N° 1715

ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 octobre 2023

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2024 (n° 1680),

 

 

TOME VIII

 

MÉDIAS, LIVRE ET INDUSTRIES CULTURELLES

 

AVANCES À L’AUDIOVISUEL PUBLIC

 

AUDIOVISUEL EXTÉRIEUR

 

 

PAR Mme Estelle YOUSSOUFFA

Députée

——

 

 

 

 

Voir le numéro : 1680.


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SOMMAIRE

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Pages

Introduction

I. La France doit pleinement assumer le financement, sur la durée, de son audiovisuel extérieur

A. France Médias Monde doit disposer d’une programmation lisible et crédible

1. Une hausse de la dotation marquée par des faux-semblants et des incertitudes

a. La hausse en trompe-l’œil de la dotation du programme 844

b. Une dotation supplémentaire de modernisation au « mode d’emploi » incertain

c. Une dotation pérenne sur crédits d’aide publique au développement pourrait utilement remplacer certains financements « sur projets »

d. Une clarification indispensable des modalités de financement au-delà de 2024

2. Les enjeux du prochain contrat d’objectifs et de moyens 2024-2028

a. FMM a atteint les objectifs fixés par le précédent COM

b. Le prochain COM devra rendre possibles de nouvelles orientations thématiques et géographiques

c. Donner les moyens d’une stratégie numérique ambitieuse

d. Consolider les moyens dédiés aux effectifs et aux conditions de travail

B. Opérateur audiovisuel de la francophonie, TV5 Monde doit disposer de l’entier soutien de la France

1. La contribution en demi-teinte de la France à un opérateur dynamique

a. Une hausse de dotation qui doit rattraper des arriérés de contributions

b. Un budget 2024 sous contrainte

c. Des indicateurs d’activité favorables

2. Une programmation conforme au cadre stratégique de la Francophonie

a. L’accroissement de la « découvrabilité » audiovisuelle francophone

b. La sensibilisation des publics aux enjeux environnementaux

c. Une ligne éditoriale dynamisée par la mise en œuvre du « Pacte Outre-mer »

II. La mise en cause de l’audiovisuel extérieur Français en Afrique de l’Ouest : une réponse de la France à co-construire avec les africains

A. France Médias Monde : contesté mais libre de toute influence

1. Des médias de référence occupant une place de choix

2. La cible de reproches multiformes dans un contexte de tensions avec la France

3. Des risques croissants pour la sécurité des équipes de l’audiovisuel extérieur de la France, dont il convient d’assumer pleinement les conséquences

B. Un défi à relever en consolidant nos atouts et en renouvelant nos partenariats

1. Produire et diffuser, au plus près du terrain, une information indépendante et vérifiée

a. Pérenniser et étendre les rédactions de RFI en langues africaines

b. Accentuer la dimension participative des projets de FMM en Afrique

c. Approfondir l’appui de CFI aux initiatives africaines de lutte contre les « infox »

2. Activer les leviers de coopération audiovisuelle bilatérale et régionale

a. Relancer la coopération institutionnelle avec les médias africains

b. Conforter la priorité africaine de TV5 Monde et associer des États africains à sa gouvernance

Travaux en commission

Annexe : Liste des personnes auditionnées ou rencontrées par la rapporteure pour avis

 


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Introduction

Notre audiovisuel extérieur, qui s’appuie sur France Médias Monde (FMM) – regroupant la chaine de télévision France 24 et les radios RFI et MCD – et sur la chaine multilatérale TV5 Monde, est une source de rayonnement pour la France et un atout pour la francophonie. La France doit donc en assumer pleinement le financement, qui compte pour moins de 10 % des dotations du service public audiovisuel financées par affectation de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur le compte de concours financier Avances à l’audiovisuel public.

Or les hausses de 14 millions d’euros et de 3,5 millions d’euros annoncées, respectivement pour FMM et pour TV5 Monde en 2024, résultent, pour moitié, de la stricte compensation des effets fiscaux consécutifs à la suppression de l’ancienne « redevance télé » et, pour le solde, permettront à peine de faire face aux effets de l’inflation mondiale, qui pénalise disproportionnellement notre audiovisuel extérieur. Concernant TV5 Monde, la France peinera en outre à solder un passif résultant d’arriérés de contributions.

La rapporteure pour avis appelle à consolider les financements des deux opérateurs et veillera tout particulièrement à ce que le prochain contrat d’objectifs et de moyens 2024-2028 liant FMM à l’État lui permette de demeurer attractif, en développant des projets de proximité en Afrique, au Moyen-Orient et en Europe orientale, tout en assumant les coûts de sa transformation numérique et en améliorant l’emploi et les conditions de travail de l’ensemble de ses collaborateurs.

Enfin, il est essentiel que personne ne puisse mettre en doute le fait que notre audiovisuel extérieur produit une information « libre, indépendante, vérifiée et équilibrée ».

Or la perspective que l’ensemble de l’audiovisuel public ne puisse plus être financé, à compter de 2025, par l’affectation d’une ressource fiscale mais le soit par des crédits du budget général de l’État pourrait priver notre audiovisuel extérieur d’une garantie financière d’indépendance qui engage sa crédibilité à l’étranger.

Au surplus, l’ambiguïté des déclarations répétées du président de la République visant à faire de notre audiovisuel extérieur un « outil d’influence » ou un « instrument de communication » nourrissent un doute infondé sur l’indépendance des rédactions FMM, et ce, au risque d’exposer nos journalistes à des dangers croissants.

Il est donc nécessaire de réaffirmer que la légitimité de l’audiovisuel extérieur réside dans son indépendance et sa déontologie, dans sa totale liberté de choisir seul sa ligne éditoriale et de nourrir sans entraves ni pressions les débats qui traversent sainement les rédactions.

Face aux manipulations de l’information et aux tentatives de déstabilisation, certains esprits pourraient être tentés d’orienter politiquement l’audiovisuel public, mais la France s’honore à demeurer exemplaire, en laissant les journalistes travailler librement et sereinement.

Dans le contexte d’une mise en cause multiforme de notre audiovisuel extérieur en Afrique, il importe avant tout de le doter de moyens suffisants et des outils propres à conforter le lien de confiance avec les publics africains, lui permettant ainsi d’exercer pleinement son rôle de média international à ancrage local.

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I.   La France doit pleinement assumer le financement, sur la durée, de son audiovisuel extérieur

L’audiovisuel extérieur de la France est financé par des dotations inscrites sur le compte de concours financiers Avances à l’audiovisuel public, dont le périmètre recouvre l’ensemble des opérateurs du service public audiovisuel([1]) et porte un total de plus de 4 milliards d’euros de dotations dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2024.

En 2025, l’audiovisuel extérieur sera destinataire de 9,6 % de l’ensemble des financements de l’audiovisuel public, soit 387,6 millions d’euros, dont 304,2 millions d’euros pour France Médias Monde (7,6 % du total) et 83,4 millions d’euros pour TV5 Monde (2,1 % du total).

A.   France Médias Monde doit disposer d’une programmation lisible et crédible

Société nationale de programme en charge de l’audiovisuel extérieur définie par la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication([2]), France Médias Monde (FMM) regroupe aujourd’hui la chaine de télévision France 24 diffusée en français, anglais, arabe et espagnol, Radio France internationale (RFI), qui émet en dix-sept langues, ainsi que Monte Carlo Doualiya (MCD), radio en langue arabe. Ces médias ont pour mission de proposer une information libre, indépendante, vérifiée et équilibrée à travers le monde.

1.   Une hausse de la dotation marquée par des faux-semblants et des incertitudes

● Le PLF pour 2024 prévoit, sur le programme 844 France Médias Monde, une dotation publique de 299,2 millions d’euros, contre 284,7 millions d’euros en 2023, en hausse de 14 millions d’euros, soit + 5,1 %, faisant suite à une hausse de 20,6 millions d’euros en 2023, soit une augmentation apparemment considérable de 35 millions d’euros en 2 ans (+ 13,3 %).

En outre, le PLF 2024 crée, au sein du compte de concours financier Avances à l’audiovisuel public, un nouveau programme 848 Programme de transformation, doté de 69 millions d’euros en 2024, à répartir entre plusieurs opérateurs afin de financer, pendant trois ans, des projets de modernisation : en 2024, 5 millions d’euros seront attribués, à ce titre, à FMM.

Si le total des dotations de FMM atteindra donc 304,2 millions d’euros en 2024, il convient de relativiser les effets concrets de la hausse des crédits.

a.   La hausse en trompe-l’œil de la dotation du programme 844

● En premier lieu, comme le montre le tableau ci-dessous, la hausse des dotations du programme 844 depuis deux ans est très largement en trompe-l’œil, puisque 8 des 14 millions d’euros de crédits supplémentaires inscrits pour 2024 et plus de 20 des 35 millions d’euros de crédits supplémentaires cumulés en 2023 et 2024 résultent de la stricte compensation des effets fiscaux consécutifs à la suppression de la contribution à l’audiovisuel public (CAP).

Dotations du programme 844 France MÉdias Monde (en AE = CP)

(Montants en millions d’euros)

 

Exécution 2022

LFI 2023

PLF 2024

Évolutions

2023-2024

Évolutions

2022-2024

Dotation en lois de finances

264,17

284,73

299,2

+ 14

+ 5,1%

+ 35

+ 13,3 %

Effets fiscaux de la suppression de la CAP

9,87

21,70

30

+ 8

+ 38,2%

+ 20,1

+ 204 %

Dotation publique hors effets fiscaux

254,3

263,03

269,2

+ 6

+ 2,3%

+ 14,9

+ 5,9 %

Source : calculs de la commission des affaires étrangères, d’après les documents budgétaires et les réponses de France Médias Monde aux questions de la rapporteure pour avis.

En effet, la loi de finances rectificative du 16 août 2022([3]) a supprimé l’ancienne « redevance » et l’a remplacée, en recettes du compte de concours financier Avances à l’audiovisuel public, par une part de taxe sur la valeur ajoutée. Cette réforme a emporté, pour les sociétés de l’audiovisuel public, des effets fiscaux que l’État était tenu de compenser :

— d’une part, la CAP étant assujettie à un taux de TVA de 2,1 %, sa suppression a eu pour effet d’assujettir l’ensemble des sociétés de l’audiovisuel public à la taxe sur les salaires ([4]) due par l’ensemble des employeurs qui emploient des salariés et qui ne sont pas soumis à la TVA ;

— d’autre part, FMM a perdu le droit à la déductibilité de la TVA, la suppression de la CAP ayant fait passer la part de ses recettes assujetties sous le seuil de 10 % qui permet d’être qualifié d’« assujetti intégral » et donc de déduire la TVA des factures fournisseurs. En effet, les ressources commerciales et publicitaires de FMM ne dépassent pas 6 millions d’euros, alors qu’elles sont bien plus élevées pour Radio France ou France Télévisions, qui continuent de bénéficier de la déductibilité de la TVA.

Ces surcoûts sont montés progressivement en charge mais atteindront 30 millions d’euros en 2024, en hausse de près de 40 % par rapport à 2023 et devraient se stabiliser à 33 millions d’euros par an les années suivantes.

● En second lieu, si la dotation « socle » définie par le programme 844 n’apportera donc, pour la programmation effective du budget 2024 de FMM, que 6 millions d’euros supplémentaires, ce supplément sera absorbé en grande partie par l’impact durable des hausses de coûts résultant de l’inflation et des évolutions du taux de change euro-dollar.

En effet, comme les responsables de FMM l’ont indiqué à la rapporteure pour avis, sur l’exercice en cours, les surcoûts constatés atteignent un total de 6,6 millions d’euros, dont :

— 1 million d’euros d’effets de change sur l’ensemble des contrats de FMM libellés en dollars ;

— 2,5 millions d’euros en raison d’un effort supplémentaire de l’entreprise pour augmenter les salaires afin de compenser l’effet de l’inflation sur le pouvoir d’achat de ses collaborateurs ;

— 0,5 million d’euros en raison de l’augmentation des coûts de diffusion en ondes courtes de RFI ;

— 1,4 million d’euros de charges supplémentaires du siège de FMM, dont 0,8 million d’euros du fait de la hausse du prix de l’électricité qui accroît les dépenses énergétiques et 0,6 million d’euros de hausse du bail ;

— 1,2 million d’euros en raison des autres effets de l’inflation, dont l’augmentation du barème des correspondants de France 24 et le renchérissement de certains coûts de production.

Si toutes ces dépenses supplémentaires ne seront pas récurrentes et si le groupe a les moyens de dégager des marges de manœuvre en gestion, la poursuite en 2024 et les années suivantes de la tendance à la hausse des prix fait peu de doutes.

La rapporteure pour avis souligne que les surcoûts liés à l’inflation mondiale, plus élevée que l’inflation constatée en France, ont une incidence directe et constante sur les activités de l’audiovisuel extérieur, qui opère sur l’ensemble du globe, bien supérieure aux effets subis par les autres entreprises du service public audiovisuel dont l’activité est principalement française.

La rapporteure pour avis considère donc que la programmation budgétaire des années à venir devra mieux tenir compte de cette spécificité de l’audiovisuel extérieur, et suggère par exemple de définir des enveloppes spécifiques pour couvrir les effets de l’inflation, comme c’est par exemple le cas pour certaines des dépenses du ministère de l’Europe et des affaires étrangères les plus sensibles à l’inflation mondiale ou aux effets du change ([5]).

Des dotations inférieures à celles de nos principaux concurrents

● Le montant de la dotation allouée à France Médias Monde doit être resitué dans la perspective d’une concurrence exacerbée des opérateurs nationaux d’information.

Les budgets de ses principaux homologues occidentaux sont très supérieurs :

- la chaine d’information allemande Deutsche Welle dispose, en 2023, de plus de 400 millions d’euros ;

BBC World Service reçoit, en 2023, 386 millions d’euros de dotations publiques ;

- USA Global Media disposait, cette année, de 813 millions d’euros pour financer notamment Voice of America, Al-Hurra, Radio Sawa, Radio Farda, Radio Free Europe, Radio Free Asia et Radio y Televisión Martí.

Alors que FMM produit et diffuse aujourd’hui des contenus dans moins de vingt langues, USA Global Media en totalise plus de soixante, BBC World Service plus de quarante, la Deutsche Welle plus de trente.

Les médias concurrents des pays tels que la Russie, la Chine ou encore la Turquie ne publient pas leur budget de manière officielle.

La chaine russe RT dispose d’un budget environ quatre fois plus important que celui de France 24. Le budget de la chaine russe cumulé avec celui du site d’information Sputnik était estimé à 430 millions d’euros en 2021. Les deux médias assurent une diffusion de leurs contenus en trente-deux langues.

- La Chine est présente à travers les chaines de CGTN (français et anglais) et China Radio International, qui diffusent des contenus en cinquante langues et notamment en haoussa, kiswahili, français, anglais, arabe, portugais. Peu de données vérifiées sont disponibles, le groupe aurait bénéficié d’investissements pluriannuels de plusieurs milliards d’euros.

- En 2022, la Turquie a lancé le site d’information en français TRT Français, déclinaison de TRT, la radio-télévision publique turque, afin de prendre place dans le paysage médiatique francophone, en Afrique mais également, en France, à destination de la communauté turcophone. En mars 2023, s’est ajoutée TRT Africa, plateforme d’information numérique en quatre langues : Swahili, anglais, hausa et français.

 

b.   Une dotation supplémentaire de modernisation au « mode d’emploi » incertain

● Innovation du PLF 2024, un nouveau programme 848 Programme de transformation du compte de concours financiers Avances à l’audiovisuel public, devrait permettre à FMM de recevoir 5 millions d’euros supplémentaires.

Selon la programmation indicative communiquée aux responsables de FMM mais qui ne figure pas dans les documents budgétaires joints au PLF, ce premier versement de 5 millions d’euros serait renouvelé en 2025 puis ramené à 3 millions d’euros en 2026, et aucun versement ne serait prévu en 2027 et 2028.

À ce stade, la tutelle a seulement défini une règle générale d’allocation de la dotation, commune à l’ensemble des sociétés de l’audiovisuel public, qui, selon les termes figurant au projet annuel de performances joint au PLF, vise à « mettre en œuvre des projets de transformation prioritaires ayant vocation à accroître la visibilité et l’impact des offres proposées par le secteur en matière de proximité, de numérique et d’information ».

Il s’agira donc d’un financement complémentaire non pérenne, et décroissant, conditionné à l’atteinte d’objectifs qui devront être définis lors du renouvellement, en 2024, des contrats d’objectifs et de moyens (COM) conclus entre l’État et chaque société de l’audiovisuel public (voir infra).

Le seul exemple fourni par les documents joints au PLF concerne le rapprochement des réseaux régionaux France 3 et de France Bleu, pour lequel un financement ponctuel paraît en effet adapté, puisqu’il emporte des dépenses spécifiques non reconductibles par exemple pour mutualiser des fonctions support, financer des plans de départ volontaires, définir un schéma immobilier commun ou unifier les investissements numériques.

La rapporteure pour estime qu’une telle approche de financement morcelé et décroissant n’est pas adaptée aux activités du groupe FMM dont les nouveaux projets prennent principalement la forme d’une augmentation de la production.

Une société d’information étant d’abord une entreprise de main-d’œuvre, qui représente 55 % des charges d’exploitation de FMM, les nouveaux projets définis par le prochain COM nécessiteront d’allouer des ressources humaines, ce qui exigera des recrutements. Le financement de ces projets devra donc être pérenne et ne saurait prendre la forme d’apports ponctuels destinés à disparaître après trois ans.

Pour être effectivement mobilisable, cette enveloppe devra donc financer des projets dont les dépenses initiales auront vocation à diminuer, la dotation supplémentaire finançant ainsi une « bosse » de paiements et les reliquats de dépenses récurrentes pouvant ensuite être absorbés dans le budget de base.

Les responsables de FMM ont indiqué à la rapporteure pour avis que pourraient être retenus à ce titre certains projets de formation, sur l’intelligence artificielle notamment, ou de transformation numérique du groupe, mais sans précision, à ce stade, sur les montants en jeu.

Il faut également relever que ce financement semble incertain puisque le projet annuel de performance joint au PLF indique qu’en « en cas de non-réalisation des projets sélectionnés ou de retard dans leur déploiement, le montant des versements alloués au titre de cette enveloppe pourra être ajusté ».

La rapporteure pour avis regrette que le Gouvernement ait retenu cette approche éclatée du financement de FMM.

Outre qu’elle rend la programmation budgétaire moins lisible, cette démarche excessivement technocratique s’inscrit à rebours des objectifs d’indépendance financière du service public de l’audiovisuel qui justifient son financement par des dotations du compte de concours financiers plutôt que par des crédits du budget général (voir infra).

Cette nouvelle dotation « sous condition » peut en effet être assimilée à des crédits budgétaires classiques, qui demeurent à la main de Bercy et sont susceptibles d’être remis en cause en cours d’année. Cette approche expose ainsi au risque que l’ensemble des dotations affichées en loi de finances ne soient pas consommées, ce qui rend le budget moins sincère.

La rapporteure pour avis considère donc qu’il serait plus cohérent d’abonder de 5 millions d’euros, dès 2024, la dotation de base sur le programme 844, ce permettrait à FMM de disposer dès le 1er janvier prochain, de sommes pouvant être utilisées de manière souple dans sa programmation.

La tutelle disposera évidemment toujours de son droit de regard sur l’ensemble de la dotation « en base » de FMM, dont l’utilisation est régie par les orientations définies dans des contrats d’objectifs et de moyens (voir infra).

En conséquence, à l’initiative de la rapporteure pour avis, la commission des affaires étrangères a adopté un amendement de crédits qui abonde de 5 millions d’euros le programme 844 en prélevant ce montant sur le programme 848.

c.   Une dotation pérenne sur crédits d’aide publique au développement pourrait utilement remplacer certains financements « sur projets »

● Si la portée effective des hausses de dotations prévues au PLF 2024 doit être relativisée, la rapporteure pour avis relève néanmoins qu’elles marquent une rupture salutaire avec la baisse de 3,5 millions d’euros de la dotation publique constatée entre 2018 et 2022.

Le groupe n’avait alors pu maintenir l’ensemble de ses activités préexistantes que par la mise en œuvre de plans d’économies, pour un total de 20 millions d’euros entre 2018 et 2022, dont un plan de départs volontaires ([6]) qui avait touché en particulier les effectifs en langue arabe de MCD, ainsi que des mesures de modération salariale et la renégociation de contrats.

Dans ce contexte très contraint, FMM n’a pu réaliser de nouveaux projets qu’en sollicitant des financements supplémentaires fléchés distincts des dotations du compte Avances à l’audiovisuel public.

● Il s’est agi par exemple de financements européens avec :

 ENTR, offre plurilingue 100 % numérique à destination des jeunes Européens lancée en mai 2021 et disponible en six langues (français, anglais, allemand, polonais, roumain, portugais) exclusivement sur les réseaux sociaux, pour un coût annuel de 1,1 million d’euros, financé à 55 % par l’Union européenne et qui comporte une forte dimension partenariale avec une dizaine de médias européens. Le succès est indéniable, avec plus de 56 millions de vidéos vues au premier semestre 2023, autant que sur toute l’année 2022.

— InfoMigrants, site d’information destiné aux migrants et adapté pour un usage en mobilité, disponible en six langues (français, anglais, arabe, dari, pachtoune et bengali), créé dès 2017 en partenariat avec Deutsche Welle et l’agence de presse italienne ANSA, dont le cofinancement par l’Union européenne a été renouvelé jusqu’à fin 2024.

● Il s’est également agi de financements de l’Agence française de développement (AFD), en particulier le développement des rédactions de RFI en langues africaines (projet Afri’Kibaaru) que la rapporteure pour avis présente de manière détaillée dans la seconde partie du présent rapport (voir infra).

● Enfin, FMM a pu, dès l’été 2022, établir à Bucarest un centre régional accueillant des journalistes ukrainiens en exil, adossé à la rédaction de RFI România, et qui offre désormais, en ligne, une information en ukrainien, indépendante et sûre, sur la guerre en Ukraine.

Cette initiative a été directement financée par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, à hauteur de 1,5 million d’euros sur 2 ans, dont 500 000 euros du Centre de crise et de soutien sur le programme 105 Action de la France en Europe et dans le monde, de la mission Action extérieure de l’État et un million d’euros de la Direction de la diplomatie d’information, issus du Fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI), à partir de crédits du programme 209 Solidarité à l’égard des pays en développement, de la mission Aide publique au développement.

Les représentants du Quai d’Orsay, auditionnés par la rapporteure pour avis, ont indiqué que ce soutien sera renouvelé en 2024, sans en préciser les montants.

● Le recours à des financements sur projets ne pose pas de difficulté par principe mais il présente des difficultés de visibilité à moyen et long termes, alors même que certains projets ont déjà été reconduits ou ont manifestement vocation à être pérennisés ou étendus.

En outre, les procédures d’obtention des financements sur la base d’appels à projets sont souvent longues, ce qui est contraire à la temporalité des médias et des urgences internationales.

Dans le contexte de la guerre en Ukraine, la mise en place de la rédaction de RFI en ukrainien n’a été rendue possible que par la mobilisation rapide de crédits budgétaires à la main du Quai d’Orsay et n’aurait pas été envisageable en sollicitant les grands bailleurs internationaux ou l’AFD.

Enfin, le travail important de « redevabilité » exigé par les financeurs externes occasionne des coûts de gestion élevés. Ces difficultés sont particulièrement prononcées pour les projets relevant de l’aide publique au développement.

Bien que FMM ne puisse être qualifiée d’opérateur de développement, le soutien aux médias figure pleinement dans le champ de l’aide publique au développement, le mandat de l’AFD en matière de gouvernance visant par exemple à en faire de véritables acteurs d’une société ouverte, transparente et responsable.

En conséquence, dans le décompte de l’aide publique au développement nationale adressé par la France à l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), la direction générale du Trésor du ministère des finances intègre une partie des activités de FMM, à hauteur de 22 millions d’euros en 2023. Ce total comprend les coûts des programmes et interventions de FMM en Afrique, au titre des différentes rédactions sur place, des services d’apprentissage du français, des coûts de diffusion et distribution ou encore des aides et appuis aux radios partenaires africaines.

Cette situation conduit FMM à solliciter, depuis plusieurs années, un financement inscrit sur le programme 209 Solidarité avec les pays en développement. En effet, certaines des dépenses relevant de l’aide au développement sont aujourd’hui financées au moyen d’appels à projets de l’AFD mais d’autres reposent exclusivement sur la dotation socle de FMM.

L’apport d’un financement spécifique sur le programme 209 destiné à financer tout ou partie des dépenses éligibles à l’APD permettrait à FMM :

— de redéployer sur d’autres postes les dépenses éligibles à l’APD que le groupe assume aujourd’hui en propre, ce qui procurerait une ressource supplémentaire ;

— de financer de façon plus réactive les projets aujourd’hui tributaires des appels à projets de l’AFD.

La rapporteure pour avis relève que, pour développer ses services en langues étrangères, BBC World bénéficie par exemple d’une subvention du Foreign Office d’environ 100 millions d’euros au titre de l’APD.

Elle invite donc le ministère de l’Europe et des affaires étrangères et Bercy à poursuivre de façon constructive les échanges avec FMM pour définir les conditions d’un financement, en tout ou partie, sur le programme 209, des projets pérennes de FMM relevant manifestement de notre aide publique au développement.

d.   Une clarification indispensable des modalités de financement au-delà de 2024

● Enfin, l’hypothèque la plus lourde pesant sur le financement de FMM résulte du fait que la suppression de la contribution à l’audiovisuel public n’a donné lieu, à l’été 2022, qu’à la mise en place d’un financement transitoire, puisque l’affectation, en recette du compte de concours Audiovisuel public, d’une part de TVA prendra fin au terme de l’année 2024.

En effet, à compter du 1er janvier 2025, sous l’effet d’une réforme aux conséquences mal anticipées introduite par la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques ([7]), les impositions de toutes natures ne pourront être ou rester affectées à un tiers autre que les organismes de sécurité sociale et les collectivités territoriales que si ces impositions sont en lien avec les missions de service public qui lui sont confiées. Même si le législateur organique n’a pas caractérisé la teneur des liens entre la taxe affectée et les missions de service public, il paraît difficile de considérer que ce lien existerait entre la TVA et les missions de l’audiovisuel public.

Ainsi que l’ont établi récemment les travaux d’une mission d’information de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale sur l’avenir de l’audiovisuel public ([8]), sauf à réviser rapidement les dispositions organiques, le risque est grand que l’audiovisuel public ne bénéficie plus d’un financement par fiscalité affectée mais exclusivement sur crédits budgétaires.

Or un financement à titre principal par recettes affectées constitue, pour les sociétés de l’audiovisuel public, une garantie d’indépendance vis-à-vis du Gouvernement, ainsi que de stabilité et de visibilité de leurs ressources.

Pour l’audiovisuel extérieur, cette garantie d’indépendance revêt une importance particulière car elle engage sa crédibilité à l’étranger. Un financement prépondérant sur le budget de l’État entraînerait le risque que FMM soit requalifiée en média d’État, au même titre que certains médias propagandistes.

Plusieurs alertes ont été émises en ce sens, à l’exemple des réserves de l’autorité de régulation régionale des médias du Land de Berlin concernant le renouvellement de l’attribution de la fréquence de RFI, qui a considéré qu’en raison de la suppression de la CAP, une obligation de « Staasferne », c’est-à-dire d’éloignement de l’État d’origine, n’était plus suffisamment satisfaite.

De même, les contenus diffusés par les chaines du groupe sur les réseaux sociaux, tels YouTube, s’exposeraient au risque d’y être catégorisés comme provenant de « médias gouvernementaux » en non de « médias de service public ».

La rapporteure pour avis souhaite donc qu’une initiative transpartisane soit engagée sans tarder, afin de modifier les dispositions de l’article 2 de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001, de façon à pouvoir, à compter de 2025, continuer à apporter à notre audiovisuel extérieur les garanties d’indépendance découlant d’un financement provenant, à titre principal, de ressources affectées.

2.   Les enjeux du prochain contrat d’objectifs et de moyens 2024-2028

a.   FMM a atteint les objectifs fixés par le précédent COM

● Comme le prévoit l’article 53 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, un contrat d’objectifs et de moyens, signé entre l’État et FMM, définit ses stratégies éditoriales et de développement, les axes d’amélioration de sa gestion financière et des ressources humaines, ainsi que les moyens permettant d’y parvenir.

Le COM en cours, sur le projet duquel la commission des affaires étrangères a émis un avis favorable en février 2021 ([9]), devait couvrir la période 2020-2022 mais il a été prorogé par avenant pour l’année 2023.

Ce COM comprend cinq axes communs à six entreprises de l’audiovisuel public([10]) : proposer une offre de service public identifiée qui s’adresse à tous les publics et accélérer la transformation numérique ; développer les synergies et partenariats entre entreprises de l’audiovisuel public ; consacrer prioritairement les moyens disponibles à l’offre au public ; assurer la maîtrise de la masse salariale et optimiser la gestion pour garantir la soutenabilité économique ; être une entreprise de média exemplaire.

Il définit ensuite cinq axes spécifiques à FMM : assurer des missions internationales plus essentielles que jamais et porter les valeurs démocratiques dans le monde ; promouvoir la francophonie dans un monde plurilingue ; développer l’innovation numérique au service d’une offre éditoriale ambitieuse ; assurer une présence mondiale tout en développant une stratégie régionalisée (Afrique, monde arabe, Europe, Amériques et Asie) ; optimiser la gestion de l’entreprise.

La rapporteure pour avis constate que FMM a largement atteint, en 2023, les objectifs fixés par ce COM.

Il convient de relever en particulier :

— la progression des audiences des médias du groupe qui touchent 260 millions de contacts hebdomadaires en 2022 contre 207 millions en 2019, en hausse de 6 % sur un an ; l’empreinte de ces médias est désormais de 89,3 millions de contacts hebdomadaires pour RFI, 147,4 millions pour France 24 et 16,7 millions pour MCD ;

— le déploiement de leur distribution, France 24 couvrant par exemple 521,7 millions de foyers en 2022 contre 404 en 2019 ;

— des performances numériques en forte croissance : les médias du groupe ont dépassé 100 millions d’abonnés sur les réseaux sociaux. France 24 est ainsi le premier média français sur Facebook et YouTube, la chaine ayant même dépassé BBC en nombre de vues à l’été 2023.

La rapporteure pour avis souligne qu’en 2022, 3,4 milliards de vidéos et de sons produits par FMM ont été consommés en ligne, en hausse de 53 % en un an, avec des durées d’écoute significatives. Ceci atteste que l’audiovisuel extérieur de la France a su répondre à la demande d’une information en ligne fiable et professionnelle, particulièrement dans une année de crises internationales.

— le renforcement de l’offre plurilingue, avec le passage à une diffusion 24 heures sur 24 de la version hispanophone de France 24 en Amérique latine, dotée d’une rédaction de proximité à Bogota, dont l’audience est passée de 7 à 20 millions de foyers ; la mise en place, en quelques mois, d’une offre d’information en ukrainien depuis Bucarest, dont le site a déjà reçu 1,7 million de visites ; le renforcement d’une offre pluri-médias arabophone autour de France 24 et MCD. Il en va de même pour les offres de RFI en langues africaines que la rapporteure pour avis présente dans la seconde partie du présent rapport ;

— la poursuite de la transformation numérique du groupe (voir infra) ;

— les engagements de haut niveau de FMM en matière de responsabilité sociétale et environnementale, manifestés par exemple par un score de 99/100 en matière d’égalité femmes-hommes ou par la mise en œuvre exigeante d’un plan de sobriété énergétique ;

— la gestion responsable du groupe avec un résultat net à l’équilibre en 2022 alors même que le COM fixait seulement un objectif de solde négatif à – 0,5 million d’euros. Au-delà du plan d’économies déjà mentionné, cela résulte de la poursuite d’efforts de gestion et d’une bonne tenue des ressources propres ;

— enfin le développement de synergies avec les autres sociétés de l’audiovisuel public.

 

● À cet égard, si la mission de FMM, qui consiste à produire une information internationale et plurilingue, ne saurait relever d’une seule approche nationale et francophone, la rapporteure pour avis tient à saluer la démarche volontariste engagée par le groupe depuis plusieurs années pour participer activement aux coopérations avec le reste de l’audiovisuel public, en y apportant sa « signature internationale ».

Outre le fait que les équipes de FMM sont des pourvoyeurs d’informations internationales pour l’ensemble du service public audiovisuel, leurs journalistes étant susceptibles d’intervenir sur les antennes nationales, il convient de relever en particulier :

— la participation de FMM à des offres communes de l’audiovisuel public, comme le site franceinfo dont France 24 apporte un tiers des contenus, ainsi que Culture Prime ou encore Lumni, plateforme éducative numérique ;

— des coopérations éditoriales bilatérales : avec France Télévisions, qui fournit à 80 % des sujets de France 24 sur l’actualité française ; avec Radio France, pour la mise à disposition de podcasts de RFI ; avec l’INA, en matière de formation ; avec Arte, pour des coproductions de grands reportages ; et avec TV5 Monde (voir infra), dont FMM est actionnaire, en fournissant des contenus à sa plateforme TV5Mondeplus, en réalisant des études communes et en partageant des canaux de distribution ;

— des coopérations techniques nombreuses par la mutualisation d’infrastructures et de technologies permettant des gains d’économies et des partages de savoir-faire, à l’exemple de la cyber-sécurité ou des travaux menés avec France Télévisions pour le sous-titrage de vidéos de France 24 vers le russe et l’ukrainien, et enfin par la mutualisation des achats, le montant des achats groupés ayant doublé depuis 2019, ou des formations, dont 21 % étaient mutualisées en 2022.

b.   Le prochain COM devra rendre possibles de nouvelles orientations thématiques et géographiques

● Les représentants des tutelles ont indiqué à la rapporteure pour avis que le prochain COM couvrira une période de cinq années, de 2024 à 2028, ce qui permettra au groupe de disposer d’une meilleure visibilité.

Les travaux de conception de ce COM ont été engagés dès le début de cette année 2023 dans l’objectif d’une signature au printemps 2024, après transmission pour avis à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) et transmission conjointe aux commissions parlementaires chargées des affaires culturelles et des affaires étrangères, comme le prévoit l’article 53 de la loi relative à la liberté de communication. La rapporteure pour avis se félicite de cette perspective, qui permettra à la commission des affaires étrangères de rendre un avis documenté, dans le respect des délais prévus par la loi.

● D’après les orientations financières indiquées par la tutelle à FMM, la dotation « socle » de cette société nationale de programme, nette de la compensation des effets fiscaux déjà mentionnés, serait portée à plus de 292 millions d’euros en 2028, en hausse de près de 30 millions d’euros entre 2023 et 2028 (+ 11 %). La directrice générale de France Médias Monde a considéré que cette trajectoire permettra de préserver l’activité existante et l’offre universelle du groupe, tout en compensant partiellement les effets de l’inflation.

Pour la rapporteure pour avis, un tel maintien, a minima, constitue un prérequis évident : il est essentiel de maintenir une présence universelle de l’audiovisuel extérieur de la France qui répond à une demande d’offre alternative aux grands médias d’information, notamment anglo-saxons, traduisant une vision originale de l’actualité internationale et fondée sur des valeurs démocratiques. C’est, par exemple, l’un des ressorts du développement de France 24 en espagnol et de sa diffusion en Amérique latine.

Le groupe devra également disposer des moyens de répondre, de manière dynamique, aux ajustements de son offre en cas de crises internationales.

FMM devra en outre pouvoir renforcer les coopérations avec les autres sociétés de l’audiovisuel public en matière de lutte contre les infox, notamment par une montée en puissance de franceinfo sur les réseaux sociaux, ainsi que par des actions communes autour de l’éducation aux médias et à l’information, une convention commune de partenariat sur ce thème devant être signée cet automne entre les chaines de l’audiovisuel public.

● Les ultimes négociations financières préalables à la transmission du projet de COM devront donc bien identifier les moyens dont le groupe disposera pour engager les nouveaux projets de développement.

À l’appui de sa candidature au renouvellement de son mandat de directrice générale de FMM par l’Arcom en janvier dernier, Marie-Christine Saragosse a présenté un projet stratégique « France Médias Monde 2023-2028 » ([11]), qui fixe les axes de développement, dont des projets de développement de proximité qui ont vocation à être retenus par le prochain COM.

Il s’agit tout particulièrement :

— tout d’abord un projet de « hub » arabophone à Beyrouth, avec une rédaction numérique pour renforcer les rédactions en langue arabe de France 24 et de MCD basées à Paris. Alors que le groupe ne dispose pas de rédaction délocalisée dans la zone Afrique du Nord - Moyen-Orient, où ses audiences sont moins dynamiques qu’ailleurs, cette implantation lui permettrait de produire une information numérique de proximité et de contribuer à une offre éditoriale d’ensemble plus en phase avec les enjeux locaux. Le coût est estimé à 1,5 million d’euros par an.

— ensuite d’une rédaction en turc, au sein du nouveau « hub » de Bucarest, qui accueille déjà les rédactions de RFI România et RFI en ukrainien. Il s’agirait d’une offre exclusivement numérique, utilisant la vidéo mobile et les réseaux sociaux, à destination des publics turcophones de Turquie et des diasporas présentes en Europe (dont plus d’un million de personnes en France). Ces populations utilisent massivement les réseaux sociaux et se tournent de manière croissante vers les médias internationaux pour diversifier leurs sources d’information, dans un contexte de durcissement politique en Turquie. Le coût est estimé à 1 million d’euros par an.

— enfin, de nouveaux projets à destination de l’Afrique autour du « hub » de Dakar : la mise en place d’un décrochage de proximité de France 24 réalisé par des journalistes africains francophones, et le projet d’un ENTR panafricain, sur le modèle de l’ENTR européen, offre 100 % numérique adaptée aux réseaux sociaux et à destination jeunes urbains ayant accès facilement à internet. Les coûts sont estimés respectivement à 1,4 et 1,5 millions d’euros par an.

c.   Donner les moyens d’une stratégie numérique ambitieuse

● Le prochain COM devra permettre à FMM de poursuivre la stratégie de transformation numérique qui a mobilisé, ces dernières années, une part croissante de ses charges opérationnelles : 25,8 millions d’euros de dépenses en 2023, en hausse de 8,6 millions d’euros (+ 50 %) depuis 2020, comme le détaille le tableau suivant.

Coût des activitÉs numÉriques de France MÉdias Monde

Source : Réponses de France Médias Monde au questionnaire de la rapporteure pour avis.

Afin de répondre aux évolutions des usages, la stratégie numérique présentée par les responsables de FMM vise à concilier deux orientations :

— d’une part, une hyperdistribution « raisonnée », afin d’assumer une présence sur tous les réseaux sociaux et plateformes qui constituent des grands carrefours d’audience et également les lieux où les jeunes sont présents, où les infox essaiment le plus, et où le cas échéant la censure peut parfois être contournée. Le groupe devra donc disposer des moyens pour produire les différents formats numériques, en s’adaptant aux usages et à l’expérience des utilisateurs sur chaque plateforme, pour en accroître la couverture et la dissémination, tout en prenant garde à la dépendance envers les GAFAM ;

— d’autre part, l’investissement dans les « environnements propriétaires », c’est-à-dire les sites et applications propres au groupe, à l’exemple de la nouvelle application « pure radio » lancée par RFI en avril 2023. FMM devra rendre ces sites et applications plus performants en améliorant les parcours utilisateurs et les habillages numériques, ce qui nécessitera d’accroître le recours à des prestations de support, de développement ou de référencement.

Le groupe devra en outre veiller à l’interopérabilité de ses offres avec celles des autres médias de l’audiovisuel public, pour en maximiser la visibilité.

Enfin, le groupe devra pouvoir engager des travaux de recherche et développement, en synergie avec France Télévisions, en particulier concernant les usages de l’intelligence artificielle.

Les estimations présentées par les équipes de FMM à la rapporteure pour avis, font état de dépenses supplémentaires pour les nouveaux besoins numériques de plusieurs millions d’euros par an, atteignant 7 millions d’euros annuels en 2028.

d.   Consolider les moyens dédiés aux effectifs et aux conditions de travail

● Il n’est pas de média d’information sans journaliste et, dans un contexte aussi hautement concurrentiel que celui de l’information internationale, FMM doit disposer de tous les moyens pour attirer, promouvoir et retenir des collaborateurs qualifiés auxquels il est indispensable d’offrir des perspectives de progression de carrière.

Ainsi que le montre le tableau ci-après, alors que les activités de FMM se développaient, le total des effectifs que le groupe salariait directement a stagné entre 2018 et 2022 et a même diminué de - 0,7 % sur un périmètre excluant les projets financés par des ressources externes non pérennes.

Évolution des effectifs du groupe France MÉdias Monde

 

2018

2019

2020

2021

2022

Évolutions

2018-2022

Effectif moyen permanent (CDI)

1 369

1 373

1 364

1 375

1 375

+ 6

+ 0,4 %

Effectif moyen non-permanent (CDD et non-permanents)

409

385

359

383

408

- 1

- 0,2 %

dont alternants et stagiaires

54

56

57

66

74

+ 20

+ 37 %

TOTAL

1 778

1 758

1 723

1 758

1 783

+ 5

+ 0,3 %

dont ETP projets financés par des ressources externes

7

12

12

21

25

+ 18

+ 257 %

TOTAL hors projets financés par des ressources externes

1 771

1 746

1 711

1 737

1 758

- 13

- 0,7 %

Source : Commission des affaires étrangères, d’après les réponses de FMM au questionnaire de la rapporteure pour avis.

● Les représentants de FMM ont fait valoir que, sur l’ensemble des salariés du groupe, les effectifs de journalistes ont augmenté au cours des trois dernières années, passant de 883 à 901 entre 2020 et 2022 ; la quasi-totalité sont en CDI. Il est regrettable de constater que si la direction FMM présente des résultats remarquables quant à la hausse des quantités de contenus et d’audience, on ne note pas de progression à la même hauteur quant aux recrutements de journalistes. On peut même regretter la forte hausse des alternants et stagiaires qui traduit une multiplication des « petites mains de l’info » alors que la rédaction semble se figer sinon reculer quant aux titularisations.

Plus encore, les rédactions ont recours à de nombreux pigistes en France, environ 200 équivalents temps plein en 2022, et ce vivier est considéré comme indispensable compte tenu de l’amplitude des activités 24 heures sur 24, du travail de nuit ou des difficultés posées par le multilinguisme pour recruter en CDI des journalistes non-francophones ou procéder à des remplacements.

Une refonte de l’organisation de France 24 est en cours afin d’améliorer la planification des tâches, ce qui permettrait de réduire la proportion de pigistes, de tenir davantage compte de la pénibilité, de permettre des temps de préparation plus longs pour les journalistes et de disposer d’équipes plus stables, gages de qualité de l’antenne. Il devrait en résulter l’intégration au sein des équipes permanentes de nombreux pigistes et intermittents techniques. Sur ce point, la rapporteure pour avis souhaite que la programmation budgétaire permette pleinement à FMM d’assumer la dépense correspondante pour titulariser et ainsi sortir les pigistes de la précarité de leur statut d’intérimaires de l’information.

● De même, les médias du groupe s’appuient sur un large réseau de correspondants à travers le monde, en français et en langues étrangères, mais selon des formats hétérogènes :

— RFI dispose ainsi d’un maillage de journalistes pigistes et de sept bureaux de correspondants permanents salariés à Washington, Moscou, Pékin, Jérusalem, Abidjan, Dakar et Nairobi ;

— France 24 ne dispose que d’un nombre limité de correspondants pigistes et a recours, dans la très grande majorité des cas, à des sociétés de production locale qui facturent des prestations journalistiques. Dans les faits, les correspondants de France 24 sont donc contraints de créer ces sociétés de production, de statuts très variables selon les pays, et de recruter eux-mêmes des collaborateurs notamment techniques. Le lien est dès lors particulièrement distendu entre le donneur d’ordre et les collaborateurs sur le terrain. Les représentants syndicaux auditionnés par la rapporteure pour avis ont dénoncé cette situation : elle crée une fragilité juridique pour les journalistes, qui, à l’antenne et aux yeux des téléspectateurs, apparaissent comme des journalistes France 24 alors qu’ils sont en réalité des sous-traitants qui n’ont, vis-à-vis de la chaine, ni les mêmes droits, ni les mêmes prétentions.

La rapporteure pour avis relève que des négociations récentes avec les instances représentatives du personnel ont conduit le groupe à décider d’améliorer sa participation au régime de protection sociale des correspondants à l’étranger rémunérés à la pige ([12]).

Il est prioritaire que le prochain COM permette de consacrer des moyens à améliorer la situation des journalistes et collaborateurs des sociétés de production locale à l’étranger, en examinant l’ensemble des aspects de leurs conditions de travail, dont la protection sociale, la formation et la sécurité pour garantir leur complète sérénité et la qualité de leur travail.

B.   Opérateur audiovisuel de la francophonie, TV5 Monde doit disposer de l’entier soutien de la France

TV5 Monde est un groupe multilatéral proposant des chaines généralistes et culturelles – et non juste de l’information –, financé par six États et régions francophones (France, Canada, Suisse, Monaco, Québec et Fédération Wallonie- Bruxelles).

Outre huit chaines généralistes et deux chaines thématiques ([13]) le groupe propose TV5MONDEplus, plateforme gratuite qui permet aujourd’hui de consulter plus de 7 000 heures de programmes.

En tant qu’opérateur audiovisuel de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), TV5 Monde dispose d’un siège au sein des instances officielles de la Francophonie. Le statut de chaine multilatérale de TV5 Monde est protecteur : à ce titre, par exemple, elle est la seule chaine francophone non chinoise présente en Chine et elle est présente dans les locaux de l’Organisation des Nations Unies (ONU) à New York.

1.   La contribution en demi-teinte de la France à un opérateur dynamique

● Le modèle économique particulier de TV5 Monde conduit chaque pays bailleur de fonds à apporter à la chaine ses programmes nationaux libres de droits, et à en supporter seul la charge.

En revanche, le financement des « frais communs » relatifs à la mise en onde, à la diffusion, la distribution, la communication, la production d’émissions à caractère multilatéral (comme l’information, notamment) et à la gestion de l’ensemble de ces dépenses est partagé entre les gouvernements bailleurs de fonds

 

Les contributions doivent suivre une clé de répartition conventionnelle, tenant compte de la dimension des pays, de leur capacité à fournir des programmes et de la répartition du capital social du groupe entre les chaines publiques des pays membres : 6/9e pour la France, 1/9e respectivement pour la Fédération Wallonie-Bruxelles, la Suisse et le Canada (dont 60 % pour la Fédération canadienne et 40 % pour le Québec) auxquels l’adhésion, en 2020, de Monaco a permis d’ajouter un demi 9e supplémentaire.

RÉpartition du capital social de la SAS TV5Monde

Actionnaires

Nombre d’actions

Pourcentage

France Télévision

4 410

46,42 %

France média monde

1 137

11,97 %

RTBF

1 000

10,53 %

SSR

1 000

10,53 %

Radio-Canada

600

6,32 %

Monte Carlo Riviera

500

5,26 %

Télé-Québec

400

4,21 %

Arte France

296

3,12 %

INA

157

1,65 %

Total

9 500

100 %

Source : TV5 Monde.

Remarque : Le capital social de TV5 Monde est fixé à 144 822,22 euros divisé en 9 500 actions.

Par ailleurs, le siège de TV5 Monde étant situé à Paris, la France bénéficie d’un retour sur investissement important, en matière d’emplois, de cotisations sociales, d’impôts et de taxes. Dès lors, pour compenser cet avantage, l’État verse une contribution additionnelle, dont le montant a été fixé par la Conférence des ministres responsables de TV5 Monde et est indexé sur l’augmentation des contributions au budget de base des frais communs.

Au total la contribution de la France représente plus de 73 % des dotations publiques de TV5 Monde.

a.   Une hausse de dotation qui doit rattraper des arriérés de contributions

● Le PLF pour 2024 prévoit une dotation de 83,45 millions d’euros, en hausse de 3,5 millions d’euros par rapport aux montants ouverts par la loi de finances initiale pour 2023, soit + 4,4 %.

Pour la deuxième année consécutive, cette dotation comprend une compensation des effets fiscaux induits par la suppression de la CAP, déjà décrits concernant France Médias Monde (voir supra) : après 0,6 million d’euros en 2023, ce surcoût pour l’opérateur s’élèvera à 2 millions d’euros en 2024.

En conséquence, comme le montre le tableau ci-après, hors compensation des effets de la suppression de la CAP, le surcroît de ressources publiques provenant de la France doit être ramené à 2,08 millions d’euros, soit + 2,6 %.

 

Dotations du programme 847 TV5 Monde (en AE = CP)

(Montants en millions d’euros)

 

Exécution 2022

LFI 2023

PLF 2024

Évolutions

2023-2024

Dotation en lois de finances

77,11

79,97

83,45

+ 3,48

+ 4,4%

Effets fiscaux de la suppression de la CAP

n-c

0,6

2

+ 1,4

+ 233,3%

Dotation publique hors effets fiscaux

77,11

79,37

81,45

+ 2,08

+ 2,6%

Source : Calculs de la commission des affaires étrangères, d’après les documents budgétaires.

TV5 Monde devrait disposer en outre de 30 millions d’euros de dotations des autres pays bailleurs et de 9 millions d’euros de ressources propres.

● La rapporteure pour avis rappelle qu’entre 2018 et 2022, la France avait versé chaque année une contribution inférieure aux montants correspondants à sa quote-part, l’écart s’élevant à 1,2 million d’euros en 2022.

La contribution définie en 2023 a corrigé cet écart pour le flux mais il demeure un passif de 3,6 millions d’euros, qui ne pourra être comblé que si la contribution de la France demeure dynamique pendant les prochaines années.

Notons que le passif de la France vis-à-vis de TV5 Monde semble avoir poussé nos partenaires à l’attentisme, alors qu’il serait nécessaire que l’ensemble des bailleurs conviennent d’une hausse concomitante de leurs contributions. La rapporteure pour avis souligne que le désengagement relatif de la France a eu des conséquences négatives pour l’activité du groupe qui a dû renoncer à la diffusion satellitaire de ses chaines en Europe, mettre fin à des programmes d’information la nuit et engager un plan de réduction des effectifs dont le total est passé de 410 emplois équivalent temps plein, en 2018, à 390, en 2023.

Ainsi que le directeur général de TV5 Monde, Yves Bigot, l’a indiqué sans ambiguïté à la rapporteure, le groupe n’aurait pas pu faire face, depuis deux ans, aux surcoûts liés à l’inflation, sans le supplément annuel de contribution de 4,2 millions d’euros apporté par Monaco qui a adhéré en 2021 et dont le diffuseur public nouvellement créé, Monte Carlo Riviera, a intégré le capital du groupe et siège désormais à son conseil d’administration.

C’est également cette contribution qui a permis à TV5 Monde :

— de contourner son interdiction de diffusion de fait en Russie ([14]) en souscrivant, dès mars 2022, une capacité de diffusion satellitaire pour un coût annuel de 300 000 euros, permettant de toucher 1,7 million de foyers en Russie et 1,4 million en Ukraine ;

— de rendre la chaine jeunesse ludo-éducative Tivi5Monde accessible en haute définition en Afrique du Nord et au Moyen Orient sur le satellite Arabsat.

L’adhésion de Monaco est donc une excellente nouvelle pour les finances de TV5 Monde mais elle souligne aussi le dynamisme de la marque et son attractivité puisque deux autres pays sont pressentis pour des adhésions futures : le Luxembourg, avec qui des discussions sont engagées depuis 2018 et qui seront reprises après les élections législatives d’octobre 2023, ainsi que la principauté d’Andorre. La réflexion autour de l’adhésion de pays africains est aussi très encourageante (voir infra).

b.   Un budget 2024 sous contrainte

La situation budgétaire de TV5 Monde n’en demeure pas moins difficile.

Le groupe constate une stagnation de ses ressources propres sous l’effet de la reprise lente et volatile du marché publicitaire mondial et en raison des exigences de nombreux distributeurs de renégocier à la baisse la rémunération qu’ils reversent à TV5 Monde pour la distribution de ses chaines.

Surtout, les charges de TV5 Monde sont très sensibles au niveau élevé de l’inflation mondiale, dont le surcoût sur le budget 2024 est estimé à 2,5 millions d’euros sous l’effet par exemple des hausses de salaires (+ 3,4 % soit + 1 million d’euros) et du coût des agences de presse (+ 0,3 million d’euros).

Les hausses les plus importantes des dépenses internationales résultent des coûts de l’énergie, notamment en Belgique ([15]), des frais de déplacement à l’étranger, des frais de tournage, ainsi que des charges liées aux implantations locales à Hong Kong ou à Panama.

● Enfin, dès 2024, TV5Monde va devoir accroître les dépenses de fonctionnement ou consentir les investissements nécessaires pour s’adapter à l’évolution des modes de diffusion et de consommation des médias notamment :

— l’augmentation du prix des licences de diffusion liée au passage à la télévision numérique terrestre (TNT) en Afrique, alors même qu’inversement le groupe va être contraint de supporter la perte de ressources propres provenant des cessions de licences, en raison de la transition de certains marchés vers la « plateformisation », en particulier en Amérique ;

— le développement des dépenses consacrées au numérique qui ont fortement progressé depuis le lancement de la plate-forme TV5MONDEplus (voir infra), et qui mobilisent désormais 10,6 % des ressources du groupe (12,4 millions d’euros en 2023) contre 3 % en 2015.

À cet égard, le groupe va devoir engager, à brève échéance, la mise en place de chaines dites FAST ([16]) , c’est-à-dire des chaines de télévision linéaires gratuites financées par la publicité et diffusées en flux, dont l’offre est en forte croissance sur les marchés de télévision en Europe et en Amérique, où TV5 Monde doit rester concurrentiel et espère toucher de nouveaux public.

Le groupe devra également contribuer à des dépenses d’investissement, mutualisées avec d’autres sociétés audiovisuelles publiques, dans les nouvelles technologies, notamment dans l’intelligence artificielle. Des expérimentations sont envisagées dans les domaines du sous-titrage, du marketing en ligne, de l’apprentissage de la langue française, du soutien éditorial et de la cyber-sécurité.

Pour assumer l’ensemble de ces charges, le groupe TV5 Monde paraît arrivé au bout de l’exercice de redéploiement de ses moyens : l’apport de dotations supplémentaires est désormais indispensable.

c.   Des indicateurs d’activité favorables

● La rapporteure pour avis souligne que l’utilité pour la France, de contribuer pleinement au financement de TV5 Monde est attestée par les principaux indicateurs de réussite de ce média international :

— sa distribution qui détermine son accessibilité. Les chaines du groupe étaient, en juin 2023, reçues dans 200 pays par un total de 432 millions de foyers connectés, soit 10 millions de foyers supplémentaires par rapport à 2022 (+ 2,4 %), grâce notamment à de fortes croissances en Asie (+ 7 %) et en Afrique subsaharienne (+ 4,7 %) ;

— ses audiences télévisées ([17]) , avec, à la mi-septembre 2023, une audience hebdomadaire dépassant 60 millions de téléspectateurs, en hausse de 1,2 million par rapport à 2022, dont 49 millions en Afrique subsaharienne, 5 millions en Europe, 4 millions en Afrique du Nord et 3 millions en Asie ;

— et ses audiences numériques, bien que le média francophone, soit, dans ce domaine, pénalisé par la disparité des accès à internet entre, par exemple, l’Europe de l’Ouest (93 % de la population) et l’Afrique de l’Ouest (42 %) ou l’Afrique centrale (26 %). Le groupe recense néanmoins plus de 60 millions de vidéos vues par mois, une faible croissance constatée au premier semestre 2023 (+ 0,3 %) étant contrebalancée par une hausse de 2 % des durées de lecture.

 

2.   Une programmation conforme au cadre stratégique de la Francophonie

● L’action de TV5 Monde est aujourd’hui encadrée par un plan stratégique couvrant la période 2021-2024 et, depuis le Sommet de la Francophonie de Djerba en octobre 2022, par le cadre stratégique de la Francophonie 2023-2030 applicable à l’ensemble des opérateurs de la Francophonie.

La valorisation de la francophonie prend plusieurs formes :

— le sous-titrage en treize langues([18]), qui permet la reprise des programmes par les distributeurs locaux : 22 000 heures ont ainsi été sous-titrées en 2022 ;

— le soutien à l’apprentissage du français par le dictionnaire de TV5 Monde, et par la richesse de l’offre éducative, à l’exemple des plus de 4 000 exercices autocorrectifs mis à disposition ;

— une participation géographique équilibrée en nombre de programmes fournis par les différents partenaires du groupe ;

— la couverture exclusive des Sommets des chefs d’États ayant le Français en partage, dont le prochain est prévu en France, à Villers-Cotterêts, en 2024.

 

a.   L’accroissement de la « découvrabilité » audiovisuelle francophone

● Conformément au premier axe de son plan stratégique, TV5 Monde s’efforce d’améliorer la « découvrabilité » audiovisuelle francophone c’est-à-dire de faciliter l’accès du plus grand nombre, via le plus de moyens de diffusion possible, aux projets et actions audiovisuelles en langue française.

La découvrabilité

Ce concept, créé et développé depuis 2016 au Canada - Québec, décrit un processus de rencontre entre un contenu et le public dans l’environnement numérique. Il comprend :

- la caractéristique intrinsèque de tout contenu disponible en ligne à être facilement repérable ou trouvable par tout utilisateur qui effectuerait des requêtes sur des moteurs de recherche ;

- la dimension fortuite de découverte d’un contenu auquel on ne s’attendait pas ou dont on ne connaissait pas l’existence ;

- la recommandation d’un contenu culturel sans requête de l’utilisateur.

La découvrabilité englobe donc concernant les contenus culturels des besoins de repérabilité (référencement et indexation), de disponibilité (développement et mise à disposition d’une offre adéquate) et de recommandation (mise en valeur et promotion de la visibilité).

Source : Organisation internationale de la Francophonie – La langue française dans le monde. Édition 2022 p. 339

● Dans ce but, le gouvernement canadien s’était engagé investir 14 millions de dollars dans une plateforme mondiale francophone, qui a pris la forme, depuis septembre 2020, de TV5MONDEplus, plateforme gratuite avec publicité (AVOD).

Présente dans plus de 200 pays, TV5MONDEplus permet, par un accès simple et rapide, de consulter plus de 7 000 heures de programmes généralistes provenant d’apports de diffuseurs actionnaires de TV5 Monde, ainsi que d’acquisitions directes et de partenariats culturels (Collège de France, Muséum d’histoire naturelle, UNESCO, Cité de l’architecture et du patrimoine, Musée d’Art moderne et contemporain de Genève, etc.). Les programmes sont sous-titrés en français, anglais, espagnol, arabe, allemand et, depuis début 2023, en roumain.

La part des programmes de pays africains de TV5MONDEplus s’accroît, avec désormais 652 heures représentant 7,72 % de l’offre, contre 385 heures en 2021.

Dans le contexte de l’ouverture de la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts, un partenariat entre TV5 Monde et le Centre des monuments nationaux permet de diffuser sur la plateforme une création originale, la web-série À chacun son métier consacrée aux métiers du chantier de restauration (charpentiers, couvreurs, archéologues, tailleurs de pierres, mais aussi spécialistes de la sécurité), accompagnée d’outils pédagogiques permettant de développer les compétences en français à l’écrit avec un vocabulaire professionnel dédié.

Au premier semestre 2023, TV5MONDEplus a enregistré 16,3 millions de visites, contre 10,5 millions au premier semestre 2022, provenant, en premier lieu, du Maghreb, de France, d’Égypte et de la République démocratique du Congo.

Quelque 8,7 millions de vidéos ont été démarrées (contre 4,8 au premier semestre 2022). Il s’agit à 44 % de fictions (films, téléfilms, séries) pour des durées moyennes de visionnage supérieures à 20 minutes, qui ont doublé en deux ans.

b.   La sensibilisation des publics aux enjeux environnementaux

● Conformément au deuxième axe de son plan stratégique, le groupe cherche à augmenter la part de ses programmes consacrés aux enjeux environnementaux, avec près de 3 000 heures de programmes labellisés « chaine de la planète » en 2022, en progression de 25 % par rapport à 2021.

Les éléments les plus notables de la programmation sont :

— la série de documentaires-magazines de 90 minutes À la vie, à la terre, dédiée aux populations confrontées aux effets du changement climatique, qui compte déjà cinq émissions (Canada, Maroc, République du Congo, Cameroun, Suisse) et qui a obtenu le prix d’argent dans la catégorie « protection de la biodiversité » de la sélection documentaire aux Deauville Green Awards ;

— la série internet Pourquoi on se bat à destination du jeune public, qui suit l’activiste pour la justice climatique Camille Etienne à la source de son engagement, de la fonte des glaciers de l’Islande à la Savoie, également primée aussi aux Deauville Green Awards ;

— enfin, le 12 décembre 2023, une nouvelle édition de La Piste pour la Francophonie, qui sera dédiée aux initiatives visant à la protection de la planète, avec 18 heures de programmes en direct depuis dix-huit capitales francophones

● Cette priorité stratégique paraît bien identifiée par les publics de la chaine.

Selon une étude d’audience TV Africascope conduite en 2022 par l’Institut Kantar, 78 % des téléspectateurs africains considèrent que TV5 Monde explique bien les enjeux liés à la protection de l’environnement et 77 % considèrent que la chaine sensibilise bien les plus jeunes à la préservation de la planète.

De même, un sondage trilingue conduit par l’institut Harris Interactive auprès d’internautes utilisateurs des offres numériques de TV5 Monde leur attribue une note moyenne de 7,6/10 sur le développement durable, supérieure aux notes habituellement constatées en la matière.

c.   Une ligne éditoriale dynamisée par la mise en œuvre du « Pacte Outre-mer »

Enfin la rapporteure pour avis relève que la mission de TV5 Monde en faveur du rayonnement de la francophonie l’a tout naturellement conduit à prendre en considération le rôle des Outre-mer français en la matière.

TV5 Monde a donc été cosignataire, le 3 mars 2022 du Pacte pour la visibilité des Outre-mer([19]), souscrit, à l’initiative des ministres des outre-mer et de la culture, entre l’État et les opérateurs de l’audiovisuel public, afin de faciliter l’émergence et la visibilité des créations ultramarines.

Le groupe a ainsi fait évoluer sa ligne éditoriale afin d’accroître le volume horaire de ces programmes, sur ses antennes et sur la plateforme TV5MONDEplus, comme le montre le tableau suivant.

Volume horaire des programmes ultramarins

 

Nombre d’heures

saison 2021-2022

Nombre d’heures

saison 2022-2023

Évolutions

Antennes de TV5 Monde

1 099

1 621

+ 522

+ 47,5 %

Plateforme TV5Mondeplus

63

167

+ 104

+ 165 %

Total

1 162

1 788

+ 626

54 %

Source : Réponses de TV5 Monde au questionnaire de la rapporteure pour avis.

Cette offre est composée, en premier lieu, par l’apport en programmes libres de droits de France Télévisions principalement constitué de magazines, de journaux d’information et de la couverture d’événements locaux. Ce partenariat permet, depuis septembre 2022, la diffusion du journal quotidien des Outre-mer sur les chaines Afrique, Amérique Latine et caraïbes et France-Belgique-Suisse-Monaco du groupe TV5 Monde.

TV5 Monde soutient, en outre, la création par le préachat d’œuvres issues des départements et territoires ultramarins, dont la série OPJ Pacifique Sud, le film Fanon de Jean-Claude Barny, ou encore, dans le cadre de la coopération internationale, la série Voyage de rêve, coproduite entre la Côte d’Ivoire et la Guadeloupe.

Pour la saison 2023-2024, il a été indiqué à la rapporteure pour avis que TV5 Monde maintiendra sa politique éditoriale de sensibilisation aux contenus ultramarins, notamment en synergie avec France Télévisions, en coproduisant par exemple l’émission Latitudes Outremers pour trois éditions spéciales.

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II.   La mise en cause de l’audiovisuel extérieur Français en Afrique de l’Ouest : une réponse de la France à co-construire avec les africains

À l’occasion d’un déplacement à Dakar pour rencontrer la rédaction de RFI en langues africaines du 6 au 9 septembre 2023, la rapporteure pour avis a été frappée par la réussite de l’audiovisuel extérieur Français, le prestige et l’audience de FMM en Afrique de l’Ouest, la qualité reconnue de ses journalistes et leur intime connaissance du terrain qui font des antennes de FMM sur place des médias de proximité et du quotidien.

Ce constat très positif s’est cependant doublé de l’observation d’une remise en cause virulente de FMM dans la sous-région, ainsi que d’attaques ou de menaces directes contre les journalistes - français ou africains - qui travaillent pour l’audiovisuel extérieur français.

La rapporteure pour avis déplore un discours anti-français de plus en plus agressif, qui englobe les médias et les journalistes français en leur prêtant fallacieusement un dessein politique contraire aux intérêts de l’Afrique.

À cet égard, les déclarations ambiguës du président de la République dans ses récents discours aux ambassadeurs ont semé la confusion en invitant à faire de l’audiovisuel extérieur un « outil d’influence » dans une « guerre informationnelle » qui transformerait implicitement les journalistes en soldats des mots et discours officiels

Si la guerre informationnelle contre la France est une réalité en Afrique, la formulation présidentielle malheureuse et infondée est bien loin de la réalité des rédactions de FMM, totalement libres et indépendantes. Pis, elle expose les journalistes à des risques croissants sur le terrain.

Alors que certains États utilisent leurs outils médiatiques pour diffuser des messages anti-français et propager une désinformation destructrice, la totale liberté éditoriale de FMM et son indépendance lui garantissent la confiance du public, son succès et une large diffusion d’informations vérifiées.

Il est capital de préserver FMM de toutes velléités d’interventions politiques et de laisser les journalistes travailler librement et sereinement.

Il ne s’agit rien moins que de demeurer fidèle aux principes hérités de la Révolution française, et notamment l’article XI de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen qui a érigé en principe fondamental la « libre communication des pensées et des opinions ».

Extraits des discours du président Emmanuel Macron lors des conférences des ambassadrices et des ambassadeurs

Le 1er septembre 2022

« Je pense que collectivement, nous devons être beaucoup plus réactifs, beaucoup plus mobilisés sur les réseaux sociaux, travailler avec des alliés, des partenaires de la France dans les opinions publiques. Pas simplement pour contrecarrer évidemment ces fausses informations, mais pour pouvoir les stopper de manière très claire, au plus vite et porter la valorisation de nos propres actions. À cet égard, nous devons beaucoup mieux utiliser le réseau France Médias Monde, qui est absolument clé et qui doit être une force pour nous. Je pense que nous avons collectivement à repenser notre grammaire commune. Parce qu’il y a parfois un décalage conceptuel entre l’idée que nous nous faisons dans nos frontières de l’indépendance, ce qui est tout à fait légitime de la part des journalistes et des rédactions et la réalité à laquelle ces mêmes rédactions sont confrontées sur le terrain quand il y a des propagandes anti-françaises réelles. Nous avons besoin d’avoir des instruments de communication qui disent quand la France est attaquée à tort, qui disent ce que fait la France et qui relaient notre action : l’action de nos écrivains, de nos artistes, de nos sportifs et de nos diplomates. Aujourd’hui, on subit trop, ou on ne fait pas assez. C’est donc un changement de conception profond, d’organisation et d’outils. On a commencé à le mettre en œuvre et c’est très cohérent avec ce que nous faisons sur le sol national aussi parce que nous avons à en subir les conséquences et parce que cette propagande maintenant est aussi très active chez nous. »

 Le 28 août 2023

« Et puis, nous devons penser, je l’avais dit, le rôle de l’audiovisuel public à l’international, et de France Médias Monde qui est un formidable levier de rayonnement. Mais il faut qu’on soit au clair sur la place qu’on lui donne et le rôle qu’il y joue. Parce que quand il est le seul levier d’une presse considérée comme libre, il a une fonction tout à fait importante, il a affaire, face à lui, à de la propagande. Et quand cette propagande est reprise telle qu’elle, c’est un sujet parce qu’elle vient parfois menacer la France directement - on vient de le vivre encore au Niger. Le cadre de son intervention en tout cas doit être pensé car cet organisme est en même temps vu par beaucoup d’États comme un organisme d’État, ce qu’il n’est plus, je vous rassure. Il est lu comme tel et il est utilisé par les puissances qui nous contestent comme le fruit d’un impérialisme français sur le champ informationnel. Et donc là, on a construit une équation qui est plutôt perdante : c’est-à-dire qu’on a un instrument qui est bâti avec des rédactions indépendantes - ce qui est évidemment le cadre de ce dans quoi nous croyons pour avoir une presse libre - mais qui, du coup, s’interdit totalement de faire quelque travail d’influence, et qui, dans des pays qui le voient comme un instrument d’État qui fait de l’influence, est vu comme la justification et la légitimation par d’autres puissances - qui font de la vraie influence à des fins gouvernementales - de ce qu’ils sont en train de faire. Je le dis avec mes mots, c’est ça ce que je vis, moi ; et à mon avis, ce que beaucoup de diplomates qui sont dans ces pays-là vivent.

Donc, à mon avis, ce n’est pas notre meilleure utilisation de l’instrument commun. Je demande vraiment à ce qu’on s’attelle avec courage à la chose. Les États généraux de l’information doivent nous permettre de penser cela, mais l’indépendance journalistique à laquelle je tiens très profondément et que je défendrai, en France comme ailleurs avec beaucoup de force, ne doit pas servir à s’interdire de réfléchir à un monde nouveau dans des géographies différentes. La bonne utilisation de l’argent public et la responsabilité qui sont les miennes, m’imposent d’ouvrir ce travail de réflexion qui est absolument indispensable et qui doit être au cœur des chantiers des ministres des affaires étrangères et de la culture pour les mois à venir. »

● À l’instar des sociétés de journalistes du groupe, la rapporteure pour avis a dénoncé, dès 2022, ce mélange des genres entre l’influence politique et le respect de l’impartialité et de la neutralité journalistiques.

Ainsi que Marie-Christine Saragosse l’a indiqué sans ambiguïté, en janvier 2023, dans l’introduction du plan stratégique remis à l’Arcom à l’appui du renouvellement de son mandat de directrice générale de FMM « d’aucuns parleront de guerre de l’information, mais c’est à la réflexion une formule impropre : les médias libres et professionnels ne sont pas en guerre contre l’information d’autres médias, mais font leur métier qui par construction s’oppose à la désinformation ».

Cette ligne de conduite n’emporte cependant aucune naïveté puisque les chaines du groupe FMM s’engagent directement dans la lutte contre les manipulations et les infox, au moyen par exemple des Observateurs de France 24, qui s’appuient sur un réseau de 5 000 citoyens, et de la création d’une cellule de fact-checking à RFI qui travaille en réseau avec l’ensemble des rédactions, dont celles présentes sur le continent africain.

● La rapporteure pour avis rappelle que, si la France, en tant qu’État, est mise en cause, la mission de riposte relève exclusivement des services d’information du Quai d’Orsay ou des cellules de communication des ambassades.

Cela ne saurait, en aucun cas, être le rôle de l’audiovisuel extérieur de la France, puisque l’information n’est pas de la communication et que les journalistes ne sont ni des diplomates, ni des communicants. Ce principe est clairement énoncé dans le préambule du cahier des charges de France Médias Monde qui dispose que ses médias proposent une information internationale « caractérisée par son indépendance par rapport au pouvoir politique ».

Tout entorse à cette règle cardinale donnerait raison aux attaques orchestrées contre les médias français et constituerait un précédent déplorable, sans aucun doute préjudiciable à l’exercice de la liberté de la presse et des médias en Afrique.

● En outre, si la France, en tant qu’État, est pleinement en droit de conduire une politique d’influence, celle-ci, plutôt que de fragiliser l’indépendance et la déontologie de notre audiovisuel extérieur, devrait viser à favoriser la liberté d’expression et l’exercice concret des métiers du journalisme.

En effet, loin de se cantonner à des fausses images et vidéos qu’il s’agirait de « débunker », les fausses nouvelles sont très souvent le fait d’affirmations proférées par les autorités publiques, dans un très grand nombre de domaines. Le métier de journaliste consiste alors à établir les faits et mettre ces éléments dans le contexte, afin d’être en mesure de procéder au traitement de l’information.

Or l’exercice concret de la liberté d’informer est fragilisé dans plusieurs pays d’Afrique francophone par des législations inadaptées, qui ont défini des délits de presse aux portées extrêmement larges, parfois assortis de peines de prison (comme c’est encore le cas au Sénégal) ou qui rendent impossible l’accès aux données administratives.

La France s’honorerait donc à engager, au plan diplomatique, un plaidoyer en faveur de l’exercice concret des libertés de la presse.

On mesure ainsi à quel point les propos réitérés du président de la République, qui ont eu un large écho en Afrique, ont introduit, en la matière, une ambiguïté aux effets délétères.

Les réactions diffuses, parfois épidermiques, des interlocuteurs africains de la rapporteure pour avis lors de son déplacement à Dakar attestent que les interventions du chef de l’État ont porté atteinte à l’image de notre audiovisuel extérieur et l’ont désigné comme une cible.

A.   France Médias Monde : contesté mais libre de toute influence

1.   Des médias de référence occupant une place de choix

● Selon les données de l’enquête Africascope réalisée, à intervalles réguliers, par l’institut Kantar-TNS ([20]), l’Afrique francophone représente plus de la moitié des audiences hebdomadaires de RFI, pour près de 33 millions d’auditeurs.

RFI figure parmi les cinq radios les plus écoutées quotidiennement, et en première place à Abidjan, Brazzaville et Libreville : 87 % des habitants déclarent la connaître et elle est écoutée chaque semaine par 37,6 % de la population, ainsi que par deux tiers des cadres.

L’Afrique est le premier bassin d’audience de France 24, avec 41 millions de téléspectateurs en 2022 (+ 10 millions par rapport à 2018), dont 27,6 millions en Afrique francophone, en progression notable à Kinshasa et Brazzaville. Près d’un habitant sur deux, et plus de huit cadres sur dix, la regardent chaque semaine dans les huit métropoles couvertes par l’enquête Africascope.

Ainsi que l’établissent les indicateurs de suivi du contrat d’objectifs et de moyens de FMM, la qualité de l’information de RFI et de France 24 est reconnue en Afrique : en 2022, les résultats d’opinions favorables évaluant les valeurs d’expertise, d’objectivité et de référence s’y établissent à plus de 75 %, soit 10 points de plus que dans la zone Maghreb par exemple.

● Comme de nombreux praticiens africains de l’information l’ont indiqué à la rapporteure pour avis lors de son déplacement à Dakar, le principal avantage comparatif de l’audiovisuel extérieur français réside dans la façon dont il exerce sa mission de média indépendant et libre, chargé de fournir une information équilibrée, vérifiée et honnête.

À l’exact inverse de médias de propagande, RFI et France 24 sont reconnues pour leur capacité de déranger ceux qui abusent du pouvoir. Au regard des contraintes multiformes qui s’exercent sur la presse et les médias locaux, l’audiovisuel extérieur français joue ainsi un rôle majeur dans l’initiation de l’information, aux effets protecteurs pour les journalistes africains : si une information est relayée en premier lieu par RFI ou France 24, les médias locaux peuvent en effet plus librement s’en saisir.

Selon une expression rapportée régulièrement lors du déplacement de la rapporteure pour avis à Dakar : « Si tu veux avoir l’heure juste, écoute RFI ».

2.   La cible de reproches multiformes dans un contexte de tensions avec la France

● Les interdictions d’émettre subies par RFI et France 24 dans plusieurs pays du Sahel depuis deux ans fournissent ainsi une preuve éloquente de la volonté de faire taire FMM à cause de la qualité et de la puissance de l’audiovisuel extérieur français.

Elles traduisent aussi la réalité de la guerre informationnelle à l’œuvre en Afrique de l’Ouest. Alors que l’influence de la France et son implantation militaire reculent, FMM et ses journalistes sont particulièrement visés.

Pour mémoire, suite à la diffusion d’un reportage sur les exactions de la milice Wagner, la diffusion de RFI en FM et la distribution de France 24, ainsi que les sites internet de ces deux médias, ont été suspendus par le régime malien le 17 mars 2022, chacun de ces médias perdant ainsi plus d’un million d’auditeurs ou de téléspectateurs.

Cette décision arbitraire a été confirmée par le régulateur malien des médias, sans aucune justification malgré les démarches engagées par France Médias Monde et une tentative de médiation par des représentants des instances de régulation du Sénégal, de la Côte d’Ivoire et du Bénin.

Alors même que RFI était suivie par près d’un tiers des habitants de Bamako, la junte l’a qualifiée de « radio des 1 000 collines », en une référence ignominieuse au média des génocidaires Rwandais.

Les régimes militaires issus des coups d’État perpétrés au Burkina-Faso puis au Niger ont imité l’exemple Malien : au Burkina-Faso, RFI a été suspendue dès décembre 2022, puis France 24 en mars 2023, les deux chaines étant suspendues au Niger dans la foulée immédiate du coup d’État en août 2023.

Au Burkina Faso et au Niger, il en résulte pour les deux médias, la perte de 4,4 millions d’auditeurs et téléspectateurs par semaine environ, mais environ 1,1 million d’auditeurs de RFI continuent de l’écouter en ondes courtes.

En revanche, la chaine Afrique de TV5 Monde n’a pas fait l’objet d’interdiction de diffusion du Sahel, protégée à ce titre par la dimension multilatérale du groupe et son statut d’opérateur officiel de la francophonie, mais également parce que l’information n’occupe pas une part prépondérante de sa programmation, sans pour autant prémunir de tout risque de coupure éventuelle.

Au demeurant, le risque de censure ne concerne pas seulement les médias francophones dans les situations de tensions directes avec la France, puisque la radio arabophone Monte Carlo Doualyia a également vu sa diffusion suspendue sur la FM de Khartoum en avril 2023, dans le contexte de la guerre civile au Soudan. MCD a par ailleurs été suspendue fin 2022 sur la FM de Tripoli en Libye, à la suite de la diffusion d’une émission traitant de l’homosexualité.

● La rapporteure pour avis constate que RFI continue de bénéficier de la fidélité des publics malgré les obstacles pour y accéder : le Mali est ainsi au quatrième rang de l’ensemble des pays d’Afrique pour la consultation des médias du groupe sur YouTube et les audiences numériques au Niger ont été multipliées par quatre entre juin et août dernier.

De même, des auditeurs maliens, burkinabés ou nigériens continuent à participer aux émissions interactives du groupe, comme par exemple Appels sur l’actualité sur RFI le matin.

Les stratégies de contournement des mesures de censure

Dans chaque pays où sa diffusion est interdite, le groupe FMM a engagé des stratégies de contournement pour continuer à proposer une information libre, indépendante et équilibrée auprès des publics :

- le recours aux ondes courtes pour RFI, en français mais aussi en langues africaines ;

- la réception satellitaire directe, pour France 24 et RFI ;

- la diffusion de contenus sur les plateformes (YouTube, avec notamment les flux en direct) et les réseaux sociaux (Facebook, X, Instagram, TikTok notamment) ;

- le maintien des sites et applications propriétaires lorsque cela est possible ;

- une communication en ligne au sujet de l’usage des VPN qui permet de contourner les blocages de sites…

● Cependant, les contestations de notre audiovisuel extérieur ne se limitent pas aux réactions attendues de régimes autoritaires. Bien au-delà des trois juntes du Sahel, la mise en cause de notre audiovisuel extérieur manifeste des tensions multiples, fondées sur plusieurs motifs de défiance.

● En premier lieu, le modèle d’un média public indépendant est, par principe, mis en doute par de nombreux Africains qui considèrent qu’une chaine publique est d’abord le porte-parole du pouvoir en place.

Au Sénégal par exemple, ceci expose RFI et France 24 à deux reproches symétriques et contradictoires : de la part des oppositions au président Macky Sall, celui de se faire le relai complaisant du régime et, de la part du gouvernement sénégalais, celui de ne pas mettre suffisamment en valeur ses réussites et de donner trop souvent la parole aux oppositions.

Ensuite, et de façon plus profonde, le média public identifié à la France peut se voir rejeté pour les mêmes motifs que sont rejetés les modèles politiques et sociaux assimilés à l’Occident en général, et à la France en particulier.

Ainsi que le directeur de l’Institut Timbuktu l’a indiqué à la rapporteure pour avis, le mouvement de crispation à l’égard de l’Europe, très prononcé au Sahel mais qui touche également le Sénégal, est le point d’aboutissement d’un lent mouvement d’ancrage du salafisme, depuis plus de vingt-cinq ans, sur le terreau d’immenses difficultés économiques et sociales.

À cet égard, l’interconnexion médiatique grandissante des sociétés européennes et africaines contraste avec leurs divergences croissantes en matière politique, culturelle ou d’évolution des mœurs. FMM est perçue comme porteuse de valeurs libérales qui peuvent heurter une partie des sociétés africaines plus conservatrices : l’évocation des droits LGBTQI mais aussi de la liberté religieuse, de la laïcité, de l’avortement ou de l’éducation sexuelle est assimilée à un discours subversif ou contraire aux valeurs traditionnelles.

Alors que les entretiens de la rapporteure pour avis, à Dakar, se déroulaient dans une période de fortes tensions entre la France et le Niger, la question de la relation entre Paris et l’Afrique était au cœur des préoccupations de ses interlocuteurs.

Avec une immense déception et des attentes fondées sur une longue histoire commune, ils ont tous formulé des critiques argumentées.

Beaucoup ont dénoncé un écart entre les principes, les ambitions ou les intentions affichées par la France, et les actions entreprises en Afrique. Reprenant le discours d’une France qui interviendrait dans le jeu politique local, ils ont aussi critiqué une politique étrangère française donneuse de leçons sur la démocratie mais qui serait en réalité le soutien de régimes liberticides.

Ces critiques construites et répétées sont déclinées aux niveaux tant politique qu’économique ou financier, le discours anti-français s’appuyant aussi sur le contentieux entourant la question du Franc CFA, perçu comme un outil anachronique de domination économique.

Il en résulte un soupçon à l’égard de tout organisme paraissant lié à la France. Tout autant que le Franc CFA ou la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’audiovisuel extérieur de la France peut, dès lors, être perçu comme l’instrument d’une « influence » française imméritée.

C’est, in fine, sur ces différents terreaux de la défiance que prospèrent désormais de manière massive les fake news anti-françaises diffusées par des officines russes, souvent établies de longue date, et qui bénéficient depuis quelques années des effets démultiplicateurs des réseaux sociaux ou des nouvelles techniques de manipulation des images.

3.   Des risques croissants pour la sécurité des équipes de l’audiovisuel extérieur de la France, dont il convient d’assumer pleinement les conséquences

● Lors de sa visite des locaux des rédactions de RFI à Dakar, la rapporteure pour avis a pu constater les effets de la défiance à l’égard de la France sur les conditions d’exercice de leurs métiers par les collaborateurs de notre audiovisuel extérieur.

Ainsi, les journalistes et leurs équipiers n’arborent pas le sigle de RFI ni sur leurs véhicules, ni sur leurs matériels.

Le bâtiment qui abrite les locaux de RFI n’est pas identifié comme tel, et a dû faire l’objet d’aménagements de sécurité spécifiques avec l’ajout de grilles en rez-de-chaussée et l’installation d’une panic room censée offrir un refuge temporaire en cas d’intrusion.

Enfin, certains des journalistes africains avec lesquels la rapporteure pour avis a pu s’entretenir ont décrit les menaces dont ils font l’objet : parfois qualifiés de « collabos » travaillant pour la France, ils ont directement posé la question des risques pour leur vie et des conséquences qui en découleraient pour l’avenir de leurs familles.

● Auditionnés par la rapporteure pour avis, les responsables de FMM ont présenté les mesures mises en œuvre pour assurer la sécurité des journalistes du groupe, et qui relèvent, depuis 2015, d’une direction de la sécurité éditoriale.

Elles comprennent :

— une document-cadre sur la sûreté éditoriale, qui traite de la sécurité des journalistes lors des reportages mais aussi de la protection des sources ;

— un suivi permanent, 24 heures sur 24, des journalistes en mission sur le terrain : il s’agit d’un dispositif de sécurité unique au sein des médias français, dont l’expertise a également bénéficié aux groupes de l’audiovisuel public dans le contexte de guerre en Ukraine ;

— la mise en place d’une formation spécifique au reportage en zone dangereuse : ce stage a bénéficié à plus de 300 journalistes du groupe depuis 2015 ([21]), dont des membres des rédactions localisées en Afrique.

Il a été indiqué en outre que le groupe verse à ses correspondants au Mali, au Burkina Faso ou au Niger, au même titre qu’aux correspondants en Russie, un revenu de solidarité lorsqu’ils ne peuvent plus travailler en sécurité.

Par ailleurs, FMM a engagé des initiatives pour prévenir les risques qu’encourent les journalistes du fait du cyber harcèlement et de la haine en ligne. Outre une politique de veille et de modération sur les réseaux sociaux, le groupe a élaboré un guide pour aider les journalistes à se protéger contre les contenus illicites sur le numérique, et leur indiquer les comportements à adopter face aux atteintes à leur personne, commises en ligne.

La rapporteure pour avis ne doute pas que la sécurité des journalistes soit au centre des préoccupations du groupe FMM, qui a perdu cinq journalistes décédés en mission depuis vingt ans, dont Ghislaine Dupont et Claude Verlon assassinés en 2013 dans le Nord-Mali.

À cet égard, elle souligne que de nombreux médias anglo-saxons souscrivent, pour le compte de leurs collaborateurs, des assurances décès de montants élevés, ce qui n’est pas le cas des médias français.

Les niveaux effectifs d’attention et donc de protection varient en outre nécessairement selon l’intensité du lien contractuel ou statutaire entre les différentes catégories de collaborateurs et leur donneur d’ordres. Cela pose en particulier la question des correspondants liés à FMM par le biais de contrats de prestation de service, et dont les sociétés locales de production sont les seules à assumer des responsabilités à l’égard des techniciens et collaborateurs auxquels elles recourent.

La rapporteure pour avis invite donc à adopter l’approche la plus large possible des enjeux de sécurité de l’écosystème des personnes qui travaillent pour notre audiovisuel extérieur, au regard des risques qu’elles encourent en étant considérées comme travaillant pour la France.

Outre l’étendue de l’appui matériel que l’audiovisuel extérieur pourrait devoir apporter, cela pose la question plus globale de la protection et du devenir des familles des collaborateurs en situation de risque important.

Le cas échéant, il reviendrait aux services diplomatiques et consulaires de veiller à ce qu’elles soient mises à l’abri, au besoin en facilitant l’attribution de visas permettant la venue en France.

● À cet égard, la rapporteure pour avis salue la perspective, tracée par le PLF pour 2024, de création d’une structure dédiée au soutien aux journalistes et médias en exil qui pourrait prendre la forme d’un incubateur mis en place par Canal France International (CFI), opérateur du ministère de l’Europe et des affaires étrangères en charge de la coopération dans le domaine des médias, qui est, depuis juin 2018, une filiale de FMM.

Si les documents joints au PLF n’en précisent ni le périmètre d’action, ni les orientations, une subvention de 3 millions d’euros est inscrite à ce titre sur la dotation de CFI sur le programme 209 Solidarité avec les pays en développement, destinée à couvrir la période 2024-2026.

  1.   Un défi à relever en consolidant nos atouts et en renouvelant nos partenariats

Face aux risques croissants auxquels il est exposé en Afrique, plutôt que de subir les rodomontades élyséennes d’un autre temps, notre audiovisuel extérieur a besoin de ne jamais cesser de cultiver un lien de confiance avec ses publics.

Il convient donc de le doter des outils qui lui permettent d’être un acteur de proximité afin qu’il puisse, en Afrique, jouer en toute indépendance son rôle de média international à fort ancrage local.

Cette stratégie peut être confortée par un nouvel investissement dans les différents secteurs de la coopération audiovisuelle, dans une approche partenariale, en soutien des initiatives africaines, seule façon de rétablir, de façon plus large, un lien de confiance avec la France.

1.   Produire et diffuser, au plus près du terrain, une information indépendante et vérifiée

a.   Pérenniser et étendre les rédactions de RFI en langues africaines

● En Afrique, RFI dispose anciennement de deux pôles de production en langues africaines implantés dans des pays non francophones : une rédaction en haoussa à Lagos depuis 2007, et une rédaction en kiswahili à Nairobi depuis 2010.

En 2015, RFI a innové en créant, au sein de l’espace francophone, un pôle de production en langue mandenkan, pour une heure de programmes par jour, sept jours sur sept, financé à partir des dotations de la chaine.

● Depuis fin 2020, le projet « Afri’Kibaaru » (Kibaaru signifiant informations), financé sur appel à projets de l’AFD, permet à RFI :

— d’ajouter une heure supplémentaire en mandenkan, sept jours sur sept, portant le total en mandenkan à 14 heures de programmes par semaine ;

— d’ajouter des programmes en fulfude pour deux heures par jour, sept jours sur sept, soit également 14 heures de programmes par semaine ;

— d’ajouter enfin un magazine d’une demi-heure, cinq jours par semaine, en haoussa, depuis Lagos, sur la thématique de l’égalité femmes hommes ([22]).

Les langues locales retenues permettent de toucher 130 millions de locuteurs, sur une zone d’intervention qui comprend, à ce jour, le Burkina-Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal, le Tchad ainsi que le Cameroun et le Nigéria.

Le choix des langues véhiculaires du projet Afri’Kibaaru

Le fulfulde est la variante de la langue des Peuls la plus comprise dans une zone fulaphone large qui, au-delà de la bande sahélo-saharienne, va de la Guinée au Soudan. Bien que minoritaires dans les pays dans lesquels ils vivent, les Peuls y contribuent à la large diffusion d’une langue qui comporte trois principaux sous-ensembles : le pular en Guinée, le pulaar à l’Ouest (Mauritanie, Sénégal, Gambie, Guinée, Guinée Bissau, Sierra Leone, Côte d’Ivoire, Ouest du Mali) et le fulfulde à l’Est (du Mali au Soudan, d’Ouest en Est).

Le fulfulde est compris à la fois au Mali dont il est originaire, et plus largement dans tout le reste de la zone fulaphone. Le pulaar et le pular en revanche sont plus difficilement compris en dehors de leur zone d’origine. La langue fulfulde est donc la plus comprise, très au-delà des personnes appartenant à l’ethnie peule, avec un nombre de locuteurs estimé entre 40 et 50 millions.

● Le mandenkan est une variante des langues mandingues qui constituent le principal groupe, en nombre de locuteurs, de la famille des langues mandées. Il s’agit d’un continuum linguistique, c’est-à-dire que même les variantes les plus éloignées restent mutuellement intelligibles et qu’il n’y a pas de limites géographiques claires entre chaque dialecte identifié. Ces principales variantes, qui diffèrent surtout au niveau de l’accent, sont le bambara au Mali, le dioula en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso, le mandinka au Sénégal et en Gambie ou le maninka de Guinée. Le nombre des locuteurs du mandenkan (natifs et non-natifs) est estimé entre 30 et 40 millions.

● Avec environ 60 millions de locuteurs estimés, le haoussa est une langue très utilisée en Afrique bien qu’elle soit principalement parlée dans le Nord du Nigéria et le Sud du Niger.

Zones d’intervention du projet Afri’Kibaaru

Source : RFI

La diffusion dans les huit pays est assurée par les émetteurs de RFI, en FM ainsi qu’en ondes courtes pour atteindre les régions rurales et contourner les interdictions d’émission aux Burkina-Faso, Mali et Niger. En outre, près de 250 radios partenaires relaient ces programmes, complétés par des contenus numériques dans les trois langues. 

L’objectif du projet est d’atteindre un auditoire plus féminin et plus jeune que celui de RFI en français, et que les programmes touchent principalement des personnes peu ou pas éduquées.

L’AFD a considéré que le projet pouvait relever de l’aide publique au développement, compte tenu du fait :

— qu’il facilite l’accès à une information fiable et indépendante,

— que les thématiques traitées sont liées aux Objectifs du développement durable (ODD), notamment l’égalité femmes-hommes, la transition écologique, l’accès aux droits et l’éducation,

— et que la dimension participative et interactive des émissions permet de dynamiser localement le débat public autour de ces thématiques.

● Financé par l’AFD à hauteur de 15 millions d’euros pour 42 mois, le projet comprend deux volets :

— d’une part, 11,5 millions d’euros pour RFI pour financer la production et la diffusion de programmes en langue locale.

Cette enveloppe couvre les frais de diffusion à l’heure et les rémunérations des personnels de la rédaction de Dakar, qui compte aujourd’hui 40 ETP d’une société de production filiale à 100 % de FMM, dont 26 journalistes (13 pour chacune des deux langues) dans une rédaction strictement paritaire, dont la moyenne d’âge est de 32 ans. RFI finance par ailleurs, sur son budget propre, les locaux de la rédaction ainsi que le poste du directeur.

20 % de l’enveloppe attribuée à RFI vise en outre à renforcer les capacités des radios partenaires par des mesures d’appui à la production et des séminaires de formation : depuis juin 2021, outre les correspondants de RFI en langues africaines dans la sous-région, 60 journalistes et techniciens des radios partenaires ont été formés à l’occasion de journées d’immersion, de masterclasses et de séminaires, comprenant des délocalisations d’émissions de RFI en français. Par ailleurs quarante radios partenaires ont bénéficié de la fourniture d’équipements de production et de diffusion.

— d’autre part, 3,5 millions d’euros pour Canal France International, au titre de la coopération audiovisuelle, pour des actions de renforcement de capacité des médias locaux dans la zone, principalement sous forme d’actions de formation (voir infra).

● Selon une étude Kantar menée fin 2021 dans dix-neuf villes ou localités de quatre pays du Sahel ([23]), un an après leur lancement, les programmes de RFI en langues africaines étaient suivis par plus de la moitié des habitants âgés de plus de 15 ans (56 %) et connus par près de 80 % de l’ensemble des personnes interrogées. L’utilité et la fiabilité de ces programmes sont très largement reconnues, avec respectivement 82 % et 80 % d’opinions favorables.

Une nouvelle étude en 2022 a confirmé que ces programmes sont régulièrement suivis par une large part de la population, l’audience « de veille » s’élevant alors, parmi les personnes interrogées, à 46 % au Sénégal, 51 % au Burkina, 27 % au Niger et 22 % au Tchad.

Ces résultants sont confirmés par une étude qualitative menée en 2023 qui souligne l’attachement des auditeurs aux offres en langues africaines de RFI.

Il en ressort que les nouvelles émissions de RFI atteignent des publics qui étaient éloignés de l’audiovisuel extérieur français mais qui étaient en attente d’un traitement différent de l’actualité et des enjeux de société, comme le montrent les témoignages d’auditeurs présentés dans l’encadré ci-après.

Témoignages recueillis en mai 2023 à l’occasion d’une étude qualitative auprès d’auditeurs des programmes de RFI en langues africaines

« L’importance de l’école n’est connue que des garçons dans ce village car les hommes pensent que les filles n’ont pas leur place dans ce temple du savoir. L’émission a permis de mobiliser les communautés pour changer les normes sociales qui désavantageaient les filles et leur éducation ». [Entretien individuel à Dar es Salam, Tambacounda].

« Grâce à ces émissions, nous sommes informés sur ce qui se passe autour de nous ; nous nous inspirons des histoires racontées et des solutions apportées pour améliorer notre vie. Elles nous informent aussi sur des tabous et nous ont ouvert les yeux sur l’égalité entre homme et femme ». [Focus group avec des adolescentes et jeunes filles, à Maradi]

« Les grandes décisions ont toujours été l’apanage des parents, on demande très rarement notre avis, même si cela nous concerne directement ; mais depuis que les gens écoutent l’émission Rayuwata, surtout en ce qui concerne les mariages forcés et précoces, on commence à demander notre avis ». [Focus group en ligne avec des jeunes filles étudiantes en licence à Kano]

Source : France Médias Monde

Par ailleurs, les performances numériques sont en forte hausse en 2022, avec, malgré des coupures au Mali et au Burkina Faso, 83 000 visites mensuelles du site en mandenkan (+ 28 %) et 67 000 visites mensuelles du site en fulfude (+ 24 %). Sur les pages facebook de RFI, on compte, en 2022, 2,4 millions de vidéos vues en mandenkan et 1 million de vues en fulfude.

L’échéance d’Afri’Kibaaru qui devait être fin décembre 2023 a été prorogée, par avenant, à fin mars 2024 pour RFI et fin décembre 2024 pour CFI, compte tenu des rythmes respectifs de consommation des crédits.

France Média Monde a engagé des négociations avec le ministère de l’Europe et des affaires étrangères et l’AFD, afin de poursuivre et d’étendre le projet, au moyen du financement par l’AFD d’un projet Afri’Kibaaru 2.

À cette fin, FMM avait sollicité une hausse globale du budget pour ajouter une heure supplémentaire d’émissions le soir. Cependant, l’accord entre le Quai d’Orsay et l’AFD prévoirait seulement le maintien du financement à 15 millions d’euros pour 42 mois supplémentaires, mais avec une nouvelle répartition entre RFI et CFI permettant de porter l’enveloppe de RFI à 12,5 millions d’euros (en hausse de 1 million d’euros) contre 2,5 millions d’euros pour CFI.

● Le financement supplémentaire accordé à RFI ne sera pas suffisant pour ajouter du temps d’antenne mais permettrait :

 d’étendre la zone d’intervention globale du projet à la Guinée, au Bénin, au Togo, et à la Côte d’Ivoire ;

 de renforcer la production web dans les trois langues du projet ;

 de former et d’équiper des correspondants à la vidéo, en particulier à destination des jeunes ;

— d’accroître le budget consacré aux transferts de compétences en faveur des radios partenaires du projet.

● Les échanges de la rapporteure pour avis avec les équipes de la rédaction de Dakar lui ont permis de mesurer leur professionnalisme, leur attachement à la vérification des faits et à un traitement honnête de l’information, ainsi que leur engagement total pour une information pour laquelle ils risquent leur vie.

Elle souhaite en particulier saluer le courage des membres maliens, burkinabés et nigériens des rédactions, qui n’ont parfois pas pu retourner dans leur pays depuis plus de deux ans et qui, pour protéger leurs familles, n’interviennent plus directement à l’antenne et ne signent pas leurs contributions en ligne pour leur propre sécurité.

Elle souligne en outre l’intérêt de la dimension interactive des programmes qui permet aux populations de prendre part aux débats les concernant et facilite une expression publique des femmes en langue africaine, selon une démarche qui n’est rien moins qu’évidente.

Si la rapporteure pour avis se félicite de la perspective de poursuivre le projet pendant près de quatre années supplémentaires, elle rappelle que le choix d’un financement par l’AFD continue de faire peser une hypothèque sur sa pérennité. En effet, ce type de financement est attribué sur une durée déterminée impliquant, à son terme, un renouvellement suite à un appel à candidatures, aux procédures chronophages et coûteuses, et dont l’issue est par nature incertaine.

Cet état de fait conforte la recommandation, déjà mentionnée, d’attribuer à FMM, au titre des projets conduits dans les pays éligibles à l’aide publique au développement, une enveloppe pérenne sur les crédits du programme 209, Solidarité avec les pays en développement.

b.   Accentuer la dimension participative des projets de FMM en Afrique

Comme mentionné par la rapporteure pour avis dans son analyse des dotations de FMM définies par le PLF (voir supra), l’opérateur envisage de déployer dans les prochaines années de nouveaux projets à destination de l’Afrique autour d’un « hub » à Dakar

● En premier lieu, FMM souhaite un décrochage de France 24 réalisé par des journalistes africains et proposant des contenus positifs sur « l’Afrique qui gagne », avec une forte dimension de proximité à destination des francophones de l’ensemble du continent, sur des sujets conçus par et pour des Africains.

Il conviendra que cette nouvelle rédaction de France 24 ne fonctionne pas en silos mais capitalise sur l’expérience des rédactions de RFI en langues africaines, dont la plupart des journalistes sont, au demeurant, francophones.

Les représentants de FMM ont indiqué que l’offre éditoriale pourra s’appuyer sur le réseau des anciens de la Bourse Ghislaine Dupont et Claude Verlon, créée, en hommage aux deux journalistes de RFI assassinés, dans le but de soutenir la liberté d’informer en Afrique subsaharienne.

Cette bourse a permis de fédérer et de former une communauté de 100 journalistes et 100 techniciens issus de toute l’Afrique francophone, qui seront d’ailleurs réunis en novembre prochain à Abidjan pour célébrer la dixième année du dispositif.

● En second lieu, FMM envisage de mettre en place un ENTR panafricain à destination des 15-24 ans, sur le modèle de l’ENTR européen. Il s’agirait d’une offre d’information 100 % numérique et interactive, adaptée aux formats des réseaux sociaux, et qui viserait donc principalement les jeunes urbains ayant accès facilement à internet et particulièrement exposés à la désinformation.

Suivant des formats courts, des journalistes africains y traiteraient d’enjeux civiques, sociétaux, économiques, climatiques et culturels qui suscitent l’intérêt et l’engagement des jeunes Africains. L’offre pourrait être largement francophone mais comporter également des contenus en langues africaines.

La rapporteure pour avis soutient cette initiative qui doit permettre de toucher plus directement les jeunes générations qui construisent l’opinion publique de demain.

Elle regrette donc que les tutelles n’aient apporté, à ce stade, aucune garantie quant à son financement.

Or il s’agirait là d’un levier important pour que RFI acquière progressivement l’image d’une radio africaine, dans sa double dimension de média international et de radio locale.

c.   Approfondir l’appui de CFI aux initiatives africaines de lutte contre les « infox »

● En tant qu’opérateur de coopération dans le domaine des médias dans les pays relevant de l’aide publique au développement, et en tant que filiale de France Médias Monde, CFI a conduit de nombreuses actions pilote en matière d’éducation aux médias et à l’information (EMI), notamment pour lutter contre les manipulations de l’information et les discours de haine.

Le projet Désinfox Afrique a ainsi visé à lutter contre la désinformation dans six pays africains ([24]) en aidant des journalistes généralistes à améliorer leurs compétences en matière de vérification des informations. Quelque 1,5 million d’euros devaient y être consacrés entre octobre 2020 et décembre 2023, à destination de 60 journalistes et 30 directeurs de médias. Cependant, il a été indiqué à la rapporteure pour avis que le bilan est « mitigé » en raison de difficultés à identifier, dans la population large et diverse des journalistes généralistes, les publics cibles et les formations les plus adaptées.

Plutôt que de renouveler cette approche directe, CFI a mis en place un nouveau volet du programme désormais concentré sur l’appui aux médias africains déjà spécialisés dans la lutte contre les infox, sur un champ resserré de 10 médias et 15 journalistes.

CFI va aider ces organisations et professionnels établis dans différents pays d’Afrique à se mettre en réseaux, pour qu’ils puissent mutualiser des ressources et mettre en place des systèmes d’alerte pour répondre, à une échelle régionale, de manière rapide et coordonnée aux fausses informations les plus « virales ».

Cette seconde étape de Desinfox Afrique, à laquelle le MEAE pourrait consacrer 3 millions d’euros entre 2023 et 2026, sera centrée sur le volet francophone d’Africa Check, initiative panafricaine née au Nigéria, au cours de la décennie 2000, en réaction aux obstacles rencontrés dans les efforts pour y éradiquer la poliomyélite lorsque les chefs religieux du Nord du pays ont affirmé que la vaccination rend les jeunes femmes stériles.

De fait, l’initiative Africa Check, dont la rapporteure pour avis a rencontré, à Dakar, le chef du bureau francophone, a trouvé de nombreuses déclinaisons locales, comme Congo Check, Togo Check ou Fasocheck.

Début octobre 2023 s’est d’ailleurs tenue la neuvième session annuelle d’Africa Facts, le sommet des fact-checkers africains, sous l’égide de l’IFCN ([25]), réseau international de vérification des faits.

● Des projets de CFI spécifiques au Tchad (Desinfox Tchad)([26]) et au Cameroun (Talk Paix) ([27]) sont par ailleurs en cours, financés par les postes diplomatiques à partir de FSPI, en s’appuyant sur des acteurs locaux, comme, au Tchad, les Clubs RFI, regroupements d’auditeurs gérés localement et qui répondent à une charte définie par la chaine, et, au Cameroun, la Fondation conseil jeunes.

Enfin, le projet Desinfox jeunesse, vient d’être lancé, pour une durée de 25 mois et un budget de 880 000 euros, afin de former 200 personnes engagées dans l’action citoyenne à l’éducation aux médias à l’information.

Il s’appuie, là encore, sur des relais locaux : les Clubs RFI, en République centrafricaine et République démocratique du Congo, ainsi que deux organisations de la société civile, Eduk-Média au Cameroun et Bénévoles EMI en Côte d’Ivoire.

● La rapporteure pour avis est favorable à ces approches partenariales qui se fondent sur des relais locaux. L’aide de la France ne doit pas être prescriptive quant aux contenus mais doit contribuer à structurer et conforter les initiatives africaines, en outillant les professionnels.

Alors que les jeunes générations sont peu sensibles aux médias traditionnels et reçoivent principalement les informations relayées, en ligne, par des influenceurs, seuls la qualité et le traitement de l’information par des médias indépendants peuvent les reconquérir.

La rapporteure pour avis a confiance dans les effets de ces efforts sur la durée : ils contribuent à cultiver la logique de remise en question et de doute fertile alors que l’attrait principal des fausses nouvelles réside dans le fait qu’elles confortent préjugés et certitudes.

2.   Activer les leviers de coopération audiovisuelle bilatérale et régionale

Outre l’adaptation constante de la stratégie éditoriale et des vecteurs de l’audiovisuel extérieur pour mieux toucher ses publics, le lien de confiance en Afrique peut être renforcé en renouvelant notre coopération audiovisuelle, dans ses différentes dimensions.

a.   Relancer la coopération institutionnelle avec les médias africains

Lors de son déplacement à Dakar, la rapporteure pour avis eut le regret de dresser le constat du délaissement par la France de certaines coopérations anciennes avec des institutions importantes dans les domaines du journalisme et des médias.

● Tel est le cas du Centre d’études des sciences et techniques de l’information (CESTI), école de journalisme d’excellence fondée en 1965 avec l’aide de l’UNESCO et dont les promotions sont issues du Sénégal et de l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest.

Les liens avec la France sont anciens, puisque, à l’instar du Canada, notre pays a, pendant plusieurs décennies, soutenu l’établissement, qui disposait dans ses équipes de coopérants ou de journalistes français. Parmi les 15 professeurs permanents de l’établissement, 14 sont titulaires d’un doctorat français, dont le directeur, qui préside par ailleurs le réseau mondial francophone des écoles de journalisme. De plus le CESTI dispose toujours d’un partenariat avec l’Institut universitaire de technologies (IUT) de Tours.

Cependant, les liens avec l’ambassade de France se sont distendus ces dernières années, le CESTI ayant de plus en plus de difficultés à proposer à ses élèves des stages, formations ou compléments d’études en France.

Un concours de journalistes permettant à deux lauréats une immersion au sein de l’Agence France Presse à Paris, financé par des crédits de l’AFD, n’a pas été renouvelé après son interruption à l’occasion de la crise sanitaire.

Or les partenariats les plus anciens du CESTI avec le Canada ont été maintenus et la place de la France est désormais occupée, de fait, par deux fondations allemandes : la Fondation Konrad Adenauer et la Friedrich Ebert Stiftung qui financent des programmes de formation.

L’ONG Oxfam a par ailleurs contribué à l’acquisition d’équipements et un nouveau studio radio a été entièrement fourni par Voice of America où les élèves enregistrent, chaque semaine, une séquence de 20 minutes en wolof diffusée sur la radio américaine.

Alors que les bâtiments du CESTI ont été en partie incendiés lors des émeutes de juin 2023 survenues sur le campus de l’Université Cheikh Anta Diop, ce qui rend complexe l’organisation des cours à compter de cet automne, la rapporteure pour avis estime qu’il est urgent que la France renoue un partenariat structurant avec cet établissement, a fortiori pour l’aider à passer un cap difficile.

● Lors de leurs entretiens avec la rapporteure pour avis, les équipes de direction de la Radio Télévision Sénégalaise (RTS) ont également fait part d’un sentiment de désengagement du partenaire français alors même que la coopération du groupe des médias publics sénégalais est indispensable pour permettre à RFI et France 24 d’émettre au Sénégal dans de bonnes conditions.

En premier lieu, RTS assure la gestion et l’entretien des huit relais FM de RFI au Sénégal, sur la base d’une convention de diffusion qui prévoit le versement de 160 000 euros de frais annuels, ce qui paraît beaucoup moins coûteux que si FMM devait avoir directement recourir à des prestataires privés.

RTS prête en outre ses propres ondes pour relayer RFI en cas de difficultés techniques et, en dehors de tout cadre conventionnel, RTS a aidé RFI à procéder aux opérations techniques nécessaires à l’installation de sa rédaction de Dakar.

De même, lorsque France 24 mais également France Télévisions ou TV5 Monde ont couvert en direct des grands événements se déroulant à Dakar, la RTS a mis gratuitement à disposition un plateau technique et son signal satellitaire.

Ces conditions très favorables découlent de partenariats anciens et d’une tradition de contreparties implicites de la France en matière de coopération, dont il faut, là encore, constater qu’elles s’amenuisent.

Les équipes de la RTS ont ainsi déploré de ne plus être sollicitées pour bénéficier de programmes de formation ou d’immersion en France, non seulement dans les médias de FMM mais, de façon plus large, au sein du service public audiovisuel. Les échanges professionnels avec la France peuvent en outre buter sur des difficultés pour obtenir un visa.

Les directions de FMM ont fait valoir à la rapporteure pour avis que plusieurs des conventions de diffusion avec les opérateurs ou régulateurs nationaux en Afrique subsaharienne prévoient toujours que la France contribue au renforcement des capacités et à la formation des équipes locales, incluant parfois la mise à disposition de matériel. Tel est le cas par exemple au Bénin, au Togo et en République démocratique du Congo.

Elles ont cependant convenu que tel n’est plus le cas au Sénégal depuis plusieurs années, sans que les raisons aient pu en être déterminées.

La rapporteure pour avis invite donc à remédier à cette situation, afin de rétablir une collaboration, sur un pied d’égalité avec l’ensemble des médias publics africains, pour dissiper le sentiment délétère de délaissement de la France à l’égard des homologues africains de notre audiovisuel public.

● Dans ce contexte, la rapporteure pour avis soutient les initiatives de CFI au titre de sa contribution au projet Afri’Kibaaru (voir supra) pour renforcer les capacités des médias locaux africains, avec notamment des formations au développement de la stratégie éditoriale, à l’interactivité et à l’attractivité des contenus produits pour la radio et en ligne.

Lors de la première phase du projet, 38 médias partenaires dans cinq pays d’Afrique de l’Ouest ([28]) en ont été bénéficiaires, ce qui a permis de former plus d’une centaine de journalistes, dont 30 journalistes femmes, formées sur les objectifs du développement durable et 38 rédacteurs en chef, formés au journalisme d’impact.

De 2024 à 2028, l’enjeu est donc d’assurer le financement des missions de CFI dans le cadre du deuxième volet d’Afri’Kibaaru.

Le projet devrait comprendre des formations, du mentorat et des appuis à la production pour des médias du Bénin, du Cameroun, du Tchad, et du Togo, ainsi qu’un programme pair à pair de partage d’expérience et d’expertise entre les médias de ces pays et avec des médias dans d’autres pays d’Afrique, afin de faciliter la circulation des bonnes pratiques à travers la région et de promouvoir la coopération Sud-Sud.

b.   Conforter la priorité africaine de TV5 Monde et associer des États africains à sa gouvernance 

Si les crispations à l’égard de la France visent principalement les médias d’information de France Médias Monde, l’investissement de TV5 Monde en soutien de la production et de la diffusion des créations audiovisuelles africaines constitue un atout considérable pour améliorer les compréhensions réciproques au sein de l’espace francophone.

● La rapporteure pour avis se félicite que TV5 Monde, malgré les contraintes budgétaires subies depuis plusieurs années, ait poursuivi et approfondi ses partenariats avec le continent africain. Ainsi, les choix opérés par TV5 Monde lui permettent aujourd’hui :

— de soutenir les rédactions de chaines francophones africaines en fournissant gratuitement des magazines d’information à treize chaines publiques et privées, pour 904 heures reprises en 2023, en hausse de 183 heures en un an ;

— de produire des magazines spécifiquement destinés au continent africain, avec Les Maternelles d’Afrique sur la maternité et la petite enfance, Wari sur l’économie, Bonne santé sur la santé et Stars Parade sur la musique ;

— d’investir dans la production africaine originale, pour 3 millions d’euros par an, notamment par des co-productions, avec la Côte d’Ivoire pour Ici c’est Babi ou avec la France, le Sénégal et le Burkina Faso pour la deuxième saison de la série Wara ;

 d’étoffer son offre cinéma par le préachat de films et des partenariats, avec l’Association des trophées francophones du cinéma, les Francofolies de Kinshasa et le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou. TV5 Monde vient en outre de conclure un partenariat avec le fonds pour la jeune création francophone, afin d’acquérir 75 % des créations cinématographiques et audiovisuelles soutenues en Afrique subsaharienne et à Haïti ;

— de s’apprêter à produire sa première série quotidienne en Afrique francophone, en co-production avec Keevu et Mediawan Africa, ce qui contribuera à mettre en place un tissu industriel complet dans le pays d’accueil de la production.

Enfin, un Fonds francophonie TV5MONDEplus soutient les œuvres de cinéastes des États du Sud afin de les diffuser en exclusivité en ligne et proposer ainsi des « inédits », à la façon des grandes plateformes américaines.

Ce fonds a été créé en 2021 à l’initiative du gouvernement du Canada et administré par l’OIF, et doté de 600 000 euros en 2021 puis de 800 000 euros en 2022. En 2023, le fonds a pu aider neuf films et cinq séries provenant de dix pays éligibles.

La France en est désormais le premier soutien financier, avec 300 000 euros en 2023, fléchés depuis sa contribution à l’OIF.

● Pour consolider cette stratégie bienvenue, la rapporteure pour avis considère que la gouvernance du groupe TV5 Monde, actuellement uniquement composée de pays du Nord, devrait mieux refléter la diversité de la francophonie.

Dès 2020, la France, qui exerçait alors la présidence tournante du groupe, a proposé d’ouvrir la gouvernance à des États africains mais cette initiative a buté sur les statuts exigeant une entrée au capital, avec un seuil minimal d’adhésion d’un demi-neuvième, soit actuellement 4,2 millions d’euros par an.

La direction de TV5 Monde a présenté à la rapporteure pour avis une proposition de modalité alternative d’adhésion qui pourrait prendre la forme d’une « tontine ». Sept États africains ([29]) pourraient ainsi adhérer simultanément de manière collective et solidaire afin de représenter l’Afrique subsaharienne au sein du conseil d’administration. Ils se répartiraient ainsi le financement et une présence tournante dans les instances de gouvernance.

La rapporteure pour avis attire l’attention sur la nécessité, dans ce cas, de se prémunir de tout risque de retards ou de défauts de paiement, qui exposeraient inutilement TV5 Monde à des conflits avec ses nouveaux partenaires.

Dans ce but, elle suggère d’ajouter un fonds de garantie avec, par exemple, l’appui de l’OIF.

La direction de TV5 Monde a indiqué que les nouveaux financements pourraient ne pas être destinés aux dépenses générales mais fléchés vers des projets africains, qui seraient dès lors les seuls à être différés en cas de retards de paiements.

La rapporteure pour avis marque son vif intérêt pour cette initiative qui pourrait constituer le principal enjeu du mandat de la Belgique à la présidence du groupe, en 2024 et 2025. Son aboutissement permettrait de réfuter toute assimilation de l’action de TV5 Monde à celle d’une « Francophonie du Nord » imposant ses programmes au Sud.

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   Travaux en commission

Au cours de sa réunion du mercredi 11 octobre 2023, la commission examine le présent avis budgétaire.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Dans cette enveloppe budgétaire, notre commission s’intéresse plus particulièrement aux moyens accordés à France Médias Monde – programme 844 – et à TV5 Monde – programme 847 –, vecteurs audiovisuels essentiels au rayonnement et à l’influence de notre pays. La dotation de France Médias Monde est portée à 299,2 millions, en hausse de 5,1 %. Celle de TV5 Monde s’élève à 83,4 millions, en hausse de 4,4 %.

Notre rapporteure pour avis a choisi de consacrer la partie thématique de ses travaux à l’audiovisuel extérieur français en Afrique de l’Ouest. Elle s’est rendue à Dakar, d’où elle revient avec des enseignements dont elle nous fera part.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure pour avis. Notre audiovisuel extérieur, qui s’appuie sur le groupe France Médias Monde (FMM) – avec France 24 et les radios Radio France internationale (RFI) et Monte Carlo Doualiya (MCD) – et sur la chaîne multilatérale TV5 Monde, est un atout pour le rayonnement de la France et de la francophonie. Nous y consacrons moins de 10 % de tous les financements de l’audiovisuel public. Pour 2024, les dotations s’élèvent à près de 300 millions pour FMM et à 83 millions pour TV5 Monde, en hausses respectives de 5 % et de 3,5 %

Cependant, ces hausses résultent pour moitié de la stricte compensation des effets fiscaux de la suppression de la redevance, qui oblige à appliquer la taxe sur les salaires et met fin à la déductibilité de TVA. Le reste des hausses de crédits est entièrement absorbé par l’inflation mondiale ou le change, qui pénalisent beaucoup plus l’audiovisuel extérieur que les chaînes nationales.

Concernant TV5 Monde, la France doit encore solder un passif de presque 4 millions d’euros d’arriérés de contributions, alors même que sa contribution représente plus de 73 % des dotations publiques de TV5 Monde. Depuis deux ans, si la chaîne a pu boucler ses budgets, c’est uniquement grâce aux cotisations apportées par un nouveau membre : Monaco.

Il faut d’ailleurs saluer les efforts accomplis par FMM et TV5 Monde ces dernières années pour se moderniser, malgré la contrainte financière, à travers des plans d’économies et la recherche de ressources propres permise par leurs très bons résultats d’audience.

Cependant, pour conduire des projets structurants, des financements publics supplémentaires sont indispensables. Sans dotations suffisantes, notre audiovisuel extérieur ne sera pas en mesure de tenir son rang face à une concurrence féroce : celle de ses homologues occidentaux, aux dotations souvent bien plus élevées, et celle des États qui utilisent leur audiovisuel à des fins de guerre informationnelle, visant parfois directement la France.

C’est l’un des enjeux majeurs du prochain contrat d’objectifs et de moyens (COM) 2024-2028 liant France Médias Monde à l’État, qui doit être transmis à notre commission en début d’année prochaine. FMM devra pouvoir engager de nouveaux projets éditoriaux pour mieux toucher certaines zones stratégiques.

Le soutien financier public doit donc être pérenne et lisible. Un tel enjeu appelle deux observations de ma part.

Tout d’abord, le projet de loi de finances comporte cette année une enveloppe distincte, le programme 848 Programme de transformation. Destiné à l’ensemble de l’audiovisuel public, ce programme est doté de 5 millions d’euros potentiellement fléchés vers FMM cette année et la suivante, puis 3 millions en 2025… et rien par la suite. Nous avons peu d’explications sur les conditions d’utilisation de cette enveloppe non pérenne, décroissante et qui serait conditionnée par l’atteinte d’objectifs non définis.

Cette approche n’est pas du tout adaptée aux activités de RFI et France 24, dont les nouveaux projets nécessitent d’abord et avant tout de constituer et d’augmenter le nombre d’équipes de journalistes. Ce n’est pas possible avec des crédits supplémentaires ponctuels. Je proposerai donc un amendement pour inscrire ces 5 millions d’euros supplémentaires directement dans la dotation de base de France Médias Monde plutôt que dans ce programme complémentaire : FMM pourra ainsi, dès janvier prochain, utiliser ces sommes de manière souple pour la programmation de ses projets.

Lors de la suppression de la redevance télé à l’été 2022, l’Assemblée nationale a souhaité garantir l’autonomie financière de l’audiovisuel public par des ressources fiables plutôt que des crédits entièrement à la main de Bercy. La solution que nous avons retenue l’an passé – une affectation de TVA – est transitoire. Il faut donc engager sans tarder une initiative transpartisane pour modifier ces dispositions.

Je rappelle que les modalités de financement de l’audiovisuel extérieur engagent sa crédibilité à l’étranger. Une budgétisation classique ferait courir le risque que certains régulateurs nationaux ou des acteurs du numérique requalifient FMM en « média d’État », au même titre que des médias propagandistes, ce qui serait un comble. Il est essentiel que personne ne puisse mettre en doute le fait que notre audiovisuel extérieur produit une information libre, indépendante, vérifiée et équilibrée.

Cela m’amène à la question de notre audiovisuel extérieur en Afrique de l’Ouest, dont j’ai pu mesurer les enjeux lors de mon déplacement à Dakar, début septembre, pour rencontrer la rédaction de RFI en langues africaines.

Alors que les auditions se déroulaient dans une période de fortes tensions entre la France et le Niger, la question de la relation entre Paris et l’Afrique était au cœur des préoccupations de nos interlocuteurs. Avec une immense déception et des attentes fondées sur une longue histoire commune, beaucoup ont formulé des critiques argumentées et ont dénoncé l’écart entre les principes, les ambitions ou les intentions affichés par la France et les actions qu’elle a entreprises en Afrique.

Reprenant le discours d’une France qui interfèrerait dans le jeu politique local, ils ont aussi critiqué une politique étrangère française donneuse de leçons sur la démocratie mais qui soutiendrait en fait des régimes liberticides. Ces critiques, construites et répétées, sont déclinées tant sur le plan politique que financier puisque le discours antifrançais s’appuie aussi sur le contentieux autour du franc CFA, perçu comme un outil anachronique de domination économique.

Dans ce contexte de tensions, les rédactions de France Médias Monde sont prises pour cible. Nos chaînes sont confrontées à de virulentes remises en question qui peuvent déboucher sur des menaces ou des attaques directes contre les journalistes français ou africains travaillant pour l’audiovisuel extérieur français. J’ai rencontré des journalistes maliens et burkinabés qui risquent leur vie pour donner une information vérifiée et indépendante ; des journalistes menacés, qualifiés de traîtres parce qu’ils travaillent pour RFI ou France 24 et qui s’inquiètent pour leur famille.

Certains, en Afrique, mettent en doute par principe le modèle du média public indépendant car ils pensent qu’une chaîne publique est toujours le porte-parole du pouvoir en place. Nous sommes témoins et victimes, indirectement, de la divergence des sociétés africaines et européennes en matière politique, culturelle et de mœurs, alors même que nous sommes de plus en plus interconnectés médiatiquement. Nos chaînes internationales sont dès lors perçues comme porteuses de valeurs libérales, qui peuvent heurter certaines sociétés plus conservatrices. À cet égard, les déclarations ambigües du président de la République, deux années consécutives, lors de ses discours à l’occasion de la conférence des ambassadrices et ambassadeurs, ont semé la confusion en invitant à faire de notre audiovisuel extérieur un « outil d’influence » ou un « instrument de communication ».

Si la guerre informationnelle contre la France est une réalité en Afrique, la formulation présidentielle est malheureuse, infondée, bien loin de la réalité des rédactions de France Médias Monde, totalement libres et indépendantes. Pire, elles exposent les journalistes à des risques croissants sur le terrain. Alors que certains États utilisent leurs outils médiatiques pour diffuser des messages antifrançais et propager une désinformation destructrice, la totale liberté éditoriale de FMM et son indépendance lui garantissent la confiance du public, son succès et une large diffusion d’informations vérifiées. Il est donc capital de préserver France Médias Monde de toute velléité d’intervention politique et de laisser les journalistes travailler librement et sereinement.

En tant qu’État, la France est pleinement en droit de conduire une politique d’influence. Mais quand notre pays, en tant qu’État, est mis en cause, la mission de riposte relève exclusivement des services d’information du Quai d’Orsay ou des ambassades : les journalistes de l’audiovisuel extérieur ne sont ni des diplomates, ni des communicants.

Plus que jamais, notre audiovisuel extérieur doit cultiver ses atouts pour nourrir un lien de confiance avec ses publics en Afrique. La rédaction de RFI en langues africaines à Dakar, dénommée Afri’Kibaaru, est animée par des équipes exceptionnelles et permet de toucher des publics plus ruraux, moins éduqués, plus féminins. L’initiative permet aussi de renforcer les capacités de centaines de radios partenaires, qui en relaient les programmes et bénéficient de formations et d’équipements.

Le prochain contrat d’objectifs et de moyens devra également doter France Médias Monde de moyens pour lancer de nouveaux programmes de proximité autour de ce « hub » de Dakar : par exemple, un décrochage de France 24 réalisé par des journalistes africains avec des contenus positifs sur « l’Afrique qui gagne » à destination des francophones de l’ensemble du continent ; ou encore, un ENTR panafricain – à l’image du réseau ENTR européen – à destinations des 15-24 ans, c’est-à-dire une offre numérique et interactive adaptée aux réseaux sociaux, ciblant les jeunes urbains qui sont très exposés à la désinformation en ligne.

De manière générale, nous devons nous appuyer sur des liens de coopération avec des acteurs locaux, comme ceux de Canal France International. Nous devons aussi renouer des liens parfois distendus, à travers des échanges professionnels avec des médias publics africains ou avec l’école de journalisme de l’Université de Dakar – le centre d’études des sciences et techniques de l’information (CESTI) –, que la France a soutenue pendant de nombreuses années avant d’être remplacée par des fondations allemandes ou par Voice of America. Alors que les bâtiments du CESTI ont été en partie incendiés lors des émeutes de juin dernier, notre ambassade s’honorerait de renouer un partenariat structurant avec l’établissement, a fortiori pour l’aider à passer ce cap difficile.

Je conclurai en mentionnant le rôle considérable de TV5 Monde, qui appuie la création audiovisuelle en Afrique grâce à sa programmation très suivie, à des investissements dans des films et des séries ou encore au Fonds Francophonie TV5MondePlus, qui alimentera la plateforme numérique de la chaîne.

L’un des principaux chantiers des prochaines années pour TV5 Monde doit être de faire entrer des États africains dans la gouvernance de cette chaîne multilatérale, aujourd’hui composée exclusivement d’États francophones du Nord.

Dans le contexte d’une mise en cause multiforme de notre audiovisuel extérieur en Afrique, il faut bel et bien utiliser tous les leviers pour conforter le lien de confiance avec les publics africains. Le budget qui nous est présenté ne le fait que de façon imparfaite mais il présente des pistes sérieuses, à vérifier sur la durée, ce qui est d’ailleurs le but de mon amendement. Si ce dernier était adopté, je pourrais donner un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission et du compte de concours financier.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Béatrice Piron (RE). Il est impératif d’établir un modèle de financement de l’audiovisuel extérieur français stable et durable. En 2022, la suppression de la contribution à l’audiovisuel public a permis de soulager 29 millions de foyers. Toutefois, cette décision a bousculé les équilibres de financement traditionnels de l’audiovisuel public, en particulier celui de l’audiovisuel extérieur.

France Médias Monde permet à 260 millions de personnes d’accéder à des informations vérifiées chaque jour, en français ou dans l’une des vingt langues qui permettent de diffuser les valeurs de la France : droit des femmes, droit à l’éducation, culture...

Un financement directement issu du budget de l’État entraînerait le risque d’une requalification de FMM en média d’État, au même titre que certains médias propagandistes. Il importe donc de garantir son indépendance : sa crédibilité est engagée, dans un contexte de fortes tensions politiques, où l’information neutre et vérifiée reste primordiale.

RFI, radio historique et symbole de notre audiovisuel extérieur, a subi des coupures de signal dans certains pays et a même été menacée, y compris par nos amis allemands. Il me semble donc indispensable d’assurer la pérennisation d’un système de financement qui permette à notre audiovisuel public extérieur de diffuser une information de qualité.

Votre rapport, Madame la rapporteure pour avis, fait remarquablement état du caractère éphémère du modèle de financement actuel de l’audiovisuel public, fondé sur la TVA, de même que du cas particulier des médias extérieurs, qui risquent d’être requalifiés en médias gouvernementaux. Vous souhaitez qu’une initiative transpartisane soit engagée sans tarder afin de modifier les dispositions de l’article 2 de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001. Pourriez-vous nous en dire plus, de même que sur votre amendement ?

Notre groupe votera pour les crédits alloués à l’audiovisuel extérieur.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure pour avis. Cette initiative transpartisane permettrait à l’audiovisuel extérieur, en particulier à France Médias Monde, de sortir l’ornière. Les états-généraux de l’information devront apporter des réponses et des pistes, puis nous pourrons réfléchir à établir des mécanismes spécifiques adaptés à l’audiovisuel extérieur.

Mme Stéphanie Galzy (RN). Dans le contexte de bouleversements géopolitiques que nous connaissons, nous savons que la présence française à l’étranger passe également par les médias. Le groupe France Médias Monde joue un rôle important, tant pour le maintien de la francophonie que pour notre diplomatie et pour l’accès à une information de qualité.

La mission de ces médias consistant à diffuser une information indépendante, la présence de France 24, TV5 Monde, RFI et MCD constitue pour notre groupe un enjeu essentiel. Nous regrettons donc que le nombre de téléspectateurs soit passé de 24 à 21 millions en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, et que RFI connaisse une importante chute en Afrique non francophone.

La trajectoire budgétaire et les objectifs du groupe FMM doivent être lisibles, afin de le soutenir dans sa tâche. L’augmentation de 14 millions d’euros de sa dotation, soit 5,1 %, est fortement tempérée par la fin du droit à la déductibilité de la TVA ou d’autres charges fiscales, qui devraient continuer à augmenter dans les années à venir. Nous plaidons en faveur d’une planification plus lisible, afin de faciliter le travail des équipes, avec des objectifs à cinq ans au minimum.

Nous alertons sur le partenariat de FMM avec infomigrants.net, projet collaboratif piloté par le groupe comprenant la chaîne allemande d’information internationale Deutsche Welle et l’agence de presse italienne Ansa. Ce site web financé par des fonds publics est destiné aux migrants qui veulent quitter leur pays ou qui sont déjà en route pour l’Europe. Selon RFI, le budget global d’infomigrants s’élève à 2,4 millions d’euros, dont 1,2 million provient de l’Union européenne. Nous souhaitons que l’emploi des fonds des Français serve une information pour tous et non la promotion de l’immigration dans notre pays.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure pour avis. La progression des audiences de France Médias Monde, avec 260 millions de contacts hebdomadaires contre 207 millions en 2019, est historique. Pour autant, ce que vous relevez sur le plan régional est réel et la direction de FMM en est consciente : d’où le projet de « hub » à Beyrouth, particulièrement dans le contexte actuel. Selon la direction de Monte Carlo Doualiya, RMC est particulièrement écoutée. Par ailleurs, certains États n’autorisent pas l’installation de correspondants de France Médias Monde, certainement en raison de l’indépendance de sa ligne.

M. Sébastien Delogu (LFI-NUPES). Ce PLF prévoit pour France Médias Monde et TV5 Monde des hausses budgétaires de 14 et 3,5 millions d’euros. Ces sommes s’expliquent principalement par la compensation des conséquences de la suppression de la contribution à l’audiovisuel public et par l’inflation. Il ne s’agit donc pas de véritables augmentations, pourtant souhaitables.

Par ailleurs, France Médias Monde a dû réaliser des économies importantes sous le quinquennat précédent. Pourtant, l’audiovisuel extérieur est confronté à des défis importants et doit avoir des moyens à la hauteur des enjeux. Il doit se développer en Afrique, au Moyen-Orient et en Europe orientale, afin de relayer la diplomatie française, notamment dans le domaine culturel.

Les tentatives de désinformation et de manipulation de l’information sont de plus en plus importantes et alimentent un ressentiment à l’égard de la France.

Dans le contexte international que nous connaissons, notamment celui du continent africain, la garantie de l’indépendance des chaînes audiovisuelles extérieures de FMM et de TV5 Monde est encore plus importante. C’est aussi vrai s’agissant de la pertinence des informations diffusées que de la sécurité de nos journalistes.

Compte tenu des enjeux et des risques qui pèsent notamment sur la crédibilité de l’audiovisuel extérieur depuis la suppression de la redevance, les moyens ne sont pas à la hauteur des enjeux. Notre groupe votera donc contre l’adoption de ces crédits.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure pour avis. Je partage votre scepticisme mais je ne suis pas sûre que le rejet de ces crédits fera avancer les choses. Les rédactions de France Médias Monde sont motivées, professionnelles et prennent des risques importants. Nous devons leur envoyer un message de soutien, et pas seulement financier.

Les rédactions de RFI, France 24 et RMC ont connu des bouleversements. Elles sont en train de se reconstruire, et les directions font des efforts pour répondre aux attentes légitimes des syndicats. La sécurisation des équipes est essentielle. J’espère que votre groupe y sera attentif.

Mme Sophie Mette (Dem). Alors que les valeurs de la démocratie et de l’État de droit sont attaquées de toute part, l’audiovisuel extérieur français est un outil puissant de rayonnement, dont les audiences sont significatives. Ce succès s’explique par la qualité du travail effectué. Les chaînes de l’audiovisuel français ont vocation à diffuser une information indépendante, vérifiée et équilibrée.

De plus en plus, elles doivent faire face à une concurrence déloyale de la part d’acteurs médiatiques d’États concurrents, voire adversaires. Si les chaînes de l’action audiovisuelle extérieure, à l’instar de celles d’autres pays, véhiculent notre vision du monde, de la politique et de la presse avec objectivité et dans le cadre d’une véritable liberté éditoriale, d’autres États considèrent de telles chaînes comme des vecteurs d’influence, comme en attestent la multiplication des infox et les risques accrus pesant sur la sécurité des journalistes. Nous ne pouvons pas rester les bras croisés.

Nous saluons les hausses de 14 et 3,5 millions annoncées pour France Médias Monde et TV5 Monde. Elles résultent toutefois pour partie de la stricte compensation des conséquences de la suppression de l’ancienne redevance télé et de l’inflation. Pour que l’audiovisuel extérieur reste un acteur crédible, il est primordial que ce financement soit consolidé et pérennisé. Telle est la condition de son autonomie, de son indépendance et de sa crédibilité. Plus encore, l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Europe orientale méritent que nous développions davantage de projets, afin de rendre coup pour coup aux adversaires de la démocratie et de l’État de droit.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure pour avis. Je ne sais pas si les rédactions ont vocation à rendre « coup pour coup » dans la guerre informationnelle : il est important d’établir un distinguo. En revanche, je pense comme vous qu’il faut sanctuariser le financement de l’audiovisuel extérieur français de manière à rendre les choses lisibles pour nos partenaires à l’étranger, qui peinent parfois à comprendre nos subtilités budgétaires. Il s’agit d’éviter que nos chaînes soient retirées de certains bouquets. Il est de notre responsabilité de faire jouer une forme d’exception budgétaire pour protéger les financements et, surtout, éviter leur variation. En effet, l’incertitude budgétaire hypothèque le lancement de programmes dans la durée et fragilise les équipes.

M. Alain David (SOC). Avant même la suppression de la taxe sur l’audiovisuel, nous avions commencé à perdre beaucoup de visibilité budgétaire. Chaque année, les équipes de France Médias Monde et de TV5 Monde sont laissées dans l’incertitude quant au sort qui les attend. Le personnel s’inquiète des évolutions à venir et s’en trouve déstabilisé. On perd de la matière grise. Beaucoup de journalistes se demandent s’ils doivent rester au sein d’un organisme qui ne leur assure pas une visibilité suffisante et les expose de surcroît à des dangers dans l’exercice de leur profession à l’étranger.

Les crédits de BBC World et de la Deutsche Welle sont d’ailleurs nettement supérieurs aux nôtres. Le Royaume-Uni et l’Allemagne accordent beaucoup plus d’attention à leur audiovisuel extérieur. Quant aux médias de propagande russes, chinois ou turcs, ils sont souvent source de désinformation à propos de la France.

Nos médias doivent conserver leur indépendance et leur crédibilité. Il faut veiller à ce qu’ils ne basculent pas vers un modèle d’influence, et en particulier des financements d’État, ce qui pourrait leur nuire. Nous avions évoqué, auprès de la ministre, le modèle de financement de l’audiovisuel suédois, qui est à la fois original et indépendant. Pour l’instant, cela revient à avoir prêché dans le désert : aucune décision n’a été prise en ce sens.

Je reste néanmoins relativement optimiste car les représentants de la majorité me paraissent très soucieux de l’amélioration de la visibilité et des finances de notre audiovisuel extérieur. J’espère que nous pourrons proposer au Gouvernement une solution, que nous aurons définie collectivement, pour pérenniser notre audiovisuel extérieur. Il faut lui donner enfin ses lettres de noblesse pour nous permettre de rayonner à l’étranger. C’est particulièrement nécessaire en Afrique, où notre image est fortement dévalorisée.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure pour avis. Le grand chambardement consécutif à la disparition de la redevance a eu des effets particuliers sur France Médias Monde. J’espère, comme vous, que nous en prenons tous conscience et que nous aurons à cœur d’agir au-delà des clivages partisans pour protéger notre audiovisuel extérieur. Lors des auditions, les directions de FMM et de TV5 Monde ont regretté que, du fait de la procédure budgétaire, il faille attendre décembre pour y voir clair sur leurs financements, alors que leur budget court à partir du 1er janvier. Cela rend leur fonctionnement très difficile.

J’ai le sentiment que l’audiovisuel extérieur a tout simplement été oublié lors de la suppression de la redevance. C’est un sujet pressant. Les états-généraux de l’information dessineront certainement des pistes utiles, que nous pourrons inscrire dans les textes financiers à venir.

M. Jean-François Portarrieu (HOR). Je retiens de ce budget la hausse de 14 millions d’euros des crédits de France Médias Monde, ainsi que celle, un peu moindre, du budget de TV5 Monde. Je voudrais saluer la qualité professionnelle de FMM, qui vient d’obtenir la certification Journalism Trust Initiative (JTI). Il s’agit d’un label international, lancé par Reporters sans frontières, dédié à une information libre et indépendante.

Dans un contexte international de crise marqué par l’aggravation des manipulations et des fausses informations, l’obtention de cette certification renforce le statut et le rôle majeur de France Médias Monde pour apporter une information « vérifiée et équilibrée », pour reprendre vos termes, Madame la rapporteure.

Le groupe Horizons votera en faveur de cette augmentation des crédits.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous nous associons évidemment aux compliments que vous venez d’adresser à France Médias Monde pour sa distinction à travers cette certification JTI.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure pour avis. Je sais que les rédactions de France Médias Monde sont fières d’avoir été honorées par ce prix, qui salue un travail et un engagement considérables. Les journalistes africains que j’ai rencontrés à Dakar sont menacés, ainsi que leurs familles. Ils sont très suivis : leurs prises de parole, leurs reportages sont attendus par les populations. Notre mission est aussi de leur assurer la protection nécessaire pour qu’ils puissent continuer à exercer leur métier. L’état d’esprit qui semble régner dans cette commission me semble important pour leur envoyer ce signal. Certains journalistes risquent leur vie, littéralement, dans un contexte de guerre informationnelle. Choyer leurs équipes et leur témoigner notre confiance est un message politique essentiel. Et avoir confiance en ces journalistes, c’est les laisser libres.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. L’accès à une information libre et honnête tient, dans beaucoup de pays, à un fil de soie. Nous devons apporter à ces médias, qui exercent un travail difficile et souvent incompris, un soutien constant et dégagé de toute volonté d’influence.

M. Aurélien Taché (Écolo-NUPES). Votre rapport, Madame Youssouffa, met en lumière l’importance cruciale de France Médias Monde pour notre lutte collective contre la désinformation et la promotion de la pluralité des opinions. Je partage évidemment vos inquiétudes quant aux conséquences de la suppression de la contribution à l’audiovisuel public. Certes, une fraction de TVA est affectée à FMM mais ce financement cessera fin 2024. Les coûts additionnels engendrés par l’inflation mondiale affectent de manière directe et continue les activités du secteur de l’audiovisuel international. L’approche éclatée du financement de FMM pourrait se traduire, en outre, par une requalification de ce groupe en média d’État, ce qui renforcerait encore le discours de nos détracteurs.

Le financement de la presse est une question essentielle. Par quels mécanismes pourrons-nous, demain, garantir l’indépendance du service public ? Que se passerait-il si des personnes qui ne cessent de remettre en cause l’indépendance du service public audiovisuel arrivaient au pouvoir ? Je ne suis pas le seul à me poser ces questions : on s’interroge souvent, en Allemagne, sur l’indépendance des médias publics français.

Les propos assez maladroits du président de la République, qui affirmait, en septembre 2022, que, face au narratif russe, chinois ou turc, il fallait « mieux utiliser le réseau France Médias Monde », peuvent être l’un des facteurs qui expliquent que les journalistes de ce réseau ne peuvent plus exercer dans un certain nombre de pays d’Afrique de l’Ouest. Il y a vraiment là une incompréhension sur ce qu’est une rédaction libre. Je partage l’idée qu’on doit s’opposer à ces narratifs mais des messages de ce type, de la part du pouvoir politique, sont contreproductifs.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure pour avis. Je crois en effet que les propos du président de la République ont créé de la confusion et ont eu des conséquences malheureuses sur le terrain. La représentation nationale a toute sa place dans la réflexion en cours. Elle doit, à mon sens, montrer aux journalistes qu’elle se tient à leurs côtés en les laissant faire leur métier. Les rédactions ne sont pas univoques : elles sont traversées par des débats, ce qui est sain. La liberté de la presse et le respect du pluralisme des opinions, principes hérités des Lumières, sont d’autant plus précieux qu’ils sont actuellement mis à mal. Nous pouvons adopter sur cette question une position transpartisane échappant aux enjeux politiciens.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous en venons aux questions individuelles des membres de la commission.

Mme Amélia Lakrafi (RE). L’action de notre audiovisuel extérieur est essentielle, non seulement pour nos expatriés mais aussi pour l’influence culturelle et linguistique de la France à l’international. Compte tenu de son coût, pensez-vous que le projet de hub arabophone de France Médias Monde à Beyrouth soit réaliste ? Où en est-il ?

Vous évoquez la possible entrée de pays africains au conseil d’administration de TV5 Monde, bien que certains États, sur le continent africain, se montrent hostiles à nos médias. Quel est l’état d’avancement de ce projet ? Quels pays semblent les plus enclins à y participer ?

Enfin, je voudrais rappeler que l’Afrique est constituée de cinquante-quatre pays : si cinq ou six d’entre eux sont hostiles à la France, il ne faut pas généraliser ce sentiment. Par ailleurs, il faut se garder de tomber dans l’autocensure et l’autoflagellation. Le président de la République a eu raison de tenir ses propos : on a le droit de demander à nos médias de corriger les fausses informations sans que ce soit de la propagande.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure pour avis. Je pense que nous aurons les réponses à vos questions sur le hub de Beyrouth lors de l’examen du contrat d’objectifs et de moyens, qui aura lieu prochainement. Selon Marie-Christine Saragosse, ce projet est faisable. L’actualité lui donne raison. La liberté de ton de France Médias Monde sur des questions très polémiques au Moyen-Orient et en Afrique, comme les droits des LGBTQI, la liberté de mœurs, la laïcité, la séparation des Églises et de l’État ou encore la gestation pour autrui, est recherchée et attendue.

Vous avez raison, on parle parfois du continent africain comme s’il formait une entité monolithique, alors qu’il regroupe cinquante-quatre pays qui ont chacun leur vision des choses, sans parler des ethnies et des régions. Loin de moi l’idée de faire un amalgame. Mais la meilleure réponse que peuvent apporter les rédactions de FMM dans un contexte de guerre informationnelle est de travailler dans une liberté totale. Nous ne pouvons pas projeter nos attentes sur elles. C’est aux services diplomatiques qu’il revient d’apporter la réponse diplomatique qui est absolument nécessaire.

M. Frédéric Petit (Dem). En tant que rapporteur pour avis sur le programme 185 Diplomatie culturelle et d’influence, j’auditionne également les organismes de l’audiovisuel extérieur. Je voudrais signaler que, si RFI a perdu de l’audience dans certains pays d’Afrique, elle l’a immédiatement récupérée grâce à son hub numérique. Il existe également un hub rédactionnel à Bucarest pour les journalistes ukrainiens. Le hub qui doit être créé à Beyrouth s’inscrit dans le cadre de cette stratégie très pertinente et peu coûteuse au regard de la capacité d’influence qu’elle offre.

Je veux vous alerter sur le fait que la disparition de la redevance ne se sent pas seulement dans des pays « compliqués » : en Allemagne par exemple, RFI Berlin est en proie à des difficultés. Il faut absolument que nous réglions cela sous cette législature. Nous ne devons pas nous faire imposer la solution du rapprochement avec France Télévisions car l’audiovisuel extérieur risque d’être oublié. Il faut garder à l’esprit que le mécanisme que nous trouverons constituera la meilleure garantie démocratique pour notre pays.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure pour avis. J’espère que nous aboutirons à un consensus fertile. Par ailleurs, France Médias Monde a développé des stratégies de contournement des mesures de censure étatiques : le recours aux ondes courtes pour RFI ; la réception satellitaire directe pour France 24 et RFI ; et, de manière générale, l’utilisation de toutes les plateformes des réseaux sociaux, comme YouTube, Facebook, X, Instagram ou TikTok. La censure a ses limites et cette stratégie dynamique fonctionne, comme le montre l’augmentation des appels des auditeurs et téléspectateurs, mais nous devons rester vigilants.

Mme Nadège Abomangoli (LFI-NUPES). Que nous manque-t-il pour contrer la propagande massive réalisée par certains pays, qui, eux, savent s’en prémunir ?

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure pour avis. Des médias tels que France Médias Monde sont en mesure de décrypter la fausse information, de déconstruire un discours. Les médias de propagande utilisent la logique de l’algorithme pour renforcer les certitudes, les angoisses d’un public déjà vulnérable. Ils recourent parfois à des outils très grossiers mais qui fonctionnent. L’utilisation des algorithmes permet de mieux diriger un discours. Bon nombre des personnes que nous avons auditionnées ont souligné le péril que représente l’intelligence artificielle, dans la mesure où elle démultiplie les effets du message.

Face à cela, il existe un effet de découragement. Nous devons donc tout faire pour que les rédactions utilisent leur propre intelligence, leur liberté de pensée, pour être reconnues comme des sources d’information concurrentes : d’où l’importance de faire le distinguo avec la réponse officielle que doit apporter le Quai d’Orsay. C’est la crédibilité des journalistes auprès du public qui leur permet de semer le doute lorsqu’un discours de propagande se déverse par de multiples canaux.

À ce propos, il faut encourager FMM à se déployer vers d’autres réseaux que la télévision : publier des contenus disponibles sur les téléphones mobiles par exemple, c’est garantir la diffusion la plus large possible, y compris auprès d’un public plus jeune.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. C’est vrai, l’élucidation trouble et inquiète. Ce sont les poncifs qui rassurent.

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Article 35 et état B : Crédits du budget général

La commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Médias, livre et industries culturelles relatifs à l’action audiovisuelle extérieure non modifiés.

Article 37 et état D : Crédits des comptes d’affectation spéciale et des comptes de concours financiers

Amendement II-AE43 de Mme Estelle Youssouffa

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure pour avis. Cet amendement vise à abonder la dotation de base de France Médias Monde d’une somme de 5 millions d’euros, qui lui est déjà destinée mais que le PLF a inscrite sur le programme budgétaire distinct qui a déjà été évoqué. Il s’agit à la fois de simplifier les choses et de témoigner notre confiance aux équipes de FMM, qui pourront intégrer ces crédits de manière souple dans la programmation des projets. Nous pourrons nous prononcer sur ceux-ci lors de l’examen pour avis du prochain contrat d’objectifs et de moyens 2024-2028.

M. Frédéric Petit (Dem). Techniquement, ces crédits permettent à France Médias Monde de conduire des projets avec d’autres services, ce qu’elle ne peut pas faire avec sa dotation de base : par exemple, créer un hub en lien avec un autre ministère que celui de la culture. On risque de se tirer une balle dans le pied. Pour cette raison, je m’abstiendrai.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure pour avis. Lors des auditions, la direction de France Médias Monde nous a indiqué que ces fonds n’étaient pas destinés à être couplés à d’autres crédits. Le groupe peine à les utiliser et s’interroge à leur sujet. C’est à la suite de l’audition que j’ai rédigé cet amendement.

M. Frédéric Petit (Dem). Je maintiens mon abstention. J’ajoute, à l’attention, de Madame Abomangoli, que France Médias Monde est la première rédaction mondiale à construire une charte éthique de l’intelligence artificielle.

La commission adopte l’amendement.

Puis, la commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits du compte de concours financiers Avances à l’audiovisuel public modifiés.

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   Annexe : Liste des personnes auditionnées ou rencontrées par la rapporteure pour avis

 

À Paris

Ministère de l’Europe et des affaires étrangères

— M. Matthieu Peyraud, directeur de la diplomatie d’influence au sein de la direction générale de la mondialisation ;

Ministère de la culture

— Mme Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles ;

— M. Ludovic Berthelot, chef du service des médias ;

TV5 Monde

— M. Yves Bigot, directeur général ;

— M. Thomas Derobe, secrétaire général de TV5Monde ;

France Médias Monde

— Mme Marie-Christine Saragosse, présidente-directrice générale ;

— M. Roland Husson, directeur général en charge du pôle ressources ;

—M.  Thomas Legrand Eddeb directeur de la communication et des relations institutionnelles ;

— M. Corentin Masclet, responsable relations institutionnelles et communication transverse ;

Radio France international (RFI)

— M. Jean-Marc Four, directeur ;

France 24.  

— Mme Vanessa Burgraff, directrice ;

Monte Carlo Doualiya (MCD)

— Mme Souad El Tayeb, directrice ;

 

Représentants du personnel de France Médias Monde

— FO : Mmes Dalila Gomri et Maria Afonso et M. Christophe Loisel ;

— CFTC : M. Soufiane Errami ;

— CFDT : Raphaël Reynes ;

 CGT : Mmes Sabine Mellet, Soraya Morvan Smith et Julie Chouteau.

 

Au Sénégal (du 6 au 9 septembre 2023)

● Ambassade de France

— Mme Christine Fages, ambassadrice de France au Sénégal ;

— M. Florian Blazy, ministre conseiller ;

— M. Laurent Viguié, conseiller de coopération et d’action culturelle (COCAC) ;

— M. Samuel Gourgon, COCAC adjoint ;

— M. Laurent Montillet, attaché culturel et directeur délégué de l’Institut français du Sénégal à Dakar ;

— Mme Séraphine Angoula, attachée audiovisuelle régionale ;

— Mme Djanamé Daubelcour, conseillère presse et communication ;

— M. Ambroise Pierre, attaché gouvernance ;

— Mme Astrid Babin, chargée de mission société civile ;

— Mme Anna Kalifa, chargée de mission numérique ;

— M. Benoît Herzbrun, conseiller régional climat, environnement et développement durable ;

● M. Mihoub Mezouaghi, directeur de l’Agence français de développement (AFD) au Sénégal ;

● M. Karim Ben Cheikh, député de la 9e circonscription des Français établis hors de France ;

● Correspondants de l’audiovisuel extérieur de la France

— Mme Léa-Lisa Westerhoff, correspondante de RFI ;

— M. Clément Bonnerot, correspondant de TV5 Monde ;

● Visite de la rédaction de RFI en langues africaines

— M. Jean-Pierre Monzat, directeur ;

— M. Sory Ibrahim, rédacteur en chef de la rédaction en Mandenkan ;

— M. Timbi Bah, rédacteur en chef de la rédaction en Fulfulde ;

● Reporter sans frontière (RSF)

— M. Sadibou Marong, journaliste, responsable du Bureau Afrique subsaharienne ;

● Africa Check

— M. Valdez Onanina, journaliste, rédacteur en chef ;

● Centre de réflexion Wathi

— M. Gilles Olakounlé Yabi, fondateur et directeur exécutif ;

● Timbuktu Institute.

— M. Bakary Sambe, directeur régional, enseignant-chercheur au Centre d’étude des religions de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis ;

— Mme Yague Samb, directrice du bureau de Dakar ;

 Radio Télévision Sénégalaise (RTS).

— M. Racine Talla, directeur général ;

— M. Daha Bâ, directeur de la télévision ;

— M. Michel Diouf, directeur de la radio ;

— M. Malick Ba, directeur juridique ;

— Mme Aminata Potin, responsable commerciale et marketing ;

— M. Mamadou Diagne, chef du département en charge des supports digitaux ;

 Visite du Centre d’Études des Sciences et Techniques de l’Information (CESTI) de l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD)

— M. le Professeur Mamadou Ndiaye, directeur ;

● Visite de l’école de cinéma Kourtrajmé, Dakar

— M. Toumani Sangaré, directeur ;

— Mme Emma Sangaré, co-directrice.

 

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*     *


([1]) Outre France Médias Monde et TV5 Monde, il s’agit de France Télévisions, Radio France, l’Institut national de l’audiovisuel public et la chaine franco-allemande Arte.

([2]) IV de l’article 44 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

([3])  Article 6 de la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022.

([4]) Définie par les articles 231 à 231 bis V du code général des impôts (CGI), la taxe sur les salaires résulte de l’application d’un barème progressif aux rémunérations annuelles, échelonné entre 4,25 % et 13,6 %.

([5]) Il en est ainsi par exemple des dépenses de fonctionnement des postes diplomatiques et consulaires ou des rémunérations des personnels recrutés localement.

([6])  Fin 2020, 21 départs ont été réalisés dans le cadre du plan de départs volontaires, pour un coût total de 3,8 millions d’euros et une économie récurrente en année pleine de 1,7 million d’euros. Pour atteindre l’objectif de 30 départs et de 3 millions d’euros d’économies en année pleine, FMM a été conduite à définir, fin 2021, une dizaine de départs complémentaires pour un coût total de 3,2 millions d’euros et une économie récurrente en année pleine de 1,5 million d’euros.

([7]) Article 3 de la loi n°2021-1836 du 28 décembre 2021 relative à la modernisation des finances publiques qui a modifié l’article 2 de la loi organique n°2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF).

([8])  Assemblée nationale, 7 juin 2023, Rapport d’information n°1327 de la mission d’information sur l’avenir de l’audiovisuel public présenté par MM. Jean-Jacques Gaultier et Quentin Bataillon, 173 p. (lien)

([9]) Assemblée nationale, 3 février 2021, rapport d’information n° 3832 valant avis sur le projet de contrat d’objectifs et de moyens de France Médias Monde pour la période 2020-2022, présenté par Alain David (lien).

([10]) France Médias Monde, France Télévisions, Radio France, l’Institut national de l’audiovisuel public et la chaine franco-allemande Arte.

([11]) Marie-Christine Saragosse. FMM 2023-2028. Cultiver la confiance dans un monde défiance. 39p. (lien).

([12])  FMM va notamment prendre en charge de 60 % de la cotisation à la Caisse des français à l’étranger pour les correspondants dont les revenus versés par FMM dépassent 10 000 euros en an.

([13]) Il s’agit de la chaine jeunesse TiVi5 Monde et de la chaine art de vivre TV5 Monde Style HD.

([14]) Si TV5 Monde n’a pas fait l’objet d’une interdiction directe de diffusion de la part des autorités russes, les sociétés locales assurant sa diffusion non satellitaire avaient exigé que tout programme d’information soit occulté, suite à l’entrée en vigueur des dispositions pénales punissant de 5 à 15 ans de prison la diffusion de « fausses informations » concernant les forces militaires de la Fédération de Russie. 

([15])  Le coût de location des cars vidéos en Belgique a augmenté de 45 % depuis le mois de mai 2023 sous l’effet de la hausse des prix de l’énergie.

([16]) Free advertising-supported streaming television.

([17]) Compte tenu des coûts important de mesure des audiences télé, TV Monde ne les mesure que dans vingt-cinq pays.

([18])  Allemand, anglais, arabe, chinois traditionnel et simplifié, coréen, espagnol, japonais, néerlandais, roumain, russe, vietnamien et français.

([19])  https://www.culture.gouv.fr/Media/Presse/Fichiers/Pacte-pour-la-visibilite-des-Outre-mer

([20])  L’étude est réalisée après d’un échantillon représentatif de la population de neuf villes d’Afrique francophone : Abidjan (Côte d’Ivoire), Bamako (Mali), Brazzaville (Congo-Brazzaville), Dakar (Sénégal), Douala et Yaoundé (Cameroun), Kinshasa (RDC), Libreville (Gabon) et Ouagadougou (Burkina Faso).

([21])  Ouvert à tous les autres médias publics et privés, ce stage figure au catalogue des formations de l’Institut National de l’audiovisuel (INA).

([22]) L’offre en haoussa avait par ailleurs été renforcée en 2021 par le lancement d’un magazine humanitaire Da Rabon Ganawa (Retrouvons-nous), à destination des familles séparées du fait des violences qui touchent la région du lac Tchad et en particulier le Nord-Est du Nigéria.

([23])  Il s’agit de villes secondaires du Sénégal, du Mali, du Burkina Faso et du Niger couvrant un périmètre de 1,6 million d’individus locuteurs de l’une ou l’autre des trois langues. Un échantillon total de 5 257 personnes a été interrogé au domicile par des enquêteurs bilingues (français/langues locales).

([24])  Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, Sénégal et République centrafricaine.

([25])  International Fact-Checking Network de l’institut Pointer, dont le siège est à St-Petersburg en Floride.

([26]) Une enveloppe de 1 million d’euros est prévue entre juin 2022 et mars 2024 pour former 150 professionnels.

([27])  805 000 euros sont programmés entre mai 2022 et avril 2024 à destination de 10 médias.

([28]) Il s’est agi du Burkina Faso, du Mali, de la Mauritanie, du Niger, du Sénégal et du Tchad.

([29])  Outre la Côte d’Ivoire, qui négocie activement avec TV5 Monde, il s’agirait du Bénin, du Cameroun, de la République démocratique du Congo, du Congo-Brazzaville, du Gabon et du Sénégal.