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N° 369

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 octobre 2022

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES
SUR LE PROJET DE LOI de finances pour 2023 (n° 273)

 

TOME V

 

 

DÉFENSE

 

prÉparation et emploi des FORCES :

MARINE

PAR M. Yannick Chenevard

Député

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 Voir le numéro :  273


 

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SOMMAIRE

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  Pages

Introduction

Première partie : L’environnement et l’activité de la Marine  en 2022 et les perspectives pour 2023

I. Avec le déclenchement de la guerre en Ukraine, l’année 2022 a vu s’accélérer le durcissement de l’environnement stratégique de la France

A. Des tensions importantes sur les principaux théâtres maritimes mondiaux

1. En Méditerranée

2. Dans le Golfe persique

3. En Indopacifique

4. En Arctique

B. La guerre russo-ukrainienne, révélateur d’évolutions stratégiques majeures

1. Le retour de la haute intensité, moteur d’une nouvelle course aux armements et aux alliances dans le monde

2. Les stratégies de puissance, une menace majeure pour la sécurité des approvisionnements par voie maritime de l’Europe

3. L’OTAN « ressuscitée », acteur incontesté de la défense de l’Europe

II. Un engagement très important des moyens de la Marine, en France et à l’étranger, pour l’accomplissement de ses différentes missions

A. La vision d’ensemble de l’activité de la Marine

1. Les principales missions de la Marine nationale

2. Les capacités de la Marine nationale

B. Le bilan de l’activité en 2022

III. Pour accomplir ces missions, les moyens de la Marine augmenteront en 2023 conformément à la LPM 2019-2025

A. Les crédits de la Marine pour 2023 : une évolution positive conforme à la LPM

B. Les équipements

1. Si 2022 a permis la livraison de nombreux missiles, celle des principaux bateaux prévue cette année est reportée à 2023

2. Les futurs équipements de la Marine

a. Nouvelle capacité de surveillance et d’intervention maritime (AVSIMAR)

b. Système de drone aérien pour la Marine (SDAM)

c. Système de mini-drones pour la Marine (SMDM)

d. L’avion de patrouille maritime du futur

e. Le programme européen de corvette de patrouille

f. Le porte-avions de nouvelle génération (PA-NG)

g. Le Futur missile de croisière (FMAN/FMC)

h. Le SNLE 3G

3. La disponibilité et le maintien en condition opérationnelle des équipements navals et aéronavals

a. La disponibilité des équipements navals et aéronavals

b. Les crédits du MCO

c. Les enjeux du MCO

d. La déconstruction des bateaux

4. Après des années de disette, les crédits des infrastructures maritimes bénéficient d’une forte augmentation en 2023

a. Des crédits en forte hausse

b. Les enjeux en matière d’infrastructures

C. Les ressources humaines : un défi permanent pour renouveler les hommes et maintenir les compétences

1. L’évolution des effectifs

2. Le défi du recrutement, de la formation et de la fidélisation

a. La nécessité d’un renouvellement permanent des ressources humaines de la Marine dans un contexte très concurrentiel

b. Essentielle, la formation des marins doit rester au plus haut niveau

c. Une fidélisation difficile compte tenu des nouvelles tensions sur le marché du travail

3. Les réponses de la Marine aux défis des ressources humaines

a. Renforcer la communication et les partenariats pour toucher plus de jeunes et faciliter les recrutements

b. Rémunérations et prise en compte des sujétions des marins

c. L’amélioration des conditions de la vie de marin

4. La réserve

a. La réserve opérationnelle

b. La réserve citoyenne

IV. Face au durcissement de l’environnement stratégique, le format de la Marine doit être rehaussé dans la prochaine LPM, sauf à sacrifier les ambitions de notre pays

A. Un format 2030 qui apparaît désormais inadapté aux enjeux de défense de notre pays

1. La métamorphose de la menace

a. Une menace désormais présente sur l’ensemble des mers et océans

b. Une menace plus intense, aux conséquences plus graves

c. Une menace qui se nourrit aussi de notre faiblesse

2. Le format de la Marine prévu dans la LPM 2019-2025, qui a permis de gros efforts capacitaires, apparaît désormais insuffisant pour faire face aux menaces à venir

B. La nécessité d’une nouvelle ambition pour la Marine dans la future LPM, reflet de celle de notre pays

1. Le choix d’une ambition pour notre pays

2. Les moyens de cette ambition

a. Augmenter le format de la Marine, s’appuyant notamment sur des frégates supplémentaires, un deuxième porte-avions et des drones

b. Réinvestir l’OTAN à court terme, développer l’Europe de la défense à long terme

c. Poursuivre l’amélioration des conditions de vie des marins et les préparer aux futurs combats navals de haute intensité

Deuxième partie : place de la France et défense de ses intérêts stratégiques en Indopacifique

I. Traversées de fortes tensions, la région Indopacifique est au cœur de la course mondiale aux armements

A. Une région otage de la rivalité sino-américaine, au cœur de tensions aggravées par le changement climatique et les pratiques de prédation de ressources et d’extension de zone d’influence

1. La montée en puissance de la Chine remet en cause la suprématie des États-Unis

a. L’accroissement considérable de la puissance chinoise vise à la suprématie mondiale

b. Le pivotement américain vers l’Indopacifique

2. Une région Indopacifique traversée par de multiples tensions

a. Les tensions autour de Taïwan

b. Les tensions territoriales

c. Les tensions nucléaires

d. Le changement climatique et les tensions sur les ressources halieutiques

e. Le terrorisme, la piraterie et les différents trafics

B. Une course aux armements aggravée par Aukus

1. Un réarmement massif, en particulier sur le plan naval

2. La propulsion nucléaire, nouveau standard de puissance

II. Les moyens que la France consacre à l’Indopacifique doivent être rehaussés dans les années à venir afin de défendre plus fortement nos intéRêts vitaux

A. L’Indopacifique, des enjeux vitaux pour la France

B. Malgré des efforts récents et bienvenus, les moyens militaires français en Indopacifique doivent s’adapter aux nouvelles menaces

1. Les forces françaises en Indopacifique : composition et missions

a. Le COMSUP des forces armées en Polynésie française (FAPF)

b. Le COMSUP des forces armées en Nouvelle-Calédonie (FANC)

c. Le COMSUP des forces armées dans la zone sud de l’océan Indien (FAZSOI)

d. Des missions variées et fondamentales

2. Des forces à étoffer pour défendre les intérêts de la France

a. Des moyens en voie de modernisation mais qui doivent encore être renforcés

b. Des conséquences négatives importantes

III. Le réhaussement des moyens de la France en Indopacifique, condition de la défense de notre souveraineté et du maintien de notre place dans la rÉgion

A. Un renforcement nécessaire des moyens militaires, à la fois en nombre et en capacité

1. Des frégates de surveillance en plus grand nombre et mieux armées : le programme européen de corvette de patrouille

2. Le deuxième porte-avions : un outil de puissance essentiel

3. La présence régulière d’un SNA : un choix difficile mais cohérent

B. Les avantages d’un tel renforcement – qui ne sont pas seulement militaires – devraient permettre de lever les obstacles à sa mise en œuvre

1. Des avantages évidents

a. Un avantage stratégique, en particulier dans l’océan Indien, en complémentarité avec nos alliés

b. Un avantage politique : lutter contre le sentiment d’abandon et affirmer la souveraineté la France dans ses territoires d’outre-mer

c. Un avantage économique : retombées sur les territoires et promotion de l’excellence des matériels français

2. Des obstacles qui peuvent être levés

a. Les contraintes liées aux équipages et à la maintenance

b. Les points d’appui

c. Le coût financier

Travaux de la commission

I. Audition de l’amiral Pierre Vandier, chef d’État-major de la Marine

II. Examen des crédits

Annexe :  Auditions et déplacements du rapporteur pour avis


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   Introduction

 

Le 24 février 2022, l’agression de l’Ukraine par la Russie a focalisé l’attention politique et médiatique sur le retour de la guerre en Europe. Certes, depuis la fin de la guerre froide, plusieurs conflits ont éclaté sur notre continent, notamment en Yougoslavie, mais c’est la première fois qu’est atteinte une si haute intensité, incluant la menace de recourir à l’arme nucléaire.

Si cette guerre est essentiellement terrestre, marquée par l’usage massif de l’artillerie, elle se déroule aussi sur mer, qu’il s’agisse des tirs de missiles russes depuis leurs navires manœuvrant dans la Mer Noire ou des tirs de missiles ukrainiens à destination de ces mêmes navires, dont le symbole est la destruction par l’un d’entre eux du croiseur Moskva le 14 avril 2022.

La mer n’est donc plus le sanctuaire qu’elle a pu être ces dernières décennies mais redevient un espace de conflictualité où, pour reprendre les mots de l’Amiral Pierre Vandier, Chef d’état-major de la Marine, nos marins « vont probablement connaître le feu à la mer ».

Or, notre pays comme de très nombreux autres sur cette planète, sinon la totalité d’entre eux, est largement dépendant de la mer, de ses ressources et de la liberté de circulation en haute mer. Le poisson est la nourriture de base d’un tiers de la population mondiale et, au fond des océans se trouvent probablement les matières premières dont le monde aura besoin au cours des prochaines décennies. Surtout, la haute mer ne connaissant ni frontières ni obstacles naturels, c’est par la voie maritime que transite l’essentiel du commerce international. Sans le flux ininterrompu des porte-containers depuis l’Asie ou des pétroliers et méthaniers transportant pétrole, essence et gaz naturel liquéfié (GNL) depuis le Moyen-Orient ou l’Amérique du Nord, l’économie mondiale ne fonctionnerait pas et nos besoins, même les plus primaires, ne seraient pas satisfaits.

C’est sur cette dimension stratégique de la mer comme espace de libre circulation que la guerre en Ukraine a ses plus lourdes conséquences. Le blocus des ports ukrainiens et le minage de la Mer Noire font peser, malgré une amélioration récente, une lourde menace sur l’approvisionnement en céréales de très nombreux pays, notamment au Maghreb et au Moyen-Orient. Surtout, l’embargo sur le pétrole et la volonté de s’affranchir du gaz russe décidés par l’Union européenne oblige celle-ci à remplacer un approvisionnement par oléoducs et gazoducs terrestres par un approvisionnement par voie maritime. Les importations de gaz, en particulier, se feront désormais sous forme de GNL transporté par des méthaniers depuis le Golfe persique notamment, donnant une importance nouvelle à la sécurisation d’espaces maritimes parfois contestés.

En outre, même si l’attention est aujourd’hui focalisée sur l’Ukraine, il ne faut pas oublier ce qui se joue actuellement en Indopacifique. La montée en puissance de la Chine sur le plan militaire et la course pour la suprématie mondiale engagée avec les États-Unis constituent une menace probablement bien plus importante pour la stabilité mondiale que la guerre en Ukraine, comme l’a rappelé la brusque montée de tensions cet été consécutivement à la visite de la présidente de la Chambre des représentants à Taïwan. Selon certains experts, cette dernière peut d’ailleurs tout à fait s’analyser sous l’angle de la compétition sino-américaine : l’aide massive apportée par les États-Unis à l’Ukraine, loin de signifier la fin de leur « pivotement » vers l’Asie, s’expliquerait par la volonté d’affaiblir rapidement et durablement la Russie pour mieux se concentrer, en écartant le risque d’un double front, sur la menace chinoise qui est et restera leur priorité. Les mêmes n’excluent pas, a contrario, que cette aide pousse la Russie dans une alliance, au moins objective, avec la Chine, laquelle n’a d’ailleurs jusqu’à présent pas condamné ni sanctionné la Russie pour son agression.

Ce contexte nouveau intervient alors que la Marine nationale est à la croisée des chemins. Grâce aux efforts faits ces dernières années, notamment dans le cadre de la LPM 2019-2025 qui, pour la première fois depuis trente ans, a été respectée, celle-ci a pu bénéficier de nouveaux équipements et d’une amélioration bienvenue des conditions de vie des marins. La mécanique de réduction continue de ses capacités, à l’œuvre depuis la fin de la Guerre froide, si elle doit encore se poursuivre par effet d’inertie les deux prochaines années, n’en est pas moins enrayée.

La remontée, toutefois, sera longue et surtout, rien ne dit que le format de la Marine fixé pour 2030, même atteint, sera suffisant. En effet, défini il y a dix ans par le « Livre blanc » de 2013, ce format doit être confronté à la réalité des menaces et aux contraintes des missions qui sont aujourd’hui bien plus élevées qu’à l’époque. La Marine doit en effet désormais se préparer à un conflit de haute intensité en mer, être capable d’agir rapidement au plus loin du territoire métropolitain, tout en intégrant d’autres paramètres tels que le changement climatique, l’inflation ou la compétition nouvelle sur le marché du travail.

Une réflexion sur les moyens comme sur les missions de la Marine nationale et, au-delà, sur l’ambition de notre pays pour sa défense, est donc nécessaire, en particulier maintenant qu’a été annoncée pour l’année prochaine une nouvelle loi de programmation militaire. Le présent avis entend y contribuer, notamment par sa partie thématique consacrée à la place de la France et à la défense de ses intérêts en Indopacifique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le rapporteur pour avis avait demandé que les réponses à ses questionnaires budgétaires lui soient adressées au plus tard le 10 octobre 2022, date limite résultant de l’article 49 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances. À cette date, 38 réponses sur 43 lui étaient parvenues, soit un taux de 88 %.

   Première partie :
L’environnement et l’activité de la Marine
en 2022 et les perspectives pour 2023

I.   Avec le déclenchement de la guerre en Ukraine, l’année 2022 a vu s’accélérer le durcissement de l’environnement stratégique de la France

A.   Des tensions importantes sur les principaux théâtres maritimes mondiaux

1.   En Méditerranée

La Méditerranée est traversée par de multiples tensions depuis l’effondrement de la Libye en 2011, qui a libéré les flux migratoires illégaux à destination de l’Europe et fait de ce pays une plaque tournante pour le trafic d’armes à destination des groupes terroristes au Sahel comme des acteurs des différents conflits au Moyen-Orient.

La lutte contre ces différents trafics est compliquée par l’instabilité chronique de la Libye mais également par les actions hostiles de la Turquie et de la Russie.

La Turquie s’est fortement impliquée, à partir de 2020, en soutien au gouvernement d’entente nationale dans sa lutte contre les forces du Maréchal Haftar, notamment par des livraisons massives d’armes en violation de l’embargo de l’ONU, sous la protection de frégates turques qui n’ont pas hésité à instrumentaliser leur appartenance à l’OTAN et à s’opposer aux tentatives de contrôle par leurs alliées.

La Turquie est également engagée dans un bras de fer, toujours susceptible de dégénérer, avec ses voisins chypriotes et grecs. La Turquie et Chypre se disputent en effet depuis plusieurs années les gisements d’hydrocarbures au large de l’île, rajoutant une nouvelle source de tension à un conflit latent depuis l’invasion du Nord de l’île par l’armée turque en 1974. Avec la Grèce, « ennemi héréditaire », les menaces et les accrochages sont quotidiens ou presque au sujet des îles de la mer Égée, des ressources en hydrocarbures en Méditerranée orientale et des frontières maritimes. Début septembre, le président turc Erdoğan a ainsi accusé la Grèce d’« occuper » ces îles en déclarant : « Grecs ! Regardez l'histoire. Si vous franchissez la ligne plus loin, il y aura un lourd tribut à payer. N'oubliez pas Izmir », en référence à la défaite décisive des forces grecques, qui occupaient Izmir, par les forces turques, dans l'ouest de la Turquie, en 1922. Il a ajouté : « Votre occupation des îles ne nous lie pas. Nous ferons le nécessaire le moment venu. Comme on dit, on pourrait débarquer à l’improviste. ». La France est directement concernée par cette escalade des tensions puisqu’elle est liée par un accord de défense avec la Grèce prévoyant une clause d’assistance mutuelle.

Si, en 2022, notre pays n’a pas eu à déplorer d’incident de l’ampleur de celui qui a impliqué, le 10 juin 2020, la frégate Courbet et son homologue turque Oruçreis ([1]), les tensions sont néanmoins restées vives en Méditerranée orientale. Bien que la Turquie ait, dès le début de la guerre, fermé les détroits du Bosphore et des Dardanelles, les navires russes sillonnent la Méditerranée et sont régulièrement au contact des nôtres. Comme l’a rappelé le Chef d’état-major de la Marine lors de son audition le 27 juillet dernier, « en mer, les Russes sont régulièrement à moins de 2000 mètres de nos navires », avec « leurs systèmes d’armes actifs, comme ils nous le font régulièrement savoir en illuminant nos bâtiments avec leurs radars de conduite de tir ». En février, c’est du ciel qu’est venue la menace avec des aéronefs russes évoluant autour du groupe aéronaval ou prenant à partie les avions de patrouille maritime de l’US Navy, manœuvres que le Pentagone a dénoncé comme « dangereuses ».

Les Russes sont d’autant plus actifs en Méditerranée que la Russie dispose en Syrie de plusieurs bases navale (Tartous) et aérienne (Hmeimim) à partir desquelles ils peuvent opérer.

2.   Dans le Golfe persique

Le Golfe persique, que ferme le détroit d’Ormuz, est une voie maritime stratégique compte tenu de l’ampleur du trafic pétrolier et gazier dont dépend l’approvisionnement énergétique d’une grande partie du monde, à commencer par l’Union européenne et la France.

Or, cette zone reste sous la menace d’une action de l’Iran, lequel est toujours en conflit avec la communauté internationale et, en particulier, les États-Unis, s’agissant de son programme de développement nucléaire. Si la menace est latente, elle se concrétise parfois, comme le 27 mai dernier, lorsque l’Iran a arraisonné deux pétroliers grecs, en réaction à la saisine quelques semaines auparavant en Grèce d’un navire transportant du pétrole iranien. La Grèce a qualifié cet acte de « piraterie ».

Par ailleurs, les accrochages sont réguliers sur mer entre les navires américains qui patrouillent dans la zone et ceux de l’Iran, comme le 21 juin 2022 lorsqu’une vedette des Gardiens de la révolution a foncé sur un bâtiment de
l’US Navy ou, le 30 août, lorsque l’état-major de la 5ème Flotte a dénoncé une tentative de l’Iran visant à s’emparer d’un drone de surface.

3.   En Indopacifique

En 2022, comme les années précédentes, les actions de la Chine ont été le principal facteur de déstabilisation de la région.

Si celles-ci feront l’objet de plus longs développements dans la deuxième partie du présent avis, il convient d’ores et déjà souligner qu’elles ont atteint un niveau inédit, en particulier autour de Taïwan. La visite en août dans ce pays de la présidente de la Chambre des représentants, Mme Nancy Pelosi, a en effet déclenché l’ire de la Chine qui a multiplié les incursions de chasseurs dans sa zone de défense aérienne, l’envoi de drones et les manœuvres militaires en mer. Les tensions se sont encore accrues en septembre lorsque le président Joe Biden a confirmé publiquement, à plusieurs reprises, que les États-Unis défendront militairement Taïwan en cas d’agression chinoise.

Parallèlement à ces actions en direction de Taïwan et de ses alliés, la Chine a maintenu la pression en mer de Chine méridionale qu’elle ambitionne de transformer en « mare nostrum ». Dès lors, tout navire étranger est considéré comme un intrus qu’il faut surveiller de près. Ainsi, lorsque la frégate Vendémiaire a navigué près des îles Spratley et Paracels, qui sont revendiquées par Chine et qu’elle a mis le cap vers le récif de Scarborough, elle a été suivie de près par la frégate chinoise Zhanjiang.

À la pression militaire directe, la Chine préfère cependant utiliser sa flotte de « pêcheurs » qu’elle envoie, le cas échéant escortée par ses garde-côtes, dans les zones contestées. Ainsi, à titre d’exemple, plusieurs centaines de bateaux de pêche chinois naviguent et mouillent régulièrement près du récif philippin de Whitsun, en appui des revendications chinoises.

Les flottes de pêcheurs chinois sont, certes, utilisés comme moyens de pression vis-à-vis des pays de la région mais constituent également une menace majeure pour l’environnement. Ainsi, un article récent du monde a mis en évidence leur « razzia » sur le calamar en mer d’Arabie et les conséquences de celle-ci sur la biodiversité ([2]).

4.   En Arctique

Si l’Arctique a longtemps été hors des radars s’agissant des questions de défense, ce fait évolue rapidement en raison de l’impact du changement climatique. En effet, le réchauffement des températures est quatre fois plus rapide dans la région arctique que dans les autres régions du monde, entraînant une fonte accélérée de la banquise qui ouvrent de nouvelles voies de circulation maritime mais également de nouvelles possibilités d’exploitation de ses ressources, notamment en hydrocarbures (30 % des réserves de gaz et 16 % des réserves de pétrole mondiales).

Les États bordant l’Arctique ont naturellement pris conscience de ces opportunités et entrepris de les saisir, à commencer par la Russie. Ce pays a ainsi rouvert les bases militaires datant de l'ère soviétique dans la région, installé des missiles balistiques et institué une Région militaire de la Flotte du Nord.

La Chine n’est pas en reste, elle qui cherche à réduire la longueur de ses routes maritimes. Se définissant, contre toute logique géographique, comme un État « proche de l’Arctique », elle construit actuellement le plus grand brise-glace au monde, lequel pourrait permettre à ses navires militaires d’aller directement de la mer de Chine à l’Atlantique.

Percevant la menace, l’OTAN a réagi cet été par la voix de son Secrétaire général, M. Jens Stoltenberg, soulignant que « le chemin le plus court vers l'Amérique du Nord pour les missiles ou bombardiers russes serait le pôle Nord ». Il a notamment estimé que « la coopération russo-chinoise dans la région constitue un défi aux valeurs et aux intérêts de l’OTAN » et a exhorté l’Alliance à « renforcer sa présence là-bas ».

Les tensions peuvent d’autant plus facilement monter que la principale instance de dialogue de la région – le Conseil de l’Arctique – est aujourd’hui paralysé. Avec l’adhésion de la Finlande et la Suède, tous les membres de ce dernier seront désormais membres de l’OTAN, le seul qui ne l’est pas étant, naturellement, la Russie. Alors que celle-ci préside le Conseil, l’agression de l’Ukraine a entraîné la suspension de facto de son fonctionnement.

B.   La guerre russo-ukrainienne, révélateur d’évolutions stratégiques majeures

Déclenchée le 24 février 2022 par l’agression de la Russie et toujours en cours, la guerre en Ukraine a déjà de nombreuses conséquences stratégiques, lesquelles constituent autant de ruptures majeures aggravant l’instabilité de notre environnement de sécurité et les menaces auxquelles est exposé notre pays.

1.   Le retour de la haute intensité, moteur d’une nouvelle course aux armements et aux alliances dans le monde

La première d’entre elles est le retour de la guerre de haute intensité, concept dont la définition mérite d’être rappelée. Selon la définition apportée par le Concept d’emploi des forces réactualisé par l’état-major des armées en 2021, « sur le plan stratégique, un conflit de haute intensité s’entend comme un affrontement extrême des volontés politiques, provoqué par le franchissement – volontaire ou non – du seuil de tolérance d’un des protagonistes en regard d’enjeux majeurs, voire jugés existentiels. S’exerçant en différents domaines, la confrontation dépasse le strict périmètre des armées et peut nécessiter la mobilisation durable de nombreuses ressources. Un tel affrontement peut générer des pertes humaines, matérielles et immatérielles élevées pour la nation. Sur le plan tactique, la haute intensité est une confrontation très violente et soutenue entre forces, dans tous les champs et milieux, et susceptible d’entraîner une attrition importante. Elle peut être circonscrite et sporadique, et sans qu’il n’y ait nécessairement corrélation avec le degré d’intensité de l’affrontement stratégique ». Depuis son déclenchement, la guerre en Ukraine illustre malheureusement la pertinence de cette définition.

Si l’attention médiatique s’est surtout portée sur les combats au sol et leurs conséquences humaines et matérielles dramatiques, ceux-ci ne doivent pas faire oublier la dimension maritime de ce conflit de haute intensité. La destruction en mer du croiseur russe Moskva par des missiles de croisière ukrainiens antinavires Neptune, déjà évoquée, a marqué les esprits, tandis que la Russie coulait deux navires ukrainiens et onze navires de commerce et minait la Mer noire, paralysant le trafic maritime dans la zone. La Russie a également utilisé ses navires pour frapper des cibles à terre, grâce à ses missiles Kalibr, de même que le système de missiles de défense côtière K-300P Bastion-P, bien que celui-ci soit avant tout destiné à la lutte antinavire.

De la guerre en Ukraine, il est possible de tirer d’autres enseignements, en particulier l’absence du frein habituel qu’est l’interdépendance économique et le primat du politique sur l’économie. Ainsi, la Russie n’a pas hésité à agresser l’Ukraine malgré le risque considérable qu’elle prenait vis-à-vis de son premier client et premier fournisseur : l’Union européenne, laquelle a immédiatement réagi en adoptant des sanctions très dures, notamment la fin programmée des achats d’hydrocarbures, afin de priver la Russie des moyens financiers de faire la guerre. La Russie accepte ainsi de sacrifier ses perspectives économiques – car les sanctions ont un effet essentiellement cumulatif, leur impact s’aggravant avec le temps – et le bien-être de sa population pour atteindre ses objectifs politiques.

La guerre en Ukraine remet également à l’ordre du jour la menace nucléaire. Certes, la Corée du Nord est, depuis des années, passée maître dans l’art du chantage nucléaire – se disant même prête, en septembre 2022, à faire des frappes préventives, mais la menace russe, plusieurs fois réitérée, d’utiliser l’arme atomique présente une toute autre gravité. Non seulement la Russie dispose de milliers de têtes nucléaires et des vecteurs nécessaires pour toucher l’ensemble des pays de la planète mais sa menace est brandie dans le cadre d’un conflit de haute intensité où elle apparaît désormais sur la défensive et tentée, ainsi, de poursuivre une montée vers les extrêmes, comme le montre sa décision de recourir à une mobilisation générale « partielle » de sa population.

Une telle menace montre toutes les conséquences de ce qu’on appelle la « sanctuarisation agressive » : un pays lui-même protégé des attaques contre ses intérêts vitaux par la possession de l’arme nucléaire peut agresser sans risque pour ses intérêts vitaux un État non doté d’une telle arme. Cette configuration était celle de la Russie vis-à-vis de l’Ukraine depuis que celle-ci, après 1991, avait renoncé aux armes nucléaires qu’elle détenait en héritage de l’URSS. C’est également celle de la Chine vis-à-vis de Taïwan et celle que l’Iran cherche à obtenir vis-à-vis de ses compétiteurs régionaux et des États-Unis.

Face à cette menace d’un conflit de haute intensité faisant l’usage de l’ensemble des armes et des ressources à disposition des belligérants, incluant le chantage à l’arme nucléaire, les États s’estimant exposés cherchent à se protéger par deux moyens différents.

Le premier est une recherche de nouvelles alliances militaires ou le renforcement d’alliances existantes. C’est ainsi que la Suède et la Finlande ont remisé des décennies, voire des siècles de neutralité pour chercher à rejoindre l’OTAN et bénéficier de la protection américaine. Dans le même ordre d’idée, le président américain Joe Biden a rompu avec l’ambiguïté stratégique américaine traditionnelle vis-à-vis de Taïwan, en affirmant à plusieurs reprises publiquement que les États-Unis protégeraient l’île contre une agression chinoise.

La Russie n’est d’ailleurs pas en reste dans cette recherche. Elle a ainsi mis en scène son rapprochement avec la Chine, notamment dans le cadre de l’exercice Vostok en mer du Japon début septembre. Toutefois, même si la Chine s’est abstenu de condamner la Russie et a maintenu ses relations politiques, militaires et commerciales avec elle, elle n’a pas consenti, jusqu’à preuve du contraire, à lui livrer des armes, contrairement à l’Iran et à la Corée du Nord qui ont envoyé drones et munitions. La nouvelle stratégie navale de la Russie dévoilée cet été définit également les grands objectifs stratégiques de la marine russe, dont l’un est de créer de nouvelles bases navales en mer Méditerranée, dans la région Asie-Pacifique, dans l'océan Indien et dans le Golfe pour faire face à la menace perçue des États-Unis lui coupant l'accès aux principales routes maritimes.

L’autre forme de protection que recherchent les États exposés est celle procurée par les armements. C’est ainsi que la guerre en Ukraine a déclenché une véritable course aux armements en Europe, notre continent rejoignant ainsi l’Asie et le Moyen-Orient dans celle-ci. Ce renforcement n’est évidemment pas encore effectif mais l’ampleur des budgets que se donnent les États européens en offre un aperçu. L’Allemagne a ainsi institué un fonds spécial doté de 100 milliards d’euros « afin de disposer à terme d’une Bundeswehr performante, ultramoderne et dotée de technologies de pointe qui nous assure une protection fiable » pour reprendre les termes du Chancelier Olaf Scholz. De nombreux autres États européens ont pris des décisions similaires : à titre d’exemple, la Suède s’est engagée à atteindre 2 % de son PIB pour la défense, la Pologne compte monter à 3 % et le Royaume-Uni à 2,5 %.

2.   Les stratégies de puissance, une menace majeure pour la sécurité des approvisionnements par voie maritime de l’Europe

Marquant le retour de la haute intensité, la guerre en Ukraine a également mis en évidence l’impact que pourrait avoir un tel conflit sur les chaînes d’approvisionnement. Bien que géographiquement circonscrit à une partie limitée du territoire ukrainien, elle a eu des conséquences qui sont allées bien au-delà, touchant finalement l’ensemble des pays de la planète.

Les voies de la contagion sont maritimes. En effet, pour prévenir tout débarquement russe, les Ukrainiens ont miné leurs côtes ce qui, ajouté au blocus de la mer noire par les navires russes, a empêché les exportations de céréales ukrainiennes, tandis que les exportations russes subissent le contrecoup des sanctions occidentales, notamment l’éviction des banques russes de SWIFT.

La conséquence a été une flambée du prix des céréales au détriment de populations d’États fragiles, notamment sur la rive sud de la Méditerranée, faisant craindre des troubles menaçant leur stabilité. Ainsi, des pays situés à des milliers de kilomètres des belligérants et en paix avec ceux-ci n’en seront pas moins touchés par la perturbation, voire la rupture des voies maritimes par lesquelles transite la quasi-totalité du commerce international, à commencer par les produits de première nécessité que sont les produits agricoles mais également les produits énergétiques.

Les pays européens et la France sont particulièrement exposés à ce risque de rupture des chaînes d’approvisionnement maritimes, tout simplement parce que nous sommes aujourd’hui très dépendants de celles-ci et le seront encore plus à l’avenir, en particulier pour les produits énergétiques. En effet, la décision européenne de cesser progressivement d’importer du gaz et du pétrole russe, dont la Russie facilite grandement la mise en œuvre par l’arrêt du gazoduc Nord Stream, a pour conséquence de substituer à un approvisionnement énergétique par voie terrestre (par gazoducs et oléoducs) un approvisionnement qui se fera désormais principalement par voie maritime (par méthaniers et pétroliers), en provenance des États-Unis ou du Moyen-Orient, du Caucase ou du Maghreb à travers la Méditerranée.

Or, jamais la liberté de circulation en mer n’a paru aussi menacée par les diverses stratégies de puissance mises en œuvre par certains États.

Immédiatement, c’est la Chine qui vient à l’esprit. Comme votre rapporteur l’analysera plus précisément dans la deuxième partie, celle-ci ne fait pas mystère de son objectif de transformer la mer de Chine en mare nostrum et de contrôler les grandes voies maritimes de l’Indopacifique, conformément à sa stratégie des « Nouvelles routes de la soie ». Sa décision de construire une immense base navale à Djibouti participe de cet objectif.

Les stratégies de trois autres puissances doivent aussi être évoquées. Celle de la Russie l’a déjà été.  Dans sa nouvelle stratégie navale révélée cet été, la Russie affirme vouloir créer de nouvelles bases navales en mer Méditerranée, dans la région Asie-Pacifique, dans l'océan Indien et dans le Golfe afin de sécuriser ses propres voies de communication mais corollairement, le cas échéant, pouvoir couper celles de ses ennemis. Elle dispose d’ores et déjà, avec sa base de Tartous, des moyens d’intervenir en Méditerranée orientale, notamment de contrôler la sortie du canal de Suez qui constitue une voie majeure d’approvisionnement pour l’Europe.

Un autre pays, la Turquie, ne fait pas non plus mystère de ses ambitions en Méditerranée. La volonté de ce pays de retrouver sa grandeur perdue et d’affirmer son rôle de puissance régionale, sans parler de l’attrait que constituent les ressources en hydrocarbures de la Méditerranée, se traduit, notamment, par un développement de sa puissance maritime dans le cadre d’une politique dénommée « Mavi Vatan » ou « la patrie bleue » visant à faire de la marine militaire turque l’une des cinq plus grandes du monde à moyen-terme.

Ces dernières années, la marine turque a renforcé ses capacités de projection, avec notamment le bâtiment de projection et de soutien Anadolu premier navire d’assaut amphibie de la Turquie, la construction de nombreuses péniches de débarquement et l’annonce, par le président Erdogan, de la construction d’un porte-aéronefs. Le lancement de six nouveaux sous-marins de classe 214 Type TCG Piri Reis d’ici à 2027, traduit également cette volonté d’acquérir des capacités de projection. Avec l’apport de nombreux engins balistiques de construction nationale, d’une armée de l’air composée en grande majorité de F-16 américains et des nombreux drones, un risque réel d’escalade existe en Méditerranée orientale, la Grèce renforçant elle aussi, notamment auprès de la France, ses moyens militaires.

La guerre en Ukraine montre qu’un État ne se sent plus lié par le droit international et n’hésite pas à recourir à la force pour modifier ses frontières. La Turquie n’accepte pas la délimitation de ses frontières maritimes, qui lui est défavorable en raison des îles grecques situées très près de son territoire continental et pourrait entreprendre de la remettre en cause par des moyens militaires. Les opérations turques en mer Égée sont, finalement, comparables à celles de la Chine en mer de Chine, visant au même objectif d’eaux territoriales plus étendues. Une guerre gréco-turque – une de plus – perturberait considérablement le trafic en Méditerranée orientale mais aussi, au pire moment, l’approvisionnement énergétique de l’Europe par le gazoduc TAP amenant le gaz d’Azerbaïdjan jusqu’en Italie, en passant par la Turquie et la Grèce.

Enfin, toujours en Méditerranée, une autre puissance s’affirme : l’Algérie. Loin de l’attention médiatique, ce pays a fortement accru ses capacités navales, notamment par de multiples acquisitions auprès de la Russie mais également d’autres pays comme l’Italie. Il est ainsi doté de sous-marins du type Kilo équipés de missiles de croisière russes Kalibr, d’un navire d’assaut amphibie, de frégates et de corvettes ainsi que de navires pour la guerre de mines, tous acquis après 2010. Comme l’explique un rapport récent ([3]), l'Algérie a désormais des « capacités de déni d'accès et d'interdiction de zone en Méditerranée occidentale », qui pourraient être utilisées en cas d’escalade avec le Maroc au-delà de la rupture des relations diplomatiques actuelles, si l’un des deux pays devait décider de régler leurs différends par la force.

L’impact sur le commerce maritime à destination de l’Europe serait alors majeur, une grande partie du trafic à destination des grands ports d’Europe du Nord étant bloqué. En effet, si les flux maritimes en Indopacifique et les actions et menaces de la Chine mobilisent l’attention, votre rapporteur rappelle que la Méditerranée, si elle ne représente que 1 % de la surface des mers du globe, concentre 25 % du trafic maritime mondial et 65 % des flux énergétiques de l’Union européenne.

3.   L’OTAN « ressuscitée », acteur incontesté de la défense de l’Europe

L’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, en 2016, a été le vrai accélérateur d’une Europe de la défense qui avait bien du mal à passer à la vitesse supérieure. Faisant mine, au sommet de l’OTAN à Bruxelles en 2017, de s’interroger sur l’automaticité du déclenchement de l’article 5 en cas d’agression armée, il a uni les Européens dans la nécessité de développer une capacité commune de défense au-delà de l’OTAN, tout en veillant à ce que ces développements demeurent compatibles avec celle-ci. Notre pays a, quant à lui, saisi cette opportunité de promouvoir « l’autonomie stratégique » de l’Union européenne et réussi à intégrer cet objectif dans le discours et les textes européens.

Les cinq années qui ont suivi ont en effet permis à l’Europe de la défense de faire de substantiels progrès sur le plan politique et militaire, sur la base de trois initiatives majeures :

la coopération structurée permanente (CSP), qui rassemble 25 États-membres autour de 60 projets de développement capacitaire tels que la corvette de patrouille européenne, le drone MALE ou encore l’avion de transport stratégique ;

le Fonds européen de défense (FEDef), doté de 7 milliards d’euros pour les années 2021-2027, qui vise à financer des projets de développement capacitaire impliquant les entreprises d’au moins trois États-membres, incluant ceux de la CSP ;

– la Boussole stratégique, adoptée en mars dernier sous présidence française, quasi « livre blanc » qui vise, par ses initiatives, tant capacitaires qu’opérationnelles, à « renforcer l'autonomie stratégique de l'UE et sa capacité à travailler avec ses partenaires pour préserver ses valeurs et ses intérêts ».

L’enthousiasme, en particulier en France, vis-à-vis de ces initiatives et les progrès enregistrés dans leur mise en œuvre contrastaient avec le passage à vide de l’OTAN, relique de la Guerre froide à la fiabilité douteuse, au point que le président de la République a pu, en 2019, la déclarer « en état de mort cérébrale ».

Aujourd’hui, avec l’élection d’un président américain attaché à restaurer la relation transatlantique, assumant le rôle protecteur des États-Unis, à la fois en Europe et en Indopacifique, et une Russie agressant l’Ukraine et menaçant d’utiliser l’arme atomique à nos frontières, jamais l’OTAN n’a paru aussi forte et soudée depuis la fin de la Guerre froide. C’est en effet vers elle que se sont tournées tous les pays européens après le déclenchement de la guerre, elle qui a déployé des dizaines de milliers de soldats et leurs équipements aux marches orientales de l’Europe, elle qui a coordonné l’action en mer de ses membres face à la Russie, elle enfin que les pays qui n’en étaient pas membres – la Suède et la Finlande – se sont empressés de rejoindre malgré leur neutralité historique, démontrant s’il en était besoin son nouveau pouvoir d’attraction. L’adoption de son concept stratégique, au sommet de Madrid en juin, centré sur la menace russe, a achevé de lui donner le premier rôle dans la défense de l’Europe.

Dans le même temps, l’Union européenne n’a certes pas été inactive, bien au contraire. Elle a pris des mesures politiques et économiques fortes, incluant une aide financière massive à l’Ukraine mais également le financement de livraisons d’armes à celle-ci, tout en cherchant à tarir les moyens de la Russie de faire la guerre par l’arrêt progressif de ses importations de pétrole et de gaz. Elle envisage même, dans les prochains mois, de lancer une mission de formation de l’armée ukrainienne, huit ans toutefois après que l’OTAN ait commencé à renforcer les capacités de défense de l’Ukraine.

En réalité, cette action est tout à fait conforme au partage des tâches entre les deux organisations. À l’Union européenne, l’économie et le développement capacitaire – dans une certaine limite, mais dès qu’il s’agit de se préparer à la guerre et de mener des opérations militaires robustes, l’OTAN a la main, les capacités de planifications et de conduite, les hommes et les équipements. L’Union européenne ne les a pas et l’augmentation des budgets de défense des pays européens n’y changera rien. Bien au contraire, elle est susceptible de remettre en cause les progrès intervenus ces dernières années, en vidant de leur substance les initiatives précitées de développement capacitaire en commun. Ainsi, le chef d’état-major de l’armée allemande, le général Eberhard Zorn, a brutalement déclaré : « nous voulons des matériels qui volent, qui roulent et qui sont disponibles sur le marché. Pas de solution de développement européenne qui au final ne fonctionne pas ». En d’autres termes, des matériels américains, et tant pis pour l’autonomie stratégique européenne et sa BITD.

Ainsi, si quelque chose semble aujourd’hui « en état de mort cérébrale », c’est bien l’Europe de la défense. Certes, les projets capacitaires se poursuivent mais après les déclarations du CEMA allemand et les achats annoncés de matériels américains « sur étagère » par de nombreux États-membres, rien ne dit qu’ils iront à leur terme. Surtout, l’enthousiasme n’est plus là et, bien au contraire, parler aujourd'hui d'« autonomie stratégique » européenne est considéré par la quasi-totalité des membres européens de l'OTAN comme un acte de défiance vis-à-vis des États-Unis et un facteur de division d'une alliance qui doit être soudée face à la menace russe.

La France n’apparaît d’ailleurs pas la mieux placée aujourd’hui pour en parler, elle qui l’a tant promue au niveau européen. Notre pays est aujourd’hui affaibli sur la scène européenne pour avoir jusqu’au bout chercher à négocier avec le président russe, se retrouvant accusé de naïveté par les pays de l’Est qui, depuis 1989, répètent que la Russie est une menace éternelle et existentielle. N’ayant pas vu venir l’agression de l’Ukraine, la France peut-elle continuer à promouvoir une Europe de la défense face aux menaces actuelles et à venir, sachant que même avec la meilleure volonté du monde, celle-ci ne sera pas opérationnelle comme l’est l’OTAN aujourd’hui avant des dizaines d’années.

Aujourd’hui, c’est un fait incontestable que la défense de l’Europe se fait et se fera dans le cadre de l’OTAN, et que tout renforcement capacitaire, y compris celui de la France, ne peut ignorer les impératifs de la défense collective.

II.   Un engagement très important des moyens de la Marine, en France et à l’étranger, pour l’accomplissement de ses différentes missions

A.   La vision d’ensemble de l’activité de la Marine

1.   Les principales missions de la Marine nationale

Les océans couvrent 70 % du globe et constituent un espace sans frontière ni obstacles naturels par lequel transitent 95 % des approvisionnements nationaux. La France, deuxième espace maritime mondial, détient 24 900 km de littoral et près de 11 millions de km² d'espaces maritimes, principalement en Indopacifique. La Marine nationale contrôle et protège cet espace dans ses trois dimensions (sous, sur et au-dessus de la mer). Elle préserve la paix et défend les intérêts de la France à travers 5 missions fondamentales :

le renseignement, lequel passe par la collecte, l’analyse et la diffusion de renseignements sur la situation maritime mondiale ;

la prévention des crises qui peuvent menacer la France. Celle-ci s’appuie notamment sur des forces prépositionnées hors métropole, lesquelles assurent présence et vigilance dans les zones de crise ou à titre permanent dans les territoires d'outre-mer ;

l’intervention en zone de crise pour rétablir la paix, évacuer ou assister les populations, le plus souvent dans un cadre interarmées et/ou international. L'engagement peut varier de la simple présence à la démonstration de force avec engagement armé.

– la protection des mers, le sauvetage en mer, l’assistance aux navires, la lutte contre la piraterie, la pollution et les trafics. Cette mission de protection, plus civile que militaire, relève de ce qu’on appelle « l’action de l’État en mer » ;

la dissuasion, la protection des intérêts vitaux de la France prenant la forme d’une permanence en mer d’au moins un sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE).

Ces missions générales de la Marine ont été déclinées dans un plan stratégique présenté en 2018, le plan Mercator, dont la mise en œuvre a été accélérée en 2021 pour tenir compte d’un nouveau contexte marqué par l’aggravation des tensions géopolitique – encore accrues depuis la guerre de haute intensité en Ukraine – le caractère de plus en plus perceptible de l’impact du changement climatique, notamment dans les océans, et, enfin, la mise en évidence par la pandémie de Covid-19 des fragilités de la mondialisation et des interdépendances qu’elle avait créées.

2.   Les capacités de la Marine nationale

La Marine nationale est (en tonnage) l’une des plus grandes marines de guerre du monde, les premières places étant occupées par les États-Unis, la Chine et la Russie. En Europe, elle n’est surpassée que par la Marine royale britannique et suivie par la Marine italienne.

Notre pays est ainsi en mesure d’aligner l’éventail complet des capacités nécessaires à la défense de ses intérêts sur mer, sous la mer et dans les airs, en France mais également à l’étranger, en particulier dans ses zones économiques exclusives (10,8 millions de kilomètres carrés). C’est le fruit de décennies – voire de siècles – d’investissements dans les matériels et dans les hommes.

S’agissant des moyens navals, ceux-ci se répartissent comme suit :

Brest, incluant la base de l’île Longue

4 frégates multi-missions (FREMM)

3 patrouilleurs de haute mer (PHM)

1 pétrolier-ravitailleur (PR)

7 chasseur de mines tripartite (CMT)

1 bâtiment d’expérimentation de guerre des mines BEGM

3 bâtiments remorqueurs de sonar (BRS)

1 bâtiment base de plongeurs démineurs (BBPD)

2 bâtiments de soutien et d’assistance métropolitains (BSAM)

4 bâtiments hydrographiques et océanographiques (BHO)

2 bâtiments d’expérimentation et de mesures (BEM)

8 bâtiments école (BE)

2 bâtiments d’instruction à la navigation (BIN)

4 sous-marins lanceurs d’engins (SNLE)

Toulon

1 porte-avions (PA)

3 porte-hélicoptères amphibies (PHA)

2 frégates de défense aériennes (FDA)

2 frégates multi-missions – défense aérienne (FREMM-DA)

2 FREMM

5 frégates de type La Fayette (FLF)

3 patrouilleurs de haute mer (PHM)

1 PR

3 CMT

2 BBPD

2 BSAM

1 bâtiment de soutien à la plongée (BSP)

6 sous-marins nucléaires d’attaque (SNA)

Cherbourg

3 patrouilleurs de service public (PSP)

1 BBPD

1 bâtiment de soutien et d’assistance affrété (BSAA)

1 remorqueur d’intervention d’assistance et de sauvetage (RIAS)

1 vedette côtière de surveillance maritime (VCSM)

2 patrouilleurs côtiers de gendarmerie (PCG)

1 VCSM nouvelle génération (NG)

Lorient

286 vecteurs nautiques - dont 29 embarcations rapides pour

commandos

 

S’agissant des moyens aériens, ceux-ci se répartissent comme suit :

 

Lanvéoc

19 hélicoptères (Caïman marine, Alouette 3 et Dauphin)

8 avions

Landivisiau

37 Rafale Marine

4 Falcon 10

Hyères

27 hélicoptères (Caïman marine, Panther et Dauphin)

Enfin, la carte ci-dessous récapitule les moyens de la Marine déployés de manière permanente dans les outre-mer ainsi que dans les bases situées dans des pays étrangers. Y figurent également les zones économiques exclusives de la France dans les différents océans.

Image

L’ensemble de ces bâtiments et des nombreux autres sont mis en œuvre par les personnels civils et militaires de la Marine, soit, en 2022, environ 42 000 hommes et femmes.

B.   Le bilan 1de l’activité en 2022

La Marine est une arme d’emploi qui, par conséquent, a une forte activité opérationnelle. La norme cible pour l’activité dans la LPM 2019-2025 est de 100 jours de mer (JdM) par équipage pour l’ensemble de la flotte et 110 JdM par équipage pour les bâtiments de combat hauturiers. Comme le montre le tableau ci-dessous l’objectif ne sera pas atteint en 2022 et ne devrait pas l’être en 2023, même s’il est conforme aux PAP 2022 et 2023 :

 

JdM par équipage

Norme annuelle LPM

2018

2019

2020

2021

2022

2023

Tous bâtiments

100

94

96

90

93

90

90

Bâtiments de combat hauturiers

110

101

109

102

110

95

95

Source : ministère des Armées

En effet, 2022 sera marquée par le retrait de trois bâtiments hauturiers, non compensé par la mise en service de nouveaux bâtiments, entraînant mécaniquement à la baisse le nombre de JdM. D’après le PAP 2023, ce niveau se maintiendra pour les années suivantes compte tenu de l’admission au service de nouvelles coques entre 2023 et 2025 pour un ratio de 1 retrait du service actif/1 admission au service actif et un nombre d’équipages constant. Pour votre rapporteur, cette baisse illustre le « creux capacitaire » auquel continuera à faire face notre Marine jusqu’en 2025, avant une remontée en lien avec la livraison de nouveaux bateaux.

S’agissant de l’aéronavale, le niveau de réalisation des activités, tel qu’il figure dans le PAP, est le suivant :

 

Heure

Norme annuelle LPM

2020

2021

2022

2023 (cible)

Heures de vol par pilote de chasse marine

180

179

192

188

188

Heures de vol par pilote d’hélicoptère marine

220

212

201

218

218

Heure de vol par pilote de patrouille maritime marine

350

317

315

340

340

 Source : ministère des Armées

Votre rapporteur avait demandé, dans le questionnaire adressé en juillet au ministère des Armées, que ce dernier lui transmette les éléments lui permettant d’apprécier l’activité opérationnelle de la Marine dans ses différentes dimensions que sont les opérations, missions et exercices, l’action de l’État en mer, ou encore l’activité diplomatique. Ces réponses lui ont bien été transmises mais en diffusion restreinte, ce qui lui interdit d’en faire état dans le présent avis. Il regrette fortement cette décision qui empêche la représentation nationale comme les citoyens d’avoir une vision à 360° de l’intense activité de la Marine en 2022, tant sur le territoire national qu’à l’extérieur de celui-ci.

III.   Pour accomplir ces missions, les moyens de la Marine augmenteront en 2023 conformément à la LPM 2019-2025

A.   Les crédits de la Marine pour 2023 : une évolution positive conforme à la LPM

Les crédits dont disposera la Marine dans le PLF 2023 sont présentés et synthétisés dans le tableau suivant, lequel indique également l’évolution qu’ils ont connue par rapport à la LFI 2022 :

 

Programme

Sous-action

Libellé sous-action

AE

Évolution

CP

Évolution

178

03-01

Commandement et activité des forces navales

452

53%

339

+ 10%

03-05

Ressources humaines des forces navales

68

- 2%

66

- 1%

03-07

MCO du matériel des forces navales

1 737

- 48%

2 288

+ 9%

03-08

Environnement opérationnel des forces navales

124

- 3%

118

- 5%

03-11

Infrastructures maritimes

378

+ 60%

277

+ 14%

Total P178 et évolution

2 760

- 32%

3 088

+ 9%

212

56-01

Ressources humaines des forces navales

2 733

+ 6%

2 733

+ 6%

Total des crédits de la Marine et évolution

5 493

- 16%

5 821

+ 7%

Source : ministère des Armées

La forte baisse des AE de l’action 03-07 « MCO du matériel des forces navales », qui explique à elle seule la baisse globale des AE de la Marine en 2023, s’explique par la fin du plan de modernisation du MCO aéronautique. En effet, l’essentiel des marchés « verticalisés » aura été notifié fin 2022, réduisant ainsi significativement le besoin en AE. La ressource en CP est en revanche en augmentation pour renforcer la disponibilité des forces et couvrir différents surcoûts (obsolescences, prolongations de bâtiments et inflation).

Les AE de l’action 03-11 « Infrastructures maritimes » connaissent en revanche une très forte augmentation. Elle traduit l’effort important dans la remise à niveau des infrastructures de la Marine nationale, effort qui sera plus précisément analysé infra.

De même, les augmentations en AE mais également en CP des crédits de la sous-action 03-01 « Commandement et activité des forces navales » traduisent un investissement important sur la reconstitution des stocks de munitions, ainsi que la notification en 2023 du contrat d’affrètement des bâtiments de soutien et d’assistance affrétés de nouvelle génération.

Enfin, les crédits de la sous-action 03-05 « Ressources humaines des forces navales » sont relativement stables. Quant à ceux de la sous-action 08 « Environnement opérationnel des forces », en l’absence de nouveau contrat dimensionnant, ils diminuent légèrement.

S’agissant des crédits du titre 2 du programme 212, qui retrace les crédits alloués aux ressources humaines des forces navales (sous-action 56-01), l’augmentation de 6 % prévue pour 2023 permettra de financer l’augmentation des effectifs (afin de répondre à la cible globale de +1 500 ETPE au titre de la LPM) l’évolution positive du GVT, la troisième vague de la NPRM, la revalorisation du point d’indice et la revalorisation de la grille indiciaire des militaires du rang.

B.   Les équipements

1.   Si 2022 a permis la livraison de nombreux missiles, celle des principaux bateaux prévue cette année est reportée à 2023

Votre rapporteur a demandé et obtenu du ministère des armées le tableau suivant, récapitulant les commandes et les livraisons, incluant celles des équipements rénovés, intervenues en 2022.

 

Programme

Commandes

Livraisons

Commentaires du ministère des Armées

HIL

0

1

Livraison d’un H160 de la flotte intérimaire. Le report en 2023 de la seconde livraison programmée en 2022 est dû à des retards industriels

MDCN

0

3ème lot

Missile de croisière naval à destination des SNA Suffren

PDL NG

21

10

Commande additionnelle de 21 pods communs avec Air) suite à la cession de Rafale à la Croatie

SCALP EG

0

90

Livraison de missiles SCALP rénovés (Air et Marine)

ARTEMIS

0

18

Livraison de torpilles lourdes

ATL2

0

4

Rénovation des ATL2 au standard 6

FREMM

0

1

Livraison de la 8ème et dernière FREMM Lorraine, dont l’admission au service actif aura lieu en 2023

RENO FLF

0

1

Livraison d’une frégate FLF rénovée

MICA

0

50

Livraison de 50 missiles MICA rénové (communs avec Air)

MIDE

0

30

Livraison de missiles METEOR (communs avec Air)

Source : ministère des Armées

Elle n’appelle pas de commentaire particulier de sa part, si ce n’est pour relever le décalage à 2023 de la livraison du 2ème SNA de classe Suffren, le Duguay-Trouin, pour des raisons liées à « la persistance de difficultés industrielle et du Covid-19, ainsi que la prise en compte du retour d’expérience du Suffren ». C’est également la crise sanitaire qui explique le décalage à 2023 de la livraison du premier BRF, le Jacques Chevallier, dont les essais en mer commenceront en novembre. Enfin, sera également décalée à 2023 la livraison du module de lutte anti-mines SLAM-F compte tenu de la pandémie mais également des effets du Brexit.

2.   Les futurs équipements de la Marine

De très nombreux programmes d’armement intéressant la Marine étant aujourd’hui en cours et, pour nombre d’entre eux, analysés dans le cadre de l’avis sur le programme 146, votre rapporteur a fait le choix, dans le présent avis, de concentrer ses travaux sur quelques programmes emblématiques qui, à quelques exceptions près, portent sur des équipements aériens, les équipements maritimes ayant, pour leur part, largement été renouvelés ou en cours de renouvellement.

a.   Nouvelle capacité de surveillance et d’intervention maritime (AVSIMAR)

Le programme AVSIMAR a été lancé en réalisation en novembre 2020. La solution retenue est l’acquisition de systèmes Albatros basés sur des avions d’affaire Falcon 2000 LXS équipés notamment des capteurs principaux nécessaires à la mission, d’un radar de surveillance maritime et d’une tourelle optronique.

Le contrat portant sur la fourniture de ces 12 systèmes a été notifié par la DGA à Dassault-Aviation le 30 décembre 2020. La tranche ferme a porté sur le développement du système, 7 Albatros et la mise en place des éléments du soutien ainsi que le soutien initial pour les 7 premiers avions. La commande des 5 suivants est prévue en 2025. La livraison du premier albatros est prévue en 2025 et celle du douzième et dernier après 2030.

b.   Système de drone aérien pour la Marine (SDAM)

Le programme SDAM est en phase de préparation depuis 2006. Une étude de levée de risque a été notifiée fin 2017 à Naval Group et Airbus Helicopters. Le démonstrateur développé est basé sur le Cabri G2 de la société Guimbal.

Le premier vol du prototype SDAM s’est déroulé fin 2019. Le contrat d’études de levée de risques en cours prévoit une campagne de démonstration en mer au premier semestre 2023 sur une FREMM.

Au premier semestre 2022 ont eu lieu plusieurs campagnes d’essais en vol, au cours desquelles a notamment été mis en œuvre le système de décollage et d’atterrissage automatiques, avec plus de 200 cycles réussis à terre et en mer sur un navire civil. La capacité à être mis en œuvre sur un navire avec une forte dynamique et de forts angles de roulis et tangage n’étant pas disponible actuellement sur le marché européen, elle constitue l'enjeu technique principal de l'étude de levée de risques. Pour rappel, l'objectif d'état-major exprime le besoin de décoller et apponter sur des bâtiments de la Marine, en particulier FREMM et FDI, allant jusqu’à force 5 pour l’état de la mer.

Suite à la démonstration en mer, des travaux de maturation du système seront menés pour prendre en compte le retour d’expérience en préparation du lancement en réalisation prévu en 2026.

Le lancement en réalisation du programme sera précédé par un dossier de choix programmé en 2023.

c.   Système de mini-drones pour la Marine (SMDM)

En complément du programme SDAM, la Marine a sollicité l’acquisition de systèmes de mini-drones aériens embarqués sur plusieurs types de bâtiments (programme SMD-M). Le marché passé en 2020 a permis une première livraison en novembre 2021 ouvrant la voie à des expérimentations se concluant par la certification et la qualification de la première version du système en juillet 2022.

Les cinq premiers systèmes ont été livrés en 2022. Les cinq systèmes suivants seront livrés en 2023.

L'intégration du système sur patrouilleur haute mer a été qualifiée. L’intégration sur patrouilleur d’outre-mer est en cours de développement et celle sur frégate de surveillance devrait être contractualisée cette année.

d.   L’avion de patrouille maritime du futur

Le projet Maritime Airborne Warfare System (MAWS) visait à renouveler les capacités de patrouille maritime françaises et allemandes à l’horizon 2030-2035. En avril 2018, la France et l’Allemagne ont en effet fait le choix de mener conjointement des travaux dans le cadre du projet MAWS pour renouveler leurs flottes actuellement constituées d’aéronefs de type ATL2 pour les Français et P-3C pour les Allemands. L’hypothèse retenue était de partir d’une future plate-forme habitée existante et de l’adapter pour recevoir un système de mission de patrouille maritime.

Toutefois, la décision unilatérale de l’Allemagne d’acquérir cinq avions P-8A de Boeing a conduit la France à décider au deuxième semestre 2022 du lancement en national d’études d’architecture pour sécuriser une première capacité à l’horizon de la fin de vie des ATL2. Comme pour le projet MAWS, il s’agira de partir d’une plateforme existante – Falcon de Dassault ou A319-A320 d’Airbus – pour la transformer en un avion de patrouille maritime. Ce ne sera donc pas un avion spécialement élaboré pour la patrouille maritime, comme l’était l’ATL2, doté de capacités inédites comme celle de voler à 100 pieds, même s’il disposera probablement de capacités améliorées dans de nombreux domaines.

e.   Le programme européen de corvette de patrouille

Le projet de corvette de patrouille européenne vise à renouveler les capacités de souveraineté de nos outremers et de surveillance de nos zones d’intérêts, missions actuellement assurées par des frégates de surveillance aux capacités d’ores et déjà dépassées (voir infra).

En novembre 2019, l’Italie, l’Espagne, la Grèce et la France ont joint leurs efforts dans le cadre de la Coopération structurée permanente, sous coordination italienne et en lien avec l’Agence européenne de défense, en vue d’établir le cahier des charges d’une corvette de patrouille européenne. Ce projet bénéficie du soutien du Fond européen de défense (FEDef). La Commission européenne a en effet retenu en 2022 le projet déposé par le consortium constitué notamment de Naval Group et Fincantieri, soutenu par les quatre pays précités de la Coopération structurée permanente ainsi que par le Danemark et la Norvège, le dotant de 60 millions d’euros.

Les études, qui commenceront en 2023, viseront à établir un référentiel commun de fabrication, la conception sommaire et le développement de briques technologiques. Il semble d’ores et déjà acquis que les futures corvettes devront jauger au maximum 3 000 tonnes, pour une longueur d’environ 100 mètres. Leur tirant d'eau inférieur à 5,5 mètres leur permettra d'opérer à partir de ports secondaires – un point très important pour la Grèce. Ces navires devront aussi être très maniables, capables d'opérer dans des missions en haute mer, avec un long rayon d'action (de 10 000 miles à 14 nœuds) – un point très important pour la France. Enfin, il devra fonctionner avec un équipage de moins de 100 marins et pouvoir accueillir des drones et des hélicoptères.

Le principal risque de ce programme, outre l’allongement des délais, quasi-inévitable dans les coopérations en matière d’armement, est la multiplication des versions faute d’un compromis entre les différents acteurs nationaux. Ce risque, s’il se réalise, hypothéquerait largement l’intérêt financier de cette coopération en aboutissant en réalité à la juxtaposition de modèles de corvettes différentes, comme ce fut le cas pour le programme franco-italien des FREMM.

f.   Le porte-avions de nouvelle génération (PA-NG)

Dans le but de garantir la continuité de la capacité du groupe aéronaval (GAN) à l’horizon de la fin de vie du Charles De Gaulle prévue en 2038, un programme de « porte-avions de nouvelle génération » (PA-NG) a été lancé en 2018. Les travaux préparatoires sont en cours, visant notamment à consolider le besoin militaire et à définir les caractéristiques du projet (fonction, performances, contenu physique, calendrier, coûts), l’architecture capacitaire ou encore l’organisation industrielle. Le choix d’une propulsion nucléaire – avec deux chaufferies de type K22 a toutefois été annoncé par le président de la République le 8 décembre 2020, permettant le maintien des compétences techniques critiques en matière nucléaire.

Compte tenu de ce choix, la poursuite des travaux préparatoires sur le chemin critique a été engagée par la DGA et le CEA, dont les études de levée de risques et l’avant-projet sommaire pour le navire et les chaufferies. Les travaux d’avant-projet détaillé seront lancés au premier semestre 2023. Ceux-ci se poursuivront jusqu’en 2025, date prévue pour le lancement en réalisation, pour définir l’architecture détaillée et disposer du niveau de maturité suffisant des systèmes critiques, notamment liés à la propulsion nucléaire, à la mise en œuvre de l’aviation (dont le nombre de catapultes), aux flux de munitions et aux principales interfaces, en particulier le groupe aérien de nouvelle génération.

g.   Le Futur missile de croisière (FMAN/FMC)

Le programme de Futur Missile Anti Navire -Futur Missile de Croisière (FMAN-FMC) est conduit en coopération avec le Royaume-Uni. Il a pour objectif de pérenniser la composante « frappe dans la profondeur » aéroportée (FMC) et la capacité antinavire (FMAN) à l’horizon 2030 en améliorant significativement la performance du système pour s’adapter à l’évolution des menaces.

Lancé à l’été 2018, ce programme est dans sa phase de préparation, laquelle vise actuellement à monter en maturité les deux concepts identifiés à l’issue des études franco-britanniques notifiées en 2017 à MBDA. Ces deux concepts sont un concept supersonique manœuvrant principalement français et un concept subsonique furtif principalement britannique.

La phase de préparation vise également à consolider le besoin militaire et à préciser les caractéristiques du programme (dont les performances, périmètre physique, calendrier, coûts), ou encore l’organisation industrielle compte tenu de la coopération avec le Royaume-Uni mais également d’un élargissement éventuel à d’autres États, dont l’Italie. Cette phase est actuellement réalisée au travers de travaux conjoints franco-britanniques de montée en maturité des deux concepts précités depuis décembre 2021, pour une durée de l’ordre de trois ans, comprenant un jalon de choix à mi-parcours (décision point de mi-2023).

h.   Le SNLE 3G

Les SNLE constituent la composante océanique de la dissuasion nucléaire française. Les futurs SNLE 3G prendront la relève des SNLE 2G type Le Triomphant à leur retrait du service actif prévu à l’horizon des années 2035 pour le premier d’entre eux.

La ministre des Armées Florence Parly a annoncé le 19 février 2021 la notification d'un marché de conception, d'une durée de cinq ans, à Naval Group et à Technicatome, maîtres d'œuvre respectivement de la coque et de la chaufferie. La construction du premier navire devrait débuter en 2023 aux chantiers de Naval Group à Cherbourg, la mise en service du premier sous-marin intervenant en 2035 et celle du quatrième et dernier en 2050. Il est prévu qu'ils restent en service jusqu'en 2090.

L’essentiel des informations relatives au SNLE 3G sont classées secret-défense. Il est toutefois acquis qu’ils emporteront chacun seize missiles, lesquels seront une version améliorée du M51 actuellement en service, afin de limiter les coûts de développement, et qu’ils auront un tonnage équivalent à celui de la classe Le Triomphant, afin d'éviter d'avoir à modifier les infrastructures de l'île Longue. Le développement du sonar destiné à ces sous-marins a été confié à Thales. Le réacteur nucléaire sera quant à lui une évolution du K15 équipant les actuels SNLE.

3.   La disponibilité et le maintien en condition opérationnelle des équipements navals et aéronavals

a.   La disponibilité des équipements navals et aéronavals

Depuis 2020, le ministère des Armées ne publie plus les données relatives à la disponibilité technique DT de ses principaux équipements en raison « d’impératifs renforcés de confidentialité ». Or, ce sont ces variables qui permettent d’évaluer l’efficacité du Maintien en condition opérationnelle (MCO) étant donné qu’elles décrivent le nombre de matériels effectivement disponibles par rapport au parc total.

En revanche, dans le PAP figurent des données portant sur la « disponibilité technique opérationnelle » (DTO). La différence avec la DT est que celle-ci ne concerne que les équipements disponibles – tous types confondus – par rapport au contrat opérationnel des armées. En d’autres termes, elle mesure le nombre de matériels en état de marche en fonction des besoins nécessaires pour accomplir une mission donnée. Or, comme le souligne la Cour des comptes, « l’indicateur de la DTO est une valeur moyenne établie par catégorie d’appareil. La DT, au contraire, est propre à chaque type d’appareils et sa dégradation peut traduire le vieillissement des équipements. En outre, le matériel déployé en opération est plus à jour de ses visites de maintenance, tandis que le matériel restant en métropole pour l’entraînement concentre, pour certaines flottes critiques, les problèmes de disponibilité » ([4]).

Ainsi défini, le taux de disponibilité technique opérationnelle des différentes catégories de matériels de la Marine s’établit comme suit :

                                                                                                                       (en pourcentage)

Matériel

2020

2021

2022

2023 (cible)

Porte-avions

95

95

94

62

SNA

57

51

56

62

Autres bâtiments

82

74

76

76

Frégates

66

58

59

59

Chasse

55

73

69

67

Hélicoptères

49

46

63

56

PATMISMAR

54

60

64

67

Les informations transmises par le ministère des Armées sur cette question de la DTO étant en diffusion restreinte, votre rapporteur s’appuie, pour interpréter ces chiffres, sur le rapport précité de la Cour des comptes. Selon cette dernière, « la création du service de soutien de la flotte en 2000 et la mise en place de contrats verticalisés par flotte ont permis de mettre en œuvre un système de soutien abouti, avec une bonne implication de l’ensemble des acteurs. Le taux de disponibilité des bâtiments s’est stabilisé autour d’une valeur très proche du maximum théorique, correspondant au calendrier prévisionnel des arrêts techniques ». Le seul point noir, rappelé lors des auditions, concerne comme à l’habitude les hélicoptères NH90 dont la très faible disponibilité persistante pose des problèmes opérationnels mais nuit également à la formation des pilotes.

b.   Les crédits du MCO

Les crédits destinés au maintien en condition opérationnelle des équipements de la Marine correspondent aux opérations stratégiques (OS) « Entretien programmé des matériels » (EPM) et « Dissuasion ». Ils ont évolué comme suit depuis le début de la LPM actuelle :

 

(en millions d’euros)

 

LFI 2019

LFI 2020

LFI 2021

LFI 2022

PLF 2023

OS

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

EPM naval

1 114

853

1 688

884

637

880

1 907

904

978

1 082

EPM aérien

2 423

607

1 751

592

1 628

608

1 122

667

340

670

EPM terrestre

8

9

8

8

12

12

12

12

12

12

Total EPM

3 545

1 468

3 447

1 483

2 277

1 500

3 041

1 584

1 330

1 764

Dissuasion

1 115

426

197

444

658

407

227

465

358

477

Total DIS

1 115

426

197

444

658

407

227

465

358

477

Total général

4 660

1 894

3 644

1 928

2 935

1 907

3 268

2 049

1 688

2 241

Source : ministère des Armées

Par rapport à la LFI 2022, on remarque un double mouvement contraire s’agissant des AE et des CP, les premières baissant de 37,3 % à 1,688 milliards d’euros, tandis que les secondes augmentent de 9,4 % à 2,241 milliards d’euros. Cette évolution s’explique par la fin d’une période qui a vu les marchés de MCO des grands équipements navals (frégates, sous-marins, porte-avions…) mais également aéronautiques (Rafale, ATL2, Falcon…) être attribués, pour des périodes dépassant parfois dix ans, par le Service de Soutien de la Flotte (SSF) et la Direction de la maintenance aéronautique (DMAé). Logiquement à cette période d’intenses engagements succède une période où ils sont moindres et inférieurs aux crédits de paiement qu’exigent ces engagements passés. Il reste néanmoins des AE inscrites dans le PLF 2023 – très loin d’être négligeables – qui permettront, notamment, de contractualiser le MCO des FDI et de renouveler les contrats des chasseurs de mines tripartites (CMT) ainsi que des patrouilleurs Antilles/Guyane.

c.   Les enjeux du MCO

Sans revenir sur la réforme du MCO naval intervenue à la suite du rapport Malcor en 2018, longuement analysée dans les précédents avis budgétaires, votre rapporteur rappelle que désormais, celui-ci repose sur des contrats pluriannuels « pièces et main-d’œuvre » par famille de bâtiments (porte-avions, sous-marins, frégates, bâtiments de soutien, etc.) complétés par des contrats transverses pour certains équipements spécifiques, comme les turbines à gaz ou certaines armes et équipements. Ces contrats sont attribués à un seul opérateur, le plus souvent après mise en concurrence.

À la connaissance de votre rapporteur, ces contrats donnent dans l’ensemble satisfaction à la Marine qui a pu bénéficier de taux de disponibilité des matériels en augmentation, sauf pour le cas récurrent et déjà évoqué des hélicoptères NH90. Il souhaite néanmoins attirer l’attention des différentes parties prenantes sur les points suivants.

En premier lieu, si l’un des objectifs de la mise en concurrence est d’obtenir l’offre économiquement la plus avantageuse, à la fois sur le critère prix et sur les autres critères, le risque n’est pas négligeable que le premier emporte la décision, avec pour conséquence une qualité dégradée de service par le recours massif à la sous-traitance, voire une incapacité du cocontractant à respecter ce à quoi il s’est engagé. La tentation de vouloir toujours faire moins cher est, certes, généralisée dans la commande publique mais en matière d’équipements de défense, les conséquences sont telles que la qualité doit autant que possible et dans les limites du raisonnable primer le coût.

En second lieu, le recours à la contractualisation peut avoir un effet pervers sur le maintien des compétences-clés au sein de la Marine. Ainsi en est-il, à titre d’exemple évoqué lors des auditions, des réfrigérateurs, élément dont le fonctionnement est essentiel car sans réfrigérateurs en état de marche, les bateaux ne partent pas en mission. Or, si ceux-ci tombent en panne la veille d’un départ, à un moment où, pour une raison ou une autre, le sous-traitant de l’entreprise attributaire du MCO du bateau concerné ne peut intervenir immédiatement, c’est la mission tout entière qui pourrait être compromise, sauf à pouvoir compter sur les ateliers navals du Service logistique de la Marine (SLM). Or, ceux-ci ne continueront à exister et à conserver leurs compétences qu’à la condition d’avoir un plan de charge suffisant. Un équilibre délicat doit donc être trouvé entre la régie – qui a ses avantages mais également ses inconvénients – et la contractualisation.

En d’autres termes, votre rapporteur considère que les spécificités de la Marine et de ses équipements l’obligent à conserver certaines compétences-clé en interne. L’une d’elles est incontestablement le MCO des aéronefs. En effet, ceux-ci sont embarqués à bord des bateaux et, en cas de panne, les marins doivent être capables de les réparer sur place, ne pouvant faire appel, en mission, à l’entreprise en charge du MCO. C’est pourquoi, sur le porte-avions, il y a toujours une équipe du SIAé dont les compétences doivent être maintenues malgré la contractualisation. Les deux sont d’ailleurs parfaitement compatibles, les contrats de MCO des aéronefs incluant en effet une clause permettant d’associer le SIAé même si la tentation est toujours présente de les exclure pour des raisons de coût. C’est cette même nécessité de faire de la MCO embarquée qui justifierait, dans la mesure du possible, le retour d’un véritable atelier sur les Bâtiments ravitailleurs de forces (BRF).

Enfin, tous ces grands contrats de MCO attribués au cours des dernières années l’ont été en temps de paix et, de ce fait, élaborés sur la base d’exigences et de contraintes qui ne sont pas celle du temps de guerre. Or, avec l’accroissement des menaces et le retour de la guerre de haute intensité en Europe, un nouveau facteur entre en considération : la résilience de l’attributaire du marché dans ce qui doit relever d’une économie de guerre et sa capacité à monter en puissance en cas de crise grave. La pandémie du Covid-19 a montré certaines faiblesses des entreprises en charge du MCO et de leurs sous-traitants, notamment en matière de sécurité des approvisionnements et de permanence du service. Votre rapporteur veut croire que les leçons ont été tirées pour les contrats actuels et les prochains.

d.   La déconstruction des bateaux

L’un des aspects les moins étudiés en matière de MCO est la fin de celui-ci, lorsque le bateau est retiré du service actif. C’est pourtant une étape inévitable et essentielle de la vie d’un bateau, à laquelle votre rapporteur s’est intéressé lors de ses différents déplacements dans les bases navales.

À Cherbourg, il a ainsi pu visiter, sur le site de Naval Group, l’impressionnant chantier de déconstruction du SNLE le Foudroyant, désarmé en 1998, et, à Brest, monter une dernière fois sur la frégate Latouche-Tréville, retirée du service actif le 15 juin dernier et sur laquelle les travaux ont déjà commencé.

Le Service de soutien de la flotte (SSF) est, en tant que maître d’ouvrage, responsable de la déconstruction des coques, c’est-à-dire des bâtiments désarmés. Concrètement, le programme de déconstruction d’un bateau se présente comme suit, hors cas particulier d’une propulsion nucléaire ([5]).

La première étape est la préparation du retrait du service actif (RSA). Une fois la date du RSA fixée par les directives ASA/RSA et le schéma directeur du désarmement, un choix doit être fait de la destination de la coque : déconstruction, cession, brise-lames ou encore musée. Selon la destination, les opérations seront évidemment différentes. Si le choix est fait de la déconstruction, le SSF contractualise les opérations de RSA.

La deuxième étape est celle du RSA et dure jusqu’au retrait définitif du service (RDS), Elle se déroule en deux temps :

– la mise en complément, laquelle implique le débarquement des matériels, la restitution des rechanges, la préparation de la mise en réserve, la démilitarisation, le pré-inventaire des produits dangereux parmi lesquels l’amiante, le PCB ou encore les métaux lourds, autant d’opérations réalisées par l’équipage qui reste au complet ;

– la mise en réserve, qui implique la sécurisation de la coque et la réalisation du dossier de transfert incluant l’expertise de structure des points d’embossage et de remorquage, opérations réalisées par un noyau d’équipage et l’industriel en charge du RSA ;

Enfin, la dernière étape est celle du retrait définitif du service (RDS), qui dure jusqu’à l’élimination du dernier déchet. Avant cette étape, qui est celle de la déconstruction physique du bateau, un inventaire des matières potentiellement dangereuses est réalisé, obligatoire avant la contractualisation du marché de déconstruction, qui couvre la totalité des prestations de démantèlement : transport, curage noir, vert et rouge, découpe des coques, élimination et valorisation des déchets…

L’ensemble de ces travaux se fait dans un souci constant de la protection de l’environnement et des personnes. Ainsi, sur le chantier du Foudroyant, la présence d’amiante impose des conditions très contraignantes : tentes, aspirations et relèves régulières des personnels portant masques et combinaisons. Au final, ces travaux de déconstruction durent environ 1 mois pour les petites coques mais jusqu’à 18 mois pour les plus grandes. Lorsqu’il y a une propulsion nucléaire, les délais ne sont pas plus longs mais les travaux commencent qu’une fois la chaufferie retirée, ce qui peut prendre plus de 20 ans. Ainsi, s’agissant du Foudroyant, désarmé en 1998, la déconstruction de la coque n’a commencé qu’en 2021.

Enfin, la contractualisation de la déconstruction s’accompagne de la vente des matières valorisables, en particulier l’acier, avec un intéressement au recyclage maximale. Dans le cas du Foudroyant, 90 % de la coque pesant 6 000 tonnes pourraient être valorisés ou recyclés.

4.   Après des années de disette, les crédits des infrastructures maritimes bénéficient d’une forte augmentation en 2023

a.   Des crédits en forte hausse

La nouvelle architecture budgétaire mise en place en 2020 au sein de la mission Défense confie au BOP 178-21 des responsabilités en matière d’infrastructures de défense (augmentation de périmètre pour une meilleure performance d’ensemble et une approche par milieu). Les crédits correspondants sont destinés à la construction, à l’adaptation et à la maintenance lourde des infrastructures dites « technico-opérationnelles » de la Marine nationale en métropole, hors dissuasion nucléaire (ces dernières étant intégrées dans l’OS DIS).

Les crédits (hors dissuasion) augmentent de 219 % en AE, à 212,9 millions d’euros, et de 12 % en CP, à 146,1 millions d’euros. Ces chiffres traduisent l’effort important dans la remise à niveau des infrastructures de la Marine, étant précisé que la notification d’opérations majeures d’infrastructures génère des variations importantes annuellement, en fonction du cadencement des différents travaux

La forte augmentation de la ressource en AE prévue dans le PLF 2023 permettra notamment l’engagement des marchés pour la réalisation des travaux d’adaptation des appontements Milhaud à Toulon, ainsi que des travaux de modernisation des réseaux électriques sur les ports de Brest et Toulon

Par ailleurs les principaux autres investissements concernent la modernisation des installations portuaires des ports de Lorient (construction d’un bassin d’entraînement pour forces spéciales sur la Basefusco), de Brest (remise à niveau de l’épi de la Grande Rivière, adaptation des infrastructures pour l’accueil du FLOTLOG et des FDI) et de Toulon (création d’un stand de tir sur la Basefusco, construction d’une infrastructure d’instruction au combat en milieu clos à Saint-Mandrier).

Enfin, ces crédits permettront également de moderniser les installations électriques à Lanvéoc et Landivisiau, de remettre à niveau les ouvrages constitutifs des grands bassins Vauban à Toulon, de poursuivre la remise en état des quais d’armement droit et oblique à Brest et, à Cherbourg, d’engager des travaux de sauvegarde de la digue au large ainsi que le carénage des pontas et ras.

Votre rapporteur signale toutefois qu’une part importante des travaux sur les infrastructures de la Marine ne relève pas du P178 mais du P146 dès lors qu’ils concernent non pas la maintenance mais l’adaptation des infrastructures industrielles et portuaires induites par l’accueil des nouveaux navires. C’est ainsi que le P146 prévoit 259 millions d’euros en CP dans le présent PLF pour l’accueil et le soutien des nouveaux SNA, lesquels permettront la poursuite de l’adaptation des bassins et des quais à Toulon, et le démarrage de l’adaptation des infrastructures d’arrêt technique majeur et de l’INBS1 Missiessy de la base navale de Toulon.

b.   Les enjeux en matière d’infrastructures

Les infrastructures maritimes ont, comme les stocks de munitions, été négligées pendant les années de disette budgétaire, la Marine privilégiant son activité opérationnelle en réduisant autant que possible les dépenses qui pouvaient l’être sans compromettre la poursuite de celle-ci. Ce choix, qui a permis à la Marine de conserver les compétences des marins et d’assurer ses missions, a toutefois eu pour conséquence un vieillissement toujours plus important d’infrastructures pourtant essentielles au maintien des capacités à long terme de la Marine.

Si votre rapporteur salue l’effort bienvenu fait en faveur des infrastructures maritimes dans le PLF 2023, il souhaite néanmoins attirer l’attention sur les points suivants.

la hausse du prix des matières première et l’inflation générale des prix ont, pour le moment, un impact limité sur les travaux d’infrastructures. En effet, selon les informations transmises à votre rapporteur, aucune rupture dans le déroulement ou la passation des marchés n’est à déplorer. Toutefois, si la crise, devait durer, les stocks des cocontractants ne suffiront plus et une révision à la hausse des coûts sera inévitable, via la clause d’imprévision. Sur ce point, votre rapporteur considère que la Marine devra faire preuve de souplesse dans l’application de celle-ci car la hausse des prix conditionne non seulement la réalisation des prestations ou la livraison des matériels mais également la survie de certaines PME particulièrement fragiles ;

– le deuxième point de vigilance porte sur les normes. Au cours de ses déplacements et auditions, votre rapporteur a été informé d’un certain nombre d’absurdités qui pourraient faire sourire si elles ne se traduisaient pas par des surcoûts considérables. Ainsi en est-il des normes PMR (personne à mobilité réduite), parfaitement justifiées dans le secteur civil mais incongrues lorsqu’elles s’appliquent aux pièces d’eau des logements destinés aux commandos de Marine ou exigent la présence d’un ascenseur dans un gymnase destiné à l’entraînement de militaires. Cette dernière exigence se double d’ailleurs de celle d’une « panic room » dans les étages en cas d’incendie… Explorer la possibilité de permettre l’adaptation de ces normes PMR – et des autres – aux spécificités militaires semble une voie pertinente pour réduire les coûts de construction pesant sur la Marine – et les autres armées ;

– enfin, les procédures pour l’entretien des infrastructures portuaires apparaissent particulièrement complexes, faisant intervenir de nombreux décisionnaires, ce qui nuit à la fois à la rapidité et à la qualité de la décision. C’est ainsi que l’architecture budgétaire précitée ne confie pas au responsable du BOP la totalité des infrastructures maritimes, notamment ce qui concerne l’accueil des marins (hébergements, bureaux…). La lui confier lui donnerait une vision globale de l’environnement de la Marine, gage d’une meilleure efficacité dans l’allocation des ressources.

C.   Les ressources humaines : un défi permanent pour renouveler les hommes et maintenir les compétences

1.   L’évolution des effectifs

La notion d'effectifs de la Marine sous-tend deux réalités :

– les ETP dans le périmètre de la Marine, sous la responsabilité du Chef d’état-major de la Marine : 34 234 personnes en 2022 ;

– l'ensemble des marins (38 977 personnes), dont environ 9 000 servent au sein d’organismes extérieurs à la Marine.

L’ensemble de ces ETP a évolué et évoluera comme suit d’ici à 2025 :

 

 

2019

2020

2021

2022

2023

2024

2025

Effectifs terminaux

34 072

34 080

34 159

34 234

34 462

34 840

35 089

Évolution annuelle

-

+ 8

+ 79

+ 75

+ 228

+ 378

+ 249

Source : ministère des Armées

On note une accélération de l’augmentation de l’effectif à partir de 2023 et jusqu’à 2025 qui s’explique par la poursuite de l’effort entrepris dans les domaines du renseignement, de la cyberdéfense et de l’action dans l’espace numérique, du numérique et du soutien aux exportations ainsi que par la préparation du renouvellement de la composante océanique de la dissuasion nucléaire, ainsi que les autres évolutions capacitaires majeures (SNA de type Suffren, frégates de défense et d’intervention, porte-avions de nouvelle génération).

S’agissant plus précisément du nombre de marins, celui-ci n’a augmenté que de 1 % au cours de ces quatre dernières années. La croissance de ces effectifs est portée essentiellement par les officiers et les quartiers maîtres et matelots (QMM). La population des officiers mariniers (OM) peine aujourd’hui à croître en raison de la dynamique des départs (voir infra).

Source : ministère des Armées

Enfin, s’agissant des personnels civils de la Marine, il a évolué et évoluera comme suit (hors personnel de la DGA) :

Source : ministère des Armées

2.   Le défi du recrutement, de la formation et de la fidélisation

a.   La nécessité d’un renouvellement permanent des ressources humaines de la Marine dans un contexte très concurrentiel

Pour maintenir la moyenne d’âge relativement jeune de ses marins (31 ans), qu’exigent l’ampleur et la difficulté physique de ses missions, la Marine doit recruter annuellement 4000 personnes qui, dans la quasi-totalité des cas, sortent directement du système scolaire.

C’est un défi permanent dont la difficulté a été maintes fois soulignée par l’ensemble des interlocuteurs rencontrés par votre rapporteur. En effet, outre la tendance de fond qu’est le vieillissement de la population française et la réduction du nombre de jeunes arrivant sur le marché du travail, ce dernier est aujourd’hui en proie à des tensions qui compliquent les recrutements, les mêmes profils étant « chassés » tant par la Marine que par les entreprises privées, voire les autres armées ou organismes publics. Sont particulièrement concernées les spécialités suivantes :

le nucléaire, compte tenu de la relance massive de la filière de l’énergie atomique en France et dans le monde, après des années de sous-investissement et, par conséquent, de déficit dans les formations des ingénieurs et des techniciens ;

– la maintenance navale et aéronavale ;

la restauration, comme dans le civil où ce secteur est également en proie à de grandes difficultés de recrutement ;

– enfin, quelques micro-filières – notamment pour les ingénieurs spécialistes experts en NRBC, drones, optronique et pyrotechnie…, connaissent d’importantes difficultés de recrutement.

La concurrence avec le monde civil explique donc pour l’essentiel ces tensions, malgré les atouts contribuant à l’attractivité de la Marine, certains subjectifs (image positive de la Marine, sens de l’engagement militaire, carrière embarquée) mais également objectifs, en particulier la qualité de la formation dispensée aux jeunes. Toutefois, si les tensions dans la filière nucléaire semblent pérennes, les autres tensions sont liées à la conjoncture actuelle du marché du travail, dont les évolutions à terme sont incertaines, et à un déficit de formation qui peut être comblé, notamment en mécatronique. Elles n’en posent pas moins de graves difficultés à la Marine, en particulier dans la filière nucléaire compte tenu de son besoin croissant de compétence au vu des différents programmes en cours et à venir : PA-NG, SNA type Suffren, futurs SNLE 3G, etc.).

b.   Essentielle, la formation des marins doit rester au plus haut niveau

La Marine recrute de nombreux jeunes qui, à l’exception des officiers, ont un niveau BAC+2 ou inférieur. La formation est donc essentielle afin de délivrer aux marins les compétences nécessaires pour mettre en œuvre des équipements complexes, les maintenir dans la durée mais également les adapter à des besoins technico-opérationnels en évolution constante (cyber, intelligence artificielle, drones, etc.). Elle permet également aux marins, pour autant qu’ils en aient les capacités et la motivation, une réelle ascension sociale et professionnelle au sein de la Marine et même au-delà, dans le civil, s’ils le souhaitent.

Le système de formation de la Marine repose sur un ensemble de 10 écoles, pour l’essentiel regroupées au sein des campus de Brest-Lanvéoc de Toulon-Saint-Mandrier et Cherbourg-Querqueville.

Quatre écoles de formation initiale, incorporant annuellement environ 4000 jeunes Français :

l’École des mousses, qui forme chaque année 200 jeunes sans diplôme de 16 à 18 ans en neuf mois, pour en faire des mousses ;

l’École des matelots, qui forme chaque année 2 100 jeunes de niveau BAC en sept semaines pour en faire des matelots ;

l’École de maistrance, qui forme 1 200 jeunes de niveau BAC + 2 en 20 semaines pour en faire des officiers mariniers ;

l’École navale, qui forme 540 jeunes par an, de niveau BAC + 3 à
BAC + 5, pour en faire des officiers.

Six écoles délivrant de la formation continue dite « de cursus » :

l’École des Fusiliers Marins, qui forme 3 300 stagiaires aux métiers de fusilier-marin et de commando-marine ;

l’École des systèmes, technologies et logistique navales, qui forme 3 100 stagiaires aux métiers de la machine (mécaniciens, électriciens, hydrauliciens...) ;

l’École des systèmes de combat et des opérations aéromaritimes qui forme 2 700 stagiaires aux métiers des opérations (détecteurs, artilleurs, opérateurs sonar…) ;

l’École de plongée, qui forme 700 stagiaires par an (des 3 armées et de la gendarmerie) aux métiers de la plongée ;

l’École de l'aéronautique navale de Cognac, qui forme 500 marins aux métiers de l’aéronautique (pilotes et techniciens, officiers et sous-officiers), avec des détachements en France et aux États-Unis ;

l’École des applications militaires de l'énergie atomique (EAMEA), organisme à vocation interarmées qui forme 900 stagiaires par an aux métiers du nucléaire militaire (propulsion et armement).

Ce système de formation de la Marine accueille chaque année un flux de près de 21 000 élèves, dont 18 000 marins et 3 000 autres provenant des ADS (Armées, Directions et Services) et des Marines étrangères, dans l’une des 970 formations offertes, allant du cursus de 3 ans délivrant un diplôme d’ingénieur au stage de quelques jours. Le temps de formation moyen est de 23 jours par an et par marin (contre 36 en 2005 et 20 en 2015).

Sur le plan financier, il représente 3 880 cadres et permanents pour un coût de 238 millions d’euros par an (dont 133 millions d’euros de masse salariale, 50 millions d’euros de frais de fonctionnement et 55 millions d’euros de coût d'utilisation des moyens pédagogiques).

Très différentes, ces écoles font face à des défis différents mais également communs, comme votre rapporteur l’a constaté par ses visites au Pôle des Écoles de Méditerranée (PEM) de Saint-Mandrier et à l’EAMEA à Brest ;

le premier défi est celui de la baisse du niveau des élèves, en particulier en mathématiques et en français, ainsi que certaines carences en matière de méthodes de travail et ce, malgré un taux de sélectivité très correct. Le niveau sportif est lui aussi en baisse rapide, reflet probable du temps accru consacré aux écrans suite à la pandémie de Covid-19. Or, parce que la Marine ne peut pas baisser le niveau de ses marins sauf à compromettre la bonne réalisation de ses missions, lesquelles peuvent impliquer des risques élevés de mort, il lui faut absolument compenser ces carences dans la formation scolaire de ses marins, par un investissement de l’ensemble du personnel, voire le recours, comme à l’École de Maistrance, à des étudiants toulonnais pour des cours supplémentaires ;

le deuxième défi est celui des locaux. Si le site de l’EAMEA rappelle un campus américain, qui sera enrichi à l’automne 2023 d’un nouveau bâtiment abritant notamment de nouvelles salles de cours et le laboratoire de physique nucléaire, où seront réalisés les travaux pratiques en matière de radioprotection, il n’en va pas de même pour le PEM dont certains locaux sont très vétustes, malgré l’investissement constant des cadres et des élèves dans leur entretien. C’est d’autant plus problématique que ces locaux, hébergements et sanitaires dégradés constituent, pour ces futurs marins, leur premier contact avec la Marine et peuvent même compromettre leur enseignement. Votre rapporteur a ainsi visité la reconstitution sous hangar d’une tranche d’un bateau permettant aux élèves de se former sur différents moteurs, pour un investissement total de 1,8 million d’euros. Or, celui-ci est menacé par l’impossibilité de réparer une fuite dans le toit, faute de disposer des quelques dizaines de milliers d’euros nécessaires par manque de souplesse d’emploi de sommes relativement faibles engageables par l’autorité d’emploi locale.

le troisième défi est celui du numérique qui transforme la manière dont l’enseignement est délivré mais permet également de compenser le manque d’instructeurs ou la limite physique, par exemple, des équipements disponibles, par exemple les moteurs. Comme votre rapporteur a pu le constater au PEM, les élèves peuvent désormais se former aux rondes de surveillance via la reconstitution virtuelle d’un navire, programme créé au sein du PEM. Pour le maniement des armes, le numérique vient également en appui de la formation, même si les élèves tirent ensuite, réellement, plus de cent cartouches. Naturellement, le numérique exige des investissements et des compétences également requis dans d’autres domaines, entre lesquels il faut donc faire des choix.

c.   Une fidélisation difficile compte tenu des nouvelles tensions sur le marché du travail

Si recruter des marins est un défi, les fidéliser l’est encore plus. En effet, bien que construite sur une logique de flux liée au besoin de jeunesse et au pyramidage des grades, la politique de la Marine en matière de ressources humaines cherche à fidéliser ses marins, tant pour satisfaire ses besoins actuels que pour anticiper ceux de demain, et rentabiliser au mieux l’investissement individuel consenti pour chaque marin.

Les durées moyennes des services des marins ayant quitté la Marine nationale sont globalement stables depuis cinq ans pour les officiers mariniers et équipages (carrière ou contrat) et les officiers (carrière ou contrat), après une légère amélioration générale en 2016.

Source : ministère des Armées

En 2021, la durée moyenne des services des marins de carrière était de 25 ans pour les officiers mariniers et de 30 ans pour les officiers. Elle demeure supérieure à la durée ouvrant droit à la liquidation immédiate de leur pension de retraite (17 ans pour les officiers mariniers et 27 ans pour les officiers). Peu d’officiers sous contrat long quittent la Marine nationale avant la limite de durée des services (20 ans). Plus précisément, la baisse relative de la durée des services des officiers sous contrat depuis 2019 s’explique par la fin normale des contrats pour les jeunes officiers de la filière « Commandement et Services », recrutés en nombre à partir de 2016 pour compenser le renversement des flux. Ces profils n’ont pas vocation à être fidélisés en masse. L’augmentation de l’âge moyen de départs constatés chez les officiers de carrière en 2022 est quant à elle analysée par le ministère des Armées comme le résultat des efforts de fidélisation, cette hypothèse ne pouvant être confirmée qu’après étude des années à venir.

Toutefois, bien qu’il soit globalement satisfaisant, ce tableau ne donne pas une vision complète de la situation de la Marine s’agissant de la fidélisation de ses marins et de ses conséquences. En effet, comme en matière de recrutement, les tensions ne sont pas identiques selon les spécialités. La filière nucléaire est, à nouveau, particulièrement concernée, ainsi que d’autres plus petites telles que les hélicoptéristes, les hélitreuillistes, les spécialistes en avionique ou en munitions.

Ces tendances s’expliquent notamment par un marché du travail fortement concurrentiel, en particulier dans la filière nucléaire. Comme l’ont expliqué à votre rapporteur plusieurs interlocuteurs, un officier marinier atomicien peut aujourd’hui multiplier par deux son salaire en travaillant pour EDF ou Orano, de même qu’un mécanicien aéronautique en rejoignant un secteur civil en plein redémarrage après la crise liée au Covid-19. Non seulement les marins ont le savoir-faire recherché par les entreprises mais, en plus, ils peuvent faire valoir un savoir-être qui renforce encore leurs atouts.

À l’attractivité des salaires dans le secteur privé s’ajoutent le poids des contraintes inhérentes au statut militaire et au métier de marin. Si une mobilité géographique régulière et une activité opérationnelle soutenue, incluant de nombreux et longs séjours en mer, sont supportables les premières années, ils le deviennent moins avec l’âge et les responsabilités familiales, incitant de nombreux marins à liquider leur retraite et à rejoindre la vie civile, d’autant plus facilement qu’ils ont des compétences valorisées.

Les conséquences de ces départs de personnels souvent très qualifiés sur la Marine sont naturellement très négatives, en la privant de compétences rares qu’il est en outre compliqué de remplacer. C’est en particulier en matière nucléaire – il faut quinze ans pour former un atomicien, lequel peut faire faire valoir ses droits à pension après dix-sept ans de services – mais également dans d’autres filières très étroites déjà citées (hélicoptéristes, hélitreuillistes, linguistes…) où le départ d’une seule personne affecte directement les capacités de la Marine. En outre, ce départ accroît la charge de travail pesant sur celles qui restent, dégrade leurs conditions de travail et les incite d’autant plus à partir à leur tour, créant un cercle vicieux qui finit par affecter le bon fonctionnement de la marine.

3.   Les réponses de la Marine aux défis des ressources humaines

Consciente de ce défi que sont les ressources humaines et des enjeux qu’ils portent, la Marine a pris de nombreuses mesures tant en matière de recrutement que de formation ou de fidélisation. Ensemble, elles forment un tout cohérent qui, au-delà de leur objectif immédiat, vise à renforcer l’attractivité de la Marine et du métier de marin sur le long terme.

a.   Renforcer la communication et les partenariats pour toucher plus de jeunes et faciliter les recrutements

La nouvelle stratégie de communication 2021-2023, lancée en janvier 2021, met en œuvre la nouvelle « promesse employeur » de la Marine avec sa signature « Rares sont les métiers qui vous emmènent aussi loin ». L'objectif pour la Marine est d'être identifiée par la jeunesse comme un employeur qui recrute et qui forme, et de se différencier sur un marché de l’emploi fortement concurrentiel. Cette nouvelle stratégie de communication repose sur trois piliers : une diversité de métiers, une formation continue et de multiples possibilités d’évolution professionnelle. Cette campagne de communication et de recrutement, prévue pour une durée de trois ans, bénéficie d’un budget de 4 millions d’euros pour la conception et le conseil stratégique, ainsi que d’un budget annuel de 4,5 millions d’euros pour l’achat d’espaces publicitaires.

Le plan média a été entièrement refondu pour favoriser un ciblage plus fin, en adressant un message le plus personnalisé possible aux candidats potentiels. Il s’agit par exemple d’adresser l’offre relative aux métiers de la restauration aux élèves qui suivent des formations ou qui sont en recherche d’emploi dans ce secteur d’activité. Pour augmenter sa présence sur les réseaux sociaux, la Marine a également développé une campagne nationale dédiée, valorisant les métiers ou formations en tension auprès des jeunes. En parallèle, deux campagnes d’affichage ont également été mises en place dans les territoires ultramarins afin de mieux valoriser l’offre employeur de la Marine sur l’ensemble du territoire national.

Enfin, pour pallier le manque de notoriété de certaines filières sous tension RH, la valorisation « métier » promue par la Marine se traduit par la mise en place d’outils spécifiques à destination des candidats comme des conseillers en recrutement (guides, vidéo métier, etc.). Des campagnes publicitaires dédiées (bannières, affichage, TV, réseaux sociaux) mettant volontairement en avant ces postes plus difficiles à honorer, sont déployées lors des temps forts médiatiques de la Marine nationale et/ou de l’ajustement du planning éditorial du site « Lamarine recrute » sur les réseaux sociaux.

Pour l’ensemble des spécialités touchées par les difficultés de recrutement, la Marine nationale a mis en place et poursuit ses efforts de partenariats avec l’Éducation Nationale (BAC pro, BTS), Ces partenariats s’accompagnent de dispositifs spécifiques permettant aux jeunes de découvrir la Marine et ses métiers ainsi que les responsabilités occupées. En outre, elle offre des « bourses cyber » à des jeunes en école d’ingénieur ou en master, en contrepartie d’un engagement de quatre ans une fois diplômés. Enfin, la prime de lien au service (PLS) vient en appui de la politique de recrutement en orientant les candidats à l’engagement vers les métiers/spécialités pour lesquelles la Marine éprouve des difficultés à recruter. L’idée commune à l’ensemble de ces mesures est ainsi de capter la ressource à la source, avant même la sortie du système éducatif, tout en s’assurant autant que possible qu’elle soit bien formée.

b.   Rémunérations et prise en compte des sujétions des marins

La Marine ne sera probablement jamais en état de proposer des rémunérations au niveau du secteur privé et d’ailleurs, tenterait-elle de le faire qu’elle trouverait toujours face à elle des mieux-disants. Pour autant, elle n’est pas dépourvue d’atouts pour fidéliser ses personnels. Pour commencer, son objectif n’est pas de les retenir jusqu’à l’âge de la retraite civile mais seulement quelques années, afin d’alléger la pression sur les effectifs et permettre leur renouvellement dans de bonnes conditions. La prime de lien au service (PLS) précitée, 25 000 euros en contrepartie de trois années de service, est le principal instrument financier pour fidéliser les marins, en particulier dans les filières sous tensions (sous-mariniers ou atomiciens). Bien qu’ayant profité à 2 199 officiers, officiers mariniers, quartiers-maîtres et matelots en 2021 (2 237 en prévisionnel pour 2022), elle souffrirait selon certains interlocuteurs d’une certaine rigidité, à la fois dans son montant et dans sa durée. Pouvoir augmenter l’un et diminuer l’autre donnerait une souplesse renforçant son efficacité à l’adaptant à la variété des situations et des besoins.

Au-delà de la PLS, la fidélisation des marins passe également par une amélioration générale des rémunérations et une meilleure prise en compte de leurs sujétions. Tel est l’objet de la refonte en profondeur du système indemnitaire de la solde des militaires, baptisée « nouvelle politique de rémunération des militaires » (NPRM), qui a été engagée en 2017. Ce projet, qui bénéficie de ressources programmées en LPM, repose sur un aménagement des grilles indiciaires et une rénovation complète du dispositif indemnitaire de l’ensemble des armées, qui est réorganisée autour de trois volets et huit indemnités rémunérant chacune une seule sujétion, mis en œuvre de manière progressive.

Le volet « militarité » traite des sujétions inhérentes au statut militaire. Il est composé de :

– l'indemnité d’état militaire (IEM) ;

– l’indemnité de garnison (IGAR) ;

– l’indemnité de mobilité géographique des militaires (IMGM) ;

Le volet « finalités » a pour l’objet est de valoriser les engagements opérationnels et l’exercice de responsabilités militaires. Ce volet est composé de :

– l'indemnité de sujétions d’absence opérationnelle (ISAO) ;

– la prime de commandement et de responsabilité militaire (PCRM) ;

Le volet « capacités » vise à mettre à la disposition des forces armées et formations rattachées les ressources en quantité et en qualité nécessaires à l’accomplissement de la mission. Ce volet est composé de :

– la prime de parcours professionnels (3PM) ;

– la prime de performance (PERF) ;

– la prime de compétences spécifiques des militaires (PCSMIL).

Ainsi qu’il a été dit, la mise en œuvre de la NPRM se fait progressivement. Au 1er janvier 2021 a été créée l’IMGM, qui a augmenté de 40,5 millions d’euros le budget consacré à la mobilité, porté à 76,7 millions d’euros. L’ISAO, la PCRM et la PERF ont quant à elles été instituées le 1er janvier 2022, pour un montant prévu en LFI 2022 de 70 millions d’euros. Enfin, d’ici à octobre 2023 entreront en vigueur les quatre dernières indemnités de sujétion, pour un montant prévu dans le présent PLF de 101,3 millions d’euros.

Outre un effort budgétaire conséquent, cette réforme interarmées vise également à simplifier la solde pour la rendre plus compréhensible et plus lisible par le militaire, tout en étant mieux pilotable par l’administration.

Enfin, si la NPRM est une réponse structurelle à la question de la rémunération des marins, la Marine a également pris en 2022 des mesures afin de les aider à faire face au retour de l’inflation. Ainsi en est-il du versement de l’indemnité « inflation » sur la solde de févier 2022 pour environ 15 500 marins, la prolongation de la garantie individuelle du pouvoir d’achat, visant ainsi à compenser la perte du pouvoir d’achat en cas de rémunération inférieure, sur 4 ans, à celle de l’indice des prix à la consommation et de l’extension du forfait « mobilité durable », favorisant le recours aux modes de transport alternatifs sur les trajets domicile-travail pour diminuer les dépenses individuelles de carburant et réduire l’emprunte carbone.

c.   L’amélioration des conditions de la vie de marin

Plus peut-être que la rémunération, c’est l’amélioration des conditions de vie des marins, en particulier l’allègement des contraintes opérationnelles et la prise en compte des familles, qui conditionne à la fois le niveau et la qualité du recrutement ainsi que leur fidélité.

Avant 2019, la Marine mettait déjà en œuvre 10 sous-marins et 11 bâtiments de surface à double équipage (dits « B2E »). Dans le cadre du plan « Mercator », l’extension du B2E fait partie de ces mesures emblématiques visant à « limiter la suractivité et de rendre l’activité plus prévisible pour le marin et sa famille en combattant de la sorte les phénomènes d’usure ». Les types de bâtiments identifiés pour cette extension du principe de double équipage sont :

les FREMM, bâtiments récents et à équipage optimisé, dont le niveau de performance entraîne une forte demande opérationnelle, se traduisant par une activité sur toutes les mers, variée, dense et imprévisible ;

les patrouilleurs de service public (PSP) cherbourgeois, que la conjonction d’alertes exigeantes (migrants, trafic commercial en Manche / Mer du Nord, etc.) et d’une population résidant souvent loin de Cherbourg rend particulièrement sensibles à la conciliation entre vie professionnelle et vie privée.

Des unités de ces catégories de bâtiment font ainsi l’objet d’une politique de double équipage, reposant sur le principe de deux équipages (« A » et « B »), complets (du commandant au plus jeune des matelots). Ces équipages alternent la prise en charge de leur bâtiment selon un cycle de quatre mois prédéfini, les périodes de quatre mois hors du bord étant consacrées à des activités organiques, notamment à l’entraînement du personnel sur simulateurs, au soutien du MCO et à la formation. La meilleure conciliation que le B2E permet entre vie privée et vie professionnelle est plébiscitée par les marins, apparaissant comme un facteur déterminant de motivation à naviguer et d’endurance, contribuant ainsi à leur fidélisation autant qu’à leur recrutement.

Les surcoûts associés à cette politique du double équipage sont générés par l’activité supplémentaire qu’elle engendre : de 120 jours de mer à 180 jours de mer pour chaque FREMM et de 100 à 150 jours de mer pour les PSP. Il en résulte une augmentation des coûts de MCO, de carburant et de logistique opérationnelle ainsi qu’un surcoût en personnel compte tenu d’un plus grande nombre d’ISAO. En revanche, elle n’augmente pas les besoins en recrutement car les effectifs des navires à double équipage proviennent notamment de navires d'ancienne génération, retirés du service, et dont les équipages étaient, à tonnage comparable, numériquement bien plus importants. Par conséquent, l'impact en volume sur la gestion prévisionnelle des emplois et compétences est neutre.

Le plan « d’accompagnement des familles et d’amélioration des conditions de vie des militaires 2018-2022 », dit « Plan famille », présenté en 2017, est la réponse apportée par le ministère des Armées aux demandes des militaires d’une meilleure gestion des contraintes liées à leur service. Doté de 530 millions d’euros dans la LPM en cours, il est appliqué par la Marine qui, à la suite d’une vaste consultation interne en 2019, a fait le choix de cibler trois domaines : le célibat géographique, les familles « fragiles » et les conditions de vie au travail. Parmi les mesures mises en œuvre, sont particulièrement significatives :

– la sécurisation de la ligne aérienne entre Toulon et Brest, via des billets à tarifs préférentiels pour les militaires ;

– l’accès au wifi à quai sur les navires, qui sera opérationnel entre 2022 et 2026 selon les types de bâtiments concernés

– La montée en puissance de la cellule d’aide aux blessés et d’assistance aux familles de la Marine (CABAM), chargée de la prise en charge des malades, blessés et de leurs familles, notamment par la mise en place d’une cellule à Brest ;

D’autres mesures contribuent également à l’amélioration des conditions de vie des marins, en particulier lorsqu’ils sont embarqués : développement – sous conditions – du Wifi à bord ou remplacement des plus anciens bateaux par des bateaux modernes plus confortables, avec des cabines quadruples plus nombreuses et des sanitaires privatifs, autant d’amélioration qui participent à l’attractivité de la Marine auprès des jeunes et à leur fidélité au cours des années à venir.

4.   La réserve

a.   La réserve opérationnelle

La LPM 2019-2025 a fixé, pour les armées, un objectif global de 40 000 réservistes sous engagement à servir dans la réserve (ESR) pour un emploi annuel moyen d’environ 37 jours.

Pour la Marine, ces réservistes représentent environ 14 % des effectifs totaux, avec un objectif de 5 600 ESR pour 2022, hors Gendarmerie maritime, pour une durée moyenne annuelle des activités qui était, globalement, de 40 jours en 2021.

La réserve opérationnelle constitue une ressource indispensable au fonctionnement de la Marine et à la tenue de son contrat opérationnel. À ce titre, elle constitue une composante pleinement intégrée de la Marine, qui lui permet de disposer de renforts individuels d’anciens marins d’active et de jeunes dans tous ses domaines d’emploi et d’expertises spécifiques. Au 31 décembre 2021, elle a été utilisée pour les activités suivantes :

– opérations : 54 % des effectifs réalisés, dont la protection du territoire national et opérations intérieures et extérieures (37,5 %) et le soutien et les compléments opérationnels (16,5 %) ;

– autres activités : 46 % des effectifs réalisés dont le recrutement et le rayonnement (19 %), à travers notamment 85 centres de préparation militaire Marine (PMM) répartis sur tout le territoire français, et le soutien général (27 %).

Le coût de la réserve opérationnelle est retracé dans le tableau suivant, avec cette précision que le coût pour 2023 n’a pas encore été arbitré :

b.   La réserve citoyenne

Deuxième composante de la réserve militaire, la réserve citoyenne (RCIT) a pour objectif le renforcement de l’esprit de défense, le rayonnement des armées et l’apport d’expertise. En ce qui concerne la Marine, la RCIT est constituée d’environ 470 personnalités d’influence, issues de tous les secteurs de la société civile.

Elle est un vecteur privilégié pour diffuser les messages que la Marine nationale souhaite véhiculer. Citoyens déjà convaincus par l’action de cette dernière et par le fait maritime, les réservistes qui composent ce vivier disposent pour la plupart de réseaux personnels, qui sont autant de leviers d’influence stratégiques. En outre, bon nombre apportent leur expertise particulière et leurs compétences à l’institution, notamment via les travaux de réflexion des groupes Alidade.

Les RCIT sont donc à la fois :

des ambassadeurs de la Marine nationale au sein de la société civile : ils constituent des réseaux d’influence que le centre d’études stratégiques de la Marine nationale (CESM) peut alimenter, orienter et dynamiser ;

des bénévoles au service de la Marine, apportant leur expertise et répondant à des besoins spécifiques de l’institution et travaillent en lien direct avec leur autorité militaire de rattachement ou au sein d’un groupe de réflexion.

Le recrutement, l’animation et l’emploi des réservistes citoyens sont pilotés par le CESM précité, en lien étroit avec les autorités militaires locales. Ce pilotage est adapté en fonction des catégories de réservistes citoyens et de leurs situations géographiques.

IV.   Face au durcissement de l’environnement stratégique, le format de la Marine doit être rehaussé dans la prochaine LPM, sauf à sacrifier les ambitions de notre pays

A.   Un format 2030 qui apparaît désormais inadapté aux enjeux de défense de notre pays

1.   La métamorphose de la menace

a.   Une menace désormais présente sur l’ensemble des mers et océans

Ces dernières décennies, la mer a été perçue comme un espace de circulation et d'échanges, un sanctuaire à exploiter sans entrave et un point commode à partir duquel projeter sa puissance à terre. La mer était moins source de dangers que d’opportunités et le droit de la mer et la liberté de circulation en haute mer étaient, d’une manière générale et malgré quelques crises ponctuelles, respectés.

Aujourd’hui, force est de constater que mers et océans sont devenus – redevenus plutôt car ils l’ont été pendant des siècles – des espaces de compétition et de confrontation entre les puissances. Il est inutile de revenir sur les multiples exemples, déjà évoqués, que sont les luttes pour l’exploitation des ressources naturelles en Méditerranée, les stratégies de conquête territoriale qui sont à l'œuvre dans certains espaces maritimes, comme en Indopacifique ou, une fois de plus, en Méditerranée, et, bien sûr, la guerre en Ukraine qui a vu le retour de la haute intensité y compris sur mer, avec la destruction de navires guerre et de commerce. Avec le changement climatique, de nouvelles voies de navigation vont apparaître dans l’océan arctique, ouvrant l’Atlantique aux bateaux chinois et mettant, ici aussi, les puissances en concurrence pour l’exploitation des ressources naturelles.

Ce qui frappe votre rapporteur est la globalité de la menace qui, comme la mer, ne connaît pas de frontière. L’ensemble des mers et océans est, d’une manière ou d’une autre, objet de tensions. Non seulement la mer n’est plus un sanctuaire mais en mer, il n’y a plus de sanctuaire. La menace est partout et présente sur l’eau, au-dessus et en dessous.

La mer ne connaissant pas de frontière, la menace se projette. La Marine chinoise pourra demain être en Atlantique, voire en Méditerranée, comme elle est aujourd’hui à Djibouti, dans l’océan Indien et, évidemment dans le Pacifique. Quant aux Russes, dont les forces maritimes sont quasiment intactes, ils conservent la capacité de se déployer sur toutes les mers du globe et ne cachent pas leur intention de multiplier les points d’appuis (voir supra).

b.   Une menace plus intense, aux conséquences plus graves

Globale, la menace en mer se fait aussi plus intense. Le réarmement naval est massif, comme votre rapporteur l’a analysé supra. Il concerne l’ensemble des puissances navales de la planète et toute la gamme des équipements. En d’autres termes, aujourd’hui et plus encore demain, les menaces auxquelles seront confrontées nos marins ne sont plus celles du terroriste sur son boutre ou du pirate sur son hors-bord mais du porte-avions, du croiseur et du sous-marin, tous lourdement armés et n’attendant plus que l’ordre de les utiliser, dans un contexte où les freins traditionnels à l’usage de la force que constituaient l’interdépendance économique et les règles juridiques internationales ne fonctionnent plus. A la guerre asymétrique et de basse intensité à laquelle la France et l’Occident s’étaient habitués se substitue donc la possibilité d’une guerre interétatique de haute intensité.

Dans ces conditions, comme l’a déclaré le CEMM aux élèves de l’École navale en septembre 2020, ceux-ci « vont probablement connaître le feu à la mer » et devaient par conséquent « s’y préparer ».

Ce retour de la haute intensité dans le combat naval – dont la guerre en Ukraine est le symbole – s’accompagne d’une transformation dudit combat par le recours croissant à des modes d’action hybrides et larvés mêlant le régulier et l’irrégulier, le militaire et le civil, la communication et l’ambiguïté. Ces actions compliquent l’attribution des agressions et brouillent la lecture des intentions ainsi que, logiquement, la réponse à apporter.

Enfin, si la métamorphose du combat naval expose désormais directement les hommes à la mort, elle n’est pas sans conséquence pour les États eux-mêmes. La pandémie du Covid-19 a montré à quel point nous étions dépendants des flux commerciaux, lesquels repose sur le transport maritime et la liberté de circulation en haute mer. La dépendance s’est même accrue pour l’Union européenne maintenant que l’essentiel de son approvisionnement énergétique se fera par la voie maritime, en provenance du Moyen-Orient, du Maghreb ou de l’Amérique du Nord. Le combat naval ou, sans aller jusqu’à cet extrême, la simple démonstration de puissance navale, par le blocus d’un détroit ou le minage d’une zone stratégique, n’aura pas seulement des conséquences politiques ou militaires mais d’autres très concrètes, en déstabilisant l’économie d’un État et en impactant directement sa population, même sans destruction et même s’il est situé à des milliers de kilomètres de la zone de conflit et non-impliqué dans ce dernier.

Enfin, comme ne pas évoquer, à la lumière du récent sabotage du gazoduc Nord Stream en Mer Baltique, l’importance stratégique des fonds marins, par lesquels transitent non seulement des flux énergétiques mais également – voire surtout – l’information via les câbles sous-marins. Qu’une puissance hostile coupe ces câbles et l’économie mondiale sera plus perturbée qu’elle ne l’est aujourd’hui avec le conflit ukrainien.

Par ailleurs, votre rapporteur n’oublie pas que cette menace plus intense n’est pas seulement militaire. Le changement climatique emporte également avec lui son cortège d’effets néfastes tout aussi susceptibles de menacer notre pays et ses alliés qu’une armée hostile. Ouragans, sécheresses et montée des eaux auront des effets dévastateurs sur les territoires, les États et les populations qui y seront confrontés, parfois français, en particulier les territoires d’outre-mer, parfois dans notre voisinage proche, avec des risques de déstabilisation interne mais également de conflits interétatiques compte tenu d’une compétition accrue pour les ressources naturelles, à commencer par la plus précieuse de toutes : l’eau.

c.   Une menace qui se nourrit aussi de notre faiblesse

Si la Russie a envahi l’Ukraine, c’est en raison du (mauvais) calcul du président Poutine qui n’avait anticipé ni la résistance du peuple ukrainien ni le soutien massif – financier et militaire – que lui ont apporté les États occidentaux. La décision immédiate des États-Unis et des pays européens de livrer des armes, des munitions et des équipements à l’armée ukrainienne, y compris des technologies aussi avancées que les canons français Caesar ou les lance-roquettes américains Himars, ainsi que le partage en temps quasi-réel des informations sur les mouvements de troupes ou les cibles russes, ont incontestablement changé la donne sur le terrain. Ils ont permis à l’armée ukrainienne d’encaisser le choc de l’invasion, de reculer en bon ordre et, à partir de cet été, de commencer à reconquérir des territoires sur une armée russe en proie au doute.

Le président Poutine avait donc, s’agissant des États occidentaux, probablement tablé sur leur faiblesse, calculé qu’ils se borneraient, comme par le passé, à de grandes déclarations mais qu’ils n’iraient pas au-delà, surtout les États européens dépendants de ses exportations d’hydrocarbures. Il faut dire que la première guerre russo-ukrainienne lui donnait raison. À ce propos, comment ne pas faire le lien entre la décision du président Obama de ne pas bombarder la Syrie en septembre 2013, malgré l’utilisation prouvée d’armes chimiques présentée comme une ligne rouge, et celle du président Poutine, quelques mois plus tard d’annexer la Crimée ? Ayant fait preuve de faiblesse à deux reprises, il pouvait lui sembler probable que les États occidentaux continueraient dans cette voie, surtout après le retrait piteux d’Afghanistan en août 2021, lui-même faisant suite au désastre de la deuxième guerre en Irak. La perception d’un Occident comme faible a ainsi pu l’inciter à jouer de sa puissance et agresser une nouvelle fois l’Ukraine.

Le prix de la faiblesse est ainsi bien plus élevé que celui de la force et il n’y a pas de raison de douter qu’à l’avenir, toute faiblesse réelle ou supposée d’un État sera désormais immédiatement saisie par ses compétiteurs et considérée comme une opportunité pour remettre en cause les situations acquises, notamment les frontières, y compris par la force, d’autant plus que cette force pourra s’appuyer sur un réarmement massif et une désagrégation plus ou moins avancée de l’ordre juridique international. Aujourd’hui, c’est la Russie mais demain, ce peut être la Chine.

À ce propos, il ne fait pas de doute qu’une réaction timorée des États-Unis et de l’Occident en Ukraine aurait constitué un très mauvais signal adressé à Taïwan et encouragé la Chine, le moment venu, à régler ce « problème » la même manière que les Russes.

Ce signal adressé à la Chine est, très probablement, aussi l’une des raisons qui ont poussé les États-Unis à intervenir aussi massivement en Ukraine, avec la volonté d’affaiblir autant que possible la Russie pour mieux se concentrer à l’avenir sur l’Indopacifique. La Chine et ses ambitions de suprématie mondiale restent en effet, malgré l’attention portée aujourd’hui à la Russie et au théâtre européen, la priorité absolue de la politique étrangère américaine. Une fois cette guerre terminée, avec une Russie durablement affaiblie, rien n’incitera plus les États-Unis à rester engagés en Europe, laquelle risque ainsi de se retrouver bien seule face aux menaces présentes dans son voisinage et au-delà.

2.   Le format de la Marine prévu dans la LPM 2019-2025, qui a permis de gros efforts capacitaires, apparaît désormais insuffisant pour faire face aux menaces à venir

Cette métamorphose de la menace est parfaitement prise en compte par la Marine, comme le montrent le plan Mercator présenté en 2018 et son accélération décidée en 2021. Prenant acte de la dégradation du contexte géostratégique, du risque d’escalade entre les puissances et du retour – jugé à l’époque possible et finalement avéré – de la haute intensité dans le combat naval, la Marine s’est fixée, entre autres objectif, d’être en mesure de réaliser et de remporter un combat de haute intensité. Un tel objectif implique non seulement d’intensifier la préparation opérationnelle mais également d’accélérer la prise en compte de l’innovation et ou de renforcer la force morale, le leadership et le savoir-être de chaque marin.

L’exercice Polaris, en novembre 2021, constitue l’une des mises en œuvre concrète de cette nouvelle ambition. 25 bateaux, dont le porte-avions Charles de Gaulle, et 65 aéronefs (dont 20 Rafale Marine), 6 000 militaires français et étrangers dont 4 000 marins français, ont ainsi participé à un exercice inédit par son ampleur et sa haute intensité, en plus d’intégrer les nouvelles dimensions de la conflictualité que sont notamment les médias ou le cyberespace.

Toutefois, malgré cet engagement de l’ensemble de la Marine pour être en mesure de répondre à ces nouvelles menaces, celle-ci reste contrainte par un format issu du Livre blanc de 2013, lui-même l’ultime avatar des plans qui, depuis 1989, avaient réduit de moitié les capacités de la Marine, même si l’ensemble des capacités-clé ont été maintenues. Le format prévu pour 2030 est le suivant :

– 15 frégates – 8 FREMM, 2 FDA et 5 FDI ;

– la capacité d’opérer sur deux à trois théâtres simultanément ;

– une mission-cadre.

Certes, d’ici à 2030, la Marine aura vu un très grand nombre de ses bateaux renouvelés, à l’exception du porte-avions et des frégates de surveillance, mais ce renouvellement s’est fait un pour un, sans augmentation du format. Or, cette menace n’est plus circonscrite à deux ou trois théâtres simultanément. Aujourd’hui, la défense des intérêts de la France conduit notre Marine à être présente en Méditerranée, dans le Golfe de Guinée et au Proche-Orient, sans oublier l’Indopacifique, soit au minimum quatre théâtres d’opérations. Non seulement la menace s’est globalisée mais elle s’est également intensifiée, comme indiqué supra, au point que « la mer ressemble à une banlieue où les gens auraient brutalement troqué leurs matraques et Tasers contre des kalachnikovs pour régler leurs différends », pour reprendre les mots de l’amiral Vandier ([6]). Lequel poursuit : « je n’imagine pas que des pays dépensant autant d’argent pour s’offrir une Marine puissante ne nourrissent pas d’arrière-pensées. En disant cela, je n’anticipe pas la survenue d’une nouvelle bataille de l’Atlantique au 21ème siècle, je souligne que des gens se donnent les moyens de mettre au défi notre réponse. Il faut donc que nos forces soient capables de les affronter le jour où cet ordre leur sera donné ».

Aujourd’hui, même si ses moyens ont été réduits et sont utilisés sur le terrain jusqu’à l’extrême limite de leurs possibilités, la France est encore capable de défendre ses intérêts et les valeurs qui sont les siennes, de porter secours à des pays agressés comme l’Ukraine, de mettre à la mer trois SNLE face à la Russie ou d’envoyer un SNA défendre la liberté de circulation en mer de Chine. Compte tenu de la métamorphose des menaces, il n’est pas certain que ce soit encore le cas demain si les efforts ne devaient être maintenus. Notre modèle demande constance et persévérance comme c’est désormais le cas depuis 2018.

B.   La nécessité d’une nouvelle ambition pour la Marine dans la future LPM, reflet de celle de notre pays

1.   Le choix d’une ambition pour notre pays

Après la chute du mur de Berlin et l'effondrement du bloc soviétique, la paix semblait acquise et la guerre devenue impossible. Certains ont même parlé de « fin de l’Histoire » permettant enfin à l’humanité de toucher les dividendes de la paix – du moins en Occident car la guerre n’a en réalité jamais cessé ailleurs. En conséquence, les lois de programmation militaires qui se sont enchaînées dans les années quatre-vingt-dix (trois entre 1990 et 1997), sans jamais être respectées d’ailleurs, ont toutes poursuivi le même objectif d’une diminution accélérée du budget de la défense, avec pour conséquence, vingt ans plus tard, une réduction du format de toutes les armées, au point que la Marine actuelle, il faut encore le rappeler, est la plus petite depuis 1945.

Ce choix qui a été fait dans les années quatre-vingt-dix, était conforme à l’état de la menace comme de ses évolutions jugées alors probables. Pendant les deux décennies qui ont suivi, ce fut le cas et malgré la baisse de leurs moyens, nos armées ont pu assurer leurs missions sur les différents théâtres où elles ne faisaient face qu’à des menaces de basse intensité et asymétriques, en particulier terroriste, dans un environnement globalement stable où ni la Russie, ni la Chine, ni la Turquie n’étaient ouvertement hostiles, tandis que le changement climatique n’avait pas encore commencé à produire ses effets.

Aujourd’hui, tout est différent. Si l’on voulait croire la guerre impossible, depuis le 24 février 2022, c’est la paix qui l’est devenue. Sans qu’il soit nécessaire de développer à nouveau la métamorphose de la menace intervenue ces dernières années, il faut néanmoins insister sur le fait que l’ère de paix (relative) qu’a connue l’Occident, uniquement exposé à la menace asymétrique et à basse intensité du terrorisme, est définitivement terminée. La montée sourde des tensions à l’œuvre depuis les années 2010 a basculé vers une conflictualité ouverte. La guerre de haute intensité est de retour aujourd’hui en Europe et peut-être demain en Indopacifique ou ailleurs, là où les conflits anciens resurgissent, où de nouveaux apparaissent, exacerbés par les volontés de puissance antagonistes aujourd’hui et les effets dévastateurs du changement climatique demain.

Au cœur de l’Europe mais engagée, par son histoire, ses intérêts et ses territoires, sur toutes les terres et l’ensemble des océans, la France est, de fait, exposée à ces nouvelles menaces qui vont aller croissantes dans les années et les décennies à venir. Or, faire face à celles-ci n’exige pas seulement de notre pays qu’il se réarme mais qu’il révise sa doctrine, ses scénarios d'emploi et son modèle d'armée pour les décennies à venir. En réalité, la question des moyens est la dernière à devoir être tranchée, la première étant celle de l’ambition que se donne notre pays et des missions qu’il confie à ses armées et la deuxième celle du degré d’indépendance.

Première question : que doit être capable de faire la Marine ? Ses grandes missions, rappelées supra, resteront inchangées mais, sauf pour la dissuasion, leur portée doit être précisée. Doit-elle être en mesure d’intervenir sur deux, trois, quatre théâtres ou plus simultanément ? De mener une mission-cadre, ou plus ? Doit-elle être mobilisable dans des pays étrangers pour des missions relevant de l’action de l’État en mer (aide aux victimes de catastrophes naturelles, lutte contre la piraterie, les trafics et la pollution…) ? Doit-elle être capable de se projeter et si oui, jusqu’où ? Enfin, jusqu’où aller dans l’engagement de haute intensité, question majeure qui interroge la capacité de la Marine – et de la Nation – à accepter les pertes humaines et matérielles et, par conséquent, celle de la résilience des marins et de notre BITD qui seront appelés à les combler.

Deuxième question : doit-elle être capable de le faire seule ou en coopération. Une fois tranchées les missions de notre Marine, la question se pose en effet de savoir si celle-ci doit être capable de les assumer seule, en toute indépendance, ou si cette capacité s’entend de manière collective, avec l’aide d’alliés et de partenaires ? Cette question, qui a une dimension autant opérationnelle qu’industrielle, pose celle du rapport de notre pays à l’OTAN et à l’Union européenne ainsi qu’avec ses principaux partenaires, à commencer par l’Allemagne.

Troisième question : quels doivent être les moyens de la Marine ? La réponse à cette dernière question, qui implique des choix capacitaires et technologiques structurants, est évidemment étroitement dépendante de celle apportée aux deux précédentes. Qu’ils s’agissent d’équipements, d’effectifs, de munitions, d’infrastructures ou de MCO, l’ampleur des moyens dépend directement du niveau d’ambition fixé à la Marine par les autorités politiques.

Il reviendra à la prochaine LPM, dont le projet sera présenté au début de l’année prochaine, d’apporter des réponses à ses trois questions et, ainsi, de fixer le niveau d’ambition de notre pays pour sa défense. Toutefois, sans attendre celui-ci, votre rapporteur soutient qu’un niveau élevé d’ambition est, pour notre pays, la seule réponse conforme à l’Histoire qui est la sienne. Affaiblir notre ambition serait renier tout ce qui, depuis des siècles, a fait la France ; ce serait aussi une décision dangereuse alors que l’intensité de la menace augmente partout et que l’ensemble de nos compétiteurs mais aussi de nos alliés, à commencer par l’Allemagne, rehaussent la leur et se donnent les moyens de l’atteindre. Dans ces conditions, notre pays est à la croisée des chemins :

– soit il affiche ses ambitions et se dote des capacités nécessaires pour tenir son rang et continuer à jouer rôle qui est le sien depuis toujours sur la scène internationale ;

– soit il les réduit, dans une plus ou moins grande proportion, se donnant d’autres priorités que la défense, acceptant par conséquent un lent déclassement qui se paiera, dans les prochaines décennies, par la perte de la maîtrise de notre destin et de notre capacité à peser sur la marche du monde.

Il y a une troisième, peut-être la pire aux yeux de votre rapporteur : fixer un niveau élevé d’ambition mais sans nous en donner les moyens et, ainsi se décrédibiliser définitivement devant le monde entier.

Jusqu’à récemment, la situation internationale pouvait laisser penser qu’une montée progressive des tensions nous permettrait de remonter en puissance avant la guerre. Or, force est de constater que le temps s’accélère, que les menaces s’accroissent, que la course aux armements s’accentue, que les conséquences du changement climatique sont chaque jour plus visibles, mettant à l’épreuve tant que les doctrines que les budgets, les outils industriels que les responsables politiques. Or, comme l’a rappelé l’amiral Vandier dans son audition du 27 juillet dernier, « l’outil militaire, particulièrement l’outil naval, se forge dans la durée. Il faut vingt ans pour former un commandant de sous-marin et autant de temps pour construire son bateau. C’est la génération de nos parents qui a dessiné et construit le Charles-de-Gaulle. C’est à la nôtre qu’il revient de construire les outils militaires qui défendront la génération de nos enfants et petits-enfants dans les quarante prochaines années ». Le temps s’accélère, celui de la décision politique presse et si l’avenir est incertain, le principe de précaution doit nous guider, en matière de défense comme dans les autres, à envisager le pire pour mieux le prévenir.

2.   Les moyens de cette ambition

a.   Augmenter le format de la Marine, s’appuyant notamment sur des frégates supplémentaires, un deuxième porte-avions et des drones

Votre rapporteur tient à le rappeler à nouveau. Le format actuel de la Marine, qui repose sur un porte-avions et quinze frégate de premier rang – et encore, après 2030, n’est clairement pas adapté à la Menace actuelle et encore moins future, tout en exposant la Marine, dans l’accomplissement de ses missions, à une suractivité qui épuise marins et matériels. Déployée aujourd’hui sur de nombreux théâtres – Atlantique, Méditerranée, golfe Persique et golfe de Guinée, il ne lui reste donc rien ou pas grand-chose pour l’Indopacifique, à part quelques missions de temps en temps, pour rappeler que la France existe. Dans ces conditions, le retour au format d’avant le livre blanc de 2013 – dix-huit frégates de premier rang - apparaît comme le strict minimum.

Au-delà des frégates, l’une des questions majeures à trancher dans les prochaines années sera celle d’un deuxième porte-avions identique au PA-NG.

Le choix a été fait, en 2020, de confirmer la construction d’un porte-avions de nouvelle génération – écartant ainsi le risque de voir la France abandonner une capacité majeure qu’elle détient depuis au moins le Béarn, armé en 1928, et qui apparaît désormais plus que jamais nécessaire.

L’atout de puissance que constitue un porte-avions n’est en effet plus à démontrer. La fonction d’un porte-avions est, avant tout, de délivrer de la supériorité aérienne, laquelle est aussi indispensable aux opérations maritimes qu’elle l’est aux opérations terrestres. Employés majoritairement en soutien des opérations terrestres depuis la fin de la Guerre Froide, dans des espaces peu militarisés, comme l’Afghanistan ou l’Irak, les porte-avions sont en train de retrouver leur rôle dans le combat naval. Le réarmement naval actuel recentre en effet le porte-avions sur son rôle tactique de « système d’armes de supériorité navale », notamment par sa capacité à frapper vite et loin des objectifs navals. Il n’est pas aujourd’hui possible, dans une guerre de haute intensité face à un ennemi puissamment armé, de remporter un combat naval sans supériorité aérienne.

Or, dans l’océan Indien comme dans l’océan Pacifique, à des milliers de kilomètres de toute base aérienne, une telle supériorité n’est pas possible sans porte-avions. C’est la raison pour laquelle de nombreux pays qui n’ont pas encore de porte-avions en construisent ou l’envisagent tandis que ceux qui ont déjà les multiplient. La Chine en comptera bientôt trois en service tandis que les États-Unis, selon le plan « Force Design 2045 », en veulent douze contre dix actuellement, et que l’Inde vient d’admettre au service l’INS Vikrant, lequel va désormais épauler l’INS Vikramaditya. Le Japon a également franchi le pas en convertissant ses deux « destroyers porte-hélicoptères » en porte-aéronefs. Plus près de nous, le Royaume-Uni en compte deux alors que, en Italie, l’ITS Cavour a été rejoint par l’ITS Trieste. Enfin, la Turquie envisage aussi de se doter d’une telle capacité.

L’autre avantage majeur du porte-avions est sa mobilité géographique, laquelle démultiplie la puissance de l’arme aérienne embarquée. Cette mobilité permet non seulement un positionnement au plus près des zones d’opérations mais également la possibilité de voir ses missions réorientées avec un faible préavis, comme cela a été le cas au déclenchement de l’invasion de l’Ukraine. Il est de ce fait, par son caractère intrinsèquement expéditionnaire, un outil nécessaire pour entrer en premier sur un théâtre éloigné de la métropole comme l’est, par exemple, l’Indopacifique.

Enfin, c’est un outil stratégique sans équivalent au service d’une volonté politique pour peser dans les crises. Dans la manœuvre diplomatique qui précède le déclenchement d’une crise, l’appareillage du groupe aéronaval est un message puissant qui peut être mis en œuvre dans des délais relativement courts. Il n’a pas d’équivalent et s’insère dans la palette de signaux stratégiques entre l’envoi d’une frégate ou la mise en alerte d’unités et l’appareillage de SNLE.

Consciente de l’atout que constitue le porte-avions, la France en a aligné deux jusqu’au début des années 2000. Depuis le retrait du Foch et du Clémenceau, elle ne dispose cependant plus que du seul Charles-de-Gaulle. Or, disposer d’un seul porte-avions signifie, en pratique, ne pouvoir l’utiliser qu’entre 65 et 70 % du temps compte tenu de ses opérations régulières de maintenance (arrêt technique majeur de deux ans, arrêts intermédiaires de six mois…). En outre, lorsque le Charles-de-Gaulle est en opération, il doit consacrer une partie de son temps et de son équipage à la formation et à la qualification. En effet, il est nécessaire d’entraîner régulièrement les pilotes de l’aéronavale, sauf à les voir perdre rapidement des capacités de haut niveau qu’il leur sera ensuite très long de récupérer.

Pour ces raisons, un seul porte-avions n’est pas suffisant et notre pays, comme l’Italie ou le Royaume-Uni, se doit de retrouver la capacité qui était la sienne jusqu’au début des années 2000, c’est-à-dire deux porte-avions. Toutefois, votre rapporteur tient à préciser qu’il s’agirait bien de deux porte-avions et non de deux groupes aéronavals, même si quelques appareils supplémentaires, voire une flottille de plus, auraient évidemment toute leur place dans cette configuration. Limiter ce changement de format à un porteur supplémentaire en réduit évidemment le coût, qui par ailleurs n’attendrait pas celui du PA-NG en raison des économies liées à l’effet de série. On peut estimer que son coût serait ainsi de 30 % inférieur.

Enfin, le dernier argument fort en faveur du deuxième porte-avions est l’existence, en 2038, à la date de retrait du Charles-de-Gaulle, de deux équipages de porte-avions. En effet, afin d’éviter une rupture majeure de capacité, un tuilage devra être fait autour de 2035 entre ce dernier et le PA-NG, lequel nécessite la formation de deux équipages. Pendant deux ou trois ans, notre pays disposera ainsi de deux porte-avions et de deux équipages mais à l’issue de ce tuilage, une fois le Charles-de-Gaulle retiré du service, l’un d’entre eux se retrouvera affecté ailleurs, à moins de disposer d’un deuxième porte-avions.

La décision de se doter d’un deuxième porte-avions, pour nécessaire qu’elle apparaisse à votre rapporteur, n’est pas urgente, les études du PA-NG commençant à peine. Toutefois, elle ne doit pas non plus être repoussée au-delà de 2027 pour des raisons financières et industrielles. Plus la commande du deuxième PA-NG sera proche de celle du premier, plus il sera possible de faire des économies d’échelle et, par conséquent, de réduire son prix mais également le coût du MCO. En effet, avec un long délai entre les deux commandes, les deux porteurs ne seront pas identiques, les composants seront différents, les fournisseurs pourront avoir changé etc…

Enfin, votre rapporteur considère que le nouveau format de la Marine qu’il appelle de ses vœux devra faire une place importante aux drones, lesquels présente un triple levier :

– un levier en termes de ressources humaines, en ce qu’ils remplacent des moyens humains – lesquels ne vont probablement pas augmenter dans la prochaine LPM – en particulier pour les actions de surveillance et de repérage ;

– un levier financier. En remplaçant des matériels lourds et coûteux tels que des hélicoptères ou des avions, les drones permettent de diminuer considérablement le coût des opérations ;

– un levier en termes de risques. Ils permettent une réduction des risques par rapport aux autres moyens habités, la perte d’un drone n’équivalant pas celle d’un hélicoptère ou d’un avion, autorisant dès lors des approches de cibles dangereuses que ces derniers ne feraient pas ;

Toutefois, tous les drones n’ont pas la même utilité et, de ce fait, n’appellent pas le même investissement de sa part.

Les drones aériens apparaissent particulièrement utiles pour la surveillance et le repérage, remplaçant avantageusement un hélicoptère ou un avion pour une tâche répétitive mais également parfois dangereuse, incluant un risque de perte en cas d’approche des cibles. En outre, ils augmentent la bulle de connaissance des bateaux, en élargissant considérablement la surface surveillée jusqu’à une vingtaine de miles. C’est le cas notamment des systèmes de mini-drones marine (SMDM) destinés aux frégates et aux patrouilleurs et du S100, embarqués sur les PHA. Enfin, des essaims de drones pourraient également être envoyés à l’avant, en éclairage ou afin de saturer les défenses anti-aériennes de l’ennemi.

Les drones sous-marins ont également des avantages, en particulier en matière de lutte anti-mines qui sera probablement complètement « dronisée » au cours des vingt prochaines années. Le SLAM-F présenté supra en est le précurseur. Toutefois, il reste encore de nombreuses difficultés à régler, notamment le risque de capture ou de perte découlant de la nécessaire autonomie du drone en milieu sous-marin imperméable aux ondes.

Enfin, si les drones de surface semblent présenter moins d’intérêt, leur faible signature radar est un avantage pour éclairer ou défendre au loin, en essaim, d’une force aéronavale, voire protéger un port.

Un dernier point sur les systèmes d’armes et les munitions, sans lesquels les bateaux ne pourraient pas remplir correctement leurs missions. Comme indiqué supra, alors que les budgets baissaient drastiquement dans les années 2000 et 2010, la Marine a fait le choix de conserver son activité afin de préserver ses compétences essentielles, trouvant les économies demandées notamment dans la réduction drastique de son stock de munitions. Ce choix, qui pouvait être justifié à l’époque, ne l’est plus aujourd’hui. À l’heure de la haute intensité, il n’est plus possible d’aller au combat avec quelques jours de munitions en stock.

Or, reconstituer ces stocks ne se fera pas du jour au lendemain. Comme toujours en matière de défense, le temps est long entre la décision et la réalisation. Il faut en effet plusieurs années à MBDA pour délivrer une commande de munitions complexes telles que des missiles. Votre rapporteur salue donc le choix fait par le PLF 2023 de mettre l’accent sur les munitions, avec 2 milliards d’euros en AE permettant de commander, pour l’ensemble des armées, 100 Akeron MP, 100 Aster 30, une centaine de Mica, 700 bombes, 10 000 obus de 155 mm…, soit 33 % de plus qu’en 2022 et 60 % de plus qu’en 2019.

b.   Réinvestir l’OTAN à court terme, développer l’Europe de la défense à long terme

L’une des conséquences stratégiques de la guerre en Ukraine identifiées par votre rapporteur est la place désormais incontestée de l’OTAN dans la défense de l’Europe. Même si notre pays n’a pas changé son discours et continue de promouvoir l’autonomie stratégique européenne, la vérité est qu’il ne porte plus auprès de ses partenaires européens. Face à la menace existentielle que constitue la Russie et au spectacle quotidien des conséquences humaines et matérielles de la guerre de haute intensité, la défense de l’Europe se fait et continuera à se faire dans le cadre de l’OTAN.

Votre rapporteur considère qu’il est dans l’intérêt de la France de s’investir plus fortement dans les opérations de l’OTAN qui, aujourd’hui, est le creuset de l’interopérabilité en Europe. Elle le peut d’autant plus que les règles d’engagement ont changé qu’il n’est plus désormais nécessaire de s’engager pour six mois – durée incompatible avec les autres engagements de notre Marine – dans une opération de l’OTAN. En retrouvant de l’influence dans l’OTAN, elle en gagnera sur ses partenaires européens pour qui l’OTAN est la clé de voûte de leur politique de défense et le cadre unique de leur pensée stratégique.

Un tel réinvestissement, d’ailleurs en cours, notamment dans le cadre de la réassurance sur le flanc Est, n’est donc pas incompatible avec l’objectif de long terme d’une autonomie stratégique européenne. Bien au contraire, il peut y contribuer bien plus que des discours désormais inaudibles.

c.   Poursuivre l’amélioration des conditions de vie des marins et les préparer aux futurs combats navals de haute intensité

La Marine, ce n’est pas seulement des bateaux et des systèmes d’armes mais aussi et surtout des hommes et des femmes dont l’engagement, tous les jours, toute l’année, lui permettent d’accomplir ses missions. Le défi que constituent les ressources humaines pour la Marine, qu’il s’agisse du recrutement, chaque année, de 4 000 jeunes, de leur formation au plus haut niveau et, bien sûr, de leur fidélisation, a été longuement développé supra, ainsi que les réponses que celle-ci lui apporte.

Dans la droite ligne de ses propositions précédentes sur le format de la Marine, votre rapporteur s’est également interrogé sur l’ambition que celle-ci devrait avoir pour ses marins compte tenu des enjeux à venir et, notamment, du retour probable du combat naval de haute intensité.

En premier lieu, il lui faudra poursuivre l’amélioration des conditions de vie des marins, sans laquelle les difficultés de recrutement et de fidélisation ne feront que s’aggraver. Celle-ci passe notamment par la mise en œuvre effective des dispositions du « plan famille » et le prolongement du « plan hébergement » au-delà de 2025. L’arrivée des nouveaux bateaux devrait, quant à elle, améliorer le quotidien du marin embarqué par un plus grand confort à bord.

En deuxième lieu, votre rapporteur insiste sur la rupture évoquée supra que constitue la guerre en Ukraine en ce qu’elle marque le retour de la guerre de haute intensité après plusieurs décennies de guerre asymétrique en notre faveur, principalement à terre et marquée par une supériorité aérienne totale sur nos ennemis. Désormais, il faut envisager le retour du combat naval, face à des États puissamment armés sur mer et dans les airs, disposant de technologie de guerre hybride et de valeurs et de règles à l’opposé des nôtres. En conséquence, le risque de destruction d’un bateau et de mort en mer, très improbable jusqu’à présent, redevient une possibilité, sinon une probabilité qui ira croissante à mesure que les menaces se feront plus intenses.

Dans ces conditions, il n’est plus possible de raisonner demain comme hier ni de former les marins, depuis le matelot jusqu’au pacha de porte-avions ou de SNA sans tenir compte des nouvelles menaces et des réponses à leur apporter, elles aussi très différentes de celles d’aujourd’hui. En effet, dans un combat asymétrique, toute la formation des marins, leurs réflexes comme les règles opérationnelles visent à maîtriser l’escalade, avec la volonté assumée et connue d’engager la force le plus tard possible. Or, dans le cas d’un combat naval de haute intensité, ces règles et ces réflexes, longuement appris et répétés, deviennent des faiblesses tactiques dès lors qu’elles rendent nos marins prévisibles face à un ennemi qui n’a pas les mêmes règles, voire n’en a aucune. Bien au contraire, il leur faudra désormais accepter une prise de risque pouvant conduire à l’escalade en vue, non plus faire baisser les tensions, mais de dominer l’adversaire. En d’autres termes, une inflexion de notre doctrine militaire et de la formation opérationnelle de nos marins est inévitable pour les adapter aux nouveaux enjeux de la guerre de haute intensité, inflexion sans laquelle les nouveaux porte-avions, frégates et autres drones se révéleront bien inutiles sur le terrain. Le plan Mercator a ouvert la voie, avec des exercices comme Polaris. Cette voie doit être poursuivie et amplifiée.

Enfin, en dernier lieu, votre rapporteur souligne avec force qu’il n’est plus possible, en haute intensité, de raisonner en termes d’ETP ni de compter sur les seuls matériels, lesquels peuvent être mis hors service par une attaque cyber. Il faut donc calibrer les ressources humaines en anticipant le pire, et non rechercher des économies qui, in fine, nous coûteront plus cher lorsque la menace se concrétisera, voire auront des conséquences disproportionnées. Ce fut le cas, par exemple, des stocks de masques au début de la pandémie de Covid-19, jugés inutiles et coûteux, et donc réduits au plus bas au fil des années, et soudainement fondamentaux dans la lutte contre celle-ci.

 


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   Deuxième partie : place de la France et défense de ses intérêts stratégiques en Indopacifique
 

I.   Traversées de fortes tensions, la région Indopacifique est au cœur de la course mondiale aux armements

A.   Une région otage de la rivalité sino-américaine, au cœur de tensions aggravées par le changement climatique et les pratiques de prédation de ressources et d’extension de zone d’influence

1.   La montée en puissance de la Chine remet en cause la suprématie des États-Unis

a.   L’accroissement considérable de la puissance chinoise vise à la suprématie mondiale

La Chine n’a pas toujours été la puissance menaçante qu’elle est aujourd’hui. Jusqu’aux années 2000, celle-ci s’est en effet efforcée d’entretenir de bonnes relations, tant avec ses voisins qu’avec les pays occidentaux, lesquelles étaient nécessaires à la réalisation de son objectif alors prioritaire : le développement économique.

Ce temps d’une Chine bienveillante est révolu depuis 2012. Avec l’élection de Xi Jinping à la tête du pays, l’affirmation de la puissance chinoise s’est faite plus agressive et un nouvel objectif, bien plus ambitieux, a été défini : faire de la Chine, devant les États-Unis, la première puissance mondiale en 2049, date du centenaire de la naissance de la République populaire.

L’objectif ainsi défini, la Chine s’est donnée les moyens de l’atteindre en utilisant toute la panoplie des instruments utiles, s’appuyant sur les moyens financiers considérables issus de son développement économique.

Devenir la première puissance mondiale en 2049 exige de disposer de capacités militaires comparables à celles des États-Unis. Si c’est encore loin d’être le cas, la Chine met en œuvre depuis plusieurs années une modernisation accélérée de ses capacités militaires à laquelle elle consacre un budget en hausse constante. Celui-ci a été multiplié par sept en vingt ans, passant de 40 milliards de dollars en 1999 à 265 milliards de dollars en 2019, soit plus que tous ses voisins réunis (hors les États-Unis). Cet effort a particulièrement bénéficié à la Marine qui, aujourd’hui, en nombre de bâtiments, dépasse l’US Navy. Bien plus, comme l’a rappelé l’Amiral Vandier lors de son audition le 27 juillet dernier, au rythme actuel de son développement capacitaire, « en 2030, le tonnage de la Marine chinoise sera 2,5 fois supérieur à celui de la marine américaine », faisant d’elle, et de très loin, la première Marine mondiale.

La suprématie mondiale repose également sur l’innovation et la maîtrise des technologies de pointe, autant de domaines dans lesquels les États-Unis mènent aujourd’hui la course en tête. C’est pourquoi la Chine investit massivement dans la recherche, notamment en matière militaire. La réussite en 2021, par cette dernière, du tir d’un missile hypersonique a fait grand bruit, de même que son affranchissement du système américain GPS au profit d’un système national de navigation par satellite. Enfin, la RPC accumule les supercalculateurs et multiplie les chercheurs et les ingénieurs et dans les domaines les plus sensibles tels que l’informatique quantique, l’intelligence artificielle ou la cryptographie.

Il ne saurait avoir de suprématie sans influence sur les autres pays, laquelle n’exige pas seulement des moyens militaires ou technologiques que la conjonction d’instruments financiers, économiques, politiques et diplomatiques. Cette stratégie d’influence chinoise a un nom : les « Nouvelles routes de la soie ». Lancé en 2013, elle consiste, par des acquisitions d’infrastructures essentielles (ports, aéroports), des prêts souverains en vue du financement de routes, d’autoroutes et de voies ferrées, des achats de terres agricoles et des concessions minières, à intégrer ces pays dans la sphère d’influence économique chinoise et, ainsi, lui donner des leviers sur eux en matière diplomatique et militaire. C’est ainsi que la Chine a pu obtenir que nombre d’entre eux cessent de reconnaître Taïwan ou lui concèdent des bases militaires ou des appuis portuaires. C’est le cas, en particulier, de Djibouti qui, endetté à hauteur de 1,2 milliard de dollars, a permis la construction d’une base chinoise sur son territoire stratégiquement situé à l’entrée du détroit de Bab-el-Manded.

b.   Le pivotement américain vers l’Indopacifique

Directement visés par cette montée en puissance de la République populaire de Chine et son ambition de suprématie mondiale, les États-Unis ne sont pas restés sans réaction, même si celle-ci a pris du temps. Mobilisés par la guerre contre le terrorisme et les affaires moyen-orientales tout au long de la décennie 2000, c’est seulement avec Barak Obama, au tournant des années 2010, que les États-Unis ont pris conscience de la menace que pouvait représenter la Chine et sa volonté de les concurrencer sur tous les plans : économique, technologique, militaire, diplomatique et idéologique.

Ce pivotement vers l’Indopacifique des priorités stratégiques américaines représente un changement de fond dans la politique étrangère américaine, dictée par les évolutions profondes de la géopolitique mondiale, qu’aucun président n’a depuis remis en cause. Concrètement, les États-Unis cherchent à contenir la montée en puissance chinoise sur tous les plans :

sur le plan diplomatique, ils ont réaffirmé au plus haut niveau leur soutien à Taïwan, objet de toutes les menaces chinoises (voir infra) rompant à cette occasion avec l’ambiguïté stratégique qui prévalait jusqu’alors : oui, si la Chine devait attaquer Taïwan, les États-Unis la protégera, comme l’a dit et répété publiquement le président américain Joe Biden.

– sur le plan militaire, les États-Unis ont élargi et consolidé leur réseau d’alliances dans la région. L’Alliance AUKUS, lancée le 15 septembre 2021, a renforcé les liens entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie et leurs capacités militaires communes, notamment par l’annonce de l’acquisition, par cette dernière, de SNA à propulsion nucléaire ;

– enfin, sur le plan économique, le président Biden n’est pas revenu sur les initiatives de son prédécesseur visant à freiner le développement économique de la Chine : droits de douane majorés, blocage des investissements, bannissement de Huawei du pays et de ceux des plus proches alliés des américains.

La guerre en Ukraine peut-elle remettre en cause ce pivotement et ramener durablement l’Europe au centre des intérêts stratégiques américains ou, à tout le moins, à égalité avec l’Indopacifique ? Votre rapporteur ne le pense pas et il n’est pas le seul ([7]). En effet, depuis la Stratégie de défense nationale publiée en 2018, les États-Unis ne se donnent plus pour objectif de vaincre sur deux fronts à la fois mais cherchent à se donner les moyens de vaincre une grande puissance tout en dissuadant autant que possible toute tentative opportuniste d’une autre. C’est sous cette angle qu’il faut analyser la guerre en Ukraine. Si l’objectif prioritaire est de vaincre la Chine, il faut parallèlement tout faire pour éviter que la Russie ne profite d’un conflit sino-américain pour avancer ses pions en Europe ou ailleurs, obligeant ainsi les États-Unis à diviser leurs forces. Il faut donc l’affaiblir autant que possible, maintenant et durablement. D’où le soutien massif, financier – 45 milliards de dollars – et militaire – livraison des armements les plus modernes, partage de renseignements… – apporté à l’Ukraine, soutien qui constitue également un avertissement à la Chine au cas où elle serait tentée par un pareil coup de force à Taïwan.

Par conséquent, l’engagement en faveur de l’Ukraine ne signifie pas un nouveau pivotement de la politique étrangère américaine vers l’Europe mais peut s’interpréter, paradoxalement, comme un nouvel exemple, après les retraits d’Irak et d’Afghanistan, de la priorité donnée à la menace chinoise.

2.   Une région Indopacifique traversée par de multiples tensions

a.   Les tensions autour de Taïwan

Taïwan constitue aujourd’hui l’une des zones les plus dangereuses du monde, dans le sens où c’est sur et pour cette île que pourrait se déclencher le prochain conflit de haute intensité. En effet, la Chine n’a jamais accepté que Taïwan, échappe à son emprise et n’a cessé d’affirmer, comme encore le président Xi Jinping en 2019, que « la Chine doit être et sera réunifiée [et que] la division politique à travers le détroit ne peut être transmise de génération en génération ». La réunification est la première priorité de la politique étrangère de ce pays.

Le renforcement souligné supra des capacités militaires chinoises semble de plus en plus orienté vers l’invasion de l’île – option parfaitement assumée par les autorités politiques et militaires chinoises et régulièrement rappelée – et la plus que probable confrontation qui en résulterait avec son allié américain. Les États-Unis, en effet, soutiennent l’indépendance du pays depuis sa création et tout fléchissement dans ce soutien non seulement décrédibiliserait les garanties de sécurité données aux alliés coréens et japonais mais affaiblirait durablement les positions américaines dans la région, au profit évidemment de la Chine.

Les tensions autour de Taïwan sont constantes mais jamais elles n’ont atteint la haute intensité, la Chine se bornant, pour le moment, à exercer une pression constante sur l’île et sa population plutôt que de risquer un affrontement direct aux conséquences incontrôlables. Ces pressions, outre des déclarations belliqueuses de responsables politiques ou militaires, prennent la forme d’opérations aériennes et navales à proximité de l’île, incluant des violations massives et répétées par des avions de combats de la zone de défense aérienne de Taïwan, notamment lors de la venue de la présidente de la Chambre des représentants en août dernier. Elles ont même atteint le record de 446 avions le 1er septembre dernier. En retour, les États-Unis et leurs alliés dans la région (le Royaume-Uni, la Corée du Sud et le Japon) multiplient les exercices militaires et les démonstrations de force.

b.   Les tensions territoriales

Plus que toute autre région du monde, l’Asie-Pacifique est marquée par les revendications territoriales des pays qui la composent. Facilitée par l’insularité des territoires contestés, les tensions liées à ces dernières ont toutes ou presque pour origine la Chine et sa volonté de s’assurer le contrôle de la mer de Chine méridionale, comme le montre la carte ci-dessous.

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Cette mer est en effet stratégique à deux titres : d’une part, elle contrôle l’accès au détroit de Malacca, au détroit de la Sonde et au détroit de Lombok, par lesquels transite une part considérable du trafic maritime mondial. D’autre part, elle permet aux sous-marins nucléaires de la base d’Hainan de se diluer dans l’océan, loin des ennemis que sont le Japon, les Philippines, la Corée du Sud et Taïwan.

Les revendications territoriales de la Chine ne prennent pas toutes la même forme. Ainsi, s’agissant des îles de l’archipel des Paracels, qui sont également réclamées par le Vietnam et Taïwan, la Chine a entrepris de bâtir des îles artificielles et des terre-pleins sur plusieurs des îles, appuyant de ce fait sa revendication d’une ZEE. Elle a même installé des bases militaires sur certaines d’entre elles, mettant en œuvre une politique du fait accompli qui viole directement la Convention des Nations unies sur le droit de la mer. S’agissant de l’archipel Senkaku, que la Chine dispute au Japon, la Chine utilise ses garde-côtes armés et ses avions militaires pour provoquer des incidents avec des bateaux de pêche ou des chasseurs japonais et ainsi, tester les défenses et la détermination de ce pays. Aujourd’hui, 12 navires japonais sont dédiés à la protection permanente avec l’autorisation d’ouvrir le feu sur tout navire étranger qui accosterait illégalement.

Enfin, la Chine utilise à des fins d’extension de sa zone d’influence sa flotte de garde-côtes. Composée de quelques 240 patrouilleurs et navires hauturiers, elle est la plus importante du monde et présente la particularité d’être armée, notamment de canons de 76 mm. Elle vient aussi en appui, le cas échéant, aux flottilles de « pêcheurs » chinois envoyées vers les îles, îlots et récifs contestés, voire dans les ZEE des pays voisins. Depuis une loi de 2021, les garde-côtes sont autorisés à faire usage de la force sans sommation mais ils n’ont pas encore fait usage de ce droit, veillant pour le moment, conformément à la stratégie du pays, à rester sous le seuil de conflictualité.

Les tensions ne sont pas moindres dans la partie indienne de l’Indopacifique. L’Inde et la Chine se disputent depuis des décennies le contrôle de certaines régions himalayennes de part et d’autre de la ligne de démarcation appelée Line of Actual Control, issue de la guerre sino-indienne de 1962. Des incidents réguliers ont lieu entre les armées des deux États, parfois violents et causant plusieurs dizaines de morts, comme en juin 2020.

L’autre point sensible à signaler dans cette zone est, naturellement, le différend territorial entre l’Inde et le Pakistan pour le contrôle des régions disputées du Jammu et Kashmir, rattachées à l’Inde après l’indépendance bien que peuplées majoritairement de musulmans. Ce différend, qui dure depuis 1947, a été à l’origine de trois guerres indo-pakistanaises et d’innombrables incidents armées entre les deux États, dont des raids aériens et tirs d’artilleries, sans parler des nombreux attentats terroristes d’extrémistes pakistanais dans les deux régions contestées. En revanche, bien que tous les deux dotés de l’arme nucléaire, celle-ci n’a jamais fait l’objet de chantage ou de menace crédible quant à son utilisation, illustrant de ce fait les vertus de la dissuasion.

c.   Les tensions nucléaires

La Corée du Nord est, avec la Chine et les États-Unis, l’un des rares pays de la région Pacifique disposant de l’arme atomique. Non seulement elle a réussi, après de nombreux essais au cours des années 2000, à mettre au point une telle arme mais elle s’est également employée à développer les vecteurs nécessaires pour atteindre ses cibles. Ce développement a impliqué de nombreux tests en conditions réelles qui, pour nombre d’entre eux, ont aussi été utilisés comme des moyens de pression vis-à-vis des ennemis du pays, à commencer par la Corée du Sud et le Japon. En effet, des missiles ont été tirés vers les eaux territoriales de ces pays, tandis que certains ont volé au-dessus de leur territoire, suscitant de fortes réactions internationales. La cadence semble même s’être accélérée en 2022 avec plus d’une vingtaine de tirs. Le 4 octobre, un tir de missile balistique au-dessus du Japon a conduit au déclenchement du système J-Alert, qui est apparu sur les écrans de la chaîne nationale japonaise NHK, appelant les résidents du nord de l’archipel à se mettre à l’abri.

Pays dirigé par la dynastie communiste des Kim depuis 1945, la Corée du Nord apparaît comme une « boîte noire » pour les pays Occidentaux et ceux de la région, qui craignent les décisions irrationnelles de son dirigeant, Kim-Jong-Un. Le seul pays à avoir un accès privilégié à ce dernier et à pouvoir l’influencer est son plus proche allié et voisin, la Chine, dont la Corée du Nord dépend totalement pour ses approvisionnements.

d.   Le changement climatique et les tensions sur les ressources halieutiques

Comme toutes les régions du monde, la région Asie-pacifique subit les effets du changement climatique, Par sa géographie, cette zone très peuplée en frange littorale, composées de deltas et de territoires insulaires, est particulièrement sensible au dérèglement climatique. La hausse du niveau des océans, la dégradation des ressources halieutiques et de la biodiversité, l’accroissement de l’activité cyclonique, la désertification des terres faute de pluie suffisante se traduiront à terme ou moyen terme par une intensification des phénomènes susceptibles de déclencher des crises environnementales majeures avec des conséquences humaines significatives (sanitaires, alimentaires, migratoires…).

S’agissant plus particulièrement des ressources halieutiques, si le changement climatique a d’ores et déjà des effets perceptibles, ce n’est rien par rapport aux conséquences de la prédation de la Chine sur celles-ci. Les pratiques des bateaux-usines chinois sont désormais bien documentées. Travaillant en flottilles, souvent sous protection de bâtiments des garde-côtes, ces bateaux n’hésitent pas à pénétrer les ZEE des pays voisins afin de faire une véritable « razzia », pour reprendre les termes d’un article récent ([8]), sur les ressources halieutiques de la zone, détruisant au passage les fonds marins et ne laissant derrière eux que vide et désolation sous la surface.

Ces pratiques sont souvent à l’origine d’incidents graves avec les pêcheurs ou les Marines des pays dont les ressources sont ainsi pillées. À titre d’exemple – ils sont très nombreux - en 2016 puis à nouveau fin 2019-début 2020, des garde-côtes chinois sont venus protéger leurs pêcheurs – ou assimilés – au large des îles Natuna, dans la ZEE indonésienne, face aux garde-côtes indonésiens. De tels incidents sont toujours susceptibles de dégénérer et contribuent incontestablement à l’aggravation des tensions dans la région.

e.   Le terrorisme, la piraterie et les différents trafics

Si l’Asie-Pacifique a pu être frappée par des attentats terroristes, notamment en Indonésie ou en Thaïlande, la menace s’est éloignée et aucun attentat de grande ampleur, comme ceux qui ont pu avoir lieu à Bangkok le 17 août 2015 (20 morts) ou à Bali le 12 octobre 2002 (202 morts) n’a été commis à nouveau. Toutefois, les tensions restent vives dans les trois provinces méridionales de la Thaïlande, à majorité musulmane, où un mouvement séparatiste s’oppose au gouvernement. En Indonésie, ce sont les chrétiens qui sont devenus la cible des islamistes, notamment lors de l’attentat-suicide du 28 mars 2021 dans la cathédrale de Macassar.

Le terrorisme en océan Indien est en revanche bien plus déstabilisateur, notamment parce que les États sont plus faibles. Le Mozambique fait ainsi face à une insurrection islamiste qui a permis, jusqu’en 2021, au groupe Ansar-Al-Sunnah, rallié à l’État islamique, de s’emparer de nombreuses villes dans le nord du pays. À cette date toutefois, une contre-offensive des forces armées mozambicaines, appuyées par des soldats rwandais, sud-africains et zimbabwéens, a permis de mettre en déroute les terroristes, sans toutefois parvenir à les éradiquer.

La Somalie est, quant à elle, toujours en proie aux attentats des djihadistes du groupe Al-Chabab qui, bien qu’ayant été chassés de la capitale Mogadiscio, restent actifs non seulement dans le pays mais également dans les pays voisins, en particulier le Kenya et le Yémen, faisant peser une menace majeure sur la stabilité de la corne de l’Afrique, région de transit essentiel entre la Méditerranée et l’Asie-Pacifique.

En revanche, la menace des pirates qui, pendant longtemps, a été endémique dans cette zone, est désormais largement écartée, notamment grâce à l’opération européenne Atalante. Toutefois, la piraterie reste massive en Asie du Sud-Est, en particulier dans la zone du détroit de Malacca, route maritime la plus fréquentée au monde, qui relie le détroit de Singapour à la mer d’Andaman. Le nombre d’actes de piraterie y est croissant depuis 2015, une croissance seulement interrompue par la pandémie de Covid-19.

Enfin, l’Indopacifique est un lieu important pour les différents trafics, notamment le trafic de stupéfiants, principalement de l’héroïne produite dans le triangle d’or, à destination des clients situés en Océanie, aux États-Unis et en Afrique. La Polynésie se situe quant à elle sur la principale route transpacifique des trafiquants de cocaïne, entre la Colombie et l’Australie.

B.   Une course aux armements aggravée par Aukus

1.   Un réarmement massif, en particulier sur le plan naval

Le dernier état des Marines dans la région Indopacifique a été publié par l’IISS ([9]) en juin 2022. Il se présente comme suit :

 

 

Chine

Corée

du Sud

Japon

Taïwan

Australie

Inde

Porte-avions

1

0

2

0

0

1

Porte-hélicoptères

0

0

2

0

2

0

SNLE

6

0

0

0

0

1

SNA

6

0

0

0

0

0

Sous-marins classiques

47

19

22

4

6

16

Croiseurs

3

3

4

0

0

0

Destroyers

36

6

35

0

3

10

Frégates

45

17

6

4

8

17

Bâtiment amphibie

9

6

3

1

3

1

Bâtiment de guerre des mines

57

11

22

7

4

0

Bâtiments de débarquement

109

29

8

50

12

20

Patrouilleurs

196

78

6

44

14

169

Total

515

169

110

110

52

235

La Chine possède donc un nombre de bâtiments supérieurs à l’ensemble de ses principaux compétiteurs. Elle a même ravi le titre de pays disposant de la plus grande Marine du monde aux États-Unis et de loin si on intègre à la Marine chinoise les bâtiments largement militarisés de ses garde-côtes.

Toutefois, le nombre de bâtiments et même le tonnage total sont des critères insuffisants à eux seuls pour évaluer la capacité de combat d’une Marine. D’autres doivent être pris en compte : taille, ancienneté et type de propulsion des bâtiments, performance des systèmes d’armes et nombre de bases et points d’appuis. Or, sur l’ensemble de ces critères l’US Navy reste loin devant la Marine chinoise. Elle aligne en effet actuellement plus de bâtiments puissants tels que 11 porte-avions à propulsion nucléaire, à laquelle s’ajoutent plus d’une centaine de navires de combat de première ligne, dont certains armés de missiles de croisière, ainsi que 70 sous-marins nucléaires d’attaque et lanceurs d’engins. Une importante flotte amphibie (30 bâtiments), une centaine de navires de soutien et ravitaillement, une flotte de réserve, les avions de transport du Military Sealift Command, etc., complètent cette Marine. L’US Navy dispose en outre, contrairement à la Chine, d’un réseau dense de bases et de points d’appui, d’alliés et de partenaires, tout autour de la planète.

Si l’avantage est aujourd’hui, clairement, aux États-Unis, il faut cependant compléter cette analyse à l’instant T par la dynamique de développement des capacités navales, laquelle est tout aussi clairement en faveur de la Chine.

Entre 2017 et 2020, l’extraordinaire capacité de production des arsenaux chinois a permis à la Marine de ce pays d’accepter au service actif pas moins de 21 destroyers, soit 3 fois plus de navires de ce type que ceux entrés en service au sein de l’US Navy, de la Marine sud-coréenne, de la Royal Australian Navy et des Forces navales d’auto-défense japonaises sur la même période. Loin de ralentir le rythme, un nouveau record a été établi en 2021 avec pas moins de 8 destroyers livrés, soit le plus grand nombre de destroyers jamais livré en une seule année ces 50 dernières années, le précédent record datant de 1994 lorsque l’US Navy perçut simultanément 6 destroyers de la classe Arleigh Burke.

Si ce rythme est maintenu jusqu’en 2026, la Marine chinoise disposera alors, en matière de navires de surface combattant, de 16 croiseurs Type 055, de 42 destroyers anti-aériens Type 052 tous types confondus, dont 24 Type 052DL en version allongée, et de 50 frégates Type 054A, soit une force navale sensiblement équivalente à celle dont disposeront l’US Navy et ses alliés australiens, néo-zélandais, japonais et sud-coréens dans le Pacifique.

Non seulement la Marine chinoise croît en volume mais les bâtiments mis en service sont des bâtiments modernes, performants et bien équipés. Ainsi en est-il du porte-avions Fujian. Premier porte-avions entièrement conçu et fabriqué en Chine, il totalise plus de 80 000 tonnes contre 42 500 pour Charles-de-Gaulle. Bien qu’à propulsion électrique, il dispose d'un système de catapultage électromagnétique jusqu’alors réservé aux porte-avions américains, permettant la propulsion d’avions plus lourds. Le prochain porte-avions, dont la construction a déjà commencé, sera quant à lui à propulsion nucléaire et le premier d’une série permettant à la Chine, à l’horizon 2035, de disposer de six porte-avions. Il faut cependant se souvenir que les meilleurs bâtiments de combat ne valent que par ceux qui les servent.

Face à un tel accroissement de la puissance navale chinoise autant que la persistance d’autres menaces (Corée du Nord en particulier), les autres pays de la région ne sont pas restés inactifs. La Corée du Sud, le Japon et l’Inde notamment, ont lancé de vastes programmes de réarmement naval :

– la Corée du Sud a réceptionné en août 2021 son premier sous-marin capable de transporter des missiles balistiques SLBM. Ce dernier est le premier des trois sous-marins de la classe Jangpo-ju Batch-1 de 3 000 tonnes que le pays prévoit de construire d'ici à 2023. Elle ne fait en outre pas mystère de son intérêt pour la propulsion nucléaire (voir infra). Par ailleurs, la Corée du Sud a lancé en mars la huitième et dernière frégate de classe Daegu, après avoir mis à l’eau, l’année précédente, son deuxième porte-hélicoptères d’assaut ;

– n’ayant plus de porte-avions depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, le Japon a transformé ses deux destroyers porte-hélicoptères JS Izumo et JS Kaga afin de leur permettre d’embarquer des avions de combat F-35B, à décollage vertical et à atterrissage court. Ce pays a par ailleurs renforcé sa force sous-marine en lançant une nouvelle classe de sous-marins d’attaque – les Taigei – qui utilisent des batteries au lithium-ion et vont progressivement remplacer les plus anciens bâtiments.

– suite à son partenariat avec Naval Group, l’Inde disposera a priori en 2023 de six sous-marins de classe Kalvari, dérivé du Scorpène, lesquels constituent un saut générationnel majeur par rapport à ses sous-marins actuels. Un nouvel appel d’offres – dont Naval Group s’est retiré, porte sur six sous-marins supplémentaires dotés d’un système de propulsion anaérobie (AIP) et capable de tirer des missiles de croisières ainsi que des missiles antinavires. À terme, l’Inde ambitionne de disposer de 24 sous-marins, dont 6 nucléaires.

2.   La propulsion nucléaire, nouveau standard de puissance

Pendant des décennies, le nucléaire n’a pas eu vraiment droit de cité dans le Pacifique, du moins en matière de propulsion. Si le Japon, la Corée du Sud et la Chine maîtrisaient le nucléaire civil, seule cette dernière disposait de la bombe atomique mais aucun des trois ne disposaient de sous-marin ou de porte-avions nucléaire. C’était là une exclusivité des États-Unis (et de la France). Ce temps est désormais révolu depuis que la Chine s’est dotée de SNA et de SNLE et a entrepris la construction d’un porte-avions nucléaire (voir supra).

Les avantages de la propulsion nucléaire sont bien connus et celle-ci a bouleversé les rapports de puissance dans le Pacifique.

À l’inverse d’un sous-marin à propulsion conventionnelle, c’est-à-dire associant un moteur diesel, des batteries et le plus souvent désormais, un système de production d’électricité anaérobie dit AIP (Air Independent Propulsion) permettant d’accroître l’autonomie de plongée, les sous-marins à propulsion nucléaire n’ont nul besoin de refaire surface pour renouveler l’oxygène du bord afin de permettre aux moteurs diesels de fonctionner et de recharger les batteries. Ils peuvent donc évoluer pour une durée presque illimitée en plongée, la limite étant donnée par la nourriture disponible et l’état psychologique de l’équipage. En outre, ces navires peuvent évoluer à grande vitesse en plongée sans limite de temps, là où les sous-marins conventionnels, même AIP, ne peuvent évoluer qu’à vitesse réduite sous peine de voir leurs batteries se décharger très rapidement.

S’agissant des porte-avions à propulsion nucléaire, l’avantage est le même que pour les sous-marins : une très grande autonomie énergétique, permettant une disponibilité opérationnelle de l'ordre de 70 %, assortie de missions qui peuvent atteindre plusieurs mois. Mais ils présentent également deux autres avantages :

– d’une part, le volume restreint des équipements. Sur le Charles-de-Gaulle, par exemple, chaque réacteur nucléaire s'inscrit dans un cylindre de seulement 10 mètres de diamètre pour 10 mètres de hauteur, ce qui permet de libérer davantage d'espace pour embarquer du carburant pour les avions ou des armements en plus grand nombre ;

– d’autre part, la possibilité d'atteindre des vitesses importantes rapidement, environ 30 nœuds en quelques minutes, ce qui constitue un atout lors des manœuvres d'évitement. Elle permet aussi de générer une vitesse de vent relatif favorisant les catapultages et les appontages des avions.

Ces avantages sont évidemment significatifs dans une région où les distances sont considérables et les déploiements, par conséquent, longs.

Enfin, la propulsion nucléaire, par ses avantages et l’excellence technologique qu’elle exige, constitue un marqueur et un symbole de puissance, lesquels expliquent la volonté de la Chine, à l’instar des États-Unis, de s’en doter pour ses porte-avions.

Dans ces conditions, une véritable course à la propulsion nucléaire est lancée dans la région Pacifique, à laquelle participent évidemment la Chine et, dans une plus ou moins grande mesure, les alliés des États-Unis.

L’exemple le plus flagrant est évidemment l’Australie. Malgré son opposition historique à l’énergie nucléaire et le contrat qui la liait à Naval Group depuis 2019 pour la construction de huit sous-marins à propulsion classique de classe Barracuda, ce pays a opéré une volte-face radicale en dénonçant ce dernier et en se ralliant à l’alliance AUKUS formée avec les États-Unis et le Royaume-Uni, laquelle inclut le transfert de la technologie des sous-marins nucléaire. Face à l’accroissement de la menace chinoise, le gouvernement australien a expliqué qu’il lui fallait rehausser le niveau de ses capacités de défense. L’effet n’attendrait d’ailleurs probablement pas la livraison des SNA à l’Australie mais commencerait dès la disponibilité d’une base australienne pour les SNA américains et britanniques, compliquant les calculs stratégiques de la Chine.

Autre allié intéressé par les sous-marins nucléaires d’attaque : la Corée du Sud. C’est une discussion ouverte dans ce pays depuis près de vingt ans que AUKUS n’a fait que raviver. La Corée du Sud dispose en effet non seulement des capacités industrielles pour construire des sous-marins mais également d’une industrie nucléaire performante. Certains signes indiquent désormais que le pays est sur le point de prendre une décision sur ses projets en matière de propulsion nucléaire. En effet, lors du récent sommet conjoint États-Unis-Corée du Sud, la Corée du Sud a officiellement rejoint le programme FIRST (Foundational Infrastructure for Responsible Use of Small Modular Reactor Technology) dirigé par les États-Unis et visant à développer un petit réacteur nucléaire modulaire (SMR), type de réacteur utilisé sur les sous-marins nucléaires depuis des décennies.

Enfin, en guise de conclusion, il convient de préciser que les réacteurs nucléaires américains et britanniques – qui ont vocation à essaimer dans la région – fonctionnent avec de l’uranium hautement enrichi (contrairement à leurs homologues français), ce qui n’est pas sans conséquence sur le régime de non-prolifération, lequel est un sujet sensible, notamment en Australie.

Quant à l’Inde, qui dispose d’ores et déjà d’un SNLE de classe Arihant, le nombre de ceux-ci devant atteindre progressivement cinq, elle envisage sérieusement la construction de six SNA afin de faire face aux SNA chinois qu’elle voit de plus en plus présents dans le golfe du Bengale.

II.   Les moyens que la France consacre à l’Indopacifique doivent être rehaussés dans les années à venir afin de défendre plus fortement nos intéRêts vitaux

A.   L’Indopacifique, des enjeux vitaux pour la France

Le constat est largement partagé, notamment dans la Stratégie française pour l’Indopacifique, et a fait l’objet de nombreux travaux très récents. Il ne sera donc pas développé plus que nécessaire le fait que les enjeux de la France dans la région sont des enjeux vitaux.

Vitaux, ces enjeux sont d’abord des enjeux de souveraineté. La France est présente dans l’Indopacifique à travers ses territoires ultra-marins : La Réunion, Mayotte, Nouvelle-Calédonie, Polynésie française et Wallis-et-Futuna. Peuplés d’environ 1,8 million d’habitants, ces territoires permettent à notre pays de disposer de la deuxième plus grande zone économique exclusive du monde (9 millions de kilomètres carrés), laquelle abrite d’importantes ressources halieutiques et un fort potentiel de ressources minières qui restent à découvrir dans les grands fonds marins.

La possession d’une ZEE si vaste constitue ensuite un enjeu stratégique pour notre pays. Elle permet en effet à la France d’être le seul pays de l’Union européenne présent dans une zone au cœur de l’économie-monde. C’est en effet en Asie-Pacifique que se trouvent cinq des dix plus grands pays commerçants mondiaux dont le premier – la Chine, le deuxième – les États-Unis – et le quatrième – le Japon, pour les biens, et par conséquent, les plus grandes routes maritimes. « Usine du monde », la Chine envoie des marchandises dans le monde entier, vers les États-Unis et vers l’Europe dont elle est le premier fournisseur, tandis que Taïwan est le premier fabricant mondial de semi-conducteurs, lesquels sont un composant essentiel à un nombre toujours croissant d’industries, notamment l’automobile. Notre pays et l’ensemble de l’Union européenne sont par conséquent très dépendants de cette zone, à la fois pour leurs approvisionnements et également pour leurs exportations. La présence de bases militaires françaises dans la région lui permet ainsi, le cas échéant, d’intervenir très rapidement en cas de crises menaçant ces flux et de faire respecter le droit international et l’accès aux espaces communs qu’il régit.

B.   Malgré des efforts récents et bienvenus, les moyens militaires français en Indopacifique doivent s’adapter aux nouvelles menaces

1.   Les forces françaises en Indopacifique : composition et missions

Les forces françaises stationnées dans la région Pacifique (ou forces de souveraineté) relèvent de deux commandements distincts :

a.   Le COMSUP des forces armées en Polynésie française (FAPF)

Outre des éléments de l’armée de terre (régiment d’infanterie de marine du Pacifique-Polynésie - RIMaP-P), les FAPF sont essentiellement composés d’éléments de la Marine et de l’armée de l’Air, pour un total d’environ
950 militaires.

Sur la base navale de Papeete sont stationnées :

– une frégate de surveillance, le Prairial, embarquant un hélicoptère Alouette III ;

– un bâtiment de soutien et d'assistance outre-mer : le Bougainville ;

– un patrouilleur : l'Arago ;

– un patrouilleur de la gendarmerie maritime : le Jasmin ;

– deux remorqueurs portuaires et côtiers : le Manini et le Maroa.

Le groupement aéronautique militaire (GAM), installé à Faa’a est composé des unités suivantes :

– l'escadron de transport ET 82 Maine de l'armée de l'Air mettant en œuvre deux avion de transport tactique Casa 235 ;

– la flottille 25F qui met en œuvre 5 Falcons 200 partagés entre les FAPF et le détachement de la flottille basé en Nouvelle-Calédonie ;

– le détachement de la flottille 35F mettant en œuvre deux hélicoptères Dauphin N3+.

b.   Le COMSUP des forces armées en Nouvelle-Calédonie (FANC)

Le COMSUP des FANC dispose d’un état-major interarmées et commande environ 1 450 militaires, répartis entre Nouméa, Plum, Tontouta et Nandaï.

Outre des éléments de l’armée de terre, constitués du régiment d’infanterie de marine du Pacifique – Nouvelle-Calédonie (RIMaP-NC), les FANC dispose d’une base navale à Nouméa au sein de laquelle se trouve :

– la frégate de surveillance Vendémiaire embarquant un hélicoptère Alouette III de la 22S ;

– un patrouilleur P400 La Glorieuse ;

– une vedette de la gendarmerie maritime ;

– des éléments de protection (fusiliers marins en unité tournante) ;

– deux avions de surveillance maritime Falcon F200 (flottille 25F) ;

Quant à l’armée de l’air, elle dispose sur la base aérienne 186 Paul Klein à la Tontouta, de l’escadron de transport (ET52) avec deux avions de transport tactique Casa CN 235 et trois hélicoptères de manœuvre Puma.

c.   Le COMSUP des forces armées dans la zone sud de l’océan Indien (FAZSOI)

Le COMSUP FAZSOI dispose d’un état-major interarmées et commande 1 600 militaires et plus de 300 civils de la Défense.

Outre la présence du 2ème RPIMa et d’un détachement de la Légion étrangère de Mayotte (DLEM), la Marine nationale dispose, sur la base navale de Port-des-Galets, des bateaux suivants :

– un bâtiment multimissions : le Champlain ;

– deux frégates de surveillance : le Nivôse et le Floréal, embarquant un hélicoptère Panther

– un patrouilleur polaire : L’Astrolabe, appartenant aux TAAF ;

– un patrouilleur : le Malin.

La Marine est également présente à Mayotte où elle dispose de plusieurs bâtiments principalement dédiés à la lutte contre l’immigration clandestine.

L’armée de l’Air est aussi présente à La Réunion avec un détachement air, le DA 181, co-localisé avec l’aéroport international et comprenant une unité navigante : l’escadron de transport (ET50), équipé de deux avions de transport Casa.

d.   Des missions variées et fondamentales

Ces forces de souveraineté ont, très concrètement, trois missions :

la protection de la souveraineté française dans la région, laquelle exige une vigilance de tous les instants et une combinaison innovante des moyens de surveillance satellitaire, navale et aérienne, afin de lutter contre diverses menaces, notamment contre le pillage des ressources de notre ZEE ;

l’intervention au secours des populations en cas de crise, en particulier face aux catastrophes naturelles. Ce type d’intervention n’est pas réservé aux seuls territoires français mais bénéficie également aux pays insulaires de la région, qui sont nombreux, vulnérables et dépourvus de moyens propres. C’est ainsi que les militaires français stationnés en Nouvelle-Calédonie sont venus en aide au Vanuatu, ravagé par le cyclone Harold en 2020 ;

l’affirmation de la présence française dans la région. Au-delà de la protection permanente de notre souveraineté et de l’aide apportée en cas de crise aux populations qui en ont besoin, les forces françaises ont également pour mission, par leurs patrouilles et leurs missions régulières, de maintenir la capacité de la France à opérer en toute autonomie dans les espaces communs et de garantir leur libre accès, conformément au droit international.

2.   Des forces à étoffer pour défendre les intérêts de la France

a.   Des moyens en voie de modernisation mais qui doivent encore être renforcés

Il suffit de comparer l’immensité de la zone Indopacifique, celle de la ZEE française et l’ampleur des menaces militaires pesant sur elles, en particulier dans la zone Pacifique, pour comprendre que les moyens déployés par notre pays dans la région ne sont plus à la hauteur des nouveaux enjeux, même si, jusqu’à présent, grâce à l’engagement constant des marins, la Marine a pu assurer ses missions. Certes, il est toujours possible de renforcer ces moyens, en cas de crise, par l’envoi d’hommes et d’équipements depuis la métropole mais les distances sont telles qu’en réalité, en cas de crise majeure, une telle option se heurterait à l’exigence de rapidité du déploiement de bateaux, limitant considérablement la capacité de réponse de notre pays. Elle est donc en pratique, à réserver aux crises civiles telles que les catastrophes naturelles.

Par ailleurs, votre rapporteur salue les très gros efforts qui ont été faits ces dernières années, en particulier dans le cadre de la LPM 2019-2025, pour renforcer ces moyens. Deux avancées sont particulièrement bienvenues :

– le remplacement en cours des patrouilleurs par les nouveaux Patrouilleurs outre-mer (POM) hauturiers de classe « Félix Éboué », construits à Saint-Malo par la SOCARENAM. Le premier, l’Auguste Bénébig, termine ses essais en mer et devrait rejoindre dans les prochains mois la base navale de Nouméa, suivi en 2023 par le Teriieroo a Teriierooiterai qui, lui, sera destiné à la base navale de Papeete. Par rapport aux patrouilleurs actuels, ces nouveaux POM apporteront des capacités largement améliorées en termes de surveillance (radars, capteurs optroniques…), de communication (par satellite) et d’intervention (canon téléopéré Narwhal de 20 mm et deux EDO NG - embarcation de drone opérationnel de nouvelle génération). D’ici à 2025, deux POM seront déployés à la fois à Nouméa à Papeete et à La Réunion ;

le remplacement à venir des vieux Falcons par une nouvelle génération d’avion de surveillance et d’intervention maritime (AVSIMAR). Basés sur le Falcon 2 000 de Dassault, le futur avion Albatros disposera d’un rayon d’action accru par rapport au Falcon 200, d’un radar à antenne active, d’une boule optronique Euroflir 400, d’un système de navigation inertielle, d’un récepteur de géolocalisation par satellite et d’un système antibrouillage. Trois devraient stationner à Papeete, et deux en Nouvelle-Calédonie.

Le remplacement de ces équipements anciens et dépassés, longuement attendus, doit être salué. Reste néanmoins inchangé le problème que posent les frégates de surveillance, qui sont les plus grands bâtiments dont dispose la Marine outre-mer. Conçues pour les missions relevant de l’action de l’État en mer, celles-ci ont désormais quasiment trente ans de service et sont technologiquement dépassés. Elles sont par conséquent très loin de répondre à la réalité de la menace en Asie-Pacifique (voire à terme en océan indien) marquée par une remise en question du droit international et des logiques de prédation. Pointant la faiblesse de leur armement comme de leurs moyens de détection, en particulier l’absence de sonar, l’un des interlocuteurs auditionnés par votre rapporteur les a qualifiées de « pistolet-à-bouchons » flottants, incapables de détecter quoi que ce soit et dont le seul système d’armes est en réalité leur pavillon français. Pour autant, leur remplacement n’est programmé qu’au-delà de 2030.

Outre la faiblesse des deux frégates de surveillance, le dispositif français en Indopacifique souffre de l’absence de frégate de premier rang alors même que les principaux compétiteurs de notre pays dans la région, à commencer par la Chine, en produisent à une cadence accélérée. Certes, la Marine nationale envoie de temps en temps des frégates dans cette zone mais une présence sporadique n’équivaut pas à une présence permanente en termes de symbole comme de réactivité.

Enfin, ce sous-dimensionnement du dispositif français apparaît très clairement lors d’évènement tel que l’incendie qui a touché en juillet 2021 le bâtiment de soutien et d’assistance outre-mer (BSAOM) D’Entrecasteaux, qui est l’un des rares moyens hauturiers (et le plus moderne) de la Marine nationale basés à Nouméa. Il s’en est suivi une indisponibilité de dix mois qui s’est révélée à un moment concomitante de l’indisponibilité des deux autres unités principales de la flotte française en Nouvelle-Calédonie, la frégate de surveillance Vendémiaire et le patrouilleur La Glorieuse, pour des raisons respectivement liés à un arrêt technique et une indisponibilité de personnel. Par conséquent, pendant un moment heureusement très court, notre pays ne disposait plus d’aucun bateau hauturier à Nouméa.

b.   Des conséquences négatives importantes

Ce sous-dimensionnement du dispositif français en Indopacifique au regard des enjeux et des menaces est susceptible d’avoir, compte tenu de l’ampleur des enjeux dans la région, des conséquences très concrètes et très négatives pour notre pays.

Très logiquement, faute de moyens adaptés, les forces de souveraineté pourraient, à terme, ne plus être en mesure de remplir les missions qui leur sont normalement dévolues, en particulier l’affirmation de notre souveraineté dans la région, laquelle passe notamment par la surveillance de notre ZEE. Or, celle-ci est d’ores et déjà sous pression. Comme l’a souligné l’ancien commandant des FAPF, le contre-amiral Jean-Mathieu Rey, dans un entretien accordé à Tahiti Info le 7 juillet 2022, les grands enjeux sont « des enjeux de souveraineté, puisque les zones que vous ne surveillez pas ont vocation à être visitées, pillées et polluées. Il faut être présent pour affirmer notre souveraineté ». Le problème, déjà mentionné, est à la fois le faible nombre et le faible armement des unités françaises. Que se passerait-il si une flottille de plusieurs dizaines, voire centaines de bateaux de pêche chinois, escortée par les puissants bateaux des garde-côtes, pénétraient dans la ZEE française à plusieurs endroits, pour une attaque en saturation ? Probablement rien, vu le déséquilibre des forces, ce qui justifie, pour le contre-amiral, de « revenir à des bateaux mieux armés comme il y a trente ans, où nous avions des bateaux avec des sonars, des torpilles, des canons, des missiles… ».

La difficulté des forces de souveraineté françaises à accomplir leurs missions en cas d’augmentation de l’intensité de la menace, qui est en soi un problème, présente un double risque pour notre pays, vis-à-vis de l’intérieur et vis-à-vis de l’extérieur.

Le premier est un risque politique. Bien qu’implantée depuis des décennies, voire des siècles dans la région, la présence de la France est désormais ouvertement contestée. Ainsi, le résultat positif au troisième référendum sur l’indépendance de la Nouvelle Calédonie, qui s’est tenu le 9 décembre 2021, ne signifie pas la fin du mouvement indépendantiste, lequel a d’ailleurs boycotté ce dernier. En Polynésie, si la pression est moins forte, les Polynésiens ont néanmoins élu pour députés trois indépendantistes du parti Tavini.

Dès lors, la France doit continuer à se donner les moyens d’assurer sa souveraineté sur ces territoires au risque d’exposer ces derniers et leur population à des risques économiques – pillage des ressources – et militaires – pression chinoise croissante faite par exemple d’intrusions répétées – qui sont susceptibles d’affaiblir son autorité et sa légitimité en laissant se développer un sentiment d’abandon. Or, cet affaiblissement laisserait le champ libre à la Chine qui a tout à gagner à supplanter notre pays dans ces territoires et, par conséquent, à encourager les velléités indépendantistes. Comme le note un rapport très récent de l’INSERM ([10]), « une Nouvelle-Calédonie indépendante serait de facto sous influence chinoise et présenterait au moins deux intérêts majeurs pour le Parti-État. D’abord, elle deviendrait la clé de voûte de la stratégie d’anti-encerclement chinoise, tout en isolant l’Australie puisqu’en plus de Nouméa, Pékin pourra s’appuyer sur Port Moresby, Honiara, Port-Vila et Suva 1. Ensuite, elle assurerait également à la Chine un approvisionnement en matières premières, notamment en nickel. Pékin a donc plusieurs raisons d’encourager l’indépendance de ce territoire, tout en entretenant des relations avec l’élite politique et économique locale ».

Indépendante, la Polynésie française pourrait quant à elle connaître la même évolution que les Îles Salomon où la République populaire de Chine, après avoir investi 400 millions d’euros dans le pays dans le cadre des « Nouvelles routes de la soie », a signé un accord-cadre de coopération en matière de sécurité lui permettant « selon ses propres besoins, [de] procéder à des visites avec ses bateaux, pour apporter du réapprovisionnement logistique, conduire des escales et des transits. Des forces chinoises appropriées pourront être utilisées pour protéger la sécurité des travailleurs et des principaux projets chinois dans les îles Salomon ».

L’autre risque est, quant à lui, vis-à-vis de l’extérieur. Si une France qui ne serait plus capable de protéger ses intérêts aiguiserait, immanquablement, l’appétit de ses compétiteurs stratégiques et, en particulier de la Chine, l’impact ne serait également pas moindre vis-à-vis de ses alliés dans la région qui, eux, se sont lancés dans un vaste réarmement naval, comme votre rapporteur l’a souligné supra. Or, comme l’expliquait le Chef d’état-major de la Marine dans l’entretien précité, « ce qui change la donne, c'est que nos partenaires, qu'ils soient Indiens, Australiens, Japonais, Américains, sont montés eux d'un cran en termes de militarité. Ils aspirent donc à ce que nous coopérions avec eux à un niveau supérieur. Si vous arrivez avec une 2 CV à un Grand Prix de formule 1, dès le départ de la course, cela va être très, très compliqué. Le niveau moyen des bâtiments, qui sont dans la zone Indopacifique, a beaucoup augmenté ». Par conséquent, « il faut probablement remilitariser notre présence en Indopacifique. Si nous voulons échanger avec nos alliés au même niveau en termes de renseignements, de guerre électronique, de guerre anti-sous-marine, de connexions de systèmes d'armes, etc... nous devons remplacer nos frégates de surveillance, dont le système d'armes est obsolète sur le plan militaire […]. Si vous n'avez pas de sonars pour écouter ce qu'il y a sous l'eau dans cette zone alors que la Chine construit de nombreux sous-marins, vous ne servez à rien ».

En d’autres termes, le non-renforcement des moyens militaires français en Indopacifique expose notre pays à un risque de déclassement vis-à-vis de ses alliés comme de ses compétiteurs stratégiques, remettant en cause son rôle et son influence dans la région, voire sa présence.

III.   Le réhaussement des moyens de la France en Indopacifique, condition de la défense de notre souveraineté et du maintien de notre place dans la rÉgion

A.   Un renforcement nécessaire des moyens militaires, à la fois en nombre et en capacité

1.   Des frégates de surveillance en plus grand nombre et mieux armées : le programme européen de corvette de patrouille

Ainsi qu’il a été dit supra, notre pays ne dispose, en Polynésie et en Nouvelle Calédonie, que d’une seule frégate de surveillance, mise à l’eau dans les années quatre-vingt-dix, dépassée technologiquement et très faiblement armée. Ces frégates sont, de l’avis général insuffisantes pour assurer pleinement leurs missions, en particulier la surveillance de notre ZEE dans un contexte de durcissement du contexte stratégique.

Dans ces conditions, il semble nécessaire à votre rapporteur d’accélérer autant que possible le programme européen de corvette de patrouille, longuement présenté dans la première partie du présent avis. Ce programme, mis en œuvre dans le cadre de la coopération structurée permanente, apporte une vraie réponse aux enjeux de notre pays dans la région, réponse qui plus est financièrement soutenable compte tenu de sa nature de coopération européenne.

Toutefois, contrairement à la pratique actuelle, où le remplacement des équipements se fait un pour un, le niveau de la menace exige de disposer de deux corvettes par plot afin d’anticiper ce qui adviendra inévitablement – et est déjà arrivé : l’indisponibilité d’un bateau, laquelle ne doit pas priver la France de ses capacités de surveillance et, le cas échéant, d’intervention.

2.   Le deuxième porte-avions : un outil de puissance essentiel

Aujourd’hui, comme rappelé précédemment, le format de la Marine est d’un porte-avions et de quinze frégates de premier rang, soit trois de moins que le format à dix-huit frégates qui prévalait avant le livre blanc de 2013, et encore, cette taille ne devrait être atteinte qu’après 2030. De ce fait, la Marine ne peut se déployer aujourd’hui sur de nombreux théâtres qu’en tendant au maximum ses capacités : Atlantique, Méditerranée, Golfe de Guinée et Golfe persique, zone qui va d’ailleurs, votre rapporteur le souligne à nouveau, devenir encore plus stratégique compte tenu des flux de produits énergétiques détournés vers elle depuis la Russie.

En conséquence, il n’est guère possible aujourd’hui à la France de déployer des moyens importants dans cette région indopacifique, sauf pour quelques missions très ponctuelles qui, certes, montrent qu’elle sait le faire et renforce sa crédibilité opérationnelle, mais ne remplacent pas une présence plus régulière, voire permanente.

C’est pourquoi, sans revenir sur les développements de la première partie du présent avis et les avantages qu’un deuxième porte-avions apporteraient, en tant que tel, à notre pays, il convient de souligner avec force que sans deuxième porte-avions, notre pays verrait sa capacité d’action significativement réduite.

En effet, ne disposer comme actuellement que d’un seul porte-avions limite considérablement les possibilités d’action dans une région aussi lointaine que l’Indopacifique, en cas de brusque montée des tensions menaçant nos intérêts. Non seulement le porte-avions pourrait être mobilisé au même moment sur un autre théâtre mais il pourrait aussi être indisponible pour des raisons de maintenance. Dans les deux cas, la France ne pourrait pas défendre ses intérêts ou, dans le cas d’une menace de grande ampleur, jouerait les seconds rôles dans une coalition internationale menée, justement, par les pays disposant d’un tel instrument.

Même si la question du deuxième porte-avions dépasse largement le cadre de l’Indopacifique et devra être tranchée avant 2027, c’est dans cette région que, très probablement, il trouverait l’une de ses justifications majeures, raison pour laquelle votre rapporteur, en cohérence avec la première partie du présent avis, lui renouvelle son soutien.

3.   La présence régulière d’un SNA : un choix difficile mais cohérent

Comme évoqué supra, un réarmement naval massif est en cours dans la région indopacifique, en particulier dans le domaine sous-marin. Pour rappel, la Chine dispose aujourd’hui de 59 sous-marins, dont 12 à propulsion nucléaire, incluant 6 SNLE mis en service depuis 2007. Bien que les sous-marins chinois, y compris ceux à propulsion nucléaire, soient considérés comme technologiquement inférieurs à leurs homologues occidentaux – plus bruyants, notamment, ils sont néanmoins de plus en plus performants et la mise en service des nouveaux SNA de type 093B pourrait bien combler l’écart. Face à eux, le Japon dispose de 22 sous-marins conventionnels, dont la moitié a moins de 15 ans, la Corée du Sud 19, dont un est armé de missiles balistiques, et l’Inde de 16, en cours de modernisation. Quant à l’Australie, ses sous-marins conventionnels Collins seront à terme remplacés par des SNA fournis par les États-Unis dans le cadre d’AUKUS. Au total, les États de la région indopacifique exploitent 163 des 368 sous-marins d’attaque de la planète et 45 autres, au moins, devraient leur être livrés à l’avenir.

Dans ces conditions, une crise majeure dans la région, quelle qu’en soit l’origine, aura une forte composante sous-marine, donnant une prime aux État disposant de cette force. C’est pourquoi, dans le cadre de ses travaux, votre rapporteur a également exploré une autre voie, peut-être plus difficile encore, pour renforcer nos capacités en Indopacifique, celle des sous-marins nucléaire d’attaque.

La réponse se présente d’une manière différente selon que le déploiement d’un SNA se ferait en Asie-Pacifique ou dans l’océan Indien mais, dans tous les cas, elle pose la question du format de l’escadrille de SNA (ESNA).

C’est peu dire que la région Asie-Pacifique ne constitue pas le terrain de jeu privilégié de nos sous-marins. Sur les vingt dernières années, à la connaissance de votre rapporteur, seuls deux SNA s’y sont aventurés, la Perle en 2001 et l’Emeraude en 2021. Toutefois, il convient de souligner le tour de force opérationnel et humain que constituent de tels déploiements – et explique qu’ils soient si rares. Dans le cas de la mission Marianne, accompagné du BSAM La Seine, l’Emeraude a été déployé pendant sept mois à plus de 15 000 kilomètres de la métropole sans aucune intervention technique majeure, avec relève d’équipage à Guam. Il a navigué en mer de Chine orientale et méridionale et est revenu en passant par le détroit de la Sonde, Djibouti, et enfin la Méditerranée. Au cours de cette mission, 30 000 milles nautiques ont été parcourus, soit 55 500 kilomètres.

En revanche, les missions dans l’océan Indien sont bien plus fréquentes. En juillet dernier, le SNA Améthyste est rentré d’une mission, baptisée « Confiance », de six mois qui, avec le BSAM Loire, lui a permis de participer à plusieurs exercices de lutte anti-sous-marine, notamment avec l’Inde – dans le cadre de l’exercice Varuna, et les Émirats arabes unis. Si les deux bateaux ont pu s’appuyer sur les forces françaises stationnées à Djibouti, c’est à Goa que les relèves d’équipages ont eu lieu. Trois ans auparavant, c’était le Perle qui avait navigué en océan Indien pendant 101 jours. D’une manière générale, un SNA était dans l’océan Indien lorsque le Charles-de-Gaulle y était et il y a été souvent ces dernières années.

Aller au-delà de ces missions ponctuelles serait évidemment plus simple avec un nombre de SNA disponible supérieur aux six dont dispose l’Escadrille des sous-marins nucléaires d’attaque (ESNA). Toutefois, après analyse, à supposer que les budgets soient disponibles, l’augmentation du format de l’ESNA poserait, quel que soit l’option, des problèmes insurmontables :

la première option est la commande d’un ou deux SNA supplémentaires. La visite de votre rapporteur sur le site de Naval Group à Cherbourg l’a convaincu qu’une telle commande placerait l’entreprise et notre pays devant un dilemme. En effet, alors que le programme Barracuda est en voie d’achèvement d’ici à 2029, l’entreprise pense d’ores et déjà à la suite et se prépare au lancement du programme SNLE 3G. Dans ces conditions, il faudrait consacrer à cette commande supplémentaire et non programmée de SNA les ressources destinées à ce programme et, ainsi, lui faire prendre plusieurs années de retard, fragilisant la modernisation de notre dissuasion ;

la deuxième est la transformation d’un ou deux SNLE 2G en SNA. Techniquement possible – les Américains l’ont déjà fait et Naval Group a le savoir-faire nécessaire – cette option présente cependant de nombreux inconvénients. Très coûteuse, peut-être même plus qu’un sous-marin neuf, elle impliquerait une prolongation importante et incertaine de la durée de vie des SNLE, en particulier de la coque et de la chaufferie nucléaire. De plus, les SNA ainsi transformés, mis en service dans les 2035-2045, seraient technologiquement dépassés par leurs homologues chinois ou russes plus modernes, faisant d’eux des proies trop bruyantes en cas de conflit.

Dans les deux cas, l’accroissement du format de l’ESNA impliquerait le recrutement de deux équipages par sous-marin supplémentaire, plus un équipage de secours, ce qui, compte tenu des difficultés de recrutement et du temps nécessaire et incompressible pour la formation des sous-mariniers, apparaît très difficile.

En d’autres termes, le renforcement des moyens militaires français en Indopacifique doit se faire avec la contrainte du format actuel de l’ESNA. Aujourd’hui, c’est très difficile compte tenu du taux de disponibilité des SNA de classe Rubis. Certes, ce taux devrait augmenter de manière significative avec les nouveaux SNA de classe Suffren, mais à une échéance relativement lointaine, post-2030, une fois l’escadrille renouvelée dans son ensemble. En outre, même ainsi renouvelée et compte tenu des distances, toute mission dans le Pacifique impliquera un déploiement de très longue durée, avec escale et relève d’équipage obligatoire. Par conséquent, une présence régulière d’un SNA dans la zone mobiliserait une part considérable du « temps disponible » des SNA, alors que les menaces sont aussi importantes et peut-être plus immédiates ailleurs. Si déploiements plus fréquents de SNA il devait y avoir en Indopacifique, ils devraient donc plutôt concerner l’océan Indien qui est à la fois plus proche géographiquement et où, plus que dans le Pacifique, la France a un rôle majeur à jouer.

Ce constat est une nouvelle illustration de l’importance du temps long en matière d’armement naval. Au début des années quatre-vingt, la France disposait de 6 SNLE et envisageait de se doter, au 21ème siècle, de huit SNA. La fin de la guerre froide a drastiquement réduit cette ambition puisqu’au final, seuls six SNA de classe Rubis auront été construits, la commande des septième et huitième (le Turquoise et le Diamant) ayant été annulée en 1992. L’impact de cette décision, prise sur le fondement du contexte de l’époque, comme celui de la décision prise dans les années 2000 de conserver de format à six SNA, se fait aujourd’hui sentir, trente ans après, par un format de l’ESNA qui n’est probablement pas adapté à la réalité de la menace.

B.   Les avantages d’un tel renforcement – qui ne sont pas seulement militaires – devraient permettre de lever les obstacles à sa mise en œuvre

1.   Des avantages évidents

a.   Un avantage stratégique, en particulier dans l’océan Indien, en complémentarité avec nos alliés

Comme indiqué supra, l’ensemble des compétiteurs et des alliés de notre pays dans la région, incluant la Russie qui est également un État de l’indopacifique, renforcent aujourd’hui leurs capacités dans le domaine naval, en particulier leur force sous-marine, avec en ligne de mire la propulsion nucléaire comme nouveau standard de puissance.

Si elle se contente d’un effort a minima – remplacement un pour un des bateaux existants sans déploiement de moyens supplémentaires de haut niveau, SNA, frégates ou porte-avions, la France montrera sa faiblesse dans un monde marqué par le retour de la guerre de haute intensité, la course aux armements et le primat de la force sur le droit, l’exposant au déclassement et à des menaces auxquelles elle ne pourra répondre.

À l’inverse, si elle dispose d’un deuxième porte-avions et montre sa capacité de déployer fréquemment dans la région, outre ce dernier, des frégates de premier rang et autres SNA, la France consolidera sa crédibilité auprès de ses alliés et dissuadera les compétiteurs qui tenteraient de tirer profit de l’éloignement géographique de la métropole pour atteindre à sa souveraineté. Elle montrerait qu’elle a les capacités d’agir et qu’en cas de crise majeure, notre pays serait en mesure de défendre efficacement ses intérêts et ceux de ses alliés.

Il le pourrait d’autant plus que chacune de ces missions dans la région est l’opportunité pour les équipages – et la Marine nationale d’une manière générale – de mettre à jour leurs connaissances de la région et d’en acquérir de nouvelles. C’est particulièrement le cas pour les sous-mariniers. Tant qu’un SNA n’a pas navigué dans les eaux du Pacifique et passés les différents détroits, ceux-ci lui sont largement inconnus. Apprendre à les connaître ne peut qu’être un atout en cas de crise impliquant de se rendre rapidement sur zone. C’était d’ailleurs l’un des objectifs de la mission Marianne précitée.

Votre rapporteur estime que ce déploiement de moyens supplémentaires, sans ignorer évidemment totalement la zone Asie-Pacifique, serait plus utile sur le plan stratégique dans l’océan Indien et ce, pour au moins trois raisons :

– comme indiqué supra, les États-Unis et leurs alliés (Corée du Sud, Japon, Philippines, Australie) sont d’ores et déjà en mesure, en Asie-Pacifique, d’opposer de très grandes capacités sous-marines, navales et aéronavales, y compris nucléaires, face à la Chine. Les renforcer encore ne changerait pas fondamentalement le rapport de force tout en mobilisant une part importante des moyens de notre pays, avec le risque d’une fatigue humaine et/ou matérielle de ces derniers qui irait à l’encontre de l’objectif recherché de crédibilité ;

– à l’inverse, en océan Indien, les États-Unis sont traditionnellement moins présents, ne serait-ce que parce qu’ils ne sont pas riverains de cet océan et qu’ils ont d’autres priorités. Il serait donc cohérent que la France privilégie des déploiements dans cette zone, pour surveiller, voire bloquer le cas échéant, les lignes d’approvisionnement de la Chine, d’autant plus qu’elle dispose de points d’appuis nationaux (Mayotte et la Réunion), de bases dans des pays alliés (Djibouti et Abu Dhabi) et de possibilités d’escales, en Inde notamment. Il lui sera aussi plus facile de mobiliser ses alliés européens pour des opérations dans l’océan Indien – c’est déjà le cas avec Atalante et Agénor – qu’en Asie-Pacifique, pour les mêmes raisons tenant aux distances ;

– enfin, bien plus le Pacifique, l’océan Indien est devenu encore plus stratégique pour notre pays avec la crise énergétique. Désormais, avec l’embargo sur les exportations russes, les approvisionnements en gaz et en pétrole se feront quasi exclusivement par la mer, en provenance pour une large partie du Moyen-Orient. Les pétroliers et les méthaniers emprunteront donc une route qui passe par le Nord-Ouest de l’océan Indien qu’il sera donc vital de sécuriser avec l’aide des autres États européens directement concernés.

b.   Un avantage politique : lutter contre le sentiment d’abandon et affirmer la souveraineté la France dans ses territoires d’outre-mer

Bien que présente dans la région Pacifique depuis le milieu du XIXe siècle – dès le XVIIe siècle à La Réunion, la présence de la France n’en est pas moins contestée par une partie de la population qui, avec certains partis politiques relayant leurs aspirations, souhaitent une évolution du statut des territoires français – Nouvelle-Calédonie et Polynésie Française – vers l’indépendance.

Comme l’a analysé le rapport de l’INSERM précité, ces aspirations font l’objet d’une grande attention de la part de la Chine, notamment en Polynésie Française. Très présente à travers un consulat, un institut Confucius et diverses associations qu’elle pilote, comme l’Association du peuple chinois pour l’amitié avec l’étranger (APCAE), sans parler des projets d’investissement comme celui de ferme aquacole sur l’atoll de Hao, la Chine a également mis en œuvre, en 2020, sa « diplomatie du masque » en expédiant près de 2 800 000 masques chirurgicaux et 15 800 masques FFP2 sur le territoire qui, comme la métropole, en manquait dramatiquement. La Chine considère ainsi ouvertement la Polynésie française, comme les autres îles du Pacifique, comme autant de territoires pouvant servir ses intérêts économiques, politiques et stratégiques, même si elle s’interdit (pour le moment) toute action directe.

Dans ces conditions, la France ne peut qu’être très attentive à ne pas prêter le flanc à la critique facile parfois entendue dans ces territoires qu’elle est très loin, qu’elle n’aurait pas les moyens de protéger en cas de menaces et que le cas échéant, d’autres États de la région, plus proches et plus puissants – et pas forcément la Chine – pourraient soutenir le pays en cas d’indépendance.

Le meilleur moyen de désarçonner ces critiques est une plus grande implication de notre pays dans ces territoires, par le déploiement de moyens militaires qui non seulement lui donneront la possibilité d’intervenir rapidement en cas de crise mettant en cause sa souveraineté mais lui permettront, par le symbole qu’ils représentent, de démentir le sentiment d’abandon qui, parfois, atteint les populations locales. L’escale du groupe aéronaval, de la mission Jeanne d’Arc ou d’un SNA à Nouméa ou Papette marqueraient inévitablement les esprits. Ils montreraient la détermination de la France, malgré l’éloignement, à rester présente dans le Pacifique et à assumer l’ensemble de ses missions relevant de sa souveraineté, à commencer par la protection de ses citoyens.

c.   Un avantage économique : retombées sur les territoires et promotion de l’excellence des matériels français

L’arrivée de ces moyens supplémentaires aura des conséquences positives pour les économies des territoires d’outre-mer concernés, lesquelles participeront à la lutte contre le sentiment d’abandon précité. C’est d’ores et déjà le cas pour l’arrivée des nouveaux POM en Nouvelle-Calédonie. Ils seront en effet accueillis sur un nouveau quai, en cours de construction de la base navale de Chaleix, à Nouméa, pour un investissement à hauteur de 12,5 millions d’euros. L’économie locale en bénéficiera pleinement, en particulier les bétonneurs, les cimentiers, les fournisseurs d'armatures, les fournisseurs de quincaillerie, de bois…

L’impact du déploiement de moyens encore plus importants que les POM, tels qu’une frégate ou un SNA, sera encore plus grand, non seulement en investissement mais également par les retombées économiques liées à la présence récurrente des marins.

Enfin, il y a un dernier avantage économique au déploiement de moyens plus importants dans cette région Indopacifique où se trouvent, justement, les principaux prospects de l’industrie navale française : Inde, Philippines et Indonésie. Par la démonstration de leurs capacités en mer autant que par leurs escales dans les ports appartenant à ces pays, les bateaux de la Marine emportent avec eux l’excellence technique des entreprises de notre pays et participent ainsi de leur promotion à l’étranger.

2.   Des obstacles qui peuvent être levés

a.   Les contraintes liées aux équipages et à la maintenance

Votre rapporteur, en proposant de renforcer les moyens de notre marine en Indopacifique, n’ignore pas que la Marine est un écosystème dont les bateaux ne sont qu’un des éléments. Or, sans les autres que sont les hommes et les infrastructures, ils sont pour ainsi dire dénué de toute portée opérationnelle. Accroître le format de la Marine soulève donc les mêmes questions que celles précédemment évoquées, à savoir celle des équipages et de la maintenance. Notre Marine ne vaut que par les équipages qui la servent.

Si la question des équipages rejoint la problématique plus large du recrutement, de la formation et de la fidélisation dans la Marine, analysées en première partie, qui n’est pas spécifique à l’Indopacifique, celle de la maintenance appelle en revanche des développements supplémentaires.

Les capacités des bases de Chaleix, de Papeete et de Port-des-Galets sont pour le moins limitées, tant en matière d’accueil que de maintenance. Certes, des investissements sont toujours possibles pour construire de nouveaux quais, comme actuellement pour les POM à Chaleix, mais les capacités en matière de maintenance resteront limitées pour des raisons évidentes tenant à l’éloignement de la métropole et à l’absence des compétences sur place.

Ces compétences sont d’ores et déjà sous tension en métropole et il apparaît illusoire de chercher à les développer ou à les attirer dans ces territoires. Dans le cas particulier des SNA, leur maintenance sur place exigerait non seulement des compétences de haut niveau dans le domaine de la propulsion nucléaire mais également des installations spécifiques et certifiées garantissant la sécurité de ces opérations de maintenance des chaufferies, dont le coût serait considérable.

Toutefois, dès lors qu’il ne s’agirait pas d’une présence permanente mais de relève régulière, l’obligation de revenir en métropole pour le MCO n’est pas une réelle contrainte.

b.   Les points d’appui

Au-delà du MCO, il est toujours nécessaire aux bateaux, y compris à ceux disposant de la propulsion nucléaire, de faire des escales pour se ravitailler en vivre. Pour les autres qui n’en disposent pas, le ravitaillement en carburant est une nécessité, sauf ravitaillement en mer. De même, en cas d’avarie majeure, en particulier si elle touche à la chaufferie nucléaire, les bateaux doivent être en mesure de rejoindre un port qui les accueillerait et leur permettrait d’effectuer les réparations nécessaires.

Par conséquent, si la France veut déployer des moyens supplémentaires en Indopacifique, elle doit se préoccuper de trouver des points d’appuis autres que ceux que constituent les bases françaises existantes à Djibouti, aux Émirats Arabes Unis et dans les territoires d’outre-mer. La difficulté est encore accrue s’agissant des SNA en raison du facteur nucléaire. Dans le Pacifique, il n’y a guère que sur l’île de Guam, qui accueille d’ores et déjà des sous-marins nucléaires américains, qu’une réparation de grande ampleur serait possible. Demain, ce sera peut-être le cas de l’Inde et de l’Australie, une fois que celle-ci disposera d’installations pour ses propres SNA. Pour le conventionnel, une autre piste possible est l’Indonésie, avec laquelle les relations militaires se sont intensifiées suite à la signature d’un accord de coopération de défense l’année dernière.

Cette question des points d’appui est loin d’être secondaire, bien au contraire, comme le montre l’exemple récent de la mission Marianne. Souhaitant faire escale en Malaisie, l’Emeraude s’est heurté à un refus des autorités malaises, pour divers prétextes masquant probablement la crainte de déplaire au voisin chinois en accueillant un SNA français en mission vers la mer de Chine. Ne pouvant accoster, il a certes été ravitaillé en vivres mais a dû reprendre la mer sans que l’équipage ait pu se reposer, en particulier les chefs de quart de la chaufferie nucléaire, faisant peser un risque inutile sur la sécurité de celle-ci.

Elle pose toutefois un dilemme : faut-il privilégier les points d’appuis plus proches et mieux équipés, comme Abu Dhabi, Djibouti ou Guam, mais étrangers et, à ce titre, toujours susceptibles de faire défaut, ou des points d’appui plus éloignés et moins bien équipés mais plus fiables car sous souveraineté française ?

c.   Le coût financier

Une telle montée en gamme de nos moyens dans le Pacifique, telle que la propose votre rapporteur, aurait évidemment un coût important, qu’il n’est pas possible de chiffrer. Toutefois, ce coût doit être relativisé parce qu’il serait mutualisé avec l’ensemble des théâtres. Si la France fait le choix d’un deuxième porte-avions, de frégates de premier rang supplémentaires ou de nouvelles corvettes de patrouille, avec les nouveaux équipages et les systèmes d’armes qui les accompagnent, c’est l’ensemble de sa posture de défense, sur tous les théâtres, qui sera rehaussée au niveau de ses ambitions.


 

   Travaux de la commission

I.   Audition de l’amiral Pierre Vandier, chef d’État-major de la Marine

La Commission a entendu l’amiral Pierre Vandier, Chef d’état-major de la Marine, sur le projet de loi de finances pour 2023 (n° 273), au cours de sa réunion du 13 octobre 2022.

Le compte rendu de cette audition est disponible sur le site internet de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante : https://assnat.fr/N0IjTZ

 

 


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II. Examen des crédits

La commission a examiné, pour avis, sur le rapport de M. Yannick Chenevard, les crédits relatifs à la « Marine » de la mission « Défense », pour 2023, au cours de sa réunion du 19 octobre 2022.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis (Préparation et emploi des forces de la marine). « L’oracle avait dit : défends ta cité par une muraille de bois inexpugnable. Thémistocle lança la construction d’une flotte » (Hérodote). Les empires sont de retour, les trente dernières années n’ont été qu’une parenthèse. Ces empires, que certains pensaient disparus, n’étaient qu’endormis. La guerre en Ukraine, attaquée par un membre permanent du Conseil de sécurité, à deux heures d’avion de Paris, en témoigne. Les équilibres du monde, dont notre vision hexagonale, parfois naïve, très continentale, métropolitaine, nous incite à ne pas toujours percevoir qu’ils se transforment, doivent nous rappeler à nos devoirs de grande nation.

En Indo-Pacifique, la France, avec ses départements et collectivités d’outre-mer, et quelque 9 millions de kilomètres carrés de zone économique exclusive (ZEE) sur les 11 millions qu’elle possède, a des responsabilités. Nos trois armes y sont présentes sur terre, en l’air et sur mer. La République populaire de Chine, pour sa part, y développe sa marine et poursuit un objectif stratégique – disposer de forces militaires de premier plan en 2035 – et un objectif politique – qu’elle qualifie de « rêve chinois » – d’ici à 2049. La Chine nourrit aussi, à l’instar de la fédération de Russie, des ambitions sans retenues en Afrique. La Turquie conduit des efforts importants depuis dix ans pour s’imposer comme une puissance régionale majeure. L’Iran continue à chercher à se doter d’une capacité nucléaire. Ce sont là quatre théâtres d’opérations – l’Europe, le golfe Persique, l’Afrique et l’Indo-Pacifique – sur lesquels des événements pourraient survenir simultanément. Voilà qui nous rappelle avec force à nos devoirs diplomatiques et militaires, et qui nous fait nous souvenir qu’il n’y a pas de diplomatie sans puissance, pas de puissance sans constance et pas de constance sans efforts.

Pour la première fois depuis bien longtemps, le budget de la défense et des forces armées ne sert pas de variable d’ajustement. La loi de programmation militaire 2019-2025, exécutée à l’euro, permet au budget de la défense de progresser année après année : celui-ci s’accroît, cette année encore, de 3 milliards. C’est heureux, car nous avions atteint, en 2017, les limites de l’exercice. C’est par la persévérance que se bâtit une armée, que se construisent ses équipements, que se pensent nos bâtiments de surface, nos avions, nos porte-avions et nos sous-marins pour les trente à quarante années à venir.

Il faut dès aujourd’hui recruter, former, faire monter en compétence les officiers et officiers mariniers qui armeront le ou les futurs porte-avions, les équipages des nouveaux sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) ou lanceurs d’engins (SNLE). Il faut poursuivre l’adaptation de nos infrastructures portuaires outre-mer afin d’y accueillir des bâtiments plus gros, plus nombreux et pourquoi pas un SNA présent par des rotations régulières avec la métropole dans l’Indo-Pacifique.

Le temps des drones est venu, dans l’air, sur l’eau ou sous les mers. Ils révolutionnent certaines pratiques et imposent d’en posséder en nombre et de s’en défendre. N’oublions pas que 98 % des communications internet transitent par des câbles sous-marins à des profondeurs où l’humain n’opère pas. Les derniers développements ne font qu’illustrer l’impérieuse nécessité de protéger ces infrastructures.

Enfin, les armes hypervéloces confèrent pour le moment un avantage tactique qu’il ne faut pas négliger.

L’Europe découvre que les peuples n’ont pas d’amis mais des intérêts. Nous devons être prêts à défendre nos intérêts et protéger notre souveraineté au-delà des mers, partout dans le monde, face aux menaces croissantes qui pèsent sur notre ZEE.

On a créé un fonds européen de défense doté de 7 milliards pour la période 2021-2027. Pour la première fois, la notion de BITD existe à l’échelle européenne. Notre BITD, héritière d’un savoir-faire séculaire, est toujours en mesure de produire pour nos forces ce qui se fait de meilleur et ce, malgré des années de reports de programmes, ou de trop faibles volumes de commandes jusqu’en 2017. C’est un exploit !

L’importance de l’effort budgétaire, qui portera à 50 milliards le budget de la défense en 2025, démontre la place que le Président de la République et le ministre des armées accordent à nos forces, à notre BITD. La démocratie a besoin d’être défendue, au besoin militairement, pour demeurer. La marine bénéficiera donc, comme les autres armées, d’un surcroît de crédits de 9 % au titre du programme 178, à 3,088 milliards en CP, auquel il faut ajouter les 2,733 milliards d’euros en CP (soit plus 6 %) au titre des dépenses de personnel relevant du programme 212.

Nous ne pouvons que saluer cet effort de la nation, qui permettra une remontée en puissance de l’outil naval et financera, notamment, deux domaines traditionnellement négligés : d’abord, les infrastructures, hors dissuasion, où les besoins sont immenses, voient leurs crédits augmenter de 219 % en AE, à 212,9 millions d’euros, et de 12 % en CP, à 146,1 millions d’euros ; ensuite, les munitions bénéficient d’un abondement en hausse de 53 % en AE, ce qui permet de commencer à passer les commandes et à regarnir des stocks réduits.

Par ailleurs, l’augmentation des crédits affectés au programme 212 permettra d’améliorer les conditions de rémunération des marins, effort lui aussi bienvenu dans un contexte d’inflation.

J’en viens à l’avenir de la marine dans la perspective de la prochaine LPM, ainsi qu’à la région Indo-Pacifique, à laquelle j’ai consacré la parte thématique de mon avis.

La guerre en Ukraine est la cause ou l’illustration d’une triple rupture stratégique. La première est le retour de la guerre de haute intensité sur le continent européen, incluant la menace du recours à l’arme nucléaire, alors qu’on la croyait définitivement bannie de notre histoire. La deuxième est la prise de conscience de notre dépendance à la mer, par laquelle transitent les biens mais également – de manière croissante avec l’embargo sur les exportations russes – l’énergie. La troisième est la résurrection de l’Otan, vers qui tous les États européens se sont tournés face à la menace russe.

Ces trois ruptures s’accompagnent d’une transformation de la menace en mer. Celle-ci est redevenue un espace de compétition et de confrontation entre les puissances, particulièrement en Indo-Pacifique, sous la pression chinoise. La menace est désormais partout, sur toutes les mers de la planète mais également en dessous et au-dessus.

Généralisée, la menace est également plus intense. Le réarmement naval est massif dans le monde, particulièrement, une fois encore, en Indo-Pacifique ; nos marins, avec le retour du combat naval, connaîtront probablement le feu à la mer.

Enfin, cette menace se nourrit de notre propre faiblesse. Demain, toute faiblesse réelle ou supposée d’un État sera considérée par ses compétiteurs comme une occasion de remettre en cause les situations acquises, y compris par la force, alors même que l’on fait face à un risque de désagrégation de l’ordre juridique international.

Face à ces nouvelles menaces, les moyens de notre marine doivent continuer à croître. Déjà déployée sur de multiples théâtres, elle est à la limite de ses capacités. Ce qui est en jeu, c’est l’accroissement de son format – et non sa modernisation à taille constante –, d’abord grâce à un deuxième porte-avions. En effet, la France ne dispose pas aujourd’hui d’un porte-avions mais de 65 % d’un porte-avions, puisqu’un tiers du temps, celui-ci est en entretien. Un deuxième porte-avions – et non pas un deuxième groupe aérien – permettrait de disposer en permanence de cet outil puissant, prêt à être déployé sur un théâtre lointain comme l’Indo-Pacifique, voire sur deux théâtres en cas de menace exceptionnelle. Nous avons encore un peu de temps pour décider mais il semble indispensable d’y penser dans la perspective de la future LPM.

L’accroissement du format passe aussi par un plus grand nombre de frégates de premier rang. Le Livre blanc de 2013 fixait un objectif de quinze frégates pouvant être déployées sur deux ou trois théâtres simultanément. Ce nombre est clairement insuffisant alors même que notre marine est aujourd’hui engagée sur quatre théâtres. Le risque d’épuiser les hommes et le matériel est réel. Il faut donc revenir, au minimum, au format des 18 frégates qui prévalait avant.

Enfin, la marine doit relever pleinement le défi de la dronisation, levier permettant de dépasser à la fois les limites humaines et les contraintes financières, tout en maîtrisant les risques.

Mais la marine, ce sont avant tout des équipages, qui devraient connaître, à défaut d’une évolution quantitative, une transformation en profondeur. Avec le retour du combat naval et du risque du sacrifice ultime en mer, face à des États comme la Russie ou la Chine, puissamment armés et aux valeurs situées à l’opposé des nôtres, adapter la doctrine et la préparation opérationnelle des marins à la haute intensité est une nécessité.

Face à ce nouvel environnement stratégique, notre pays est à la croisée des chemins : soit il affiche ses ambitions et dote la marine des capacités nécessaires pour qu’elle puisse tenir son rang, soit il les réduit, acceptant un lent déclassement qui se paiera, dans les prochaines décennies, par la perte de la maîtrise de notre destin et de notre capacité à peser sur la marche du monde.

Le temps de la marine, et celui de la défense en général, est un temps long. Les décisions qui sont prises aujourd’hui nous engagent pour des décennies. Face à tant de menaces et d’incertitudes, le principe de précaution doit s’appliquer et notre pays se préparer au pire pour mieux le prévenir.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). L’Indo-Pacifique est-il, à vos yeux, un concept pertinent ? Ne devrions-nous pas avoir une stratégie différenciée entre l’océan Pacifique et l’océan Indien ? Nous sommes très présents dans l’océan Indien, avec des élongations relativement courtes, mais le Pacifique, c’est évidemment autre chose.

Il faut augmenter le format de la marine ; à ce titre, les dix-huit frégates que vous évoquiez sont un strict minimum. Parallèlement, il faut conduire un effort sur l’armement. Je suis un peu dépité de voir que les FDI (frégates de défense et d’intervention) qui vont être mises à la disposition de notre marine ne pourront tirer que seize missiles, contre trente-deux pour celles que nous vendons à la Grèce.

S’agissant de la capacité amphibie légère, du fait de la disparition des bâtiments de transport léger (Batral), nous aurions du mal à projeter rapidement des forces si nous rencontrions, à l’avenir, un problème dans les îles Éparses.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Il faut en effet différencier les choses. Le Pacifique est un immense désert maritime. Nous y disposerons à l’avenir de deux patrouilleurs d’outre-mer (POM) et d’un bâtiment de soutien outre-mer par plot, ainsi que de frégates de surveillance. L’effort en direction de l’Indo-Pacifique concerne avant tout l’océan Indien et, en particulier, La Réunion, Mayotte et le canal du Mozambique. Celui-ci, qui est une voie stratégique, revendiquée par plusieurs pays, abrite les îles Éparses, qui nous permettent de contrôler le canal. C’est pourquoi nous devons porter nos efforts sur ces secteurs et concevoir, par exemple, le remplacement des frégates de surveillance par des bâtiments plus armés et plus puissants. Les POM se substitueront bientôt aux patrouilleurs d’outre-mer – le premier entrera en service l’an prochain ; ils offriront une allonge démultipliée, qui atteindra 5 500 nautiques, soit plus de 10 000 kilomètres, à laquelle il faut ajouter les drones embarqués. Nous pourrions attendre des futures corvettes de patrouille européennes, bien armées, qu’elles puissent remplir certaines de ces missions.

S’agissant de la capacité de tir des frégates en missiles Aster, je n’ai pas la réponse stratégique mais il est évident que nos bâtiments – notamment ceux qui, outre-mer, remplaceront les frégates de surveillance – doivent être puissamment armés.

On peut se féliciter du remplacement des Batral par des bâtiments de soutien et d’assistance outre-mer (BSAOM). Certes, les Batral permettaient d’accoster sur la plage, mais moins de 30 % des plages situées dans nos secteurs d’intervention se prêtent à cette manœuvre. Les bâtiments de soutien représentent une montée en gamme, puisqu’ils peuvent emporter une trentaine de personnes et un hélicoptère, être utilisés pour assurer une intervention aussi bien que des travaux de levage.

M. Jean-Michel Jacques (RE). Nos compétiteurs, voire nos adversaires, montent en puissance et font parfois le choix d’acquérir un, voire deux porte-avions. Quel serait, selon vous, l’intérêt opérationnel d’avoir un deuxième porte-avions – au côté du futur porte-avions nucléaire prévu par la LPM ?

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. À titre d’exemple, la Méditerranée représente 1 % du volume des mers du monde, 25 % du trafic maritime et 65 % des approvisionnements énergétiques de l’Europe : qui tient la mer a la maîtrise du commerce et du monde. Un porte-avions est à portée d’ailes de 80 % des villes du globe. C’est un puissant instrument militaire, qui peut emporter des armes conventionnelles et nucléaires, mais c’est aussi un outil à vocation diplomatique. La France a eu, par le passé, deux porte-avions avec un seul groupe aérien. Je rappelle que le Charles-de-Gaulle connaîtra, en 2023, un arrêt technique majeur. Tous les grands pays, et même les puissances régionales, se dotent de plusieurs porte-avions ou porte-aéronefs. Nous devons entendre le message.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Abstraction faite des risques de confrontation, pensez-vous que la marine nationale est en mesure d’assurer la police des mers dans notre ZEE et de protéger la biodiversité ? Si ce n’est pas le cas, comment y parvenir ?

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. La France doit faire respecter sa souveraineté et protéger ses intérêts sur les 11 millions de kilomètres carrés de sa ZEE. Les navires étrangers n’en franchissent pas les limites, car ils savent que, dans le cas contraire, ils seraient immédiatement interceptés. De surcroît, les patrouilleurs d’outre-mer seront dotés de drones SMDM (systèmes de minidrones pour la marine), qui leur offriront une allonge de 50 kilomètres supplémentaires.

M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Avez-vous pu vous faire une idée précise des besoins de la marine française en matière de drones ? On s’intéresse, actuellement, à de nouveaux démonstrateurs adaptés aux grands fonds, à l’image du docking, qui est une station d’accueil sous-marine permettant de lancer et de récupérer un sous-marin autonome chargé, notamment, de protéger les approches côtières. Les besoins semblent se concentrer sur la grande profondeur, à partir de 6 000 mètres.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. La limite des 6 000 mètres constitue l’enjeu essentiel, sachant que les choses se compliquent dès que l’on franchit le seuil des 3 000 mètres. L’importance des fonds marins provient, notamment, des câbles, même si ces derniers sont surveillés en permanence par les sociétés qui les ont posés. La stratégie Objectif 2030 nous permettra d’être encore plus robustes en ce domaine. La marine est très sensibilisée à la maîtrise des fonds marins : un officier supérieur en charge de cette question vient d’être nommé au sein de l’état-major et un autre, placé auprès de l’amiral commandant la force d’action navale (Alfan), supervise l’action en la matière. La difficulté est de communiquer avec un drone évoluant jusqu’à 6 000 mètres de profondeur. On est capable, aujourd’hui, de confier à un drone des missions de plusieurs natures, parmi lesquelles l’observation. Nos performances s’accroîtront grâce à des sociétés comme Exail ou Naval Group.

 

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La commission en vient maintenant aux interventions des représentants des groupes politiques.

M. Jean-Michel Jacques (RE). Pour la sixième année consécutive, le budget de la défense est en augmentation. Il suit à la lettre la trajectoire adoptée en loi de programmation militaire 2019-2025. Ainsi, pour 2023, les crédits de la mission Défense s’établissent à 43,9 milliards d’euros, soit 11,6 milliards de plus qu’en 2017, et 3 milliards de plus qu’en 2022. L’impulsion donnée dès 2017 a mis fin à l’érosion de notre outil militaire. Nos investissements ont permis à nos forces armées de renforcer leur supériorité sur les champs de bataille et de s’engager dans de meilleures conditions. La France aura ainsi pu rester crédible aux yeux de ses alliés, notamment européens.

Notre ambition pour 2030 n’a pas changé : permettre à notre pays d’intervenir en tout lieu, tant dans les champs matériels qu’immatériels et en tout temps, là où ses intérêts et sa sécurité sont menacés. Le budget pour 2023 suit ce cap. Il poursuit les efforts indispensables pour moderniser, renouveler et entretenir nos équipements grâce aux 38 milliards d’euros de commande militaire qui soutiendront le tissu économique national ainsi qu’à d’importantes livraisons – treize avions Rafale, un sous-marin nucléaire d’attaque, dix-huit chars Leclerc et 264 véhicules blindés multirôles. Il permettra également d’inscrire notre industrie de défense dans une logique d’économie de guerre et de renforcer notre souveraineté. Ainsi, 2 milliards d’euros seront consacrés à la commande de munitions pour renouveler nos stocks. D’autres crédits sont affectés à la dissuasion nucléaire, à l’espace, aux grands fonds marins, à la cyberdéfense et au renseignement. Le soutien à la recherche et au développement ainsi qu’à l’innovation de défense renforce encore davantage notre autonomie stratégique.

Enfin, ce budget permettra d’améliorer le quotidien de nos militaires grâce aux crédits dédiés au plan famille ou à l’équipement du combattant.

La mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation ne faiblit pas. En 2023, les droits acquis pour nos anciens combattants sont maintenus, de même que les moyens alloués à la politique de mémoire, sans parler du large soutien apporté à nos militaires blessés grâce à la pérennisation du dispositif des maisons Athos.

La nation n’oublie pas ceux qui s’engagent pour elle, corps et âme, et qui peuvent parfois être amenés, sur ordre, à donner la mort ou à la recevoir. Pour toutes ces raisons, notre groupe votera ces crédits.

M. Laurent Jacobelli (RN). Le budget de la défense a longtemps été en chute libre. Nos armées ont chèrement payé les dividendes de la paix. Depuis plusieurs années, reconnaissons-le, l’érosion a pris fin et la trajectoire s’est maintenue. Cependant, le monde qui nous entoure a changé. La guerre est à nos portes et l’inflation s’est invitée dans nos débats budgétaires. Les 3 milliards que vous évoquez étaient peut-être, hier, un titre de gloire pour la majorité mais ils ne sont plus aujourd’hui qu’une goutte d’eau dans le budget de nos armées. Les défis sont nombreux. Ce budget aurait pu nous offrir l’occasion de retrouver une souveraineté nationale pour nos équipements et notre stratégie de défense, de rééquiper massivement nos armées, d’expliquer à ces hommes et à ces femmes qui défendent notre pays, qui se battent pour nous, que nous avions compris leurs demandes et que nous allions les satisfaire. Hélas, ce ne sera pas possible.

Ce budget arrive après des années de disette et de déséquipement pour nos armées. Son augmentation ne suffira pas à combler le retard. Lorsque l’on manque d’argent, il faut être pragmatique, non idéologue. Pas si loin de chez nous, la guerre n’est pas une hypothèse mais un risque avéré. La France doit être indépendante, aussi dans son équipement. Lequel voulons-nous ? Comment voulons-nous l’utiliser ? À quelles fins ? Notre décision doit demeurer souveraine. Les programmes SCAF et MGCS nous laissent perplexes. Au mieux, ils sont au point mort, au pire ils vont droit dans le mur. Reprenons la main, faisons confiance à nos industries pour préparer, fabriquer, concevoir nos équipements plutôt que de courir après des licornes européistes.

Votre action en faveur de notre armée est louable mais vous ne faites que le minimum syndical. Des livraisons auront lieu en 2023 pour nos forces terrestres, navales, aériennes et spatiales mais les livraisons de matériel vers l’Ukraine, la vente d’avions Rafale à la Croatie et à la Grèce, le retrait des Mirage 2000-C aggravent le manque de disponibilité des matériels. Le renouvellement des stocks de munitions à hauteur de 2 milliards d’euros en autorisations d’engagement ne sera pas suffisant. Ce n’est pas ainsi que nous relèverons un défi crucial pour notre souveraineté. La filière de munitions de petit calibre est totalement abandonnée. Il faudrait 100 millions d’euros pour repartir du bon pied.

Nos industries de la défense sont victimes, d’autre part, d’une énième ingérence américaine, puisque Exxelia vient d’être racheté par Heico. Sans être une entreprise d’armement, Heico est un sous-traitant qui participe à la fabrication de nos matériels. Que se passera-t-il quand les Américains géreront cette entreprise ? Restons vigilants et bloquons ces pillages organisés par des puissances impérialistes qui ont des vues sur notre défense.

La mission Anciens combattants, mémoire et lien avec la nation est marquée par une érosion budgétaire, qui peut s’expliquer par des raisons démographiques. Cependant, n’oublions pas que la plupart des indemnisations sont trop faibles ou ne profitent pas à toutes les personnes qui pourraient y avoir droit. Je pense aux harkis et à leurs familles, qui se battent pour une augmentation du montant de la réparation. Ces hommes et ces femmes qui ont tout sacrifié pour notre pays, parfois au péril de leur vie ou de celle de membres de leur famille, méritent la reconnaissance de la France. Cette juste reconnaissance de la nation a tardé et ne nous semble toujours pas à la hauteur de ce qu’ils ont accompli pour nous.

En séance publique, un amendement pour défendre la demi-part des veuves d’anciens combattants a été adopté. Cette mesure de justice sociale doit être conservée. Or, on ne sait pas si, dans quelques instants, cet amendement ne disparaîtra pas dans le sillage du 49-3, au mépris de la volonté de la représentation nationale.

Enfin, les crédits de la mission Sécurités progressent de 6 % pour 2023 mais ce ne sera pas suffisant pour répondre aux enjeux de sécurité intérieure : l’explosion de la délinquance, l’aggravation du trafic de drogue, l’immigration incontrôlée et les problèmes d’insécurité qui en résultent jusque dans nos campagnes si l’on en croit le plan de relocalisation du Président de la République. Les Jeux olympiques de 2024 représentent un nouveau défi pour la sécurité, surtout après les événements du stade de France. Nous devons réformer la réserve de la gendarmerie en nous inspirant du modèle des armées, rénover leurs locaux, mieux équiper et recruter. L’implantation de 200 brigades n’est pas suffisamment détaillée.

Vous faites un petit pas là où il aurait fallu de grandes foulées mais parce que nous ne voulons pas priver nos armées du peu de moyens supplémentaires qui leur sont accordés, nous nous abstiendrons.

M. Christophe Bex (LFI-NUPES). Je regrette que l’actualisation de la loi de programmation militaire, souhaitée par le Président de la République, ne suscite pas davantage de débats au regard de l’instabilité du contexte mondial. Alors qu’il convient d’arrêter des choix stratégiques, comme notre appartenance à l’Otan, les décisions seront prises dans l’intimité. De même, la tenue régulière d’auditions à huis clos pose un problème. Si les informations relatives à la défense sont confidentielles, est-il pertinent d’user d’un tel procédé à l’endroit de députés qui représentent le peuple ?

Notre groupe salue la progression du budget mais les fameux 3 milliards d’euros supplémentaires promis ne sont pas au rendez-vous. Ce budget ne tient pas compte de l’inflation, estimée à 4,2 % en 2023. Ne serait-ce que pour leur préparation opérationnelle, nos forces seront durement affectées. Le budget est par ailleurs amputé des 357 millions d’euros nécessaires à la revalorisation de l’indice de la fonction publique. Ces coûts supplémentaires auraient dû s’ajouter aux crédits et non s’y fondre.

Les crédits de la mission Anciens combattants, mémoire et lien avec la nation ne cessent de faiblir. Pourquoi ne pas pérenniser le budget et affecter les sommes non dépensées du fait de la disparition de certains anciens combattants, à d’autres actions ? Nous proposerons des amendements en ce sens, pour améliorer la prise en charge des blessés psychiques ou étendre la reconnaissance des souffrances endurées par les orphelins victimes de barbaries durant la deuxième guerre mondiale et les orphelins de parents incorporés de force et exécutés.

Alors que le ministre annonce le doublement des effectifs de la réserve opérationnelle, aucune mesure n’est prise en ce sens dans le budget pour 2023. Les 1 500 créations nettes de postes civils, notamment dans le renseignement ou la cyberdéfense, sont salutaires mais comment renforcerez-vous les effectifs opérationnels envoyés sur les théâtres d’opérations ? Nous ne pouvons que nous inquiéter des conséquences de l’insuffisance des capacités et des cessions pour la disponibilité de nos matériels. Par rapport au contrat opérationnel, la disponibilité des canons de 155 millimètres passe de 90 % à 58 %. Dans la chasse, celle des appareils passe à 69 %. Dans l’armée de l’air, seuls 65 % des objectifs d’intervention prévus par le contrat opérationnel ont été atteints. Quelles seront les conséquences de la cession d’une partie de nos lance-roquettes unitaires ? Nous ne remettons pas en question ces livraisons et ces cessions mais nous devons rester vigilants.

Concernant les fonds marins, les 3,5 millions d’euros en autorisations d’engagement et les 3,1 millions d’euros en crédits de paiement ne sont pas à la hauteur de l’enjeu que représente la maîtrise des fonds marins. Agissons dès maintenant en augmentant les crédits.

Pour ce qui est de l’espace, le projet de loi prévoit 702 millions d’euros de crédits de paiement en 2023, soit une augmentation de 10 % par rapport à l’année précédente. C’est louable mais certains défis sont oubliés, comme la météo spatiale et les débris, qui sont les principaux responsables de la dégradation de nos équipements.

Enfin, nous vous proposons de créer un nouveau programme, consacré à la transition énergétique et écologique. Le ministère a publié une stratégie Climat et défense, en avril dernier. Remplacer 150 chaudières qui représentent 10 % du parc, notifier deux contrats de performance énergétique, c’est bien, mais est-ce suffisant pour répondre au défi du dérèglement climatique ? Il est temps d’accélérer. Nous devons réfléchir à l’après-pétrole. Nous sommes bien conscients de la difficulté de s’approvisionner en biocarburants mais promettre que les avions utiliseront 1 % de carburant biojet en 2023 ne suffira pas.

Pour toutes ces raisons, nous nous abstiendrons lors du vote de ce budget qui, malgré tout, va dans le bon sens.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Notre responsabilité, au sein de cette commission, est immense. Pensons à ceux qui vivent sous les bombes en Ukraine, aux tensions qui persistent en Afrique, à nos hommes qui restent présents dans la bande sahélo-saharienne, à la compétition stratégique qui se joue sur l’ensemble du globe et dans tous les océans.

Gardons ces images en tête et remémorons-nous nos prédécesseurs qui siégeaient ici même en 1933, en 1936, en 1938, à l’heure où les périls croissaient en Europe, où les chars allemands occupaient la Rhénanie, où était décidé l’Anschluss. Les événements d’Ukraine nous renvoient à ces heures funestes : on meurt à la guerre à deux heures de Paris.

Le vote de ce budget est un symbole fort et essentiel. Nos démocraties doivent se défendre, notre sécurité doit être garantie, l’unité et la résilience de la nation sont essentielles. Ce n’est qu’ensemble que nous parviendrons à la bâtir.

Venons-en à ce budget : 3 milliards d’euros ne sont pas une goutte d’eau. Les engagements pris dans la loi de programmation militaire sont tenus, pour la première fois de notre histoire.

L’inflation, cependant, reste une réalité et emporte des conséquences pour notre projet de loi de finances dont la progression est plus proche des 2 milliards d’euros que des 3 milliards.

Nous avons pourtant tous cru aux dividendes de la paix et nous avons tous accepté de réduire les dépenses militaires. Il serait à présent irresponsable de ne pas voter ce budget. Le rendez-vous majeur sera celui de la loi de programmation militaire, en 2023. Elle devra mesurer les défis, les menaces et les intérêts français, ne rien sacrifier et tirer les leçons de la guerre en Ukraine. J’espère que le travail que j’ai réalisé avec Patricia Mirallès sur la préparation à la haute intensité sera utile.

Nous voterons ce budget pour assurer la sécurité de ceux qui défendent notre pays, au péril de leur vie.

Mme Delphine Lingemann (Dem). L’objectif de la loi de programmation initiale, qui était de réparer, a été respecté. L’effort budgétaire pour la mission Défense s’inscrit dans cette continuité. En progression de 3 milliards d’euros, il s’élève à près de 44 milliards d’euros. Désormais, nous évoluons dans un contexte géopolitique profondément modifié par le conflit en Ukraine. La situation exceptionnelle nous commande d’accélérer l’effort de préparation des armées aux affrontements à haute intensité afin de gagner la guerre avant la guerre.

Les crédits de la mission reflètent les ambitions et les priorités portées par le chef de l’État, le ministre des armées et notre majorité, pour une année 2023 qui sera une étape intermédiaire entre la loi de programmation militaire en cours et celle qui sera votée pour 2024-2030 et qui intégrera les nouveaux enjeux stratégiques.

Notre groupe salue la continuité de l’action menée depuis 2017 grâce à un budget qui remet les femmes et les hommes de la défense au cœur de notre capacité de défense, améliore les conditions de vie et d’engagement grâce à la création de nouveaux postes, la livraison d’équipements essentiels au quotidien du soldat et la poursuite du plan famille. Ce budget permet également de poursuivre les efforts engagés pour attirer et fidéliser les personnels, notamment par la conduite de la dernière étape de la nouvelle politique de rémunération des militaires. Les crédits de cette mission traduisent notre volonté de préparer l’avenir de nos forces armées en accordant une place singulière à l’humain et la priorité aux investissements dans les secteurs clés pour les conflits de demain : le renseignement, l’espace, le cyberespace et le numérique. Pour toutes ces raisons, notre groupe votera les crédits de la mission Défense.

La mission Anciens combattants, mémoire et lien avec la nation accorde une place sans précédent aux publics qui relèvent des dispositifs de réparation dans le cadre du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre. Nous nous en réjouissons et nous saluons le droit à pension des victimes d’actes de terrorisme pour les attentats commis avant le 1er janvier 1982. Cette mesure de justice était attendue. La revalorisation générale des pensions militaires, d’invalidité et de la retraite du combattant entrera en vigueur le 1er janvier prochain, avec un an d’avance. C’est louable.

La journée défense et citoyenneté bénéficiera d’un budget de 21,2 millions d’euros. Thucydide disait que la force de la cité ne réside ni dans ses remparts ni dans ses vaisseaux mais dans le caractère de ses citoyens. La force de notre cité tient à sa force morale. Nourrissons-la pour qu’elle fasse battre le cœur de notre pays. Aidons nos jeunes à affronter l’adversité pour qu’ils deviennent plus résistants à l’épreuve, plus résilients au conflit.

Quant à la mission Sécurités, on compte 100 000 gendarmes d’active contre 150 000 policiers. Si les deux forces couvrent la même densité de population et poursuivent les mêmes objectifs de sécurité nationale, les gendarmes interviennent dans 96 % du territoire national contre 4 % seulement pour les policiers. Forte de près de 3 100 unités territoriales, la gendarmerie nationale est un atout majeur dans notre continuum géographique sécuritaire. Celui-ci doit cependant être renforcé par la création de 200 brigades et l’amorce d’une nouvelle étape dans la stratégie globale, par un schéma d’emploi ambitieux et une hausse des effectifs de la réserve opérationnelle – 50 000 réservistes à l’horizon 2027 – sans que celle-ci ne devienne une variable d’ajustement du budget de la gendarmerie.

Nous devons également donner à la gendarmerie les moyens de s’adapter aux nouvelles frontières de la délinquance en lui permettant d’être toujours plus moderne et innovante notamment sur le volet numérique et cyber et d’amplifier son action en passant d’une logique de guichet à une logique du pas de porte. Notre groupe votera ce budget qui inclut tous ces aspects.

Mme Anna Pic (SOC). Nous regrettons la baisse des crédits de la mission Anciens combattants, mémoire et lien avec la nation mais nous reconnaissons qu’elle s’explique par la disparition d’anciens combattants. Il aurait été cependant préférable de les sanctuariser pour répondre aux attentes des associations représentatives. Surtout, alors que le Gouvernement s’apprête à revaloriser la valeur du point de pension militaire et la retraite du combattant pour un montant global de 41,6 millions d’euros, les crédits reculent de 107 millions d’euros dans le PLF pour 2023, ce qui trahit l’insincérité de ce budget.

D’autre part, les crédits globaux consacrés aux actions menées en faveur des rapatriés n’augmentent que de 6 millions d’euros alors que le droit à réparation, prévu dans la loi du 23 février 2022 portant reconnaissance de la nation envers les harkis, augmente de 15 millions d’euros. Seule une hausse globale de 15 millions d’euros aurait permis de maintenir un budget constant et un niveau de crédit équivalent pour tous les autres dispositifs de soutien à l’égard des harkis.

Au cours de l’examen de la mission, nous défendrons l’augmentation des crédits de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG) à hauteur de 1 million d’euros pour lui permettre d’honorer les engagements pris dans le cadre du dispositif de réparation institué par la loi de 2022. Nous serons attentifs au sort réservé à l’amendement qui tend à étendre le dispositif de la demi-part fiscale supplémentaire à tous les veufs et veuves d’anciens combattants. Par ailleurs, nous nous étonnons du transfert de dispositifs initialement dédiés à la jeunesse vers le service national universel. Il ne peut être confié à l’armée une mission éducative qui n’est pas la sienne.

Pour ce qui est de la mission Défense, le budget, en hausse, est conforme aux engagements pris dans le cadre de la loi de programmation militaire. L’effort est indéniable mais le respect de la trajectoire de la LPM est faussé par l’inflation, évaluée à 4 % par le Gouvernement. De surcroît, les reports de charges annoncés supposent que nous devrons procéder à des rattrapages dans les prochains textes budgétaires. D’autres limites ont été posées à cette progression, ces dernières semaines. La première concerne l’effectivité de la montée en puissance défendue par le Président de la République dans le cadre d’une économie de guerre. En effet, elle impose d’intensifier l’effort dont nos principaux industriels ne cessent d’interroger la soutenabilité. Ils doutent également des capacités humaines et financières des PME sous-traitantes avec lesquelles ils travaillent. De surcroît, la maintenance des nouveaux matériels d’ores et déjà livrés et utilisés par nos armées coûte plus cher et impose de former les personnels.

Nous saluons la nouvelle politique de rémunération des militaires qui clarifie les régimes indemnitaires mais un rééquilibrage entre la rémunération indiciaire et la rémunération indemnitaire s’impose pour répondre aux défis de l’attractivité et de la fidélisation.

Par ailleurs, il semble hasardeux de diminuer les autorisations d’engagement du programme de dissuasion à l’heure où la Russie menace de recourir à l’arme atomique, ce que les États-Unis prennent au sérieux.

Nous défendrons un amendement pour augmenter la dotation gazole allouée à nos forces armées pour supporter la volatilité des prix du baril, instaurer des modules de formation spécifique de sensibilisation aux enjeux de la préservation de l’environnement, octroyer une reconnaissance financière à tous les personnels soignants du service de santé des armées.

Quant à la mission Sécurités, le Gouvernement répond en partie aux besoins mais la création de 200 nouvelles brigades pose la question de leur déploiement. Une implantation réfléchie, coordonnée et planifiée serait préférable à une mise en concurrence entre les collectivités locales pour leur obtention. Comment les brigades mobiles et les brigades fixes seront-elles réparties ?

Pour toutes ces raisons, nous nous abstiendrons.

M. Yannick Favennec Bécot (HOR). En 2023, le budget des armées françaises augmentera, pour la sixième année consécutive. Depuis 2017, chaque année, la trajectoire budgétaire est conforme aux engagements pris dans le cadre de la LPM 2019-2025. Depuis mars 2021, les combats de haute intensité qui se déroulent aux portes de l’Europe, auxquels s’ajoutent une montée des tensions dans l’espace indo-pacifique et une reconfiguration du dispositif français en Afrique, appellent de nouveaux efforts. Les crédits de la mission Défense progressent de 3 milliards d’euros cette année pour permettre à nos armées de s’adapter et de réagir rapidement dans l’ensemble des théâtres d’opération mais aussi d’identifier les futurs enjeux sécuritaires. Il nous reste cependant beaucoup à faire et la loi de programmation militaire 2024-2030 nous permettra de tracer une nouvelle trajectoire.

La France n’est pas seule. Elle agit avec ses partenaires européens et ceux de l’Otan. C’est pourquoi notre groupe salue la consécration, dans les dépenses de l’État, des programmes de coopération bilatéraux et européens pour développer de nouvelles technologies d’armement. À l’heure où certains brandissent la menace nucléaire, il est fondamental de renforcer les capacités de la France pour asseoir notre autonomie stratégique. Celle-ci grandira d’autant plus grâce à l’ensemble des nouveaux moyens consacrés sur terre, en mer, dans le ciel et l’espace.

Le programme 146 vise à mettre à disposition des armées les armements et matériels nécessaires à l’accomplissement de leur mission et concourir au maintien des savoir-faire industriels français et européens. Rappelons, dans la perspective de la prochaine LPM, que nous devons donner à notre base industrielle et technologique de défense (BITD) les moyens de comprendre les exigences des armées et la manière de s’adapter en cas de besoin. Les commandes sur le long terme donnent à notre industrie de défense la visibilité qui lui permet d’inciter toute la chaîne à réaliser les investissements nécessaires et éviter les ruptures capacitaires.

Au-delà du domaine capacitaire, l’examen de ce budget nous rappelle le caractère fondamentalement humain de l’action du ministère des armées. Notre groupe est sensible aux efforts engagés pour poursuivre le plan famille, accompagner et fidéliser nos soldats grâce à des indemnisations plus justes, et améliorer leurs conditions d’exercice. Nous devons cet effort à ceux qui consacrent leur quotidien à la protection des Français, parfois au péril de leur vie.

La mission Sécurités pour 2023 prévoit de renforcer les effectifs sur la voie publique et de porter une attention particulière aux territoires ruraux. Nous nous félicitons de la création de 200 communautés de brigades.

Enfin, la mission Anciens combattants, mémoire et lien avec la nation joue un rôle essentiel en ce qu’elle incarne l’hommage que la nation rend à nos armées pour l’engagement et les sacrifices de nos soldats au service de la sécurité de notre pays. Les actions portées par la mission témoignent de la reconnaissance de la nation envers les anciens combattants et visent à susciter l’adhésion de l’ensemble de la population aux enjeux et aux efforts consacrés à la défense et à la sécurité nationale.

Même si ce budget recule par rapport à l’année dernière, les crédits alloués à cette mission accompagnent la transformation profonde constatée par le monde combattant. Ils prennent en compte la diversification des pensions et des aides versées au-delà de la condition militaire aux victimes de guerre, d’attentats et à leurs familles.

Notre groupe salue les efforts de reconnaissance pour les harkis et l’extension du droit à pension aux victimes d’actes de terrorisme pour les attentats commis avant 1982.

La transformation du monde combattant tient compte de l’évolution des générations. Les combattants qui ont servi en Opex sont plus jeunes, encore actifs, et comptent davantage de femmes. Nous saluons aussi les dispositifs prévus pour réhabiliter les soldats le plus tôt possible, comme les maisons Athos.

Enfin, les efforts consentis pour la politique de mémoire à travers la restauration et la mise en valeur du patrimoine sont indispensables mais nous devons veiller à l’avenir des associations d’anciens combattants qui ont perdu pas moins de 300 000 adhérents entre 2014 et 2021.

Notre groupe votera ces crédits.

M. Pierre Morel-À-L’Huissier (LIOT). Notre groupe votera ces crédits. Tous les parlementaires doivent envoyer un signal fort de soutien à nos militaires et au monde combattant. Cependant, ce vote ne doit pas être interprété comme un blanc-seing donné au Gouvernement.

S’agissant de la mission Anciens combattants, mémoire et lien avec la nation, je salue l’adoption, en première partie, des amendements qui ont permis d’étendre le bénéfice de la demi-part fiscale. Cette véritable avancée corrige une injustice fiscale. Le financement de cette dépense fiscale sera-t-il maintenu et inscrit dès 2023 ? Nous regrettons en revanche que le budget continue à se contracter. De 2,5 milliards en 2017, il est passé à 1,9 milliard.

D’autre part, le service national universel est le grand oublié de cette mission alors que le monde combattant a un rôle à jouer auprès des jeunes. Le bleu budgétaire traduit la volonté du ministère des armées de prendre part à sa montée en puissance mais aucun crédit budgétaire n’est fléché en ce sens.

La mission Défense m’inquiète. Les 3 milliards de hausse ne sont qu’un trompe-l’œil budgétaire. Les crédits doivent être relativisés au regard des reports de charge, du coût de la revalorisation du point d’indice dans la fonction publique et de l’inflation.

Concernant les renseignements, à l’heure des conflits de haute intensité, l’enveloppe de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) progresse en 2023 après une baisse de près de 4 % de ses crédits de fonctionnement et d’intervention l’an dernier. Les failles du passé ne pèsent-elles pas sur nos échecs ?

L’incapacité des services à prévoir l’invasion russe de l’Ukraine, les coups d’État au Sahel ou la trahison de l’Australie dans l’affaire des sous-marins conduit à s’interroger. Il faudrait que le ministère se positionne clairement sur nos objectifs en matière de renseignement : veut-on simplement se mettre à niveau ou rattraper nos concurrents ?

S’agissant de la BITD, nos industriels vont être extrêmement sollicités, alors même qu’ils sont affectés par l’inflation. Nous devons faire face à plusieurs demandes : l’appui continu à l’Ukraine, la reconstitution des stocks de nos armées, la livraison des commandes aux États. L’accès au financement bancaire demeure difficile, surtout pour les PME. Les négociations entre Bercy, les banques et les entreprises n’ont pas permis de faire avancer les choses. Il est difficile, dans ces conditions, d’élaborer une nouvelle feuille de route pour notre tissu industriel militaire. Ce sont autant d’enjeux qui nécessitent de rectifier le tir au moyen d’une nouvelle LPM.

Notre groupe tient à saluer l’effort engagé en faveur de la gendarmerie nationale, dont les crédits avoisinent désormais 10 milliards. Les gendarmes avaient dû faire face à une contraction violente du nombre des brigades, qui étaient passées de 3 600 à 3 100. Nous saluons la création, prévue par le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (LOPMI), de 200 nouvelles brigades. Notre groupe attend encore des éclaircissements sur les efforts qui seront menés en faveur des territoires. La concertation évoquée avec les élus locaux va dans le bon sens, mais se traduira-t-elle par des financements permettant de répondre aux spécificités de chaque territoire et aux demandes des élus locaux ?

*

*    *

La commission en vient à l’examen, pour avis, des crédits de la mission « Défense ».

M. le président Thomas Gassilloud. La commission est saisie de vingt-neuf amendements. Sur les quarante-neuf qui avaient été initialement déposés, sept ont été retirés et treize ont été déclarés irrecevables, soit parce qu’ils comportaient des erreurs dans les mouvements de crédits ou leur justification – c’est le cas des amendements nos 32, 36, 37, 38, 40 et 44 –, soit parce qu’ils ne relevaient pas du domaine des lois de finances – cela concerne les amendements nos 9, 15, 19, 20, 21 et 22. Enfin, l’amendement no 13 relevait du compte d’affectation spéciale Pensions.

Article 27 et état B : Crédits du budget général

 

Amendement II-DN7 de Mme Isabelle Santiago et autres

Mme Anna Pic (SOC). La mission Défense prévoit pour 2023 une dotation en gazole de 33 036 867 euros, correspondant à un volume de 20 600 mètres cubes pour nos forces armées, en très légère augmentation par rapport au PLF pour 2022. Le Gouvernement table sur un prix du baril de pétrole de 88 euros. Cette prévision ne tient pas compte de la grande volatilité des cours liée à l’évolution du marché, qui est actuellement fortement affecté par la dégradation de l’environnement international. Cet amendement du groupe Socialistes et apparentés propose d’augmenter de 5 % la dotation gazole allouée à nos forces armées, pour un montant de 1,651 million. Cette somme tient compte de l’augmentation des tarifs de cession ainsi que du volume de carburant nécessaire à l’activité de nos forces armées en 2023, qui pourrait s’accroître.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Votre amendement est utile, car le cours du brent a été manifestement sous-estimé dans le projet de budget, comme il l’avait été l’année dernière. Si le montant de 1,651 million est insuffisant pour compléter le reste à charge de nos armées, c’est tout de même mieux que rien. Avis favorable.

M. Lionel Royer-Perreaut (RE). Cet amendement, comme les trois suivants, témoignent de la volonté qui nous anime toutes et tous que les forces armées aient les moyens de leurs ambitions. Cela étant, les montants proposés – 1,6 million, 50 millions, 200 millions… – montrent combien nos prévisions divergent concernant la volatilité du cours du baril. Il ne faut pas laisser croire que nos armées ne disposent pas de moyens suffisants et que nous n’avons pas la possibilité de réabonder en cours d’année la ligne budgétaire des carburants, faculté prévue par l’article 5 de la LPM. Au nom de mon groupe, je vous invite donc à repousser cet amendement, comme les trois suivants.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Le service de l’énergie opérationnelle (SEO) détient un compte de commerce abondé par le programme 178, qui lui sert à acheter l’essence et à la revendre à ses utilisateurs – nos armées, les armées alliées ou des entreprises privées effectuant en particulier des essais. Ce compte a été abondé cette année à hauteur de 600 millions ; il peut présenter un découvert d’un montant maximal de 125 millions. Fin août, le compte de commerce étant à zéro, le SEO a dû utiliser son découvert en veillant à ne pas dépasser la limite fixée. Il ne peut y parvenir qu’en ponctionnant d’autres lignes du programme 178, ce qui met en tension la totalité de ce programme. C’est cela que nous voulons éviter. Le Gouvernement aurait pu choisir d’activer l’article 5, mais il ne l’a pas fait cette année. Il aurait pu aussi, dès juillet, augmenter la ligne dédiée à l’essence dans le projet de loi de finances rectificative (PLFR). J’espère que le PLFR de décembre abondera ce programme.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN8 de Mme Anna Pic et autres

Mme Anna Pic (SOC). L’amendement vise à abonder les crédits destinés à la préparation des forces navales. Le respect du contrat opérationnel pour la fonction de protection n’est que de 89 %, soit le niveau le plus faible de toutes les forces armées. Les autorisations d’engagement en matière de préparation des forces navales sont en forte diminution – de près de 32 %, soit d’environ 1,3 milliard –, ce qui montre que l’on envisage un contrat opérationnel général plus faible pour la marine en 2023. Le constat est particulièrement préoccupant pour la sécurité de notre zone économique exclusive (ZEE). Comme l’indique le projet annuel de performances (PAP) Défense, « le niveau de réalisation de la couverture des zones de surveillance maritime devrait se maintenir jusqu’en 2025, le parc des moyens aériens et maritimes restant quantitativement équivalent ». Ce taux de couverture restera donc très faible.

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis. Cet amendement et les suivants, qui ont trait au renforcement de nos moyens pour la marine nationale, présentent des objectifs louables mais proposent des moyens discutables. Je comprends mal le gage sur lequel reposent les amendements de Mme Pic et de Mme Galzy qui visent à abonder l’action 03, Préparation des forces navales, du programme 178 d’un montant, respectivement, de 5 millions et de 1 million. Vous prélevez ces sommes sur l’innovation et le soutien à nos forces alors qu’on a montré à quel point ces domaines sont essentiels à la marine nationale. Dans le même ordre d’idées, une série d’amendements du Rassemblement national vise à abonder le programme des sous-marins ou celui des patrouilleurs océaniques en prélevant les crédits sur la journée défense et citoyenneté, qui est une brique essentielle du lien entre l’armée et la nation. Enfin, l’amendement de M. Tanguy me semble redondant avec celui de ses collègues puisqu’il vise à l’acquisition de deux patrouilleurs outre-mer (POM) supplémentaires.

La majorité présidentielle apporte une grande attention à la ZEE et aux territoires d’outre-mer (TOM), comme le montre l’accroissement des moyens de notre armée, tant dans le budget que dans la loi de programmation en cours. Il est prévu d’acheter cinq POM supplémentaires, le premier étant en essais à Brest et devant être livré en 2023. Un sixième bateau est prévu pour 2025. Le PLF affecte à cette fin 1,4 milliard en AE et 114 millions en CP. Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Horizons votera contre ces amendements.

Mme Anna Pic (SOC). Comme l’exposé sommaire l’indique, le gage nous est imposé par l’article 40 de la Constitution. Nous espérons que le Gouvernement, conscient de la nécessité de préserver les crédits de l’ensemble des programmes, le lèvera.

M. Laurent Jacobelli (RN). Nous voterons en faveur de l’amendement, car il vise à accroître le budget de la défense.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN10 de Mme Isabelle Santiago et autres

Mme Anna Pic (SOC). Nous proposons des modules de formations spécifiques pour sensibiliser les armées à la préservation de l’environnement. L’amendement abonde à cette fin les crédits en faveur de la formation.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Votre amendement reprend une proposition d’un rapport d’information de Mme Santiago et de M. Fiévet qui avait été adopté par notre commission. Il est toujours utile de former aux enjeux climatiques. Avis favorable.

M. Jean-Marie Fiévet (RE). Je doute de la pertinence des amendements portant sur la transition écologique et énergétique de nos armées. En effet, celles-ci sont déjà fortement engagées en la matière. Le ministère des armées a une responsabilité particulière en matière d’environnement, en sa qualité de premier propriétaire foncier de l’État. Il assume parfaitement ce rôle, comme le montrent les mesures qu’il prend en faveur de la sobriété et de la transition énergétique. Ces actions sont formalisées dans le cadre d’une stratégie ministérielle pour la performance énergétique visant à réduire la dépense énergétique des infrastructures du ministère et à développer l’utilisation d’énergies renouvelables et de capacités d’autoproduction.

Ces mesures représentent 114 millions en AE et 58 millions en CP dans le PLF2023 pour le plan Place au soleil. On relève 18 contrats de performance énergétique, 50 millions pour le plan Eau, un fonds d’intervention de 3 millions pour l’environnement et plus de 10 millions prévus en 2023 pour le remplacement progressif d’ici à 2031 de près de 1 600 chaufferies au charbon ou au fioul. Mentionnons aussi les zones classées Natura 2000, les missions de lutte contre la pollution de la marine nationale ou encore les partenariats du ministère des armées avec diverses organisations protectrices de l’environnement et de la biodiversité.

Dans le cadre de l’élaboration du rapport d’information sur les enjeux de la transition écologique pour le ministère des armées, j’ai été témoin, avec Isabelle Santiago, de cet engagement, qui a permis la restauration de 700 hectares de pelouses sèches, la protection de 3 hectares de milieux humides et la réinsertion d’une espèce d’oiseau protégée, l’outarde canepetière, sur le camp de la Valbonne, grâce au programme Life.

De leur formation jusqu’à leur camp de base, les militaires sont sensibilisés aux enjeux environnementaux. Plusieurs bases ont signé des conventions avec les agriculteurs pour permettre à leurs animaux de venir pâturer sur les terrains militaires. Enfin, je suis convaincu que nos soldats sont aussi sensibilisés, en tant qu’individus, à ces enjeux.

Il faut accompagner le ministère dans ses initiatives. Je ne crois pas que les mesures proposées par les amendements II-DN11 et II-DN12, ni le fléchage auquel invite l’amendement II-DN10, constituent des dépenses pertinentes. Nous voterons donc contre ces amendements.

Mme Anna Pic (SOC). Je me réjouis que le ministère engage des investissements et soit sensibilisé à l’environnement, mais l’amendement vise à abonder une ligne précise : l’action 08, Politique culturelle et éducative, du programme 212.

M. Jean-Michel Jacques (RE). Dans le cadre de leur formation initiale, nos militaires sont sensibilisés à l’environnement. Il est quelque peu choquant de vous entendre dire que les formations sont mal faites et que nos soldats ne sont pas sensibilisés à l’écologie. Lorsqu’ils se déplacent, ils sont très respectueux de l’environnement. Votre amendement, à cet égard, n’est pas recevable.

Mme Anna Pic (SOC). À aucun moment je n’ai dit que les soldats étaient mal formés, mais il me paraîtrait utile de prévoir une formation tout au long de la vie sur la sensibilisation à l’environnement.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Cher Jean-Michel Jacques, il ne vous revient pas de juger de la recevabilité d’un amendement : je vous remercie de bien vouloir respecter le travail de vos collègues.

Cet amendement ne vise pas à remettre en cause les formations destinées aux militaires mais à en faire davantage pour l’environnement. Je me souviens d’un chef d’état-major pour qui l’armée de terre s’y connaissait en écologie puisque les soldats étaient tous habillés en vert… Un peu de formation tout au long de la vie ne peut pas faire de mal !

Mme Natalia Pouzyreff (RE). L’un des scénarios proposés par la Red Team Défense montre comment nos forces pourraient être très rapidement mises en difficulté si elles ne disposaient plus de moyens de ravitaillement. L’enjeu de leur indépendance sur le champ de bataille est pris très au sérieux par les militaires.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Cet amendement n’est que de l’affichage. L’efficacité opérationnelle de nos armées dépend de leur capacité à se fondre dans tous les milieux : le bateau qui laisse des ordures derrière lui ou le fantassin qui ne respecte pas la nature sera le premier à se faire détecter. Par ailleurs, Monsieur Lachaud, en disant que l’amendement n’était pas recevable, notre collègue Jean-Michel Jacques s’attachait à l’esprit du droit, et non à un problème de recevabilité.

M. Jean-Michel Jacques (RE). En effet, je ne me prononçais pas sur le plan légistique mais sur le fond.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN23 de M. Aurélien Saintoul et autres

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NUPES). Il s’agit de créer un programme dédié à l’adaptation du ministère des armées aux conséquences du changement climatique, dans le but d’intégrer un nouveau logiciel de réflexion au sein de nos armées et d’y associer des moyens spécifiques. En 2020, la consommation de carburant représentait 76 % de la facture énergétique de la défense, qui s’élève à 840 millions d’euros. Il est donc nécessaire de trouver des alternatives, notamment lorsque les ambitions en matière de recours au biocarburant ne s’élèvent qu’à 1 % dans le PLF pour 2023. La création de ce programme permettra de financer la réalisation d’une étude d’impact de l’empreinte carbone des trois armées et de préciser comment assurer notre défense en recourant moins aux énergies fossiles, en adaptant nos équipements et nos méthodes d’intervention, et en vérifiant la qualité des locaux hébergeant nos trois armées.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Avis favorable. Les services de nos armées, qui ont tous conscience des enjeux de la bifurcation écologique et souhaiteraient agir, sont bien souvent limités par l’absence de budget dédié. La création de ce programme permettrait d’y remédier.

M. Laurent Jacobelli (RN). Il faudra me donner le nom du cabinet qui fait l’étude d’impact pour 1,3 million : vu le prix, c’est probablement McKinsey ! Considérant tous les manques que nous avons constatés dans l’armement et qu’il faut financer, il faut arrêter de faire des propositions de ce type. Dépenser de telles sommes pour faire des études paraît incongru. Nous voterons contre.

Mme Natalia Pouzyreff (RE). Les armées sont déjà engagées dans un effort de bifurcation pour réduire leur dépendance énergétique. Cela fait partie de la préparation de l’avenir et, à court terme, le plan d’investissement immobilier dans les bâtiments publics, en particulier dans l’immobilier de la défense, est déjà engagé. Je le constate dans ma circonscription avec la rénovation thermique de plusieurs bâtiments qui abritent nos soldats.

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis. Je suis un peu ébahi de constater que, une fois de plus, l’amendement est gagé sur le programme 144. En l’occurrence, s’il y a bien un programme dans lequel on fait de l’innovation sur les carburants et sur la transition écologique des armées pour penser le futur et préparer l’avenir, c’est bien celui-ci ! Il y a là une incohérence de fond qu’il est difficile de comprendre.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN24 de M. Aurélien Saintoul et autres

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Cet amendement vise à renforcer les moyens alloués à la sécurisation des fonds marins. La France, deuxième puissance maritime au monde, a besoin de moyens de surveillance pour protéger ses câbles sous-marins et ses ressources.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. La maîtrise des fonds marins nécessite des moyens de surveillance des grandes profondeurs mais aussi d’intervention. Ces capacités existent : a été nommé auprès du sous-chef Opérations un adjoint en charge de maîtrise des fonds marins, tandis que des sociétés travaillent activement à développer des moyens d’actions dans les grands fonds. Enfin, une mission flash aura pour objet de tirer un certain nombre d’enseignements sur ce sujet et nous permettra d’enrichir la future LPM. Je vous propose de rejeter cet amendement.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN25 de M. Aurélien Saintoul et autres

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Avis favorable. Le SSA (service de santé des armées) continue de souffrir des suppressions d’effectifs réalisées lors de la RGPP (révision générale des politiques publiques) et a été très fortement mis sous tension lors de la pandémie. Il est désormais nécessaire de lui donner des moyens supplémentaires pour remplir ses missions, notamment dans la perspective d’un conflit de haute intensité.

Mme Corinne Vignon (RE). L’augmentation de 1,3 million d’euros prévue dans le PLF pour 2023 permettra au service de santé des armées de commander une plateforme logistique santé, d’engager un effort sur la sécurisation des HIA (hôpitaux d’instruction des armées) et d’acquérir les équipements nécessaires pour moderniser les unités médicales opérationnelles et les antennes de réanimation ou de chirurgie de sauvetage.

L’article 42 du PLF corrige en outre une inégalité de traitement entre les personnels du SSA. Ceux qui sont en fonction dans les hôpitaux interarmées perçoivent le CTI (complément de traitement indiciaire) instauré à la suite du Ségur de la santé. Une majoration de traitement indiciaire est donc créée pour les personnels soignants relevant du ministère des armées mais n’exerçant pas directement en milieu hospitalier et qui, de ce fait, étaient privés du CTI.

Enfin, avec le retour de la haute intensité des conflits en Europe, la LPM nous permettra de réviser les capacités des SSA.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN29 de M. Michaël Taverne et autres

M. Michaël Taverne (RN). Il vise à interpeller le Gouvernement sur les raisons de la réduction du budget alloué aux moyens de simulation de notre dissuasion nucléaire – moins 30 millions d’euros en autorisations d’engagement et moins 70 millions d’euros en crédits de paiement –, alors que cet outil est indispensable pour préserver la crédibilité de nos forces nucléaires, sans laquelle la dissuasion ne remplit plus sa mission.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Depuis 2017, les crédits consacrés à la dissuasion ont augmenté de 47 % – ils s’élèveront à 4,6 milliards en 2023 – tandis que ceux dédiés à la simulation ont augmenté de plus de 50 millions d’euros : c’est considérable. La légère baisse prévue pour 2023 est en ligne avec les besoins exprimés par les porteurs du programme : il n’y a donc pas d’alerte particulière sur notre capacité à simuler notre arsenal dissuasif.

Par ailleurs, pour financer votre amendement, vous ponctionnez des crédits de la journée défense et citoyenneté, ce qui est contreproductif au regard des objectifs qui devraient normalement tous nous rassembler.

M. Loïc Kervran (HOR). L’excellence de la France dans le domaine de la simulation permet de comprendre la baisse des crédits. Tous les outils qui ont été développés – laser Mégajoule, installation radiographique Epure, supercalculateurs Tera, réacteur d’essai RES – ont permis d’en réduire considérablement les coûts.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN33 de M. Pierrick Berteloot et autres

M. Pierrick Berteloot (RN). Les tensions sur la disponibilité des hélicoptères font que nous n’atteignons pas les objectifs en heures de vol fixés par la LPM. Il convient de renforcer nos investissements dans ce domaine afin d’être toujours plus opérationnel et efficace. Il est donc proposé de prélever 3,35 millions d’euros sur le budget des dépenses de personnel des cabinets pour augmenter le budget consacré aux hélicoptères NH90.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Votre amendement ne relève pas du programme 146 mais du programme 178 puisqu’il concerne le maintien en condition opérationnelle (MCO). Par ailleurs, vous le financez en prélevant sur des crédits qui n’ont aucun rapport. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN34 de M. Pierrick Berteloot et autres

M. Pierrick Berteloot (RN). La capacité de projection est capitale pour nos armées. Avec le retour des guerres de haute intensité, le transport de matériel lourd retrouve toute son importance. Après le retrait du C160 Transall, l’A400M est devenu un atout précieux, qu’il convient de prioriser au sein du budget. Il nous semble donc judicieux de prélever des crédits sur le budget consacré au cabinet ministériel pour les investir dans l’A400M.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. L’A400M ne connaît pas de problème d’approvisionnement : la trajectoire est respectée à la lettre et l’armée de l’air et de l’espace recevra en 2023 son vingt-deuxième A400M. Par ailleurs, vous prenez sur les crédits des cabinets pour financer un renforcement potentiel de programmes qui fonctionnent déjà. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN35 de M. Pierrick Berteloot et autres

M. Pierrick Berteloot (RN). Nos sous-marins sont un atout décisif pour surveiller et protéger les mers et les océans. En cas de guerre de haute intensité, la France, deuxième surface maritime mondiale, sera inévitablement menacée sur son territoire maritime. Notre flotte doit donc demeurer opérationnelle et être capable d’intervenir partout et rapidement afin de protéger notre intégrité nationale. L’entretien régulier de la flotte de sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) Barracuda coûte cher et nécessite des investissements toujours plus importants. Nous proposons de supprimer la journée défense et citoyenneté (JDC), anecdotique dans la vie des Français et donnant peu de résultats, et de transférer les crédits correspondants au programme d’investissement dans les sous-marins.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Je ne peux pas laisser dire que la journée défense et citoyenneté est anecdotique : je vous invite à vérifier les effets de ce dispositif et, plus largement, du service national universel (SNU).

Concernant votre amendement, je suis assez étonné : l’action consacrée aux Barracuda est la sixième action la mieux dotée du programme 146. Il n’y a pas de besoin ni de difficulté dans les livraisons, qui suivent leur cours. Avis défavorable.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. En matière de construction navale, il y a des réalités : les capacités des bassins et des ateliers à produire et à sortir les bâtiments. La construction des SNA et le déroulement du programme Barracuda répondent à une planification d’une finesse incroyable, qui n’autorise aucun retard ni aucune commande supplémentaire, car nous enchaînerons ensuite avec le sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) 3ème génération. Cet amendement doit être rejeté.

M. Laurent Jacobelli (RN). Alors que nous discutons des amendements depuis un long moment, j’en tire trois conclusions. Premièrement, aucun amendement de l’opposition ne sera adopté.

Deuxièmement, vous confondez systématiquement les gages avec un transfert de dépenses – vous pouvez arrêter maintenant, je crois que nous avons compris votre message et votre entêtement.

Troisièmement, les marques de mépris ne devraient pas être affichées dans cette commission. On peut ne pas partager le même avis : nous pensons que la journée défense et citoyenneté ne sert absolument à rien : on ne devient pas patriote en un jour, on ne prend pas conscience de la défense nationale en un jour, et il faudrait réformer le SNU, qui est une gigantesque colonie de vacances. Vous faites de l’affichage ; nous faisons du fond. Essayons de faire un travail sérieux !

M. Christophe Blanchet (Dem). La JDC est utile à au moins deux titres : d’une part, elle constitue à 25 % la base de recrutement des armées et, d’autre part, elle permet d’identifier les décrocheurs. Si le parcours n’est pas encore efficace à 100 %, il permet tout de même d’en aider quelques-uns. Quant au service national universel, il contribue à faire de nos jeunes des Français qui s’investissent dans le devoir de mémoire et développent leur esprit patriotique. Vivez l’expérience de l’intérieur, comme je l’ai fait à plusieurs reprises : vous pourrez ainsi la critiquer.

Mme Natalia Pouzyreff (RE). Vous nous accusez de faire de l’affichage, tout en jugeant insuffisante la marche budgétaire à 3 milliards : cela n’a pourtant rien de négligeable et s’inscrit dans la trajectoire de 300 milliards fixée par la LPM pour porter le budget de la défense à 2 % du PIB. C’est un effort auquel les Français consentent parce qu’ils sont tout à fait conscients de la nécessité que nos armées montent en puissance.

M. Laurent Jacobelli (RN). Je crois que vous avez parfaitement résumé le problème de fond : vous estimez que ces 3 milliards sont un pas en avant suffisant. Nous considérons qu’avec l’inflation et les reports de charges, ces 3 milliards ne font qu’assurer la continuité. Il n’y a pas de véritable progression, alors que nous avions beaucoup reculé dans les années passées. Ce que vous faites mine de ne pas comprendre, c’est que les différents amendements ne sont pas des transferts mais des demandes d’augmentation de budget, pour fournir davantage d’équipements à nos armées. Ce budget, même s’il est en augmentation sur le papier, n’est pas suffisant. Si vous continuez à nous sortir les mêmes éléments de langage pour éviter le débat, nous allons tourner en rond pendant deux heures !

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Vous avez voté une LPM à 300 milliards, certes, mais avec pour seul objectif d’atteindre les 2 % du PIB. Or ce seuil n’a été atteint qu’à la suite de l’effondrement du PIB consécutif à l’épidémie de covid-19 : cela démontrait bien l’inanité d’un tel objectif. Alors que le ministre affirme vouloir co-élaborer la prochaine LPM avec les oppositions, vous ne voulez absolument rien entendre de nos propositions concernant le budget : cela augure mal de la suite. De plus, puisque, à vous entendre, tout va très bien, pourquoi faire une nouvelle LPM ? Pourquoi ne pas aller jusqu’au terme prévu de 2025 ?

Mme Natalia Pouzyreff (RE). Vous avez raison : nous avons déjà atteint les 2 % du PIB ; et pourtant, ce n’était pas l’objectif principal. Notre effort d’investissement porte essentiellement sur les équipements et la part du budget qui leur est affectée est considérable comparée à celle des autres pays européens.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Pensez-vous que le contexte économique et géopolitique n’a pas évolué depuis 2017 ? Il y a eu des changements majeurs – crise sanitaire, guerre en Europe… Votre LPM n’est pas l’alpha et l’oméga en toute chose. Nos armées sont dépourvues en matériel, en formation et en munitions. Certes, la LPM est respectée à l’euro près, mais ce n’est pas suffisant. De plus, l’inflation n’a pas débuté en 2022, elle a existé aussi entre 2018 et 2022 : cela aussi consomme du crédit.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Alors que l’on nous avait vendu cette LPM à hauteur d’homme, on nous explique aujourd’hui que l’essentiel de ce texte consiste en investissements dans du matériel. À quoi sert d’avoir du matériel si nous n’avons pas de soldats formés pour le manœuvrer ? Or nous rencontrons un vrai problème de fidélisation. Force est de constater que les 3 milliards, qui plus est grevés par l’inflation, ne tiennent pas compte de la globalité du problème.

M. Laurent Jacobelli (RN). Je tiens à poser une question aux membres des groupes liés à la majorité : êtes-vous disposés à accepter ne serait-ce qu’un amendement de l’opposition ou bien avez-vous décidé de tout rejeter et de camper sur vos positions ?

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN39 de M. Laurent Jacobelli et autres

M. Laurent Jacobelli (RN). Les forces françaises étant dépendantes de l’importation pour les munitions de petit calibre, il est primordial de retrouver une filière souveraine de production dans ce domaine. Or le budget ne traite pas de ce problème. Pour y remédier, nous vous proposons de débloquer 100 millions en les prélevant sur les crédits de la journée défense et citoyenneté. Puisque je dois vous expliquer la politique des gages, nous souhaitons que le gage ne soit pas levé et que le Gouvernement comprenne l’importance de ces munitions.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Je vous invite à ce que l’on échange dans le cadre des groupes de travail sur la future LPM car c’est un sujet légitime. Certains sujets comme l’agenda de relocalisation relèvent du débat sur l’économie de guerre. Remettre en place ces filières en France nécessite des changements structurels importants : ce sont donc des sujets LPM. Il faudra en débattre en amont de manière un peu plus structurée que dans le cadre du PLF pour 2003. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN42 de M. Laurent Jacobelli et autres

M. Laurent Jacobelli (RN). Les machins qui ne servent à rien peuvent être des sources d’économies. L’Agence européenne de défense, censée faire travailler vingt-six pays sur des projets d’armement, écrivait elle-même que ces rapprochements n’avaient pas lieu, signant ainsi le constat de sa propre incapacité. Quand les pays veulent travailler ensemble, ils peuvent le faire : pas besoin d’une agence pour les y forcer. Vous cherchez des économies pour financer des programmes pour nos armées : je vous en propose pour 7,5 millions.

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis. Cette fois-ci, vous essayez de supprimer des crédits de manière pure et simple, en estimant que l’Agence européenne de défense ne sert à rien. On peut en débattre sur le fond mais cette agence finance le Fonds européen de la défense, qui a eu un rôle non négligeable dans l’organisation des livraisons d’armements à l’Ukraine, qui soutient l’effort d’innovation et de construction de programmes conjoints et qui renforce la BITD européenne. Je ne peux pas comprendre qu’on annule purement et simplement, sans autre projet, une agence européenne qui, en dépit de difficultés, remplit des missions essentielles.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN43 de M. Laurent Jacobelli et autres

M. Laurent Jacobelli (RN). Il s’agit d’un amendement d’alerte.

Le brouillage et le leurrage des signaux GNSS sur le champ de bataille sont des menaces désormais clairement identifiées, qu’elles émanent de forces irrégulières équipées de brouilleurs achetés sur internet ou de plus grandes puissances. Les capacités en matière de guerre électronique de pays comme la Russie nous montrent qu’il ne faut pas compter sur le seul réseau satellitaire pour la géolocalisation de nos systèmes. La tentation de renforcer les receveurs, incarnée par le programme européen Omega (Opération de modernisation des équipements GNSS des armées), nourrit une fuite en avant : s’il est nécessaire de sécuriser les receveurs à usage militaire, ces derniers ne sauraient être une solution réellement efficace.

La France a la chance de disposer de deux industriels en mesure de fournir des solutions inertielles haute performance, c’est-à-dire capables de naviguer de manière autonome, sans signal GNSS, avec une dérive dans le temps opérationnellement acceptable. Le budget alloué au programme Omega aurait suffi à équiper de telles centrales une part conséquente de notre parc de véhicules terrestres.

À l’heure du combat collaboratif dans le cadre du programme Scorpion (synergie du contact renforcée par la polyvalence et l’infovalorisation), perdre les données de navigation d’un véhicule peut avoir de graves conséquences opérationnelles. Nous invitons donc les décideurs publics à équiper rapidement nos véhicules de solutions inertielles.

Suivant la préconisation de M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN46 de Mme Stéphanie Galzy et autres

Mme Stéphanie Galzy (RN). Cet amendement d’appel vise à interpeller le Gouvernement sur la capacité de nos armées à surveiller nos zones économiques exclusives (ZEE). La marine nationale n’a pas les moyens de le faire et les pillages halieutiques dans l’océan Indien, notamment au large des îles Éparses, représentent un gros enjeu économique et environnemental. La France, puissance maritime mondiale, doit doter sa marine en patrouilleurs et réaliser des investissements dans les nouvelles technologies.

Suivant la préconisation de M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN47 de M. Frédéric Boccaletti et autres

M. Frédéric Boccaletti (RN). Je serai très bref, puisque tous les amendements de l’opposition vont être rejetés, quel que soit le groupe dont ils émanent. Je regrette que le sectarisme de la Macronie ait fait son apparition dans cette commission, où les choses se passaient très bien jusqu’à présent. Il faut dire que c’est la première fois que nous procédons à des votes : dès qu’il y a de la démocratie, cela dérange la Macronie !

Une commission d’enquête du Sénat a dévoilé en mars 2022 que les dépenses de l’État en prestations de conseil avaient été multipliées par trois entre 2018 et 2021 et que 18,2 % d’entre elles concernaient le ministère des armées en 2021. Parmi les cabinets qu’il emploie, des américains, des britanniques et des néerlandais ; bref, des puissances étrangères sont mêlées aux affaires militaires nationales.

Pour 2023, ce budget est en augmentation de 3,92 % pour atteindre près de 90 millions d’euros. Le contexte géopolitique nécessite de revoir nos priorités stratégiques et les financements doivent servir en priorité à rendre opérationnelles nos armées. En revenant au niveau de 2018, on économisera plus de 60 millions que nous proposons de reverser à la marine nationale.

L’amendement sera rejeté, mais je le redéposerai en vue de la séance.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il y a méprise : le budget des cabinets de conseil, qui était de 50 millions l’an dernier, est sur le poste du secrétariat général pour l’administration (SGA). Là, vous retirez des crédits au cabinet du ministre : vous le privez de tous ses moyens d’agir. Je vous propose donc de retirer votre amendement et de revoir en vue de la séance le poste budgétaire visé.

L’amendement est retiré.

 

Amendement II-DN48 de Mme Stéphanie Galzy et autres

Mme Stéphanie Galzy (RN). Il vise à revaloriser de 3 millions d’euros le budget alloué à la hausse du nombre d’apprentis dans les armées, en réduisant d’autant la contribution française à l’Agence européenne de défense (AED).

Le développement de l’apprentissage est un objectif partagé par l’ensemble des groupes politiques. Un effort supplémentaire serait bénéfique pour les jeunes et pour nos armées.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Défavorable. L’apprentissage n’est pas la bonne solution aux problèmes d’attractivité et de fidélisation au sein de nos armées. La moitié des contrats d’apprentissage aboutit à une rupture avant terme.

La commission rejette l’amendement.

 

Suivant la préconisation de M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement II-DN49 de M. Jean-Philippe Tanguy.

 

Amendement II-DN50 de M. Michaël Taverne et autres

M. Michaël Taverne (RN). Dans le contexte international actuel, marqué par le retour de la guerre en Europe, il est indispensable d’assurer la bonne préparation de nos forces. L’effort budgétaire consenti cette année à cette fin est insuffisant.

Le budget prévoit une diminution de 2,1 millions d’euros des crédits de paiement alloués aux systèmes d’information et de communication (Sic), mais une hausse de 1,9 million de ceux des cabinets du ministère des armées – sans doute principalement pour compenser l’inflation, mais il faut un effort supplémentaire. Vous avez parlé de soutien à nos forces armées et d’efforts sur les équipements : soyez cohérents. Nous proposons que les fonds nécessaires à cette hausse soient symboliquement transférés vers les Sic, enjeu structurant, y compris pour la dissuasion. Ceux d’entre vous qui connaissent le terrain savent combien la communication est essentielle en matière opérationnelle.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Je ne connais pas la justification de la baisse. Sagesse.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN51 de M. Julien Rancoule et autres

M. Julien Rancoule (RN). Il s’agit d’abonder de 18 791 578 euros l’action 06-14, Assurer la crédibilité de la dissuasion M51, du programme 146. Vu le regain de conflictualité déstabilisant le continent européen, il apparaît absolument nécessaire que la France consolide sa dissuasion nucléaire, garante de notre sécurité et de notre indépendance.

Pour des raisons de recevabilité, la somme est prélevée sur le budget alloué à la journée défense et citoyenneté du programme 212, Soutien de la politique de la défense. En effet, à l’heure du développement du SNU, les JDC sous leur forme actuelle perdent en pertinence. À mon collègue qui les vantait, je dirai que ce n’est pas le rôle de l’armée de détecter le décrochage et qu’il sous-estime nos enseignants, les plus à même de le faire.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Je vous rassure : les M51.3 sont soutenus à hauteur de 809 millions d’euros dans le PLF pour 2023 et les travaux sur le quatrième incrément seront lancés en 2023. Avis défavorable.

M. Christophe Blanchet (Dem). Les enfants sortis du système scolaire qui vont faire leur JDC n’ont pas été repérés par les enseignants.

Nos travaux ont montré que la JDC était à améliorer ; j’estime à titre personnel qu’elle n’accomplit pas toutes ses missions. Sa transformation en SNU permettra d’atteindre nos objectifs, mais elle est progressive : le SNU ne peut être instauré du jour au lendemain faute de moyens humains et de structures d’accueil. En attendant, la JDC fournit une base de recrutement à nos armées et permet d’identifier quelques décrocheurs. Ne supprimons donc pas un dispositif qui a prouvé son efficacité dans certains domaines, notamment le sens de la citoyenneté et du patriotisme, et ne le mettons pas en concurrence avec l’éducation nationale : chacun ses responsabilités.

M. Laurent Jacobelli (RN). Bravo : nous devenons la seule commission qui n’accepte aucune remarque de l’opposition. J’ai été naïf, ainsi que mon groupe : nous avons toujours loué la qualité des débats, l’ouverture et l’écoute qui nous paraissaient y régner – à quelques exceptions près, mais M. Bayou n’est pas là aujourd’hui. Désormais, quoi que l’on dise ou fasse, la réponse est non, assortie au mieux d’un argument, au pire d’un regard méprisant.

Comment allez-vous expliquer, en sortant d’ici, que vous n’avez rien accepté d’aucune opposition ? Vous le faites sous les yeux de ceux qui suivent nos débats. C’est la quintessence de la Macronie : cause toujours, tu m’intéresses ! Je veux bien que vous ayez raison sur tout et nous sur rien ; statistiquement, c’est quand même très peu probable. En revanche, la probabilité que vous souffriez d’un manque d’humilité et d’écoute est de moins en moins nulle.

Soit vous continuez ainsi, ce qui vous envoie dans le mur – et, soyons très clairs, cela nous sert, mais cela ne sert pas les Français ; soit vous assouplissez vos positions et vous écoutez un peu ce qui se dit en face. Si, depuis 2017, vous aviez raison sur tout, les Français s’en seraient aperçus !

M. Lionel Royer-Perreaut (RE). Par nature et par tradition, notre commission s’est toujours caractérisée par le consensus et le respect mutuel. Je ne comprends pas le durcissement brutal de vos postures alors que nos travaux étaient, au départ, très constructifs.

Nos différences d’approche résultent de nos histoires et de nos visions politiques respectives. Quand vous attaquez l’Agence européenne de défense, on reconnaît bien le Front national et son opposition à tout ce qui est européen. Certains de vos amendements pourraient être intéressants, mais si nous les avions tous acceptés, comme vous les avez gagés sur l’essentiel des finances du cabinet du ministre des armées – qu’a-t-il bien pu vous faire ? –, il n’y aurait plus d’argent pour le faire tourner.

Manifestement, certains d’entre vous ont encore besoin d’apprendre à maîtriser la mécanique parlementaire. Vous essayez de vous victimiser en permanence, mais ça ne marchera pas. Puisque vous voulez faire de la politique, faisons-en : vous voulez dépouiller des missions essentielles à la défense pour essayer de donner du crédit à votre action, qui est incompréhensible. Je regrette vraiment que nous en arrivions là. Si nos débats n’étaient pas filmés, votre approche ne serait pas la même. On a bien compris que vous vouliez préparer les esprits à ce qui va être débattu à partir de dix-sept heures. Les membres de notre commission, les militaires qui nous regardent, tous ceux qui sont attachés à l’esprit de défense ne méritent pas cela.

M. Laurent Jacobelli (RN). Je le répète, notre commission restera la seule qui n’aura pas écouté l’opposition, qui n’aura voté aucun de ses amendements. Vous pouvez dire que le Rassemblement national n’est pas un parti compétent ; les Français en ont jugé autrement. Il est vrai que vous avez une certaine expertise en la matière, ayant fait un bon nombre de partis ces dernières années. Vous pouvez ne pas vous remettre en cause – je vois que vous avez très vite adopté les habitudes de la Macronie –, mais la situation soulève des questions. Je crois m’être exprimé poliment, je n’ai pas fait d’esclandre ; je vous dis simplement que je regrette cet état de fait. Vous l’avez dit, cette commission est composée de gens sérieux, le dialogue y est en général de qualité. Aujourd’hui sont venus s’y inviter la posture et le mépris ; c’est dommage. Pour le coup, c’est peut-être lié à la présence des caméras : vous êtes tous beaucoup plus amènes quand elles ne sont pas là.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendements II-DN52 et II-DN53 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il faut augmenter les budgets essence de nos armées pour tenir compte du cours du brent. On ne peut pas partir du principe que le baril sera à 63 euros en 2023. Au lieu d’avoir à abonder le programme en cours d’année, faisons-le maintenant : c’est du bon sens.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Ne devrais-je pas donner mon avis sur l’amendement II-DN52 ?

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendement II-DN54 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Les dépôts de munitions du Simu (service interarmées des munitions) sont pour la plupart classés site Natura 2000. Cela nous garantit de vastes espaces naturels protégés favorisant la biodiversité, mais chaque fois que le Simu veut faire des travaux, il se heurte à des contraintes qui entraînent des surcoûts. L’amendement vise à compenser ceux qui affectent la rénovation du camp de Miramas en raison de la présence de chênes-lièges remarquables.

La commission rejette l’amendement.

 

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Je maintiens que, pour l’amendement II-DN52, j’étais le rapporteur pour avis. L’erreur n’est pas dramatique, mais que l’on puisse au moins s’exprimer de temps en temps !

M. le président Thomas Gassilloud.  Il pouvait y avoir deux rapporteurs pour avis, puisqu’il s’agit de la préparation des forces aériennes, mais que l’amendement abonde aussi la préparation et l’emploi des forces. N’y voyez aucune marque de rejet. Vous pouvez intervenir à tout moment si vous le souhaitez.

 

Amendement II-DN55 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Les effectifs du service d’infrastructure de la défense (SID) ont diminué ces dernières années alors que le nombre de projets qu’il doit traiter s’accroît avec la hausse constante de crédits prévue par la LPM. Le SID est donc obligé d’externaliser la réalisation d’opérations, ce qui induit de fortes augmentations budgétaires pour les armées, de 4 à 5 millions d’euros pour certains projets. Je propose d’allouer des fonds au recrutement de fonctionnaires qui feront le même travail à moindre coût, pour un meilleur rendement.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN56 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Comme pour le logement, il faut un grand plan de rénovation des restaurants de nos armées, dont plusieurs font régulièrement l’objet de signalements par les services vétérinaires et sont menacés de fermeture administrative.

M. Laurent Jacobelli (RN). Sur le principe, nous sommes d’accord, mais comment arrivez-vous au montant de 80 millions ?

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il s’agit d’une estimation au vu du nombre de restaurants à rénover et du coût moyen de rénovation.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN57 de M. Bastien Lachaud

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. J’aurais aimé donner un avis favorable, ne serait-ce que pour contredire nos collègues du Rassemblement national, et je remercie Bastien Lachaud de sa sollicitude envers le programme 178, mais je ne crois pas opportun de prendre 50 millions au programme 146.

L’article 5 de la LPM permet précisément de couvrir ce type de besoins. M. Lachaud nous dira qu’il n’a pas été utilisé en 2022, mais on ne peut préjuger pour autant qu’il ne le sera pas en 2023.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Sur le premier point, dès lors que l’exposé sommaire précise que l’auteur de l’amendement souhaite la levée du gage par le Gouvernement, il est malhonnête d’utiliser cet argument.

Quant à l’article 5 de la LPM, il n’a été activé ni en 2022 ni les années précédentes pour couvrir le surcoût Opex. Cela nous fait craindre qu’il ne le soit jamais. Espérons qu’il en ira autrement de l’éventuel article équivalent dans la future LPM.

La commission rejette l’amendement.

 

Elle émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Défense non modifiés.

 

Après l’article 42

 

Amendement II-DN3 de M. Christophe Naegelen et autres

M. le président Thomas Gassilloud. Il n’est pas défendu.

M. Laurent Jacobelli (RN). Nous le reprenons !

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN11 de Mme Isabelle Santiago et autres

Mme Anna Pic (SOC). Nous demandons au Gouvernement un état des lieux précis des besoins en matière de préservation de l’environnement dans le secteur de la défense, qui ne sera pas épargné par le changement climatique. Comme l’a souligné en mai 2021 la mission d’information sur les enjeux de la transition écologique pour le ministère des armées, ces enjeux doivent être anticipés et les besoins chiffrés.

Le rapport demandé devra aussi évaluer l’opportunité de la création, à terme, d’un budget dédié aux questions environnementales pour le ministère des armées, pour qu’elles ne soient pas des variables d’ajustement mais l’objet d’un vrai plan d’action, d’une feuille de route claire énumérant des priorités qui soient financées.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Puisque, quand l’Assemblée nationale fait des rapports, leurs auteurs eux-mêmes les jugent insuffisamment précis pour être transformés en loi, l’Assemblée devrait en effet, dans sa sagesse, s’en remettre au Gouvernement…

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN12 de Mme Isabelle Santiago et autres

Mme Anna Pic (SOC). Il vise à intégrer la dimension environnementale dans les actions du ministère des armées. En effet, le secteur militaire a d’importantes responsabilités en la matière du fait de sa grosse consommation énergétique et du fort impact environnemental de ses actions. Nous demandons par conséquent au Gouvernement un rapport évaluant la politique environnementale du ministère – biodiversité des terrains militaires, recyclage des déchets, transition énergétique des infrastructures et des systèmes d’armes.

Contre la préconisation de M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN14 de Mme Anna Pic et autres

Mme Anna Pic (SOC). Il vise à octroyer une reconnaissance financière à tous les personnels soignants du service de santé des armées, sans distinction.

La crise sanitaire a mis sur le devant de la scène ceux qu’on a appelés les « premiers de corvée », longtemps absents des débats politiques. Pour revaloriser les salaires des personnels travaillant dans les métiers du soin, le Gouvernement a instauré un complément de traitement indiciaire de 49 points d’indice, correspondant actuellement à un montant de 189 euros nets. Cette décision ne peut être que saluée.

Toutefois, plusieurs centres appartenant au SSA, au premier rang desquels le centre de transfusion sanguine des armées (CTSA) et l’institut de recherche biomédicale des armées (IRBA), n’ont pas bénéficié du CTI. Ces établissements sont pourtant essentiels au bon fonctionnement des hôpitaux des armées. Sous prétexte que les personnels paramédicaux touchaient le CTI, leur prime de service annuelle a été gelée en 2021 et 2022, alors que les travailleurs de l’Établissement français du sang obtenaient l’équivalent du CTI.

Tout au long de la crise sanitaire, les travailleurs du SSA ont été en première ligne, autant que d’autres personnels de santé en France. Cette inégalité de traitement n’est donc pas justifiée.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Favorable. La grille salariale du SSA est liée à celle des personnels civils, mais, bien souvent, la transposition de modifications bénéficiant à ces derniers, comme le Ségur, prend de trop longues années.

La commission rejette l’amendement.

 

*

 


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   Annexe :

Auditions et déplacements du rapporteur pour avis

 

1.- Paris

M. l’amiral Pierre Vandier, chef d’état-major de la Marine

M. le vice-amiral d’escadre Éric Janicot, Directeur du personnel militaire de la Marine

M. le vice-amiral Xavier Petit, sous-chef Opérations à l’état-major de la Marine

M. le contre-amiral Éric Vernet, sous-chef d’état-major « soutiens-finances » à l’état-major de la Marine

M. le contre-amiral Éric Malbrunot, sous-chef d’état-major « Plans et programmes » à l’état-major de la Marine

M. le contre-amiral Jean-Matthieu Rey, chargé des relations internationales à l’état-major de la Marine, et ancien commandant de la zone maritime de l'océan Pacifique

M. Philippe Missoffe, Délégué général du GICAN

M. Patrice Faure, Haut-Commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie

2.- Toulon (12-14 septembre 2022)

M. le vice-amiral d'escadre Gilles Boidevezi, Préfet maritime de la Méditerranée

M. le vice-amiral d’escadre Xavier Baudouard, commandant de la force d’action navale

M. le contre-amiral Serge Bordarier, commandant de la force de l’aéronautique navale

M. le contre-amiral Laurent Bechter, directeur du Service de soutien de la flotte de Toulon

M. le capitaine de vaisseau Jérôme Colonna d’Istria, commandant de l’escadrille de sous-marins nucléaires d’attaque

M. le capitaine de vaisseau Guillaume Merveilleux du Vignaux, commandant du Pôle Écoles Méditerranée

3.- Cherbourg (19-20 septembre 2022)

M. le vice-amiral d’escadre Marc Véran, Préfet Maritime du Nord

M. le capitaine de vaisseau Alexandre Caron, commandant de la base navale de Cherbourg

M. Hervé Glandais, directeur du programme Barracuda (Naval Group), M. Ludovic Colin, directeur-adjoint du site de Naval Group à Cherbourg et M. Thomas Brisson, directeur des Affaires publiques de Naval Group

M. le capitaine de vaisseau Yann Archinard, commandant de l'école des applications militaires de l'énergie atomique (EAMEA)

2.- Brest (3 octobre 2022)

M. le vice-amiral d’escadre Olivier Lebas, Préfet maritime de l’Atlantique

M. le vice-amiral d’escadre Jacques Fayard, commandant des forces sous-marines et de la force océanique stratégique, ancien commandant de la zone maritime de l’océan Indien

M. le capitaine de vaisseau Grégory Lerenard, directeur-adjoint du SSF de Brest

 

 

   

 

 

 

 

 


([1])  Alors engagé dans la mission Sea Guardian, conduite par l’Otan, le Courbet avait été illuminé, à trois reprises, par le radar de conduite de tir d’une frégate turque, alors qu’il s’apprêtait à contrôler le cargo Cirkin, soupçonné de violer l’embargo sur les armes imposé par l’ONU à la Libye.

([2])  « Razzia chinoise sur le calamar en mer d’Arabie », in Le Monde, 8 juillet 2022.

([3])  Jean-Jacques Ferrara et Philippe Michel-Kleisbauer, rapport d’information sur « les enjeux de défense en Méditerranée », février 2022.

([4])  La loi de programmation militaire 2019-2025 et les capacités des armées, 11 mai 2022.

([5])  Cette déconstruction obéit un calendrier et des contraintes spécifiques liées au démontage de la chaufferie, faits par d’autres opérateurs que le SSF. Toutefois, une fois celle-ci démontée, la coque rentre dans la même programmation.

([6])  Entretien à la revue Conflits, 9 mars 2022.

([7])  Pierre Haroche : « Un monde, deux théâtres : dilemmes et ricochets entre Europe et Indopacifique », Revue Défense Nationale n° 852, été 2022

([8])  « Razzia chinoise sur le calamar en mer d’Arabie », in Le Monde, 8 juillet 2022.

([9])  The International Institute for Strategic Studies

([10])  P. Charon et J.-B. Jeangène Vilmer, Les Opérations d’influence chinoises. Un moment machiavélien, rapport de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM), Paris, ministère des Armées, octobre 2021