexuelles a été ouvert en septembre 2019. Elles bénéficient d’une prise en charge pluridisciplinaire et sont orientées en fonction de leurs besoins.

Ce type de lieu, très spécialisé, est de nature à encourager les personnes victimes de violences à se confier, accélérant d’autant leur prise en charge par des professionnels compétents. La rapporteure souligne la pertinence de ce type de lieu pour encourager les victimes à exercer leurs droits mais également pour assurer un accompagnement pluridisciplinaire des victimes.

B.   Continuer À faire de la protection des victimes une prioritÉ

Une protection efficace des personnes victimes de violences intrafamiliales passe également par un travail sur d’autres axes, notamment la prise en charge des conjoints violents.

1.   Renforcer la prise en charge des conjoints violents

L’accompagnement des victimes de violences intrafamiliales doit comporter un volet de prise en charge des conjoints auteurs de violences. Cette prise en charge est d’abord nécessaire pour réduire les risques de récidive. Elle est aussi essentielle pour garantir l’effectivité des mesures d’éviction prononcées par le juge ainsi que le maintien au domicile conjugal de la victime et, le cas échéant, de ses enfants. Si des lieux alternatifs ne sont pas accessibles aux conjoints violents, la tentation de revenir au domicile conjugal peut être d’autant plus forte.

Après le Grenelle des violences conjugales en 2019, il a été décidé d’ouvrir des centres de prise en charge des auteurs de violences conjugales (CPCA). Trente centres ont été ouverts sur le territoire depuis. Ces centres proposent un module de responsabilisation de l’auteur face à ses actes, mais également un module d’accompagnement médico-social et un module médico-social. Au 1er trimestre 2022, 3 357 personnes ont été orientées vers les CPCA. À cela s’ajoute la mise en place d’un mécanisme de recherche de solutions d’hébergement en urgence lorsqu’un auteur de violences conjugales fait l’objet d’une mesure d’éviction du domicile conjugal.

Dans cette perspective, la rapporteure est tout à fait favorable à l’expérimentation conduite par la direction de l’administration pénitentiaire et la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) sur le contrôle judiciaire avec placement probatoire du conjoint violent en phase présentencielle. Cette procédure, qui permet d’imposer aux conjoints violents de résider dans un lieu déterminé, constitue une alternative à la détention provisoire. Les conjoints violents font également l’objet d’un accompagnement psychologique, social, sanitaire et éducatif dans des structures spécialisées.

Ce dispositif avait d’abord été expérimenté à Nîmes et Colmar ; il a ensuite été étendu à huit autres juridictions. Il est financé par la direction de l’administration pénitentiaire.

2.   Améliorer encore la coordination entre les différents acteurs

● Des référents pour les violences intrafamiliales (VIF) ont été recrutés dans les tribunaux, initialement pour une durée de trois mois. Ces référents ont pour missions, entre autres, de développer les partenariats institutionnels, d’assister les chefs de juridiction dans la conduite des politiques de lutte contre les VIF et de diffuser les informations sur les dispositifs mis en place par le ministère à ce sujet. Les tribunaux, début 2022, ont demandé la pérennisation de ces postes. En juin 2022, 105 postes de référents (postes de contractuels de catégorie A) ont finalement été pérennisés, pour un coût d’1,5 million d’euros. Les postes sont devenus des contrats de projet de trois ans.

L’objectif de la direction des services judiciaires est d’avoir un référent VIF dans chaque tribunal judiciaire.

● Des outils de gouvernance territoriale ont été mis en place. Dans une circulaire datée du 7 septembre 2021([6]), le Garde des Sceaux rappelle sa volonté, déjà exprimée dans une dépêche datée du 27 mai 2021, d’avoir au sein de chaque juridiction un comité de pilotage unique dédié aux violences intrafamiliales (COPIL VIF). Ce comité, coprésidé par le président du tribunal judiciaire et le procureur de la République, associe les magistrats du parquet référents, les magistrats du siège concernés, mais aussi les associations concernées, les services de police et gendarmerie, et les services pénitentiaires d’insertion et de probation. Selon les territoires, les représentants des unités médico-judiciaires et des avocats peuvent également y participer. Ce comité est l’instance de suivi des situations individuelles estimées à risque.

La rapporteure salue la mise en place de cette instance de coordination, qui impulse une dynamique au sein d’un territoire et qui favorise la coopération entre les différents partenaires de la lutte contre les violences intrafamiliales, dans la mesure où la prise en charge des victimes de ce type de violences implique l’intervention simultanée ou successive d’une pluralité d’acteurs de nature très différente.

Dans la même circulaire, le Garde des Sceaux explicite la volonté du Premier ministre d’avoir une instance de pilotage unique sur la lutte contre les violences conjugales : cette instance, selon les spécificités territoriales, peut être soit le comité local d’aide aux victimes, soit le comité départemental de prévention de la délinquance.

● Enfin, des circuits particuliers de traitement des violences conjugales ont été mis en place. Le tribunal de Créteil est ainsi devenu « juridiction pilote » en 2019 pour la mise en œuvre d’un protocole d’urgence, visant à accélérer le traitement de ces dossiers. Cette procédure a ensuite été élargie à l’ensemble des juridictions. Selon les chiffres transmis à la rapporteure, en novembre 2021, 123 juridictions avaient mis en place une filière de l’urgence.

3.   Informer les victimes de leurs droits

Pour que les victimes de violences intrafamiliales puissent exercer leurs droits, elles doivent être informées sur les dispositifs permettant de se signaler et d’être protégées.

Pendant la crise sanitaire, lors des confinements qui se sont succédé en France, le fait que des personnes soient confinées avec leurs conjoints violents a suscité la crainte que la période favorise l’explosion de violences au sein des familles. Plusieurs campagnes de communication ont été mises en place à grande échelle pour faire connaître les dispositifs accessibles aux victimes de violences : le numéro gratuit et anonyme 3919 (déjà mentionné supra), la plateforme de signalement des violences sexistes et sexuelles (PNAV), l’application App-Elles (qui alerte les proches et contacte les services de secours en cas de besoin) ainsi que le numéro pour les enfants victimes de violences (119). Un système d’alerte pour les victimes de violences conjugales dans les pharmacies a également été mis en place.

La forte mobilisation pour garantir un accès continu aux dispositifs d’écoute et de signalement a favorisé une forme de « libération de la parole confinée », comme l’explique la MIPROF dans un rapport publié en juillet 2020 ([7]). Cette première tendance est confirmée par les chiffres définitifs du ministère de l’Intérieur : le signalement de violences intrafamiliales a ainsi augmenté de 9 % sur l’année 2020. 

La rapporteure considère qu’il faut s’appuyer sur les dispositifs mis en place pendant les confinements et organiser régulièrement des campagnes d’information et de sensibilisation sur les violences conjugales. 

De plus, dans la droite ligne des recommandations faites par la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE) dans ses conclusions intermédiaires publiées en mars 2022, elle soutient le lancement d’une campagne de prévention nationale sur les violences sexuelles commises sur les mineurs, avec un volet sur les violences intrafamiliales. Le Ministre a confirmé lors de son audition par la commission des lois le 25 octobre 2022 que le sujet était prioritaire et que le groupement d’intérêt public Enfance en danger porterait une telle campagne en 2023.  

 

 

    

   EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa première réunion du mardi 25 octobre 2022, la Commission auditionne M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur les crédits de la mission « Justice » (Mme Sarah Tanzilli et M. Éric Poulliat, rapporteurs pour avis).

Lien vidéo : https://assnat.fr/18NOB4

M. le président Sacha Houlié. Monsieur le garde des sceaux, les crédits de votre ministère présentent, pour la troisième année consécutive, une augmentation de 8 %. Bien évidemment, un bon budget n’est pas forcément un budget en augmentation – même si c’est toujours mieux. Il s’agit d’un rattrapage, tant la situation était dégradée depuis des décennies. Ce rattrapage est d’ailleurs loin d’être achevé et devra se poursuivre dans le cadre de la mise en œuvre des États généraux de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. La justice est à la croisée des chemins. Délaissée pendant près de trois décennies, elle fait l’objet, depuis cinq ans, d’un renforcement massif, traduction de la volonté claire du Président de la République et de la Première ministre, mais également la mienne, de considérer la justice pour ce qu’elle est : une institution essentielle qui fonde le pacte social.

Il vous revient, en tant que parlementaires, de poursuivre sur cette voie du renforcement de notre justice, ou de bifurquer vers les réflexes des décennies passées : sous-dotation chronique, effets d’affichage sans lendemain, court-termisme, etc.

Vous l’aurez compris, je vous propose de rester sur la voie de la restauration massive d’une justice rapide, efficace, proche de nos concitoyens, la justice de qualité que nous appelons tous de nos vœux.

En effet, après deux hausses de 8 % en 2021 et 2022, le projet de budget consacre une troisième augmentation consécutive de 8 % en 2023 au profit de notre justice. Ce sont ainsi 710 millions d’euros supplémentaires qui viendraient abonder en 2023 le service public de la justice, dont les crédits s’élèveraient au total à 9,6 milliards d'euros pour l’année 2023.

Si vous la votez, ce sera, en termes sonnants et trébuchants, la plus forte hausse de l’histoire du budget de la justice, comparée respectivement à celle de 660 millions d’euros l’année dernière et de 620 millions d’euros l’année précédente.

Cette hausse, pour massive qu’elle soit, a été calibrée pour que les services du ministère soient en mesure de l’exécuter pleinement et, ainsi, de combler de manière sérieuse et efficace des besoins forts. Car oui, les deniers publics doivent toujours être utilisés de la manière la plus efficace.

Pour 2023, l’augmentation est répercutée de la manière suivante sur les trois axes du ministère : 9 % de hausse pour les services judiciaires, soit un budget de 3,39 milliards d’euros; 7 % pour l’administration pénitentiaire, soit un budget de 3,91 milliards d’euros ; sans oublier, une hausse de plus de 10 % au bénéfice de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), pour un budget de 917 millions d’euros.

En trois exercices, le budget de la justice a bénéficié de 2 milliards d’euros supplémentaires, passant ainsi de 7,6 milliards en 2020 à 9,6 milliards en 2023. Cela représente une augmentation de 26 % depuis mon arrivée, et de plus de 40 % depuis le début du premier quinquennat du Président de la République.

C’est donc un nouvel effort budgétaire inédit, s’inscrivant dans une trajectoire pluriannuelle inédite, que j’aurai l’occasion de vous présenter prochainement dans le cadre de la future loi de programmation pour la justice pour les années 2023 à 2027.

Le cap est clair : poursuivre le rattrapage de trente ans d’abandon humain, politique et financier de la justice, et mettre en œuvre les recommandations issues des États généraux de la justice, recommandations que j’ai soumises à concertation ces derniers mois.

Permettez-moi maintenant de vous présenter dans le détail ce que ces moyens supplémentaires permettront de financer en 2023 et dans les années à venir.

Premièrement, la justice, ce sont avant tout les femmes et les hommes engagés au quotidien au service de nos concitoyens pour la faire fonctionner contre vents et marées. Je veux ici rendre un hommage appuyé à leur engagement sans faille. Merci aux magistrats, greffiers, personnels pénitentiaires, juristes assistants, avocats, professions du droit et agents administratifs pour leur engagement dans l’œuvre de justice.

Pendant trois décennies, ces hommages ont eu lieu chaque année sans que les actes ne soient joints à la parole. Depuis 2017, nous nous sommes précisément donné les moyens de remplacer les mots par des actions concrètes de reconnaissance et de renforcement de notre justice.

Nous allons accentuer, dès 2023 et sur les cinq prochaines années, le rythme et l’intensité des efforts en faveur du renforcement des moyens humains.

C’est la raison pour laquelle ce budget acte le plan de recrutement le plus important de l’histoire du ministère : 10 000 emplois supplémentaires pérennes, des « sucres lents », si je puis dire, d’ici à 2027, dont 605 emplois en juridictions qui ont d’ores et déjà été pérennisés au titre de la justice de proximité à la mi-2022.

C’est inédit, et même si comparaison n’est pas raison, je rappelle que 7 270 emplois ont été créés au cours du premier quinquennat du Président de la République ; cela représente une hausse de 11 % des emplois du ministère de la justice, qui compte aujourd’hui 90 000 personnels.

Ces 10 000 emplois seront répartis finement, année après année, en fonction des besoins identifiés sur le terrain, mais également des nécessités opérationnelles résultant à la fois des campagnes de recrutement et de l’avancement des projets immobiliers très ambitieux du ministère.

Néanmoins, je peux d’ores et déjà vous annoncer que seront sanctuarisés 1 500 postes de magistrats et 1 500 postes de greffiers supplémentaires sur la durée de tout le quinquennat, afin de renforcer les effectifs en juridictions.

Le nombre de postes de magistrats et greffiers créés sous le premier quinquennat étant respectivement de 700 et 850, nous doublerons donc le rythme de ces recrutements essentiels.

Pour 2023, ce sont 2 253 personnels qui arriveront dans les établissements pénitentiaires, dans les juridictions et dans les structures de la protection judiciaire de la jeunesse. Pour mémoire, 720 créations d’emplois étaient prévues en 2022. Nous triplons donc le rythme des recrutements en une seule année.

Ces 2 253 personnels seront répartis de la façon suivante : 1 220 pour la justice judiciaire, avec notamment 200 magistrats et 191 greffiers ; 809 pour l’administration pénitentiaire ; 92 pour la protection judiciaire de la jeunesse. Le reste, soit 132 personnels, bénéficiera à la coordination de la politique publique de la justice.

Par ailleurs, 60 créations d'emplois sont prévues pour nos opérateurs : 26 pour l’École nationale de la magistrature (ENM), 19 pour l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ) et 15 pour l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC).

Deuxièmement, pour assurer ce niveau inédit de recrutement, je souhaite renforcer encore l’attractivité des métiers de la justice par des revalorisations salariales. À cet égard, le budget pour 2023 rehausse les crédits consacrés aux mesures catégorielles, atteignant ainsi 80 millions d’euros en 2023. Cela représente un doublement de l’enveloppe déjà importante de 2022 et une multiplication par plus de cinq depuis 2019.

Comme je l’ai annoncé dernièrement, les magistrats bénéficieront à compter du 1er octobre 2023 d’une revalorisation inédite de 1 000 euros brut par mois en moyenne. C’est la juste reconnaissance de leur engagement pour faire fonctionner le service public de la justice dans des conditions parfois difficiles. Je suis particulièrement conscient des difficultés matérielles qui demeurent. C’est bien pour cela que je m’échine à décrocher les budgets les plus importants et j’accepte volontiers qu’ils soient comparés à ceux de mes prédécesseurs. Je me bats car j’ai la certitude qu’il reste beaucoup à faire. Contrairement à ce que certains ont pu croire, je n’ai jamais dit que la justice avait été réparée. J’ai dit que j’avais réparé l’urgence, mais un journal n’a pas jugé bon de reprendre l’intégralité de mes propos. Si je n’avais pas cette certitude, je ne me serais pas battu pour organiser les États généraux dont le but est de simplifier les procédures et de renforcer les moyens dont notre justice a tellement besoin.

À tous ceux qui donnent des leçons de morale à la majorité à longueur de journée, de tous bords, qui n’ont pas été capables de ramener un centime pour les magistrats, ni un centime pour les greffiers, ni un centime pour les agents pénitentiaires, ni un centime pour les « sucres rapides », je dis « ça suffit ! ». Oui, il reste beaucoup à faire, mais il n’est pas encore élu, le gouvernement qui aura fait mieux que nous en la matière… surtout quand on sait que nous avons fait plus en deux ans pour les moyens de la justice que la gauche en cinq ans, et que la droite pour laquelle les chiffres sont négatifs. Nous avons embauché 700 magistrats, alors que, sous François Hollande, ils n’étaient que 27 et que, sous Nicolas Sarkozy, on taillait à la hache dans la fonction publique et on ne remplaçait pas les magistrats qui partaient à la retraite.

Je le dis avec force, 2023 sera encore une grande année ; l’enveloppe catégorielle de 50 millions d’euros permettra d’atteindre deux objectifs : l’attractivité de tous les métiers de la justice, et la fidélisation des femmes et des hommes qui travaillent au service de la justice de notre pays.

L’effort inédit de revalorisation indemnitaire des greffiers et des directeurs de services de greffe sera poursuivi, et plus de 10 millions y seront consacrés en 2023. Au total, c’est une augmentation de 12 % dont bénéficieront les personnels de greffe entre 2021 et 2023. Par ailleurs, j’ai demandé au directeur des services judiciaires d’engager une réflexion sur une réforme du statut des greffiers.

En ce qui concerne les personnels relevant des corps spécifiques de la protection judiciaire de la jeunesse, 7 millions seront consacrés, cette année encore, à des revalorisations indemnitaires. Cette nouvelle étape vise bien sûr à poursuivre la convergence avec les rémunérations de corps équivalents.

Quant aux surveillants pénitentiaires, nous achevons en 2023 la revalorisation de l’indemnité pour charge pénitentiaire, qui est passée de 1 400 à 1 869 euros sur trois ans. Les surveillants pénitentiaires ont bénéficié en 2022 d’une réforme importante de leur statut et de leur rémunération. La fusion des grades de surveillant et de brigadier a permis de simplifier la carrière des agents et de revaloriser de façon importante le salaire indiciaire, notamment en début et en fin de carrière. Comme je l’ai toujours dit, cette réforme était une première étape.

Des travaux, qui seront engagés dès le début de l’année 2023 avec les organisations syndicales, porteront sur une revalorisation d’envergure de leur statut et de leur rémunération pour les années suivantes. Je tiens à rendre hommage aux personnels pénitentiaires, qui font un travail difficile de manière remarquable. Ils ont accepté, ce qu’ils n’avaient pas fait depuis vingt ans, de signer la charte « Principes du surveillant pénitentiaire, acteur incontournable d’une détention sécurisée », dont l’objectif est de dépasser le rôle du porteur de clés. Troisième force de sécurité du pays, ils sont absolument indispensables et pleinement engagés dans la barque républicaine et judiciaire à laquelle nous sommes tous très attachés.

Pour ouvrir les établissements pénitentiaires du plan 15 000 places, nous devons nous donner tous les moyens pour recruter plus et dans de meilleures conditions, et pour fidéliser les agents.

Nous devons porter une attention particulière à nos corps d’encadrement. Qu’ils soient directeurs des services de greffe, directeurs d’insertion ou de probation, directeurs de service à la protection judiciaire de la jeunesse ou directeurs des services pénitentiaires, tous ces agents assurent au quotidien une mission délicate dans des conditions difficiles et mettent en œuvre des politiques complexes en faveur des personnes que nous prenons en charge. Pour toutes ces raisons, près de 10 millions d’euros seront consacrés cette année à une revalorisation de leur régime indemnitaire, mais également indiciaire.

Troisièmement, les crédits permettront de poursuivre et de finaliser le plan de construction des 15 000 places de prison supplémentaires voulu par le Président de la République.

Environ la moitié des établissements seront opérationnels en 2024, sur la cinquantaine de chantiers en cours. De plus, à l’heure où je vous parle, dix-huit opérations sont en chantier dans toute la France, avec par exemple une nouvelle construction de 740 places à la prison des Baumettes, à Marseille, ou la réhabilitation de l’ancien centre des jeunes détenus de Fleury- Mérogis, qui permettra la création de 408 nouvelles places.

En 2023, pas moins de dix établissements pénitentiaires seront livrés : sept structures d’accompagnement vers la sortie (SAS), dont Avignon, Valence, Meaux ou Osny, et trois centres pénitentiaires, dont Caen et Troyes-Lavau que j’ai pu visiter en juillet dernier.

En 2023, plus de 441 millions d’euros sont inscrits au budget pour la réalisation du programme 15 000.

Celle-ci a été marquée, à ses débuts, par la difficulté des recherches foncières, souvent pour des raisons de faisabilité technique ou environnementale – découverte d’espèces animales protégées notamment –, mais également d’acceptabilité de la part des élus ou des riverains. En la matière, à l’instar des frites McCain, ce sont ceux qui en parlent le plus qui en mangent le moins… Ceux qui ont fait de la sécurité leur cheval de bataille ne sont pas au rendez-vous des obligations citoyennes et du courage nécessaire pour accepter l’implantation d’un établissement pénitentiaire dans sa commune ou sa circonscription.

La mise en œuvre du plan a également été entravée par des démarches contentieuses. Toutefois, puisque les terrains nécessaires au lancement de l’ensemble des projets sont désormais identifiés, les opérations ont pu entrer dans leur phase active et le rythme des livraisons va maintenant s’accélérer, pour s’échelonner jusqu’à fin 2027 et tenir ainsi les engagements du Président de la République.

Le plan 15 000 compte près de 2 000 places de SAS afin d’offrir un meilleur accompagnement aux détenus pour lutter avec acharnement contre la récidive. On parle tant des récidivistes – et oui, c’est un échec à chaque fois pour nous tous –, mais on ne parle jamais du détenu qui ne récidive pas. Et pourtant, on le sait, en évitant les sorties sèches, on diminue le nombre de récidives.

Le plan 15 000, qui portera à plus de 75 000 le nombre de places de prison, nous laisse entrevoir très sérieusement pour la première fois la possibilité d’atteindre notre objectif de 80 % d’encellulement individuel à l’horizon 2027. Nous vous proposerons donc de proroger, pour la dernière fois, le moratoire en la matière, pour que sa fin coïncide avec la sortie de terre de la totalité des constructions prévues dans le cadre du plan 15 000.

Enfin, je souhaite également engager les opérations nécessaires de réhabilitation des établissements pénitentiaires les plus vétustes, en particulier l’opération majeure et prioritaire de réhabilitation du centre pénitentiaire de Fresnes, dont monsieur le président, vous savez qu’elle est nécessaire puisque vous l’avez visité dernièrement avec les députés de cette commission, afin d’y montrer notamment que la prison, ce n’est pas le « Club Med » ou tout autre parc d’attractions auquel elle est parfois comparée.

La construction de nouveaux établissements et la rénovation des établissements existants améliorent non seulement la dignité des conditions de détention, mais aussi les conditions de travail du personnel. La prison doit assurer une réponse pénale ferme, sans démagogie, empreinte d’humanisme, mais sans angélisme. Les conditions de détention dignes permettent aux personnels pénitentiaires de mieux réinsérer les personnes détenues. Il faut faire une place au travail en prison dans les projets de construction ou de rénovation, par exemple en prévoyant des espaces pour stocker du matériel pour les entrepreneurs.

Quatrièmement, je souhaite moderniser et agrandir l’immobilier juridictionnel pour permettre l’accueil des renforts humains dans les années à venir.

Ce sont 502 millions d’euros d’autorisations d’engagement et 269 millions d’euros en crédits de paiement immobiliers qui sont prévus en 2023 pour permettre : de poursuivre les opérations d’ampleur engagées lors du quinquennat précédent, notamment les chantiers des palais de justice de Lille, de l’Île de la cité à Paris, de Bayonne, etc. ; de poursuivre les études des projets de Cayenne, Cusset, Meaux, Moulins, Nancy, Nantes, Perpignan, etc. ; enfin, de lancer de nouvelles opérations immobilières comme à Argentan, Chartres, Colmar, Saint-Brieuc ou Verdun.

Cinquièmement, enfin, j’évoquerai certains budgets qui permettront de moderniser et d’améliorer concrètement le fonctionnement du service public de la justice et le bien-être de ses agents.

L’enveloppe des crédits consacrée aux dépenses de frais de justice sera portée à 660 millions d’euros pour renforcer les moyens d’enquête et d’expertise de la justice. Cette hausse de 12 millions d’euros porte à 170 millions l’effort consenti en faveur de ces moyens depuis mon entrée en fonctions et contribuera notamment à faciliter le déstockage des affaires, déjà engagé – il représente 30 % pour les affaires civiles à l’échelle nationale. Cela représente du temps judiciaire gagné et du temps d’attente en moins pour nos compatriotes lorsqu’ils sollicitent la justice.

Les crédits d’investissement informatique seront portés à 195 millions d’euros dans le cadre de la poursuite de la mise en œuvre du plan de transformation numérique ministériel. Ils concernent principalement les grands projets informatiques comme ASTREA, ATIGIP 360, PORTALIS ou la PPN – procédure pénale numérique. En parallèle, la mise à niveau technique des infrastructures, telles que les centres de production et le réseau, sera renforcée. J’ai dernièrement recruté un secrétaire général adjoint chargé du numérique, et des informaticiens seront déployés massivement, à raison d’un dans chaque juridiction, pour répondre immédiatement aux besoins du quotidien, notamment en cas de panne ou de bug.

Les crédits de l’accès au droit et à la médiation s’élèveront à 713 millions d’euros en 2023, ce qui représente une hausse de 33 millions d’euros par rapport à 2022, soit 5 %. Dans cette enveloppe, les crédits dédiés à l’aide juridictionnelle continueront de croître en 2023 pour atteindre 641 millions d'euros, ce qui équivaut à une hausse de 26 millions d’euros en une année, soit environ 4 %.

Parallèlement, l’aide aux victime est portée à 43 millions d’euros, soit une hausse de 7 %, ce qui traduit l’importance que j’accorde à cette politique, qui est une priorité gouvernementale.

Sur cette enveloppe, 16,1 millions d’euros seront dédiés aux violences intrafamiliales – VIF –, marquant un doublement du budget VIF, qui était de 8 millions d’euros à mon arrivée en 2020.

Enfin, le renforcement de l’action sociale offerte par le ministère à ses agents sera poursuivi, avec 38 millions d’euros mobilisés en 2023, soit 8 % de plus que les 35 millions d’euros de 2022.

Voilà les grandes lignes du projet de budget 2023 pour la justice, qui frôle désormais les 10 milliards d’euros.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure pour avis. Le budget qui nous est présenté aujourd’hui s’inscrit dans une dynamique de renforcement des moyens de la justice inédite sous la Ve République, et dont nous pouvons être fiers. Il est un signal majeur adressé à notre administration judiciaire. Pour renforcer l’attractivité des corps des magistrats et des greffiers, il prévoit ainsi une revalorisation importante des rémunérations. Pour améliorer le fonctionnement de notre justice et soulager les personnels, il prévoit la création de 1 220 postes en 2023, dont 200 magistrats et 191 greffiers. Pour anticiper l’arrivée de promotions plus importantes permettant d’atteindre l’objectif de 1 500 magistrats et 1 500 greffiers supplémentaires d’ici la fin du quinquennat, nous renforçons les moyens de l’École nationale de la magistrature et de l’École nationale des greffes.

Pour ce qui concerne les quatre programmes liés à la justice judiciaire et à l’accès au droit, ces engagements forts se traduisent par l’augmentation de 7,2 % des crédits de paiement, traduction budgétaire des revalorisations et des recrutements, mais aussi de l’augmentation des crédits pour les associations d’aide aux victimes et les structures d’accès au droit.

Cette année, la thématique de cet avis budgétaire porte sur l’accès au droit et l’accompagnement des personnes victimes de violences intrafamiliales.

L’une des clés pour garantir que les victimes puissent exercer leurs droits est de multiplier les lieux et les dispositifs où elles seront en contact avec un professionnel susceptible de les accueillir et de les orienter. Les commissariats et les gendarmeries ont ainsi mis en place des procédures pour que la victime de violences conjugales puisse se signaler sans avoir à verbaliser la raison de sa venue. Le travail des associations d’aide aux victimes est, de ce point de vue, fondamental et je me réjouis donc que le budget alloué à ces associations augmente de plus de 11 % cette année. Des outils ont également été élaborés pour aider les professionnels en contact avec de potentielles victimes à évaluer correctement la situation : le ministère de l’intérieur a, par exemple, diffusé une grille d’évaluation du danger, qui comporte une vingtaine de questions.

Comme j’ai pu constater au cours des auditions auxquelles j’ai procédé, depuis le Grenelle des violences conjugales, en 2019, la lutte contre les violences conjugales a changé d’échelle. Des progrès réels ont été accomplis en matière d’accueil des victimes, grâce à ces outils, aux formations mises en place, à la meilleure coordination des acteurs au moyen des COPIL VIF, ou comités de pilotage dédiés aux violences intrafamiliales, pilotés par les juridictions, et surtout grâce aux moyens déployés – puisque l’enveloppe budgétaire allouée aux victimes de violences intrafamiliales a doublé entre 2020 et 2023, passant, comme l’a rappelé M. le ministre, de 8 à plus de 16 millions d’euros.

Des progrès peuvent encore être faits, notamment en formant encore plus largement les professionnels qui sont en contact avec les victimes, notamment les professionnels de l’enfance, en particulier les enseignants et les ATSEM – agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles –, qui sont en première ligne pour détecter les enfants victimes de violences dans le cercle familial et libérer leur parole.

L’accès au droit passe également par la connaissance des dispositifs de protection des victimes de violences intrafamiliales, au premier rang desquels les ordonnances de protection, première réponse judiciaire, qui n’est pas conditionnée au dépôt d’une plainte. Le nombre de demandes d’ordonnance de protection a augmenté de 73,4 %, entre 2018 et 2021, pour s’établir à 5 921, ce qui illustre la montée en puissance de ce dispositif. Le nombre de téléphones grave danger déployés a, lui aussi, explosé en quelques années, avec une augmentation de 700 % entre 2017 et 2022. L’objectif de 5 000 téléphones déployés sur tout le territoire devrait pouvoir être atteint d’ici à la fin de l’année.

Pour ce qui est de l’accès au droit et de l’accompagnement des victimes de violences intrafamiliales, en particulier mineures, le travail accompli par les administrateurs ad hoc est fondamental. Le rôle de ces administrateurs est de représenter un mineur dans une procédure judiciaire lorsque les représentants légaux de ce dernier ne sont pas en capacité de le faire ou que leurs intérêts divergent des siens. Or, leur nombre a tendance à stagner, voire à diminuer, et les conditions de leur indemnisation n’ont pas été revalorisés depuis 2007.

La protection des victimes de violences intrafamiliales doit aussi progresser sur le volet de la prise en charge des conjoints violents. Les centres destinés à cette fin, dont les premiers ont été ouverts après le Grenelle des violences conjugales, sont désormais au nombre de trente sur la totalité du territoire. Parallèlement à cela, l’expérimentation menée sur le contrôle judiciaire avec placement probatoire, lancée en 2020, qui permet l’éloignement du conjoint violent et sa prise en charge en présentiel, se voit prolongée d’une année. Nous aurons certainement à nous pencher sur l’articulation et la pérennisation de ces dispositifs. Il est donc nécessaire, pour les victimes, que nous poursuivions la création de lieux d’accueil des conjoints violents, condition indispensable du maintien au domicile conjugal, lorsqu’elle le souhaite, de la victime et de ses enfants.

Monsieur le ministre, après cette brève présentation de mes travaux, j’en viens à quelques questions.

Agir sur l’attractivité de la carrière de greffier est devenue une nécessité, comme l’atteste le taux de vacance de 7 % qui touche cette filière. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les travaux engagés pour réformer cette dernière ? La création d’une catégorie A des greffiers, qui permettrait de renforcer cette attractivité, est-elle envisagée ? Quelles seraient les implications budgétaires d’une telle évolution ?

Envisagez-vous de réévaluer les conditions d’exercice des administrateurs ad hoc, qui jouent un rôle fondamental dans la défense des intérêts de l’enfant victime ?

Intégrer les frais de signification au défendeur de la décision d’acceptation de l’ordonnance de protection dans les frais de justice, comme cela me l’a été suggéré à plusieurs reprises au cours des auditions auxquelles j’ai procédé, serait de nature à renforcer l’effectivité de la décision de justice. Est-ce envisageable ?

Plusieurs de mes interlocuteurs ont fait état de difficultés rencontrées avec les bracelets anti-rapprochement, qui émettraient des alarmes intempestives. Le ministère mène-t-il des actions correctrices ?

Pouvez-vous me confirmer que le groupement d’intérêt public nouvellement créé France enfance protégée lancera bientôt une campagne de sensibilisation sur les violences sexuelles commises sur les mineurs ? Cette question me paraît prioritaire, compte tenu du nombre de mineurs victimes chaque année de violences sexuelles, estimé à 160 000 par la Ciivise, la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis. Je tiens tout d’abord à rappeler les ordres de grandeur de ces deux budgets dédiés à l’administration pénitentiaire et à la protection judiciaire de la jeunesse.

Pour cette dernière, le budget global représente 1 087 millions d’euros en crédits de paiement, en augmentation de 10,5 %, soit 103 millions d’euros de plus par rapport à l’année précédente. Dans ce budget, les dépenses de personnel augmentent de 13,6 % et les crédits hors masse salariale de 6 %.

Quant à l’administration pénitentiaire, son budget global s’élève à 4,9 milliards d’euros en crédits de paiement, en augmentation de 7,5 %, soit 343 millions d’euros, par rapport à l’année 2022. Dans ce budget, les dépenses de personnel augmentent de 8,6 % et les crédits hors masse salariale de 5,7 %.

Ces deux budgets ont été en constante augmentation au fil des projets de lois de finances de la précédente législature. Ce nouveau projet s’inscrit donc dans la continuité de cette dynamique de progrès, que nous devons saluer car elle montre que notre majorité et le Gouvernement ont pris la pleine mesure des enjeux cruciaux que représentent la politique pénitentiaire et celle de la protection judiciaire de la jeunesse.

Avant d’en venir à la partie thématique de mon rapport, je tiens à rappeler que nous avons été confrontés, en 2017, au mauvais état d’entretien des établissements pénitentiaires, les budgets alloués à cette fin ayant été sous-évalués pendant des années, voire des décennies. En effet, alors que, selon une étude de la direction de l’administration pénitentiaire, le budget nécessaire à la maintenance du parc pénitentiaire est estimé à 140 millions d’euros par an, 60 à 80 millions d’euros seulement y ont été consacrés entre 2014 et 2016. Le résultat était désastreux, notamment parce que la vétusté de certains bâtiments menaçait la dignité des conditions de détention.

Je me réjouis de constater que nous avons redressé la barre : ces budgets ont été en constante augmentation depuis 2017, avec 80,7 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2018, 100,6 millions pour 2019, 110 millions pour 2020, 110 millions pour 2021 et 120 millions pour 2022. Cette année encore, le budget continue dans cette direction avec 124,6 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement pour la maintenance et l’entretien des établissements. Gageons que les prochaines années nous permettront d’atteindre le niveau approprié, selon l’évaluation réalisée par l’administration pénitentiaire.

J’en viens à présent à la seconde partie de mon rapport, que j’ai choisi cette année de consacrer aux activités de réinsertion, en milieu fermé comme en milieu ouvert. Je tiens à préciser que j’avais choisi ce sujet avant l’été, car je souhaitais notamment travailler sur les missions des services pénitentiaires d’insertion et de probation – SPIP. La polémique de cet été n’a fait que prouver la pertinence de ce choix, car nous devons visiblement faire encore preuve de pédagogie pour expliquer l’importance de la politique de réinsertion et des activités proposées aux personnes placées sous main de justice.

Du reste, le budget demandé pour 2023 ne s’y trompe pas, puisque les crédits destinés à cette politique sont, eux aussi, en augmentation, notamment pour le déploiement du bracelet anti-rapprochement, dont le budget augmente de près de 145 %, le développement du placement à l’extérieur, avec une augmentation de 67,5 %, et la mise en œuvre des réformes liées au travail en détention et au nouveau statut du détenu travailleur, avec un budget en hausse de 28 %. Je me réjouis de ces augmentations, qui montrent que la politique de réinsertion est aujourd’hui l’une des facettes essentielles de la politique pénitentiaire.

En milieu ouvert, nous devons continuer à développer toutes ces formes de suivi qui permettent de s’adapter au profil des personnes condamnées et, ainsi, de construire avec elles un parcours de réinsertion aussi adapté que possible. En milieu fermé, les activités proposées aux personnes détenues recouvrent plusieurs domaines : travail, formation professionnelle, insertion par l’activité économique, enseignement et activités éducatives, culturelles, socioculturelles, sportives et physiques. Toutes ces activités organisées dans le cadre de la détention contribuent au quotidien carcéral et aux parcours de réinsertion des personnes détenues. Si l’on comprend aisément l’apport des activités de formation, d’enseignement ou de travail, il ne faut pas perdre de vue que les autres activités ont également leur rôle à jouer. En effet, les apports socio-culturels permettent aux personnes détenues de développer notamment leurs compétences sociales et leurs capacités relationnelles, qui sont un maillon essentiel de la réinsertion.

En conclusion, il me semble important de rappeler que la politique de réinsertion est mise en œuvre notamment par les services pénitentiaires d’insertion et de probation, souvent bien moins connus de nos concitoyens que les personnels de surveillance, alors qu’ils exercent des missions essentielles, assurant à la fois le contrôle des obligations prononcées par l’autorité judiciaire, notamment en milieu ouvert, et l’accompagnement personnalisé des personnes placées sous main de justice. Ils sont ainsi au premier rang de la lutte contre la récidive.

Monsieur le ministre, au cours des auditions et des déplacements que j’ai effectués, j’ai été alerté à plusieurs reprises par le manque d’attractivité des services pénitentiaires d’insertion et de probation. Les directrices et directeurs de ces services ont d’ailleurs engagé récemment un mouvement social pour réclamer une amélioration de leur statut. Je les ai reçus et j’ai pu échanger avec eux sur ce sujet. Comment le Gouvernement prend-il en compte ces enjeux et quelles mesures catégorielles sont – ou seront – adoptées en faveur de ces personnels dédiés à la réinsertion ? Envisagez-vous de continuer le recrutement des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation sur le reste de la durée du quinquennat ?

Je m’interroge également sur la mise en œuvre, en janvier prochain, de la nouvelle procédure de libération sous contrainte – LSC – de plein droit. Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit à ce titre le « fléchage » de trente agents de surveillance électronique, nombre qui, selon plusieurs syndicats, risque d’être insuffisant pour prendre en charge les nouvelles mesures de détention à domicile sous surveillance électronique qui seront mises en œuvre dans ce cadre. Comment seront gérées les mesures prononcées en application de cette nouvelle LSC ?

M. Patrick Hetzel, rapporteur spécial. Ce budget pour 2023 semble traduire les premières conséquences que le ministère entend tirer des recommandations formulées par le comité des États généraux de la justice. C’est une bonne chose. Toutefois, derrière des effets d’annonce, la réalité est, hélas, bien plus complexe et ambiguë qu’il n’y paraît.

Pour ce qui est de la justice judiciaire, il convient, en premier lieu, de rappeler que les difficultés structurelles des juridictions sont considérables. À titre d’exemple, le taux de vacance des postes de greffiers s’établit à 7,2 %, soit 2,7 points de plus qu’en 2019, avant la crise du covid-19. De plus, les cibles fixées en matière de délais de traitement des affaires civiles repartent de nouveau à la hausse.

La Première ministre a annoncé dans son discours de politique générale la création de 1 500 postes de magistrats sur cinq ans. Si 200 ETP, ou équivalents temps plein, de magistrats sont prévus par le projet de loi de finances pour 2023, sans doute les 1 300 postes supplémentaires seront-ils pour plus tard. Le ministère reste néanmoins dans l’ambiguïté : ces emplois relèvent-il de la création de postes au sein des juridictions ou de l’ouverture de places supplémentaires à l’École nationale de la magistrature ? En d’autres termes, ces renforts seront-ils opérationnels en 2023 ou à compter de 2025 seulement ?

Vous avez en outre annoncé une revalorisation à hauteur de 1 000 euros, à partir d’octobre 2023, de la rémunération des magistrats, qui prendra la forme d’une hausse des primes forfaitaires et modulables versées à ces derniers. En réalité, nous voyons bien que cette revalorisation concernera en priorité les magistrats les plus expérimentés, puisque ces primes sont indexées sur le traitement indiciaire. Surtout, cette prime ne résoudra pas la question centrale de l’attractivité de la profession.

Pour ce qui est de l’administration pénitentiaire, en dépit de la livraison de nouvelles places de prison, la population carcérale continue de progresser bien plus vite. Le taux d’occupation des places en maison d’arrêt pourrait ainsi atteindre plus de 130 % en 2023. Dans ces conditions, comment espérer une véritable amélioration des conditions de détention ?

Le projet de loi de finances prévoit par ailleurs la création de 809 emplois. Or, ces postes concernent majoritairement des personnels de surveillance, pour lesquels, comme nous l’avons vu pour les derniers budgets, le schéma d’emplois est, hélas, systématiquement sous-exécuté : l’action ne suit pas les annonces.

Des moyens supplémentaires seront, en outre, alloués au bracelet anti-rapprochement. Néanmoins, comme l’a d’ailleurs indiqué aussi notre collègue Aurélien Pradié, ces outils ont connu de nombreux dysfonctionnements, ce qui a conduit le ministère à changer de prestataire en 2022. Cet exemple montre qu’en dépit de moyens supplémentaires, le pilotage fait toujours défaut.

Par ailleurs, l’article 44 du projet de loi de finances prévoit de prolonger de deux ans l’expérimentation rendant obligatoire une tentative de médiation préalable à la saisine du juge pour certaines affaires familiales. Sur le principe, j’y suis favorable, mais ce serait la troisième fois que nous prolongerions cette expérimentation alors que, selon les informations dont nous disposons, la Cnaf, la Caisse nationale des allocations familiales, n’a toujours pas donné son accord pour participer à son financement. On nous demande donc de nous prononcer sur un article sans savoir quelle en sera la véritable portée.

Enfin, permettez-moi de citer des acteurs du terrain judiciaire. Récemment, dans ma circonscription, à l’occasion de l’audience de rentrée, la présidente et la procureure du tribunal de Saverne ont dressé un état des lieux. La présidente a ainsi déclaré : « Nous sommes en situation de plein-emploi théorique. L’équilibre demeure fragile et, du côté des greffes, la situation est plus que délicate. Nous sommes en sous-effectif chronique, avec des postes non pourvus, nous obligeant à prioriser certains services et à ne traiter que les urgences pour d’autres. » La procureure a ajouté : « Le mérite de tous est grand, car la justice est le seul service public à devoir absorber chaque année, dans les faits et à moyens constants, une quantité énorme de réformes, et ce dans tous les domaines. » Comme vous le voyez, les choses sont un peu différentes sur le terrain de ce qu’elles sont dans vos discours.

Tous ces exemples montrent que, sans pilotage satisfaisant de ces moyens supplémentaires, la justice ne pourra sortir durablement de la crise qu’elle traverse encore aujourd’hui. Beaucoup reste donc à faire et, jusqu’à présent, les résultats ne sont malheureusement pas satisfaisants.

Monsieur le ministre, la justice de terrain, celle du quotidien, celle qui vit la réalité des tribunaux, est très éloignée de ce que vous venez de nous présenter. Quand accepterez-vous d’en venir enfin au principe de réalité ?

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux questions des représentants des groupes.

Mme Caroline Abadie (RE). Nous étudions aujourd’hui le budget de la mission Justice qui, dans la continuité des cinq années précédentes, est marqué par une hausse historique de 8 %, qui le porte ainsi à plus de 9,6 milliards d’euros. Depuis 2017, nous avons considérablement renforcé les moyens humains et techniques de la justice. Après une augmentation budgétaire de 40 % sur la période de 2017 à 2022, le budget que vous nous présentez conserve, monsieur le ministre, la même dynamique.

Au nom du groupe Renaissance, je salue votre travail et l’effort budgétaire réalisé. Votre engagement témoigne de votre volonté de pérenniser et d’améliorer les actions entreprises pour moderniser le service public de la justice au service des Français.

Ce budget pour 2023 promet d’ailleurs une trajectoire ambitieuse pour la prochaine loi de programmation, qui interviendra dans la continuité des États généraux de la justice, en engageant des projets structurants pour votre ministère. En effet, après la création de plus de 7 000 emplois durant le précédent quinquennat du Président de la République, 10 000 créations de postes sont annoncées pour la période de 2023 à 2027, dont 2 253 ETP dès 2023, au service de nouveaux établissements pénitentiaires, de la protection judiciaire de la jeunesse et, bien sûr, de nos juridictions.

Il s’agit d’augmenter les effectifs et les rémunérations pour valoriser à leur juste niveau les missions et attirer les meilleurs profils. Sont ainsi créés par ce projet de loi de finances 208 postes de magistrats et 191 postes de greffiers, avec l’objectif d’en créer 1 500 pour chacun de ces emplois sur la durée du quinquennat.

Ma première question porte donc sur le phasage de ce déploiement, en termes de formation, de recrutement et de déploiement dans nos tribunaux – j’en veux pour exemple le tribunal de Vienne, dont les effectifs étaient complets cette année pour les postes de magistrats, mais inférieurs au seuil pour les postes de greffiers.

Des efforts similaires renforcent et modernisent l’accès au droit. Je salue à cet égard la progression de 26 millions d’euros des crédits budgétaires alloués à l’aide juridictionnelle, volet essentiel de cette politique. Dans le même temps, une augmentation de 7 % vient abonder les crédits accordés à l’aide aux victimes, axée sur une prise en charge pluridisciplinaire et, plus spécifiquement, sur les victimes de violences conjugales. Ces moyens permettent de financer des outils majeurs de la protection des victimes, comme les 5 000 téléphones grave danger.

Je me réjouis de voir les moyens de l’administration pénitentiaire renforcés, avec un effort tout particulier consacré à la réinsertion. Renforcement des moyens humains pour les conseillers de probation et d’insertion, financement pour accompagner le déploiement du contrôle judiciaire sous placement probatoire pour les auteurs de violences conjugales, renforcement des moyens de l’Atigip, l’Agence nationale du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle : ce sont là autant de moyens mobilisés pour l’indispensable mission de réinsérer les personnes placées sous main de justice.

Pour ce qui est plus précisément de la formation professionnelle, quels sont les objectifs et le mode de cofinancement envisagés avec les régions dans le cadre de la convention signée avec elles en début d’année ? Je rappelle à cet égard que, depuis le transfert de cette compétence aux régions, le nombre de détenus formés est passé de 40 % à moins de 12 %.

Avec la poursuite du plan 15 000 places, nous disposons de deux leviers complémentaires qui permettront, je l’espère, de réduire la surpopulation carcérale, particulièrement en maison d’arrêt. D’où une question sur les réalisations qui sortiront de terre en 2023 : à combien de places supplémentaires le chiffre de dix établissements que vous avez évoqué peut-il correspondre ?

Je tiens, enfin, à saluer l’engagement de l’ensemble des personnels de la PJJ et de ceux de l’administration pénitentiaire, confrontés à des conditions de travail toujours très difficiles compte tenu de l’occupation carcérale croissante. Ce budget nous permet de dire que, si la prison punit et surveille, elle réinsère aussi.

La réunion, suspendue à dix-huit heures dix, est reprise à dix-huit heures vingt.

M. Thomas Ménagé (RN). Le pragmatisme nous invite d’abord à saluer la hausse des crédits alloués à la justice par ce budget pour 2023. Néanmoins, le réalisme nous oblige à nous rendre à l’évidence en décelant sous cette hausse un véritable budget de l’impuissance. Non, il ne permettra pas de rompre avec le laxisme judiciaire face à l’insécurité qui gangrène notre pays depuis des années.

Monsieur le ministre, vos fonctions font de vous d’abord le garant de l’exécution des peines prononcées. Pourtant, tout est fait pour qu’elles ne soient plus exécutées. Je n’invente rien, ce sont vos chiffres qui le démontrent : seules 21 % des personnes condamnées à une peine inférieure ou égale à six mois font réellement l’objet d’une détention. Pire, vous souhaitez atteindre les chiffres de 18 % en 2023, 16 % en 2024, puis 14 % en 2025. Au lieu de poursuites en bonne et due forme après la commission d’un délit, les alternatives aux poursuites ou les peines alternatives, dont vous êtes friand et dont on sait pourtant qu’elles n’ont aucun effet, sont en constante augmentation. Le taux de rappels à la loi par délégué du procureur de la République passera ainsi de 30 % en 2020 à un objectif de 47 % en 2025. Le taux de peines alternatives à l’emprisonnement ferme passe, quant à lui, de 76,9 % en 2020 à un objectif de 81 % en 2025.

C’est donc sur cette base et sur ces prévisions que se fonde ce budget de la justice, qui témoigne d’un laxisme inacceptable pour les victimes et contre-productif pour prévenir la récidive. Beccaria disait que la certitude d’une punition, même modérée, fera toujours plus d’impression que la crainte d’une peine terrible si à cette crainte se mêle l’espoir de l’impunité. Vous devriez vous en inspirer. C’est tout le sens de nos propositions et du projet défendu par Marine Le Pen durant sa campagne présidentielle, proposant de privilégier les peines courtes, réputées plus efficaces pour prévenir la récidive et éviter que la petite délinquance du quotidien ne se transforme en grand banditisme.

Par votre intermédiaire, l’État abandonne progressivement l’une de ses missions régaliennes en la sacrifiant sur l’autel de la bien-pensance et de l’angélisme. Au bout du compte et comme toujours, cela pèse sur les Français, qui subissent l’insécurité au quotidien.

Sur le territoire dont je suis élu, le Loiret, un cas illustre toutes les contradictions et les injustices de votre politique. Le 20 septembre 2020, Valentin, 19 ans, était fauché par un automobiliste conduisant sous l’influence de l’alcool et de stupéfiants. Aujourd’hui, 25 octobre 2022, deux ans après les faits, la procédure est toujours en cours, interminable. Les parents de la victime m’ont fait part de leur immense chagrin et de ce qu’a d’insoutenable l’attente d’un jugement définitif et d’une réparation qui ne sera jamais à la hauteur de leur perte. Pendant ce temps, l’auteur est en liberté, a toujours son permis de conduire et, au volant de son véhicule, nargue les habitants de Montargis, dont les parents de Valentin et sa petite sœur.

Plus occupé, depuis votre nomination, à combattre le Rassemblement national qu’à apporter des réponses concrètes pour lutter contre la délinquance et à la criminalité, vous abdiquez une nouvelle fois, alors que l’insécurité vécue par nos concitoyens justifierait une réponse judiciaire forte. Ce budget révèle un projet politique : celui de l’impunité généralisée et du permis de commettre des infractions. Au fond, il dévoile une nouvelle corde à votre arc : la capacité de faire moins bien avec plus.

Qu’attendez-vous pour orienter ces hausses de budget vers le renforcement de la politique d’exécution des peines de l’ensemble des délinquants et pour rompre avec le marqueur de votre impuissance qu’est le déploiement massif des peines alternatives ?

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). L’augmentation de 8 % du budget de la justice, que vous jugez significative, sera très amoindrie par l’inflation. La France est à la traîne par rapport à ses voisins européens puisqu’elle dépense 72 euros par an et par habitant là où l’Italie en dépense 82, l’Espagne 88 et l’Allemagne 141. En outre, la France ne dispose que de 11 magistrats pour 100 000 habitants, contre le double pour l’Allemagne.

Un seul exemple suffit pour montrer à quel point vous êtes sinistrement déconnecté des besoins du terrain : le budget alloué à l’administration pénitentiaire, notamment pour la création de places de prison, est près de 8 fois plus élevé que celui de l’accès au droit et à la justice, et 4,5 fois plus élevé que celui de la protection judiciaire de la jeunesse. Votre budget est donc porté sur une politique carcérale et non sur l’amélioration en profondeur de ce service public en souffrance. Ainsi, l’aide juridictionnelle n’augmente que de 4,2 %, contre 15 % l’année dernière, au détriment des justiciables précaires. Tous les professionnels sur le terrain préconisent pourtant un élargissement massif de ce budget, indispensable pour l’accès aux droits des citoyens.

Par un heureux hasard, nous avons visionné hier soir, en collaboration avec le barreau de Paris, le documentaire « La justice à bout de souffle ». Les professionnels y sont unanimes pour dire que la justice va mal, très mal. Or le budget que vous nous présentez relève de l’indécence tant il est éloigné de la réalité des besoins.

Pour conclure, je citerai une greffière abordant la question des suicides et des conditions de travail déplorables : « Combien voulez-vous de morts ? ». Il est plus que temps de cesser cette politique d’investissement de façade dans la justice et d’agir pour remédier à la souffrance des professionnels et des justiciables dont vous devez défendre la cause.

M. Erwan Balanant (Dem). C’est un budget sans précédent de 9,6 milliards d’euros, en hausse de 8 % pour la troisième année consécutive que vous nous présentez. Nous pouvons le dire avec fierté : la justice se donne désormais les moyens de son action ; mais le chemin reste long tant l’administration judiciaire a été lésée pendant de nombreuses années. Ce budget n’est donc qu’une étape à valoriser.

Je tiens tout d’abord à saluer les efforts en faveur de la justice judiciaire, qui permettront de contribuer au déploiement de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire et de donner corps aux États généraux de la justice. Je salue également la hausse substantielle de 33 millions d’euros du budget alloué à l’accès au droit.

Le code de la justice pénale des mineurs, dont nous venons de souffler la première bougie, a déjà su montrer son efficacité. Jusqu’à l’année dernière, les délais de jugement pour les mineurs n’étaient pas encadrés. Un mineur était jugé en moyenne dans un délai de 18 mois, et 45 % d’entre eux avaient alors atteint la majorité. Désormais, de l’audience de culpabilité à l’audience de sanction, il ne s’écoule plus que 8 à 9 mois en moyenne : c’est inédit. Vous annoncez votre volonté de poursuivre l’évaluation de cette réforme à travers une trentaine d’indicateurs nationaux et locaux qui permettent d’apprécier l’application quantitative et opérationnelle du code à chaque stade de la procédure. Pourriez-vous préciser de quelle manière les moyens alloués à l’accompagnement de l’ensemble des réformes de 2023 toucheront spécialement la justice pénale des mineurs ?

Par ailleurs, dans un avis de juillet 2021, la Défenseure des droits a révélé que les chefs d’établissements étaient réticents à prendre en charge des cas de harcèlement scolaire lorsque des plaintes étaient en cours d’enquête ou ont été classées sans suite, alors que ces deux procédures sont compatibles et indépendantes. Ne serait-il pas intéressant, pour une meilleure compréhension des droits de nos enfants, d’accentuer le partenariat entre la justice et l’éducation nationale ?

M. Ian Boucard (LR). Monsieur le garde des sceaux, vous avez récemment déclaré que la justice, c’était difficile à rendre. Je vous rejoins totalement. Il faut donc lui donner des moyens à la hauteur des ambitions affichées. Comme chaque année, la majorité présidentielle et le Gouvernement se félicitent d’un budget de la justice présenté comme exceptionnel et historique, alors que chacun sait que rien ne va changer fondamentalement pour les justiciables. En 2023, la plupart de nos concitoyens devront toujours attendre près de deux années pour qu’une décision de justice soit rendue : cela n’est pas acceptable.

Il est vrai que le budget de la justice augmente chaque année – ni plus ni moins que le budget général. Cette augmentation sera-t-elle suffisante pour que la justice soit mieux rendue ? Assurément non. Malgré les hausses des crédits intervenues ces dernières années, notre système judiciaire se dégrade petit à petit, en raison notamment de crédits d’investissement qui ne peuvent pas être dépensés. En trois ans, une année complète de crédits n’a pas été dépensée. Le covid-19 n’explique pas tout : alors que 15 000 places de prison étaient prévues pendant le premier quinquennat, ce chiffre a été ramené à 7 000 places d’ici à la fin de l’année 2022, avec peut-être 8 000 places supplémentaires à l’horizon 2027. Alors que nous arrivons à la fin de la première échéance, seules 2 081 places ont été ouvertes, et il ne devrait y en avoir que 2 000 supplémentaires en 2023. Le compte n’y est pas ! Nos prisons sont délabrées et indignes, avec un taux d’occupation qui ne fait qu’augmenter, passant de quasiment 120 % en 2020 à 126 % en 2021. Quant à l’année 2022, elle s’annonce encore plus compliquée avec une estimation à 129 %.

Le temps d’attente pour les justiciables est insupportable. Le délai moyen de traitement pour les affaires civiles est passé de 17,9 mois en 2020 à 19,1 en 2021 pour la Cour de cassation, et de 17 mois à 17,5 mois en cour d’appel, soit plus d’un an et demi avant que ces juridictions ne prennent une décision. Ces lenteurs difficilement acceptables ne font qu’augmenter d’année en année.

Il y a néanmoins des points positifs dans ce projet de loi, notamment en ce qui concerne les créations d’emplois. En 2023, le ministère bénéficiera de la création de 2 253 équivalents temps plein (ETP), dont 1 220 dans les services judiciaires pour renforcer la justice de proximité et résorber la vacance d’emploi dans les greffes, 809 dans l’administration pénitentiaire pour l’ouverture de nouveaux établissements et 92 pour la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Toutes ces créations d’emplois ne seront pas de trop au regard de l’augmentation du nombre d’affaires à juger, de la paupérisation de nos prisons et du manque de sécurité latent.

En juin 2022, il y avait 241 361 personnes prises en charge par l’administration pénitentiaire, dont 71 678 placées sous écrou. Heureusement, les 43 000 agents des services pénitentiaires, dont près de 30 500 personnes de surveillance et 5 000 personnels des Spip (service pénitentiaire d’insertion et de probation) sont présents chaque jour pour contribuer à la réinsertion des détenus et assurer leur sécurité. Je souhaite d’ailleurs leur rendre hommage, car ils font beaucoup avec peu de moyens, tout en étant la cible de violences de la part de la population carcérale. Ces violences, en constante augmentation, nécessitent des investissements de sécurité beaucoup plus conséquents que ceux prévus dans le projet de budget pour 2023.

Enfin, la réforme du code de procédure pénale est réclamée à la fois par les forces de l’ordre et par une bonne partie de l’institution judiciaire. À une question de ma part sur ce sujet lors du Beauvau de la sécurité, vous m’aviez répondu, avec votre verve habituelle, que cela ne se réformait pas d’un coup de baguette magique. Cette réponse a désormais un an et demi et aucune réforme sérieuse ne vient pointer le bout de son nez. Où en sommes-nous de cette réforme, qui ne coûterait pas un euro de plus ?

Mme Cécile Untermaier (SOC). Le budget de la justice pour 2023 s’inscrit dans la continuité d’un effort significatif, avec une augmentation de 8 %. Les États généraux de la justice ont donné le tempo de la nécessité de maintenir cette trajectoire, tandis que les citoyens ont pris conscience du niveau de la justice en France, qui se situe en dessous de la moyenne européenne. Cela nous oblige.

Cet effort budgétaire n’est toutefois pas le plus remarquable : les 15 milliards d’euros alloués au ministère de l’intérieur accentuent le différentiel, alors qu’on sait combien justice, sécurité et libertés doivent fonctionner ensemble.

Une augmentation de 85 millions d’euros est consentie à la protection judiciaire de la jeunesse, ainsi que 92 créations de postes. C’est un effort manifeste, même si ce dernier chiffre peut paraître faible au regard de ce qui est demandé aux équipes mobilisées par la réforme de la justice pénale des mineurs. Il ressort des premières auditions que nous avons menées, avec mon collègue Jean Terrier, que les capacités de la protection judiciaire de la jeunesse pour réduire les délais ne sont pas aussi évidentes qu’on pourrait le croire. C’est normal, il faut changer les pratiques. Nous défendrons donc des amendements raisonnables, de nature à lui donner plus de souplesse dans l’exercice de ses missions, par exemple 50 postes supplémentaires de coordonnateurs, de formateurs et d’encadrement intermédiaire, ainsi que des psychologues, dont la jeunesse délinquante a besoin.

La détention provisoire ne diminue pas : elle s’élève toujours à 30 % des personnes détenues. Je sais que vous être résolu à y parvenir. Que doit-on faire pour cela ? Manque-t-on d’équipements, d’alternatives, d’éducateurs qui seraient en capacité de rassurer les juges pour prendre des décisions autres que l’enfermement ?

La question du numérique est tout à fait centrale dans les tribunaux judiciaires. Les logiciels sont extrêmement lourds à utiliser et ralentissent considérablement le travail des juges, alors la Cour de cassation et le Conseil d’État utilisent des logiciels tout à fait performants. Il faut absolument arriver à régler cette question. Avez-vous mesuré toute l’importance de ce sujet ?

M. Didier Lemaire (HOR). Le budget de la mission Justice augmente en 2023, la hausse s’élevant à 26 % depuis trois ans. L’objectif est triple : réduire les délais de traitement, particulièrement dans les contentieux du divorce et les contentieux portés devant le conseil des prud’hommes ; renforcer l’efficacité de la réponse pénale ; adapter et moderniser la justice en renforçant l’accès des usagers à leur dossier en ligne afin de faire baisser les frais de justice. Cette augmentation des crédits est cohérente avec les axes prioritaires défendus par le Gouvernement, à savoir le renforcement des moyens humains, l’amélioration des conditions de détention et le renforcement de certaines politiques pénales comme la lutte contre les violences intrafamiliales.

La France connaît un déficit de greffiers et de magistrats. Je me réjouis donc de la création de 10 000 emplois, dont 2 553 dès 2023, et du doublement de l’enveloppe consacrée aux mesures catégorielles, soit 80 millions d’euros pour renforcer l’attractivité des métiers. Sachant que notre pays comprend plus de 600 juridictions, pourriez-vous nous détailler la répartition de ces créations d’emplois ? Savez-vous d’ores et déjà dans quelles juridictions, quels services, quels territoires et quels délais ces nouveaux emplois seront pourvus ?

Le Gouvernement souhaite renforcer certaines politiques pénales, dont la lutte contre les violences conjugales et intrafamiliales. C’est indispensable, car celles-ci sont encore trop peu suivies de plaintes, en particulier lorsqu’il s’agit d’agressions à caractère sexuel. Je me réjouis donc que le budget consacré aux frais de justice augmente de 12 millions d’euros en 2023 et espère que cela encouragera les victimes à agir contre leurs bourreaux. En conclusion, le groupe Horizons et apparentés votera en faveur des crédits de la mission.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). J’ai bien noté que les crédits de la mission Justice augmentaient cette année. Malheureusement, le volontarisme que vous affichez ne suffira pas à combler l’immense retard que nous avons accumulé depuis de trop nombreuses années. Nous partons en effet de très loin : le personnel est à bout, il n’a plus les moyens de rendre une justice de qualité, la justice civile est débordée, les cabinets des juges pour enfants sont saturés, les procureurs sont en sous-effectif et les cadences sont infernales. La perte de sens est totale.

Au niveau européen, la France se situe dans les derniers rangs s’agissant des budgets attribués à la justice. L’Allemagne compte deux fois plus de juges, de procureurs, d’avocats et de greffiers que la France, et même l’Espagne, l’Italie et la Belgique font mieux que nous. Le résultat de ce manque d’investissement, c’est l’allongement sans fin des délais de jugement. Le recours à la justice est devenu un véritable parcours du combattant, les requérants ne sont plus écoutés, les juges des affaires familiales sont trop souvent contraints de traiter chaque dossier de divorce ou de séparation en quinze minutes, sans même prendre le temps de donner la parole aux couples. Quant aux juges des enfants, ils sont condamnés à renouveler les mesures de suivi éducatif sans voir les familles, le nombre de dossiers à gérer étant tel qu’ils ne peuvent les recevoir toutes. Les délais de jugement sont scandaleusement longs : en première instance, au civil, un dossier est instruit en moyenne en 420 jours en France contre 220 jours en Allemagne.

Face à cette justice en crise, face à l’urgence dans laquelle nous sommes, les mesures que vous annoncez ne sont pas à la hauteur. Les présidents des tribunaux demandent 1 500 magistrats immédiatement – pas sur cinq ans ! Or 200 magistrats en 2023, ce n’est pas suffisant. Même constat pour l’équipe autour du magistrat : le juge a besoin de greffiers et de juristes assistants. Là encore, les effectifs et les revalorisations que vous annoncez ne sont pas à la hauteur. Il faut recruter davantage de greffiers pour que leur charge de travail soit raisonnable, avec un ratio minimum de deux greffiers pour un magistrat. Il faut aussi rendre leur fonction plus attractive en améliorant leur statut, leur rémunération et les perspectives d’évolution, par exemple en passant tous les greffiers en catégorie A. Il faut aussi revaloriser la carrière des juristes assistants, qui doivent pouvoir bénéficier d’un statut pérenne et attractif. L’absence de perspective à long terme – ils sont recrutés pour trois ans, renouvelable une fois – les incite à chercher un emploi plus stable, même lorsqu’ils s’épanouissent dans leur mission.

Malgré des efforts notables, ce projet de budget reste en dessous des besoins et ne résout pas à lui seul les grandes difficultés auxquelles fait face la justice de notre pays.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Monsieur le garde des sceaux, le ministère dont vous avez la charge craque de partout : manque chronique de moyens humains et financiers, manque de considération. Cela fait de trop nombreuses années que la justice est délaissée par le pouvoirs publics. Ce n’est pas de votre seul fait, certes, mais c’est à vous qu’il appartient désormais de proposer un budget à la hauteur des enjeux. Le rapport de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice du 5 octobre dernier confirme que la France continue de figurer parmi les pays qui, à PIB comparable, investissent le moins dans leur justice. Les conséquences de ce manque de moyens sont terribles, tant pour les professionnels de la justice que pour les justiciables. Ainsi, les délais de traitement des affaires pâtissent de ce sous-investissement : en moyenne, un dossier en première instance pour une procédure civile est résolu en 637 jours en France, contre 237 jours dans le reste de l’Europe. La hausse du budget de plus de 8 % est un début, mais elle nous paraît encore trop faible au regard des besoins, d’autant qu’une large partie de celle-ci sera absorbée par l’administration pénitentiaire.

Je souhaite aborder en particulier la question de la dotation annuelle de l’aide juridictionnelle, qui est largement insuffisante. Dans le barreau où j’exerce, elle a été épuisée dès le mois de juin cette année, et la dotation complémentaire l’a été dès le mois de septembre. La modification des critères d’accès à l’aide juridictionnelle semble en être la cause, mais c’est surtout l’augmentation de la pauvreté en France qui entraîne une demande plus importante. Pour 2023, le budget accordé à l’aide juridictionnelle augmentera de 4,2 % : c’est un bon début mais cela nous paraît encore très insuffisant. La pauvreté en France explose : 12 millions de personnes vivent désormais en dessous du seuil de pauvreté, ce qui représente 18,46 % de la population ; à La Réunion, ce taux s’élève même à 20 %. L’augmentation des crédits de l’aide juridictionnelle doit donc accompagner cette réalité. Or, la pauvreté ne figure pas dans les différents critères d’analyse de votre ministère pour évaluer le besoin : pas de mention de l’explosion de ce phénomène, pas de prise en compte de ses conséquences directes, pas de projection sur l’augmentation des demandes d’aide juridictionnelle. Nous craignons donc que l’augmentation de la dotation pour 2023 soit bien en deçà de ce qui serait nécessaire.

En conclusion, le budget que vous présentez est encore très insuffisant au regard des besoins et des objectifs affichés. Je crains que, pour compenser cette insuffisance, vous ne décidiez dans un prochain projet de loi de réforme de la justice de généraliser quelques procédures complexes qui éloigneront encore plus le justiciable de la justice ou contribueront à diminuer le nombre d’affaires traitées à grands coups de caducité, de nullité ou d’irrecevabilité. Le besoin de justice est toujours plus important dans notre société où les inégalités se creusent. En tiendrez-vous compte ?

M. Jean-Félix Acquaviva (LIOT). Il n’est pas possible de nier les efforts budgétaires conséquents affichés dans le projet de budget pour 2023, avec 8 % d’augmentation en un an. Cependant notre groupe est partagé, car les résultats ne sont pas au rendez-vous. Le problème semble être lié à un changement de paradigme.

S’agissant de la crise de recrutement qui frappe le système judiciaire, notre groupe relève l’écart entre les annonces de communication et les faits. Alors que la Première ministre, dans son discours de politique générale, annonçait 3 000 créations de postes réparties à égalité entre magistrats et greffiers, le budget 2023 nous semble loin de ce compte : il est prévu de créer « seulement » 200 postes de magistrats. Pourquoi reporter à demain, voire à la fin du quinquennat, le recrutement de 1 500 magistrats, alors que les tensions sur les juridictions judiciaires sont prégnantes ? S’agit-il de créations de postes immédiates, dès 2023 dans les juridictions, ou seulement de places supplémentaires à l’École nationale de la magistrature ?

Cette crise a un impact direct sur le principal indicateur de la mission : la durée de traitement des affaires judiciaires, au civil comme au pénal. Depuis la pandémie, le stock ne diminue pas, au point qu’il devient difficile de rendre justice dans un délai raisonnable. Outre les inégalités qui en découlent, la France s’expose à de nouvelles condamnations européennes pour ces délais excessifs. Le rapport du comité des États généraux de la justice, publié en juillet dernier, préconise comme piste d’amélioration de renforcer l’entourage du magistrat. Or, l’attractivité des emplois nous semble au point mort : les greffiers manquent à l’appel en dépit des crédits additionnels. Comment expliquer que le taux de vacance des postes de greffiers progresse et s’élève à 7,2 % ? Quelles sont les pistes explorées par le ministère pour pallier ce manque ?

S’agissant des prisons, là encore, notre groupe ne remet pas en cause la volonté de l’exécutif : des moyens sont prévus, 650 millions d’euros étant affectés aux investissements immobiliers. Cependant les indicateurs restent dans le rouge : le taux d’occupation des places en maison d’arrêt dépassera les 130 % en 2023, contre 119 % en 2020. Concrètement, quelles sont les projections d’évolution de ce taux d’occupation carcérale ?

Notre groupe s’inquiète également des faibles recrutements dans l’administration pénitentiaire. Comment expliquer que, chaque année, en dépit des créations annoncées, les prévisions sont atteintes d’une sous-exécution chronique ? Au-delà des efforts concernant la rémunération, quels sont les moyens déployés pour renforcer l’attractivité d’un métier qui souffre d’une image peu favorable ?

Enfin, notre groupe demande des éclaircissements sur la troisième demande de prolongation de l’expérimentation de la médiation préalable pour les affaires familiales. Depuis 2016, le Gouvernement n’a déployé le dispositif que dans onze juridictions, la pandémie n’étant sans doute pas la seule cause justifiant ce retard. Nous nous interrogeons également sur son financement : l’évaluation préalable évoque un coût total de 7,7 milliards sur 2023, dont seulement 2,8 pour l’État. En réalité, le coût pèse à 75 % sur les CAF (caisses d’allocations familiales). Comment le ministère peut-il le prolonger avant d’avoir obtenu les garanties que celles-ci poursuivront ce modèle de financement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame la rapporteure pour avis, les greffiers bénéficieront à la fois d’une augmentation indemnitaire, à hauteur de 10 millions d’euros, et d’une revalorisation statutaire.

Le ministère travaille à une réforme de la mission et de la tarification des administrateurs ad hoc. Nous souhaitons qu’il y en ait un auprès de chaque enfant qui se présente devant une unité d’accueil pédiatrique des enfants en danger (UAPED). Et il faudrait qu’il y ait une UAPED par département : ce sont des lieux absolument essentiels, qui permettent de soigner les enfants et de les prendre totalement en charge, du point de vue médical, sanitaire, psychologique, psychiatrique et judiciaire. Il me semble d’ailleurs qu’il faudrait renommer ces « administrateurs ad hoc », car c’est un nom compliqué pour un petit enfant. Nous avons pensé à « parrain judiciaire », mais si vous avez d’autres idées, nous sommes preneurs.

Le financement de la campagne de sensibilisation sur les violences sexuelles commises sur les mineurs est prévu au sein du groupement d’intérêt public (GIP) dédié. C’est un sujet absolument prioritaire, vu le nombre de mineurs victimes chaque année, qui s’élève à environ 160 000 par an.

Deux voies sont ouvertes aux greffiers pour accéder à la magistrature. La première est le concours interne. En 2019, on comptait six greffiers sur les vingt-neuf lauréats et onze sur quarante-huit en 2021. Il existe aussi une possibilité d’intégration directe. Dans le cadre des États généraux de la justice, on réfléchit à la manière de mieux structurer l’équipe autour du magistrat, en créant un corps de catégorie A, auquel les greffiers, s’ils le souhaitent et s’ils en ont les compétences, pourront avoir accès. Cette idée, qui est très consensuelle, est en train de faire son chemin.

Les dysfonctionnements du bracelet anti-rapprochement (BAR) sont identifiés. M. Hetzel m’a reproché un manque de pilotage à ce sujet, mais dès que nous avons eu connaissance de ces problèmes, nous avons changé de prestataire. Et je peux vous dire que j’ai été directif, parce que j’ai envie que ça marche. Le bracelet anti-rapprochement est longtemps resté dans les tiroirs, mais j’ai demandé qu’on l’utilise bel et bien après l’affaire de Mérignac. Chaque BAR utilisé est immédiatement remplacé ; il en est de même des téléphones grave danger.

On a fait des progrès considérables, s’agissant des ordonnances de protection, qui peuvent désormais être prononcées en six jours, au lieu de quarante autrefois. L’expérimentation sur la réalité virtuelle, à laquelle je crois beaucoup, prendra bientôt fin et nous connaîtrons ses résultats scientifiques dans les prochaines semaines.

Monsieur le rapporteur pour avis, nous avons engagé plusieurs actions pour faire évoluer les missions confiées aux agents des services pénitentiaires d’insertion et de probation : 1 500 recrutements ont eu lieu depuis 2018, permettant de faire baisser le nombre de dossiers traités par ces agents de 80 à 71. On a également introduit des organigrammes de référence, qui sont très utiles. Le statut des CPIP s’est amélioré, avec leur passage en catégorie A et une revalorisation indemnitaire de 220 euros par mois en 2022.

Vous me demandez, à juste titre, ce que le ministère compte faire pour rendre le métier de directeur pénitentiaire d’insertion et de probation (DPIP) plus attractif. Les réformes interministérielles engagées depuis 2017 ont conduit à une revalorisation des salaires des CPIP, mais pas des DPIP. Le ministère s’est engagé, en 2022, à revaloriser les primes des DPIP d’environ 700 000 euros, qui viennent s’ajouter aux 600 000 euros octroyés à ce corps en 2021. Cette hausse va se poursuivent pour atteindre 1 million dans le PLF pour 2023. La revalorisation indiciaire, quant à elle, atteint 1,3 million. Il importe aussi de réformer leur statut pour rendre ces carrières plus attractives.

Vous craignez que les trente postes créés dans ce PLF ne suffisent pas à assurer le fonctionnement de la nouvelle procédure de libération sous contrainte de plein droit. Je précise que s’y ajouteront les soixante-dix postes affectés en renfort des pôles « placement sous surveillance électronique » en 2022.

Monsieur Hetzel, vous m’exhortez au réalisme. Soyons clairs : quand je dis que la justice a fait l’objet de trente ans d’abandon humain, budgétaire et politique, je pense aussi à votre famille politique. Nous avons embauché plus de 700 magistrats, alors que lorsqu’elle était au pouvoir, leur nombre diminuait, parce qu’on ne remplaçait même pas les départs à la retraite. Était-ce bien réaliste ? La critique est aisée, l’art est un peu plus difficile. On parle d’un budget, pas du tonneau des Danaïdes. Moi aussi, j’aimerais avoir plus de moyens.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). 15 milliards, par exemple ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je sais que vous vous voyiez à Beauvau, mais nous sommes entre gens sérieux. Certains de ceux qui disent que ces moyens ne sont pas suffisants n’ont pas voté le budget de l’année dernière, ni celui de l’année précédente.

Moins, ce n’est pas égal à plus : voilà une réalité arithmétique, mathématique. Que vous le vouliez ou non, et même si beaucoup reste à faire, la justice n’a jamais été budgétairement aussi bien dotée que depuis qu’Emmanuel Macron est Président de la République. Ces comparaisons vous font mal, mais c’est la réalité.

Nous avons fait beaucoup de choses, et nous pouvons en être fiers, même s’il reste beaucoup à faire :1 500 magistrats de plus, ce n’est pas rien ; 1 500 fonctionnaires de greffe de plus, ce n’est pas rien ; la mise en place d’une équipe autour du magistrat, ce n’est pas rien ; 200 créations nettes de postes de magistrats dès 2023, ce sera une promotion historique de l’École nationale de la magistrature.

Nous créons 1 000 postes de fonctionnaires contractuels : 191 greffiers, 400 juristes assistants et 429 autres postes. À cela s’ajoute la pérennisation de 605 postes de contractuels, obtenue dès 2022. Vous vous plaignez que cela prenne du temps, mais il faut former ces nouveaux fonctionnaires ; avant de les recruter, il faut les former. Soyons sérieux ! Le maître mot des États généraux de la justice, c’est l’effectivité. S’agissant de la prime des magistrats, je souhaite valoriser surtout les jeunes, aux alentours de 1 300 euros, car j’estime que ce sont eux qui en ont le plus besoin. Certains syndicats ont crié à la victoire, d’autres ont dit que ce n’était pas leur préoccupation : ils peuvent toujours donner cet argent à des associations caritatives. Le taux de vacance des magistrats était de 5,77 % au 1er septembre 2017 et de 0,58 % au 1er septembre 2021 – je reconnais qu’il est un peu remonté au 1er septembre 2022 – du fait des créations massives de postes dont bénéficie le ministère.

Madame Abadie, votre investissement sur ces questions est impressionnant. Vous êtes l’une des spécialistes de la prison et vous en parlez avec beaucoup de nuances. Il serait bon que vous soyez suivie, car on ne peut pas, sur ces sujets, faire preuve de ce manichéisme intellectuellement très facile. En 2022, quatre établissements vont être livrés : Koné, en Nouvelle-Calédonie, et trois structures d’accompagnement vers la sortie (SAS) à Caen, Montpellier et Coulaines, près du Mans. En 2023, dix autres établissements seront livrés. J’ai passé mon été à visiter ces chantiers et j’ai insisté auprès des patrons de l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ) sur le fait que nous devions tenir nos engagements. Ces prisons sont en train de sortir de terre et les députés qui le souhaitent peuvent venir les voir avec moi. Les députés du Rassemblent national étaient là quand j’ai visité le chantier de la SAS de La Farlède, près de Toulon.

Le coût prévisionnel total du programme 15 000 places s’élève à 4,5 milliards d’euros. Certains trouvent qu’il faudrait mettre moins d’argent dans la pénitentiaire et davantage dans le judiciaire ; d’autres pensent qu’il faudrait construire plus de places de prison. J’entends souvent un raisonnement qui est assez simple, pour ne pas dire simpliste : il consiste à dire que plus on construit de prisons, plus on les remplit. Mais alors, que faut-il faire ? Comment garantir la dignité de la détention ? Et quelle réponse pénale apporter ?

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). On libère !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, Ah oui, bien sûr, on libère ! Mesdames et messieurs du Rassemblement national, ça, c’est du laxisme !

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Pas vous, maître !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Plus on en construit, plus on les remplit. Conclusion : il ne faut plus en construire ! Comment, dans ces conditions, règle-t-on le problème de nos prisons indignes ?

Vous m’avez interrogé sur la répartition des effectifs au sein des services judiciaires. Il y aura 2 253 créations de postes en 2023, contre 720 en 2022. Elles seront réparties de la façon suivante : 1 220 postes dans les services judiciaires (SJ), dont 200 magistrats, 91 métiers du greffe, 575 personnels d’encadrement et 254 personnels administratifs et techniques ; 809 postes à la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) ; 92 à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ; et 132, enfin, au sein du secrétariat général en charge du pilotage de la politique de la justice.

Vous m’avez également interrogé au sujet de l’Atigip et du transfert de la compétence de la formation professionnelle aux régions. Je ne peux pas vous en dire davantage, précisément parce que ce sont les régions qui gèrent cela, mais sachez que nous sommes extrêmement vigilants. La formation professionnelle et le travail en détention sont absolument essentiels : ce sont des éléments clés de la réinsertion. J’entends beaucoup de « y’a qu’à, faut qu’on », mais il y avait peu de monde au balcon quand il s’est agi de voter le contrat du détenu travailleur, dont je ne suis pas peu fier. Pour les détenus, cela permet d’avoir un travail rémunéré – 45 % du SMIC – et la prise en charge des droits sociaux et des formalités administratives par l’État. Pour les patrons, c’est un coût de production moins élevé. Le salaire permet en outre d’indemniser les victimes. Ce dispositif crée une boucle cinq fois vertueuse.

J’en viens aux questions qui m’ont été aimablement posées par le Rassemblement national, qui me taxe de laxisme. Je rappelle que, sous la droite classique, vous aviez voté des aménagements de peine jusqu’à deux ans d’emprisonnement. C’est nous qui avons limité cette possibilité aux peines d’un an. Par ailleurs, le rappel à la loi a été supprimé, et l’avertissement pénal probatoire n’a strictement rien à voir.

Vous me parlez du programme présidentiel de Mme Le Pen. Elle souhaitait qu’il y ait 9 000 magistrats, mais nous avions déjà allègrement dépassé ce chiffre, ce qui montre l’intérêt qu’elle porte à ce sujet ! Elle voulait une peine de perpétuité réelle, qui existe depuis des temps immémoriaux dans notre code pénal. C’est du reste la sanction qui a été infligée, dans le procès V13, à M. Salah Abdeslam. Elle voulait encore des courtes peines, comme aux Pays-Bas. Or, les Pays-Bas y ont renoncé, parce que ça ne marche pas. Vous nous avez menti pendant toute la campagne, et c’est insupportable.

Entre 2001 et 2020, en matière criminelle comme en matière délictuelle, on a enregistré une hausse de la sévérité des peines prononcées, que vous le vouliez ou non. Vous avez évoqué une affaire en particulier, dont je comprends bien qu’elle puisse choquer, mais des milliers de décisions de justice sont rendues chaque année. Si j’ai introduit la justice filmée, c’est justement pour que les gens comprennent à quel point il est difficile de prononcer une peine et à quel point la personnalisation de la peine est importante ; pour que les gens voient que, dans un jury populaire, certains peuvent trouver une peine trop sévère, et d’autres, la trouver trop légère. C’est le jury populaire, ce sont nos compatriotes, qui fixent le quantum de la peine.

Par ailleurs, la fréquence du prononcé de l’emprisonnement ferme est en hausse. Entre 2002 et 2005, l’emprisonnement était prononcé pour 20 % des condamnations et pour 59 % des récidives ; entre 2016 et 2019, ces proportions étaient de 27 et 68 %. Près de 116 000 peines d’emprisonnement ferme ont été prononcées en 2010, 120 000 en 2015 et 132 000 en 2019. Ce qui est extraordinaire, c’est que vous me reprochez à la fois le laxisme de la justice – en oubliant que le garde des sceaux ne peut pas donner de directives et que les magistrats sont indépendants – et la surpopulation carcérale. C’est extraordinaire !

De 2009 à 2021, le taux de poursuite s’est accru de près de deux points. Le nombre de classements sans suite pour inopportunité des poursuites est passé précisément de 182 552 à 173 999. Vous vous arrêtez sur une affaire en particulier, c’est ce que j’appelle la « fait-diversification de la justice ». Vous poussez des cris d’orfraie et c’est naturellement le garde des sceaux qui est responsable de tout. Et vous, vous avez la solution !

Vous avez mille fois raison de citer Beccaria : c’est un grand humaniste, et l’humanisme, c’est tellement important, quand on parle de justice ! Mais les chiffres que vous donnez au sujet de l’exécution des peines sont faux. Il y a une hausse de 35 % de la population de détenus. Elle est supérieure de 7,8 % à la hausse du nombre de places opérationnelles. Les peines fermes prononcées par les tribunaux correctionnels sont exécutées : à 72 % dans un délai d’un an ; à 85 % dans un délai de deux ans ; à 91 %, au-delà. Je trouve que ces délais sont encore trop longs et je travaille à les réduire, mais laissez-moi vous expliquer une chose : les peines qui ne sont pas exécutées ne constituent pas un stock de peines mortes.

Le mandat de dépôt à l’audience, c’est l’exécution immédiate, : la personne est menottée et elle part tout de suite en prison. En revanche, pour qu’une peine aménageable soit exécutée, il faut réunir le juge d’application des peines et les CPIP. Il faut faire des enquêtes, s’assurer que c’est faisable, voir si la personne a un domicile, une ligne téléphonique : tout cela prend un peu de temps, qui est un temps de non-exécution. Mais il n’y a pas un stock de peines mortes : vous racontez cela sur tous les plateaux de télévision et c’est faux ! Au mieux, c’est une méconnaissance. Au pire, c’est un mensonge, et c’est politiquement très grave. En décembre 2020, ce sont 100 613 peines d’emprisonnement ferme qui étaient en attente d’exécution. Il s’agissait principalement de courtes peines ; 97 % de ces peines étaient aménageables. Comparez nos chiffres à ceux des autres pays européens et vous verrez que nous n’avons pas à rougir des nôtres.

Monsieur Coulomme, comment pouvez-vous me demander combien de morts il faudra pour que je réagisse ?

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Je rapportais les propos tenus par une fonctionnaire dans le documentaire.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. On n’est pas obligé de tout relayer. Je veux bien tout entendre, mais pas n’importe quoi. Cet après-midi, lors de questions au Gouvernement, on a évoqué deux morts, forcément tragiques. La première, c’est celle d’une magistrate de quarante-quatre ans qui a été foudroyée en pleine audience, à Nanterre, la semaine dernière. Sa famille et la communauté judiciaire sont sous le choc ; on ne peut pas instrumentaliser ce drame. La deuxième, c’est le suicide d’une jeune femme, survenu il y a quelques mois. J’ai demandé une inspection pour en savoir davantage et j’ai estimé qu’un certain nombre d’informations n’avaient pas à être rendues publiques. Cette mort non plus, on ne peut pas l’instrumentaliser.

On peut toujours faire mieux mais, avant de critiquer ce qui est fait aujourd’hui, j’invite chacun à se rappeler ce qu’il a fait en son temps. Sous la gauche, entre 2012 et 2017, le budget de la justice a augmenté de 14,9 % ; depuis 2017, il a augmenté de 44 %. Sous Mme Christiane Taubira, on avait une augmentation de 1 % par an ; aujourd’hui, elle est de 8 %. Mais je comprends que tout cela puisse vous déranger.

Vous avez dit que l’inflation annulait en grande partie cette hausse. Je vous rappelle que le taux d’inflation moyen national, qui concerne les consommateurs individuels, ne s’applique pas strictement à un ministère. Le plus grand coût lié à l’inflation pour la justice en 2023, c’est le financement de la revalorisation du point d’indice des agents publics de 3,5 %, ce qui représente 128 millions pour 2023, soit 70 % de l’inflation comptabilisée dans le budget de la justice pour 2023.

Je répète que plus n’est pas égal à moins. Et je ne rougis pas de comparer les budgets que nous avons obtenus avec ceux qui ont été obtenus par d’autres en d’autres temps – tout en reconnaissant qu’il reste des choses à faire. Aux députés du Rassemblement national qui m’ont demandé quand je comptais démissionner, je répondrai que si j’avais le sentiment d’avoir tout fait, je partirais.

Monsieur Coulomme, vous avez deux ans de retard. Les chiffres figurant dans le rapport de la commission européenne pour l’efficacité de la justice (Cepej) s’arrêtent en 2020. Or nous sommes en 2022, en train d’évoquer le budget 2023 de la justice…

En outre, la comparaison avec l’Allemagne n’est pas pertinente : en France, les juges consulaires et les conseillers prud’hommaux ne sont pas des magistrats professionnels, et le droit anglo-saxon est plus gourmand en magistrats que le nôtre – si vous me permettez l’expression. Le rapport ne dit pas autre chose – pas plus que la Cour des comptes.

Enfin, vous pourriez faire preuve d’honnêteté intellectuelle et rappeler que les années visées ne sont pas celles durant lesquelles j’ai été ministre.

Monsieur Balanant – j’associe également Cécile Untermaier et Jean Terlier –, je suis fier de notre résultat concernant le code de justice pénale des mineurs ! Pendant la campagne présidentielle, j’entendais le Rassemblement national plaider pour une réforme de la justice pénale des mineurs. Mais elle avait eu lieu et vous n’étiez pas à l’Assemblée nationale, où Mme Le Pen a surtout brillé par son absence !

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Elle a voté pour !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Les autres ne devaient pas le savoir, alors ! Cette réforme est opérationnelle, nous pouvons le dire après un an de mise en œuvre. Alors que les mineurs étaient jugés une fois sur deux quand ils étaient majeurs, ils le sont désormais dans un délai maximal de huit mois. Quand on s’attaque à la délinquance des mineurs, il est extrêmement important de lui apporter une réponse pénale très rapide.

Monsieur Balanant, je connais votre investissement concernant le harcèlement scolaire. Bien sûr, il faut renforcer les liens entre éducation nationale et justice. Mais, alors qu’on ne reproche pas la maladie au médecin, on reproche la délinquance au garde des sceaux. Pourtant, quand nous sommes saisis, il est déjà bien tard et mille raisons expliquent les faits : l’éducation, ce qu’on appelle la « culture de l’excuse » ou d’autres motifs sociologiques. Quand elle est confrontée à un féminicide qui n’a donné lieu à aucune alerte préalable, comment la justice peut-elle intervenir en amont ? La prévention, c’est essentiel. Les féminicides, c’est l’histoire de tout le monde, à commencer par les voisins.

Monsieur Boucard, vous m’interpellez sur la réduction des délais. Bien sûr, la justice est beaucoup trop longue, je l’ai dit dès mon arrivée au ministère. La plateforme citoyenne des États généraux de la justice le met en lumière, tout comme elle met également en avant la méconnaissance de la justice. Quand nous avons recruté des contractuels, on m’a regardé, au mieux, avec circonspection… et gratifié, au pire, d’un déluge de critiques au motif qu’il fallait embaucher des magistrats. Mais nous n’avions pas le temps de les former !

Dix-huit mois plus tard, on m’a demandé de pérenniser l’emploi de ces contractuels. C’est la démonstration que nous ne nous étions pas trompés. C’était audacieux mais, avec les magistrats qu’ils aident au quotidien, ils ont permis de faire diminuer le stock d’affaires civiles de près de 30 %. La baisse est également tangible au pénal. La justice va donc plus vite, mais elle doit aller encore plus vite, et être encore plus protectrice. C’est pourquoi nous proposons le recrutement de 1 500 magistrats et 1 500 greffiers, ainsi que de contractuels, et des moyens matériels.

Les dernières consultations des États généraux de la justice se sont terminées il y a quelques jours. Nous allons présenter les conclusions législatives et réglementaires mi-novembre – vous serez bien évidemment associés. Certaines mesures réglementaires, qui font l’objet d’un consensus, vont permettre d’alléger la procédure civile et donc d’aller plus vite – équipe autour du magistrat, médiation, etc. Il faut aussi inciter les avocats à aller vers cette dernière, c’est-à-dire les payer comme s’ils allaient au procès.

À la suite du rapport Sauvé, j’ai souhaité instaurer une nouvelle gouvernance. J’ai transmis ce rapport, ainsi que ses annexes, à tout le monde ; j’ai reçu tous les acteurs de la justice, sauf ceux qui n’ont pas souhaité franchir ma porte – c’est leur responsabilité –, et nous avons retenu toutes les propositions consensuelles. Pourtant, ce n’est pas de l’eau tiède ! Tout le monde a compris qu’il s’agissait d’une chance historique de moderniser la justice et de la rendre plus efficace, plus protectrice, plus rapide.

Madame Untermaier, vous comparez les 8 500 emplois du ministère de l’intérieur et les 10 000 créés sur le quinquennat au sein du ministère de la justice. Vous soulignez que la détention provisoire ne diminue pas. C’est vrai, et c’est une réponse à ceux qui affirment que la justice est laxiste. Non, la justice n’est pas laxiste, les prisons sont archipleines et la détention provisoire ne faiblit pas. On ne peut reprocher au ministère d’être laxiste tout en le blâmant de la surpopulation carcérale !

Je prends note de la création d’une mission d’information sur l’évaluation de la mise en œuvre du code de la justice pénale des mineurs, que vous corapportez avec M. Jean Terlier. Depuis l’entrée en vigueur du code de la justice pénale des mineurs, le nombre de mineurs détenus est en baisse de 12 %. C’est un succès, même s’il ne faut pas se réjouir trop vite, et analyser ces chiffres en détail. Les 92 créations d’emplois prévues à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) dans le projet de loi de finances pour 2023 s’inscrivent dans la continuité des 338 créations d’emplois entre 2018 et 2022. Nous accentuerons les efforts durant le quinquennat.

Vous m’interrogez sur les logiciels. Ceux de la Cour de cassation et du Conseil d’État fonctionnent très bien – mon directeur de cabinet peut en témoigner. Mais on ne peut nier le problème d’adaptation et de gestion des flux. Nous allons donc renforcer le réseau et proposons qu’un spécialiste informatique se rende dans les juridictions pour régler les problèmes locaux – l’idée est plutôt bien accueillie.

Monsieur Lemaire, je ne suis pas en mesure de vous dire combien de magistrats vont être affectés dans chaque juridiction, car c’est du ressort du dialogue de gestion piloté par la direction des services judiciaires. Du fait du défaut d’attractivité des juridictions de Cayenne et Mayotte, nous avons créé une brigade de soutien. Ainsi, des magistrats en poste en métropole pourront aller y travailler six mois, en ayant la certitude de retrouver leur poste. Le Conseil supérieur de la magistrature vient de donner son aval au dispositif.

Monsieur Iordanoff, j’ai déjà répondu sur les stocks. Il s’agit d’une préoccupation tout à fait légitime.

Madame K/Bidi, souvenez-vous de la mission relative à la profession d’avocat, dite Perben. Elle comprenait de nombreux avocats. Nous allons au-delà de ses préconisations concernant l’aide juridictionnelle (AJ) avec une hausse de plus de 50 % du budget, à 641 millions d’euros en 2023, contre 430 millions d’euros en 2020.

Monsieur Acquaviva, il est impossible de recruter simultanément 1 500 magistrats pour une raison simple : il faut les former et leur formation doit être de qualité, à hauteur de leurs futures responsabilités. Il faut donc prévoir des concours et des recrutements qui prennent en compte les locaux et les enseignants disponibles.

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux questions des autres députés.

M. Rémy Rebeyrotte (RE). Pour désengorger les juridictions et éviter la correctionnalisation de crimes graves, des cours criminelles départementales ont fait l’objet d’une expérimentation. Leur généralisation, en cours, se poursuivra en 2023. Il n’existe pas encore de cours criminelles départementales dans le ressort de la cour d’appel de Dijon. Les magistrats, que j’ai rencontrés récemment avec Didier Paris, sont impatients qu’elles soient créées en Haute-Marne, en Côte-d’Or et en Saône-et-Loire. Pourriez-vous faire un premier bilan du fonctionnement de ces nouvelles institutions ? Qu’en est-il de leur déploiement ?

Mme Pascale Bordes (RN). Les avocats, acteurs clés de la démocratie, sont les vecteurs naturels de l’accès au droit. Ils sont pleinement engagés dans la défense de tous les justiciables, quels que soient leurs revenus. Cette défense s’organise notamment grâce à l’aide juridictionnelle, qui permet à toute personne dépourvue de ressources suffisantes d’accéder à un juge et de bénéficier d’une défense de qualité.

Cependant, tous les rapports concluent à l’insuffisance du budget de l’aide juridictionnelle pour couvrir tous les besoins des justiciables. On constate des évolutions, mais le budget ne permet pas d’assurer une rémunération acceptable des avocats qui interviennent à ce titre – tout au plus peut-on parler de rétribution. Depuis des années, les avocats travaillent en grande majorité à perte lorsqu’ils sont rétribués au titre de l’AJ, puisque l’indemnisation versée par l’État en fin de procédure ne couvre pas tous leurs frais.

Le nombre d’unités de valeur (UV) versées pour certaines procédures a augmenté, ainsi que leur montant – de 36 euros, alors que le rapport Perben préconisait 40 euros –, mais ce n’est toujours pas acceptable, encore moins en période d’inflation galopante. Les avocats ne peuvent continuer à être la variable d’ajustement d’un système à bout de souffle. La revalorisation de l’AJ est indispensable et urgente. Or, les crédits budgétaires qui lui sont consacrés en 2023 s’élèvent à 641 millions d’euros, en hausse de 4,2 %. Entendez-vous procéder rapidement à une revalorisation de l’AJ prenant réellement en compte l’inflation ?

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Monsieur le ministre, comment allez-vous faire pour prolonger une dernière fois, jusqu’au 31 décembre 2027, le moratoire sur l’encellulement individuel, qui prend fin au 31 décembre 2022 ? On nous avait vendu la prolongation de ce moratoire jusqu’au 31 décembre 2022 en nous expliquant que la construction de nouvelles places de prison et la baisse des courtes peines allaient nous sauver. Cela n’a pas fonctionné. À l’inverse, la politique de déflation pénale des Pays-Bas a conduit à une diminution de l’incarcération et donc à la fermeture de prisons. Nous pourrions utilement nous en inspirer…

Vous avez évoqué la justice pénale des mineurs, mais qu’en est-il de la justice civile ? Dans le Nord, mais ailleurs également, les magistrats rencontrent de graves difficultés pour faire exécuter les décisions qu’ils ont prises dans l’intérêt supérieur des enfants, afin de les protéger. Cela ne peut plus durer ! Comptez-vous évoquer le problème avec les exécutifs des conseils départementaux ?

Mme Blandine Brocard (Dem). Les personnels de l’administration pénitentiaire exercent un métier extrêmement éprouvant. Ils ont tout mon soutien. Ils doivent être assurés de pouvoir rejoindre leur famille à l’issue de leur service.

Pour prévenir la récidive, nous devons rendre les détenus meilleurs à la sortie qu’ils ne l’étaient à leur entrée en prison, en évitant, par exemple, la radicalisation par contact avec les détenus radicalisés prosélytes, mais aussi en accompagnant les détenus vers la sortie. Les 130 millions d’euros affectés à la rénovation et à la modernisation du parc pénitentiaire poursuivent le même objectif.

Votre budget finance les mesures que nous avons adoptées lors de la précédente législature, notamment la création du contrat d’emploi pénitentiaire (CEP). Pouvez-vous nous en dire plus sur ce dispositif ?

Nous faisons face une crise des vocations au sein de la protection judiciaire de la jeunesse. Je suis très régulièrement alertée par des éducateurs qui craquent et sont tentés de baisser les bras. Il ne s’agit pas de jeunes éducateurs, mais de personnels avec quinze ou vingt ans de métier. Ils font face à une très forte hausse des violences et doivent souvent gérer des cas qui nécessiteraient une prise en charge psychiatrique, ou d’autres mesures plus fermes. Comment lutter contre ces comportements pour que le métier d’éducateur retrouve sa première vocation : l’éducation ?

M. Romain Baubry (RN). Vous avez évoqué la réinsertion des détenus : en quoi faire de la voile en Méditerranée participe à cet objectif ? Cela permet-il de lutter contre la récidive ?

Les mesures catégorielles de revalorisation des salaires prévues dans le budget pour le personnel pénitentiaire sont faibles et ne vont pas permettre à l’administration pénitentiaire de recruter, sauf à ce que, comme sous l’ancien quinquennat, vous ne construisiez aucune place de prison supplémentaire. Les directeurs obtiennent 31 % des revalorisations salariales. Mais ils ne sont pas derrière les portes des cellules ! Vous auriez dû consacrer davantage à ceux qui sont en première ligne, ceux sans qui aucune porte ne s’ouvre. Comment attirer des candidats si vous n’offrez même pas un salaire décent – alors que vous êtes incapables de proposer un rythme de travail digne ?

Le manque de personnel de surveillance est à l’origine d’assassinats en détention. J’espère que vous ne jetterez pas à nouveau en pâture des surveillants pénitentiaires, comme vous l’avez fait à Arles lors de l’affaire Colonna.

Les moyens prévus dans le budget ne permettront pas de compenser la carence de surveillance humaine et de lutter efficacement contre les projections de drogues, d’armes, de téléphones et les livraisons par drone. Il faut mieux assurer la sécurité périphérique et interne des établissements.

Mme Émilie Chandler (RE). Le Grenelle des violences conjugales de 2019 a abouti à la mise en œuvre de dix mesures phares en faveur des victimes. Parmi celles-ci, le contrôle judiciaire avec placement probatoire (CJPP) a été étendu à l’ensemble du territoire depuis le 1er avril. C’est une alternative à la détention provisoire, qui permet l’éviction immédiate d’un auteur de violences conjugales et sa prise en charge en hébergement adapté.

Dans les documents budgétaires, les crédits alloués aux services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip) augmentent de 34 % afin de financer, notamment, l’extension géographique de l’expérimentation du CJPP. Quelle part des crédits sera destinée à cette expérimentation ?

M. Didier Paris (RE). Nous vivons une période charnière de l’histoire de la justice. Depuis trois ans, vous avez beaucoup œuvré pour la faire évoluer, en vous appuyant sur les États généraux de la justice. Vous avez réussi le tour de force de créer les conditions d’une justice qui s’adapte, qui se modernise, plus lisible, plus efficace, plus rapide. Les chiffres, exceptionnels, que vous venez de présenter le confirment. Nous en sommes tous conscients, en dépit de certaines prises de position politiques.

En prévision d’un éventuel projet de loi sur la justice, avez-vous réfléchi à une évolution de la gouvernance du système judiciaire qui permette de démultiplier les efforts budgétaires – modalités d’exécution du budget dans les juridictions, dialogue de gestion, liberté de décision, encore relativement faibles, réorganisation des cours d’appel, évolution du système numérique avec la nomination d’un secrétaire général adjoint, très attendue par le corps judiciaire.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Monsieur le ministre, il n’existe pas, ici, un « camp du laxisme ». Je ne peux que réfuter une telle prise de position, car le respect des droits humains n’est ni conditionnel, ni optionnel. Il faut combattre à tout prix ce terme, tout comme celui de droit-de-l’hommisme. En tant que parlementaires, nous devons tous œuvrer pour le respect des droits humains et il ne faut surtout pas banaliser les propos de ceux qui contestent la défense de ces droits.

Pourquoi y revenir ? Car la France a été condamnée pour ses conditions de détention à de multiples reprises, par la Cour européenne des droits de l’homme, par la Cour de cassation, et une décision du Conseil constitutionnel consacre l’interdiction de soumettre les personnes détenues à des conditions d’incarcération contraires à la dignité humaine. Pourtant, la surpopulation carcérale reste une réalité et la France continue à enfermer toujours davantage, à l’inverse de beaucoup de nos voisins européens.

Le plan immobilier pénitentiaire prévoit la création de 15 000 places supplémentaires d’ici à 2027. Peut-être n’en construira-t-on que 13 000, ou 11 000, mais cela reste symptomatique de l’enfermement comme slogan politique à succès. Pourtant, il faut le répéter, cela ne protège en rien nos concitoyens, car la prison ne protège pas, aujourd’hui, la société. Nous plaidons pour la régulation carcérale : il faut diriger les crédits vers l’insertion, vers les peines alternatives, mais aussi vers l’amélioration des conditions de travail des agents pénitentiaires.

M. Jean Terlier (RE). Vous avez fait preuve de courage en réformant le code de la justice pénale des mineurs. L’ordonnance de 1945, véritable totem, a été modifiée à quarante reprises, mais nul n’avait engagé une telle réforme structurelle, pourtant si nécessaire. Ses objectifs sont importants, dont l’ambition de réduire à 8 mois un délai de jugement qui s’élevait en moyenne à 18 mois, au point que les prévenus passaient souvent le cap de la majorité avant le jugement.

Les moyens financiers et matériels de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) sont au rendez-vous : 1,1 milliard de crédits de paiement, 10,4 % de hausse du budget en 2022, 92 créations d’emploi en 2023, soit une hausse de 13,6 %.

La diminution du nombre d’affaires pénales concernant les mineurs, esquissée en 2021, se poursuit en 2022. Comment l’expliquez-vous ?

M. Timothée Houssin (RN). On ne peut que souscrire à l’objectif 2 du programme 166, « Renforcer l’efficacité de la réponse pénale, le sens et l’efficacité de la peine », mais les chiffres présentés le contredisent. Le taux d’alternative aux poursuites avec mesures de rappel à la loi passerait de 39 % en 2021 à 45 % en 2025. Avec 76 %, le taux de peines alternatives à l’emprisonnement ferme était déjà conséquent en 2021 et vous voulez le porter à 78 % en 2022, à 79 % en 2023, à 80 % en 2024 et à 81 % en 2025, comme si le fait de vider les prisons était en soi un objectif. Vous voulez en outre réduire le nombre de peines inférieures à six mois au profit d’une ridicule peine de détention à domicile, sous surveillance électronique, et la loi interdit de prononcer des peines d’emprisonnement de moins d’un mois ! C’est le monde à l’envers ! Au lieu d’une sanction réelle, dès les premières condamnations, à travers de très courtes peines, la non-incarcération pour de courtes peines est un objectif et pas même une manière de pallier le manque de places en prison !

En 2023, les autorisations d’engagement pour l’administration pénitentiaire diminuent de 17 %, et elles s’effondrent à partir de 2025, ce qui témoigne d’une politique et d’un budget de renoncement.

Par ailleurs, à moyen terme, les dépenses salariales stagnent : la hausse de 13 % en trois ans, compte tenu de l’inflation, ne correspond pas à une augmentation réelle des effectifs et des capacités d’incarcération. De plus, si les dépenses d’investissement atteignent 1 milliard en 2022 – ce qui, compte tenu du manque de places en prison, est insuffisant – elles s’effondrent de 80 % à l’horizon de 2025.

Il est question de l’ouverture de 15 000 places pour 2027, mais qu’avez-vous prévu pour la suite ? Il n’y a pas grand-chose. D’autres places disparaîtront-elles donc ? Quels objectifs fixez-vous à long terme, sachant que 86 000 personnes exécutent une peine privative de liberté et que nous n’avons que 60 000 places de prison ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. La loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire prévoit la généralisation des cours criminelles départementales à compter du 1er janvier 2023. Je me félicite de votre contact avec les magistrats de votre ressort, qui se montrent donc impatients. Je ne peux pas vous donner immédiatement des précisions à propos de la situation en Bourgogne, mais je vous les communiquerai. Outre que, grâce à cette réforme, les audiencements sont plus rapides, la durée du procès est un peu plus courte et la question lancinante de la correctionnalisation est réglée, puisque les victimes de viol acceptent de moins en moins que les dossiers soient traités en correctionnelle. J’ajoute que les taux d’appel ont été inférieurs à ceux des cours d’assises classiques – dont je rappelle qu’elles demeurent, évidemment.

S’agissant de l’aide juridictionnelle, nous avons, bien entendu, tenu compte du rapport Perben et nous avons même été au-delà de ses préconisations, puisque le budget est passé de 430 millions d’euros en 2020 à 641 millions en 2023, ce qui représente une augmentation de 50 %. J’avais promis que ces efforts seraient réalisés en trois temps, et nous y sommes. J’ai donc tenu mes engagements.

S’agissant du moratoire de l’encellulement individuel, dont disposait le projet de loi de finances rectificative pour 2014, nous suivrons les décisions du Conseil constitutionnel. Nous aurons l’occasion de débattre d’un amendement à ce propos jeudi matin en séance publique, dans le cadre de la discussion des crédits de la mission Justice.

Un problème se pose en effet pour les décisions civiles concernant les mineurs, sur lequel nous devons travailler. Peut-être convient-il, en effet, que la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) y soit à nouveau associée ?

Le métier d’éducateur n’est en rien facile, comme d’ailleurs tous ceux de la filière sociale. L’École nationale de PJJ propose une formation spécifique, initiale et continue, de l’ensemble des éducateurs. Des recrutements permettent un accompagnement professionnel et un travail d’équipe : tutorat lors de la prise de poste, échanges de pratiques, inter-visions, supervisions, interventions de psychologues dans un cadre pluridisciplinaire ; 338 postes ont été créés à la PJJ lors du précédent quinquennat, et nous prévoyons d’en créer 92 de plus en 2023, afin de renforcer le soutien aux équipes et l’accompagnement professionnel. Les évolutions statutaires et indemnitaires sont également importantes avec le passage de ces fonctionnaires, en 2022, en catégorie A et, pour les acteurs du travail social, avec le bénéfice du complément indiciaire, ce qui représente plus de 2 000 euros par an.

Je n’ai jamais humilié des gardiens de la maison d’arrêt d’Arles, et ce dossier a été géré par la Première ministre à la suite d’un décret de déport. Cela dit, ne vous gênez pas, il en restera toujours – du moins l’espérez-vous – quelque chose… Je n’ai rien à voir avec les décisions qui ont été prises.

Nous avons procédé à des revalorisations statutaires et indemnitaires inédites pour les agents pénitentiaires, qui sont la troisième force de sécurité de notre pays – je pense par exemple à la fusion des grades et à d’autres mesures que je vous invite à examiner. J’entends que vous demandiez plus, mais je note que, l’année dernière, vous n’étiez pas au rendez-vous du vote du budget qui a permis de telles avancées.

À la suite de la circulaire du 23 septembre 2020 en application de la loi du 30 juillet 2020, le contrôle judiciaire, alternative à la détention provisoire, a été très renforcé. Les modalités de prises en charge sont harmonisées à l’aide d’un référentiel et d’une convention tripartite type. Le contrôle judiciaire avec placement probatoire (CJPP) dispose de 175 places, pour une dotation de 2,6 millions d’euros. L’expérimentation a commencé fin 2020 à Nîmes et à Colmar. J’ai décidé de son extension à Bordeaux, Tour, Amiens, Cayenne, Draguignan, Saint-Étienne, Paris et Rennes à compter du 1er avril 2022. Un accompagnement des services est assuré par la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) et la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), avec des déplacements sur site. Au 31 juillet 2022, 97 personnes placées sous main de justice ont été prises en charge dans le cadre du CJPP depuis le début de l’expérimentation et 24 personnes ont fait l’objet d’un placement extérieur dans les mêmes structures, dans la continuité ou non du CJPP.

Nous réfléchissons à une nouvelle gouvernance, afin de donner au service public de la justice toute son efficacité. Sur le plan local, je demande un renforcement du dialogue entre les élus, la préfecture, les forces de sécurité intérieure, les magistrats du siège et du parquet. Sur le plan central, il doit en être de même, car le fonctionnement en silo du ministère est préjudiciable. Des difficultés de transmission existent, par exemple, entre la direction des services judiciaires (DSJ) et le secrétariat général. Les cultures doivent changer, de même que les structures en charge de l’administration doivent être renforcées – budget, ressources humaines, informatique – y compris sur le plan des juridictions.

Je précise par ailleurs qu’il n’est pas question de supprimer une cour d’appel.

Les mots, en effet, ne doivent pas être galvaudés. Ils ont un sens, un double sens et ils suscitent parfois des contresens. Un procès en laxisme m’est fait régulièrement. Il suffirait de cogner pour régler les problèmes de délinquance, nous dit-on. Si c’était vrai, nous le saurions depuis des siècles. Il est vrai que l’œil ne se regarde pas voir, mais je m’efforce d’être ferme sans être démagogue, et humaniste sans être laxiste.

Nos compatriotes les plus défavorisés peuvent bénéficier de l’aide juridictionnelle, mais aussi des point-justice, qui sont des lieux où, gratuitement et dans la confidentialité, ils peuvent recevoir leurs premiers conseils. J’ai d’ailleurs souhaité que les élèves de l’École nationale de la magistrature s’y rendent.

La régulation carcérale n’est pas possible avec des indices qui seraient immuables. Ce sont les juges qui prononcent les décisions – dont je ne cesse de répéter qu’elles sont de plus en plus lourdes – et non le garde des sceaux. Il est faux de prétendre que les lourdes peines seraient susceptibles d’éradiquer la délinquance. Les peines planchers ont été abandonnées aux États-Unis, où des gamins en état de récidive étaient condamnés à vingt ans de prison pour avoir volé une pizza sans que la délinquance diminue pour autant. Les petites peines, quant à elles, sont souvent désocialisantes et criminogènes, comme nous le savons depuis très longtemps. Si nous décidions de doubler le quantum des peines, pensez-vous que le nombre d’homicides diminuerait ? Non ! Vous êtes dans la posture, pas dans l’analyse, et vous flattez en permanence les plus bas instincts ! Les solutions que vous préconisez n’en sont pas.

J’attends les conclusions de votre mission, monsieur Terlier, mais peut-être est-ce un peu grâce à nous si la délinquance des mineurs a diminué ! Lorsqu’un gamin de 16 ans est considéré comme coupable, son suivi est organisé – c’est le moment probatoire – et il est jugé : un tel processus me semble plus adapté que de le juger à ses 22 ans, âge auquel soit il s’est endurci dans la délinquance, soit il s’en est sorti. Dans les deux cas, la procédure n’a plus de sens. Je suis plutôt fier du texte que nous avons défendu, dont nous saurons bientôt s’il a favorisé la baisse de la délinquance des mineurs.

L’administration pénitentiaire bénéficiera en 2023 de la création nette de 809 emplois : 489 consacrés à l’ouverture des nouveaux établissements, 320 afin de renforcer les effectifs existants répartis entre les services et les missions, 200 pour les équipes de sécurité pénitentiaire, 30 pour la surveillance électronique, 90 pour les autres missions – formation initiale, continue, développement du travail pénitentiaire, services pénitentiaires d’insertion et de probation, renseignement pénitentiaire et les différentes autres fonctions support.

M. le président Sacha Houlié.  Nous reprendrons nos travaux à vingt et une heures trente avec l’examen des amendements à la mission Justice.

 

Lors de sa deuxième réunion du mardi 25 octobre 2022, la Commission examine les crédits de la mission « Justice » (Mme Sarah Tanzilli et M. Éric Poulliat, rapporteurs pour avis).

Lien vidéo : https://assnat.fr/ORlwgt

Article 27 et état B : Crédits du budget général

Amendements II-CL128 de M. Jean-François Coulomme, II-CL10 et II-CL11 de Mme Cécile Untermaier (discussion commune).

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Il s’agit de doubler le montant de l’aide juridictionnelle. En dépit de la hausse intervenue ces deux dernières années, que le garde des sceaux juge historique, le compte n’y est pas. La raison en est simple : pour obtenir l’aide juridictionnelle à 100 %, une personne seule doit avoir un revenu mensuel inférieur à 965 euros. Le seuil suivant, permettant d’obtenir une prise en charge à 55 %, se situe entre 965 et 1 141 euros, soit moins que le Smic. Une personne au Smic relève donc du troisième seuil, qui ne donne plus droit qu’à 25 %. Cela signifie que des gens s’abstiennent de faire valoir leurs droits, en matière pénale comme en matière civile. Le doublement de l’aide juridictionnelle vise à la fois à relever les seuils et à augmenter les unités de valeur pour les avocats dans un certain nombre de contentieux.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure pour avis (Justice et accès au droit). Vous souhaitez augmenter les crédits alloués à l’aide juridictionnelle de 650 millions d’euros. Ce budget a déjà considérablement augmenté ces dernières années grâce aux réformes mises en place pour revaloriser l’unité de valeur : son montant est passé de 32 euros à 34 euros en 2021, puis à 36 euros en 2022. L’enveloppe budgétaire est donc passée de 423 millions en 2019 à 641 millions en 2023, soit une augmentation de 51,5 %. À cela s’ajoute le mécanisme de l’aide juridictionnelle garantie, versée dans certaines procédures avant l’examen de l’égibilité du demandeur. C’est donc l’État qui doit recouvrer les sommes si le demandeur n’est pas éligible, et non l’avocat. Cette réforme sécurise les avocats qui sont des acteurs clés du service public de la justice. Le présent budget comporte de plus une hausse de 4,2 % des crédits de l’aide juridictionnelle, donc l’effort se poursuit. Avis défavorable.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Je ne considère pas qu’aucun effort n’a été fait mais l’aide juridictionnelle reste très insuffisante. On constate de plus en plus, notamment depuis la réforme de la justice pénale des mineurs, que les avocats ne viennent plus, parce que l’aide juridictionnelle ne paye pas les frais de déplacement et qu’ils ne sont pas payés si la personne n’est pas là. Le défenseur des droits des enfants qu’est l’avocat ne remplit donc pas sa mission. Vous êtes sur une voie de progression mais il faut faire mieux pour que les citoyens qui n’ont pas les moyens puissent tout de même bénéficier du ministère d’un avocat.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). La hausse est certes significative mais elle ne suffit absolument pas à répondre aux besoins. Indemniser correctement les avocats permet aux justiciables de faire valoir leurs droits. Cela évite en outre que la situation ne se règle par d’autres voies, par exemple lorsqu’un contentieux au civil – affaires familiales, petits litiges commerciaux, contentieux de voisinage – dégénère au pénal. C’est donc plutôt un bon investissement que de permettre à un smicard de bénéficier de l’aide juridictionnelle à 100 %.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements II-CL123 de Mme Raquel Garrido et II-CL12 de Mme Cécile Untermaier (discussion commune).

Mme Cécile Untermaier (SOC). Il s’agit de majorer la rémunération des greffiers, qui seront appelés à jouer un rôle de plus en plus important dans les juridictions. La rémunération des magistrats va connaître une majoration importante ; il nous semble essentiel d’en faire autant pour les greffiers.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure pour avis. Nous faisons déjà un effort conséquent avec la création de 191 postes de greffiers en 2023 et la perspective de 1 500 postes supplémentaires sur l’ensemble du quinquennat. Le recrutement en une seule fois de 4 000 greffiers serait de nature à baisser considérablement le niveau de la sélection. Avis défavorable.

Concernant la revalorisation de la rémunération des greffiers, le présent budget n’est qu’une étape dans la trajectoire de convergence indemnitaire commencée l’année dernière. En 2022, une enveloppe de 12,4 millions d’euros avait déjà été mobilisée en gestion pour rehausser le niveau de l’indemnité de sujétion. Le projet de loi de finances (PLF) prévoit une revalorisation de 1,75 million d’euros du régime indemnitaire à compter d’octobre 2023 et une revalorisation supplémentaire de 5 millions d’euros de l’indemnité de sujétion à compter de juillet 2023. Par ailleurs, le ministre a annoncé l’ouverture d’une réflexion sur le statut du greffier, avec la possibilité de créer une catégorie A. Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Pour établir notre demande de 4 000 greffiers supplémentaires, nous sommes partis des besoins recensés par les organisations syndicales. Vous vous réjouissez aujourd’hui de recruter 1 500 greffiers alors qu’on nous répondait que c’était impossible lorsque nous le proposions ces dernières années : cela prouve qu’il est utile de vous mettre la pression avec nos amendements.

Une stratégie globale est nécessaire – agrandir l’École nationale des greffes, créer des antennes dans tout le pays – parce que les besoins sont colossaux. Le ministre n’a pas répondu à la question du rapporteur spécial concernant la baisse du nombre de greffiers entre 2019 et 2022 – je comprends qu’il ait trouvé cela gênant ! Alors que le taux de vacance de postes s’élève à plus de 7 %, il serait temps de recruter des greffiers, non seulement ceux qui ont été promis mais surtout ceux qui sont a minima nécessaires pour assurer le fonctionnement des juridictions.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Les greffiers étant des agents de catégorie B, leur grille de rémunération est très modeste, alors que reposent sur eux des responsabilités importantes. Pour améliorer l’attractivité de ce métier, nous proposons une augmentation conséquente de 2 millions d’euros : si elle adopte cet amendement, l’Assemblée nationale enverrait un signal de soutien à cette profession essentielle.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure pour avis. Je partage ce constat. C’est la raison pour laquelle je défends un budget qui prévoit une augmentation de la rémunération du régime indemnitaire mais également de l’indemnité de sujétion. Par ailleurs, l’attractivité de la carrière de greffier est un enjeu majeur. La création d’une catégorie A pour les greffiers expérimentés serait une solution pour offrir une perspective de carrière et renforcer l’attractivité de la fonction.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement II-CL122 de M. Jean-François Coulomme.

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). Il vise à augmenter les crédits affectés aux dépenses des personnels concernant les magistrats. Le garde des sceaux peut bien multiplier les effets d’annonce, personne n’est dupe, surtout pas les professionnels. La justice est à l’agonie et, avec elle, ses personnels. Les politiques d’austérité brisent des vies, comme l’a démontré le drame survenu au tribunal de Nanterre, et remettent en cause l’accès à la justice des plus fragiles. Les magistrats sont à bout de souffle, au bord de la rupture. Combien faudra-t-il encore de tragédies avant que vous n’adoptiez des politiques publiques ambitieuses en la matière ?

L’urgence est de redonner des moyens humains et financiers afin d’en finir avec la précarisation de la justice et l’atteinte aux droits des justiciables. Cela passe par le recrutement massif de fonctionnaires. Notre groupe, en lien avec les organisations syndicales et professionnelles, estime les besoins à 13 000 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires sur cinq ans. Nous vous proposons d’en embaucher 2 600 dès 2023.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure pour avis. La mesure que vous proposez, le recrutement de 2 600 magistrats supplémentaires, coûte 569 millions d’euros, que vous prenez à l’administration pénitentiaire. Le projet de budget prévoit la création de 1 220 postes supplémentaires, dont 200 postes de magistrats, avec une perspective de 1 500 magistrats supplémentaires au total sur le quinquennat. Tout comme pour les greffiers, un recrutement en nombre très important ne peut pas se faire sans danger pour la qualité de la sélection et de la formation. Par ailleurs, il est excessif de parler d’austérité quand le budget augmente de 8 %. Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Plutôt que de rester cantonné dans les murs de l’École nationale de la magistrature (ENM), il faut développer des antennes dans tout le territoire, en construisant des parcours de formation avec les instituts d’études judiciaires (IEJ), les facultés de droit et les professionnels du secteur, en développant des passerelles avec les avocats, en embauchant des gens aguerris ayant quinze ou vingt ans de barreau. C’est tout à fait faisable.

Pour ce faire, nous assumons pleinement de prendre des crédits à l’administration pénitentiaire. Plutôt que de consacrer 4,5 milliards d’euros à la construction de places supplémentaires, nous préférons que cette somme soit allouée à la justice judiciaire et aux mesures alternatives à l’incarcération, qui coûtent moins cher et obtiennent de meilleurs résultats. Nous sommes ainsi meilleurs gestionnaires que vous en la matière. La prison, c’est le seul domaine où les libéraux se fichent d’augmenter les dépenses !

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL153 de M. Romain Baubry.

M. Romain Baubry (RN). Il a pour objet d’augmenter le budget consacré à la construction de places de prison supplémentaires, afin d’améliorer les conditions de travail du personnel pénitentiaire et les conditions de détention. Il faut aller plus vite en la matière car c’est un enjeu sécuritaire.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis (Administration pénitentiaire et protection judiciaire de la jeunesse). Le PLF pour 2023 prévoit de consacrer 422 millions d’euros à la construction de nouveaux établissements, hors crédits de maintenance et d’entretien des établissements existants. J’en profite pour faire un point d’étape sur la mise en œuvre du programme « 15 000 » : au 1er juillet 2022, 2 081 nouvelles places ont été mises en service ; d’ici la fin de l’année, 450 places supplémentaires seront ouvertes, soit un total de 2 531 nouvelles places. Cela représente 17 % de l’objectif des 15 000, alors même que les projets de construction ont été très affectés par la crise sanitaire liée au covid-19. La suite est bien engagée : les travaux de cinq structures ont été lancés en 2020, quatre en 2021, sept en 2022. Seuls deux derniers chantiers doivent être engagés : la structure d’accompagnement vers la sortie de Châlons-en-Champagne et le centre pénitentiaire de Magnanville. Les choses avancent et les moyens dédiés à la construction de nouvelles places de prison sont considérables.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Je tiens à signaler que le décrochage par rapport à la loi de programmation de la justice s’est fait avant la pandémie, dès l’exercice 2019, pour des raisons objectives que je ne contesterai pas. Toutefois, à l’époque, le ministère de la justice n’a pas été capable de demander à la direction du budget de réaffecter ces crédits à d’autres postes de dépenses : c’était possible mais la demande n’a pas été faite, causant une diminution sèche. Le premier budget de la loi de programmation pour la justice s’est ainsi retrouvé sous le seuil des 5 % qui avait été promis. C’est dommage parce que cela a fait perdre une année de crédits qui auraient pu être utilisés habilement.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL154 de M. Romain Baubry.

M. Romain Baubry (RN). Il vise à revaloriser les salaires des personnels pénitentiaires. Cette administration fait face à un manque d’attractivité, alors que l’enjeu sécuritaire de la mission confiée à ces agents est important. N’oubliez pas que, souvent, un seul surveillant a la garde de plusieurs centaines de détenus. Prouvons-leur que nous avons conscience de la difficulté de leur métier en revalorisant leur salaire.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis. Depuis 2018, environ 20 millions d’euros par an ont été consacrés à des mesures catégorielles en faveur des agents de l’administration pénitentiaire. En 2023, l’enveloppe sera encore plus importante puisque 34 millions seront dédiés à cette politique d’amélioration catégorielle. Nous aussi, nous avons le plus grand respect pour le travail réalisé par les agents pénitentiaires, et nos efforts ne s’arrêtent pas au budget. Ainsi, l’année dernière, le garde des sceaux a signé avec les représentants nationaux des organisations syndicales des personnels de surveillance une charte consacrant les Principes du surveillant pénitentiaire, acteur incontournable d’une détention sécurisée. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL151 de Mme Edwige Diaz.

Mme Edwige Diaz (RN). Il vise à diminuer de 50 millions d’euros les crédits consacrés à l’accompagnement des détenus, afin de renforcer les moyens de nos institutions judiciaires.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure pour avis. Vous souhaitez augmenter le budget alloué à la justice judiciaire de 50 millions d’euros sans préciser vers quels postes vous fléchez ces crédits. Le montant des moyens alloués à la justice judiciaire est déjà en forte hausse : plus 7,8 %, après une augmentation de 3,4 % l’an passé. Cela permet de financer des recrutements de personnels mais aussi les revalorisations de rémunérations. Ce sont des réponses concrètes au manque de moyens que vous dénoncez. Je vous invite à retirer votre amendement et à voter ces crédits.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL120 M. Ugo Bernalicis.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Nous vous proposons de créer une ligne budgétaire pour augmenter le budget des placements à l’extérieur. Les Insoumis sont allés visiter la ferme de Moyembrie ; nous y avons rencontré des personnes qui apprennent à reprendre le travail, à mener une vie à peu près normale, à préparer un projet professionnel et, surtout, à vivre avec le regard des autres. Ce dispositif est plus efficace que l’incarcération car le taux de récidive est largement inférieur. De plus, il est moins cher : un placement à l’extérieur coûte 40 euros par jour, contre 120 euros pour la prison. Le ministre nous a dit tout à l’heure qu’il voulait augmenter le budget à 13,5 millions pour augmenter le prix de journée, c’est‑à‑dire pour financer davantage les associations qui s’en occupent. Pour notre part, nous proposons de le passer à 43,8 millions.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis. Je ne partage pas totalement votre avis sur la non-nécessité de construire des places de prison car celles-ci permettent d’assurer des conditions d’accueil dignes. En revanche, je partage entièrement votre point de vue quant à la pertinence des mesures de placement à l’extérieur. Au 1er septembre 2022, seules 936 personnes étaient en bénéficiaient, alors qu’il existe plus de 1 800 places de ce type. Non seulement les places existantes ne sont pas assez utilisées – la mesure de placement à l’extérieur ne représente d’ailleurs que 6 % des aménagements de peine – mais il faudra en augmenter le nombre total pour faciliter le recours à cette mesure et permettre aux juges de disposer de places adaptées aux différents profils des personnes condamnées.

Dans le projet de loi de finances pour 2023, le budget dédié aux placements extérieurs est en hausse de plus de 67 % afin d’augmenter de 10 euros le prix de la journée payé à ces structures. De plus, la direction de l’administration pénitentiaire a annoncé la mise en place d’une plateforme numérique « Placement extérieur – 360 » pour favoriser la prospection de nouveaux lieux d’accueil et donner une meilleure visibilité aux prestations proposées, ce qui serait particulièrement utile pour les magistrats.

Le placement à l’extérieur est certes un élément important mais ce n’est pas la seule alternative à l’incarcération. Il n’y a pas de raison de lui dédier un programme spécifique. Avis défavorable.

M. Erwan Balanant (Dem). Nous ne vous avons pas attendus pour parler de la ferme de Moyembrie ! Lors de la précédente législature, quand Mme Braun-Pivet était présidente de la commission des lois, nous avions même organisé la projection du film À l’air libre.

Sortons de l’idée simpliste selon laquelle les bons voudraient que tout le monde soit dehors et les méchants, que tout le monde soit en prison. Il faut réfléchir avec sérieux à la politique pénitentiaire. Si nous construisons plus de places de prison, ce n’est pas nécessairement pour mettre plus de monde en prison, mais pour que les détenus vivent dans des conditions dignes.

Parallèlement, certaines peines alternatives fonctionnent très bien – la ferme de Moyembrie en est un exemple. C’est pourquoi le budget suit, afin de financer cette préoccupation.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Je suis satisfait de la tournure de la discussion puisque vous ne vous opposez pas frontalement aux placements extérieurs. Contrairement à ce que pensent certains collègues, Moyembrie n’est pas une ferme pédagogique. Les détenus qui y travaillent préparent un projet de vie. En outre, si cela peut vous convaincre – nous sommes, pour notre part, déjà convaincus –, je vais utiliser un argument de droite, mais il s’agit d’une utilisation efficace de l’argent public car cela limite le taux de récidive et permet de désemplir les prisons !

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL118 de Mme Elsa Faucillon.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Contrairement à une idée malheureusement répandue, la construction de places de prison supplémentaires ne permet pas de lutter contre la surpopulation carcérale. On utilisait déjà les mêmes arguments il y a trente ans !

Nous avons construit 30 000 places de plus en vingt-cinq ans, soit une hausse de 60 % du parc carcéral. Pourtant, et contrairement à de nombreux pays européens, la surpopulation carcérale est toujours extrêmement importante en France. En outre, cela ne fait que repousser, année après année, nos engagements pris pour l’encellulement individuel. Si vous voulez créer 15 000 places supplémentaires, c’est pour enfermer plus, assumez-le, et non pour lutter contre la surpopulation.

À l’inverse, notre amendement plaide pour la réinsertion et le développement des peines alternatives, plus respectueux des droits humains. Il ne s’agit en aucun cas de revenir sur les peines prononcées par les juges.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis. Nous nous sentons tous concernés par la surpopulation carcérale, que l’administration qualifie parfois de « surencombrement ». Je me suis rendu, une nouvelle fois, à la prison de Bordeaux-Gradignan en tant que rapporteur pour avis et peux témoigner des conséquences néfastes de la surpopulation tant sur les conditions de détention des personnes incarcérées que sur les conditions de travail des agents pénitentiaires.

La majorité ne reste pas sans rien faire, bien au contraire. D’ailleurs, une évolution prochaine devrait permettre d’améliorer la situation : la mise en œuvre de la libération sous contrainte de droit, créée l’année dernière par la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, effective au 1er janvier 2023. Dans quelques semaines, la libération sous contrainte sera systématique pour les personnes condamnées exécutant une ou plusieurs peines privatives de liberté d’une durée de deux ans au plus et auxquelles il reste un reliquat de peine inférieur ou égal à trois mois.

L’impact sur la population carcérale devrait être important. On estime que cette nouvelle mesure devrait concerner environ 6 000 détenus et permettra non seulement d’accroître considérablement le nombre de sorties non sèches de détention – qui favorisent la réinsertion –, mais aussi de faire diminuer la population carcérale.

Pour finir sur une considération plus pratique, quand bien même nous mettrions en œuvre un mécanisme spécifique de régulation carcérale, je ne suis pas persuadé qu’il ait besoin d’un programme dédié.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Mettre en place un mécanisme de régulation carcérale implique de financer davantage d’aménagements de peine : quand un nouveau détenu arrive en prison, la personne la plus proche de la sortie doit pouvoir sortir par le biais d’un tel aménagement.

Je remarque avec gourmandise que vous êtes fiers de la nouvelle réduction de peine automatique que constitue la libération sous contrainte de droit à trois mois de la fin de la peine. C’est paradoxal : vous avez supprimé les réductions de peine automatiques et instauré un mécanisme de régulation carcérale qui ne dit pas son nom. Mais c’est parce que vous saviez que la réforme des réductions de peine risquait d’augmenter la durée de l’incarcération, et donc l’encombrement – pour reprendre l’expression – des établissements pénitentiaires.

Si nous passons notre temps à augmenter les quantum de peine, nous ne ferons pas baisser le nombre d’infractions, mais les juges prononceront juste des peines potentiellement plus sévères. La France n’est certes pas le pays qui incarcère le plus, mais nous sommes celui où le nombre de personnes placées sous main de justice est parmi les plus élevés. Si nous continuons à créer des peines alternatives sans toucher aux peines prévues par le code pénal, nous ne ferons qu’accroître le nombre de gens concernés…

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL129 de M. Ugo Bernalicis.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Les procédures judiciaires sont longues, complexes et souvent très coûteuses. Si l’accompagnement global permet aux victimes de mieux s’orienter et d’être soutenues tout au long de la procédure, aucune femme ne doit être bloquée par une barrière financière. Selon les avocats spécialisés, 40 % des femmes victimes de violences sont éligibles totalement ou partiellement à l’aide juridictionnelle, mais seules 19 % portent plainte, le montant de l’aide juridictionnelle étant trop faible. Ce budget devrait être doublé. C’est ce que nous proposons aussi par voie d’amendement.

Un autre levier d’action sur le coût des procédures consiste à aligner les montants de règlements des avocats qui interviennent au titre de l’aide juridictionnelle pour la partie civile sur les montants prévus pour le prévenu – 50 % plus élevés –, afin d’assurer une égalité de traitement.

En parallèle, il s’agit d’améliorer la formation des magistrats afin qu’ils puissent s’approprier l’ensemble du spectre des procédures, tant pour la protection des victimes que pour la prise en charge des auteurs. Pour remplir ces objectifs, notre amendement vise à créer un pôle judiciaire de lutte contre les violences intrafamiliales au sein des juridictions pour améliorer le traitement de ces affaires. Il comprendra des magistrats, ainsi que des officiers de police judiciaire spécialement formés. Des moyens spécifiques seront alloués pour réduire les délais dans les cas de violences sexuelles et sexistes.

Pour ce faire, nous proposons le transfert de 20 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement de l’action 01 Garde et contrôle des personnes placées sous-main de justice du programme 107 Administration pénitentiaire destinés aux investissements immobiliers pour créer de nouvelles places de prison, afin d’abonder un programme nouvellement créé Création de pôles judiciaires de lutte contre les discriminations et les violences intrafamiliales, sexuelles, sexistes dans les tribunaux.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure pour avis. Vous proposez de créer des tribunaux spécialisés dans les discriminations et les violences sexuelles. Je vous rejoins sur la nécessité d’une réflexion sur le traitement judiciaire des violences sexuelles ; le sujet a été abordé plusieurs fois au cours de mes auditions. Les filières d’urgence, créées après le Grenelle des violences conjugales, constituent une première réponse car elles garantissent un délai de traitement plus rapide des affaires de violences conjugales. Les résultats sont là : les délais de délivrance des ordonnances de protection ont nettement diminué et se rapprochent de six jours.

Mais, je vous rejoins sur ce point, il ne faut pas s’interdire d’aller au-delà. Mais s’il existe des juridictions spécialisées en matière de criminalité organisée qui ont fait leurs preuves, le contentieux des violences intrafamiliales est un contentieux de masse, contrairement à celui du crime organisé. La justice doit rester proche des victimes. En outre, la spécialisation des magistrats présenterait plusieurs risques : risque d’une désensibilisation des magistrats dédiés ; mais aussi, risque d’une déspécialisation des autres magistrats, alors que ces contentieux irriguent aussi les affaires gérées par les juges aux affaires familiales ou les juges des enfants.

Il me semble enfin nécessaire d’attendre les conclusions de la mission parlementaire sur les violences conjugales avant de se lancer. Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL130 de Mme Edwige Diaz.

Mme Edwige Diaz (RN). L’administration pénitentiaire ne bénéficie pas des moyens nécessaires pour accomplir efficacement son rôle d’intérêt public. Entre la surpopulation carcérale, la violence généralisée et les trafics en tout genre, les prisons ont besoin de financements. L’amendement vise donc à transférer 20 millions d’euros issus des moyens informatiques du ministère vers la mission Garde et contrôle des personnes placées sous-main de justice.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis. En 2023, le budget de l’administration pénitentiaire augmente déjà de 343 millions d’euros par rapport à 2022. Peut-être 20 millions d’euros en plus seraient-ils utiles, mais la hausse, de plus de 7 %, constitue déjà un effort important et cohérent.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL145 de Mme Julie Lechanteux.

Mme Edwige Diaz (RN). Cet amendement vise à augmenter les crédits nécessaires à une conduite plus efficace de la politique pénale, car les tribunaux sont bien trop souvent débordés par le nombre de dossiers à traiter, tout en diminuant les crédits d’application de peines trop légères sur les mineurs, qui ont démontré leur inefficacité. Il s’agit donc de transférer 20 millions d’euros de la mission Mise en œuvre des décisions judiciaires vers la mission Conduite de la politique pénale et jugement des affaires pénales.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure pour avis. Vous souhaitez augmenter le budget alloué à la justice judiciaire de 20 millions d’euros pour améliorer la conduite de la politique pénale, mais donnez peu de précisions sur le poste abondé.

La politique pénale est mise en œuvre par les magistrats : nous augmentons leur nombre et leurs rémunérations. Pour être efficace, elle s’appuie sur des greffiers : là encore, nous créons des postes de greffiers et nous augmentons leurs rémunérations. Il me semble donc que votre amendement est satisfait.

En outre, vous minorez les crédits de la protection judiciaire de la jeunesse en raison, dites-vous de l’inefficacité de peines trop légères pour les mineurs. Je ne partage pas votre constat. Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL125 de M. Jean-François Coulomme.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Il s’agit de financer 400 postes dédiés à l’accès au droit, à l’aide aux victimes et à l’aide juridictionnelle, au sein de services d’accueil unique du justiciable (SAUJ), des associations ou du ministère de la justice.

Nicole Belloubet nous expliquait déjà que tous les justiciables étaient accueillis par des personnels qui les aiguillent et les renseignent dans tous les tribunaux, mais nous avons tous constaté les vacances de postes dans les SAUJ ou les horaires restreints du fait du manque de personnel et de moyens. Pourtant, l’accès au droit, c’est la première étape, qu’on soit auteur ou victime, avant même d’entrer éventuellement dans un contentieux.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure pour avis. Vous souhaitez flécher 15 millions d’euros pour recruter 400 personnels dédiés à l’accès au droit, à l’aide juridictionnelle et à l’aide aux victimes. Il s’agit d’une augmentation globale, sans précision de l’affectation précise des personnels, notamment ceux dédiés à l’aide juridictionnelle. J’ai déjà indiqué nos efforts en faveur de l’aide juridictionnelle.

En outre, sur les six dernières années, le budget dédié aux associations d’aide aux victimes est passé de 26 à 43 millions d’euros, soit une hausse de 65,4 %. Ces chiffres me semblent éloquents quant à notre engagement en leur faveur. Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Notre réflexion part des besoins. Je ne dis pas que la hausse du budget des associations d’aide aux victimes est une mauvaise chose mais, à chaque fois qu’on les reçoit en audition, ces dernières nous font part de grandes difficultés pour accompagner les victimes. Mentent-elles ? Si ce n’est pas le cas, le budget n’est donc pas en adéquation avec leurs besoins.

La commission rejette l’amendement.

Amendements II-CL133 et II-CL132 de Mme Julie Lechanteux.

Mme Edwige Diaz (RN). Les moyens manquent à l’administration pénitentiaire. Parallèlement, les crédits de paiement accordés à la mise en œuvre des alternatives pénales sont trop élevés alors que ces dispositifs n’ont aucune conséquence positive sur le comportement des jeunes délinquants condamnés, la majorité d’entre eux récidivant.

L’amendement II-CL133 vise à transférer 10 millions d’euros, l’amendement II‑CL132, 4 millions.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis. Le budget de sécurisation des établissements pénitentiaires est déjà de 114 millions d’euros ; le sujet est donc bien pris en compte. En outre, je m’inscris en faux contre vos arguments fallacieux concernant l’inefficacité de la prise en charge des mineurs délinquants. C’est au contraire un enjeu très important pour lutter contre la délinquance et la récidive. C’est la raison pour laquelle les crédits dédiés à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) augmentent de plus de 10 %.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement II-CL114 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Il s’agit d’augmenter le budget de la protection judiciaire de la jeunesse afin que les juges puissent proposer des alternatives crédibles à l’enfermement des mineurs, et de recruter 100 équivalents temps plein, soit une personne par département, en plus des 92 créations de postes déjà prévues par le budget.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis. Vous le dites vous-mêmes dans l’exposé sommaire de votre amendement : tous les budgets de la protection judiciaire de la jeunesse sont en augmentation. Ses crédits augmentent de 10,5 % : son budget global passe de 984 à 1 087 millions d’euros en crédits de paiement ; les dépenses de personnels augmentent de 13,6 % ; les dépenses hors titre 2 de 6 %.

Certes, nous pourrions prévoir encore plus de moyens pour prendre en charge les mineurs mais, soyons réalistes, les efforts consentis sont déjà très importants et la création de 92 emplois constitue une orientation cohérente et pertinente.

M. Jean Terlier (RE). Je salue l’amendement de ma collègue Untermaier mais il est quelque peu prématuré. La mission que nous menons ensemble pour évaluer la mise en œuvre du code de la justice pénale des mineurs a commencé il y a peu. Nous avons auditionné la direction de la protection judiciaire de la jeunesse : elle estime que l’augmentation de son budget, très conséquente, permet à ce stade de couvrir tous ses besoins. En outre, la délinquance des mineurs a baissé. Quand, il y a deux ans, un éducateur gérait vingt-cinq mineurs, il en gère désormais vingt-trois.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Effectivement, nous avons entendu l’administration centrale qui estime que les progrès sont notables et qu’il n’y a pas de problème. Mais quand on connaît la protection judiciaire de la jeunesse, on ne peut pas dire cela. D’ailleurs, les présidents de tribunaux le confirment. Nous, parlementaires de la commission des lois, sommes responsables quand il s’agit de l’intérêt supérieur de l’enfant. Si nous ne pouvons plus modifier le budget d’une virgule, dites-le nous tout de suite ; nous ne déposerons plus d’amendements.

Je le répète, nous n’avons pas d’éducateurs spécialisés en nombre suffisant pour garantir la mise en œuvre des décisions des juges, tant en matière de protection judiciaire que d’action éducative.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). M. Terlier évoque une baisse de la délinquance des mineurs. J’en prends bonne note et j’espère que mes collègues de la commission également car cela va à rebours de l’ensauvagement dénoncé par certains !

Monsieur Terlier, vous évoquez un taux moyen d’encadrement, mais il est radicalement différent entre un établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM), un accueil de jour et un centre éducatif fermé (CEF). En outre, certaines structures sont sous-utilisées et pourraient être mobilisées pour exécuter les mesures civiles de protection de l’enfance, qui ne le sont pas dans certains départements.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis. Attendons les conclusions de la mission d’information afin que la commission soit éclairée. Nous déciderons ensuite des éventuelles évolutions budgétaires ou législatives.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL147 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Il s’agit de soutenir la modernisation numérique du ministère. Alors que Bercy a su mettre en place sans difficulté le prélèvement à la source, dans les tribunaux judiciaires, on se noie dans toutes les procédures pénales ou civiles, de nombreuses applications sont proches de l’obsolescence, tandis que la consultation de certains dossiers continue de devoir se faire sur papier.

Le code de la justice pénale des mineurs prévoit la constitution d’un dossier unique de personnalité des mineurs. On nous a clairement dit que cela exigeait beaucoup trop d’investissement de la part des magistrats car le logiciel n’est pas au point !

Il y a urgence et on ne peut attendre 2024 pour mettre le paquet sur le numérique. En 2023, les crédits de paiement consacré à l’action informatique du ministère diminuent de 7,5 %. C’est incompréhensible.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure pour avis. La diminution des crédits de paiement est liée à un changement de périmètre de l’action. Votre amendement propose d’allouer 10 millions de crédits de paiement supplémentaires aux projets informatiques pour améliorer les logiciels métiers dans le domaine de la justice pénale des mineurs. C’est un montant élevé.

Le ministère a prévu des moyens pour déployer le logiciel Parcours, et des renforts doivent numériser les dossiers uniques de personnalité que vous évoquez. La mission sera confiée à l’équipe constituée autour du magistrat, financée par l’enveloppe allouée à la justice judiciaire, qu’il ne faut donc pas réduire. Avis défavorable.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Si vous trouvez le montant trop élevé, vous pouvez sous-amender pour le réduire.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL124 de Mme Raquel Garrido.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Dans un souci d’égalité devant la justice, considérant que la délinquance financière ou la délinquance en col blanc constituent de graves troubles à l’ordre public, considérant la faiblesse des moyens dédiés au parquet national financier (PNF) – composé de dix-huit magistrats –, considérant que, plus l’on construit de places en prison, plus on enferme, nous proposons de réduire les crédits alloués à ces constructions au profit du PNF, afin d’embaucher cinquante-cinq magistrats supplémentaires et de renforcer le sentiment d’égalité face à la justice. La sévérité du ministre de l’intérieur, soutenue par le garde des sceaux, devrait s’appliquer à tous.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure pour avis. Il est prévu dans ce budget la création de 200 postes supplémentaires de magistrats. Je ne dispose pas d’informations relatives aux affectations, mais je vous invite à interroger le ministre sur ce point en séance, et à poser également la question pour ce qui concerne les juridictions interrégionales spécialisées, qui sont elles aussi un pilier de la lutte contre la délinquance financière.

Il me semble qu’au-delà du PNF, c’est toute la chaîne judiciaire qui traite de la délinquance économique et financière qui devrait être renforcée. Les recrutements prévus dans ce PLF et pour la suite du quinquennat vont dans ce sens. Peut-être faudrait-il songer à élargir aussi le vivier des recrutements externes, afin d’attirer des profils spécialisés dans les matières économiques et financières, et plus à même d’être rapidement opérationnels.

Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable.

M. le président Sacha Houlié. Ce que vous avez dit concernant l’absence de fermeture de places dans les établissements dégradés est erroné, madame Martin, puisque le solde de 2 000 places ouvertes au cours du dernier quinquennat s’obtient par soustraction de 1 300 fermetures dans des établissements vétustes aux 3 300 ouvertures. Il y a donc bien un transfert de places.

Mme Caroline Abadie (RE). Je note une certaine constance dans les amendements déposés par La France insoumise – contrairement à d’autres, d’ailleurs : vous ne cessez de vouloir retirer des crédits à l’administration pénitentiaire pour les affecter à d’autres actions. Telle est la politique pénale que vous défendez, et c’est bien conforme à votre idéologie.

J’abonde dans le sens du président : des fermetures de places, il y en a eu. Le plan prévoit la création nette de 15 000 places. Si l’on veut qu’il y ait davantage de dignité en prison, il faut accepter de raser et de reconstruire. Nous en avons d’ailleurs discuté ensemble au sujet de la prison de Varces, madame Martin. En outre, en retirant 5 millions d’euros à l’administration pénitentiaire, vous pénalisez aussi le milieu ouvert et les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). Les quelque 235 000 personnes actuellement placées sous main de justice ne sont pas toutes en détention.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Dont acte sur les fermetures et les ouvertures, mais je précise que ces crédits, nous les retirons non pas à l’administration pénitentiaire en général, mais aux programmes immobiliers.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL141 de M. Philippe Schreck.

M. Philippe Schreck (RN). Cet amendement tend à assurer la bonne mise en œuvre du plan 15 000 places à l’horizon 2027. En effet, 15 000 places de prison supplémentaires, cela signifie 6 000 ou 7 000 postes supplémentaires dans l’administration pénitentiaire, tous métiers confondus. Or, le PLF ne prévoit la création en 2023 que de 1 900 places et 489 postes dédiés, soit 1 ETP pour 4 détenus : le compte n’y est pas. Un tel ratio n’est pas acceptable ; il y va de la sécurité des sites et de celle des détenus. Nous proposons donc 5 millions d’euros de crédits supplémentaires pour mettre en adéquation les places créées et les ressources humaines correspondantes.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis. Il y a un biais dans vos calculs. Comme je l’ai expliqué, l’ouverture des places est progressive et le recrutement de surveillants se fait en parallèle. Le nombre de 489 nouveaux surveillants correspond aux places ouvertes en 2023. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL146 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Il s’agit d’un amendement de repli par rapport au II-CL114, qui visait au recrutement d’éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse. Nous proposons la création de 50 ETPT de personnel d’encadrement intermédiaire. S’il existe en effet un directeur interrégional, il manque un niveau de management intermédiaire, surtout au moment où des pratiques alternatives à l’enfermement se développent. Il s’agit d’ailleurs d’une demande des magistrats. Voici donc un amendement on ne peut plus « raisonnable » – pour reprendre l’expression du ministre.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis. C’est une piste intéressante mais il me semble préférable d’attendre les conclusions de la mission d’information que vous effectuez avec Jean Terlier avant de décider d’une évolution budgétaire.

M. Jean Terlier (RE). Lors de son audition, la directrice de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) nous a en effet indiqué que si elle ne rencontrait pas de problème d’effectifs à proprement parler, il fallait peut-être repenser la logique de l’encadrement. Néanmoins, la refonte du droit pénal des mineurs ne datant que d’un an, il serait préférable d’attendre un peu, afin de pouvoir évaluer avec précision les besoins. Une telle mesure me semble prématurée.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis. Je suis d’accord. Nous en reparlerons ultérieurement.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL121 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Il s’agit d’anticiper un peu, histoire de ne pas être coincés quand le ministre de l’intérieur aura constaté qu’il est impossible que la police judiciaire fasse partie de son projet de départementalisation de la police. La seule solution envisageable, partagée par les enquêteurs, les magistrats et un certain nombre de personnalités politiques, dont les membres du groupe La France insoumise, serait de détacher les officiers de police judiciaire auprès de l’institution judiciaire. Le montant inscrit dans l’amendement correspond aux dépenses du titre II de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ). Le ministre de l’intérieur pourra ainsi tirer dès la mi-janvier, avec le ministre de la justice, les conclusions des rapports de l’Assemblée nationale, du Sénat et des inspections générales de l’administration, de la justice et de la police nationale.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure pour avis. Vous proposez de rattacher budgétairement la police judiciaire à la mission Justice, et vous exprimez dans le même temps votre opposition à la réforme de la police judiciaire.

Selon vous, le rattachement de la police judiciaire au ministère de l’intérieur entrave l’efficacité des enquêtes et n’est pas compatible avec son indépendance. Pourtant, dans le rapport issu des travaux de la commission d’enquête sur les obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire, le rapporteur, M. Didier Paris, faisait le constat inverse : « L’appartenance administrative de la police judiciaire au ministère de l’intérieur n’empêche pas l’autorité judiciaire de mener sa mission en toute indépendance ». Je crois, comme lui, que le système actuel est équilibré et n’appelle pas de transfert de la police judiciaire vers le ministère de la justice.

Quant à la réforme de la police judiciaire, elle sort de mon champ de compétences. Néanmoins, je crois que le constat est partagé par beaucoup d’une police très cloisonnée et dont les taux d’élucidation sont en baisse. Face à cela, nous avons une différence d’appréciation : vous souhaitez isoler la police judiciaire, nous voulons la rendre plus forte, en décloisonnant les équipes, pour éviter les doublons et la concurrence.

Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). S’agissant de la commission d’enquête, le rapporteur a travaillé comme bon lui semblait, j’ai présidé de même, et nos conclusions sont assez divergentes. Je reconnais toutefois que nos différents interlocuteurs ont été particulièrement taiseux ou évasifs sur le sujet. Néanmoins, François Molins a fini par vendre la mèche, en nous expliquant que la réforme de la police judiciaire faisait courir un risque élevé de parasitage de l’exécutif sur l’autorité judiciaire. Mais on peut toujours déclarer qu’on se fiche de son avis ou qu’il ne représente pas grand-chose. Allons donc voir l’article publié récemment par Le Parisien sur une affaire en cours, particulièrement intéressante puisqu’elle porte sur la remontée d’informations dans une affaire qui concerne nul autre que celui qui est l’artisan de la réforme de la départementalisation de la police. Une enquête a été ouverte par le parquet de Paris parce que l’autorité judiciaire se plaint de ne pas avoir été informée d’une affaire qui était connue depuis plus de quatre mois de tout le monde au sein de la police – jusqu’au directeur général de la police nationale. Des exemples de ce type, il y en a plein ! Les magistrats nous ont dit que quand ils demandent un service d’enquête, ils ne choisissent pas les enquêteurs : n’est-ce pas une entrave majeure à l’indépendance de l’autorité judiciaire ? N’importe quel magistrat avec qui vous aurez une discussion off vous expliquera qu’il existe bien des manières de ralentir une enquête ou de faire en sorte qu’elle n’aboutisse pas, et elles sont à la main de l’exécutif et du ministère de l’intérieur.

La commission rejette l’amendement.

Amendements II-CL137, II-CL134, II-CL135 et II-CL136 de M. Philippe Schreck.

M. Philippe Schreck (RN). Il est nécessaire d’accroître la sécurité active et passive des lieux de détention dans notre pays. Il y va de la protection du personnel pénitentiaire, et aussi des détenus, contre les agressions. En conséquence, ces amendements visent à augmenter les crédits dévolus à ces différents types de protection : de 3 millions d’euros pour le brouillage des communications téléphonique, de 1 million pour les dispositifs antiprojection, de 1 million pour la vidéosurveillance et les portiques, et de 600 000 pour la lutte antidrones – ce qui s’est passé lundi à la prison de Fresnes montre que c’est une urgence.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis. Je vais récapituler les moyens attribués à ces actions dans le projet de loi de finances pour 2023. Les crédits consacrés à la poursuite du déploiement de dispositifs de détection et de neutralisation des communications illicites s’élèvent à 30 millions d’euros. La sécurisation passive bénéficie de 18,4 millions d’euros en crédits de paiement et 1,5 million d’euros permettent l’achat d’équipements de sécurité, dont les portiques. La lutte contre les drones malveillants est dotée d’un budget de 3 millions d’euros, montant qui s’inscrit dans la continuité des budgets précédents : 1 million en 2019, 3,6 millions en 2020, 3,2 millions en 2021, 4,7 millions en 2022.

Il me semble que le sujet est bien pris en considération par l’administration pénitentiaire et que les enveloppes sont proportionnées aux besoins.

Avis défavorable sur les quatre amendements.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement II-CL138 de M. Philippe Schreck.

M. Philippe Schreck (RN). Nous proposons d’augmenter le budget dévolu aux bracelets anti‑rapprochement. Il s’agit d’un dispositif globalement intéressant, et plus particulièrement pour la protection et la prévention des violences faites aux femmes et des violences intrafamiliales. Nous souhaitons développer leur usage, sachant que 835 bracelets seulement sont aujourd’hui en circulation. C’est d’autant plus insuffisant que le délai entre la commission de l’infraction et la phase de jugement est souvent très long.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis. Je suis heureux que vous souligniez la pertinence du bracelet anti‑rapprochement. Ce dispositif fait l’objet d’une montée en puissance dans le PLF, puisque les crédits qui lui sont dédiés augmentent de 144,7 %. Cette dotation de 11,5 millions d’euros permettra de moderniser les outils informatiques dédiés au suivi des mesures et de financer la pose de bracelets en tant que de besoin. La lutte contre les violences conjugales est une priorité de notre majorité et du ministère de la justice.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL139 de M. Philippe Schreck.

M. Philippe Schreck (RN). Amendement somme toute modeste : il vise à multiplier par deux la prime à destination des fonctionnaires pénitentiaires travaillant dans les établissements de Guyane et de Mayotte. La situation y est tendue et leur quotidien extrêmement difficile.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis. Au centre pénitentiaire de RemireMontjoly, en Guyane, la densité carcérale était au 1er septembre 2022 de 158,8 % à la maison d’arrêt et de 107,8 % au centre de détention. Au centre pénitentiaire de Majicavo, à Mayotte, elle était à la même date de 184,1 % à la maison d’arrêt et de 175,4 % au centre de détention.

Je ne nie pas que ces deux établissements se trouvent dans une situation problématique, mais il n’y a pas qu’eux, malheureusement ! Ainsi, à la prison de Bordeaux-Gradignan, la densité carcérale dépasse 200 % à la maison d’arrêt. Il est évident que les conditions de travail des agents pénitentiaires, ainsi que les conditions de vie des personnes détenues, s’en trouvent considérablement détériorées.

Il n’y a pas de raison objective de dédier une enveloppe budgétaire à ces deux centres pénitentiaires au détriment des autres. Avis défavorable.

M. Philippe Schreck (RN). La dotation spéciale pour cette catégorie de personnel existe déjà. L’amendement vise seulement à la porter de 100 000 euros à 200 000 euros.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis. Vous fléchez uniquement l’enveloppe vers les surveillants de Guyane et de Mayotte. Je ne suis pas d’accord avec ce point.

M. Philippe Schreck (RN). Elle est déjà fléchée !

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis. Je suis donc défavorable à son augmentation.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL149 de M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant (Dem). En 2020, 89 victimes d’infanticide ont été enregistrées par les forces de sécurité. Parmi elles, 49 sont décédées dans le cadre familial. Les trois quarts des enfants étaient âgés de moins de cinq ans au moment du décès. Ce chiffre alarmant rend encore plus intolérable toute forme de violence subie par l’enfant dans le cadre intrafamilial. Notre société a le devoir d’être protectrice, surtout envers les plus fragiles.

Le présent amendement vise à systématiser le retour d’expérience des professionnels concernés en cas de décès d’un enfant dans le cadre familial. Un rapport devra être remis aux autorités compétentes pour comprendre les dysfonctionnements des dispositifs relatifs à la protection de l’enfance. Il est nécessaire de mieux évaluer les situations à risque et de développer les analyses rétrospectives.

Les retours d’expérience sont une source d’information essentielle pour comprendre le contexte, les actions qui ont suivi l’acte et les décisions prises. Pour cela, l’État a besoin du concours de différents services, qui doivent travailler de concert pour que les alertes soient transmises et les dispositifs adéquats actionnés. À l’heure actuelle, les alertes se font tardivement, les démarches à suivre en cas de suspicion sont méconnues, le personnel médical est débordé et les services concernés peinent à se coordonner. Aussi paraît-il essentiel de systématiser les retours d’expériences à l’échelle départementale et de les coordonner entre la police, la justice et l’éducation nationale.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis. Je sais votre engagement en matière d’enfance en danger, monsieur Balanant. Nous sommes d’ailleurs tous deux membres de la délégation aux droits des enfants. Je rappellerai donc que la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) garantit et assure, directement ou par l’intermédiaire des associations qu’elle habilite et finance, la prise en charge des mineurs et jeunes majeurs qui lui sont confiés par les magistrats. Elle fournit en outre une aide aux décisions de l’autorité judiciaire en matière civile et pénale. Elle contrôle et évalue l’ensemble des structures publiques et associatives accueillant les mineurs sous mandat judiciaire. Si le sujet que vous évoquez est d’importance, je ne suis pas certain que la PJJ ait un rôle à jouer. De surcroît, une enveloppe de 15 000 euros ne me semblerait guère efficace. Avis défavorable.

M. Erwan Balanant (Dem). C’est avant tout de coordination interne, et non de fonds supplémentaires, dont on a besoin. On parle beaucoup des féminicides, mais les infanticides sont un angle mort. L’objet de cet amendement est de permettre à la PJJ d’examiner comment on peut améliorer les choses. Si vous voulez ajouter des crédits, je n’y suis pas opposé, mais ce n’est pas nécessaire. Et je veux bien entendre que c’est n’est pas du ressort de la PJJ mais il faut s’occuper de ce problème. J’attends vos propositions dans ce sens d’ici à la séance.

M. Philippe Pradal (HOR). C’est un sujet très important. Il est impossible de ne pas être choqué par ces infanticides. Pour avoir été président d’une fondation pédiatrique, je sais qu’en cas de maltraitances, même non suivies de mort et même en l’absence de signalement ou de plainte, des informations sont systématiquement collectées et laissées à la disposition de la justice. S’il y a infanticide, les services de santé transmettent nécessairement les informations. Si je comprends l’objectif de l’amendement, je ne pense pas que ce soit dans le cadre de cette mission et avec un tel montant que l’on pourra régler le problème – auquel nous devrions sensibiliser davantage le secteur de la santé.

La commission rejette l’amendement.

Elle émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Justice non modifiés.

Article 44

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 44 non modifié.

Après l’article 44

Amendement II-CL111 de Mme Emeline K/Bidi.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Cet amendement vise à obtenir un rapport sur les besoins en nombre de magistrats. Le Gouvernement se targue de soumettre au Parlement un budget en augmentation mais celui-ci n’en est pas pour autant suffisant. Plutôt que de comparer systématiquement le budget proposé à celui de l’année précédente ou à ce qui se faisait sous la précédente législature, nous proposons d’analyser les besoins réels et que le Parlement en soit informé, de sorte que le budget soit en adéquation avec la réalité du terrain.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure pour avis. Vous vous inquiétez de la situation des magistrats et de leurs conditions d’exercice. Cette préoccupation, nous la partageons : en témoignent le présent budget ainsi que les deux précédents. Vous insistez sur les besoins à satisfaire mais j’appelle votre attention sur la nécessité de former des magistrats de qualité. Prenons garde à ne pas dégrader la qualité de la justice dans notre pays. Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Pour que nous puissions être conscients des besoins et adapter ensuite les formations, il faut bien que nous disposions de données précises – que nous n’avons pas. Je maintiens l’amendement.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Dans d’autres domaines, cela ne vous a posé aucun problème de recruter en masse et de diminuer le niveau de formation des personnels… Ce fut le cas sous la législature précédente, quand vous avez décidé d’embaucher 10 000 policiers. Attention à la réversibilité des arguments !

J’ai désormais le privilège de l’ancienneté. Il y a cinq ans, j’étais déjà là, et nous vous disions que, vu le niveau des besoins, il fallait construire des écoles – de police, de magistrats, de greffiers –, car, à défaut, on fixerait chaque année des limites au recrutement. Pendant cinq ans, nous avons tiré la sonnette d’alarme et la majorité n’en a fait qu’à sa tête. Je vous en veux !

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure pour avis. Il faut relativiser, cher collègue. On parle quand même de 1 500 magistrats en cinq ans : ce n’est pas une paille, et c’est de surcroît inédit ! En outre, la formation d’un agent de police n’est pas tout à fait comparable à celle d’un magistrat.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL113 de Mme Emeline K/Bidi.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). La question de la formation des professionnels de justice amenés à être en contact avec des femmes victimes de violences sexistes et sexuelles a été abordée à plusieurs reprises. De plus en plus de femmes sont victimes de ce type de violences et il est impératif que les professionnels qui, de l’enquête préliminaire jusqu’au jugement, se trouvent en contact avec elles soient formés. Malheureusement, ce n’est pas encore le cas. Le Gouvernement s’étant engagé à faire de la lutte contre les violences faites aux femmes une cause nationale, cet amendement vise à ce que le personnel de justice, à chaque étape, bénéficie d’une telle formation, pour que les femmes puissent enfin être accueillies dans des conditions optimales.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure pour avis. Ayant choisi de consacrer la partie thématique de mon avis à la question de l’accès aux droits et de l’accompagnement des victimes de violences intrafamiliales, je partage avec vous l’opinion que la formation des professionnels est une des clés pour améliorer l’accès aux droits des personnes victimes de violences sexuelles. Je crois néanmoins que la question se pose non pas tant pour les professionnels de justice, qui bénéficient d’une formation initiale, et, s’agissant des magistrats, d’un module obligatoire sur les violences intrafamiliales lorsqu’ils changent de fonction – que pour d’autres catégories de professionnels. On attend des propositions dans ce domaine. Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL112 de Mme Emeline K/Bidi.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Cet amendement traite d’une difficulté rencontrée dans les territoires d’outre-mer. Certains justiciables qui parlent créole et ne maîtrisent pas bien le français ne comprennent pas toujours les personnes qui leur font face – officiers de police judiciaire, magistrats, greffiers – et, réciproquement, ne sont pas compris par eux. D’où une inégalité criante, puisque, si vous parlez une langue étrangère, on vous octroiera un interprète qui comprend et parle votre langue, mais ce ne sera pas le cas si vous parlez créole. Voilà des années que cela dure et personne ne s’en préoccupe. Il convient d’y remédier.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure pour avis. Les experts, notamment les interprètes, sont indispensables au bon fonctionnement de la justice. Des efforts budgétaires ont été faits en ce sens ces dernières années, leurs indemnités ayant été revalorisées. Cela se traduit par une hausse de 2 % des crédits dédiés aux frais de justice dans le présent projet de budget.

D’autre part, l’article D. 594-16 du code de procédure pénale permet de désigner en cas de nécessité une personne majeure n’étant ni interprète ni expert judiciaire : cela permet à la justice de fonctionner en l’absence d’experts judiciaires à strictement parler.

Avis défavorable.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). J’ai connaissance de cet article. Il en a été fait usage devant la juridiction du tribunal de Saint-Denis de La Réunion pas plus tard que la semaine dernière, un magistrat ne comprenant pas le prévenu. Mais, d’une part, ce n’est pas systématique, ce qui pose un problème d’égalité devant la justice, d’autre part, cela ne se fait que devant les juridictions et pas, par exemple, au stade de la garde à vue. S’il est écrit sur le procès-verbal tout à fait autre chose que ce qui a été dit, cela peut porter préjudice à la personne jugée.

La commission rejette l’amendement.

 

 


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   Personnes entendues

 

À Paris

– M. Jérôme Bertin, directeur général

– Mme Isabelle Sadowski, directrice juridique et de la coordination de l’aide aux victimes

– Mme Bénédicte Mast, président de la commission Accès au droit

– Mme Émilie Guillet, chargée d’affaires publiques

– M. Édouard Durand, co-président

– M. Benoît Legrand, secrétaire général  

– Mme Élisabeth Moiron-Braud, ancienne secrétaire générale

– Mme Catherine Raynouard, cheffe de service et adjointe au directeur

– M. Philippe Clergeot, secrétaire général adjoint

– M. Philippe Caillol, chef du service de l’accueil au droit et à la justice et de l’aide aux victimes

– M. Jean-Yves Hermoso, chef du service des finances et des achats

– M. Roland de Lesquen, chef de service, adjoint au directeur

– Mme Sophie Macquart-Moulin, adjointe au directeur

– Mme Cécile Gressier, sous-directrice de la justice pénale générale

– M. Nils Monsarrat, secrétaire général

– Mme Nelly Bertrand, membre du bureau national

– Mme Cécile Mamelin, vice-présidente

– M. Ludovic Friat, secrétaire général

– M. Jean-Jacques Pieron, délégué FO Justice

– Mme Ernestine Ronai, responsable

– Mme Abigaïl Vacher, chargée de projets

 

À Lyon

– M. Jean-François Barre, vice-bâtonnier

– Mme Liliane Daligand, présidente

– Mme Élisabeth Liotard, directrice

– Mme Marie-Hélène Kleinmann

– M. Michael Janas, président

– M. Nicolas Jacquet, procureur de la République  

 

– Mme Valérie Durand-Roche, directrice

– M. Laurent Fanton, chef du service de médecine légale 

– M. Franck Douchy, commissaire général

– M. Pascal Colinot, commandant de police et chef de l’unité départementale de protection de la famille

 

 


([1]) Sécurité et société – Insee Références – Édition 2021.

([2]) Document de politique transversale annexé au projet de loi de finances pour 2023 – Politique de l’égalité entre les femmes et les hommes.

([3]) Rapport de l’Inspection générale de la Justice – Mission sur les homicides conjugaux, octobre 2019.

([4]) Rapport d’information sur la mise en application de la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille, enregistré le 14 octobre 2020.  

([5])  Rapport d’activité du comité national de l’ordonnance de protection.

([6])  Circulaire présentant la circulaire du Premier ministre relative à la gouvernance territoriale en matière de lutte contre les violences conjugales, direction des affaires criminelles et des grâces, 7 septembre 2021.

([7]) « Les violences conjugales pendant le confinement : évaluation, suivi et propositions » - Mission interministérielle pour la protection des femmes conte violences et la lutte contre la traite des êtres humains, juillet 2020.