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N° 1778

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 octobre 2023

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LE PROJET DE LOI (n° 1680)
de finances pour 2024

 

 

 

TOME II

 

IMMIGRATION, ASILE ET INTÉGRATION

PAR Mme Blandine BROCARD

Députée

——

 

 Voir le numéro : 1745 – III – 28

 


 

En application de l’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), les réponses au questionnaire budgétaire devaient parvenir au rapporteur pour avis au plus tard le 10 octobre 2023 pour le présent projet de loi de finances. À cette date, 25 % des réponses au questionnaire thématique étaient parvenues à votre rapporteur.

 

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION.................................................... 5

I. L’Évolution des crÉdits consacrÉs À l’immigration et À l’intÉgration

A. Le programme 303 « immigration et asile »

1. L’action n° 1 « Circulation des étrangers et politique des visas »

2. L’action n° 2 « Garantie de l’exercice du droit d’asile »

a. Les crédits de l’allocation pour demandeurs d’asile (ADA)

b. L’accueil et l’hébergement des demandeurs d’asile

c. L’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA)

3. L’action n° 3 « Lutte contre l’immigration irrégulière »

4. L’action n° 4 « Soutien »

B. lE PROGRAMME 104 « IntÉgration et accÈs À LA NATIONALITÉ FRANçAISE »

1. L’action n° 11 « Accueil des étrangers primo-arrivants »

2. L’action n° 12 « Intégration des étrangers primo-arrivants »

3. L’action n° 14 « Accès à la nationalité française »

4. L’action n° 15 « Accompagnement des réfugiés »

5. L’action n° 16 « Accompagnement des foyers de travailleurs migrants »

II. les obligations de quitter le territoire français (OQTF)

A. une sous-exÉcution chronique des Obligations de quitter le territoire français (OQTF) qui porte atteinte À la crÉdibilitÉ de notre politique d’Éloignement

1. Une augmentation continue du nombre d’OQTF prononcées

a. Le régime juridique des OQTF

b. Un nombre d’OQTF prononcées en augmentation

2. Une faiblesse persistante du taux d’exécution des OQTF qui tient à des facteurs divers

a. L’évolution du « taux d’exécution » des OQTF

b. Les différentes causes de la sous-exécution des OQTF

3. Perspectives

a. Améliorer l’obtention des LPC

b. Faire un meilleur usage des outils juridiques existants

B. un rÉgime juridique qui doit Évoluer pour rÉpondre plus efficacement À l’enjeu de la protection de l’ordre public

1. Les OQTF et l’enjeu de protection de l’ordre public

a. L’OQTF fondée sur le motif de menace à l’ordre public

b. L’OQTF fondée sur un autre motif que l’ordre public, mais ayant un lien indirect avec celui-ci

2. Une priorisation judicieuse du placement des étrangers représentant une menace à l’ordre public en CRA

3. Perspectives

a. L’assouplissement du régime de protection existant en matière d’OQTF

b. La poursuite indispensable du développement capacitaire des CRA

c. Le renforcement du recours à l’assignation à résidence

Examen en commission

Personnes entendues

prÉsentation des sigles

 


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Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi de finances pour 2024 poursuit, pour la septième année consécutive, l’effort engagé depuis 2017 en augmentant les crédits consacrés à la mission « Immigration, asile et intégration ».

Celle-ci porte les crédits (hors dépenses de personnel) de la direction générale des étrangers en France (DGEF) et se structure autour de trois grands axes : la gestion des flux migratoires, l’accueil et l’examen de la situation des demandeurs d’asile et l’intégration des personnes immigrées en situation régulière. Deux opérateurs participent à la mise en œuvre de ces politiques : l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) et l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).

La mission se structure en deux programmes : le programme 303 « Immigration et asile », qui regroupe 80 % des crédits, et le programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française », qui représente 20 % des crédits.

Les crédits de paiement (CP) de cette mission s’élèvent désormais à 2,16 milliards d’euros, soit une augmentation de 7,3 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2023. Ces crédits permettront notamment de poursuivre l’effort en faveur du développement capacitaire des centres de rétention administrative (CRA), avec l’objectif de porter le nombre de places de CRA à 3 000 d’ici 2027, de renforcer les moyens humains de l’OFPRA (+17 ETP) et de doter d’une enveloppe supplémentaire le programme d’accompagnement global et individualisé des réfugiés (AGIR), consacré à l’insertion des réfugiés dans la société.

Après avoir présenté les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », votre rapporteur a fait le choix de s’intéresser cette année au régime juridique des obligations de quitter le territoire français (OQTF).


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I.   L’Évolution des crÉdits consacrÉs À l’immigration et À l’intÉgration

Les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » inscrits dans le projet de loi de finances pour 2024 s’élèvent à 1,76 milliard d’euros en autorisations d’engagement (AE) et 2,16 milliards d’euros en crédits de paiement (CP), soit une diminution de 34 % en AE et une augmentation de 7,3 % en CP par rapport à la loi de finances initiale pour 2023.

La mission comporte deux programmes : le programme « Immigration et asile » (n° 303) et le programme « Intégration et accès à la nationalité française » (n° 104).

A.   Le programme 303 « immigration et asile »

Le programme n° 303 « Immigration et asile » comprend l’essentiel des crédits de la mission. Il finance les politiques publiques relatives à l’entrée, la circulation, le séjour et le travail des étrangers, l’éloignement des personnes en situation irrégulière ainsi que l’exercice du droit d’asile.

Pour 2024, les crédits diminuent de 37,5 % en AE et progressent de 17,7 % en CP par rapport à la loi de finances initiale pour 2023, pour s’établir à respectivement à 1,3 milliard d’euros et à 1,7 milliard d’euros.

ÉVOLUTION DES CRÉdits du programme 303

(en millions d’euros)

 

LFI 2023

PLF 2024

Évolution

Numéro et intitulé de l’action

AE

CP

AE

CP

AE

CP

01 – Circulation des étrangers et politique des visas

0,52

0,52

0,52

0,52

-

-

02 – Garantie de l’exercice du droit d’asile

1 897,18

1 267,40

975,36

1 406,93

- 48,59 %

+ 11,01 %

03 – Lutte contre l’immigration irrégulière

205,5

169,51

299,96

260,70

+ 45,96 %

+ 53,80 %

04 – Soutien

28,52

28,52

57,29

56,70

+ 100,91 %

+ 98,82 %

Total

2 131,71

1 465,94

1 333,13

1 724,85

- 37,46 %

+ 17,66 %

Source : projet annuel de performances pour 2024.

1.   L’action n° 1 « Circulation des étrangers et politique des visas »

L’action n° 1 « Circulation des étrangers et politique des visas » vise à répondre de manière générale aux besoins de circulation des personnes, et plus particulièrement à privilégier l’attractivité de la France dans ses domaines d’excellence, et à faciliter le déplacement des personnes jouant un rôle de premier plan dans le cadre des relations bilatérales que la France entretient avec les pays étrangers.

Pour 2024, la dotation reste stable, à 520 000 euros.

2.   L’action n° 2 « Garantie de l’exercice du droit d’asile »

L’action n° 2, « Garantie de l’exercice du droit d’asile », représente la presque totalité des crédits du programme. Pour 2024, ils s’élèvent à 975 millions d’euros en AE et 1,41 milliard d’euros en CP, soit une diminution de 48,59 % en AE et une augmentation de 11 % en CP par rapport à 2023.

a.   Les crédits de l’allocation pour demandeurs d’asile (ADA)

À l’action n° 2 figurent les crédits de l’allocation pour demandeurs d’asile (ADA), qui est attribuée aux demandeurs d’asile durant toute la durée de la procédure d’instruction de leur demande.

Gérée par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) et versée aux demandeurs d’asile par l’Agence de services et de paiement (ASP), l’ADA voit son montant varier selon la composition familiale des demandeurs et leur mode d’hébergement.

Pour 2024, la dotation inscrite est de 293 millions d’euros, soit une diminution de 7 % par rapport à la loi de finances pour 2023 – qui la fixait à 314 millions d’euros.

La baisse de cette dotation inscrite démontre l’impact de l’accélération du traitement des demandes d’asile permise par le renfort des effectifs de l’OFPRA en 2020. Elle suppose toutefois que la Cour nationale du droit d’asile maîtrise son stock et ses délais de traitement.

Par ailleurs, en lien étroit avec la direction générale des étrangers en France (DGEF), l’OFII poursuivra son pilotage en intensifiant ses dispositifs de contrôle, notamment de lutte contre les fraudes.

b.   L’accueil et l’hébergement des demandeurs d’asile

DÉcomposition de la partie « accueil et hÉbergement d’asile » des dÉpenses d’intervention de l’action n° 2

(en millions d’euros)

 

En AE

(PAP pour 2024)

En CP

(PAP pour 2024)

En AE

(PAP pour 2023)

En CP

(PAP pour 2023)

Accompagnement social

3,1

3,1

2,71

2,71

Hébergement – CADA

389,56

389,56

378,31

378,31

Hébergement – CAES

15,78

77,26

202,1

67,30

Hébergement – HUDA

32,64

402,73

889,96

394,96

Hébergement – CPH

117,15

117,15

-

-

Source : projets annuels de performances pour 2023 et 2024.

● La dotation « accompagnement social » permet de financer les actions en faveur de publics particulièrement vulnérables, notamment la prise en charge médico-psychologique des demandeurs d’asile victimes de torture. Elle couvre également certains frais d’interprétariat et de transport pour les demandeurs d’asile entre leur lieu d’hébergement et le pôle régional Dublin (PRD).

● Les centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) constituent l’hébergement de référence pour les demandeurs d’asile en procédure normale. Ce dispositif d’hébergement pérenne compte plus de 360 centres qui offrent des prestations d’accompagnement social et administratif. La dotation pour 2024, de 389,6 millions d’euros, aura pour objet de financer et d’entretenir le parc qui atteindra 49 742 places après la création de 500 places supplémentaires.

● Les centres d’accueil et d’évaluation des situations (CAES) visent à garantir aux personnes souhaitant engager une démarche d’asile une mise à l’abri permettant une évaluation immédiate de leur situation administrative, afin de les orienter ensuite vers une structure adaptée. La durée maximale de séjour étant fixée à un mois, cette rotation garantit la fluidité de tout le système et tente d’éviter ainsi la constitution de campements sur la voie publique. En 2024, la dotation de 15,8 millions d’euros en AE et de 77,3 millions d’euros en CP permettra de financer et d’entretenir le parc, qui sera étendu à 7 622 places avec la création de 500 places supplémentaires et la pérennisation de 500 places de « sas d’accueil » temporaires ouvertes en 2023 hors Île-de-France, dans le cadre des opérations de mises à l’abri conduites en Île-de-France ([1]).

 Le parc d’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile (HUDA) complète le parc de places de CADA. Il s’agit d’un dispositif d’hébergement d’urgence, mais une part de celui-ci offre en réalité des prestations et conditions d’accueil similaires à celles en CADA et peut donc être considérée comme de l’hébergement pérenne. Ce parc comprend d’abord des places d’hébergement d’urgence gérées au niveau déconcentré par les préfets (le « HUDA local ») et des places du parc d’hébergement d’urgence relevant du programme d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile (« PRAHDA »). La dotation pour 2024, de 32,64 millions d’euros en AE et de 402,73 millions d’euros en CP, permettra le financement du parc d’hébergement d’urgence qui représente 52 950 places réparties sur tout le territoire.

● Les centres provisoires d’hébergement des réfugiés (CPH) ont pour mission de renforcer l’accompagnement linguistique, social, professionnel et juridique des réfugiés présentant des vulnérabilités particulières et nécessitant une prise en charge complète dans les neuf premiers mois suivant l’obtention de leur statut. En 2024, la dotation de 117,15 millions d’euros permettra notamment le financement de 500 places supplémentaires, portant le parc d’hébergement des CPH à 11 418 places au total. Il est à noter que cette dotation était, dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2023, inscrite à l’action n° 15 « Accompagnement des réfugiés » du programme 104. Le transfert de ces crédits vise à regrouper l’ensemble des places d’hébergement du dispositif national d’accueil au sein de la présente action.

c.   L’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA)

L’action n° 2 prévoit le versement de la subvention de l’État à l’OFPRA mentionnée à l’article L. 121-16 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Elle s’élève à 107,89 millions d’euros en AE et en CP, en hausse de 4,4 % par rapport à 2023. Cette augmentation a pour objet de financer la variation de la masse salariale à effectif constant, un renforcement des effectifs de l’Office avec un schéma d’emploi de 17 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires, et les conséquences de l’inflation sur, notamment, les dépenses de loyer et d’interprétariat.

Le plafond d’emplois de l’Office, qui s’établit à 1 011 équivalents temps plein travaillé (ETPT), sera relevé à 1 028 ETPT.

L’enjeu, pour l’Office, est toujours de réduire les délais de traitement des demandes d’asile à deux mois. Il est attendu de l’établissement qu’il rende a minima 155 000 décisions en 2024, soit une moyenne de 13 000 décisions par mois. Les ressources de l’OFPRA lui permettent aujourd’hui d’atteindre une activité décisionnelle estimée à environ 140 000 décisions par an.

3.   L’action n° 3 « Lutte contre l’immigration irrégulière »

Cette action finance notamment les dépenses liées au maintien en zone d’attente ou en rétention et les procédures d’éloignement, ainsi que l’accompagnement social, juridique et sanitaire des personnes non admises sur le territoire national. Elle inclut également les opérations de réacheminement et d’éloignement du territoire des étrangers qui font l’objet, par exemple, d’une mesure de non-admission ou d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF).

Pour l’année 2024, les crédits demandés sont en forte hausse : ils s’établissent à 299,96 millions d’euros en AE (+ 45,96 % par rapport à 2023) et à 260,70 millions d’euros en CP (+ 53,80 %).

 68,66 millions d’euros en AE et 56,85 millions d’euros en CP sont destinés au fonctionnement des centres de rétention administrative (CRA), des locaux de rétention administrative (LRA) et des zones d’attente. Ces crédits permettent de couvrir les frais de fonctionnement courant – prestations de restauration, de blanchisserie, entretien immobilier et frais d’interprétariat. La capacité de rétention reste identique en 2024 à celle de 2023, qui avait été portée à 1 959 places avec la livraison du CRA d’Olivet (90 places) et l’extension du CRA de Perpignan (12 places). La prochaine livraison est prévue en 2026 avec le CRA de Bordeaux (140 places).

 20,14 millions d’euros en AE comme en CP sont consacrés à la prise en charge sanitaire des personnes en CRA. Le coût de cette assistance sanitaire est revu à la hausse pour tenir compte de l’impact des mesures liées au « Ségur de la santé », qui entraîne une revalorisation des salaires des personnels médicaux dans les CRA.

 63,76 millions d’euros en AE comme en CP, enfin, sont consacrés aux frais d’éloignement des migrants en situation irrégulière, dont la mise en œuvre revient, au sein de la police nationale, à la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF). Ces dépenses couvrent notamment les frais de billetterie centrale (avion de ligne commerciale, train ou bateau) et les dépenses locales de déplacement terrestre, maritime, et aérien supportés par les services administratifs et techniques de la police nationale « SATPN » (Mayotte, Guyane, Guadeloupe, La Réunion) et le secrétariat général de l’administration du ministère de l’Intérieur. L’augmentation des crédits (de 19 millions d’euros) s’explique par la fin des restrictions sanitaires liées à la Covid-19, par une action diplomatique résolue auprès des pays tiers en vue de faciliter les retours, ainsi que par l’impact de l’inflation sur le prix des carburants.

4.   L’action n° 4 « Soutien »

L’action n° 4 « Soutien » regroupe une partie des moyens nécessaires au fonctionnement courant de la direction générale des étrangers en France (DGEF), dont une partie des dépenses de fonctionnement d’investissement et d’intervention relevant du fonctionnement courant des services ainsi que des dépenses liées aux systèmes d’information.

Ces crédits ont pour objectif de doter les services de moyens de fonctionnement appropriés et optimisés pour mener à bien les orientations et les projets des programmes 303 et 104, ainsi que d’assurer la modernisation des systèmes d’information et les études afférentes.

En nette augmentation, les AE et les CP s’élèvent pour 2024 à 57,29 millions d’euros en CP et à 56,70 millions d’euros en CP, contre 28,5 millions d’euros en loi de finances initiale pour 2023. Cette augmentation des crédits s’explique par le transfert de ceux consacrés au développement, à la maintenance et à l’hébergement de grands programmes numériques portés par la DGEF, précédemment inscrits au programme 216 « Administration générale et territoriale de l’État » et transférés à compter de 2024 à cette action.

B.   lE PROGRAMME 104 « IntÉgration et accÈs À LA NATIONALITÉ FRANçAISE »

Le programme n° 104 « Intégration et accès à la nationalité française » comprend quatre actions qui concourent à l’intégration des étrangers en situation régulière. Pour 2024, les crédits du programme s’élèvent à 431,21 millions d’euros en AE et en CP, soit une baisse de 20,6 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2023.

éVOLUTION DES Crédits du programme 104

(en millions d’euros)

 

LFI 2023

PLF 2024

Évolution

Numéro et intitulé de l’action

AE

CP

AE

CP

AE

CP

11 – Accueil des étrangers primo‑arrivants

273,32

273,32

245,99

245,99

- 10 %

- 10 %

12 – Intégration des étrangers primo-arrivants

135,45

135,45

174,55

174,55

+ 28,87 %

+ 28,87 %

14 – Accès à la nationalité française

1,07

1,12

1,36

1,31

+ 27,52 %

+ 16,78 %

15 – Accompagnement des réfugiés

121,95

121,95

0

0

- 100 %

- 100 %

16 – Accompagnement des foyers de travailleurs migrants

11,32

11,32

9,3

9,3

- 17,86 %

- 17,86 %

Total

543,11

543,16

431,21

431,16

- 20,60 %

- 20,62 %

Source : projet annuel de performances pour 2024.

1.   L’action n° 11 « Accueil des étrangers primo-arrivants »

Cette action finance l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), opérateur public qui contribue aux missions de la DGEF, ainsi que ses dépenses d’intervention. L’OFII est notamment chargé de la gestion des flux d’entrées et de sortie dans le nouveau dispositif d’hébergement des demandeurs d’asile, du pilotage du premier accueil des demandeurs d’asile et de la gestion de l’ADA. L’OFII est également chargé de l’intégration des étrangers en situation régulière. Cet accueil se matérialise pour l’étranger par la signature d’un contrat d’intégration républicaine (CIR).

Pour 2024, la subvention pour charges de service public versée à l’OFII s’élève à 226,99 millions d’euros, soit une baisse de 34,3 millions d’euros par rapport à 2023. Cette diminution s’explique par un changement de nomenclature. À compter de 2024, les crédits de fonds européens ne sont retracés dans le projet annuel de performances que si le programme en est directement bénéficiaire. L’OFII étant porteur de projet sur les fonds européens asile, migration et intégration (FAMI), la contribution de ce fonds n’apparaît donc plus dans le projet annuel de performances (34,67 millions d’euros en AE et CP dans le projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2023). Une dotation de niveau équivalent est attendue pour 2024.

Le plafond d’emploi de l’OFII reste identique par rapport à 2023 (1 217 ETPT).

2.   L’action n° 12 « Intégration des étrangers primo-arrivants »

Cette action vise à faciliter l’intégration des étrangers durant les années qui suivent leur admission à séjourner durablement sur le territoire français. Elle regroupe l’ensemble des crédits destinés à l’intégration des étrangers primo‑arrivants et permet de rendre compte de l’ensemble des efforts consentis en faveur de l’intégration des étrangers, quel que soit le motif de leur admission au séjour.

Après une hausse de 9 % en 2021, de 37 % en 2022 et de 70,4 % en 2023, les crédits continuent d’augmenter en 2024, avec une progression de 28,9 % par rapport à 2023. Cette augmentation des crédits permettra de consolider les moyens mis à disposition des territoires pour l’intégration sociale et professionnelle des étrangers primo-arrivants et, au niveau national, de mettre en œuvre des actions structurantes, telles que les dispositifs favorisant la reconnaissance des acquis professionnels.

Pour 2024, les priorités de la DGEF seront la réussite du déploiement du programme d’accompagnement global et individualisé des réfugiés (AGIR) et l’amélioration des formations linguistiques, notamment à visée professionnelle.

3.   L’action n° 14 « Accès à la nationalité française »

L’action n° 14 finance le fonctionnement courant de la sous-direction de l’accès à la nationalité française (SDNAF) du ministère de l’Intérieur, localisée à Rezé (Loire-Atlantique), notamment l’entretien des locaux et les fournitures documentaires à destination des préfectures en lien avec la procédure de naturalisation (dossiers remis lors des cérémonies d’accueil, livrets de citoyenneté).

Pour 2024, les AE s’élèvent à 1,36 million d’euros et les CP à 1,31 million d’euros, soit une augmentation de respectivement 27,52 % et de 16,78 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2023.

78 711 personnes sont devenues françaises en 2022 ([2]).

4.   L’action n° 15 « Accompagnement des réfugiés »

Cette action ne dispose plus d’aucun crédit.

Les crédits précédemment inscrits à cette action et consacrés aux dispositifs d’hébergement pour les réfugiés les plus vulnérables et au logement accompagné sont transférés, en 2024, à l’action n° 2 « Garantie de l’exercice du droit d’asile » du programme 303, dont les crédits ont été présentés précédemment. Ce transfert a pour objet d’unifier et de conforter la lisibilité budgétaire de cette politique publique, en regroupant l’ensemble des places d’hébergement du dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile à cette action.

Hors hébergement, l’action n° 12 « Intégration des étrangers primo‑arrivants » regroupe désormais la plupart des crédits destinés à l’intégration des étrangers primo‑arrivants. Cette évolution de la nomenclature est la traduction budgétaire d’une mise en œuvre unifiée de la politique d’intégration, quel que soit le motif de l’admission au séjour de l’étranger.

Les crédits précédemment inscrits à cette action, qui s’élevaient en loi de finances initiale pour 2023 à 121,95 millions d’euros, sont dès lors désormais ainsi répartis : 118,7 millions d’euros ont été transférés à l’action n° 2 « Garantie de l’exercice du droit d’asile » du programme 303, et 3,3 millions d’euros à l’action n° 12 « Intégration des étrangers primo-arrivants » du programme 104.

5.   L’action n° 16 « Accompagnement des foyers de travailleurs migrants »

Cette action finance l’accompagnement du plan visant à mettre fin aux habitats hors normes et indignes, en permettant aux travailleurs migrants d’accéder à un logement individuel, autonome et conforme aux standards actuels du logement.

Les AE et les CP prévus pour cette action s’élèvent, pour 2024, à 9,3 millions d’euros, ce qui représente une baisse de 17,86 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2023. Le projet annuel de performances n’explique néanmoins pas cette diminution des crédits.

*

*     *

II. les obligations de quitter le territoire français (OQTF)

L’an dernier, votre rapporteur pour avis faisait le choix d’étudier la procédure de régularisation des étrangers en situation irrégulière via la mise en œuvre de la « Circulaire Valls » de 2012. Convaincu que notre politique migratoire doit « marcher sur ses deux jambes », votre rapporteur s’est intéressé cette année à une thématique de politique de lutte contre l’immigration irrégulière. Plus singulièrement, il a souhaité s’attacher à évaluer le régime de juridique des obligations de quitter le territoire français (OQTF).

Le régime des OQTF a été étudié par de nombreux rapports parlementaires et institutionnels, il a ainsi semblé judicieux à votre rapporteur de ne pas prétendre à l’exhaustivité, au regard, en particulier, du calendrier contraint qui s’attache à l’exercice de l’avis budgétaire. Il s’est ainsi penché, d’une part, sur l’enjeu général de l’exécution des OQTF et, d’autre part, sur celui de la place réservée à la notion de « menace à l’ordre public » dans le régime juridique des OQTF.

À l’issue de ses travaux, votre rapporteur est désormais animé d’une certitude : il est indispensable de se donner les moyens de rendre rapidement des décisions en matière d’octroi et de renouvellement des titres de séjour – que celles‑ci soient favorables ou défavorables –, et d’assurer une exécution diligente des OQTF. Il convient en effet de limiter les situations dans lesquelles des étrangers se retrouvent sous OQTF alors qu’ils sont installés de longue date en France. Votre rapporteur, ainsi que nombre de ses collègues, sont trop souvent saisis de sollicitations émanant d’étrangers présents sur leur circonscription, désemparés face au prononcé d’une OQTF alors qu’ils sont présents sur le territoire depuis parfois dix ans, et que leurs enfants sont nés et ont grandi en France. Votre rapporteur se réjouit que le ministère de l’Intérieur partage cette ambition, lorsqu’il souligne que « la célérité des procédures doit impérativement être préservée. En effet, il est constant que les probabilités d’éloignement d’un étranger en situation irrégulière diminuent au fil de son maintien sur le territoire, en raison des attaches qu’il y développe » ([3]). En matière d’OQTF spécifiquement, cette exigence de rapidité doit être un objectif attaché à la fois à la procédure administrative et à la procédure contentieuse.

Votre rapporteur formule le vœu que les différentes pistes d’évolution qu’il dessine pourront être suivies d’effet, dans un contexte de pression migratoire aux frontières qui a retrouvé des niveaux similaires à ceux précédant la pandémie, et alors que le taux d’exécution des OQTF ne cesse de faiblir, atteignant des niveaux dérisoires.

  1.   une sous-exÉcution chronique des Obligations de quitter le territoire français (OQTF) qui porte atteinte À la crÉdibilitÉ de notre politique d’Éloignement

1.   Une augmentation continue du nombre d’OQTF prononcées

a.   Le régime juridique des OQTF

L’existence d’un dispositif juridique spécifique de départ forcé des étrangers en situation irrégulière a émergé tardivement. Jusqu’aux années 1980, la pratique « relevait encore largement d’une zone de non-droit, qui s’oppos[ait] à toute garantie et voie de recours » ([4]). La loi n° 80-9 du 10 janvier 1980 relative à la prévention de l’immigration clandestine et portant modification de l’ordonnance du 2 novembre 1945 ([5]) consacre pour la première fois plusieurs motifs de départs se concentrant tous sur l’illégalité du séjour.

Aujourd’hui, le titre Ier du livre VI de la partie législative du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) porte sur les OQTF. En application de ces dispositions, l’autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu’il se trouve dans l’un des six cas suivants :

  1.               ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, il s’y est maintenu sans être titulaire d’un titre de séjour en cours de validité ;
  2.            entré sur le territoire français sous couvert d’un visa désormais expiré ou, n’étant pas soumis à l’obligation du visa, entré en France plus de trois mois auparavant, il s’est maintenu sur le territoire français sans être titulaire d’un titre de séjour ou, le cas échéant, sans demander le renouvellement du titre de séjour temporaire ou pluriannuel qui lui a été délivré ;
  3.          il s’est vu refuser la délivrance d’un titre de séjour, le renouvellement du titre de séjour, du document provisoire délivré à l’occasion d’une demande de titre de séjour ou de l’autorisation provisoire de séjour qui lui avait été délivré ou s’est vu retirer un de ces documents ;
  4.           la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire lui a été définitivement refusé ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2 du CESEDA ([6]), à moins qu’il soit titulaire de l’un des documents mentionnés à l’alinéa précédent ;
  5.             ne résidant pas régulièrement en France depuis plus de trois mois, il constitue une menace pour l’ordre public ;
  6.           ne résidant pas régulièrement en France depuis plus de trois mois, il a méconnu les dispositions de l’article L. 5221-5 du CESEDA, relatives à l’interdiction d’exercer une activité professionnelle.

En 2022, sur les 129 681 OQTF prononcées à l’encontre des ressortissants issus de pays tiers :

52 162 l’ont été en raison du motif de l’entrée irrégulière (1° de l’article L. 611-1 du CESEDA) ;

4 209 en raison du maintien irrégulier sur le territoire (2° du même article) ;

25 683 en raison du refus de délivrance ou du non-renouvellement d’un titre de séjour (3° du même article) ([7]) ;

36 981 en raison du refus de la qualité de réfugié ou du bénéfice de la protection subsidiaire (4° du même article) ;

9 837 sur le motif de l’ordre public (5° du même article) ;

809 sur le motif du travail illégal (6° du même article).

Il convient d’ajouter à ces OQTF celles prononcées à l’encontre des citoyens de l’Union européenne et des membres de leur famille, en application de l’article L. 251-1 du CESEDA. 4 599 OQTF ont été prononcées sur ce fondement en 2022 ([8]).

b.   Un nombre d’OQTF prononcées en augmentation

De plus en plus d’OQTF sont prononcées chaque année.

nombre d’OQTF prononcÉes par annÉe

Année

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Nombre d’OQTF prononcées

81 656

85 268

 

103 852

 

 

122 839

 

 

107 488

 

 

124 111

 

 

134 280

 

Source : chiffres transmis par la DGEF et rapport n° 626 fait au nom de la commission des Lois sur la question migratoire de M. François-Noël Buffet, Sénat, Session ordinaire de 2021 – 2022, 10 mai 2022.

Entre 2011 ([9]) et 2022, le nombre d’OQTF a augmenté de 123,8 %.

2.   Une faiblesse persistante du taux d’exécution des OQTF qui tient à des facteurs divers

a.   L’évolution du « taux d’exécution » des OQTF

L’indicateur du « taux d’exécution » d’OQTF doit être lu avec une certaine prudence. Le taux d’exécution dépend en effet de deux séries de données : les OQTF prononcées et celles ayant abouti à un éloignement effectif (volontaire ou forcé). Or, tous les départs ne sont pas comptabilisés : seules les sorties volontaires de l’Espace Schengen sont en effet connues de l’autorité administrative. Par ailleurs, il existe un certain nombre de difficultés de méthodes : certaines OQTF sont prononcées mais l’administration ne parvient pas à les notifier aux personnes concernées, elles peuvent faire l’objet d’annulations contentieuses, parfois les OQTF sont retirées, ou encore plusieurs OQTF peuvent en réalité concerner la même personne.

Ces réserves étant précisées, cet outil demeure cependant le plus pertinent pour évaluer l’efficacité d’une politique d’éloignement.

En tendance, le taux d’exécution des OQTF ne cesse de baisser d’année en année, atteignant aujourd’hui des taux préoccupants.

Taux d’exÉcution des OQTF par année

Année

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021 (1er semestre)

Taux d’exécution des OQTF

17 %

 

14,3 %

 

 

13,7 %

 

 

12,6 %

 

 

12,2 %

 

 

6,9 %

 

5,7 %

Source : rapport n° 626 fait au nom de la commission des Lois sur la question migratoire, M. François-Noël Buffet, Sénat, Session ordinaire de 2021 – 2022, 10 mai 2022.

S’agissant des deux préfectures qui ont concentré l’attention de votre rapporteur :

parmi les OQTF prononcées par la préfecture de police de Paris : le taux d’exécution s’est élevé en 2022 à 6,9 % (contre 22 % en 2018) ;

parmi les OQTF prononcées par la préfecture du Rhône : en 2022, 455 éloignements ont été recensés, sur les 4 048 OQTF prononcées, soit un taux d’exécution de 11,2 %.

La faiblesse de ces taux nuit à la crédibilité de notre politique d’éloignement et a pour effet de générer une réelle perte de sens chez les agents publics chargés du droit des étrangers. Comme le souligne le sénateur François‑Noël Buffet dans son rapport de 2022 sur la question migratoire : « les agents sont confrontés à des situations particulièrement éprouvantes : d’un côté l’édiction massive de mesures d’éloignement dont ils savent à l’avance qu’elles ont peu de chances de prospérer, de l’autre le déploiement d’une énergie démesurée pour réaliser une poignée d’éloignements contraints. » ([10]) 

D’aucuns considèrent que la France devrait faire évoluer son régime juridique en ciblant le prononcé des OQTF sur les seuls étrangers dont « l’éloignabilité » apparaît probable. C’est le modèle choisi par d’autres pays, qui affichent ainsi un taux d’exécution des mesures d’éloignement nettement plus élevé. D’après M. Éric Jalon, directeur général des étrangers en France, entendu par votre rapporteur, il est au contraire indispensable, philosophiquement comme juridiquement, que l’OQTF reste indissociable du constat d’une fin, ou d’une absence, de droit au séjour. En matière d’éloignements forcés, comparaison internationale est rarement raison.

b.   Les différentes causes de la sous-exécution des OQTF

Rappelons, car cette vérité est trop souvent omise, que l’exécution d’une décision d’éloignement incombe au premier chef à l’étranger qui en a fait l’objet et qui est tenu d’y déférer, comme pour toute décision de police administrative. À de trop nombreuses occasions, dans des prises de parole publiques ici et là, est considéré comme acceptable qu’un étranger faisant l’objet d’une telle décision se maintienne sur le territoire.

Votre rapporteur souligne, en amont de toute autre considération, la très forte mobilisation et l’engagement des agents publics de la chaîne de l’éloignement, en particulier ceux de la préfecture du Rhône et de la préfecture de police de Paris, qu’il a sollicités au cours de ses travaux. Malgré le sens exceptionnel du service public de ces agents, la mise en place de la politique d’éloignement se heurte à des obstacles de différentes natures.

Votre rapporteur ne reviendra pas, dans le cadre du présent avis, sur les facteurs de sous-exécution des OQTF en lien avec la crise sanitaire.

  1.   Des difficultés de notification

Une première difficulté tient à l’impossibilité de localiser l’étranger faisant l’objet de l’OQTF, tantôt parce que l’adresse connue n’est pas exacte, tantôt en raison du non-respect, par l’étranger, de son assignation à résidence. Dans ces situations, l’étranger concerné est alors inscrit au fichier des personnes recherchées et l’OQTF ne sera mise à exécution qu’en cas d’interpellation inopinée dans le cadre d’un contrôle d’identité ou lors de la commission d’une infraction.

  1.   L’obtention des « laissez-passer consulaires » (LPC)

La principale difficulté réside toutefois dans l’obtention des désormais bien connus « laissez-passer consulaires » (LPC). Ce document, qui n’est pas mentionné dans le CESEDA, est indispensable lorsqu’un étranger en instance d’éloignement ne présente aucune pièce d’identité, ni aucun document de voyage. La préfecture doit alors en effet solliciter un LPC auprès du consulat du pays dont il est supposé être le ressortissant.

Le faible taux d’obtention de LPC a été abondamment souligné dans de très nombreux rapports. À titre d’illustration, entre janvier et juillet 2023, seuls 29 % des LPC demandés par les préfectures aux consulats des pays concernés ont été délivrés dans les délais utiles à l’éloignement. La DGEF souligne qu’« un refus de délivrance de LPC peut, au demeurant, être opposé par certains États, même lorsque la préfecture produit des preuves de nationalité, le refus de LPC étant l’une des expressions de la souveraineté nationale dont usent certains pays. » ([11])

Par pays, en 2022, le taux de délivrance des LPC s’est élevé à 24,8 % pour l’Algérie, 30,2 % pour le Maroc, et 28,6 % pour la Tunisie ([12]). Ces chiffres fluctuent toutefois d’année en année en fonction de l’évolution du contexte international et de l’état de la relation bilatérale.

Trois types de refus peuvent être prononcés par les consulats étrangers : un refus explicite, une reconnaissance de nationalité accompagnée d’un refus de LPC, ou encore une absence de réponse.

La faiblesse des taux de délivrance des LPC s’explique par des difficultés qui peuvent être imputables :

au comportement de certains ressortissants étrangers : destruction ou envoi au pays de leurs documents d’identité, refus de toute coopération en vue d’établir leur identité et leur nationalité réelle ;

aux services en charge de la mise en œuvre de l’éloignement : méconnaissance des différents accords de réadmission ([13]), difficultés techniques pour obtenir les données biométriques exploitables ;

aux autorités consulaires chargées de la délivrance des LPC : refus par certaines du principe de l’éloignement forcé, refus d’établir les LPC dès lors que le ressortissant dispose encore de voie de recours, remise en cause de l’authenticité des pièces d’identité, etc.

En 2022, pour la préfecture du Rhône, le taux d’éloignement forcé était de 35,6 % lorsque l’autorité administrative avait besoin de solliciter un LPC pour mettre en œuvre l’éloignement, contre 64,4 % lorsque la personne disposait d’un document de voyage, et donc qu’aucun LCP n’était requis ([14]).

Il doit être noté que les pays dont les ressortissants sont exemptés de visa pour se rendre dans l’Union européenne sont globalement plus coopératifs. Les États du voisinage européen, du fait d’une aspiration à rejoindre l’Union européenne, se mobilisent davantage. S’agissant de l’Albanie et de la Géorgie par exemple, le taux de délivrance des LPC est ainsi supérieur à 70 %.

  1.   Les annulations contentieuses

La sécurisation juridique des procédures d’éloignement apparaît à ce jour perfectible. Parmi les OQTF prononcées par la préfecture du Rhône, le taux d’annulation contentieuse des OQTF s’élève à 13 % ; il est de 27 % s’agissant de la préfecture de police de Paris. Les annulations contentieuses expliquent ainsi partiellement l’écart important constaté entre le nombre d’OQTF prononcées et le nombre d’OQTF effectivement exécutées.

Le Conseil d’État soulignait dans une étude de 2020, 20 propositions pour simplifier le contentieux des étrangers dans l’intérêt de tous, la très grande complexité du contentieux des étrangers, et plus spécifiquement de celui relatif aux OQTF. En effet, il comprend trois délais de recours et trois délais de jugement différents, selon le fondement de la décision et selon qu’une assignation à résidence ou un placement en centre de rétention administrative (CRA) a été décidé. Un événement en cours de procédure (un placement en rétention par exemple) peut par ailleurs modifier à tout moment le droit applicable. Le nombre important de recours possibles et les délais associés ont pour effet de compliquer l’exécution des OQTF.

S’agissant spécifiquement du contentieux du placement en rétention, l’étranger qui fait l’objet d’une décision de placement en rétention peut la contester devant l’autorité judiciaire en application du chapitre III du titre IV du livre VII de la partie législative du CESEDA. La préfecture de police de Paris souligne, dans sa contribution écrite, le caractère « exceptionnel » des troisièmes et quatrièmes prolongations par le juge des libertés et de la détention ([15]), qui impliquent pour l’administration la difficile tâche de caractériser soit, dans les 15 jours qui précèdent l’audience, une obstruction à l’éloignement ou une demande d’asile dilatoire, soit une délivrance à brève échéance d’un document de voyage de la part des autorités consulaires. En conséquence, en 2022, 18 % des sorties de CRA sans éloignement résultaient d’un refus de prolongation de rétention décidé par le JLD.

Il apparaît ainsi que le contentieux relatif aux OQTF doit évoluer, tout en demeurant naturellement respectueux du droit des personnes concernées à exercer un recours.

Enfin, d’autres causes de la sous-exécution des OQTF ont également été portées à l’attention de votre rapporteur : des difficultés relatives aux assignations à résidence (volumétrie trop importante pour assurer un suivi fin, non-respect des pointages, etc.), l’insuffisance de moyens humains et matériels (escortes, moyens aériens destinés, etc.), ou encore l’existence de demandes d’asile à visée dilatoire formulées par certains retenus à l’approche de leur vol ([16]).

Parmi ces causes, il est à noter que des difficultés liées à la réglementation des marchés publics peuvent empêcher d’avoir recours à tous les modes de transport disponibles, notamment des compagnies aériennes alternatives, entraînant par exemple l’obligation d’un accompagnement avec transit à Paris, avec la mobilisation de personnels, alors qu’un moyen direct est disponible.

3.   Perspectives

a.   Améliorer l’obtention des LPC

La principale piste d’évolution en matière d’exécution des OQTF réside dans l’amélioration de l’obtention des LPC.

Beaucoup a déjà été fait pour améliorer la délivrance des LPC, dans le cadre d’une approche globale de la question migratoire, à la fois au niveau européen et au niveau bilatéral. La présente sous-partie n’entend pas en faire un bilan exhaustif.

La conclusion ou la révision d’accords et arrangements en matière d’identification, de délivrance de LPC et de retour ont permis de relever certains taux de délivrance des LPC. Depuis 2018, les accords et arrangements administratifs avec le Maroc, le Sénégal et la Tunisie ont ainsi pu être conclus ou améliorés.

De plus, le code communautaire des visas prévoit la mise en place d’un dialogue renforcé, et le cas échéant de mesures restrictives dans la délivrance de visas de court-séjour pour les ressortissants de pays tiers ne coopérant pas suffisamment en matière de réadmission. D’après le ministère de l’Intérieur, « on observe que l’incitation réside au moins autant dans la menace de l’exécution que dans son exécution, et que le levier “ visa-réadmission ” produit des effets au-delà des pays tiers sanctionnés » ([17]).

L’instauration d’un référent migratoire au sein de chaque ambassade et la création d’un poste d’ambassadeur aux migrations ([18]) constituent enfin des évolutions que votre rapporteur juge aller dans le bon sens.

Il invite à poursuivre ces actions volontaristes, en privilégiant la voie européenne pour renforcer le dialogue avec les pays tiers non‑coopératifs. Il est en effet convaincu, comme le sénateur François-Noël Buffet, que si les marges de manœuvre nationales ne doivent pas être négligées, « la clé pour obtenir une plus grande coopération des États récalcitrants en matière de délivrance de LPC se situe […] à l’échelle européenne. Par exemple, la politique de restriction de visas décidée par la France à l’encontre des États du Maghreb pourrait voir son efficacité décuplée si elle était partagée par l’ensemble de nos partenaires européens. » ([19])

b.   Faire un meilleur usage des outils juridiques existants

Le ministère de l’Intérieur a judicieusement formulé des instructions aux services préfectoraux et aux forces de sécurité visant à « rappeler les facultés ouvertes par le droit actuel, de manière à l’appliquer plus rigoureusement » ([20]).

Il y rappelle notamment que, conformément au droit de l’Union européenne, il est impératif de prononcer une OQTF à l’encontre de tout étranger en situation irrégulière.

Parmi ces outils, figure la possibilité ouverte par l’article L. 612-2 du CESEDA de refuser à l’étranger en situation irrégulière faisant l’objet d’une OQTF de bénéficier d’un délai de départ volontaire (DDV) ([21]). L’autorité administrative est autorisée à faire usage de cette disposition lorsque le comportement de l’étranger constitue une menace pour l’ordre public, lorsqu’il s’est vu refuser la délivrance (ou le renouvellement) de son titre de séjour, du document provisoire délivré à l’occasion d’une demande de titre de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour au motif que sa demande était manifestement infondée ou frauduleuse, ou s’il existe un risque que l’étranger se soustraie à la décision portant OQTF.

De même, l’article L. 612-6 du même code précise que, lorsqu’aucun délai de départ volontaire n’a été accordé à l’étranger, l’autorité administrative assortit la décision portant OQTF d’une interdiction de retour sur le territoire français, qui prohibe pour l’avenir un séjour en France ou sur le territoire d’un État de l’Union européenne. L’étranger fait à cette fin l’objet d’un signalement aux fins de non-admission dans le système d’information Schengen. Ce dispositif est utile en tant qu’il permet d’entraver le retour en France, notamment par une voie détournée.

Un usage plus important de ces outils apparaît souhaitable.

Le recours à la rétention constitue, enfin, selon la DGEF, le « moyen le plus efficace de mettre en œuvre les décisions de retour ». Votre rapporteur a néanmoins fait le choix d’aborder ce levier dans la partie II.B. du présent rapport, consacrée aux liens entre le régime juridique des OQTF et l’ordre public.

c.   Simplifier le contentieux des OQTF

Conformément à l’étude du Conseil d’État de 2020 précédemment mentionnée, le projet de loi sur l’immigration ([22]) dont l’examen est à venir tend à réformer le contentieux des étrangers en réduisant le nombre de procédures. Il poursuit trois principaux objectifs : garantir l’efficacité de la politique publique d’éloignement grâce à des délais de jugement prenant en compte la diversité des profils des étrangers, renforcer la lisibilité des textes et faciliter l’accès au droit.

Sur la base de ces objectifs et des préconisations du Conseil d’État ([23]), le dispositif proposé dans le projet de loi est le suivant :

Dispositions issues des articles 21 à 24 du projet de loi n° 304 pour contrôler l’immigration, amÉliorer l’intÉgration

Type d’OQTF

Délai de saisine du juge administratif

Délai imparti au juge pour statuer

OQTF assorties d’un délai de départ volontaire (procédure dite ordinaire)

1 mois

6 mois

OQTF lorsque le délai de départ volontaire est refusé (procédure dite prioritaire)

72 heures

6 semaines

OQTF faisant suite au rejet d’une demande d’asile (procédure dite spéciale)

7 jours

15 jours

Tous les cas dans lesquels l’étranger est placé en rétention (procédure dite d’urgence)  ([24])

48 heures

96 heures

La volonté du Gouvernement, pour les différents types de procédure, est la suivante :  

s’agissant de la procédure « ordinaire » applicable aux OQTF assorties d’un délai de départ volontaire (DDV), l’objectif consiste à desserrer la pression exercée sur les juridictions administratives en leur laissant un délai de jugement plus important ([25]) ;

s’agissant de la procédure « prioritaire », elle correspond aux cas des étrangers qui ne sont pas éligibles à l’octroi d’un DDV. Les délais contentieux sont raccourcis ([26]) ;

s’agissant de la procédure « spéciale » relative au contentieux des OQTF dont font l’objet les déboutés du droit d’asile, qui réduit le délai de jugement (avec et sans DDV) de 6 semaines à 15 jours, le Gouvernement considère que, puisque les étrangers concernés ont bénéficié d’un droit au maintien sur le territoire le temps de l’examen de leur demande d’asile et de nombreuses garanties procédurales, « il n’y a pas lieu que le tribunal administratif, appelé à statuer sur la légalité de l’OQTF mais pas sur le fond de demande d’asile, dispose, pour statuer, d’un délai aussi important que pour les autres OQTF » ([27]).

Le raccourcissement des délais dans le cadre des procédures « prioritaire » et « spéciale » a principalement pour objet de permettre d’accroître l’efficacité d’exécution des mesures d’éloignement. En effet, lorsque le délai du contentieux est trop long, la situation de l’intéressé est susceptible d’évoluer et de le faire basculer dans l’un des régimes de protection existant contre les OQTF (cf. partie II.B).

Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d’État a souligné que cette réforme « constitu[ait] un progrès important » ([28]).

De telles évolutions apparaissent tout à fait pertinentes à votre rapporteur, ainsi qu’aux personnes entendues à l’occasion de ses auditions.

B.   un rÉgime juridique qui doit Évoluer pour rÉpondre plus efficacement À l’enjeu de la protection de l’ordre public

Votre rapporteur juge impérieux que notre politique d’éloignement cible en priorité les étrangers représentant une menace pour l’ordre public.

Les liens entre le régime juridique des OQTF et la protection de l’ordre public sont de plusieurs ordres : OQTF prises sur le fondement de l’ordre public, OQTF prises sur un autre motif mais ayant un lien indirect avec la menace à l’ordre public et, s’agissant de l’exécution des OQTF, la politique de priorisation du placement en rétention des étrangers représentant une menace à l’ordre public.

Rappelons que dans une décision du 13 août 1992, le Conseil constitutionnel a affirmé que l’exercice par le législateur de son pouvoir de prendre des dispositions spécifiques à l’égard des étrangers se déduit de ce que « les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République doivent être conciliés avec la sauvegarde de l’ordre public qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle » ([29]).

Notons, également, que dans le droit commun des étrangers, l’appréciation de la menace à l’ordre public, qu’elle soit simple ou grave, est indépendante de l’existence de condamnations pénales. Cette notion ne se fonde pas davantage uniquement sur les troubles à l’ordre public déjà constatés, mais constitue une mesure préventive ; elle repose sur une évaluation de la dangerosité de l’intéressé dans l’avenir.

1.   Les OQTF et l’enjeu de protection de l’ordre public

a.   L’OQTF fondée sur le motif de menace à l’ordre public

L’autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu’il ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois et qu’il constitue une menace pour l’ordre public.

Cette possibilité, qui figure au 5° de l’article L. 611-1 du CESEDA, a été créée par la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure. Elle entendait à son origine « permettre l’éloignement de l’étranger qui menace l’ordre public dans les trois mois suivant son entrée régulière sur le territoire français » ([30]). Si l’objectif du législateur était initialement de viser les faits de proxénétisme, de racolage ou d’exploitation de la mendicité d’autrui, cette mesure s’est trouvée finalement appliquée, par exemple, à des faits de violence commis par des hooligans ou des manifestants étrangers très peu de temps après leur arrivée en France ([31]).

En 2022, sur les 134 280 OQTF prononcées, 9 837 OQTF ont été prises sur ce fondement, soit 7,3 % d’entre elles ([32]). Les trois principales nationalités représentées parmi les ressortissants concernés étaient l’Algérie (3 546 OQTF), le Maroc (1 107 OQTF) et la Tunisie (1 053 OQTF) ([33]).

L’expulsion pour menace grave à l’ordre public

L’OQTF reposant sur le motif de menace à l’ordre public doit être distinguée du régime juridique de l’expulsion pour menace grave à l’ordre public.

En effet, lorsque la menace pour l’ordre public atteint une certaine gravité, l’étranger en situation régulière comme irrégulière peut faire l’objet d’une décision d’expulsion conformément aux articles L. 631-1, L. 631-2 et L. 631-3 du CESEDA. Ces trois articles instaurent plusieurs régimes d’expulsion correspondant à trois seuils de niveau de menace requis pour expulser, en fonction de la situation de l’étranger concerné.

L’expulsion est une mesure administrative prise par le préfet du lieu de résidence de l’étranger (il s’agit alors d’un arrêté préfectoral d’expulsion) ou, en cas d’urgence absolue ou si l’étranger est protégé ([34]), par le ministère de l’Intérieur (il s’agit alors d’un arrêté ministériel d’expulsion).

En 2022, 227 arrêtés d’expulsion pour menace grave à l’ordre public ont été exécutés ([35]).

b.   L’OQTF fondée sur un autre motif que l’ordre public, mais ayant un lien indirect avec celui-ci

Le 3° de l’article L. 611-1 du CESEDA permet à l’autorité administrative de prononcer une OQTF lorsque l’étranger « s’est vu refuser la délivrance d’un titre de séjour, le renouvellement du titre de séjour, du document provisoire délivré à l’occasion d’une demande de titre de séjour ou de l’autorisation provisoire de séjour qui lui avait été délivré ou s’est vu retirer un de ces documents ». Or, d’après la DGEF, 6,8 % des refus de première délivrance de titre de séjour et 13,9 % de ceux de renouvellement le sont pour des motifs de menace à l’ordre public. Au sein de la préfecture de police de Paris, en 2023, 16 % des refus de titre de séjour sont motivés par des menaces à l’ordre public ([36]).

Ces décisions s’inscrivent dans la continuité de l’instruction du ministre de l’Intérieur du 29 septembre 2020 relative à l’éloignement des étrangers ayant commis des infractions graves ou représentant une menace grave pour l’ordre public, donnant une priorité renforcée à la prise en compte des menaces à l’ordre public causées par des ressortissants étrangers. Entre le 1er octobre 2020 et mai 2022, 60 000 décisions de retraits, de refus de délivrance et de refus de renouvellement de titre ont été prononcées sur ce fondement ([37]).

Au total, d’après les chiffres transmis par la préfecture de police de Paris, seulement la moitié des OQTF prononcées en application des 1° à 4° de l’article L. 611-1 du CESEDA ne sont en réalité pas en lien avec un motif de trouble à l’ordre public ([38]).

La considération d’ordre public irrigue ainsi le régime juridique des OQTF, soit de manière « directe » via l’OQTF prise sur le fondement de la menace à l’ordre public, soit de manière « indirecte », lorsque l’OQTF est décidée à la suite d’une interpellation sur la voie publique ou qu’elle résulte d’un refus de titre de séjour en raison de la caractérisation d’une menace pour l’ordre public.

Enfin, la menace à l’ordre public est prise en compte dans le cadre des refus du délai de départ volontaire ([39]) et des interdictions administratives de retour ([40]) édictés par l’autorité administrative.

2.   Une priorisation judicieuse du placement des étrangers représentant une menace à l’ordre public en CRA

Pour exécuter une OQTF, quel qu’en soit le fondement, l’autorité administrative dispose de plusieurs leviers, parmi lesquels :

 l’assignation en résidence ([41]) : cette mesure d’éloignement oblige l’étranger concerné à rester dans un endroit précis et vise à assurer sa surveillance. Elle peut être prononcée pour une courte durée (45 jours) ou pour une longue durée (6 mois). Elle est fréquemment accompagnée d’une obligation de présentation régulière aux services de police ou de gendarmerie. La DGEF a attiré l’attention de votre rapporteur sur le caractère très consommateur en ressources, notamment policières, du recours à l’assignation à résidence ;

 le placement dans l’un des 26 centres de rétention administrative (CRA) : celui-ci permet de maintenir dans un lieu fermé l’étranger qui fait l’objet d’une décision d’éloignement dans l’attente de son renvoi forcé. Il peut être prolongé par le juge judiciaire, mais la durée de rétention est limitée à 90 jours ([42]). D’après le ministère de l’Intérieur, « la rétention apparaît comme le moyen le plus efficace de mettre en œuvre les décisions de retour » ([43]). En 2022, le taux d’éloignement à l’issue du placement en CRA s’est élevé à 43,2 % ([44]).

L’éloignement des étrangers ayant un profil évocateur de risques de trouble à l’ordre public constitue une priorité constante de l’action gouvernementale. Elle s’est traduite par plusieurs actions ([45]), parmi lesquelles la priorisation du placement en rétention administrative de ces étrangers, depuis la circulaire du ministre de l’Intérieur et des outre-mer du 3 août 2022 relative aux mesures nécessaires pour améliorer l’efficacité de l’éloignement des étrangers en situation irrégulière connus pour trouble à l’ordre public.

Cette circulaire fixe en effet une ligne claire : « la rétention doit être prioritairement destinée aux étrangers en situation irrégulière auteurs de troubles à l’ordre public, y compris lorsque l’éloignabilité ne paraît pas acquise au jour de la levée d’écrou ou de l’interpellation. En cas de manque de places disponibles, il convient de libérer systématiquement les places occupées par les étrangers en situation irrégulière sans antécédents judiciaires non éloignables et de les assigner à résidence. »

La préfecture de police de Paris a confirmé à votre rapporteur qu’en application de cette circulaire, elle priorisait le placement en rétention des étrangers en situation irrégulière auteurs de troubles graves à l’ordre public et très défavorablement connus des services de police (pour radicalisation et menace terroriste, violences, violences conjugales, proxénétisme, etc.).

Cette politique atteint ses objectifs. Entre le début de l’année 2022 et le 1er septembre de cette même année, 702 étrangers en situation irrégulière au profil évocateur de troubles à l’ordre public ont été éloignés à partir de CRA. Au cours de la même période, en 2023, ce sont 2 981 étrangers au profil similaire qui ont été éloignés. Ce nombre est ainsi en augmentation de près de 390 % ([46]).

Bien qu’il soit trop tôt pour disposer des chiffres, il est probable que le taux d’éloignement à l’issue du placement en CRA (43,2 % en 2022) soit également en forte augmentation.

À ce jour, les étrangers correspondant à ce profil représentent 90 % des places occupées en CRA ([47]).

Cette évolution du public retenu en CRA soulève néanmoins des difficultés, s’agissant en particulier des conditions de travail des agents de CRA et des conditions de vie des retenus : augmentation des comportements violents, automutilations, refus d’embarquement, obstruction aux mesures d’éloignement, refus de prise d’empreintes, etc.

Votre rapporteur attire également votre attention sur les difficultés, liées à l’évolution de la typologie du public, que rencontrent les intervenants extérieurs : services médicaux, associations, avocats, etc.

La poursuite de cette politique doit donc s’accompagner de moyens renforcés en faveur des CRA (cf. infra).

3.   Perspectives

a.   L’assouplissement du régime de protection existant en matière d’OQTF

Votre rapporteur considère, à l’instar du Gouvernement, que le régime actuel des OQTF ne prend qu’insuffisamment en compte les considérations de menace pour l’ordre public. La DGEF a par exemple souligné le paradoxe existant, dans le CESEDA entre, d’une part, les dispositions de l’article L. 411-2 (« À l’expiration de la durée de validité de son document de séjour, l’étranger doit quitter la France, à moins qu’il n’en obtienne le renouvellement ou qu’il ne lui en soit délivré un autre ») et celles de l’article L. 611-3, qui viennent protéger certains étrangers contre les OQTF (cf. encadré ci-dessous). Ces protections visent différentes catégories de personnes en raison de la durée de leur présence sur le territoire français, de la nature et de l’ancienneté de leur lien avec la France et de leur situation personnelle.

Le régime de protection contre les OQTF (article L. 611-3 du CESEDA)

Ne peuvent faire l’objet d’une décision portant OQTF :

1° L’étranger mineur de dix-huit ans ;

2° L’étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu’il a atteint au plus l’âge de treize ans ;

3° L’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s’il a été, pendant toute cette période, titulaire d’une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention « étudiant » ;

4° L’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans ;

5° L’étranger qui est père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France, à condition qu’il établisse contribuer effectivement à l’entretien et à l’éducation de l’enfant dans les conditions prévues par l’article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui‑ci ou depuis au moins deux ans ;

6° L’étranger marié depuis au moins trois ans avec un conjoint de nationalité française, à condition que la communauté de vie n’ait pas cessé depuis le mariage et que le conjoint ait conservé la nationalité française ;

7° L’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui est marié depuis au moins trois ans avec un ressortissant étranger relevant du 2°, à condition que la communauté de vie n’ait pas cessé depuis le mariage ;

8° L’étranger titulaire d’une rente d’accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d’incapacité permanente est égal ou supérieur à 20 % ;

9° L’étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d’un traitement approprié.

Par dérogation au présent article, l’étranger mentionné aux 2° à 8° peut faire l’objet d’une décision portant obligation de quitter le territoire français en application de l’article L. 611-1 s’il vit en France en état de polygamie.

Il en résulte qu’il est aujourd’hui juridiquement possible de retirer la carte de séjour temporaire d’un étranger entré en France avant l’âge de treize ans ou d’en refuser le renouvellement au motif que son comportement est évocateur d’un risque de trouble à l’ordre public, sans pour autant en tirer toutes les conséquences par l’édiction d’une OQTF.

D’après une enquête menée en 2022 auprès d’une cinquantaine de préfectures environ, il est apparu que, sur le seul mois de juillet 2022, 289 OQTF n’ont pas pu être prononcées en raison de ce régime de protection ([48]). Au sein de la préfecture de police de Paris singulièrement et lors de la même année, 84 dossiers n’ont pas pu donner lieu à la notification d’une mesure d’éloignement en raison de ce régime de protection ([49]).

Votre rapporteur est ainsi favorable, conformément à l’article 10 du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, à une réduction du champ des protections prévues à l’article L. 611-3 du CESEDA, en prévoyant par exemple que les étrangers mentionnés aux 2° à 9° puissent faire l’objet d’une OQTF si leur comportement constitue une menace grave pour l’ordre public.

Cette évolution permettra, selon les termes du ministère de l’Intérieur, « d’apprécier la situation individuelle de la personne au cas par cas, in concreto, dans le cadre d’un examen de proportionnalité et dans le respect de la protection de la vie privée et familiale qui reste une garantie prévue par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, et non plus in abstracto, de manière automatique. » ([50])

b.   La poursuite indispensable du développement capacitaire des CRA

Afin d’améliorer la politique d’éloignement des étrangers représentant une menace pour l’ordre public, l’enjeu principal consiste en la poursuite du plan de renforcement des capacités de rétention administrative.

En 2022, 831 personnes en situation irrégulière ont été interpellées à Paris par les services de police et, faisant déjà l’objet d’une OQTF, n’ont pas pu être placées en CRA, faute de place disponible ([51]).

L’augmentation du nombre de places en CRA entreprise depuis 2017 constitue un effort que votre rapporteur salue. Entre 2017 et 2023, le nombre de places est en effet passé de 1 488 à 1 869, soit une augmentation de près de 400 places.

Il convient désormais d’aller plus loin. La poursuite annoncée de l’effort avec l’objectif de porter le nombre de places de CRA à 3 000 d’ici 2027 est ainsi salutaire ([52]). Il s’agira naturellement de s’assurer que les étrangers représentant une menace pour l’ordre public continuent d’être placés prioritairement dans ces nouvelles places.

L’augmentation du nombre de places en CRA constitue toutefois un pis‑aller, le travail sur la fluidification du processus de retour suite au placement en CRA devant être notre première préoccupation.

c.   Le renforcement du recours à l’assignation à résidence

Enfin, le renforcement du recours aux assignations à résidence semble également être un levier pertinent. D’après la circulaire du 3 août 2022 précédemment mentionnée, « ce premier niveau d’exécution [est] trop peu exploité aujourd’hui ». Le recours accru à ce levier signifie néanmoins, comme souligné par cette circulaire, « qu’un jour de pointage manqué s’agissant des étrangers en situation irrégulière auteurs de troubles à l’ordre public implique une réaction immédiate de la part des forces de sécurité intérieure ».

Il suppose dès lors que les ressources humaines, notamment policières, soient suffisantes.

*

*     *

Ainsi, l’effectivité de l’exécution des OQTF est une composante essentielle d’une politique migratoire cohérente et équilibrée. Il est indispensable de poursuivre l’action volontariste en faveur d’une plus grande efficacité de notre politique d’éloignement, en, notamment, priorisant celui des étrangers en situation irrégulière et représentant une menace à l’ordre public. Dans la perspective de l’examen du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, votre rapporteur escompte que les pistes d’évolution qu’elle dessine seront prises en compte.


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   Examen en commission

Lors de sa réunion du mercredi 25 octobre 2023, la commission des Lois auditionne Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, chargée de la Citoyenneté et de la Ville, sur les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » et examine pour avis les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » (Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis).

Lien vidéo : https://assnat.fr/NrHReI

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté et de la ville. La loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, la Lopmi, votée il y a quelques mois par le Parlement, octroie près de 15 milliards d’euros au ministère de l’intérieur et des outre-mer pour les cinq prochaines années. Les crédits que je vais présenter s’inscrivent dans ce cadre.

Je vous prie d’excuser le ministre, qui ne peut être présent ce matin, mais dont chacun connaît l’implication pour défendre les crédits de son ministère.

Pour 2024, le Gouvernement présente un budget en hausse de plus de 7 %, pour un montant total de 2,2 milliards d’euros en crédits de paiement (CP), soit environ 10 % des crédits du ministère entrant dans le périmètre de la Lopmi. Cette augmentation représentera près de 147 millions de crédits supplémentaires par rapport à la loi de finances pour 2023. Elle inclut les crédits issus de la Lopmi pour la période 2022-2027, y compris ceux du plan CRA 3 000.

Ce budget marque une nouvelle étape dans les efforts consentis depuis 2017 pour consolider notre capacité à maîtriser les flux migratoires et lutter contre l’immigration irrégulière, à garantir l’exercice du droit d’asile et à renforcer l’intégration des étrangers en situation régulière dits primo-arrivants. Il s’inscrit dans le cadre de la Lopmi, avec une programmation budgétaire inédite. En cinq ans, nous aurons fait progresser de façon inégalée les crédits affectés à la mission, donc à la politique migratoire de la France.

Le budget de la mission Immigration, asile et intégration repose sur deux programmes complémentaires : le programme 303, Immigration et asile, et le programme 104, Intégration et accès à la nationalité française.

Les crédits du premier s’établissent à hauteur de 1,7 milliard d’euros, en augmentation de 17,7 %. Cette progression sensible reflète le transfert du financement des programmes numériques et de celui des places d’hébergement pour réfugiés précédemment assurés par le programme 104, ainsi que 165 millions de mesures nouvelles.

Pour sa part, le programme 104 s’élève à 431 millions d’euros. La diminution d’environ 20 % de ses crédits par rapport à 2023 correspond pour l’essentiel au transfert que je viens d’évoquer. Ce programme prévoit une augmentation des places d’accueil en 2024, par un rééquilibrage interne des actions soutenues, pour une plus grande lisibilité et sans incidence sur les grandes orientations de la mission.

Près de 65 % des crédits seront consacrés à l’accueil et à l’examen des situations des demandeurs d’asile et des réfugiés. Ce montant de 1,4 milliard d’euros doit permettre d’assurer les dépenses d’hébergement à hauteur de 996 millions, les dépenses pour l’allocation pour demandeur d’asile (ADA) à hauteur de 300 millions et les crédits nécessaires au fonctionnement de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) à hauteur de 108 millions.

Par ailleurs, 20 % des crédits, soit 431 millions d’euros, seront consacrés à la politique d’intégration. Ainsi, 260 millions seront mobilisés pour la maîtrise des flux migratoires, en complément des dépenses dédiées à ces missions par les budgets de la police nationale, de la police aux frontières et de la gendarmerie. Ce montant comprend notamment les crédits alloués à la politique des visas, à l’aide au retour et au financement des lieux de rétention.

Un autre pilier de la politique permise par la mission Immigration, asile et intégration est la conduite de plusieurs chantiers numériques, pour un montant de plus de 50 millions, visant à fournir un service public de qualité dans des délais contraints.

Ce budget n’inclut pas les crédits qui seront rendus nécessaires par les mesures du projet de loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration que votre assemblée examinera prochainement. Il n’intègre pas non plus ceux requis par l’accueil et l’accompagnement exceptionnel des 73 000 bénéficiaires de la protection temporaire qui ont fui l’Ukraine en mars 2022. A contrario, il intègre la prise en charge des coûts de la revalorisation salariale décidée par le Gouvernement en septembre 2022 afin que les salariés du secteur privé non lucratif bénéficient de l’équivalent de l’augmentation de la valeur du point d’indice de la fonction publique. Cette prise en charge représente environ 19,4 millions d’euros pour la mission.

L’engagement du Gouvernement pour une politique migratoire plus efficace et plus humaine est total. En matière d’asile, nous souhaitons continuer à améliorer l’accueil et l’examen des situations des demandeurs. Au total, 138 577 premières demandes ont été enregistrées en 2022. Ce niveau est proche de celui de 2019, année durant laquelle la demande d’asile a été la plus forte en France. Depuis le début de l’année, la hausse du nombre de demandes d’asile s’est poursuivie, pour atteindre 8 %. Toutefois, ce niveau reste moins élevé que dans le reste de l’Europe, où elle avoisine les 30 %.

Dans un contexte de forte incertitude et de tensions internationales, le Gouvernement a établi sa programmation en anticipant environ 160 000 demandeurs d’asile en 2024 et en prévoyant un montant d’environ 300 millions d’euros pour l’ADA. Nous souhaitons promouvoir deux axes. Le premier est l’amélioration des délais de traitement de la demande d’asile par l’Ofpra, dont les effectifs ont été renforcés depuis 2020. Depuis 2017, la dotation annuelle de l’Ofpra a augmenté de 43 millions, et près de 250 équivalents temps plein (ETP) ont été recrutés par l’opérateur.

Le second axe est la poursuite de l’évolution du dispositif national d’accueil (DNA) pour les demandeurs d’asile et les réfugiés. Celle-ci passe par le renforcement des capacités d’hébergement au niveau national, avec l’ouverture de 1 500 nouvelles places en 2024. Le parc d’hébergement comptera ainsi plus de 121 000 places, soit 30 000 places supplémentaires depuis 2017. En complément, nous entendons maintenir les 500 places dédiées aux salles d’accueil temporaire créées dans dix régions de métropole pour accueillir les personnes sans solution d’hébergement ou de logement prises en charge dans le cadre d’opérations de mise à l’abri.

En matière d’intégration, nous souhaitons poursuivre les efforts engagés depuis cinq ans. Ceux-ci ont déjà permis de relever le niveau d’exigence pour l’apprentissage linguistique et civique. Dans l’attente du vote du projet de loi relatif à l’immigration, lequel prévoit des mesures fortes pour renforcer l’intégration par le travail et par la langue, le Gouvernement a prévu de renforcer trois mesures d’intégration – la généralisation d’ici la fin de l’année prochaine du programme Agir, programme d’accompagnement global et individualisé des réfugiés vers le logement et l’emploi, déjà déployé dans la moitié des départements, le développement des formations linguistiques à visée professionnelle et la poursuite du renforcement du rendez-vous de santé.

En matière d’immigration, le dispositif d’aide au retour volontaire (ARV) sera refondu pour être plus incitatif, le montant de l’aide étant rendu dégressif dans le temps pour accélérer le rythme des éloignements. Nous poursuivons aussi l’augmentation de nos capacités de rétention dans le cadre défini par la Lopmi, pour porter à 3 000 le nombre de places en centre de rétention administrative (CRA) d’ici à 2027, soit un doublement du nombre de places qui existaient fin 2017. Par ailleurs, le ministre de l’intérieur et des outre-mer a récemment annoncé l’implantation de dix CRA de plus de 100 places chacun. Les efforts en matière de lutte contre l’immigration clandestine seront rehaussés de 90 millions d’euros, pour atteindre 261 millions. Enfin, nous consacrerons près de 15 millions au renforcement de nos moyens matériels, en procédant à l’achat d’intercepteurs et de moyens de projection, et à la constitution d’un état-major dédié.

L’actualité récente a, encore une fois, montré l’importance de doter la France d’outils et de moyens budgétaires lui permettant de déployer une politique migratoire efficace, pragmatique et humaine. Nous devons donner à l’État, aux préfets et aux services déconcentrés les moyens d’agir le plus efficacement possible. Nous le devons à nos concitoyens, comme à ceux qui demandent à résider en France ou à y trouver refuge. C’est l’objectif du budget que je vous présente. Ce sera aussi celui du projet de loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration. Vous pourrez compter sur ma détermination, comme sur celle du ministre, pour œuvrer à cette ambition.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. En 2024, les crédits consacrés à la mission Immigration, asile et intégration augmenteront pour la septième année consécutive. Ils s’élèveront à 2,16 milliards d’euros en CP, contre 2 milliards en loi de finances initiale pour 2023. En autorisations d’engagement (AE), néanmoins, ils diminueront de 34 %, passant de 2,7 milliards d’euros à 1,7 milliard.

Le programme 303, Immigration et asile, qui réunit la plupart des crédits de la mission, finance les politiques publiques relatives à l’entrée, à la circulation, au séjour et au travail des étrangers, ainsi qu’à l’éloignement des personnes en situation irrégulière et à l’exercice du droit d’asile. En 2024, ses crédits diminueront de 37,5 % en AE, mais progresseront de 17,7 % en CP par rapport à la loi de finances initiale pour 2023.

L’action 02, Garantie de l’exercice du droit d’asile, finance notamment l’ADA. En 2024, la dotation correspondante connaîtra une diminution de 7 %. Le projet annuel de performances indique que cette projection résulte de l’accélération du traitement des demandes d’asile, diminuant mécaniquement le montant consacré à l’ADA. Madame la secrétaire d’État, pourriez-vous expliquer plus précisément les raisons de cette diminution et les hypothèses sur lesquelles elle a été construite ?

L’action 02 récupère, par ailleurs, la dotation inscrite en loi de finances initiale pour 2023 pour l’action 15, Accompagnement des réfugiés, du programme 104, et consacrée au financement des centres provisoires d’hébergement des réfugiés. Le transfert de ces crédits vise à regrouper les places d’hébergement du dispositif national d’accueil dans cette action. En outre, le plafond d’emplois de l’Ofpra sera relevé de 17 équivalents temps plein annuel travaillé (ETPT). Il faut le saluer, car cela permettra de poursuivre la réduction des délais de traitement des demandes d’asile.

Les crédits de l’action 03, Lutte contre l’immigration irrégulière, sont en hausse de 46 % en AE et de 53,8 % en CP. Cette augmentation porte principalement sur les frais d’éloignement des étrangers en situation irrégulière et s’explique par la fin des restrictions sanitaires liées à la pandémie, par une action diplomatique auprès des pays tiers pour faciliter les retours et par l’effet de l’inflation sur le prix des carburants.

Le programme 104, Intégration et accès à la nationalité française, comprend quatre actions relatives à l’intégration des étrangers en situation régulière. Ses crédits sont en baisse de 20 % en AE et en CP, pour s’établir à 431 millions d’euros. Cette évolution s’explique, pour une large part, par la suppression de la totalité des crédits de l’action 15, Accompagnement des réfugiés, soit 121 millions qui ont été transférés pour leur quasi-totalité au programme 303.

Je félicite le Gouvernement pour l’augmentation ambitieuse, de près de 29 %, des crédits de l’action 12, Intégration des étrangers primo-arrivants. La formation linguistique, composante essentielle de la politique d’intégration des étrangers, est financée à la fois par l’action 11, dont les crédits diminuent de 10 %, et par l’action 12, dont les crédits augmentent. Comment évoluera le budget consolidé affecté à ces formations pour 2024 ? Quel sera spécifiquement le budget consacré à la composante linguistique du contrat d’intégration républicaine (CIR) ?

Je note, enfin, une diminution de 17,8 % des crédits consacrés à l’action 16, Accompagnement des foyers de travailleurs migrants. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet, madame la secrétaire d’État ?

Après avoir consacré mon avis budgétaire de l’an dernier à la procédure de régularisation des étrangers en situation irrégulière, en application de la circulaire Valls de 2012, je me suis intéressée cette année à l’un des aspects de la lutte contre l’immigration irrégulière : le régime juridique des OQTF, les obligations de quitter le territoire français. J’ai souhaité l’évaluer du point de vue de l’exécution de ces dernières, mais aussi de la place qu’il réserve à la notion de menace à l’ordre public. Après mes auditions préparatoires, j’ai la conviction qu’il est indispensable d’œuvrer dans le sens de la plus grande célérité possible en matière d’octroi et de renouvellement de titres de séjour, ainsi que d’exécution des OQTF. Nous sommes trop souvent sollicités par des étrangers présents sur le territoire de façon irrégulière depuis de nombreuses années et frappés d’OQTF alors que, désormais, leur vie est en France et que leurs enfants n’ont connu que notre pays. Ces situations sont insupportables, et l’une des priorités de notre politique migratoire doit être d’y mettre fin.

Entre 2011 et 2022, le nombre d’OQTF a augmenté de 123 %. En 2022, 134 000 OQTF ont été prononcées. Mais, dans le même temps, leur taux d’exécution n’a cessé de faiblir – 17 % en 2015, 12,2 % en 2019 et 5,7 % au premier semestre 2021, marqué par la pandémie de covid-19 –, ce qui interroge. La faiblesse de ce taux nuit à la crédibilité de notre politique d’éloignement et entraîne une préoccupante perte de sens chez les agents publics chargés du droit des étrangers. J’en identifie les différentes causes dans mon avis, et formule le vœu que nous avancions prioritairement sur trois pistes : l’amélioration de l’obtention des laissez-passer consulaires grâce à un effort diplomatique multicanal au niveau national et européen ; une meilleure connaissance et un renforcement du recours aux outils juridiques qui existent déjà, comme le refus de délai de départ volontaire ou l’édiction d’interdictions de retour sur le territoire français ; la simplification du contentieux des OQTF, notamment en raccourcissant certains délais.

S’agissant de la prise en compte de la menace à l’ordre public dans le régime juridique des OQTF, je me suis intéressée à trois aspects. Le premier est l’OQTF fondée sur le motif de menace à l’ordre public figurant à l’article L. 611-11 du Ceseda (code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) et qui représente 7 % des OQTF. Le deuxième est la place occupée par l’ordre public dans les OQTF fondées sur d’autres motifs – par exemple, un refus de titre de séjour, lequel peut résulter de la caractérisation d’une menace à l’ordre public. Le troisième aspect est la priorité accordée au placement en CRA des étrangers représentant une menace pour l’ordre public. Je juge cette priorité pertinente et souhaite qu’elle se poursuive et s’accompagne d’un renforcement de la capacité de nos CRA. En cela, je salue la volonté du Gouvernement de porter leur nombre de places à 3 000 d’ici à 2027. Il est également souhaitable de renforcer parallèlement le recours à l’assignation à résidence.

S’agissant du régime juridique des OQTF à proprement parler et de la prise en compte de l’ordre public, il est utile d’assouplir le régime de protection existant contre les OQTF. Je souhaite laisser à l’autorité administrative et au juge la possibilité d’apprécier in concreto si un étranger doit faire l’objet d’une OQTF compte tenu du niveau de menace qu’il représente pour l’ordre public, d’une part, et de sa situation personnelle et de ses liens avec la France, d’autre part. Les protections qui existent dans le Ceseda constituent un frein parfois trop fort. Je serai attentive aux dispositions du projet de loi à venir sur ce point.

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Ludovic Mendes (RE). Les flux migratoires sont élevés et leur maîtrise demeure un enjeu essentiel. Pour lutter contre l’immigration irrégulière avec l’appui de ses partenaires européens, la France se dote d’outils et de processus efficaces. L’accent est mis sur l’amélioration des contrôles, la lutte contre la fraude documentaire – par exemple grâce à l’utilisation proportionnée de la biométrie –, la lutte contre le détournement des procédures, le renforcement des contrôles aux frontières et la dynamisation de la politique d’éloignement. La lutte contre les filières qui exploitent la précarité et la fragilité des personnes souhaitant s’établir sur notre territoire – et qui, ce faisant, participent à la traite des êtres humains – est également prioritaire.

Dans le même temps, il convient de veiller aux conditions d’application de la législation en matière d’entrée et de séjour des étrangers, en apportant un appui permanent aux services qui instruisent et délivrent les titres de séjour, et en veillant aux conditions, notamment de délai, dans lesquelles sont examinées les demandes de délivrance et de renouvellement des titres de séjour. L’accent doit aussi être mis sur la garantie du droit d’asile, lequel est une exigence constitutionnelle, un engagement international en vertu de la convention de Genève et une obligation du droit de l’Union européenne. En 2022, l’Ofpra, dont je salue le remarquable travail, a reçu de plus de 131 000 demandes d’asile. Ce nombre sans précédent fait de la France le deuxième pays d’accueil en Europe, derrière l’Allemagne.

Le plan d’action gouvernemental pour garantir le droit d’asile et mieux maîtriser les flux migratoires du 12 juillet 2017 avait notamment pour objectif d’améliorer le traitement des demandeurs d’asile et leurs conditions d’accueil. Le renforcement des moyens dédiés a produit des effets pour le premier accueil et pour l’enregistrement de la demande d’asile au niveau des guichets uniques. En 2022, ce délai s’est élevé en moyenne à 4,1 jours, en raison de l’accueil des déplacés d’Ukraine, mobilisant fortement les préfectures, ainsi que de la nette augmentation de la demande d’asile au cours du dernier quadrimestre. Ce délai a toutefois progressivement diminué, pour s’établir à 3,1 jours entre janvier et août 2023 – ce qui est conforme au niveau légal de 3 jours.

Alors que le renforcement des capacités d’accueil se poursuivra en 2024, avec la création de 1 500 places supplémentaires pour les demandeurs d’asile et les réfugiés, une attention particulière doit être accordée à l’intégration des étrangers en situation régulière – qui ont vocation à séjourner durablement en France après l’obtention d’un premier titre de séjour ou à bénéficier de la protection internationale après l’obtention du statut de réfugié.

Dans le cas des demandeurs d’asile, les étrangers primo-arrivants s’engagent dans un parcours personnalisé d’intégration républicaine, concrétisé par la signature d’un contrat d’intégration républicaine sur les plateformes d’accueil de l’Ofii, l’Office français de l’immigration et de l’intégration. Avec plus de 110 000 contrats signés en 2022, jamais les attentes en matière de politique d’intégration n’ont été aussi élevées. Chaque année, environ 100 000 étrangers issus de pays tiers à l’Union européenne signent un CIR, lequel constitue la première étape du parcours d’intégration personnalisé et consacre des engagements réciproques, en particulier l’apprentissage du français et l’appropriation des valeurs de la République. Le comité interministériel à l’intégration du 5 juin 2018 a doublé le volume d’heures de formation linguistique et civique dispensées dans le cadre du CIR et a accentué la nécessaire prise en compte de l’insertion professionnelle locale des étrangers primo-arrivants dès le premier mois de leur arrivée en France, en déployant des moyens accrus pour les territoires afin de lever les freins à l’accès à l’emploi et à la formation.

Par ailleurs, il s’agit d’adapter l’immigration régulière aux réalités économiques et sociales de notre pays et à la nécessité de renforcer son attractivité tant vis-à-vis des étudiants internationaux que pour rechercher des profils hautement qualifiés, dans les secteurs innovants par exemple. Les mobilités étudiantes internationales sont un levier d’attractivité et d’influence pour notre pays. Il est ainsi nécessaire de trouver l’équilibre entre un objectif quantitatif et un objectif qualitatif. Nos besoins scientifiques et économiques doivent nous éclairer dans cette démarche. Concernant l’attractivité économique et touristique, les initiatives multipliées ces dernières années en plus des réformes structurelles font de notre pays la première terre d’accueil des projets d’investissement créateurs d’emplois en Europe.

Madame la secrétaire d’État, quels moyens complémentaires iront à la lutte contre l’immigration clandestine en 2024 ?

S’agissant de l’ADA, pourquoi prévoyez-vous un budget supérieur aux prévisions du nombre de demandeurs d’asile ?

Mme Edwige Diaz (RN). Au-delà de plusieurs centaines de milliers d’euros d’économies possibles en matière d’immigration – par exemple en transformant l’aide médicale de l’État (AME) en aide médicale d’urgence –, nous proposons d’autres mesures fortes permettant de sauvegarder d’importantes sommes pour l’État. Ainsi, parmi les amendements que nous défendrons, la fin du traitement sur le sol français des demandes d’asile, qui seraient examinées directement dans les pays de départ, se traduirait par une économie de 200 millions d’euros. Nous proposons également d’allouer à la création de nouvelles places en CRA 100 millions que le PLF prévoit de consacrer à l’accueil de migrants. Nous souhaitons aussi baisser les dépenses insensées, comme le versement d’aides encourageant l’immigration économique, dont le montant a bondi de 45 % entre 2021 et 2022, et augmenter les fonds alloués à la lutte contre l’immigration irrégulière.

Entre 600 0000 et 700 000 étrangers en situation irrégulière sont présents sur notre sol. C’est autant que la population de la Charente-Maritime ou des Pyrénées-Atlantiques. Ces chiffres sont glaçants, surtout quand ils sont mis en parallèle avec le nombre des OQTF non exécutées – à peine 5 % ont été exécutées en 2021.

Autre poste de dépenses délirant, les associations : le montant des subventions versées aux associations immigrationnistes explose ! En 2016, la France leur accordait 306 millions d’euros. En 2022, 981 millions sont venus abonder les caisses de ceux pour qui l’immigration devient un business lucratif. Cette dépense incompréhensible achève de montrer l’hypocrisie d’un gouvernement avare à l’euro près avec les Français, mais dilapidateur avec des associations immigrationnistes. Celles-ci n’ont pourtant pas besoin d’autant de moyens. Elles disposent déjà de relais à l’Assemblée nationale : la NUPES dépose des amendements farfelus pour demander l’augmentation du montant de l’ADA, la création de places d’hébergement d’urgence supplémentaires pour les demandeurs d’asile, celle d’une nouvelle dépense pour un fonds de soutien aux hébergeurs solidaires des demandeurs d’asile et réfugiés, ou encore la régularisation des travailleurs sans papiers. La gauche a définitivement tourné le dos à la défense des classes populaires !

Le texte que vous nous présentez, avant le projet de loi « immigration » annoncé depuis plus d’un an déjà, nourrira le mécontentement des Français en 2024. Comment pouvez‑vous vous prévaloir de fermeté en matière d’immigration, alors que vous refusez de mettre fin au regroupement familial ou au droit du sol ? Comment pouvez-vous dire que vous protégez la population, alors que l’expulsion des clandestins, des délinquants et des criminels étrangers n’est pas systématique ? Comment ne pas croire que l’immigration est un projet macroniste, quand vous refusez de réserver les aides sociales aux Français, transformant ainsi la France en guichet social pour migrants ? L’immigration que vous financez, et même organisez, fait exploser tous les postes de dépenses de l’État et des collectivités, à commencer par les départements qui doivent faire face au déferlement de mineurs non accompagnés, dont près de 40 % seraient de faux mineurs selon un rapport sénatorial, pour un coût proche de 50 000 euros par an et par mineur. Pour toutes ces raisons, il est bien normal que 78 % des Français aient une mauvaise opinion de la politique menée par le Gouvernement en matière d’immigration. Je veux dire à ces Français légitimement inquiets qu’en 2027, lorsque le Rassemblement national arrivera au pouvoir, la politique menée sera radicalement différente.

M. le président Sacha Houlié. Madame la secrétaire d’État, vous n’aurez pas assez d’une demi-heure pour démonter ces contrevérités !

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Notre pays a été condamné à douze reprises pour traitement inhumain et dégradant pour avoir enfermé des enfants et leurs familles dans des centres de rétention. Votre budget est à l’image de cette indignité internationale. Il prépare le terrain d’une loi qui criminalisera toujours plus les étrangers et démolira le droit d’asile. Vous préférez gonfler les crédits du programme Immigration et asile en poursuivant la « dynamisation de la politique d’éloignement ». Eh oui, il faut bien construire ces onze CRA supplémentaires et porter la capacité de rétention à 3 000 places pour satisfaire les desiderata racistes d’Éric Ciotti et du Rassemblement national !

Vous enfermez plus, plus vite et plus longtemps, alors que vous êtes incapables, pour des raisons juridiques et diplomatiques, d’éloigner les personnes retenues. Qu’importe si les associations démontrent depuis des années que la prolongation de la rétention n’a aucun effet sur les chances d’éloignement de la personne retenue, surtout quand elle a été faite sans discernement. Le 20 octobre, une Française a été libérée du CRA du Mesnil-Amelot après y avoir été enfermée pendant cinq semaines. C’est la conséquence de votre politique de délivrance d’OQTF à tout-va, absurde et dangereuse. Vous renforcez les services en préfecture, en créant 8 équivalents temps plein pour poursuivre les travaux préparatoires des « espaces France asile », cette territorialisation insensée de l’Ofpra que le projet de loi Darmanin prépare. Demain, les fonctionnaires de cet organisme seront en grève pour dénoncer leurs conditions de travail, au moment où vous vous apprêtez à compresser les délais de traitement des demandes d’asile. Vous créditez donc des actions qui n’ont pas encore été votées. La prochaine fois, supprimez le Parlement ! Non, la loi Darmanin n’a pas été adoptée par cette assemblée, et elle ne trouve pour l’instant aucune majorité, même si je sais que vous n’hésiterez pas à l’imposer par la force à coups de 49.3, comme le projet de loi de finances pour 2024.

Votre fuite en avant répressive masque mal l’indigence de votre politique d’accueil. Les crédits alloués à l’ADA sont en chute libre : moins 10 % par rapport à 2023, alors que les projections font état d’une augmentation des demandeurs. Ils avaient déjà été réduits de 36 % l’an dernier. Vous clochardisez notre système d’accueil en le rendant défaillant et indigne.

Les demandeurs d’asile sont de moins en moins logés dans les structures d’accueil. Si 70 % y étaient hébergés en 2023, ils ne seraient plus que 64 % en 2024. Le financement de 53 000 places est insuffisant. Le milieu associatif et la solidarité citoyenne tentent, tant bien que mal, de combler les défaillances de la puissance publique. L’État laisse les collectivités locales démunies dans les territoires qui connaissent de fortes tensions en matière d’hébergement. Le rapport annuel de Médecins du monde montre que huit personnes sur dix éligibles à l’aide médicale de l’État n’y ont pas accès. Vous préférez développer la dématérialisation de bout en bout afin de « fluidifier les processus et de réduire les délais » – ou, plutôt, de faire des économies sur le dos de certains usagers du service public qui ne mériteraient pas un accueil humain en préfecture. Ceux qui souffrent déjà de la fracture numérique sont maintenus en situation précaire, voire perdent leur titre de séjour et subissent des ruptures de droits. Les conséquences, nous les connaissons : risques d’interpellation en cas de contrôle policier, difficultés à accéder à un emploi, à la formation, aux études et aux droits sociaux.

Ce budget appuie des politiques publiques inhumaines, qui renvoient des gens dans la précarité et laissent les autres dans l’indigence la plus totale. Nous nous y opposerons fermement.

M. le président Sacha Houlié. La Lopmi a été votée…

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Je parle de la prochaine, la loi « immigration ».

M. le président Sacha Houlié. … et c’est sur la Lopmi que se fonde le financement des CRA dont vous parlez.

M. Éric Pauget (LR). Quand arrêterons-nous de financer ceux qui nous empêchent d’expulser des étrangers en situation irrégulière, dont certains deviennent des terroristes ? Dans une tribune publiée la semaine dernière, Agnès Verdier-Molinié, directrice de l’Ifrap, la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques, met en garde contre le dévoiement et l’absence de transparence des subventions publiques versées aux associations de protection des étrangers qui font tout pour empêcher leur expulsion, y compris lorsqu’ils représentent un risque terroriste avéré pour la France. Malgré le salafisme affiché par la famille du terroriste Mohammed Mogouchkov, qui avait fait l’objet d’une tentative d’expulsion du territoire français en 2014, la Cimade ou le Réseau éducation sans frontières ont tout fait pour empêcher son expulsion.

La France est fière d’être une terre d’asile, mais elle ne peut devenir une terre de terroristes en laissant dévoyer ses valeurs humanistes. Alors que l’État consacre à peine 63 millions d’euros à essayer d’éloigner des étrangers en situation irrégulière et que 7 % seulement des OQTF sont exécutées, il choisit dans le même temps de verser 980 millions à des associations qui s’efforcent de faire annuler ses décisions. Cette disproportion inacceptable – les moyens alloués à la défense des demandeurs d’asile sont quinze fois supérieurs à ceux destinés à la lutte contre l’immigration irrégulière – appelle un rééquilibrage d’urgence, que proposera le président Éric Ciotti par amendement.

Le ministère de l’intérieur pourrait-il communiquer à la représentation nationale le registre des subventions publiques versées aux associations de défense des étrangers, en précisant qui sont les bénéficiaires et quelles actions ont été conduites avec ces fonds publics, lesquels représentent presque la moitié des crédits de la mission Immigration, asile et intégration ?

Le ministère serait-il prêt à être auditionné par une mission d’information parlementaire afin de rendre des comptes quant à l’utilisation de ces crédits, qui appelle plus de transparence ?

M. Emmanuel Mandon (Dem). La mission budgétaire Immigration, asile et intégration pose avec acuité le délicat problème de l’équilibre entre les aspects régaliens et les aspects humanitaires de la politique publique. Ce débat renvoie à des questions concrètes qui structurent la ligne de conduite du Gouvernement, laquelle consiste à garantir que l’apport migratoire soit accepté et acceptable. Les crédits que nous examinons traduisent sur le plan budgétaire cette double volonté : maîtriser une immigration régulière, tout en luttant contre l’immigration irrégulière, en cohérence avec la Lopmi.

Ils sont globalement en légère hausse, au-delà des modifications de nomenclature qui pourraient rendre difficilement perceptible l’évolution des efforts du Gouvernement en leur faveur. Si nous en avions le temps, nous pourrions décrire la réalité chiffrée des flux migratoires, loin des tensions idéologiques suscitées par les arrivées récentes de migrants à Lampedusa et aux Canaries. En 2022, près d’un million de personnes ont demandé l’asile dans l’Union européenne, soit le plus fort afflux observé depuis 2016. Deuxième pays d’entrée, la France est aussi le deuxième pays européen pour les demandes d’asile, derrière l’Allemagne et juste avant l’Espagne. Depuis la fin de la crise sanitaire, on observe une reprise généralisée des flux migratoires en Europe, particulièrement en France. En conséquence, le Gouvernement a alloué des moyens budgétaires supplémentaires à la politique d’asile, qui représente désormais les deux tiers des crédits de la mission. On en voit les premiers effets positifs, comme le traitement dans des délais raisonnables des demandes d’asile, le déploiement du programme Agir, doté de 30 millions d’euros de crédits supplémentaires, ou l’accompagnement immédiat, durable et personnalisé des étrangers auxquels il est demandé de signer un CIR.

Les premiers résultats obtenus par le rééquilibrage territorial des demandeurs d’asile, que l’État s’efforce de structurer par le guichet unique départemental d’intégration et avec le concours des préfectures, sont encourageants. Se pose néanmoins la question de la participation des élus au dispositif national d’accueil et au nouveau schéma d’accueil des demandeurs d’asile et d’intégration des réfugiés. Pensez-vous, madame la secrétaire d’État, généraliser la consultation des élus dans tous les départements ?

J’en viens à la lutte contre l’immigration irrégulière, dont les crédits sont en forte progression, en raison de l’augmentation de 30 % du nombre de places dans les CRA, conformément à la Lopmi. Cette hausse nécessitera le recrutement de nouveaux personnels. Dans les deux CRA que j’ai visités, le manque d’effectifs soulève la question de l’externalisation de certaines missions, y compris celle de surveillance, et du développement de recrutements d’agents polyvalents, à la fois administratifs et de sécurité. La création de nouvelles places s’accompagne-t-elle d’une réflexion sur l’évolution des profils et du statut des futurs personnels ?

Enfin, quelles sont les difficultés qui résultent de la forte augmentation du nombre de mineurs accompagnés ? Où en est la coopération à l’échelle européenne, notamment dans le cadre du nouveau pacte sur la migration et l’asile ? Notre groupe y est favorable, comme il est favorable à ce budget.

Mme Marietta Karamanli (SOC). Les crédits de la mission sont globalement en augmentation, mais l’évolution est contrastée selon les programmes et les actions. Le programme 303 connaît ainsi une augmentation significative de ses crédits de paiement, qui passent de 1,465 milliard à 1,725 milliard d’euros, soit une évolution de 18 % ; les crédits de l’action Lutte contre l’immigration irrégulière augmentent de 91 millions, contre 139 millions pour l’action Garantie de l’exercice du droit d’asile.

Le projet annuel de performances indique que 306,7 millions sont versés à l’Ofii en provenance du programme 303 dans le cadre de la gestion de l’ADA, dont 6,5 millions de frais de gestion. Le programme 104 subit lui aussi une baisse, de 21 %, passant de 543,164 millions dans la loi de finances initiale pour 2023 à 431,158 millions dans le projet de loi de finances pour 2024. Ces évolutions suscitent des interrogations. Toutes les dépenses ne sont pas agrégées et consolidées. En l’espèce, les crédits des collectivités territoriales, souvent en première ligne pour accompagner les migrants, ne sont pas rapprochés de ceux de l’État. Il en va de même de ceux de l’assurance maladie. Cela rend difficile une approche objectivée des crédits et de leur évolution face aux besoins.

La stabilité du montant de l’ADA pose la question du nombre de bénéficiaires et celle du montant de l’allocation, alors que les dépenses contraintes des foyers augmentent en période d’inflation. En 2022, les crédits de l’ADA étaient de l’ordre de 491 millions. Cette stagnation, qui suit une baisse importante, renvoie au problème de la continuité des politiques suivies par l’État. En 2016, l’ADA, d’un montant quasi équivalent à celui d’aujourd’hui, concernait 85 000 demandes d’asile, tandis qu’en 2023, 135 000 demandes seront vraisemblablement en jeu. Comment expliquer que le montant de l’ADA n’évolue plus ?

Le retard dans l’hébergement des demandeurs d’asile n’est pas rattrapé. Les chiffres disponibles font état de la création de 1 000 places en 2024, dont 500 en Cada (centre d’accueil pour demandeurs d’asile) et 500 en CAES (centre d’accueil et d’examen des situations). Dans le PLF pour 2023, 4 900 places supplémentaires étaient annoncées pour les demandeurs d’asile. À titre de comparaison, 15 000 places ont été créées entre 2015 et 2017. Le PLF pour 2020 n’en a créé aucune. Madame la secrétaire d’État, quelle est la capacité réellement installée, et pas seulement celle arrêtée par vos soins ? Dans quelle mesure permet-elle de couvrir les besoins effectivement mesurés, dans chaque département et sur le plan national ?

Enfin, le projet annuel de performances souligne le caractère essentiel de l’apprentissage du français pour l’intégration des migrants. Ce document reste toutefois lacunaire, en ce qu’il n’offre ni vision globale, ni évaluation sommaire des efforts consentis et des résultats obtenus. Pouvez-vous y revenir dans vos réponses, que je souhaite aussi circonstanciées que possible ?

M. Didier Lemaire (HOR). Malgré une baisse des autorisations d’engagement, les crédits de paiement de la mission Immigration, asile et intégration sont en hausse de plus de 7 % pour 2024, s’élevant à plus de 2 milliards d’euros. Le programme Immigration et asile concentre la quasi-totalité des crédits consacrés à cette mission.

Le groupe Horizons et apparentés salue l’accélération du délai d’instruction des demandes d’asile déposées à l’Ofpra, qui est parmi les plus maîtrisés au sein des États membres de l’Union européenne, malgré une augmentation des demandes attendue en 2024 – au nombre de 155 000, soit une moyenne de 13 000 décisions par mois. La diminution de ce délai doit se poursuivre. Il s’élevait en moyenne à 260 jours en 2020-2021, contre 159 jours en 2022 et 121 jours au premier semestre 2023.

Ce budget témoigne de la poursuite des efforts de lutte contre l’immigration irrégulière, une lutte qui bénéficie d’une augmentation de plus de 50 % pour 2024. Depuis 2017, plus de 700 étrangers radicalisés ont été expulsés. En deux ans, plus de 90 000 titres de séjour ont été retirés ou refusés, et 3 200 étrangers représentant une menace pour l’ordre public ont été expulsés. Cet effort doit se maintenir ; le groupe Horizons et apparentés salue le plan ambitieux, inclus dans la Lopmi, d’ouverture de places en CRA, afin de porter le parc à 3 000 places d’ici fin 2027. Ces 3 000 places s’ajouteront aux 1 959 places existantes au sein des vingt-six CRA que compte notre territoire. Toutefois, comme pour les établissements pénitentiaires, si la construction des CRA recueille un net soutien, les possibilités d’implantation sont limitées compte tenu des réticences locales. À quel stade en est la construction de ces 3 000 places ? L’État a-t-il, dans son dialogue avec les collectivités, trouvé des lieux d’implantation ?

L’intégration est un aspect central de la politique migratoire de la France. Ce sont 100 000 étrangers issus de pays tiers à l’Union européenne qui ont signé un CIR. Les efforts en matière d’apprentissage de la langue doivent être poursuivis et relevés au niveau A2, voire B1.

Enfin, le groupe Horizons et apparentés se réjouit que plus de la moitié de ces crédits soient mis à la disposition des préfets de région compte tenu de la nécessaire territorialisation des politiques d’intégration.

Nous voterons en faveur des crédits de la mission.

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). Le groupe Écologistes ne peut que voter contre ce budget en baisse, en particulier pour la garantie du droit d’asile et l’intégration des étrangers, triste avant-goût de la situation qui résultera pour eux du projet de loi Darmanin.

Vous vous vantez d’augmenter le nombre de places dans les centres de rétention, mais quiconque en a visité, et je vous invite à le faire, a constaté des rétentions illégales, des expulsions illégales et un problème général d’accès au juge et aux droits. On parle d’enfermement de personnes innocentes, donc sans aucune justification. La France a été condamnée à des dizaines de reprises par la Cour européenne des droits de l’homme pour l’enfermement d’enfants dans des CRA – des enfants, innocents, et parfois des bébés ! C’est une majorité qui se dit humaniste qui le permet et qui a renforcé ce dispositif depuis 2018. Nous demandons la fin de l’enfermement des mineurs de moins de 18 ans en France, y compris à Mayotte.

Par ailleurs, nous avons besoin d’une régularisation massive, en particulier des travailleurs sans papiers, pour leurs droits et leur dignité et pour lutter contre le dumping social. Malgré elles, ces personnes pèsent sur les salaires des Françaises et des Français. Ainsi, toute la société gagne à ce qu’elles obtiennent des droits. Toutes les études concordent sur ce point. La grande régularisation opérée par François Mitterrand en 1980 a permis d’augmenter les salaires. C’est d’ailleurs peut-être pour cela que le Front national s’y oppose, lui qui refuse systématiquement l’augmentation des salaires.

Enfin, la France a transformé ses préfectures en machines à fabriquer des sans‑papiers. Faute de rendez-vous, les étrangers régulièrement présents sur le territoire craignent pour leur statut et le renouvellement de leur titre. C’est à l’origine d’un contentieux qui embolise les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, qui croulent sous les recours pour faire annuler des décisions et des OQTF illégales, pour contraindre l’administration à donner des rendez-vous et pour faire exécuter les décisions ; 40 à 50 % des procédures au tribunal administratif concernent le droit des étrangers. C’est kafkaïen ! Nous proposons une mesure simple : un délai maximal, comme pour les passeports talent ou pour autoriser les titres, et une autorisation tacite de renouvellement. Cela simplifiera la vie de nombreux habitants et des agents en préfecture.

Je souhaite encore dénoncer le jeu minable autour du projet de loi « immigration » : le Front national instrumentalise l’horreur et utilise la stratégie du vautour lors de drames qui secouent notre pays, pour alimenter des thèses erronées ; la droite lui court après et la majorité ne fait pas beaucoup mieux. On nous parle de ce projet de loi depuis un an et demi, mais pendant ce temps-là, rien n’est fait pour les urgences économiques et sociales du pays. Voilà un an et demi que la majorité fait la danse du ventre pour obtenir les voix de M. Marleix et de ses amis, alors qu’elle sait qu’il finira par la lâcher. Je le sais, vous le savez, lui le sait, tout le monde le sait ! C’est pathétique, alors qu’une majorité de Français estime à raison que l’immigration est une richesse et que les travailleurs sans papiers sont ici chez eux. Je voudrais saluer l’action de soutien de la CGT à une belle grève des sans-papiers il y a quelques jours, qui a conduit à la régularisation de centaines de personnes. Je me suis entretenu avec le patron d’une agence d’intérim, qui ne vote pas pour les écologistes. Je lui ai demandé ce que la régularisation de ces travailleurs changeait pour lui. Il m’a répondu : « Rien, mais je comprends que pour eux, ça change tout. » Régularisons les travailleurs sans papiers !

M. Davy Rimane (GDR-NUPES). La hausse de ce budget n’est pas nouvelle. Ce qui est nouveau, c’est la politique migratoire qu’il permet : depuis 2017, elle est marquée à la fois par une dégradation des conditions d’accueil et d’accompagnement, par des atteintes répétées aux droits fondamentaux et par des traitements dégradants, en particulier s’agissant de l’accueil des mineurs isolés étrangers.

Un arrêt rendu en juillet 2020 par la CEDH (Cour européenne des droits de l’homme) condamne la France pour les conditions d’existence inhumaines et dégradantes des demandeurs d’asile vivant dans la rue. Trois ans plus tard, à Cayenne, place des Amandiers, les demandeurs d’asile s’entassent encore et toujours dans la rue, dans des conditions misérables et indignes. Car les territoires ultramarins sont entièrement dépourvus de Cada. Certes, la présentation du programme 303 annonce la création de nouvelles places de Cada, de CAES et de centres provisoires d’hébergement, mais il est précisé que ces mesures s’inscrivent dans le schéma national d’accueil des demandeurs d’asile et d’intégration des réfugiés. Or, ce schéma n’a jamais été décliné dans les territoires ultramarins. Qu’en sera-t-il concernant son renouvellement pour la période 2024-2027 ? La Guyane concentrant l’essentiel des demandes d’asile déposées outre-mer, il serait normal qu’elle y figure.

Il n’y a pas non plus de CRA outre-mer, du moins pas partout. À la place, on privilégie les locaux de rétention administrative (LRA), qui, en principe, ne doivent être utilisés que lorsque des circonstances particulières empêchent un placement en CRA. C’est le cas en Martinique et à Saint-Martin, qui ne disposent pas de CRA, ou à Mayotte, où des LRA provisoires sont régulièrement créés du fait de la saturation du CRA. L’absence d’accompagnement effectif dans les LRA en fait des zones de non-droit, et il n’est pas rare que des personnes placées en LRA soient reconduites à la frontière sans avoir eu accès à une assistance juridique. Notons toutefois qu’à défaut de la création demandée de longue date de CRA dans nos territoires ultramarins, le ministre Gérald Darmanin a annoncé l’implantation d’un CRA supplémentaire à Mayotte. Restons optimistes. Au moins, les étrangers qui y sont enfermés ne s’empileront plus les uns sur les autres. Mais restons aussi réalistes : c’est avant tout le signe que l’on privilégie les dispositifs d’enfermement et de répression plutôt que ceux visant l’accompagnement et l’intégration.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les moyens de la lutte contre l’immigration irrégulière sont démultipliés, tandis que la dotation du programme dédié à l’intégration et à l’accès à la nationalité française est en baisse et que les outre-mer sont encore une fois mis de côté. J’appelle mes collègues à se pencher sur les nombreuses mesures dérogatoires à l’œuvre dans nos territoires ultramarins, que ce soit en matière de structures d’hébergement, de traitement accéléré des demandes d’asile ou de droits sociaux au rabais. Ce qui est en place à titre expérimental chez nous n’est que le reflet de ce qu’il sera bientôt proposé d’appliquer chez vous.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Quel était en 2022 le taux d’exécution des OQTF – simples ou après passage en CRA ?

Pouvez-vous nous donner des chiffres précis concernant les laissez-passer consulaires, notamment ceux accordés par les trois pays du Maghreb ?

Les forces de sécurité nous rappellent fréquemment leurs difficultés à exécuter les OQTF, alors que le délit de séjour illégal n’existe plus en France. Pouvez-vous nous assurer que le rétablissement de ce délit figurera dans le futur projet de loi « immigration » ?

Quelle est la part de l’immigration économique par rapport à l’immigration pour motif familial ? On nous explique que l’immigration économique est la plus importante. Les chiffres dont je dispose ne le démontrent pas. J’aurais voulu avoir les vôtres.

En 2022, 981 millions d’euros ont été versés à des associations qui aident l’immigration, notamment clandestine. Comment justifiez-vous une telle somme, alors que certaines associations ont clairement pour objectif de s’opposer à l’action de l’État en matière de lutte contre l’immigration illégale ?

L’Ofpra et la CNDA, la Cour nationale du droit d’asile, ont rendu 56 179 décisions favorables d’attribution de l’asile en 2022, ce qui représente 41,8 % des décisions rendues. Se pose alors la question de la situation des 60 % de demandeurs déboutés. Selon un rapport de la Cour des comptes de 2015, 96 % d’entre eux resteraient en France après le rejet de leur dossier. Avez-vous des données plus récentes ?

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d’État. Madame la rapporteure pour avis, le nombre de 160 000 demandeurs d’asile en 2024 est une prévision. Nous avons sanctuarisé le budget de l’ADA à hauteur de 300 millions d’euros, soit le montant nécessaire pour couvrir 180 000 demandes. Le budget est en hausse, même si les demandes sont en baisse.

Le programme 104 n’est pas en diminution, mais 27 millions proviendront des fonds européens au lieu d’être sanctuarisés dans le PLF. La dotation du fonds Asile, migration et intégration (FAMI) est en hausse pour la période 2021-2027.

Vous considérez, à juste titre, que la maîtrise de la langue est essentielle. C’est la raison pour laquelle des mesures nouvelles sont dotées à hauteur de 7,5 millions d’euros. Dans son budget initial pour 2023, l’Ofii avait programmé 87,5 millions de dépenses pour les formations linguistiques. Pour 2024, il prévoit 9 millions pour les seules formations A2 et B1.

Monsieur Mendes, en ce qui concerne les moyens complémentaires dédiés à la lutte contre l’immigration clandestine, 15 millions sont sanctuarisés dans le PLF, pour financer des outils liés aux nouvelles technologies, et le traité franco-britannique de Sandhurst nous apporte une somme substantielle de 540 millions, dédiée à la protection de nos frontières.

Madame Taurinya, le nombre de places en CRA devrait atteindre 3 000 fin 2027. Cela représente environ 60 millions d’euros par an. On peut considérer que ce n’est pas assez, mais…

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). C’est trop !

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d’État. Vous avez le droit de le penser, mais nous en avons besoin. Nous pouvons proposer d’autres dispositifs, mais il faut bien essayer de gérer le flux de demandeurs d’asile qui ne peuvent pas rester.

En 2023, il y avait 121 230 places, dont 11 400 en CPH (centre provisoire d’hébergement).

S’agissant des OQTF, les relations diplomatiques sont primordiales. En 2022, 3 615 étrangers menaçant l’ordre public ont fait l’objet d’une mesure d’éloignement. Nous devons travailler aux laissez-passer consulaires avec les pays avec lesquels nous pouvons encore discuter, comme la Russie. Il faut bien reprendre les discussions là où elles ont été laissées. Au Maghreb, nous pouvons discuter avec certains pays, mais pas avec d’autres.

J’en viens aux subventions accordées à des associations. En 2024, ces subventions représenteront 1 milliard d’euros, dont 4,2 millions pour la Cimade. Ces associations assurent une mission fondamentale de service public en assurant l’accompagnement des demandeurs d’asile, qui est leur ADN. Elles opèrent pour l’État. Leur mission s’arrête là : le droit reprend ensuite sa place et lorsqu’il a rendu son jugement, les associations ne doivent plus intervenir.

Monsieur Mandon, vous évoquez l’externalisation des missions des CRA. Notre objectif est de ramener les policiers qui opèrent en CRA à leur mission première : le maintien de la sécurité. Mais l’on peut externaliser l’accueil du public ou la blanchisserie. Sauf erreur, le budget dédié à l’externalisation des services en CRA est en augmentation de 10 millions.

Madame Taurinya, je reviens à votre question relative à la dématérialisation des demandes d’asile. Quatre passages en préfecture, pour quelqu’un qui n’a pas les moyens de se déplacer, c’est compliqué. Il existe parfois même des ruptures de mobilité. Le budget dédié à la dématérialisation s’élève à 56 millions d’euros sur quatre-vingt-seize mois. L’existence de plateformes dématérialisées est une bonne chose pour faciliter les démarches et éviter d’avoir à se déplacer, comme pour nos concitoyens. Les préfectures ne sont pas sous-dotées, mais elles forment des agents à l’accès au numérique. Lorsqu’un demandeur d’asile se déplace, il peut être accompagné pour effectuer une demande dématérialisée. C’est une avancée, même si rien n’est parfait. Ne passer qu’une ou deux fois en préfecture au lieu de quatre améliore le confort des usagers.

Avec l’Anef (administration numérique des étrangers en France), les délais de traitement se sont beaucoup réduits par rapport aux procédures classiques : à dix-sept jours en moyenne pour les titres étudiant, treize jours pour les passeports talent et dix jours pour les autorisations de travail. Les délais sont donc de plus en plus raisonnables, mais vous avez raison, il faut aller plus loin.

S’agissant de l’implantation des CRA, monsieur Lemaire, l’amendement Ciotti à la Lopmi a sanctuarisé 3 000 places. Les nouveaux sites localisés à Dijon, Oissel, Nantes, Béziers, Aix-en-Provence, Goussainville, Nice, Olivet, Mérignac et Mayotte, ainsi que dans le Dunkerquois, compteront une centaine de places chacun.

Monsieur Bayou, les mineurs en CRA sont minoritaires. Lors de mes visites, par exemple au Canet, dans le 14e arrondissement de Marseille, je ne me souviens pas d’avoir été frappée par le nombre de mineurs. Vous vouliez un chiffre, le voici : 108 mineurs accompagnés en 2022.

Vous m’avez également interpellée sur le futur projet de loi « immigration ». Il interdira la rétention des mineurs en CRA.

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). Y compris à Mayotte ?

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d’État. Nous en discuterons. Ce projet vous sera présenté prochainement. Gardez vos forces pour ce débat, nous en aurons besoin.

M. le président Sacha Houlié. Il ne s’agit pas d’un dialogue. Je vous invite à terminer votre réponse.

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d’État. Vous avez raison d’indiquer qu’il faut trouver une autre solution pour les mineurs. Avec le futur projet de loi, les mineurs ne pourront plus aller en CRA. C’est une très bonne mesure. Nous en débattrons.

Monsieur Rimane, on ne peut pas dire que le ministère de l’intérieur ne prend pas en compte les outre-mer. Faut-il plus de Cada ? Oui : vous avez raison sur le fond ; mais je vous invite plutôt à déposer des amendements au futur projet de loi. Au lieu de perdre notre temps à nous dire que nous ne sommes pas d’accord, essayons de tomber d’accord sur certains sujets. Il est vrai que nous ne répondons pas suffisamment à la demande. Nous devons aller plus loin. Comment sanctuariser ce qui doit être fait et l’évaluer ? Vous savez que l’immigration irrégulière à Mayotte ou en Guyane est un sujet un peu à part, du fait de la situation géographique de ces territoires.

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux questions des autres députés.

M. Yoann Gillet (RN). Comme membre du Gouvernement et élue de Marseille, vous savez que le lien entre immigration et insécurité est établi. Dans la cité phocéenne, 55 % des actes de délinquance sont le fait d’étrangers. La délinquance est en hausse de près de 11 %. Chez vous comme ailleurs – à Nîmes, dans ma circonscription, à Nantes, à Paris, à Lyon –, le bilan de votre ministère de tutelle est mauvais. C’est factuel. Alors que, partout en France, la délinquance et l’ensauvagement de la société pourrissent la vie des Français, le PLF pour 2024 s’inscrit dans la continuité, celle de l’échec.

Madame la secrétaire d’État, 96 % des OQTF ne sont pas exécutées. Alors qu’en France on dénombre une agression toutes les quarante-quatre secondes et 120 attaques quotidiennes à l’arme blanche, puisque le lien entre immigration et insécurité est établi et puisque les exemples de personnes sous OQTF qui commettent des délits, des crimes et des actes de terrorisme sont nombreux, qu’attendez-vous pour réagir ?

Au-delà de l’aspect purement juridique, parfois diplomatique, il existe un aspect pratique. Emmanuel Macron s’était engagé à atteindre 100 % d’exécution des OQTF. Chers collègues, il faut ouvrir les yeux ! Nous vous y invitons, Madame la secrétaire d’État. Assez d’assassinats, assez de viols, assez d’agressions gratuites, assez de vols ! Les Français en ont assez. Ils veulent que l’immobilisme cesse.

Vos documents budgétaires ne fixent aucun objectif d’exécution des OQTF. Mettre de l’argent en plus, c’est bien et c’est nécessaire. Mais il faut une réelle volonté, et afficher un objectif clair en affirmant qu’on expulse. Il faut envoyer un message clair aux pays concernés.

Mme Danièle Obono (LFI-NUPES). Le droit des étrangers a constitué un terrain d’expérimentation de la dématérialisation des procédures, avant que celle-ci ne soit généralisée à d’autres politiques. Entre 2018 et 2022, les réclamations auprès de la Défenseure des droits portant sur les droits fondamentaux des étrangers sont passées de 6 540 à 21 666. Cette hausse de 231 % est en bonne partie liée aux procédures de dématérialisation des guichets préfectoraux, avec le déploiement des modules de prise de rendez-vous en ligne, l’essor de la plateforme Démarches simplifiées, censée permettre d’effectuer l’intégralité du dépôt de demande d’un titre de séjour en ligne, et le développement de l’Anef.

Les ressortissants des pays tiers de l’Union européenne sont les plus durement touchés, car ils n’ont pas d’autre option que les démarches en ligne pour se voir reconnaître un droit au séjour. Ces dernières années, les procédures qui leur sont imposées ont connu de nombreux dysfonctionnements structurels, comme des modules de prise de rendez-vous saturés et des accompagnements inadaptés, entraînant d’importantes ruptures de droits. Tout cela a pour conséquence de maintenir ces personnes dans une situation précaire, voire de les placer dans une situation irrégulière puisqu’elles ne disposent pas de l’ensemble des éléments leur permettant de déposer une demande.

La Défenseure des droits a souligné que le téléservice dans sa forme obligatoire et sans alternative était source de graves atteintes aux droits, lesquelles engendrent un contentieux de masse devant les tribunaux. Par deux décisions, en novembre 2019 et le 3 juin 2022, le Conseil d’État a consacré deux obligations pour les pouvoirs publics : proposer aux personnes en difficulté un accueil et un accompagnement dans leurs démarches numérisées, et prévoir une modalité de substitution pour enregistrer les demandes en cas de bug du téléservice. Comment appliquerez-vous ces décisions ?

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Vous dites que rien n’est parfait, mais concernant l’accueil en préfecture, on est vraiment loin de la perfection ! On ne compte plus, dans nos circonscriptions, les personnes qui viennent nous voir parce qu’elles ont perdu leur emploi alors qu’elles étaient en situation régulière, parce qu’elles ont une carte de séjour en attente et ne la reçoivent qu’une fois qu’elle est périmée, ou parce qu’elles n’ont que des récépissés pendant deux ans et demi, ce qui limite leurs droits et leurs déplacements.

Le budget du programme 104, Intégration et accès à la nationalité française, est en baisse, tandis que celui consacré à la lutte contre l’immigration irrégulière connaît une forte hausse du fait de la création de places supplémentaires en CRA. Vous avez adopté la vision de la droite et de l’extrême droite en validant la demande de M. Ciotti en la matière, sans même étudier les conditions dans lesquelles sont retenus les étrangers dans ces centres. De nombreuses condamnations ont été prononcées concernant l’enfermement des enfants, mais aussi celui des adultes. Ils sont innocents, emprisonnés pour la seule raison qu’ils sont étrangers. Avant d’augmenter le nombre de places en CRA – pour notre part, nous pensons qu’il faut tout bonnement supprimer ces derniers –, vous êtes-vous demandé comment ces places supplémentaires allaient permettre le respect des droits fondamentaux ?

Enfin, je ne vous permets pas de dire que le projet de loi qui va nous être présenté prévoit l’interdiction de l’enfermement des enfants, puisqu’il l’autorise pour les mineurs âgés de 16 à 18 ans et pour tous les mineurs dans les locaux de rétention administrative et à Mayotte.

M. le président Sacha Houlié. Vous faites référence à une disposition de l’article 12 du projet de loi.

Mme Émilie Chandler (RE). Face au nouveau défi migratoire, le Gouvernement a pris ses responsabilités pour mieux accueillir et intégrer les réfugiés et les talents, tout en luttant contre l’immigration irrégulière. Les flux migratoires restent toutefois importants et leur maîtrise demeure un enjeu essentiel. La question se posant tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle européenne, l’Europe et la France doivent, ensemble, lutter davantage contre les passeurs et leurs complices. Dans la continuité des efforts déjà entrepris ces dernières années, le projet de loi de finances pour 2024 consacre au dispositif d’intégration des étrangers des moyens en hausse, et l’enveloppe globale des crédits d’intégration continue de progresser, avec une hausse de 3 %, après une augmentation de plus de 24 % l’an passé. Ces efforts budgétaires traduisent la volonté de réduire les délais administratifs, tout en protégeant mieux ceux qui sont dans le besoin et en renvoyant ceux qui ne respectent pas les valeurs de la République.

Comment garantir une meilleure intégration des étrangers primo-arrivants sur le territoire ?

M. Thomas Ménagé (RN). Madame la secrétaire d’État, vous venez de nous annoncer que le montant des subventions versées par le ministère de l’intérieur aux associations s’élèverait pour 2024 à 1 milliard d’euros, alors que la plupart d’entre elles sont orientées politiquement – je rappelle que Coallia et France terre d’asile sont dirigées par des élues NUPES en exercice – et que dans certaines d’entre elles, c’est connu, de l’argent public a été détourné. Le directeur général d’Equalis percevait un salaire de 18 000 euros mensuels, bénéficiait d’une voiture d’une valeur de 90 000 euros et d’un logement de fonction : ce monsieur roulait en Audi Q7 et c’étaient les Français qui payaient le prix de l’immigration massive et celui de son véhicule. Cette association a touché en 2021 plus de 12 millions d’euros de la part des pouvoirs publics, soit le montant alloué à la redynamisation du commerce rural : cherchez l’erreur.

Ce n’est pas moi qui le dis, mais Didier Leschi, directeur général de l’Ofii : « La difficulté pour l’État, c’est que des associations comme la Cimade postulent à des marchés publics comprenant un cahier des charges précis, alors qu’une partie importante de leurs salariés est fondamentalement hostile à la politique publique qui correspond à ce cahier des charges. » La Cimade reçoit une subvention de 6,4 millions d’euros. Pire : elle est l’une des associations qui a empêché en 2014 l’expulsion de la famille de Mohammed Mogouchkov. L’État subventionne donc des associations qui s’infiltrent dans les CRA pour faire du sabotage et détourner la loi, mettant ainsi les Français en danger par pure idéologie. Il ne s’agit pas de service public, madame la secrétaire d’État : ces gens-là ne défendent pas l’intérêt général, ils défendent une idéologie ; ils n’accompagnent pas les demandeurs d’asile, ils leur donnent des récits prérédigés pour détourner l’État de droit et nuire aux Français. Allez-vous continuer à allouer des subventions à ces associations ou, enfin, instaurer des contrôles et retirer les subventions aux associations qui jouent contre les Français et leur sécurité ?

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Si on ouvre des places en CRA, on va les pourvoir. Cela pose le problème de principe de la rétention. La France a été condamnée par les instances européennes pour cette raison. En outre, notre droit de visite – quand nous pouvons l’exercer convenablement, car j’ai dû récemment attendre trois heures avec des collègues pour pouvoir visiter le CRA 2 de Lyon Saint-Exupéry – nous a permis de constater sur place la surpopulation et le non-respect de la vie privée ainsi que de l’accès à certains droits. Les CRA posent donc une question de principe, celle du respect des droits, mais également celle de l’efficacité.

M. Florent Boudié (RE). Il y a au contraire un changement de nature de la rétention administrative. Elle était autrefois systématiquement prononcée en cas d’OQTF. La stratégie actuelle est plus ciblée : la rétention vise en priorité les personnes qui ont commis un crime ou un délit et qui sont – pardonnez-moi l’expression – expulsables, c’est-à-dire pour lesquelles un laissez-passer consulaire peut être délivré.

Il est vrai que les conditions de rétention ne sont pas toujours bonnes et si nous souhaitons ajouter des capacités de rétention, c’est précisément pour les améliorer. Je précise que la France n’a pas été condamnée pour les mauvaises conditions de rétention, mais pour la rétention de mineurs, et ce en 2012 et 2016 – et non récemment puisque, dans la pratique, les familles ne sont plus retenues avec des mineurs. Nous proposerons dans quelques semaines d’inscrire dans la loi l’interdiction de retenir des mineurs de 16 ans. Nous pourrons d’ailleurs discuter de cette limite d’âge.

Madame la secrétaire d’État, avec vingt-cinq places situées dans les sous-sols de l’hôtel de police, les conditions de rétention du CRA de Bordeaux sont inacceptables. Elles ont d’ailleurs récemment provoqué une grève. Comment comptez-vous intervenir pour remédier à cette situation ?

M. Stéphane Rambaud (RN). La Cour des comptes, dans son dernier rapport relatif à l’analyse de l’exécution budgétaire 2022 de la mission Immigration, asile et intégration, a pointé une sous-utilisation significative et inquiétante des crédits consacrés à la lutte contre l’immigration irrégulière. Pour 2022, 57,3 millions d’euros en AE et 64,4 millions en CP ont été alloués pour l’éloignement des étrangers irréguliers au titre de l’action 03, Lutte contre l’immigration irrégulière, mais seuls 36,3 millions en AE et 31,3 millions en CP ont finalement été engagés, soit une sous-exécution de 36,6 % et de 51,4 %, respectivement.

Dans la situation migratoire chaotique que connaît la France, ces chiffres sont alarmants. Les déclarations fermes du ministre de l’intérieur sur l’immigration sont en décalage avec la réalité budgétaire. Cette sous-exécution témoigne d’un renoncement du Gouvernement et du Président de la République face au problème de l’immigration massive. Des millions de Françaises et de Français, victimes directes ou indirectes de ses conséquences, sont abandonnés à leur triste sort.

Madame la secrétaire d’État, comment comptez-vous assurer une meilleure exécution des crédits consacrés à l’éloignement des étrangers en situation régulière ? Comment concrétiserez-vous les paroles du ministre de l’intérieur pour répondre aux préoccupations des Français concernant l’immigration massive et les enjeux de sécurité qu’elle implique ?

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Parler d’immigration, c’est parler de la France, parce que depuis la Révolution française, l’invention du drapeau tricolore, de la Marseillaise et de la Constitution de 1793, nous avons défini le peuple français comme étant un peuple citoyen et républicain et non un peuple au sens ethnique. En 1793, nous donnions la nationalité aux étrangers au bout d’un an de résidence sur le territoire national ; en 1848, nous avons même abaissé cette durée à six mois. Comment voulez-vous faire des immigrés des Français si vous baissez de 54 à 43 millions d’euros les crédits alloués à l’intégration et à la nationalité française ?

Faire des immigrés des Français, c’est l’histoire de la ville de Marseille : Marseille, qui est née il y a 2 600 ans du mariage d’un Grec et d’une princesse gauloise ; Marseille, qui nous a donné, grâce à des pieds de vigne venus de l’étranger, nos vignobles, qui font la fierté de la France ; Marseille, qui a été conquise par Rome et qui nous a donné notre langue actuelle ; Marseille, qui a été la ville d’accueil des réfugiés des guerres de Religion ; Marseille, qui a été la ville rebelle à l’autorité des rois ; Marseille, qui a donné son nom à notre hymne national en envoyant en 1792 des fédérés pour participer au renversement de la monarchie ; Marseille, qui a eu sa Commune ; Marseille, ville de l’immigration italienne dont je suis moi-même issu ; Marseille, qui s’est libérée par elle-même, grâce à l’insurrection des Forces françaises de l’intérieur et à la participation des tirailleurs algériens et des goumiers marocains ; Marseille, enfin, qui a été la terre d’accueil de la décolonisation. Finalement, faire des Français, c’est un peu faire des Marseillais, puisque Marseille est une ville créole. En augmentant les crédits alloués à l’intégration et à l’accès à la nationalité française, vous feriez œuvre utile pour l’intérêt général et pour notre nation.

M. Philippe Gosselin (LR). J’associe à ma question MM. Éric Ciotti et Éric Pauget.

En 2021, le Premier ministre Jean Castex a validé l’expérimentation de la renationalisation du revenu de solidarité active (RSA) en Seine-Saint-Denis. Cela montre que décider de renationaliser une politique publique locale est possible.

La gestion des mineurs non accompagnés, dont le nombre a explosé, pose de nombreuses difficultés aux départements, à qui on demande de l’assurer alors qu’ils n’ont pas la main sur ces dossiers puisque l’accueil de ces jeunes est fait par et au nom de l’État. La réalité de l’âge des intéressés est un vrai problème. Nous avons d’ailleurs discuté des tests osseux il y a quelques semaines. On apprenait ce week-end dans Le Parisien que dans le Territoire de Belfort, sur quatre-vingt-douze mineurs non accompagnés, soixante-huit seraient majeurs. Il y a donc un détournement de l’esprit de la loi. Accompagner des mineurs, c’est une chose ; accueillir toute la misère du monde, c’est tout autre chose.

Quelle est votre position, madame la secrétaire d’État, sur la renationalisation du dispositif des mineurs non accompagnés ?

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d’État. Monsieur Gillet, parler des exécutions réelles des OQTF n’a pas grand sens : dans un État de droit, il existe des recours et il n’est pas possible d’exécuter une OQTF faisant l’objet d’un recours. Là encore, nous aurons l’occasion d’en reparler dans le cadre du projet de loi « immigration ». Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2021, 124 111 OQTF ont été prononcées et 7 488 ont été exécutées ; en 2022, ces chiffres étaient respectivement de 134 280 et 9 121.

Monsieur Ménagé, je répète que les associations dont vous parlez sont des opérateurs du service public. Les subventions qui leur sont versées sont inscrites dans le PLF ; si vous ne les approuvez pas, vous pouvez proposer de modifier celui-ci par amendement. Si vous ne le faites pas, c’est que vous devez avoir de très bonnes raisons.

Madame Obono, la dématérialisation n’est certes pas la réponse à tous les problèmes de délai pour l’obtention d’un titre, qu’il s’agisse du titre de séjour ou du passeport, mais elle est un début de réponse. Quatre-vingts personnes s’occupent de traiter ces demandes au sein de l’Anef. On ne peut pas attribuer un agent à chaque demandeur d’asile. Mais nous avons mis les moyens financiers, avec 56 millions d’euros sur quatre-vingt-seize mois. La question de l’augmentation de ces moyens se pose chaque année, car les flux sont en augmentation constante, mais on constate déjà que les files diminuent. L’objectif est de réduire le nombre de passages en préfecture.

Concernant les CRA, je rappelle que 95 % des personnes qui y sont retenues sont des délinquants et que 30 % font l’objet d’une procédure d’éloignement. Ils ne sont pas condamnés, certes, mais ils ne sont pas non plus dans la légalité. Que faire avec les personnes en situation irrégulière ? Les mettre en prison ?

Madame Martin, au sujet de votre visite au CRA de Lyon Saint-Exupéry, il me semble que le ministre de l’intérieur vous a répondu. Je crois savoir que vous êtes arrivée avec la presse, ce qui explique sans doute vos difficultés pour y accéder, puisque les personnes qui y travaillent et celles qui y sont retenues ont légitimement pu vouloir protéger leur droit à l’image.

Monsieur Boudié, des travaux devraient débuter en octobre 2024 au CRA de Bordeaux pour une mise en service début 2026. Ce sont, malheureusement, des délais incompressibles.

Monsieur Léaument, merci pour votre hymne à Marseille. Oui, la plus vieille ville de France s’est construite par des vagues d’immigration, comme la France elle-même, et je suis, comme vous, une enfant d’immigrés. Mais, comme l’a dit Gérald Darmanin, le problème n’est pas les étrangers qui veulent habiter ici, vivre mieux que chez eux, partager nos valeurs et devenir français, mais ceux qui commettent des délits ou qui se trouvent en situation irrégulière. S’il n’y a pas de règles, c’est l’anarchie. Or, ce n’est pas ce que cherchent les personnes qui fuient leur pays, parce qu’il n’est pas une démocratie, pour venir chez nous.

Vous m’avez interpellée sur la baisse des crédits du programme 104, Intégration et accès à la nationalité française. Je le répète : il ne s’agit pas d’une baisse, mais d’un transfert de crédits et de compétences vers le programme 303, Asile et immigration.

Monsieur Gosselin, les flux d’arrivée de mineurs non accompagnés sont effectivement en hausse après une forte réduction due à la crise sanitaire, avec 17 782 mineurs accueillis, soit une hausse de 30 % au cours de l’année 2023. Le garde des Sceaux s’est exprimé à ce sujet. J’ai également été interpellée par le conseil départemental des Bouches-du-Rhône. Cette question relève de l’aide sociale à l’enfance (ASE), donc de la compétence de ma collègue Charlotte Caubel, secrétaire d’État chargée de l’enfance, qui sera ravie de travailler avec vous sur cette question primordiale.

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Puis, la Commission examine pour avis les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » (Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis)

Article 35 et état B : Crédits du budget général

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette successivement les amendements II-CL130 et II-CL133 de M. Yoann Gillet.

Amendements II-CL125 et II-CL119 de M. Yoann Gillet, II-CL331 de Mme Edwige Diaz, II-CL159 de Mme Marietta Karamanli et II-CL244 de Mme Andrée Taurinya (discussion commune)

Mme Edwige Diaz (RN). L’amendement II-CL331 propose un transfert de charges pour financer l’instruction des demandes d’asile dans le pays d’origine, afin de diminuer les frais entraînés par la présence sur notre territoire de demandeurs d’asile qui ont été déboutés.

Mme Marietta Karamanli (SOC). Afin de tenir compte de l’inflation, l’amendement II-CL159 vise à augmenter le budget de l’ADA, que le projet de loi de finances pour 2023 avait déjà réduit de 36 %. La secrétaire d’État ne nous a pas répondu au sujet de la stagnation de ce budget depuis des années, malgré l’augmentation du nombre de demandeurs.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). L’amendement II-CL244 vise à doter un nouveau programme de 20,8 millions d’euros par transfert des crédits du programme Lutte contre l’immigration irrégulière, afin de pouvoir financer l’allocation pour demandeur d’asile. Le projet de loi de finances prévoit une nouvelle baisse de ce financement, de 10 %, alors que le nombre de demandeurs augmente de manière continue.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. Les amendements II-CL125, II-CL119 et II-CL331 touchent aux fondements mêmes du droit d’asile, garanti aux niveaux constitutionnel et conventionnel et auquel un certain nombre d’entre nous sommes très attachés. Vous allez jusqu’à dire, dans l’exposé sommaire, que « les migrants fraîchement débarqués touchent des aides auxquelles les Français en situation de précarité n’ont pas nécessairement droit ». Je trouve abject de hiérarchiser ainsi les vulnérabilités. Pour ces trois amendements, mon avis sera donc défavorable.

Les amendements II-CL159 et II-CL244 pèchent par l’excès inverse. La baisse du budget de l’ADA est une bonne nouvelle : elle s’explique par la réduction des délais de traitement des demandes d’asile par l’Ofpra. En effet, une fois la décision rendue, le versement de l’ADA cesse soit que le migrant ait vu sa demande acceptée, auquel cas ses droits sont similaires à ceux des citoyens français, soit qu’elle ait été rejetée, auquel cas l’ADA n’est plus versée. J’émets donc un avis défavorable à ces deux amendements.

M. Erwan Balanant (Dem). L’idée de déporter l’instruction des demandes d’asile dans le pays d’origine est ridicule. Il n’y a pas de consulat de France à Kaboul ! On peut aussi imaginer la situation d’opposants à un régime dictatorial voulant fuir une condamnation injuste et faisant tranquillement la queue devant un consulat de France dans leur pays !

Je demande au Rassemblement national d’arrêter de jouer aux apprentis sorciers avec le droit d’asile, qui est un droit inaliénable garanti par la convention de Genève.

M. Ludovic Mendes (RE). Le droit d’asile est inaliénable, il est également opposable, et tout refus peut faire l’objet d’un recours devant un juge, ce qui ne peut être assuré par un consulat. La seule possibilité de changer les règles concernant l’instruction des demandes passerait par un accord européen sur l’accompagnement dans un pays tiers sûr, seulement vous n’aimez pas l’Europe ! J’ajoute que la proposition du Rassemblement national est inconstitutionnelle.

M. Éric Ciotti (LR). On ne peut pas écarter ce problème par des slogans réducteurs ou par les caricatures dont M. Balanant est coutumier. Les Républicains ont déposé une proposition de loi constitutionnelle, qui sera examinée par notre assemblée le 7 décembre prochain et vise à garantir que la demande d’asile soit déposée en dehors de nos frontières. Le cas échéant, le pacte sur la migration et l’asile pourrait prévoir une zone extraterritoriale en Europe, où les demandes seraient déposées sans que les personnes qui abusent du droit d’asile bénéficient ipso facto des droits, y compris financiers, associés au statut de réfugié.

La réforme du droit d’asile ne peut passer que par une réforme de la Constitution ; c’est pourquoi la loi de M. Darmanin sera inopérante.

L’asile est une procédure noble à laquelle nous sommes tous attachés, mais qui, aujourd’hui, est largement dévoyée : les deux tiers, voire les trois quarts, des 180 000 demandes que nous devrions atteindre en 2023 auront été déposées par de faux demandeurs d’asile.

M. le président Sacha Houlié. Je rappelle que les Anglais ont modifié leur ordre constitutionnel en ce sens et que ce changement s’est traduit en 2022 par un record de 600 000 entrées irrégulières. Cela donne à réfléchir sur l’efficacité de vos propositions.

J’ajoute qu’un accord a été trouvé au Parlement européen entre les groupes Renew et Alliance progressiste des socialistes et démocrates ainsi qu’une partie des députés du Parti populaire européen (PPE) pour voter le pacte sur la migration et l’asile prévoyant l’examen des demandes aux portes de l’Union européenne. Ce pacte pourrait entrer en vigueur avant les élections européennes.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). C’est avec des amendements ignobles comme ceux-là que le Rassemblement national montre son vrai visage et son opposition profonde aux valeurs humanistes. Si les migrants traversent la Méditerranée au péril de leur vie, ce n’est pas pour venir vivre des allocations, mais bien parce qu’ils fuient leur pays d’origine touché par une guerre, des événements climatiques ou dans lequel ils sont pourchassés. Dans ces conditions, il est évident que les demandes d’asile ne peuvent y être instruites.

Mme Edwige Diaz (RN). Il est savoureux de recevoir des leçons de compétence de la part de ceux qui détiennent tous les records d’immigration. Je rappelle que 80 % des Français condamnent la politique menée par les macronistes en ce domaine. Il est également assez drôle de se faire intenter des procès en inhumanité par ceux qui soutiennent le Hamas.

Comme d’habitude, les macronistes conjuguent fausse naïveté et mauvaise foi. M. Balanant a cité le cas de l’Afghanistan, mais c’est un cas particulier : pourquoi ne pas avoir sous-amendé mon amendement pour tenir compte de tels cas ? Que je sache, la Turquie, le Maroc ou l’Algérie ne sont pas des pays en guerre. Les Français sanctionneront durement ce manque de sérieux lors des élections européennes, et c’est tout ce que vous méritez.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement II-CL157 de Mme Marietta Karamanli

Mme Marietta Karamanli (SOC). Cet amendement propose de renforcer de 30 millions d’euros le budget de l’Ofpra, notamment les crédits alloués à la formation de ses agents, afin de leur permettre d’assurer l’effectivité du droit d’asile.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. Le projet de loi de finances prévoit déjà une augmentation du plafond d’emplois de l’Ofpra de 17 équivalents temps plein (ETP). Je répète que les délais de traitement par l’Ofpra sont en baisse. Il me semble préférable que nous nous concentrions sur ce qui marche moins bien. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL328 de M. Éric Ciotti

M. Éric Ciotti (LR). Il vise à réduire les crédits affectés au subventionnement d’associations. L’État verse 11 milliards d’euros par an à ces dernières, dont 1 milliard provient des crédits de la mission. Le montant moyen versé à chacune des 2 400 associations atteint donc 400 000 euros.

Le système marche sur la tête. D’un côté, l’État s’est fixé un objectif d’éloignement, qu’il est malheureusement loin d’atteindre. De l’autre, il finance des associations qui déposent des recours visant à empêcher les éloignements découlant de décisions administratives ou judiciaires. Les conséquences sont parfois dramatiques : en 2014, une action de la Cimade, association financée par des fonds publics, a fait obstacle à l’expulsion du terroriste qui a assassiné Dominique Bernard.

Selon un sondage du 28 septembre, 61 % des Français demandent que l’État arrête de subventionner ces associations. Il doit assumer lui-même les missions qu’il leur délègue – certaines, notamment l’accueil des migrants ukrainiens, ont un caractère humanitaire – et y consacrer deux fois moins de crédits.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. Je répugne à mettre toutes les associations dans le même sac. Vous connaissez assurément des bénévoles qui se mobilisent pour faire vivre la solidarité. Certaines associations s’adonnent à un jeu de dupes bien plus condamnable encore que celui que vous dénoncez, puisqu’elles font leur beurre sur le dos de pauvres bougres – si vous me passez l’expression. Je suis défavorable à votre amendement. En revanche, je serais encline à soutenir des mesures à même d’améliorer la transparence des subventions aux associations.

M. Florent Boudié (RE). Le débat budgétaire nous permet d’amorcer la discussion que nous aurons dans quelques semaines à ce sujet. Les associations interviennent dans le cadre d’une délégation de service public, encadrée par un cahier des charges précises obéissant aux règles de l’État. Il ne faut pas confondre ces fonds avec d’éventuelles subventions versées par des collectivités territoriales. Ils financent par exemple les structures de premier accueil du demandeur d’asile (Spada) ou les interventions dans les CRA.

En revanche, les structures associatives ne peuvent pas systématiquement se construire contre l’État, ni nourrir de la suspicion envers ses autorités. La confrontation, démocratique, est parfois nécessaire pour garantir la qualité de l’asile, mais il faut surtout assurer une coopération : lorsque les services de renseignement identifient un risque, ils doivent dialoguer avec les associations pour prévenir des suites fâcheuses – vous avez cité un exemple d’une extrême gravité.

Mme Edwige Diaz (RN). Nous voterons cet amendement. Il est inacceptable d’imposer aux Français une politique d’austérité dès lors qu’on subventionne le business juteux d’associations qui dérogent au cadre de l’appel d’offres pour faire de la politique, en promouvant leur idéologie avec l’argent des Français. Grassement subventionnées par l’État, comme l’ont montré les scandales précédemment cités, elles retournent son argent contre lui.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL9 de Mme Julie Lechanteux

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. Avis défavorable.

M. Éric Ciotti (LR). Je reviens au précédent débat : Mme la rapporteure pour avis et M. Boudié ont reconnu que nos arguments étaient pertinents. Mme la rapporteure pour avis a souligné que certaines associations s’adonnent à « un jeu de dupes » et qu’elles « font leur beurre sur le dos de pauvres bougres » : dans ces conditions, il est incohérent de ne rien faire. Le budget prévoit 1 milliard pour les associations et 260 millions, quatre fois moins, pour lutter contre l’immigration irrégulière. On voit où sont les priorités.

Mme Danièle Obono (LFI-NUPES). Je m’inscris en faux contre les affirmations de la droite et de l’extrême droite. Avec des moyens très insuffisants, les associations assurent une mission que l’État a choisi de déléguer. Au nom du groupe La France insoumise, je rends hommage à leurs salariés et à leurs bénévoles, dont le travail évite des drames pires encore que ceux qui se produisent déjà au quotidien, en jouant un rôle de protection et de prévention. Je l’observe dans ma circonscription : c’est grâce à eux que les familles à la rue ne meurent pas de faim et que des épidémies de gale ne se propagent pas davantage.

Par ailleurs, nous devrons débattre des moyens accordés à la lutte contre le terrorisme et des défaillances de certains services dans ce domaine, que la presse a rapportées à la suite de l’attaque d’Arras. Il est dommage que nous n’ayons pas pu auditionner le ministre à ce sujet. Cependant, il est intolérable d’instrumentaliser les demandeurs d’asile et les immigrés, comme de perpétuer l’amalgame entre ces personnes et la délinquance ou le terrorisme. Cela relève d’une idéologie délétère, impuissante à protéger nos concitoyens et nos concitoyennes.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. En la matière, toute outrance est condamnable. Il s’agit de personnes qui arrivent dans notre pays, des expériences parfois terrifiantes qu’elles ont vécues et de la manière dont nous les accueillons, ou dont nous ne les accueillons pas.

Je ne retire rien des mots que j’ai prononcés à propos de certaines associations, monsieur Ciotti, mais vous omettez les louanges que j’ai accordées à d’autres. Celles-ci œuvrent dans les préfectures et assurent des missions de l’État. Il faut séparer le bon grain de l’ivraie, étudier attentivement, pour chacune, ses missions et la manière dont elle accueille les personnes qui arrivent sur nos terres. Quant aux autres, elles vont parfois jusqu’à alimenter les réseaux de passeurs – ces ordures, pour dire le moins, s’enrichissent en profitant de la douleur des plus faibles. L’immense majorité des salariés et bénévoles des associations s’engagent pour venir en aide à ceux qui en ont le plus besoin ; veillons à ne pas confondre les uns et les autres, tout en restant attentifs aux possibles dérives.

La commission rejette l’amendement.

Amendements II-CL134, II-CL127, II-CL136 et II-CL135 de M. Yoann Gillet, II-CL325 de M. Éric Pauget, II-CL131 de M. Yoann Gillet, II-CL323 de M. Éric Pauget, II-CL137, II-CL138, II-CL122, II-CL120, II-CL126 et II-CL139 de M. Yoann Gillet, II-CL326, II-CL327 et II-CL324 de M. Éric Pauget, II-CL132 de M. Yoann Gillet, II-CL287, II-CL289, II-CL283, II-CL284 et II-CL286 de Mme Emmanuelle Ménard (discussion commune)

M. Yoann Gillet (RN). La carte de l’immigration est identique à celle de l’insécurité. À Marseille, 55 % des délinquants interpellés sont étrangers ; 93 % des vols et 63 % des agressions sexuelles dans les transports en commun franciliens sont commis par des étrangers – 156 plaintes sont déposées chaque jour pour des agressions sexuelles survenues dans ce réseau, deux fois plus qu’il y a dix ans – et six agressions sexuelles sur dix sont le fait d’étrangers. Le lien est clair.

L’amendement II-CL134 et les trois suivants visent à augmenter les moyens de la lutte contre l’immigration illégale, qui est anarchique. Les Français le demandent et c’est nécessaire.

M. Éric Pauget (LR). Les amendements II-CL325, II-CL323 et II-CL326 visent à augmenter les crédits affectés à la lutte contre l’immigration irrégulière. Le budget prévoit 63 millions d’euros de frais d’éloignement des migrants en situation irrégulière, contre 983 millions pour des associations qui soutiennent l’installation des migrants en France. La disproportion est considérable. Le premier amendement tend à doubler la somme ; le second à l’augmenter de 60 millions pour améliorer les reconduites à la frontière ; le troisième est un amendement de repli qui prévoit de ne transférer que 10 millions vers le programme Immigration et asile.

L’amendement II-CL327 vise à allouer 10 millions d’euros à la création d’un centre de rétention administrative spécifique pour les personnes inscrites au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), afin qu’elles ne se mélangent pas avec les autres personnes. Hier, dans une prison de l’Aisne, un détenu radicalisé a agressé un surveillant avec un couteau.

L’amendement II-CL324 tend à rehausser de 3 millions d’euros les crédits du programme Immigration et asile pour financer les vérifications de minorité, en particulier les tests osseux.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). L’amendement II-CL287 concerne les mineurs non accompagnés (MNA). Face aux arrivées massives, le conseil départemental du Territoire de Belfort a suspendu les aides afférentes. Il est urgent de lutter contre les faux mineurs et les passeurs qui les utilisent pour arrondir leurs fins de mois – ou bien plus.

L’amendement II-CL289 a pour objet d’inviter à déchoir de la nationalité française les binationaux qui ont porté atteinte à la sécurité de notre pays.

L’amendement II-CL283 vise à remédier au faible taux d’exécution des OQTF.

L’amendement II-CL 284 concerne les 60 % de demandeurs d’asile déboutés : 96 % restent en France. Que faisons-nous pour les renvoyer dans leur pays d’origine ?

L’amendement II-CL286 vise à faire réfléchir aux moyens d’expulser les 489 étrangers en situation irrégulière inscrits au FSPRT et dangereux.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. Vous mélangez la lutte contre l’immigration de masse et la lutte contre l’insécurité.

L’amendement II-CL134 tend à transférer 150 millions d’euros du programme Intégration et accès à la nationalité française au programme Immigration et asile. D’abord, le budget alloué à la lutte contre l’immigration irrégulière est déjà significatif. Ensuite, il faut accueillir correctement ceux qui ont tout à faire sur notre sol ; je me réjouis que les crédits consacrés à leur intégration soient à la hauteur.

Nous examinons un texte budgétaire : l’instauration d’un CRA antiterroriste est hors sujet. Nous en débattrons très prochainement, lors de l’examen du projet de loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration. Il en va de même des amendements de Mme Ménard.

Avis défavorable sur tous les amendements.

M. Fabien Di Filippo (LR). Je m’étonne que Mme Obono fasse un parallèle entre la prolifération de la gale et l’arrivée des migrants.

Madame la rapporteure pour avis, on ne peut pas, dans le même temps, dénoncer les gens qui vivent de la misère humaine et instrumentalisent ceux qui n’ont rien à faire sur notre sol, et refuser d’agir concernant les subventions aux associations d’aide aux migrants.

À écouter nos collègues de l’extrême gauche, on penserait que ces dernières se débrouillent avec des bouts de ficelle pour aider des nécessiteux qui doivent bénéficier de l’asile en France. Des faits récents ont révélé les malversations et l’usage dispendieux des crédits : une association qui perçoit 12,6 millions d’euros par an de l’État organise des séminaires coûteux et octroie à ses dirigeants de gros SUV allemands comme voitures de fonction, des cartes bancaires prépayées et 500 euros mensuels d’indemnités de logement en sus d’un salaire de plusieurs centaines de milliers d’euros par an. Nous ne proposons que des mesures de bonne gestion, impératives et urgentes.

Mme Edwige Diaz (RN). Ces amendements visaient à mettre en lumière ce que vous refusez de voir : le lien évident qui unit l’insécurité à l’immigration. Nous voulons dénoncer votre bilan catastrophique, qu’il s’agisse de l’exécution des décisions d’OQTF ou de l’explosion de l’immigration. Vous devez prendre conscience du scandale que représentent certaines associations immigrationnistes : que pensent les Français en voyant que l’argent public finance le Q7 et le salaire de 11 000 euros par mois du directeur d’Equalis ?

Vos réponses nous inquiètent, car elles trahissent votre aveuglement. Soit vous avez honte de votre bilan, soit vous êtes complice de l’immigration massive et vous discréditez dès à présent le projet de loi sur l’immigration, qui ne résoudra en rien les problèmes des Français.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Le Rassemblement national, comme avant lui le Front national, a toujours tenté d’accuser l’immigration de tous les maux de la société, de la délinquance au terrorisme. Il refuse de s’attaquer aux principales préoccupations des Français, les inégalités, le pouvoir d’achat et le climat, car il est incapable d’apporter des solutions. Malheureusement, la droite et une partie de la majorité lui emboîtent le pas ; Emmanuel Macron lui-même explique que les étrangers sont à l’origine de la moitié des actes de délinquance commis à Paris.

Comment, alors, lutter contre la théorie du bouc émissaire et contre les fausses informations qui la nourrissent ? Le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii), placé auprès de la Première ministre, souligne que « les immigrés ne sont pas à l’origine d’une augmentation des taux d’infraction dans les pays d’accueil », ce que confirment nombre de chercheurs et d’institutions : aucune étude n’établit que l’immigration ait un quelconque effet sur la délinquance.

En revanche, il existe une donnée intéressante : la probabilité qu’une personne commette un vol est légèrement supérieure quand elle n’a pas accès au marché du travail. Que se passe-t-il quand les gens sont enfermés dans des camps, privés de nourriture et d’eau, et que le préfet empêche même les associations d’intervenir ? Ils essaient de se nourrir. Donnons-leur les moyens d’assurer leur subsistance !

Mme Danièle Obono (LFI-NUPES). Les obsessions anti-immigrés du Rassemblement national n’ont rien de neuf : il y a plus d’un siècle déjà, l’extrême droite fustigeait les migrants italiens et polonais, voleurs de pommes et assassins. Aujourd’hui, la droite et la majorité partagent ces manies xénophobes. Pourtant, les faits sont têtus.

Monsieur Di Filippo, si les maladies se répandent sans vérifier les papiers d’identité, l’insalubrité et le manque d’accès aux soins favorisent les épidémies de gale. La qualité d’étranger n’y fait rien, quoi que vous en pensiez. Vous avez déjà restreint l’AME et cherchez à la détruire, ce qui provoquera des désastres sanitaires. C’est vous qui êtes à l’origine du chaos qui frappe les personnes migrantes et qui s’étendra au reste de la population, car les maladies ne tiennent compte ni de la couleur de peau, ni de la nationalité. Vous êtes des irresponsables !

M. Florent Boudié (RE). Que l’exposé de nos amendements soit qualifié de sommaire n’implique pas que nos arguments doivent être simplistes. Vous prétendez que la carte de l’immigration et celle de l’insécurité se confondent, comme vous l’affirmiez des cartes des émeutes urbaines et des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) ; or c’était un fantasme. Deux tiers des sites d’émeute ne sont pas des QPV. Nous continuerons à dire qu’il n’y a pas d’équivalence entre l’insécurité et l’immigration. Les chiffres de l’information ne se trouvent pas sur CNews : il faut recouper les informations et faire confiance aux experts indépendants.

En revanche, nous devons lever les contraintes qu’impose le Ceseda lorsqu’elles protègent des personnes de nationalité étrangère qui commettent des délits et des crimes, afin de faire preuve de plus de fermeté. Ces obligations ont été inscrites dans la loi pendant les mandats de Nicolas Sarkozy. Leur suppression est l’objet des articles 9 et 10 du projet de loi « immigration et intégration ».

En ce qui concerne les associations, je n’emploierai pas le même vocabulaire que la rapporteure pour avis. Je répète que les structures associatives financées par l’État exercent des missions de service public, en application d’un cahier des charges précis. Regardons s’il y a du ménage à faire, mais gardons-nous de tout amalgame.

M. Yoann Gillet (RN). La réaction de la gauche à la comparaison des cartes de l’immigration et de l’insécurité ne me surprend pas : ils sont hors sol – à moins qu’ils ne ferment les yeux par électoralisme. En revanche, je ne comprends pas la majorité. La secrétaire d’État a dit que cette comparaison était pertinente dans plusieurs entretiens ; Gérald Darmanin lui‑même l’a également affirmé ; des gens de votre majorité l’ont reconnu. Parce que nous appartenons au Rassemblement national, nous ne pourrions pas le dire, alors que de nombreuses statistiques du ministère de l’intérieur montrent ce qu’il en est. Lors d’une audition de cette même commission, j’ai interrogé le ministre de l’intérieur sur les nationalités des délinquants et des détenus : les faits sont criants. Tous les chiffres que j’ai cités ont d’abord été énoncés par Gérald Darmanin, puis publiés sur le site officiel du ministère de l’intérieur. Tant que vous nierez la réalité, nous n’avancerons pas. Les Français, eux, savent qu’immigration et insécurité sont étroitement liées, ce qui ne signifie pas, évidemment, que tous les immigrés soient des délinquants – ne caricaturez pas nos discours.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement II-CL80 de Mme Elsa Faucillon

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). J’avais défendu l’année dernière un amendement similaire, que la commission avait adopté, mais qui a disparu après le recours au 49.3.

Avec l’article 1er du projet de loi « asile et immigration », la maîtrise de la langue va devenir une condition d’accueil, voire un outil de sélection des candidats. Les étrangers présents sur notre sol ont besoin d’apprendre le français tout au long de leur parcours ; or les moyens sont trop faibles et concentrés sur les primo-arrivants, en particulier dans le cadre du CIR. C’est insuffisant pour acquérir la langue. De plus, certaines personnes n’empruntent pas cette voie. Pour suivre la scolarité de ses enfants ou se lier d’amitié, les personnes peuvent vouloir poursuivre leur apprentissage. Les centres socio-culturels proposent des cours, mais ils n’ont pas les moyens d’accueillir tous les volontaires. Dans le centre de ma commune, 300 personnes sont inscrites sur la liste d’attente pour l’année. Nous revendiquons de promouvoir la francophonie, mais nous refusons de consacrer les moyens nécessaires pour apprendre le français à ceux qui le souhaitent sur notre territoire.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. Ces cours de langue constituent le premier pas vers l’intégration ; personne ne pourrait s’y opposer. Toutefois, votre amendement prévoit d’abonder l’action 11, Accueil des étrangers primo-arrivants, alors qu’il vaudrait mieux privilégier les candidats qui veulent rester durablement en France, pour ne pas éparpiller les crédits.

M. Philippe Pradal (HOR). La somme proposée est symbolique, mais Mme Faucillon met en lumière le rôle essentiel que joue la langue dans la réussite de l’intégration. Nous nous abstiendrons.

M. Florent Boudié (RE). Notre collègue auteure de l’amendement devrait voter au moins la partie du futur projet de loi qui concerne ce sujet très important. Qu’il s’agisse de préparer sa venue en France ou de faciliter son intégration, par exemple au travail, l’apprentissage du français est essentiel ; or son enseignement constitue une faiblesse du système d’intégration. La question des moyens est importante, mais nous voterons contre l’amendement, car le problème relève surtout du droit. Le CIR n’est pas imposé à tous : nous souhaitons l’étendre et élever le niveau de français attendu, en particulier pour les cartes de séjour pluriannuelles, en passant du niveau A1 à une catégorie supérieure ; par extension, les autorités françaises pourront exiger un niveau de français supérieur pour toute délivrance d’un titre de séjour pour une durée longue.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Certains étrangers en situation régulière n’ont pas été concernés par le CIR. Présents en France depuis plusieurs années, ils veulent apprendre la langue. Nous n’avons aucune raison de les expulser et ils resteront certainement jusqu’à la fin de leur vie. Pourtant, les villes n’ont pas les moyens de leur permettre d’apprendre le français près de chez eux. Tous les crédits tendent à favoriser l’emploi. S’il est bon que les gens puissent progresser en français pour trouver un travail, cette politique laisse de côté certaines personnes. Vous l’aurez compris, il s’agit d’un amendement d’appel ; je le défends à la demande des centres sociaux, qui manquent de moyens pour financer les ateliers socio‑linguistiques.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL158 de Mme Marietta Karamanli

Mme Cécile Untermaier (SOC). Qu’on veuille développer ou restreindre l’immigration, il faut évidemment renforcer les cours de français pour les étrangers. Nous nous heurtons à une volonté systématique de repousser les amendements de certains groupes.

Nous devons un hébergement d’urgence aux demandeurs d’asile. La majorité a accompli des efforts en ce sens, mais il faut les poursuivre. Le présent amendement, qui est un amendement d’appel, vise à porter de 1 000 à 2 000 le nombre de places en 2024, sachant qu’aucune n’a été créée en 2020.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. On ne peut être insensible au sujet. Les hébergements d’urgence pour demandeurs d’asile (Huda) offrent en réalité des prestations d’accueil similaires à celles des Cada. La dotation pour 2024 s’établit à 402 millions d’euros, contre 394 millions l’an dernier. On peut toujours demander plus, mais je ne souscris pas à la minoration des crédits de lutte contre l’immigration irrégulière, également prioritaire. Avis défavorable.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Sans les associations, il serait très difficile d’apprendre le français aux étrangers et d’accueillir dignement les demandeurs d’asile. Dans mon département, je vois nombre d’associations qui ne gagnent pas du tout d’argent et des bénévoles qui donnent des heures de présence pour enseigner le français : ne les montrons pas du doigt.

Mme Béatrice Roullaud (RN). Les 200 000 euros de crédits que l’amendement de Mme Faucillon visait à attribuer aux cours de langue auraient été prélevés sur la lutte contre l’immigration irrégulière. Aussi avons-nous voté contre.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL333 de Mme Edwige Diaz

Mme Edwige Diaz (RN). Emmanuel Macron avait annoncé que la lutte contre les violences faites aux femmes serait un objectif de son quinquennat. Cette volonté politique s’est traduite par la dispensation de formations visant à lutter contre les actes à caractère sexiste et sexuel, dans le secteur privé mais également dans le secteur public, par exemple au Conseil d’État.

Par ailleurs, 63 % des agressions sexuelles subies par les femmes dans les transports en commun d’Île-de-France sont le fait d’individus de nationalité étrangère.

Il ne s’agit évidemment pas de former à respecter les femmes les personnes qui n’ont rien à faire sur notre territoire. En revanche, ce serait une bonne chose d’obliger les primo‑arrivants en situation régulière à suivre une telle formation, pour améliorer leur intégration et vérifier, avant de leur donner la nationalité, s’ils respectent nos valeurs occidentales et nos codes culturels.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. Vous réduisez l’intégration des primo-arrivants à l’inculcation de la lutte contre les violences sexuelles : cela manque d’ambition. Les valeurs de la République vont bien au-delà de cet aspect.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendements II-CL116 et II-CL124 de M. Yoann Gillet (discussion commune)

M. Yoann Gillet (RN). Selon les chiffres fournis par l’Observatoire de l’immigration et de la démographie, 4 millions de personnes ont acquis la nationalité française entre 1982 et 2019. Avec plus de 130 000 acquisitions en 2021, la France est l’un des pays où l’obtention de la nationalité est la plus facile ; elle a lieu majoritairement par naturalisation.

La nationalité française s’hérite ou se mérite. Cette logique, plébiscitée par les Français, y compris ceux d’origine étrangère, doit prévaloir. La nationalité française n’est pas un ticket de tombola donné à tout-va. Être français ne se résume pas à un bout de papier : c’est une histoire, une culture, une pensée et une vision unie de la France. D’ailleurs, puisque naturaliser est aussi simple, déchoir de la nationalité devrait l’être tout autant.

Ces amendements d’appel tendent donc à minorer le budget de l’action Accès à la nationalité française.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. Vos outrances sur un sujet si complexe et que vous instrumentalisez par malhonnêteté intellectuelle et pour tenter de grappiller quelques voix ne facilitent pas les choses. Vous prenez les Français pour des imbéciles ; ce n’est pas ma manière de concevoir la politique.

Si l’obtention de la nationalité était si facile, cela se saurait. Je suis très heureuse et fière que des personnes étrangères fassent tout pour avoir un parcours d’intégration exemplaire, au point de devenir, pour beaucoup, plus françaises que nous. Ne laissons pas croire à nos concitoyens que l’on obtient la nationalité française d’un claquement de doigts : c’est faux ! Arrêtez de dire n’importe quoi.

M. Florent Boudié (RE). Pour le Rassemblement national, quand on acquiert la nationalité française, on est un Français de papier. Vous parlez de 4 millions de naturalisés depuis les années 1980 ; mais, pour remonter encore dans le temps, il est probable qu’assez peu d’entre nous aient une filiation française depuis le XVIIIe siècle. Je fais cette plaisanterie parce que votre propos est grotesque.

Jamais l’acquisition de la nationalité française n’a été aussi strictement contrôlée qu’aujourd’hui. Il y a quelques semaines, j’étais à la sous-préfecture de Libourne pour accueillir les personnes nouvellement naturalisées. J’ai vu leur fierté, je les ai entendues chanter La Marseillaise, j’ai vu comme elles souhaitaient être prises en photo avec le député, le sous-préfet, le maire ; j’ai vu les larmes dans les yeux de certaines qui, ensuite, m’ont confié combien étaient difficiles les contrôles de connaissance de la langue française et de l’histoire de notre pays. Voilà ce que la République souhaite faire : accueillir, tout en étant exigeante, parce que nous avons des valeurs et des principes – je ne suis pas sûr que ce soit votre cas.

M. Yoann Gillet (RN). Ne caricaturons pas et arrêtons de tout mélanger. Évidemment, et heureusement, il y a des gens qui obtiennent la nationalité française en l’ayant méritée, qui sont parfaitement insérés, heureux et fiers de poser à côté du drapeau français et de rencontrer leur député. Ce que nous disons, c’est qu’il ne faut pas brader la nationalité française, qu’il faut la préserver et faire en sorte qu’elle s’hérite ou se mérite. Nous connaissons tous des gens qui la mériteraient, mais aussi des gens qui l’ont obtenue alors qu’ils ne la méritaient pas. Je maintiens que, dans certains cas, c’est un peu trop facile. Ma moitié a la nationalité française depuis cinq ans et son parcours a été assez simple.

La commission rejette successivement les amendements.

Suivant l’avis de la rapporteure, elle rejette l’amendement II-CL334 de Mme Edwige Diaz.

Amendements II-CL253 et II-CL245 de M. Andy Kerbrat

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). La dotation relative à l’accompagnement des foyers de travailleurs migrants est en baisse de près de 18 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2023. Par ces crédits, le ministère de l’intérieur accompagne la rénovation et la modernisation de ces foyers. Or, bien qu’une grande partie d’entre eux aient déjà été rénovés au cours des vingt-cinq dernières années, plus d’une centaine ont encore besoin de l’être. Les canicules de cet été ont rappelé l’urgence de la rénovation thermique. Alors que l’appel aux travailleurs migrants dans les secteurs dits en tension est au cœur du débat sur le projet de loi « immigration », ce sujet reste une priorité ; il est nécessaire de rehausser le budget dont il bénéficie.

Le financement de cette mesure se ferait par le prélèvement de 2 millions d’euros sur l’action Lutte contre l’immigration irrégulière pour abonder l’action Accompagnement des foyers de travailleurs migrants.

Le second amendement vise à augmenter le budget de l’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile, en prélevant 20 millions sur la même action Lutte contre l’immigration irrégulière, afin de financer la création d’un nouveau programme, Moyens supplémentaires pour l’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile.

Les crédits actuels et les conditions d’accueil qui en découlent sont loin d’être satisfaisants. On se souvient de la démission fracassante, en mai dernier, du maire de Saint‑Brevin, visé par des menaces et des violences venant de l’extrême droite. L’installation ou l’extension de Cada suscite de nombreuses tensions, alimentées et instrumentalisées par cette dernière. Ces difficultés contribuent à la pénurie de places en Cada, dont le parc est justement complété par le dispositif d’hébergement d’urgence.

Le budget prévu pour celui-ci reste globalement insuffisant. Il ne permettra pas aux collectivités de résorber la demande, notamment celle des plus vulnérables : femmes victimes de violences ou de la traite des êtres humains, enfants – que le Rassemblement national n’aime que s’ils sont français.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. Nous devons évidemment rester très attentifs à la question de l’hébergement. Certaines situations sont inqualifiables. Mais je suis défavorable à ce que l’on retire des crédits à l’action Lutte contre l’immigration irrégulière alors que les budgets visés sont déjà en forte augmentation – même si ce n’est peut-être pas suffisant.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement II-CL249 de Mme Andrée Taurinya

Mme Danièle Obono (LFI-NUPES). Nous proposons la création d’un nouveau programme destiné à financer le recrutement de personnel dans les préfectures et sous‑préfectures, en lien avec le problème de la dématérialisation des procédures.

Le budget de cette mission vise à faire de la dématérialisation « de bout en bout » un cheval de bataille « afin de fluidifier les processus et de réduire les délais », selon le projet annuel de performances. En réalité, l’objectif est de faire des économies au détriment des droits de certains usagers, dont on estime qu’ils ne méritent pas un accueil humain en préfecture.

Claire Hédon, Défenseure des droits, le rappelle régulièrement, et encore dans son dernier rapport d’activité : le recours imposé aux dispositifs dématérialisés de prise de rendez‑vous en ligne entrave l’accès des étrangers à leurs droits. Selon elle, loin de faciliter les démarches des ressortissants étrangers, ces dispositifs conduisent dans de nombreux cas à une impasse, faute de créneaux disponibles. Les délais de réponse, que la secrétaire d’État a évoqués en répondant à côté de ma question, dépassent les délais légaux de notification, ce qui peut faire basculer certaines personnes de la régularité à l’irrégularité.

Dans ce domaine comme dans d’autres, le droit des étrangers sert de terrain d’expérimentation pour des mesures généralisées ensuite à l’ensemble des usagers.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. Vous avez raison, et Mme la secrétaire d’État n’a pas dit le contraire : on ne peut absolument pas se satisfaire de la qualité de l’accueil réservé aux personnes étrangères dans nos préfectures. L’an dernier, j’avais d’ailleurs consacré une partie de mon avis budgétaire à ce sujet. Cette situation n’est pas non plus satisfaisante pour le personnel, à qui elle peut faire perdre le sens de sa mission. De plus, elle engorge de manière terrifiante nos tribunaux administratifs.

Mais cela ne relève pas du budget de la mission budgétaire Immigration, asile et intégration, bien plutôt de celui de la mission Administration générale et territoriale de l’État. Avis défavorable.

M. Florent Boudié (RE). De mémoire, le financement complémentaire apporté par la Lopmi aux préfectures, notamment à leurs services des étrangers, était de 837 millions d’euros. Il visait précisément à renforcer les équipes d’accueil.

Il ne faut pas opposer la dématérialisation, qui concerne une partie seulement des procédures, et le renforcement des effectifs : nous faisons les deux. Sur les 15 milliards d’euros de la Lopmi, près d’un milliard va à l’accueil physique et au renforcement du nombre d’agents dans les préfectures. L’amendement est donc totalement satisfait par ce texte de loi que vous avez refusé de voter.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Vous dites que ces sommes vont aller aux services des étrangers, mais ce n’est pas vrai : malheureusement, les documents budgétaires n’entrent pas dans ce niveau de détail. C’est le problème que soulevait la Cour des comptes en 2021 : en réalité, les préfets affectent comme ils le veulent les moyens supplémentaires qui leur sont alloués, en fonction des problèmes auxquels ils sont confrontés. Ainsi, le contrôle de légalité était un objectif prioritaire du plan Préfectures nouvelle génération, mais les effectifs ont baissé depuis l’annonce de celui-ci, alors que les préfets ont reçu les moyens nécessaires : c’est qu’ils les ont investis ailleurs.

Par ailleurs, le collectif Nos services publics nous a alertés sur le fait que l’essentiel des moyens supplémentaires concernant les étrangers allait au bureau du contentieux et de l’éloignement, et non à l’accueil. C’était délibéré, dans l’attente de l’Anef, nouvelle plateforme dématérialisée pour l’ensemble des titres concernant les étrangers. Or, celle-ci dysfonctionne, comme le montre l’avis budgétaire sur la mission Administration générale et territoriale de l’État.

Vous avez raison, madame la rapporteure pour avis : l’amendement aurait été plus à sa place dans cette dernière mission. Le problème est que l’amendement équivalent présenté dans ce cadre n’a pas été voté par la majorité.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL250 de M. Andy Kerbrat

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). Il vise à demander plus de moyens pour l’accueil des mineurs non accompagnés ; ils seraient pris sur la lutte contre la fameuse immigration illégale.

Loin des discours racistes véhiculés par la droite et l’extrême droite pour alimenter une peur qui n’a pas lieu d’être, ces jeunes hommes et femmes sont livrés à eux-mêmes, chassés le soir dans les rues par le préfet de police de Paris parce que les Jeux olympiques arrivent, empêchés de se nourrir par des arrêtés interdisant aux associations de distribuer de la nourriture.

La France a été condamnée à de multiples reprises pour des violations répétées de la Convention européenne des droits de l’homme, des traitements inhumains d’enfants de 8, 10 ou 12 ans ; c’est inacceptable. Or, la situation s’aggrave partout ; des gens sont mis en danger par l’inaction de l’État et le fait que l’on veuille les cacher au lieu de s’en occuper.

L’entrée d’un mineur non accompagné en France n’est ni irrégulière, ni illégale. Tout mineur sans parent ni tuteur légal a droit à la protection de l’enfance jusqu’à sa majorité. C’est aussi l’honneur de la France et de son modèle social. Il faut accueillir dignement ces jeunes hommes et femmes en souffrance. Certains, qui prétendent défendre les enfants, sont aux abonnés absents quand ces derniers n’ont pas la bonne couleur de peau ou nationalité. Il n’y a pas de vrais ou de faux mineurs, il n’y a que des enfants en difficulté ; en tout cas, ici, il y a des vrais racistes !

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. Le sujet est évidemment essentiel, mais lui non plus ne relève pas de la présente mission budgétaire. Nous aurons ce débat ailleurs et à un autre moment.

Avis défavorable.

Mme Edwige Diaz (RN). Cet amendement de l’extrême gauche NUPES n’est pas étonnant. Tout le monde le sait, parce que les professionnels du secteur le disent : le dispositif fait l’objet d’une fraude massive. Les finances publiques ne peuvent plus supporter ces dépenses considérables au bénéfice des mineurs dits non accompagnés – près de 50 000 euros par an et par mineur –, que nous accueillons en très grand nombre. En niant la fraude, vous restez ancrés dans des certitudes qui relèvent de la mauvaise foi. J’aurais aimé que l’on dissipe l’ambiguïté et que vous votiez la proposition de loi présentée il y a quelques semaines par Alexandra Masson, laquelle aurait permis de déterminer au moyen de tests radiologiques si une personne mérite de relever de ce dispositif unique en Europe et particulièrement généreux. Plus il y a de fraude, moins il y a de moyens à allouer par les départements aux enfants qui méritent d’être protégés par nos institutions.

Votre amendement est malhonnête et contraire à ce qu’il faudrait faire. Nous voterons bien sûr contre.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL255 de M. Andy Kerbrat

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Nous proposons la création d’un nouveau programme, Fonds de soutien aux hébergeurs solidaires de demandeurs d’asile et de réfugiés, financé en prélevant 10 millions d’euros sur l’action Lutte contre l’immigration irrégulière.

Nous souhaitons rompre avec le caractère discrétionnaire des aides apportées par les collectivités territoriales aux hébergeurs solidaires des demandeurs d’asile et réfugiés en attente d’un logement pérenne.

Cette aide a permis une grande solidarité avec les réfugiés ukrainiens. Malheureusement, ce dispositif, piloté par certaines collectivités, n’a pas permis de généraliser les aides à l’ensemble du territoire. Les collectivités en question ont improvisé un budget pour venir en aide aux personnes concernées et assurer cette entraide essentielle à la protection des exilés ainsi qu’à leur intégration dans la société française.

Il s’agit de faire en sorte que la généralisation de ce dispositif et son étatisation soient pilotées par l’Ofii, en raison de sa compétence dans la gestion des attributions aux demandeurs d’asile de places en centre de transit et en hébergement d’urgence.

Au moment où les associations, les ONG et les chercheurs alertent sur une crise sans précédent de l’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile, il est nécessaire d’apporter une aide financière symbolique aux personnes qui accueillent chez elles ces personnes, les sauvant de la rue et subvenant à une partie de leurs besoins matériels. Face au désengagement de l’État quand il s’agit de construire et de réquisitionner des logements pour héberger les sans-abri et, parmi eux, les demandeurs d’asile, cette aide de 300 euros par mois palliera le manque de logements et permettra aux hébergeurs de préserver leur pouvoir d’achat malgré le coût de leur solidarité.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. Je ne peux pas vous laisser dire que l’État se désengage. Les montants en jeu sont élevés et l’effort indiscutable, même si vous pouvez les trouver insuffisants.

Une fois de plus, ce sont les crédits de la lutte contre l’immigration irrégulière qui pâtiraient de votre amendement. Cela finit par se voir…

Mme Pascale Bordes (RN). Au concours des mauvaises idées, nos collègues d’extrême gauche remportent la palme ! Cet amendement, s’il était accepté, créerait un appel d’air pour les marchands de sommeil.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Madame la rapporteure pour avis, nous n’avons pas la même vision de ce budget. Pour nous, il faut abonder les crédits de tous les dispositifs permettant d’accueillir dignement et d’éviter à notre pays les condamnations multiples dont il fait l’objet. Il n’y a pas assez d’hébergements ! Dans ma circonscription, quantité de réfugiés se retrouvent à la rue, dont des enfants, des femmes enceintes, des femmes qui viennent d’accoucher, avec leur nouveau-né. Ils sont hébergés par des associations qui assurent la solidarité. On ne peut pas laisser un nouveau-né dans la rue !

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL332 de Mme Edwige Diaz

Mme Edwige Diaz (RN). Les coûts engendrés par l’immigration clandestine sont considérables : aide médicale de l’État, allocations, financement d’associations grassement subventionnées à la neutralité politique contestable, mise à disposition de fonctionnaires, notamment préfectoraux, pour gérer les flux et les conséquences financières de l’insécurité due aux clandestins.

Ce n’est pas un sujet à prendre à la légère. D’après le ministère de l’intérieur, 600 000 à 700 000 clandestins seraient présents en France. Je le répète, c’est quasiment le nombre d’habitants en Charente-Maritime.

Pourtant, le Gouvernement ne semble pas vouloir lutter davantage contre cette immigration : il cherche plutôt à la réguler. C’est ce que l’on peut déduire du projet de loi de finances comme des déclarations de M. Darmanin à propos de son projet de loi sur l’immigration.

Par cet amendement de responsabilité, nous vous demandons de protéger les Français, et de respecter leur volonté en augmentant les crédits dédiés à la lutte contre l’immigration clandestine.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. Ce n’est pas du tout une défense d’amendement : vous parlez encore et toujours de la politique migratoire que vous voulez ; vous aurez tout loisir de le faire lors de la discussion générale sur le projet de loi « immigration ».

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Décidément, collègues du Rassemblement national, vous n’aimez pas la France. Vous ne voulez ni que l’on vienne dans notre pays, ni que l’on puisse devenir français. Vous êtes complètement à côté de la plaque en ce qui concerne l’amour de notre pays !

De plus, vous n’êtes pas cohérents. Pendant le débat sur la réforme des retraites, dont vous avez été globalement absents, vous n’avez dit à peu près qu’une chose : qu’il y avait un problème de démographie et qu’il fallait donc encourager la natalité. Pourquoi pas, mais cela ne résoudra le problème que dans dix-huit ou vingt ans. Parce qu’ils n’ont pas la bonne couleur de peau, vous ne voulez pas que des gens viennent travailler en France. C’est le sens de votre amendement, dont l’exposé sommaire parle d’immigration économique.

Une fois de plus, vous oubliez d’en nommer les causes. Quitter son pays, vivre en exil est une souffrance. Si les gens partent, c’est que des acteurs capitalistes – c’est ce dernier mot qui manque toujours à vos argumentaires – détruisent l’économie de leur pays, comme le fait votre ami M. Bolloré, qui pille l’Afrique tout en se plaignant de l’immigration sur sa chaîne de télévision.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL82 de Mme Elsa Faucillon

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Cet amendement est l’occasion de saluer le travail des associations de sauvetage en mer qui œuvrent dans la Manche et en Méditerranée. SOS Méditerranée a secouru 38 000 personnes depuis 2016. Sans elle, les 2 500 personnes – hommes, femmes, enfants – qui sont mortes en Méditerranée rien qu’en 2023 seraient encore bien plus nombreuses. Or, cette association est financée à 90 % par des dons privés, auxquels s’ajoutent quelques dons de collectivités locales.

Selon la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982, « tous les États côtiers facilitent la création et le fonctionnement d’un service permanent de recherche et de sauvetage adéquat et efficace pour assurer la sécurité maritime et aérienne et, s’il y a lieu, collaborent à cette fin avec leurs voisins dans le cadre d’arrangements régionaux ».

À défaut de créer un secours public, l’État doit venir en aide aux associations. SOS Méditerranée a besoin d’environ 24 000 euros par jour. Mais avec l’augmentation du prix du fioul, il lui est de plus en plus difficile d’assurer sa mission avec les seuls dons privés. D’autant que l’Italie, quand elle accepte de fournir des ports sûrs, les situe au plus loin de la zone où se trouvent les bateaux de l’association et lui donne des amendes quand ces derniers n’arrivent pas à temps.

Pensez-vous vraiment que s’il n’y avait pas de sauvetage, moins de personnes prendraient la mer ? Il faut arrêter avec cette logique ! Aidons les associations qui sauvent des vies.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. C’est un sujet auquel on ne peut être insensible. Qu’est-ce qui pousse ces personnes à risquer leur vie, à s’exposer à des conditions aussi atroces ? Mais c’est bien plutôt au niveau européen qu’il faut intervenir. Depuis 2014, ce sont 630 000 vies qui ont été sauvées grâce à l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL81 de Mme Elsa Faucillon

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). La régularisation des travailleurs et travailleuses sans papiers apportera des cotisations supplémentaires, confirmera que ces travailleurs rapportent plus qu’ils ne coûtent et que l’insertion est favorisée par le travail, et sera porteuse d’une augmentation salariale pour tous les travailleurs. Ainsi, si c’est pour me plier aux règles budgétaires que je ne propose de financer la mesure qu’à hauteur de 1 euro, on peut aussi bien faire valoir qu’elle est source de recettes.

Cette solution est donc la meilleure tant pour les personnes concernées que pour l’ensemble des travailleurs. La limiter aux métiers en tension serait cantonner les intéressés aux tâches les plus pénibles, difficiles et mal payées et, ainsi, continuer de les exploiter.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. L’an dernier, j’ai consacré mon avis budgétaire à l’application de la circulaire Valls. Je mesure donc l’importance du sujet. Mais gardons ces débats pour le fameux article 3 du projet de loi à venir.

M. Ludovic Mendes (RE). Ce débat est ouvert, y compris au sein de la majorité. La régularisation prévue à cet article 3 concerne les métiers en tension et une durée limitée : l’idée n’est pas de régulariser tous les sans-papiers – on a parlé de mérite. Nous voulons nous aussi accompagner les personnes présentes, dont certaines travaillent déjà, leur permettre de rester sur le territoire, de s’établir et de vivre dignement. Nous comptons donc sur votre soutien, chère collègue. Unis, nous pouvons apporter des réponses.

Mme Edwige Diaz (RN). Cet amendement doit réjouir M. Darmanin, qui ne savait pas comment trouver une majorité à l’Assemblée nationale pour son projet de loi. Vous lui offrez vos voix sur un plateau en demandant la régularisation des clandestins.

Mais cette régularisation va peser à la baisse sur les salaires de nos compatriotes. Or, la pauvreté explose dans tout le pays. En Nouvelle-Aquitaine, le Ceser (conseil économique, social et environnemental régional) sonne l’alarme dans un rapport sur le sujet. Vous qui prétendez défendre les travailleurs modestes, vous les soumettez par cet amendement à une concurrence déloyale.

Je m’étonne aussi que la NUPES se transforme en allié objectif du grand capitalisme qu’elle prétend combattre : ce type d’amendement rend service aux grandes sociétés qui pratiquent le dumping social et l’évasion fiscale.

Au Rassemblement national, nous sommes très attentifs à la pénurie de main‑d’œuvre… Monsieur le président, pourriez-vous réclamer un peu de silence ?

M. le président Sacha Houlié. Quand vous remettez une pièce dans la machine, vous en avez pour votre argent. Soit vous finissez, soit je vous coupe le micro.

Mme Edwige Diaz (RN). Il faut revaloriser les salaires comme nous l’avons proposé dans le cadre de notre niche parlementaire, et étudier la question du logement ainsi que celle de la formation. L’amendement sous-entend que les 5 millions de Français au chômage sont des feignants. Nous refusons cette idée.

M. le président Sacha Houlié. La régularisation des travailleurs sans papiers a toujours favorisé la hausse des salaires et la lutte contre le dumping social. Les statistiques sont établies et confirmées par les meilleurs scientifiques.

La commission rejette l’amendement.

Elle émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Immigration, asile et intégration non modifiés.

Après l’article 54

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette l’amendement II-CL79 de Mme Elsa Faucillon.

Amendement II-CL264 de Mme Andrée Taurinya

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Il s’agit d’une demande de rapport sur l’opportunité que l’Ofpra soit rattaché au ministère des affaires étrangères, comme il l’a été de sa création, en 1952, jusqu’en 2007, et conformément à l’esprit de la convention de Genève. L’asile relève en effet d’un enjeu de relations internationales, non de sécurité intérieure. La situation de la personne demandeuse d’asile doit être appréciée en lien avec l’administration qui entretient des contacts à l’extérieur.

En outre, la tutelle du ministère de l’intérieur ne permet pas de garantir l’indépendance effective de l’Ofpra, pourtant inscrite dans la loi. De fait, la spécificité de ses missions – l’instruction des demandes d’asile sur le fondement des conventions internationales et du droit national, ainsi que la protection juridique et administrative des personnes concernées – nécessite une indépendance inconditionnelle, détachée des considérations politiques et des logiques matérielles qui prévalent habituellement dans la définition de la politique migratoire conduite par le ministère de l’intérieur. La vision sécuritaire de ce dernier laisse penser que les étrangers sont toujours des délinquants.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. Avis défavorable.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Il faut éviter que la politique migratoire soit traitée par le ministère de l’intérieur.

Le Rassemblement national vient de montrer son incompréhension des mécanismes qui favorisent la baisse des salaires. Nos collègues se découvrent anticapitalistes parce que je leur ai dit que c’était ce qui leur faisait défaut, et affirment que la régularisation fera le jeu des patrons. Mais c’est exactement l’inverse : c’est parce qu’il y a des sans-papiers que le patronat peut faire pression à la baisse sur les salaires de tous les travailleurs. En refusant de voir les logiques économiques qui sous-tendent l’utilisation des travailleurs sans papiers, vous favorisez la division du peuple français et des travailleurs, et vous aidez le patronat. Voilà pourquoi le Rassemblement national n’est pas et ne sera jamais du côté des travailleurs, français ou non – pour nous, ce qui compte, c’est qu’ils sont des êtres humains.

M. le président Sacha Houlié. Beaucoup d’employeurs demandent eux-mêmes la régularisation de leurs salariés sans papiers.

M. Florent Boudié (RE). Le dispositif dont nous débattrons pendant près de quatre semaines vise précisément à éviter que le caractère irrégulier du séjour permette l’exploitation humaine, qu’il s’agisse des conditions de travail ou du niveau de salaire. Nous voulons que l’étranger lui-même fasse la demande de régularisation afin d’obliger l’employeur à respecter les règles.

Je note, monsieur Léaument, qu’une partie de vos arguments devrait vous amener à défendre le projet de loi à venir, même si nous n’avons pas du tout la même vision de la régularisation : vous la voulez passive, généralisée et même universelle, automatique ; pour nous, elle est ciblée, répond à des besoins économiques et à des nécessités d’intégration.

M. le président Sacha Houlié. Une dernière chose. Nous pouvons ne pas être d’accord, nous dire les choses de façon très ferme, mais pas nous jeter des anathèmes en permanence. J’ai passé la matinée à faire la police ; ça suffit. Vous êtes des parlementaires : vous êtes capables de vous autoréguler.

La commission rejette l’amendement.

 

 

 


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   Personnes entendues

   M. Éric Jalon, directeur général

   Mme Vanina Nicoli, secrétaire générale, préfète déléguée pour l'égalité des chances

   Mme Laurence Roques, présidente de la commission « Libertés et droits de l’homme »

   Mme Bénédicte Mast, présidente de la commission « Accès au droit »

   Mme Émilie Guillet, chargée de mission affaires publiques

 

CONTRIBUTION ÉCRITE


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   prÉsentation des sigles


([1]) Le coût sera pris en charge à parts égales entre le programme 303 et le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables ».

([2]) 94 092 personnes étaient devenues françaises en 2021.

([3]) Contribution écrite de la DGEF aux travaux de votre rapporteur.

([4]) Droit des étrangers, Vincent Tchen, LexisNexis, 2ème édition, 2022.

([5]) Ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France.

([6]) Articles relatifs au fin du droit au maintien sur le territoire à la suite du refus opposé par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides à une demande d’asile.

([7])  D’après les chiffres transmis par la DGEF, il est possible d’estimer à environ 60 % la part des refus de demandes (d’autorisation provisoire de séjours, de titres, de renouvellements) qui sont assortis d’une OQTF. Au sein de la préfecture de police de Paris spécifiquement, et en 2023, ce pourcentage s’élève à 77 %.

([8]) Contribution écrite de la DGEF aux travaux de votre rapporteur.

([9]) Année durant laquelle 59 998 OQTF ont été prononcées d’après le rapport annuel « Les étrangers en France », portant sur l’année 2012 et remis en 2013 au Parlement.

([10]) Rapport n° 626 fait au nom de la commission des Lois sur la question migratoire, M. François-Noël Buffet, Sénat, Session ordinaire de 2021 – 2022, 10 mai 2022.

([11]) Contribution écrite de la DGEF aux travaux de votre rapporteur.

([12]) Contribution écrite de la DGEF aux travaux de votre rapporteur.

([13]) Un accord de réadmission vise à faciliter les mesures d’éloignement des ressortissants de pays tiers. Chaque pays signataire réadmet sur son territoire, sans formalité, toute personne possédant sa nationalité et en situation irrégulière dans l’autre pays.

([14]) Contribution écrite de la préfecture du Rhône aux travaux de votre rapporteur.

([15]) Article L. 742-5 du CESEDA ; En effet, le maintien en rétention d’une personne pendant 90 jours suppose quatre interventions successives du JLD (au 2ème, 30ème, puis pour deux nouvelles prolongations de 15 jours aux 60ème et 75ème jour).

([16]) En application de l’article L. 754-5 du CESEAD, la décision d’éloignement ne peut être mise à exécution avant que l’OFPRA n’ait rendu sa décision ou avant que le juge administratif n’ait statué contre l’arrêté de maintien en détention.

([17]) Contribution écrite de la DGEF aux travaux de votre rapporteur.

([18]) Fonction créée en 2017 et actuellement occupée par M. Christophe Léonzi.

([19])  Rapport n° 626 fait au nom de la commission des Lois sur la question migratoire, M. François-Noël Buffet, Sénat, Session ordinaire de 2021 – 2022, 10 mai 2022.

([20]) Contribution écrite de la DGEF aux travaux de votre rapporteur ; la date de transmission de ces instructions n’a pas été précisée.

([21]) La notion de délai de départ volontaire implique pour l’intéressé de devoir s’organiser pour quitter le territoire, dans un délai de 30 jours. Sans délai, l’intéressé doit quitter le territoire dans les 48 heures à compter de la notification de la décision.

([22]) Projet de loi n° 304 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, enregistré à la présidence du Sénat le 1er février 2023.

([23]) 20 propositions pour simplifier le contentieux des étrangers dans l’intérêt de tous, Conseil d’État, 2020.

([24]) Aucun changement par rapport au droit en vigueur.

([25]) Porté de 3 à 6 mois pour les OQTF des 3°, 5° et 6° de l’article L. 611-1 du CESEDA et de 6 semaines à 6 mois également pour les 1° et 2° du même article.

([26]) Le délai de jugement est réduit de 3 mois à 6 semaines pour les OQTF des 3°, 5° et 6° de l’article L. 611-1 du CESEDA et maintenu à 6 semaines pour les 1° et 2° du même article.

([27]) Exposé des motifs du projet de loi.

([28]) Avis sur un projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, Conseil d’État, 26 janvier 2023.

([29]) Décision 93-325 DC – Loi relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France.

([30]) Contribution écrite de la DGEF aux travaux de votre rapporteur.

([31]) Contribution écrite de la DGEF aux travaux de votre rapporteur.

([32]) Contribution écrite de la DGEF aux travaux de votre rapporteur.

([33]) Réponse au questionnaire budgétaire.

([34]) C’est-à-dire en application des articles L. 631-2 et L. 631-3 du CESEDA.

([35]) Réponse au questionnaire budgétaire.

([36]) Contribution écrite de la préfecture de police de Paris aux travaux de votre rapporteur.

([37]) Rapport n° 626 fait au nom de la commission des Lois sur la question migratoire, M. François-Noël Buffet, Sénat, Session ordinaire de 2021 – 2022, 10 mai 2022.

([38])  Contribution écrite de la préfecture de police de Paris aux travaux de votre rapporteur. Il est toutefois à noter que ce chiffre varie selon le motif d’OQTF : 100 % des OQTF prononcées sur le motif du refus de demande d’asile sont par exemple sans lien avec la menace à l’ordre public.

([39]) 1° de l’article L. 612-1 du CESEDA.

([40]) Article L. 612-10 du CESEDA.

([41]) D’après les chiffres transmis par la DGEF, en 2022, 19 427 assignations à résidence étaient comptabilisées.

([42]) La loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie a doublé la durée maximale de rétention autorisée pour la porter à 90 jours. Cette évolution avait pour objet de prévenir les comportements d’obstruction à l’éloignement, et accorder plus de temps à l’autorité administrative pour organiser le retour.

([43]) Contribution écrite de la DGEF aux travaux de votre rapporteur.

([44]) Projet annuel de performances de la mission « Immigration, asile et intégration » annexé au projet de loi de finances pour 2024.

([45]) Par exemple : la mise en place dans chaque département métropolitain d’un protocole d’échanges d’informations entre les établissements pénitentiaires et les préfectures en vue de préparer l’éloignement des sortants de prisons, et l’organisation d’opérations ciblées à l’échelle des zones de défenses et de sécurité et le suivi particulier des étrangers inscrits au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste.

([46]) Contribution écrite de la DGEF aux travaux de votre rapporteur.

([47]) Contribution écrite de la DGEF aux travaux de votre rapporteur.

([48]) Contribution écrite de la DGEF aux travaux de votre rapporteur.

([49]) Contribution écrite de la préfecture de police de Paris aux travaux de votre rapporteur.

([50]) Contribution écrite de la DGEF aux travaux de votre rapporteur.

([51]) Contribution écrite de la préfecture de police de Paris aux travaux de votre rapporteur.

([52])  Projet annuel de performances de la mission « Immigration, asile et intégration », annexe au projet de loi de finances pour 2024.