N° 1715

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 octobre 2023

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2024 (n° 1680),

 

TOME V

 

ÉCOLOGIE, DÉVELOPPEMENT ET MOBILITÉ DURABLES

 

 

 

PAR M. Jean-Paul Lecoq

Député

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 Voir le numéro : 1680


 


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SOMMAIRE

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Pages

introduction

I. LE FINANCEMENT DES POLITIQUES PUBLIQUES DE L’ENVIRONNEMENT

A. LES ORIENTATIONS GÉNÉRALES DE LA MISSION ÉCOLOGIE, DÉVELOPPEMENT ET MOBILITÉ DURABLES

B. les CRÉDITS DES PROGRAMMES DE LA MISSION ÉCOLOGIE, DÉVELOPPEMENT ET MOBILITÉ DURABLES POUR 2024 : une évolution qui n’est pas encore à la hauteur des enjeux

II. LA Décarbonation de la flotte maritime mondiale

A. Le transport maritime est en voie d’intÉgration au sein des stratÉgies de dÉcarbonation issues de la mise en œuvre de l’Accord de Paris de 2015

1. À l’échelle internationale : la conclusion d’un accord ambitieux

a. L’OMI : une organisation engagée depuis 2011 dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre issues du transport maritime et dont le travail s’est intensifié à partir de 2018

b. L’année 2023 voit se concrétiser une révision plus ambitieuse de la stratégie climat de l’OMI

c. Un accord ambitieux, dont le succès dépendra de sa mise en œuvre effective

2. Un cadre européen exigeant, qui a largement inspiré l’accord de l’OMI

3. L’élaboration d’une feuille de route de décarbonation de la filière maritime : un processus en cours à l’échelle nationale

B. La dÉcarbonation du transport maritime repose sur la mobilisation de plusieurs leviers, dont aucun ne semble aujourd’hui s’imposer comme une solution Évidente

1. La recherche d’alternatives crédibles aux combustibles fossiles : une priorité aux résultats encore incertains

2. L’amélioration de l’efficacité énergétique des navires et la promotion de la sobriété énergétique : deux leviers complémentaires à actionner

C. La France a un rôle structurant À jouer pour permettre l’application du cadre rÈglementaire existant et se donner les moyens de remplir pleinement ses objectifs

1. Structurer la filière maritime et son dialogue avec les autres secteurs de l’économie

2. Accompagner la réalisation des objectifs de décarbonation sur les plans juridique et financier

a. L’instauration d’une taxe carbone sur les émissions de GES du transport maritime : un objectif que la France doit continuer de porter sur la scène internationale

b. Accompagner la décarbonation du transport maritime en France pour en faire un vecteur de la réindustrialisation de notre pays

3. Soutenir l’adaptation des professionnels du transport maritime aux enjeux de la décarbonation et mieux intégrer sa dimension humaine et sociale

Travaux de la commission

annexe  1 : SYNTHÈSE DES RECOMMANDATIONS DU RAPPORTEUR POUR AVIS

annexe  2 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES  PAR LE RAPPORTEUR POUR AVIS

 


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   introduction

L’année 2023 s’achèvera avec la 28ème Conférence des parties (COP28) de la convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), qui se déroulera à Dubai, aux Émirats arabes unis, du 30 novembre au 12 décembre 2023. Très attendue, l’un de ses enjeux sera l’établissement du premier bilan mondial, exercice quinquennal prévu par l’accord de Paris de 2015, qui vise à évaluer les progrès collectifs accomplis en vue de la réalisation des trois piliers de l’accord que sont l’atténuation, l’adaptation et la mobilisation des moyens nécessaires à sa mise en œuvre.

Elle marquera la fin d’une année riche en évènements internationaux sur les questions climatiques, qu’il s’agisse du sommet pour un nouveau pacte financier mondial, qui s’est tenu à Paris en juin 2023, afin de faire progresser le sujet de la solidarité Nord-Sud, notamment pour financer l’adaptation au changement climatique, ou encore du One Forest Summit organisé, en mars 2023, à Libreville, par les présidents français et gabonais sur la protection des réserves vitales de carbone et de biodiversité.

Malgré ces initiatives, qui peuvent sembler encourageantes, force est de constater que le monde aura connu une fois de plus une série de catastrophes naturelles et climatiques aux conséquences désastreuses : inondations meurtrières en Chine, en Scandinavie, en Turquie et en Italie ; incendies ravageant les forêts de Grèce, du Canada, de la Sicile et d’Afrique du Nord, sans compter les tempêtes qui ont frappé les Philippines, l’île d’Hawaï et le Sud de la Californie. Parallèlement, un certain scepticisme entoure la capacité des États à respecter leurs engagements internationaux quant à la réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre (GES).

Dans ce contexte, la commission des affaires étrangères s’est saisie pour avis des crédits de la mission Écologie, développement et mobilité durables du projet de loi de finances pour 2024. Ces crédits sont essentiels pour permettre la mise en œuvre de la transition écologique devant conduire à une amélioration, au quotidien, de la qualité de vie de nos concitoyens et à la préservation de la biodiversité, alors que l’Exécutif tarde à définir sa feuille de route pour l’action sur le climat, comprenant la stratégie française sur l’énergie et le climat (SFEC), qui doit inclure à la fois la nouvelle stratégie de baisse des émissions (dite « stratégie bas‑carbone »), la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et le plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC).

Le rapporteur pour avis constate une diminution des crédits de la mission, dotée d’un budget de 24,465 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) et de 21,631 milliards d’euros en crédits de paiement (CP) dans le projet de loi de finances pour 2024. Cette diminution est principalement imputable à la fin progressive du dispositif de « bouclier tarifaire » sur les prix du gaz et de l’électricité. 

Par ailleurs, l’examen du budget offre à la commission des affaires étrangères la possibilité d’analyser les instruments, les objectifs et les modalités de l’action internationale de la France en matière environnementale. Cette année, le rapporteur pour avis a choisi de consacrer la partie thématique de son rapport à la décarbonation de la flotte maritime mondiale, qui a trouvé une actualité renouvelée avec la signature de l’accord de l’Organisation maritime internationale (OMI), le 7 juillet 2023, et l’élaboration, en France, d’une feuille de route de décarbonation de la filière maritime, dont les arbitrages sont en cours jusqu’à la fin de l’année 2023 avec la tenue de groupes thématiques pour opérer sa déclinaison par segments de flotte.

Le rapporteur pour avis présente ainsi un état des lieux de l’évolution du cadre juridique en la matière et des solutions existantes pour mener à bien cette décarbonation. Il formule quatorze propositions, afin que l’État français puisse accompagner au mieux les transformations du transport maritime dans les mois et les années à venir.

 

 


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I.   LE FINANCEMENT DES POLITIQUES PUBLIQUES DE L’ENVIRONNEMENT

A.   LES ORIENTATIONS GÉNÉRALES DE LA MISSION ÉCOLOGIE, DÉVELOPPEMENT ET MOBILITÉ DURABLES

La mission Écologie, développement et mobilité durables du projet de loi de finances pour 2024 retrace les dépenses afférentes aux politiques publiques en faveur de la transition énergétique, du climat, de la biodiversité, de la prévention des risques et des transports, ainsi qu’aux emplois des ministères chargés de l’écologie et de la transition énergétique. Elle comporte neuf programmes : le programme 203, Infrastructures et services de transports, le programme 205, Affaires maritimes, pêche et aquaculture, le programme 113, Paysages, eau et biodiversité, le programme 159, Expertise, information géographique et météorologie, le programme 181, Prévention des risques, le programme 174, Énergie, climat et après-mines, le programme 345, Service public de l’énergie, le programme 217, Conduite et pilotage des politiques de l’écologie, du développement de la mobilité durables, et le programme 380, Fonds d’accélération de la transition écologique dans les territoires.

Parmi les principales orientations du budget 2024, le Gouvernement souhaite poursuivre son engagement en faveur de la transition écologique des mobilités, en investissant dans les transports, en particulier ferroviaires et fluviaux. Il apporte un accompagnement accru à la rénovation énergétique du parc de logements en assurant une montée en charge du dispositif « MaPrimeRénov’ », créé en 2020, et entend renforcer son soutien à la transition énergétique et à la décarbonation en augmentant ses engagements en faveur du « fonds chaleur » et en maintenant son niveau d’investissement au sein du « fonds économie circulaire », qui soutient les collectivités et les professionnels dans la gestion de leurs déchets. Il lance également, dans ce cadre, un appel d’offres pour le déploiement de 150 mégawatts (MW) de capacités de production d’hydrogène décarboné pour un montant qui pourra atteindre 680 millions d’euros de financement. La mission confère davantage de moyens à la gestion de l’eau et de la biodiversité, laquelle se voit dotée d’une stratégie nationale disposant de crédits dédiés. Enfin, dans un contexte où les prix de l’électricité demeurent élevés, le Gouvernement prolonge certaines mesures d’accompagnement spécifiques à l’instar du « bouclier électricité » destiné aux particuliers ou du dispositif de soutien aux petites et moyennes entreprises pour cette même source d’énergie. Il augmente enfin les effectifs humains au sein des opérateurs et services ministériels en charge de la transition écologique et des territoires (+ 760 équivalents temps plein, ETP), ainsi que du déploiement des politiques prioritaires (+ 150 ETP) et des politiques de l’énergie, de l’eau et de la biodiversité.

Ces orientations doivent s’accompagner du respect par la France de ses engagements chiffrés en faveur de la neutralité carbone à l’horizon 2050 et de la cible européenne de réduction de 55 % des émissions de GES en 2030 par rapport à leur niveau de 1990.

Si le Gouvernement ne manque pas d’ambition, la mission Écologie, développement et mobilité durables est pourtant pourvue d’un budget en nette diminution, fixé hors fonds de concours, à 24,465 milliards d’euros en AE pour 2024, contre 38,075 milliards d’euros en loi de finances initiale pour 2023. Les CP connaissent également une forte réduction passant de 36,591 milliards d’euros en loi de finances initiale pour 2023 à 21,631 milliards d’euros dans le projet de loi de finances pour 2024.

B.   les CRÉDITS DES PROGRAMMES DE LA MISSION ÉCOLOGIE, DÉVELOPPEMENT ET MOBILITÉ DURABLES POUR 2024 : une évolution qui n’est pas encore à la hauteur des enjeux

Ce programme voit ses AE s’accroître de 209 millions d’euros dans le cadre du projet de loi de finances. Cette augmentation porte ainsi l’ensemble des AE du programme à 4 350 millions d’euros. En CP, il enregistre une hausse de 14 millions d’euros, pour une valeur totale de 4 386 millions d’euros. Ces crédits doivent notamment servir à financer l’objectif de report modal vers des modes de transport peu carbonés, identifiés dans le plan « France Nation Verte » comme l’un des leviers indispensables pour atteindre les objectifs environnementaux de la France (entre autres, investissement dans les infrastructures de mobilités vertes, nouvelle génération des volets mobilité des contrats de plan État-Régions, développement des trains d’équilibre du territoire et des services de mobilité avec l’expérimentation du titre unique).

Toutefois, de nombreux arbitrages n’ont pas encore été rendus, notamment s’agissant du ferroviaire : c’est le cas pour la définition des nouveaux contrats de plan État-Régions, du contrat de performance de SNCF Réseau, qui devait prévoir une allocation de 1,5 milliard d’euros supplémentaires par an, et des aides aux wagons isolés dont le budget reste stable à 136 millions d’euros alors que la Gouvernement annonçait leur doublement. Ce retard a d’ailleurs contraint la SNCF à reporter sine die la présentation de son plan stratégique à dix ans, lequel devait initialement intervenir le 12 octobre dernier.

Le programme 205 Affaires maritimes, pêche et aquaculture finance la politique maritime dans ses différentes composantes, économique et sociale (par le soutien des filières de la flotte de commerce et du commerce extérieur), environnementale (via la protection des ressources marines et halieutiques), et en matière de lutte contre les pollutions et l’exploitation des ressources maritimes. Il revêt également une dimension régalienne et stratégique, en finançant les dispositifs de surveillance à la navigation.

Ce programme connaît une hausse de ses AE et de ses CP par rapport aux crédits alloués par la loi de finances initiale pour 2023. Les AE passent ainsi de 247 millions d’euros à 301 millions d’euros dans le projet de loi de finances. Les CP augmentent également de 241 millions d’euros à 275 millions d’euros. Les efforts budgétaires du Gouvernement portent sur la sécurité maritime (modernisation des centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage, modernisation de la flottille des baliseurs et poursuite d’un travail de simplification et de modernisation de la réglementation de la sécurité des navires), la formation maritime (réforme des lycées professionnels et objectif de doublement des effectifs de l’École nationale supérieure maritime), le soutien économique aux filières et à l’innovation (par exemple, via l’exonération de charges patronales visant à renforcer l’attractivité du pavillon français et communautaire), la préservation de l’environnement marin, la promotion d’une pêche et d’une aquaculture durables et l’aménagement de l’espace.

S’il est possible de se réjouir d’une légère hausse des crédits affectés à ce programme, celle-ci n’est toutefois pas à la hauteur des enjeux environnementaux, économiques et sociaux qui caractérisent les espaces maritimes. Une augmentation plus sensible des crédits aurait été d’autant plus appréciable que la France accueillera, en 2025, la troisième conférence des Nations Unies sur l’Océan, et que le président de la République a fait de 2025 « l’année des océans ». Le rapporteur pour avis invite le Gouvernement à investir tout particulièrement dans la décarbonation de la flotte maritime mondiale, laquelle doit intervenir d’ici à 2050 conformément aux obligations internationales, européennes et, bientôt, aux objectifs nationaux définis dans le cadre de la feuille de route de décarbonation de la filière maritime.

Il voit ses AE et CP augmenter de manière significative. Les AE passent ainsi de 275 millions d’euros en 2023 à 578 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2024. Les CP connaissent eux aussi une croissance, à 512 millions d’euros pour 2024 contre 275 millions d’euros lors de l’exercice précédent.

Cette augmentation des crédits du programme permet de financer, entre autres, deux chantiers en 2024 : d’une part, une « stratégie nationale biodiversité 2030 », qui doit permettre d’atteindre les objectifs internationaux, européens et nationaux réaffirmés en décembre 2022 lors de la 15ème Conférence des parties (COP15) à la Convention sur la diversité biologique visant à réduire les pressions qui s’exercent sur la biodiversité, restaurer la biodiversité dégradée, mobiliser tous les acteurs concernés et garantir les moyens d’atteindre ces ambitions ; d’autre part, le « plan eau », annoncé le 30 mars 2023 par le président de la République, pour une gestion plus résiliente et plus sobre de cette ressource. Ce dernier définit les leviers qui seront mobilisés dans cette perspective jusqu’en 2027, tels que le relèvement des dépenses des agences de l’eau de 475 millions d’euros.

Ce programme connaît une hausse de ses AE et de ses CP de 16 millions d’euros environ par rapport à l’année 2023, pour atteindre 516 millions d’euros en 2024.

Les AE et les CP du programme 181 enregistrent une hausse dans le projet de loi de finances de 185 millions d’euros environ pour atteindre respectivement 1 327 et 1 328 millions d’euros en 2024.

Les autres priorités du Gouvernement, dans le cadre de ce programme, tiennent à la mise en œuvre de la prochaine loi de programmation sur l’énergie et le climat, l’accélération du développement de l’éolien en mer, la mise en œuvre de la cinquième période (2022-2025) des dispositifs des certificats d’économies d’énergie (CEE), dont l’objectif est d’imposer aux vendeurs d’énergie la réalisation d’opérations d’économies d’énergie, ou encore le renforcement de la politique d’amélioration de la qualité de l’air.

Les crédits du programme 174 diminuent de 2,81 % s’agissant de ses AE et de 12,14 % pour ses CP, évolution principalement imputable à la réduction des financements dédiés à l’accompagnement de la transition énergétique (- 24,74 % pour les CP).

Le rapporteur pour avis émet de fortes réserves concernant les dispositifs d’aide aux ménages financés par ce programme. La dégressivité trop rapide de la prime à la conversion rend en particulier le dispositif inopérant pour les ménages modestes dont le revenu fiscal de référence est situé entre 6 400 et 14 100 euros par an. Quant au montant du chèque énergie, il est structurellement sous-évalué. L’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE) juge ainsi que le montant nécessaire pour sortir 3,8 millions de ménages modestes de la précarité énergétique serait de 759 euros par an en moyenne (contre 150 euros en moyenne aujourd’hui). Il est en outre indispensable d’indexer le montant de ce chèque énergie sur l’évolution des prix de l’énergie. Enfin, si le dispositif « MaPrimeRenov » voit son budget augmenter de 1,6 milliard d’euros pour atteindre 5 milliards d’euros au total (contre 3,4 milliards en 2023), celui-ci permettra de financer la rénovation de 200 000 logements par an (contre 33 000 aujourd’hui), alors qu’il faudrait en rénover 700 000 par an pour permettre aux ménages de faire face à l’augmentation des prix de l’énergie et réduire significativement les émissions de GES dans ce domaine. Le dispositif est donc inadapté, en particulier dans l’objectif d’assurer un reste à charge nul sur les travaux réalisés par les propriétaires résidents ou les bailleurs les plus modestes.

Enfin, le rapporteur accueille favorablement, dans le cadre de l’accélération de la rénovation des logements privés, la prolongation de l’éco-PTZ et le maintien de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à 10 % sur les travaux de rénovation non énergétique, comme le demandaient la Fédération française du bâtiment et la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment. 

Il enregistre une baisse significative de ses crédits dans le projet de loi de finances pour 2024. Ses AE et les CP voient, en effet, leurs montants diminuer respectivement de 14 845 et de 15 500 millions d’euros pour atteindre 6 155 millions et 5 500 millions d’euros en 2024, soit une réduction de presque 71 % et 74 %.

Cette diminution des crédits est essentiellement concentrée sur les actions relatives au soutien à la cogénération au gaz naturel et autres moyens thermiques, ainsi qu’aux mesures exceptionnelles de protection des consommateurs, action instaurée par la loi de finances pour 2023, afin de financer la compensation aux opérateurs de gaz et d’électricité du plafonnement des tarifs pour les consommateurs. Le Gouvernement fait ainsi le choix de mettre progressivement fin aux « boucliers tarifaires » d’ici la fin de l’année 2024, alors même que les prix de l’électricité atteignent des niveaux importants : d’après les estimations de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), les prix de l’électricité auraient augmenté de 35 % en 2022 et de 100 % en 2023 sans ces dispositifs.

Le rapporteur pour avis s’inquiète que la fin des « boucliers tarifaires » ne s’accompagne d’aucune mesure compensatoire comme le retour à des tarifs régulés, auquel cas elle entraînera de nombreux ménages dans la précarité et mettra en grave difficultés certains artisans et professionnels.

Le projet de loi de finances prévoit une hausse de ses AE et de ses CP, passant respectivement de 2 978 millions à 3 108 millions d’euros et de 2 995 millions à 3 100 millions d’euros entre 2023 et 2024.

Le rapporteur pour avis se réjouit d’une inversion de tendance s’agissant des effectifs du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, du ministère de la transition énergétique et du secrétariat d’État chargé de la mer, dotés de 311 ETP supplémentaires sur le programme, qui porteront, selon les annonces du Gouvernement, sur les politiques prioritaires, avec notamment la mise en œuvre du projet de loi sur l’industrie verte, les politiques de l’énergie, de l’eau et de la biodiversité, ainsi que la ré-internalisation des moyens numériques. Elle constitue une première étape à la compensation, encore timide, de la diminution tendancielle des effectifs de ces ministères au cours des dernières années.

La loi de finances pour 2024 pérennise le « fonds vert » et en renforce le fonctionnement. Les AE sont ainsi portées à 2 500 millions d’euros et les CP à 1 125 millions d’euros pour 2024. Cette augmentation de 500 millions d’euros doit permettre d’intensifier l’action en faveur de la rénovation énergétique des écoles avec 500 millions d’euros fléchés dans ce but et deux nouvelles mesures relatives aux territoires d’industrie (100 millions d’euros) et aux autorités organisatrices de la mobilité en milieu rural (30 millions d’euros).

Au regard de cette analyse, le rapporteur pour avis estime que la mobilisation de la France dans le domaine environnemental n’est pas encore à la hauteur des enjeux, qu’il s’agisse du montant des crédits dédiés à la mission Écologie, développement et mobilité durables et de leur utilisation, même s’il concède au Gouvernement un effort réel dans certains domaines. Il regrette surtout que les mesures sociales d’accompagnement des ménages face aux prix de l’énergie soient sacrifiées et invite donc la commission des affaires étrangères à émettre un avis défavorable à leur adoption.


II.   LA Décarbonation de la flotte maritime mondiale

La réalisation de l’objectif climatique de l’accord de Paris, qui prévoit de maintenir l’augmentation de la température mondiale bien en dessous de 2 degrés Celsius et de mener des efforts encore plus poussés pour limiter cette augmentation à 1,5 degré Celsius au-dessus des niveaux préindustriels, rend urgente la mobilisation de tous les secteurs de l’économie en faveur de la réduction mondiale des GES.

C’est dans ce cadre que s’inscrit l’enjeu de la décarbonation du transport maritime. La circulation par bateaux de marchandises et de passagers constitue, en effet, un rouage essentiel de la mondialisation : elle assure plus de 80 % du commerce mondial, par le ballet incessant de 100 000 navires, qui transportent 2,2 milliards de tonnes de marchandises par an. L’industrie maritime est capable de répondre presque sans fin à l’intensification des échanges grâce à ses navires et à ses installations portuaires de taille parfois gigantesque ([1]).

Le secteur maritime se caractérise par la diversité de ses flottes, dont les fonctions et les tailles peuvent considérablement différer d’un bâtiment à l’autre, qu’il s’agisse de pétroliers, vraquiers, gaziers, porte‑conteneurs, cargos, pilotines ferrys, rouliers, remorqueurs ou navires de sauvetage. Or, ces navires sont pour l’essentiel propulsés par du fioul lourd, peu cher mais extrêmement polluant, qui génère d’importantes émissions de dioxyde de carbone, d’oxydes d’azote et de soufre, ainsi que de particules fines.

Le maritime a pu être présenté comme un mode de transport « propre » : il pollue six à sept fois moins que le transport routier au kilo de marchandises transporté, par exemple. Pourtant, il rejette un milliard de tonnes de CO2 équivalent par an, soit environ 2,9 % des émissions mondiales et 13,5 % des émissions totales des GES de l’Union européenne (UE) en 2018. Il est responsable d’autant d’émissions que l’Allemagne, et de davantage que les émissions réunies de la France et du Royaume‑Uni. Si le transport maritime était un pays, il serait le sixième État le plus émetteur de la planète ([2]). Ces pollutions participent au réchauffement climatique et sont aussi très nocives pour la santé : elles se concentrent le long des principales routes maritimes, des zones côtières, ainsi que dans les ports où les navires de croisière, toujours plus grands, font désormais l’objet de critiques croissantes.

Néanmoins, celui-ci a longtemps été un angle mort de la lutte contre le changement climatique. Surtout, les perspectives de développement rapide du fret international, dont les volumes devraient être multipliés par quatre d’ici le milieu du siècle selon les projections de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), pourraient l’amener à représenter 17 % des émissions mondiales de GES en 2050, rendant désormais indispensable son verdissement.

Dans ce contexte, l’encadrement des pollutions associées au transport maritime a progressivement évolué pour connaître de nouveaux développements significatifs en 2023 : d’une part, l’OMI a adopté, en juillet, un accord appelant à la décarbonation totale du transport maritime d’ici à 2050 ; d’autre part, la France, soucieuse de se mettre en conformité avec le cadre réglementaire international et européen, élabore avec les professionnels du secteur une feuille de route de décarbonation de l’ensemble de la filière maritime, à l’instar de nombre de ses voisins européens.

La flotte maritime mondiale dispose désormais de quelques années seulement pour opérer une véritable révolution : trouver des sources d’énergies alternatives décarbonées lui permettant de sortir de l’ère du « tout pétrole » et, ainsi, un nouveau modèle de fonctionnement conditionnant une transformation de l’ensemble de la chaîne de valeur. Pour l’heure, toutefois, aucune solution ne semble encore s’imposer : un tel changement nécessite de recourir à un bouquet de mesures d’efficacité voire de sobriété énergétique complémentaires, ainsi qu’à un accompagnement ciblé et ambitieux de la transition du secteur maritime de la part de chaque État. La conception de la feuille de route de décarbonation de la filière maritime doit permettre à la France de mobiliser des moyens humains et financiers à la hauteur des enjeux.

A.    Le transport maritime est en voie d’intÉgration au sein des stratÉgies de dÉcarbonation issues de la mise en œuvre de l’Accord de Paris de 2015

Le transport maritime, qui n’est pas explicitement mentionné dans l’accord de Paris de 2015, est désormais intégré aux stratégies internationales, européenne et nationale de décarbonation. L’objectif est de lutter contre les pollutions générées par le secteur sans décourager la demande en faveur de ce mode de transport, qui demeure moins polluant que le fret par voie routière. La décarbonation se situe ainsi à la jonction d’un double enjeu de régulation et de maintien de la compétitivité du transport maritime, en particulier à l’échelle régionale ([3]).

1.   À l’échelle internationale : la conclusion d’un accord ambitieux

a.   L’OMI : une organisation engagée depuis 2011 dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre issues du transport maritime et dont le travail s’est intensifié à partir de 2018

À l’échelle internationale, les négociations touchant à la décarbonation du transport maritime sont menées dans le cadre de l’OMI, institution spécialisée des Nations Unies créée en 1958 et chargée de garantir la sécurité, la sûreté et l’efficacité du transport maritime, ainsi que de prévenir la pollution par les navires. Les questions environnementales, d’abord totalement absentes de son spectre d’intervention, ont commencé à être intégrées à ses travaux à partir des années 1970, à la suite de plusieurs marées noires. Il faut toutefois attendre les années 2000-2010 pour que le sujet de la décarbonation de la flotte maritime mondiale soit véritablement pris en compte. Cette temporalité s’explique par au moins deux facteurs. Le premier est son fonctionnement par recherche de consensus entre ses 175 États membres, qui rend les votes de facto très rares. Bien que plus lent, ce mode de fonctionnement permet de s’assurer de l’adhésion de l’ensemble des membres aux décisions prises. Le second facteur tient au fondement même de l’OMI, qui vise à faciliter le transport maritime mondial et ne peut promouvoir, à ce titre, de mesures visant à ralentir son volume.

À partir de 2011, l’organisation commence timidement à adopter un ensemble de mesures réglementaires encadrant les émissions de GES du transport maritime, notamment grâce aux travaux de son comité de la protection du milieu marin (MEPC, de son acronyme anglophone). Parmi ces mesures, peuvent être citées :

 la mise en place, en 2013, d’un indice de rendement énergétique nominal (Energy Efficiency Design Index, EEDI), visant à encourager l’utilisation d’équipements et de moteurs plus économes en énergie pour la conception de nouveaux navires, et d’un plan de gestion de l’efficacité énergétique des navires (Ship Energy Efficiency Management Plan, SEEMP), outil opérationnel à destination des armateurs et des exploitants les incitant à envisager de nouvelles technologies et pratiques, lorsqu’ils cherchent à optimiser les performances opérationnelles d’un navire ([4]) ;

– la création, en 2016, d’un système de collecte de données (Data Collection System, DCS) de la consommation de carburant des navires ([5]), afin que ceux‑ci enregistrent et déclarent leur consommation de fioul et disposent ainsi des données nécessaires pour améliorer leur efficacité énergétique.

En 2018, l’OMI va plus loin et adopte une stratégie de réduction des GES ([6]) comportant un objectif général de décarbonation du transport maritime international devant se concrétiser au plus tôt avant la fin du siècle, et les niveaux d’ambition suivants pour y parvenir :

– un renforcement de l’index d’efficacité énergétique (EEDI) des navires neufs ;

– un objectif relatif pour 2030 consistant à « réduire les émissions de CO2 par activité de transport, en moyenne pour l’ensemble des transports maritimes internationaux, d’au moins 40 % d’ici à 2030, en poursuivant l’action menée pour atteindre 70 % d’ici à 2050, par rapport à 2008 » ;

– un objectif absolu pour 2050, afin de « parvenir au point culminant des émissions de GES provenant des transports maritimes internationaux aussitôt que possible et réduire le volume total d’émissions de GES annuelles d’au moins 50 % d’ici à 2050 par rapport à 2008, tout en poursuivant l’action menée en vue de leur élimination progressive, comme cela est préconisé dans la vision, enchaînement qui permettra de réduire les émissions de CO2 conformément aux objectifs de température fixés dans l’accord de Paris ».

Afin de réaliser le premier niveau d’ambition fixé pour l’année 2030, des mesures réglementaires dites de court terme ont été adoptées en juin 2021 ([7]) : elles consistent en des indices et des cibles annuelles de réduction d’intensité carbone obligatoire par type de navire sur la décennie 2020 pour l’ensemble des navires existants.

Cette stratégie comporte également des mesures de moyen et long termes, y compris en matière de tarification du carbone au niveau mondial (appelées mesures basées sur le marché, ou « MBM »), devant être adoptées entre 2023 et 2030, à l’instar d’une taxe mondiale sur les carburants marins fortement émetteurs de GES.

Malgré les progrès envisagés, cette stratégie est globalement jugée insuffisante : son ambition s’est heurtée aux réticences des grandes puissances émergentes et des pétromonarchies du Golfe arabo-persique. Elle contient néanmoins une clause de révision permettant son réexamen, dont est issue la nouvelle stratégie de 2023.

b.   L’année 2023 voit se concrétiser une révision plus ambitieuse de la stratégie climat de l’OMI

Cinq ans plus tard, le 80ème comité de la protection du milieu marin (MEPC 80), réuni au siège de l’OMI, à Londres, du 2 au 7 juillet 2023, conclut un accord aboutissant à la révision de la stratégie relative aux GES de 2018 ([8]). La France a joué un rôle moteur dans ce processus : elle parvient, en effet, à peser au sein de l’organisation, notamment par son choix de disposer d’une représentation permanente confiée à un diplomate plutôt que de faire intervenir ponctuellement ses services techniques.

L’ambition de cette stratégie renouvelée est désormais d’atteindre le seuil de zéro émission nette de GES par les navires à l’horizon 2050, au terme d’une trajectoire se déclinant en objectifs intermédiaires :

– objectif d’une réduction de 30 % des émissions en 2030, avec une obligation de réduire ces émissions d’au moins 20 % ;

– objectif d’une réduction de 80 % des émissions en 2040, avec une obligation de réduire ces émissions d’au moins 70 %.

La stratégie précise également que la part des énergies et carburants zéro émission devra représenter 5 % du total utilisé par le transport maritime international en 2030, s’efforçant même d’atteindre 10 % de ce total. Enfin, l’OMI opère un changement de méthode pour évaluer l’empreinte carbone des carburants tout au long de leur cycle de vie, de leur fabrication jusqu’à leur utilisation dans les navires ([9]).

 

La nouvelle stratégie de l’OMI de 2023 : des négociations difficiles dont les résultats satisfont néanmoins la France

Les négociations menées au sein de l’OMI en vue de la conclusion de l’accord de juillet 2023 ont été compliquées. Elles ont souffert de la pandémie mondiale, contraignant les négociateurs à tenir leurs réunions en ligne jusqu’à l’automne 2022, ce qui a limité les opportunités d’échanges et durcit les positions de chacun. Les difficultés nées de la crise sanitaire ont également amoindri l’intérêt octroyé aux enjeux de la décarbonation. La création de groupes de travail informels entre pays désireux d’avancer sur le sujet a permis aux discussions de progresser. Un clivage net a pu être observé entre les pays de l’OCDE menés par les États-Unis, le Canada, la Corée du Sud, le Japon, la Nouvelle-Zélande, la France et les îles du Pacifique, très favorables à la conclusion de l’accord, et certaines grandes puissances en développement peu désireuses de se soumettre à de nouvelles contraintes environnementales, à l’image de la Chine, auxquelles s’ajoutent les pays insulaires, très dépendants du transport maritime pour leur commerce. Les pays producteurs d’énergies fossiles se sont montrés plus ouverts sur le sujet qu’en 2018 : ils souhaitent davantage apparaître comme des contributeurs positifs à la lutte contre le changement climatique, en particulier dans la perspective de la tenue de la COP28 aux Émirats arabes unis à la fin de l’année 2023.

Un accord a pu être trouvé au sein du groupe représentant les pays membres de l’Union européenne malgré les réticences de certains pays du Sud, tels que la Grèce, Malte et Chypre – ces deux derniers étant en outre considérés comme des pavillons de complaisance –, pour lesquels le transport maritime est une activité essentielle et qui ne souhaitent donc pas la promotion d’une législation plus contraignante, susceptible d’en freiner le développement.

Une solution de compromis a toutefois pu être trouvée : il a été décidé d’accorder une attention particulière aux conséquences économiques de toute mesure de marché promue par l’OMI avant son adoption. Aussi, la représentation française travaille‑t‑elle avec ses alliés à conduire une « analyse fine et aussi complète que possible » au soutien de sa proposition de taxe sur les émissions de dioxyde de carbone du transport maritime.

La France est globalement satisfaite de cet accord, qui a pu aboutir malgré les sérieuses menaces observées au début des négociations de voir l’OMI imploser sous le poids des clivages, avec le risque que chaque région du globe se fixe, pour elle‑même, ses propres objectifs sans harmonisation à l’échelle internationale. Bien qu’imparfait, le consensus trouvé est ambitieux, sur le plan théorique, et ne cherche pas de compensation à la réduction des émissions en dehors du secteur maritime, par opposition aux accords qui encadrent le transport aérien.

Sources diverses

c.   Un accord ambitieux, dont le succès dépendra de sa mise en œuvre effective

L’OMI a fixé un cap et des objectifs. Il est désormais nécessaire d’adopter rapidement des outils concrets, de manière à soutenir l’écosystème maritime dans sa transition énergétique et à donner une portée effective à cet accord non contraignant.

En effet, pour atteindre ces nouveaux objectifs, les mesures de court terme, entrées en vigueur dès 2023 et qui imposent à l’ensemble de la flotte mondiale des cibles d’amélioration de l’efficacité énergétique des navires neufs et existants, ne suffiront pas. Le comité de la protection du milieu marin a donc sélectionné une combinaison de mesures dites de moyen terme, comportant un volet réglementaire (normes décroissantes d’émission de GES des carburants marins) et un volet économique (mécanisme de tarification du carbone à préciser). Ces mesures font l’objet d’études d’impact au cours de l’automne 2023 ; un rapport intermédiaire puis un rapport final sur ces mêmes études sont attendus respectivement au printemps 2024 et à l’automne 2025, avant une approbation et une adoption de ces décisions à la fin de l’année 2025 pour une entrée en vigueur en 2027 au plus tard. Il est également inscrit dans les termes de l’accord que celui‑ci sera de nouveau révisé en 2028.

Issue d’un compromis, la nouvelle stratégie de 2023 présente certaines limites : elle ne comporte aucune mesure de compensation financière mondiale, comme la France le proposait. Sans doute ce sujet doit-il encore mûrir avant de pouvoir effectivement aboutir. Les organisations non gouvernementales environnementales jugent aussi que l’accord ne va pas assez loin, ni assez vite. Du moins, a-t-il le mérite d’exister.

2.   Un cadre européen exigeant, qui a largement inspiré l’accord de l’OMI

L’accord de l’OMI s’inspire, en grande part, des préconisations formulées par l’Union européenne (UE) : il retient une cible de réduction des GES de 20 % à 30 % d’ici à 2030, puis de 70 % à 80 % d’ici à 2040, quand l’UE appelait à leur diminution de respectivement 29 % et 83 % au cours des mêmes périodes ; quant à la consommation de combustibles verts retenue par l’OMI, elle doit s’élever à un seuil compris entre 5 % à 10 % en 2030, proche de l’objectif de 10 % prôné par l’UE.

Si les positions européennes ont été largement prises en compte au sein de l’OMI, c’est aussi que l’UE est avancée sur le sujet de la décarbonation du transport maritime dans le cadre du « Pacte vert pour l’Europe » adopté en 2019 par la Commission européenne avec l’ambition de faire de l’Union le premier continent climatiquement neutre à l’horizon 2050 : cette neutralité climatique est définie pour l’ensemble des GES et des secteurs de l’économie. Le Conseil européen des 10 et 11 décembre 2020 s’est accordé sur la nécessité de porter cette réduction des émissions nettes à 55 % dès 2030 par rapport à leur niveau de 1990.

Dans cette perspective, la Commission a présenté, le 14 juillet 2021, une série de propositions législatives interdépendantes visant à aligner l’ensemble du cadre climat-énergie de l’Union sur ces nouvelles ambitions. Ce paquet législatif dit « Ajustement à l’objectif 55 » (plus connu sous sa dénomination anglaise, « Fit for 55 ») confère des orientations claires à la décarbonation de différents secteurs, dont le transport maritime, organise la répartition de l’effort entre États membres et prévoit des moyens financiers notamment destinés aux ménages les plus vulnérables au renforcement et à l’extension de la tarification du carbone.

Parmi les mesures intéressant directement le transport maritime, peuvent être mentionnées :

– l’extension au transport maritime du marché carbone européen (EU ETS), mis en place en 2020. De la sorte, la totalité des émissions dans les ports et des voyages intra-européens, ainsi que 50 % des émissions des voyages entre un port de l’UE et un port situé en dehors de la juridiction d’un État membre donnent désormais lieu à la restitution de quotas ;

– l’adoption, en juillet 2023, du règlement sur le déploiement d’une infrastructure pour carburants alternatifs (AFIR) et abrogeant la directive 2014/94/UE, qui contraint les ports maritimes accueillant un nombre minimal de grands bateaux à passagers, ou de porte‑conteneurs, à leur fournir de l’électricité à quai en 2030 au plus tard ;

– les négociations autour du règlement relatif à l’utilisation de carburants renouvelables et bas carbone dans le transport maritime (initiative « FuelEU Maritime »), lesquelles prévoient notamment que l’intensité des émissions de GES des carburants utilisés par le secteur du transport maritime diminue progressivement au fil du temps, passant de 2 % en 2025 à 80 % d’ici au milieu du siècle.

Ces mesures s’accompagneront de moyens de vérification du respect des obligations des opérateurs mais aussi de lourdes sanctions en cas de non-respect de celles-ci.

3.   L’élaboration d’une feuille de route de décarbonation de la filière maritime : un processus en cours à l’échelle nationale

Enfin, parallèlement à ces négociations et en cohérence avec celles-ci, une stratégie de décarbonation de la filière maritime est en cours d’élaboration en France. En effet, une feuille de route sur le sujet a été remise, le 4 avril 2023, au secrétaire d’État chargé de la mer et au ministre en charge des transports par les acteurs de la filière, en application de l’article 301 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

Cette feuille de route intervient tardivement par rapport à la mobilisation des principaux pays maritimes, qui ont déjà défini des plans de transition et publié leur contenu, pour certains il y a cinq ans déjà.

Quelques exemples de plans de transition du transport maritime à l’étranger

En 2017, l’Allemagne a adopté le « Maritime Agenda 2025 » faisant de la transition énergétique l’une de ses priorités pour accompagner au mieux les nouvelles solutions de propulsion et l’adaptation des infrastructures portuaires. Dans cette logique, elle a engagé un premier financement de 45 millions d’euros en 2018 puis a validé, en août 2022, un plan de financement industriel de 30 millions d’euros par an jusqu’en 2025, soit 120 millions d’euros au total, pour le financement de navires zéro émission et la modernisation de l’industrie navale. Ce plan sera opéré par le ministère fédéral de l’économie et de la protection du climat (BMWK). En outre, l’Allemagne vise la neutralité carbone en 2045 et a estimé que les investissements nécessaires pour y parvenir s’élèveraient à plus de 1 000 milliards d’euros, auxquels doivent s’ajouter la redirection de 5 000 milliards d’euros d’investissements : le maritime est intégré à ce projet  au titre des industries et des ports ainsi que des infrastructures énergétiques pour le transport maritime.

La Norvège a, quant à elle, adopté le « Government’s Action Plan for Green Shipping » en 2019, dans l’objectif de réduire les émissions de  GES de 50 % à 55 % d’ici à 2030 par rapport à leur niveau de 1990. Les armateurs norvégiens ont suivi ce mouvement en 2020 à travers la feuille de route « Zero Emission by 2050 ». Parmi les nombreuses initiatives du pays dans ce domaine, peuvent être cités les différents plans industriels successifs portés par l’entreprise publique ENOVA, qui a financé pour plus de 1600 milliards (environ 137 milliards d’euros) de couronnes norvégiennes des projets autour du navire propre et du déploiement d’un navire zéro émission pour une navigation dans les fjords. Aux côtés d’ENOVA, Innovation Norway a déjà mobilisé plus de 200 millions de couronnes (environ 17 millions d’euros) depuis 2016 pour des projets liés à la transition énergétique, tout comme le conseil norvégien de recherche. Ces trois organismes ont conjointement piloté le « Pilot E and Pilot-T Schemes » qui, depuis 2016, ont mobilisé plus de 100 millions de couronnes (environ 8,6 millions d’euros) destinés au déploiement de navires électriques. En outre, la Norvège a signé, en 2019, le partenariat avec l’OMI « GreenVoyage 2050 » pour soutenir les travaux de la Global Industry Alliance sur les navires zéro émission et accompagner des États dans leurs plans industriels. En mai 2022, elle a proposé aux partenaires nordiques de développer une plateforme, afin de partager des informations, du retour d’expérience et de la recherche & développement et ainsi accélérer le développement de « green corridors » dans le Nord de l’Europe.

Le Royaume-Uni dispose de plusieurs plans maritimes ambitieux, dont le « Maritime Navigating the Future 2050 » et un « Clean Maritime Plan » datant tous deux de 2019. En mars 2022, la « National Shipbuilding Strategy » de 2017 a été révisée et dotée de 4 000 milliards de livres sterling, soit environ 4 600 milliards d’euros, pour le soutien aux chantiers et équipementiers, afin de rendre la flotte étatique britannique verte d’ici à 2050 mais aussi de travailler à des navires civils, dont le futur navire porte-étendard britannique. Cette révision a été assortie de 206 millions de livres (environ 236,4 milliards d’euros) dédiés au développement de navires zéro émission. Pour atteindre cet objectif, une mission a été créée, la UK Shipping Office for Reducing Emissions – UK SHORE et un Center for Smart Shipping devrait voir le jour. Il faut y ajouter les fonds mobilisés dans le cadre des deux appels à projets « Clean Maritime Demonstration Competition » dotés de près de 60 millions de livres, soit 68,9 millions d’euros au total.

Source : Institut MEET 2050

Conçue selon une démarche ascendante à partir du travail de l’ensemble des acteurs de la filière placés sous la coprésidence de la direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l’aquaculture (DGAMPA) et du cluster maritime français, elle fait actuellement l’objet d’analyses et d’arbitrages par les différents ministères concernés, ainsi que par le secrétariat général de la planification écologique (SGPE) : ces derniers ont indiqué au rapporteur pour avis que les propositions formulées par les professionnels du secteur étaient bien construites, raisonnables et structurées.

Cette feuille de route poursuit non seulement des objectifs environnementaux mais identifie aussi une opportunité de développement économique créatrice de nombreux emplois grâce à la décarbonation. Elle en tire un plan d’actions destiné à :

– mettre la France en conformité avec le cadre réglementaire international (OMI) et européen (« Fit for 55 ») ;

– réduire au maximum la consommation d’énergie du maritime ;

– assurer le développement économique des acteurs nationaux du maritime ;

– accroître la souveraineté d’approvisionnement de la France.

 

 

Dans les mois à venir, ce travail doit être approfondi dans le cadre de la stratégie « France Mer 2030 », démarche engagée par le Gouvernement pour la décarbonation du secteur maritime et pour la transition vers le « navire zéro émission » dotée d’un montant de 300 millions d’euros de financements publics, ainsi que par l’établissement d’une trajectoire claire de décarbonation de l’écosystème maritime pour chaque segment de flotte. Reste à savoir comment il sera également intégré au sein de la prochaine stratégie écologique et environnementale du président de la République issue des travaux du conseil de planification écologique.

B.    La dÉcarbonation du transport maritime repose sur la mobilisation de plusieurs leviers, dont aucun ne semble aujourd’hui s’imposer comme une solution Évidente

La décarbonation du transport maritime est confrontée à un double enjeu. D’abord, celui de réussir une véritable révolution en un temps record : l’OMI prévoit une réduction des GES de 20 % à 30 % d’ici sept ans, laquelle doit être portée à 80 % en moins de deux décennies. Ensuite, trouver des solutions adaptées à la spécificité des navires, qui ne sont nullement construits en série mais dont les bâtiments sont quasiment tous des prototypes répondant à des exigences propres en fonction de leur zone d’exploitation sur les océans, de leur route maritime ou encore du type de mission à réaliser. À la différence d’autres secteurs, à l’image de celui de l’automobile, qui s’appuie sur une électrification massive, aucune solution, ni aucun choix technologique ne s’imposent pour l’heure avec évidence : il ne s’agit pas là d’un défaut d’anticipation mais d’une spécificité propre au secteur, qui ne doit se fermer aucune option pour l’avenir et poursuivre la recherche d’un mix de décarbonation.

1.   La recherche d’alternatives crédibles aux combustibles fossiles : une priorité aux résultats encore incertains

Le fioul lourd utilisé par les navires est la source principale des émissions de CO2 du secteur maritime. La recherche d’énergies alternatives et décarbonées constitue, en ce sens, une priorité. Que l’on pense à cet égard :

– aux biocarburants, issus de la biomasse, qui peuvent être produits à partir de différentes matières premières ;

– aux e-fuels, carburants de synthèse produits à partir d’électricité, de CO2, d’hydrogène et d’une autre molécule (e-ammoniac, e-méthanol, e-fioul) ;

– aux carburants gazeux, tel que le gaz naturel liquéfié (GNL) ;

– à l’énergie électrique directe ;

– à l’hydrogène, utilisé sous forme liquide ou dans une pile à combustible ;

– à l’énergie éolienne, par l’utilisation de voiles ou de technologies équivalentes ;

– voire à la propulsion nucléaire, qui est une réflexion à long terme.

À ce jour, la quasi-totalité des navires utilise des combustibles fossiles mais les armateurs – 20 % d’entre eux selon la feuille de route française – optent peu à peu pour des navires compatibles avec des carburants alternatifs. Depuis une dizaine d’années, le GNL a ainsi été privilégié : il présente l’avantage de réduire les émissions de soufre, d’oxydes d’azote, de particules fines et, dans une moindre mesure, du dioxyde de carbone. Dans ce dernier cas, les gains sont toutefois limités à 10 % à 15 % environ, ce qui réduit son intérêt au regard des enjeux de la décarbonation, sans même mentionner les fuites fugitives de méthane, dont le pouvoir réchauffant est vingt-huit fois supérieur à celui du CO2 sur une période de cent ans. Il pourrait donc davantage s’agir d’une solution transitoire que de long terme.

Les armateurs ont d’ailleurs commencé à se tourner vers de nouvelles sources énergétiques, souvent en s’associant à d’autres partenaires : le danois Maersk a, par exemple, inauguré, en septembre 2023, son premier navire fonctionnant au bio‑méthanol, lequel pourra transporter quelque 2 136 conteneurs et opérera à partir d’octobre 2023, principalement en mer Baltique ([10]). La Norvège a inauguré, en 2023, le premier ferry à hydrogène liquide au monde, le MF Hydra, alimenté par une pile à combustible ([11]). Au Havre, Engie et la CMA CGM se sont associés pour développer l’usine Salamandre, première unité mondiale de production de gaz renouvelable basée sur des technologies de pyrogazéification et de méthanation. De même, la CMA CGM s’est associée, à Rotterdam, à TotalEnergies : le porte-conteneur CMA CGM Jacques Saadé a ainsi finalisé, le 13 novembre 2020, sa première opération de soutage avec la Gas Agility, le navire avitailleur GNL affrété par le groupe Total et a reçu environ 17 300 mètres cubes de GNL, soit, à date, le plus important avitaillement au monde en GNL comme carburant marin.

Navire traversier MH Hydra. Source : Maritime magazine, article déjà mentionné

Il est néanmoins encore difficile d’identifier vers quel type d’énergie la filière doit se tourner prioritairement, chacun présentant certaines limites écologiques, économiques ou sécuritaires.


Sources d’énergies décarbonées alternatives au pétrole. Source : IRENA (2021), Une voie pour décarboniser le secteur du transport maritime d’ici 2050, International Renewable Energy Agency, Abu Dhabi, tableau 4, page 43.

Tout dépend également du type de flotte envisagé, chacun répondant à ses spécificités propres.

Source : MEET 2050

Source : MEET 2050 

Dans ces conditions, la mise à disposition d’infrastructures d’avitaillement en carburants alternatifs est un véritable défi pour les ports, dont la hiérarchie pourrait se voir bouleverser par ces nouveaux usages aussi bien pour attirer les flottes non captives, positionnées sur le transport international de porte‑conteneurs, qui peuvent souter dans n’importe quel port, que pour alimenter une flotte plus captive, principalement composée de ferrys et davantage dépendante des offres en carburants alternatifs mis à disposition par les ports.

Il existe donc un enjeu relatif à la constitution de filières françaises d’énergies alternatives pour garantir l’attractivité des ports nationaux et, surtout, renforcer l’indépendance et la souveraineté énergétiques de notre pays, ce qui implique un bouleversement de notre modèle industriel fondé sur le pétrole. Ces enjeux ne sont eux-mêmes pas sans lien avec l’objectif de constitution d’une véritable « flotte stratégique » poursuivi par le Gouvernement, afin « d’assurer en temps de crise la sécurité des approvisionnements de toute nature, des moyens de communication, les services et travaux maritimes indispensables et de compléter les moyens des forces armées » (article L. 2213-9 du code de la défense) ([12]). Les ports peuvent être partie prenante de ce processus de réindustrialisation, comme le souligne Stéphane Raison, président du directoire du Grand port fluvio-maritime de l’axe Seine Haropa port, qui regroupe les ports du Havre, de Rouen et de Paris, en tant qu’ils sont propriétaires de leur foncier et disposent donc de la place nécessaire pour construire de nouvelles usines.

L’ampleur de la tâche est immense, lorsque sont considérés les ordres de grandeur engagés en termes financiers et de production. Actuellement, les carburants de substitution sont deux à cinq fois plus coûteux que les carburants conventionnels et ne sont donc pas encore commercialement et industriellement viables ([13]). À titre d’exemple, une unité de production de bioGNL représentant un investissement de 300 à 400 millions d’euros ne peut produire plus de 20 000 tonnes de carburant. Il faudrait ainsi, au niveau mondial, près de 450 millions de tonnes de combustible pour permettre au transport maritime de continuer de fonctionner.

Parallèlement, l’électrification des modes de propulsion se développe. Certains navires ont déjà opté pour la propulsion électrique alimentée par des batteries, à l’instar des navires aquacoles et de plaisance, des petits navires à passager ou de servitude, circulant dans des eaux abritées, qui peuvent bénéficier d’une capacité de recharge à quai et n’ont pas besoin d’une autonomie élevée. Cette solution est moins adaptée aux grands navires, sauf à de rares exceptions, par exemple pour des ferrys effectuant de courtes traversées et opérant plusieurs escales.

En ce sens, l’électrification des quais est indispensable au déploiement de la propulsion électrique pour la réduction des émissions à quai comme pour la recharge des batteries. Si des infrastructures existent déjà en France et à l’étranger, leur développement va sans doute être accéléré par la législation européenne et l’adoption du règlement AFIR déjà mentionné.

Ainsi, le port de Marseille-Fos devrait permettre, d’ici à 2025, à deux navires de croisière ou ferrys de grande taille et un navire de taille moyenne de se brancher au même moment à quai grâce à un investissement de près de 50 millions d’euros dans le cadre du projet de connexion électrique des navires à quai (CENAQ). Au Havre aussi, l’électrification des quais progresse : les installations électriques en cours dans le hangar 13, situé pointe de Floride, devraient assurer la distribution à terme d’une puissance électrique de 30 MW.

L'électrification des quais lancée au Havre

Fonctionnement du branchement électrique mis en œuvre au Havre. Source : Le journal de la Marine marchande, 29 septembre 2021

Ces quelques exemples prouvent que l’avenir du transport maritime reposera sans doute sur un mix énergétique mêlant la mobilisation de différentes sources d’énergies décarbonées associées à des modes de propulsion hybrides.

2.   L’amélioration de l’efficacité énergétique des navires et la promotion de la sobriété énergétique : deux leviers complémentaires à actionner

Les moyens d’améliorer l’efficacité énergétique des navires ne manquent pas, qu’il s’agisse de l’accroissement des rendements de leur système propulsif, hélices ou moteurs, de la transformation de la physionomie des coques ou de la redéfinition de leurs routes de navigation pour les rendre plus optimales, par exemple. Ceux-ci s’avèrent d’autant plus nécessaires que la transition vers des carburants alternatifs décarbonés est coûteuse et encore incertaine.

La feuille de route française souligne que les mesures d’excellence opérationnelle sont encore insuffisamment déployées : le recours aux outils d’aide à la décision et à l’écoconduite, l’optimisation du routage grâce à une meilleure utilisation des conditions météorologiques et la formation des équipages pourraient être des pistes d’amélioration.

La propulsion vélique s’inscrit dans ce cadre et connaît un développement prometteur, en particulier à l’échelle nationale : elle constitue un marché mature, dont la technologie est d’ores et déjà applicable.

Le 5 octobre 2023, la France a inauguré, à Bordeaux, le premier navire cargo industriel hybride propulsé par le vent, baptisé « Canopée ». Conçu pour le transport d’éléments de la fusée Ariane 6 des ports européens vers Kourou, en Guyane, ce cargo de cent vingt-et-un mètres de long et vingt-deux mètres de large est propulsé par quatre ailes de 363 m2 gréées sur des mâts de trente-six mètres de hauteur chacun. Grâce à ses voiles, il devrait économiser entre 30 % et 40 % de sa consommation de carburant au cours des neuf rotations annuelles qu’il effectuera.

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Le cargo à voiles Canopée. Source : https://www.vplp.fr/maritime/canopee/

Ce mode de transport est en plein développement, comme en témoigne l’évolution de la demande auprès de l’entreprise française TOWT installée au Havre. Depuis 2011, cette dernière a transporté près d’un million de produits sur ses voiliers de travail pour lesquels elle a développé un label, « Anemos », certifiant un transport à la voile transparent et décarboné. Ces voiliers assurent une réduction de 90 % des GES, de 100 % des gaz soufrés, de 92 % des oxydes d’azote, ainsi qu’une diminution sensible de la pollution sonore. Un premier voilier-cargo devrait être lancé fin 2023‑début 2024 et trois navires-jumeaux seront en circulation en 2026. Six navires supplémentaires ont d’ores et déjà été commandés à l’entreprise, preuve de son succès.

Plus largement, une réflexion sur la mise en œuvre de mesures de sobriété énergétique mériterait d’être menée. Celles-ci impliqueraient de limiter les flux ou, à tout le moins, la croissance des flux en mettant en place des politiques de contrôle. En l’absence de progrès sur cette question, qui s’inscrit certes à contre‑courant de la pensée structurant les échanges internationaux au moins depuis la Révolution industrielle, l’accent a été mis sur la réduction de la vitesse des navires, passée d’environ 20 nœuds à 15 nœuds aujourd’hui, encadrée par l’OMI et par la charte de bonnes pratiques du transport maritime pour la protection du milieu marin et du littoral (dite SAILS) ([14]), signée par plusieurs compagnies maritimes françaises. Ce levier doit toutefois être actionné avec prudence : si rien n’est fait pour maîtriser les flux de marchandises, une réduction trop marquée de la vitesse des embarcations pourrait générer un besoin croissant en navires pour maintenir à niveau constant les échanges mondiaux, avec le risque de voir les pollutions maritimes s’accroître in fine et le prix des échanges augmenter. Cette solution a la faveur des armateurs, puisqu’elle permet de réduire la facture en carburant, sans aucun investissement de modernisation des navires, et de réduire mécaniquement les capacités, ce qui permet de soutenir les prix du transport.

Ce dernier exemple témoigne des intérêts parfois divergents des acteurs de la filière maritime, qui souhaitent tous progresser vers la décarbonation mais ne s’entendent pas nécessairement sur les moyens à mobiliser pour y parvenir. La modernisation de la flotte mondiale se trouve ainsi ralentie par le comportement de certains armateurs, qui jouent des différences réglementaires entre les États, comme l’illustre la pratique des pavillons de complaisance ([15]). D’autres explications viennent s’y ajouter : le coût que représente la décarbonation – CMA CGM a ainsi déjà investi près de 14 milliards d’euros depuis 2017 pour la modernisation de sa flotte et le renouvellement des 1 200 navires de la flotte française pourrait coûter entre 75 et 110 milliards d’euros –, l’absence de solutions claires à cette dernière et les objectifs de décarbonation totale d’ici à 2050 freinent également les investissements dans de nouveaux navires. Par ailleurs, il n’existe que 200 à 250 chantiers dans le monde capables de produire environ 1 200 navires par an disposant d’une jauge supérieure à 5 000 UMS (Universal Measurement System) : à ce rythme, le renouvellement de l’ensemble de la flotte mondiale en 2050 semble difficile à réaliser.

C.   La France a un rôle structurant À jouer pour permettre l’application du cadre rÈglementaire existant et se donner les moyens de remplir pleinement ses objectifs

1.   Structurer la filière maritime et son dialogue avec les autres secteurs de l’économie

La recherche & développement joue un rôle central dans la réalisation des objectifs de décarbonation de la filière maritime, en particulier pour le développement de nouveaux carburants. Aujourd’hui, les principaux acteurs mondiaux dans ce domaine sont privés. L’armateur danois Maersk a ainsi créé un centre d’études performant sur les technologies de décarbonation, qui a déjà acquis une renommée internationale et sur lequel s’appuie désormais le gouvernement danois : celui-ci sert aussi de lobby à l’entreprise, comme au Danemark, pour porter des solutions internationales qui leur sont favorables.

Plusieurs pays ont mis en place des structures dédiées à la décarbonation du maritime, dotées de moyens capables de réaliser des projets et de les financer. Les politiques publiques mises en place pour accompagner les travaux de ces centres et instituts passent par le regroupement d’experts multisectoriels, la définition d’une feuille de route de projets et leur financement.

Les initiatives internationales accompagnant des stratégies de décarbonation du maritime. Source : MEET 2050.

La France, en revanche, ne compte aucune structure de ce type pour le maritime ou, plus généralement, pour la transition énergétique : il n’existe ni institut de recherche technologique, ni institut de transition énergétique dédié au transport maritime ou à sa décarbonation ; la France ne dispose pas non plus de centre de recherche dédié au maritime comme le sont, par exemple, le centre de recherche aérospatial (ONERA), pour l’aéronautique, le centre national d’études spatiales (CNES), pour le spatial, ou l’institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER), s’agissant des ressources marines.

Peu à peu, la France investit toutefois dans ce domaine à l’initiative d’acteurs académiques, qui font le choix de se regrouper ou de développer leur propre institut de recherche. L’écosystème français d’ingénierie maritime a ainsi créé l’institut interdisciplinaire IngéBlue ([16]), qui fédère depuis 2022 les acteurs de l’innovation maritime dans un collectif regroupant quatorze établissements d’enseignement supérieur : neuf écoles d’ingénieurs, trois universités et deux organismes publics d’expertise. De son côté, l’École centrale de Nantes dispose de son propre institut de recherche, le cluster Cargo ([17]), qui réunit les acteurs de la recherche contribuant à relever le défi de la décarbonation dans la région nantaise.

Plus fondamentalement, une semaine après la conclusion de l’accord de l’OMI de juillet 2023, la France s’est dotée d’un centre d’expertise dédié à la décarbonation, l’Institut MEET 2050 (Maritime Energy and Environmental Transition). Lancé à l’initiative du cluster maritime français et composé de soixante-dix acteurs du maritime national représentant l’ensemble de la chaîne de valeur du secteur, il doit permettre d’accompagner les acteurs privés dans leurs transitions énergétiques et environnementales, et de conseiller les pouvoirs publics en leur conférant une expertise professionnelle et indépendante. Certains acteurs centraux du secteur, comme l’armateur CMA CGM, sont cependant encore absents de ce groupement, alors même que ce dernier s’est associé à son concurrent danois Maersk pour développer l’utilisation de carburants alternatifs plus durables dans la propulsion de leurs navires porte-conteneurs : il reste toutefois à déterminer si cette alliance va véritablement profiter à l’industrie française.

Les partenaires fondateurs de MEET 2050, représentant l’ensemble de la chaîne du maritime français

Académiques : Aix-Marseille Université, École centrale de Nantes, École nationale supérieure maritime, ENSTA Bretagne et ENSTA Paris, Nantes Université, Université Bretagne Sud ;

Armateurs : Bourbon, Brittany Ferries, Knutsen, Ponant, Sogestran, TOWT, Zéphyr&Borée ;

Banques et fonds d’investissement : Banque populaire Grand Ouest, Crédit mutuel Arkea, Go Capital ;

Bureaux d’étude, entreprises du numérique et conseil : Befluid, Bureau Mauric, D‑Ice, LMG Marin, Méca, Pixel sur Mer, Principia, SDI, Ship ST, VPLP ;

Centres de recherche : IRT Jules Verne, IRT SystemX, ISEMAR ;

Chantiers : CDK, Chantier Naval de Marseille ;

Classification : Bureau Veritas Marine & Offshore ;

Collectivités : Nantes Métropole, région Bretagne, région Pays de la Loire, région Sud ;

Énergies : EDF, Elyse Energie, Engie, RWE, TotalEnergies ;

Équipementiers : Barillec, Beyond the Seas, Evolution Energie, GE Power Conversion, Marinelec, Wisamo ;

Institutionnels : Académie de marine, Association française du bateau électrique, Armateurs de France, Association des utilisateurs de transport de fret, Bretagne pôle naval, club croisière, cluster maritime français, Fédération française des pilotes maritimes, France filière pêche, GIE Albatros, Neopolia, Pôle mer Bretagne Atlantique, Pôle mer Méditerranée, TLF Overseas, Union des ports de France, VNF, Windship ;

Ports et infrastructures : Edéis‑Port de Saint Malo, GPM Nantes Saint Nazaire, GPM Marseille-Fos, Port de Sète, Société du Port de Brest.

Source : MEET2050

Il est essentiel que l’État français soutienne et accompagne cette initiative et, plus généralement, la structuration de l’ensemble des acteurs de la filière maritime, qui sont aujourd’hui encore particulièrement éclatés sans qu’une instance représentative unique ne permette de les accompagner sur le chemin de la décarbonation.

Proposition n° 1 : accompagner la structuration de la filière maritime et le développement de la recherche & développement française en matière de décarbonation en soutenant l’institut MEET2050.

Les témoignages recueillis ont également mis en avant une difficulté d’articulation des stratégies et objectifs de décarbonation des différents secteurs de l’économie française encore trop souvent conçus selon une logique de « silos », qui communiquent insuffisamment entre eux. Ce manque de dialogue est renforcé par la superposition de dispositifs français et européens. Il est donc indispensable de mieux articuler ces diverses stratégies et de créer des instances de dialogue, au niveau de l’État, entre les différentes filières concernées par la décarbonation, et ce d’autant plus que le partage de l’énergie disponible entre l’ensemble des secteurs de l’économie à décarboner sera un enjeu majeur dans le futur. À titre d’exemple, au niveau local, le projet Salamandre du Havre est une initiative hybride destinée à la fois à fournir du gaz décarboné au secteur maritime et du kérosène de synthèse à Air France-KLM. Les recherches menées pour soutenir la décarbonation du secteur aérien profitent indirectement à l’avancée des technologies pour la décarbonation du maritime.

De même, une des solutions à court terme à la décarbonation pourrait passer par l’incitation à la poursuite de trajets plus courts, en soutenant la relocalisation du cabotage intra-communautaire, selon une logique multimodale faisant intervenir différents modes de transport, qui ne peuvent donc être envisagés de manière totalement indépendante.

Proposition n° 2 : créer une instance de dialogue pour assurer une meilleure articulation entre la stratégie de décarbonation du transport maritime et les stratégies relatives à la décarbonation des autres secteurs de l’économie.

Proposition n° 3 : soutenir la relocalisation du cabotage intra-communautaire et l’incitation à la poursuite de trajets plus courts selon une logique multimodale faisant intervenir différents modes de transport.

2.   Accompagner la réalisation des objectifs de décarbonation sur les plans juridique et financier

Le prix de la décarbonation du transport maritime est encore à chiffrer précisément. Les estimations varient considérablement : la feuille de route française estime que le coût de la transition pour les acteurs de la filière maritime nationale est compris entre 75 et 110 milliards d’euros pour la période 2023‑2050 tandis qu’une étude de l’University Maritime Advisory Services de 2020 évaluait que la mise en œuvre de la réduction mondiale des émissions de 50 % des GES d’ici à 2050 s’élèverait à environ 900 milliards d’euros. Les besoins de financements à mobiliser sont donc immenses. Il existe bien sûr des initiatives privées à l’instar du fonds de 200 millions d’euros financé par CMA CGM et géré par BPI France pour accélérer la décarbonation du secteur, indépendamment de la transition du groupe mais un soutien public aux acteurs du transport maritime est souhaitable pour les accompagner sur le chemin de la transition énergétique.

a.   L’instauration d’une taxe carbone sur les émissions de GES du transport maritime : un objectif que la France doit continuer de porter sur la scène internationale

L’idée d’instaurer une taxe mondiale sur les émissions carbone des navires du transport maritime n’est pas nouvelle. Durant les négociations en vue de la révision de la stratégie de l’OMI, pas moins de cinq projets de taxe carbone ont été présentées par les îles Marshall et Salomon, le Japon, la Norvège, l’industrie du transport maritime et un groupe de pays réunissant l’Argentine, le Brésil, la Chine, l’Afrique du Sud et les Émirats arabes unis ([18]), sans que ceux-ci ne parviennent toutefois à aboutir. La France s’est montrée très active pour soutenir le projet des îles Marshall sur la scène internationale, en particulier lors de la tenue, à Paris, du sommet pour un nouveau pacte financier mondial en juin 2023.

Pour être pleinement efficace et éviter que des entreprises ne délocalisent leurs unités de production pour fuir l’instauration de normes environnementales, une telle taxe devrait être portée à l’échelle internationale au niveau de l’OMI. Sa mise en œuvre serait possible grâce à un amendement à la convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires (MARPOL) sous l’égide de l’OMI, et pourrait être acquittée en même temps que le carburant du navire, sans passer par les budgets des États.

Son impact sur les transporteurs maritimes et leurs clients serait sans doute marginal, et ce d’autant plus que les niveaux de taxation carbone sont peu élevés. Par ailleurs, les bénéfices du secteur ont été substantiels ces dernières années : la CMA CGM a, par exemple, réalisé un bénéfice net de 23,57 milliards d’euros (+ 6,98 % par rapport à 2021), ce qui laisse présager d’une capacité d’absorption substantielle du secteur, même si la baisse prochaine de ces bénéfices a été annoncée par le secteur. Il s’agit là d’une différence importante avec la mise en œuvre d’une taxe carbone dans le secteur de l’aviation, qui constitue un « danger existentiel » pour certaines compagnies low-cost.

Cette taxe, qui pourrait s’appliquer à l’ensemble des navires, aurait par ailleurs peu d’effets directs sur les émissions de GES mais présenterait l’avantage de pouvoir abonder, par exemple, un fonds vert de décarbonation, qui aiderait prioritairement les pays les moins avancés et les petits États insulaires en développement particulièrement vulnérables aux impacts économiques de la décarbonation et aux conséquences physiques du changement climatique. Ce fonds disposerait ainsi d’une source pérenne et prévisible de financement, qui le rendrait indépendant des contributions fluctuantes des États.

Au regard des atouts d’une telle taxe, il est essentiel que la France continue de porter le projet de son instauration dans le futur.

Proposition n° 4 : continuer de porter, à l’échelle internationale, le projet d’instauration d’une taxe carbone sur le transport maritime placée sous l’égide de l’OMI.

b.   Accompagner la décarbonation du transport maritime en France pour en faire un vecteur de la réindustrialisation de notre pays

Comme le souligne un récent rapport du Sénat, les ports maritimes représentent un actif stratégique pour la France et un atout au service du commerce extérieur : la valeur ajoutée totale associée au fonctionnement du système portuaire dépasserait les 15 milliards d’euros et l’activité portuaire représenterait 180 000 emplois directs et plus de 350 000 emplois indirects en 2020 ([19]). Toutefois, la décarbonation participe à la mise en concurrence des ports : le déploiement de branchements à quai, ainsi que la mise à disposition de carburants alternatifs peuvent permettre aux ports français de se démarquer de leurs concurrents et d’assurer la souveraineté de notre pays. La transition des modes d’énergie constitue ainsi une véritable opportunité de relocaliser la production énergétique sur notre territoire, de renforcer l’attractivité de nos ports, de sécuriser nos offres de soutage et de faire des énergéticiens, des industriels et des ports français de véritables champions des énergies et des vecteurs énergétiques de demain. La finalité est de développer de nouvelles activités économiques et industrielles, garantes de la souveraineté maritime du pays et créatrices de valeur et d’emploi sur le territoire.

Proposition n° 5 : inclure, dans la feuille de route de décarbonation de la filière maritime, une stratégie nationale de mise en valeur et de rapatriement du soutage en combustibles plus ou moins décarbonés dans les ports français.

Plusieurs dispositifs d’accompagnement des acteurs du transport maritime sur le chemin de la décarbonation, aussi bien juridiques que fiscaux, peuvent être envisagés pour faciliter leur transition.

Comme l’a souligné M. Stéphane Raison, la construction de nouvelles usines sur le territoire national pour faire face aux besoins en énergies décarbonées pose un enjeu d’utilisation du foncier, alors que la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets fixe un objectif d’absence de toute artificialisation des sols d’ici à 2050 (objectif « zéro artificialisation nette » ou ZAN). Des exceptions à l’application de cette loi, par exemple pour la production d’énergie photovoltaïque, existent, lesquelles pourraient être pérennisées et systématisées pour soutenir la transition énergétique, dans la limite toutefois de ce qui est strictement nécessaire pour assurer une telle transition.

Proposition n° 6 : pérenniser les exceptions à l’objectif du « zéro artificialisation nette » dans le strict objectif de soutenir une transition énergétique effective au service de la réindustrialisation des territoires français.

Sur le plan fiscal et budgétaire, la décarbonation du transport maritime doit être accompagnée d’un plan de financement lisible et précis. Notons que le secteur maritime ne dispose pas d’un mécanisme d’accompagnement à la production de carburants durables, à l’image de l’aérien pour lequel une enveloppe de 200 millions d’euros a été annoncée dans cette perspective.

 

Dispositifs fiscaux d’accompagnement de la filière maritime française

L’État accompagne les acteurs du maritime pour favoriser la transition énergétique et la rendre économiquement acceptable. La démarche France Mer 2030 du Gouvernement vise à mobiliser 300 millions d’euros de financements publics d’ici la fin du quinquennat pour soutenir l’innovation et accélérer la décarbonation du secteur maritime.

Divers dispositifs ont été créés pour soutenir l’innovation et les industriels français développant des solutions décarbonées, telles que la  propulsion par le vent, de nouvelles motorisations, des matériaux écoconçus et des navires écoefficients. L’accompagnement des projets passe notamment par le conseil d’orientation pour la recherche et l’innovation des industriels de la mer (CORIMER), enceinte de dialogue État-filière mise en place en 2018. Ce dernier s’appuie sur la recherche & développement du comité stratégique de la filière (CSF) des industriels de la mer et joue le rôle d’incubateur final pour la recherche et l’innovation des industries maritimes. Sur la base des quatre feuilles de route technologiques de la filière des industriels de la mer – GreenShip, SmartShip, Next-Gen Offshore Industries et SmartYard – le CORIMER donne lieu chaque année à un appel à manifestation d’intérêt (AMI). Les aides accordées s’accroissent à chaque nouvelle édition de l’AMI CORIMER. Lors du dernier AMI CORIMER (2021-2022), vingt-et-un projets ont été déposés, dont dix ont été considérés comme prioritaires par la filière. Sur ces dix projets, huit ont été financés et deux sont en cours d’instruction. Le bilan à date fait état d’un montant total d’aides d’environ 46 millions d’euros. Il s’agit notamment du développement de systèmes de propulsions véliques et électriques et du développement d’un porte-conteneurs permettant de réduire d’au moins 50 % les émissions de CO2. Au cours de l’édition précédente, 33 millions d’euros d’aides avaient été accordés aux projets lauréats.

Les porteurs de projet innovant peuvent également répondre directement à des appels à projet France 2030 (sans passer par l’AMI CORIMER), notamment les dispositifs « Première usine », « i-Demo », et, pour les plus petits projets, le concours d’innovation. S’il est trop tôt pour faire un bilan du dispositif « Première usine », qui vise à accélérer l’émergence de premières réussites d’industrialisation par des start-ups industrielles, le concours d’innovation bénéficie depuis plusieurs années à des petites entreprises proposant des innovations en matière de décarbonation du transport maritime. En 2022, trois projets ont été sélectionnés pour un montant de soutien d’environ 2,1 millions d’euros (un projet de catamaran hauturier autonome sur la plan énergétique et deux projets de moteurs électriques à faible puissance). Le suramortissement vert, prévu par l’article 39 decies C du code général des impôts, est également un dispositif de soutien à la filière. La déduction du résultat imposable des armateurs est ainsi modulée en fonction du niveau de protection environnementale des équipements des navires, objet de l’investissement. La durée d’application du dispositif, fixée dans sa première version jusqu’au 31 décembre 2022, a été prolongée jusqu’au 31 décembre 2024.

À terme, le secrétariat d’État chargé de la mer porte le projet d’un véritable fonds d’investissement maritime mobilisant des ressources publiques et privées, avec l’objectif d’atteindre d’1,5 milliard d’euros pour encourager la décarbonation.

Enfin, le fonds Impact Ocean Capital, lancé le 26 janvier 2023 par le secrétariat d’État chargé de la mer vise, à terme, la mobilisation de 70 millions d’euros et soutiendra les entreprises porteuses de technologies innovantes, qui œuvrent pour la transition écologique du secteur maritime. L’État, par le biais de l’ADEME, et la banque des territoires ont pris une participation minoritaire dans ce fonds.

Au niveau européen, les programmes Horizon Europe et, à terme, le fonds d’innovation (suite à l’extension du système d’échange de quota d’échanges au maritime), permettent des accompagnements substantiels mais la sélection est forte du fait de la compétition européenne. Le programme 2021 – 2022 d’Horizon Europe a ainsi pu déjà financer des acteurs nationaux à hauteur de 18 millions d’euros sur des actions de recherche & développement impliquant des consortiums de trois pays minimum.

Sources diverses

Dans ce cadre, il pourrait être utile d’étendre le dispositif de suramortissement vert au-delà de 2024 et de le rendre applicable, pour les navires neufs, aux équipements permettant l’alimentation électrique des navires durant les escales et aux équipements destinés à compléter la propulsion principale des navires, à l’instar de la propulsion vélique.

Proposition n° 7 : étendre le dispositif de suramortissement vert au-delà de 2024 et le rendre applicable, pour les navires neufs, aux équipements permettant l’alimentation électrique des navires durant les escales et aux équipements destinés à compléter la propulsion principale des navires.

Une réforme du dispositif des CEE, qui permet de donner de la valeur aux économies d’énergie, pourrait aussi être utile : pensé pour le terrestre et notamment le résidentiel, il demeure peu utilisé par les acteurs du maritime, même s’il s’ouvre désormais aux branchements à quai et au fluvial. En particulier, une réflexion sur la possible « merritorialisation » de son versement, encore conditionné au passage par le territoire national – par exemple, en prévoyant un arrêt à Saint‑Pierre-et-Miquelon en cas de trajet entre la France et les États-Unis, en contradiction avec le choix de la route maritime la plus directe – pourrait être menée.

Proposition n° 8 : mener une réflexion sur les conditions d’une possible « merritorialisation » du dispositif des CEE.

Le fléchage d’une partie des aides européennes vers la décarbonation du transport maritime permettrait également de donner davantage de lisibilité et de prévisibilité au secteur. Il constituerait un soutien important pour réaliser certaines des obligations imposées à brève échéance par l’UE, à l’image de l’électrification des quais.

Proposition n° 9 : flécher une partie des aides européennes reçues par la France vers le soutien à la décarbonation du transport maritime.

3.   Soutenir l’adaptation des professionnels du transport maritime aux enjeux de la décarbonation et mieux intégrer sa dimension humaine et sociale

La décarbonation du transport maritime va contribuer à restructurer la filière maritime avec d’importantes conséquences humaines. En effet, elle implique de former l’ensemble des professionnels du secteur à de nouvelles technologies et à l’usage de carburants alternatifs décarbonés encore peu utilisés.

Les représentants syndicaux interrogés par le rapporteur pour avis sont unanimes : ils ont pleinement conscience de ces enjeux et accueillent favorablement les politiques de décarbonation du transport maritime. Ils y voient une opportunité de mieux valoriser leurs activités, en particulier pour les personnels d’exécution, et d’attirer de nouveaux profils plus jeunes et plus féminins.

Les premières préconisations, issues des travaux remis au Gouvernement dans le cadre de l’élaboration de la feuille de route, mentionnent la nécessité d’adapter la formation initiale et continue des marins aux technologies de décarbonation et à l’écoconduite pour un coût encore non chiffré ; de même les éventuelles passerelles intermétiers ne sont jamais évoquées. Concrètement, il sera nécessaire de transformer les enseignements délivrés par les lycées professionnels maritimes, l’École nationale supérieure maritime (ENSM), les écoles d’ingénieurs maritimes, ainsi que le campus national des industries de la mer. Il est à noter que la formation des officiers de la marine marchande répond à des standards imposés par l’OMI ([20]), qui devront être conservés dans la prochaine palette de cours proposée par l’ENSM probablement d’ici à 2024.

Les représentants syndicaux ont toutefois indiqué qu’ils regrettaient de ne pas avoir été intégrés à la première phase d’élaboration de la feuille de route maritime, alors même qu’ils sont constamment mobilisés sur le sujet au sein des entreprises du secteur. Il est, en ce sens, important qu’ils puissent être consultés et inclus dans les futures étapes visant à définir les termes de la feuille de route.

Proposition n° 10 : veiller à l’inclusion de tous les partenaires sociaux dans les dialogues de haut niveau relatifs à la décarbonation du secteur maritime.

Il serait également nécessaire que la feuille de route lie de manière explicite les enjeux environnementaux et sociaux. En effet, les différences de législations entre États, permises par l’usage des pavillons de complaisance, freinent non seulement le renouvellement des flottes mais permettent aussi à certains armateurs d’employer des marins issus de pays en développement, qui constituent une main d’œuvre bon marché, avec le risque d’accentuer les clivages entre pays riches et en développement.

Plus généralement, il est nécessaire d’assurer un meilleur contrôle du respect des normes sociales par les acteurs impliqués dans la décarbonation du transport maritime et de mettre en place des mesures incitatives au respect de ces normes, à l’instar d’une conditionnalité des aides pour le verdissement du transport maritime.

Par ailleurs, la perspective de l’utilisation de nouvelles sources décarbonées d’énergie, y compris dangereuses à la manipulation, comme l’ammoniac, nécessite de concevoir avec les acteurs de la filière et les partenaires sociaux des documents de sécurité au travail permettant d’en anticiper la gestion et de discuter des possibles garanties de sécurité offertes aux marins dans ce cadre. Ces standards devraient s’appliquer non seulement en France mais aussi dans l’ensemble des pays concernés. La France pourrait ainsi porter cette revendication au sein de l’OMI.

Proposition n° 11assurer un meilleur contrôle du respect des normes sociales par les acteurs impliqués dans la décarbonation du transport maritime.

Proposition n 12 : concevoir avec les acteurs de la filière et les partenaires sociaux des documents de sécurité au travail permettant d’anticiper la gestion des futures sources d’énergies dangereuses et de discuter des possibles garanties de sécurité offertes aux marins dans ce cadre. Porter ces standards au sein de l’OMI.

Proposition n° 13 : encourager une conditionnalité des aides pour le verdissement du transport maritime à une garantie de pavillon national français et au respect de normes sociales exigeantes pour les marins embarqués.

Par ailleurs, l’organisation actuelle du secteur maritime, qui repose sur des acteurs essentiellement privés, pourrait être modifiée pour permettre à l’État d’y prendre une place plus importante.

En effet, au regard des contraintes sociales et environnementales à venir, il n’est pas certain que le système économique soit en mesure de coordonner et d’accompagner l’évolution du transport maritime et de la flotte mondiale de la manière la plus optimale qui soit. En ce sens, une dynamique portée par un service public profondément renforcé pour soutenir la recherche fondamentale et la recherche & développement, ainsi qu’une gestion du secteur s’appuyant sur un investissement accru de la part de l’État pourraient être imaginées, notamment pour soutenir les secteurs des infrastructures, des industries lourdes comme les chantiers navals, des carburants, voire d’autres éléments des filières assurant la bonne gestion de la flotte maritime mondiale. La France pourrait utilement s’inspirer de la politique danoise, qui repose sur un État puissant déterminant ses objectifs et les moyens d’y parvenir et trouve dans l’entreprise Maersk un relais efficace à la traduction concrète de ses ambitions.

Proposition 14 : porter une réflexion sur le renforcement de la part du service public dans l’organisation du secteur maritime et la gouvernance de l’ensemble de la filière maritime.

 


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   Travaux de la commission

Au cours de sa réunion du mercredi 25 octobre 2023, la commission examine le présent avis budgétaire.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous examinons à présent pour avis les crédits de la mission Écologie, développement et mobilité durables. Les montants inscrits dans le PLF 2024 s’élèvent à 21,6 milliards d’euros. La dimension internationale de la problématique écologique et climatique est aujourd’hui incontestable. C’est néanmoins l’honneur de notre pays de consacrer un effort significatif en faveur de cette cause désormais existentielle.

Notre rapporteur pour avis a choisi de porter son attention sur un sujet qui n’étonnera pas notre commission, puisqu’il est en lien étroit avec la question des échanges maritimes : il s’agit de la décarbonation du transport maritime. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), le transport maritime émet à l’heure actuelle un peu moins de 6 % du total des émissions mondiales de CO2, en tenant compte de la phase amont de production des carburants – seulement 3 % pour la seule combustion de carburant. Cela place le secteur au niveau du sixième pays le plus émissif de la planète, quand bien même ces émissions sont six à sept fois inférieures à celles du transport routier.

Le secteur du transport maritime ambitionne de diviser par deux les émissions du trafic maritime international d’ici 2050 par rapport à l’année de référence, à savoir 2008. Le défi, à l’heure où les échanges commerciaux par voie de mer se multiplient, est immense. Ces brefs rappels montrent en tout état de cause que le choix de notre rapporteur est particulièrement justifié et s’inscrit dans une grande actualité.

M. Jean-Paul Lecoq, rapporteur pour avis. Nous examinons ce matin pour avis les crédits de la mission Écologie, développement et mobilité durables du projet de loi de finances (PLF) 2024, qui comporte neuf programmes différents. Cet examen se situe dans un contexte écologique toujours plus dégradé, marqué par des records de chaleur, la perturbation du cycle de l’eau douce ou l’augmentation du niveau des eaux. Plus largement, les événements climatiques extrêmes affectent l’agriculture, au même titre que l’apparition de fortes tensions géopolitiques sur la distribution des ressources agricoles, comme nous avons pu le constater avec la crise des céréales entre la Russie, l’Ukraine, la Pologne et le continent africain.

Notre société mondialisée éprouve des difficultés à choisir les leviers efficaces et rapides pour résoudre cette crise, qui s’annonce comme la mère de toutes les futures crises. Ce constat me rappelle d’ailleurs une banderole saisissante que j’ai vue à la Fête de l’Humanité, l’année dernière, où il était inscrit : « Ce n’est pas l’été le plus chaud que tu as connu, c’est l’été le plus frais du reste de ta vie. »

Les enjeux portés par ce budget sont colossaux. Au niveau international, la prise de conscience est trop lente mais effective. Notre pays et beaucoup d’autres se mobilisent pour créer les conditions d’une organisation rapide du verdissement de tous les secteurs. De plus en plus de réunions internationales abordent les sujets climatiques et environnementaux et parviennent, progressivement, à des accords sur les forêts, les océans, les pôles ou encore la biodiversité. La COP28 qui se déroulera cette année à Dubaï, au début du mois de décembre, constitue le point d’orgue politique de ces réunions. Si ces nombreuses actions diplomatiques sont nécessaires pour porter des messages globaux, il est à craindre que ces événements soient encore trop souvent considérés comme des moments de communication politique qui ne trouvent pas toujours leur traduction budgétaire. Ce budget 2024 ne démontre pas cette volonté de la France de s’engager plus fermement dans un véritable tournant écologique.

Ainsi, les autorisations d’engagement (AE) ont diminué de 35,6 %, passant de 38 milliards d’euros en 2023 à 24 milliards d’euros pour l’année prochaine. Pire encore, les crédits de paiement (CP) ont chuté de 41 %, passant de 36,6 milliards d’euros en 2023 à 21 milliards d’euros en 2024. Ces diminutions ne constituent pas un signal positif adressé à la communauté internationale, qui multiplie pourtant les demandes d’engagement.

En effet, une diminution de ces derniers n’est pas acceptable, ni pour la planète, ni pour les Français qui souffrent par ailleurs de l’explosion du coût de l’énergie. Le sous-financement des aides à la rénovation thermique des bâtiments et la complexité de la mise en œuvre de certaines aides sont dangereuses. Ce problème est pointé par l’analyse du programme 174, Énergie, climat et après-mines. La dégressivité trop rapide de la prime à la conversion rend le dispositif quasi-inopérant pour les ménages les plus modestes. De la même manière, le chèque énergie est totalement sous-évalué.

L’Observatoire national de la précarité énergétique juge qu’il faudrait 760 euros d’aide pour les 3,8 millions de ménages modestes, afin de les sortir de la précarité énergétique, alors que l’État ne dépense aujourd’hui que 150 euros. Il en est de même pour le dispositif MaPrimeRénov’, qui est inadapté, en particulier dans l’objectif d’assurer un reste à charge nul sur les travaux réalisés par des propriétaires résidents ou par les bailleurs les plus modestes. Son montant, bien que réévalué cette année, ne permettra pas de rénover les logements à un rythme suffisamment soutenu pour faire face à la crise énergétique qui frappe les Français de plein fouet.

L’autre budget qui me semble insuffisant au regard des enjeux, est bien évidemment celui dédié à la flotte maritime française. Puisque 80 % du commerce mondial transite par voie maritime, ce secteur constitue pourtant un levier absolument crucial pour parvenir à respecter les accords de Paris au niveau français comme international. Bien qu’à la tonne, ce mode de transport soit le plus écologique, les volumes qu’il transporte sont tels que les 100 000 navires de la flotte internationale représentent aujourd’hui 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, soit un pourcentage considérable. Le secteur français du maritime est extrêmement important, compte tenu du nombre de kilomètres de côtes dont nous disposons et de la taille de notre zone économique exclusive (ZEE).

À ce titre, la France est un acteur moteur de la diplomatie maritime internationale, notamment au sein de l’Organisation maritime internationale (OMI). Or, en juillet dernier, l’OMI a conclu un accord qui fixe à ses 175 Etats membres l’objectif d’une décarbonation totale du transport maritime d’ici 2050. Cet accord se décline en deux cibles intermédiaires : une diminution de 30 % des gaz à effet de serre en 2030 et de 80 % en 2040.

Compte tenu de cet objectif, adopté de manière consensuelle, le cap affiché est partagé et toute la filière s’attache à réduire les émissions de CO2. À cet effet, elle tente de se recomposer très rapidement à l’échelle mondiale, à l’échelle européenne et française. De nombreux acteurs privés et publics se lancent dans la recherche de solutions plus ou moins efficaces mais également plus ou moins faciles à mettre en œuvre. L’Union européenne a également fixé ses orientations, suivies par la feuille de route française de la décarbonation.

Présentée en avril, cette feuille de route comporte à mon sens deux problèmes : un mineur et un majeur. Le problème mineur tient au fait qu’elle n’a toujours pas été validée officiellement par l’État français. Il me semble mineur dans la mesure où j’espère qu’il pourra être résolu rapidement. En outre, les nombreux acteurs de ce secteur attendent la validation officielle de cette feuille de route. Le problème majeur de cette feuille de route est quant à lui le suivant : les syndicats n’ont pas été associés au travail. Or il est évident que les salariés devront jouer un rôle fondamental dans la décarbonation. Les emplois de ce milieu seront en effet confrontés à des changements majeurs et il est grave de ne pas les avoir intégrés. Cependant, puisque le macronisme s’est toujours moqué de l’avis des salariés et des syndicalistes, je ne suis pas étonné que les événements se soient déroulés de cette manière.

Ceci demeure malgré tout fort regrettable car la bataille de la décarbonation de la flotte française se déroulera autour de trois axes. Le premier axe concerne la remontée en puissance de nos chantiers navals. En effet, puisque la production mondiale des chantiers navals ne pourra pas suivre les besoins de renouvellement de la flotte maritime internationale, la France a l’opportunité de revenir dans ce secteur, qu’elle a quitté à tort au fil du temps. L’outil de la nationalisation, qui demeure un « gros mot » aux yeux de certains, n’a malheureusement pas été utilisé. À l’époque, il n’était question que de rentabilité, alors que nous défendions l’idée d’indépendance nationale. Nous en payons aujourd’hui les conséquences, notamment en raison de la perte de savoir-faire, comme cela est également le cas dans le domaine du nucléaire. Dans les chantiers navals, une multitude de métiers disparaissent petit à petit et il sera difficile de reconstruire si nous n’agissons pas très vite.

Le deuxième axe porte sur la production de nouveaux carburants, créneau sur lequel la France tente de prendre un peu d’avance, avec un grand nombre de carburants différents, l’hydrogène, l’ammoniac, mais également le biométhanol. La question du gaz naturel liquéfie (GNL) se pose également, au même titre que celle de la propulsion nucléaire dans la marine marchande. La logistique sera donc très complexe. En effet, ces produits dangereux nécessiteront des espaces de stockage importants et des salariés particulièrement formés. Il y aurait là un excellent levier pour contribuer à réindustrialiser notre pays en faisant de la France un producteur majeur de ces nouveaux carburants. Les initiatives comme le projet Salamandre au Havre font d’ailleurs progresser notre pays sur ce chemin.

Le troisième axe concerne la mise en œuvre d’infrastructures portuaires destinées à proposer le plus grand nombre de carburants différents et, ainsi, faire de nos ports des acteurs majeurs dans la compétition internationale.

En conséquence, afin de mettre en œuvre une telle politique publique, il sera nécessaire de faire preuve d’un volontarisme à toute épreuve. La main invisible du libre marché ne sera jamais suffisante pour s’affranchir des incertitudes liées à ces investissements. La décarbonation maritime est d’ailleurs intéressante car elle permet aussi l’émergence de technologies, comme les déplacements dits véliques, c’est-à-dire à la voile. J’ai pu rencontrer l’entreprise Towt, dont le port d’attache est Le Havre. Faisant partie des leaders de ce secteur, elle recevra bientôt son premier porte-conteneurs totalement à voile. Un deuxième est en cours de fabrication et six autres ont été commandés. Cette solution technologique est très prometteuse et encourageante.

Plutôt qu’une transition vers un modèle unique, il me semble nécessaire de mettre en œuvre une politique de mix énergétique assuré par différentes sources. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire que l’Etat se réengage massivement dans cette folle course à la décarbonation, afin que notre pays, sa façade maritime et nos espaces ultramarins continuent d’être au cœur des échanges mondiaux et que nos emplois restent en France. Tous les acteurs que j’ai pu rencontrer sont extrêmement engagés et motivés par cet enjeu mais il importe que l’Exécutif y accorde plus d’intérêt également.

En tout état de cause, j’appelle notre commission à ne pas voter la mission Écologie, développement et mobilité durables 2024.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. La parole est à présent aux orateurs des groupes.

Mme Julie Delpech (RE). Je souhaite, au nom du groupe Renaissance, saluer le travail sérieux et ambitieux mené par l’ensemble des services concernés par les neuf programmes compris dans la mission Écologie, développement et mobilité durables et par le Gouvernement. Ils permettent d’assurer à la France les moyens de mener une politique ambitieuse et innovante, dans la perspective d’atteindre nos objectifs climatiques de réduction des gaz à effet de serre. Je rappelle d’ailleurs que la réduction des émissions ne saurait s’inscrire dans le seul cadre français.

Ce budget mérite d’être salué puisqu’il conjugue soutien aux Français, forte ambition climatique et regard international et européen, qui constituent les clés d’une réduction pérenne de nos émissions de gaz à effet de serre. Ce budget place en son cœur l’impératif d’un effort global en lien avec d’autres pays pour repenser nos modes de déplacement internationaux. Le président de la République l’a rappelé à plusieurs reprises : la réduction des gaz à effet de serre passe par une diminution draconienne de la carbonation du transport international. Ce projet de loi propose donc des mesures réalistes concernant la montée en gamme de la recherche dans les modes de transport durables, et notamment dans la réduction des émissions dans le secteur maritime, grâce à une hausse de 14 % des crédits dédiés.

La création en 2022 d’une direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l’aquaculture, ainsi que d’un secrétariat d’État à la mer montre à quel point cette thématique est cruciale. L’un des objectifs affichés par le programme 205 concerne bien l’investissement dans la décarbonation des modes de transport maritime, dans tous les secteurs. Grâce à l’ambition du programme France 2030, ce budget offre une montée en gamme des efforts dans la recherche en la matière, puisque la France a pour ambition d’être la nation leader dans les transports propres à l’horizon 2030. Ce budget consacre donc une volonté sérieuse de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle internationale.

Je souhaite également évoquer le programme 113, qui porte notamment sur la protection de la biodiversité, l’un des piliers de la politique de protection de la planète. Cette politique s’inscrit notamment dans le cadre des accords de la COP 15 et a été réaffirmée en 2022 dans l’accord de Kunming-Montréal. En conformité avec nos engagements internationaux, nous souhaitons saluer la hausse du budget de 264 millions d’euros prévus à ce PLF, conduisant à un renforcement de la stratégie des aires protégées, de la restauration écologique, de la protection des espèces, de la biodiversité des milieux forestiers marins ou encore de l’accompagnement de la restauration des sols.

Ici encore, cette mission budgétaire montre le sérieux de ce PLF, en lien avec le respect de la mise en œuvre de nos engagements internationaux en faveur de l’écologie. La cause environnementale dépasse nos frontières et les mesures prévues par le PLF 2024 permettent d’assurer de manière sérieuse, ambitieuse et crédible la part française dans ce combat urgent. Le groupe Renaissance exprime son désaccord avec le rapport présenté et rappelle le dynamisme sans précédent de la France. Il salue une nouvelle fois le sérieux de cette mission et votera les crédits.

M. Jean-Paul Lecoq, rapporteur pour avis. Si vous avez bien écouté ma présentation du rapport, je vous précise que, à aucun moment je n’ai indiqué que les actions entreprises étaient mauvaises ; simplement, elles sont insuffisantes. En revanche, je préfèrerais que les crédits de la bombe atomique soient dévolus aux actions en faveur de la biodiversité et de l’environnement mais également utilisés pour payer des salaires, disposer de plus personnes pour surveiller les espaces et de plus de moyens pour éviter les incendies de forêt. Lorsque j’observe le budget français lié aux questions environnementales, je constate bien une avancée, mais elle n’est pas assez rapide. Elle demeure insuffisante car il nous faut agir bien mieux.

Mme Laurence Robert-Dehault (RN). Les Français payent actuellement l’accumulation d’erreurs stratégiques et de la politique énergétique française : l’instauration du système de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh), qui a fait perdre des milliards d’euros à Électricité de France (EDF) et contribué à l’appauvrissement des Français ; la fermeture de la centrale de Fessenheim, les multiples atermoiements sur la construction des réacteurs pressurisés européens (EPR) et l’abandon du projet Astrid en 2019, qui ont annihilé soixante-dix années d’investissements. Ces erreurs et fautes de politiques industrielles et technologiques traduisent la faillite de l’Etat stratège, entraînant en conséquence la perte de notre souveraineté énergétique et la flambée des prix de l’électricité.

La mission Écologie, développement et mobilité durables de ce projet de budget aurait pu constituer un moment important pour traduire en actes les ambitions présidentielles affichées lors du discours de Belfort de février 2022, dans lequel le président annonçait la construction de six EPR deuxième génération, avec une première mise en service à l’horizon 2035. De ce discours de Belfort ne subsiste, malheureusement, que la volonté de poursuivre la construction de gigantesques parcs éoliens maritimes qui détruisent nos littoraux et nos espaces maritimes pour un rendement énergétique marginal.

Aucune ligne budgétaire n’est consacrée au vaste plan de relance du nucléaire, dont la France a cruellement besoin, qui nécessite pourtant une planification sur plusieurs années et des investissements de plusieurs milliards d’euros. Notre groupe souhaite une revalorisation d’ampleur de notre industrie nucléaire, notamment avec notre plan Marie Curie, qui vise à la construction de vingt EPR d’ici 2050 et la relance du projet Astrid. Cette revalorisation conduira non seulement à une indépendance énergétique pour la France mais également à une énergie stable, durable et moins chère. Un tel programme nous permettra d’être compétitifs économiquement, sur le marché international.

Face à ces oublis, nous nous interrogeons sur l’efficacité du budget présenté pour répondre aux enjeux auxquels nous sommes confrontés, c’est-à-dire la production d’une énergie décarbonée, tout en garantissant notre souveraineté énergétique, la compétitivité de notre industrie et en parvenant à préserver le pouvoir d’achat des Français.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Si je comprends bien, madame, vous ne donnez pas d’indication de vote du groupe Rassemblement national à ce stade.

M. Jean-Paul Lecoq, rapporteur pour avis. Vous portez une position politique forte. Vos premiers propos m’ont fait penser aux interventions de Sébastien Jumel dans l’hémicycle sur les questions nucléaires, notamment lorsqu’il a été question de vendre EDF à la découpe. À cette époque, il était nécessaire de montrer que cette entreprise nationale avait un grand rôle à jouer, précisément dans les questions énergétiques.

Contrairement à tous mes camarades, je ne suis pas un grand partisan du nucléaire mais je plaide en faveur du mix énergétique, parce qu’il ne faut pas « mettre tous ses œufs dans le même panier », notamment à l’aune des problèmes d’approvisionnement que nous pouvons subir à tout moment. Si nous voulons bénéficier d’une indépendance énergétique, il nous faut pouvoir disposer de suffisamment d’outils de production d’énergie décarbonée et donc porter l’industrie associée, par exemple dans le domaine de l’éolien et du photovoltaïque.

Un grand travail reste à accomplir mais des avancées ont pu être enregistrées. Il faut les poursuivre pour la réindustrialisation de notre pays. Mes camarades écologistes ne seront sans doute pas du même avis que moi mais je suis très fier de notre production de barrages hydrauliques. En effet, il s’agit à la fois d’une réponse énergétique propre et d’une réserve d’eau. J’aurais vivement souhaité que nous menions une réflexion sur la création de barrages hydroélectriques. Je pense en effet que beaucoup reste encore à faire dans ce domaine.

Madame Robert-Dehault, je ne partage pas forcément votre stratégie totalement orientée en faveur du nucléaire. Électricien de formation, je m’intéresse naturellement à la production nucléaire mais aussi au cheminement vers une autre production nucléaire qui ne soit pas liée à la fission. À cet égard, j’estime que notre pays doit fortement investir pour suivre ce chemin.

Mme Nathalie Oziol (LFI-NUPES). L’une des demandes de la Convention citoyenne pour le climat qui s’est tenue en octobre 2019 portait sur l’adoption d’une loi qui pénalise le crime d’écocide en intégrant le devoir de vigilance et le délit d’imprudence, dont la mise en œuvre est garantie par la Haute autorité des limites planétaires. Or, pour répondre à cette demande, encore faudrait-il renoncer aux projets fous, dangereux et inutiles. Je pense par exemple au projet d’autoroute A69 en Occitanie, qui implique la destruction de 400 hectares de terres agricoles pour gagner une quinzaine de minutes, au « modeste » tarif de 17 euros par trajet.

Par ailleurs, le budget de la mission Écologie, développement et mobilité durables est en baisse, puisqu’il passe de 36,59 milliards d’euros à 21,6 milliards d’euros en crédits de paiement, soit une baisse de 41 %. Cette baisse est particulièrement due à la fin des mesures d’urgence destinées à faire face l’augmentation du prix de l’énergie et à la diminution de l’accompagnement de la transition énergétique, qui comprend le dispositif MaPrimeRénov’ et le chèque énergie. Le budget est donc bien en deçà des exigences écologiques de notre époque.

Pour mémoire, l’année dernière, avant que le Gouvernement n’actionne l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, l’Assemblée nationale avait adopté deux amendements pour le budget 2023, dont 12 milliards d’euros alloués à la rénovation thermique du bâti et 3 milliards d’euros pour le ferroviaire. Les annonces sur la planification écologique du Gouvernement relèvent plus de la communication que d’une volonté politique. Interrogé en septembre sur ses attentes concernant le programme de planification écologique d’Emmanuel Macron, le climatologue Jean Jouzel indiquait : « On connaît bien le problème actuel. Il y a un fossé entre les annonces et leur mise en œuvre. Il manque un gouvernement qui ait de l’entrain, qui se décide à entraîner franchement les citoyens, les élus, les entreprises dans ce grand défi. »

Il faudrait qu’Emmanuel Macron cesse de semer la confusion en déclarant, par exemple, que la France représente 1 % des émissions mondiales de CO2. L’urgence écologique est majeure. Les rapports des scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ou de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) s’enchaînent et les constats s’aggravent. Le rapport du GIEC indique qu’un seuil de 1,5 degré supplémentaire sera atteint avant 2040 et s’accompagnera de changements sans précédent, de phénomènes irréversibles. Le mois de septembre 2023 a été le plus chaud jamais enregistré. Atteindre nos objectifs de réduction des émissions à effet de serre nécessite donc de s’en donner les moyens.

M. Jean-Paul Lecoq, rapporteur pour avis. Je partage les propos qui viennent d’être tenus. Je vis au sein d’un espace, qui devra travailler à la transition écologique et industrielle pour conduire des opérations tiroirs. J’habite en effet en face d’une raffinerie qui, à un moment donné, n’aura pas d’avenir et devra libérer cet espace. Lors des questions d’actualité qui se sont déroulées hier, des voix se sont d’ailleurs exprimées en ce sens. Je pense notamment à l’intervention du groupe Les Républicains, qui a expliqué la nécessité de défendre à la fois l’objectif zéro artificialisation nette mais également la nécessité de gérer cet objectif avec intelligence. Pour y parvenir, il faudra faire confiance aux élus locaux et aux associations environnementales, comme cela est le cas aux Pays-Bas et en Belgique. Malheureusement, le fonctionnement reste très bureaucratique en France. À ce titre, il sera sans doute nécessaire de changer nos pratiques et nos méthodes de travail. Si nous n’y parvenons pas et si nous n’écoutons pas le peuple, nous échouerons.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Vos propos sur la décarbonation des transports maritimes m’ont particulièrement intéressé. Je suis en effet élu d’un territoire maritime, qui est concerné par ce sujet, en lien avec les ferries qui assurent la liaison entre le port de Calais et le port de Douvres. Ces derniers rejettent des fumées noires en grande quantité, qui soulèvent des questions de santé publique. En compagnie d’entreprises innovantes, nous développons des modes de traversée plus doux, en particulier à la voile. J’accueillerai avec plaisir une union de nos efforts pour nous diriger vers un transport maritime propre.

La décarbonation concerne également les transports terrestres. Ainsi, je suis élu d’une circonscription qui jouxte le Dunkerquois, où s’implantera la « vallée des batteries » française. Cela implique également de prévoir des aménagements adaptés. Par exemple, une usine qui vient de s’implanter a prévu de recruter des milliers de salariés mais n’envisage que 200 places de stationnement. Afin de mener de front la réindustrialisation et la décarbonation des transports, il sera donc nécessaire d’investir dans le réseau ferroviaire, la création de gares, des logements nouveaux.

Sur le plan national, le groupe Les Républicains souhaite poser plusieurs questions au sujet de cette mission Écologie, développement et mobilité durables. La première porte sur la distribution du fonds vert : la surcontractualisation entre l’État et les collectivités territoriales a pour conséquence de privilégier certaines communes au détriment d’autres, souvent les plus petites. Il conviendrait donc de plus « décontractualiser » et de permettre aux préfets de mieux distribuer ce fonds.

Nous nous interrogeons également sur l’indemnité carburant de 100 euros pour les dix millions de gros rouleurs. En effet, cette indemnité n’a été réclamée que par 4 millions de foyers en 2023. Nous jugeons qu’il serait plus efficace de procéder à une baisse des impositions des taxes, en particulier la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), afin d’en faire bénéficier un maximum de Français.

Par ailleurs, le chèque énergie n’est pas assez bien calibré. Il aide 5,6 millions de ménages modestes à payer leurs dépenses d’énergie mais il demeure insuffisant au regard des factures. Le dispositif manque sa cible, puisque 3,7 millions de ménages ne sont pas éligibles, alors même qu’ils éprouvent des difficultés à se chauffer.

Enfin, il demeure un décalage entre les annonces et les mesures concrètes concernant le renforcement de MaPrimeRénov’. Le Gouvernement a ainsi annoncé une augmentation de 1,6 milliard d’euros mais le PLF n’inscrit que 134 millions d’euros.

Par conséquent, le groupe Les Républicains votera contre ces crédits.

M. Jean-Paul Lecoq, rapporteur pour avis. À l’avenir, les bateaux n’utiliseront pas tous les mêmes carburants, en fonction de leur usage et des distances parcourues. Il importe de bien réfléchir à ces questions, à partir de la disponibilité de tel ou tel carburant et des arbitrages à réaliser. C’est la raison pour laquelle la notion de chantiers navals français importe tant, afin d’adapter nos outils à nos besoins. Je rappelle que les voiliers qui partiront de Bretagne pour rejoindre Le Havre sont aujourd’hui construits en Roumanie et au Vietnam. À l’avenir, il conviendra d’en construire plus. Si l’initiative privée ne s’y intéresse pas, sans doute conviendra-t-il d’agir grâce à la puissance publique.

Mme Laurence Vichnievsky (Dem). Je vous remercie pour le thème original que vous avez choisi de mettre en lumière, même si je ne suis pas d’accord avec les conclusions que vous tirez. En revanche, à titre personnel, je partage votre point de vue sur le mix énergétique, notamment parce que la crise énergétique ne cesse de s’aggraver.

Nous devons tous nous mobiliser après le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial qui s’est tenu à Paris en juin dernier, afin de réorienter les finances au service du climat. La prochaine étape concernera la COP 28, qui se déroulera à Dubaï du 30 novembre au 12 décembre 2023 et évaluera les progrès collectifs accomplis. À cet égard, des efforts ont été entrepris en France pour mettre en œuvre cette transition écologique et il convient de relever la forte hausse des investissements en faveur des modes de transport les moins carbonés, en particulier les transports ferroviaires et fluviaux.

Une hausse significative des investissements dans la rénovation énergétique du parc de logements est également prévue. Nous constatons tous dans nos circonscriptions les difficultés d’application de MaPrimeRénov’. Nos administrations doivent prendre conscience de ce signal : si le principe doit être évidemment soutenu et même abondé encore plus qu’aujourd’hui, sa mise en œuvre est infernale. Il faut également nous réjouir d’une hausse de 66 % des investissements au profit du Fonds chaleur et des moyens supplémentaires alloués en faveur de la gestion de l’eau et de la biodiversité. Nous voterons donc en faveur de ces crédits.

Enfin, nous avons observé la baisse des crédits de paiement, en raison de la fin progressive du bouclier tarifaire. Pensez-vous qu’à terme, la hausse de l’énergie soit inéluctable ?

M. Jean-Paul Lecoq, rapporteur pour avis. Le prix de l’électricité fait débat. Je ne suis pas le seul à penser que si nous sortions de la charte européenne qui nous l’impose, ce prix changerait. Certains pensent qu’il faut laisser filer les prix et que plus ils augmenteront, plus les gens seront contraints de faire des économies. Ce raisonnement est catastrophique pour les plus démunis, qui seront alors obligés de rogner sur leur chauffage, leur carburant.

Je partage par ailleurs votre avis concernant l’administration, qui demeure très bureaucratique dans certains domaines. Je prône pour ma part une plus grande confiance et un mode de gestion plus décentralisé, plus déconcentré, afin d’accélérer la mise en place des mesures écologiques. Si la direction prise est la bonne, le rythme est trop lent, entraînant des conséquences dramatiques.

M. Alain David (SOC). Je vous remercie pour votre présentation et votre travail thématique sur la décarbonation du transport maritime. Comme vous l’avez signalé dans le budget pour 2024, les crédits budgétaires de la mission Écologie, Développement et mobilités durables diminuent de 15 milliards d’euros. L’Exécutif prévoit d’engager 10 milliards d’euros supplémentaires au financement de la transition écologique, dont 7 milliards d’euros sur le budget 2024. Cet effort semble donc marquer une inflexion dans le traitement du sujet environnemental par ce Gouvernement.

Toutefois, l’analyse dans le détail de ces investissements révèle des incohérences et de sérieuses lacunes, qui indiquent que le compte n’y est pas. Pour commencer, cet effort reste inférieur aux 30 milliards d’euros d’investissements supplémentaires que plusieurs études, dont le rapport de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, mettent en évidence comme un minimum à engager par le secteur public afin que la France tienne sa trajectoire de neutralité carbone. Le Gouvernement répondra qu’avec 10 milliards d’euros, il fait sa part, les 20 milliards d’euros restants devant être engagés par les collectivités. Cet argument ne tient déjà apparemment pas, puisque seuls 7 milliards d’euros au lieu de 10 milliards d’euros ont été engagés pour 2024. Les 3 milliards d’euros restants seront engagés en 2025 et sur ces 7 milliards d’euros, 1,3 milliard d’euros est dédié au fonds vert, un dispositif de financement de projets portés par les collectivités. Par conséquent, seuls 5,7 milliards d’euros portent sur des politiques à compétence nationale. Pour ces raisons, le groupe des députés socialistes défendra certainement des amendements plus tard sur cette mission budgétaire et s’abstiendra au stade de la commission sur ces crédits.

M. Jean-Paul Lecoq, rapporteur pour avis. Je partage la première partie de votre intervention. Ensuite, je déplore que les collectivités territoriales voient leurs moyens et leur autonomie de collecte de recettes diminuer d’année en année. Accroître cette autonomie leur permettrait de mener de véritables politiques en matière énergétique ou d’investissements dans les bâtiments publics et, au-delà, cela renforcerait notre espace démocratique.

Mme Stéphanie Kochert (HOR). Vous soulignez dans votre projet de rapport que les orientations générales de la mission Écologie, développement et mobilités durables doivent s’accompagner du respect par la France de ses engagements chiffrés, notamment au niveau européen. La France est en effet juridiquement contrainte par le Pacte vert européen et doit atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Notre continent doit réduire de 55 % ses émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à leur niveau de 1990.

Nous devons donc entamer une véritable transformation de notre économie, si nous voulons respecter les objectifs de l’accord de Paris, qui imposent de limiter la température mondiale à 1,5 degré au-dessus des niveaux de l’ère préindustrielle. Enfin, l’écologie ne se limite pas à la question climatique mais touche aussi la préservation de la biodiversité. La France s’est engagée, lors de la COP 15 et via l’accord de Kunming-Montréal, à protéger au moins 30 % des terres, des eaux intérieures et des zones côtières et marines d’ici à 2030. Aussi, le budget de cette mission, associé à l’approche systématique de la planification écologique présentée en septembre, est cohérent avec les accords et directives européennes.

Ce budget présente également des avancées importantes pour la mobilité, le logement, le financement de la transition écologique et la biodiversité. C’est parce que nous sommes convaincus que ces avancées sont nécessaires au respect des engagements internationaux de la France pour le climat et la biodiversité, que le groupe Horizons et apparentés votera en faveur des crédits de la mission Écologie, développement et mobilités durables. Enfin, concernant plus spécifiquement votre rapport intéressant et détaillé sur la décarbonisation de la flotte maritime mondiale, vous mentionnez l’instauration d’une taxe carbone sur les transports maritimes. Que savez-vous sur l’état d’avancement des négociations à ce sujet et quels en seraient, selon vous, les contours ?

M. Jean-Paul Lecoq, rapporteur pour avis. Le rapport sur la décarbonation du carburant maritime illustre la nécessité de modifier notre approche, notre philosophie, c’est-à-dire vivre différemment. Il ne s’agit pas de prôner la décroissance mais notre modèle actuel ne permet pas d’atteindre nos objectifs, même si nous essayons de le rendre plus vert. À titre d’exemple, pour produire de l’hydrogène, il est nécessaire de passer par l’électrolyse, laquelle nécessite à son tour de l’électricité. À l’heure actuelle, il existe 245 réacteurs nucléaires dans le monde. Si nous voulions passer au « tout électrique », il faudrait 600 réacteurs nucléaires de plus. Par conséquent, en plus du verdissement, nous devons nous habituer et habituer nos enfants à vivre différemment, à modifier notre relation à l’énergie et aux déplacements, notamment en privilégiant le transport ferroviaire.

La taxe carbone suscite également des débats et il serait souhaitable de s’inspirer de l’accord passé en juillet sous l’égide de l’OMI concernant l’évolution des règles maritimes et internationales. Il faut à tout prix éviter des distorsions de concurrence entre, d’une part, les pays qui s’engageraient dans cette taxe carbone et la transformation du modèle énergétique de leur économie et, d’autre part, ceux qui s’en affranchiraient. Les premiers se retrouveraient ainsi handicapés face aux seconds. Pour le moment, sur le plan international, l’ambition n’est pas très élevée mais il convient de réunir le plus grand nombre de pays autour d’un consensus, avant de progresser vers des règles plus contraignantes.

Mme Mereana Reid Arbelot (GDR-NUPES). Je remercie le rapporteur pour son travail, que j’ai parcouru avec attention. Je regrette bien sûr la diminution des crédits et surtout la diminution des crédits attribués à cette mission de 41 % dans le PLF. Elle met en péril les efforts jusqu’ici menés en faveur du développement durable. Au-delà de cette observation générale, le sujet de la décarbonation du transport maritime mondial est particulièrement intéressant. En effet, cette question est essentielle pour la collectivité d’outre-mer qu’est la Polynésie française. Les 118 îles qui la composent sont dispersées sur un espace maritime représentant dix fois la superficie de la France hexagonale.

Les échanges maritimes constituent donc un enjeu pour la circulation et le ravitaillement des populations, dont certaines ne sont accessibles que par la mer. Si ces échanges sont essentiels pour la Polynésie et les Polynésiens, ils doivent être repensés pour la préservation de l’environnement. D’ailleurs, les élus polynésiens se mobilisent afin de trouver des solutions de transport maritime plus durables et explorent notamment la question de l’hydrogène vert.

Dans votre rapport, vous formulez des recommandations pour favoriser les transformations du transport maritime. J’aimerais vous interroger sur deux d’entre elles. Premièrement, les différents acteurs de la filière maritime étant pour le moment trop disparates, vous proposez de restructurer la filière et de créer une instance de dialogue permettant de mieux coordonner le processus de décarbonation de ce secteur avec celui des autres secteurs économiques. Comment envisagez-vous la restructuration de ce paysage complexe ?

Deuxièmement, vous proposez d’instaurer une taxe carbone sur le commerce maritime régulée par l’organisation maritime internationale. Dans son livre choc La jungle des océans, le journaliste de New York Times, Ian Urbina, a révélé l’utilisation illégale de « tuyaux magiques » par des navires, afin de contourner la législation environnementale relative aux rejets polluants en mer. Avez-vous en tête des suggestions qui vous ont été faites lors de vos auditions, afin d’éviter tout détournement de cette nouvelle taxe par les navires ? Par ailleurs, vous indiquez que l’impact de cette taxe sur les consommateurs finaux serait sans doute marginal, puisque les armateurs, qui ont réalisé d’importants bénéfices ces dernières années, seraient donc en mesure de supporter cette augmentation fiscale. Mais par quels moyens pouvons-nous nous assurer que cette taxe ne serait pas, in fine, reportée sur le consommateur de biens importés ?

Enfin, nous voterons contre ces crédits qui sont sous-dimensionnés au regard des enjeux.

M. Jean-Paul Lecoq, rapporteur pour avis. La Polynésie constitue un bon exemple, compte tenu de l’étendue du territoire concerné. Comme je l’ai déjà indiqué, l’adaptation des carburants doit se réaliser selon les spécificités des territoires et des modes de transport. J’ai en outre mentionné les risques de distorsion de concurrence concernant la taxe carbone, laquelle doit punir les « mauvais élèves » de la décarbonation du carburant maritime.

La taxe pourrait être prélevée et redistribuée par l’OMI, afin de favoriser la décarbonation, la mutation et la construction de nouveaux navires, la recherche et le développement. Je pense par exemple à Canopée, le voilier-cargo conçu pour transporter les éléments de la fusée Ariane entre l’Europe et la Guyane.

Les acteurs concernés sont très nombreux – nous avons d’ailleurs produit un schéma d’ensemble dans notre rapport – et il faudra s’assurer d’une bonne coordination entre eux, tâche qui incombe à l’État stratège. Malheureusement, il subsiste encore aujourd’hui un décalage entre l’ambition politique affichée et les moyens qui y sont consacrés. La création de l’Institut français pour la décarbonation Meet 2050, dont la vocation est de regrouper l’ensemble des acteurs du secteur maritime, participe néanmoins de ce mouvement en direction de la décarbonation maritime.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Les groupes se sont tous exprimés et nous en venons à présent aux questions individuelles.

M. Michel Guiniot (RN). Je souhaiterais obtenir des précisions sur l’action 9, Soutien aux énergies renouvelables électriques en métropole continentale, qui dispose d’un budget de zéro euro en autorisation d’engagement et en crédit de paiement. Selon le PLF 2024, en 2023, la programmation pluriannuelle de l’énergie prévoyait l’ouverture d’appels d’offres à hauteur de 1 850 mégawatts par an, pour un coût de soutien de l’ordre de 1 500 millions d’euros sur vingt ans. Cette souscription n’aura pas été suivie puisqu’en 2023, seuls 40 000 mégawatts auront été fournis dans ce cadre, alors que l’implantation de l’éolien en France provoque de plus en plus de rejets de la part des citoyens qui vivent à côté de ces monstres de ferraille bruyants et qui impactent la vie sauvage.

Pouvez-vous nous expliquer pourquoi le Gouvernement s’acharne à essayer de développer ce mode de production, qui ne produit que peu, provoque des conflits locaux dont les conséquences sur les sols agricoles sont délirantes et le recyclage pose question, plutôt que d’investir davantage sur une énergie décarbonée et stable que nous exploitions déjà en 1956 à Marcoule, avant même la proclamation de la Constitution de la Vème République ? Nous voyons le résultat avec nos voisins d’outre-Rhin, qui ont choisi de privilégier une production totalement verte et qui aujourd’hui nous achètent de l’énergie ?

M. Jean-Paul Lecoq, rapporteur pour avis. Je suis totalement incompétent pour vous expliquer pourquoi le Gouvernement mène cette politique, puisque je suis opposé à la plupart des grands axes politiques qu’il poursuit. Si le débat peut avoir lieu dans l’hémicycle, je vous propose de poser la question directement au Gouvernement.

*

Article 35 et état B : Crédits du budget général

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Notre commission a été saisie de huit amendements portant tous sur les crédits de cette mission et déposés par nos collègues du groupe du Rassemblement national. Nous allons donc les examiner successivement avant d’émettre évidemment l’avis global sur la mission.

Amendement II-AE121 de M. Jérôme Buisson

Mme Marine Hamelet (RN). Cet amendement nous fournit l’occasion de rappeler que le Rassemblement national est très favorable au développement de l’énergie nucléaire. Nous la considérons comme propre, développant un secteur à haute valeur ajoutée et non intermittente.

Tout à l’heure, après l’allocution de ma collègue, vous avez été un peu caricatural : nous ne sommes pas pour le « tout nucléaire ». En revanche, nous sommes opposés à l’éolien, à la fois terrestre et maritime. Cet amendement le prouve, puisqu’il vise à supprimer les fonds alloués aux études nécessaires pour l’installation des parcs éoliens en mer. Nous considérons qu’ils seront mieux utilisés pour le développement d’autres sources d’énergie non carbonées, parmi lesquelles celles que vous avez mentionnées tout à l’heure dans votre rapport.

M. Jean-Paul Lecoq, rapporteur pour avis. Je n’ai pas d’avis à formuler. Je ne participerai pas au vote, puisque j’estime que l’écologie manque d’argent, dans tous les secteurs. Il ne suffit pas de déshabiller Pierre pour habiller Paul : il importe de consacrer plus de moyens, dans tous les secteurs. Je suis député d’une circonscription qui dispose d’une magnifique usine de construction d’éoliennes en mer. Pour autant, il est également essentiel de se préoccuper des impacts en mer, pour la faune et la flore aquatiques mais aussi pour l’activité humaine, notamment celle des pêcheurs.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-AE118 de Mme Laurence Robert-Dehault

Mme Laurence Robert-Dehault (RN). Contre l’avis de 61 % des Français favorables à l’instauration d’un moratoire sur l’éolien, le Gouvernement poursuit dans cette funeste voie en augmentant les crédits alloués au financement d’études techniques, environnementales, juridiques et financières relatives à l’identification, la caractérisation et l’attribution des zones propices au développement de l’éolien en mer. Après une forte augmentation en 2023, cette action bénéficie d’une revalorisation supplémentaire en 2024. En parallèle, aucune ligne budgétaire n’est accordée au vaste plan de relance du nucléaire dont la France a cruellement besoin.

Pour rappel, la filière nucléaire en France représente environ 61,4 gigawattheures (GWh) de capacité installée en 2023, quand le ministère de l’écologie espère atteindre une capacité de 5 GWh en 2028 pour l’éolien en mer. Une centrale nucléaire comme celle de Gravelines, qui occupe 1,5 kilomètre carré d’espace, développe une puissance d’environ 900 mégawattheures, c’est-à-dire deux fois plus que le parc éolien en mer de Saint-Nazaire, qui s’étend sur 78 kilomètres carrés, soit autant de zones maritimes artificialisées dénaturant l’habitat de nombreuses espèces aquatiques pour un rendement limité.

Il est temps de stopper cette frénésie faussement écologiste qui dénature nos territoires et nous fait perdre en compétitivité, alors que nous disposons d’un mode de production d’électricité entièrement décarbonée et à faible coût. Cet amendement est donc un amendement de repli par rapport à l’amendement déposé par mon collègue Jérôme Buisson, qui propose de revenir sur les augmentations de crédits alloués à l’action destinée à développer l’éolien en mer.

M. Jean-Paul Lecoq, rapporteur pour avis. Dans la mesure où il s’agit d’un amendement de repli, ma réponse est identique à celle du précédent amendement.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-AE122 de M. Jérôme Buisson

Mme Marine Hamelet (RN). Cet amendement prévoit de supprimer les 3 millions d’euros de subventions que notre pays accorde à des associations nationales et internationales qui œuvrent pour la promotion du développement durable. Comment voulez-vous expliquer à nos compatriotes qui subissent un matraquage fiscal qu’ils doivent financer par leurs impôts, des associations qui, pour une partie d’entre elles, agissent contre l’État ?

Nous pensons que ces fonds seront mieux utilisés dans de vrais investissements, permettant une transition décarbonée de notre économie et la relocalisation d’activités industrielles dans notre pays.

M. Jean-Paul Lecoq, rapporteur pour avis. Je trouve cet amendement étonnant. Je ne suis pas d’accord avec la politique actuellement menée en France mais il ne me viendrait pas à l’idée de ne pas payer d’impôts. Il en va de même à l’échelon international pour la politique que conduit l’Organisation des Nations Unies (ONU), qui va pourtant parfois à l’encontre des intérêts français. Les associations de la société civile sont utiles, elles servent d’aiguillon pour inciter l’État à agir. Je suis donc favorable au financement des associations qui nous rappellent la nécessité d’engagements indispensables.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-AE120 de M. Jérôme Buisson

Mme Marine Hamelet (RN). Le président de la République a annoncé l’année dernière la construction de six réacteurs EPR, avec une option pour huit autres, soit quatorze réacteurs d’ici 2050. Malheureusement, comme trop souvent avec ce Gouvernement, c’est trop peu et trop tard. Nous faisons face à des défis immenses et nous devons électrifier notre mix énergétique pour garder un mix électrique peu carboné et réindustrialiser notre pays. En cela, les économies d’énergies ne suffiront pas, il faut produire plus d’électricité. C’est pourquoi notre présidente, Marine Le Pen, a présenté lors de la campagne présidentielle de 2022 l’ambitieux plan Marie Curie dont a parlé ma collègue tout à l’heure.

Cet amendement prévoit donc une intervention directe de l’Etat pour assurer le financement de la construction de vingt EPR, indispensables pour assurer notre indépendance et notre transition énergétiques.

M. Jean-Paul Lecoq, rapporteur pour avis. Vous avez compris que, si je ne suis pas un grand partisan des EPR, j’ai bien intégré les enjeux d’une production d’électricité en quantité importante et celui de la protection climatique. Il est exact que nous allons avoir besoin de plus en plus d’électricité pour la réindustrialisation de notre pays. Je rappelle que je me suis aussi battu contre la fermeture de la centrale à charbon du Havre qui, malgré ses défauts, pouvait constituer une solution de secours en cas de problème. Le premier ministre de l’époque, qui connaît pourtant bien la ville du Havre, en a décidé autrement.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-AE123 de M. Jérôme Buisson

Mme Marine Hamelet (RN). Avec cet amendement, nous proposons de reprendre le programme Astrid, soit le projet de réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium. L’arrêt de ce projet en 2019 a constitué une grave erreur, commise sans motif valable, comme l’a souligné un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Cette erreur a porté atteinte à l’ensemble de notre recherche nucléaire, alors que nous étions en pointe dans ce domaine. Il est urgent de ne pas perdre l’acquis technologique de ce projet formidable, alors que les autres pays avancent sans nous.

M. Jean-Paul Lecoq, rapporteur pour avis. Je l’ai déjà indiqué précédemment : je suis favorable à l’investissement dans le domaine de la fusion nucléaire, afin de ne pas gaspiller l’avance dont elle bénéficiait. Je regrette que la France ait abandonné ce projet mais je ne prendrai pas position sur votre amendement.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je crois qu’il s’agit d’un amendement important, je n’en dirai pas plus.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-AE116 de Mme Laurence Robert-Dehault

Mme Laurence Robert-Dehault (RN). Un rapport sénatorial de 2020 indiquait que les ports français souffraient encore d’un manque de compétitivité et d’une absence de vision stratégique à long terme. En dépit d’atouts certains, nos ports ne parviennent pas à rivaliser avec leurs concurrents européens, notamment ceux du « range nord-européen ». Les objectifs affichés pour l’action relative au port du programme 203 semblent prendre acte de cette situation. Ils visent à soutenir une stratégie portuaire pour accompagner nos ports commerciaux, nos industriels et nos logisticiens en vue « de reconquérir des parts de marché ».

Nous soutenons cette ambition, qui doit venir en réaction à la baisse d’activité du commerce extérieur de la France. Toutefois, cette prise de conscience n’est pas suivie d’effets. Les crédits alloués à cette action sont en baisse constante depuis 2020. Cet amendement propose donc d’abonder cette action de 8 millions d’euros, afin qu’elle atteigne un niveau de crédits équivalent à celui de 2019. Ces crédits sont pris sur l’action finançant les études ayant pour finalité le développement de l’éolien en mer.

M. Jean-Paul Lecoq, rapporteur pour avis. Je ne partage pas votre idée consistant à retirer des moyens en faveur de l’éolien. La question de la concurrence entre les ports du « range nord-européen » et les ports français n’en demeure pas moins patente. Cependant, elle va au-delà des ports en eux-mêmes pour concerner la jonction avec l’hinterland, notamment par le fret ferroviaire, qui est défaillante, particulièrement pour la liaison entre Le Havre et Paris. Il en est d’ailleurs de même pour le trafic voyageurs, comme en témoigne le devenir de la Ligne nouvelle Paris Normandie (LNPN), que l’on nous promet pour 2035, après tant d’attente.

Des progrès ont été réalisés dans le domaine du fluvial, avec la création d’Haropa Port mais il conviendra d’investir pour équiper ces ports, notamment pour l’électrification des quais ou la possibilité de distribuer du GNL. Mais, une fois encore, nous ne sommes pas à la hauteur pour la liaison avec l’hinterland. Par ailleurs, je regrette que la présidente de la région Île-de-France privilégie les trains de sa région au détriment des trains interrégionaux, ce qui conduit à une forme de blocage des investissements sur la Ligne nouvelle Le Havre-Paris. En effet, une telle ligne permettrait de débloquer des sillons pour le fret ferroviaire, qui a trop longtemps été négligé en France pour complaire à Bruxelles, malgré le combat de certains, dont nous faisions partie.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-AE117 de Mme Laurence Robert-Dehault

Mme Laurence Robert-Dehault (RN). Cet amendement prévoit d’augmenter les crédits dévolus à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA). L’ANDRA assure des missions de service public essentielles, que nous voulons voir par ailleurs se développer, telles la réalisation de l’inventaire national des déchets radioactifs, l’assainissement de sites ; la reprise de déchets orphelins lorsque le principe pollueur-payeur ne peut pas être appliqué ou le financement opérations d’élimination des déchets chimiques.

Le Rassemblement national milite en faveur d’un grand plan de relance du nucléaire en France. Dans la perspective de cet objectif, il convient de soutenir les établissements œuvrant à la sécurité de cette filière et au traitement des déchets radioactifs, à tout le moins de ne pas les fragiliser. Cet amendement vise donc à renforcer les crédits alloués à cette agence, qui a déjà et aura de plus en plus un rôle majeur à jouer dans notre plan de renucléarisation et de réindustrialisation de la France. Il est proposé de prendre ces crédits à l’action finançant l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), qui a bénéficié d’une augmentation de crédits de 179 millions d’euros.

M. Jean-Paul Lecoq, rapporteur pour avis. Votre propos évoquant simultanément le développement de la filière nucléaire et le stockage des déchets a au moins le mérite de la cohérence. Je ne partage pas toujours vos choix budgétaires mais je pense que l’ANDRA doit disposer d’un maximum de moyens pour mener son travail du mieux possible. Il en va de « l’héritage » que nous laisserons à nos enfants, à nos petits-enfants.

Je ne me prononcerai pas sur cet amendement.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-AE115 de Mme Laurence Robert-Dehault

Mme Laurence Robert-Dehault (RN). « Mettez des éoliennes et des panneaux photovoltaïques partout. Vous aurez un “jus“ pas cher et surtout moins cher qu’avec du nucléaire ». Voilà en résumé le message délivré par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie dans son document Trajectoire d’évolution du mix énergétique 2020-2060 présenté en 2019. Toutefois, à la fin de ce document, parmi les résultats de l’étude de l’ADEME, l’un au moins suscite le sourire. Il est recommandé de fermer les réacteurs nucléaires actuels au plus vite car leurs coûts de production faibles, trop faibles, gênent le déploiement des énergies renouvelables, qui sont handicapées par ce concurrent trop efficace. Ceci résume bien la politique énergétique de la France ces dernières décennies, qui vise à rejeter toute vision stratégique pour se plier à un lobby écologiste qui freine la compétitivité de notre énergie et de notre économie pour un rendement limité. Cet amendement propose donc de revenir sur les 179 millions d’euros d’augmentation de crédits accordés à l’ADEME. Il est proposé d’abonder l’action destinée à soutenir la Corse et nos outre-mer, qui ne sont pas connectés au réseau d’électricité continentale et qui supportent des surcoûts et des coupures courantes.

M. Jean-Paul Lecoq, rapporteur pour avis. Il est effectivement nécessaire d’augmenter les crédits à destination des outre-mer mais, une fois encore, je ne suis pas favorable à dépouiller un secteur pour en favoriser un autre. Je voudrais à l’inverse que les plus fortunés contribuent davantage par l’impôt et que ces moyens supplémentaires soient utilisés pour abonder certains crédits. L’ADEME est un organisme utile, même si vous y trouvez parfois à redire.

Au même titre que pour les autres amendements, je ne me prononcerai pas sur cet amendement.

La commission rejette l’amendement.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous avons achevé l’étude de ces amendements. J’interroge à présent la commission sur les crédits de la mission Écologie, développement et mobilités durables qui ont recueilli un avis défavorable du rapporteur.

La commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Écologie, développement et mobilité durables non modifiés.

 

 


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   annexe N° 1 : SYNTHÈSE DES RECOMMANDATIONS DU RAPPORTEUR POUR AVIS

  1.      Accompagner la structuration de la filière maritime et le développement de la recherche & développement français en matière de décarbonation en soutenant l’institut MEET2050 ;
  2.      Créer une instance de dialogue pour assurer une meilleure articulation entre la stratégie de décarbonation du transport maritime et les stratégies relatives à la décarbonation des autres secteurs de l’économie ;
  3.      Soutenir la relocalisation du cabotage intra-communautaire et l’incitation à la poursuite de trajets plus courts selon une logique multimodale faisant intervenir différents modes de transport ;
  4.      Inclure, dans la feuille de route de décarbonation de la filière maritime, une stratégie nationale de mise en valeur et de rapatriement du soutage en combustibles plus ou moins décarbonés dans les ports français ;
  5.      Continuer de porter, à l’échelle internationale, le projet d’instauration d’une taxe carbone sur le transport maritime placée sous l’égide de l’OMI ;
  6.      Pérenniser les exceptions à l’objectif du « zéro artificialisation nette » dans le strict objectif de soutenir une transition énergétique effective au service de la réindustrialisation des territoires français ;
  7.      Étendre le dispositif de suramortissement vert au-delà de 2024 et le rendre applicable, pour les navires neufs, aux équipements permettant l’alimentation électrique des navires durant les escales et aux équipements destinés à compléter la propulsion principale des navires ;
  8.      Mener une réflexion sur les conditions d’une possible « merritorialisation » du dispositif des CEE ;
  9.      Flécher une partie des aides européennes reçues par la France vers le soutien à la décarbonation du transport maritime ;
  10. Veiller à l’inclusion de tous les partenaires sociaux dans les dialogues de haut niveau relatifs à la décarbonation du secteur maritime ;
  11. Assurer un meilleur contrôle du respect des normes sociales par les acteurs impliqués dans la décarbonation du transport maritime ;
  12.  Concevoir avec les acteurs de la filière et les partenaires sociaux des documents de sécurité au travail permettant d’anticiper la gestion des futures sources d’énergies dangereuses et de discuter des possibles garanties de sécurité offertes aux marins dans ce cadre. Porter ces standards au sein de l’OMI ;
  13.  Encourager une conditionnalité des aides pour le verdissement du transport maritime à une garantie de pavillon national français et au respect de normes sociales exigeantes pour les marins embarqués ;
  14.  Porter une réflexion sur le renforcement de la part du service public dans l’organisation du secteur maritime et la gouvernance de l’ensemble de la filière maritime.

 


   annexe N° 2 :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
PAR LE RAPPORTEUR POUR AVIS

 

Jeudi 14 septembre 2023

– M. Christophe Lenormand, chef du service « flottes et marins » de la direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l’aquaculture (DGAMPA), secrétariat d’État chargé de la mer ;

– Mme Caroline Neuman, adjointe au sous-directeur de la sécurité et de la transition écologique des navires à la DGAMPA.

 

Vendredi 15 septembre 2023

– Mme Marine de Carné de Trécesson de Coëtlogon, ambassadrice de France à l’OMI ;

– M. Maxime Legathe, attaché maritime à la représentation permanente de la France auprès de l’OMI.

 

Vendredi 22 septembre 2023

– Table-ronde des syndicats du secteur maritime, à laquelle ont participé :

– M. Frédéric Moncany de Saint-Aignan, président du cluster maritime français ;

– M. Philippe Missoffe, directeur général du Groupement des industries de construction et activités navales (GICAN) ;

– M. Timothée Moulinier, délégué à la recherche et développement, à l’innovation et au numérique du GICAN.

 

Lundi 25 septembre 2023

– M. Jean-Francois Suhas, président du Marseille Provence Cruise Club ;

– M. Aurélien Saussay, économiste de l’environnement et chercheur à la London School of Economics.

 

Mardi 26 septembre 2023

– Mme Geneviève Jean-Van Rossum, ancienne ambassadrice, représentante permanente de la France auprès de l’OMI en poste pendant les négociations de l’accord de juillet 2023.

 

Jeudi 5 octobre 2023 – déplacement au Havre

– M. Stéphane Raison, directeur général et président du directoire du Grand port fluvio-maritime de l’axe Seine HAROPA PORT;

– M. Guillaume Le Grand, entrepreneur, co-fondateur de l’entreprise TOWT.

 

mardi 10 octobre 2023

– M. Erwan Jacquin, président de MEET2050 ;

– M. Édouard Louis-Dreyfus, président d’Armateurs de France ;

– M. Jean-Philippe Casanova, délégué général, Armateurs de France ;

– Table-ronde des organisations non gouvernementales environnementales, à laquelle ont participé :

 

 

 

 

mercredi 11 octobre 2023

– M. Ramon Fernandez, membre du comité exécutif, directeur central groupe, directeur financier, CMA CGM ;

– M. Farid Trad, vice-président Bunkering & Energy Transition, CMA CGM ;

– M. Cédric Klimcik, chargé des relations institutionnelles, CMA CGM.

Contribution écrite

– M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la première ministre, chargé de la mer.

 


([1]) « Le transport maritime au risque de la démondialisation ? », Antoine Frémont, futuribles n° 445, novembre-décembre 2021.  

([2]) « Le secteur maritime navigue-t-il vers la décarbonation ? », Stéphane Amant, Clément Ramos et Jean‑Pierre Husson, publication carbone 4 et Bertin énergie environnement, juillet 2019.

([3]) Decarbonising Maritime Transport : the EU perspective, European Parliament, Briefing, October 2020.

([4]) OMI, résolution MEPC.203(62), adoptée le 15 juillet 2011 : https://wwwcdn.imo.org/localresources/en/KnowledgeCentre/IndexofIMOResolutions/MEPCDocuments/MEPC.203(62).pdf

([5]) OMI, résolution MEPC.278(70), adoptée le 28 octobre 2016 : https://wwwcdn.imo.org/localresources/en/OurWork/Environment/Documents/278%2870%29.pdf.

([6]) OMI, résolution MEPC.304(72), adoptée le 13 avril 2018 : https://wwwcdn.imo.org/localresources/fr/MediaCentre/HotTopics/Documents/resolution%20MEPC.304(72).pdf

([7]) OMI, résolution MEPC.328(76), adoptée en juin 2021 : https://wwwcdn.imo.org/localresources/en/OurWork/Environment/Documents/Air%20pollution/MEPC.328(76).pdf

([8]) OMI, stratégie de l’OMI de 2023 concernant la réduction des émissions de GES provenant des navires, juillet 2023 : https://wwwcdn.imo.org/localresources/fr/MediaCentre/PressBriefings/Documents/strategie%20OMI%202023%20-%20fr.pdf.

([9]) Cette méthode, surnommée en anglais « well to wake » (« du puits au sillage »), englobe l’ensemble de la chaîne de la construction du navire jusqu’à l’émission finale de GES. Cela revient ainsi à intégrer une nouvelle étape « well to tank » (« du puits au réservoir »), qui correspond à la préparation et à la distribution du carburant, à l’étape initialement utilisée « tank to wake » (« du réservoir au sillage ») relative, quant à elle, à l’utilisation du carburant par le navire et aux émissions que celui-ci produit en naviguant.

([10]https://www.connaissancedesenergies.org/afp/decarbonation-du-transport-maritime-maersk-baptise-le-1er-navire-au-bio-methanol-230914-0

([11]) « Le premier traversier propulsé à l’hydrogène au monde entre en service en Norvège », Maritime magazine, 31 mars 2023.

([12]) Voir notamment mission gouvernementale relative à la réévaluation du dispositif de flotte stratégique, Yannick Chenevard, 17 juillet 2023.

([13]) Étude sur les transports maritimes, conférence des Nations Unis sur le commerce et le développement, 2022.

([14]https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/SAILS%20-%20Charte.pdf

([15]) « Le transport maritime au risque de la démondialisation ? », article déjà mentionné.

([16]https://www.ensta-bretagne.fr/fr/linstitut-interdisciplinaire-ingeblue

([17]https://www.univ-nantes.fr/decouvrir-luniversite/vision-strategie-et-grands-projets/cargo

([18]) Designing a greenhouse gases (GHG) levy supporting an equitable low-carbon and resilient transition of international shipping under the IMO, Matthieu Wemaëre, Lola Vallejo et Michel Colombier, note, institute du développement durable et des relations internationales, juin 2023.

([19]) Rapport sénatorial n° 580 de la mission d’information relative à la gouvernance et à la performance des ports maritimes, Michel Vaspart, déposé le 1er juillet 2020.

 

([20]) OMI, résolution A.1070(28), adoptée le 10 décembre 2013 : https://www.igam.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Code_d_application_des_instruments_de_l_OMI_code_III_.pdf