N° 1808

______

ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 26 octobre 2023.

AVIS

 

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES
SUR LE PROJET DE LOI de finances pour 2024 (n° 1680)

 

TOME IV

 

 

PRÉPARATION ET EMPLOI DES FORCES :

FORCES TERRESTRES

 

PAR M. François CORMIER-BOULIGEON

Député

——

 

 

Voir le numéro : 1745 


 


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SOMMAIRE

___

 Pages

Introduction

Première partie : les crédits proposés pour 2024

I. Les crédits proposés pour 2024 contribuent à poursuivre la remontée en puissance de l’armée de terre

A. Des crédits en progression conformément à la programmation

1. Une loi de programmation militaire 2024-2030 porteuse de transformation pour l’armée de Terre

2. Une modernisation capacitaire conforme au contrat opérationnel des forces terrestres malgré le recadencement de certains programmes

B. La recherche d’une réactivité accrue des forces terrestres

1. L’effort marqué en faveur des crédits dévolus au MCO permettra de renforcer la « cohérence » des forces terrestres, en accord avec les orientations prises dans la LPM

2. La poursuite bienvenue des efforts en faveur de la préparation opérationnelle

3. Un effort en faveur des équipements d’accompagnement et de cohérence et des munitions à poursuivre

II. Deux principaux défis à relever en 2024

A. Des difficultés de recrutement nécessiteront de mener un effort supplémentaire en faveur de la fidélisation dans un contexte de transformation des forces terrestres

1. Des difficultés de recrutement préoccupantes

2. Un effort pour consolider l’attractivité de l’armée de Terre

3. La montée en puissance des réserves devra s’accompagner de la prise en compte des besoins humains, en équipements et en infrastructures associés

4. La transformation de l’armée de Terre s’accompagnera d’une manœuvre en ressources humaines ambitieuse

B. La nécessaire poursuite des efforts en matière de préparation opérationnelle

1. Un engagement opérationnel en hausse, marqué en 2024 par un effort important en faveur de la protection du territoire national, qui pourrait contraindre la préparation opérationnelle des forces terrestres

2. Un effort à poursuivre pour atteindre les normes d’entraînement fixées par la LPM

3. Un niveau d’activité à conforter

Deuxième partie : L’appropriation du retour d’expérience de l’exercice orion 2023 par les forces terrestres

I. Un exercice d’une ampleur inédite visant à démontrer la crédibilité des armées françaises

A. ORION marque le retour des « grandes manœuvres » sur le territoire national dans un contexte marqué par le nécessaire durcissement de la préparation opérationnelle

1. La planification d’un exercice de niveau divisionnaire orienté vers l’engagement majeur, préalable au déclenchement de la guerre en Ukraine

a. Un projet initié par l’armée de Terre dès 2021, puis étendu à l’interarmées

b. La résurgence des combats de haute intensité et la nécessité du retour des « grandes manœuvres » sur le territoire national

2. Un niveau d’ambition élevé

a. Un niveau d’exigence élevé

b. Quatre phases permettant d’évaluer des dimensions différentes, avec un effort porté par l’armée de Terre lors de la phase 04.

c. Un exercice interarmées et interalliés sous commandement français conduit hors du cadre de l’OTAN

d. Un objectif commun : l’affirmation de la crédibilité des armées à assurer le rôle de Nation cadre dans le contexte d’une coalition OTAN

B. La pleine mobilisation des forces terrestres a contribué au bon déroulement de l’exercice

1. Un coût raisonnable au regard des bénéfices attendus en termes de préparation opérationnelle

a. Un coût proportionné à l’ambition de l’exercice

b. Un coût à mettre en perspective avec la fusion de dix-sept exercices et la réalisation concomitante de certifications de préparation opérationnelle

2. L’armée de Terre a continué d’assurer ses autres missions en dépit d’une très forte mobilisation

3. L’atteinte des principaux objectifs fixés a confirmé la pertinence du modèle d’armée complet

a. Le bon accueil de la population dans son ensemble et la visibilité accrue des armées ont participé au renforcement du lien Nation-armée

b. L’implication réussie de la réserve

c. La portée du signalement stratégique

II. Un retour d’expérience qui confirme dans l’ensemble les orientations prises dans la LPM 2024-2030, tout en mettant en exergue certains points d’attention qui constituent autant d’axes d’effort

A. La structuration d’une chaîne « retour d’expérience » complète, dont les conclusions viennent en grande partie confirmer les orientations existantes

1. Un modèle de retour d’expérience (RETEX) performant à dupliquer

a. Une fonction RETEX novatrice pensée en amont de l’exercice

b. Une structuration complète associant un grand nombre d’acteurs

c. La permanence de RETEX spécialisés

d. La nécessaire exploitation de ce RETEX

2. L’identification de points d’attention qui constituent autant d’axes d’efforts pour consolider notre crédibilité à assurer le rôle de Nation cadre

a. L’entraînement du commandement (C2) à poursuivre : renforcer l’entraînement des PC de niveau corps d’armée et développer leur furtivité

b. La confirmation de besoins capacitaires permettant de faire face à la transparence du champ de bataille et de maîtriser la profondeur : artillerie, feux dans la profondeur, défense sol-air, capacités drones et munitions télé-opérées

c. Une épaisseur logistique à renforcer : le dimensionnement critique des appuis et des soutiens face à la haute intensité

d. Le défi des systèmes d’information opérationnelle et de commandement (SIOC) : une difficulté plus prégnante que prévue

e. Le réalisme de l’exercice et l’usage de la simulation à grande échelle

B. La nécessaire prise en compte des conclusions d’ORION dans la transformation en cours des forces terrestres

1. Des orientations confirmées dans l’ensemble et à poursuivre

a. L’accroissement du réalisme de la préparation opérationnelle à travers la régionalisation des divisions

b. La création de nouveaux commandements et d’unités intégrant nativement les exigences du combat multi-milieux multi-champs

c. L’autonomisation accrue du niveau brigade et la recherche d’une plus grande réactivité des unités

2. La nécessité d’accélérer les efforts sur certains axes

a. Investir dans la simulation : accélérer le remplacement du système SOULT par TARAN

b. Poursuivre les efforts en faveur d’une augmentation quantitative et non seulement qualitative de la préparation opérationnelle

c. Envisager une meilleure articulation entre la LPM et les exercices ORION pour mieux tenir compte de leurs conclusions

3. Un exercice qui doit être considéré comme un premier jalon vers l’atteinte des objectifs de montée en puissance des forces terrestres

a. ORION s’intègre dans un ensemble de rendez-vous opérationnels à venir visant à préparer l’atteinte de la division complète à deux brigades projetable sous trente jours en 2027

b. Les perspectives pour ORION 2026 : un exercice qui pourrait s’inscrire dans le cadre de l’OTAN, avec des efforts à consentir en faveur de l’intégration des soutiens et la modernisation de l’armée de Terre

Conclusion

Travaux de la commission

I. Audition du général d’armée Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de terre

II. Examen des crédits

Annexe :  Auditions et déplacements du rapporteur pour avis

1. Auditions

2. Déplacements

 


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   Introduction

La fin de la guerre froide avait pu laisser penser à une « fin de l’histoire ». Les faits se sont chargés d’apporter à cette illusion un démenti cinglant.

Guerre en Ukraine déclenchée par la Russie, guerre en Arménie déclenchée par l’Azerbaïdjan, massacres d’une barbarie inouïe perpétrés en Israël et dans la bande de Gaza par les terroristes islamistes du Hamas et du Jihad islamique palestinien, laissant craindre une déstabilisation du Moyen-Orient, putschs à répétition en Afrique dans la bande sahélo-saharienne, tensions dans la zone indopacifique, pour ne citer que ces exemples terribles, tout converge vers la nécessité pour nos nations, et en particulier pour les démocraties occidentales, dont les valeurs et les principes, autant que les intérêts économiques sont contestés, de se réarmer.

C’est dans ce contexte, largement anticipé par la France, que le Parlement a voté une nouvelle loi de programmation militaire d’une ampleur exceptionnelle.

À nouveau, ce projet de budget pour 2024 témoigne de l’effort important consenti par la Nation envers nos armées et de notre ambition en matière de défense. De 32,3 milliards d’euros en 2017, le budget de la Défense atteindra l’année prochaine 47,2 milliards d’euros, hors pensions civiles et militaires de retraite.

Le projet de loi de finances pour 2024 correspond à la première année de mise en œuvre de la nouvelle loi de programmation militaire 2024-2030 et se traduit par une augmentation de 3,3 milliards d’euros des crédits consacrés à la mission Défense par rapport à la loi de finances initiale pour 2023, conformément à la programmation.

Comme l’a indiqué le ministre des armées, M. Sébastien Lecornu, lors de son audition devant la commission de la Défense nationale et des forces armées le 3 octobre 2023, « Nous ne nous contentons pas d’additionner des moyens. Nous engageons aussi la transformation de nos armées, tout en poursuivant la réparation, à laquelle la précédente LPM n’a pas suffi. »

Ainsi, votre rapporteur se félicite que ce budget soit conforme aux orientations retenues dans le cadre de la LPM 2024-2030 et se place sous le signe de la cohérence. Comme l’a distingué le chef d’état-major de l’armée de Terre (CEMAT) en réponse à votre rapporteur lors de son audition devant la commission de la Défense nationale et des forces armées le 11 octobre dernier, il s’agit d’une triple cohérence, à la fois « verticale », « horizontale » et dans la « profondeur ». Verticale, car une capacité complète comprend également des petits équipements, le carburant, les munitions nécessaires à un niveau d’activité suffisant. Horizontale, car l’armée de Terre doit rechercher l’équilibre entre ses différentes capacités pour former un outil de combat cohérent. Dans la profondeur, car les forces terrestres doivent s’adapter à l’émergence de nouvelles menaces et préparer d’ores et déjà les capacités du futur.

Une des dimensions essentielles de cette cohérence, réside dans le niveau de préparation opérationnelle de nos armées. Aussi, bénéficie-t-elle de 1,4 milliard d’euros supplémentaires dans le projet de loi de finances pour 2024. Rien ne sert d’augmenter le nombre de matériels en parc, si les armées ne peuvent s’entraîner sur ces mêmes matériels. Ainsi, votre rapporteur a choisi cette année de consacrer la partie thématique de son avis budgétaire aux premières leçons du retour d’expérience de l’exercice ORION 2023 pour l’armée de Terre, exercice qui s’apparente à un véritable changement d’échelle pour la préparation opérationnelle de nos armées.

Comme dans son avis sur le PLF 2023, votre rapporteur émettra une série de recommandations en conclusion de son avis, les unes reconduites, les autres nouvelles.

Le rapporteur pour avis avait demandé que les réponses à ses questions budgétaires lui soient adressées au plus tard le 10 octobre 2023, date limite résultant de l’article 49 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances. À cette date, 85 réponses sur 91 lui étaient parvenues, soit un taux de 93 %.


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   Première partie : les crédits proposés pour 2024

Le montant des crédits proposés dans le projet de loi de finances pour 2024 est conforme à la programmation militaire (LPM) 2024-2030, en hausse de 3,3 milliards d’euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2023, dont 310 millions d’euros en crédits de paiement supplémentaires pour l’armée de Terre, soit une augmentation de 16 %. Le montant du budget opérationnel du programme Terre (BOP Terre) est ainsi porté à 2,19 milliards d’euros en crédits de paiement, contre 1,9 milliard d’euros en loi de finances pour 2023.

Cette hausse des crédits permettra de renforcer la cohérence de nos armées, tout en permettant d’accélérer leur transformation. L’augmentation des crédits sera mise à profit pour améliorer la préparation opérationnelle de l’armée de Terre à travers notamment un effort important réalisé au bénéfice de l’entretien programmé des matériels (EPM), qui connaîtra une augmentation de 230 millions d’euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2023.

L’examen du budget 2024 s’inscrit toutefois dans un cadre marqué par une forte inflation et des ressources budgétaires contraintes. Près d’un tiers de l’augmentation des crédits du BOP Terre devrait être grevé par l’inflation (100 millions d’euros). Comme l’année dernière, la fin de gestion sera dès lors cruciale dans un contexte fortement inflationniste et il faudra que l’armée de Terre bénéficie des compensations nécessaires au maintien de son niveau d’activité afin de tenir les objectifs qui lui ont été fixés par la programmation. L’année 2024 devrait se caractériser également par la poursuite de l’aide à l’Ukraine et la permanence d’un niveau d’engagement important pour les forces terrestres, notamment à la faveur de leur participation à la sécurisation des Jeux olympiques et paralympiques 2024. L’année 2023 est marquée, pour sa part, par des tensions importantes sur le recrutement des militaires des forces terrestres, tout en constituant une année cruciale pour la transformation ambitieuse de l’armée de Terre initiée par le chef d’état-major de l’armée de Terre (CEMAT). À ce titre, votre rapporteur dresse deux points d’attention dans son avis, relatifs, d’une part, au défi humain et, d’autre part, au défi de la préservation du niveau d’activité des forces terrestres.

 

 

 

 

 

I.   Les crédits proposés pour 2024 contribuent à poursuivre la remontée en puissance de l’armée de terre

Après une année 2023 qui a constitué une année de tuilage entre la loi de programmation militaire 2019-2025 et la loi de programmation militaire 2024-2030, le projet de loi de finances pour 2024 vise à permettre à l’armée de Terre d’amorcer sa transformation et de poursuivre sa remontée en puissance vers la préparation à la haute intensité.

A.   Des crédits en progression conformément à la programmation

Le montant du budget opérationnel de programme Terre est porté à 2,19 milliards d’euros en crédits de paiement, contre 1,9 milliard d’euros en 2023, soit une hausse notable de 16 % par rapport à la loi de finances pour 2023 (+310 millions d’euros). Ces crédits en hausse permettront à l’armée de Terre de maintenir son niveau d’activité, d’accompagner la mise en œuvre de la transformation des forces terrestres et de renforcer qualitativement son niveau d’entraînement.

L’augmentation des crédits, tirée principalement par les dépenses de fonctionnement (titre III), permettra notamment aux forces terrestres de financer les efforts consentis en faveur de la préparation opérationnelle interalliées, à travers une participation accrue aux exercices multinationaux, comme Steadfast Defender 2024 dans le cadre de l’OTAN, et de poursuivre les missions de réassurance menées sur le flanc oriental de l’Alliance, en Estonie au travers de la mission LYNX, en Roumanie (mission AIGLE) et, dorénavant, également en Pologne (mission GERFAUT), au profit de la formation des soldats ukrainiens. Ces crédits devront également permettre de maintenir le niveau d’activité opérationnelle des forces terrestres malgré le contexte inflationniste, de renouveler certains marchés de maintien en condition opérationnelle (MCO), comme celui des hélicoptères TIGRE ou des CAESAR, mais également de renforcer la réactivité et la cohérence des forces terrestres à travers l’acquisition de moyens de franchissement, la poursuite de la pérennisation du Leclerc ou encore l’acquisition de drones supplémentaires. Enfin, des opérations d’infrastructures seront engagées mais également des commandes de munitions et d’équipements essentiels à la préparation opérationnelle. L’année 2024 marquera, par ailleurs, la mise en œuvre du troisième volet de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) et donnera lieu au financement des mesures salariales décidées en 2023.

 

 

 

 

 

Évolution des ressources pour l’armÉe de terre prÉvues en loi de finances initiale et exÉCUTÉes par titre depuis 2021

 

Autorisations d’engagement (en millions d’euros)

Catégorie de dépense

2021

2022

2023

2024

Évolution PLF 2024/LFI 2023

(en %)

Prévues en LFI

Exécutées

Prévues en LFI

Exécutées

Prévues en

LFI

Exécutées

PLF

titre 2*

7 062

7 142

7 276,2

7 422

7 805,2

ND

8 077

3 %

titre 3

1 816,9

2 610,7

2 943,4

2 900

1 505,2

2 252

2 423

61 %

titre 5**

274,0

122,7

190,1

165

415,7

412

434

4 %

titre 6

4,7

4,5

4,7

7

4,7

6

5

4 %

TOTAL HT2

2 095,6

2 737,9

3 138,3

3 072

1 925,7

2 670

2 862

49 %

TOTAL

9 158,3

9 879,9

10 414,4

10 494

9 730,9

ND

10 939

12 %

 

Catégorie de dépense

2021

2022

2023

2024

Évolution PLF 2024/LFI 2023

(en %)

Prévues en LFI

Exécutées

Prévues en LFI

Exécutées

Prévues en LFI

BP

PLF

titre 2*

7 062,7

7 142

7 276,2

7 422

7 805,2

ND

8 077

3 %

titre 3

1 326,4

1 571,4

1 445,8

2 079

1 643,4

2 400

1 901

16 %

titre 5

206,8

142,9

219,7

169

235,1

318

288

22 %

titre 6

4,7

5,2

4,7

5

4,7

7

5

4 %

TOTAL HT2

1 537,9

1 899,5

1 670,2

2 253

1 883,2

2 729

2 194

16 %

TOTAL

8 600,5

9 041,5

8 946,4

9 675

9 688,5

ND

10 271

6 %

Crédits de paiement (en millions d’euros)

(*) Titre 2 : dépenses de personnel. Les sommes inscrites en loi de finances depuis 2015 correspondent à celles de l’action 55 « Préparation des forces terrestres – Personnels travaillant pour le programme “Préparation et emploi des forces” » du programme 212 « Soutien de la politique de la défense », compte d’affectation spéciale Pension compris. Titre 3 : dépenses de fonctionnement. Titre 5 : dépenses d’investissement. Titre 6 : dépenses d’intervention. LFI : loi de finances initiale. PLF : projet de loi de finances.

(**) BP : Besoin HT2 prévisionnel estimé au 31/08, soumis à l’évolution de la crise en Ukraine. Besoin T2 non disponible à cette maille, à ce stade de la gestion.

Source : réponses du ministère des Armées aux questions du rapporteur pour avis, 10 octobre 2023.

 

1.   Une loi de programmation militaire 2024-2030 porteuse de transformation pour l’armée de Terre

● Conformément aux orientations exprimées dans la loi de programmation militaire 2024-2030, les crédits alloués à l’armée de Terre visent à privilégier « la cohérence avant la masse. » Cette cohérence se traduit dans la programmation à travers trois principales dimensions : la capacité à pouvoir s’entraîner sur les matériels en parc, la capacité à les soutenir et la capacité à détenir les munitions adaptées et en nombre suffisant pour former des capacités complètes en mesure d’être engagées pour répondre aux besoins du contrat opérationnel des forces terrestres.

Aussi, 18 milliards d’euros sont-ils prévus dans la LPM 2024-2030 pour les forces terrestres au titre du besoin programmé pour la préparation au combat et l’entraînement des forces, sur la période 2024-2030, soit une augmentation de cinq milliards d’euros par rapport à la précédente LPM. L’armée de Terre devra faire face à trois principales priorités sur la période de la programmation : préserver l’activité sur les premières années de la LPM avant d’entamer une trajectoire haussière visant à rejoindre les normes d’entraînement OTAN en 2030 ; entamer la remontée des stocks de munitions et maintenir à niveau les stocks de MCO (lots de déploiement) pour garantir la réactivité de l’armée de Terre et, enfin, poursuivre les efforts en faveur de la préparation opérationnelle haut du spectre, à travers notamment, le maintien de l’ambition portée sur les grands exercices.

Par ailleurs, 49 milliards d’euros seront dédiés à l’entretien programmé des matériels en interarmées, soit une augmentation de 40 % par rapport à la précédente LPM. Au sein de cette enveloppe, le besoin reconnu pour l’armée de Terre s’élève à 13,2 milliards d’euros sur la période de la programmation, soit 27 % de l’ensemble. Environ huit milliards d’euros devraient bénéficier au MCO des matériels terrestres et cinq milliards d’euros au MCO aéroterrestre.

De la même manière, 2,6 milliards d’euros devraient être dédiés aux munitions de l’armée de Terre, dont 1,6 milliard aux munitions non complexes. Cela devrait représenter notamment « plus de 16 millions de munitions « petit calibre », 300 000 obus de mortiers, 3 000 missiles moyenne portée, 2 000 munitions télé-opérées ([1])

● Le décalage maîtrisé du programme SCORPION affecte le rythme de la modernisation de l’armée de Terre, sans pour autant remettre en question l’accomplissement de son contrat opérationnel. Pour mémoire la loi programmation militaire prévoit une cible de 238 Jaguar en 2030, 1 437 Griffons et 1 405 Serval. Par ailleurs, 160 chars Leclerc seront rénovés à l’horizon 2030, soit un décalage de 40 chars par rapport à la cible initiale. La rénovation consistera principalement en une pérennisation de leur motorisation, une meilleure protection, une connectivité modernisée (intégration dans la bulle Scorpion) et de nouveaux viseurs. Toutefois, il ne s’agit en aucun cas d’un renoncement car la livraison de ces équipements aura bien lieu entre 2030 et 2035.

S’agissant de l’aviation légère de l’armée de Terre, la LPM 2024-2030 prévoit une flotte de 67 hélicoptères de reconnaissance et d’attaque (HRA) Tigre et au moins 105 hélicoptères de manœuvre et d’assaut (HMA) d’ici 2030.

● Si la loi de programmation militaire 2024-2030 a conduit à recadencer certains programmes emblématiques de la modernisation de l’armée de Terre, comme le programme SCORPION ou encore la modernisation du char Leclerc, l’armée de Terre figure bien au cœur des nouvelles priorités de la LPM. Celles-ci permettent à la fois de tirer les conclusions des premières leçons du retour d’expérience de la guerre en Ukraine, retour d’expérience auquel votre rapporteur avait consacré sa partie thématique l’année dernière, mais également de financer certaines priorités nouvelles, en cohérence avec le mouvement de transformation de l’armée de Terre, pour faire face aux évolutions du contexte stratégique.

● Pour mémoire, les nouvelles priorités de la LPM 2024-2030, s’articulaient principalement autour de cinq axes :

– La défense sol-air (5 milliards d’euros de besoins programmés)

– Les drones et les robots (5 milliards d’euros de besoins programmés)

– Les munitions (16 milliards d’euros de besoins programmés)

– Le cyber (4 milliards d’euros de besoins programmés)

– Le renseignement (5 milliards d’euros de besoins programmés)

En matière de défense sol-air (DSA), avec 250 millions d’euros consacrés en 2024, l’armée de Terre devrait bénéficier principalement de l’effort consenti dans le domaine de la lutte anti-drone (LAD) et de la défense surface air-basse couche (DSA-BC). Des lots de missiles MISTRAL M3, seront livrés dès 2024. L’armée de Terre recevra durant la LPM 2024-2030 différentes capacités LAD complémentaires, notamment des systèmes de protection de site PARADE, un complément de fusils brouilleurs ainsi que 12 premiers SERVAL appui SCORPION LAD qui devraient être équipés d’un tourelleau armé d’un canon antiaérien.

S’agissant des drones et des robots, 400 millions d’euros y seront consacrés dès 2024. Au titre du programme « système de drones tactiques » (SDT), l’armée de Terre recevra des drones tactiques. Selon les informations fournies à votre rapporteur, l’option d’un armement accéléré est à l’étude. La LPM 2024-2030 prévoit par ailleurs la livraison d’au moins 1 800 munitions télé-opérées (MTO). Enfin, dans le domaine des drones terrestres (appelés robots), l’armée de Terre poursuivra sur la voie d’une première capacité de robots armés.

S’agissant des munitions, qui bénéficieront d’un effort marqué à hauteur de 1,5 milliard d’euros dès 2024, l’armée de Terre bénéficiera de la livraison de missiles MISTRAL et MMP, des obus de 40 mm pour JAGUAR et des munitions de petits calibres. Des missiles Hellfire seront également commandés pour pérenniser la capacité de frappe des hélicoptères Tigre. Selon les informations fournies à votre rapporteur, cet effort global permettra de satisfaire les besoins de préparation opérationnelle et d’amorcer une remontée des stocks.

Concernant le cyber, avec 300 millions d’euros qui y seront consacrés en 2024, le programme à effet majeur cyber poursuivra la réalisation de capacités communes au profit de l’ensemble des armées et leur permettra de développer des capacités tactiques (sonde générique de lutte informatique défensive (LID) embarquée). Votre rapporteur tient dans ce domaine à saluer l’action du commandement de la cyberdéfense (COMCYBER) et de l’agence d’innovation de défense en matière d’innovation de cyber.

Enfin, concernant le renseignement, 500 millions d’euros y seront consacrés dès 2024. En complément des capacités stratégiques (renseignement d’origine électromagnétique (ROEM) Strat 44e Régiment des transmissions) et des moyens humains, la capacité de renseignement technique des forces terrestres bénéficiera des programmes d’armement précédemment lancés qui entrent dans une phase de livraison durant la période 2024-2030. À ce titre, le renseignement d’origine électromagnétique (ROEM) sera assuré par des capacités au sol telles que des cellules ROEM tactiques et par des charges utiles embarquées sur le système de drone tactique « Patroller » (SDT). Le renseignement d’origine image reposera notamment sur une trame complète de drones, depuis les nano drones jusqu’au SDT armé à compter de 2026.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tableau des cibles capacitaires prévues par la LPM 2024-2030

Segment capacitaire

Parc fin 2023

Parc fin 2030

Parc à horizon 2035

 

 

 

 

 

 

 

Forces terrestres

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chars

Chars de combat

200 dont 19 rénovés

200 dont 160 rénovés

200 rénovés

Blindés

Blindés médians

60 Jaguar

238 Jaguar

300 Jaguar

Griffon

575

1437

1818

Serval

189

1405

2038

VBCI

628

628

628

VBAE

0

180

1440

EGC

0

5

125

Logistique

Camion logistique terrestre

0

2086

9466

Artillerie

Canons

58 CAESAR + 33 AUF1

109 CAESAR NG

109 CAESAR NG

Hélicoptères

 

Hélicoptères de manœuvre

61 TTH +

54 Puma/Cougar/Caracal

63 TTH + 24 Cougar +

18 TTH FS

au moins 105 hm

Hélicoptères de reconnaissance et d’attaque

67 Tigre

67 Tigre

67 Tigre

Franchissement

SYFRALL

-

8 portières - 300 m

2 500 m

Drones

Système de drones tactiques (SDT) / vecteurs

1/5

5/28 + armement

5/28 + armement

 

 

Munitions téléopérées

0

Au moins 1 800

Au moins 1 800

Frappe longue portée

Lanceurs frappes longue portée terrestres

9 LRU

au moins 13 systèmes

26 systèmes

Source : Loi du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

2.   Une modernisation capacitaire conforme au contrat opérationnel des forces terrestres malgré le recadencement de certains programmes

● En 2023, la modernisation de l’armée de Terre se poursuit concernant à la fois les équipements majeurs et les équipements « à hauteur d’homme », conformément aux ambitions de la loi de programmation militaire précédente.

● Cette modernisation sera néanmoins étalée à compter de 2024 en raison des décalages de cibles inscrits dans la LPM 2024-2030. Il convient de souligner que ces décalages ne constituent en aucun cas des renoncements et les crédits dévolus à l’armée de Terre dans le projet de loi de finances 2024 permettront de poursuivre la modernisation avec un objectif de réalisation de 36 % de la scorpionnisation en 2024, contre 25 % en 2023. Ce ralentissement ne remet pas en cause l’accomplissement du contrat opérationnel, garanti par le maintien en service des matériels d’ancienne génération.

S’agissant du programme SCORPION, pour mémoire la loi programmation militaire prévoit une cible en 2030 de 238 Jaguar, 1 437 Griffons, 745 Serval et 160 chars Leclerc rénovés. 62 Jaguar, 381 Griffon et 40 Leclerc rénovés sont ainsi décalés post LPM 24-30.

S’agissant des infrastructures le décalage des livraisons ne devrait avoir que peu d’impact, selon les informations fournies à votre rapporteur. Une première étape est en cours de livraison jusqu’en 2027, correspondant au rythme des commandes de véhicules réalisées lors de la LPM 2019-2025. S’agissant des prochaines commandes de véhicules, ces dernières devraient être coordonnées avec les livraisons d’infrastructures de l’étape 2 qui débuteront à compter de 2028.

Par ailleurs, le recadencement de la rénovation des chars Leclerc s’effectuera sans difficulté majeure. La coexistence entre chars Leclerc et chars Leclerc rénovés se poursuivra donc au-delà de 2030 avec un objectif d’homogénéisation au sein des unités. L’opération de pérennisation représente un coût de cinquante millions d’euros par an, soit près de 400 millions d’euros estimés sur la période de la LPM 2024-2030. L’étalement dans le temps aura pour effet bénéfique de réduire le parc immobilisé. Les chars non rénovés continuent de participer à l’accomplissement du contrat opérationnel.

● L’année 2023 constitue une étape importante dans la modernisation des forces terrestres.

D’une part, l’année 2023, a vu se poursuivre la livraison des petits équipements dits à « hauteur d’homme » à un rythme élevé avec l’arrivée de fusil d’assaut SCAR, de pistolets automatiques GLOCK ou encore de jumelles de vision nocturne O-NYX. En 2024, les forces terrestres poursuivront la modernisation de leurs systèmes d’information (système d’information du combat Scorpion - SICS et système d’information des armées Command and Control – SIAC2) et connaitront le début des livraisons de treillis de nouvelle génération F3 BME (bariolage multi-environnement).

D’autre part, s’agissant des matériels Scorpion, 135 Griffons doivent être livrés à l’armée de Terre d’ici la fin 2023. Malgré certaines difficultés concernant le développement du Jaguar en 2021 (tourelle), le calendrier de livraison devrait être globalement respecté avec la livraison de 24 Jaguars supplémentaires d’ici la fin de l’année 2023. Enfin, 129 véhicules Serval devraient être livrés d’ici la fin de l’année.

● À l’exception du Griffon dans sa version sanitaire (SAN) et du mortier embarqué (MEPAC), la majorité des versions du Griffon a commencé à être livrée aux forces et les engins sont soit en service, soit en évaluation. Le Griffon se distingue du véhicule de l’avant-blindé (VAB) auquel il succède par une meilleure protection (balistique, contre les mines et les engins explosifs improvisés), des capacités d’agression et d’observation accrues (tourelleau téléopéré), une plus grande mobilité et une ergonomie adaptée à l’emploi opérationnel.

Après la projection d’un premier groupement tactique interarmes (GTIA) équipé de 35 véhicules Scorpion au second semestre 2021 dans la bande sahélo-saharienne, dont le retour était très satisfaisant, des Griffons ont également été projeté dans le cadre de l’opération LYNX en Estonie. Ce déploiement a une nouvelle fois confirmé que le SICS et le Griffon répondaient au besoin opérationnel de l’armée de Terre. Pour mémoire, le système d’information du combat Scorpion (SICS) se distingue par son ergonomie permettant une utilisation simplifiée. Il intègre une première capacité de géolocalisation amie (GLA) et d’échange d’informations, apportant une véritable plus-value opérationnelle. Fonctionnant avec le poste radio de 4e génération (PR4G), les développements en cours portent sur l’intégration du SICS sur la nouvelle radio CONTACT. Le Griffon véhicule d’Observation de l’Artillerie (VOA) commence également à être déployé dans les forces (3e régiment d’artillerie de marine (RAMa) et les premiers retours sont également très positifs. Les capacités d’observation et l’ergonomie du véhicule devraient apporter un gain opérationnel significatif aux équipes d’observation de l’artillerie.

Le Jaguar est quant à lui un véhicule blindé médian de la gamme des 25 tonnes, équipé d’un canon de 40 mm et de missiles moyenne portée (MMP). Successeur de l’AMX10RCR et du VAB Méphisto, il a vocation à équiper les unités de cavalerie. 300 exemplaires sont prévus à horizon 2035. Le 1er régiment étranger de cavalerie (1er REC), premier régiment Jaguar, a commencé sa transformation début 2022. Le Jaguar sera intégré au sein de la brigade interarmes (BIA) Scorpion projetable fin 2023, conformément aux objectifs initiaux du programme Scorpion. Toutefois, en 2021, dans le cadre du pilotage du programme, il a été acté que le développement du Jaguar serait incrémental avec trois standards successifs. Si le premier standard a été livré, le second est en cours d’évaluation. Il est prévu que le 1er régiment étranger de cavalerie (REC) soit engagé avec ses Jaguar au sein de l’expérimentation technico opérationnelle BIA SCORPION fin 2023. Le troisième standard, opérationnel, du Jaguar sera livré fin 2025 pour une capacité de projection dès 2026.

Enfin, le véhicule Serval, bénéficie d’un rythme livraison maintenant bien établi et deux premiers régiments ont débuté leur transformation en 2023. Les premiers Servals ont été livrés au 3e régiment de parachutistes d’infanterie de marine (RPIMa) en mars 2023, permettant d’équiper les deux premiers régiments de brigades légères (3e RPIMa et 7e bataillon de chasseurs alpins (BCA). Sa mobilité est particulièrement appréciée par les utilisateurs des régiments dotés.

● Par ailleurs, l’année 2023 constitue une étape importante à travers l’objectif d’une brigade interarmes (BIA) équipée Scorpion d’ici la fin 2023, comprenant trois GTIA équipés en véhicules Jaguar et Griffon, reliés par le système d’information et communication Scorpion (SICS) et le système d’information des armées (SIA) équipant les niveaux de commandement de la brigade. Toutefois, votre rapporteur avait souligné dans son avis sur le projet de loi de finances pour 2023 le véritable défi que cela représentait pour les forces terrestres. Aussi, la pleine atteinte de l’objectif de la BIA 2023, qui sera évalué lors d’un exercice technico-opérationnel fin 2023 constitue-t-elle un point d’attention. En 2023, la grande majorité des véhicules sera équipée de SICS et environ un tiers des véhicules sera de nouvelle génération, pour partie équipée de postes CONTACT. En revanche, le Jaguar sera projeté dans sa version initiale. Votre rapporteur sera donc particulièrement attentif aux conclusions de cet exercice.

Le sous-chef plans et programmes de l’état-major de l’armée de Terre a néanmoins informé le rapporteur que l’équipement de cette BIA constituait un véritable enjeu pour les forces terrestres. À la différence du GTIA équipé Scorpion projeté en BSS, la BIA 2023 sera équipée, au-delà des véhicules blindés multi-rôle (VBMR) Griffon, de l’engin blindé de reconnaissance et de combat (EBRC) Jaguar et de l’étage de connectivité Scorpion. La phase d’appropriation pourrait prendre davantage de temps. Un escadron dédié d’une centaine de personnes au 1er Régiment étranger de Cavalerie (1er REC) à Carpiagne se chargera d’expérimenter et d’évaluer les matériels et, ainsi, accélérer cette phase.

L’atteinte de ce jalon important permettra d’utiliser conjointement des véhicules d’ancienne et de nouvelle générations, en s’appuyant sur le système d’information SICS, situation qui sera celle de l’armée de Terre, jusqu’à ce que la transformation Scorpion soit totalement achevée. Le général Tandeau de Marsac a souligné qu’à terme toutes les forces engagées sur un théâtre d’opérations devront être intégrées dans la bulle Scorpion pour bénéficier du même niveau d’information et de protection. La cohabitation entre ancienne et nouvelle générations d’équipements constitue ainsi un point d’attention pour les forces terrestres.

Source : Avis budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2023, M. François Cormier-Bouligeon.

● L’année 2024 se caractérise par la poursuite de la modernisation du segment médian et les forces terrestres devraient atteindre 36 % de leur transformation SCORPION d’ici à la fin de l’année.

Les forces terrestres devraient principalement bénéficier en 2024 de la livraison de 33 véhicules blindés Jaguar, de 138 Griffons, de 103 Serval mais également de 1 350 équipements radio CONTACT et de 8 premiers véhicules blindés mortiers embaqués pour l’appui au contact (MEPAC). Au-delà du programme SCORPION, les forces terrestres bénéficieront de 21 chars Leclerc rénovés, de 12 CAESAR, de deux hélicoptères NH90, de cinq hélicoptères TIGRE au standard appui destruction (HAD), sur les vingt-cinq hélicoptères prévus d’ici 2026 et d’un hélicoptère Caracal, mais également de 8 000 fusils d’assaut HK 416 et de 90 récepteurs P3TS ([2])  (Plug and Play Positioning and Timing System).

S’agissant des commandes, l’année 2024 devrait être marquée par la commande de 45 véhicules blindés Jaguar, de 253 Griffons, de 97 Serval. Au-delà du programme SCORPION, 100 chars Leclerc rénovés seront commandés, 120 régénérations de véhicules blindés légers, ainsi que 8 000 fusils d’assaut HK 416. En matière de logistique, votre rapporteur salue également le fait que 70 camions-citernes seront commandés en 2024 pour des livraisons prévues à partir de 2026 afin de permettre d’augmenter les capacités de ravitaillement en carburant des unités de combat. Le nécessaire renforcement des capacités logistiques figurent en effet parmi les enseignements tirés du retour d’expérience ORION, auquel votre rapporteur a consacré sa partie thématique. De la même manière, un premier système (tête de série) de franchissement lourd-léger (SYFRALL) devrait être commandé.

Enfin, il convient de noter que plusieurs nouveaux programmes à effet majeur (PEM) ont été créés au profit des forces terrestres au sein du programme 146. Il s’agit notamment du programme SYFRALL ; du programme frappe longue portée terrestre (FLP-T), qui vise à acquérir la capacité de frappe longue portée terrestre qui succèdera au lance-roquette unitaire (LRU) ; du programme drones de contact, qui a pour objet l’acquisition de capacités de petits, mini et microdrones, y compris de munitions téléopérées, et du programme « robotisation du combat terrestre », qui prévoit la poursuite et l’intensification de la dynamique de développement des capacités robotisées terrestres. Votre rapporteur développe d’ailleurs dans la partie thématique de son avis budgétaire les raisons menant à la nécessité de développer une solution souveraine dans les meilleurs délais pour remplacer le LRU.

B.   La recherche d’une réactivité accrue des forces terrestres

1.   L’effort marqué en faveur des crédits dévolus au MCO permettra de renforcer la « cohérence » des forces terrestres, en accord avec les orientations prises dans la LPM

● Conformément à l’impératif de privilégier la « cohérence avant la masse », le projet de loi de finances pour 2024 accorde une importance particulière au renforcement de la « cohérence » des armées. La hausse importante des crédits dédiés au MCO, mais également aux infrastructures, en constitue la démonstration.

● Comme l’année dernière, la répartition des crédits de paiement par opération stratégique (voir tableau infra) montre la priorité conférée à l’entretien programmé des matériels. Cette priorité est particulièrement marquée dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024, avec des crédits en faveur du MCO qui atteindront 5,7 milliards d’euros pour l’ensemble des armées, soit une hausse de 15 % (+745 millions d’euros par rapport à la LFI 2023). En particulier, sur les 310 millions d’euros supplémentaires dont bénéficie le BOP Terre en 2024, 74 % de l’effort sera consacré l’entretien programmé du matériel.

● Pour l’armée de Terre, les crédits d’entretien programmé des matériels (EPM) s’établissent ainsi à 1,46 milliard d’euros en crédits de paiement en 2024, soit une hausse significative de 19 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2023 (LFI 2023). En particulier, la hausse la plus notable concerne l’entretien programmé du matériel aéroterrestre (+ 25 %). L’EPM affiche également une hausse de 70 % en AE par rapport à la LFI 2023, du fait de la notification du marché de verticalisation pour la maintenance de l’hélicoptère Tigre (+600 M€).

Les crédits dévolus au MCO terrestre contribueront à la consolidation de l’activité terrestre et à assurer son maintien au niveau de 2023, en y incluant l’activité réalisée lors des missions opérationnelles, tout en accompagnant la livraison des matériels SCORPION. La hausse des crédits de paiement résulte également de la poursuite des opérations de modernisation du véhicule blindé léger (VBL) dans sa version ULTIMA, de la pérennisation du char Leclerc, ou encore de la notification de nouveaux marchés de MCO à travers des renouvellements ou avenants sur certains marchés (CAESAR marque 1, les camions citernes SCANIA, le système « Fantassin à équipements et liaisons intégrés » FELIN, ou encore les véhicules à haute mobilité –VHM, etc.), qui mobiliseront également les ressources accordées.

S’agissant du MCO aéroterrestre, l’année 2024 sera essentiellement marquée par le renouvellement du marché de verticalisation pour la maintenance de l’hélicoptère TIGRE et consacrée à l’objectif de poursuite et d’amélioration de l’activité aéroterrestre. La trajectoire d’amélioration de la disponibilité devra prendre en compte les particularités propres à chaque flotte. S’agissant de la flotte des hélicoptères de reconnaissance et d’attaque (HRA), l’appropriation du TIGRE en remplacement du parc GAZELLE se poursuit. Les premières livraisons d’hélicoptères interarmées léger (HIL) interviendront à compter de 2028, impliquant le prolongement d’un an du maintien en service des GAZELLE. À terme, l’armée de Terre devrait être dotée de 80 HIL, dont 18 en fin de LPM. S’agissant de la flotte d’hélicoptères de manœuvre et d’assaut (HMA) la montée en puissance du parc CAÏMAN se poursuit, de même que le transfert de la flotte CARACAL au profit de l’armée de l’air et de l’espace, tout en continuant à maintenir la flotte vieillissante des PUMA. En 2023 et 2024, la déflation du parc PUMA (-11 aéronefs) affectera structurellement à la baisse le niveau de disponibilité du parc HMA.

● Par ailleurs, les crédits d’infrastructure enregistrent une très forte augmentation et s’établissent à 124 millions d’euros en 2024, contre 88 millions d’euros en 2023, soit une hausse de 41 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2023 (LFI 2023). La hausse des crédits permettra de poursuivre l’adaptation des espaces d’entraînement (infrastructures de préparation opérationnelle comme les camps de manœuvre, champs de tir, simulation, etc.) à travers notamment la poursuite du plan APOGEE (amélioration de la préparation opérationnelle globale par les espaces d’entraînement) ou encore le programme d’infrastructures d’amélioration des espaces d’entraînement de niveau deux (AEEN2). Des opérations seront également menées pour permettre de préparer l’arrivée des nouveaux équipements, comme au profit de l’école de l’aviation légère de l’armée de Terre (EALAT Le Luc), en vue de l’arrivée des futur Hélicoptères Interarmées Légers (HIL) Guépard. L’on peut également citer, un engagement important au profit de l’opération de valorisation de l’infrastructure et de la performance des entrepôts réglementés opérationnels (VIPEROPS) au profit de la 13e base de soutien du matériel à Moulins-sur-Yzeure, qui constitue un projet essentiel pour la modernisation de l’entrepôt central de la logistique du MCO terrestre avec, d’une part, une mise aux normes de l’emprise et l’amélioration de la sécurité des biens et des personnes, et d’autre part, l’accroissement de la performance.

ÉVOLUTION DES RESSOURCES PILOTÉES PAR L’ÉTAT-MAJOR DE L’ARMÉE DE TERRE, VENTILÉES PAR OPÉRATION STRATÉGIQUE (OS)

(en millions d’euros de crédits de paiement)

Opération stratégique**

2021

2022

2023

2024

Évolution

N +1/N*

LFI

Exécution

LFI

Exécution

LFI

Exécution

PLF

(en %)

AOP

188

198

183

232

199

ND

217

9 %

FAS

123

131

121

138

124

ND

133

8 %

EAC

217

227

236

218

244

ND

261

7 %

EPM

942

1 257

1 044

1553

1 228

ND

1458

19 %

dont EPM-Terre

524

755

621

855

792

ND

914

15 %

dont EPM-Aéro

411

497

417

691

429

ND

537

25 %

dont EPM-Naval

7

5

6

7

6

ND

7

9 %

Infrastructures

68

90

86

115

88

ND

124

41 %

TOTAL

1 538

1 903

1 670

2253

1 883

ND

2194

16 %

(*) Les taux d’évolution sont calculés sur les montants exacts, et non sur les montants arrondis.

(**) AOP : activités opérationnelles et préparation. FAS : fonctionnement et activités spécifiques. EAC : équipements d’accompagnement et de cohérence. EPM : entretien programmé des matériels.

Source : réponses du ministère des Armées aux questions du rapporteur pour avis, 10 octobre 2023.

● Au-delà des conséquences opérationnelles du recadencement des cibles SCORPION, le décalage dans le temps des cibles engendrera mécaniquement la prolongation de certains matériels d’ancienne génération en compensation. Le coût du MCO terrestre augmentera par l’effet cumulatif de la livraison progressive d’équipements de dernière génération et du maintien des parcs anciens dont le soutien s’avère de plus en plus coûteux, générant une « baignoire des coûts ».

Pour la maintenance terrestre, le maintien d’un parc d’ancienne génération oblige une gestion fine des obsolescences pour des parcs dont les principaux rechanges réparables ne sont souvent plus produits par l’industrie, comme c’est le cas de l’AMX-10 RC en service depuis les années 1970 et devant être remplacé par le Jaguar à terme. Selon les informations fournies à votre rapporteur, afin de prolonger l’utilisation des VAB, dont l’activité devra être prolongée jusqu’en 2030 au lieu de 2028, le surcoût devrait s’élever à 80 millions d’euros, contre 30 millions d’euros pour l’AMX10-RC. Toutefois, selon les informations fournies à votre rapporteur, ces surcoûts ont été intégrés dans les travaux préparatoires à la LPM pour permettre de maintenir l’activité à un niveau stable. En revanche, de manière paradoxale, votre rapporteur a été alerté du fait que la hausse des livraisons GRIFFON (+92) et JAGUAR (+38) décidées par voie d’amendement lors de l’examen de la loi de programmation militaire, afin de tenir compte des livraisons en Ukraine, n’a pas encore été pris en compte dans la trajectoire des crédits d’EPM, alors qu’elle devrait constituer un surcoût. En effet, les matériels neufs présentent un surcoût en termes de soutien lié au fait que l’arrivée de nouveaux matériels est marquée par une phase dite de « débuggage » visant à adapter les nouveaux matériels aux besoins des forces.

● Le MCO des matériels Scorpion constitue, par ailleurs, un point d’attention important car les contrats initiaux conclus par la direction générale de l’armement (DGA) ne comprennent pas de stocks de pièces de rechange. La contractualisation du marché de soutien en service constitue donc un fort enjeu pour la SIMMT, puisqu’il s’agit à la fois de garantir à coûts maitrisés la préparation opérationnelle et la projection des matériels. L’enjeu principal porte sur l’acquisition de stocks de fonctionnement, aujourd’hui détenus par les industriels. Actuellement, l’absence de stocks étatiques SCORPION (hors lots de rechanges pour l’autonomie initiale de projection) implique pour l’heure que les flux d’entretien de la force soient garantis grâce à la réactivité de la BITD.

L’enjeu principal des parcs Scorpion sera donc la fiabilisation de la programmation budgétaire pluriannuelle des besoins en EPM, ce qui exige au préalable une consolidation de leur coût de maintenance. Si le coût du Griffon, premier parc livré, n’est pas encore stabilisé car une partie des pannes n’est pas couverte pas le forfait contractuel, le coût de maintenance du SERVAL sera, en principe, plus faible selon le ministère des Armées, en cohérence avec sa dimension moindre. Enfin, à terme, un enjeu consistera dans le renouvellement contractuel des contrats initiaux de la DGA, afin que puisse être mis en place un marché de soutien en service. En particulier, il sera nécessaire de veiller à la prise en compte du coût de soutien et des stocks de rechange, nécessaires à un engagement de haute intensité.

● Concernant le char Leclerc, des opérations de pérennisation et le nouveau marché de soutien service notifié fin mars 2021 pour dix ans devraient offrir des perspectives favorables en matière de disponibilité. Pour mémoire, le programme de rénovation des Leclerc vise à intégrer les chars Leclerc dans le combat collaboratif Scorpion, à l’adapter aux nouvelles menaces et à traiter les obsolescences lourdes. La cible est de 160 chars rénovés en 2030 et de 200 chars rénovés à terme, pour pérenniser cette capacité jusqu’en 2040.

● Au-delà de l’augmentation des crédits, la SIMMT s’attache à améliorer la performance du MCO des forces terrestres, à travers un plan d’optimisation des dépenses. La SIMMT finalise actuellement sa nouvelle ambition 2030 en vue d’adapter son fonctionnement aux enjeux de la haute intensité. Des actions ont été entreprises et doivent être poursuivies, notamment le recrutement de réservistes ou encore la participation des industriels à l’exercice ORION. Conformément aux orientations fixées par la LPM, la SIMMT mène une démarche visant à réévaluer la répartition de la charge de MCO entre les acteurs de la maintenance étatique ou industrielle, à l’aune d’une analyse par parc et dans une logique de recherche d’efficience. Auditionné par votre rapporteur, le DC-SIMMT a notamment indiqué que la renégociation des contrats avec les industriels serait l’occasion de rechercher à dégager des capacités de financement des stocks de précaution. Au-delà de la réduction des coûts, la SIMMT cherche à accroître le niveau des stocks de pièces de rechange pour passer d’une logique de contrats forfaitaires, orientés vers la performance, à une logique de constitution de stocks. À l’avenir, la SIMMT souhaite modifier la structure de ses contrats pour y inclure l’obligation pour l’industriel de se doter de deux ans de stocks, dans un délai de trois ans, afin de laisser une prévisibilité suffisante à l’industriel. Votre rapporteur tient à souligner qu’il s’agit d’une démarche vertueuse, à la fois bénéfique pour la DC-SIMMT et l’industriel, en conciliant l’exigence de constitution de stocks avec une prévisibilité accrue. Cette démarche devrait s’accompagner d’une baisse des coûts qui sera mise à profit au service d’une meilleure performance du MCO. En effet, selon la SIMMT, le passage d’une gestion de flux mettant sous tension la chaîne d’approvisionnement à une gestion de stocks devrait permettre des gains substantiels sur le coût des rechanges. Toutefois, si la SIMMT possède la capacité d’enquêter sur la réalité des coûts de l’entreprise intégratrice, elle n’aurait pas de visibilité sur les marges réalisées par les fournisseurs et les sous-traitants, selon les informations fournies à votre rapporteur. Dès lors, votre rapporteur s’interroge sur la nécessité de compléter les dispositions en vigueur dans le code de la commande publique[3] pour permettre un contrôle des coûts tout au long de la chaîne de valeur dans le souci d’une meilleure transparence des coûts de MCO, tout en veillant à ne pas déstabiliser les sous-traitants.

2.   La poursuite bienvenue des efforts en faveur de la préparation opérationnelle

● Les crédits consacrés aux activités opérationnelles (AOP) dans le PLF 2024 poursuivent également leur progression (+9 % en crédits de paiement), après une année 2023 marquée par la tenue de l’exercice majeur ORION, qui s’inscrit dans la dynamique d’augmentation qualitative de la préparation opérationnelle et son nécessaire durcissement pour faire face au retour des conflits de haute intensité.

● L’augmentation des crédits contribuera à financer l’atteinte des objectifs de préparation opérationnelle de l’armée de Terre, dont le cycle de préparation opérationnelle sera caractérisé par une attention portée à la préparation opérationnelle interalliées, à travers la participation à de grands exercices multinationaux à l’étranger, dans le cadre de l’OTAN comme Steadfast Defender 2024 ou en bilatéral, comme les forces s’y préparent avec les États-Unis pour Warfighter en 2025. La hausse des crédits doit également permettre de couvrir le coût des carburants opérationnels. Par ailleurs, l’année 2024 verra se poursuivre les missions de réassurance sur le flanc Est de l’Alliance.

3.   Un effort en faveur des équipements d’accompagnement et de cohérence et des munitions à poursuivre

● Les crédits d’équipement d’accompagnement et de cohérence (EAC) s’établissent à près de 261 millions d’euros en crédits de paiement en 2024, soit une hausse de 7 % (+ 17 millions d’euros) par rapport à la loi de finances pour 2023. Cette augmentation est principalement liée aux acquisitions de matériel dédié aux Systèmes d’information et de communication (SIC), ainsi que des munitions supplémentaires pour répondre aux besoins de la haute intensité. Par ailleurs, les EAC connaissent une hausse significative de 59 % en AE par rapport à la LFI 2023, en raison de la mise en place d’un marché pluriannuel d’acquisition de munitions (mortier de 120 mm).

● L’année 2023 a été marquée par la livraison d’un lot de missiles moyenne portée (MMP), de missiles Mistral, de VL MICA, d’obus de 155 mm et de tous calibres, de corps de bombes et kits de guidage ainsi que de munitions de petits calibres. Par ailleurs, l’annonce de la relocalisation de la production de poudre à Bergerac est à saluer et constitue une étape importante en faveur de la sécurisation de nos approvisionnements.

● Les crédits pour 2024 permettront principalement l’acquisition de missiles Hellfire pour l’hélicoptère Tigre, de leurres, d’obus de tous calibres et de munitions de petits calibres.

● Votre rapporteur se réjouit que la LPM 2024-2030 prévoit un effort notable en faveur des EAC, souvent sous-exécutés par le passé, avec un effort important au profit des munitions qui permettront de couvrir dans l’ensemble les besoins en entraînement des forces terrestres, puis, d’entamer la remontée de certains stocks critiques. Votre rapporteur sera particulièrement vigilant à ce que ces crédits permettent de combler les lacunes identifiées dans les domaines de l’artillerie, des missiles-roquettes et des munitions pour mortiers et, ainsi, prioriser la reconstitution des stocks guerre d’obus de mortier ainsi que les cartouches et obus de moyen et petit calibre, pour lesquels le besoin est particulièrement prégnant, tandis que les cessions de munitions à l’Ukraine se poursuivent. Par ailleurs, si le stock instruction permet globalement d’assurer la préparation opérationnelle, certains segments doivent faire l’objet d’une attention plus poussée, notamment s’agissant de l’entraînement au tir des équipages de chars LECLERC et AMX-10 RC. En particulier, la création de 21 sections de mortier de 120 mm dans l’infanterie, dans le cadre de la transformation de l’armée de Terre, et l’arrivée du MEPAC dans l’artillerie nécessiteront un effort d’acquisition important. Les possibilités d’entraînement demeurent également encore trop limitées sur certaines munitions complexes coûteuses, comme le MMP. Ce constat qui rejoint celui du nécessaire équilibre entre masse et technologie, constitue un argument supplémentaire à l’appui de la démarche de « panachage » des munitions lancée dans le cadre de la LPM.

● Par ailleurs, de nouveaux schémas contractuels sont mis en place, en particulier des contrats pluriannuels, afin de donner à la BITD les moyens de gagner en réactivité et de sécuriser les approvisionnements. Parallèlement à la mise en place d’un marché pluriannuel d’acquisition de munitions de mortier de 120 mm, une nouvelle opération « munitions gros calibre » a été introduite par la LPM 2024-2030 au sein du programme 146 et couvre l’acquisition de munition d’artillerie de 155 mm au travers d’incréments successifs, ainsi que la mise en place d’un accord cadre de fourniture de munitions ayant pour vocation de couvrir les besoins France et les besoins de client étrangers. La création d’un tel contrat cadre devrait permettre de sécuriser les commandes et de donner davantage de visibilité aux industriels. Toutefois, auditionné par votre rapporteur, M. Nicolas Chamussy, directeur général de KNDS France, a salué les apports de ce contrat cadre, tout en soulignant que la visibilité souhaitée ne serait apportée que par les marchés subséquents à venir. À ce jour, le schéma souhaité par KNDS garantissant un plancher de coups complets annuels, y compris la production destinée à l’export, permettant de pérenniser la filière et assurer une montée en puissance industrielle rapide en cas de besoin, n’est pas mis en place à l’étiage souhaité. Les volumes d’acquisition en cours de discussion devraient néanmoins être similaires aux moyennes constatées les années précédentes pour les munitions d’artillerie.

● Comme l’année dernière, votre rapporteur restera attentif à l’évolution des crédits dédiés aux munitions, dont le montant réel est négativement affecté par l’inflation et la hausse du coût des facteurs et doit prendre en compte la poursuite des cessions à l’Ukraine, qui passent en partie désormais par des cessions remboursables en nature financées par la France.

II.   Deux principaux défis à relever en 2024

Si le projet de loi de finances pour 2024 est porteur de nombreuses améliorations qui devront permettre à l’armée de Terre de poursuivre sa remontée en puissance, l’année 2024 sera marquée par deux défis principaux auxquels les forces terrestres devront faire face pour respecter la programmation. Il s’agit du défi humain et du défi de la préservation du niveau d’activité opérationnel.

D’une part, les forces terrestres rencontrent pour la première année des difficultés de recrutement qui nécessiteront un effort supplémentaire en faveur de la fidélisation de nos militaires dans un contexte marqué par une réorganisation profonde de l’armée de Terre.

D’autre part, comme l’année dernière, si l’armée de Terre est aujourd’hui engagée, crédible et mieux entraînée, son niveau d’engagement opérationnel se maintient à un niveau élevé. En particulier, l’année 2024 sera marquée par un engagement important sur le territoire national. De plus, le niveau de l’inflation demeure élevé et pourrait avoir des répercussions négatives sur le niveau d’activité de l’armée de Terre à terme. Cette situation justifie d’actionner un maximum de leviers pour libérer du temps pour la préparation opérationnelle.

A.   Des difficultés de recrutement nécessiteront de mener un effort supplémentaire en faveur de la fidélisation dans un contexte de transformation des forces terrestres

● Le ministère des Armées est confronté aux défis de l’attractivité des talents et de la fidélisation du personnel dans un contexte où le marché de l’emploi se caractérise par une concurrence exacerbée entre employeurs. Par ailleurs, les évolutions sociétales et les aspirations des recrues potentielles sont parfois difficilement conciliables avec les contraintes liées aux sujétions militaires. La fidélisation consiste à créer une dynamique vertueuse permettant de conserver l’expérience acquise et les compétences détenues au sein des forces, gages d’efficacité opérationnelle dans un contexte d’augmentation du nombre de missions et de durcissement des opérations.

Pour mémoire, la question de la fidélisation est d’autant plus prégnante que le personnel recruté massivement lors de la phase de remontée en puissance arrive en période de renouvellement de contrat. Après les attentats de 2015, il a été mis fin à la décrue des effectifs de l’armée de Terre au profit de l’augmentation des effectifs de la force opérationnelle terrestre pour atteindre 77 000 hommes et femmes, soit 11 000 effectifs supplémentaires.

● Cette manœuvre a imposé des recrutements annuels conséquents depuis 2015 (près de 21 000 en 2016, près de 18 000 en 2017, moins de 15 000 en 2018, 2019 et 2020, avant une remontée à 17 000 en 2021), pour atteindre cette cible puis la tenir, dans un contexte encore marqué par de trop nombreux départs. Le ministère des Armées et l’armée de Terre ont alors multiplié les efforts pour fidéliser les militaires. Toutefois, alors qu’elle avait bénéficié d’une dynamique assez porteuse jusqu’alors, en comparaison d’armées partenaires, pour la première fois en 2023 l’armée de Terre n’est pas parvenue à réaliser sa manœuvre de recrutement.

1.   Des difficultés de recrutement préoccupantes

● Pour mémoire, les années 2018 à 2020 ont permis de stabiliser la force opérationnelle terrestre à 77 000 hommes, en dépit de départs encore jugés trop nombreux, qui ont imposé de revoir à la hausse les plans de recrutements. Plus de 14 000 militaires ont été recrutés et formés en 2020, en dépit de la crise sanitaire, avant un retour à un plan de recrutement de près de 17 000 en 2021, puis 14 000 en 2022. Selon le dernier rapport social unique du ministère des Armées, publié par le Secrétariat général pour l’administration en juillet 2023, l’armée de Terre comptait ainsi 113 619 militaires en 2022.

● Cependant, après une année 2022 marquée par une stabilisation des effectifs, l’année 2023 a vu la dynamique de recrutement baisser, laissant apparaître un décrochage préoccupant, concernant en particulier les militaires du rang. Ainsi, tandis que la cible de recrutement se situe dans la classe de 15 000 recrues, les effectifs prévisionnels laissent présager un déficit d’environ 2 000 recrues en 2023, soit une baisse significative par rapport aux trois années précédentes.

● Interrogé par votre rapporteur sur les raisons de ces difficultés lors de son audition le 11 octobre 2023 devant la commission de la défense nationale et des forces armées, le chef d’état-major de l’armée de Terre (CEMAT), le Général d’armée Schill, a indiqué qu’il attribuait ce phénomène à des causes à la fois conjoncturelles (concurrence du secteur privé, contexte de plein emploi et marché du travail dynamique ; conséquences de la période COVID) et structurelles (baisses du nombre de jeunes aptes au service, notamment du fait de l’aptitude médicale et évolution sociétales marquées par un changement du rapport au travail, etc.). Une stratégie de communication adaptée a été lancée, une attention redoublée a été portée au processus de recrutement, une augmentation du nombre de recruteurs et la création de cellules d’aide au recrutement, accompagnée d’une mobilisation à tous les niveaux. Lors de son audition, le CEMAT a également annoncé que certains critères d’aptitude physiques et de santé (aptitude dentaire, par exemple) allaient être revus dans le sens d’une plus grande flexibilité en fonction de l’emploi visé.

● Du fait du dynamisme économique, le taux de dénonciation des contrats des sous-officiers en 2022 est resté stable par rapport à 2021, mais en hausse par rapport aux deux années précédentes avec un taux de 17,9 %, contre 17 % en 2019. Il reste néanmoins très en deçà du pic de 2017 (27 % en 2017). Pour les militaires du rang, le niveau de dénonciation de la cohorte 2022 (30,8 %) est comparable à celui de 2020 (31 %), en légère baisse par rapport à 2021 (33 %). Le taux de renouvellement de contrat dans cette catégorie a légèrement baissé par rapport à 2021 (36,4 % en 2022 renouvelant leur contrat au-delà de cinq ans de service contre 37,5 %) mais reste au-delà de l’objectif de 36 %. Il est de 86 % pour les sous-officiers semi-direct renouvelant leur contrat au-delà de 5 ans de service comme sous-officiers et de 81 % pour les officiers sous contrat encadrement renouvelant à l’issue de leur premier contrat.

Pour les officiers, les mesures visant à améliorer l’information, à renforcer l’identité propre des jeunes contractuels (création de l’école militaire des aspirants de Coëtquidan) et à valoriser les parcours de cette population (ouverture aux concours de l’École de guerre et du diplôme technique) ont permis de contenir l’attrition initiale des officiers sous-contrat (OSC).

Les taux de sélection connaissent toutefois une baisse en 2022 et devraient poursuivre leur trajectoire en 2023, en corrélation avec la baisse du niveau des recrutements (1 pour 2,4 candidats en 2022, contre 1 pour 3,2 en 2021 pour les engagés volontaires sous-officiers et de 1 pour 1,4 candidats en 2022, contre 1 pour 1,6 candidats en 2021 pour les militaires du rang). En revanche, les taux de sélection demeurent relativement stables pour les élèves officiers admis à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr (1 pour 11 en 2023, contre 1 pour 12 en 2022).

● Le défi à relever est également celui de l’attractivité. La bonne conciliation entre vie privée et vie professionnelle constitue un déterminant extrêmement fort de la fidélisation. Elle doit répondre aux exigences de l’état militaire, tout en s’adaptant aux évolutions sociétales. Si le moral des militaires de l’armée de Terre demeure élevé avec 81 % des personnels déclarant avoir un moral « excellent », « bon » ou « plutôt bon ([4])  », la baisse du pouvoir d’achat, la suractivité ressentie ainsi que les tensions en ressources humaines constituent cependant des préoccupations en hausse. En particulier, l’accompagnement de la mobilité fait partie des irritants régulièrement mis en avant.

● Enfin, pour atteindre ses objectifs dans la durée, l’armée de Terre développe une offre de formation innovante. Ainsi, l’École militaire préparatoire et technique (EMPT) de Bourges a ouvert ses portes en 2022 et connaît déjà un franc succès, ou encore le « BTS cyber » à Saint Cyr l’École pour recruter et former, dès le lycée, des compétences nécessaires pour les métiers en tension (maintenance des matériels terrestres, systèmes de forces, systèmes d’armes équipements, achats, etc.)

La création d’un statut d’apprentis militaires par la loi de programmation militaire 2024-2030 permettra de formaliser l’enseignement préparatoire et technique des forces armées. À titre d’exemple, l’École militaire préparatoire et technique (EMPT) de Bourges connaît déjà un franc succès avec un nombre d’élèves en croissance (150 en 2022, 170 en 2023) avec un objectif d’atteindre un effectif de 250 diplômés en 2030. À cet effet, sur la période 2024-30, l’augmentation du nombre de classes implique de recruter de nouveaux professeurs en conséquence (23 professeurs de l’Éducation nationale dont 11 dès la rentrée de septembre 2024). Deux contractuels renforceront cette montée en puissance chaque année.

2.   Un effort pour consolider l’attractivité de l’armée de Terre

 Au regard des difficultés rencontrées en matière de recrutement, les efforts doivent se poursuivre en matière de fidélisation. La fidélisation du personnel formé et expérimenté est un enjeu crucial pour l’armée de Terre car elle permet de limiter les volumes de recrutement et ainsi de réduire sensiblement les charges de formation. La fidélisation est également nécessaire pour remplir un contrat opérationnel ambitieux, exigeant le juste équilibre entre expérience et jeunesse en s’appuyant sur un taux d’encadrement suffisant.

 Les enjeux relatifs à la fidélisation ont été particulièrement mis en exergue à la suite du rapport du HCECM. Les officiers semblent également être concernés par une forme de « crise des vocations ». Le Haut Comité d’évaluation de la condition militaire l’explique dans son 17ème rapport, qui constate « une érosion lente, mais constante » des vocations chez les officiers. Si les officiers représentent une part limitée de l’ensemble des militaires (40 000 militaires, soit 13 % des effectifs totaux de l’ensemble des militaires employés dans les armées en 2021), ils constituent un maillon essentiel dans le modèle des ressources humaines des armées. Le rapport met ainsi en exergue le fait que le taux de départ des officiers de l’armée de terre ayant entre dix et quinze ans de service pourrait atteindre 30 % dans les prochaines années.

● La politique globale de fidélisation ne se limite pas à l’évolution des pratiques RH mais s’appuie également sur les plans Famille 1 et 2 (meilleure prise en compte de l’environnement familial) et sur l’amélioration des conditions générales d’exécution du service (meilleures conditions de vie, meilleurs équipements, rémunération contribuant à consolider le statut militaire). Les contractuels sont au cœur de cet enjeu, mais le changement de paradigme opéré par les jeunes générations en matière de carrière (moindre primat du contrat à durée indéterminée - CDI, mobilité professionnelle plus importante, etc.) oblige à une prise en compte de tous les cursus et toutes les catégories dans l’évolution des pratiques RH.

Dans la lignée également des précédents avis budgétaires, il apparaît que le plan Famille est désormais bien connu et bien perçu grâce à des avancées notables et tangibles (carte SNCF, amélioration des offres de garde d’enfants, Wi-Fi gratuit, hausse substantielle des crédits destinés à la cohésion et l’amélioration du cadre de vie…). Le plan génère cependant des attentes encore fortes dans les domaines du logement, de l’accompagnement de la mobilité (déménagement, inscription scolaire, travail du conjoint, gardes d’enfant en horaires atypiques) et de l’hébergement, qui ne pourront être satisfaites qu’au prix d’un effort dans la durée. Selon l’armée de Terre, certaines mesures restent à consolider, à l’instar de l’accompagnement de la mobilité (axe 3 du plan Famille), qui constitue une priorité du plan Famille 2 financé par la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 à hauteur de 750 millions d’euros.

● La nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) doit également offrir aux gestionnaires des ressources humaines davantage de leviers pour répondre aux besoins de fidélisation face à l’émergence de nouvelles compétences et aux évolutions du marché du travail. Une meilleure prise en compte des contraintes liées à la mobilité, au coût du logement et à l’absence générée par les activités opérationnelles est en particulier attendue. Les premiers retours de l’armée de Terre sur l’indemnité de mobilité géographique des militaires, entrée en vigueur le 1er janvier 2021, sont positifs. Au 1er janvier 2022, le déploiement de la NPRM s’est poursuivi avec la mise en place de l’indemnité de sujétions d’absence opérationnelle (ISAO), de la prime de commandement et de responsabilité militaire (PCRM) et de la prime de performance. Au 1er octobre 2023, l’indemnité d’état militaire (IEM), l’indemnité de garnison (IGAR), la prime de parcours professionnels des militaires (3PM) et la prime de compétences spécifiques des militaires (PCSMIL), au premier rang desquels la prime du combattant terrestre, seront mises en œuvre.

● Au-delà du volet indemnitaire de la NPRM, un effort particulier sera porté sur les mesures indiciaires. Face aux difficultés de recrutement rencontrées, le ministre des armées a fait le choix d’activer la clause inscrite à l’article 7 de la LPM 2024-2030 ([5])  afin de bénéficier de la flexibilité prévue en cas de sous réalisation des cibles d’effectifs. Les forces bénéficieront en 2024 de mesures de revalorisation issues, d’une part, de la transposition des mesures prévues pour l’ensemble de la fonction publique (mesure dite Guérini) et de mesures indiciaires, propres au ministère des Armées, annoncées dans le cadre de la LPM 2024-2030. Aussi, après les mesures de revalorisation indiciaires effectuées au 1er juillet 2023 (augmentation de la valeur du point d’indice de la fonction publique de 1,5 %, attribution de points d’indices majorés supplémentaires à certains des premiers grades des militaires du rang et sous-officiers dits subalternes) et au 1er octobre 2023 (mesures complémentaires indiciaires pour les militaires du rang et sous-officiers), les personnels militaires devraient bénéficier au 1er janvier de l’attribution de cinq points d’indice supplémentaires et, à compter du 1er octobre 2024, de la mise en place des nouvelles grilles indiciaires pour les sous-officiers supérieurs. Les grilles indiciaires des officiers seront révisées avant la fin de l'année 2025. Ces mesures visent à remédier au tassement constaté des grilles de rémunération.

● Enfin, la fidélisation du personnel formé et expérimenté constitue un enjeu majeur pour l’armée de Terre et revêt une importance supplémentaire en 2023, au regard de l’amorçage d’une transformation en profondeur de l’armée de Terre, jusqu’à l’horizon 2030. Cette mutation vers une armée modernisée, nécessite un effort particulier de recrutement et une fidélisation accrue des compétences critiques, alors que le degré de qualification du personnel et le volume de formation ont vocation à augmenter. La réorganisation se traduira in fine par un pyramidage plus marqué en sous-officier et officiers Une attention particulière devra dès lors être portée à la préservation des équilibres concernant les recrutements externes et la formation interne. Selon le ministère des armées, la fidélisation de toutes les catégories et l’escalier social comme moteur de l’acquisition des compétences resteront centraux. Dans le contexte de tension croissante sur le recrutement, l’enjeu restera d’attirer et de fidéliser dans des métiers techniques déjà en tension. Les mesures d’attractivité, notamment à travers la politique indiciaire annoncée par le ministère des Armées, accompagneront cet effort.

3.   La montée en puissance des réserves devra s’accompagner de la prise en compte des besoins humains, en équipements et en infrastructures associés

● Conformément à l’objectif fixé par la LPM d’un doublement des effectifs de la réserve opérationnelle à l’horizon 2030, soit 48 000 réservistes pour l’armée de Terre, les forces terrestres se sont engagées dans une transformation profonde du modèle des réserves. Cette évolution vise notamment à améliorer l’intégration des réservistes au sein de l’armée d’active, pour conférer à celle-ci une épaisseur supplémentaire. Les réservistes seront répartis entre compléments individuels et unités de réserve, représentant plus de 70 compagnies.

● Dès 2024, le nombre de réservistes augmentera de 3 800 effectifs, dont 2 000 auront vocation à rejoindre les forces terrestres, selon les précisions données par le chef d’état-major de l’armée de Terre, lors de son audition devant la commission de la défense nationale et des forces armées le 11 octobre 2023. Ces réservistes rejoindront, pour la majorité d’entre eux, six bataillons, créés en réorganisant et en densifiant les unités de réserve préexistantes dans les six brigades interarmes, a précisé le général Schill. Le CEMAT a résumé son ambition autour du développement de trois dimensions pour la réserve : « réserve de compétences », une « réserve territoriale » et une « réserve de combat ». Il a également précisé que le 24ème régiment d’infanterie, seul régiment entièrement réserviste, serait placé sous les ordres du Gouverneur militaire de Paris, initiant ainsi un mouvement de territorialisation accrue de la réserve. Par ailleurs, le CEMAT a également évoqué la création, en 2024, d’un bataillon de réservistes du renseignement.

● À cet effet, l’armée de Terre mettra en place des outils pour atteindre les objectifs annoncés. Un premier axe d’effort consiste en l’opérationnalisation de la réserve opérationnelle de niveau 1 (RO1) dont le cadre d’emploi sera élargi et densifié au profit de trois axes : la protection du territoire national, contribuer à l’engagement efficace des unités d’active mais également participer à l’engagement d’unités de combat constituées. Les conditions de mobilisation de la réserve seront également améliorées et facilités dès 2024, notamment au moyen d’une gestion rénovée de la réserve de disponibilité (RO2), bénéficiant de la modernisation du système d’information dédié (SI-ROC) qui doit permettre d’améliorer le suivi des réserves.

Par ailleurs, selon le projet annuel de performance 2024, qui inclue un nouvel indicateur dédié à la réserve, les différentes mesures inscrites dans la LPM 2024-2030 (augmentation de la limite d’âge à 72 ans, possibilité pour les militaires d’active de faire de la réserve pendant un congé de disponibilité, un congé pour convenances personnelles ou un congé parental, différenciation de l’aptitude requise pour les réservistes, augmentation du nombre de jours ne nécessitant pas l’autorisation de l’employeur, etc.) et la mise en œuvre du plan « Réserve 2035 » (fluidification du parcours de recrutement, élaboration d’un plan de communication, etc.) devraient faciliter l’atteinte des cibles.

● Votre rapporteur souhaite néanmoins insister sur la nécessité de porter une attention particulière à la formation et à l’équipement des réservistes et aux infrastructures nécessaires à leur intégration dans les forces. L’ambition pour les réserves devra également être articulée avec le projet de volontaires du territoire national porté par le CEMAT.

4.   La transformation de l’armée de Terre s’accompagnera d’une manœuvre en ressources humaines ambitieuse

● Comme l’a affirmé le chef d’état-major de l’armée de Terre (CEMAT), le Général d’armée Pierre Schill, lors de son audition devant la commission de la Défense pendant l’examen de la loi de programmation militaire 2024-2030 « vaincre sur le champ de bataille ne se réduit pas à emporter des batailles ; vaincre c’est aussi transformer l’armée de Terre. »

En effet, l’année 2024 constituera la première année du « mouvement vers l’avant » de l’armée de Terre. Au modèle « Au contact » mis en place en 2016, succédera donc le plan « Armée de Terre de combat ». La transformation est jugée nécessaire pour permettre aux forces terrestres de s’adapter à la transformation du monde et aux bouleversements du contexte stratégique. Le « mouvement vers l’avant » a vocation à renforcer la puissance de combat, la réactivité et les capacités d’initiative des grandes unités de l’armée de Terre.

● Dans le cadre de cette réorganisation, il sera procédé à un rééquilibrage des régiments de mêlée au profit du commandement, du soutien, de la logistique et des appuis, ainsi que des nouvelles priorités définies en LPM. De nouveaux commandements seront créés, à l’image du commandement du combat futur, qui aura vocation à éclairer et à dynamiser la transformation capacitaire des forces terrestres. Le CEMAT ambitionne également de redonner de l’autonomie aux unités en réintroduisant davantage de subsidiarité et en encourageant un style de commandement par « la finalité » et non plus orienté vers les « moyens ». La responsabilisation des chefs de corps, à travers, notamment, l’attribution d’enveloppes dite de « réactivité » pour des achats de toute nature, constitue à ce titre une initiative intéressante à poursuivre, bien que leur montant soit aujourd’hui limité (30 000 euros en moyenne en 2023).

● Cette transformation s’accompagne d’une manœuvre en ressources humaines ambitieuse, qui concerna plus de 10 % de la force opérationnelle terrestre. En détail, celle-ci se traduit par le redéploiement de près de 8 300 postes en interne – pour moitié au sein de leur unité d’origine et pour l’autre moitié à destination d’autres unités - et la création de 670 postes supplémentaires, prévue dans le cadre de la loi de programmation militaire 2024-2030, sans modifier le format de la force opérationnelle terrestre, maintenue à 77 000 militaires.

●Déjà amorcée, elle se traduira par la mise en place, dans un premier temps, du nouveau modèle de commandement et par le renfort des structures de recrutement et de formation. Quant à la transformation des forces et des unités, celle-ci s’effectuera sur l’ensemble de la période de la loi de programmation militaire. Selon les informations fournies à votre rapporteur : un premier effort devrait concerner la mêlée (2024-2025), puis la cyber et l’influence (2025-2027) et, enfin, les appuis (2026-2029). Les brigades interarmes verront leur autonomie renforcée par des moyens de soutiens et de logistique supplémentaires et bénéficieront de nouveaux moyens (guerre électronique, lutte anti-drone, combat fluvial, etc.).

 

Nouvel organigramme « Armée de Terre au combat » : une organisation orientée vers les finalités opérationnelles.

Source : Rapport réalisé au nom de la commission de la Défense nationale et des forces armées sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 par M. Jean-Michel Jacques, 12 mai 2023.

● Pour que ce « mouvement vers l’avant » constitue une réussite, la transformation capacitaire devra se faire au rythme de la livraison des matériels adaptés. Votre rapporteur sera donc vigilant à ce que le rythme de la transformation de l’armée de Terre et notamment la création de nouvelles unités soit cohérente avec le calendrier de livraison des équipements et matériels.

Focus : la transformation de l’armée de Terre

La transformation de l’armée de Terre se fonde sur des principes simples et lisibles permettant de gagner en cohérence et d’affronter les situations les plus variées : acquisition d’équipements modernes et investissement dans des secteurs de pointe, organisation simplifiée qui se rapproche autant que possible de la structure adoptée au combat, et style de commandement fondé sur l’autonomie des échelons tactiques et la subsidiarité.

Sa transformation s’effectuera selon 4 axes :

Être et durer : la Direction des ressources humaines de l’armée de Terre (DRHAT) voit la cohérence de son action renforcée, avec pour objectif d’attirer, de générer et de favoriser la fidélisation de la ressource humaine au profit des unités de l’armée de Terre, de l’interarmées et de l’interministériel. Associant pleinement personnel d’active et de réserve, elle construit et préserve les compétences individuelles indispensables à chaque niveau de commandement, intègre et valorise les évolutions sociales et technologiques au sein d’un système des ressources humaines-Terre reconfiguré et contribue à répondre de manière réactive aux défis opérationnels actuels et futurs.

Acteur majeur de l’équilibre entre équipements, stocks et activité, la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT) porte l’ambition du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (MCO-T) et logistique d’une armée de Terre de combat, en lien direct avec les industriels, la Direction générale de l’armement (DGA), les directions et services interarmées (DSIA) et les forces. Elle renforce la capacité du MCO-T à soutenir un engagement majeur en contribuant à la préparation de la base industrielle et technologique de défense (BITD) à la guerre, et en entretenant une capacité industrielle étatique polyvalente et réactive. Simultanément, elle participe à la reconstitution de la profondeur logistique par la coordination au niveau stratégique des contributions des DSIA au soutien de l’armée de Terre.

Protéger : l’armée de Terre va donner au commandement du territoire national un nouvel élan avec la création d’un État-major interarmées du territoire national (EMIA-TN) sous l’autorité de l’état-major des armées (EMA). La division Terre de cet EMIA-TN contribuera à rationaliser les chaînes organiques, opérationnelles et de soutien de l’armée de Terre et à optimiser l’action de l’armée de Terre en disposant d’organes de décision aux niveaux adéquats : local, zonal et national. De même, cette division Terre accompagnera la montée en puissance de la réserve, qui va connaître une évolution profonde en appui de la force opérationnelle terrestre ou de la protection des territoires. Elle commandera, in fine, les unités de la réserve territoriale.

L’action des zones Terre s’inscrira en appui de la transformation (convergence opération-organisation-soutien, réactivité et commandement de l’armée de Terre sur le territoire national, stationnement-infrastructure, relais zonal du chef d’état-major de l’armée de Terre).

• Agir : le commandement des forces opérationnelles terrestres (CFOT), créé par la transformation du Commandement des forces terrestres, se réorganise pour répondre aux évolutions du contexte, aux ambitions de l’armée de Terre dans les trois espaces stratégiques et aux défis que posent la profondeur opérative du champ de bataille. Il exerce par délégation du chef d’État-major des armées (CEMA) le commandement sur les opérations terrestres en Europe. En poursuivant la montée en gamme de l’entraînement, il garantira pour 2027 la capacité des forces opérationnelles terrestres (FOT) à générer une division apte à la haute intensité dans les délais de réactivité attendue, tout en préparant le corps d’armée en 2030.

• Innover : créé en 2023, le commandement du combat futur (CCF) se constituera, après une phase de préfiguration, par la transformation du Centre de doctrine et d’enseignement du commandement (CDEC) et par l’intégration d’une chaîne de l’innovation et de l’expérimentation consolidée. Le CCF favorisera l’accélération de la transformation de l’armée de Terre, rendue nécessaire par le changement de rythme de l’innovation et de la conflictualité. Il aura pour mission d’animer la réflexion sur le combat futur et de proposer des approches innovantes dans les dimensions doctrinale, capacitaire et organisationnelle, en appuyant l’effort sur les enseignements technico-opérationnels afin d’initier les adaptations dans les forces.

De surcroît, les commandements divisionnaires spécialisés issus du modèle Au Contact (système d’information et de communication, renseignement, logistique, maintenance) seront transformés pour créer des commandements orientés vers des missions particulières (le Commandement du numérique et du cyber (CTNC) pour le numérique et le cyber, le Commandement des actions dans la profondeur (CAPR) pour les actions dans la profondeur et renseignement, le Commandement de l’appui et de la logistique de théâtre (CALT) pour l’appui logistique terrestre) ainsi que des États-majors de brigade équivalents à ceux de nos partenaires de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) (artillerie, génie, renseignement). Dans le même temps, les écoles des fonctions opérationnelles, ainsi que l’enseignement militaire supérieur Terre seront rassemblés avec les écoles de formation initiale dans un commandement de la formation rattaché à la DRHAT.

Source : réponse au questionnaire budgétaire, 10 octobre 2023

● Selon les informations fournies par le ministère des Armées en réponse au questionnaire budgétaire de votre rapporteur, la transformation s’effectuera selon trois principaux axes. Tout d’abord, afin de prendre en compte les évolutions du contexte stratégique et les premières leçons de la guerre en Ukraine, un rééquilibrage des fonctions de mêlée (infanterie et cavalerie) a été décidé au profit des soutiens, des appuis, mais également des nouveaux champs de conflictualité. Ainsi, des postes seront redéployés, principalement de l’infanterie (classe 2 000 postes) et de la cavalerie (classe 350 postes), au profit de métiers à forte technicité (cyber, influence, renseignement) dans les nouveaux champs de la guerre, et au profit des armes d’appui fortement sollicitées dans de nouveaux secteurs (feux longue portée de l’artillerie, franchissement, bréchage pour le génie, lutte anti-drone). Un effort de réduction de 5 % des fonctions du socle (classe 1 700 postes), incluant les états-majors organiques, a permis de compléter l’effort général. Par ailleurs, l’infanterie et la cavalerie bénéficient du redéploiement d’une part de leurs propres postes (classe 3 500) pour accompagner la modernisation de leurs équipements (radars, robotique, drones, guerre électronique, etc.).

● Ensuite, des moyens supplémentaires seront consentis en faveur du recrutement et de la formation, afin de disposer du personnel techniquement formé dont l’armée de Terre a besoin. Ainsi, la chaîne recrutement et ses centres seront renforcés de 80 recruteurs, les cellules d’appui au recrutement des régiments seront dotées de postes dédiés, voire doublées pour certaines, dans les bassins en forte tension. De la même manière, les organismes de formation, comme l’école militaire préparatoire technique, le BTS cyber et l’école nationale des sous-officiers d’active seront renforcés, en cohérence avec la création du statut d’apprentis militaire précité.

● Par ailleurs, la transformation devra permettre de renforcer l’autonomie des unités en favorisant la création de structures nativement prêtes à l’engagement. Ainsi, les compagnies de commandement et de transmissions (CCT) des États-majors de brigade seront transformées en compagnie de commandement, de transmission et de soutien (CCTS) avec des capacités de maintenance et de logistique. Parallèlement, la fonction soutien sera renforcée pour garantir la réalisation de la transformation capacitaire. Les régiments du matériel et les sections de maintenance régimentaire poursuivront leur montée en puissance entamée avant les travaux de loi de programmation militaire (LPM).

● D’autres évolutions tenant à la régionalisation des divisions, ou au détail de la création des commandements alpha sont détaillées dans la partie thématique de l’avis budgétaire. Cette régionalisation, doit notamment permettre d’optimiser le cycle d’activité des forces terrestres, ainsi que les modalités de préparation opérationnelle en développant davantage en amont les partenariats militaires dans les zones concernées et en planifiant des exercices conjoints.

● Dans le cadre du PLF 2024 cette transformation se traduit par la hausse des crédits alloués à la sous-action 5 « Ressources humaines des forces terrestres » (+18 % en CP). La Direction des ressources humaines de l’armée de Terre (DRHAT) contribue dès à présent à la réalisation de l’ambition « armée de Terre de combat », notamment par la transformation d’environ 9 000 postes, par l’orientation, l’affectation du personnel, l’évolution des recrutements pour répondre aux nouveaux besoins identifiés. Elle a, par ailleurs, internalisé les divisions réserve et jeunesse issues du COMTN (commandement du territoire national), dissous à l’été 2023. Pour favoriser la cohérence de la formation et l’optimisation du dispositif au sein de l’armée de Terre, l’ensemble des organismes de formation lui sera rattaché d’ici l’été 2024 (enseignement militaire supérieur et écoles d’arme dès l’été 2023).

B.   La nécessaire poursuite des efforts en matière de préparation opérationnelle

S’agissant de la préparation opérationnelle, le niveau d’activité a constitué un des points d’attention importants de l’examen parlementaire de la loi de programmation militaire 2024-2030. Les deux chambres se sont accordées sur la nécessité de rehausser la préparation opérationnelle, notamment des forces terrestres, quantitativement dès 2024 et non simplement qualitativement comme cela était prévu dans le projet de loi initial.

Toutefois, la préparation opérationnelle, parce qu’elle est le produit d’une combinaison de facteurs (disponibilité des hommes, des matériels, des formateurs et des camps d’entraînement) est logiquement un des résultats les plus difficiles à atteindre.

1.   Un engagement opérationnel en hausse, marqué en 2024 par un effort important en faveur de la protection du territoire national, qui pourrait contraindre la préparation opérationnelle des forces terrestres

Avec plus de 5 100 hommes et femmes déployés en opérations extérieures et en missions opérationnelles en septembre 2023, le niveau d’engagement de l’armée de Terre demeure élevé, bien qu’en léger recul par rapport à l’année précédente (5 400).

● Comme l’année dernière, l’armée de Terre demeure fortement engagée au-delà de ce que prévoit son contrat opérationnel en se déployant sur cinq théâtres au lieu de trois (Sahel, Liban, Irak, Estonie et Roumanie), tout en assurant une mission de formation au profit des forces ukrainiennes en Pologne (mission GERFAUT). Les forces terrestres sont engagées sur des théâtres d’opérations très divers et ont su faire preuve d’une grande réactivité. Votre rapporteur sera vigilant à ce que niveau d’engagement élevé dans la durée, qui va devoir être concilié en 2024 avec un effort important en faveur de la protection du territoire national, soit soutenable dans la durée.

● Outre les missions permanentes, notamment Sentinelle, l’année 2024 sera marquée par la participation des armées à la sécurisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 (JOP 2024).

La sécurisation des JOP 2024 constituera un rendez-vous majeur pour l’armée de Terre. Le dispositif terrestre de sécurisation interviendra en appui des forces de sécurité intérieures et en engageant des capacités spécialisées (cynophile, NRBC, déminage, LAD). Le déploiement prévisionnel pourrait être de 10 000 à 15 000 hommes – pouvant être rehaussé jusqu’à 20 000 hommes, les discussions interministérielles soient toujours en cours. L’armée de Terre devra remplir cette nouvelle mission tout en assurant les autres obligations prévues par son contrat opérationnel. La nature des missions réalisées lors des JOP 2024 diffère en effet de celles de Sentinelle, nécessitant la mobilisation de compétences allant au-delà de la force anti-terroriste. Aussi, votre rapporteur a-t-il été sensibilisé au fait que cette mission de sécurisation mériterait d’être plus clairement identifiée. La création d’une nouvelle opération pourrait constituer une réponse adaptée et permettrait de donner plus de visibilité à l’engagement des armées. Elle permettrait également d’entamer les réflexions relatives à la préfiguration d’un cadre d’engagement rénové des armées sur le territoire national dans la perspective d’une redéfinition de Sentinelle après 2024. L’année dernière votre rapporteur avait également recommandé de réfléchir à une plus grande réactivité et une modularité accrue de l’engagement des forces terrestres sur le territoire national.

● Un équilibre devra être trouvé s’agissant de l’emploi des hommes avec la préservation d’un niveau de préparation opérationnelle suffisant. Selon les informations fournies à votre rapporteur, la contribution de l’armée de Terre à la sécurisation des JOP pourrait se traduire par un gel de la préparation opérationnelle interarmes sur la période mai à octobre. Votre rapporteur sera particulièrement vigilant à ce qu’un équilibre puisse être trouvé et que le niveau élevé d’engagement ne se traduise pas par des renoncements trop importants sur la préparation opérationnelle des unités.

Engagement de l’armée de Terre sur le territoire national.

L’armée de Terre contribue au quotidien à la protection du territoire national et de la population à travers des missions de défense militaire et de défense civile. À ce titre, elle participe à l’opération SENTINELLE, à la lutte contre l’orpaillage illégal en Guyane dans le cadre de l’opération HARPIE, à la lutte contre l’immigration clandestine à Mayotte, à l’opération RESILIENCE de lutte contre la pandémie de la Covid, à l’opération HEPHAISTOS de lutte contre les feux de forêts, ou encore la mission TITAN permettant la protection de la base de Kourou.

L’engagement de l’armée de Terre, principal contributeur à l’opération SENTINELLE, s’articule aujourd’hui en trois échelons : un dispositif opérationnel permanent, une réserve opérative permettant de répondre de manière réactive aux sollicitations des préfets de zone de défense et de sécurité et une réserve stratégique permettant de porter le dispositif à 10 000 militaires sur ordre du président de la République dans les situations les plus graves.

L’opération SENTINELLE n’a connu aucune évolution majeure depuis avril 2021, date du désengagement des renforts qui avaient été décidés à la suite des attaques terroristes d’octobre 2020. Le dispositif permanent s’élève aujourd’hui à 3 000 militaires auquel s’ajoutent une réserve opérative de 4 000 militaires en alerte et une réserve stratégique de 3 000 militaires. La période estivale et les fêtes de fin d’année font tous les ans l’objet d’un effort particulier avec des engagements compris entre 400 et 600 militaires en renfort.

En octobre 2023, compte tenu de la dégradation du contexte sécuritaire en lien avec la résurgence du conflit israelo-palestinien, le Gouvernement a décidé de déployer 7 000 militaires pour renforcer la protection du territoire national, tandis que le plan Vigipirate était réhaussé au niveau « Urgence attentat ».

● Par ailleurs, l’année 2023 a été marquée par la poursuite de l’engagement des militaires des forces terrestres au sein des missions opérationnelles AIGLE en Roumanie et LYNX en Estonie. Une nouvelle mission GERFAUT a également été créée en Pologne, au profit de la formation des militaires Ukrainiens.

La mission AIGLE donne pleine satisfaction, comme a pu le constater votre rapporteur qui a pu se rendre en février 2023 à Cincu à la rencontre des forces, accompagné de M. Bastien Lachaud, rapporteur des programmes 178 soutiens, hors armées, et du programme 212. Depuis un an, le battle group conduit des exercices de tirs et de manœuvre avec les militaires roumains et les partenaires présents. La mission, au sein de laquelle la France exerce le rôle de Nation cadre, constitue une véritable opportunité de préparation opérationnelle multinationale. À titre d’exemple, le mandat AIGLE 5, effectué par le 35ème régiment d’infanterie (RI), a réalisé plus d’une trentaine d’exercices en multinational depuis le mois de juillet, selon les informations fournies à votre rapporteur.

De la même manière la mission LYNX, conduite en Estonie, au côté des Britanniques, constitue un véritable levier d’influence. Des matériels majeurs ont été déployés en Estonie comme les CAESAR, à l’occasion de l’exercice Spring Storm en 2023. La mission LYNX constitue, là encore, un véritable laboratoire pour l’intéropérabilité et la pleine appropriation des matériels SCORPION déployés (Griffons et Serval), dont le fonctionnement peut être éprouvé dans des conditions hivernales.

● Enfin, la présence militaire française au Sahel continue sa réarticulation et connaît des évolutions profondes. La ré-articulation de l’opération Barkhane devrait redonner des marges de manœuvre à l’armée de Terre en termes de disponibilité des hommes et des matériels. Toutefois, l’état-major de l’armée de Terre anticipe d’importants surcoûts et un cycle de retrait et de régénération des véhicules très long. L’opération de régénération des matériels de retour de Barkhane devrait s’achever en 2027. Près de 90 % des matériels majeurs ont été rapatriés en Hexagone à date. Toutefois, il ressort des travaux de votre rapporteur que leur réintégration dans les unités prendra du temps. Seulement 10 % ont été réaffectés à date. Une nouvelle manœuvre logistique d’ampleur devra par ailleurs être entreprise compte tenu du départ des 1 500 militaires français présents au Niger, amorcé en octobre 2023. Le rapatriement des hommes et des matériels devrait se prolonger jusqu’à la fin de l’année. Lors de son audition devant la commission des Affaires étrangères et de la défense du Sénat, le 11 octobre 2023, le ministre des armées a précisé que le surcoût prévisionnel induit par le redéploiement logistique pourrait être compris entre 200 et 400 millions d’euros, en prenant en compte le coût de la remise en condition des matériels.

Par ailleurs, cette évolution s’inscrit dans le cadre plus large de la réorganisation du dispositif militaire français en Afrique souhaitée par le Président de la République. Les forces prépositionnées verront leurs effectifs diminuer (Gabon, Sénégal, République de Côte d’Ivoire), tout en connaissant une évolution de leurs missions, à travers la transformation progressive des bases en académies cogérées avec les pays hôtes et davantage orientées vers leurs besoins.

2.   Un effort à poursuivre pour atteindre les normes d’entraînement fixées par la LPM

 L’armée de Terre a amorcé un redressement de sa préparation opérationnelle, tant sur le plan qualitatif, à travers notamment la tenue d’ORION en 2023, que quantitatif. Elle doit faire face à un double défi pour sa préparation opérationnelle : maintenir les savoir-faire sur les matériels les plus exigeants, tout en garantissant la maîtrise des nouveaux équipements. Cependant, l’atteinte des normes d’entraînement déterminées par la LPM demeure, comme l’année dernière, un point d’attention.

● Dans un contexte de durcissement des menaces internationales, votre rapporteur comprend la nécessité de mieux protéger les données relatives à la disponibilité des matériels et à l’atteinte des normes d’entraînement OTAN sur matériel majeur, qui ont conduit le Gouvernement à placer sous la mention « Diffusion restreinte » ces données en 2024. Leur publication, comme d’accoutumée dans le projet annuel de performance, a été en effet considérée comme étant susceptible de fragiliser nos armées, comme cela a déjà pu être le cas par le passé, à l’image de l’instrumentalisation des taux de disponibilité dans le cadre de la guerre des Malouines.

Votre rapporteur partage la position de prudence du Gouvernement, mais demeure également particulièrement attaché au bon exercice de ses missions de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques, confiées au Parlement par l’article 24 de la Constitution. C’est pourquoi, votre rapporteur propose la création d’une instance au sein de laquelle le sujet de la disponibilité technique opérationnelle des matériels et de l’atteinte des normes d’entraînement puisse être débattu. Elle prendrait la forme d’un comité restreint, constitué des membres du bureau de la commission de la défense nationale et des forces armées, ainsi que des rapporteurs budgétaires. Votre rapporteur préconise que les députés membres soient habilités es qualité au secret défense, ce qui leur conférerait un droit à connaître ces sujets, mais également un devoir de protéger les informations auxquelles ils auront accès. À travers ce comité, les rapporteurs budgétaires pourront exercer leur mission de contrôle de l’action du Gouvernement, sans remettre en cause la sécurité de la Nation.

● En ce qui concerne le projet de loi de finances pour 2024, votre rapporteur a pu consulter les réponses placées en diffusion restreinte et a été autorisé à rendre compte des grandes évolutions dans le cadre de son avis budgétaire.

● Pour mémoire, la loi de programmation militaire 2024-2030 a refondu la mesure de l’activité autour de quatre indicateurs : les journées d’activité du combattant terrestre, qui viennent remplacer les journées réalisées hors du domicile, le nombre d’heures d’entraînement par équipage de chars et de véhicules blindés, le nombre de coups tirés par équipage de CAESAR à l’entraînement et le nombre d’heures de vol par pilote d’hélicoptère Terre. Les crédits du PLF pour 2024 permettront de maintenir le niveau d’activité des forces terrestres par rapport à la loi de finances pour 2023. Comme l’année dernière, l’atteinte de ces taux demeure néanmoins soumise à la compensation en gestion des surcoûts liés à la guerre en Ukraine. Les journées d’activité du combattant terrestre s’inscrivent dans la continuité de l’indicateur précédent, en raison du maintien d’un niveau d’engagement important des forces. Le nombre d’heures d’entraînement par équipage de chars et de véhicules blindés se maintient également, encouragée par l’activité réalisée en mission opérationnelle. Le nombre de coups tirés par équipages de CAESAR à l’entraînement s’avère stable également. Enfin, concernant le nombre d’heures de vol par pilote d’hélicoptère Terre, après une baisse enregistrée en 2023 à la suite du désengagement de l’opération Barkhane, le nombre d’heures de vol par pilote progressera légèrement en 2024 pour se stabiliser jusqu’en 2026.

● Grâce à la hausse des crédits consacrés au MCO, le niveau moyen de la disponibilité technique des matériels majeurs est en amélioration sensible depuis ces dernières années. La trajectoire des crédits accordés dans le cadre de la LPM permettra de préserver le niveau d’activité atteint en 2023, avant d’augmenter graduellement pour rejoindre progressivement la norme d’entraînement en 2030.

● Néanmoins, l’armée de Terre peine encore à atteindre les objectifs fixés par la LPM, surtout en raison du niveau de disponibilité limité de certains parcs et en raison des difficultés liées à leur soutien. Au-delà de très bons résultats globaux des difficultés subsistent. Certains parcs doivent notamment faire face à la coexistence de matériels neufs et de matériels vieillissants, dont le maintien en service a été prolongé.

Le segment char est concerné par une légère baisse de sa disponibilité, en raison de l’immobilisation d’une partie du parc, liée au programme de rénovation Leclerc, sans toutefois remettre en cause l’accomplissement du contrat opérationnel. En outre, le ministère des armées s’attend à une amélioration de la disponibilité liée à la renégociation des contrats de soutien en service en 2025, du fait notamment de l’intégration de pièces de rechange. Votre rapporteur a néanmoins été alerté sur le fait que le coût du marché de soutien en service du Leclerc, s’il devrait effectivement diminuer grâce à l’opération de rénovation du char qui doit permettre de régler certaines obsolescences, notamment sur les turbomachines, resterait contraint par la problématique du moteur. En effet, le ministère des armées n’a pas fait le choix d’une remotorisation du char Leclerc. Il ressort des travaux de votre rapporteur que cette remotorisation, bien que coûteuse à court terme, car la production du moteur n’est plus assurée en France, permettrait d’économiser ensuite sur le coût de la maintenance du char, compte tenu de la prolongation probable du Leclerc jusqu’en 2040. Une solution pourrait notamment consister en l’ajout d’un moteur sur le même modèle que celui du char actuellement en dotation dans les forces émiraties. Par ailleurs, le décalage de la livraison des Jaguar impose de prolonger le soutien du parc vieillissant des AMX10RC, qui s’avère de plus en plus problématique. Néanmoins, selon les informations fournies à votre rapporteur, la disponibilité de l’agrégat engin blindé de reconnaissance et de combat (EBRC) devrait rester stable jusqu’en 2027, puis augmenter significativement à compter de 2028, au rythme du remplacement de l’AMX10RC par le Jaguar.

S’agissant des autres parcs, la disponibilité des équipements est soit stable soit en légère augmentation. Concernant les véhicules blindés (VAB, Griffon, Serval, VBCI), l’effet conjugué de la livraison des nouveaux matériels SCORPION et du retrait progressif des VAB, aura un effet positif sur la disponibilité générale des matériels. Des points d’attention subsistent néanmoins sur les parcs de matériels cédés à l’Ukraine car ce sont souvent les matériels en meilleur état qui ont été prélevés (CAESAR, VAB, AMX-10-RC), occasionnant en conséquence une baisse de la disponibilité du parc, qui devrait s’améliorer à mesure que les parcs seront recomplétés (CAESAR) ou remplacés par de nouveaux matériels. Votre rapporteur émet également un point de vigilance relatif à la disponibilité du GRIFFON qui pourrait connaître une baisse en raison des difficultés rencontrées par l’industriel à fournir des pièces de rechanges hors forfait.

S’agissant des CAESAR, la rupture temporaire de capacité induite par les cessions à l’Ukraine, devrait se résorber progressivement d’ici 2027, à mesure que les CAESAR seront livrés dans les forces, à compter de 2024. En conséquence, le parc AUF1 devra être prolongé, sa faible disponibilité tire mécaniquement le niveau de disponibilité du segment canons de 155 mm vers le bas. Votre rapporteur salue les efforts accomplis par l’industriel Nexter-KNDS pour accélérer notablement la production de canons CAESAR, passant de deux à six canons par mois et réduisant les délais de livraisons de 30 à 15 mois.

S’agissant des hélicoptères, la disponibilité des flottes se caractérise par une relative stabilité, voire une légère augmentation (hélicoptères de reconnaissance et d’attaque, HRA). Concernant les hélicoptères de manœuvre et d’assaut (HMA), la poursuite de la montée en puissance du parc de Caïman induit une baisse de la disponibilité associée aux flottes HMA provoquée par une maintenance lourde et complexe. Toutefois, les efforts des unités de maintenance et la performance attendue des contrats verticalisés (Cougar-Caracal et Caïman) visent à stabiliser l’activité. S’agissant des HRA, en dépit des progrès réalisés, le niveau important de l’encours des chantiers Tigre et l’augmentation du nombre des rechanges critiques pénalisent encore la disponibilité, bien que le nouveau contrat de soutien au profit du parc Gazelle doive permettre de maintenir un niveau de disponibilité acceptable pour un matériel d’ancienne génération.

 Au bilan, l’armée de Terre connaîtra davantage une stabilisation de son niveau de préparation opérationnelle qu’une amélioration quantitative en 2024. Toutefois, il convient de rappeler que l’armée de Terre s’inscrit dans un processus de durcissement de sa préparation opérationnelle qui traduit un saut qualitatif de ses entraînements vers la préparation à la haute intensité, dont l’exercice ORION en 2023 constitue un bel exemple de réussite. Cette montée en gamme est surtout perceptible au niveau des PC de division qui bénéficient pleinement de l’effort des grands exercices, ainsi que des brigades qui deviennent le centre de gravité du combat de haute intensité (AIGLE). Au niveau des régiments et des compagnies, le niveau d’entraînement record de 2019 n’a pas encore été retrouvé. Selon les personnes auditionnées, l’année 2024, avec la dissolution d’unités de mêlée et l’engagement sur le territoire national dans le cadre des JOP, ne permettra pas de retrouver la stabilité programmatique favorable à l’entraînement de ce niveau. En revanche les années 2025 et 2026 devraient permettre d’atteindre les objectifs d’entraînement à tous les niveaux pour disposer dès 2027 d’une division à deux brigades interarmes (BIA) projetables en 30 jours. Cette montée en gamme qualitative devra également se traduire par une utilisation renforcée de munitions, y compris complexes, en conditions réelles, dont l’utilisation est encore trop contrainte (MMP, MISTRAL, LRU). Enfin, les coûts de fonctionnement et de maintien en condition de ces différents équipements imposent de disposer en parallèle d’outils de simulation performants et adaptés.

Aussi, la poursuite des investissements dans le MCO est-elle nécessaire pour continuer à améliorer la disponibilité technique des matériels et ainsi augmenter le potentiel d’entraînement.

3.   Un niveau d’activité à conforter

Comme en 2022, l’année 2023 se caractérise par un niveau d’inflation élevé qui doit conduire à demeurer vigilant en gestion et sur les prochains exercices pour préserver le niveau d’activité des forces terrestres.

● Selon les informations fournies à votre rapporteur lors de ses auditions, la hausse prévisionnelle de l’inflation en 2024 représente environ 100 millions d’euros pour le budget opérationnel de programme Terre, soit 33 % de la marche à 310 millions d’euros, dont 11 millions d’euros seront consacrés au coût du carburant opérationnel. Toutefois, le ministère des Armées prend en compte les conséquences exceptionnelles de l'inflation par le mécanisme du report de charge. Votre rapporteur, comme l’année dernière, restera vigilant quant à la préservation du niveau d’activité des forces.

● L’armée de Terre doit également faire face aux conséquences budgétaires et opérationnelles induites par la Guerre en Ukraine, tant du point de vue des cessions de matériels, de la formation des soldats ukrainiens, que de la participation aux projections en cours sur le flanc oriental de l’Europe. Pour faire face à cette situation, le ministre des armées avait par ailleurs annoncé que 1,5 milliard d’euros supplémentaires seraient accordés à la mission défense pour l’exercice 2023 pour prendre en compte le surcoût Ukraine et l’inflation. « Alors que 197,8 milliards d’euros de ressources étaient prévus pour la période 2019-2023, les crédits ouverts atteignent déjà 198,8 milliards, et je vous demanderai 1,5 milliard de plus dans le cadre d’un collectif budgétaire pour permettre le réassort des stocks de munitions – pour les obus de 155 millimètres – et de missiles antichar, et pour accélérer le déploiement de nos dispositifs de protection, notamment de lutte antidrones, en lien avec l’approche des Jeux olympiques et paralympiques. ([6])  ». Par ailleurs, la loi de finances rectificative du 1er décembre 2022 a ouvert près de 1,3 milliard d'euros sur la mission "Défense" pour couvrir les surcoûts liés aux activités opérationnelles (OPEX-MISSINT, renforcement du flanc oriental de l’OTAN, etc.).

● Dans le cadre du soutien au partenaire ukrainien, les cessions se sont poursuivies à un rythme soutenu sur le premier semestre 2023. Si les cessions ont essentiellement un impact sur le programme 146, le programme 178 est néanmoins impacté dans le domaine des munitions et de la préparation du matériel à la cession (notamment défrancisation des CAESAR et modifications des VAB en transport de troupe). Concernant le programme 178, le surcoût prévisionnel reconnu pour l’armée de Terre en 2023 est estimé à 292, 4 millions d’euros - décomposé en 222,7 millions d’euros pour les missions opérationnelles et les alertes, 25,2 millions d’euros pour la mission d’assistance militaire de l’Union européenne en soutien à l’Ukraine (EUMAM) et 44,5 millions d’euros pour les cessions à l’Ukraine. Votre rapporteur avait alerté sur la nécessité de couvrir les surcoûts en gestion et réitère ce point de vigilance pour l’année 2023. Il recommande également à nouveau d’identifier plus précisément les missions opérationnelles, aujourd’hui financées sur le budget de préparation opérationnelle de l’armée de Terre, avant d’être couvertes en gestion par le BOP OPEX.

● Enfin, votre rapporteur qui avait dédié son avis budgétaire l’année dernière à cette thématique, réitère son point de vigilance s’agissant de la formation des artilleurs et de la disponibilité du parc CAESAR fortement affectées par les cessions. Il se félicite néanmoins des démarches entreprises par le ministre des armées pour passer d’une logique de cessions à une logique de production, comme il le recommandait dans son avis budgétaire sur le PLF 2023. Les 30 CAESAR cédés devraient être recomplétés d’ici juin 2024.

 

 


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   Deuxième partie : L’appropriation du retour d’expérience de l’exercice orion 2023 par les forces terrestres

Après avoir dressé l’année dernière des recommandations visant à prendre en compte les premières leçons de la guerre en Ukraine pour les forces terrestres, votre rapporteur s’est attaché, cette année, à approfondir le retour d’expérience de l’exercice majeur ORION, qui s’est tenu durant près de quatre mois de février à mai 2023.

ORION a en effet constitué un rendez-vous majeur pour nos armées en 2023 et marque la première étape d’une nouvelle génération d’exercices qui s’apparentent à un véritable changement d’échelle de la préparation opérationnelle. L’objectif recherché était d’entraîner les armées françaises dans un cadre interarmées et multinational, selon un scénario réaliste et exigeant, prenant en compte les différents milieux - terre, air, mer, espace - et champs de conflictualité - cyber, informationnel et électromagnétique. ORION constitue ainsi un exercice inédit, tant dans le processus de planification, nécessitant une expertise de haut niveau, que sur le terrain, par la complexité et la diversité des manœuvres conduites, que s’agissant des capacités de soutien mobilisées. Il ressort des travaux de votre rapporteur que le nombre de forces engagées, la durée de l’exercice et sa dimension multi-milieux, multi-champs, ont constitué de véritables défis, participant directement à préparer nos armées à un conflit pouvant aller jusqu’à la haute intensité.

Votre rapporteur a eu la chance de participer deux fois à ORION, une première fois au côté des « joueurs », en immersion au sein du douzième régiment de cuirassiers d’Olivet, et une seconde fois en tant que spectateur, lors des VIP days. À travers son avis, votre rapporteur a cherché à mesurer la plus-value réelle des grands exercices pour la préparation opérationnelle des forces, leur soutenabilité financière, leur portée à l’intérieur et à l’extérieur de nos frontières, mais surtout à analyser les conclusions d’ORION, conçu dès l’origine comme un moyen de mettre en lumière les marges de progression de nos armées. Aussi, après avoir présenté les enjeux d’ORION dans une première partie, votre rapporteur a-t-il fait choix de se concentrer, dans une deuxième partie, sur les enseignements tirés d’ORION pour les forces terrestres et, dès lors, d’étudier en particulier les apports de la quatrième phase de l’exercice, tout en les mettant en perspective avec les orientations prises par la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 et la transformation en cours de l’armée de Terre.

En synthèse, ORION apparaît comme une vraie réussite pour nos armées, et un jalon important pour la montée en puissance de l’armée de Terre vers la préparation à la haute intensité. L’exercice permet de confirmer la pertinence du modèle d’armée complet car, bien que manquant d’épaisseur à certains égards, il constitue un socle solide pour la remontée en puissance des savoir-faire du combat de haute intensité, au moyen d’une préparation opérationnelle durcie, dont l’exercice ORION 2023 ne constitue qu’un premier jalon. Les points d’attention du retour d’expérience viennent dans l’ensemble confirmer les grandes orientations de la transformation de l’armée de Terre, mais constituent néanmoins autant d’axes de progression à prendre en compte pour les forces terrestres.

I.   Un exercice d’une ampleur inédite visant à démontrer la crédibilité des armées françaises

ORION 2023 constitue la première édition d’une nouvelle génération d’exercices visant à préparer les armées à l’hypothèse d’engagement majeur, à travers le renforcement qualitatif de leur préparation opérationnelle, réaffirmé par la LPM 2024-2030. Alors que l’organisation d’ORION constituait un véritable défi, force est de constater que les armées l’ont mené à bien, confirmant ainsi leur crédibilité à assurer le rôle de Nation-cadre dans le cadre d’un engagement en coalition de type OTAN.

A.   ORION marque le retour des « grandes manœuvres » sur le territoire national dans un contexte marqué par le nécessaire durcissement de la préparation opérationnelle

Le retour des grandes manœuvres, justifié par la nécessité de préparer les forces à un engagement de haute intensité, constitue un véritable défi, tant par l’ampleur de l’exercice, sa durée, que par les objectifs ambitieux qui lui ont été fixés.

1.   La planification d’un exercice de niveau divisionnaire orienté vers l’engagement majeur, préalable au déclenchement de la guerre en Ukraine

a.   Un projet initié par l’armée de Terre dès 2021, puis étendu à l’interarmées

● Le projet d’un exercice de grande ampleur centré sur l’engagement majeur est, en réalité, préalable au déclenchement de la guerre en Ukraine et témoigne de la recherche d’une montée en gamme de la préparation opérationnelle. Inspiré de la vision stratégique du chef d’état-major de l’armée de Terre publiée en avril 2020, l’exercice majeur ORION 23 était initialement un projet porté par l’armée de Terre. L’actualisation stratégique en 2021, puis la revue nationale stratégique en 2022, ont confirmé les orientations prises et souligné la possibilité de la réalisation d’une hypothèse d’engagement majeur, mettant en exergue la nécessité d’une préparation opérationnelle adaptée, qualifiée de « durcie ». En conséquence, ORION a évolué vers un exercice interarmées et interalliés, et même interministériel, mobilisant les différentes armées, directions et services, ainsi que le Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN). Le déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022 a confirmé la pertinence de cette démarche.

● L’exercice constitue un véritable changement d’échelle de la préparation opérationnelle, tant par sa durée que par l’ampleur des moyens mobilisés. ORION signifie d’ailleurs « Opération de grande envergure pour des armées résilientes, interopérables, orientées vers le combat de haute intensité et novatrice ».

b.   La résurgence des combats de haute intensité et la nécessité du retour des « grandes manœuvres » sur le territoire national

● Si jusque dans les années 1990, les grands exercices constituaient le quotidien des forces terrestres françaises et des forces alliées de l’OTAN, mobilisant régulièrement une part importante des armées, l’organisation de ces derniers a progressivement reculé, en cohérence avec l’évolution des scenarii d’engagement des armées françaises. Aussi, l’exercice bilatéral franco-allemand Kecker Spatz (« Moineau hardi »), qui s’est déroulé en Bade-Wurtemberg, en Bavière, du 21 au 24 septembre 1987, est-il souvent cité comme le dernier des grands exercices auxquels les armées françaises ont participé avec une division complète. Les grands exercices répondaient à une vision stratégique bien précise. L’armée française se préparait alors à « LA guerre » contre un ennemi bien défini, que représentait la puissance soviétique. Après la chute du mur de Berlin, la menace devint moins identifiable. Il s’est agi, dès lors, de se préparer à « UNE guerre », sans ennemi clairement identifié et dans des scenarii de gestion de crise, pour lesquels l’ensemble de l’armée française ne serait pas engagé.

● Toutefois, le retour des grands exercices organisés sur le territoire national s’est imposé comme une nécessité pour l’armée de Terre, à la faveur du durcissement des engagements, puis de la résurgence des conflits haute intensité. Le constat que les armées devaient s’entraîner davantage dans des exercices de grandeur réelle, avec l’ensemble de leurs matériels, a fait resurgir la notion de « grand exercice », au sens d’exercice majeur interarmes, interarmées, le cas échéant interministériel et interalliés. Auditionné par votre rapporteur, le commandant des forces terrestres, le Général Toujouse, identifie l’engagement en Afghanistan comme la période à laquelle les armées, confrontées à des tensions sur le plan tactique et, notamment à la tragique embuscade d’Uzbin, ont pris conscience de la nécessité d’engager un durcissement de leur préparation opérationnelle.

● Les grands exercices se distinguent en ce qu’ils exigent une planification de long terme et la mobilisation d’un volume de forces plus conséquent, sur un espace géographique souvent plus vaste. Ils se caractérisent également par leur contenu, c’est-à-dire les savoir-faire et procédures opérationnelles entraînés, le niveau de commandement déployé pour la conduite de la manœuvre et, de manière consubstantielle, le niveau de soutien logistique, ainsi que l’intégration de forces partenaires. Tout en mettant l’accent sur les types d’opérations les plus probables, les grands exercices ont vocation à répondre aux besoins opérationnels actuels et futurs et sont donc construits pour répondre à toutes les formes d’engagement opérationnel. Leur programmation vise avant tout à développer et maintenir les compétences du niveau brigade, en passant par le niveau division, jusqu’au niveau corps d’armée.

● En particulier, ORION a été conçu pour permettre aux forces d’amorcer la réappropriation de l’entraînement en terrain libre, afin de rehausser leur niveau de préparation opérationnelle, tout en renforçant les liens avec la population. Si les exercices de moindre ampleur en terrain libre n’avaient pas totalement disparu, le caractère inédit d’ORION réside véritablement dans son changement d’échelle à travers la mobilisation de l’échelon divisionnaire. En cohérence avec la nature des engagements opérationnels de l’armée de Terre, les exercices en terrain libre étaient pratiqués jusqu’au niveau de la brigade interarmes depuis le début des années 2000, ou à l’occasion d’exercices de moindre ampleur dans des domaines spécifiques (opérations aéroportées, amphibies, montagne, etc.). Du fait de la moindre fréquence de ces exercices, un vrai point d’attention résidait dans la perte des savoir-faire associés (planification, montage de l’exercice, conduite, évaluation, etc.) car les niveaux corps d’armée et division avaient plutôt recours à des exercices appuyés par la simulation informatique ([7]). Or, les exercices en terrain libre présentent un réel apport pour les forces en leur permettant de mobiliser d’autres compétences que celles qui peuvent être entraînées en unités ou dans les centres dédiés ou via la simulation. Auditionné par votre rapporteur, le sous-chef opérations aéroterrestres, le Général Wallaert, a indiqué que l’entraînement en terrain libre, trop longtemps délaissé, n’avait « pas de prix ». Un des enjeux pour l’armée de Terre résidera notamment dans la prise en compte du retour d’expérience relatif au recours au terrain libre et à la prise en compte des réglementations civiles. Il en ressort une véritable nécessité de continuer à s’entraîner en France pour regagner l’ensemble des savoir-faire nécessaires. En effet, au-delà de participer au très nécessaire renforcement du lien armée-Nation, les caractéristiques propres du terrain libre agissent comme une mise en tension supplémentaire en confrontant les postes de commandement et les unités déployées à la « friction de la guerre ». Le terrain libre offre de surcroît la possibilité d’éprouver plus durement les hommes et les matériels, en raison des distances plus importantes. Il permet également aux « joueurs » de se réapproprier certaines particularités du terrain ou conditions météorologiques plus extrêmes (grand-froid, zone humide, fleuve, frange côtière, etc.). De plus, les exercices mobilisent plus fortement les chaînes de soutien. Enfin, ils confrontent les armées au défi de besoins supérieurs en ressources et aux limites d’emploi de certains matériels en milieu civil. Des équipes d’animation supplémentaires assurent, en outre, la sécurité des activités et assurent le lien indispensable avec les autorités civiles locales et les populations.

2.   Un niveau d’ambition élevé

L’enjeu majeur de l’exercice ORION 23 pour les forces terrestres était donc de préparer et d’engager un système divisionnaire complet - une division avec ses éléments organiques sous le commandement d’un corps d’armée -, capable de contrer une tentative de fait accompli adverse et d’être en mesure, le cas échéant, d’affronter un ennemi à quasi-parité dans tous les champs, matériels et immatériels, et dans tous les milieux de confrontation - aérien, maritime, cyber, terrestre et spatial. L’objectif fixé était de montrer que les armées françaises étaient en mesure de s’engager dans une opération majeure de coercition, tout en maintenant un niveau d’engagement adapté sur les théâtres d’opérations ou dans leurs postures permanentes.

a.   Un niveau d’exigence élevé

 Les grands exercices se caractérisent par leur complexité et leur niveau d’ambition. Aussi, convient-il en premier lieu de définir l’emploi opérationnel, c’est-à-dire le scénario d’engagement auquel répond l’exercice et sa thématique, puis les objectifs d’entraînement, les critères de contrôle et le niveau de réalisme de l’exercice, en cohérence avec les ressources qui pourront être dégagées pour cet exercice.

● S’agissant d’ORION, le choix a été fait d’objectifs d’entraînement très larges et ambitieux avec quatre niveaux entraînés dont trois niveaux en réel (LIVEX). À noter qu’il a été choisi d’aller au-delà de l’entraînement de deux niveaux concomitants, généralement préconisé par l’OTAN, pour garantir aux unités de remplir au mieux leurs objectifs d’entraînement. La planification et le montage de l’exercice ont, dès lors, veillé à rechercher un équilibre entre l’entraînement des unités sur le terrain et des états-majors. L’exercice visait à entraîner, parfois successivement, tous les niveaux de commandement : niveau opératif (première phase « O1 »), niveau composantes (deuxième phase « O2 »), niveau politico-militaire et interministériel (troisième phase « O3 »), niveau tactique du combattant jusqu’à la division (quatrième phase « O4 »).

L’exercice a également permis de renforcer les efforts en direction de l’évaluation et de l’entraînement des postes de commandement (PC) avec l’engagement d’un PC de niveau corps d’armée (Corps de réaction rapide-France) jusqu’au niveau du groupement tactique interarmes (GTIA) (PC de division complet, 5 PC de brigades et 16 PC de GTIA sur l’ensemble des phases de l’exercice). Initialement conçu comme un exercice de niveau divisionnaire, la décision de mettre en valeur le niveau « corps d’armée » en tant que joueur (non évalué), répondait à la volonté de démontrer que la France dispose de la capacité d’assumer le rang de nation-cadre dans la conduite d’un affrontement aéroterrestre, notamment dans un cadre otanien. In fine, si le niveau du corps d’armée a bien été joueur lors d’ORION 23, celui-ci a pu, sans être évalué, mettre en œuvre les savoir-faire et procédés de son niveau pour commander une division française et une division américaine simulée.

● La phase de conception d’ORION 23 a été menée conjointement par l’état-major des Armées, les armées, directions et services, aboutissant à un cadrage de l’exercice validé par le chef d’état-major des Armées au début de l’année 2022. Les phases de rédaction du scénario et de montage de l’animation ont cependant fait l’objet d’adaptations pour mieux prendre en compte les enjeux actuels, en particulier dans le domaine de la lutte informationnelle et de l’influence et ainsi renforcer la prise en compte des enjeux du combat multi-milieux et multi-champs.

● Le scénario proposé était exigeant et crédible, bien que fictif. Le scénario a été conçu pour permettre à toutes les composantes de travailler conjointement de manière coordonnée et de répondre aux différents objectifs d’entraînement fixés. Pour plus de crédibilité une force adverse maritime, aérienne et terrestre a été déployée.

Le scenario d’ORION :

« L’État Mercure souhaite rétablir son influence sur l’État Arnland. Pour ce faire, Mercure apporte un soutien matériel et financier à la milice Tantale, qui déstabilise le sud de Arnland et déploie des forces importantes aux frontières et dans les approches maritimes, tout en employant des modes d’action dits « non cinétiques » (perturbations des systèmes de communication, désinformation, etc.). L’État d’Arnland se trouve affaibli. Afin d’éviter toute dégradation de la situation, après une phase de planification (O1), la France déploie son échelon national d’urgence interarmées (02). S’ensuit une phase politico-militaire de gestion de crise d’ampleur (03), avant de décider de se déployer massivement au sein d’une coalition contre Mercure (04) dans le cadre d’une opération sous mandat ONU et OTAN. »

Source : Dossier de presse d’ORION, ministère des armées, février 2023.

b.   Quatre phases permettant d’évaluer des dimensions différentes, avec un effort porté par l’armée de Terre lors de la phase 04.

● L’exercice a pris la forme d’une succession de phases et de séminaires intégrée à une grande manœuvre en terrain libre et en espaces d’entraînement, appuyée par des moyens de simulation.

L’armée de Terre a contribué aux différentes phases à différents degrés :

01 a consisté en une phase de planification opérationnelle : l’armée de Terre a contribué à la fois au montage de l’exercice réel O2 et à la planification opérationnelle sous l’autorité du commandement pour les opérations interarmées (CPOIA), pour aboutir à un ordre de coordination interarmées (Joint Coordination Order - JCO).

02 comprenait la projection et l’intervention d’une force équivalente à l’échelon national d’urgence, à travers une opération interarmées d’entrée en premier. Elle a mobilisé les unités Terre qui armaient l’échelon national d’urgence et a permis de valider la pertinence de ce dispositif d’alerte. Au total, 7 000 militaires ont été engagés dans cette phase qui a duré 19 jours en terrain libre. Cette phase comprenait notamment un volet cyber dont l’objectif principal était de mettre à l’épreuve l’efficacité et la cohérence des actions des chaines de lutte informatique défensive et d’éprouver la résilience du ministère des armées face à des attaques cyber nombreuses. Une composante spatiale a également été mobilisée, au profit de l’ensemble des armées.

03, phase dite « civilo-militaire », menée sous l’égide du SGDSN, a pris la forme d’un séminaire interministériel et interarmées permettant d’étudier l’adaptation de la posture opérationnelle de défense sur le territoire national, en cas d’affrontement majeur. Cinq groupes de travail et de réflexion interministériels ont été constitués et ont restitué leurs travaux devant les hautes autorités civiles et militaires. Cette phase a été marquée par l’implication des états-majors, notamment de l’état-major de l’armée de Terre, et par la mise en œuvre du processus de montée en puissance de l’armée de Terre (MEPAT), visant à évaluer la capacité de l’armée de Terre à générer, sous court préavis, une force projetable et à identifier les difficultés entravant sa réactivité.

04 a consisté, après conquête de la supériorité aérienne, en l’engagement en coercition d’une force conjointe formée par une division multinationale, sous le commandement du corps de réaction rapide France (CRR-FR).

● Cette dernière phase dite « opération d’envergure », a constitué le point culminant de l’implication de la force opérationnelle terrestre, à travers la mise en place d’un affrontement aéroterrestre. Pour la première fois à ce niveau d’engagement, l’exercice a mêlé des unités françaises et étrangères simulées, jusqu’au niveau division et des unités en terrain libre, constituant un double défi tactique et technique. Au total, 12 000 militaires ont été engagés, pendant 19 jours de terrain libre. L’armée de Terre a notamment engagé un poste de commandement de la troisième division, qui a commandé les unités sur le terrain de la deuxième brigade blindée, mais aussi des unités simulées (unités de la sixième brigade légère blindée et une brigade britannique), soit l’ensemble d’une division multinationale. Ont également été engagés un groupement de soutien divisionnaire et le CRR-FR, qui a assuré la direction d’exercice.

Source : Dossier de presse ORION du Ministère des armées, février 2022.

c.   Un exercice interarmées et interalliés sous commandement français conduit hors du cadre de l’OTAN

● Le caractère original d’ORION réside également dans son caractère national. ORION est bien un exercice français mais qui s’inscrit comme participant à la défense collective de l’OTAN. Peu de partenaires de la France, sont en capacité d’organiser des exercices nationaux d’une telle ampleur, à l’exception de l’armée américaine.

● En cohérence avec le scénario d’engagement en coalition des armées françaises, environ 1 700 militaires alliés de neuf pays différents ont été intégrés avec succès à l’exercice, confortant la capacité de Nation-cadre de l’armée française. De nombreux alliés ont participé à l’exercice avec des unités joueuses, c’est notamment le cas des États-Unis, du Royaume-Uni, de la Belgique, de l’Allemagne et de l’Espagne, qui ont tous participé à la quatrième phase de l’exercice. Les unités ont été intégrées à différents niveaux selon les enjeux d’interopérabilité qui leur étaient propres. Par ailleurs, la brigade franco-allemande (BFA) a été déployée en tant que force ennemie avec les capacités SCORPION et une contribution allemande spécifique.

● Cette dimension multinationale est essentielle et permet d’entraîner toutes les structures de commandement françaises à intégrer des unités alliées et à entretenir leur interopérabilité avec celles-ci.

d.   Un objectif commun : l’affirmation de la crédibilité des armées à assurer le rôle de Nation cadre dans le contexte d’une coalition OTAN

Au-delà de sa finalité opérationnelle, ORION avait vocation à produire un signalement stratégique à destination de nos partenaires, mais également de nos compétiteurs. Les quatre phases d’ORION, bien que différentes, ont contribué à démontrer la capacité des armées françaises à remplir le rôle de Nation-cadre dans le contexte d’un engagement au sein d’une coalition de type OTAN. ORION a pu confirmer la crédibilité du modèle d’armée français, de la solidité des forces morales et de l’aptitude des armées françaises à manœuvrer et opérer dans tous les milieux et tous les champs avec leurs alliés.

Le signalement stratégique s’appuie sur une stratégie de communication définie à l’avance. La stratégie mise en œuvre a mobilisé différents canaux diversifiés : les médias généralistes ou spécialisés en France et à l’étranger ; les médias spécifiques aux armées, pour une diffusion en interne ou externe aux armées ; une communication d’influence (réseau diplomatique, bloggeurs, think tanks, etc.) ; une communication individualisée vers des membres de la représentation nationale, des intermédiaires, des relais étrangers (ambassadeurs, etc.) et les réservistes citoyens, incluant des visites sur site et « VIP days » le cas échéant.

● Il appartient, en revanche, de veiller lors de la planification à un point d’équilibre entre la médiatisation de l’exercice et son intérêt opérationnel. Si une force est d’autant plus crédible qu’elle est entraînée, la médiatisation et la communication des grands exercices renforcent cette crédibilité. Tout l’enjeu est de trouver un bon équilibre, finement arbitré en phase de planification.

B.   La pleine mobilisation des forces terrestres a contribué au bon déroulement de l’exercice

1.   Un coût raisonnable au regard des bénéfices attendus en termes de préparation opérationnelle

a.   Un coût proportionné à l’ambition de l’exercice

● L’exercice ORION, de par son ampleur, a résulté en un coût important mais mesuré, par rapport à une année de préparation opérationnelle classique.

Si le coût des grands exercices peut varier selon le périmètre retenu, les informations fournies à votre rapporteur font état d’un coût d’ensemble de plus de 220 millions d’euros, dont près de 90 millions financés par l’armée de Terre. Le détail de l’emploi des 90 millions d’euros figure ci-dessous. Il est à noter que le budget d’entretien programmé du matériel constitue, à lui seul, plus de la moitié du budget consommé (50 millions d’euros), le second poste de dépense consistant en des dépenses de personnel, qui auraient très certainement existé même en l’absence de la tenue d’ORION.

 

Programme concerné

Opération Stratégique 1

Opération Stratégique 2

T2/HT2

Crédits de paiement estimé en M€

212

Masse salariale (15 000 hommes pour l’armée de Terre entre O2 et O4)

Masse

salariale

T2

18,000

178

Activité opérationnelle (AOP) – Carburant opérationnel (CARBOPS)

AOP

HT2

6,000

AOP - hors CARBOPS

AOP

HT2

9,000

Équipements d’accompagnement et de cohérence (EAC) - hors munitions (besoin SIC)

EAC

HT2

2,000

Dépenses diverses d’environnement

AOP

HT2

0,7

Périmètre SIPREFOR (système d’information de préparation des forces)

35,7 M€

178

Entretien programmé des matériels (EPM) milieu terrestre

EPM

HT2

30,000

EPM milieu aérien

EPM

HT2

20,000

Équipements d’accompagnement et de cohérence (EAC) - munitions

EAC

HT2

2,000

Entretien programmé du personnel (EPP) - vivres opérationnels

EPP

HT2

2,000

Hors Périmètre SIPREFOR

54 M€

Total

89,7 M€

Source : Tableau issu des données des réponses au questionnaire budgétaire, 10 octobre 2023.

 

 

Acronyme

Définition

AOP

Activité opérationnelle

CARBOPS

Carburant opérationnel

EAC

Équipements d’accompagnement et de cohérence

SIPREFOR

Système d’information de préparation des forces

EPM

Entretien programmé des matériels

EPP

Entretien programmé du personnel

 

b.   Un coût à mettre en perspective avec la fusion de dix-sept exercices et la réalisation concomitante de certifications de préparation opérationnelle

● La concentration des ressources induite par ORION 2023 doit être mise en perspective avec la véritable plus-value enregistrée pour la préparation opérationnelle des unités engagées, mais également aux synergies qui ont pu être dégagées. Ainsi, les quatre phases d’ORION intègrent ou se substituent à dix-sept exercices annuels des trois armées. Pour l’armée de Terre, il s’agit notamment des évaluations d’entraînement et de contrôle des PC de brigade (de type AURIGE) ou des PC régimentaires (de type ANTARES), formalisés par le passage en centre d’entraînement (rotation de 3 semaines au CENTAC). Par ailleurs, selon les personnes auditionnées par votre rapporteur, sept évaluations d’unités ont pu être réalisées pendant l’exercice. Le PC de la sixième brigade légère blindée a par ailleurs été évalué en vue de sa certification durant la phase deux d’ORION, dans la perspective de sa participation à l’alerte amphibie de l’OTAN. Enfin, le poste de commandement de la division, les postes de commandement des brigades, ainsi que les chaines fonctionnelles ont été évalués par des équipes spécialisées, ayant défini des critères de contrôle adaptés aux objectifs de l’exercice et d’entraînement des unités évaluées. Ces évaluations serviront de base à la certification de l’aptitude opérationnelle des unités ayant participé à ORION. Enfin, au-delà des PC et unités évaluées, toutes les entités participantes ont validé au moins un tiers des attendus du plus haut niveau de préparation opérationnelle (standard opérationnel 3).

● Un effort important a été consenti en matière de potentiel militaire, sans pour autant déstabiliser l’équilibre général des activités de l’armée de Terre. Afin de permettre la soutenabilité des grands exercices, un principe de « sanctuarisation » d’enveloppe a été mis en place et formalisé dans le cadrage annuel du commandement des forces terrestres. Ainsi, les potentiels destinés aux grands exercices sont planifiés et inclus dans les potentiels alloués à la préparation opérationnelle des unités. Dans les faits, selon les informations fournies à votre rapporteur, l'allocation des ressources pour l'exercice ORION semble avoir effectivement été bien maîtrisée, allant de 6 % à 15 % des potentiels des matériels majeurs, selon les parcs. Bien que cet aspect constituait un des points de vigilance de votre rapporteur, ORION ne devrait pas avoir eu d’effet d’éviction sur l’entraînement des unités qui n’étaient pas engagées, au regard des informations fournies. Ce sont essentiellement les matériels des parcs régimentaires des unités joueuses qui ont été mobilisés. Enfin, les matériels engagés semblent avoir bénéficié en moyenne d’un très bon taux de disponibilité technique, notamment grâce à l’intervention et au soutien des régiments du matériel et des industriels, qui ont réalisé plusieurs centaines d’interventions techniques et de rechanges.

2.   L’armée de Terre a continué d’assurer ses autres missions en dépit d’une très forte mobilisation

● La forte mobilisation de l’armée de Terre et la durée de l’exercice ont pu susciter des craintes, quant à la soutenabilité de l’engagement des forces terrestres. ORION a en effet mobilisé plus de 10 000 militaires des forces terrestres, formant une division à trois brigades dont deux simulées, et 2 500 véhicules, dont 400 véhicules de combat, 40 hélicoptères et 100 drones militaires, durant plusieurs semaines.

● Malgré l’ampleur de la manœuvre, les forces terrestres sont parvenues à assurer l’ensemble de leurs missions, conformément à leur contrat opérationnel et ce, malgré la nécessité pour les armées d’intervenir simultanément pour assurer l’évacuation des ressortissants au Soudan. L’opération Sagittaire a un peu perturbé la phase quatre mais, en dehors de l’annulation d’un exercice aéroporté, tous les moyens prévus ont été maintenus.

3.   L’atteinte des principaux objectifs fixés a confirmé la pertinence du modèle d’armée complet

a.   Le bon accueil de la population dans son ensemble et la visibilité accrue des armées ont participé au renforcement du lien Nation-armée

● La visibilité accrue des armées sur le territoire national s’est accompagnée d’un bon accueil de la population. Les forces se sont ainsi déployées sur près de vingt départements métropolitains, une grande partie de l’espace aérien et en mer Méditerranée. Comme l’indiquait le Général Yves Métayer le 7 juin dernier, lors de son audition devant la commission de la Défense nationale et des forces armées, ce point n’avait rien d’acquis au regard des difficultés anticipées. « Pour les déploiements terrestres en terrain libre, dans les régions de Sète et de Castres ou, pendant la phase 4, en Champagne, nous avons comptabilisé 3 000 communes potentiellement concernées, ce qui illustre l’ampleur de la manœuvre sur le territoire. Nous craignions de perturber la circulation, de créer des nuisances. La multiplication des mouvements aériens pendant les phases 2 et 4 a affecté la circulation aérienne. Il a fallu adapter des couloirs et la coopération avec la direction générale de l’aviation civile (DGAC) pour assurer la fluidité d’ensemble. ». En dépit de tous ces obstacles potentiels, « Tout s’est très bien passé. Nous avons reçu un accueil favorable de la population qui a compris l’intérêt des opérations et ce fut l’occasion de communiquer sur l’entraînement des armées à la haute intensité. »

● Auditionné par le rapporteur, le Commandant des forces terrestres, le Général Toujouse, a également ajouté qu’ORION avait eu des effets positifs en interne, notamment sur les jeunes recrues et le moral des troupes, qui ont pu constater la puissance de l’armée française.

b.   L’implication réussie de la réserve

 L’implication de la réserve a également constitué une réussite de l’exercice. Plus de 1 000 réservistes ont été engagés et ont constitué des apports indispensables, notamment pour les états-majors, qui ont pu bénéficier de compléments individuels. En plus de constituer un facteur d’attractivité pour l’engagement des réservistes, cette participation massive, de l’ordre de 8 % de l’ensemble des forces terrestres déployées en phase 4 de ORION, dont deux unités de combat du 24e régiment d’infanterie - entièrement réserviste -, a permis de mettre en lumière l’apport essentiel de la réserve, mais également les points à travailler (délais de convocation, niveau de formation et d’entraînement, équipements) de la mobilisation des unités de réserve. Ces derniers points sont connus et les dispositions normatives contenues dans la loi de programmation militaire 2024-2030 devraient être de nature à faciliter la mobilisation des réservistes de premier, comme de deuxième niveau.

● Les personnes auditionnées ont rappelé que cette implication ne reflétait cependant pas la réalité de la manœuvre de mobilisation qui aurait lieu en cas de montée en puissance réelle. Au même titre que les forces continuent leur progression vers davantage de réalisme des exercices, les prochains entraînements devront inclure cette réalité de la manœuvre en ressources humaines, nécessaire en cas de réalisation de l’hypothèse d’engagement majeur, avec les enjeux relatifs au rappel des permissionnaires et des personnels en formation, une mise en place de renforts extérieurs, la convocation des réservistes pour relever les unités et renforcer des structures restant sur le territoire national.

c.   La portée du signalement stratégique

● Comme indiqué précédemment, ORION, au-delà de ses finalités opérationnelles, visait également à produire un signalement stratégique, contribuant à réaffirmer la crédibilité française. S’il est difficile d’en mesurer avec précision les effets réels sur nos partenaires et, surtout nos compétiteurs, d’importants moyens ont été mis en œuvre sur le volet de la communication. 215 journalistes accueillis ont produit 647 retombées média très largement positives. 200 contenus ont été diffusés. Aussi, pour l’armée de Terre, les objectifs de communication stratégique ont-ils été majoritairement atteints. La communication principale a valorisé une armée de Terre disposant d’un système de combat divisionnaire puissant et cohérent, apte à s’engager dans un conflit de haute intensité. Au regard de l’analyse des espaces médiatiques et numériques, notamment celle des médias, de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), ou encore des visites durant l’exercice, les retours sont positifs, de même que la maîtrise des messages délivrés. La crédibilité des armées à commander une opération interarmées est renforcée auprès de nos partenaires. Le commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR) aurait donné l’exercice en exemple à son état-major. En outre, les compétiteurs de la France auraient prêté une réelle attention à l’exercice, en particulier la Russie.

● ORION a démontré la grande valeur de nos forces armées et confirme la pertinence du modèle d’armée complet et de la conservation de certains savoir-faire essentiels.

D’une part, ORION 23 a confirmé le haut degré d'intégration interarmées atteint au sein des armées françaises et, d'autre part, le bon niveau de l'interopérabilité avec les armées alliées. En premier lieu, les domaines interarmées comme les opérations amphibies et les opérations aéroportées constituent des exemples de l'excellence de l’intégration entre les armées françaises, reconnue par nos partenaires. Ensuite, l’exercice a permis de démontrer le haut niveau d’interopérabilité, acquis dans le cadre de l’OTAN, tout en permettant d’identifier certaines pistes d’amélioration dans des domaines déjà bien identifiés, comme l’interopérabilité technologique ou l’interopérabilité culturelle et linguistique (maîtrise de l’anglais opérationnel). Ce haut niveau d’interopérabilité est le fruit d’engagements en commun, du retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, mais également des nombreux exercices multinationaux auxquels participent nos forces. Les efforts doivent se poursuivre dans le domaine de la compatibilité des systèmes d’information opérationnelle et de communication (SIOC), mais également la coordination multi-milieux multi-champs (M2MC) et les réseaux multi-senseurs multi-effecteurs (RM2SE). L’intégration de partenaires internationaux a également eu pour effet de complexifier le soutien logistique. C’est précisément l’intérêt des exercices d’approfondir ces sujets pour améliorer l’interopérabilité. À ce titre, les missions opérationnelles AIGLE et LYNX constituent de vrais laboratoires pour la préparation opérationnelle en multinational.

Enfin, ORION a également démontré que la France était toujours en capacité d’assurer une planification opérationnelle majeure. Et ce, malgré l’absence de manœuvres de cette ampleur sur le territoire national ces dernières années, ce qui aurait pu s’accompagner d’une perte des savoir-faire relatifs à leur planification et leur montage. Cette compétence précieuse permet à la France de se placer parmi les rares nations européennes à détenir ce niveau d’expertise dans la planification et la conduite d’exercices de grande envergure. Tous les acteurs mobilisés ont suivi un processus de planification opérationnelle rigoureux, conforme aux procédures de l’OTAN. S’agissant des forces terrestres, la structuration de la chaîne d’experts des grands exercices (chaine X7), chargée d’animer l’entraînement des postes de commandement (PC) et des chaînes métiers, permet de répondre au défi d’organiser des exercices en terrain libre de grande ampleur jusqu’au niveau division. Les enseignements d’ORION 2023 seront exploités pour renforcer encore ces savoir-faire, tant au sein des forces terrestres qu’en interarmées.

Au-delà du signalement stratégique produit par ORION, votre rapporteur tient à souligner la nécessité pour la France de s’affirmer davantage comme contribuant à la construction du pilier européen de l’OTAN. En effet, l’OTAN a connu des évolutions radicales qu’il convient de prendre en compte. Autrefois considérée comme étant « en état de mort cérébrale », l’OTAN a été réactivée par le déclenchement de la guerre en Ukraine qui en a fait, à nouveau, un acteur central de la défense du continent européen. Dans un contexte marqué, d’une part, par la résurgence de la menace russe aux portes de l’Europe et, d’autre part, par les incertitudes liées à l’évolution de la situation politique américaine, qui fait peser le risque d’un désinvestissement futur des États-Unis de la sécurité du continent européen au profit de l’Indopacifique, votre rapporteure estime qu’il est plus que jamais nécessaire que la France prenne toute sa part dans la création et consolidation d’un véritable pilier européen de l’OTAN, notamment en y réinvestissant les postes de commandement.

Dans un rapport paru en octobre 2023, la Cour des comptes estime, en effet, que la France doit tirer meilleur parti de l’augmentation du budget commun de l’OTAN, décidée au sommet de Madrid en 2022 ([8]). En conséquence, la Cour des comptes recommande de renforcer la présence française à tous les niveaux des structures de l’Otan. Elle met en lumière le fait que la politique de gestion des ressources humaines des armées doit permettre d’accroître le nombre des militaires affectés à l’OTAN et à mieux honorer les postes attribués à la France au sein du commandement intégré. À titre d’illustration, en 2022, le ministère des Armées a affecté 763 personnels militaires et civils à l’OTAN, incluant la représentation militaire de défense. Parmi les 763 personnels du ministère des Armées en poste, 506 occupent des postes qui font l’objet d’une répartition entre les Alliés. Ces postes ne représentent que 75 % des 678 postes attribués à la France dans le cadre de cette répartition, soit l’un des taux les plus faibles parmi les Alliés. Votre rapporteur s’associe dès lors aux recommandations de la Cour qui propose notamment de mieux valoriser les temps de service à l’OTAN dans les politiques des ressources humaines des armées. Parallèlement à la tenue d’exercices comme ORION, cette évolution est en effet nécessaire pour renforcer effectivement l’influence française auprès de nos alliés européens et dans l’OTAN.

Votre rapporteur appelle également de ses vœux le dépassement des difficultés relatives à la construction d’une BITD européenne. Si le plan européen sur les munitions, articulé autour de trois axes, constitue une avancée positive à saluer, en revanche, à l’heure des incertitudes entourant le programme MGCS, et malgré les impulsions politiques récentes, force est de constater que les pays européens préfèrent pour certains se tourner vers des entreprises d’armement américaines, coréennes, turques ou israéliennes. Les exercices de type ORION, en travaillant l’interopérabilité technique des matériels, doivent permettre de contribuer à promouvoir cette BITD européenne, à l’image de la réussite constituée par le partenariat CAMO avec la Belgique.

II.   Un retour d’expérience qui confirme dans l’ensemble les orientations prises dans la LPM 2024-2030, tout en mettant en exergue certains points d’attention qui constituent autant d’axes d’effort

A.   La structuration d’une chaîne « retour d’expérience » complète, dont les conclusions viennent en grande partie confirmer les orientations existantes

1.   Un modèle de retour d’expérience (RETEX) performant à dupliquer

Dès la conception de l’exercice, les armées, et en particulier l’armée de Terre, ont accordé une importance particulière à l’évaluation et au retour d’expérience d’ORION. Au-delà des conclusions qui en ont été tirées, la manière dont a été structuré le retour d’expérience, qualifié de « novateur, vertueux et ambitieux », par le Général Corbet lors de son audition par votre rapporteur, constitue une véritable source d’inspiration pour les exercices à venir et pour le perfectionnement de la fonction « retour d’expérience ».

Novateur, car organisé pour la première fois sous la forme d’une structure préparée en amont, dirigée et coordonnée. En effet, traditionnellement le RETEX s’apparente à une démarche provenant du bas dans laquelle chaque entité déployée réalise son propre RETEX de manière décentralisée.

Vertueux, car il a largement associé dès l’origine le commandement et toutes les autorités de l’armée de Terre en leur demandant quels enseignements ils souhaitaient tirer de l’exercice en vue de se préparer à la haute intensité pour ensuite faciliter son exploitation.

 Ambitieux, en raison de l’organisation mise en place avec un soucis d’efficience.

a.   Une fonction RETEX novatrice pensée en amont de l’exercice

● La structure choisie pour ORION 23 s’est éloignée du retour d’expérience traditionnel, puisqu’en lieu et place d’un RETEX très général et axé sur le montage et la conduite de l’exercice, les forces terrestres ont mis en œuvre un plan de recherche, qui définit et cible des domaines d’intérêt pour l’armée de Terre, avec une équipe dédiée à l’étude des processus opérationnels, à l’identification des manques ou des causes de dysfonctionnement.

● Élaboré dès janvier 2022, le plan de recherche de l’armée de Terre s’articule autour de cinq thématiques correspondant à des problématiques majeures, liées à la préparation et à la conduite d’une opération aéroterrestre dans le cadre d’une opération d’envergure.

1. contribution à la réflexion sur la génération de force, la montée en puissance de l’armée de Terre (MEPAT) et le (pré)acheminement de la force opérationnelle terrestre dans un engagement majeur ;

2. analyse globale de la ressource disponible et des conditions de renouvellement/régénération de la force opérationnelle terrestre ;

3. analyse du dimensionnement organique et fonctionnel du système de force et de commandement dans un engagement majeur ;

4. analyse globale de la performance dans la conduite des opérations et l’emploi des forces, afin d’améliorer la supériorité opérationnelle ;

5. évaluation de la pertinence du cadre de préparation opérationnelle qui supporte les ambitions de la phase O4 de l’exercice ORION pour l’entraînement à un engagement majeur.

À partir des cinq thématiques définies, il a été question de rechercher des experts de chaque domaine identifié. Ces experts, d’active et de réserve, ont défini les points plus précis qu’il était souhaitable d’étudier.

b.   Une structuration complète associant un grand nombre d’acteurs

● Les cinq thématiques ont été déclinées en vingt domaines de recherche et plus de cent questions. Du fait de l’ampleur de l’exercice, ORION a mobilisé un volume important d’observateurs, placés sous la responsabilité du Général de corps d’armée (2S) Corbet, désigné directeur de recherche, ayant pour mission de coordonner une équipe pluridisciplinaire ad hoc. 123 personnes ont participé au plan de recherche. La collecte des réponses a été réalisée par des observateurs désignés parmi les équipes d’évaluation, les joueurs, la direction de l’exercice (DIREX), la direction de l’animation (DIRANI) ou la force adverse (FORAD) via une organisation spécifique illustrée ci-dessous.

Source : Réponse au questionnaire budgétaire, 10 octobre 2023.

c.   La permanence de RETEX spécialisés

● Si cette organisation a été développée et mise en œuvre, de manière plus ou moins élaborée, pour toutes les phases de l’exercice, elle a coexisté avec des retour d’expérience plus spécialisés, qu’ont constitué le processus de montée en puissance de l’armée de Terre (MEPAT), « ORIONIS » pour la maintenance aéronautique, ainsi qu’un wargame spécifique pour la maintenance terrestre, organisé par la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT) avec les industriels concernés.

● Tout d’abord, l’armée de terre a initié un RETEX de l’exercice de montée en puissance d’une division à deux brigades projetable sous trente jours dans le cadre d’un engagement majeur, conformément à son ambition 2027. Appelé processus de montée en puissance de l’armée de Terre (MEPAT) et conduit une première fois dès février 2022, à la faveur de la nécessité d’armer rapidement la mission AIGLE en Roumanie, ce processus qui vise à tester la réactivité des forces terrestres en cas d’engagement majeur, a été renouvelé à l’occasion de la phase trois dite « civilo-militaire » d’ORION. L’enjeu pour l’armée de Terre était de généraliser les conclusions du retour d’expérience de 2022 et d’y intégrer l’emploi de la réserve.

Plusieurs points d’attention ont été tirés de cet exercice, tant concernant la réactivité des forces terrestres, que s’agissant de leur capacité à tenir l’effort dans la durée. D’une part, il apparaît que la mobilisation en peu de temps d’un volume important de forces peut être rendue complexe par la nécessité de reconstituer rapidement tous les éléments composant la division, ainsi que de rassembler le matériel de chaque unité. La génération de forces constitue en effet le premier enjeu pour ce type d’exercice. Les capacités ne sont pas immédiatement disponibles en raison de la dissémination des équipements et des ressources ainsi que de l’emploi des soutiens dans leurs missions courantes. Il en résulte un travail d’identification et de préparation, afin de faire converger les équipements vers les régiments, ou les zones de déploiement. Les personnes auditionnées ont notamment attiré l’attention de votre rapporteur sur l’exemple du 27ème bataillon de chasseurs alpins (BCA) en partance pour AIGLE en février 2022. N’étant pas d’alerte, le régiment a eu besoin du renfort de 80 organismes pour constituer un bataillon prêt à être projeté. Si à l’échelle du bataillon la problématique d’acheminement de matériels dispersés et d’agrégation de moyens a pu être surmontée, elle pourrait constituer un véritable frein à la mobilisation rapide d’un volume plus important de forces. De la même manière, les difficultés précitées relatives à la mobilisation des réservistes devront être surmontées. D’autre part, les principaux enseignements portent également sur la capacité à tenir un engagement dans la durée, compte tenu du besoin élevé en ressources associé - ressources humaines, matériels, munitions.

● S’agissant de la séquence « ORIONIS », organisée à l’initiative de l’armée de l’air et de l’espace pour mettre la maintenance aéronautique à l’épreuve d’un engagement majeur, des enseignements ont pu également être tirés au bénéfice de l’aviation légère de l’armée de Terre. Selon les informations fournies en réponse au questionnaire de votre rapporteur, cinq cas concrets sur le segment hélicoptère - trois pour le Caracal, deux pour le Tigre - ont été joués et résolus dans les délais impartis. L’armée de l’air et de l’espace a jugé que les solutions proposées étaient dans l’ensemble réalistes et dans l'esprit d'une approche par la gestion des risques. Trois axes d’effort sont à approfondir pour le fonctionnement en « temps de paix ». Tout d’abord, le passage à une logique plus orientée vers la gestion des risques induits par les faits techniques, et non plus centrée sur le strict respect des normes serait souhaitable, afin de permettre aux armées utilisatrices de maîtriser ces risques en fonction de leurs impératifs opérationnels. Ensuite, a été mise en lumière la nécessité de développer davantage les compétences en réparation de dommages de combat chez les industriels, comme au sein des forces. Un point de vigilance réside également dans le développement d’une meilleure continuité numérique entre les services étatiques et privés afin d’accroître la réactivité des échanges. Enfin, selon les organisateurs de la séquence, des cas concrets plus complexes mettant en œuvre des aéronefs qui impliqueraient l'Organisation conjointe de coopération en matière d’armement (pour le Tigre) ou la NATO Helicopter Management Agency (pour le Caïman), mériteraient d'être joués lors du prochain exercice ORION.

● Enfin, la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT) a organisé un wargame spécifique pour la maintenance terrestre, organisé avec les industriels concernés, en parallèle de la participation de la SIMMT au soutien de l’exercice ORION. Auditionné par votre rapporteur, le directeur central de la SIMMT, le Général Christian Jouslin de Noray, a salué l’implication des industriels qui se sont véritablement prêtés au jeu, initiant ainsi une dynamique constructive.

Toutefois, les conclusions de cette séquence mettent en lumière un manque d’épaisseur de la maintenance terrestre, en particulier en matière de pièces de rechange disponibles et dans la capacité des industriels à fournir des lots d’autonomie initiale de projection (AIP) pour plusieurs parcs de manière simultanée. La séquence a également permis de constater qu’en matière de logistique, il était urgent de préparer la mise en œuvre d’une logistique de guerre, à travers le renforcement de la flotte logistique des forces terrestres. Si en temps de guerre, le transport des pièces détachées ou des munitions pourrait être assuré en réquisitionnant certains véhicules civils, le besoin prioritaire réside dans l’acquisition de camions blindés ayant vocation à assurer la « logistique de l’avant » sur les théâtres d’opérations. Enfin, le système du combattant du MCO terrestre doit être renforcé par l’acquisition de dépanneurs supplémentaires.

D’autres leçons relatives à la limitation du temps de travail chez les industriels, ou au nombre de dépôts de stockages des pièces de rechange, ainsi qu’à leur répartition sur le territoire constituent également des points d’attention partagés avec les industriels. Votre rapporteur salue cette initiative vertueuse permettant d’associer les industriels et de faire partager les conclusions du RETEX au-delà des forces armées, dans le but de trouver des solutions concrètes et réalistes aux problématiques identifiées. Au-delà de la montée en puissance, les organisateurs estiment d’ailleurs qu’ORION 2026 devrait également permettre de travailler l’efficacité du maintien en condition opérationnelle terrestre dans la durée.

d.   La nécessaire exploitation de ce RETEX

● Au-delà de la production d’un retour d’expérience complet, le défi réside dans la pleine appropriation de ses conclusions par les forces, avec une attention particulière pour les unités n’ayant pas participé à l’exercice.

Ainsi, le rapport issu du RETEX a été remis puis présenté au chef d’état-major de l’armée de Terre (CEMAT) et au comité stratégique de l’armée de Terre, puis aux officiers généraux et commandeurs des forces terrestres au mois de juin dernier. À l’issue, le CEMAT a esquissé certaines directives, fait intégrer les éléments du RETEX dans les ordres à l’armée de Terre et a adressé une lettre aux chefs de corps. Une synthèse a également été rédigée à destination des alliés et de la presse. Selon les informations fournies à votre rapporteur en réponse à son questionnaire, la synthèse par domaine sera exploitée à travers un plan d’action visant à adresser et piloter la prise en compte des recommandations de plusieurs manières : la mise à jour des documents doctrinaux, des manuels d’emploi, des guides techniques, des formations dans les écoles et régiments et des expressions de besoins capacitaires, mais également l’orientation des objectifs d’entraînement dans les centres d’entraînement ou lors des futurs exercices, dont ORION 2026.

● L’expérience d’ORION dans l’organisation de la chaîne RETEX mérite d’être mise à profit dans les exercices futurs de l’armée de Terre et, ce dès le montage des exercices. En effet, la fonction RETEX dans les armées a été fortement amoindrie. Or, il apparaît aujourd’hui nécessaire de la renforcer. En particulier, un point de faiblesse réside dans le manque de spécialistes de la fonction RETEX, ce qui engendre des difficultés à affecter de manière permanente des personnels dédiés dans les différents états-majors. De la même manière, cette question se pose également pour le montage des exercices, ce qui amène parfois les armées à avoir recours à l’externalisation, comme en matière d’élaboration de scenarii dans le cadre d’ORION. Votre rapporteur considère que la réserve opérationnelle doit pouvoir prendre toute sa part dans la nécessaire remontée en puissance de la fonction RETEX. Aux côtés des généraux de deuxième section qui incarnent le temps long et disposent du recul suffisant, votre rapporteur estime que la réserve, notamment celle issue du monde civil, peut constituer une véritable source d’enrichissement pour les armées en contribuant à apporter un regard extérieur. Les synergies entre le RETEX des opérations, les études historiques, le RETEX des exercices, l’analyse opérationnelle et les expérimentations pourraient également être améliorées.

2.   L’identification de points d’attention qui constituent autant d’axes d’efforts pour consolider notre crédibilité à assurer le rôle de Nation cadre              

Le RETEX de la phase quatre d’ORION a permis de dégager certains axes de progression. Ceux-ci sont cohérents avec les points d’attention identifiés par le Général Yves Métayer dans son audition devant la commission de la Défense nationale et des forces armées en juin dernier, bien que votre rapporteur ait décidé de concentrer son propos sur les enseignements qui concernent spécifiquement l’armée de Terre.

Cinq principaux point d’attention peuvent être soulignés : l’attention portée au renforcement de l’entraînement du commandement ; la confirmation de besoins capacitaires pour produire des effets dans la profondeur et prendre en compte l’évolution de la conflictualité ; le nécessaire renforcement de l’épaisseur logistique des forces terrestres ; le défi de la performance et de l’interopérabilité des systèmes d’information opérationnels et de commandement, ainsi que le réalisme de l’exercice et des outils de simulation.

Ces points de vigilance, dans l’ensemble attendus, recoupent, pour certains, les recommandations formulées par votre rapporteur dans son avis budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2023, consacré au retour d’expérience de la guerre en Ukraine.

a.   L’entraînement du commandement (C2) à poursuivre : renforcer l’entraînement des PC de niveau corps d’armée et développer leur furtivité

 ORION a confirmé la nécessité de renforcer l’entraînement des postes de commandement de niveau corps d’armée. Conformément au retour d’expérience de la guerre en Ukraine, ceux-ci doivent savoir manœuvrer dans un environnement de plus en plus complexe. Cela suppose notamment de poursuivre les efforts en faveur de la professionnalisation du montage des exercices et de leur animation, avec notamment l’ajout d’un état-major adverse autonome pour garantir une meilleure mise en tension des postes de commandement (PC). La contextualisation de la haute intensité par l’emploi de la force adverse, le séquençage des phases de jeux, pour bien différencier l’entraînement des PC et des unités, mais aussi une plus grande prise en compte des effets dans les champs immatériels, constituent autant d’axes de progression identifiés par les forces.

 La furtivité des postes de commandement constitue également un axe de travail important pour être plus fidèle à la réalité. En guise d’illustration, le PC de la deuxième brigade blindée a effectué vingt bascules de PC en trois semaines lors de l’exercice. À titre de comparaison, selon les informations fournies à votre rapporteur, un PC en Ukraine basculerait en moyenne toutes les quatre heures pour réduire sa vulnérabilité.

● Si l’armée de Terre dispose de PC entraînés et de moyens d’action reconnus, le renforcement des capacités déjà prévues en LPM est plus que jamais pertinent. L’exercice ORION a montré qu’il existe des voies pour dépasser les difficultés d’interopérabilité technique entre détachements alliés, mais aussi que des progrès doivent être faits pour assurer une compatibilité des systèmes d’information et de communication (SIC) qui faciliterait l’intégration de renforts.

 Enfin, une évolution d’ordre culturelle doit également intervenir s’agissant du rapport au commandement et à la prise de risques. Conformément à la vision du CEMAT, dans le cadre de la transformation de l’armée de Terre, il convient de poursuivre les efforts entrepris en faveur d’une subsidiarité accrue des différents niveaux de commandement, afin d’encourager la prise de risque et d’initiative, à travers un style de commandement par la finalité et non pas les moyens.

b.   La confirmation de besoins capacitaires permettant de faire face à la transparence du champ de bataille et de maîtriser la profondeur : artillerie, feux dans la profondeur, défense sol-air, capacités drones et munitions télé-opérées

● Le volet capacitaire du retour d’expérience d’ORION vient confirmer des fragilités déjà bien identifiées. Il s’agit principalement de la capacité d’artillerie, en particulier des feux dans la profondeur, de la guerre électronique et de la défense sol-air (DSA) d’accompagnement, ou encore des munitions télé-opérées, actuellement en nombre trop limité.

● Aussi, la capacité à maîtriser la profondeur - de 50 à 500 kilomètres - constitue-t-elle un des points d’attention majeur du retour d’expérience capacitaire, renforcé par les leçons de la guerre en Ukraine. En effet, le combat de haute intensité se caractérise par sa profondeur, avec des combats allant bien au-delà de la ligne de contact. Faute de capacités appropriées, les forces ont dû beaucoup avancer pour contrebattre les feux adverses dans le cadre de l’exercice. Cet élément conforte le besoin rapide d’un successeur au lance-roquette unitaire (LRU), dont la portée est aujourd’hui limitée à 70 km. Votre rapporteur avait déjà émis cette recommandation dans son précédent avis budgétaire et se réjouit que la loi de programmation militaire 2024-2030 ait prévu de remplacer le LRU, même si l’objectif demeure modeste à travers l’acquisition d’« au moins treize systèmes » d’ici la fin de la programmation et, à terme, un objectif de « 26 systèmes » en parc en 2035. Toutefois, le véritable enjeu réside dans les spécifications de ce système et les délais dans lesquels il pourra être livré aux forces. Lors de son audition devant la commission de la Défense nationale et des forces armées le 11 octobre 2023, le CEMAT a d’ailleurs précisé qu’il serait nécessaire que le système qui remplacera le LRU puisse être doté de roquettes permettant de « de frapper jusqu’à 120/150 km, ce qui correspond à la responsabilité du corps d’armée, voire à celle du niveau interarmées ou stratégiques, c’est-à-dire à 500 km et plus. » Il apparaît également important que les munitions soient interopérables avec celles de nos principaux alliés, notamment américains pour ne pas dépendre exclusivement de nos propres stocks. Votre rapporteur plaide pour qu’une solution souveraine soit mise à l’étude dans les délais les plus brefs avec le concours des industriels français, lesquels ont fait connaître leur disponibilité.

La détention d’une capacité feux dans la profondeur est d’autant plus importante qu’elle participe à la crédibilité de la France dans l’OTAN et à notre capacité d’affilier des pays qui viendraient combler d’autres limites capacitaires. Actuellement, peu de pays sont dotés de capacité de feux dans la profondeur en Europe, excepté la Pologne et la Roumanie.

● La capacité défense sol-air (DSA), hormis pour la défense à très courte portée, avait été traditionnellement confiée à l’armée de l’Air et de l’espace, en l’absence de menace aérienne sur les théâtres d’opération. Or, dans un contexte de retour de la haute intensité et en l’absence de supériorité aérienne garantie, il est probable que l’armée de l’air et de l’espace soit occupée à livrer ses propres batailles et ne puisse pas systématiquement fournir l’appui nécessaire aux forces terrestres, ou être en capacité d’intervenir aussi rapidement qu’elle le souhaiterait. En cohérence avec la recommandation formulée par votre rapporteur en octobre 2022, et conformément aux conclusions du rapport issu de la mission d’information flash sur la défense sol-air, réalisé par M. Thiériot et Mme Pouzyreff, les enseignements d’ORION tendent ainsi à démontrer le besoin de disposer d’une défense anti-aérienne d’accompagnement aux capacités élargies afin de faire face aux menaces aériennes traditionnelles et nouvelles (drones, essaims, munitions rodeuses, etc.). Cette défense d’accompagnement inclut la densification de la protection sol-air très courte portée, quelle que soit la situation tactique, et l’intégration d’une défense sol air de moyenne portée mobile dans les cas de mouvements offensifs. La défense surface-air faisait d’ailleurs partie des points d’attention de la LPM avec cinq milliards d’euros de besoins programmées sur la période en interarmées. La DSA terrestre courte-portée doit amorcer une modernisation avec une cible de 9 VL MICA prévue en 2030, afin de remplacer les Crotale actuellement en parc. Par ailleurs, il est prévu de densifier progressivement la DSA terrestre d’accompagnement avec une cible fixée à 24 Serval dotés d’une tourelle MISTRAL en 2030. S’y ajouteront, en matière de lutte anti-drones, 12 blindés Serval en version lutte anti-drone, en complément des 12 véhicules de l’avant-blindé (VAB) ARLAD (Adaptation Réactive pour la Lutte Anti-Drones) déjà en service. Ces efforts doivent être poursuivis.

● Enfin, le besoin de densifier les effecteurs est également apparu comme majeur s’agissant des munitions télé-opérées et des drones, en cohérence avec la possibilité de s’entraîner davantage sur ces matériels.

c.   Une épaisseur logistique à renforcer : le dimensionnement critique des appuis et des soutiens face à la haute intensité

● Un des défis majeurs confirmé par ORION réside dans le manque d’épaisseur de nos armées. Ce point de vigilance concerne à la fois le dimensionnement des services de soutien, des appuis, mais également le niveau des stocks de munitions et de pièces de rechange. Comme le recommandait votre rapporteur l’année dernière, il devient urgent de « renforcer notre capacité à durer en recherchant l’efficacité des soutiens, couplée à une plus grande profondeur logistique. »

À nouveau, il s’agit d’un véritable enjeu pour la crédibilité de nos armées. Pour assurer le rôle de Nation-cadre, la France doit en effet être capable de fournir les appuis de niveau corps d’armée et division, ainsi que les soutiens nécessaires à l’intégration de nations alliées. Comme l’indiquait le Général Métayer lors de son audition devant la commission de la Défense, « en Europe, aucune nation ne dispose de l’intégralité des éléments organiques et de soutien pour tous les niveaux. Les seuls à l’avoir, ce sont les Américains. Dans le cadre de l’autonomie européenne, il faut poursuivre l’effort en commun pour être capables de faire face à une problématique de sécurité sur le continent européen. »

● Tout d’abord, les personnes auditionnées par votre rapporteur ont indiqué qu’ORION confirmait le besoin de densifier les services de soutiens, en particulier le service de l’énergie opérationnelle (SEO), le Service de santé des armées (SSA) et le Service interarmées des munitions (SIMu) s’agissant de leurs stocks, leurs moyens de transport et leurs spécialistes. Il convient de saluer la mobilisation des services de soutien, qui ont participé à l’exercice, tout en continuant à remplir leurs missions quotidiennes au profit de l’ensemble des armées. Malgré l’introduction de « facilités » visant à alléger la charge du soutien à réaliser (le corps de réaction rapide France n’était pas en exercice, mais faisait travailler la division et avait peu besoin de son environnement de soutien), force est de constater que des tensions en ressources humaines ont été identifiées, laissant apercevoir la nécessité de recruter et de former des personnels supplémentaires dans ces spécialités sensibles. Le SSA a d’ailleurs déjà engagé des réflexions sur une évolution de sa doctrine, compte tenu des difficultés rencontrées dans la chaîne d’évacuation des blessés. Par ailleurs, selon les informations fournies à votre rapporteur, dans le cas d’une hypothèse d’engagement majeur, l’armée de Terre n’est pas certaine de pouvoir soutenir toutes les structures de commandement qu’elle devra renforcer et mettre sur pied. En particulier, il pourrait s’avérer particulièrement difficile de remplacer certaines spécialités sensibles dans les domaines des systèmes d’information et de communication (SIC), des munitions (50 % d’une spécialité détruite lors d’une frappe de drone pendant ORION 02), et de la maintenance, par exemple. Enfin, il semble essentiel d’associer les services de soutien en amont de l’exercice et de les intégrer dans la même chaîne logistique que la manœuvre interarmes et interarmées.

● De la même manière, la profondeur logistique constitue un vrai point de vigilance.

Dans le cas d’ORION, il a été procédé à des ajustements pour faciliter la manœuvre de perception et de réintégration des matériels des différentes unités joueuses. Ainsi, pour ORION phase 2, qui reposait sur un scénario de déclenchement de l’échelon national d’urgence (ENU), l’armée de Terre a mis en œuvre le mécanisme spécifique de l’alerte. Il repose sur un « contrat équipement » réparti sur la quasi-totalité des unités de l’armée de Terre et planifié avant la mise en alerte. Ainsi, toutes les unités concernées par les modules de l’ENU déployés lors d’ORION phase 2 ont contribué aux prêts de matériels. Le commandement de la logistique, en tant qu’intégrateur du soutien logistique de l’armée de Terre, a organisé les perceptions. Plusieurs zones de regroupement ont été utilisées. Les unités pourvoyeuses s’y sont déplacées pour mettre à disposition les équipements auprès des unités joueuses, comme cela se fait pour un déclenchement réel. Cependant, pour ORION phase quatre, il a été décidé que seuls les équipements de la troisième division (acteur principal) seraient utilisés, afin d’éprouver le système divisionnaire. Ainsi, les prêts ont été réalisés avant la réalisation de l’exercice au sein de la troisième division, sans avoir recours aux équipements de l’autre division (première division).

Si les forces terrestres ont démontré qu’elles possédaient les capacités logistiques suffisantes pour armer la chaîne de commandement du soutien, il est apparu qu’elles manquaient de la profondeur et de l’épaisseur nécessaires pour tenir des opérations de haute intensité sur une longue durée. Au-delà du niveau brigade, l’armée de Terre aurait besoin, tout autant que ses alliés, du renfort de partenaires. Les forces terrestres ont néanmoins préservé leur capacité à intégrer et à coordonner la logistique des formations étrangères qui viendraient à la renforcer si nécessaire. Si cette formule peut se révéler viable pour un engagement limité, elle semble insuffisante pour un engagement généralisé impliquant tous nos alliés. En cas de déploiement d’une division dans un cadre multinational, les forces terrestres pourraient ne pas disposer de camions en nombre suffisant pour transporter les pièces détachées et les munitions. Comme l’a signalé le Général Métayer lors de son audition devant la commission, « les capacités d’emport, notamment pour l’armée de terre et les unités de contact, doivent être supérieures à celles évaluées pour nos engagements des trente dernières années. Il faut projeter vers l’avant des stocks un peu plus importants. » Il concédait par ailleurs que « la flotte de camions tactiques a éprouvé nos limites. » Aussi, votre rapporteur juge-t-il essentiel de poursuivre les efforts de renouvellement et de densification de la flotte de transport logistique terrestre (camions citernes, transport des munitions, etc.) et de renforcer la capacité de transport logistique sous blindage, mais également d’évacuation des blessés. Au-delà du volume de la flotte, l’entretien de la flotte de transport constitue également un point d’attention important, afin de garantir un niveau de disponibilité des matériels satisfaisant.

Ce point d’attention a été pris en compte dans la LPM 2024-2030 avec la livraison prévue de 2 086 nouveaux camions d’ici 2030, sur une cible totale de 9 466 exemplaires, issus du programme à effet majeur flotte tactique de logistique terrestre (PEM FTLT), ou à travers l’acquisition de véhicules Scorpion dans leur version sanitaire. Toutefois, en ce qui concerne le segment des camions médians, selon les informations fournies à votre rapporteur, la modernisation apportée par la LPM 2024-2030 ne représentera que 15 % du parc et sera caractérisée par la livraison au titre du PEM FTLT des 1 110 premiers PL 4-6T à partir de 2028. Cela nécessitera de poursuivre un effort financier sur l’entretien programmé du matériel terrestre pour maintenir dans la durée les véhicules anciens. Ce segment représente un volume de 6 000 véhicules en 2023-2024, principalement représenté par le GBC 180, véritable « mule » de l’armée de Terre. Concernant le segment lourd, la faiblesse des capacités d’acheminement en porte-engins blindés a conduit à privilégier prioritairement ces capacités dans la LPM, au titre du PEM FTLT qui ne seront cependant livrés qu’en fin de LPM (2026-2029 pour les citernes). Le reste des camions (TRM 10 000), fera l’objet d’un remplacement post LPM. Votre rapporteur sera donc vigilant à ce que leur soutien puisse être garanti, à travers des crédits d’entretien programmé du matériel suffisamment dimensionnés.

● S’agissant des appuis, il apparaît qu’en cohérence avec la nature des engagements intervenus ces dernières années, le génie s’est principalement concentré sur la lutte anti-IED et l’appui à l’installation. En conséquence, les forces terrestres ont maintenu les savoir-faire du génie dans la haute intensité (appui au franchissement, minage, déminage, aménagement du terrain, etc.) au niveau minimum. Or, ORION confirme la nécessité de réinvestir toutes les capacités du génie en haute intensité, en renforçant les capacités d’action des unités dans les domaines du franchissement, de l’appui à la mobilité, de la contre-mobilité et de la protection. Les besoins sont particulièrement évidents en matière de capacités de franchissement et de bréchage sous le feu, permettant de franchir les lignes de défense adverses.

Aussi, dans le cadre la LPM 2024-2030, l’appui génie verra-t-il ses fragilités atténuées. Le lancement du programme SYFRALL permettra de débuter le renouvellement des moyens de franchissement avec la livraison de huit premières portières d’ici à 2030, ainsi que des premiers engins du génie de combat (EGC) à compter de 2030. Dans l’attente, un effort de maintenance important devra être réalisé pour prolonger le parc existant (EBG). De plus dès 2024, le programme SCORPION permettra de réaliser un effort en faveur des capacités du génie, avec la livraison de Griffons et de Serval dans leur version génie (55 Griffons livrés et 44 Serval Génie livrés en 2023 et 2024). Enfin, les efforts sur le minage et le déminage devront également être poursuivis.

d.   Le défi des systèmes d’information opérationnelle et de commandement (SIOC) : une difficulté plus prégnante que prévue

● L’utilisation à grande échelle et dans un environnement international des systèmes d’information opérationnels du commandement (SIOC) a constitué un véritable défi. Comme l’a résumé le Général Métayer lors de son audition devant la commission de la Défense, « Dans le domaine des systèmes d’information et de communication (SIC), nous avons atteint nos limites. Nous avons été très contraints, notamment dans les flux de données. On estime qu’il nous faudrait, en multinational et en haute intensité, vingt fois plus de flux que nous n’en disposons aujourd’hui pour transmettre et échanger toutes les données qui nous sont nécessaires. »

● La complexité des systèmes d’information opérationnels du commandement (SIOC), à travers le constat de la multiplicité des systèmes et les flux limités de données, constitue un défi pour la fluidité du commandement sur le terrain.

Si lors de l’exercice ORION, les SIOC ont relativement bien fonctionné, la connectivité entre les niveaux de commandement utilisant des systèmes différents reste un point d’attention qui sera couvert par le changement de génération en cours. Le système SICF, actuellement utilisé dans les forces, est un système d’ancienne génération, qui a atteint ses limites. Il a vocation à être remplacé par le Système d’information des Armées (SIAC2), qui sera expérimenté dans le cadre d’un exercice de niveau brigade (EXTO BIA 23) au mois de décembre 2023, qui constituera une étape importante pour permettre de tester son adaptation aux besoins actuels. Afin de permettre son utilisation par les PC de niveau 2 (division), un nouveau socle, basé sur la solution Nexium (fondé sur une technologie cloud proposée par Thales) sera livré au début du second semestre 2024. Il devrait permettre à la division concernée de prendre l’alerte ENU avec le SIA C2 en lieu et place du SICF à compter du 1er octobre 2024. À noter que le système d'information du combat Scorpion (SICS) ne concerne que les niveaux 7 à 4 (groupe de combat à GTIA) et devra se connecter au futur SIAC2 qui concerne les niveaux 3 à 1 (brigade à corps d’armée). Sachant que certains SIOC spécifiques comme ATLAS (artillerie) seront conservés, la problématique des interconnexions est au centre des efforts de la modernisation de ces systèmes.

● L’interopérabilité des systèmes d’information opérationnels du commandement (SIOC) a également été identifiée comme une difficulté importante affectant les moyens de communication. Les SIOC doivent donc faire face à un double enjeu de modernisation et de standardisation pour garantir leur interopérabilité. À cet effet, la France participe activement à des exercices annuels, comme CWIX (Coalition Warrior Interoperability Exercise), afin de tester, améliorer et renforcer l’interopérabilité des SIOC au sein de l’OTAN et de promouvoir des solutions nationales d’interopérabilité.

● Les forces terrestres ont également constaté la nécessité d’avoir davantage de débit pour la circulation des informations. ORION a fait resurgir le débat de l’hybridité. Selon les personnes auditionnées, les armées devraient réfléchir également à avoir recours à l’hybridation, sur le modèle des PC ukrainiens, avec des soldats qui s’appuient alternativement sur les réseaux de communication civils ou militaires selon la nature de l’information partagée et la situation tactique. En effet, compte tenu de la transparence accrue du champ de bataille, tous les PC ne seront pas en première ligne mais certains le seront (niveau brigade ou régiment) et nécessiteront alors de s’y adapter. Un des moyens de le faire pourrait être l’hybridation malgré l’existence d’une limite relative à la dépendance à la technologie civile.

e.   Le réalisme de l’exercice et l’usage de la simulation à grande échelle

● Selon les informations fournies à votre rapporteur, le réalisme de l’exercice constitue un axe de progression. Lors de l’entraînement, dans un cadre mêlant simulation et déploiement réel, il reste complexe de modéliser les effets apportés par des capteurs renseignement et leurs effets sur la manœuvre des amis comme de l’ennemi. Les forces n’ont pas pu s’entraîner dans un contexte équivalent à celui de l’Ukraine ou du Haut Karabakh. De la même manière, « dans le champ immatériel de la lutte informationnelle, le réalisme ne peut qu’être touché du doigt », selon le Général Métayer. Votre rapporteur tient cependant à saluer les efforts accomplis en cette direction par les unités responsables qu’il a pu constater de visu.

● ORION permet, en outre, de dresser un premier bilan de l’emploi de la simulation à une échelle si importante. Dans le cadre de la phase quatre, la simulation a permis de donner l’ampleur nécessaire à une manœuvre de niveau corps d’armée en engageant une division française à trois brigades, dont une déployée sur le terrain et deux jouées avec l’appui de la simulation, et une division américaine, dont l’état-major animait des unités simulées. ORION a consisté également un test important pour la mise en œuvre du concept de théâtre opérationnel hybride partagé (TOHP) qui doit permettre la cohabitation entre éléments simulés et non simulés. Il a donné satisfaction dans l’ensemble et permis d’assurer en simultané la manœuvre d’unités réelles en terrain libre et d’unités simulées face à un ennemi à la fois incarné sur le terrain et modélisé en simulation. Toutefois, ORION a montré les limites d’emploi au niveau divisionnaire du simulateur SOULT.

B.   La nécessaire prise en compte des conclusions d’ORION dans la transformation en cours des forces terrestres

Si les conclusions d’ORION ont, dans l’ensemble, confirmé les orientations prises dans le cadre de la LPM 2024-2030 et dans le cadre de la transformation de l’armée de Terre vers le modèle « Armée de Terre de combat », certains axes de progression méritent d’être accélérés.

1.   Des orientations confirmées dans l’ensemble et à poursuivre

Les enseignements d’ORION viennent conforter la nécessité de l'adaptation des structures de commandement opérationnelles, le rapprochement des fonctions organiques et opérationnelles pour gagner en réactivité, ainsi que le besoin d'autonomisation accrue des brigades et des divisions.

a.   L’accroissement du réalisme de la préparation opérationnelle à travers la régionalisation des divisions

● ORION a montré la nécessité de définir et d’adapter en amont les caractéristiques - organisation, ressources humaines, équipements et systèmes de commandement - de la force amenée à être engagée, en fonction des scenarii d’emploi envisagés. Ainsi, les besoins en équipements et la préparation requise ne seront pas identiques selon qu’une unité est amenée à s’engager en Europe avec ses alliés ou en Afrique dans le cadre de la mobilisation des accords de défense.

● En conséquence, les forces terrestres ont pour ambition de professionnaliser l’entraînement des forces en contextualisant d’avantage les séquences de préparation opérationnelle. Dans le cadre du plan « armée de Terre de combat », le cycle d’activité des forces terrestre est en cours de refonte afin de garantir, outre la préparation opérationnelle « métier », des phases de mise en condition spécifique, adaptées aux hypothèses d’engagement opérationnel. L’effet premier de cette nouvelle orientation du cycle des forces terrestres sera de faire passer la préparation opérationnelle d’un critère thématique à un critère géographique, en fusionnant des activités actuellement séparées en programmation (projection / alerte / entraînement).

Dès lors, les forces terrestres ont pris la décision de régionaliser leurs divisions dans un triple objectif de réactivité, d’autonomie et d’interopérabilité accrues. Chaque division sera spécialisée pendant trois ans sur une zone clé dans l’objectif de se préparer de manière renforcée à un potentiel engagement dans la zone, en amorçant en amont un dialogue avec les pays de la zone et les alliés. Les états-majors pourront se concentrer pleinement sur les enjeux propres à chaque zone. L’objectif consiste à cibler davantage les ennemis potentiels pour mieux orienter la préparation opérationnelle en conséquence. La première division deviendra la « division Europe-Moyen-Orient », quand la troisième division formera « la division monde ». Dans une même logique, les brigades qui dépendent de ces deux divisions seront « sectorisées » pour une durée d’un an, pendant laquelle elles assureront l’essentiel des projections et entraînement dans une zone géographique ou un théâtre d’opérations donné. La régionalisation des divisions des forces terrestres autour de deux grandes zones permettra de renforcer la continuité entre l’organique et l’opérationnel et la continuité entre-temps de paix et temps de guerre, à travers la création de structures nativement prêtes à s’engager. Cette nouvelle approche par régionalisation (divisions) et sectorisation (brigade) sera mise en œuvre dès l’automne 2023 pour une transition du cycle des forces terrestres vers une matrice des activités opérationnelles des forces terrestres (MAOFT) d’ici l’été 2024.

Votre rapporteur sera néanmoins vigilant à ce que cette évolution qui s’apparente à une forme de spécialisation, ne se traduise pas par une perte de polyvalence des unités qu’il lui apparaît primordial de préserver dans le cadre de notre modèle d’armée complet.

Focus : le cycle des forces terrestres

Pour mémoire, mis en œuvre depuis le 1er octobre 2016 et plusieurs fois adapté depuis, le cycle des forces terrestres (FT) organise les principales activités de la force opérationnelle terrestre (FOT), en particulier sa préparation opérationnelle, tout en lui permettant de remplir en permanence le contrat opérationnel fixé par l’État-major des armées (EMA). Mis en place et suivi par le bureau programmation du commandement des forces terrestres, le cycle des FT répartit la charge entre les commandements de la FOT (corps de réaction rapide – France (CRR-Fr), divisions, commandements spécialisés, voire direction des ressources humaines de l’armée de Terre) pour honorer :

- les activités opérationnelles (missions intérieures et plans associés, projections extérieures et alertes) ;

- les activités de préparation des forces (grands exercices, exercices de moindre ampleur, passages en centres d’entraînement spécialisés, actions de partenariat, etc.) ;

- les grands évènements, les prestations et les expérimentations.

Ce faisant, le commandement veille également à ce que la programmation intègre un équilibre familial et social pour les militaires.

S’inscrivant dans le prolongement de l’ambition du chef d’état-major de l’armée de Terre (CEMAT) de disposer d’une armée de Terre pouvant être engagée dans les conflits les plus durs, la rénovation du cycle des FT a fait l’objet de récents travaux. L’objectif est d’identifier comment mieux répondre aux impératifs liés aux engagements opérationnels des forces, tout en conservant une posture réactive et la capacité de faire face aux opérations d’envergure.

Le contrat opérationnel fixé par l’état-major des Armées, qui inclut les alertes opérationnelles et les engagements opérationnels planifiés, est une priorité non négociable. Il constitue bien évidemment la première brique de la programmation des forces terrestres. Il en découle la programmation de la préparation opérationnelle. Les interventions non planifiées sont assurées grâce aux unités de l’échelon national d’urgence (ENU), entraînées et prêtes au déploiement sans délai. La relève de ces unités (en alerte en métropole ou sur le théâtre d’intervention) est réalisée par des unités désignées suite à une adaptation du cycle opérationnel des forces terrestres et ayant fait l’objet d’une préparation opérationnelle spécifique, incluant une mise en condition avant projection. La multiplication des déploiements ou des engagements opérationnels urgents peuvent ainsi mettre en tension les forces terrestres et imposer une révision du cycle de préparation opérationnelle.

Source : Réponses au questionnaire budgétaire, octobre 2023.

b.   La création de nouveaux commandements et d’unités intégrant nativement les exigences du combat multi-milieux multi-champs

● L’adaptation des structures de commandement et le rééquilibrage des unités au profit de l’appui, du soutien et des nouvelles priorités de la LPM, vise à mieux faire face au combat dans la profondeur du champ de bataille et à l’hybridité des conflits, en cohérence avec le retour d’expérience d’ORION.

● Au sein de la force opérationnelle terrestre, la réarticulation des commandements est la conséquence la plus visible des enseignements des grands exercices. En effet, le commandement de la force opérationnelle terrestre (CFOT) se réorganise pour répondre aux évolutions du contexte géopolitique. Il permet de répondre aux ambitions de l’armée de Terre d’agir de manière permanente et simultanée dans trois espaces géostratégiques (protection et résilience en métropole et outre-mer ; prévention et influence en Afrique, au Moyen-Orient, dans l’océan Indien et jusque dans le Pacifique ; solidarité stratégique en Europe), ainsi qu’aux défis que posent la profondeur du champ de bataille.

Trois commandements dits « alpha » seront notamment créés, à effectifs constants, et placés sous l’autorité du commandement de la force opérationnelle terrestre. Ces nouvelles structures seront quasiment celles de l’engagement :

– le commandement des actions dans la profondeur et du renseignement qui comprendra trois brigades (aérocombat, renseignement et artillerie) ; qui doit être de nature à renforcer la capacité de feux dans la profondeur de l’armée de Terre.

le commandement de l’appui et de la logistique de théâtre ; avec trois brigades (génie, logistique et maintenance) qui doit permettre de générer en 2027 tous les appuis et les soutiens de niveau division que la France s’est engagée à fournir ;

le commandement des actions spéciales Terre ; comprenant les forces spéciales terre et la fonction influence (Centre interarmées des actions sur l'environnement, CIAE, « psychologicol operation » PSYOPS) mais également les fonctions de partenariat militaire opérationnel (PMO), ce qui permettra de renforcer la cohérence de ses différentes nouvelles fonctions opérationnelles.

Deux autres commandements seront également créés : le commandement Terre du numérique et du cyber et le commandement de la préparation des forces.

● Par ailleurs, la transformation de l’armée de Terre, prévoit la création d’unités adaptées aux exigences du combat multi-milieux multi-champs (M2MC). Si plusieurs exercices préalables, comme Manticore 2022 ou Montsabert 22, ont permis des expérimentations ciblées d’actions dans les champs immatériels, ORION marque une prise en compte accrue et plus complète de ces enjeux, avec un exercice conduit dans un environnement entièrement multi-milieux multi-champs. Le bilan apparaît très positif et démontre que l’action dans la profondeur au niveau d’une division doit être effective dans tous les champs, incluant l’influence, le leurrage, les actions de guerre électronique ou encore la cyber offensive.

L’armée de Terre dispose d’ores et déjà d’un socle pour faire face à la guerre hybride et des compléments capacitaires nécessaires seront apportés par la LPM. À travers le rééquilibrage des fonctions de mêlée, soit la cavalerie et l’infanterie, au profit des nouvelles priorités de la LPM mais également des appuis et du soutien, la transformation de l’armée de Terre tient compte des enseignements tirés d’ORION. Ainsi, dans le cadre de la transformation de l’armée de Terre sera créée une section d’appui électronique élémentaire pour chaque régiment d’infanterie et de cavalerie. L’armée de Terre prolongera également ses capacités par la création d’unités multi-capteurs, de bataillons de leurrage et par la densification du centre interarmées des actions sur l’environnement (CIAE). Parallèlement, à la transformation humaine, les forces terrestres adaptent également leur modèle capacitaire sur les domaines cyber, influence et renseignement mais également drones. Votre rapporteur sera vigilant à ce que l’arrivée des matériels dans les forces se déroule de manière cohérente avec le calendrier de transformation de l’armée de Terre. En particulier, s’agissant de la densification de la trame drone dont l’armement doit être accéléré et l’entraînement plus régulier.

c.   L’autonomisation accrue du niveau brigade et la recherche d’une plus grande réactivité des unités

 L’armée de Terre, cherche à promouvoir une plus grande efficacité des services de soutien à travers le rapprochement des dimensions organiques et opérationnelles. À titre d’illustration, une meilleure réactivité des unités dans le processus de perception et de réintégration des matériels est envisagée grâce à la re-densification des parcs d’équipements au niveau régimentaire, rendant ainsi directement disponibles les équipements nécessaires.

● De plus, les forces terrestres ont pour ambition d’accroître l’autonomisation des brigades et des divisions à travers la création d’une unité de commandement et de soutien organique (maintenance, logistique, mobilité etc.) attachée à chaque état-major. Ainsi, l’autonomie des structures sera renforcée en confiant d’emblée la responsabilité des soutiens au chef opérationnel dès le temps de paix. La qualité de la préparation opérationnelle de niveau divisionnaire devrait s’en trouver renforcée car les unités pourront partir plus facilement en exercice sans devoir chercher à assembler plusieurs fonctions au préalable, comme cela a pu être le cas lors de la montée en puissance de l’armée de Terre (MEPAT).

2.   La nécessité d’accélérer les efforts sur certains axes

L’armée de Terre étant une armée d’emploi qui a su conserver un modèle complet, elle possède un socle solide pour remonter en puissance dans les domaines où elle possède des fragilités. Néanmoins, votre rapporteur considère qu’il convient dès maintenant d’amplifier les investissements réalisés dans la simulation, de poursuivre les efforts en faveur d’une augmentation tant quantitative que qualitative de la préparation opérationnelle, mais également d’envisager à l’avenir une meilleure articulation entre les exercices de type ORION et l’examen des lois de programmation militaire.

a.   Investir dans la simulation : accélérer le remplacement du système SOULT par TARAN

● Les personnes auditionnées ont alerté votre rapporteur sur la nécessité de refondre le système actuel de simulation car il ne correspond pas aux besoins de la haute intensité. Dans l’optique où les exercices de grande ampleur sont amenés à perdurer, les investissements dans le perfectionnement des outils de simulation doivent être poursuivis et mis à l’échelle (régiments, brigade, centre d’entraînement).

Pour mémoire, le champ de la simulation recouvre deux volets : la simulation d’unités non physiquement présentes (via le système SOULT) et la simulation instrumentée de l’interaction entre unités physiquement présentes (résultats des tirs fictifs aux armes de dotation). Actuellement, le système de simulation SOULT est principalement utilisé pour les niveaux régimentaires et brigades. Il a donc naturellement présenté des limites du fait de l’ampleur d’ORION. Or, c’est bien au niveau haut - corps d’armée, division et brigade – que la simulation est la plus utile pour pallier l’incapacité à déployer systématiquement l’ensemble des moyens réels sur le terrain. Le défi des systèmes de simulation tient en effet à leur réalisme, plus l’ordre vient d’un niveau de commandement élevé, plus il est complexe d’en assurer le réalisme sur le terrain pour les unités déployées.

En remplacement de SOULT, le système interarmées TARAN est conçu et développé pour être utilisé du niveau divisionnaire au niveau corps d’armée. Il s’agit de développer un logiciel de simulation crédible, efficace et agrémenté d’une capacité d’analyse opérationnelle, avoir un rendu proche de la réalité permettant d’accompagner l’adaptation de l’armée de Terre à la haute intensité. L’analyse opérationnelle après action est en effet un aspect important que ne permet pas SOULT aujourd’hui. Par exemple, dans le cadre d’ORION, il n’a pas été possible d’obtenir des données satisfaisantes sur la question des pertes humaines au profit du SSA. Le simulateur de commandement et de contrôle (C2) TARAN, développé par MASA Group, devrait intégrer nativement cette fonctionnalité. Toutefois, le programme TARAN n’est pas encore lancé. Son économie générale est en cours de discussion avec l’EMA et la DGA car il concerne aussi la Marine nationale et l’armée de l’Air et de l’Espace. Une fois cette phase terminée, son démarrage est prévu en 2025 pour une livraison qui s’échelonne de 2026 à 2030 avec des versions incrémentales. Dans la perspective d’une France nation cadre, ce logiciel permettra également de jouer à armes égales avec les systèmes anglo-saxons.

Alors que les grands exercices ont vocation à devenir plus fréquents, votre rapporteur estime essentiel, pour mieux intégrer nos alliés et pour une meilleure performance de l’entraînement, de faire de l’accélération du développement de TARAN une priorité.

Toutefois, la simulation ne saurait se substituer à l’entraînement en condition réelles, comme ont pu le souligner dans leur rapport d’information dédié à la préparation opérationnelle, les députées Brigitte Liso et Anna Pic. À l’instar d’ORION 23, le succès des grands exercices repose sur une synergie entre simulation opérationnelle, manœuvre en espaces d’entraînement et manœuvre en terrain libre.

b.   Poursuivre les efforts en faveur d’une augmentation quantitative et non seulement qualitative de la préparation opérationnelle

● Si ORION a contribué avec succès au renforcement qualitatif de la préparation opérationnelle en permettant aux forces de s’entraîner sur des savoir-faire dit du « haut du spectre », il convient de poursuivre parallèlement le rehaussement quantitatif de la préparation opérationnelle, en veillant à ne pas délaisser l’entraînement du quotidien au profit des grands exercices.

● En effet, le système de préparation opérationnelle des armées repose sur un principe de différenciation entre l’entraînement des postes de commandement (PC) et celui des unités. La préparation opérationnelle des PC est tirée par le haut via des exercices de type ORION et les grands exercices divisionnaires alliés. Cependant, la progression des unités, se construit quant à elle à partir du bas, par étapes successives, du niveau du combattant individuel jusqu’au niveau de la brigade interarmes. Comme indiqué précédemment, l’expérience montre que l’on peut entraîner efficacement deux niveaux : un joueur principal qui bénéficie en priorité de l’entraînement et un joueur secondaire. Ainsi, l’entraînement d’un système divisionnaire, comme dans ORION, est pleinement utile pour le poste de commandement de la division et ses unités subordonnées, mais l’est moins pour les régiments qui ont d’autres rendez-vous spécifiques pour se préparer. Aussi, la concentration des ressources nécessaire aux grands exercices ne doit-elle pas se faire au détriment de la préparation opérationnelle quotidienne des unités. L’acquisition des savoir-faire de base, ou des savoir-faire métiers constitue, en effet, un préalable au bon déroulement des exercices. Un exercice majeur du type ORION constitue un objectif final du cycle d’entraînement réalisé initialement par fonction opérationnelle, par armée puis en interarmées par niveau de commandement. Il est par conséquent opportun de le réaliser tous les trois ans afin permettre la montée en puissance des unités et des niveaux de commandement désignés.

● Comme l’identifiaient Mmes Liso et Pic dans leur mission flash sur la préparation opérationnelle, des marges de progression demeurent dans le durcissement de la préparation opérationnelle et dans la montée en gamme de l’entraînement des PC, mais surtout dans le rehaussement du niveau d’activité opérationnelle. Le niveau d’activité des forces demeure en effet fortement conditionné par la capacité à financer des potentiels et trop souvent contraint par un taux de disponibilité des matériels limité sur certains parcs. Si la LPM prévoit une trajectoire de progression de l'activité qui devrait permettre de rejoindre les normes d’entraînement OTAN fixées en 2030, ainsi qu’une remontée des stocks de munitions non complexes permettant de couvrir les besoins en entraînement, votre rapporteur sera vigilant à ce que le niveau d’activité et de préparation opérationnelle ne constitue pas une variable d’ajustement dans un contexte fortement inflationniste. En particulier, votre rapporteur sera également attentif à ce que les ressources dédiées aux grands exercices soient suffisantes et n’induisent pas d’arbitrages en défaveur de la préparation opérationnelle quotidienne des unités.

c.   Envisager une meilleure articulation entre la LPM et les exercices ORION pour mieux tenir compte de leurs conclusions

Le rythme triennal d’ORION apparaît soutenable. Il résulte de la recherche d’un point d’équilibre entre le gain opérationnel de ce type d’exercice et la soutenabilité du plan de charge des armées. Il est, en outre, compatible en matière calendaire et complémentaire avec les autres grandes échéances interalliées, notamment les exercices majeurs de l’OTAN, comme Steadfast Defender, lui aussi triennal, ou les exercices Warfighter américains réalisés tous les 4 ans.

Toutefois, à l’aune de la richesse du retour d’expérience d’ORION, votre rapporteur estime qu’il serait intéressant de travailler, dans la mesure du possible, à une meilleure articulation entre les prochains exercices de type ORION et l’examen des lois de programmation militaires, afin de permettre, notamment à la représentation nationale de tirer toutes les conséquences de leurs enseignements.

3.   Un exercice qui doit être considéré comme un premier jalon vers l’atteinte des objectifs de montée en puissance des forces terrestres

Si ORION 2023 constitue un premier jalon vers l’atteinte de l’Ambition 2027, ORION 2026 devra permettre de pallier les fragilités identifiées lors de cette première édition.

a.   ORION s’intègre dans un ensemble de rendez-vous opérationnels à venir visant à préparer l’atteinte de la division complète à deux brigades projetable sous trente jours en 2027

● ORION 2023 constitue la première édition d’une nouvelle génération d’exercice de préparation à la haute intensité, mais s’inscrit également dans le cadre d’un grand nombre d’exercices programmés à venir, interarmées et interalliés, qui constituent autant de jalons importants pour la remontée en puissance des forces terrestres.

● Conformément à son contrat opérationnel, l’armée de Terre devra notamment être capable de déployer une division à deux brigades avec ses appuis et ses soutiens sous trente jours d’ici 2027.

Pour atteindre ces jalons, la programmation des grands exercices, conduits en national, au sein de l’OTAN ou avec les États-Unis, porte son effort depuis plusieurs années sur l’entraînement du « haut de spectre » et sur la montée en gamme de la préparation opérationnelle vers une hypothèse d’engagement majeur. À partir de l’année 2021, l’armée de Terre a ainsi initié un changement d’échelle dans sa préparation opérationnelle. L’année 2022 a permis à l’armée de Terre de poursuivre son effort sur le niveau division (exercice De Lattre pour l’état-major de la première division et l’exercice Monsabert pour l’état-major de la troisième division) en mettant en œuvre ses standards opérationnels rénovés, en planifiant et en participant à des exercices multinationaux. En mars 2022, les forces terrestres ont ainsi participé à Brillant Jump 22, exercice majeur de mise en alerte de la force de réaction rapide de l’OTAN (NRF 22), sous commandement du corps de réaction rapide-France (CRR-Fr). Cet exercice majeur a été couplé à l’exercice Cold Response en Norvège, permettant de déployer près de 5 000 hommes et d’assurer une séquence d’aguerrissement « grand froid » et d’interopérabilité avec nos partenaires de l’OTAN.

L’année 2024 sera consacrée à la consolidation de la transformation SCORPION de l’armée de Terre, avec un effort porté sur les niveaux brigade et division (exercice SCORPION XIV). À cet effet, l’exercice « BIA 2023 » permettra d’entraîner une BIA Scorpion complète et tester le SIAC2, conformément à l’objectif de déployer une brigade interarmes scorpionnisée en 2023.

L’armée de Terre poursuivra également son entraînement au sein de l’OTAN et continuera à mettre à profit son engagement dans les missions opérationnelles AIGLE et LYNX pour parfaire son interopérabilité avec nos partenaires.

L’armée de Terre participera, tout d’abord, à Loyal Leda 2024, exercice de niveau corps d'armée assisté par ordinateur, qui verra la certification OTAN du CRR-FR, préparant ainsi sa prise d’alerte de la force de réaction rapide de l’OTAN en 2026-2027 et confirmant la capacité de la France à assurer le rôle de Nation cadre. Steadfast Defender 2024, prendra la forme d’un exercice en terrain libre de l’OTAN, qui verra se déployer 2 500 soldats français en Europe, permettant ainsi de travailler l’interopérabilité avec nos alliés. L’exercice Warfighter interviendra, quant à lui, en 2025 et permettra à un PC de division de jouer depuis la France, sous le commandement d’un PC de corps d’armée américain, aux côtés d’une division britannique, américaine et allemande, et ainsi de travailler sur l’interopérabilité des SIOC et des systèmes de simulation. Enfin, Dacian Spring 2025 sera l’occasion de s’entraîner à déployer une BIA dans le cadre de la mission AIGLE en Roumanie.

Votre rapporteur est convaincu de la nécessité de renforcer la dimension interarmées et interalliées des grands exercices, afin de gagner en interopérabilité et de produire un véritable signalement stratégique. Pour autant, les exercices effectués en multinational ne doivent pas se résumer à une volonté d’affichage mais chercher dans la mesure du possible à faire travailler ensemble des unités qui seront probablement engagées conjointement si le besoin se concrétisait. Aussi, selon le commandant des forces terrestres, auditionné par votre rapporteur, est-il essentiel de réfléchir à concentrer davantage les grands exercices sur nos partenaires les plus probables en cas de conflit réel et de gagner en précision en mettant en place un binômage des unités dans la durée. Des réflexions sont engagées à ce sujet au niveau otanien, à la suite du sommet de Vilnius. L’OTAN passe en effet d’une logique de posture permanente, à la génération d’une force de 300 000 hommes, fléchée, pouvant être activée dans un délai de dix à trente jours. Ce changement de paradigme va influencer les normes d’entraînement en vigueur dans les pays membres de l’Alliance. Aussi, dans le catalogue OTAN : trois à quatre exercices en M2MC sont-ils organisés chaque année, dix exercices par milieu et 300 activités diverses. Les armées françaises devront tenir compte de ce contexte dans l’organisation de leur préparation opérationnelle et, en particulier, des grands exercices. Entre l’exercice Orion 26 et l’exercice Loyal Leda (2030), le principal défi consistera à détenir les moyens nécessaires à la mise en œuvre des jalons identifiés, mais aussi à faire accepter par nos partenaires notre inscription dans leur programmation (WFX US 28, ORION 29, Loyal Leda 30).

b.   Les perspectives pour ORION 2026 : un exercice qui pourrait s’inscrire dans le cadre de l’OTAN, avec des efforts à consentir en faveur de l’intégration des soutiens et la modernisation de l’armée de Terre

Bien que les réflexions soient en encore en cours, il apparaît qu’ORION 2026 devrait poursuivre la dynamique initiée, et pourrait s’inscrire dans le cadre des exercices de l’OTAN. De plus, selon les informations fournies à votre rapporteur, ORION 26 pourrait débuter par un exercice dit « TRAMONTANE » pour évaluer la réactivité des forces, en cohérence avec les enseignements tirés lors de la MEPAT. Ces exercices étaient réalisés pendant la guerre froide et consistaient à vérifier l’aptitude des unités à s’engager rapidement en faisant le point de visu de leurs personnels, matériels, et stocks, sur le modèle de la préparation de l’unité désignée pour l’ENU mais étendu à l’ensemble de la force terrestre.

● L’exercice devrait également constituer un point d’étape important pour mesurer la montée en gamme des armées dans le cadre de la LPM 2024-2030, notamment la « scorpionisation » des forces terrestres, à l’aune de l’ambition d’un système divisionnaire à deux brigades, déployable sous 30 jours en 2027, puis en 2030 de niveau corps d’armée. Compte tenu des enseignements d’ORION 2023, votre rapporteur considère qu’il serait également souhaitable de travailler encore davantage l’intégration des soutiens à l’exercice. Cette deuxième édition devra également permettre d’éprouver les progrès réalisés en matière d’intégration des enjeux du combat M2MC. Votre rapporteur estime qu’un effort particulier devra être consenti en faveur de l’emploi des drones. En effet, leur usage est aujourd’hui limité par l’existence de réglementations, variables selon le modèle de drone concerné. ORION a ainsi révélé d’importantes disparités d’utilisation de ces appareils entre les régiments. À titre d’illustration, le survol de zones habitées est aujourd’hui interdit et le vol de drones nécessite une coordination fine en accord avec les règles d’organisation de la circulation aérienne de l’aviation civile. Lors de son intervention au grand rapport de l’armée de Terre, le CEMAT a d’ailleurs développé quatre priorités, parmi lesquelles figuraient l’emploi accru des drones, en indiquant que ces derniers devaient pouvoir voler en 2023 et en 2024, puis tirer dans les années qui suivent. Compte tenu de la place prépondérante que jouent aujourd’hui les drones dans les différents conflits en cours, en Ukraine ou bien actuellement dans le cadre du conflit israélo-palestinien, ORION 2026 devra impérativement gagner en réalisme sur ce point.

● Enfin, ORION 26 constituera également un rendez-vous essentiel pour démontrer l’aptitude des armées françaises à fédérer leurs alliés en tant que nation-cadre. Ce dernier point est un enjeu majeur puisque la France se propose d’assurer le commandement de la force de réaction rapide de l’OTAN en 2026.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   Conclusion

 

Le rapporteur pour avis sur les crédits relatifs à la préparation et à l’emploi des forces terrestres donne un avis favorable à l’adoption du projet de loi de finances pour 2024.              

 

Il tient à remercier toutes les personnes auditionnées et rencontrées au cours de ses travaux.

 

Il formule en outre les recommandations suivantes.

 

Pour préserver le niveau d’activité des forces terrestres :

 

  1. Veiller à ce que le niveau élevé de l’inflation et les efforts consentis en faveur de la Nation ukrainienne soient compensés en gestion afin de se prémunir de tout risque de renoncement sur les stocks et l’activité des forces terrestres (recommandation reconduite) ;
  2. Poursuivre la reconstitution des stocks et des parcs de matériels de l’armée de Terre, en particulier, du parc de systèmes de canons CAESAr (recommandation reconduite) ;
  3. Favoriser une logique de production plutôt qu’une logique de cessions de matériels directement prélevés sur les parcs des forces terrestres pour être en capacité d’aider les forces ukrainiennes dans la durée (recommandation reconduite) ;
  4. Mener une réflexion pour que les missions opérationnelles puissent faire l’objet d’une prise en charge dédiée, au même titre que les opérations extérieures, afin de sécuriser le budget des forces terrestres (recommandation reconduite) ;
  5. Veiller au niveau des stocks des pièces de rechange et de munitions et porter une attention particulière au « MCO de guerre » dans le cadre des travaux en cours sur l’économie de guerre (recommandation reconduite) ;
  6. Envisager la création d’une nouvelle opération dédiée à la sécurisation des Jeux olympiques et paralympiques 2024 afin de donner plus de visibilité à l’engagement des armées et permettre d’entamer les réflexions relatives à la préfiguration d’un cadre d’engagement rénové des armées sur le territoire national dans la perspective d’une redéfinition de Sentinelle après 2024 (recommandation nouvelle).

 

Pour tenir compte du retour d’expérience d’ORION :

 

  1. Poursuivre les investissements dans les domaines du soutien, du commandement et des systèmes d’information et de communication, qu’exigent le rôle de nation-cadre (recommandation reconduite) ;
  2. Renforcer nos capacités dans les domaines de la défense sol-air, des drones, des systèmes d’information et de communication, des capacités de franchissement et de la mobilité terrestre (recommandation reconduite) ;
  3. Encourager également, les efforts visant à densifier notre parc d’artillerie, en particulier longue portée, renforcer les appuis et la recherche d’une plus grande efficacité et discrétion des moyens de commandement (recommandation reconduite) ;
  4. Renforcer notre capacité à durer en recherchant l’efficacité des soutiens couplée à une plus grande profondeur logistique (recommandation reconduite) ;
  5. Poursuivre les efforts de renouvellement et de densification de la flotte de transport logistique terrestre (camions citernes, transport des munitions, etc.) et renforcer la capacité de transport logistique sous blindage, mais également d’évacuation des blessés (recommandation nouvelle) ;
  6. Favoriser la dimension interarmées et interalliées des grands exercices, afin de gagner en interopérabilité et produire un véritable signalement stratégique, tout en renforçant l’influence française au sein de l’OTAN, au service de la construction d’un véritable pilier européen de l’Alliance (recommandation nouvelle) ;
  7. Systématiser autant que possible l’intégration du retour d’expérience dès le montage des grands exercices et porter une attention particulière à son appropriation par l’ensemble des forces, tout en encourageant la réserve opérationnelle à prendre toute sa part dans la nécessaire remontée en puissance de la fonction RETEX (recommandation nouvelle) ;
  8. Investir dans les outils de simulation et faire de l’accélération du remplacement du système SOULT par TARAN une priorité, afin de mieux intégrer nos alliés et d’assurer une meilleure performance de l’entraînement, (recommandation nouvelle) ;
  9. Poursuivre parallèlement les efforts en faveur d’une augmentation quantitative et non seulement qualitative de la préparation opérationnelle (recommandation nouvelle) ;
  10. Faire porter en particulier les efforts d’ORION 2026 sur l’accroissement du réalisme de l’exercice, l’emploi des drones et l’intégration accrue des services de soutien (recommandation nouvelle).

 


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   Travaux de la commission

I.   Audition du général d’armée Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de terre

La Commission a entendu le général d’armée Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de terre, sur le projet de loi de finances pour 2024 (n° 1680), au cours de sa réunion du 11 octobre 2023.

 

Le compte rendu de cette audition est disponible sur le site internet de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

https://assnat.fr/ojiNb5

 


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II.   Examen des crédits

La commission a examiné, pour avis, sur le rapport de M. François Cormier-Bouligeon, les crédits relatifs à la « Préparation et l’emploi des forces : forces terrestres » de la mission « Défense », pour 2024, au cours de sa réunion du 25 octobre 2023.

M. le président Thomas Gassilloud. L’ordre du jour appelle l’examen des crédits de la mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation, de la mission Défense et du programme Gendarmerie nationale de la mission Sécurités.

En ce qui concerne la mission Défense, je rappelle que celle-ci comporte quatre programmes, dont l’un, le programme 178, Préparation et emploi des forces, correspond à une nomenclature budgétaire interarmées mais fait en plus, en ce qui nous concerne, l’objet de trois avis – forces terrestres, marine et air – pour nous permettre d’en assurer un suivi précis.

Nous allons entendre ce matin nos rapporteurs pour avis et continuerons cet après-midi avec les interventions des orateurs de groupe, puis l’examen des amendements et le vote des missions.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Le PLF 2024, qui est le premier budget de la LPM 2024 – 2030, est, comme les précédents, conforme à la programmation.

Le budget de la défense, qui était de 32,3 milliards en 2017, s’élèvera en 2024 à 47,2 milliards d’euros, franchissant la marche de 3,3 milliards d’augmentation par rapport au budget 2023, dont 310 millions supplémentaires en CP pour l’armée de terre, soit une augmentation de 16 %. Le montant du budget opérationnel des forces terrestres est ainsi porté à 2,19 milliards en CP, afin de financer le renforcement de leur cohérence, tout en permettant d’accompagner leur transformation.

Ce budget est d’abord placé sous le signe de la cohérence, conformément aux orientations de la LPM. L’une des dimensions essentielles de cette cohérence réside dans le niveau de préparation opérationnelle de nos armées. L’augmentation des crédits du BOP Terre sera mise à profit grâce à un effort important réalisé au bénéfice de l’entretien programmé des matériels (EPM), avec une hausse significative de 19 %.La hausse des crédits dédiés à l’EPM contribuera à améliorer le niveau de disponibilité des matériels et permettra de maintenir le niveau d’activité des forces terrestres. Cette augmentation bénéficiera principalement à la poursuite des opérations de modernisation du véhicule blindé léger (VBL) dans sa version Ultima, à la pérennisation du char Leclerc et à la notification de nouveaux marchés de maintien en condition opérationnelle (MCO), notamment celui de l’hélicoptère Tigre. De plus, au-delà de l’augmentation des crédits, la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT) a entamé une démarche visant à améliorer la performance du MCO grâce à un plan d’optimisation des dépenses, à travers notamment à la renégociation des contrats – recommandée dans mon précédent rapport – pour y inclure davantage d’exigences en matière de stocks de pièces de rechange

Sur le plan capacitaire, le recadencement des cibles du programme Scorpion ne remet pas en cause l’accomplissement du contrat opérationnel des forces terrestres. Le PLF 2024 permet de poursuivre la modernisation engagée. Ainsi, 25 % de la cible Scorpion devrait être atteinte fin 2023 et 36 % en 2024. En 2024, quarante-cinq Jaguar, 253 Griffon et quatre-vingt-dix-sept Serval supplémentaires seront commandés ; quand 138 Griffon, 103 Serval et trente-trois Jaguar, ainsi que les huit premiers véhicules blindés mortiers embarqués pour l’appui au contact (Mepac) seront réceptionnés.

Le budget relatif aux équipements d’accompagnement et de cohérence (EAC) s’établit à 261 millions, soit une hausse de 7 %. Ces crédits permettront de couvrir les besoins en entraînement des forces terrestres et d’entamer la remontée de certains stocks critiques, en priorité ceux des obus de 155 mm et des mortiers de 120 mm, lesquels feront l’objet de deux marchés-cadres d’acquisition, ce que nos industriels apprécient. Par ailleurs, les crédits d’infrastructures enregistrent une forte augmentation de 41 %, qui permet de poursuivre l’adaptation des infrastructures de préparation opérationnelle et de préparer l’arrivée des nouveaux équipements.

Si le PLF 2024 contient de nombreuses améliorations permettant à l’armée de terre de poursuivre sa remontée en puissance, les forces terrestres feront face à deux défis principaux en 2024 : le défi humain et celui de la préservation du niveau d’activité opérationnelle.

D’une part, l’armée de terre rencontre des difficultés de recrutement, qui nécessitent que nous soyons attentifs à la fidélisation de nos militaires, dans un contexte marqué par la réorganisation profonde des forces terrestres. Les efforts spécifiques annoncés par le chef d’état-major de l’armée de terre (Cemat), combinés à ceux du ministère et aux mesures de revalorisation indiciaire ciblées, doivent constituer autant de priorités pour fidéliser davantage de militaires.

D’autre part, l’engagement opérationnel demeure soutenu. Il suscite des défis accrus pour les militaires en matière de conciliation avec leur vie personnelle et familiale, et pourrait diminuer le temps disponible pour l’entraînement. L’année 2024 sera notamment marquée par un engagement important sur le territoire national lors des JOP 2024. Aussi, l’armée de terre doit-elle maintenir ses efforts pour atteindre les normes d’entraînement fixées par la LPM. Compte tenu de la forte inflation et de la prolongation dans la durée des efforts fournis en faveur de l’Ukraine, je demeurerai vigilant, comme l’année dernière, à la préservation, en gestion et dans les prochains exercices, du niveau d’activité des forces terrestres.

Avant de terminer mon propos relatif au budget, je voulais souligner que cette année, dans le contexte de durcissement des menaces internationales, la décision a été prise de placer sous la mention diffusion restreinte les données relatives à la disponibilité des matériels et à l’atteinte des normes d’entraînement Otan sur matériels majeurs. Si je partage – je ne suis pas le seul – la position du Gouvernement, qui a considéré que la publication de ces données est susceptible de fragiliser nos armées, je demeure attaché au bon exercice de la mission parlementaire de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques, conformément à l’article 24 de la Constitution.

Je propose donc la création d’une instance au sein de laquelle la disponibilité opérationnelle des matériels et l’atteinte des normes d’entraînement puissent être débattues. Elle pourrait prendre la forme d’un comité restreint, constitué des membres du bureau de la commission de la défense nationale et des forces armées ainsi que des rapporteurs budgétaires, habilités secret-défense ès qualités, ce qui leur conférerait le droit de connaître ces sujets mais également le devoir de protéger les informations partagées auxquelles ils auraient accès. Cette année, 32 % des réponses à mon questionnaire budgétaire reçues à la date du 10 octobre étaient placées en diffusion restreinte. Une réflexion pourrait également être menée sur la proportion élevée des réponses qui ne peut être utilisée, afin que les rapporteurs budgétaires disposent des informations nécessaires à leurs travaux, tout en protégeant les informations qui doivent l’être.

J’en viens à la partie thématique de mon rapport, que j’ai choisi de consacrer à l’appropriation par les forces terrestres du retour d’expérience (Retex) de l’exercice Orion, auquel plusieurs d’entre nous ont participé aux côtés de nos militaires.

Cet exercice, qui a duré de février à mai 2023, a constitué un rendez-vous majeur pour nos armées. Première étape d’une nouvelle génération d’exercices, il participe d’un véritable changement d’échelle en matière de préparation opérationnelle. L’objectif était d’entraîner les armées françaises dans un cadre interarmées et multinational, selon un scénario réaliste et exigeant tenant compte des différents milieux et champs de conflictualité.

Orion a constitué un exercice inédit, dans son processus de planification, qui a nécessité une expertise de haut niveau, et sur le terrain, en raison de la complexité et de la diversité des manœuvres conduites, ainsi que des capacités de soutien mobilisées. Il ressort de mes travaux que le nombre de forces engagées, la durée de l’exercice ainsi que sa dimension multimilieux et multichamps ont été de véritables défis, que nos armées ont su relever. Pour y avoir participé à deux reprises, je puis dire que l’exercice est réussi.

Orion est un jalon important de la montée en puissance de l’armée de terre vers la préparation à la haute intensité. Il confirme la pertinence du modèle d’armée complet. Même si celui-ci manque d’épaisseur à certains égards, il constitue un socle solide pour la remontée en puissance des savoir-faire du combat de haute intensité, au moyen d’une préparation opérationnelle durcie, dont l’exercice ORION 2023 ne constitue qu’un premier jalon.

Les cinq principaux points d’attention du Retex confirment les grandes orientations de la transformation de l’armée de terre et constituent autant d’axes de progression.

Il faut renforcer l’entraînement du commandement, notamment au niveau corps d’armée, et la furtivité des postes de commandement (PC).

L’exercice a confirmé nos besoins capacitaires pour produire des effets dans la profondeur, s’agissant notamment de l’artillerie, des feux dans la profondeur, de la défense sol-air, des capacités en matière de drones et des munitions télé-opérées.

Il faut renforcer l’épaisseur logistique des forces terrestres en matière de dimensionnement des services de soutien, des appuis, ainsi que de niveau des stocks de munitions et de pièces de rechange. Il y va de la crédibilité de nos armées. Pour assurer le rôle de nation-cadre, la France doit être capable de fournir les appuis de niveau corps d’armée et division, ainsi que les soutiens nécessaires à l’intégration des nations alliées.

Il faut relever le défi de la performance et de l’interopérabilité des systèmes d’information opérationnels et de commandement.

Il faut relever le défi du réalisme de l’exercice et des outils de simulation.

Ces points d’attention ont été dans l’ensemble bien anticipés dans le cadre de la LPM. Ils confirment les orientations prises dans le cadre de la transformation des forces terrestres, au premier rang desquels l’accroissement du réalisme de la préparation opérationnelle, grâce notamment à la régionalisation des divisions, la création de nouveaux commandements et d’unités intégrant nativement les exigences du combat multi-milieux et multi-champs, et l’autonomisation accrue à l’échelon des brigades.

Ainsi, j’émets un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission.

M. Lionel Royer-Perreaut (RE). Lors de l’audition du Cemat, nous avons appris que 2 000 postes ne sont pas pourvus au sein de l’armée de terre, ce qui pose la question de l’attractivité de la filière, même si elle se pose pour la fonction publique en général. Quelles initiatives l’armée de terre a-t-elle prises pour rendre le métier plus attractif et fidéliser les militaires, dès lors que certains engagements ne vont pas à leur terme ?

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. L’an passé, nous étions relativement optimistes sur ce point, même si une inquiétude commençait à poindre. Cette année, elle se confirme.

La cible de recrutement de l’armée de terre est d’environ 15 000 recrues. Pour la première année, nous nous attendons à un déficit d’environ 2 000 militaires.

Je partage l’opinion du Cemat, qui attribue ce phénomène à des causes conjoncturelles telles que la concurrence du secteur privé – nous savons que les entreprises de nos circonscriptions ont des métiers en tension –, le contexte de plein-emploi vers lequel nous nous dirigeons et un marché du travail dynamique et les conséquences de la crise du covid, d’une part, et, d’autre part, à des difficultés structurelles telles que la baisse du nombre de jeunes aptes au service, notamment du fait de l’aptitude médicale et des évolutions sociétales affirmées dans le rapport au travail.

Le Cemat met en œuvre une stratégie de communication adaptée. Le processus de recrutement fait l’objet d’une attention redoublée, grâce à une augmentation du nombre de recruteurs et à la création de cellules d’aide au recrutement. Il a également annoncé que certains critères d’aptitude physique et de santé seraient revus, dans le sens d’une plus grande adaptation aux besoins de l’emploi visé.

Par ailleurs, un effort est consenti en faveur des armées, dont les crédits de masse salariale augmentent de plus d’un demi-milliard dans le PLF 2024. Certes, ce n’est jamais assez, et l’un de nos collègues vient d’essayer de démontrer que plus égale moins, mais les faits sont là.

Les mesures dites Guerini prévoient 377 millions d’euros au bénéfice de nos militaires. Un effort indemnitaire sera fourni à travers la première année de mise en œuvre complète de la NPRM. Le ministre des armées a indiqué qu’il consentira à une revalorisation des grilles indiciaires. Après avoir porté sur les catégories des militaires du rang et des sous-officiers dits subalternes au deuxième semestre 2023, cet effort indiciaire sera ciblé en 2024 sur les sous-officiers supérieurs, à hauteur de 46 millions en année pleine. À titre d’exemple, selon les informations qui m’ont été fournies, un adjudant de l’armée de terre recevra 180 euros supplémentaires par mois. Citons aussi le plan « famille ».

Plus généralement, nous devons promouvoir les dispositifs d’engagement auprès de notre jeunesse. Par-delà la question salariale, dont nul ne nie l’importance, la question du sens se pose. Entrer dans nos armées, c’est exprimer la volonté d’effectuer une mission spécifique au service de la nation, notamment dans le contexte durci des conflits internationaux.

M. Vincent Bru (Dem). S’agissant des stocks de munitions, la LPM a prévu 20 % de crédits supplémentaires, tirant les leçons du conflit en Ukraine. Nos stocks ont diminué en raison des livraisons à l’Ukraine, qui devrait désormais acheter des munitions directement auprès de notre BITD.

Pour reconstituer le stock, l’économie de guerre doit permettre d’accélérer la production des armes. Tel est déjà le cas pour le char Leclerc, dont le délai de production est passé de trente à quinze mois, et de Nexter, qui produit désormais six canons Caesar par mois. Qu’en est-il de l’accélération de la production de nos munitions, notamment des obus de 155 mm ?

Certaines unités des forces terrestres se sont plaintes de ne pas avoir suffisamment de munitions d’entraînement. Si certains régiments, tels que le 1er régiment de parachutistes d’infanterie de marine (RPIMa) de Bayonne, sont bien dotés, d’autres disent en manquer. En 2024, les forces terrestres disposeront-elles enfin de munitions en nombre suffisant ? La préparation opérationnelle de nos armées est essentielle.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. La question des munitions a été largement prise en compte dans la LPM et dans le projet de loi de finances pour 2024. Sur la période de programmation, 16 milliards d’euros ont été programmés, dont 2,6 milliards dédiés aux munitions de l’armée de terre et 1,6 milliard aux munitions non complexes. Cela représente plus de 16 millions de munitions de petit calibre, 300 000 obus de mortier, 3 000 missiles de moyenne portée et 2 000 munitions télé-opérées.

Pour l’armée de terre, les crédits d’équipementd’accompagnement et de cohérence s’établissent à 261 millions en crédits de paiement, soit une hausse de 7 %. Ces 17 millions d’euros supplémentaires serviront à l’acquisition de munitions supplémentaires, pour répondre aux besoins de la haute intensité.

L’année 2023 a été marquée par la livraison de missiles de moyenne portée Mistral et MICA, d’obus de 155 mm, de corps de bombes, de kits de guidage et de munitions de petit calibre. Nous avons entériné la relocalisation de la production de poudre à Bergerac. Les crédits pour 2024 permettront l’acquisition de missiles Hellfire pour l’hélicoptère Tigre, ainsi que de leurres, d’obus de tous calibres et de munitions de petit calibre.

S’agissant du canon Caesar, Nexter a fait porter un effort particulier sur sa production. La cadence de production passe de deux à six par mois, et les délais de livraison de trente à quinze mois. S’agissant des munitions, la capacité de production des sites de La Chapelle-Saint-Ursin, près de Bourges, et des sites italiens augmentera sensiblement. L’objectif est d’augmenter la production d’obus de moitié en 2024 et de les doubler d’ici à 2025. Les capacités de production sont actuellement de 60 000 obus de gros calibre par an. Pour ce faire, l’usine de La Chapelle-Saint-Ursin tourne à plein régime, en trois-huit. Certains détails laissent toutefois planer une petite incertitude, que l’industriel essaie de régler.

Les munitions d’entraînement sont un point d’attention particulier. La création de vingt-et-une sections de mortier de 120 mm dans l’infanterie, dans le cadre de la transformation de l’armée de terre, et l’arrivée du Mepac dans l’artillerie nécessiteront un important effort d’acquisition. Par ailleurs, les possibilités d’entraînement demeurent trop limitées sur certaines munitions complexes et coûteuses, telles que le missile moyenne portée (MMP). Ce constat, qui s’inscrit dans la nécessité d’assurer l’équilibre entre masse et technologie, constitue un argument supplémentaire à l’appui de la démarche de panachage de munitions lancée dans le cadre de la LPM.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Dans le cadre de la commission mixte paritaire (CMP) sur la LPM, notre groupe a plaidé en faveur de l’augmentation des marges budgétaires pour cette année de 3 à 3,3 milliards. Nous avons notamment mis en avant l’impératif de cohérence, qui exige le maintien du niveau d’entraînement et le respect des normes d’entraînement. Constatez-vous d’ores et déjà une amélioration sur ce point ?

Par ailleurs, je partage totalement votre analyse sur la nécessité de fonctionner en comité restreint sous le régime du secret-défense : la France l’a fait de 1914 à 1918, ce qui a permis au généralissime de venir régulièrement devant la commission de la défense. Les parlementaires ne respectant pas l’impératif du secret ont été renvoyés en correctionnelle, comme en témoignent les affaires Caillaux-Malvy et Bolo Pacha.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Sans entrer dans le détail, je confirme que nous constatons un maintien et une légère amélioration, même si tout dépend des catégories de matériels. Je n’ai pas d’alarmes au sujet de l’entraînement, notamment en raison des moyens dont nous avons doté notre armée de terre dans la LPM. Un comité restreint permettrait d’entrer dans le détail.

M. le président Thomas Gassilloud. Auparavant, les indicateurs budgétaires étaient communiqués au président de la commission, qui est habilité. Nous avons obtenu que les rapporteurs y accèdent, en ayant la possibilité d’évoquer les grandes tendances dans leurs rapports budgétaires, sans dévoiler des chiffres précis.

M. Christophe Blanchet (Dem). Comment l’armée de terre sera-t-elle mobilisée dans le cadre des JOP ? Combien de réservistes seront mobilisés ? Quelles en seront les conséquences sur les autres opérations ?

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Il n’est pas anormal que l’armée de terre soit mise à contribution pour la sécurisation des JOP 2024, qui sont un événement de portée mondiale présentant un risque au regard de la dégradation du contexte sécuritaire. Nous devons tout faire pour sécuriser nos concitoyens, les athlètes de toutes les nations et les spectateurs venus du monde entier. Les besoins sont estimés entre 10 000 et 15 000 personnels de l’armée. Si nécessaire, cet effectif sera porté à 20 000 militaires, comme l’a indiqué le Cemat en audition.

Les forces terrestres devront intervenir en priorité en appui des forces de sécurité intérieure, en mobilisant certaines capacités spécialisées – brigade cynophile, lutte anti-drone, défense nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC). Il s’agit de compétences spécifiques allant au-delà de la lutte antiterroriste, non d’une simple amplification de l’opération Sentinelle.

Il faudra veiller à ce que cette mobilisation demeure soutenable pour l’activité des forces terrestres et n’affecte pas trop le temps consacré à la préparation opérationnelle. Il faudra tenir compte du Retex de cet engagement dans la perspective d’une redéfinition de Sentinelle après 2024.

Mme Valérie Bazin-Malgras (LR). Concernant l’exercice Orion, devons-nous faire évoluer la loi pour que les armées puissent demander la réquisition du matériel et des locaux appartenant aux communes pour effectuer les exercices militaires ? Cela permettrait d’améliorer les conditions de travail de nos militaires sur le terrain.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Chère collègue, nous avons l’un et l’autre fait l’expérience d’un lit picot dans un camion bâché lors de notre participation à l’exercice Orion. Nous étions toutefois mieux logés que nos soldats, qui ont dû dormir sur un parking à même le sol, parce que le maire de la commune de l’Est de la France où nous étions avait refusé l’accès à la salle des fêtes. Il était le seul de la région dans ce cas, ce qui doit nous donner de l’espoir. Nous n’allons pas rédiger une loi pour traiter de tels comportements, regrettables mais isolés.

Toutefois, l’amélioration de l’esprit d’engagement et du lien armée-nation demeure à l’ordre du jour. Dans le cadre de l’exercice Orion, nous avons dressé la cartographie des communes ayant autorisé l’accès à leur territoire pour faire passer les militaires et celles qui l’avaient refusé. Comment peut-on ne pas être en solidarité avec nos armées, qui s’entraînent dans le contexte que nous connaissons – lors de l’exercice Orion, le conflit en Ukraine durait depuis un an ? Nous devons sensibiliser les maires.

M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Quel sera, en 2024, l’état d’avancement du programme TITAN de renouvellement intégral des blindés lourds de l’armée de terre, qui porte notamment sur les véhicules blindés de combat d’infanterie (VBCI) ? Un plan national de chars de combat est à l’étude. Le tuilage du programme de char Leclerc rénové (XLR) et du système principal de combat terrestre (MGCS) est-il bien engagé ?

Mme Isabelle Santiago (SOC). Les crédits dédiés aux programmes de coopération européens, nombreux dans l’armée de terre, présentent une petite faiblesse. Quelle est votre analyse sur ce point ? Par ailleurs, la transition énergétique – j’ai cosigné un rapport avec Jean-Marie Fiévet sur cette question – est-elle prise en compte dans les crédits ?

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Sur la question environnementale, le Cemat a été assez complet en audition.

Concernant le char Leclerc, les travaux de rénovation et de pérennisation doivent lui permettre d’exercer son activité au moins jusqu’en 2040. La difficulté est la motorisation, qui pose un véritable défi industriel, sur lequel nous travaillons.

Le MGCS suscite des interrogations, que nous pouvons partager. Avec un optimisme maîtrisé, je relève des avancées, notamment la signature du document sur l’expression des besoins par les chefs d’état-major allemand et français, ainsi que la signature d’une feuille de route par Sébastien Lecornu et par son homologue allemand Boris Pistorius. Le chef d’état-major de l’armée de terre a clairement indiqué qu’il souhaite franchir ce cap technologique, de préférence à un programme de char Leclerc amélioré, ce qui s’impose pour avoir un véritable char du futur – la même observation vaut pour le système de combat aérien du futur (SCAF).

S’agissant de la construction de la BITD européenne (BITDE), je suis prudent mais volontariste. L’entreprise franco-allemande KNDS a été créée pour aller dans cette direction, mais Rheinmetall agit de son côté. Toutefois, il n’y a pas de quoi renoncer. Si cette coopération n’aboutit pas, devrons-nous, compte tenu du fait que Nexter participe aux travaux préparatoires, renforcer notre souveraineté en optant pour un char français, quitte à l’adapter aux besoins d’autres pays pour l’exporter un peu mieux que le char Leclerc ? Devrons-nous au contraire aller vers une répartition à l’échelle européenne, chaque pays ayant son point fort – char du futur ou avion du futur – pour rationaliser les coûts ? À titre personnel, je préfère la souveraineté nationale.

M. Mounir Belhamiti (RE). Pouvez-vous rassurer la commission au sujet du programme Scorpion, dont le redéploiement prévu par la LPM a forcément un impact sur l’outil industriel ? Les chefs d’état-major ont-ils confirmé en audition que ce redéploiement sera sans conséquence sur le contrat opérationnel et les opérations des armées ?

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Le recadencement n’est pas un renoncement. Nous continuons la « scorpionisation » de notre armée de terre. La cible est à 25 % en 2023 et à 36 % en 2024. Nous aurons à la fin de cette année 575 Griffon, 189 Serval, 60 Jaguar, et, à l’horizon 2030, 1 345 Griffon, 1 405 Serval et 200 Jaguar. L’accomplissement du contrat opérationnel des armées n’est pas remis en cause et le format cible est préservé, d’autant que les nouveaux équipements sont plus performants que ceux qu’ils remplacent.

Surtout, ce recadencement permet de continuer la « scorpionisation » tout en renforçant le soutien sans lequel elle n’a pas de sens. Nous continuerons à travailler sur les enjeux de soutien et de logistique, sans lesquels – c’est l’un des apports du Retex de la guerre en Ukraine – nos grands équipements sont inopérants.

 

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La commission en vient maintenant aux interventions des représentants des groupes politiques

 

M. le président Thomas Gassilloud. Mes chers collègues, après la présentation ce matin des avis budgétaires de nos huit rapporteurs, l’ordre du jour appelle cet après-midi l’examen des missions Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation et Défense ainsi que du programme 152 Gendarmerie nationale de la mission Sécurités.

Mais avant de passer à l’examen des amendements et au vote sur chacune de ces missions, nous allons écouter les orateurs des groupes.

M. Jean-Michel Jacques (RE). Pour la septième année consécutive, le budget de la défense est en augmentation.

En 2024, il s’élèvera à 47,2 milliards d’euros, conformément à la trajectoire adoptée dans le cadre de la loi du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense, dite LPM 2024-2030. Il est supérieur de 14,9 milliards au budget de 2017 et de 3,3 milliards à celui de l’an dernier. La volonté du Président de la République, chef des armées, ainsi que celles du Gouvernement et du Parlement ont permis cette remontée en puissance significative.

Concrètement, l’impulsion donnée en 2017 a permis d’engager une modernisation capacitaire appréciée sur le terrain. Elle a eu un impact positif sur le quotidien des militaires. Nous avons désormais un socle solide et cohérent.

Après le temps de la réparation de nos armées vient celui de la transformation. Objectivement, le budget 2024 suit le cap que nous nous sommes fixé.

Tout d’abord, il poursuit les efforts de modernisation. Il permet de renouveler et d’entretenir nos équipements, grâce à 13,6 milliards de commandes pour les programmes à effets majeurs (PEM) hors dissuasion et à 5,7 milliards pour le maintien en condition opérationnelle (MCO) et d’importantes livraisons. En plus de satisfaire un besoin essentiel de nos armées, cela permet de soutenir notre tissu économique et d’ancrer progressivement notre industrie de défense dans une logique d’économie de guerre.

Ce budget garantit d’autres investissements participant au renforcement de notre autonomie stratégique, dans notre dissuasion nucléaire, pour rester crédibles, et dans des domaines hautement stratégiques tels que le spatial, les fonds marins, le cyber, le renseignement, les sphères informationnelles et l’innovation, afin de donner à nos armées des capacités de renseignement, d’analyse et d’action dans les champs hybrides, matériels et immatériels.

Par ailleurs, le budget 2024 profitera directement au quotidien des militaires, grâce notamment aux moyens mis en œuvre pour parfaire l’équipement du combattant et sa préparation opérationnelle, pour renforcer le plan « famille » à hauteur de 70 millions d’euros et pour améliorer la politique salariale.

Concernant la mission Anciens combattants, mémoire et lien avec la nation, l’attention que nous portons au monde combattant ne faiblit pas. La nation sait ce qu’elle doit à ses combattants. Sans surprise, les droits acquis par nos anciens combattants seront maintenus en 2024.

Il en ira de même des moyens alloués à la politique de mémoire. Ce budget de 1,8 milliard est dû au fait que 2024 sera une année importante pour la transmission de notre mémoire nationale, par le biais notamment du cycle de commémoration des 80 ans des débarquements et de la Libération, pour la mise en œuvre du plan Blessés 2023-2027 d’accompagnement des blessés et de leurs familles, ainsi que pour le renforcement du lien nation-armée et armée-jeunesse.

La mission Gendarmerie nationale bénéficie de 6,3 milliards dans le projet de loi de finances pour 2024, afin de continuer à assurer au quotidien la sécurité de nos territoires. Nous nous réjouissons de la création de 238 brigades de gendarmerie, dont deux seront dans ma circonscription, à Guidel et Bubry. Si nos gendarmes sont rattachés depuis une quinzaine d’années au ministère de l’intérieur, ils conservent toute leurs militarité, qui est importante pour notre République.

Ce qui est certain et dont nous devons continuer à nous porter garants, c’est que la nation n’oublie jamais ceux qui se sont engagés pour sa défense. N’oublions jamais ces femmes et ces hommes que leur engagement amène parfois, sur ordre, à donner la mort ou à aller jusqu’au sacrifice suprême.

En responsabilité et avec confiance, le groupe Renaissance votera ces trois budgets.

Mme Caroline Colombier (RN). Les auditions menées dans le cadre de l’examen pour avis du projet de loi de finances pour 2024 ont fait émerger un constat unanime : le monde est de plus en plus dangereux et il est marqué par le retour de la logique de confrontation. Nous avons donc la responsabilité d’adapter la dimension de notre outil de défense aux conflictualités que notre pays connaîtra. Même si cela n’est pas une fatalité, la trajectoire mondiale amènera probablement notre pays à s’impliquer dans des conflits qui ne seront plus choisis, mais subis.

L’adaptation aux défis et le dimensionnement de nos armées exigent l’exécution fidèle de la LPM 2024-2030. Le projet de loi de finances pour 2024 traduit les efforts demandés sur sa première marche, ce que nous saluons. Nos soldats, marins et aviateurs attendent beaucoup de nos travaux, dont nous espérons qu’ils ne seront pas parasités, en séance publique, par un énième 49.3. Si tel était le cas, nous comptons sur la présidence de cette commission pour y intégrer les amendements des oppositions, qui révèlent les points morts du budget à venir.

Car des points morts et des points de friction, il en existe.

Nous reparlerons des crédits alloués à certains projets de coopération internationaux, tels que le système de combat aérien du futur (SCAF) et le système principal de combat terrestre (MGCS), dont nous sommes convaincus qu’ils sont voués à l’échec diplomatique et industriel. Il serait salutaire d’y mettre fin au plus vite. L’aveuglement idéologique dont procèdent ces projets peut coûter cher au modèle d’armée que nous devons ériger au profit de la France et des Français. Dans ces grands projets, la priorité est de faire confiance à nos industriels, qui sont capables de miracles et contribuent, eux, à la défense active de notre souveraineté.

Nos amendements tenteront de révéler et de remédier à des manques capacitaires cruciaux. Ils viseront notamment à relancer la filière de munitions de petit calibre, ce qui semble ne trouver aucun écho au sein de la représentation nationale alors même qu’il s’agit d’un sujet essentiel, à sortir de la logique de flux tendus par la reconstitution de stocks stratégiques, à renouer avec une logique de masse, à faire remonter en puissance le service de santé des armées (SSA), à intégrer le drone volant à moyenne altitude et de longue endurance (MALE) Aarok dans nos programmes, à augmenter la rémunération des militaires, à étoffer les services de MCO pour éviter de recourir à l’externalisation, à acquérir un A400M supplémentaire, à rénover les infrastructures de défense – bref à donner à nos armées les outils pour qu’elles soient prêtes dès ce soir, pour reprendre le mot du chef d’état-major de l’armée de terre (CEMAT).

En responsabilité, nous voterons les crédits de la mission Défense, en cohérence avec notre vote sur la LPM 2024-2030, même si nous déplorons certains points morts.

S’agissant de la mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation, nous espérons qu’elle donnera lieu à la revalorisation du point de la pension militaire d’invalidité (PMI), afin de réparer une injustice notoire des budgets successifs. Les hommes et les femmes qui ont tout sacrifié pour notre pays méritent la reconnaissance de la nation. Alors même qu’ils ont combattu pour la France, ils subissent de plein fouet la vague d’inflation.

À l’unisson des associations que nous avons reçues, nous dénonçons la très faible revalorisation de la PMI, à hauteur de 1,5 %, prévue par le Gouvernement dans le budget 2024, alors même que l’inflation était de 5,2 % en 2022. Un amendement de notre groupe prévoit une revalorisation à hauteur de 5,2 %. S’il n’est pas intégré au budget, nous nous abstiendrons.

Sur les crédits du programme Gendarmerie nationale, nous nous abstiendrons également. Nous jugeons, comme les Français, que l’augmentation du budget et les récentes annonces de création de brigades ne sont pas à la hauteur des enjeux. Les émeutes de cet été nous inquiètent au plus haut point, d’autant qu’elles ont touché de plein fouet des petites communes habituellement calmes.

L’augmentation prévue ne suffit pas. Ces efforts sont insuffisants face à l’explosion de la délinquance, de l’immigration incontrôlée et de la prolifération de la drogue partout, même dans les campagnes. Toutefois, pour éviter de paralyser les moyens alloués à la gendarmerie nationale, nous nous abstiendrons.

La guerre n’est plus une hypothèse théorique. Elle constitue désormais un risque avéré. La France doit être indépendante, forte et souveraine dans ses équipements, dans sa doctrine d’emploi et dans sa vision stratégique.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). « La guerre est le domaine de l’incertitude », disait Clausewitz. L’enjeu est de réduire l’incertitude pour accroître ses chances de victoire.

Le budget de la défense que nous avons devant nous est un colosse par son montant et par son contenu. Il l’est plus encore par comparaison avec les précédents budgets qui, au nom de l’austérité et de la rationalité comptable, ont continuellement limé le glaive et émoussé le bouclier de la République.

En dépit de ce déversement de fonds et de mesures, nous devons nous demander si ce budget est à la hauteur des enjeux. Permet-il de dissiper la brume de l’incertitude qui règne sur le champ de bataille ? Au groupe de La France insoumise, nous pensons que non. Ce budget est un colosse aux pieds d’argile.

Le budget 2024 de la défense s’élève, hors pensions, à 47,2 milliards. Il respecte l’augmentation de 3,3 milliards prévus par la LPM 2024-2030. Les budgets de tous les programmes sont en augmentation. C’est un fait.

Toutefois, les prévisions d’inflation y sont minorées. Tous les responsables de programme que nous avons eu l’occasion d’auditionner témoignent de leur crainte que leur budget soit absorbé par l’inflation, dont certains redoutent qu’elle atteigne 10 %. Nous avons déposé des amendements visant à mieux tenir compte de l’inflation et à créer un nouvel indicateur pour recenser et mieux anticiper les reports de commandes qu’elle induit.

Ce budget souffre d’un manque de transparence. Les indicateurs de disponibilité des matériels et d’activité des forces armées font désormais l’objet d’une diffusion restreinte. Dès lors, la représentation nationale est en partie privée de ses outils pour contrôler l’action du Gouvernement, ce que nous déplorons. La contribution de la France à l’OTAN, quant à elle, n’est même pas présentée visiblement dans le projet annuel de performance (PAP), comme l’a relevé la Cour des comptes dans un récent avis.

Outre un manque de transparence, nous relevons un manque d’anticipation. La contribution au budget de l’OTAN pourrait s’élever à 830 millions d’euros en 2030, alors même que la France ne cesse de contribuer en nature au fonctionnement de l’Alliance, notamment par le biais de sa participation aux opérations de renforcement du flanc est de l’OTAN.

Comment cette contribution est-elle valorisée ? Quel financement de l’OTAN voulons-nous obtenir ? Avons-nous seulement une stratégie au sein de cette alliance qui n’a plus lieu d’être ou suivons-nous les États-Unis ? En l’absence de vision claire du Gouvernement sur ce point, nous avons déposé un amendement visant à obtenir un rapport sur la stratégie d’influence de la France au sein de l’OTAN.

Nous déplorons le manque de vision globale sur le long terme dont fait preuve le budget 2024, qui prévoit une stratégie « Climat et défense » mais n’explicite rien de concret, concernant notamment l’après-pétrole. Nous dressons malheureusement le même constat dans le domaine de l’espace, dont certains défis, tels que la météo spatiale et les débris spatiaux, sont oubliés.

En outre, ce budget persiste dans les errements de la coopération franco-allemande sur le SCAF et le MGCS, dont l’avenir reste plus qu’incertain. En misant tout sur le MGCS, la France s’expose à un risque sérieux de dépendance industrielle vis-à-vis de l’Allemagne et d’inadaptation de ses armées si elles étaient amenées à participer à un conflit majeur avant les années 2040-2045. Il est indispensable de développer une capacité souveraine telle que le char EMBT.

Faute de vision à long terme, ce budget ne permet pas de sécuriser l’appareil productif français dans des secteurs stratégiques tels que les supercalculateurs – l’entreprise Atos sera-t-elle sauvée ? – et la maîtrise des fonds marins, pour laquelle nous dépendons de l’entreprise Alcatel Submarine Networks (ASN). En refusant d’agir maintenant, la France risque de perdre pied et de rater la marche de la guerre de demain.

La mission Défense du projet de loi de finances pour 2024 soulève une question centrale, d’ordre à la fois démocratique et budgétaire, concernant la qualification juridique et le financement des missions opérationnelles, notamment les missions Aigle, en Roumanie, et Lynx, en Estonie. Ces missions remplissent tous les critères d’une opération extérieure (Opex). Les militaires qui y sont engagés bénéficient de presque toutes les dispositions applicables aux Opex, sauf de la bonification des pensions, ce qui n’est pas rien.

Pourtant, elles sont considérées non comme des Opex, mais comme des missions opérationnelles. Leurs dépenses de ressources humaines sont affectées au budget opérationnel de programme (BOP) Opex, ce qui apparaît comme un abus ; les autres dépenses sont financées directement par les armées. Elles pourraient – peuvent – bénéficier d’un financement interministériel inscrit au collectif budgétaire de fin d’année.

Outre le contournement démocratique évident du Parlement qu’elle constitue, cette situation provoque des tensions en gestion sur le programme 178 de la mission Défense. Nous avons déposé des amendements visant à assurer le financement des opérations Aigle et Lynx dans le cadre des Opex. Il s’agit d’assurer la sécurisation budgétaire des armées et de rendre sa place au Parlement, qui doit se prononcer sur leur opportunité.

Concernant la mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation, nous défendrons des amendements visant à améliorer la prise en charge des blessés psychiques et à étendre la reconnaissance des souffrances endurées par les orphelins victimes de barbarie durant la Deuxième Guerre mondiale et par les orphelins de parents incorporés de force et exécutés.

L’argent est le nerf de la guerre, nous en convenons, mais la stratégie en est le cœur. Sans stratégie cohérente ni vision globale, l’apport financier est vain. Ce budget, si imposant soit-il, ne permet pas à la France de dissiper le brouillard de l’incertitude. Nous voterons contre.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Le monde incertain dans lequel nous vivons et la nature même de la guerre nous plongent dans le fameux brouillard de la guerre de Clausewitz. Tout ce que peuvent faire un État ou une commission parlementaire, c’est essayer de trouver les solutions les plus adaptées pour faire face aux menaces qui peuvent se présenter.

Pour évaluer le budget et faire notre choix, nous suivons une règle que nous appliquons à la vie publique dans son ensemble : la cohérence. On ne peut pas voter une loi de programmation militaire et ne pas voter, quelques mois plus tard, le premier budget qui correspond à ce qu’elle prévoit à l’euro près. Ce n’est un scoop pour personne : notre groupe votera ce budget, d’autant que les choix stratégiques dont il procède nous semblent globalement cohérents.

Il assure la dissuasion, laquelle est le cœur du cœur. La sécurité de la France est à ce prix. La dissuasion, c’est la défense de nos intérêts vitaux. Tous les groupes, sauf ceux qui la refusent, auraient prévu des investissements similaires pour la financer.

Le reste procède d’une forme de pari. Il ne faut pas oublier que la défense est globale. Elle ne s’apprécie pas séparément de la situation économique du pays. Opter pour une défense forte et un pays surendetté, à la merci de ses créanciers, n’est pas une solution.

Dans la situation économique que nous connaissons, le pari est assez raisonnable. Il consiste à assurer la dissuasion à 100 % et à consentir des efforts pour la préparation de l’avenir dans la cohérence, notamment sur les segments maritimes – le rapporteur pour avis des crédits de la Marine nationale a rappelé ce matin à quel point les enjeux maritimes sont essentiels – et aéroterrestres.

Nous ne serons probablement pas engagés dans un conflit majeur dans les années à venir, du moins dans le cadre de l’OTAN, et nos alliés, notamment les Polonais et les Allemands, sont en premier rideau. Nous devons tenir notre rang de nation-cadre au niveau corps d’armée. Ce n’est pas le fantassin français qui tiendra le front de l’Est. Telle est la conséquence de ce budget, qui fait preuve de cohérence à l’aune des menaces probables, dont l’évaluation est la base de toute politique de défense.

Ce vote n’est pas un quitus. Nous nourrissons plusieurs inquiétudes, s’agissant notamment des coopérations internationales, dont notre groupe soutient la nécessité mais sans naïveté. Il faut être très vigilant et s’assurer qu’elles ne coûtent pas plus cher, qu’elles ne nous font pas perdre des actifs stratégiques, qu’elles correspondent aux besoins de nos armées et surtout que nous conservons notre liberté de manœuvre au grand export. Nous préparons une proposition de résolution visant à garantir par traité ces attendus, pour conjurer le risque que nos partenaires, notamment les Allemands par un vote du Bundestag, ne puissent défaire ce qui aurait été décidé dans les négociations entre les exécutifs.

Par ailleurs, nous serons vigilants pour que les marges budgétaires un peu augmentées que nous avons obtenues en commission mixte paritaire (CMP) à la demande de notre groupe et sur lesquelles nous sommes tombés d’accord se traduisent par de véritables effets sur la disponibilité opérationnelle des matériels et sur le taux d’entraînement de nos troupes. Nous ne sommes qu’au début de cette manœuvre : l’avenir nous permettra d’en juger.

Sans hésitation, notre groupe votera ce budget.

Mme Geneviève Darrieussecq (Dem). Au nom du groupe Démocrate, je salue l’effort budgétaire prévu par le projet de loi de finances pour 2024 en faveur de nos armées. Les crédits des missions Défense et Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation, ainsi que ceux du programme Gendarmerie nationale, traduisent très concrètement notre volonté d’achever la réparation et de poursuivre la transformation de nos armées, de soutenir au mieux nos soldats ainsi que leurs familles, et d’honorer la mémoire de ceux qui se sont battus pour la France.

Je rappelle, car certains ont l’air de l’oublier, que le budget 2017 de la défense était de 32,7 milliards. En 2024, il sera de 47,2 milliards. La marche était haute. Tout le monde peut s’accorder à dire que notre nation a consenti un effort considérable, certes nécessaire.

Les lois de programmation militaire sont là pour donner une vision à long terme. Contrairement à M. Lachaud, je pense que nous en avons une. Les nécessaires transformations et surtout adaptations aux menaces de nos armées sont bien comprises par nos armées, par le chef d’état-major et par la stratégie qu’il met en œuvre.

Nous devons continuer de privilégier la cohérence à la masse. Le budget pour 2024 des armées met l’accent sur la préparation opérationnelle, sur le MCO, sur le renouvellement des équipements et sur l’amélioration des conditions d’entraînement. Nous n’ignorons pas la nécessité de s’adapter aux nouvelles technologies et aux nouveaux milieux de conflictualité. Ce budget prévoit aussi des investissements importants dans des domaines clés des conflits de demain, tels que le cyberespace, l’espace, les fonds marins et le renseignement. Nous avons une vision d’avenir et de l’évolution des conflits concrète et réaliste.

Nous saluons également les efforts consentis pour le soutien aux soldats et à leurs familles. Notre groupe est très attaché au plan « famille ». Nos armées ne sont opérationnelles qu’avec des hommes et des femmes. Ils doivent vivre leur engagement, avec leurs familles, dans de bonnes conditions. Nous sommes très attachés au plan « famille 2 », auquel le budget alloue 70 millions.

Nous voterons ces crédits, qui nous semblent indispensables à nos armées.

J’appelle l’attention sur la nécessité de poursuivre la construction de l’Europe de la défense avec nos voisins. Le conflit en Ukraine nous a rappelé notre fragilité potentielle. Si nous optons pour l’émiettement, si chaque pays vit dans ses frontières avec ses seuls moyens, il sera difficile de maîtriser un conflit. Seule l’Europe de la défense peut y parvenir. Elle est un objectif vers lequel nous devons tendre, même si le chemin est long et difficile, même si les intérêts des uns et des autres sont parfois contraires. Nous devons nourrir cette vision à long terme avec force.

Le budget de la mission Anciens combattants mémoire et Liens avec la nation est un bon budget. Il assure un équilibre entre reconnaissance et réparation. Il permet d’améliorer le plan Blessés 2023-2027, au bénéfice notamment des blessés psychiques, dont la prise en charge, qui a été un angle mort de notre politique pendant de très nombreuses années, est désormais tout à fait identifiée. Nous devons accompagner ces personnes avec beaucoup d’attention.

Par ailleurs, 2024 sera une année commémorative importante. Des crédits significatifs ont été prévus. Les crédits consacrés à la politique de mémoire sont essentiels. Nous voterons les crédits de la mission Anciens combattants mémoire et Liens avec la nation.

Les crédits du programme Gendarmerie nationale sont en hausse de 4,8 %. Ils permettent la création de 1 045 emplois et servent deux ambitions pour l’année 2024 : la participation des gendarmes à la sécurité des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de Paris, où ils seront en première ligne, et la création annoncée de 200 brigades. Des points de fragilité subsistent, s’agissant notamment des infrastructures. Nous serons vigilants mais n’en voterons pas moins ce budget sans difficulté.

Mme Anna Pic (SOC). Trois mois après l’adoption de la LPM 2024-2030, nous sommes réunis pour examiner le premier budget visant à mettre en œuvre la trajectoire budgétaire et la vision stratégique entérinée à cette occasion. Si, comme lors de l’examen de la LPM 2024-2030, nous ne pouvons que saluer l’augmentation des crédits et le suivi de la trajectoire programmée, notre sentiment général est partagé.

Satisfaisants à certains égards, les budgets des missions Défense et Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation n’en sont pas moins contestables. Le groupe Socialistes et apparentés fait part de divergences de vision s’agissant de la répartition des crédits et des choix effectués.

S’agissant de la mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation, plusieurs points saillants démontrent les limites de ce budget.

En premier lieu, la revalorisation du point d’indice de la PMI à hauteur de 1,5 est loin d’être suffisante compte tenu de l’inflation. D’une même voix, les représentants d’associations d’anciens combattants que nous avons auditionnés la semaine dernière ont exprimé, avec force et solennité, leur inquiétude à ce sujet. En effet, l’inflation attendue cette année devrait s’élever à 5,8 %, en augmentation par rapport à 2022, et risque de rester supérieure à 3,5 % pendant de longs mois. L’inquiétude teintée d’amertume de nos anciens combattants est parfaitement légitime. Le Gouvernement doit faire beaucoup mieux à cet égard. Nous défendrons une proposition visant à évaluer l’opportunité d’une concomitance entre la valeur du point PMI et celle du point d’indice de la fonction publique.

En deuxième lieu, malgré un budget en hausse, les crédits alloués à la vie commémorative semblent sous-évalués. En effet, 2024 sera l’année du quatre-vingtième anniversaire du débarquement en Normandie. Les commémorations afférentes, si importantes soient-elles, risquent d’absorber à elles seules, dès le mois de juin, l’enveloppe budgétaire. Il ne s’agit pas de remettre en cause ces crédits ni la nécessité de commémorer cet événement singulier de notre histoire, mais, bien au contraire, de souligner la faiblesse du budget global à l’aune du contexte. Le sous-dimensionnement des autres commémorations risque d’être inévitable, ce qui laissera aux collectivités locales, dont les finances sont bien souvent exsangues, le soin de les financer. Nous ne pouvons pas accepter cette situation.

En troisième lieu, nous déplorons la non-attribution du statut de blessés de guerre aux vétérans ayant participé aux essais nucléaires en Polynésie française et dans le Sahara, alors même qu’ils sont victimes de maladies radio-induites. Il s’agit d’un angle mort majeur. La réparation financière dont bénéficient ces vétérans doit être attribuée au titre de blessures subies dans le cadre de leurs fonctions militaires et non en tant que civils.

Nous défendrons d’autres amendements, visant notamment à la mise à jour de la liste des opérations ouvrant droit au bénéfice de la carte du combattant et à la modification de l’âge à partir duquel certaines allocations sont octroyées. De façon globale, nul besoin d’être économiste pour comprendre qu’une stabilité des crédits alloués dans un contexte inflationniste signifie une baisse de budget.

En dépit du déploiement, salué et auquel nous sommes très attentifs, des maisons ATHOS et de plusieurs mesures que nous attendions, nous ne voterons pas le budget de la mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation.

S’agissant de la mission Défense, plusieurs points méritent une attention particulière.

Le premier d’entre eux n’est pas sans incidence sur nos militaires en exercice et sur notre politique de recrutement : il s’agit de la politique de rémunération. En dépit de la prochaine finalisation de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) et de la récente revalorisation des grilles, le rééquilibrage du traitement indiciaire et indemnitaire des militaires est longtemps resté un impensé de la politique gouvernementale.

Les informations nous manquent pour être convaincu qu’une prise de conscience a eu lieu. Compte tenu de la réduction du nombre d’Opex et des salaires pratiqués dans le secteur privé, un tel rééquilibrage est pourtant la mesure la plus appropriée pour relever les défis de l’attractivité et de la fidélisation de nos troupes.

Le deuxième point sur lequel nous souhaitons appeler l’attention est le bâti, notamment la vétusté de nos bases de défense et la baisse considérable du budget relatif aux infrastructures de santé. Les difficultés récurrentes, dénoncées par la Cour des comptes dans un rapport publié en juin dernier, ne semblent pas près d’être résorbées. La remise à niveau complète des hôpitaux militaires est pourtant essentielle pour le SSA.

Le troisième point ayant appelé notre attention est l’augmentation du budget des écoles militaires de 3 % seulement, alors même que l’inflation est supérieure à 5 %, et même très supérieure sur leurs principaux postes de dépenses que sont l’énergie et l’alimentation.

D’autres points nous ont interpellés, notamment le projet de fusion de l’école nationale supérieure de techniques avancées (ENSTA) Paris et de l’ENSTA Bretagne, dont les deux diplômes ne jouissent pas d’une reconnaissance au même niveau. Nous serons vigilants à l’évolution de ce projet.

Par ailleurs, en dépit d’une hausse importante des crédits, nous nourrissons des doutes sur la préparation opérationnelle. Comment satisfaire aux critères de l’OTAN si l’on manque d’hommes et de matériel pour réaliser la préparation ?

Sur ce budget, nous nous abstiendrons.

La mission Sécurités a été érigée par la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi) en étendard. Le groupe Socialistes et apparentés estime, comme l’an dernier, que la réforme territoriale de la police nationale risque d’affaiblir les capacités de la police judiciaire. Par ailleurs, le budget pour 2024, pas davantage que le précédent, ne prévoit aucun équivalent temps plein (ETP) supplémentaire pour la sous-action 06.01 Formation de la police nationale. Nous proposerons d’en augmenter les crédits de 100 millions.

Nous voterons contre les crédits de la mission Sécurités.

M. Loïc Kervran (HOR). Au nom du groupe Horizons et apparentés, je tiens à exprimer notre profonde satisfaction de l’augmentation substantielle du budget de nos forces armées. Pour l’année 2024, notre pays consacrera 47,2 milliards à sa défense, soit quasiment 50 % de plus que ce qu’il dépensait en 2017 et 3,3 milliards de plus que l’année dernière. Il s’agit d’une augmentation sans précédent.

Cet accroissement budgétaire est en parfait accord avec les objectifs de la LPM 2024-2030. Plus profondément, il est aussi en accord avec nos obligations morales.

Notre première obligation morale est envers les hommes et les femmes qui servent ou ont servi la France. Clemenceau a eu, au sujet des anciens combattants, ce mot célèbre et souvent cité : « Ils ont des droits sur nous ». Nos devoirs envers ceux qui défendent la France et ses valeurs de nos jours ne sont pas moindres. Nous devons leur fournir un équipement individuel et des véhicules qui les protègent efficacement, leur donner les armes et le renseignement leur assurant la supériorité et la victoire, et mieux les rémunérer. C’est ce que fait ce budget.

Notre deuxième obligation morale est envers les Français. Le monde dans lequel nous évoluons est dur et dangereux, chaque jour un peu plus. Les autres pays s’arment, mettent à l’eau des flottes, constituent des stocks de munitions. La guerre est là en Ukraine, en Arménie, au Mali, en Israël ; l’agressivité contre la France et ses intérêts, quotidienne. Nous n’avons pas le droit de ne pas nous donner les moyens d’assurer la sécurité des Français.

Ce budget renforce nos capacités dans tous les domaines prioritaires identifiés par la LPM 2024-2030. Nous allouons des ressources considérables à l’innovation, à l’espace, à la défense sol-air, aux drones, au cyber, aux forces spéciales, au renseignement et à la souveraineté outre-mer : autant d’investissements essentiels pour maintenir à niveau notre sécurité nationale et notre rôle sur la scène internationale.

En 2024, grâce à ce budget et à la mobilisation de nos industriels, il y aura plus d’avions, plus de canons, plus d’hélicoptères, plus de drones, plus de munitions. J’en donnerai deux exemples, offerts par deux entreprises présentes dans le département du Cher, qui contribue tant à la défense de notre nation. L’année prochaine, huit canons Caesar sortiront chaque mois des usines de Nexter, contre deux en 2022, et MBDA fabriquera bientôt quarante missiles Mistral par mois contre vingt jusqu’à présent.

Ce budget permet de renouveler l’engagement de la France dans une collaboration étroite avec ses partenaires européens et de l’Alliance Atlantique. Nous nous félicitons du maintien du soutien financier de l’État aux programmes de coopération bilatérale et européenne visant au développement de nouvelles technologies d’armement, tels que le SCAF et le MGCS.

L’encouragement aux initiatives diplomatiques dans le domaine de la défense doit se poursuivre. Nous saluons la coopération militaire lancée cette semaine avec l’Arménie. L’investissement continu dans notre dissuasion nucléaire est lui aussi fondamental, car il constitue le pilier de notre souveraineté nationale et une garantie supplémentaire de l’autonomie stratégique de l’Europe.

En examinant ce budget, nous ne devons pas oublier le caractère profondément humain de l’action du ministère des armées. Nous nous réjouissons de la mise en œuvre du plan « famille 2 », des moyens dédiés à la modernisation des infrastructures et des lieux de vie des militaires, ainsi que des efforts du ministère en matière de logement et d’environnement.

Convaincu que ces ressources sont essentielles pour garantir la sécurité de notre nation, renforcer notre position sur la scène internationale et soutenir nos militaires ainsi que leurs familles, le groupe Horizons et apparentés votera les crédits de la mission Défense.

Nous voterons également les crédits de la mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation. Je tiens à partager ma satisfaction de constater que les crédits de cette mission dédiée seront stables en 2024, en dépit de la baisse tendancielle du nombre de bénéficiaires de l’Office national des combattants et des victimes de guerre (ONACVG). Le plan Blessés 2023-2027 permettra une prise en charge et un suivi toujours plus poussés des soldats, dès leur retour de mission ou d’Opex.

Par ailleurs, l’année 2024 sera riche en commémorations célébrant les 80 ans de la Libération. Les crédits supplémentaires alloués à la politique de mémoire devront permettre d’y associer autant que possible les associations, la jeunesse et tous les Français. Quant aux harkis et leurs familles, le groupe Horizons et apparentés soutient le renouvellement des engagements de l’État à leur égard.

S’agissant du programme Gendarmerie nationale, nous saluons la création de 238 brigades, qui marque la volonté d’assurer la présence de l’État sur tout le territoire et de porter une attention particulière à la sécurité des habitants des zones rurales.

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La commission en vient à l’examen, pour avis, des crédits de la mission « Défense »

 

Article 35 et état B : Crédits du budget général

 

Amendement II-DN6 de Mme Valérie Rabault

Mme Isabelle Santiago (SOC). Cet amendement du groupe Socialistes et apparentés vise à augmenter de 5 % la dotation dite du gasoil, allouée à nos forces armées, afin de tenir compte des incertitudes et des risques internationaux qui pourraient affecter le prix du pétrole. Notre demande intègre la hausse des tarifs de cession qui pourrait se poursuivre, ainsi que du volume de carburant nécessaire à l'activité de nos forces armées en 2023. Nous déposons régulièrement cet amendement.

L’amendement procède à une écriture administrative pour gager la dépense, mais nous souhaitons que le Gouvernement lève le gage en cas d’adoption de l’amendement.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis (Soutien et logistique interarmées). La hausse du coût des carburants est un sujet important. En 2022, le budget prévisionnel a été dépensé dès la fin du premier semestre. La gestion du compte courant de commerce du service de l’énergie opérationnelle (SEO) et celle du programme 178 Préparation et emploi des forces se retrouvent sous tension.

Je vous demande de retirer votre amendement car j’en ai déposé un sur le même sujet, mais le mien prévoit une augmentation des crédits de 100 millions d’euros quand le vôtre se contente d’une hausse de 1 680 040 euros. Si vous souhaitiez le maintenir, je voterais tout de même en sa faveur.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN7 de Mme Mélanie Thomin

Mme Isabelle Santiago (SOC). Il vise à abonder les crédits dédiés à la préparation des forces navales car, à 89 %, la fonction de protection est la plus faible de toutes les forces armées ; le constat est particulièrement préoccupant pour la sécurité de notre zone économique exclusive (ZEE). Comme l'indiquait le projet annuel de performances (PAP) de la mission Défense du PLF pour 2023, le niveau de couverture des zones de surveillance maritime devrait se maintenir à 68 % jusqu’en 2025 et le parc des moyens aériens et maritimes resterait quantitativement équivalent. Ce taux de couverture restant très faible, nous proposons d’augmenter les crédits de paiement alloués à la préparation des forces navales.

 

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis (Préparation et emploi des forces : Marine). La dernière LPM a consacré une montée en puissance de la préparation des forces navales. Le PLF pour 2024 affiche une augmentation des autorisations d'engagement de 20 % et des crédits de paiement de 9 % ; cet effort sera poursuivi toutes les années couvertes par la LPM. J’émets un avis défavorable à cet amendement.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN10 de Mme Mélanie Thomin

Mme Isabelle Santiago (SOC). Il vise à augmenter les crédits du plan « famille 2 », afin de faire porter l’effort financier en début de période de programmation et de s’assurer que les crédits de paiement disponibles sont en phase avec les autorisations d'engagement du PLF pour 2024.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Plus tôt nous pouvons agir pour les familles, mieux c’est : le chantier est tel que ces 7 millions d’euros supplémentaires dès l’année prochaine seront utiles. L’avis est favorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN16 de Mme Anna Pic

Mme Isabelle Santiago (SOC). Il vise à restaurer un niveau de crédits équivalent à celui de 2023 pour la rénovation et la création des infrastructures des bases de défense.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Pour les mêmes raisons que pour l’amendement précédent, l’avis est favorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN17 de Mme Mélanie Thomin

Mme Isabelle Santiago (SOC). C’est le même amendement, mais il concerne le logement des familles de militaires.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-DN18 de Mme Isabelle Santiago

Mme Isabelle Santiago (SOC). Il vise à doubler les crédits alloués à la transition écologique dans le ministère des armées. Celui-ci a élaboré un plan Climat, mais il importe d’augmenter les crédits dans ce domaine pour que la transition s’opère le plus rapidement possible.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Le ministère des armées possède de très nombreux bâtiments fort vétustes, qui n’offrent pas le confort nécessaire aux militaires et à leurs familles. Il est indispensable d’agir rapidement, car les passoires thermiques ne contribuent pas à la fidélisation des militaires. L’avis est favorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN19 de Mme Anna Pic

Mme Isabelle Santiago (SOC). Il vient compenser par un montant de 1,2 million l’une des conséquences financières de l’externalisation des services de restauration et d’alimentation des armées : le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée pour 2024. Beaucoup de restaurants sont passés en gestion déléguée ; nous préférerions que ce service reste assuré en interne.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Demande de retrait. Il ne faut pas confondre les concessions au profit de l’économat des armées, très bel instrument, établissement public historiquement uni aux armées par des liens étroits, et l’externalisation de la restauration. Les concessions à l’économat permettent une véritable rénovation du bâti et rendent ainsi un service sans externalisation, contrairement à certains mécanismes antérieurs qui étaient réellement problématiques.

Mme Isabelle Santiago (SOC). Je ne retire pas l’amendement, car il a pour première signataire ma collègue Anna Pic, qui s’est appuyée pour l’écrire sur des situations qu’elle connaît dans sa circonscription.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN20 de Mme Anna Pic

Mme Isabelle Santiago (SOC). Lors de son audition par la commission de la défense le 3 octobre dernier, le ministre Lecornu évoquait une augmentation de l’ordre de 70 millions des crédits alloués au service de santé des armées dans le PLF pour 2024. Or, s’il est vrai que le budget des sous-actions Fonction santé des programmes 178 et 212 augmente, au total, les crédits alloués à la santé dans nos armées connaissent une baisse de 23 millions.

En outre, dans un rapport de juin dernier, la Cour des comptes soulignait : « Les difficultés récurrentes du ministère des armées à inscrire dans sa programmation budgétaire la remise à niveau complète des hôpitaux militaires, nécessaire tous les soixante ans, concernent actuellement l’hôpital Laveran de Marseille, élément essentiel du dispositif du service de santé des armées, dont la reconstruction devient urgente. En juin 2023, la reconstruction du futur hôpital sur le site de la caserne Sainte-Marthe d’ici à 2030 a été annoncé par le Président de la République, mais le financement de cette opération n’a pas été prévu dans le rapport annexé au projet de loi de programmation militaire 2024-2030. »

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Vous avez raison en ce qui concerne Laveran. C’est un vrai problème : nous votons une LPM et, dans la foulée, avant même la commission mixte paritaire, le Président annonce la création d’un nouvel hôpital qui n’est pas du tout financé dans la LPM. Il faut donc abonder le budget du SSA pour cela. Avis favorable.

Il est également nécessaire, vu notre contribution à l’Otan, de nous interroger sur les contreparties que l’Alliance peut nous apporter : selon certains, le financement de cet hôpital pourrait bénéficier de fonds de l’Otan. Le Gouvernement doit être plus explicite sur ce point.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN21 de Mme Anna Pic

Mme Isabelle Santiago (SOC). Il vise à lisser les crédits liés à la cyberdéfense sur les prochaines années de la LPM.

Conformément aux engagements pris dans le cadre de cette dernière, les enjeux de cyberdéfense bénéficient dans ce PLF d’une attention particulière, comme en témoigne l’augmentation considérable des crédits qui leur sont alloués. Si le développement de nos capacités cyber est une absolue nécessité, d’autres postes subissent en parallèle une baisse de crédits. Voilà pourquoi nous proposons ce lissage et une hausse de 100 millions au profit de la sous-action Infrastructures de santé du programme 178. La construction de l’amendement est due aux contraintes de l’article 40.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Tout ce qui permet d’avancer les dépenses qui ont été rejetées à la fin de la LPM est une bonne chose. Favorable.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis (Équipement des forces Dissuasion). Les 500 millions consacrés au cyber représentent une accélération souhaitée par tous les groupes et qui a fait l’objet de nombreux échanges avec les militaires et civils entendus par notre commission. Je ne comprends pas que l’on veuille ainsi déshabiller Pierre pour habiller Paul. Le PLF pour 2024 en ferait trop pour la cybersécurité ? On ne peut pas se plaindre d’insuffisances ou de retards dans certains domaines, puis défendre de tels amendements. Croyez-nous, la copie reste équilibrée et l’effort en matière de cyber est nécessaire. Je suis très défavorable à cet amendement.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Moi aussi. Le propre d’une LPM est la cohérence. Ce jeu de ping-pong n’est pas très sérieux. Il y a beaucoup d’orgueil à croire que l’on peut jongler ainsi avec 100 millions.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-DN22 de Mme Anna Pic

Mme Isabelle Santiago (SOC). Il vise à abonder les crédits en faveur des écoles militaires.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Ces crédits sont augmentés de 3 % pour 2024. Il s’en ajoute d’autres que l’on ne voit pas car ils viennent de l’extérieur. Je pense notamment au PEM (Pôle écoles Méditerranée), qui a des coopérations avec la région et envoie des marins en formation à la Coudoulière, à Six-Fours.

En outre, les infrastructures de la Marine, bénéficient d’une augmentation de 8 % en crédits de paiement en 2024, pour un total de 157 millions d’euros (hors dissuasion).

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN29 de M. Frédéric Boccaletti

M. Frédéric Boccaletti (RN). Il tend à abonder de 100 millions le programme Environnement et prospective de la politique de défense, afin de réunir les fonds nécessaires à la bonne réalisation du projet de création du bataillon de réservistes du renseignement en 2024.

Les récents événements internationaux ont mis sur le devant de la scène l’importance du renseignement humain combiné au renseignement technique. Il est indispensable de prévoir un budget destiné à ce poste stratégique pour nos armées et nos intérêts.

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis (Environnement et prospective de la politique de défense). Demande de retrait ou avis défavorable.

La brigade de renseignement a été dissoute en 2016 au profit du commandement du renseignement. Votre amendement me permet toutefois de souligner le rôle que les réservistes jouent dans le domaine du renseignement – je pense en particulier à la DGSE (direction générale de la sécurité extérieure) et à la DRSD (direction du renseignement et de la sécurité de la défense), qui relèvent toutes les deux du programme 144 dont je suis rapporteur pour avis. Mais si vous créez une brigade au sein de l’armée de terre, elle doit relever de l’armée de terre, c’est-à-dire du programme 178 et non du programme 144 comme vous l’indiquez dans le dispositif de votre amendement.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis (Préparation et emploi des forces : Forces terrestres). Même avis.

Je salue l’importance des réservistes de l’armée de terre. Celle-ci est en train d’adapter en profondeur son modèle et sa doctrine d’emploi des réservistes pour préparer le doublement de leur nombre, prévu dans le cadre de la LPM. Cette refonte se fera dans la durée. Le besoin est élevé s’agissant de la création d’une réserve de compétences, mais il est encore trop tôt pour évaluer précisément les crédits spécifiquement nécessaires au bataillon de réservistes du renseignement et il ne m’apparaît pas opportun de flécher des crédits, en particulier vers ce poste, alors que d’autres fonctions critiques, comme le cyber ou la maintenance, ont également besoin d’être renforcées par des réservistes.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN34 de M. Julien Rancoule

M. Julien Rancoule (RN). Avoir une dissuasion nucléaire consolidée, de grands programmes d’armement renouvelés et de grandes ambitions dans le domaine du spatial ne doit pas nous faire oublier qu’à la fin des fins, sur le terrain, quand le militaire se retrouve face à l’ennemi, il a besoin d’une cartouche pour se défendre contre celui qui veut le tuer.

La France est le seul membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies à ne pas avoir de filière nationale de production de munitions de petit calibre. Nous ne pouvons pas l’accepter. Nous devons apprendre des dernières années – je pense aux pénuries de masques et de médicaments que nous ne produisions même plus en France. N’ayons pas la même naïveté s’agissant des munitions de petit calibre : en la matière aussi, nous pouvons connaître des situations exceptionnelles qui fragiliseraient les acheminements. L’amendement vise à relancer cette filière sur notre territoire.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. La relocalisation de filières critiques pour l’approvisionnement de nos armées, dont celle dont vous parlez, est un sujet important et une exigence de la loi de programmation militaire. Notre commission avait amendé le rapport annexé de la LPM en ce sens. Soyez donc rassuré sur ce point.

Néanmoins, il serait prématuré d’inscrire à cette fin des crédits dans la loi de finances pour 2024, notamment au profit du programme 146 : le sujet nécessite des travaux structurels, en lien avec les industriels, qui ne se relancent pas d’un trait de plume sur un programme aussi important.

Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

M. Julien Rancoule (RN). Nous préconisions cette relocalisation dans le rapport de la mission flash sur les stocks de munitions dont j’étais rapporteur avec Vincent Bru. Dans ce cadre, nous avions rencontré des industriels et des personnes de différents ministères, dont l’intérieur ; ils nous avaient dit qu’un projet était déjà dans les tuyaux et que les munitions devaient commencer à être produites fin 2024. Il serait donc parfaitement pertinent de voter dans ce PLF un budget destiné à appuyer ce projet.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. La LPM 2024-2030 prévoit une enveloppe de 16 milliards d’euros en faveur des munitions, notamment de petit calibre. Vous avez donc été entendu.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN38 de Mme Caroline Colombier

Mme Caroline Colombier (RN). Il vise à alerter le Gouvernement sur la nécessité, dans un objectif d’attractivité, de fidélisation et de disponibilité des réservistes opérationnels des trois armées, de leur accorder une carte de circulation militaire, au même titre qu’à leurs camarades d’active.

Cela permettrait de faciliter leurs déplacements sans surcharger la cellule de transport régimentaire par la demande de bons unitaires de transport, de les fidéliser par une réduction de 75 % sur leurs voyages sur le réseau ferroviaire national et de rendre attractive la réserve opérationnelle.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. C’est un amendement d’appel au Gouvernement, qui n’est pas représenté ici. Je vous invite donc à le retirer pour le redéposer en vue de la séance, en espérant qu’il n’y aura pas eu de 49.3 d’ici là et que vous aurez une réponse du ministre.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN40 de Mme Caroline Colombier

Mme Caroline Colombier (RN). Avant le projet Fomedec (formation modernisée et entraînement différencié pour les équipages de chasse), la formation des pilotes comprenait des étapes sur le TB-30 Epsilon et l’Alphajet. Fomedec a fusionné les phases d’Epsilon et Alphajet, conservant seulement la transition opérationnelle à Cazaux. Avec le projet Mentor présenté en 2019, cette phase se déroule à Cognac, grâce à des PC-21 de nouvelle génération, plus économiques. Mais leur nombre ne permet pas à l’ensemble des élèves de s’entraîner pour honorer leur contrat opérationnel ; on a besoin de cinq nouveaux PC-21 NG, dont le coût est estimé à 12 millions l’unité.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Vous avez raison de souligner l’apport de ces avions à la formation des pilotes, qui permettent notamment de se familiariser avec l’avionique du Rafale, et leur avantage économique. La base de Cognac recevra bientôt des drones Male (volant à moyenne altitude et de longue endurance) et des ALSR (avions légers de surveillance et de reconnaissance). Le chef d’état-major ne nous a fait part d’aucune alerte au sujet des PC-21. Avant les neuf commandés en 2021, l’armée de l’air et de l’espace en avait déjà dix-sept.

Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN41 de Mme Caroline Colombier

Mme Caroline Colombier (RN). Si la LPM prévoit une augmentation de 460 ETP d’ici à 2030, le niveau des années 2015-2016 est loin d’être atteint alors que le SSA a subi une dizaine d’années d’arbitrages budgétaires défavorables. Un rapport d’information sénatorial a alerté sur la pénurie, qui pourrait coûter cher dans l’hypothèse d’un conflit de haute intensité. Il convient donc de renflouer l’enveloppe consacrée aux ressources humaines du SSA en l’abondant de 20 millions en autorisations d’engagement et en crédits de paiement.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Je comprends l’objectif, mais je doute que 20 millions suffisent. Les postes sont ouverts, mais non pourvus ; ce n’est donc pas en en ouvrant davantage que l’on rehaussera les effectifs. Et avec 20 millions, on ne peut pas à la fois ouvrir les postes et revaloriser significativement les rémunérations. Une réflexion plus globale est nécessaire.

Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN42 de Mme Caroline Colombier

Mme Caroline Colombier (RN). Le rapport d’information sénatorial que j’ai cité signale l’urgence d’accélérer l’acquisition de groupements médico-chirurgicaux (GMC) dans la perspective d’un conflit de haute intensité. Pour préparer le SSA à un engagement majeur, la priorité est de reconstituer sa capacité à déployer des hôpitaux de campagne. Il apparaît donc essentiel d’acquérir dès 2024 trois GMC de plus, pour un coût total de 18 millions.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Même avis que sur le précédent amendement. Nous n’avons malheureusement pas les effectifs qui permettraient d’armer ces trois GMC supplémentaires. Il faut d’abord recruter et, pour cela, rendre le SSA plus attractif.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN43 de Mme Caroline Colombier

Mme Caroline Colombier (RN). Selon la LPM, l’armée de l’air et de l’espace prévoit l’acquisition de six systèmes de drones Male Eurodrone d’ici à 2035, pour un montant initial de 2 milliards. Toutefois, lors du vote final de la LPM, il n’était pas encore question du drone Male Aarok, développé par Turgis & Gaillard. Véritable vedette du Salon du Bourget, ce drone français moins coûteux et plus léger que l’Eurodrone a suscité l’intérêt des armées, à commencer par le chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace, qui s’est déclaré « prêt à payer pour voir » lors d’une audition ici même.

Le PLF pour 2024 offre précisément l’occasion de payer pour voir, en vue de doter les armées, si les premiers achats sont concluants, d’un outil souverain de surveillance et de renseignement. Le coût unitaire est estimé entre 5 et 10 millions. Il conviendrait de doter nos armées de quatre appareils, ce qui représente un investissement relativement peu important au regard des gains capacitaires et des retombées économiques attendus.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Nous avons tous été bluffés par ce drone. Le ministre lui-même, au Sénat, l’a jugé très intéressant. Son premier vol devrait avoir lieu dans quelques mois. Malgré l’intérêt qu’il suscite et le retard que nous accusons dans ce domaine, il est donc encore trop tôt pour engager en 2024 des crédits de paiement sur ces capacités précises.

La LPM prévoit de consacrer 5 milliards aux drones. Nous sommes d’accord concernant l’objectif et la solution. Patience !

Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). En effet, nous avons tous été frappés par ce produit de Turgis & Gaillard, et je suis d’accord avec le chef d’état-major de l’armée de l’air : cela vaut la peine de payer pour voir. Mais je ne voterai pas l’amendement, car le drone ne vole pas encore. Il faudra envisager de lui consacrer des crédits, à l’intérieur de l’enveloppe de 5 milliards, dès que nous aurons la certitude que le vecteur et les différents effecteurs fonctionnent. Je ne suis pas du tout contre l’amendement ; simplement, c’est trop tôt.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis (Préparation et emploi des forces : Air). Je soutiens l’amendement. Il faut envoyer des signaux positifs à notre BITD, surtout quand elle est « rafraîchissante » : ici, une entreprise qui a développé sur fonds propres un projet que les grands consortiums mettent plusieurs années à faire aboutir – je ne reviens pas sur les délais de développement de l’Eurodrone. Ce produit a la confiance de la DGA (direction générale de l’armement) et du ministre ; il a été vendu en Ukraine pour un essai : si les Ukrainiens ont mis de l’argent pour le développer, je ne vois pas pourquoi nous n’en ferions pas autant.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Le signal que vous souhaitez est envoyé par la LPM : ce sont les 5 milliards, que nous investirons dans des solutions réellement éprouvées. Ne vous inquiétez pas : dans quelques mois, le sujet sera traité.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Il y a effectivement un projet avec la BITD ukrainienne, mais il ne s’agit pas du même modèle que celui qui pourrait intéresser les armées françaises : celui-là est plus simple, avec une motorisation plus légère et des objectifs qui ne sont pas exactement les mêmes. Si l’idée est un produit sinon alternatif à l’Eurodrone, du moins complémentaire, ce n’est pas cela qui est vendu à l’Ukraine.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN46 de M. Michaël Taverne

Mme Caroline Colombier (RN). La BITD française constitue un pilier solide de notre économie et les grandes entreprises de ce secteur en sont autant de fleurons. En effet, les exportations d’armement constituent pour tout un pan de notre industrie une véritable force d’entraînement d’autant moins négligeable que notre pays ne cesse de battre des records de déficit commercial et de baisse de la part de l’industrie dans la production nationale de richesses.

Dans ce contexte, la baisse de 8,1 % du budget alloué à la politique de soutien aux exportations conduite par la DGA apparaît parfaitement contre-productive, alors même que l’État se doit, tout autant pour la BITD que pour le reste de nos entreprises, notamment industrielles, de soutenir l’export et de promouvoir nos productions nationales.

Nous proposons donc d’abonder de 5 millions le budget de la sous-action DGA/Soutien aux exportations de l’action 52 du programme 212.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Nous souhaitons que la BITD puisse se développer sans être dépendante de l’export. Un soutien appuyé à l’export ne garantirait pas la souveraineté du pays : si notre BITD dépend des achats d’autres puissances, nous serons dans leur main.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN49 de M. Emeric Salmon

M. Laurent Jacobelli (RN). Les conditions de logement sont importantes pour attirer et fidéliser les militaires. En préparant notre rapport d’information, mon collègue Chenevard et moi-même avons constaté combien la question était récurrente. Or 25 % seulement du patrimoine immobilier de la défense est en état. Nous proposons donc des crédits supplémentaires pour que nos soldats vivent dans des conditions décentes.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. La somme proposée, de 15 millions, n’est pas suffisante face aux enjeux. Nous ne pouvons pas laisser entendre qu’elle le serait. Je vous demande donc de retirer l’amendement pour réévaluer ce montant à la hausse en séance.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN52 de M. Laurent Jacobelli

M. Laurent Jacobelli (RN). Le programme MGCS (système principal de combat terrestre), conduit avec les Allemands, est en déshérence totale. L’objectif en était politique avant d’être opérationnel. Le ministre allemand de l’économie s’est dit prêt à se libérer des règles et des engagements européens pour défendre avant tout l’industrie allemande. D’ailleurs, il a commencé, signant avec d’autres partenaires – la Suède, l’Italie, l’Espagne – un autre programme qui, contrairement à ce qui a été dit ici même, pourrait concurrencer le MGCS.

La France ne doit pas être le dindon de la farce. Il nous faut prévoir ce qui va arriver. Six ans ont été nécessaires pour se mettre d’accord sur les objectifs du MGCS : dans de telles conditions, il y a une probabilité non nulle qu’un projet aille dans le mur…

Parce que nous avons besoin de cet équipement, parce que nous ne pouvons pas laisser aux seuls Allemands le sort de la souveraineté de notre défense, nous proposons que l’on prépare un plan B pour le MGCS.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. C’est un amendement d’appel, mais si je m’en tiens à l’objectif que vous venez d’expliciter, il est satisfait. En effet, tout est fait pour que, à partir de 2025, l’ensemble des options qui sont sur la table puissent être activées. Quant à l’autre projet auquel vous vous référez – un projet de composants, non de système de combat –, connaissez-vous le montant total qui lui est alloué ? 30 millions. Et celui que notre pays inscrit, dès 2024, dans le projet de loi de finances pour engager les études sur le MGCS, en AE ? 33 millions. En réalité, il n’y a pas de concurrence entre les deux projets. Le MGCS est conforté par la volonté politique et la convergence des besoins militaires, qui sont les deux premiers prérequis. Pour le troisième, la convergence des industriels, 2024 sera l’année de vérité.

Demande de retrait ; sinon, avis défavorable.

M. Laurent Jacobelli (RN). Je me contente de lire les interviews des dirigeants allemands. Ils expliquent qu’ils préparent leur avenir ; pendant ce temps, ils stérilisent les projets français. Dans quelques années, ils auront le char du futur, avec d’autres partenaires, et nous n’aurons rien. Si vous ne l’avez pas compris, nous allons le répéter à nouveau. Les Allemands avancent pratiquement à visage découvert ! Il n’y a qu’en France que l’on a quelques dirigeants qui ne veulent pas voir la vérité. Nous ne pouvons pas rester le bec dans l’eau, sans plan B. C’est la moindre des sagesses.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Nous avons déposé un amendement analogue.

Notre collègue Belhamiti nous explique qu’il n’y a pas de concurrence entre les deux programmes en faisant valoir qu’ils sont financés à hauteur l’un de 30, l’autre de 33 millions : ce n’est vraiment pas convaincant.

Quoi qu’il en soit, on observe une inflexion dans les discours de la majorité et du Gouvernement : on nous dit désormais que nous aurons un moment pour reprendre nos billes. Le travail d’alerte que nous menons depuis des mois commence donc à porter ses fruits. Je peux comprendre que vous ayez besoin de sauver la face, mais notre argumentation est désormais bien étayée. Les cycles industriels français et allemand ne se synchroniseront pas. Les Allemands ont bien l’intention d’empêcher la France de mobiliser sa capacité à investir dans un projet alternatif. Au bout du compte, il y aura un projet allemand tandis que, côté français, nous n’aurons que nos yeux pour pleurer.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Heureusement, nos armées et la DGA ne nous ont pas attendus pour commencer à travailler sur toutes les hypothèses du système futur de combat terrestre ! Nos discussions franches avec eux nous montrent que toutes les options sont sur la table. Je parlais d’un plan B dès mon rapport de l’année dernière. Il y a 33 millions d’AE dans le budget cette année : c’est que l’on commence à accélérer les études. Les Allemands sont dans une logique incrémentale et il est anachronique de considérer que l’incrément nourri par les 30 millions de partenariat européen est un concurrent du MGCS, lequel viendra bien plus tard. Nous avons eu ces débats dans le cadre de la LPM. Tout est possible, mais gardons-nous de tuer le projet dans l’œuf. Il est dans l’intérêt de la France de développer cette capacité en coopération, en maintenant ses exigences de souveraineté et de liberté d’exportation.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN53 de M. Laurent Jacobelli

M. Laurent Jacobelli (RN). Après le MGCS, le Scaf (système de combat aérien du futur), qui en est une sorte de pendant, en moins caricatural, dans la collaboration à marche forcée avec nos amis allemands. La France, avec Dassault, serait capable de s’en sortir toute seule. Ce que l’on appelle le couple franco-allemand n’en a plus que le nom : nous sommes les seuls à le vouloir, et le projet s’enlise. Ne restons pas dénudés, ne livrons pas les clés de la défense française à un pays qui ne veut pas de nous et reste tourné vers les États-Unis.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN55 de M. Laurent Jacobelli

M. Laurent Jacobelli (RN). Un tiers des militaires ne renouvellent pas leur contrat ; un tiers ne vont pas au bout de leur engagement. À cela s’ajoutent les difficultés de recrutement. Nous proposons donc que l’on augmente la rémunération des militaires de la marine nationale. Lorsque les montants offerts ne peuvent rivaliser avec ceux du privé et que les conditions de vie ne sont pas toujours à la hauteur de ce qui est attendu, les effectifs sont à l’avenant. Il est chaque année plus difficile de recruter et de conserver les troupes.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. L’ancien marin que je suis pourrait se réjouir de cet amendement, mais nos forces armées sont un tout. Le retex (retour d’expérience) de la précédente LPM a montré que plusieurs mesures avaient commencé à produire des effets, comme la NPRM (nouvelle politique de rémunération des militaires), qui représente cette année, pour sa troisième phase, 351 millions d’euros. J’avais fait adopter dans le cadre de la LPM un amendement prévoyant une modification, avec augmentation, de la grille indiciaire de l’ensemble des militaires. Elle concernera les hommes du rang dès 2024, les sous-officiers en 2025 et les officiers en 2026.

Avis défavorable.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Vous avez déposé trois amendements : un pour l’armée de terre, un pour la marine et un pour l’armée de l’air, mais vous avez oublié le soutien interarmées. Je vous demande un retrait au profit de mon amendement, qui se veut global. Il permettra, en effet, de répondre à l’ensemble des situations, sans s’y prendre au doigt mouillé – mais ce n’est pas un reproche, car je sais la difficulté de trouver un chiffre satisfaisant parmi les informations qui nous sont données. J’ai pris pour référence l’ensemble des mesures indiciaires dans la fonction publique – l’augmentation du point d’indice et ce qu’on appelle les mesures « Guérini ».

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN56 de M. Laurent Jacobelli

M. Laurent Jacobelli (RN). Je me demande si Mme Magnier, du groupe Horizons, sera elle aussi vouée aux gémonies par M. Cormier-Bouligeon. Elle a, en effet, déposé un amendement faisant appel au même mécanisme que ceux de La France insoumise, du parti socialiste, c’est-à-dire de tout le monde en fait.

L’amendement II-DN56 concerne, cette fois, les forces de l’armée de l’air et de l’espace.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Je soutiens cet amendement. Toutes les mesures qui permettront de recruter et surtout de garder les sous-officiers, officiers et techniciens, à qui on fait des ponts d’or au sein de la BITD et ailleurs, sont évidemment bienvenues.

La commission rejette l’amendement.

 

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Le minimum, dans une commission telle que la nôtre, serait de faire preuve de respect. J’aimerais que ceux de nos collègues qui en traitent d’autres de tocards soient rappelés à l’ordre. Qu’est-ce qui leur permet de nous insulter ?

M. le président Thomas Gassilloud. Je n’avais pas entendu.

M. Frédéric Boccaletti (RN). Nous nous sommes fait insulter et diffamer au début de la réunion – vous n’étiez pas là. Je me suis donc permis de dire à un de nos collègues qu’il avait un comportement de tocard, ce que je confirme, en précisant que ce n’est ni injurieux ni diffamatoire, contrairement aux propos qui nous visaient.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Se faire insulter par les députés du Front national est une forme de légion d’honneur.

 

Amendement II-DN57 de M. Laurent Jacobelli

M. Laurent Jacobelli (RN). Merci à notre collègue qui est resté vingt-trois ans au parti socialiste, aux côtés de François Mitterrand, lequel avait reçu la francisque. Qu’il assume son héritage !

Nous souffrons, s’agissant des avions à très forte capacité d’emport, d’un vrai manque. Nous avons des appareils pouvant embarquer 17 tonnes, 25 tonnes ou 37 tonnes, mais pas 150 tonnes. En cas de besoin, par exemple pour transporter des chars, nous avons recours à des avions appartenant à des armées d’autres pays, comme les États-Unis d’Amérique. Puisqu’il est beaucoup question de souveraineté – nous sommes très heureux que ce terme soit à nouveau au centre des débats –, il faudrait développer notre propre avion à forte capacité d’emport. Tel est l’objet du présent amendement.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. C’est une capacité qui nous manque, en effet, mais votre amendement prévoit d’y consacrer 100 millions d’euros, alors qu’il faudrait plutôt des milliards pour mener un tel projet. Par ailleurs, le général Mille, que nous avons auditionné, n’a pas fait état d’un besoin prioritaire dans ce domaine, contrairement à ce qu’il nous a dit à propos du renouvellement des Casa ou des Hercule C-130. Il s’agit d’une capacité que nous aimerions bien avoir, naturellement, mais que nous ne pouvons pas nous offrir dans le contexte actuel. Il existe un projet européen en la matière, mais je ne sais pas si cela peut vous plaire. Il me semble pourtant que c’est le bon échelon : ce ne sont pas des capacités de transport auxquelles on a recours quotidiennement. Pour ces raisons, demande de retrait, sinon avis défavorable.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Vous dites que nous n’avons pas besoin de cette capacité au quotidien, mais que se passe-t-il au Niger ? Les A400M ne suffisent pas pour transporter tout le matériel entreposé depuis des années dans ce pays. Nous avons une carence en ce qui concerne les gros-porteurs, ce qui nous contraint à nous tourner vers des solutions qui ne sont pas souveraines, comme la location d’Antonov.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Je partage la préoccupation à l’origine de cet amendement. Le général Mille a dit que nous pouvions être confrontés à des problèmes en matière de transport stratégique. Nous le savons, les Antonov arrivent en fin de vie. Par ailleurs, si nos amis américains peuvent nous aider avec leurs C-5 Galaxy, cela ne va pas très loin. Le problème est qu’il s’agit d’un programme qui coûterait de 5 à 15 milliards d’euros et pour lequel il n’existe pas de marché. Les seuls pays qui peuvent s’offrir ces capacités sont les États-Unis, la Chine, peut-être – mais je doute qu’on vende des avions aux Chinois – et l’Europe, collectivement. Ce n’est pas en mettant sur la table 100 millions d’euros, au petit bonheur la chance, qu’on aboutira une solution. Néanmoins, cette question mérite de faire l’objet d’un véritable travail. Une mission parlementaire avait été créée à ce sujet il y a quelques années, mais je pense que nous devrions retravailler sur le dossier pour voir ce qui peut marcher.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN60 de M. Laurent Jacobelli

M. Laurent Jacobelli (RN). On a mis six ans à se mettre d’accord sur l’objectif du MGCS, et il est clair que ce char ne verra pas le jour avant 2040 – et encore c’est une hypothèse optimiste. Entre-temps que fera-t-on ? Nous avons des chars qui commencent à vieillir et nous vivrons une période tampon assez délicate à gérer. Par ailleurs, les signaux qui nous parviennent quant à l’état du monde ne sont pas très encourageants. Il ne faudrait donc pas se trouver dépourvu quand la bise sera venue. Nous proposons – tenez-vous bien – une solution franco-allemande, codéveloppée par Nexter, dont le capital est mixte, et potentiellement disponible à moyen terme, à savoir l’E-MBT. Ne restons pas sans armement à force de courir après des chimères.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Avis défavorable.

M. Jacobelli croît tantôt au couple franco-allemand et tantôt il n’y croit pas, ce qui n’est pas très cohérent. Vous avez déjà enterré le MGCS, un peu comme le croque-mort qui, dans les albums de Lucky Luke, prend les mesures des gens de leur vivant. Nous essayons, pour notre part, de voir le verre d’eau à moitié plein, parce que nous sommes aux responsabilités et que nous voulons préparer l’avenir. Force est de constater que des avancées substantielles ont été réalisées ces derniers temps : un accord a été trouvé entre les états-majors français et allemands au sujet des besoins militaires et un High Level Common Operational Requirements Document a été signé en septembre 2023 par les ministres Sébastien Lecornu et Boris Pistorius.

Comme l’a indiqué devant nous le chef d’état-major de l’armée de terre (Cemat), la question primordiale est celle des besoins militaires. Or les forces terrestres, que vous le vouliez ou non, ne souhaitent pas un char Leclerc amélioré, le Cemat a été très clair lors son audition. L’enjeu est de ne pas rater le changement de génération en allouant des ressources à un modèle intermédiaire. De plus, indépendamment du développement industriel qui suivra, le programme MGCS permet de travailler sur les caractéristiques du système de char du futur et sur les briques technologiques nécessaires, comme l’a rappelé notre excellent collègue Belhamiti.

En attendant, notre responsabilité est de prévoir les moyens de pérenniser et de moderniser le char Leclerc pour le faire durer jusqu’en 2040 ou 2045 – c’est ce qui est prévu par la loi que nous venons d’adopter. En 2024, 21 chars Leclerc rénovés seront ainsi livrés à l’armée de terre et la LPM prévoit 200 chars rénovés en 2035.

Je me permets aussi de vous faire remarquer que vous voulez ponctionner 100 millions sur les crédits des journées défense et citoyenneté, alors que nous devons favoriser l’engagement de nos jeunes dans les armées, et sur le programme Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant, que vous prétendez défendre – c’est vraiment faire preuve de duplicité.

M. Laurent Jacobelli (RN). Je pense qu’il y a un problème à l’éducation nationale puisqu’on peut apparemment être député sans savoir lire. Voici ce que nous avons écrit : « Cette minoration est proposée pour les besoins de la recevabilité financière. En cas d’adoption de l’amendement, il est demandé au Gouvernement de lever cette compensation ». Il faudrait en finir avec les clowneries.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. L’organisation de nos travaux ne suit absolument aucune logique. Nous passons des chars aux avions puis au logement, avant de revenir en arrière. Aucune réflexion n’est possible dans ces conditions. De plus, la majorité n’est quasiment pas représentée, parce qu’elle sait très bien que le Gouvernement aura recours au 49.3. C’est donc un véritable cirque : nous ne faisons que ridiculiser l’institution parlementaire, que le Gouvernement piétine continuellement. C’est uniquement parce qu’il s’agit de nos armées que nous resterons jusqu’à la fin de ce débat.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Je partage les préoccupations de notre collègue Jacobelli au sujet de l’avenir du MGCS, mais j’ai écouté très attentivement le chef d’état-major de l’armée de terre. Il nous a dit qu’il ne souhaitait pas un char intérimaire, mais que, comme l’ont également expliqué le délégué général à l’armement et le ministre, il faudrait faire un choix fondamental en 2025 et que, de toute façon, ce qui serait fait dans le cadre du programme E-MBT pourrait servir à un plan B si le MGCS ne devait pas voir le jour. Notre collègue pose donc une bonne question, mais il est peut-être trop tôt pour y répondre. Attendons 2025.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Je note que nos collègues de La France insoumise ne sont pas contents d’avoir à défendre des amendements identiques à ceux du Rassemblement national. Au-delà de la question de l’ordre d’examen des amendements, qui peut effectivement se poser, François Cormier-Bouligeon a apporté une réponse de fond : ne tuons pas l’initiative MGCS avant de lui avoir donné une chance d’aboutir. L’année 2024 sera déterminante.

L’amendement rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN61 de M. Laurent Jacobelli

M. Laurent Jacobelli (RN). L’Agence européenne de défense est un organe de ce qu’on appelle « l’Europe de la défense », qui est une chimère, on le voit bien. Il y a peu d’export d’armement français vers nos partenaires européens privilégiés. Les nations d’Europe centrale et de l’Est regardent vers les États-Unis d’Amérique, et les principales coopérations européennes dans le domaine de l’armement enchaînent les difficultés. Confier toujours plus de pouvoir à l’Union européenne pour notre défense revient, de facto, à céder des bouts de notre souveraineté, au détriment d’accords bi, tri ou quadrilatéraux portant sur de vrais projets, à l’image de ce qui a été fait hier pour Ariane ou Airbus. Nous proposons donc de réduire les financements de l’Agence européenne de défense.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Il existe un certain nombre de programmes européens dans lesquels la France est particulièrement engagée. Puisque l’exposé sommaire de l’amendement évoque le SHOM (service hydrographique et océanographique de la Marine), je précise que la relève des bâtiments participant à son fonctionnement est programmée et qu’un travail assez important est réalisé en lien avec l’Occar (Organisation conjointe de coopération en matière d’armement), par exemple pour l’EPC, la future corvette de patrouille européenne dont nous avons parlé ce matin, et les Fremm (frégates multimissions). Par conséquent, avis défavorable.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Je rejoins ce qui a été dit quant à la manière dont l’examen des amendements est organisé. Nous avons eu des débats de très grande qualité sur la loi de programmation militaire, dont ce budget est une déclinaison. Le regroupement des amendements selon les noms des premiers signataires nous empêche aujourd’hui d’avoir de véritables échanges sur le fond.

S’agissant de l’Europe de la défense, nous avons une vision absolument contraire à celle de M. Jacobelli. L’Europe est une garantie de paix, grâce à la coopération entre les pays. Il faut approfondir cette coopération, qui a d’abord été économique : nous avons besoin que l’Europe ait aussi une voix politique et géopolitique forte – c’est elle qui peut peser – et une défense. Je suis donc totalement hostile à cet amendement.

Les buts de l’Agence européenne de défense sont les suivants : « l’harmonisation des exigences pour la mise à disposition de capacités opérationnelles ; la recherche et l’innovation pour le développement de démonstrateurs technologiques ; les formations et exercices de maintenance visant à soutenir des opérations relevant de la politique de sécurité et de défense commune » – nous avons besoin de tout cela. Je souligne aussi que l’agence travaille notamment avec l’Ukraine, la Norvège et la Suisse.

Nous avons besoin de cette agence, de plus de coopérations, d’armées qui fonctionnent ensemble et, plus globalement, d’un socle politique et militaire européen.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN62 de M. Laurent Jacobelli

M. Laurent Jacobelli (RN). Je suis d’accord avec les autres groupes de l’opposition : il est très compliqué de débattre dans ces conditions, et très inintéressant. Cela m’intéresserait, revanche, de parler du MGCS et de l’Europe de la défense de manière détaillée, au lieu de passer sans cesse du coq à l’âne en bâclant les débats.

Le retex d’Orion nous a montré que la navigation satellitaire posait certains problèmes. Dès qu’il pleut, les tablettes cessent de fonctionner et les signaux satellitaires ont leurs limites : il a donc fallu reprendre les bonnes vieilles cartes, la bonne nouvelle étant que nos officiers, sous-officiers et soldats ont été suffisamment astucieux et ingénieux pour utiliser des systèmes alternatifs. Au lieu de tout miser sur le satellitaire, il faudrait investir dans d’autres solutions, comme les technologies inertielles, qui permettent d’éviter non seulement les piratages mais aussi les ruptures de signal.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Cet amendement, outre qu’il est seulement d’appel, apporterait une mauvaise réponse à une vraie question. Il y a eu, effectivement, un problème d’accès aux données et de traitement, l’audition du général Métayer l’a confirmé, mais ce n’est pas un problème de génération de données. Or ce que vous proposez, au sujet du programme Omega, est d’arrêter de générer des données de géolocalisation par le biais de satellites, au profit de solutions faisant appel à des centrales inertielles. Ce n’est pas parce qu’on a eu un problème d’accès aux données, avec les terminaux fournis à nos soldats, que les données dont nos forces en opération ont besoin sont générées par un mauvais système. C’est sur le SIC, le système d’information et de communication, c’est-à-dire les réseaux opérationnels d’accès à l’information, qu’il faut faire porter un effort. Je vous demande donc de retirer l’amendement ; à défaut, avis défavorable.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Je partage, une fois de plus, l’inquiétude exprimée par notre collègue. Par ailleurs, je n’ai pas la même lecture que le rapporteur pour avis : il s’agit, pour moi, d’un amendement d’appel visant à lancer une alerte sur le risque du tout-satellitaire et non à supprimer des budgets. Nous ne devons surtout pas retirer des crédits au programme Omega, mais le tout-technologique est un problème : on sait la nécessité de pouvoir fonctionner en mode dégradé. Je voterai, à titre personnel, pour cet amendement que je trouve judicieux.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN63 de M. Laurent Jacobelli

M. Laurent Jacobelli (RN). Il s’agit, par cet amendement, de renforcer le maintien en condition opérationnelle. En effet, nous avons besoin d’une grande disponibilité des matériels. La LPM va dans le bon sens, mais il faut reconnaître que nous avons des équipements sous-dimensionnés auxquels on demande beaucoup. Nous sommes encore dans une logique de flux qui montre ses limites. Il faudrait passer, au moins partiellement, à une logique de stocks, comme l’ont souligné différents rapports, issus de députés de divers groupes, mais cela ne sera pas fait dans les mois qui viennent, il suffit de s’entretenir avec des officiers généraux pour le savoir.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Quand on donne des leçons de compétence, d’une manière assez péremptoire, encore faudrait-il être soi-même à la hauteur. Or notre collègue Jacobelli a mal lu le projet de loi de finances pour 2024 : celui-ci prévoit une hausse de 230 millions d’euros pour l’entretien programmé des matériels, ce qui représente les trois quarts de la hausse des crédits du BOP (budget opérationnel de programme) de l’armée de terre. Au total, le budget de l’entretien programmé des matériels des forces terrestres s’élèvera en 2024 à 1,46 milliard d’euros en crédits de paiement, soit une hausse de 19 % – excusez du peu – par rapport à la loi de finances initiale pour 2023. S’agissant de la programmation pour 2024-2030, par ailleurs, le budget alloué au MCO doit augmenter de 40 % par rapport à la précédente LPM : il s’élèvera à 49 milliards d’euros, dont 13,2 milliards pour l’armée de terre.

Au-delà de la question des crédits, il faut prendre en compte l’accroissement de la performance du MCO. J’ai entendu, moi aussi, des officiers généraux, notamment le DC Simmt (directeur central de la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres). La Simmt finalise actuellement sa nouvelle ambition pour 2030, qui vise à adapter son mode de fonctionnement aux enjeux de la haute intensité. La constitution de stocks de pièces de rechange est un enjeu bien pris en compte par la Simmt, qui a lancé une démarche tendant à augmenter l’efficience du MCO terrestre, notamment par la renégociation des contrats de soutien en service. Il s’agit de disposer de davantage de pièces de rechange en passant d’une logique de contrats forfaitaires orientés vers la performance à une logique de constitution de stocks. C’est la direction que nous sommes en train de prendre, et je dois dire que le DC Simmt fait preuve d’une certaine fermeté en la matière.

Je vous demande de retirer votre amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN64 de M. Laurent Jacobelli

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. L’entretien programmé du matériel doit déjà bénéficier de 49 milliards d’euros sur la période 2024-2030 . L’effort prévu par le PLF est à la hauteur de la promesse faite par la LPM en matière de MCO, auquel iront plus de 5,7 milliards, soit une progression de 745 millions d’euros. Par conséquent, avis défavorable si l’amendement n’est pas retiré.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendements II-DN67 et II-DN68 de Mme Cyrielle Chatelain

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Comme nous l’avons dit lors des débats sur la loi de programmation militaire, le réchauffement climatique et ses effets, en matière de disparition de la biodiversité et d’amplification des catastrophes climatiques, sont un phénomène global et extrêmement déstabilisant d’un point de vue environnemental, social, économique et géostratégique qu’il faut prendre en compte dans l’organisation de nos armées.

L’amendement II-DN67 demande ainsi une augmentation des crédits alloués à la prospective de défense. Nous avons besoin de moyens pour penser la politique de défense dans un monde qui se réchauffe, où on a moins de pétrole et d’eau et où les conditions opérationnelles deviennent plus difficiles.

L’amendement suivant vise à augmenter les moyens de la coopération internationale et de la diplomatie. Une politique de défense est solide, nous l’avons également souligné pendant tout l’examen de la LPM, s’il existe à ses côtés une politique diplomatique forte.

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis. Nous sommes tous conscients des enjeux du réchauffement climatique, notamment sur le plan environnemental, et sommes tous impliqués sur cette question. Néanmoins, le montant très élevé – 100 millions d’euros – qui est proposé dans votre premier amendement est assez surprenant : il est sans rapport avec les montants consacrés aux dispositifs de soutien pluriannuels à la recherche mis en place par la DGRIS (direction générale des relations internationales et de la stratégie). Cette dernière a mis en place, en 2016, un observatoire « Défense et climat » dont vous avez peut-être connaissance et qui a fait l’objet d’un marché de 1,44 million d’euros passé avec l’Iris (Institut de relations internationales et stratégiques). Ce marché a d’ailleurs été renouvelé en mai 2022, pour une durée de quatre ans. Tous les travaux de cet observatoire sont diffusés sur son site internet et sont donc accessibles.

En ce qui concerne l’amendement suivant, j’ai un petit doute sur l’abondement de l’action 08 du programme 144, qui finance des actions de natures très diverses, comme le programme mondial de lutte contre les mines antipersonnel et l’Agence européenne de défense : une fois encore, le montant que vous proposez – 50 millions d’euros – me paraît peu en rapport avec ce que fait la DGRIS de manière générale.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendement II-DN69 de Mme Cyrielle Chatelain

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Cet amendement revient sur la question de l’Europe de la défense. Nous proposons une augmentation des crédits prévus pour la planification des moyens et la conduite des opérations afin d’accroître les coopérations opérationnelles avec les forces armées d’autres pays européens grâce à des échanges de savoir-faire et à une standardisation de procédures.

Suivant la position du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN70 de Mme Cyrielle Chatelain

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). L’armée – nous en avons aussi parlé lors de l’examen de la loi de programmation militaire – est propriétaire de très nombreux bâtiments. Comme il faut faire des efforts en matière de rénovation thermique dans le cadre de l’ensemble des politiques de l’État, cet amendement a pour objectif d’augmenter fortement les moyens prévus pour la politique immobilière du ministère des armées. On ne dispose que de fort peu de temps pour rénover de très nombreux bâtiments et atteindre nos objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. C’est un amendement tout à fait intéressant qui, si nous l’avions examiné et adopté dans l’ordre prévu par le règlement de l’Assemblée, aurait fait tomber l’amendement de M. Jacobelli, qui proposait 15 millions d’euros supplémentaires. Le présent amendement de Mme Chatelain aurait dû être examiné en premier, puisqu’il propose une augmentation des crédits plus importante, de 150 millions – ce qui permettrait de faire des choses.

Nos collègues du Rassemblement national ne pourront pas, compte tenu de l’amendement qu’ils ont eux-mêmes déposé, se prononcer contre celui-ci, mais nous allons voir si c’est l’intérêt général qui guide leurs votes ou bien un intérêt purement politique.

La commission adopte l’amendement.

Amendement II-DN71 de Mme Cyrielle Chatelain

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Je propose à notre collègue de retirer son amendement, car il me semble déjà satisfait par le « plan familles II », qui repose sur une coordination renforcée avec les acteurs locaux. Nous pourrions peut-être discuter de l’intégration des associations d’habitants en séance avec le ministre.

L’amendement est retiré.

 

Amendement II-DN72 de Mme Cyrielle Chatelain

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Cet amendement concerne l’inclusion des personnes en situation de handicap dans nos forces armées. Le taux d’emploi de ces personnes y reste en deçà de la moyenne nationale, ce qui est préjudiciable non seulement pour elles, mais aussi pour nos armées, qui sont privées de compétences et de talents précieux. C’est pourquoi nous souhaitons augmenter les moyens en faveur de la politique menée dans ce domaine.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Je sais que la députée Chatelain connaît les restrictions d’accès aux armées, compte tenu de ce qu’il est convenu d’appeler le profil Sigycop. Néanmoins, je comprends que cet amendement tend à favoriser l’emploi des personnes en situation de handicap dans l’ensemble du ministère. Comme il n’y a pas de restrictions pour les civils du ministère des Armées, j’émets un avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN73 de Mme Cyrielle Chatelain

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Cette proposition risque d’être moins consensuelle que les précédentes. En cohérence avec ce que nous avons défendu lors de l’examen de la loi de programmation militaire, nous considérons que, même si nous ne pouvons pas sortir de la dissuasion nucléaire d’une manière unilatérale, il faudrait commencer à penser un système de défense bâti sur une autre dissuasion, non nucléaire. Nous souhaitons donc réduire progressivement les moyens alloués à la dissuasion nucléaire.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. En effet, nous avons déjà eu ce débat. La France est exemplaire en matière de réduction des arsenaux nucléaires. Nous avons abandonné la composante terrestre de notre dissuasion et démantelé nos sites pour les essais nucléaires, ainsi que nos installations d’enrichissement de matières nucléaires, tout cela d’une façon irréversible. Ce sont des efforts considérables que d’autres grandes puissances n’ont pas faits. Doit-on aller plus loin ? Il est vrai que vos propositions ont une cohérence, même si on pourrait reparler de la contribution du nucléaire civil à la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre. Seulement, le contexte ne nous permet pas d’engager une nouvelle réduction de notre arsenal nucléaire. Si nous devions le faire, ce serait un signal très négatif pour nos alliés et nos compétiteurs. Avis défavorable.

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis. Au risque d’énoncer un truisme, une dissuasion n’est dissuasive que si elle est au meilleur niveau. Si elle est en dessous du niveau de ses compétiteurs, elle ne dissuade plus personne et ne sert donc à rien – dès lors, autant prévoir 0 euro pour ce volet. Il faut soit moderniser soit abandonner notre dissuasion.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN76 de M. Frank Giletti

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Cet amendement vise à donner plus de moyens à l’armée de l’air et de l’espace pour faire face à l’augmentation du coût du carburant et accroître son activité. Je rappelle que la norme au sein de l’Otan est d’au moins 180 heures de vol par an et par pilote de chasse. Or nous en étions à 164 heures en 2022 et que nous avons une cible à 147 heures en 2023 – je ne dirai rien de l’objectif pour 2024, car il est confidentiel.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN78 de M. Frank Giletti

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. L’A400M, dont nous avons parlé ce matin, est un peu un game changer – pardon d’employer ce terme, que je n’aime pas beaucoup. C’est un atout qu’on emploie tout le temps, pour les opérations Sagittaire au Soudan et Apagan en Afghanistan et maintenant au Niger. La LPM a sanctuarisé au moins trente-cinq A400M. Je propose que nous en ayons trois de plus. C’est une nécessité, notamment pour donner une réassurance aux populations qui vivent dans nos outre-mer et envoyer un signal stratégique à nos compétiteurs. Nous pourrons également utiliser ces vecteurs pour apporter notre appui lorsque des cataclysmes climatiques se produiront dans la zone indo-pacifique. L’amendement tend à augmenter les crédits pour permettre la livraison d’un A400M supplémentaire dès 2024.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. L’objectif fixé par la LPM, que nous avons adoptée il y a quelques semaines, est effectivement d’avoir au moins trente-cinq A400M – cela dépendra notamment de la vitalité d’Airbus à l’export. Il n’y a pas lieu, à ce stade, de remettre en cause ce que nous venons de voter. Par ailleurs, nos capacités dans ce domaine ne nous ont jamais mis en défaut par rapport à nos ambitions opérationnelles, qu’il s’agisse de Sagittaire ou d’autres opérations. Je comprends votre ambition – nous sommes plusieurs à la partager ici – qui est de prépositionner des A400M à des endroits stratégiques, par exemple dans l’Indo-Pacifique, mais ne le faisons pas comme cela, maintenant. Il faut donner sa chance à la loi de programmation militaire, que vous avez votée, comme nous. Par conséquent, même si nous pouvons nous rejoindre sur l’objectif d’un accroissement de nos capacités en ce qui concerne l’A400M, avis défavorable.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. J’avais déjà déposé un amendement lors de l’examen de la LPM afin d’augmenter le nombre d’A400M. Il faut prévoir les choses : un A400M, c’est aussi un équipage et des mécaniciens, des infrastructures, des supports. Nos armées ont besoin de visibilité. Or on ne sait pas quand l’objectif de trente-cinq A400M sera atteint. Je reviens un instant sur nos échanges au sujet du Pang (porte-avions de nouvelle génération) : ce n’est pas seulement un vecteur, mais aussi un équipage, et le premier officier qui commandera ce porte-avions entre aujourd’hui à l’École navale. Il faut aussi prévoir les pilotes pour les A400M. Par ailleurs, nous limitons notre ambition opérationnelle alors que nous pourrions faire beaucoup plus, afin d’être plus présents, d’exercer davantage d’influence et de force, notamment outre-mer.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN80 de M. Frank Giletti

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Orion a notamment mis en exergue les failles du SSA (service de santé des armées) : on ne pourrait soigner que huit blessés en situation d’urgence vitale par jour. Or on sait que le chiffre serait malheureusement bien supérieur en cas de conflit de haute intensité. Cet amendement demande donc l’achat de structures médicales mobiles robustes pour assurer des soins médicaux d’urgence et un soutien sanitaire continu dans des zones éloignées des structures hospitalières traditionnelles. Ce n’est que la traduction des besoins exprimés par nos généraux.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il s’agit d’un amendement d’appel. Attendons l’avis du ministre en séance : sagesse.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). L’organisation des débats est particulièrement problématique : nous revenons une fois encore sur la question du SSA.

Le ministre avait été interpellé à ce sujet lors de l’examen du projet de loi de finances de l’an dernier, puis de la LPM. On nous a expliqué que la restructuration du SSA faisait l’objet d’un moratoire, et la nouvelle feuille de route n’a pas été présentée à notre commission ni, a fortiori, devant la représentation nationale. Nous savons que le ver est dans le fruit depuis un long moment, mais n’avons aucune vision d’ensemble.

Cet amendement d’appel, même si je comprends bien son intention, ne permettra pas d’établir une stratégie crédible et durable pour le SSA. Nous avons affaire à un problème global qui ne se réglera pas en mobilisant 100 millions d’euros.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Ce n’est peut-être pas suffisant, mais il s’agit au moins d’un premier pas. Je sais que vous avez à cœur, comme nous, le service de santé des armées et son personnel.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN86 de Mme Michèle Martinez

Mme Michèle Martinez (RN). L’Institution de gestion sociale des armées (Igesa) joue un grand rôle dans la vie de nos militaires et de leurs familles : elle leur apporte un soutien important, qu’il s’agisse des activités de loisir, de l’accueil des enfants ou des prêts financiers – la liste n’est pas exhaustive. Malheureusement, il est difficile de pourvoir aux besoins de toutes les familles. Je pense en particulier aux places dans les crèches et les autres espaces d’accueil de la petite enfance. Il est nécessaire d’aider l’Igesa à se développer, afin que le plus grand nombre puisse bénéficier de ses services.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Je vous demande de retirer cet amendement au profit du mien, le II-DN169, qui prévoit un montant supérieur. Compte tenu des besoins de cet organisme essentiel, 10 millions d’euros ne suffiront pas.

La commission adopte l’amendement.

Amendement II-DN87 de Mme Michèle Martinez

Mme Michèle Martinez (RN). Les infrastructures sont un peu le parent pauvre du budget de nos armées : les montants prévus s’apparentent plus à l’utilisation d’un fond de tiroir qu’à un réel investissement. Pourtant, les parties communes des logements militaires, casernes et autres emprises n’échappent pas aux dégradations liées au temps – problèmes de plomberie, d’isolation, de salubrité, voire de sécurité, qui ne sont pas en soi des fatalités et méritent d’être traités. Plus le règlement de ces problèmes traînera, plus les budgets de rénovation seront élevés. Il serait donc bénéfique pour tous que les réparations aient lieu au plus tôt. De plus, avec la diminution des Opex, nos militaires seront amenés à passer plus de temps dans ces locaux – raison de plus pour que les rénovations soient faites.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Avis défavorable, pour les mêmes raisons que précédemment. Compte tenu des besoins réels, cet amendement ressemble trop à une posture.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN91 de M. Bastien Lachaud

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Cet amendement d’appel porte sur un sujet que nous avons déjà abordé, le MGCS, auquel nous ne croyons pas. Notre proposition repose sur une note de l’Ifri qui a établi la nécessité de l’E-MBT en tant que gap-filler (bouche-trou) – j’emploie ce mot pour faire plaisir à notre collègue Thiériot, qui affectionne les anglicismes. L’E-MBT nous permettra d’avoir, comme les Allemands, un matériel sur l’étagère ou en tout cas de faire en sorte que le savoir-faire ne se soit pas complètement perdu chez Nexter le jour où il faudra retirer nos billes du MGCS. Je souligne au passage que Nexter n’est plus indépendant : KNDS prend les décisions. C’est la conséquence de choix politiques qui nous avaient pourtant été présentés comme un moyen de garantir la pérennité et la souveraineté de l’industrie de défense dans le domaine terrestre, ce qui n’a pas été tout à fait vrai, à l’évidence.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Avis défavorable. Nous en avons déjà débattu et nous en reparlerons, comme notre collègue Belhamiti l’a dit, courant 2024, quand la situation commencera à s’éclaircir. Sur le plan capitalistique, M. Saintoul a probablement raison, mais la R&D et la production de Nexter, ou anciennement Nexter, sont encore en France.

M. le président Thomas Gassilloud. Sachant qu’on en est, de mémoire, à 50-50 sur le plan capitalistique, en ce qui concerne KNDS.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN93 de M. Aurélien Saintoul

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Cet amendement d’appel, d’un montant de 1 euro, demande de réinternaliser la fonction Red Air, qui sert à la préparation des pilotes. Son externalisation est la conséquence de la fin de vie de l’Alpha Jet, avion utilisé pour ce type d’exercice, et de difficultés en matière de ressources humaines. Le fait que des entreprises privées fassent des profits sur la préparation des armées nous pose un problème de principe.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Lors de la présentation de mon rapport, j’ai évoqué la fonction Red Air et fait part de mon étonnement d’un contrat de sept ans avec un potentiel prestataire pour simuler la force adverse lors des exercices de l’AAE. J’y vois l’illustration de la faiblesse de l’actuel format de notre aviation de chasse.

Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN94 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Si l’Alpha Jet arrive en fin de vie, qu’adviendra-t-il de la Patrouille de France, qui est la vitrine de l’AAE ? La Patrouille de France volera-t-elle sur un avion qui n’est pas français ? Sinon, il faut prévoir qu’elle vole sur Rafale.

Il ne s’agit pas de dépouiller les forces opérationnelles de l’AAE, mais d’anticiper la fin de vie de l’Alpha Jet et de réfléchir à l’avenir de la Patrouille de France. Sommes-nous prêts à mettre les moyens pour la doter de Rafale ou devrons-nous accepter l’idée qu’elle vole sur des avions étrangers ?

M. le président Thomas Gassilloud. Si j’étais un peu taquin, je dirais que vos alliés écologistes refusent le survol des communes qu’ils dirigent par la Patrouille de France. J’ai eu ce débat avec le maire de Lyon.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Je me sens surveillé et cela m’inquiète. Il y a une dizaine de jours, j’ai adressé au Gouvernement une question écrite sur l’avenir de la Patrouille de France compte tenu de la fin de vie des Alpha Jet. Il suffit de me suivre sur les réseaux sociaux pour le savoir. Cet amendement me surprend donc.

J’ai posé au ministre des armées la question du devenir de la Patrouille de France, qui fait la fierté de la France. Je vois mal les Rafale remplir cette mission de prestige, pour de nombreuses raisons, au premier rang desquelles le format de l’aviation de chasse l’AAE. Nous avons peu de Rafale. Gardons-les pour les missions opérationnelles, pour la posture permanente de sûreté aérienne et pour la dissuasion.

Avis défavorable.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Je ne doute pas que les maires écologistes ayant refusé le survol de leur commune par la Patrouille de France ont des arguments tout à fait solides liés aux enjeux de leurs communes respectives, qu’ils défendent ardemment.

Nous voyons l’intérêt de l’amendement de nos collègues du groupe La France insoumise. Nous le voterons.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN95 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il porte sur un sujet à la fois budgétaire et démocratique.

Le financement des missions opérationnelles ne relève pas officiellement du budget des Opex. Il ne fait pas l’objet d’un vote du Parlement, conformément à l’article 35 de la Constitution. Elles remplissent pourtant tous les critères des Opex. Les militaires qui servent dans ce cadre bénéficient d’un statut quasi-identique à celui des militaires qui servent en Opex, pensions mises à part, ce qui n’est pas rien.

Comment en assurons-nous le financement ? Par le truchement du budget opérationnel de programme (BOP) Opex du programme 212 et par le truchement du BOP du programme 178, en espérant un collectif budgétaire de fin d’année permettant de bénéficier d’un financement interministériel. Il en résulte une fragilité budgétaire, pour les armées, et démocratique, s’agissant d’une forme de contournement du vote du Parlement.

Le présent amendement vise à basculer le financement des missions opérationnelles sur le BOP Opex, afin que le Gouvernement assume qu’elles sont des Opex, que leur budget fasse l’objet d’un débat et d’un vote au Parlement, et que le budget des armées soit sécurisé.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. À mon tour, je me sens espionné, ayant soulevé la question dans mon rapport pour avis sur le précédent projet de loi de finances ! Je ne peux donc qu’abonder dans votre sens, Monsieur Lachaud.

Toutefois, une telle décision ne peut être prise au détour d’un amendement. Elle ferait en revanche un excellent sujet de réflexion pour notre commission pour l’année à venir, en vue de l’examen du projet de loi de finances pour 2025.

M. le président Thomas Gassilloud. Le ministre a indiqué qu’il attendait des propositions à ce sujet de la part de ses services et de l’état-major des armées (EMA).

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN96 de M. Aurélien Saintoul

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Cet amendement est une variante du précédent. Faut-il financer les missions opérationnelles sur le budget des Opex ou par un programme propre ? En réalité, on nous demande de ne pas choisir et d’attendre que le ministre lui-même prenne la décision. C’est l’une de nos traditions, en Macronie, de décider de nous dessaisir de notre pouvoir !

Plus sérieusement, il y a bel et bien un problème. Si, d’après le ministre, nous sommes dans une zone grise depuis plus d’un an, et si les missions opérationnelles relèvent bien du droit des Opex, alors le vote du Parlement a été allègrement contourné et les missions Lynx et Aigle se déroulent dans un cadre qui n’est pas démocratique, ni même constitutionnel.

Nous devrions nous élever contre cet état de fait, mais, manifestement, le souci du respect des institutions n’est pas universellement partagé.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Avis favorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN97 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Nous avons appris que le standard F4.2 du Rafale sera livré avec un an de retard. Tous les programmes, au demeurant, connaissent des retards récurrents. Pour que le Standard F5 ne soit pas livré en retard, nous proposons d’en lancer les travaux par anticipation.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. L’amendement est satisfait. La ligne budgétaire Rafale F5 dont vous demandez la création existe. Elle a été introduite dans le projet de loi de finances pour 2024 à la sous-action 09.59 du programme 146, qui prévoit des crédits de plus de 65 millions pour le passage du Rafale au standard F5 et pour l’acquisition de drones d’accompagnement.

Demande de retrait ou avis défavorable.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Nous retirerons l’amendement pour le retravailler d’ici à l’examen du texte en séance publique, où nous sommes certains d’avoir des débats fructueux avant le 49-3.

L’amendement est retiré.

 

Amendement II-CF98 de M. Aurélien Saintoul

Mme Martine Etienne (LFI-NUPES). Il vise à permettre la désinsectisation des logements des militaires et de leurs familles en cas d’infestation par les punaises de lit. La crise des punaises de lit continue dans notre pays. Il y en a partout. Les logements des militaires, lesquels effectuent de nombreux déplacements, n’en sont pas exempts.

En 2018, on comptait au moins 400 000 sites infestés, dont 100 000 En Île-de-France. Si les punaises de lit ne transmettent pas de maladies à proprement parler, elles provoquent d’importants dégâts psychologiques, déstabilisent le rythme du sommeil et provoquent des insomnies ainsi que des troubles psychologiques et psychiatriques, voire un syndrome de stress post-traumatique (SSPT).

S’en débarrasser, nul ne l’ignore, est très difficile. Les frais moyens induits par une désinfestation s’élèvent à 1 200 euros en moyenne, ce qui est considérable. Il s’agit donc d’un problème de santé publique et d’une ruine financière pour celles et ceux dont le logement est infecté.

Le présent amendement vise à prendre en charge la désinsectisation des logements des militaires au même titre que celle des casernes pour qu’elle soit réellement efficace. C’est du simple bon sens.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Avis favorable. Comme l’a montré l’actualité récente, le taux de prévalence des punaises de lit dans le pays explose. Les logements de militaires n’en sont pas exempts.

Il est de notre devoir, pour la fidélisation des militaires et pour le bien-être de leurs familles, d’agir et de créer la ligne budgétaire proposée. Imaginez un marin parti en mer pour plusieurs mois apprenant que son logement est infesté de punaises de lit et que son épouse ou son époux est obligé de gérer seul la situation ! Il s’agit d’un problème de santé publique.

Les nombreux sourires que je vois suggèrent que tout le monde n’a pas pris conscience de l’importance du sujet. C’est dommage. De nombreux militaires trouveraient un intérêt à la création de la ligne budgétaire proposée.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN100 de M. Bastien Lachaud

Mme Martine Etienne (LFI-NUPES). Cet amendement d’appel vise à ouvrir le débat sur l’organisation des services de renseignement, où le tout-électronique prévaut de plus en plus. Le technologique et le numérique prennent de plus en plus de place dans la doctrine de renseignement. Nos services et nos agents se posent, légitimement, de plus en plus de questions sur l’avenir du renseignement d’origine humaine (ROHUM) et sur la place qu’il occupera.

Par le biais de la présente demande de rapport, nous espérons obtenir des réponses sur la place de l’humain dans les services de renseignement des armées. Les récents événements en Israël et au Niger prouvent que le ROHUM est essentiel et qu’il n’est pas remplaçable. À nos yeux, le tout-numérique n’est pas une solution. Il est nécessaire de s’assurer du recrutement et de la fidélisation de personnels formés et d’apporter des réponses claires sur la doctrine de renseignement envisagée pour les années à venir.

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis. Cet amendement d’appel n’est pas sans rappeler celui de M. Boccaletti que nous avons discuté auparavant. Il eut été de bonne méthode de procéder à des rassemblements thématiques.

L’équilibre entre le renseignement d’origine humaine et les autres sources de renseignement est une question pertinente, que j’évoque chaque année avec la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) et dont je fais part dans mes avis sur le programme 144.

Je serai toutefois moins catégorique que vous s’agissant du Niger ou d’Israël, qui sont des cas différents. En ce qui concerne Israël, le problème a moins été le manque de renseignements humains que l’absence de prise en compte de ceux transmis par d’autres États alertant sur l’imminence d’une attaque. Votre exposé sommaire mériterait d’être plus nuancé.

J’ai abordé longuement le déménagement de la DGSE au Fort Neuf de Vincennes ce matin, et je le fais également dans mon avis à paraître prochainement. Je suis ce projet de très près et je ne doute pas que la délégation parlementaire au renseignement (DPR) en fait autant. Le Parlement est donc associé au suivi de ce dossier, alors que votre exposé sommaire indique que ce n’est pas du tout le cas.

Par ailleurs, l’amendement est notamment cosigné par M. Lachaud, rapporteur pour avis du programme 178 – dont dépend la direction du renseignement militaire (DRM). Le Parlement est donc associé par son intermédiaire aux réflexions sur la place du renseignement humain, et je ne doute pas que son avis contribuera à nous éclairer utilement sur cette question.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN104 de M. Emmanuel Fernandes

Mme Martine Etienne (LFI-NUPES). Les retours d’expérience du conflit en Ukraine montrent l’importance des blindés. Ils sont essentiels en raison de leur puissance de feu, de la protection qu’ils apportent à l’infanterie et de leurs capacités de franchissement.

Mais en même temps on a pu constater l’utilisation de drones de combat, qui complètent les matériels antichars plus traditionnels. D’où l’importance de protéger les chars Leclerc de manière passive, mais aussi active, afin de réduire leur vulnérabilité. Tel est l’objet des crédits supplémentaires proposés par cet amendement.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. L’importance des systèmes de protection active constitue en effet l’un des retours d’expérience du conflit en Ukraine.

La direction générale de l’armement (DGA) conduit deux programmes – dénommés Prometeus (protection multi effets terrestre unifiée) et Pronoia (protection novatrice orientable intégrée d’autoprotection) – afin d’étudier la pertinence de tels dispositifs et de déterminer quels sont les véhicules qu’il conviendrait d’équiper en priorité. Cette réflexion doit se faire en conduite, pour pouvoir s'adapter de manière réactive aux évolutions technologiques, sous réserve de la maturité de la technologie.

Nous avions déjà eu ce débat lors de la discussion du projet de LPM. Le ministre des armées avait indiqué que la priorité pourrait être accordée aux véhicules blindés plutôt qu’aux chars de combat.

Enfin, l’ajout de systèmes de protection active fait partie des réflexions menées dans le cadre du programme de système principal de combat terrestre (MGCS).

Je vous propose de travailler ensemble sur cette question en vue du PLF pour 2025.

Demande de retrait.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN106 de Mme Murielle Lepvraud

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NUPES). Cet amendement d’appel a pour objet d’ouvrir l’accès à la délivrance de la carte du combattant et au titre de reconnaissance de la nation aux sous-mariniers embarqués à bord de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE).

Cette carte du combattant permet de bénéficier, entre autres, de l’allocation de reconnaissance du combattant, de la rente majorée par l’État de la retraite mutualiste du combattant ou encore d’une demi-part supplémentaire de quotient familial pour le calcul de l’impôt sur le revenu au soixante-quatorzième anniversaire du combattant – un peu tard, mais c’est un autre sujet.

Pour obtenir cette carte, il faut avoir pris part pendant quatre mois à des opérations extérieures (Opex). Ce critère pose un problème aux sous-mariniers embarqués à bord d’un SNLE, dont les missions ne sont pas considérées comme des Opex.

La dissuasion nucléaire ayant pour objectif d’empêcher tout conflit, ils ne pourraient obtenir la carte du combattant qu’en cas d’échec de leur mission, c’est-à-dire d’engagement du feu nucléaire. Cette situation est pour le moins paradoxale.

Si vous considérez que la dissuasion nucléaire constitue le cœur du cœur de la défense de notre pays, selon l’expression de notre collègue Thiériot, ne pensez-vous pas qu’il conviendrait de modifier la réglementation relative à la carte du combattant pour les sous-mariniers qui servent dans les SNLE ?

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Mon collègue Jean-Charles Larsonneur et moi-même avons posé plusieurs questions écrites à ce sujet, lesquelles ont manifestement été lues par d’autres collègues.

Nous sommes tous d’accord au sein de cette commission : il faut corriger cette anomalie. Mais il s’agit d’une affaire réglementaire et non pas budgétaire.

J’émets un avis défavorable pour des raisons techniques. Mais il va falloir traiter cette question, qui concerne l’ensemble des sous-mariniers.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendements identiques II-DN130 de M. Jean-Charles Larsonneur, II-DN133 de Mme Isabelle Santiago et II-DN138 de Mme Anne Genetet, amendements II-DN129 de M. Julien Bayou et II-DN116 de Mme Josy Poueyto (discussion commune)

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis. L’an dernier, nous avions voté le doublement des crédits du fonds spécial de soutien à l’Ukraine en les portant à 200 millions.

Or, le PLF pour 2024 ne prévoit pas de prolonger ce fonds. Cette mesure peut paraître brutale dans le contexte d’une longue guerre d’attrition, même si le ministre des Armées Sébastien Lecornu a expliqué qu’un processus était engagé pour faire évoluer l’aide à l’Ukraine. Il s’agit d’associer plus directement les industriels français avec la partie ukrainienne et de moins recourir à des acquisitions financées par ce fonds.

Son arrêt brutal apparaît comme un mauvais signal à nombre de collègues et sur la plupart des bancs. C’est la raison pour laquelle les amendements identiques et ceux qui leur sont très similaires proposent de maintenir le fonds spécial. Ils ne diffèrent que par les gages retenus, qu’il est d’ailleurs demandé au Gouvernement de lever car l’article 4 de la LPM prévoit que les dépenses exceptionnelles liées à l’Ukraine ne seront pas financées par la mission Défense.

Mme Anna Pic (SOC). Dans un contexte où l’attention est quelque peu détournée de l’Ukraine et où le Kremlin compte sur la lassitude des opinions publiques occidentales, il est essentiel de ne pas envoyer de mauvais signal. La disparition du fonds de soutien sans qu’il y ait encore véritablement un dispositif de remplacement pourrait être symboliquement perçue comme un abandon soudain de l’Ukraine par la France. L’amendement II-DN133 vise à accompagner le développement de stratégie destinée à se substituer aux cessions d’armement dont le ministre nous a parlé.

Mme Natalia Pouzyreff (RE). L’amendement II-DN138 est identique. Comme l’a indiqué le ministre, les 200 millions du fonds de soutien sont déjà en partie consommés et d’autres sommes sont engagées au titre des commandes faites par les Ukrainiens. Nous souhaitons donc que ce fonds soit maintenu et nous demandons que l’article 4 de la LPM soit appliqué afin que les crédits de la mission Défense ne soient pas affectés par cette aide.

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). Cet amendement propose de pérenniser le fonds spécial de soutien à l’Ukraine.

Le groupe d’amitié France-Ukraine a récemment organisé un déplacement dans ce pays, et Murielle Lepvraud et moi-même y avons participé. Le soutien de la France est attendu par les Ukrainiens.

Ce n’est pas seulement l’avenir du peuple ukrainien qui se joue là-bas. Il s’agit d’un conflit entre la dictature et la démocratie. On compte seulement des régimes autoritaires dans le camp des Russes et des démocraties dans le camp ukrainien. Abandonner l’Ukraine signalerait à Poutine qu’il peut continuer à s’en prendre à la Moldavie et à déstabiliser l’Europe.

Ce conflit est bien sûr observé aussi par la Chine. Un succès russe serait nécessairement interprété comme la possibilité de l’emporter contre un adversaire soutenu par l’Ouest en ne respectant pas le droit de la guerre.

Il y a beaucoup à faire pour aider l’Ukraine : geler les avoirs russes, les affecter à la reconstruction et soutenir l’armement de ce pays. Mais cela commence dans l’immédiat par la pérennisation du fonds spécial de soutien.

M. Christophe Blanchet (Dem). Avec l’amendement II-DN116, le groupe Démocrate propose lui aussi de maintenir les 200 millions prévus dans le cadre du fonds spécial de soutien à l’Ukraine. Il s’agit bien d’un affrontement aux portes de l’Europe entre une démocratie et des dictatures. C’est l’avenir européen qui est en jeu.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Étant moi-même cosignataire de l’amendement II-DN138, je suis favorable à l’adoption des trois amendements identiques.

Demande de retrait pour les amendements II-DN129 et II-DN116, mais seulement pour des raisons de technique budgétaire.

Sur le fond, il faut bien mesurer que le Gouvernement propose d’aider au développement d’une base industrielle et technologique de défense (BITD) ukrainienne, en association étroite avec les industriels français. Le fonds spécial de soutien a pour objet de rendre possibles des commandes directes de l’Ukraine auprès de nos industries de défense et, si possible, que l’industrie de défense ukrainienne puisse répondre au mieux aux besoins du front – y compris dans le domaine du maintien en condition opérationnelle (MCO), crucial dans un conflit qui va encore durer longtemps.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Du fait d’un petit loupé technique, le groupe Les Républicains n’a pas déposé un amendement identique.

Mais nous soutenons totalement ces amendements, qui constituent un signal. Après l’attaque terroriste du Hamas contre Israël, on a tendance à regarder le Proche-Orient et à perdre de vue l’Ukraine. Il est très important que notre commission adopte ces amendements le plus largement possible, afin de montrer que nous n’oublions pas cette dernière.

Ensuite, le fonds spécial de soutien correspond à un besoin des armées ukrainiennes. Nous avons entendu ce qu’a dit le ministre des armées et nous sommes favorables au fait de passer d’une logique de cessions à une logique d’amorçage. Mais cela suppose aussi des crédits, et le fonds spécial peut et doit y participer. Des PME en ont besoin et certaines attendent la réouverture de ce fonds, comme par exemple Cybergun.

Enfin, comme cela a été dit par tous, la demande de pérennisation du fonds spécial ne se conçoit que dans le cadre de l’article 4 de la LPM, voté à l’unanimité, lequel dispose que l’aide à l’Ukraine ne doit pas se faire au détriment de nos armées. Nous appelons solennellement le ministre à respecter cet article.

La commission adopte les amendements identiques.

En conséquence, les amendements II-DN129 et II-DN116 tombent.

 

Amendement II-DN146 de M. Jean-Louis Thiériot

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Il s’agit d’un amendement d’appel, qui vise à insister sur l’importance de réfléchir, dans le cadre de la fonction d’influence, au déploiement d’une stratégie avec les think tanks non étatiques. Je suis prêt à retirer l’amendement, dont le montant de 10 000 euros est symbolique, mais nous devons élaborer une véritable stratégie avec ces organisations pour que les think tanks français de la défense parviennent à faire entendre une voix indépendante de la France, même s’ils n’atteindront jamais la puissance de la Rand Corporation.

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis. Je vous rejoins complètement sur votre objectif. J’en parlais ce matin dans ma présentation. J’ai eu l’occasion de m’entretenir avec plusieurs think tanks dans le cadre de mes travaux ainsi qu’avec la DGRIS. Je pense que nous devons réfléchir aux moyens de soutenir davantage et mieux nos centres de recherche. La réforme du dispositif de soutien aux think tanks de la DGRIS mis en place en 2015 a porté ses fruits mais nous devons aller plus loin. Je vous propose de retirer votre amendement et de poursuivre la réflexion sur les modalités du renforcement de ce soutien.

L’amendement est retiré.

 

L’amendement II-DN148 de M. Jean-Louis Thiériot est retiré.

 

Amendement II-DN156 de M. Frank Giletti

M. Frank Giletti-, rapporteur pour avis. Il vise à mettre en lumière la nécessité de la montée en puissance de nos capacités spatiales. Qui dominera l’espace aura un avantage sur le champ de bataille : nous n’avons pas suffisamment pris la mesure des besoins dans ce domaine ; l’amendement vise à combler notre retard pour ne pas revivre l’expérience des drones.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Je demande le retrait de l’amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable. Le PLF traduit les engagements de la LPM et comporte ainsi la première étape du patch de 6 milliards d’euros programmés pour le spatial. Les autorisations d'engagement s’élèvent à 1,2 milliard en 2024 pour le programme de « maîtrise de l’espace », soit une augmentation supérieure à 200 % par rapport à 2023. La programmation satisfait l’amendement.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-DN157 de M. Frank Giletti

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. L’un de mes précédents amendements évoquait l’activité des aéronefs ; celui-ci cible leur disponibilité. Les restrictions de diffusion d’informations en matière de disponibilité des flottes nous empêchent d’analyser l’efficience du maintien en condition opérationnelle (MCO). Ayant pu consulter les chiffres, je propose d’abonder le MCO de 280 millions d’euros, afin que la flotte – notamment le triptyque MRTT, A400M, Rafale – puisse voler plus fréquemment.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN158 de M. Frank Giletti

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Il vise à donner plus de moyens au programme Scorpion, afin de renforcer les capacités d’évacuation médicale du service de santé des armées (SSA). Nous avons en effet des interrogations sur les livraisons des véhicules Griffon sanitaire (SAN) et Serval SAN.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. L’évacuation des blessés figure en effet parmi les nombreux enseignements du retour d’expérience de l’exercice Orion.

Il s’agit d’un amendement d’appel, mais, sur le fond, la version sanitaire du Griffon et du Serval n’en est qu’une parmi d’autres du programme Scorpion, toutes également importantes et que la DGA doit qualifier successivement. Huit autres sous-versions sont ainsi prévues pour le Serval – infanterie, génie, mortier de 81 millimètres, mortier de 120 millimètres, poste de commandement, missiles de moyenne portée (MMP), sol-air de très courte portée et ravitaillement.

Il appartient aux forces de prioriser les livraisons des différentes versions en fonction de besoins militaires associés. De récentes avancées sont à saluer car la DGA a pu qualifier, le 25 septembre dernier, la version du véhicule de patrouille blindé sanitaire du Serval : les livraisons vont pouvoir débuter pour ce véhicule, qui sera destiné aux équipes médicales mobiles du SSA. Celui-ci en attend 135 exemplaires, afin de remplacer d’ici à 2029 la version « évolution contre les engins explosifs improvisés (Évol Cied) » du véhicule de l’avant blindé (VAB). Par ailleurs, le SSA sera doté de 196 Griffon SAN, la DGA ayant déjà qualifié cette version en 2022.

Je demande le retrait de l’amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN161 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Nous débutons l’examen d’une série d’amendements liés à lla partie thématique de mon rapport budgétaire.

Le premier concerne les militaires affectés outre-mer, lesquels bénéficient tous d’un logement du ministère : le financement du loyer s’effectue par une retenue sur salaire, qui représente 10 % pour un militaire mais 15 % pour un agent civil du ministère des armées. Cet amendement vise à supprimer cette inégalité de traitement en ramenant la retenue des personnels civils à 10 % de leur salaire.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN162 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Nous avons déjà évoqué le sujet du coût du carburant pour les armées. Il s’agit de l’amendement que je proposais à nos camarades socialistes à la place du leur.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Je partage votre inquiétude sur la hausse de ce coût. J’ai moi-même déposé un amendement en ce sens, qui me paraissait équilibré et proportionné aux besoins, alors que le vôtre, qui propose une augmentation des crédits de 100 millions d’euros, me semble quelque peu disproportionné ; j’émets donc un avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN163 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. L’amendement porte sur le même sujet.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. L’avis est défavorable, car la loi de finances initiale pour 2024 prend déjà en compte pour partie votre demande. Nous rappelons chaque année l’existence de l’article 5 de la LPM, qui a joué dans les années précédentes.

La commission rejette l’amendement.

 

Suivant la position du rapporteur pour avis M. François Cormier-Bouligeon, la commission rejette l’amendement II-DN164 de M. Bastien Lachaud.

 

Amendement II-DN165 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il vise à limiter les irritants du quotidien qui ennuient les militaires et contribuent à affaiblir leur fidélisation, en augmentant les stocks d’habillement du service du commissariat des armées (SCA). Actuellement, 2 % du catalogue se trouve en rupture de stock : les produits les plus demandés, notamment les chaussures noires plates de taille 44, manquent régulièrement. L’amendement abonde les crédits du SCA pour que celui-ci reconstitue ses stocks d’habillement.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN166 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il porte sur le statut des personnes occupant le poste de baleinier en Polynésie française ; celles-ci sont indispensables pour l’accostage dans les atolls ; chacun de ces derniers est unique, si bien que le temps de formation est très long. Ils ont longtemps bénéficié du statut de personnels civils de recrutement local (PCRL) et pouvaient travailler jusqu’à l’âge de la retraite. Ils ont actuellement le statut de militaires commissionnés et ne peuvent donc pas dépasser dix-sept ans de service. L’essentiel de cette période est consacré à la formation, donc ils souhaiteraient pouvoir exercer plus longtemps.

Cet amendement d’appel vise à ouvrir une réflexion sur le statut des baleiniers, indispensables à notre présence en Polynésie.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Une fois n’est pas coutume, je suis en phase avec M. Lachaud. Les baleiniers n’appartenaient pas à la marine nationale, ils étaient rattachés aux gens de mer ; maintenant qu’ils ont rejoint la marine, ils ne peuvent pas servir plus de dix-sept ans car ils ne peuvent pas accéder au brevet supérieur. Il faut trouver une solution, qui pourrait emprunter la voie de la validation des acquis de l’expérience (VAE), pour que ces personnes, très peu nombreuses, puissent obtenir le brevet supérieur. L’avis est favorable.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Ils sont entre cinq et dix, pas plus.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN167 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Dans le cadre de la reconnaissance de la dette de l’État français à la suite des essais nucléaires dans le Pacifique, le ministère des armées a créé un statut de PCRL. Malheureusement, ces agents ne sont recrutés qu’à des postes équivalents aux catégories B et C de la fonction publique ; leur avancement est donc bloqué alors qu’ils remplissent souvent des tâches de catégorie A.

Ces agents apprécient ce statut protecteur et utile, mais ils aimeraient être reconnus à la hauteur de leurs qualifications – ils sont souvent surdiplômés –, de leur engagement et de la nature réelle des postes qu’ils occupent.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN168 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Les forces de souveraineté sont très souvent sollicitées pour effectuer les évacuations sanitaires (Évasan), qui ne relèvent pourtant pas de leurs compétences. L’amendement vise à augmenter les moyens civils dédiés aux Évasan afin que les forces ne soient pas détournées de leurs missions opérationnelles.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN169 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Je propose une augmentation de 50 millions du budget de l’Igesa (institution de gestion sociale des armées), dont le rôle est fondamental tant pour les loisirs que pour la gestion des établissements sociaux et médico-sociaux.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN170 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Je propose de doter de 220 millions supplémentaires la rémunération indiciaire des personnels militaires de la marine nationale, de l’armée de terre, de l’armée de l’air et de l’espace, mais aussi des personnels exerçant des fonctions de soutien et logistique interarmées relevant du programme 178. Ce montant correspond à l’ensemble des mesures générales concernant la fonction publique qui se sont appliquées aux armées et garantit que le financement des mesures interministérielles n’est pas ponctionné sur la LPM.

La commission adopte l’amendement.

 

Avant l’article 50

 

Contre la position du rapporteur pour avis Bastien Lachaud, elle rejette l’amendement II-DN2 de Mme Isabelle Santiago.

 

Amendement II-DN5 de Mme Anna Pic

Mme Anna Pic (SOC). C’est une demande de rapport relatif à l’adaptation de la politique de rémunération des militaires, en vue d’améliorer l’équilibre entre rémunération indiciaire et indemnitaire.

Ces dernières années, le ministère des armées a repensé la solde de nos soldats en mettant en œuvre la NPRM. Le rapport annexé de la LPM 2024-2030 indique que « la revalorisation des grilles permettra […] aux militaires du rang de progresser dès les premières années de leur engagement […]. Une attention particulière sera portée à la reconnaissance des sous-officiers supérieurs […]. Les parcours d’officiers seront également valorisés en accompagnant mieux les potentiels et les performances constatées. La part indemnitaire de la politique salariale, quant à elle, ciblera les métiers et les expertises en forte tension et qui participent à nos pivots capacitaires ». Le PLF pour 2024 doit marquer l’achèvement du déploiement de la NPRM.

Ces efforts, salués par les principaux concernés, ne nous semblent cependant pas suffisants pour relever les défis de l’attractivité et de la fidélisation et face au sentiment de déclassement éprouvé par nos troupes. La baisse des cibles d’effectifs pour 2024 et la non-atteinte des objectifs de recrutement inscrits dans la LPM, pourtant votée il y a quelques mois, le prouve. La revalorisation du point d’indice est, elle aussi, bien insuffisante après plus de dix ans de gel.

Contre la position du rapporteur pour avis Bastien Lachaud, la commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN3 de Mme Isabelle Santiago

Mme Anna Pic (SOC). Il demande un rapport relatant les actions entreprises par le Gouvernement pour atteindre ses objectifs en matière de politique environnementale et de transition écologique dans le domaine des armées, et examinant la possibilité de créer une ligne budgétaire dédiée à la transition écologique dans le cadre de la mission Défense.

Contre la position du rapporteur pour avis Bastien Lachaud, la commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN1 de Mme Anna Pic

Mme Anna Pic (SOC). Il demande un rapport sur l’évaluation de la mise en œuvre du dispositif d’économie de guerre concernant l’industrie de défense : politique d’accroissement et de gestion des stocks, notamment de munitions, maintien en condition des équipements, simplification des besoins, assouplissement des règles, etc.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Avis défavorable : l’amendement est satisfait par le rapport annuel prévu à l’article 9 de la LPM.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-DN8 de Mme Anna Pic

Mme Anna Pic (SOC). Il demande un rapport formulant, conformément à la recommandation de la Cour des comptes dans son rapport sur l’exécution du budget 2022, une trajectoire d’autorisations d’engagement et de restes à payer, notamment pour le programme 146, sur une base pluriannuelle. Nous nous inquiétons toujours de l’augmentation des restes à payer.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Avis défavorable. L’article 10 de la LPM prévoit déjà un rapport annuel sur l’évaluation de la programmation budgétaire. L’augmentation des restes à payer est liée à celle des capacités, conforme à l’ambition commune qu’exprime la LPM.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN9 de Mme Anna Pic

Mme Anna Pic (SOC). Il demande un rapport sur l’évaluation et l’état d’avancement des programmes d’armement en coopération dans le secteur de la défense, qu’il s’agisse des coopérations avec les États partenaires établies sur une base plurinationale ou des programmes lancés dans le cadre de l’Union européenne et financés par des crédits communautaires. Ce rapport évalue également dans quelle mesure le PLF inscrit dans les faits la coopération européenne et en quoi ces partenariats renforcent l’autonomie stratégique nationale sur la scène européenne dans deux domaines en particulier : les équipements et l’industrie ; la recherche et le développement.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Avis défavorable. L’article 9 de la LPM prévoit déjà un rapport annuel qui traite de cette question.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN24 de Mme Isabelle Santiago

Mme Anna Pic (SOC). Il demande un rapport sur le coût du retrait anticipé des forces armées françaises au Sahel et la redirection des budgets qui leur sont dédiés. Il est souhaitable que ce rapport comprenne un volet détaillant le coût de retour des matériels et équipements et un autre précisant les coûts de transport de personnels et la juste rémunération des militaires déployés et rapatriés dans de brefs délais. Enfin, le rapport ferait état de la répartition des fonds utilisés pour assurer la présence française dans la région ainsi que la pérennité des missions de défense alors que l’on se tourne davantage vers la coopération de sécurité et de défense.

Contre la position du rapporteur pour avis Bastien Lachaud, la commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN25 de Mme Isabelle Santiago

Mme Anna Pic (SOC). Nous demandons un rapport sur le coût de développement des matériels et technologies innovants adaptés aux nouveaux espaces de conflictualité, qui différenciera bien le spatial, le cyber et les fonds marins.

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis. Avis défavorable. La politique d’innovation de défense fait déjà l’objet d’un rapport annuel précis : le DrOID (document de référence de l’orientation de l’innovation de défense), édité par l’AID (Agence de l’innovation de défense). Il est vrai que l’édition 2023 du document n’a pas encore été publiée, pour tenir compte des nouvelles priorités fixées dans la LPM, mais l’AID m’a fait savoir qu’il sera publié très prochainement.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN109 de M. Aurélien Saintoul

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il demande un rapport destiné à faire la transparence sur le recours éventuel de l’État à des ESSD (entreprises de services de sécurité et de défense) pour l’exercice budgétaire 2024.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN113 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il demande un rapport relatif à l’impact des reports de commande sur le coût des programmes et la capacité des armées à honorer les contrats opérationnels.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Défavorable. Nous en avons longuement parlé dans le cadre de la LPM. Il est normal de revoir les cibles d’année en année en fonction des priorités et contraintes géostratégiques et géopolitiques.

La commission rejette l’amendement.

 

 

Amendement II-DN114 de M. Aurélien Saintoul

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Selon la Cour des comptes, la contribution de la France à l’Otan devrait coûter 830 millions d’euros en 2030. En parallèle, nous dépensons chaque année 700 millions en nature sur le flanc est de l’Europe, en mettant à disposition certains moyens de nos armées. Nous souhaitons savoir très précisément comment cette contribution en nature est prise en compte au sein de l’Otan dans le financement de l’Alliance par la France. Nous voulons également connaître les objectifs du Gouvernement s’agissant de l’obtention de financements de l’Otan. Bref, y a-t-il une vision, une stratégie française au sein de l’Otan, qui justifie que nous soyons revenus au sein du commandement intégré et qui prenne en compte ce que nous faisons pour l’Organisation de sorte que nos armées bénéficient de retours sur investissement ?

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. La question de l’OTAN et celle de notre stratégie vis-à-vis de cette organisation ont été longuement débattues pendant la LPM. Un rapport du gouvernement sur ces sujets est d’ailleurs prévu dans son rapport annexé.

Par ailleurs, rien n’empêche notre commission de faire une mission d’information sur ce sujet.

M. le président Thomas Gassilloud. Nous auditionnerons mardi prochain les membres de la Cour des comptes qui ont consacré un rapport à cette question.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Nous avons déjà eu ce débat à propos de la LPM. Chaque fois, on nous dit que la commission va faire une mission d’information. Chiche !

La commission rejette l’amendement.

 

Amendements II-DN118 et II-DN120 de M. François Piquemal

Mme Martine Étienne. Le premier de ces deux amendements vise à obtenir un rapport relatif aux moyens mis en œuvre pour lutter contre les débris spatiaux. Il s’agit d’établir les priorités, en énumérant les risques et les moyens d’action, pour consacrer à ce problème un véritable budget en loi de finances et en programmation.

Les débris spatiaux, raison principale de la dégradation de nos matériaux, peuvent même détruire nos équipements. Le problème s’aggrave d’année en année, à mesure que le trafic spatial augmente et que les méga-entreprises aux dirigeants milliardaires, comme Elon Musk, se livrent à une course spatiale sans fin. L’ESA (Agence spatiale européenne) donne l’alerte et souligne l’importance de technologies permettant de prévenir le phénomène. Elle ajoute qu’« en parallèle, les régulateurs doivent surveiller de plus près les engins spatiaux placés sous leur juridiction ainsi que l’adhésion aux mesures d’atténuation des débris ».

Le second amendement demande un rapport sur les moyens mis en œuvre dans le domaine de la météo spatiale. Seule une parfaite connaissance, maîtrise et anticipation des événements comme les éruptions solaires permet d’appréhender convenablement le domaine spatial et de protéger nos matériaux. Or la météo spatiale ne fait pas l’objet d’une délégation de service public : ce sont des start-up, françaises ou non, qui travaillent sur cette question. Le Gouvernement prévoit-il de continuer à faire appel à des services privés ou souhaite-t-il investir dans un opérateur d’État spécifique ? L’étude de l’espace repousse les limites de nos connaissances et développe notre humanité.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Chacun comprendra la préoccupation de La France insoumise concernant les vieux débris – spatiaux, évidemment – compte tenu de l’impact qu’ils peuvent avoir sur les activités de l’armée de l’air et de l’espace. Plus sérieusement, c’est un sujet qui se traite au niveau européen, notamment dans le cadre de l’Agence spatiale européenne (ESA). Je ne vois pas en quoi un rapport national aiderait cette agence à bien documenter et appréhender la question. Et ce n’est pas davantage par un rapport que nous traiterons le sujet de la météo spatiale. Avis défavorable.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il s’agit d’une question importante de souveraineté à laquelle vous ne pouvez pas répondre « l’Europe fera ». La France n’est plus la première contributrice nette au budget de l’Agence spatiale européenne (ESA) : c’est désormais l’Allemagne, qui détermine donc un peu plus que nous les orientations de l’agence. Or nous n’avons pas les mêmes objectifs, la même vision de l’utilité de l’espace que les Allemands. Nous avons, pour notre part, un commandement de l’espace, qui a besoin de gérer la question des débris, et toutes nos armées dépendent de la météo spatiale. Ne balayons donc pas la question d’un revers de main.

Nous sommes les seuls à avoir insisté sur l’enjeu de l’espace lors des trois dernières campagnes présidentielles. Nous sommes ravis de constater que la majorité s’est enfin résolue, dans le cadre de la dernière LPM, à considérer l’espace, le cyber et les fonds marins comme des enjeux centraux, ainsi que nous le faisons depuis plus de dix ans. Néanmoins, vous n’allez pas assez loin. La manière dont vous réagissez à ces amendements démontre bien que vous n’avez pas encore pleinement compris l’importance de l’espace pour les conflits de demain et, au-delà, pour la survie de l’humanité.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Nos collègues de LFI sont les seuls à ne pas avoir voté la loi de programmation militaire et le renforcement de 6 milliards des moyens pour le spatial. Nous n’avons pas de leçons à recevoir dans ce domaine, Monsieur Lachaud. Par ailleurs, je n’ai pas dit « l’Europe fera », mais que ce n’est pas avec des demandes de rapport qu’on traitera ces questions.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Je chercherai la date de l’anniversaire de notre collègue Bastien Lachaud pour lui offrir l’ensemble des discours d’Emmanuel Macron. Il pourra ainsi constater que son groupe n’est pas le seul à parler de ces sujets.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendement II-DN143 de M. José Gonzalez.

M. José Gonzalez (RN). Si le bloc NPRM, c’est-à-dire la nouvelle politique de rémunération des militaires, va globalement dans le bon sens, les associations professionnelles nationales nous ont alertés sur un point qui semble essentiel : certains profils sont pénalisés par l’indemnité de garnison et sa fiscalisation dès lors que le taux marginal d’imposition dépasse 15 %. Nous soulignons, par cet amendement qui demande au Gouvernement de nous remettre un rapport, la nécessité de modifier le décret du 24 mai 2023 pour aller vers une défiscalisation de l’indemnité et éviter à nos militaires une perte de pouvoir d’achat.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Je suis favorable à la défiscalisation de l’indemnité de garnison, mais une demande de rapport n’est pas le bon moyen d’atteindre cet objectif. Il faudrait soit revenir maintenant sur le décret soit attendre 2025 pour voir réellement les effets de l’indemnité. Je vous demande donc de retirer l’amendement.

La commission rejette l’amendement.

 

Elle émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Défense modifiés.

 


—  1  —

 

   Annexe :

Auditions et déplacements du rapporteur pour avis

(Par ordre chronologique)

1.   Auditions

 État-major de l’armée de terre ‒ M. le général de division Alain Lardet, sous-chef plans et programmes ;

 État-major de l’armée de terre  M. le général de division Jean-Christophe Béchon, major général et M. le général de brigade Laurent Proença, sous-chef performance et synthèse ;

 KNDS France  M. Nicolas Chamussy, directeur général ;

 Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres  M. Jean-Marc Duquesne, délégué général et Mme Martine Poirmeur, déléguée générale adjointe ;

 État-major de l’armée de terre – M. le général de brigade Damien Wallaert, sous-chef opérations aéroterrestres ;

 Journal l’Opinion – M. Jean-Dominique Merchet, journaliste spécialiste des questions de défense ;

 État-major de l’armée de terre – M. le général de corps d’armée (2S) Thierry Corbet, responsable du retex Orion ;

 État-major de l’armée de terre – M. le général de corps d’armée Christian Jouslin de Noray, directeur central de la SIMMT.

 

2.   Déplacements

 Brienne le Château – 20 septembre 2023 - Service interarmées des munitions – Établissement Principal des Munitions Champagne-Lorraine – M. le général de brigade Éric Laval, directeur.

 

 


([1]) Audition de M. le général d’armée Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de Terre, sur le projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, Commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, le 12 avril 2023.

([2]) Système militarisé de géolocalisation et de synchronisation multi-constellations, P3TS regroupe et synchronise les informations fournies par les constellations Galileo, GPS et Glonass.

[3] En particulier, les dispositions prévues par les articles L2196-6 et R2196-8 à R2196-12 du code de la commande publique.

([4]) Rapport sur le moral, 2022.

([5]) « En fonction de la réalité du marché du travail, le ministère de la défense peut employer les crédits rendus disponibles par une sous-réalisation de ses cibles d'effectifs pour renforcer son attractivité et la fidélisation de ses agents ». Article 7 de la LOI n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030.

([6]) Déclaration de M. Sébastien Lecornu, ministre des armées, sur les articles 1er à 10 du projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, à l'Assemblée nationale le 26 avril 2023.

([7]) Computer Assisted Exercice - CAX

([8])  La volonté politique de redynamiser l’OTAN s’est traduite par une trajectoire budgétaire ambitieuse à horizon 2030, prévoyant une croissance annuelle de 10 % des budgets civils et militaires en termes réels et de 25 % du budget d’investissement. Cour des comptes, « La participation de la France à l'Otan : une contribution croissante », publié le 4 octobre 2023.