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N° 1808

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 26 octobre 2023

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES
SUR LE PROJET DE LOI de finances pour 2024 (n° 1680)

 

TOME V

 

 

DÉFENSE

 

prÉparation et emploi des FORCES :

MARINE

PAR M. Yannick Chenevard

Député

——

 

 

 Voir les numéros : 1680, 1715 et 1745.


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SOMMAIRE

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 Pages

Introduction

Première partie : Les crédits, l’environnement et l’activité de la Marine  en 2023 et les perspectives pour 2024

I. La présentation du projet de loi de finances pour 2024 se traduit, pour le programme 178, par des évolutions qui, si elles sont justifiées, sont parfois regrettables

A. le changement des objectifs et des indicateurs

1. Le changement et ses justifications

2. Une portée à confirmer

B. La classification d’informations qui étaient jusqu’à présent publiques

1. La décision de classifier deux informations essentielles

2. Une décision justifiée vis-à-vis de nos compétiteurs stratégiques, qui nuit cependant au travail d’évaluation du Parlement et nécessite de sécuriser l’accès aux données pour les parlementaires concernés

II. Pour accomplir ses missions, les moyens de la Marine augmenteront en 2024 conformément à la nouvelle LPM

A. Les crédits de la Marine pour 2024 : une évolution très positive conforme à la LPM

B. Les équipements

1. Les livraisons effectuées en 2023 et les perspectives pour 2024

2. Le maintien en condition opérationnelle des équipements navals et aéronavals

3. Une évolution contrastée des crédits d’infrastructures

C. Les ressources humaines : un défi permanent pour renouveler les hommes et maintenir les compétences

1. L’évolution des effectifs

2. Le défi de la fidélisation

a. Une durée de service qui, en 2023, reste dans la moyenne haute, malgré de fortes disparités selon les filières et les spécialités

b. La mise en œuvre de la NPRM comme les mesures de la LPM contribuent à maintenir l’attractivité de la carrière de marin

c. Un effort continu sur l’amélioration des conditions de vie

3. Le renforcement de la réserve opérationnelle

III. après la réparation de ses capacités par la lpm 2019-2023, la NOUVELLE LPM 2024-2030 prépare la marine aux enjeux de demain

A. UNE lpm de transformation, à la hauteur des menaces auxquelles notre pays est et sera confronté

1. Une LPM qui confirme la remontée en puissance de la Marine

2. Une mise en œuvre opérationnelle dans le cadre du plan Mercator 2023

B. Les points de vigilance de votre rapporteur

1. Sur les matériels

2. Sur les hommes et les femmes de la Marine

3. Sur les Outre-mer

Deuxième partie : le canal du mozambique, une région  au cœur des enjeux maritimes

I. Le canal du Mozambique : une région stratégique où les intérêts de la France et de l’europe sont considérables

A. Une présence de la France dans la zone-sud de l’océan indien ancienne mais parfois contestée

1. Une présence ancienne et importante

2. Une présence contestée par plusieurs États de la région

B. Une région aux enjeux croissants, en particulier dans le canal du mozambique et au sud-est de la réunion

1. Les enjeux sécuritaires

a. Des enjeux de souveraineté, à l’ombre des luttes d’influence entre les grandes puissances

b. Le risque terroriste en provenance d’Afrique de l’Est

2. Les enjeux économiques

a. Des investissements colossaux dans les hydrocarbures

b. Des routes maritimes essentielles au commerce international

II. les moyens militaires de la France, bien que RENFORCÉS, SEMBLENT CEPENDANT INSUFFISANTS AU REGARD DES ENJEUX PRÉSENTS ET FUTURS

A. des moyens militaires récemment renforcés dans le cadre de la lpM 2019-2025

1. Les moyens militaires reposent essentiellement sur les forces de souveraineté relevant des FAZSOI

a. Les moyens militaires déployés à Mayotte

b. Les moyens militaires déployés à la Réunion

2. Après des années d’attrition, la LPM 2019-2025 a entamé la réparation des moyens militaires outre-mer, effort amplifié par la nouvelle LPM

B. Des moyens parfois insuffisants, avec des conséquences potentiellement graveS

1. Certaines capacités sont insuffisantes

a. Des trous capacitaires, en particulier dans l’aérien

b. Des infrastructures parfois défaillantes

c. Une mutualisation des moyens qui n’est pas sans limites ni effets pervers

2. Des conséquences négatives importantes

a. Un affaiblissement stratégique vis-à-vis de nos compétiteurs et alliés

b. Une prise de risque majeure en matière d’action de l’État en mer

III. défendre notre souveraineté et nos intérÊts dans la région du sud de l’océan indien et, en particulier, dans le canal du mozambique implique un rehaussement de nos moyens militaires

1. Proposition n° 1 : des moyens maritimes et aériens renforcés, à la hauteur des enjeux stratégiques, économiques et humains

2. Proposition n° 2 : l’urgente amélioration des infrastructures de défense et la rationalisation de celles-ci

3. Proposition n° 3 : une présence militaire plus visible par des déploiements plus fréquents, tant à Mayotte qu’à la Réunion

4. Proposition n° 4 : soutenir le renforcement de l’architecture régionale de sécurité maritime

Travaux de la commission

I. Audition de l’Amiral Nicolas Vaujour, chef d’État-major de la Marine

II. Examen des crÉdits

Annexe :  Auditions et dÉplacementS dU rapporteur pour avis


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   Introduction

 

L’année 2023 qui s’achève aura été marquée par l’adoption d’une nouvelle loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2024 à 2030. Prenant la suite anticipée de la LPM 2019-2025, la nouvelle LPM tire non seulement les conséquences pour les armées de la guerre en Ukraine mais organise également leur transformation afin qu’elles soient en mesure de faire face aux menaces présentes et à venir.

Cette transformation s’appuiera sur des ressources considérables puisque c’est au moins 413 milliards d’euros qui, en principe, seront consacrés à notre défense au cours des sept prochaines années. Ils permettront à la fois de moderniser les équipements de nos trois armées, avec un effort particulier sur l’innovation (10 milliards d’euros) et sur les drones (5 milliards d’euros), d’améliorer les conditions d’exercice de la fonction militaire (augmentation des rémunérations, « Plan famille 2 ») mais également de mettre l’accent sur deux domaines essentiels qui furent largement négligés dans les LPM précédentes : les infrastructures et le maintien en condition opérationnelle.

Comme les autres armées, la Marine bénéficiera à plein de cette LPM dont le présent avis analysera le contenu et la portée dans sa première partie consacrée à l’environnement, à l’activité de la Marine en 2023 et à ses perspectives
pour 2024.

Sa deuxième partie, thématique, sera quant à elle consacrée, comme l’année précédente, à l’Indopacifique mais avec, cette fois-ci, un focus sur le sud de l’océan Indien et, en particulier, le canal du Mozambique.

En effet, cette région présente pour notre pays et pour l’Europe un certain nombre d’enjeux qui intéressent directement la Marine. Au croisement de deux des plus grandes routes maritimes mondiales, l’une partant de l’Asie du Sud-Est et l’autre du Moyen-Orient, riche en hydrocarbures, le sud de l’océan Indien abrite également deux départements français – la Réunion et Mayotte – ainsi qu’une zone économique exclusive de plus de 2 millions de kilomètres carrés. Ces possessions françaises font en outre l’objet de revendications de la part de plusieurs États voisins, en tout ou partie, lesquelles sont parfois instrumentalisées par les grandes puissances de la région et d’ailleurs. Enfin, depuis l’éclatement de la guerre en Ukraine et les sanctions contre la Russie, une part essentielle de l’approvisionnement de notre pays et de nos partenaires européens est susceptible d’emprunter le canal du Mozambique en cas de fermeture du canal de Suez, alors même que la région est exposée au risque terroriste en provenance de l’Afrique orientale.

Le contexte ainsi posé, notre Marine apparaît en première ligne en cas de crise dans la région, qu’elle soit politique, militaire, humanitaire ou environnementale. La question des moyens dont elle dispose est ainsi fondamentale pour évaluer la capacité de notre pays à faire face à de telles crises. Or, malgré le renforcement récent de ces derniers dans le cadre de la précédente LPM, force est de constater que certains restent insuffisants, insuffisances souvent temporaires mais parfois structurelles, comme dans le cas des moyens aériens de surveillance maritime. Ces lacunes capacitaires s’ajoutent aux contraintes inhérentes à ces territoires – comme la pénurie de foncier – ainsi qu’à un certain défaut d’investissement qui, en particulier à Mayotte, mine aujourd’hui le moral des hommes autant qu’il a dégradé les infrastructures.

Par l’attention qu’il porte à ces territoires, à cette région et les propositions qu’il formule, le présent avis entend mettre en évidence à la fois les menaces auxquelles ils sont confrontés mais également l’atout qu’ils constituent pour notre pays, atout qu’il convient de préserver. Les 13 milliards d’euros dégagés par la nouvelle LPM pour les Outre-mer devraient y contribuer.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le rapporteur pour avis avait demandé que les réponses à ses questionnaires budgétaires lui soient adressées au plus tard le 10 octobre 2023, date limite résultant de l’article 49 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances. À cette date, 36 réponses sur 40 lui étaient parvenues, soit un taux de 90 %.

   Première partie :
Les crédits, l’environnement et l’activité de la Marine
en 2023 et les perspectives pour 2024

I.   La présentation du projet de loi de finances pour 2024 se traduit, pour le programme 178, par des évolutions qui, si elles sont justifiées, sont parfois regrettables

A.   le changement des objectifs et des indicateurs

1.   Le changement et ses justifications

La présentation du projet de loi de finances s’accompagne, conformément aux dispositions de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, d’un ensemble de documents budgétaires annexés qui doivent permettre d'apprécier les moyens déployés pour mettre en œuvre les politiques de l'État.

Parmi ces documents, les projets annuels de performance (PAP) retracent, pour chaque programme d’une mission, la stratégie, la justification des crédits demandés au Parlement, les objectifs des politiques publiques, les indicateurs et les cibles à atteindre. Ils constituent un document essentiel au contrôle, par le Parlement, de l’activité du gouvernement.

Le programme 178, sur lequel porte le présent avis, est lui aussi éclairé par un PAP, transmis au Parlement le 3 octobre dernier, qui s’appuie sur des objectifs et indicateurs profondément renouvelés, en cohérence avec la nouvelle LPM. Comme il l’explique en préambule, « les objectifs et indicateurs du dispositif de performance du programme Préparation et emploi des forces ont été redéfinis de façon systémique, avec un triple objectif de simplification, de protection des données les plus sensibles, et de cohérence avec la vision stratégique du CEMA. Les indicateurs sont désormais organisés selon les processus du plan stratégique des armées : commander, comprendre et influencer, entraîner, soutenir, préparer l’avenir. La bonne exécution de ces processus garantit la performance dans la préparation et l’emploi des forces. Le dispositif de performance du P178, auparavant constitué de 6 objectifs, 10 indicateurs et 59 sous-indicateurs, s’appuie désormais sur 4 objectifs, 16 indicateurs et 49 sous-indicateurs ».

Ces nouveaux objectifs sont :

– commander des forces aptes à comprendre et influencer ;

– entraîner les forces ;

– soutenir les forces ;

– Préparer l’avenir.

Ils se substituent à 6 objectifs auparavant centrés sur les grandes fonctions stratégiques des armées (connaissance-anticipation, prévention, intervention…).

S’agissant des indicateurs, leur nombre augmente significativement tandis que le nombre de sous-indicateurs diminue. Concrètement, parce que les objectifs ont évolué, les indicateurs 2024 ont peu de choses à voir avec ceux de 2023, ce qui rend difficiles les comparaisons avec les années antérieures, en particulier lorsque les nouveaux indicateurs ne sont pas renseignés sur les années précédentes.

2.   Une portée à confirmer

Votre rapporteur comprend que les indicateurs aient dû être modifiés afin d’être plus en phase avec l’objectif politique et stratégique de la nouvelle LPM. C’est en effet essentiel pour piloter la politique publique. Toutefois, le respect du principe de continuité exclut toute rupture dans l’évaluation comme dans le contrôle et la décision du Gouvernement. Le changement d’indicateurs ne doit pas non plus être une rupture dans l’information transparente et sincère du Parlement.

De plus, ces indicateurs et sous-indicateurs étant pour nombre d’entre eux nouveaux, il est difficile d’en apprécier aujourd’hui la portée, d’autant que toutes les modalités de leur mise en œuvre n’ont pas encore été précisées. Ainsi en est-il du sous-indicateur 1.5.2 sur le nombre d’exercices démonstratifs. La nature de ceux-ci n’est pas encore fixée et le sera dans la future directive sur le signalement stratégique de la préparation opérationnelle.

D’autres indicateurs du P178 semblent par ailleurs, en opportunité, discutables, comme l’indicateur 1.4 sur l’efficacité du prépositionnement des forces. Le PAP 2023 contenait un tel indicateur qui recouvrait deux sous-indicateurs : l’un sur le taux des forces prépositionnées engagées dans les opérations dans un délai inférieur à 5 jours et l’autre sur le taux de réalisation en matière de formation des forces étrangères par les forces prépositionnées. Dans le PAP 2024, l’efficacité des forces prépositionnées ne se mesure plus que sur la seule base de ce dernier sous-indicateur, par ailleurs limité aux seules tâches de formation au profit d’armées étrangères dans le cadre de l’ONU ou d’accords bilatéraux. Or, il peut apparaître pour le moins réducteur de mesurer la performance des forces prépositionnées sur leur seule action de formation au profit des armées étrangères.

D’une manière générale, la question se pose de la réelle pertinence de ces nouveaux indicateurs et sous-indicateurs. En effet, au-delà de l’indicateur précité, votre rapporteur observe que les objectifs ayant été largement détachés des grandes fonctions stratégiques des armées, les nouveaux indicateurs ne permettent pas réellement de mesurer la performance des armées dans la mise en œuvre de celles-ci, par ailleurs rappelées dans la nouvelle LPM.

Ainsi en est-il des fonctions stratégiques « Protection » et « Intervention ». Les quatre nouveaux objectifs – commander les forces, les entraîner, les soutenir et préparer l’avenir – ne les recoupent que très partiellement, au point qu’il apparaît désormais difficile de mesurer la performance des armées sur le terrain, en opérations ou situations de crise, en France et à l’étranger. De manière très significative, le respect par les armées de leur contrat opérationnel ne fait plus l’objet d’indicateurs ad hoc. Dans le PAP 2023, ce respect était mesuré par deux indicateurs, l’indicateur 3.1 « Taux de satisfaction des contrats opérationnels permettant d’assurer la fonction stratégique de protection » et l’indicateur 4.2 « Capacité à réaliser les contrats opérationnels permettant de gérer les crises ». À également disparu l’indicateur 4.1 mesurant la capacité des armées à intervenir dans une situation mettant en jeu la sécurité de la France.

Certes, les nouveaux indicateurs, qui visent finalement non plus les fonctions stratégiques des armées mais ses fonctions internes (commandement, préparation opérationnelle, soutiens…) ont leur pertinence en ce que la performance globale des armées, finalement, repose et découle de sa performance dans chacun de ces domaines. Il reste toutefois regrettable qu’elle ne soit plus mesurée en tant que telle dans ses grandes fonctions stratégiques.

B.   La classification d’informations qui étaient jusqu’à présent publiques

1.   La décision de classifier deux informations essentielles

Le projet annuel de performance du P178 comportait, traditionnellement, deux indicateurs tout à fait pertinents pour mesurer l’activité et les performances de la Marine (et des autres armées).

Le premier concernait les activités réalisées par type de matériel. Il permettait de mesurer l’activité de la Marine pour une année donnée par rapport à l’objectif fixé, évalué en jour de mer ou en heure de vol, pour les bâtiments hauturiers et les différents pilotes de l’aéronavale (Rafale, hélicoptère, PATMAR).

Le second portait sur la disponibilité des matériels et retraçait dans un tableau, en pourcentage, la disponibilité des bâtiments de combat, des SNA et des autres bâtiments, ainsi que des principaux moyens de l’aéronavale (hélicoptère, Rafale, avion de patrouille et de surveillance maritime). Un tel indicateur présentait le double intérêt de mesurer, au-delà des capacités affichées, les capacités réelles de nos armées mais également l’efficacité du maintien en condition opérationnelle.

Ces deux indicateurs figurent toujours dans le PAP 2024, désormais rattachés à l’objectif 2 pour le premier et à l’objectif 3 pour le second. Toutefois ; il est indiqué que « ces données sensibles font l’objet d’une mention de protection – diffusion restreinte spéciale France. Elles ne sont donc pas accessibles sur les documents disponibles en source ouverte. Elles sont uniquement communiquées aux commissions de la Défense du Parlement ».

L’audition du ministre des Armées par la commission de la défense nationale et des forces armées, le 3 octobre dernier, a confirmé que ces informations seraient transmises exclusivement aux présidents des commissions chargées de la Défense de l’Assemblée nationale et du Sénat, à la charge desquels reviendrait la responsabilité de les diffuser auprès des rapporteurs.

2.   Une décision justifiée vis-à-vis de nos compétiteurs stratégiques, qui nuit cependant au travail d’évaluation du Parlement et nécessite de sécuriser l’accès aux données pour les parlementaires concernés

Le ministère des Armées justifie cette décision de classement par le caractère sensible des données concernées. En effet, rendre publique la disponibilité des différents types de matériel militaire dont dispose notre pays permettait à nos compétiteurs stratégiques de mesurer les forces réelles à disposition des armées françaises, au-delà de ce qui est affiché.

Ainsi, dans le PAP 2023 était-il indiqué que la disponibilité des hélicoptères de la Marine en 2022 n’était que de 63 %, cible tombant à 56 % en 2023. De même pour les frégates, dont la disponibilité ne dépassait pas 59 % en cible 2022 et 2023 Un compétiteur stratégique qui voudrait conduire une opération contre notre pays est donc en mesure de connaître précisément les forces que celui-ci pourrait lui opposer et planifier son opération en conséquence. De même, s’agissant de l’activité réalisée par type de matériel, la connaissance d’une telle information permet à un compétiteur de mesurer, au moins en partie, la qualité de la préparation opérationnelle de nos militaires. D’ailleurs, à la connaissance de votre rapporteur, aucun de nos grands compétiteurs stratégiques, en particulier la Chine et la Russie, ne publie de telles informations.

La classification de ces informations en DR-SF est donc heureuse. Elle représente une sortie de naïveté vis-à-vis de ce que nous avons à rendre accessible aux États tiers. En revanche, elle ne justifie pas une coupure d’accès à l’information du Parlement qui ne peut être considéré comme un tiers, a fortiori un tiers étranger. Il semble par conséquent important à votre rapporteur que l’information du Parlement puisse être préservée. Si une transmission desdites informations aux présidents des commissions chargées de la défense de l’Assemblée nationale et du Sénat a bien été promise par le ministre, il n’en reste pas moins qu’elle repose sur la bonne volonté de ceux-ci. De même, c’est à la discrétion des présidents précités que seront communiquées ces informations aux différents rapporteurs, à qui revient concrètement la charge du travail de contrôle des crédits de la mission Défense.

En la matière, le Gouvernement comme le Président de commission devraient poser des situations de principe pour sécuriser et systématiser l’accès à l’information sur la base d’une circulaire pour le premier, d’une décision du bureau de la commission pour le second.

II.   Pour accomplir ses missions, les moyens de la Marine augmenteront en 2024 conformément à la nouvelle LPM

A.   Les crédits de la Marine pour 2024 : une évolution très positive conforme à la LPM

Les crédits dont disposera la Marine dans le PLF 2024 sont présentés et synthétisés dans le tableau suivant, lequel indique également l’évolution qu’ils ont connue par rapport à la LFI 2023 (en M€) :

 

Programme

Sous-action

Libellé sous-action

AE

Évolution

CP

Évolution

178

03-01

Commandement et activité des forces navales

430,6

- 5 %

428

+ 26%

03-05

Ressources humaines des forces navales

86,7

+ 27%

77,1

+ 16%

03-07

MCO du matériel des forces navales

2 748

+ 58%

2 476,1

+ 8%

03-08

Environnement opérationnel des forces navales

115,9

- 7 %

128,4

+ 8%

03-11

Infrastructures maritimes

329,3

- 13 %

337,6

+ 22%

Total P178 et évolution

3 710,4

+ 34%

3 447,2

+12%

212

56-01

Ressources humaines des forces navales

2 877,6

+ 5%

2 877,6

+ 5%

Total des crédits de la Marine et évolution

6 588

+ 20%

6 324,8

+ 9%

Source : ministère des Armées

Globalement, les crédits de la Marine augmenteront, en 2024, de manière significative, avec une hausse de 20 % des autorisations d’engagements (AE) et de 9 % des crédits de paiement (CP). L’évolution au niveau des sous-actions est toutefois contrastée :

– la baisse en AE de la sous-action 01 « Commandement et activité des forces navales » résulte de la notification en 2023 de marchés importants (commandes d’obus de 100 mm, de kits de guidage de bombes, renouvellement du marché des bâtiments de soutien et d’assistance affrétés). L’augmentation de la ressource en CP s’explique quant à elle essentiellement par la hausse du prix du carburant opérationnel ;

– la ressource en AE/CP de la sous-action 05 « Ressources humaines des forces navales » augmente afin de compenser l’inflation et soutenir les flux de formations nécessaires à la satisfaction du besoin opérationnel ;

– la ressource en AE associée à la sous-action 07 « Maintien en condition opérationnelle du matériel des forces navales » présente une hausse importante
(+ 58 %) en raison du renouvellement de certains grands contrats de MCO tels que celui des sous-marins nucléaires d’attaque. La ressource en CP, en hausse de 8 % par rapport à la LFI 2023, permet de couvrir l’inflation prévisible et les travaux de rénovation à mi-vie des missiles de la Marine. Ces crédits seront analysés plus précisément infra ;

– la sous-action 08 « Environnement opérationnel des forces » ne porte pas de nouveau contrat dimensionnant et voit donc sa ressource en AE subir une légère compression, et sa ressource en CP une hausse consécutive à l’augmentation des coûts dans le contexte inflationniste actuel ;

– le niveau de ressource de la sous-action 11 « Infrastructures maritimes », en baisse pour les AE et en hausse pour les CP, traduit l’effort fait dans la remise à niveau des infrastructures de la Marine nationale au profit des unités soutenues et en particulier de la dissuasion. Ces crédits feront l’objet d’une analyse plus précise infra.

Enfin, l’augmentation de 5 % des crédits de titre II alloués aux ressources humaines des forces navales (sous-action 56-01) permet de financer l’augmentation des effectifs et la troisième marche de la NPRM dans sa première année pleine (voir infra).

B.   Les équipements

1.   Les livraisons effectuées en 2023 et les perspectives pour 2024

Votre rapporteur a demandé et obtenu du ministère des Armées la liste des commandes passées et des matériels livrés en 2023. Elle s’établit comme suit :

Quant à la liste des commandes et livraisons prévues pour 2024, elle s’établit comme suit :

 

2.   Le maintien en condition opérationnelle des équipements navals et aéronavals

Les crédits destinés au maintien en condition opérationnelle des équipements de la Marine correspondent aux opérations stratégiques (OS) « Entretien programmé des matériels » (EPM) et « Dissuasion ». Ils ont évolué comme suit depuis 2020 :

 

 

 

 

 

 

 

(en millions d’euros)

 

LFI 2020

LFI 2021

LFI 2022

LFI 2023

LFI 2024

OS

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

EPM naval

1 688

884

637

880

1 907

904

978

1 082

1 788

1 128

EPM aérien

1 751

592

1 628

608

1 122

667

340

670

559

765

EPM terrestre

8

8

12

12

12

12

12

12

12

12

Total EPM

3 447

1 483

2 277

1 500

3 041

1 584

1 330

1 764

2 359

1 904

Dissuasion

197

444

658

407

227

465

358

477

347

523

Total DIS

197

444

658

407

227

465

358

477

346

523

Total général

3 644

1 928

2 935

1 907

3 268

2 049

1 688

2 241

2 706

2 426

Source : ministère des Armées

Par rapport à la LFI 2023, une très forte augmentation des AE est constatée (+77 %), qui couvriront le renouvellement de plusieurs marchés pluriannuels majeurs de MCO naval (sous-marins nucléaires d’attaque, porte-hélicoptères amphibies et frégates de surveillance pour les principaux). Quant à l’augmentation de 8 % des CP, elle permettra de couvrir les effets de l’inflation et les travaux de rénovation à mi-vie des missiles de la Marine.

3.   Une évolution contrastée des crédits d’infrastructures

Les crédits (hors dissuasion) s’établissent désormais à 149,1 millions d’euros en AE et 157 millions d’euros en CP, contre respectivement 212,9 millions d’euros et 146,1 millions d’euros en LFI 2023, soit une baisse de 30 % et une hausse de 8 %.

Toutefois, ces sommes ne résument pas la totalité des crédits consacrés aux infrastructures de la Marine. D’autres crédits sont en effet prévus pour les infrastructures maritimes de dissuasion (180,1 millions d’euros en AE et 179,9 millions d’euros en CP) mais également pour les travaux d’infrastructures liés à de nouveaux bâtiments et intégrés dans le coût des programmes, au titre du programme 146 sont ainsi concernés :

– l’accueil et le soutien des nouveaux sous-marins nucléaires d'attaque Barracuda, avec 283 millions d’euros de crédits de paiement, notamment à Toulon, pour la poursuite de l’adaptation des bassins et des quais, des infrastructures d’arrêt technique majeur et de l’installation nucléaire de Missiessy ;

– l’accueil des frégates multi-missions, avec 2,4 millions d’euros de crédits de paiement. À terme, ce programme d’infrastructure inclura, à Brest, deux lignes de stationnement de deux navires, deux quais industriels, deux rénovations de bassins et un quai pyrotechnique, et à Toulon, deux lignes de stationnement de deux navires, un quai industriel, deux rénovations de bassins, un quai pyrotechnique, l’adaptation du Lazaret, la rénovation du quai industriel Dupuy de Lôme et l’installation de ravitaillement en gazole à Castigneau ;

– enfin, outre-mer, l’accueil des patrouilleurs d’outre-mer (POM) a conduit à la réalisation de nouveaux quais à Nouméa (en cours de livraison) et à Papeete (début des travaux fin 2023). Post 2030, l’accueil des corvettes hauturières d’un gabarit supérieur aux actuelles frégates de surveillance pourrait nécessiter des adaptations d’infrastructures, notamment à la Réunion.

Au-delà des crédits prévus par le P146, l’évolution des crédits dévolus aux infrastructures dans le P178 apparaît donc contrastée, après la très forte augmentation enregistrée en LFI 2023. Pour le ministère des armées, celle-ci s’explique par « la notification [ou pas] d’opérations majeures d’infrastructures [qui] génère des variations importantes annuellement, en fonction du cadencement des différents travaux ».

Votre rapporteur s’étonne néanmoins, au regard de l’ampleur des besoins en matière d’infrastructures de défense, en particulier dans les Outre-mer, que les AE soient si faibles. Il veut croire que ce creux n’est que transitoire et que les autorisations d’engagement augmenteront à nouveau l’année prochaine.

Les réponses au questionnaire budgétaire ont permis à votre rapporteur d’avoir plus de précisions sur les travaux envisagés dans les infrastructures existantes, travaux pris en charge par les crédits du P178 :

Les rénovations portent sur les réseaux électriques au travers de deux programmes d’infrastructure :

– d’une part, la rénovation du réseau de distribution électrique du port de Toulon : 26 millions d’euros de CP en 2024 pour la refonte de postes haute tension (HT) et la création de centrales de conversion et de production au profit du porte-avions ;

– d’autre part, la rénovation du réseau de distribution électrique du port de Brest : 7 millions d’euros de CP en 2024, pour la refonte des postes HT/basse tension (BT) et la création d’un pôle électrique ;

S’agissant des travaux de maintien en condition/rénovation d’infrastructures existantes, sont prévues :

– à Toulon, la refonte de la station de pompage des grands bassins Vauban, en vue de l'entretien majeur du porte-avions en 2027, et les maintenances sur certains bassins et bateaux-portes ;

– à Brest, la rénovation de l’appontement « Grande Rivière », l’adaptation des quais et bassins pour l’accueil du bâtiment ravitailleur de forces et des frégates de défense et d’intervention (FDI) et les maintenances sur certains bassins, bateaux-portes et grues ;

– à Cherbourg, la rénovation de ras, débordoirs et pontons ;

S’agissant des Outre-mer, l’entretien courant des infrastructures des bases navales (quais, alimentations électriques et dispositifs de mise à l’eau) a été financé à hauteur de 200 000  ce qui semble à votre rapporteur très insuffisant compte tenu des besoins qu’il a pu observer, en particulier à Mayotte.

C.   Les ressources humaines : un défi permanent pour renouveler les hommes et maintenir les compétences

1.   L’évolution des effectifs

La notion d'effectifs de la Marine sous-tend deux réalités :

– les ETP dans le périmètre de la Marine, sous la responsabilité du Chef d’état-major de la Marine : environ 34 000, dont 30 000 postes de militaires et 4 000 postes de civils ;

– l'ensemble des marins (environ 39 000 personnes), dont environ 9 000 servent au sein d’organismes extérieurs à la Marine.

L’ensemble de ces ETP a évolué et évoluera comme suit d’ici à 2025, la baisse des effectifs – après leur forte hausse en 2023 – résultant du recalage de la trajectoire suite à la nouvelle LPM :

 

 

2019

2020

2021

2022

2023

2024

2025

Effectifs terminaux

34 072

34 080

34 159

34 234

34 653

34 548

34 532

Évolution annuelle

-

+ 8

+ 79

+ 75

+ 419

- 105

- 12

Source : ministère des Armées

Concernant la proportion de marins de carrière et sous contrat, la Marine nationale indique, dans sa réponse au questionnaire budgétaire, ne pas avoir opéré de modification notable de sa politique de recrutement et d’emploi de marins. Il est toutefois difficile d’en juger puisque les informations relatives au statut et au grade des personnels militaires ne sont pas renseignées pour l’année 2023, alors qu’en 2022, votre rapporteur avait disposé d’estimations pour l’année en cours.
Il s’agit là d’un recul dans la qualité des informations transmises qu’il ne peut que regretter.

2.   Le défi de la fidélisation

a.   Une durée de service qui, en 2023, reste dans la moyenne haute, malgré de fortes disparités selon les filières et les spécialités

Comme l’a souligné le chef d’état-major de la Marine lors de son audition, la Marine aura réussi en 2023, comme les années précédentes, à recruter les quelque 4 300 marins nécessaires pour satisfaire à ses besoins et maintenir
la moyenne d’âge relativement jeune de ses marins (31 ans). Toutefois, derrière la satisfaction d’un recrutement globalement réussi, reste la réalité de filières en tension (mécanicien, électricien, numérique, restauration…) qui oblige la Marine à jouer de nombreux leviers pour orienter les jeunes vers celles-ci.

Si le recrutement n’est pas pour la Marine, à l’inverse de l’armée de Terre, une source d’inquiétude immédiate, elle n’en fait pas moins face, comme l’ensemble des armées, au défi de la fidélisation.

En effet, bien que construite sur une logique de flux liée au besoin de jeunesse et au pyramidage des grades, la politique de la Marine en matière de ressources humaines cherche à fidéliser ses marins, tant pour satisfaire ses besoins actuels que pour anticiper ceux de demain, et rentabiliser au mieux l’investissement individuel consenti pour chaque marin.

Les durées moyennes des services des marins ayant quitté la Marine nationale sont globalement stables depuis cinq ans pour les équipages, officiers mariniers (carrière ou contrat) et les officiers (carrière ou contrat) :

Source : ministère des Armées

En 2023, les estimations encore provisoires indiquent une durée moyenne des services des marins de carrière de 25 ans pour les officiers mariniers et de 32 ans pour les officiers. Elle demeure supérieure à la durée ouvrant droit à la liquidation immédiate de leur pension de retraite (17 ans pour les officiers mariniers et 27 ans pour les officiers).

Toutefois, comme l’avait déjà souligné votre rapporteur l’année précédente, bien qu’il soit globalement satisfaisant, ce tableau ne donne pas une vision complète de la situation de la Marine s’agissant de la fidélisation de ses marins et de ses conséquences. En effet, les tensions ne sont pas identiques selon les filières et les spécialités. La filière nucléaire reste particulièrement concernée, ainsi que d’autres plus petites telles que les hélicoptéristes, les hélitreuillistes, les spécialistes en avionique ou en munitions qui, en 2023 comme en 2022, demeurent sous tension.

b.   La mise en œuvre de la NPRM comme les mesures de la LPM contribuent à maintenir l’attractivité de la carrière de marin

Consciente de ce défi que sont les ressources humaines et des enjeux qu’ils portent, la Marine a pris depuis plusieurs années de nombreuses mesures tant en matière de recrutement que de formation ou de fidélisation. Ensemble, elles forment un tout cohérent qui, au-delà de leur objectif immédiat, vise à renforcer l’attractivité de la Marine et du métier de marin sur le long terme. En 2023, ces mesures ont été encore renforcées.

Dans son avis sur le PLF 2023 votre rapporteur a présenté en détail la Nouvelle Politique de Rémunération des Militaires (NPRM), laquelle vise non seulement à améliorer la solde des militaires mais également à la simplifier pour la rendre plus compréhensible et plus lisible par le militaire, tout en étant mieux pilotable par l’administration. Achevant la mise en place de la NPRM, les indemnités suivantes sont mises en œuvre depuis le 1er octobre 2023.

L’indemnité d’état militaire (IEM) perçue en compensation de divers frais et sujétions inhérents au statut des militaires, conserve les caractéristiques de l’indemnité pour charge militaire : universelle et défiscalisée. Quant à l’indemnité de garnison (IGAR), elle compense la contrainte de logement résultant du fait que le lieu et la durée d’affectation sont imposés par le commandement. IEM et IGAR remplacent l’indemnité pour charges militaires (ICM) et la majoration de l’indemnité pour charges militaires (MICM) afin, d’une part, de rendre lisible la compensation des sujétions et frais inhérents à l’état militaire et, d’autre part, de mieux indemniser les contraintes liées à l'impossibilité de choisir le lieu et la durée de l’affectation. Une mesure de transition accompagne la transformation de l’ICM : une indemnité compensatrice transitoire (ICT) sera ainsi versée lorsque le montant cumulé de l’IEM et de l’IGAR sera inférieur aux montants de l’ICM et de la MICM que le militaire percevait.

La prime de parcours professionnels des militaires (3PM) vise à valoriser la progression et la qualification des militaires, sous-officiers et officiers. Elle incite les militaires à élever leur niveau de qualification professionnelle tout au long de leur carrière en rémunérant le niveau de diplôme plutôt que l’ancienneté de service. La 3PM fusionne en une prime unique toutes les primes liées à la qualification professionnelle.

Enfin, la prime de compétences spécifiques des militaires (PCSMIL) a pour objet de valoriser les compétences opérationnelles rares, difficiles à générer et essentielles pour assurer la supériorité dans les opérations militaires. Elle remplace les primes et indemnités « de milieu ». Pour la Marine, la PCSMIL remplace la majoration pour service à la mer, la majoration pour service en sous-marin, les indemnités de sujétion aéronavale et du groupement aérien embarqué. Ces primes de milieu indexées sur la solde de base sont ainsi remplacées par une prime qui s’affranchit du classement indiciaire et dont le montant dépend exclusivement du niveau de compétence détenu et mis en œuvre.

Le surcoût 2023 de cette dernière phase de la NPRM est programmé à hauteur de 88 millions d’euros pour un surcoût en année pleine de 351 millions d’euros. L’année 2024, première année pleine du déploiement des primes et indemnités constitutives de l’annuité 2023 de la NPRM, permettra de mesurer les effets de la NPRM dans son intégralité.

En matière de solde, et au-delà de la nouvelle politique de rémunération
du militaire, la revalorisation des rémunérations est primordiale compte tenu de l’inflation et des revalorisations successives du SMIC qu’elle a entraînées, lesquelles ont resserré les grilles indiciaires, ne valorisant ainsi pas la progression professionnelle.

Votre rapporteur a donc présenté, lors de l’examen de la LPM 2024-2030 en séance publique, un amendement n° 1735 qui a été adopté à l’unanimité. Il donne à la politique de rémunération des militaires l’objectif de « renforcer l’attractivité des carrières et la progression des personnels civils et militaires, selon le degré d’expertise, les qualifications et compétences acquises et les responsabilités d’encadrement assumées », en précisant la nécessité « d’une plus forte attractivité et progressivité des grilles indiciaires ».

Cet amendement a été précisé, au Sénat, par un amendement fixant le cadencement suivant pour l’augmentation des grilles indiciaires :

– les grilles indiciaires des militaires du rang seront révisées avant la fin de l'année 2023 ;

– les grilles indiciaires des sous-officiers et des militaires assimilés seront révisées avant la fin de l'année 2024 ;

– les grilles indiciaires des officiers seront révisées avant la fin de
l'année 2025.

Lors de la conférence salariale 2023, ont été annoncées plusieurs mesures, mises en œuvre pour certaines dès le deuxième semestre 2023, dont bénéficieront les marins, comme l’ensemble des fonctionnaires :

– une prime de pouvoir d’achat, ciblée sur les moyens et bas salaires, dont les modalités sont en attente de déclinaison (300 € à 800 € bruts pour les agents percevant une rémunération mensuelle brute jusqu’à 3 250 € par mois) ;

– un rehaussement des bas salaires, matérialisé par une attribution de points aux différents échelons des grades de Matelot à Second maître (de 5 à 9 points selon l’échelon) ;

– une prise en charge des transports collectifs portée de 50 à 75 % qui doit permettre de compenser la hausse continue des forfaits de transports collectifs ;

– l’attribution de 5 points d’indice à tous les militaires (environ 25 € mensuels) ;

– une augmentation des frais de mission avec une augmentation de 10 % du plafond des nuitées hôtelières et de l’indemnité repas à la rentrée 2023.

c.   Un effort continu sur l’amélioration des conditions de vie

Plus peut-être que la rémunération, c’est l’amélioration des conditions de vie des marins, en particulier l’allègement des contraintes opérationnelles et la prise en compte des familles, qui conditionnent à la fois le niveau et la qualité du recrutement ainsi que leur fidélité.

Votre rapporteur se réjouit donc que le « Plan Famille » (PF) ait été renouvelé dans le cadre de la nouvelle LPM. Doté d’un budget de 750 millions d’euros sur la période 2024-2030, le PF2 poursuit et intensifie les efforts engagés par le PF1 tout en se concentrant sur les « familles », le volet « vie en emprise militaire » étant retiré du PF2 pour devenir un projet distinct. Le PF2 a ainsi pour objectif d’améliorer la compensation des contraintes opérationnelles, et donc de simplifier et renforcer l’accompagnement des mobilités militaires, les absences ainsi que la vie quotidienne des familles dans les territoires. Parmi les mesures qu’il contient, plusieurs sont significatives pour les marins.

Ainsi, à défaut de pérennisation de la ligne aérienne entre Brest et Toulon, la Marine a mis en place, en octobre 2022, une procédure expérimentale visant à prendre en charge 25 % du prix des billets d'avion pour les liaisons aériennes entre Brest et Toulon ainsi qu’entre Brest et Marseille, afin de continuer à accompagner les marins. Cette procédure a été renouvelée du 1er juillet 2023 au 30 juin 2024. En complément, une étude a été lancée sur la mise en place d’une liaison entre Cherbourg et Toulon.

Par ailleurs, l’accès au wifi à quai est désormais programmé pour 43 bâtiments jusqu’en 2025. Cette mesure du PF1 a été prolongée à travers la mesure 2.8 du PF2.

La montée en puissance de la Cellule d’aide aux blessés et d’assistance aux familles de la Marine (CABAM), chargée de la prise en charge des malades, des blessés et de leurs familles se poursuit, notamment par la mise en place d’une cellule à Brest.

Enfin, concernant les déménagements, la Marine a expérimenté en 2022 un dispositif d’aide à la recherche de logement dans la région parisienne. Cette initiative est renouvelée en 2023 et étendue, dans l’attente de la mise en œuvre progressive de la mesure 1.2 du PF2.

3.   Le renforcement de la réserve opérationnelle

La réserve opérationnelle constitue une ressource indispensable au fonctionnement de la Marine et à la tenue de son contrat opérationnel. À ce titre, elle constitue une composante pleinement intégrée de la Marine, qui lui permet de disposer de renforts individuels d’anciens marins d’active et de jeunes dans tous ses domaines d’emploi et d’expertises spécifiques.

L’application du mandat ministériel « Réserve », décidé après les attentats de 2015, s’est traduite par une augmentation significative des effectifs de la réserve opérationnelle de la Marine : + 706 engagements à servir dans la réserve (ESR) entre 2015 et 2019, soit +15 %. Après une réduction en 2020 qui s’est poursuivie jusqu’en 2022, l’année 2023 est marquée par une nouvelle augmentation, comme le montre le tableau suivant (données provisoires) :

Source : ministère des Armées

Au 31 décembre 2022, elle a été utilisée principalement pour les activités suivantes :

opérations : 58 % des effectifs réalisés, dont 36 % pour la protection
du territoire national et opérations intérieures (OPINT) et extérieures (OPEX),
soit le premier domaine d’emploi, et 22 % pour le soutien et compléments opérationnels ;

autres domaines : 32 % des effectifs réalisés dont 18 % pour le recrutement et le rayonnement (dont 85 centres de préparation militaire marine répartis partout en France) et 24 % pour le soutien général.

Le coût de la réserve opérationnelle est retracé dans le tableau suivant, avec cette précision que le coût pour 2024 n’a pas encore été arbitré :

Source : ministère des Armées

Les effectifs prévisionnels de la réserve opérationnelle sont en adéquation avec la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025. La LPM 2024-2030 viendra modifier cette trajectoire de ressources humaines (RH) dès 2024, comme le montre le tableau suivant :

Source : ministère des Armées

Le modèle « Réserve 2035 » issu de la nouvelle LPM se traduira, pour la Marine nationale, par une évolution du concept d’emploi autour de trois axes :

– appuyer la Marine d’active avec de nouvelles Unités spécialisées par métier et milieu d’emploi (UROM) commandées et composées par des réservistes ;

– étendre la capacité d’action de la Marine sur le littoral avec trois flottilles côtières en métropole et six escouades dans les Outre-mer ;

– renforcer la Marine dans les domaines experts : développement d’équipes « projet » ad hoc, unités de formateurs, renforts des états-majors…

III.   après la réparation de ses capacités par la lpm 2019-2023, la NOUVELLE LPM 2024-2030 prépare la marine aux enjeux de demain

A.   UNE lpm de transformation, à la hauteur des menaces auxquelles notre pays est et sera confronté

1.   Une LPM qui confirme la remontée en puissance de la Marine

La Marine est une arme du temps long. Les décisions d’aujourd’hui ont une portée qui va au-delà de la vie des hommes qui les ont prises. Elles engagent les générations futures devant qui nous sommes responsables. Les LPM qui se sont succédées depuis les années quatre-vingt-dix, tirant à l’avance les dividendes d’une paix que l’on croyait – à tort – perpétuelle, ont ainsi, par naïveté, excès d’optimisme ou dogmatisme budgétaire, profondément affaibli les moyens de la Marine comme des autres armées, par des coupes budgétaires dont les effets se font, encore aujourd’hui, sentir.

Toutefois, malgré les matériels parfois vieillissants et au remplacement incertain, un certain défaut d’entretien des infrastructures et la réduction continue des effectifs, le socle sur lequel repose notre Marine n’a, heureusement, pas
été atteint. Ce socle, c’est l’accumulation de siècles d’expériences et de compétences, de traditions et d’engagements, tant dans la Marine que dans les industries de défense. Lorsque la volonté politique de redonner à notre pays les moyens militaires de tenir son rang s’est enfin manifestée, ce socle a permis une remontée en puissance que la LPM 2019-2023 et la nouvelle LPM ont organisée.

C’est ainsi que d’ici à 2040, les équipements de notre Marine auront été quasi-intégralement renouvelés, assurant à notre pays les moyens de défendre ses intérêts en mer pour des décennies :

sous la mer, les sous-marins d’attaque (SNA) de classe Suffren vont progressivement remplacer les SNA de classe Rubis, dotant notre flotte sous-marine de nouvelles capacités telles que les missiles de croisière ou le largage de commandos ou de mini-sous-marins. Une capacité de maîtrise des fonds marins, dotée de robots téléopérés et de drones permettra à notre pays de connaître, surveiller et agir jusqu’à une profondeur de 6 000 mètres. Enfin, la force océanique stratégique sera dotée de nouveaux sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) de troisième génération, garantissant l’efficacité de notre dissuasion jusqu’à la fin du siècle ;

la flotte de surface sera elle aussi largement renouvelée, avec l’arrivée des patrouilleurs d’outre-mer (POM), des corvettes hauturières, des bâtiments ravitailleurs de forces (BRF), des patrouilleurs hauturiers, des frégates de défense et d’intervention (FDI), des nouveaux bâtiments de guerre des mines et, enfin, du porte-avions de nouvelle génération (PA-ng) ;

– enfin, l’aéronavale ne sera pas en reste avec l’entrée en service de nouveaux avions de surveillance maritime Albatros mais également, d’ici à 2030, de huit systèmes de drones aériens de la Marine (SDAM).

Ces nouveaux équipements constituent, pour chacun d’entre eux, une montée en gamme par rapport à ceux qu’ils remplacent, permettant à la Marine de se déployer plus longtemps et plus loin, tout en faisant face à des menaces elles aussi de plus haute intensité. Ils sont la condition essentielle à ce que la Marine nationale demeure la marine d’emploi qu’elle a toujours été.

Enfin, alors que l’investissement dans les infrastructures et le maintien en condition opérationnelle (MCO) avait été marginalisé dans les LPM précédentes, la nouvelle LPM refait de ces domaines essentiels une priorité, en augmentant considérablement les crédits dont ils bénéficieront.

2.   Une mise en œuvre opérationnelle dans le cadre du plan Mercator 2023

Ces nouveaux équipements, aussi remarquables soient-ils, seraient néanmoins inutiles s’ils n’étaient pas armés de marins expérimentés, parfaitement entraînés et maîtrisant les technologies – notamment numériques – les plus modernes. C’est dans cet objectif d’un renforcement des compétences des marins qu’a été lancé, en 2021, le plan MERCATOR, autour de trois axes majeurs :

une Marine de combat, intensifiant son entraînement pour le combat naval ;

une Marine en pointe, innovant pour maintenir sa supériorité sur ses adversaires potentiels ;

une Marine de tous les talents, capitalisant sur les talents des hommes et des femmes y servant.

En 2023, alors que la guerre en Ukraine a confirmé la remise en cause de l’ordre international, le chef d’état-major de la Marine de l’époque, l’amiral Pierre Vandier, a recalibré le plan Mercator, reprenant ses trois axes mais leur donnant trois nouvelles orientations :

une action focalisée sur les opérations, en conférant aux marins davantage de leviers décisionnels ;

exploiter le potentiel du numérique, pour chaque marin, afin de gagner la supériorité opérationnelle ;

vers de nouvelles méthodes de travail, en généralisant le commandement par intentions et en fonctionnant en mode « projets ».

Concrètement, ce nouveau plan repose sur le développement de trois piliers correspondant à chacun des trois axes du plan Mercator précités :

– Polaris (Marine de combat), devenu la marque de fabrique d’une démarche de préparation opérationnelle renouvelée de très haut niveau, consiste à poursuivre le durcissement de la préparation au combat, en élevant la performance autant que la résilience de la Marine ;

– Perseus (Marine en pointe), en lien étroit avec la direction générale de l’armement, a pour objectif de concilier le temps long des programmes d’armement au temps court de l’innovation technologique et du combat. Le principe est d’accélérer la boucle de l’innovation, en offrant aux industriels de tester au sein des unités de la Marine les projets les plus aboutis dans des conditions proches de la réalité ;

– Kairhos (Marine de tous les talents), vise à accélérer la transformation du modèle des ressources humaines de la Marine. Il s’agit de revoir les modèles de formation, de progression et de gestion pour tirer le meilleur parti des aptitudes de chaque marin. La réalisation de Kairhos passera par la poursuite
de la formation continue par validation de modules ou la réforme du modèle
des ressources humaines du personnel non-officier pour l’adapter au contexte actuel.

B.   Les points de vigilance de votre rapporteur

1.   Sur les matériels

La LPM 2024-2030 poursuit et amplifie l’effort de réparation réalisé dans le cadre de la LPM 2019-2023, permettant à la Marine de conserver une ambition forte, un niveau d’entraînement élevé et des équipements modernes et disponibles nécessaires aux opérations majeures qu’elle aura à mener.

Si votre rapporteur se félicite de la remontée en puissance de la Marine et des perspectives offertes par la nouvelle LPM, en particulier s’agissant des équipements, il n’en reste pas moins vigilant à la fois sur le calendrier et sur les trous capacitaires subsistants.

La LPM a établi un cadencement précis des livraisons mais celles-ci sont, naturellement, soumises aux contraintes industrielles et politiques, en particulier lorsqu’il s’agit de programmes conduits en coopération. C’est le cas notamment des corvettes hauturières, développées dans le cadre européen de la coopération structurée permanente. La première est attendue à la fin de la décennie et les 6 seront opérationnelles d’ici à 2035. Comme votre rapporteur l’analysera plus longuement dans la partie thématique du présent avis, ces corvettes hauturières remplaceront outre-mer des frégates de surveillance aux capacités totalement dépassées par les enjeux. Elles combleront donc une lacune capacitaire importante qui met en danger notre souveraineté dans un contexte stratégique qui se durcit année après année. Tout retard est donc susceptible d’avoir des répercussions majeures sur notre capacité à défendre nos intérêts dans des zones sensibles.

S’agissant des bâtiments ravitailleurs de forces (BRF), leur nombre avait initialement été fixé à quatre d’ici à 2030 par la LPM 2019-2023. Loin de n’être qu’un pétrolier ravitailleur, il est capable d’emporter 300 tonnes de munitions, plus de 400 palettes de vivres et 20 containers KC20. Il dispose également d’une zone hôpital ainsi que de l’espace nécessaire à l’accueil d’un état-major interarmées embarqué de 50 personnes. Le BRF peut également accueillir et transporter un NH90 et un module de lutte contre les mines. Le BRF est donc un outil essentiel au déploiement de notre Marine et, en particulier, du groupe aéronaval. Le report au-delà de 2030 d’un BRF par la nouvelle LPM est donc regrettable et rend encore plus nécessaire la livraison dans les temps des trois autres.

Le BRF constitue un atout certain pour notre Marine mais il met néanmoins en évidence, par ses quelques lacunes, la nécessité de disposer d’un navire réellement polyvalent, plus encore que le BRF, qui serait un véritable bateau atelier polyvalent disposant d’un hôpital, d’une grue, de réservoirs et d’une plateforme hélicoptère. Un tel navire permettrait à la Marine de disposer d’une base navale mobile, réponse à la réduction éventuelle du nombre de points d’appui. Si l’idée n’a pas été reprise dans la LPM, votre rapporteur considère qu’elle est pertinente et mérite d’être explorée à plus long terme pour la future LPM post-2030.

Un autre point de vigilance de votre rapporteur est la mise en œuvre de la capacité de maîtrise des fonds marins (MFM). En attendant que soit développée une capacité souveraine de connaître, surveiller et agir jusqu’à 6 000 mètres de profondeur, le choix a été fait de louer un drone Hugin de la société norvégienne Kongsberg, pour une durée de 4 x 15 jours par an. Or, cette durée est passée à 2 x 15 jours par an compte tenu du décalage plus que probable de la disponibilité de son équivalent français, tout en coûtant très cher à la Marine, alors même qu’avait été initialement envisagée – et abandonnée – l’acquisition d’un Hugin. Votre rapporteur s’inquiète donc à la fois d’un probable retard dans le développement de la solution française mais également de l’expérience limitée que la Marine retire du Hugin en raison du temps lui aussi limité dont elle en dispose. Il attire aussi l’attention sur la difficulté qu’aurait aujourd’hui notre pays, faute de Hugin disponible, à organiser seul la récupération d’un Rafale tombé en mer ou, simplement, une levée de doute sur un accident sur un câble sous-marin.

Cet exemple de la capacité MFM met l’accent sur la nécessaire conciliation du temps long et du temps court. Certes, il faut inscrire le renouvellement capacitaire dans le temps long mais garder à l’esprit que les nécessités opérationnelles peuvent parfois exiger des solutions immédiates, impliquant l’acquisition d’un matériel étranger « sur étagère ».

Enfin, bien que la nouvelle LPM ait confirmé le remplacement des avions de surveillance maritime Falcon 50 par des Albatros, le tuilage ne sera pas parfait, si bien que notre Marine fera face à une réduction temporaire de capacité dans les années 2026-2027. En outre, ce remplacement laissera irrésolue la question de la surveillance maritime à la Réunion et à Mayotte, avec des conséquences dommageables que votre rapporteur analysera dans la partie thématique.

Votre rapporteur sera également attentif à un aspect essentiel des équipements, auquel les LPM précédentes n’ont pas donné toute l’importance nécessaire, qu’est leur maintien en condition opérationnelle. En effet, produire des équipements performants n’est pas tout : encore faut-il qu’ils soient disponibles pour les forces. Seul un MCO de qualité est en mesure de garantir qu’ils le seront bien et que les forces seront en capacité de remplir leur mission. Il faut donc se réjouir que la nouvelle LPM ait fait du MCO l’une de ses priorités.

Toutefois, au-delà de l’entretien programmé du matériel, qui fait l’objet d’une analyse plus détaillée supra, le MCO peut également prendre une autre forme, mise en avant par le chef d’état-major de la Marine lors de son audition : le MCO en continu. « Le MCO continu n’est pas tant une affaire contractuelle avec les industriels qu’une question de résilience. La question qui m’importe est la suivante : mes équipages sont-ils capables, au combat, de garantir la disponibilité d’un bateau, lorsqu’ils sont confrontés à une avarie de combat beaucoup plus compliquée à régler que ce qu’ils ont « l’autorisation » de faire ? Face aux temps anormaux qui nous font probablement face, nous devons être en mesure de régler les problèmes par nous-mêmes. Aujourd’hui, nous développons ce MCO en continu, qui permet d’améliorer les compétences de nos équipages, afin qu’ils puissent les mettre en œuvre le jour où ils seront soumis aux mêmes problèmes. Le MCO continu arrive désormais à maturité ».

2.   Sur les hommes et les femmes de la Marine

Comme indiqué supra, avant d’être des bateaux, la Marine, ce sont avant tout des marins et c’est l’une des forces de cette LPM, comme de la précédente, que d’avoir intégré, plus que les autres, la problématique ressources humaines, notamment par la revalorisation de la grille indiciaire mais également par le lancement du Plan famille 2.

La Marine peut se satisfaire de ne pas connaître aujourd’hui les difficultés de recrutement de l’armée de terre mais elle est, comme cette dernière, exposée au défi de la fidélisation. Certes, de nombreuses mesures, détaillées supra, sont actuellement mises en œuvre et seront renforcées les prochaines années afin de préserver l’attractivité de la carrière de marin. Votre rapporteur sera ainsi particulièrement attentif à la revalorisation des grilles indiciaires des militaires qu’il a portée lors de la discussion de la LPM.

Cet effort sur les grilles indiciaires est nécessaire et complémentaire de la NPRM, qui a remis à plat le système des primes dans les armées. En effet, les primes ne sont pas revalorisées comme le traitement indiciaire et, contrairement à lui, ne profitent pas à tous les marins. Or, aujourd’hui, 18 500 marins sont au SMIC (hors primes), soit près de la moitié des effectifs, ce qui a un impact majeur sur l’attractivité de la carrière de marin. Lors des auditions, votre rapporteur a ainsi appris que certains jeunes, tentés par celle-ci, lui tournaient le dos aussitôt qu’ils prenaient connaissance des conditions de rémunération, jugées parfois peu compétitives par rapport aux allocations qu’ils touchaient par ailleurs… Cet effort sur les grilles indiciaires devra se poursuivre, au moins tant que durera l’inflation actuelle. Il n’est d’ailleurs pas exclusif d’une révision du système de primes, une clause de revoyure étant d’ailleurs prévue par la NPRM en 2026.

Enfin, le temps de la Marine étant le temps long, même si le recrutement est aujourd’hui, globalement, satisfaisant, il n’en faut pas moins préparer l’avenir, en particulier pour les filières en tension. De ce point de vue, les 110 partenariats noués par la Marine avec l’Éducation nationale (via des BTS, des Bac Pro…) et de grandes entreprises civiles ou de défense (Airbus, EDF, Dassault, Thales…) sont fondamentaux. Ces partenariats s’accompagnent de dispositifs spécifiques permettant aux jeunes de découvrir la Marine, ses métiers et les responsabilités occupées. De plus, une formation spécifique au nucléaire a été mise en place au sein de l’école des applications militaires de l’énergie atomique (EAMEA) à Cherbourg. Cette formation de niveau BTS, construite en lien avec l’Éducation nationale, permet de former dès cette année 15 futurs techniciens dans le domaine du nucléaire. Cette initiative est d’ailleurs un tel succès que le doublement des effectifs – à 30 étudiants – pourrait être anticipé.

Votre rapporteur salue ces partenariats et encourage la Marine à les développer plus encore. C’est, de son point de vue, exactement ce qu’il faut faire : aller chercher la ressource directement dans les écoles et, le cas échéant, proposer elle-même des formations ciblées sur les besoins les plus urgents de la Marine.

3.   Sur les Outre-mer

Dans son avis budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2023, votre rapporteur s’était intéressé à la place de la France et la défense de ses intérêts stratégiques en Indopacifique, travail qu’il complète cette année par un focus sur la zone sud de l’océan Indien et en particulier la région du canal du Mozambique. Ces deux travaux l’ont conduit à analyser de manière approfondie la situation de nos départements et territoires d’outre-mer, lesquels sont, pour notre pays, à la fois des points de vulnérabilité mais également des atouts à valoriser.

Nos Outre-mer sont en effet dans une situation compliquée, en particulier en Indopacifique. Abritant plus de 1,8 million de nos compatriotes, ils sont pour notre pays une source de richesse considérable, compte tenu notamment de la zone économique exclusive (ZEE) qui leur est attachée. Ils constituent également des points d’appui essentiels au déploiement de nos forces et, en particulier de la Marine, sans lesquels notre pays serait dépendant de ses alliés pour défendre ses intérêts dans la région.

Atouts pour notre pays, les Outre-mer l’exposent cependant à des menaces dont l’hexagone est largement préservé. Non seulement certains de ses territoires font l’objet de revendications territoriales ou de tentations indépendantistes, parfois instrumentalisées par nos compétiteurs stratégiques, à commencer par la Chine et la Russie, mais les ZEE peuvent faire l’objet de pillages, notamment de leurs ressources halieutiques, tandis que les catastrophes naturelles comme les cyclones ou les ouragans sont une menace récurrente.

Face à ces menaces, force est de constater que les moyens de notre pays prépositionnés dans ces territoires sont souvent vieillissants et inadaptés à un environnement stratégique aussi compliqué. C’est le cas, en particulier, des frégates de surveillance. Certes, la remontée en puissance est en marche, avec l’arrivée en cours des POM, mais elle sera longue, puisque c’est seulement dans une dizaine d’années que les corvettes hauturières seront pleinement déployées dans les Outre-mer. En outre, les moyens aériens de surveillance maritimes continueront à faire défaut, en particulier à la Réunion et à Mayotte, tandis que les infrastructures ont un besoin urgent d’investissement.

Les besoins sont donc immenses et c’est peu dire que les 13 milliards d’euros que la nouvelle LPM a ciblés sur les Outre-mer seront les bienvenus. Votre rapporteur apportera un soin particulier au contrôle de leur utilisation sur le terrain et veillera à leur pleine efficacité au service des intérêts de notre pays.

 


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   Deuxième partie : le canal du mozambique, une région
au cœur des enjeux maritimes

I.   Le canal du Mozambique : une région stratégique où les intérêts de la France et de l’europe sont considérables

A.   Une présence de la France dans la zone-sud de l’océan indien ancienne mais parfois contestée

1.   Une présence ancienne et importante

La France est présente dans l’océan Indien depuis le 17ème siècle. Il y a en effet près de 400 ans que la Réunion est française. Depuis, ce patrimoine hérité de l’Ancien régime s’est enrichi d’autres territoires acquis sous la troisième République : Mayotte (à travers la colonisation des Comores), les Îles Éparses et les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Aujourd’hui, ce sont près de 1,2 million de personnes qui vivent dans ces territoires (860 000 à la Réunion et 330 000 à Mayotte), avec cette précision que la population réelle de Mayotte fait l’objet d’une vive controverse pour les raisons qui seront indiquées infra.

À ces territoires, sont rattachés d’immenses espaces maritimes : 2,7 millions de kilomètres carrés, sur les 11 millions de kilomètres carrés qui constituent la Zone Économique Exclusive (ZEE) française. Cette ZEE abrite d’importantes ressources, halieutiques mais également des ressources minières et des hydrocarbures qui restent à découvrir dans les grands fonds marins.


La carte ci-dessous illustre la situation de la France dans l’océan Indien :

La possession de ces territoires dans la zone sud de l’océan Indien constitue également un atout stratégique pour notre pays. Elle permet en effet à la France d’être le seul pays de l’Union européenne présent dans cette zone incluant les plus grandes voies maritimes et de disposer de bases militaires lui donnant une profondeur stratégique. À la charnière de l’Afrique, de l’Océan indien et de l’Antarctique, elle lui permet, le cas échéant, d’intervenir rapidement en cas de crises, civiles ou militaires. Ces dernières permettent également à la France de faire respecter le droit international et l’accès aux espaces communs qu’il régit.

Corollairement, ces territoires exposent notre pays à des menaces et difficultés spécifiques dont est davantage préservé l’hexagone :

– le risque de catastrophe naturelle (cyclone et tsunamis en particulier), qui constitue une menace forte, particulièrement à la Réunion. Comme partout dans le monde, le dérèglement climatique aggrave ces phénomènes année après année, tout en constituant une menace existentielle pour nombre d’îles situées quelques mètres seulement au-dessus du niveau de la mer ;

– la pression exercée par la pêche illégale sur les ressources halieutiques et la biodiversité. En effet, de nombreux bateaux de pêche étrangers, notamment chinois, sont susceptibles de venir piller les ressources de la ZEE ;

– enfin, l’immigration illégale massive concerne particulièrement Mayotte, exposée à des flux migratoires massifs par la mer en provenance des Comores voisines, au point que, selon les différentes estimations, la population pourrait varier entre 330 000 et 450 000 habitants. Mayotte fait également face à des difficultés spécifiques que sont, en particulier, un fort taux d’illettrisme et des pénuries récurrentes d’eau.

2.   Une présence contestée par plusieurs États de la région

Contrairement à d’autres départements et territoires d’outre-mer, agités par des mouvements indépendantistes plus ou moins puissants, ni La Réunion, ni Mayotte ne font face à de telles revendications. Départements français depuis, respectivement, 1946 et 2011, ces deux îles sont au contraire particulièrement attachées à la France et cette appartenance ne fait l’objet d’aucun débat dans la population ni la classe politique.

En revanche et contrairement à ces autres départements et territoires d’outre-mer, Mayotte fait face à la revendication des Comores qui n’ont jamais accepté les résultats du référendum de 1975, par lequel cette île, la seule des quatre îles de l’archipel, a refusé l’indépendance. Depuis cette date, les résolutions de l’ONU contre la France se sont multipliées et les tensions n’ont jamais cessé, aggravées par le flux croissant des kwassas des Comores vers Mayotte et le flux inverse des immigrés clandestins renvoyés dans leur pays d’origine.

Ces tensions ont des conséquences politiques et diplomatiques, notamment en ce qu’elles empêchent la France, présente au sein de la Commission de l’Océan Indien (COI) au titre de la Réunion, de l’être également au titre de Mayotte et, par conséquent, cette dernière de bénéficier des projets qu’elle finance. Ces tensions prennent parfois un tour inattendu mais fortement symbolique, lorsqu’elles affectent le domaine sportif. C’est ainsi qu’aux derniers jeux des Îles, qui réunissent l’ensemble des îles de la zone sud de l’Océan indien, les Comores ont obtenu que la délégation de Mayotte ne puisse défiler sous le drapeau français, pas plus que n’a pu être jouée la Marseillaise.

Au sud de Mayotte, dans le canal du Mozambique, les trois îles éparses que sont Europa, Juan de Nova et Bassas de India, auxquelles s’ajoutent les îles plus septentrionales de Glorieuse et de Trémolin, relèvent quant à elles de l’administration des TAAF. Ne comptant aucun habitant permanent, elles sont néanmoins périodiquement occupées par des militaires français du détachement de la Légion étrangère à Mayotte (DLEM) et du 2ème RPIMa de la Réunion qui, par leur présence, affirment la souveraineté française sur ces territoires, effective depuis 1896. Ceux-ci sont en effet revendiqués à la fois par Madagascar, Trémolin étant quant à elle revendiquée par l’île Maurice.

Malgré les pressions de l’Assemblée générale de l’ONU, de l’Organisation de l’unité africaine ou de la Communauté de développement d'Afrique australe, la France n’a jamais cédé sur la souveraineté qui est la sienne sur ces territoires mais a concédé, en 2013, un accord de cogestion de Trémolin avec l’île Maurice, resté toutefois lettre morte en raison du revirement de cette dernière.

B.   Une région aux enjeux croissants, en particulier dans le canal du mozambique et au sud-est de la réunion

1.   Les enjeux sécuritaires

a.   Des enjeux de souveraineté, à l’ombre des luttes d’influence entre les grandes puissances

La présence française dans la zone sud de l’océan Indien fait donc l’objet de nombreuses contestations de la part de ses trois voisins que sont Madagascar, l’île Maurice et les Comores. Toutefois, celles-ci n’ont jamais pris que des formes diplomatiques : résolutions d’organisations internationales, appels à une médiation ou négociations bilatérales. Jamais notre souveraineté sur ces territoires n’a fait l’objet d’une atteinte physique.

Toutefois, rien ne dit que ce ne sera pas le cas à l’avenir. En effet, d’autres puissances sont désormais à la manœuvre dans la région, avec une influence croissante dans les pays qui, justement, revendiquent ces territoires français.

C’est le cas en particulier de la Russie qui a fait de l’Afrique l’un des principaux terrains de sa politique d’influence. Si son action au Mali et en Centrafrique et, plus généralement, dans la bande sahélo-saharienne est désormais bien connue, plus discrètes sont ses initiatives autour du canal du Mozambique et notamment à Madagascar. Celles-ci sont le fait d’ONG telles que l’Association for Free Research and International Cooperation (AFRIC) ou la Fondation pour la protection des valeurs nationales (FZNC) qui, par des colloques tels que « Les îles de l’espoir », centrés sur la restitution des îles Eparses à Madagascar, ou le « conseil électoral », visent à influencer la société et la vie politique malgaches. Les deux pays sont par ailleurs désormais liés par un accord de coopération militaire entré en vigueur le 25 mars 2022, portant notamment sur le renouvellement de matériel d’armement et sur la formation d’officiers malgaches.

La Russie affiche enfin, par l’intermédiaire de son ambassadeur à Antananarivo, M. Andrey Andreev, son soutien à la reconquête, par les Malgaches, des îles Éparses. Durant ses interviews à la presse nationale, l’ambassadeur russe encourage notamment Madagascar à « achever le processus de décolonisation et établir au plus vite la souveraineté malgache sur [ces] Iles », son pays étant prêt « à contribuer par tous les moyens possibles à un règlement politique de ce différend ». À l’inverse, le président malgache vient en soutien de la politique étrangère de la Russie, n’hésitant pas à limoger son ministre des Affaires étrangères le 18 octobre 2022 suite au vote, par celui-ci, de la résolution condamnant « les annexions illégales de la Russie sur l’Ukraine » à l’Assemblée générale des Nations Unies.

En revanche, la Russie a largement échoué au Mozambique. Les mercenaires du groupe Wagner, auxquels le gouvernement mozambicain avait fait appel en 2019, ont subi de lourdes pertes dans leur lutte contre les Islamistes au point de se désengager de Cabo Delgado quelques mois seulement après leur déploiement.

Le Mozambique est en revanche l’une des principales cibles de la politique d’influence de la Chine dont le moteur, contrairement à la Russie, est avant tout économique. Forte de sa puissance financière, ce pays a en effet multiplié les investissements dans la région, faisant du Mozambique le point d’entrée de la Communauté de développement de l’Afrique australe. Comme elle le fait dans bien d’autres pays africains, la Chine privilégie les investissements dans les infrastructures de transport comme la rénovation de l’aéroport de Maputo, la construction d’une autoroute ou l’extension du port de Nacala. La Chine est également présente dans les hydrocarbures puisque la China National Petroleum Corporation détient 28,6 % du bloc 4 au sein de la joint-venture Rovuma LNG.

La Chine est également très présente à Madagascar dont elle est devenue le premier partenaire commercial, loin devant la France. Comme au Mozambique, la Chine a alloué des financements considérables à de grands projets d’infrastructures ainsi que des prêts importants au gouvernement malgache.

Enfin, dernière puissance régionale, l’Inde, qui a tendance à considérer l’océan Indien comme sa Mare Nostrum, déploie une énergie considérable pour renforcer ses positions et contrer les initiatives chinoises, notamment en se rapprochant des autres puissances régionales. L’Inde a signé, en 2016, un accord avec les États-Unis pour l’utilisation de la base de Diego Garcia et, en 2018, un accord similaire avec la France prévoyant un accès réciproque à certaines de leurs bases navales autour de l'océan Indien.

L’Inde s’appuie également sur les minorités indiennes présentes dans un certain nombre d’îles pour développer son influence culturelle et diplomatique mais également militaire, ces îles pouvant faciliter la présence de sa marine le long des principales routes maritimes. Elle a ainsi signé un accord de défense avec les Seychelles, lui permettant de patrouiller dans ses eaux territoriales, gère les garde-côtes de Maurice et sa marine effectue de fréquents exercices avec la marine malgache dont elle visite régulièrement les ports.

Enfin, soucieuse de diversifier ses sources d’approvisionnement énergétique, l’Inde voit avec intérêt les ressources en gaz naturel du Mozambique et ses sociétés gazières ont pris 30 % du bloc 1 mené par TotalÉnergies au large de ce pays.

b.   Le risque terroriste en provenance d’Afrique de l’Est

La région du canal du Mozambique n’est, comme bien d’autres en Afrique, pas épargnée par le terrorisme d’origine islamique. Celui-ci est apparu en 2007 au Mozambique, initialement sous la forme de revendications locales pacifistes dans la province de Capo Delgado, région du Nord marginalisée politiquement et économiquement malgré la présence de riches gisements gaziers. La contestation s’est progressivement radicalisée sous l’influence d’islamistes venus notamment de Somalie et de Tanzanie, sans que le gouvernement mozambicain ne réagisse, si bien que le mouvement a pris de l’ampleur, entraîné des milliers de morts et l’évacuation de centaines de milliers de personnes, culminant en mars 2021 avec la prise des villes de Mocimba da Praia, Muidumbe et surtout Palma. La prise de cette dernière ville, proche de la base logistique de TotalÉnergies, a entraîné l’évacuation de l’ensemble de son personnel et la suspension de son projet d’exploitation gazière (voir infra).

Ces prises ont constitué un électrochoc pour le gouvernement mozambicain qui a sollicité l’aide internationale afin de reconquérir les territoires abandonnés aux islamistes. Le Rwanda a joué un rôle majeur en envoyant des milliers de soldats qui ont progressivement chassé les islamistes. L’Union européenne s’est également engagée dans le pays en lançant une mission de formation de l’armée mozambicaine – EUTM Mozambique, dont l’objectif est de former 11 compagnies, dont 5 compagnies de fusiliers marins et 6 compagnies des forces spéciales à la lutte contre le terrorisme. Cette mission s’accompagne de la fourniture d’une aide militaire, financée par la Facilité européenne pour la paix (FEP), pour un montant total de 89 millions d’euros.

Aujourd’hui contenu, ce risque terroriste n’en reste pas moins toujours présent dans l’extrême nord du Mozambique, où il bénéficie de l’appui de groupes armés présents dans le sud de la Tanzanie, eux-mêmes en lien avec les djihadistes somaliens. S’il ne menace plus directement les installations gazières de la côte, il est toujours possible que le terrorisme contamine d’autres territoires du canal du Mozambique et menace ainsi des ressortissants français, sans parler de la possibilité d’une attaque contre l’un des milliers de navires marchands qui suivent cette route maritime parmi les plus fréquentées du monde.

De ce point de vue, la présence militaire française à Mayotte constitue un atout stratégique en ce que l’île est située à la sortie du canal du Mozambique, sur la route maritime et non loin des gisements gaziers. En cas d’attaque terroriste sur un navire ou une installation gazière qui obligerait à évacuer des ressortissants français, Mayotte serait très probablement le point d’appui à partir duquel serait lancée l’opération. Avec la réorganisation en cours du dispositif militaire français en Afrique, ce point d’appui et celui de la Réunion sont en outre susceptibles d’acquérir une importance encore accrue.

2.   Les enjeux économiques

a.   Des investissements colossaux dans les hydrocarbures

Plusieurs fois évoqués supra, les investissements dans le secteur des hydrocarbures au Mozambique représentent aujourd’hui des montants considérables. Le canal du Mozambique s’est en effet révélé très riche en gisements de gaz offshore, incitant les plus grandes compagnies pétrolières internationales – dont la française TotalÉnergies, à prendre des participations dans différents blocs d’exploration.

Présent au Mozambique depuis 1991, Total est aujourd’hui opérateur du bloc d’exploration n° 4 dont il détient 26,5 %, en partenariat avec la compagnie japonaise Mitsui (20 %) et des compagnies indiennes (30 %). Les réserves de gaz susceptibles d’être exploitées sont évaluées à 76 TCF (trillion cubic feet), soit l’équivalent d’une production de 50 millions de tonnes par an jusqu’en 2060, qui sera essentiellement exportée vers l’Asie par méthaniers sous forme de GNL. La première tranche de l’investissement s’élève à 20 milliards de dollars et représente, pour TotalÉnergies, son plus gros investissement dans le monde.

De ce point de vue, même si elle ne constituera pas la base arrière du projet, le fait que la France soit présente à Mayotte, à 300 kilomètres des côtes mozambicaines, ainsi qu’à la Réunion, représente un atout important en cas de situation qui redeviendrait instable et impliquerait, par exemple, l’évacuation de ressortissants, comme ce fut le cas en 2021.

En effet, comme indiqué supra, ce projet de TotalÉnergies a été mis en sommeil à la suite des attaques terroristes sur Palma et l’ensemble du personnel évacué. La carte ci-dessous permet à la fois de voir l’ampleur des attaques et les différents projets d’exploitation d’hydrocarbures :

 

Source : Jeune Afrique

Mis en sommeil depuis 2021, le projet n’a cependant pas été abandonné et, selon les représentants de TotalEnergies auditionnés par votre rapporteur, sera relancé lorsque la situation sécuritaire sera pleinement rétablie. Selon des propos rapportés par le journal Le Monde du 6 juillet dernier, TotalEnergies a noté « des améliorations concernant la situation sécuritaire, mais le cas de force majeure est toujours en cours. Il n’y a pas de date de redémarrage à cette heure ». Toutefois, selon une source du journal, « la multinationale n’annonce pas officiellement son retour afin de ne pas créer un effet d’annonce et faire une sorte de “D-Day” ; néanmoins, les sous-traitants sont de retour et les activités montent en puissance depuis quelques semaines ».

Au-delà de ce projet gazier, les richesses restant à découvrir dans le canal du Mozambique sont susceptibles de susciter de nombreuses convoitises. Ainsi, il n’est pas impossible d’imaginer un scénario à la chypriote dans lequel Madagascar, par exemple, concéderait des licences d’exploration à des compagnies pétrolières étrangères, par exemple chinoises, dans la ZEE française qu’elle revendique, faisant ainsi peser un risque majeur sur la stabilité de la région.

b.   Des routes maritimes essentielles au commerce international

Le sud-ouest de l’Océan indien est sur le chemin de deux des plus grandes routes maritimes du monde :

– la route reliant l’Asie du Sud-Est aux Amériques, laquelle passe près de la Réunion, empruntée essentiellement par des porte-containers et vraquiers :

– la route reliant le Moyen-Orient aux Amériques et à l’Europe, qui contourne l’Afrique par le canal du Mozambique, empruntée par des tankers ;

La carte ci-dessous illustre l’intensité des flux maritimes dans cette région de l’océan indien :

Source : Marine traffic

La position stratégique qu’occupent Mayotte et la Réunion sur ces deux routes constitue une opportunité mais également un facteur de risque.

Le premier est le risque environnemental. 10 000 navires passent au large de la Réunion chaque année et s’approchent souvent près des côtes pour capter le réseau téléphonique, exposant l’île à un risque d’échouement. La situation est identique à Mayotte mais parce qu’il implique plus largement les tankers, cette île comme les îles Éparses fait face à un risque majeur de marée noire. Ce risque est, pour notre pays, géré par le Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage – Sud océan Indien (CROSS- SOI).

Le second risque est le trafic de drogues. Historiquement une zone de transit, entre les pays producteurs d’Asie et les pays consommateurs d’Europe et d’Amérique du Nord, le sud-ouest de l’océan Indien devient de plus en plus une zone de consommation, en particulier d’héroïne. Face à ce trafic, le premier rôle est tenu par la gendarmerie maritime mais surtout par la Marine dont les moyens permettent d’appréhender les trafiquants en haute mer.

Enfin, il convient de souligner que la route du canal du Mozambique deviendrait absolument stratégique, voire vitale pour notre pays et pour l’Europe en cas de fermeture – volontaire ou accidentelle – du canal de Suez, qui la verra accueillir l’ensemble du trafic d’hydrocarbures en provenance du Moyen-Orient.

II.   les moyens militaires de la France, bien que RENFORCÉS, SEMBLENT CEPENDANT INSUFFISANTS AU REGARD DES ENJEUX PRÉSENTS ET FUTURS

A.   des moyens militaires récemment renforcés dans le cadre de la lpM 2019-2025

1.   Les moyens militaires reposent essentiellement sur les forces de souveraineté relevant des FAZSOI

Comme dans les autres départements et territoires d’outre-mer, la France dispose dans l’océan Indien de forces de souveraineté dont la mission est triple :

la protection de la souveraineté française dans la région, laquelle exige une vigilance de tous les instants et une combinaison innovante des moyens de surveillance satellitaire, navale et aérienne, afin de lutter contre diverses menaces, notamment contre le pillage des ressources de notre ZEE ;

l’intervention au secours des populations en cas de crise, en particulier face aux catastrophes naturelles. Ce type d’intervention n’est pas réservé aux seuls territoires français mais bénéficie également aux pays insulaires de la région, qui sont nombreux, vulnérables et dépourvus de moyens propres.

l’affirmation de la présence française dans la région. Au-delà de la protection permanente de notre souveraineté et de l’aide apportée en cas de crise aux populations qui en ont besoin, les forces françaises ont également pour mission, par leurs patrouilles et leurs missions régulières, de maintenir la capacité de la France à opérer en toute autonomie dans les espaces communs et de garantir leur libre accès, conformément au droit international.

Ces forces de souveraineté relèvent du commandement supérieur des forces armées dans la zone sud de l’océan Indien, le COMSUP FAZSOI, qui dispose d’un état-major interarmées et commande l’ensemble des moyens militaires déployés à Mayotte et à la Réunion.

a.   Les moyens militaires déployés à Mayotte

À Mayotte sont déployés 411 militaires, principalement issus du détachement de la Légion étrangère à Mayotte (DLEM), du régiment du service militaire adapté (RSMA) et de la base navale. Celle-ci est composée de 45 marins assurant les différentes missions de la base :

– sa mission traditionnelle de soutien aux bateaux de passage (français et alliés), de formation et d’entraînement ainsi que d’entretien du matériel ;

– sa mission de soutien à l’action de l’État en mer (AEM). La base navale assure en effet la coordination de l’AEM au profit du Préfet, avec un tropisme fort en matière de lutte contre l’immigration clandestine (LIC) ;

– enfin, la base participe à la mise en œuvre du contrat opérationnel des FAZSOI (entraînement/opération amphibie interarmées, support du DLEM…) ;

Pour assurer ces missions, la base navale dispose de moyens très limités :

– deux vedettes côtières de surveillance maritime : le Verdon et l’Odet ;

– un intercepteur semi-rigide : le Vétiver ;

– un chaland de transport de matériel : le CTM13 ;

– un remorqueur pousseur de 10 tonnes : le Morse.

Ces moyens sont renforcés, 40 jours par an, par des bateaux hauturiers venant de la Réunion, comme la frégate de surveillance Nivôse, qui toutefois ne peuvent accoster qu’au port de Longoni, sur Grande-Terre, et non à la base navale qui est située sur Petite-Terre, comme l’ensemble des installations militaires. Une antenne du Service de soutien de la flotte (SSF) est également présente, principalement chargée de l’entretien des intercepteurs de la Gendarmerie dédiés à la LIC.

S’agissant des moyens aériens, un Panther de la gendarmerie peut ponctuellement être utilisé par la Marine et un Falcon est disponible deux fois 15 jours par an pour faire de la surveillance aérienne (partagé avec la Réunion).

b.   Les moyens militaires déployés à la Réunion

La base navale de la Réunion est le 3ème port militaire français et concentre l’essentiel des moyens militaires de la France dans la zone sud de l’océan Indien. Située dans l’enceinte du Port Ouest du Grand port maritime de la Réunion, elle entretient avec celui-ci des relations très fortes même si cette localisation présente des contraintes, notamment en termes de sécurité, liée également à l’absence de fusiliers marins.

Forte de 110 marins, son cœur de métier est, comme toutes les bases navales, le soutien aux bateaux mais également le soutien opérationnel avec la présence en son sein de nombreux services tels que le CROSS, le SSF, le service des infrastructures de la défense (SID) ou encore le service de santé des armées (SSA). Elle dispose également d’un atout important avec la présence de nombreux ateliers du Service logistique de la Marine qui lui permet d’offrir un MCO complet et de qualité, même si les réparations exigeant une mise à sec ne peuvent avoir lieu à La Réunion. La situation pourrait toutefois changer avec l’installation, au sein du Port Ouest, d’un dock flottant de 110 mètres de long et 27 mètres de large pouvant accueillir l’ensemble des bateaux présents à la Réunion, y compris les futures corvettes européennes de patrouille (voir infra), à la seule exception du Marion-Dufresne.

S’agissant des bateaux, la base navale de la Réunion dispose, à l’inverse de celle de Mayotte, d’un large éventail de capacités :

– un bâtiment multi-missions : le Champlain ;

– deux frégates de surveillance : le Nivôse et le Floréal, embarquant un hélicoptère Panther ;

– un patrouilleur polaire : L’Astrolabe, appartenant aux TAAF ;

– un patrouilleur : le Malin, qui a remplacé les P400 et fait le tuilage en attendant l’arrivée des patrouilleurs d’outre-mer (POM) ;

En ce qui concerne les moyens aériens, seuls deux CASA sont disponibles pour la surveillance maritime, renforcés le cas échéant, deux fois 15 jours par an, par un Falcon. Il est aussi possible de disposer d’un patrouilleur maritime (PATMAR) indien en application de l’accord de défense du 10 mars 2018 précité.

2.   Après des années d’attrition, la LPM 2019-2025 a entamé la réparation des moyens militaires outre-mer, effort amplifié par la nouvelle LPM

Après plusieurs années, voire décennies d’attrition, qui ont vu les moyens affectés aux outre-mer progressivement rognés, votre rapporteur salue les grands efforts qui ont été faits depuis 2017, en particulier dans le cadre des deux LPM 2019-2023 et 2024-2030, pour renforcer ces moyens. Cinq avancées apparaissent particulièrement significatives.

La première est le remplacement en cours des patrouilleurs par les nouveaux Patrouilleurs outre-mer (POM) hauturiers de classe « Félix Éboué », construits à Saint-Malo par la SOCARENAM. L’Auguste Bénébig a d’ores et déjà rejoint la base navale de Nouméa, en attendant le Teriieroo a Teriierooiterai qui, lui, est destiné à la base navale de Papeete. Deux POM seront également basés à la Réunion, qu’ils devraient rejoindre d’ici à 2025.

Par rapport aux patrouilleurs P400, ces nouveaux POM – qui pèseront 1 300 tonnes pour 80 mètres de long, apporteront des capacités largement améliorées en termes de surveillance (radars, capteurs optroniques…), de communication (par satellite) et d’intervention (canon téléopéré Narwhal de 20 mm, deux embarcations rapides et la capacité d’accueillir un système de drone aérien embarqué). Fonctionnant avec un équipage de 30 marins, les POM peuvent embarquer jusqu’à 29 passagers et deux fois plus de fret qu’un P400. Avec un rayon d’action de 5500 nautiques à 12 nœuds, son élongation est supérieure de 20 % à ces derniers.

La deuxième avancée est la révolution des drones, lesquels constituent l’une des priorités de la nouvelle LPM, auxquels elle consacrera 5 milliards d’euros sur la période 2024-2030. La Marine dispose d’ores et déjà de trois systèmes de mini-drones aériens embarqués pour la Marine (SMDM) constitués de deux drones d’une autonomie de 3 heures et pouvant évoluer dans un rayon d’action de 50 kilomètres. Embarquant une caméra haute performance et un système de transmission de vidéos, les drones SMDM renforceront les capacités aériennes de surveillance, de détection et d’identification des bateaux qui les embarqueront. Il sera ainsi possible de prendre des photos de navires non identifiés mais aussi de rechercher des naufragés. À terme, 11 systèmes seront déployés, notamment sur les POM.

La troisième avancée est celle de la maîtrise des fonds marins. Alors que nos compétiteurs stratégiques, notamment la Russie et la Chine, investissent massivement dans ce qu’on appelle le Seabed Warfare, la France a elle aussi entrepris de se doter d’une capacité souveraine de connaître, surveiller et agir jusqu’à une profondeur de 6 000 mètres. Il est ainsi prévu que, d’ici à 2030, la France dispose d’une telle capacité, laquelle devrait être conteneurisable afin d’être déployée dans les Outre-mer et leurs immenses ZEE.

La quatrième avancée est celle des corvettes hauturières. Les deux frégates de surveillance déployées à la Réunion accusent en effet leur âge (plus de trente ans), lequel se traduit par des capacités en termes de communication, d’armement et de rayon d’action insuffisantes compte tenu à la fois de leurs missions, qui vont désormais au-delà de l’AEM, et du contexte stratégique dans lesquelles elles se déroulent. Le choix a donc été fait de les remplacer par des corvettes issues d’un programme européen de développement capacitaire. Bien que celui-ci n’en soit qu’à ses débuts, leurs principales caractéristiques sont désormais identifiées, à la fois leur longueur (110 mètres), leur poids (3 000 tonnes) mais également leur configuration : pour la lutte anti-navire, pour les missions longues, avec une capacité anti-surface, et pour la patrouille de haute mer. L’objectif est une mise à l’eau d’ici à 2030.

Enfin, le rapport annexé envisage « un programme de navires de projection de force, de type BATRAL (bâtiment de transport léger), […] pour disposer, lors de la prochaine décennie, de quatre unités stationnées dans nos outre-mer ». Le retrait du service actif des 5 BATRAL dont disposait la Marine a en effet privé celle-ci de capacités (grue, capacité à accoster sur une plage…) qui font défaut à leur successeur, notamment les bâtiments de soutien et d’assistance outre-mer (BSAOM). La LPM ouvre ainsi la perspective, à terme, de les retrouver.

B.   Des moyens parfois insuffisants, avec des conséquences potentiellement graveS

1.   Certaines capacités sont insuffisantes

a.   Des trous capacitaires, en particulier dans l’aérien

Le remplacement de ces équipements anciens, longuement attendus, doit être salué, comme doivent également l’être les perspectives ouvertes par la nouvelle LPM. Toutefois, il convient de souligner que de nombreuses nouvelles capacités ne seront opérationnelles qu’à la fin de la décennie et que, malgré ces efforts, certaines lacunes subsisteront, dont votre rapporteur a pu mesurer l’ampleur lors de ses déplacements.

Trois apparaissent particulièrement criantes.

La première concerne les moyens aériens. Ainsi qu’il a été dit supra, les avions de surveillance maritime Falcon 200 Guardian ne sont déployés qu’en Nouvelle Calédonie et en Polynésie française, les Falcon 50, plus modernes, étant quant à eux réservés à la métropole. En d’autres termes, pour surveiller l’ensemble de notre ZEE, exposée comme indiqué supra aux risques de pêche illégale, trafic de drogue ou accident d’un bateau, la Réunion et Mayotte ne peuvent compter que sur deux CASA ainsi que sur la présence d’un Falcon 50 deux fois quinze jours par an.

Malheureusement, il n’est pas certain que la nouvelle LPM améliore les choses sur ce point. Certes, cette dernière a bien confirmé l’arrivée d’un nouvel avion de surveillance maritime, l’Albatros, basé sur le Falcon 2000 de Dassault, d’ici à 2030. Celui-ci disposera d’un rayon d’action accru par rapport au Falcon 50, d’un radar à antenne active, d’une boule optronique Euroflir 400, d’un système de navigation inertielle, d’un récepteur de géolocalisation par satellite et d’un système antibrouillage.

Toutefois, les 12 exemplaires envisagés remplaceraient 8 Falcon 50 et les 5 Falcon 200 Guardian, soit la perte d’une unité. En outre, toujours selon la LPM, en 2030, seuls 8 Albatros seront disponibles ainsi que 4 Falcon 50. Il semble évident que les premiers seront affectés en métropole tandis que les seconds le seront en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie. En d’autres termes, en 2030 et au-delà, nouvel avion de surveillance et d’intervention maritime (AVISMAR) ou pas, la Réunion et Mayotte seront toujours, comme aujourd’hui, largement dépourvues de moyens aériens de surveillance maritime.

Certes, la surveillance maritime peut s’exercer par d’autres moyens que les moyens aériens, notamment par les moyens satellitaires. Toutefois, contrairement à une opinion répandue, le satellite ne peut suppléer à la carence d’avions de surveillance maritime. Le faisceau satellitaire ne se fait, en effet, que sur un point précis et il ne dure que le temps du passage ; il ne peut s’arrêter et ne revient au même endroit qu’après avoir fait le tour de la terre. Il n’est utile qu’en cas d’information précise à vérifier, pas pour une surveillance de routine. En outre, l’avion est bien plus opérationnel que le satellite, par l’interaction directe qu’il permet entre le commandement et les pilotes.

La deuxième lacune concerne les frégates. Certes, à la Réunion sont basées deux frégates de surveillance mais celles-ci n’ont de frégates que le nom. Initialement dédiées à l’action de l’État en mer et dotées d’une tourelle de 100 mm et de missiles mer-mer, elles ne disposent pas de l’armement nécessaire pour faire face aux bateaux de nos compétiteurs stratégiques qu’elles sont susceptibles de rencontrer dans le canal du Mozambique ou, plus généralement, la zone sud de l’océan Indien. Certes, leur remplacement par les corvettes hauturières est inscrit dans la LPM mais, selon cette dernière, il faudra attendre 2035 pour que la totalité des frégates de surveillance soient remplacées, exposant ainsi notre pays à un creux capacitaire de près de douze ans.

Enfin, l’attention de votre rapporteur a été attirée, à La Réunion, par l’absence de remorqueur de haute mer de type Abeille, particulièrement utile dans la prévention des pollutions maritimes, ainsi que d’hélicoptères, avec des conséquences au-delà de la Marine puisque ces équipements sont également utilisés par le CROSS SOI (voir infra).

b.   Des infrastructures parfois défaillantes

Le déplacement de votre rapporteur à la Réunion et à Mayotte lui a aussi permis de prendre la mesure, de visu, de la problématique des infrastructures dans ces deux territoires. Celle-ci a une triple dimension.

La première est celle du foncier. Mayotte et la Réunion étant des îles, qui plus est montagneuses, le foncier y est rare. C’est ainsi qu’à Mayotte, l’ensemble des installations militaires (DLEM, base navale, aéroport, dépôt de munitions, logements des militaires et bureaux des différents organes du ministère de la défense…) sont situés sur Petite-Terre, avec une concentration encore plus forte sur les quelques hectares du rocher de Dzaoudzi. Par conséquent, la taille de la base navale n’excède pas 1 400 m2, auxquels s’ajoute un bout de quai abritant les installations du Service de soutien de la flotte (SSF), loué à la société des transports de Mayotte, ainsi qu’un ponton dédié aux activités de la Marine. Cette dernière peut, certes, bénéficier des installations du port civil de Longoni, notamment lorsqu’il accueille une frégate de surveillance, mais l’un de ses deux quais est en travaux pour une durée indéterminée et le port appartient au département.

À la Réunion, la situation est, certes, plus favorable qu’à Mayotte et les installations de la base navale bien plus conséquentes mais la problématique est la même. La base navale est intégrée au Port Ouest du Grand port maritime de la Réunion dont les installations enserrent les siennes. Concrètement, la Marine, ses ateliers et ses bateaux occupent une darse, voisinant avec les bâtiments et quais dédiés à la pêche au thon et au commerce des céréales et du sucre.

En conséquence, à Mayotte comme à la Réunion, toute extension des installations militaires en général et de la base navale en particulier apparaît hautement compliquée, sinon impossible :

– à Mayotte, c’est la géographie elle-même qui interdit toute extension de la base navale sur le rocher de Dzaoudzi, par ailleurs intégralement urbanisé ; l’hypothèse d’un déménagement à Longoni n’est par ailleurs pas sérieusement envisagée et se heurterait à de nombreux problèmes tenant à la fois au coût mais également aux relations compliquées entre le département et le délégataire du port ;

– à La Réunion, l’extension de la base navale ne peut se faire qu’au détriment des activités commerciales du Grand Port, ce que ce dernier n’envisage, naturellement, qu’avec réticence puisqu’une telle extension impliquerait notamment une diminution du linéaire de quai disponible pour les bateaux civils. Or, la future installation d’un dock flottant dans une darse aura d’ores et déjà pour conséquence la quasi-neutralisation de plusieurs quais.

Cette question du foncier est d’autant plus problématique que la base navale de la Réunion va accueillir de nouveaux bateaux : les POM d’ici à 2025 et les corvettes hauturières d’ici à 2035. Ces deux types de patrouilleurs sont substantiellement plus imposants que ceux qu’ils remplacent : P400 et frégates de surveillance, posant avec acuité la question de leur accostage au Port Ouest, laquelle tend à ressembler à un célèbre jeu de construction.

La deuxième dimension de la problématique est celle de l’état des infrastructures. Si, à la Réunion, il est plutôt satisfaisant, il n’en va pas de même à Mayotte. Votre rapporteur a, en particulier, été édifié par l’état des installations du SSF à Mayotte. Très concrètement, celles-ci consistent en un bout de quai sur lequel ont été installés deux containers reliés par une arche bâchée, laquelle constitue toutefois un progrès important puisqu’avant sa mise en place, les marins travaillaient en plein soleil, à peine protégés par un parasol… Quant au ponton Marine, il nécessite des travaux urgents en raison de sa dégradation. Les marins pour accomplir leurs missions font ainsi preuve d’une remarquable capacité d’inventivité et de résistance dans un environnement complexe.

Face à cette situation, l’antenne de la direction de l’infrastructure de défense à Mayotte apparaît singulièrement dépourvue, malgré toute sa bonne volonté. Les ressources dont elle dispose (400 000 euros sur le P178 et 400 000 euros sur le P212) sont très inférieures à ce qui est nécessaire compte tenu des besoins. Le SID fait en outre face à l’absence de marchés de bons de commande pour ses petits travaux, obligeant systématiquement à lancer la procédure très lourde des marchés de travaux.

La troisième dimension de la problématique infrastructure est, justement, la difficulté de réaliser les travaux nécessaires, en particulier à Mayotte. En effet, il est parfois difficile d’y trouver les compétences très pointues que nécessitent certains travaux et/ou certaines opérations de MCO. En outre, même lorsque l’offre existe, les entreprises préfèrent des travaux à Grande Terre plutôt que sur Petite-Terre, qui les obligeraient à utiliser la barge pour les hommes et des matériaux, matériaux dont la disponibilité est, par ailleurs, aléatoire. Ces difficultés ont deux conséquences :

une forte augmentation des coûts liés à l’absence de concurrence. L’exemple a été donné de travaux sur le champ de tir, estimés à 250 000 euros mais payés un million d’euros, une seule entreprise ayant la capacité de les effectuer ;

un recours autant que possible à la régie du DLEM qui met ses techniciens au service de l’ensemble des services du ministère des Armées.

c.   Une mutualisation des moyens qui n’est pas sans limites ni effets pervers

Face à ces moyens limités, à la pénurie de foncier et à la difficulté de mobiliser les compétences nécessaires, en particulier à Mayotte, l’une des solutions évidentes est celle de la mutualisation des moyens entre les différentes armées et entre les différents services du ministère des Armées.

C’est ainsi, comme indiqué supra, qu’un Falcon vient deux fois quinze jours par an faire de la surveillance maritime à la Réunion et, le cas échéant, à Mayotte, ou que des frégates de surveillance viennent 40 jours par an à Mayotte participer à des missions en haute mer, principalement consacrées à la lutte contre l’immigration clandestine. De même, la base navale de Mayotte gère les radars de l’île, coordonne l’action de l’État en mer et assure le MCO des intercepteurs de la gendarmerie. Par ailleurs, la pénurie de foncier oblige à mutualiser les hébergements, le DLEM abritant dans ses locaux tous les services du ministère de la défense tout comme il met à leur service sa régie. La mutualisation peut être plus large encore et, en cas de crise grave, les moyens prépositionnés à Mayotte et à la Réunion peuvent être renforcés par l’envoi d’hommes et d’équipements depuis la métropole, les Émirats Arabes Unis ou Djibouti.

Toutefois, les distances sont telles qu’en réalité, en cas de crise majeure, cette option se heurterait à l’exigence de rapidité du déploiement de bâtiments, limitant considérablement la capacité de réponse de notre pays. Elle est donc en pratique, à réserver aux crises civiles telles que les catastrophes naturelles. L’élongation est telle que la résilience de ces deux territoires ne peut reposer sur une logique expéditionnaire mais, au contraire, doit s’appuyer sur des moyens prépositionnés, lesquels font malheureusement, en partie, défaut.

Enfin, la mutualisation, si elle peut présenter des avantages, a néanmoins des effets pervers, au détriment de la Marine dans les deux exemples qui ont été portés à la connaissance de votre rapporteur à Mayotte :

– il a été acté, lors d’une réunion interministérielle de 2012, que c’était à la Marine d’entretenir les intercepteurs des forces de sécurité intérieures, ceux-ci bénéficiant aussi d’un accès au ponton marine. Toutefois, cet accès et la dégradation du quai qu’il entraîne n’est pas pris en compte dans la rétribution de la Marine, pas plus que les adaptations nécessaires à l’arrivée des futures vedettes côtières de surveillance maritime (VCSM) nouvelle génération ;

– les (maigres) moyens de la base navale de Mayotte sont, d’une manière générale, principalement utilisés pour la lutte contre l’immigration clandestine, au détriment des autres missions du contrat opérationnel. Même les deux VCSM, qui sont aujourd’hui utilisées à d’autres missions, pourraient rapidement elles aussi être mobilisées pour la LIC.

2.   Des conséquences négatives importantes

a.   Un affaiblissement stratégique vis-à-vis de nos compétiteurs et alliés

Ces insuffisances des moyens militaires français dans la zone sud de l’océan Indien au regard des enjeux et des menaces sont susceptibles d’avoir des conséquences très concrètes et très négatives pour notre pays : conséquences temporaires lorsque de nouveaux moyens sont annoncés mais structurelles lorsque ce n’est pas le cas.

La première conséquence est en effet un affaiblissement de notre pays vis-à-vis tant de ses compétiteurs que de ses alliés. Les uns comme les autres sont en effet lancés, depuis plusieurs années, dans une course aux armements, en particulier navals, que votre rapporteur a retracée dans son avis sur le projet de loi de finances pour 2023.

C’est particulièrement vrai pour la Marine chinoise. Selon l’état des Marines dans la région Indopacifique publié par l’IISS – l’Institut international pour les études stratégiques – en juin 2022, la Chine possède un nombre de bâtiments supérieur à l’ensemble de ses principaux compétiteurs. Elle a même ravi le titre de pays disposant de la plus grande Marine du monde aux États-Unis et de loin si on intègre à la Marine chinoise les bâtiments militarisés de ses garde-côtes.

La Marine indienne n’est pas en reste, elle qui a récemment rejoint le club très fermé, jusqu’alors composé des seuls États-Unis et de la Chine, des pays ayant capacité de faire manœuvrer ensemble deux porte-avions, dotés chacun de leur groupe aérien embarqué. Le 10 juin 2023, la Marine indienne a en effet indiqué qu’elle venait d’effectuer un exercice ayant réuni ses deux porte-avions, à savoir l’INS Vikramaditya et INS Vikrant, en mer d’Oman. Au total, 35 aéronefs, dont des MiG-29K et des hélicoptères MH60R, Kamov, Sea King, Chetak et ALH ont été mis en œuvre.

Enfin, d’autres pays alliés de la France, comme l’Indonésie, renforcent également leur capacité. Également inquiet de la montée en puissance de la Chine, ce pays, riverain du détroit de Malacca, a lui aussi entrepris de renforcer ses capacités navales. Il a ainsi commandé six frégates multi-missions (FREMM) à l’italien Fincantieri en 2021, trois sous-marins à la Corée du Sud en 2019 et, la même année, deux chasseurs de mines à l’Allemagne.

Dans cette course aux armements, dont dépendra pour une large part la stabilité de la région, la France apparaît en retard. Certes, les POM constitueront, dès qu’ils seront déployés à la Réunion, un renforcement significatif de nos capacités par rapport à la situation actuelle mais ils pèseront finalement peu face aux moyens déployés par nos compétiteurs comme dans les crises qui pourraient survenir dans le canal du Mozambique. Votre rapporteur n’a pas en tête un conflit ouvert mais des attaques hybrides telles qu’une flottille de plusieurs dizaines, voire centaines de bateaux de pêche chinois, escortée par les puissants bateaux des garde-côtes, qui pénétreraient dans la ZEE française à plusieurs endroits, pour une attaque en saturation. Les POM seraient alors insuffisants pour faire face à la menace et les corvettes hauturières n’arriveront qu’après 2030.

Dans cette hypothèse, compte tenu de la faiblesse de nos moyens aériens de surveillance maritime, le risque ne peut être écarté que notre pays n’apprenne qu’avec retard une telle attaque hybride, faiblesse des moyens que les satellites, comme indiqué supra, ne peuvent combler.

Risque vis-à-vis de nos compétiteurs mais également vis-à-vis de nos alliés. Comme l’expliquait l’ancien Chef d’état-major de la Marine, l’amiral Pierre Vandier, dans un entretien à La Tribune le 1er juillet 2021, « ce qui change la donne, c'est que nos partenaires, qu'ils soient Indiens, Australiens, Japonais, Américains, sont montés eux d'un cran en termes de militarité. Ils aspirent donc à ce que nous coopérions avec eux à un niveau supérieur. Si vous arrivez avec une 2 CV à un GP de formule 1, dès le départ de la course, cela va être très, très compliqué. Le niveau moyen des bâtiments, qui sont dans la zone Indopacifique, a beaucoup augmenté ». Par conséquent, « il faut probablement remilitariser notre présence en Indopacifique. Si nous voulons échanger avec nos alliés au même niveau en termes de renseignements, de guerre électronique, de guerre anti-sous-marine, de connexions de systèmes d'armes, etc. nous devons remplacer nos frégates de surveillance, dont le système d'armes est obsolète sur le plan militaire […]. Si vous n'avez pas de sonars pour écouter ce qu'il y a sous l'eau dans cette zone alors que la Chine construit de nombreux sous-marins, vous ne servez à rien ».

En d’autres termes, les faiblesses, temporaires mais aussi structurelles, des moyens militaires français dans l’océan Indien exposent notre pays à un risque de déclassement vis-à-vis de ses alliés comme de ses compétiteurs stratégiques, remettant en cause son rôle et son influence dans la région.

b.   Une prise de risque majeure en matière d’action de l’État en mer

Le sud de l’océan Indien, ainsi qu’il a été supra, voit se rejoindre deux des plus grandes routes maritimes mondiales. Il constitue, à ce titre, une zone
très sensible, sur le plan économique mais également sur le plan environnemental. En effet, compte tenu du nombre de navires circulant à proximité de la Réunion et de Mayotte (près de 7 000 par an – soit 19 par jour), dont de nombreux tankers, le risque est évident qu’un accident ou une avarie puisse avoir des conséquences graves sur l’environnement marin et/ou terrestre. De tels accidents ou avaries peuvent également avoir des conséquences humaines, nécessitant l’évacuation par voie aérienne de blessés ou même d’équipages entiers.

L’ensemble de ces risques est géré, dans la zone sud de l’océan Indien, par le Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage – Sud océan Indien (CROSS-SOI) que votre rapporteur a pu visiter lors de son déplacement à la Réunion. Ce CROSS, comme l’ensemble de ses homologues en métropole et outre-mer, a en pratique trois missions :

– le secours en mer ;

– la surveillance de la navigation ;

– la surveillance des pollutions.

D’après son rapport annuel pour l’année 2022, l’activité du CROSS au titre de chacune de ces trois activités se présente comme suit :

Source : rapport annuel 2022

Pour accomplir ces missions, le CROSS s’appuie sur des moyens qui ne sont pas les siens mais relèvent d’autres organes civils et militaires : gendarmerie, Marine nationale, Société nationale de secours en mer… Malheureusement, ceux-ci apparaissent largement insuffisants, sur deux points en particulier :

les moyens aériens. Certes, le CROSS peut compter sur la section aérienne de la gendarmerie et ses hélicoptères Écureuil mais leurs capacités en termes d’élongation et de vol de nuit sont très limitées. Quant au Panther de la Marine, aux capacités plus grandes, il n’est jamais intervenu en appui aux missions du CROSS en 2022, faute de disponibilité ;

les moyens de remorquage. Ne sont disponibles sur le Grand port maritime de la Réunion que des remorqueurs civils de faible capacité, incapables de tracter des tankers de plusieurs dizaines de milliers de tonnes.

En conséquence, le CROSS n’est le plus souvent pas en mesure de faire de la « levée de doute » par de la surveillance aérienne et, en cas d’accident ou d’avarie, d’intervenir en remorquant loin des terres et/ou des zones naturelles sensibles le navire concerné.

Or, le cas est loin d’être improbable. En février 2022, le Tresta Star, une « station essence » mobile ravitaillant l’île Maurice, est victime d’une avarie le laissant à la merci des vents violents le poussant vers la Réunion. Faute de moyens de remorquage suffisamment puissants et adaptés aux mers difficiles, le navire s’échoue au nord de la plage du Tremblet à la Réunion. La même année, en mars, le Wagang Haoyun, un vraquier de 327 mètres, connaît une avarie moteur qui le fait dériver vers la Réunion ; deux remorqueurs civils sont envoyés pour le tracter mais l’opération n’a réussi qu’en raison de la mer exceptionnellement calme. Eût-elle été plus dure que le remorquage n’aurait pas été possible et le navire se serait échoué.

III.   défendre notre souveraineté et nos intérÊts dans la région du sud de l’océan indien et, en particulier, dans le canal du mozambique implique un rehaussement de nos moyens militaires

1.   Proposition n° 1 : des moyens maritimes et aériens renforcés, à la hauteur des enjeux stratégiques, économiques et humains

Les auditions que votre rapporteur a faites à la fois à la Réunion et à Mayotte ont mis en évidence l’absence criante de moyens aériens et les conséquences potentiellement graves de celle-ci. Le renforcement de ces derniers apparaît donc comme une véritable urgence, sauf à prendre des risques disproportionnés par rapport à l’investissement exigé.

L’idéal serait, évidemment, le déploiement en permanence, à la Réunion, d’un Falcon 50 afin qu’une véritable surveillance maritime par voie aérienne soit mise en œuvre. Comme indiqué supra, les Falcon 50 sont en voie d’être remplacés par les Albatros mais ce remplacement ne se ferait pas un pour un et une unité serait perdue, la flotte française d’AVISMAR ne comptant plus, en 2030, que 12 appareils contre 13 actuellement. Votre rapporteur estime pertinent qu’il soit envisagé le maintien à 13 appareils de cette flotte, l’appareil supplémentaire, Albatros ou Falcon 50, étant affecté à la Réunion.

Toutefois, les besoins sont à ce point urgents qu’il n’apparaît pas possible d’attendre 2030 pour renforcer les moyens de surveillance maritime. Votre rapporteur estime donc nécessaire que soit explorée l’acquisition ou la location d’avions légers de surveillance maritime (ALSM) qui, certes, n’auront pas les capacités d’un Falcon 50 mais constitueraient néanmoins une amélioration notable des moyens à disposition, en particulier à Mayotte.

Les deux propositions ne sont pas incompatibles, bien au contraire. Le choix d’affecter un Falcon 50 à la Réunion ne devrait pas exclure l’acquisition ou la location, dans l’intervalle, d’un ALSM afin de réduire autant que possible le trou capacitaire en matière de surveillance maritime.

Enfin, en matière de surveillance aérienne, une autre possibilité existe qui est celle des drones. Toutefois, compte tenu de l’immensité de la surface à surveiller, seul un drone ayant une très longue autonomie et, de ce fait, un large rayon d’action, est susceptible de satisfaire au besoin de notre pays. Le drone Skydweller produit par l’entreprise italienne Leonardo en sous-traitance de la société américaine du même nom, apparaît ainsi, avec les 90 jours d’autonomie que lui confèrent ses panneaux solaires et ses batteries et ses charges utiles (radars maritimes, caméra infrarouge et intercepteurs de signaux) comme l’une des solutions possibles. Elle présente en outre l’avantage d’avoir une très faible émission carbone. Avec un coût affiché de 20 millions de dollars plus le coût des charges utiles, ce drone est compétitif face à des Albatros dont le coût global, maintenance incluse, approche 1,3 milliard d’euros pour 12 appareils. Enfin, il présente le dernier avantage d’être disponible sur étagère.

Certes, il ne s’agit pas d’un produit français ni même européen (même s’il est produit en Europe et que nombre de ses charges utiles le sont aussi) mais compte tenu de l’urgence des besoins en matière de surveillance maritime, des qualités de ce drone et de l’absence (sous toutes réserves) de solution équivalente en Europe, la prise en compte du Skyweller parmi les options possibles semble pertinente à votre rapporteur.

S’agissant de la flotte de surface, si les deux POM arriveront comme prévu à la Réunion d’ici à 2025, une certaine incertitude entoure encore le programme des corvettes hauturière. Ce dernier n’en est, en effet, qu’à ses débuts et de nombreux obstacles restent à franchir, en particulier la répartition de la charge de travail entre les différents pays impliqués et leurs entreprises (Naval group pour la France). Votre rapporteur estime fondamental que ce programme aille à son terme afin de remplacer au plus vite des frégates de surveillance qui, vaillamment, ont rempli leur mission dans un contexte de baisse des tensions post chute du mur de Berlin qui n'est désormais plus d’actualité.

La nouvelle LPM 2024-2030 a également ouvert deux possibilités que votre rapporteur estime pertinentes et dont il espère qu’elles se concrétiseront dans les années à venir.

La première est celle des bateaux de type BATRAL. Comme indiqué supra, la perte de cette capacité avec le retrait des BATRAL a affaibli les capacités de la Marine, en particulier outre-mer. Votre rapporteur se réjouit par conséquent que la LPM envisage, dans son rapport annexé, « un programme de navires de projection de force, de type BATRAL […] pour disposer, lors de la prochaine décennie, de quatre unités stationnées dans nos outre-mer ». Il ne s’agit toutefois pas de reconstruire le BATRAL tel qu’il existait mais bien d’un nouveau bateau ayant les capacités de ce dernier mais peut-être de nouvelles. Il pourrait en effet apparaître utile que ces futurs BATRAL aient d’autres capacités, comme celles d’un navire atelier. En outre, la question se posera au cours des études de savoir si une série identique devra être construite ou des versions différentes pour chacune des zones outre-mer (Antilles-Guyane, océan Indien, Pacifique). D’une manière générale, votre rapporteur espère que ce programme fera l’objet de sérieuses études par la DGA et débouchera sur de nouvelles capacités pour notre Marine.

La deuxième possibilité envisagée par la nouvelle LPM est celle d’un deuxième porte-avions de nouvelle génération (PA-ng). Le rapport annexé indique en effet que dans le cadre du programme PA-ng, « seront menées des études de coûts qui permettront au Gouvernement de présenter au Parlement, en 2028, une estimation des crédits nécessaires à la conception, à la réalisation, à l'activité et à l'entretien d'un second porte-avions de nouvelle génération ainsi qu'aux infrastructures et aux dépenses de personnel liées à son fonctionnement ».

Dans son avis sur le projet de loi de finances 2023, votre rapporteur avait souligné l’importance d’un deuxième porte-avions, grâce auquel la France consolidera sa crédibilité auprès de ses alliés et dissuadera les compétiteurs qui tenteraient de tirer profit de l’éloignement géographique de la métropole pour atteindre à sa souveraineté. En garantissant une permanence à la mer ainsi que la possibilité d’un déploiement sur deux théâtres simultanément, notre pays montrerait qu’il a les capacités d’agir pour défendre efficacement ses intérêts et ceux de ses alliés.

Enfin, même s’il s’agit d’un moyen plus civil que militaire, les catastrophes maritimes évitées de justesse en 2022 justifient qu’un remorqueur puissant de type Abeille soit déployé à la Réunion. Ne pas le faire met en danger à la fois l’environnement de ces îles mais également, potentiellement, la vie des marins en danger et des sauveteurs qui seraient envoyés auprès d’eux.

2.   Proposition n° 2 : l’urgente amélioration des infrastructures de défense et la rationalisation de celles-ci

Le déplacement de votre rapporteur à Mayotte et à la Réunion a mis en évidence la question majeure que constituent les infrastructures dans ces deux territoires. Non seulement celles-ci sont, en particulier à Mayotte, en mauvais état, faute d’un investissement suffisant, mais nombre d’améliorations nécessaires se heurtent à la contrainte du foncier, rare sur ces îles montagneuses.

L’aspect le plus simple – toutes proportions gardées – de la question est celui de l’entretien, le sous-investissement chronique dans les infrastructures ayant conduit à la dégradation de celles-ci, en particulier à Mayotte. Votre rapporteur estime urgent que des moyens soient dégagés afin que nos militaires – et pas seulement la Marine – engagés dans un territoire difficile et souvent loin de leur famille, disposent de conditions de travail décentes. Au-delà des crédits, la difficulté déjà évoquée est celle du manque de compétence et de disponibilité des entreprises sur place. Une solution envisageable serait d’augmenter les moyens de la régie du DLEM, en particulier avec un plombier et un frigoriste.

Toutefois au-delà de cet aspect de l’entretien, un autre aspect essentiel est celui de l’extension des bases navales, à la fois à Mayotte et à la Réunion, ainsi que la construction des bâtiments nécessaires pour les marins et les services du ministère de la défense.

Ce sujet apparaît en effet fondamental à la Réunion en raison de l’arrivée de futurs bateaux – POM et corvettes hauturières – dont la taille est significativement plus importante que celle des bateaux qu’ils remplacent : patrouilleurs et frégates de surveillance. Or, ainsi qu’il a été dit supra, la base navale est enserrée dans le Port Ouest du Grand port maritime de la Réunion et toute extension ne peut se faire qu’en lieu et place d’activité commerciale que le gestionnaire du Port, à juste titre, peut être réticent à abandonner. Des négociations sont en cours dont votre rapporteur ne peut qu’espérer le succès. En revanche, des adaptations plus simples à mettre en œuvre sont nécessaires comme l’alimentation en gazole par canalisation et non plus par citerne comme actuellement.

La situation est différente à Mayotte. La base navale n’a pas tant besoin de s’étendre que de permettre, enfin, que le MCO s’effectue dans des conditions décentes pour les marins. Un site a été identifié, sur le lieu-dit des Badamiers, situé sur le rocher de Dzaoudzi, qui pourrait accueillir les nouvelles installations de MCO et les nouveaux bateaux que celui-ci aura à entretenir, en particulier les vedettes côtières de surveillance maritime (VCSM) nouvelle génération.

Un autre sujet à Mayotte est celui de l’hébergement et des militaires et des services du ministère des Armées, d’autant plus qu’il est prévu une montée en puissance d’ici à 2030, avec une centaine de militaires supplémentaires – dont dix marins. Or, la place manque, en particulier sur le rocher de Dzaoudzi. L’une des solutions identifiée est l’affectation au ministère des Armées de l’ancien hôpital de Mayotte, aujourd’hui désaffecté et utilisé, notamment, comme centre de rétention administrative. La difficulté est que le bâtiment et le terrain appartiennent pour une part à l’État et pour l’autre part au département. Si votre rapporteur souhaite qu’un compromis soit trouvé entre les parties, l’importance de l’enjeu ne doit pas exclure d’autres procédures telle qu’une déclaration d’utilité publique assortie d’une expropriation en cas de blocage prolongé.

Enfin, toujours à Mayotte, il apparaît à votre rapporteur nécessaire de clarifier les relations financières entre la Marine et les autres parties prenantes (PAF et gendarmerie maritime) pour l’utilisation du ponton marine mais également pour l’entretien des intercepteurs, lesquelles relations reposent sur une RIM de 2012 dont les conditions seraient probablement à actualiser.

3.   Proposition n° 3 : une présence militaire plus visible par des déploiements plus fréquents, tant à Mayotte qu’à la Réunion

Votre rapporteur l’a souligné à plusieurs reprises : les moyens militaires sont insuffisants et malgré l’arrivée prochaine des POM et, à plus long terme, des corvettes de patrouille européennes, il n’est pas certain que notre pays, d’ici à 2030 et dans le contexte stratégique qui sera celui des années post-2030, soit en mesure d’affronter les menaces qui pourraient survenir.

Face à nos lacunes capacitaires actuelles, plutôt que d’attendre l’arrivée de nouveaux bateaux, votre rapporteur estime nécessaire de renforcer dès maintenant notre présence militaire à Mayotte et à la Réunion par l’envoi, depuis la métropole, de moyens navals supplémentaires. Ces moyens n’auraient pas vocation à rester à la Réunion, seul port en mesure de les accueillir. Ils n’y feraient qu’escale dans le cadre d’une mission dans la zone sud de l’océan Indien. Ce déploiement pourrait aussi concerner la dimension sous-marine, en particulier les futurs drones sous-marins de la capacité MFM.

Parmi ces moyens, le plus puissant mais également le plus symbolique serait le déploiement du groupe aéronaval, pour la première fois depuis que le porte-avions Foch a fait escale à la Réunion en 2000. Par un tel signalement stratégique, notre pays montrerait à ses compétiteurs que, même si la métropole est très loin, elle se donne les moyens de défendre et ses territoires et ses intérêts dans la zone sud de l’océan Indien, tout en apportant un démenti flagrant au sentiment d’abandon qui parfois, atteint les populations locales.

Évidemment, un tel déploiement exige des préparatifs considérables, ne serait-ce que pour accueillir autant de bateaux et de marins à quai ou au mouillage. Toutefois, le Grand port de la Réunion peut accueillir des bateaux nucléarisés au Port Est, tandis que les escorteurs iraient au Port Ouest. Il y aurait toutefois une forte pression sur les infrastructures (civiles) du port.

Enfin, Mayotte ne doit pas être oubliée et, compte tenu de sa situation stratégique, à l’entrée du canal du Mozambique, des missions plus fréquentes de bâtiments hauturiers ont toute leur pertinence. La nouvelle LPM prévoit en effet, dans son rapport annexé, que « la capacité de surveillance et d'intervention en mer sera réalisée notamment avec une présence comprise de 150 jours jusqu'à 200 jours d'un bâtiment hauturier (type bâtiment de soutien et d'assistance outre-mer, frégate de surveillance ou patrouilleur outre-mer) d'ici 2027 ». D’après les informations transmises à votre rapporteur, ces jours s’entendent sur la période courant jusqu’à 2027, soit sur trois années, ce qui représenterait néanmoins une amélioration par rapport à ce qui est fait actuellement (autour de 40 jours par an).

4.   Proposition n° 4 : soutenir le renforcement de l’architecture régionale de sécurité maritime

Bien que sa présence soit parfois contestée par certains pays, la France n’en reste pas moins une nation légitime de l’océan Indien, participant aux différents forums de coopération comme la Commission de l’Océan Indien (COI), qu’elle a d’ailleurs présidée en 2021-2022, et l’Association des États riverains de l’océan Indien (IORA). La région compte aussi des organisations au domaine d’action plus technique, comme le Symposium des marines de l’océan indien qui regroupe une trentaine de marines, dont la Marine nationale, présentes dans la région.

Notre pays est d’ailleurs le seul État membre de l’Union européenne qui soit présent dans l’océan Indien et, à ce titre, la France a un rôle particulier à jouer afin d’impliquer cette dernière dans le renforcement de l’architecture régionale de sécurité maritime.

Socle de l’architecture régionale de sécurité maritime dans la zone, le programme MASE (Maritime Security), a pour objectif de permettre aux États côtiers d’Afrique orientale de veiller au respect du droit international de la mer et de sécuriser l’espace maritime de l’océan Indien occidental. Doté de 42 millions d’euros, ce programme est réparti en cinq volets, chacun étant placé sous la responsabilité d’une sous-organisation régionale africaine spécifique :

– composante 1 : renforcer les mécanismes de coordination de la sécurité maritime en Somalie (sous la responsabilité de l’Autorité intergouvernementale pour le développement – IGAD) ;

– composante 2 : développer et renforcer les capacités juridiques, législatives et infrastructurelles aux niveaux national et régional en matière d’arrestation, de transfert, de détention et de poursuite des pirates (sous la responsabilité de la Communauté de l’Afrique de l’est – EAC) ;

– composante 3 : renforcer les capacités régionales pour interrompre les réseaux financiers illicites des crimes maritimes et autres crimes financiers (sous la responsabilité du Marché commun de l’Afrique orientale et australe – COMESA) ;

– composante 4 : renforcer les capacités nationales et régionales de coordination des opérations en mer (sous la responsabilité de la Commission de l’océan Indien – COI) ;

– composante 5 : améliorer la coordination régionale et l’échange et le partage d’informations maritimes (sous la responsabilité de la COI).

C’est dans le cadre de ces deux dernières composantes qu’ont été signés par la France, le 29 avril 2018, deux accords internationaux, l’un portant sur la mise en place d’un mécanisme d’échange et de partage de l’information maritime dans l’océan Indien occidental et l’autre sur la coordination des opérations en mer dans l’océan Indien occidental, que notre pays a ratifiés le 20 février 2023.

Le premier accord s'appuie sur le Centre régional de fusion d'information maritime (CRFIM), situé à Madagascar. Ses missions sont de recueillir, fusionner et analyser les informations en provenance de multiples sources, notamment celles émanant des centres nationaux ou d'acteurs non étatiques (« sentinelle de la mer »), afin d'établir la situation maritime de la région, allant du cap de Bonne Espérance au détroit d'Ormuz. L'objectif recherché est que toutes les informations de géo-positionnement des navires soient centralisées dans une seule et même interface.

Quant au deuxième accord, il vise à permettre la mise en œuvre d'opérations coordonnées, notamment pour faire face à des menaces transverses ou communes commises en mer. À l'occasion de ces opérations coordonnées, des agents d'États parties peuvent être embarqués à bord des navires et aéronefs d’une autre partie. C'est le Centre régional de coordination des opérations (CRCO), basé aux Seychelles, qui est chargé d'assurer les interventions en s'appuyant sur les centres opérationnels nationaux.

Votre rapporteur salue la ratification de ces deux accords qui renforcent l’architecture de sécurité maritime dans l’océan Indien. Il souhaite que notre pays s’implique fortement dans leur mise en œuvre, notamment par le détachement d’officiers de liaison. De même, la France aurait tout à gagner à impliquer davantage en océan Indien l’Union européenne et, en particulier, l’Agence de sécurité maritime européenne, dont les compétences et les capacités de coordination seraient les bienvenues. À titre d’exemple, alors que le remplacement des quatre radars – vieillissants – à Mayotte se fait attendre, faute d’accord sur le financement, la France pourrait chercher la ressource nécessaire dans les fonds européens, avec le soutien le cas échéant de l’Agence de sécurité maritime européenne. Enfin, la Commission de l’Océan Indien (COI), dont notre pays est membre et dont la langue de travail est le français, est un canal d’influence pour pousser nos idées en faveur d’une architecture de sécurité maritime plus robuste dans la région.

 


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   Travaux de la commission

I.   Audition de l’Amiral Nicolas Vaujour, chef d’État-major de la Marine

La commission a entendu l’Amiral Nicolas Vaujour, Chef d’état-major de la Marine, sur le projet de loi de finances pour 2024 (n°1680) au cours de sa réunion du jeudi 05 octobre 2023.

M. le président Thomas Gassilloud. Mes chers collègues, nous recevons à présent le nouveau chef d’état-major de la marine, l’amiral Nicolas Vaujour, pour sa première audition budgétaire, dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) 2024.

Amiral, je vous félicite pour cette nomination venant couronner un parcours exemplaire au sein de la marine nationale, qui vous a conduit à la fois à servir et à commander de nombreux bâtiments, des frégates de surveillance, des frégates de défense aérienne, des Aviso. Vous avez effectué des missions sur presque toutes les mers et océans du monde, mais vous avez également occupé de hautes fonctions tant à l’état-major de la marine qu’à l’état-major des armées.

Le PLF 2024 sera le premier exercice budgétaire de la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030. La Marine, comme les autres armées, bénéficiera d’un surcroît de ressources, dans un monde marqué par des tensions croissantes. Je pense naturellement à l’Ukraine, mais également à l’Asie où nos compétiteurs multiplient des démonstrations de force, notamment dans l’océan Indien, qui constitue une zone cruciale pour nos approvisionnements énergétiques. Je pense également aux nouvelles formes de conflictualité dans de nouveaux espaces, comme le cyber ou les fonds marins, qui représentent autant de menaces que d’opportunités.

Face à ce contexte, notre commission éprouve trois préoccupations principales. De quelle manière ce contexte oblige-t-il la Marine à se transformer et dans quelle mesure les ressources supplémentaires apportées par la LPM y contribueront-elles ?

La deuxième préoccupation porte sur nos coopérations, en particulier avec nos partenaires européens, qu’il s’agisse de la coopération capacitaire ou de la coopération opérationnelle. Pourriez-vous nous préciser où en sont ces programmes d’armement, dans le cadre européen, otanien ou en bilatéral ? Je pense en particulier à celui des corvettes de patrouille ou à la guerre des mines.

Enfin, au-delà de la transformation des coopérations, une troisième préoccupation concerne les hommes et femmes qui servent dans la Marine. Nous sommes conscients des enjeux complexes d’attractivité et de filiation auxquelles les armées sont soumises, en particulier dans la Marine, dont les sujétions sont particulières, notamment en raison de l’éloignement. Un sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) part parfois pour des périodes de soixante-dix ou quatre-vingts jours sous les mers. Je me souviens d’une discussion avec Alfost, qui me disait qu’il sera toujours possible de composer avec la technologie, mais qu’il est plus difficile de trouver des jeunes marins volontaires prêts à partir dans une « boîte de conserve » pendant de telles durées.

Amiral Nicolas Vaujour. Mesdames et Messieurs les députés, je suis très heureux d’être parmi vous aujourd’hui et tiens d’abord à rendre hommage à mon prédécesseur, l’amiral Vandier, qui a accompli pendant ses trois années de mandat un travail absolument extraordinaire, notamment pour renforcer la préparation au combat de la Marine. C’est un honneur de lui succéder et de poursuivre les projets qu’il a initiés.

Au cours de mon premier mois dans mes nouvelles fonctions, j’ai effectué la tournée des ports de la Marine. Je me suis rendu à Toulon, à Lorient, à Brest et à Cherbourg. J’ai également rencontré un grand nombre de mes partenaires internationaux à l’International Seapower Symposium organisé par la Marine américaine, où une centaine de chefs d’état-major de marine du monde étaient rassemblés.

Je retire de cette tournée un grand nombre d’enseignements. Nos marins sont déterminés, motivés et engagés dans l’ensemble des missions de la Marine, tous les jours de l’année, sous l’eau, sur l’eau, dans les airs, à terre. Nos jeunes font preuve d’un véritable sens de l’engagement et ont pleinement conscience des enjeux auxquels nous faisons face.

Nos états-majors travaillent pour les marins qui sont en mer. Ainsi, je leur demande toujours ce qu’ils accomplissent pour nos militaires en opérations, car il s’agit là de notre raison d’être. L’ambition qui m’a été fixée a pour objet de préparer une Marine de référence en Europe, mais aussi une Marine globale, puisque l’ensemble de nos territoires se répartissent partout à travers le monde.

Je voudrais commencer par répondre à votre première question qui portait sur la transformation de la Marine au regard du contexte stratégique. Je peux la reformuler de la manière suivante : quelle est la transformation de notre espace de manœuvre aujourd’hui ? Cet espace se modifie largement. Ces modifications entraînent des changements dans notre capacité à trouver des points d’accès, des partenaires sur qui nous pouvons compter – et qui peuvent changer au fil du temps – pour contenir les débordements de certaines grandes puissances qui veulent affirmer ou étendre leurs zones d’influence, pour protéger les approches non seulement outre-mer, mais également les approches dans les eaux autour de l’hexagone. De fait, l’ensemble de ces sujets me conduisent à dire que nous connaissons une véritable transformation de notre espace de manœuvre, dont nous devons tenir compte pour proposer de nouvelles capacités et modes d’action, afin de répondre aux crises qui émergent.

Votre deuxième question porte sur la coopération capacitaire. En réalité, celle-ci est native à un très grand nombre de nos programmes. Par exemple, nous avons construit des frégates Horizon avec l’Italie. Certains objets sont donc communs, dès le départ, surtout le système de combat, et notamment le système Aster. De la même manière, nous allons effectuer la rénovation des frégates de défense aérienne en coopération avec les Italiens.

Par ailleurs, je tiens à insister sur un point essentiel : nous avons travaillé sur une révolution technologique. Ainsi, nous transformons une fonction stratégique de la Marine, la guerre des mines, avec l’usage de drones. Cette transformation stratégique de l’ensemble d’une fonction, sa « dronisation », a été d’abord travaillée en coopération avec les Britanniques. Désormais, le démonstrateur a été créé et nous mettons en place une nouvelle coopération avec la Marine néerlandaise et la Marine belge. De fait, nous sommes constamment à la recherche de la meilleure solution. Avec mes homologues belges et néerlandais, nous effectuons le même pari, celui d’une guerre des mines qui sera demain une guerre dronisée. En revanche, les Belges et les Néerlandais vont choisir des options qui ne sont pas identiques aux nôtres ; mais l’essentiel consiste à pouvoir échanger pour évoquer les options qui seront retenues de part et d’autre. Il en sera de même demain, lorsque nous mènerons des évolutions.

En outre, dans le domaine capacitaire, nous continuons à travailler sur les missiles Aster. Le système de combat aérien du futur (SCAF) fait naturellement partie des réflexions avec nos partenaires. En résumé, la coopération capacitaire est native, dans la mesure où elle est absolument essentielle, d’une part pour répartir les coûts ; et d’autre part parce que les bonnes idées naissent de ces coopérations.

La puissance navale est fréquemment envisagée sous la forme de trois piliers : le nombre, la technologie et les savoir-faire. À partir de ce socle de trois piliers, il est essentiel d’ajouter un élément complémentaire: les partenariats. En effet, les partenariats renforcent la puissance navale : malgré le nombre de bateaux, la technologie et le savoir-faire, sans partenariat, il est difficile d’obtenir de bons résultats. Les partenaires offrent bien plus que la masse et ils fournissent également des accès, c’est-à-dire la connaissance d’une certaine zone. Ils apportent une vision du monde différente, qui nous enrichit.

Ces partenariats s’avèrent essentiels pour mener à bien les travaux d’interopérabilité, qui ne se résument pas à la connectivité. L’interopérabilité comporte certes une part technologique et des procédures, mais elle se fonde aussi sur la confiance. Ainsi, quand je me suis rendu à Newport, ma tâche était aussi de créer de la confiance, à travers des échanges. De la même manière, j’ai reçu hier mon homologue grec à Lorient. Cette capacité partenariale se manifeste aussi à travers nos déploiements dans le cadre des missions réalisées sous la bannière de l’Union européenne, notamment dans l’océan Indien. Elle intervient également au sein de l’Otan. Nous avons multiplié notre participation aux forces permanentes de l’Otan par un facteur trois depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine.

Votre troisième interrogation concernait les ressources humaines. Lors de ma prise de commandement de la Marine sur le pont du Dixmude à Toulon, le ministre m’a donné une feuille de route et m’a confirmé que le premier des enjeux était celui de la fidélisation. À ce titre, je dresse ma stratégie RH selon trois axes : je dois donner envie de rentrer, je dois donner envie de rester et je dois donner envie de progresser. Dans ce cadre, je considère que les axes majeurs sont les deux derniers : la Marine a la chance aujourd’hui de répondre plutôt bien au besoin et parvient à recruter suffisamment. Cependant, je suis bien conscient que cette attractivité n’est pas gagnée à vie. Il me faut recruter chaque année 3 600 personnes, mais particulièrement dans des spécialités critiques au sujet desquelles nous menons des plans d’actions particuliers pour alimenter l’ensemble de notre filière. Ensuite, nous devons leur donner envie de rester. Nous disposons à ce titre d’un certain nombre d’objets qui ont été posés dans la LPM et qui vont entrer immédiatement en action. Enfin, nous devons leur donner envie de progresser, en leur confiant des responsabilités croissantes, pour les faire accéder à un grade supérieur. En résumé, nous mettons en œuvre une véritable stratégie pour conserver l’ensemble de nos talents, qui sont fort nombreux. Notre Marine est pleinement engagée pour remplir les missions qui lui sont ordonnées.

M. le président Thomas Gassilloud. J’ai particulièrement relevé votre évocation de l’ensemble des milieux dans lesquels la marine opère : sur la mer, sous la mer, dans les airs, voire dans l’espace, grâce à certains vecteurs. Je rappelle également que la haute mer représente 60 % de la surface mondiale – la France possédant la deuxième zone économique exclusive (ZEE) au monde – mais aussi que 60 % de la population mondiale habite à moins de 150 kilomètres des côtes, que 90 % du volume du commerce mondial de marchandises se réalise par voie maritime et que 99 % du trafic internet passe par les câbles sous-marins.

M. Yannick Chenevard (RE). La situation internationale conduit de nombreuses nations à réévaluer leur politique de défense. La politique de défense a longtemps été estimée comme secondaire, tant le monde devait, selon Hegel ou Fukuyama, sonner la fin de l’histoire, c’est-à-dire la fin des combats entre idéologies. Nous savons désormais qu’il n’en est rien. Cependant, les dégâts causés dans les esprits et dans certaines armées étrangères ont été considérables.

La France, comme la plupart des démocraties, n’y a pas échappé. Il suffit pour s’en convaincre de vérifier la non-exécution des LPM durant trente ans, jusqu’en 2018. En ce qui concerne la marine, à l’exception de la dissuasion nucléaire, qui a été totalement préservée, certaines capacités ont été conservées, mais parfois de manière échantillonnaire. À partir de 1990, notre marine a subi une véritable saignée, ses bâtiments de combat passant de 135 à 85.

Désormais, l’objectif du format 2030 est conforté par la nouvelle LPM. Des unités ont d’ailleurs déjà été livrées ou sont en construction. En 2024, un sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) et une frégate de défense et d’intervention (FDI) seront livrés dans les forces. Des lots de torpilles lourdes Artemis, des bâtiments de guerre, des mines, des missiles mer-mer Exocet, ainsi que des robots sous-marins autonomes seront commandés. À Toulon, les bassins Vauban seront renforcés, tout comme les infrastructures à Brest. La livraison d’équipements connexes destinés à nos SNA et des hangars d’accueil des systèmes de lutte anti-mines marines futur (SLAMF) sera effectuée cette année.

La marine peut donc à présent regarder plus sereinement l’avenir dans un monde de plus en plus menaçant, dont l’économie bascule vers la zone indo-pacifique. Pour mémoire, en 2030, cette zone représentera 40 % du PIB mondial. La territorialisation et la contestation rendue possible, y compris par la force des espaces maritimes, nous imposent de renforcer nos outils de souveraineté à l’intérieur de nos onze millions de kilomètres carrés de ZEE.

Outre-mer, le remplacement de nos frégates de surveillance par des navires d’environ 3 000 tonnes devrait débuter à l’horizon 2030. Pouvez-vous nous éclairer sur la nature de l’armement de ces bâtiments et l’évolution du projet de construction de ces corvettes ? Nous avons d’ailleurs voté un amendement largement porté par plusieurs de nos collègues présents ce matin, qui, constatant les lacunes créées par la disparition des bâtiments de transport légers (Batral), envisage la construction de ce type de bateau. La définition du besoin est-elle en cours ?

Quelle évaluation pouvons-nous porter sur les SNA dits de nouvelle génération (SNA-NG) et des patrouilleurs outre-mer (POM) récemment admis au service actif ? Enfin, la zone maritime de l’océan Indien prendra, pour les années à venir, de plus en plus d’importance. De quels moyens de surveillance aérienne permanents devrions-nous nous doter ?

Amiral Nicolas Vaujour. Le PLF 2024, première marche de la LPM 2024-2030, symbolise bien la transformation de la Marine. S’agissant de la guerre des mines, nous allons effectivement disposer en 2024 du premier module dronisé de lutte contre les mines. Le prototype arrivera à Brest cette année. Au cours de ce PLF, d’autres modules seront commandés et nous initierons les travaux du bâtiment de guerre des mines. En 2024 seront également livrés un nouveau SNA, le Tourville ; un deuxième POM, qui ralliera son port-base outre-mer et la FDI Amiral Ronarc’h qui fera sa première sortie à la mer. Cette transformation capacitaire est en cours. Après une LPM de réparation, la LPM actuelle en est la consolidation, et vient produire des effets véritables pour les opérations que nous devons mener. La Marine se construit dans le temps long.

Ensuite, des travaux sont en cours sur la corvette hauturière pour mieux cerner les besoins et le cadre dans lequel nous pouvons l’acheter, ainsi que le type d’armement, qui doit être à la hauteur des menaces des zones de déploiements. Vous avez bien souligné que les espaces se durcissent, ce qui nécessitera des ajustements, notamment pour ces corvettes hauturières. Les études prennent précisément en compte les menaces auxquelles feront face ces bateaux. Pour le moment, je reste prudent, dans la mesure où le contrat n’a pas encore été signé.

S’agissant des bâtiments de type Batral, une demande d’étude a été déposée. À mon avis, notre stratégie sur les outre-mer est très pertinente. Elle stipule que chaque plot outre-mer doit pouvoir répondre à l’ensemble des enjeux auxquels nous faisons face.

Pour ce qui concerne les POM, je suis très satisfait de l’Auguste Bénébig qui a rallié sa zone, mais également du deuxième POM, qui est en train de terminer sa phase de montée en puissance, avant de rallier son port d’attache. Ils offriront de meilleures capacités d’autonomie et de déploiement. Je rappelle que plus de 40 % de nos eaux de souveraineté sont situées dans des espaces immenses, dans lesquels nous devons être capables d’aller loin et longtemps en équipage. Nous allons étudier notre capacité à pouvoir répondre à nos besoins de transport, en prenant en compte des bâtiments de soutien et d’assistance outre-mer (BSAOM) et les engins de débarquement amphibie standard et répondent de manière plus ou moins adaptée à nos problématiques.

Nous allons également bénéficier du renouvellement de la composante aérienne de surveillance des espaces maritimes grâce au remplacement de nos Falcon 200 par des Falcon 50, mais aussi grâce au futur programme Avsimar et à ses Albatros. Ici encore, ces aéronefs témoignent de la transformation de la Marine. En 2024, un Falcon 50 arrivera ainsi à Tahiti pour remplacer le Falcon 200 Gardian. En 2025, les Falcon 50 se répartiront outre-mer.

Je répondrai à la question sur la classe Suffren lors de la partie à huis clos.

M. Pierrick Berteloot (RN). La France possède le deuxième domaine maritime mondial, avec 10,9 millions de kilomètres carrés de ZEE, dont 97 % bordent ses outre-mer. Notre territoire national s’étend sur la totalité des océans, du Pacifique à l’océan Indien, de la terre Adélie à Saint-Pierre-et-Miquelon. Pour assurer notre souveraineté sur ces vastes étendues, nous disposons de 111 bâtiments, soit trois fois moins que les États-Unis et la Chine. Notre flotte est donc clairement sous-dimensionnée. Certes, nous avons fait un choix stratégique heureux pour notre marine il y a plusieurs années, qui a consisté à conserver la totalité de nos capacités stratégiques en pariant sur la complémentarité de nos forces et la polyvalence. Dans ce cadre, nos frégates multi-missions (Fremm) servent autant pour assister nos sous-marins que pour escorter notre porte-avions dans le cadre du groupement aéronaval. Nous disposons donc d’une pleine capacité d’action. Mais se pose alors un problème : nous sommes à flux tendu et ne disposons pas des forces nécessaires pour défendre notre souveraineté sur l’entièreté de notre territoire en cas de conflit de haute intensité.

Même en temps de paix relative, nous sommes de plus en plus contestés dans nos espaces ou ceux de nos alliés. Je pense par exemple aux tensions en Méditerranée orientale entre la Grèce et la Turquie, alors qu’Ankara promeut son projet Mavi Vatan. Nous devons également rivaliser en force avec des puissances parfois alliées, parfois concurrentes, qui arrivent à produire des navires lourdement armés en un temps record. Face à ces défis, la mobilisation d’une frégate ne suffit plus à asseoir une posture crédible. Je rappelle que la Chine met tous les dix-huit mois à l’eau l’équivalent de la flotte française et qu’elle affiche ses ambitions territoriales.

Pour complexifier encore la situation, d’autres théâtres d’opérations émergent. Je pense aux fonds marins où la présence de câbles et de pipelines en fait un lieu stratégique de premier ordre. Je pense en outre à la fonte des glaces et aux nouvelles routes maritimes qu’elle créera, mais aussi aux spéculations quant à la présence d’hydrocarbures nouvellement accessibles.

Enfin, nous vivons un monde multipolaire où des puissances commencent à contester à bas bruit, pour le moment, nos possessions ou celles de nos alliés. Au vu de ce PLF 2024, quelles seront les missions de la marine les plus en tension du fait de notre sous-dimensionnement ? En cas de conflit majeur, comment pouvons-nous nous adapter en conséquence pour demeurer crédibles ?

Amiral Nicolas Vaujour. Le binôme composé des patrouilleurs d’outre-mer et des avions de surveillance maritime permet d’obtenir de meilleurs résultats qu’auparavant : l’autonomie du patrouilleur permettra d’aller beaucoup plus loin et l’avion de surveillance maritime bénéficiera d’une meilleure autonomie sur zone. Nous y associons également la surveillance satellite de nos espaces maritimes.

Nous effectuons une surveillance précoce par les systèmes satellitaires, nous procédons à une vérification avec un avion et n’envoyons un bateau qu’au « bon moment » et au « bon endroit », de façon à être le plus efficace possible. Nous obtenons de meilleurs résultats dans la lutte contre la pêche illicite en Guyane, en Polynésie française ou contre le narcotrafic. Cette LPM marque, dans le sillage de la précédente, une évolution assez majeure en termes de volumes financiers. Aujourd’hui, nous remplissons nos missions et des partenaires nous demandent de les aider à lutter contre la pêche illicite, notamment dans le Pacifique.

La mission de protection de notre souveraineté est au cœur de notre action et, aujourd’hui, nous répondons aux défis auxquels nous sommes confrontés. Notre modèle doit s’adapter et le PLF le prend en compte. La Marine est soumise au temps long, notamment pour la fabrication de gros objets comme les SNLE de troisième génération ou le porte-avions. Cependant, le PLF offre une première marche et nous fournit des capacités pour structurer l’ensemble de ces programmes. Ensuite, face aux enjeux immédiats du temps court, nous devons être agiles et adaptables.

Lorsque je m’adresse à mes troupes, je mets précisément l’accent sur ces deux volets : la détermination du temps long et l’agilité du temps court. La détermination du temps long me permettra de conforter le format de la Marine que vous avez confirmé en LPM. L’agilité du temps court consiste pour moi, PLF après PLF, à embarquer une nouvelle technologie qui me permet de disposer de la supériorité au bon moment, au bon endroit, en fonction de la crise à laquelle je vais devoir répondre.

Or ces crises sont multiples et singulières. À chaque niveau de crise, nous devons ainsi répondre de manière différente. Lorsque nous protégeons nos eaux souveraines, nous agissons seuls, avec nos moyens. En revanche, face à une crise en Méditerranée ou dans l’océan Indien, nous nous efforçons de voir quels sont les partenaires avec lesquels nous voulons travailler. Dans l’océan Indien, nous avons créé la mission EMASoH-Agenor dans laquelle nous avons intégré tous nos partenaires européens pour protéger les flux économiques qui irriguent l’Europe. Ainsi, le gain que j’obtiens avec les partenariats me permet de renforcer, de mon côté, soit la protection de mes eaux souveraines, soit les missions qui me sont ordonnées. Sur le théâtre méditerranéen, nous pouvons travailler directement avec l’Espagne, l’Italie, la Grèce, mais également l’Otan, en fonction de ce que nous voulons réaliser.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). De quelle manière l’inflation vous impacte-t-elle ? Quelles mesures mettez-vous en place pour essayer de la compenser ? Ensuite, nous avions évoqué assez longuement le système de drone aérien pour la marine (Sdam) lors de l’étude de la LPM. Quelles sont les perspectives de ce programme ?

Dans le programme 146, l’action 09.56 évoquant les missiles de croisière navals (MdCN) signale une baisse draconienne des crédits de paiement. Quels seront les effets sur le stock ? À l’action 10.75 concernant le patrouilleur futur, les autorisations d’engagement (1,4 milliard d’euros) s’éteignent, face à une augmentation des crédits de paiement. Que cela signifie-t-il pour l’état réel du programme ?

À l’inverse, pour le programme FlotLog, les crédits de paiement diminuent quand les autorisations d’engagement apparaissent maintenues. Que pouvez-vous nous en dire ?

Amiral Nicolas Vaujour. L’inflation a été prise en compte dans la construction de la LPM, mais également dans le PLF.

Nous sommes sur le point de parvenir à une très grande avancée technologique sur le SDAM. Des essais sont en cours sur la frégate Provence pour réaliser une manœuvre inédite : l’appontage automatique d’un drone hélicoptère sur un bateau, qui n’a jamais été réussi jusqu’à présent. Si nous y parvenons, il s’agira d’une véritable rupture en matière de drone.

Ensuite, une rénovation à mi-vie (RMV) est prévue pour le MdCN, comme pour tous les types de missiles, comme les Aster et les Exocet.

Pour le programme de patrouilleurs hauturiers, nous avons opéré un choix spécifique, en privilégiant des PME navales sur l’ensemble de notre territoire plutôt qu’un seul grand chantier, pour maintenir les savoir-faire et permettre à ces entreprises de participer à l’élaboration de la Marine..

Vous avez évoqué le programme FlotLog, qui s’appelle désormais « bâtiments ravitailleurs de forces » ou BRF. Nous venons de recevoir le Jacques Chevallier qui est parti pour une traversée de longue durée, qui a pour vocation de vérifier les capacités militaires du bateau. Cette phase de test nous en dira plus, mais nous en sommes déjà extrêmement satisfaits. Vous avez relevé des moindres crédits de paiement, mais ils sont liés au report du quatrième BRF en dehors de la LPM. Je ne le perds pas de vue pour autant et, au-delà, la manière dont ces BRF ont été pensés et construits est tout à fait remarquable.

À ce titre, il faut relever que les marines se distinguent par la capacité à capitaliser leur savoir-faire grâce aux retours d’expérience et l’implémentation de nouveaux systèmes. L’expérience recueillie en matière de défense aérienne a été introduite dans nos frégates Horizon, celle provenant des anciennes frégates anti-sous-marines a été réinjectée dans les Fremm. Aujourd’hui, le Jacques Chevallier bénéficie de l’expérience de nos anciens pétroliers ravitailleurs. Celui-ci permet de bien mieux gérer le ravitaillement en vivres, en gasoil, en eau ou en munitions. Il permet également de récupérer les déchets et de les valoriser à terre. Le deuxième BRF est rapidement attendu.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Amiral, bienvenue à bord. Nous vous accueillons avec plaisir pour la première fois dans cette commission. Nous gardons tous un très bon souvenir des auditions de votre prédécesseur, et je ne doute pas que l’excellence de La Royale continuera de s’exercer, de chef d’état-major en chef d’état-major.

Dans le cadre de la commission mixte paritaire, nous sommes parvenus à dégager des marches supplémentaires plus importantes, en début de LPM, notamment pour améliorer la préparation opérationnelle et la disponibilité des matériels ou des équipages. À cet égard, pouvez-vous nous donner quelques tendances sur cette première marche ? Quel est l’effet des décisions qui ont été prises ? Je comprendrais tout à fait si vous préférez me répondre lors de l’audition à huis clos.

Ensuite, pouvez-vous revenir de manière plus détaillée sur les coopérations en Méditerranée et dans l’océan Indien ? Lorsque nous nous sommes déplacés pour assister à un exercice de défense surface-air (DSA), nous avons rencontré une grande variété d’officiers généraux. À cette occasion, j’ai été frappé par la volonté de coopération existant dans le domaine naval, mais également par le concept de Méditerranée élargie promu par nos amis italiens, qui m’apparaît particulièrement intéressant.

Par ailleurs, je souhaite évoquer la guerre des mines. Pouvez-vous fournir des détails sur les principales différences entre l’approche de la marine française et celle de la marine belge dans ce domaine, que vous avez esquissée un peu plus tôt ?

Enfin, l’amiral Vandier insistait beaucoup sur le fait qu’il ne faut pas nécessairement fonctionner dans une logique de RMV, mais plutôt procéder à des améliorations de manière incrémentale sur les navires, tout au long de leur durée de vie prévisible. Où en sont les réflexions sur ce point ?

Je souhaite en outre approfondir la question de M. Chenevard sur nos futures corvettes. Certaines rénovations sont positives, mais elles peuvent parfois paraître incomplètes. Je pense notamment à l’exemple de la rénovation des frégates de type La Fayette, qui bénéficieront de sonars, mais pas de moyens de lutte anti-sous-marine (ASM). Comment est-il possible de traiter ce type de problématique ?

Amiral Nicolas Vaujour. Nous nous inscrivons dans une dynamique de consolidation de notre préparation opérationnelle, qui implique à la fois une disponibilité technique, mais aussi des exercices et des tests de nos systèmes. S’agissant de la disponibilité, la marine a mis en place des contrats verticalisés sur l’ensemble des bateaux, en sachant que 75 % des contrats de maintenance sont soumis à concurrence, ce qui nous permet à la fois d’intégrer de nouveaux entrants sur le marché, mais aussi de diminuer les coûts. La verticalisation se met d’ailleurs en place pour les contrats aéronautiques. Elle permet en outre d’offrir aux industriels une meilleure visibilité, grâce à des contrats pluriannuels qui sont soutenus, PLF après PLF.

Vous avez ensuite évoqué les coopérations. Celles-ci s’effectuent en fonction de nos intérêts et des zones spécifiques. En Méditerranée, nous avons vocation à échanger avec les Italiens, les Espagnols et les Grecs. Dans le même ordre d’idée, lorsque je regarde l’Atlantique, je parle avec mon homologue britannique. Nous échangeons ainsi des informations, de manière à conforter différentes postures et à œuvrer de manière complémentaire.

À ce titre, je poursuis l’initiative de l’amiral Vandier qui a instauré des exercices conjoints de préparation opérationnelle du haut du spectre avec la marine italienne. Sur le PLF 2024, nous allons ainsi réaliser en avril prochain l’exercice Polaris, de manière commune, la version italienne de l’exercice s’appelant Mare aperto. À cette occasion, nous pourrons travailler avec deux groupes, l’un avec le porte-avions italien Cavour et l’autre avec le Charles-de-Gaulle.

Nous sommes extrêmement satisfaits de travailler avec ces nations, avec lesquelles nous partageons un certain nombre d’enjeux. D’un point de vue stratégique, nous devons être capables de nous déployer ensemble et de transmettre le même message, en Européens.

Vous m’avez également interrogé sur la guerre des mines. J’ai déjà indiqué précédemment que cette guerre des mines correspondait désormais à la dronisation d’une fonction complète. Une expérimentation est actuellement menée à Brest, où un drone de surface qui tracte un sonar remorqué est téléopéré en temps réel par une équipe à terre, à l’aide de l’intelligence artificielle. Il s’agit de gagner du temps, dans le cadre d’une véritable rupture technologique, qu’il a fallu faire mûrir. Les enjeux étaient multiples : ils portaient sur l’autonomie des drones de surface et des drones sous-marins, mais aussi sur le système d’intelligence artificielle et la base de données. Le premier module de lutte contre les mines sera livré à Brest en mars 2024. Sur place, le bâtiment qui abritera le centre de commandement à terre du système de drone est en cours de construction.

Comme vous l’avez relevé, notre approche est différente de celle retenue par les Néerlandais et les Belges. Les systèmes de drone ne sont pas figés pour plusieurs d’années, ils évoluent régulièrement. Aujourd’hui, dans le système de guerre des mines, il existe quatre grandes fonctions : la détection, la classification, l’identification et la neutralisation. Les Français, les Belges et les Néerlandais ont opéré le même choix pour la détection et la classification : il s’agit d’un sonar tracté. En revanche, le système est différent pour l’identification et la neutralisation. L’émulation est saine entre nos différents industriels, dans ce domaine.

En outre, nous réfléchissons à la meilleure manière de mettre à l’eau le drone à partir du futur bâtiment de guerre des mines. Le design du drone sera commun et nos partenaires en disposeront avant nous, ce qui me permettra de bénéficier des leçons qu’ils tireront de leurs premières expériences, car nous avons pris la décision de partager l’information extraite du retour d’expérience. Cette rupture technologique est porteuse de risques, mais en travaillant ensemble, nous les mutualisons et les limitons.

Je vous remercie pour les crédits votés en direction des premières marches de la LPM. Ils nous permettent également de mettre en place deux programmes importants : ÉVOL SNA et ÉVOL Frégate.

Nous avons commencé ce travail avec la classe Suffren, sur laquelle nous mettons en place des évolutions, afin de conserver le meilleur niveau technologique pour nos équipements. Je veux développer l’injection d’innovation à bord des bateaux, le plus rapidement possible. À titre d’exemple, nous allons placer un data hub à bord de la Provence, pour bénéficier de la gestion de données massive et de l’intelligence artificielle sur ce bateau. Pour y parvenir, nous procédons par tests, en lien avec différentes PME.

Vous avez enfin évoqué la RMV des frégates de type La Fayette (FLF), dont j’ai été l’initiateur, lorsque je travaillais à l’état-major des armées. Celle-ci a été mise en place dans un cadre de très fortes contraintes budgétaires, à l’époque. Pour rénover le système de combat, nous avons ainsi choisi de nous inspirer de celui qui venait d’être développé pour le porte-avions. Dans la même logique, le sonar retenu a été celui de la FDI.

Aujourd’hui, je suis très satisfait de disposer des capacités que nous avons pu installer sur les FLF. Je rappelle que ces bateaux ne possédaient pas initialement de capacités anti sous-marines. Ces frégates disposent aujourd’hui d’un sonar, même si elles ne sont pas dotées de torpilles. Cependant, je dois souligner l’aide précieuse fournie par la DGA pour la RMV des FLF. Finalement, nous avons pu produire une action cohérente, qui a permis de prolonger la durée de vie de nos frégates, qui nous sont essentielles. Encore une fois, je suis satisfait de ce que nous avons accompli dans ce domaine.

En revanche, pour les FDI et les Fremm, nous nous attachons à réaliser une évolution continue, au fil du temps, pour intégrer les évolutions technologiques. Vous m’avez donné les vecteurs nécessaires, et il me revient désormais de les utiliser à bon escient.

M. Jean-Pierre Cubertafon (Dem). Amiral, permettez-moi tout d’abord de vous féliciter pour votre nomination. La marine nationale a toujours été très discrète au sujet des missions de ses sous-marins nucléaires d’attaque. Cependant, il semblerait que le 26 septembre dernier, un SNA de la classe Rubis ait fait surface à Tromso, au nord de la Norvège. La présence d’un sous-marin nucléaire français dans cette base navale est inédite. Nous savons que le Grand Nord est stratégiquement important, tandis que les dérèglements climatiques ouvrent de nouvelles perspectives économiques.

Un budget précis est-il fléché sur la politique de la marine nationale pour les pôles, et particulièrement pour le grand froid ? Les États-Unis ont ainsi investi près de 1,8 milliard d’euros, depuis 2017, pour le financement de trois brise-glace polaires lourds. À titre de comparaison, le patrouilleur Astrolabe n’a coûté que 50 millions d’euros. La marine nationale prévoit-elle des investissements significatifs afin d’améliorer son dispositif capacitaire opérationnel dans les zones polaires ? Jugez-vous par ailleurs que les investissements actuels sont suffisants ?

Amiral Nicolas Vaujour. Je ne peux répondre en séance publique sur les questions concernant le Rubis. En revanche, je peux vous indiquer que l’achat de l’Astrolabe a été effectué grâce à un montage innovant. Le bateau est opéré et entretenu par la Marine, il est doté d’un équipage de la Marine, mais il ne lui appartient pas. Les Terres australes et antarctiques françaises ont acheté le bateau, même si nous les avons aidées à monter ce programme. Nous l’opérons pour ravitailler nos terres en Antarctique et nos stations scientifiques. Nos allers et retours s’effectuent à partir d’Hobart en Australie. Ce partenariat assez innovant fonctionne très bien. En Antarctique, il n’existe pas réellement de menace militaire, mais nous y avons des intérêts. Nous garantissons le ravitaillement du pôle et nous profitons de ce bateau pour patrouiller dans les eaux de nos terres australes, notamment dans le canal du Mozambique, pour affirmer notre souveraineté dans notre ZEE.

Dans le Grand Nord et donc dans l’Arctique, la situation est différente puisque la compétition de puissances y est réelle. Dans cette zone, la « tectonique des puissances » est à l’œuvre, aidée par le réchauffement climatique, qui dévoile au fur et à mesure des terres et des fonds marins exploitables. Les puissances, notamment la Russie et la Chine, y sont présentes. Nous avons donc le devoir d’observer ce qui s’y passe. Je sais que l’Assemblée nationale a également établi un groupe d’étude sur les zones polaires, auquel nous sommes d’ailleurs associés.

Il y a quelques années un bâtiment de la Marine a emprunté le passage du Nord-Est. À cette occasion, nous avons eu l’opportunité d’emmagasiner des connaissances sur l’évolution du climat dans cette région. Plus globalement, il faut profiter de la période actuelle pour réfléchir à la manière dont nous, Français et Européens, voulons nous positionner sur ce grand sujet de l’Arctique. En ce qui nous concerne, nous déployons des bateaux dans le Grand Nord, en coopération avec les Norvégiens, mais également d’autres pays, pour mieux connaître et mieux appréhender cet environnement très particulier. Il y fait naturellement très froid et la navigation dans les glaces est particulièrement exigeante.

Mme Isabelle Santiago (SOC). Je m’associe à mes collègues pour saluer votre nomination. L’année 2024 verra la livraison de nombre de bâtiments à la marine, laquelle s’inscrit dans un programme de LPM sur le temps long. À ce titre, je rappelle avoir porté un amendement concernant des études à réaliser pour un deuxième porte-avions.

Les missions de la Marine se déploient sur un espace maritime extrêmement vaste, depuis la métropole jusqu’aux territoires ultra-marins et sont donc soumises à la « tyrannie des distances ». Pour exercer ces missions exigeantes, vous avez naturellement besoin d’hommes et de femmes. Par conséquent, je souhaite évoquer les contraintes en ressources humaines, que j’ai pu apprécier lors de divers déplacements sur les bases.

Pouvez-vous nous éclairer sur les mesures que vous envisagez de prendre pour faire face aux enjeux de l’attractivité et de la fidélisation, notamment auprès de la jeunesse ? Vous avez ainsi évoqué plus tôt le triptyque suivant : donner envie de rentrer, donner envie de rester et donner envie de progresser. Quelles actions menez-vous pour recruter des jeunes ?

Par ailleurs, je souhaite évoquer les outre-mer et les enjeux associés, tels la sécurisation des routes maritimes, des câbles sous-marins et des matériaux critiques et rares. Certains golfes, comme ceux de Guinée ou du Mozambique, représentent des zones clefs pour sécuriser les routes du commerce mondial. À ce titre, j’ai toujours considéré qu’à La Réunion, notre base militaire devait devenir un pôle de projection. Des travaux seront-ils effectués en ce sens pour y accueillir encore plus de bateaux ?

Amiral Nicolas Vaujour. Notre jeunesse est prête à s’engager à partir du moment où elle trouve du sens dans cet engagement. Il faut lui donner envie, d’abord en mettant en valeur le drapeau et l’histoire de notre Marine à travers les siècles.

Ensuite, en matière de ressources humaines, nous menons une bascule. Au préalable, nous recrutions des marins pour les transformer en spécialistes. Aujourd’hui, nous allons procéder de la manière inverse, ce qui modifie l’équation. Ainsi, nous avons créé un BTS nucléaire à Cherbourg, qui nous permettra d’alimenter la filière marine, pour disposer, demain, de responsables de réacteurs nucléaires sur le Charles-de-Gaulle ou dans des sous-marins. En lien avec l’Education nationale, nous allons contribuer à leur formation. De même, nous avons créé avec l’Education nationale des baccalauréats professionnels dédiés au monde naval, le dernier en date étant le « bac mécatronique ». Il s’agit d’une formation commune qui s’adresse à la fois aux mécaniciens et aux électriciens. Elle n’intéresse pas uniquement la Marine, mais aussi des grands groupes comme Naval Group ou CMA-CGM. Ces « mini-filières » permettent d’alimenter au bon niveau nos armées et nos industries.

Nous avons besoin de tous dans la Marine. Les mousses sont extraordinaires, ces jeunes ont envie de s’engager, mais malheureusement, ils n’ont pas réussi jusque-là à y parvenir. Nous leur tendons la main et sommes payés en retour. Lorsque je commandais le Chevalier Paul, un mousse barrait le bateau et il était fier, car nous lui faisions confiance. En résumé, notre axe majeur en matière de ressources humaines concerne l’adaptation de la formation pour être les plus efficaces possibles, au sein d’un dispositif gagnant-gagnant pour l’Education nationale, la marine et, de manière plus large, l’industrie.

Mais l’engagement ne porte pas que sur l’engagement initial, il se nourrit au quotidien. Je demande à mes commandants d’insister dessus lorsqu’ils exercent leur leadership. Nous devons conserver cette attention pour « l’escalier social », qui contribue aussi à la force de nos armées et de la Marine en particulier. Un marin embauché comme matelot est devenu amiral commandant aux Antilles. Un autre matelot est devenu un des commandants du Tourville. Opérateur sonar, il est devenu commandant de SNA. Nous devons absolument préserver cette richesse extraordinaire, donner envie d’embarquer, envie de progresser.

Vous avez également évoqué à juste titre La Réunion en tant que pôle de projection. La Réunion est au cœur de routes maritimes qui ne sont pas très connues, mais qui sont en réalité très importantes, comme la route de Malacca, au sud de l’Afrique du Sud. Lors de sa tournée de longue durée, le Jacques Chevallier accostera à La Réunion, ce qui nous permettra de tester la manière dont nous pouvons ravitailler non seulement un patrouilleur outre-mer, mais aussi une frégate.

M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Je vous remercie d’avoir évoqué la guerre des mines, y compris pour évoquer les infrastructures sur la base navale de Brest. Je vous suis également reconnaissant d’avoir mentionné la stratégie polaire. Il existe en effet dans ce dernier domaine une ébauche de programmation pluriannuelle, à travers une proposition de loi en cours d’élaboration, qui a pour objectif d’offrir une meilleure visibilité à la recherche, sur le long terme.

Je souhaite vous poser quelques questions, dont certaines pourront peut-être faire l’objet de développements lors de la partie à huis clos de cette audition. La première porte sur les réserves, auxquelles le PLF 2024 attribue 20 millions d’euros supplémentaires et 3 800 équivalents temps plein (ETP). Combien d’entre eux seront-ils dévolus à la marine et à quelle intention ? Au-delà, que voulez-vous faire de cette réserve ? Quelle est la doctrine retenue, quelles sont les missions envisagées ?

Ensuite, comment abordez-vous aujourd’hui les ressources humaines pour la période où le Charles-de-Gaulle et le porte-avions nouvelle génération seront tous deux disponibles simultanément ?

Enfin, je souhaite évoquer notre stratégie d’accès dans l’océan Indien, à laquelle je m’intéresse particulièrement. Je reviens de Djibouti, l’un de nos points d’appui dans la zone. Je souhaiterais que vous puissiez détailler l’ensemble des outils dont dispose la France dans cette région. Quelle est notre stratégie d’accès face à des stratégies de déni d’accès de plus en plus renforcées ?

Amiral Nicolas Vaujour. La LPM nous offre une capacité d’évolution majeure pour les réserves, que nous allons mettre en œuvre autour de plusieurs axes. Nous disposions d’une réserve structurelle, construite autour d’anciens marins, que nous conservions pendant cinq ans à dix ans, dans des domaines d’expertise de niche.

Désormais, l’évolution nous permet d’aller plus loin, à partir de deux axes. Le premier axe concerne le rajeunissement. Il nous faut profiter d’experts à la pointe des dernières évolutions. Je souhaite à cet effet évoquer un exemple spécifique. Aujourd’hui, pour donner des cours dans un domaine technologique pointu, je peux soit solliciter un réserviste opérationnel venant directement dans l’industrie pour nous instruire sur ce sujet. Nous créons des unités de réserve opérationnelle à Toulon et à Brest, qui vont nous permettre d’intégrer plus de jeunes, mais également des unités de réserve opérationnelle thématiques, dont les membres pourront intervenir ponctuellement, par exemple sur une journée ou une semaine.

Le deuxième axe concerne les Flottilles côtières, soit un axe de territorialisation sur l’ensemble de notre façade atlantique. Nous voulons mettre en place des petites unités territorialisées, qui puissent bénéficier des expertises, localement. Dans cette frange côtière entre 0 et 6 nautiques, nous n’avons pas nécessairement de besoin de grandes compétences, mais surtout de volonté, de bon sens et de présence. Ces premières flottilles côtières débuteront durant le PLF 2024, à l’été prochain. Je proposerai au ministre des lieux d’implémentation.

Ensuite, vous m’avez interrogé sur les enjeux des ressources humaines, en lien avec le porte-avions nouvelle génération. Pendant que le Charles-de-Gaulle sera toujours opérationnel, le deuxième porte-avions montera en compétences. Nous le qualifierons donc pour naviguer et recevoir des avions ; quand il sera prêt, nous transfèrerons la charge d’un bateau à l’autre. Ce rendez-vous se prépare dès maintenant : au titre du PLF 2024, nous embaucherons les marins du prochain porte-avions nouvelle génération. Les 74 matelots inscrits au PLF seront prêts à exercer des fonctions expertes lorsque le porte-avions sera livré.

La manœuvre est initiée et fait l’objet d’une surveillance évidemment toute particulière, puisqu’au sein du millier de personnes nécessaires pour armer l’équipage du porte-avions, nous aurons besoin de spécialistes, qu’il s’agisse de spécialistes des installations aéronautiques, de spécialistes nucléaires ou de matelots spécialisés. Cet effort débute maintenant et je remercie encore une fois le Parlement d’avoir initié cette grande montée en puissance, laquelle est évidemment stratégique pour nos armées et pour notre marine tout particulièrement.

Vous avez également évoqué Djibouti et notre stratégie d’accès. Je souhaite en profiter pour évoquer une unité dont je n’ai pas parlé depuis le début de l’audition, mais qui constitue l’une de nos « pépites », le Mica Center, situé à Brest. Le Mica Center est composé d’une soixantaine de personnes, dont 29 réservistes, qui assurent jour et nuit l’alerte au profit de notre marine marchande, tout particulièrement dans le golfe de Guinée et l’océan Indien. Cette structure a été créée en 2016. Ces soixante personnes travaillent directement au profit des opérations EMASoH-Agenor et Atalante.

Si vous prenez une carte du golfe de Guinée, y compris une carte anglaise, vous y trouverez le numéro de téléphone du Mica Center. Ce numéro permet de transmettre une alerte. Celle-ci est traitée par nos marins français, anglophones, qui sont capables de vous informer pour vous indiquer où se situent le bateau le plus proche ou les aides dont vous pouvez disposer. Cette capacité à traiter l’information maritime est à la fois unique et absolument essentielle. Nous la consolidons en permanence et nous l’ouvrons également à nos partenaires. Les Britanniques et les Espagnols y participent, et les Italiens pourraient nous rejoindre. Cette manière de procéder est reconnue par l’industrie maritime aujourd’hui et nous proposons à chaque armateur de s’inscrire volontairement, dans une démarche gagnant-gagnant.

M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Je tiens à indiquer à la commission que lorsque je me suis rendu à Djibouti, j’ai eu l’occasion de constater que nos amis américains font part d’un très vif intérêt pour ce système, qu’ils tiennent en très haute estime.

M. le président Thomas Gassilloud. Pour ma part, je souhaite vous soumettre une suggestion, amiral. Nous venons d’auditionner le chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace, qui nous parlé de trois axes d’effort : la spécialisation, la territorialisation et la création potentielle d’une base aérienne de réserve, afin de disposer d’un vivier de recrutement. Le projet d’une base navale de réserve vous semble-t-il pertinent ? Elle pourrait par exemple être implantée à Marseille.

Amiral Nicolas Vaujour. Nous allons créer trente unités opérationnelles d’ici 2030, soit environ 5 000 réservistes, qui seront répartis sur la façade maritime mais également outre-mer. Je précise que le chef d’état-major des réservistes est lui-même réserviste. La structuration de la réserve est donc opérante et nous allons fournir les moyens nécessaires, en termes d’infrastructures et de capacités. Nous allons procéder de manière progressive mais, dès l’été 2024, nous créerons deux unités, avant d’évoluer en fonction des besoins complémentaires.

M. Frank Giletti (RN). Alors que l’ascenseur social est en panne dans une large partie de notre société, il ne faudrait pas que les armées soient elles aussi atteintes par ce phénomène. Parmi les critères d’évaluation qui me semblent intéressants figurent les commandements de nos principaux navires. Ainsi, parmi les principaux navires de la flotte française, quelle est la proportion de ceux qui sont commandés par des officiers non issus du cursus direct de l’École navale ? Les futurs tableaux de commandement intègrent-ils ce paramètre ?

S’il est parfaitement normal que les officiers recrutés par la voie directe commandent la plupart des navires de notre flotte, permettre à des cursus moins classiques, mais tout aussi exigeants, d’accéder à ces fonctions contribuerait à renforcer l’attractivité de notre marine.

Amiral Nicolas Vaujour. Aujourd’hui, 70 % de nos mousses deviennent quartiers-maîtres, 50 % de nos officiers mariniers étaient précédemment quartiers-maîtres et 20 % de nos officiers sont issus de recrutements internes. Ces éléments attestent de la part non négligeable de fonctions de commandement assurées par des marins qui ne sont pas issus de l’École navale. En réalité, le seul critère qui m’importe concerne la compétence. Je rappelle que le futur commandant du Tourville est un ancien matelot veilleur sonar.

Pour donner envie à nos marins de progresser, nous devons de notre côté jouer le jeu et montrer que la promotion interne fonctionne dans la marine. Le cas du commandant du Tourville permet de donner confiance à tous les autres. Le message est clair : allez-y, vous pouvez y arriver. Nous ne promouvrons pas un interne par obligation ou volonté d’affichage, la compétence prime. J’attends d’abord d’un chef qu’il soit un bon commandant, mais s’il s’agit d’un interne, je ne peux que m’en féliciter.

M. le président Thomas Gassilloud. Amiral, je vous remercie pour votre première audition en tant que chef d’état-major de la marine. Avant de passer à la partie à huis clos, je souhaite faire part de deux appréciations personnelles. Tout d’abord, je souligne votre parfaite maîtrise des sujets alors même que vous avez pris vos fonctions il y a peu. Ensuite, je tiens à signaler votre enthousiasme. Je considère qu’il s’agit là d’une condition importante pour attirer, fidéliser et faire progresser les marins.

Je vous propose à présent d’interrompre cette audition publique, pour passer à la partie à huis clos.

 

L’audition se poursuit à huis clos

M. José Gonzalez (RN). En 2015, la marine nationale expérimentait de nouveaux concepts de disponibilité opérationnelle à dix jours sur ses porte-hélicoptères. L’objectif consistait à assurer un maintien en condition opérationnelle (MCO) continu de ce type de navire : il s’agissait alors de limiter les arrêts techniques programmés en réalisant des tâches réglementaires hors périodes d’entretien. L’amiral Vandier avait laissé entendre que ce MCO faisait également partie de mesures palliatives prises pour les bateaux les plus anciens, afin de leur permettre de continuer à naviguer en sécurité pour les équipages.

Ce dispositif semble aujourd’hui concerner les frégates multi missions, dont les missions sont de plus en plus longues, notamment grâce au principe de double équipage. Elles opèrent aujourd’hui avec succès à l’étranger, comme ce fut récemment le cas aussi aux Émirats arabes unis.

Amiral, quel est votre vision de la normalisation du développement de systèmes continus pour les frégates multimissions (Fremm) ? Ce PLF 2024 permet-il d’envisager sereinement ce développement ?

Amiral Nicolas Vaujour. S’agissant du MCO en règle générale, je voudrais prendre un exemple personnel. Lorsque je commandais le Chevalier Paul entre 2012 et 2014, le MCO continu était employé sur ce type de navire. Trois niveaux techniques doivent être distingués en matière de MCO : le niveau 1 décrit ce que l’équipage peut réaliser ; le niveau 2, ce que l’industriel peut réaliser et le niveau 3, ce que seul l’industriel doit réaliser.

Il s’avère que les diesel alternateurs ont subi plusieurs pannes lors d’une mission opérationnelle. Nous nous sommes alors interrogés : fallait-il signaler l’indisponibilité du bateau ou tenter de le réparer ? Nous avons réuni les équipages, les mécaniciens et les spécialistes et je leur ai demandé s’ils s’estimaient capables de procéder à cette réparation. Devant leur réponse positive, j’ai pris la responsabilité d’engager cette opération, qui a réussi. J’en ai également rendu compte aux services de soutien, qui n’étaient pas satisfaits de cette initiative, dans la mesure où il s’agissait d’un problème technique de niveau 3, qui aurait donc dû être traité par l’industriel. Mais nous avons entrepris et réussi cette réparation.

Le MCO continu n’est pas tant une affaire contractuelle avec les industriels qu’une question de résilience. La question qui m’importe est la suivante : mes équipages sont-ils capables, au combat, de garantir la disponibilité d’un bateau, notamment lorsqu’ils sont confrontés à une avarie de combat beaucoup plus compliquée à régler que ce qu’ils ont « l’autorisation » de faire ? Face aux temps incertains qui nous font face, nous devons être en mesure de régler les problèmes par nous-mêmes. Aujourd’hui, nous développons ce MCO en continu, qui permet d’améliorer les compétences de nos équipages, afin qu’ils puissent les mettre en œuvre le jour où ils seront soumis aux mêmes problèmes. Le MCO continu arrive désormais à maturité.

Ensuite, le Suffren est une « bête de guerre », dont nous sommes très satisfaits. Le retour d’expérience des Rubis a permis de réaliser un très bon bateau pour diverses raisons. Il est particulièrement adapté à la lutte contre les sous-marins et il embarque un certain nombre de technologies. Le Suffren est notamment équipé d’une barre en X, qui le rend plus manœuvrable. Le MdCN ajoute une capacité militaire redoutable : il permet au sous-marin de s’approcher d’une côte sans être vu et de porter la frappe souhaitée. Le Suffren embarque également un petit sous-marin permettant de larguer des commandos en mission sans qu’ils ne puissent être détectés. Il s’agit là d’une rupture conceptuelle par rapport à la classe Rubis, lui permettant d’agir de manière plus efficace, dans le haut du spectre. Peu de nations sont capables de fabriquer un tel objet technologique, objectivement. Les stocks de MdCN sont connus et conformes aux besoins opérationnels et des crédits sont dégagés dès 2025 pour initier le programme de leur Rénovation à Mi-Vie (RMV). Il est plus difficile de réaliser une évolution des missiles au cœur de leur vie, tant il s’agit d’une technologie de haute précision. Il suffit pour s’en convaincre de visiter l’usine de MBDA à Bourges. Les missiles fonctionnent très bien et leur arrivée sur les Suffren nous permet d’élargir notre périmètre. La France et les armées françaises sont dotées d’une capacité à imposer une décision quand elles le souhaitent.

Ensuite, je souhaite revenir sur le déni d’accès évoqué en audition publique. Il est possible malgré tout de s’en extraire de différentes manières, en fonction des résultats escomptés. Pour des opérations de renseignement, des parachutistes peuvent être projetés à partir d’avion ou des commandos à partir des Suffren. Quand un pays menace nos intérêts et nos enjeux, le porte-avions est capable de projeter de la puissance régulière et nous permettre d’imposer notre volonté. De son côté, le sous-marin permet d’agir discrètement. En outre, dans les zones contestées, les manœuvres amphibies de l’armée de terre permettent de transporter des troupes jusqu’aux zones d’opération.

Nous avons heureusement conservé ces capacités. À l’heure où les accès se restreignent, nous pouvons proposer au CEMA des modes d’action robustes. Chaque armée apporte ses spécificités. Le groupe aéronaval permet de construire une bulle d’hypersupériorité, en combinant les capacités du porte-avions et celles des frégates d’escorte, qui font partie des meilleures au monde dans le domaine de la lutte antimissile. Cette lutte sera d’ailleurs encore perfectionnée dans le cadre de la LPM, par l’amélioration de nos missiles Aster. Enfin, la veille coopérative d’impact permet de renforcer l’efficacité de notre système : nous faisons partie des rares nations capables d’intercepter des missiles supersoniques en très basse altitude.

M. le président Thomas Gassilloud. Amiral, je vous remercie.

 

 

 

II.   Examen des crÉdits

La commission a examiné, pour avis, sur le rapport de M. Yannick Chenevard, les crédits relatifs à la « Marine » de la mission « Défense », pour 2024, au cours de sa réunion du 25 octobre 2023.

 

M. le président Thomas Gassilloud. L’ordre du jour appelle l’examen des crédits de la mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation, de la mission Défense et du programme Gendarmerie nationale de la mission Sécurités.

En ce qui concerne la mission Défense, je rappelle que celle-ci comporte quatre programmes, dont l’un, le programme 178, Préparation et emploi des forces, correspond à une nomenclature budgétaire interarmées mais fait en plus, en ce qui nous concerne, l’objet de trois avis – forces terrestres, marine et air – pour nous permettre d’en assurer un suivi précis.

Nous allons entendre ce matin nos rapporteurs pour avis et continuerons cet après-midi avec les interventions des orateurs de groupe, puis l’examen des amendements et le vote des missions.

 

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. En 1411, l’amiral chinois Zheng He est à la tête de 28 411 marins. Il navigue à bord d’un navire cinq fois plus gros que la caravelle sur laquelle navigua Christophe Colomb en 1492. En 1434, la Chine interdit la navigation hauturière, brûle tous ses vaisseaux, se replie sur elle-même : c’est la naissance de l’Empire du Milieu. Cela dura 500 ans. Dans cette période, la civilisation occidentale s’ouvre vers la mer, construit de puissantes marines militaires et de commerce.

Cette période semble se terminer. Comprendre le monde, c’est régulièrement se souvenir de quelques fondamentaux, parmi lesquels cette formule particulièrement explicite forgée par Walter Raleigh au XVIe siècle, particulièrement explicite : « Qui tient la mer tient le commerce du monde ; qui tient le commerce tient la richesse ; qui tient la richesse du monde tient le monde lui-même ».

En 2022, dans la liste des dix premiers ports du monde, il n’y a plus aucun port européen ni nord-américain. Tous sont situés en Asie-Pacifique ; un seul est occidental, il est australien. La bascule est impressionnante. Plus de la moitié des brevets déposés dans le monde en est issue. En 2030, il est probable que cette zone représentera 40 % de l’activité économique mondiale. Une simple photographie des routes maritimes, canaux et détroits de cette zone éclaire immédiatement sur les enjeux stratégiques que nous avons à traiter.

L’histoire de ceux que nous appellerons les sept majeurs est jalonnée d’exemples significatifs illustrant leur importance : cinq détroits – le Bosphore, Bab-el-Mandeb, Gibraltar, Ormuz et Malacca – et deux canaux – Panama et Suez. D’autres détroits ou routes compléteront, plus ou moins rapidement, cette liste. Tel est notamment le cas du détroit de Taïwan, du canal du Mozambique et de la route maritime passant au sud-est de La Réunion, en direction ou en provenance du détroit de Malacca, et dont l’importance va croissant.

La mer permet le transport de 90 % des marchandises qui s’échangent dans le monde. Espace de liberté, elle peut rapidement perdre ce statut par la force, entraînant, dans les zones concernées, de possibles conflits entre puissances navales pour assurer la liberté de passage des navires militaires ou de commerce. Les événements qui se déroulent en mer peuvent avoir – et ont le plus souvent – des conséquences stratégiques majeures, nous rappellent Thibault Lavernhe et François-Olivier Corman dans Vaincre en mer au XXIe siècle.

Dans cette bascule mondiale, la France – et l’Europe avec elle –, nation de l’océan Indien et du Pacifique, acteur incontournable, a des responsabilités. Elle y compte 1,5 million d’habitants, 150 000 expatriés, 7 000 filiales d’entreprises et 8 000 soldats.

L’Hexagone est à 8 000 kilomètres de Mayotte, 9 300 de La Réunion, 15 000 de Tahiti, 16 000 de Wallis-et-Futuna et 17 000 de Nouméa. Ce simple constat nous fait prendre conscience de la tyrannie de la distance et nous remet en mémoire l’année 1982, celle de la guerre des Malouines, archipel situé à 12 500 kilomètres de Londres, ainsi que certaines des raisons qui encouragèrent les Argentins à envahir Port Stanley – un désintérêt du Royaume-Uni pour les territoires lointains, une réduction massive des capacités de la Royal Navy et l’annonce du non-remplacement du HMS Endurance, seule unité navale présente sur place. Il nous rappelle l’importance des forces prépositionnées.

Depuis 2018, en exécutant à l’euro près la précédente LPM, nous nous sommes enfin remis dans le sens de la marche. L’élan est poursuivi et amplifié avec celle que nous avons votée : 413 milliards d’euros seront consacrés à notre défense d’ici 2030. Comme les autres armées, la marine bénéficiera de cet effort budgétaire sans précédent. En 2024, première année de son application, les crédits augmenteront de 20 % en AE, à 6,588 milliards, et de 9 % en CP, à 6,324 milliards. Un effort particulier, en cohérence avec les priorités de la LPM, portera sur le MCO et les infrastructures, tant délaissées et qui ont tant souffert.

La marine est une arme de temps long. Les décisions d’aujourd'hui ont une portée excédant la vie des hommes qui les ont prises. Elles engagent les générations futures, devant lesquelles nous sommes responsables. Le dernier SNLE de troisième génération, dont la construction va commencer à Cherbourg, sillonnera encore les mers en 2090.

Le deuxième sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) de classe Suffren, le Duguay-Trouin, a été livré en 2023 ; le troisième, le Tourville, le sera en 2024. Une capacité souveraine de maîtrise des fonds marins, dotée de robots télé-opérés et de drones, est en cours de développement, ce qui permettra à notre pays de connaître, surveiller et agir jusqu’à une profondeur de 6 000 mètres.

Sur mer, la flotte de surface sera largement renouvelée, grâce à la poursuite de la livraison des patrouilleurs outre-mer (POM) et des bâtiments ravitailleurs des forces (BRF), ainsi que la commande des patrouilleurs océaniques, des frégates de défense et d’intervention (FDI), des nouveaux bâtiments de guerre des mines (BGDM) et du PANG, qui sera encore opérationnel en 2078. L’aéronavale ne sera pas en reste, grâce à l’entrée en service de nouveaux avions de surveillance et d’intervention maritimes Albatros, et, d’ici 2030, de huit systèmes de drones aériens pour la marine (SDAM).

Ces nouveaux équipements constituent une montée en gamme par rapport à ceux qu’ils remplacent, permettant à la marine de se déployer plus longtemps et plus loin, tout en faisait faisant face à des menaces de plus haute intensité. Par ailleurs, la LPM a ouvert des perspectives pour le successeur des bâtiments de transport légers (Batral) et d’un deuxième PANG, qui donnerait à la France la permanence à la mer d’un groupe aéronaval (GAN).

À ce sujet, je signale qu’il y a quelques jours, à la suite de la lâche attaque du Hamas sur les populations civiles israéliennes, le porte-avions américain USS Gerald R. Ford, qui était en escale à Marseille, a immédiatement pris la mer, rejoint par l’USS Dwight D. Eisenhower, soit deux des plus gros bâtiments de combat du monde, dont le plus gros. Dans cette période d’extrême tension, incluant un risque d’embrasement du Proche-Orient, le porte-avions Charles de Gaulle était au bassin pour un arrêt technique de plusieurs mois.

Il n’existe pas de grande marine sans marins. La LPM, dès sa première année d’exécution, répond au défi des ressources humaines, notamment par la revalorisation de la grille indiciaire et par le lancement du plan « famille » 2. Pour la marine, maintenir l’attractivité de ses personnels est une nécessité absolue. Il faut attirer, former et fidéliser les talents, qui sont nombreux. Je l’ai constaté il y a peu, à Mayotte, où, pour accomplir leur mission, ils font preuve d’une remarquable capacité d’inventivité et de résistance dans un environnement complexe, au service de la nation.

Nombreux sont les puissants signaux à l’attention de nos compétiteurs. La France compte dans la marche du monde. Nous n’avons pas l’intention d’être de simples spectateurs, même si cette situation semble confortable, voire attirante à certains, qui produisent peu ou pas d’efforts, attendant tout des efforts des autres. Tel n’est pas le choix de la France. Il faut de la persévérance, de la constance, et, selon Maurice Druon, cette « disposition de l’âme sans laquelle toutes les autres vertus seraient inopérantes : le courage ».

M. Jean-Marie Fiévet (RE). Lors de la guerre des Malouines, en 1982, la présence d’une importante flotte civile auxiliaire aux côtés de la Royal Navy a joué un rôle déterminant dans la victoire des Britanniques sur les Argentins. La Première ministre vous a confié une mission sur la réévaluation de la flotte stratégique. De cet exemple historique et de vos travaux, quelles recommandations retirez-vous pour la marine nationale ?

M. Yannick Favennec-Bécot (HOR). Tandis que la marine américaine est capable de déployer immédiatement un GAN à la suite de la lâche attaque du Hamas sur Israël, le porte-avions Charles de Gaulle est au bassin, en cours d’entretien. Est-ce une faiblesse ?

M. Jean-Michel Jacques (RE). L’exemple de la guerre des Malouines illustre l’importance du prépositionnement des forces. Des routes maritimes telles que le canal du Mozambique, le Sud-Est de La Réunion et les abords de Taïwan gagnent en importance. Notre programmation militaire fait-elle progresser, de façon cohérente, la prise en compte de ces enjeux ?

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Le champ de manœuvre des marins, c’est le monde, comme le montre le mot de Walter Raleigh.

Dans la mobilisation qui a fait suite à la lâche attaque dont a été victime Israël, les Américains ont notamment envoyé en mer Rouge le destroyer USS Carney, qui a engagé des missiles balistiques et des drones – dix-neuf en quelques heures –, probablement tirés du Yémen. Les frégates multimissions (Fremm) sont équipées de dix-huit missiles en silos verticaux, et doivent retourner au port pour se réapprovisionner.

Notre outil militaire intègre-t-il les menaces croissantes de haute intensité, qui exigent beaucoup de munitions ? Le nombre de coques n’est pas tout, le nombre de missiles par coque compte aussi.

M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Quel est l’état d’avancement du programme de système de lutte antimines navales futur (Slam-F) ? Estimez-vous qu’il y a des difficultés techniques, s’agissant notamment de la connectivité du drone de surface et du porte-drone ? L’entrée en phase de réalisation des BGDM est-elle toujours prévue pour 2024 ?

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. La flotte civile auxiliaire britannique a joué un rôle important à une époque où la marine britannique avait connu une très forte déflation. La Grande-Bretagne, économiquement et financièrement exsangue, avait tranché dans ses budgets militaires, notamment celui de la marine. Une seule unité, quasiment désarmée et sur le point de l’être, se trouvait aux Malouines. À ce très mauvais signal, les Argentins se sont empressés d’agir.

La marine britannique a rapidement compris qu’elle pouvait lier sa survie et son fonctionnement opérationnel à la marine civile. Les arsenaux britanniques ont construit sur des navires civils des pistes pour des hélicoptères ou des avions Sea Harrier. Une véritable armada de navires civils s’est ainsi formée. Flotte civile et flotte militaire ont formé un tout et travaillé en cohérence. En dépit de la tyrannie de la distance et de la difficulté à ravitailler une telle flotte, dont certains navires ont été coulés, les Britanniques ont réussi.

Le rapport sur notre flotte stratégique que j’ai récemment remis à la Première ministre rappelle la nécessité de travailler sur au moins deux aspects.

Le premier est l’ensemble des marins et des officiers de la marine marchande. Que devient un navire battant pavillon français dont la moitié de l’équipage refuse de naviguer en raison de son appartenance à la nationalité qui revendique tel ou tel territoire ? Je préconise le retour de la formation des officiers de la marine marchande avec ceux de la marine nationale, en plusieurs étapes.

Le deuxième aspect est industriel. On ne construit plus un seul bateau civil de 100 à 200 mètres en France. Même la Pologne ne fait que des morceaux de navires. Les seuls pays où l’on construit des navires civils sont le Sri Lanka, la Corée du Sud et la Chine, les deux premiers étant en perte de vitesse au profit du troisième.

Si, demain, nous voulons construire des navires océanographiques et des câbliers, qui ont une importance stratégique, et si les Chinois refusent de les construire, nous serons dans une situation délicate, d’autant que l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) a besoin de renouveler plusieurs de ses navires. Il faut réindustrialiser et faire en sorte que nous puissions à nouveau bâtir des navires chez nous, ce qui suppose de recréer une base industrielle, technologique et maritime.

Les Américains ont prépositionné des groupes aéronavals au large d’Israël pour envoyer aux pays qui l’entourent susceptibles d’intervenir militairement le message « Ne bougez pas ». Jusqu’au début des années 2000, nous avions deux porte-avions – le Clémenceau et le Foch, puis le Foch et le Charles-de-Gaulle. Lorsque le Foch a été désarmé, le projet de construire le sister-ship du Charles de Gaulle a été abandonné pour des raisons budgétaires – souvenons-nous des Britanniques à la veille de la guerre des Malouines !

Seuls deux pays ont, comme nous, des porte-avions à catapulte : les États-Unis et la Chine, qui en a trois. Nous en avons un. Or, en dix ans de vie, un porte-avions à propulsion nucléaire en passe trois au bassin. Statistiquement, nous n’avons pas de porte-avions 30 % du temps. Nous en faut-il un second ? Chacun le sait.

Comment faire ? Dans la LPM, nous avons adopté un amendement à ce sujet. À l’horizon 2025 ou 2026, une fois que nous aurons à peu près l’architecture et le coût du réacteur du PANG, nous saurons globalement combien il coûtera et combien coûterait le deuxième – 30 % de moins, à la louche.

Par ailleurs, deux porte-avions, ce n’est pas deux groupes aériens, mais un groupe aérien alternant entre les deuxou scindé en deux. Quoi qu’il en soit, en 2038, lors de la mise à l’eau du PANG, il y aura deux porte-avions dans la marine.

Le canal du Mozambique et le Sud-Est de La Réunion sont un passage éminemment important en cas de blocage du canal de Suez. Nous sommes positionnés sur les deux routes principales. À l’Est de Madagascar, il y a Mayotte, Europa, Juan da Nova, Bassas da India et les îles Glorieuses. La route maritime passant par le canal du Mozambique sera d’autant plus importante si le canal de Suez est fermé.

Or le respect par le droit ne tient qu’associé à la force. La route passant au Sud-Est de La Réunion est empruntée par un nombre croissant de bateaux, chinois notamment, transitant par le canal de Malacca, par où passe 30 % du trafic maritime mondial. Il faut disposer de moyens prépositionnés. Lors de notre déplacement dans la région, nous avons constaté une carence des moyens de l’action de l’État en mer.

Nous n’avons pas de remorqueur de haute mer. Je vous laisse imaginer ce qu’il adviendrait si un navire empli de pétrole subissait un jour une avarie et s’échouait à La Réunion. Nos moyens aériens sont rares. Il faudrait à demeure un avion de surveillance de type Falcon. Le travail satellitaire n’est pas suffisant, car le satellite, entre deux passages, ne voit pas tout. Les drones capables de voler quatre-vingt-dix jours peuvent remplir ces missions.

S’agissant de l’armement de nos navires, compte tenu du risque d’affrontement majeur en mer, de la mer vers la terre et de la terre vers la mer, nous devons, dès la conception des navires – par exemple celle de la corvette européenne (EPC) –, renforcer l’armement installé. Sur une FDI, les Grecs placent trente-deux missiles Aster. Nous en prévoyons seize. Sur les EPC, nous aurons besoin, contrairement à nos amis espagnols, d’une grande allonge. Les EPC remplaceront les frégates de surveillance (FS), dont les missiles antinavires ont été enlevés.

Il faut renforcer tout cela. Parce que nous devrons mener des combats de haute intensité et parce que les revendications territoriales ne cesseront d’augmenter, nos navires, certes particulièrement bien armés, devront l’être bien davantage.

S’agissant du Slam-F, la livraison des deux premiers modules, prévue en 2022 et en 2023, a été reportée à 2024 en raison de la crise du covid et un peu du Brexit. Je vous confirme que selon mes informations, l’entrée en phase de réalisation des bâtiments de guerre des mines est toujours prévue en 2024. Quant aux drones et aux bâtiments-bases de plongeurs démineurs (BBPD), ils seront absolument indispensables. Un amiral de la force d’action navale (FAN) s’occupe spécialement de la maîtrise des fonds marins : c’est dire le caractère sensible des tranches situées à 6 000 mètres de fond et au-delà.

 

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La commission en vient maintenant aux interventions des groupes politiques.

 

M. le président Thomas Gassilloud. Mes chers collègues, après la présentation ce matin des avis budgétaires de nos huit rapporteurs, l’ordre du jour appelle cet après-midi l’examen des missions Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation et Défense ainsi que du programme 152 Gendarmerie nationale de la mission Sécurités.

Mais avant de passer à l’examen des amendements et au vote sur chacune de ces missions, nous allons écouter les orateurs des groupes.

M. Jean-Michel Jacques (RE). Pour la septième année consécutive, le budget de la défense est en augmentation.

En 2024, il s’élèvera à 47,2 milliards d’euros, conformément à la trajectoire adoptée dans le cadre de la loi du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense, dite LPM 2024-2030. Il est supérieur de 14,9 milliards au budget de 2017 et de 3,3 milliards à celui de l’an dernier. La volonté du Président de la République, chef des armées, ainsi que celles du Gouvernement et du Parlement ont permis cette remontée en puissance significative.

Concrètement, l’impulsion donnée en 2017 a permis d’engager une modernisation capacitaire appréciée sur le terrain. Elle a eu un impact positif sur le quotidien des militaires. Nous avons désormais un socle solide et cohérent.

Après le temps de la réparation de nos armées vient celui de la transformation. Objectivement, le budget 2024 suit le cap que nous nous sommes fixé.

Tout d’abord, il poursuit les efforts de modernisation. Il permet de renouveler et d’entretenir nos équipements, grâce à 13,6 milliards de commandes pour les programmes à effets majeurs (PEM) hors dissuasion et à 5,7 milliards pour le maintien en condition opérationnelle (MCO) et d’importantes livraisons. En plus de satisfaire un besoin essentiel de nos armées, cela permet de soutenir notre tissu économique et d’ancrer progressivement notre industrie de défense dans une logique d’économie de guerre.

Ce budget garantit d’autres investissements participant au renforcement de notre autonomie stratégique, dans notre dissuasion nucléaire, pour rester crédibles, et dans des domaines hautement stratégiques tels que le spatial, les fonds marins, le cyber, le renseignement, les sphères informationnelles et l’innovation, afin de donner à nos armées des capacités de renseignement, d’analyse et d’action dans les champs hybrides, matériels et immatériels.

Par ailleurs, le budget 2024 profitera directement au quotidien des militaires, grâce notamment aux moyens mis en œuvre pour parfaire l’équipement du combattant et sa préparation opérationnelle, pour renforcer le plan « famille » à hauteur de 70 millions d’euros et pour améliorer la politique salariale.

Concernant la mission Anciens combattants, mémoire et lien avec la nation, l’attention que nous portons au monde combattant ne faiblit pas. La nation sait ce qu’elle doit à ses combattants. Sans surprise, les droits acquis par nos anciens combattants seront maintenus en 2024.

Il en ira de même des moyens alloués à la politique de mémoire. Ce budget de 1,8 milliard est dû au fait que 2024 sera une année importante pour la transmission de notre mémoire nationale, par le biais notamment du cycle de commémoration des 80 ans des débarquements et de la Libération, pour la mise en œuvre du plan Blessés 2023-2027 d’accompagnement des blessés et de leurs familles, ainsi que pour le renforcement du lien nation-armée et armée-jeunesse.

La mission Gendarmerie nationale bénéficie de 6,3 milliards dans le projet de loi de finances pour 2024, afin de continuer à assurer au quotidien la sécurité de nos territoires. Nous nous réjouissons de la création de 238 brigades de gendarmerie, dont deux seront dans ma circonscription, à Guidel et Bubry. Si nos gendarmes sont rattachés depuis une quinzaine d’années au ministère de l’intérieur, ils conservent toute leurs militarité, qui est importante pour notre République.

Ce qui est certain et dont nous devons continuer à nous porter garants, c’est que la nation n’oublie jamais ceux qui se sont engagés pour sa défense. N’oublions jamais ces femmes et ces hommes que leur engagement amène parfois, sur ordre, à donner la mort ou à aller jusqu’au sacrifice suprême.

En responsabilité et avec confiance, le groupe Renaissance votera ces trois budgets.

Mme Caroline Colombier (RN). Les auditions menées dans le cadre de l’examen pour avis du projet de loi de finances pour 2024 ont fait émerger un constat unanime : le monde est de plus en plus dangereux et il est marqué par le retour de la logique de confrontation. Nous avons donc la responsabilité d’adapter la dimension de notre outil de défense aux conflictualités que notre pays connaîtra. Même si cela n’est pas une fatalité, la trajectoire mondiale amènera probablement notre pays à s’impliquer dans des conflits qui ne seront plus choisis, mais subis.

L’adaptation aux défis et le dimensionnement de nos armées exigent l’exécution fidèle de la LPM 2024-2030. Le projet de loi de finances pour 2024 traduit les efforts demandés sur sa première marche, ce que nous saluons. Nos soldats, marins et aviateurs attendent beaucoup de nos travaux, dont nous espérons qu’ils ne seront pas parasités, en séance publique, par un énième 49.3. Si tel était le cas, nous comptons sur la présidence de cette commission pour y intégrer les amendements des oppositions, qui révèlent les points morts du budget à venir.

Car des points morts et des points de friction, il en existe.

Nous reparlerons des crédits alloués à certains projets de coopération internationaux, tels que le système de combat aérien du futur (SCAF) et le système principal de combat terrestre (MGCS), dont nous sommes convaincus qu’ils sont voués à l’échec diplomatique et industriel. Il serait salutaire d’y mettre fin au plus vite. L’aveuglement idéologique dont procèdent ces projets peut coûter cher au modèle d’armée que nous devons ériger au profit de la France et des Français. Dans ces grands projets, la priorité est de faire confiance à nos industriels, qui sont capables de miracles et contribuent, eux, à la défense active de notre souveraineté.

Nos amendements tenteront de révéler et de remédier à des manques capacitaires cruciaux. Ils viseront notamment à relancer la filière de munitions de petit calibre, ce qui semble ne trouver aucun écho au sein de la représentation nationale alors même qu’il s’agit d’un sujet essentiel, à sortir de la logique de flux tendus par la reconstitution de stocks stratégiques, à renouer avec une logique de masse, à faire remonter en puissance le service de santé des armées (SSA), à intégrer le drone volant à moyenne altitude et de longue endurance (MALE) Aarok dans nos programmes, à augmenter la rémunération des militaires, à étoffer les services de MCO pour éviter de recourir à l’externalisation, à acquérir un A400M supplémentaire, à rénover les infrastructures de défense – bref à donner à nos armées les outils pour qu’elles soient prêtes dès ce soir, pour reprendre le mot du chef d’état-major de l’armée de terre (CEMAT).

En responsabilité, nous voterons les crédits de la mission Défense, en cohérence avec notre vote sur la LPM 2024-2030, même si nous déplorons certains points morts.

S’agissant de la mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation, nous espérons qu’elle donnera lieu à la revalorisation du point de la pension militaire d’invalidité (PMI), afin de réparer une injustice notoire des budgets successifs. Les hommes et les femmes qui ont tout sacrifié pour notre pays méritent la reconnaissance de la nation. Alors même qu’ils ont combattu pour la France, ils subissent de plein fouet la vague d’inflation.

À l’unisson des associations que nous avons reçues, nous dénonçons la très faible revalorisation de la PMI, à hauteur de 1,5 %, prévue par le Gouvernement dans le budget 2024, alors même que l’inflation était de 5,2 % en 2022. Un amendement de notre groupe prévoit une revalorisation à hauteur de 5,2 %. S’il n’est pas intégré au budget, nous nous abstiendrons.

Sur les crédits du programme Gendarmerie nationale, nous nous abstiendrons également. Nous jugeons, comme les Français, que l’augmentation du budget et les récentes annonces de création de brigades ne sont pas à la hauteur des enjeux. Les émeutes de cet été nous inquiètent au plus haut point, d’autant qu’elles ont touché de plein fouet des petites communes habituellement calmes.

L’augmentation prévue ne suffit pas. Ces efforts sont insuffisants face à l’explosion de la délinquance, de l’immigration incontrôlée et de la prolifération de la drogue partout, même dans les campagnes. Toutefois, pour éviter de paralyser les moyens alloués à la gendarmerie nationale, nous nous abstiendrons.

La guerre n’est plus une hypothèse théorique. Elle constitue désormais un risque avéré. La France doit être indépendante, forte et souveraine dans ses équipements, dans sa doctrine d’emploi et dans sa vision stratégique.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). « La guerre est le domaine de l’incertitude », disait Clausewitz. L’enjeu est de réduire l’incertitude pour accroître ses chances de victoire.

Le budget de la défense que nous avons devant nous est un colosse par son montant et par son contenu. Il l’est plus encore par comparaison avec les précédents budgets qui, au nom de l’austérité et de la rationalité comptable, ont continuellement limé le glaive et émoussé le bouclier de la République.

En dépit de ce déversement de fonds et de mesures, nous devons nous demander si ce budget est à la hauteur des enjeux. Permet-il de dissiper la brume de l’incertitude qui règne sur le champ de bataille ? Au groupe de La France insoumise, nous pensons que non. Ce budget est un colosse aux pieds d’argile.

Le budget 2024 de la défense s’élève, hors pensions, à 47,2 milliards. Il respecte l’augmentation de 3,3 milliards prévus par la LPM 2024-2030. Les budgets de tous les programmes sont en augmentation. C’est un fait.

Toutefois, les prévisions d’inflation y sont minorées. Tous les responsables de programme que nous avons eu l’occasion d’auditionner témoignent de leur crainte que leur budget soit absorbé par l’inflation, dont certains redoutent qu’elle atteigne 10 %. Nous avons déposé des amendements visant à mieux tenir compte de l’inflation et à créer un nouvel indicateur pour recenser et mieux anticiper les reports de commandes qu’elle induit.

Ce budget souffre d’un manque de transparence. Les indicateurs de disponibilité des matériels et d’activité des forces armées font désormais l’objet d’une diffusion restreinte. Dès lors, la représentation nationale est en partie privée de ses outils pour contrôler l’action du Gouvernement, ce que nous déplorons. La contribution de la France à l’OTAN, quant à elle, n’est même pas présentée visiblement dans le projet annuel de performance (PAP), comme l’a relevé la Cour des comptes dans un récent avis.

Outre un manque de transparence, nous relevons un manque d’anticipation. La contribution au budget de l’OTAN pourrait s’élever à 830 millions d’euros en 2030, alors même que la France ne cesse de contribuer en nature au fonctionnement de l’Alliance, notamment par le biais de sa participation aux opérations de renforcement du flanc est de l’OTAN.

Comment cette contribution est-elle valorisée ? Quel financement de l’OTAN voulons-nous obtenir ? Avons-nous seulement une stratégie au sein de cette alliance qui n’a plus lieu d’être ou suivons-nous les États-Unis ? En l’absence de vision claire du Gouvernement sur ce point, nous avons déposé un amendement visant à obtenir un rapport sur la stratégie d’influence de la France au sein de l’OTAN.

Nous déplorons le manque de vision globale sur le long terme dont fait preuve le budget 2024, qui prévoit une stratégie « Climat et défense » mais n’explicite rien de concret, concernant notamment l’après-pétrole. Nous dressons malheureusement le même constat dans le domaine de l’espace, dont certains défis, tels que la météo spatiale et les débris spatiaux, sont oubliés.

En outre, ce budget persiste dans les errements de la coopération franco-allemande sur le SCAF et le MGCS, dont l’avenir reste plus qu’incertain. En misant tout sur le MGCS, la France s’expose à un risque sérieux de dépendance industrielle vis-à-vis de l’Allemagne et d’inadaptation de ses armées si elles étaient amenées à participer à un conflit majeur avant les années 2040-2045. Il est indispensable de développer une capacité souveraine telle que le char EMBT.

Faute de vision à long terme, ce budget ne permet pas de sécuriser l’appareil productif français dans des secteurs stratégiques tels que les supercalculateurs – l’entreprise Atos sera-t-elle sauvée ? – et la maîtrise des fonds marins, pour laquelle nous dépendons de l’entreprise Alcatel Submarine Networks (ASN). En refusant d’agir maintenant, la France risque de perdre pied et de rater la marche de la guerre de demain.

La mission Défense du projet de loi de finances pour 2024 soulève une question centrale, d’ordre à la fois démocratique et budgétaire, concernant la qualification juridique et le financement des missions opérationnelles, notamment les missions Aigle, en Roumanie, et Lynx, en Estonie. Ces missions remplissent tous les critères d’une opération extérieure (Opex). Les militaires qui y sont engagés bénéficient de presque toutes les dispositions applicables aux Opex, sauf de la bonification des pensions, ce qui n’est pas rien.

Pourtant, elles sont considérées non comme des Opex, mais comme des missions opérationnelles. Leurs dépenses de ressources humaines sont affectées au budget opérationnel de programme (BOP) Opex, ce qui apparaît comme un abus ; les autres dépenses sont financées directement par les armées. Elles pourraient – peuvent – bénéficier d’un financement interministériel inscrit au collectif budgétaire de fin d’année.

Outre le contournement démocratique évident du Parlement qu’elle constitue, cette situation provoque des tensions en gestion sur le programme 178 de la mission Défense. Nous avons déposé des amendements visant à assurer le financement des opérations Aigle et Lynx dans le cadre des Opex. Il s’agit d’assurer la sécurisation budgétaire des armées et de rendre sa place au Parlement, qui doit se prononcer sur leur opportunité.

Concernant la mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation, nous défendrons des amendements visant à améliorer la prise en charge des blessés psychiques et à étendre la reconnaissance des souffrances endurées par les orphelins victimes de barbarie durant la Deuxième Guerre mondiale et par les orphelins de parents incorporés de force et exécutés.

L’argent est le nerf de la guerre, nous en convenons, mais la stratégie en est le cœur. Sans stratégie cohérente ni vision globale, l’apport financier est vain. Ce budget, si imposant soit-il, ne permet pas à la France de dissiper le brouillard de l’incertitude. Nous voterons contre.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Le monde incertain dans lequel nous vivons et la nature même de la guerre nous plongent dans le fameux brouillard de la guerre de Clausewitz. Tout ce que peuvent faire un État ou une commission parlementaire, c’est essayer de trouver les solutions les plus adaptées pour faire face aux menaces qui peuvent se présenter.

Pour évaluer le budget et faire notre choix, nous suivons une règle que nous appliquons à la vie publique dans son ensemble : la cohérence. On ne peut pas voter une loi de programmation militaire et ne pas voter, quelques mois plus tard, le premier budget qui correspond à ce qu’elle prévoit à l’euro près. Ce n’est un scoop pour personne : notre groupe votera ce budget, d’autant que les choix stratégiques dont il procède nous semblent globalement cohérents.

Il assure la dissuasion, laquelle est le cœur du cœur. La sécurité de la France est à ce prix. La dissuasion, c’est la défense de nos intérêts vitaux. Tous les groupes, sauf ceux qui la refusent, auraient prévu des investissements similaires pour la financer.

Le reste procède d’une forme de pari. Il ne faut pas oublier que la défense est globale. Elle ne s’apprécie pas séparément de la situation économique du pays. Opter pour une défense forte et un pays surendetté, à la merci de ses créanciers, n’est pas une solution.

Dans la situation économique que nous connaissons, le pari est assez raisonnable. Il consiste à assurer la dissuasion à 100 % et à consentir des efforts pour la préparation de l’avenir dans la cohérence, notamment sur les segments maritimes – le rapporteur pour avis des crédits de la Marine nationale a rappelé ce matin à quel point les enjeux maritimes sont essentiels – et aéroterrestres.

Nous ne serons probablement pas engagés dans un conflit majeur dans les années à venir, du moins dans le cadre de l’OTAN, et nos alliés, notamment les Polonais et les Allemands, sont en premier rideau. Nous devons tenir notre rang de nation-cadre au niveau corps d’armée. Ce n’est pas le fantassin français qui tiendra le front de l’Est. Telle est la conséquence de ce budget, qui fait preuve de cohérence à l’aune des menaces probables, dont l’évaluation est la base de toute politique de défense.

Ce vote n’est pas un quitus. Nous nourrissons plusieurs inquiétudes, s’agissant notamment des coopérations internationales, dont notre groupe soutient la nécessité mais sans naïveté. Il faut être très vigilant et s’assurer qu’elles ne coûtent pas plus cher, qu’elles ne nous font pas perdre des actifs stratégiques, qu’elles correspondent aux besoins de nos armées et surtout que nous conservons notre liberté de manœuvre au grand export. Nous préparons une proposition de résolution visant à garantir par traité ces attendus, pour conjurer le risque que nos partenaires, notamment les Allemands par un vote du Bundestag, ne puissent défaire ce qui aurait été décidé dans les négociations entre les exécutifs.

Par ailleurs, nous serons vigilants pour que les marges budgétaires un peu augmentées que nous avons obtenues en commission mixte paritaire (CMP) à la demande de notre groupe et sur lesquelles nous sommes tombés d’accord se traduisent par de véritables effets sur la disponibilité opérationnelle des matériels et sur le taux d’entraînement de nos troupes. Nous ne sommes qu’au début de cette manœuvre : l’avenir nous permettra d’en juger.

Sans hésitation, notre groupe votera ce budget.

Mme Geneviève Darrieussecq (Dem). Au nom du groupe Démocrate, je salue l’effort budgétaire prévu par le projet de loi de finances pour 2024 en faveur de nos armées. Les crédits des missions Défense et Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation, ainsi que ceux du programme Gendarmerie nationale, traduisent très concrètement notre volonté d’achever la réparation et de poursuivre la transformation de nos armées, de soutenir au mieux nos soldats ainsi que leurs familles, et d’honorer la mémoire de ceux qui se sont battus pour la France.

Je rappelle, car certains ont l’air de l’oublier, que le budget 2017 de la défense était de 32,7 milliards. En 2024, il sera de 47,2 milliards. La marche était haute. Tout le monde peut s’accorder à dire que notre nation a consenti un effort considérable, certes nécessaire.

Les lois de programmation militaire sont là pour donner une vision à long terme. Contrairement à M. Lachaud, je pense que nous en avons une. Les nécessaires transformations et surtout adaptations aux menaces de nos armées sont bien comprises par nos armées, par le chef d’état-major et par la stratégie qu’il met en œuvre.

Nous devons continuer de privilégier la cohérence à la masse. Le budget pour 2024 des armées met l’accent sur la préparation opérationnelle, sur le MCO, sur le renouvellement des équipements et sur l’amélioration des conditions d’entraînement. Nous n’ignorons pas la nécessité de s’adapter aux nouvelles technologies et aux nouveaux milieux de conflictualité. Ce budget prévoit aussi des investissements importants dans des domaines clés des conflits de demain, tels que le cyberespace, l’espace, les fonds marins et le renseignement. Nous avons une vision d’avenir et de l’évolution des conflits concrète et réaliste.

Nous saluons également les efforts consentis pour le soutien aux soldats et à leurs familles. Notre groupe est très attaché au plan « famille ». Nos armées ne sont opérationnelles qu’avec des hommes et des femmes. Ils doivent vivre leur engagement, avec leurs familles, dans de bonnes conditions. Nous sommes très attachés au plan « famille 2 », auquel le budget alloue 70 millions.

Nous voterons ces crédits, qui nous semblent indispensables à nos armées.

J’appelle l’attention sur la nécessité de poursuivre la construction de l’Europe de la défense avec nos voisins. Le conflit en Ukraine nous a rappelé notre fragilité potentielle. Si nous optons pour l’émiettement, si chaque pays vit dans ses frontières avec ses seuls moyens, il sera difficile de maîtriser un conflit. Seule l’Europe de la défense peut y parvenir. Elle est un objectif vers lequel nous devons tendre, même si le chemin est long et difficile, même si les intérêts des uns et des autres sont parfois contraires. Nous devons nourrir cette vision à long terme avec force.

Le budget de la mission Anciens combattants mémoire et Liens avec la nation est un bon budget. Il assure un équilibre entre reconnaissance et réparation. Il permet d’améliorer le plan Blessés 2023-2027, au bénéfice notamment des blessés psychiques, dont la prise en charge, qui a été un angle mort de notre politique pendant de très nombreuses années, est désormais tout à fait identifiée. Nous devons accompagner ces personnes avec beaucoup d’attention.

Par ailleurs, 2024 sera une année commémorative importante. Des crédits significatifs ont été prévus. Les crédits consacrés à la politique de mémoire sont essentiels. Nous voterons les crédits de la mission Anciens combattants mémoire et Liens avec la nation.

Les crédits du programme Gendarmerie nationale sont en hausse de 4,8 %. Ils permettent la création de 1 045 emplois et servent deux ambitions pour l’année 2024 : la participation des gendarmes à la sécurité des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de Paris, où ils seront en première ligne, et la création annoncée de 200 brigades. Des points de fragilité subsistent, s’agissant notamment des infrastructures. Nous serons vigilants mais n’en voterons pas moins ce budget sans difficulté.

Mme Anna Pic (SOC). Trois mois après l’adoption de la LPM 2024-2030, nous sommes réunis pour examiner le premier budget visant à mettre en œuvre la trajectoire budgétaire et la vision stratégique entérinée à cette occasion. Si, comme lors de l’examen de la LPM 2024-2030, nous ne pouvons que saluer l’augmentation des crédits et le suivi de la trajectoire programmée, notre sentiment général est partagé.

Satisfaisants à certains égards, les budgets des missions Défense et Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation n’en sont pas moins contestables. Le groupe Socialistes et apparentés fait part de divergences de vision s’agissant de la répartition des crédits et des choix effectués.

S’agissant de la mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation, plusieurs points saillants démontrent les limites de ce budget.

En premier lieu, la revalorisation du point d’indice de la PMI à hauteur de 1,5 est loin d’être suffisante compte tenu de l’inflation. D’une même voix, les représentants d’associations d’anciens combattants que nous avons auditionnés la semaine dernière ont exprimé, avec force et solennité, leur inquiétude à ce sujet. En effet, l’inflation attendue cette année devrait s’élever à 5,8 %, en augmentation par rapport à 2022, et risque de rester supérieure à 3,5 % pendant de longs mois. L’inquiétude teintée d’amertume de nos anciens combattants est parfaitement légitime. Le Gouvernement doit faire beaucoup mieux à cet égard. Nous défendrons une proposition visant à évaluer l’opportunité d’une concomitance entre la valeur du point PMI et celle du point d’indice de la fonction publique.

En deuxième lieu, malgré un budget en hausse, les crédits alloués à la vie commémorative semblent sous-évalués. En effet, 2024 sera l’année du quatre-vingtième anniversaire du débarquement en Normandie. Les commémorations afférentes, si importantes soient-elles, risquent d’absorber à elles seules, dès le mois de juin, l’enveloppe budgétaire. Il ne s’agit pas de remettre en cause ces crédits ni la nécessité de commémorer cet événement singulier de notre histoire, mais, bien au contraire, de souligner la faiblesse du budget global à l’aune du contexte. Le sous-dimensionnement des autres commémorations risque d’être inévitable, ce qui laissera aux collectivités locales, dont les finances sont bien souvent exsangues, le soin de les financer. Nous ne pouvons pas accepter cette situation.

En troisième lieu, nous déplorons la non-attribution du statut de blessés de guerre aux vétérans ayant participé aux essais nucléaires en Polynésie française et dans le Sahara, alors même qu’ils sont victimes de maladies radio-induites. Il s’agit d’un angle mort majeur. La réparation financière dont bénéficient ces vétérans doit être attribuée au titre de blessures subies dans le cadre de leurs fonctions militaires et non en tant que civils.

Nous défendrons d’autres amendements, visant notamment à la mise à jour de la liste des opérations ouvrant droit au bénéfice de la carte du combattant et à la modification de l’âge à partir duquel certaines allocations sont octroyées. De façon globale, nul besoin d’être économiste pour comprendre qu’une stabilité des crédits alloués dans un contexte inflationniste signifie une baisse de budget.

En dépit du déploiement, salué et auquel nous sommes très attentifs, des maisons ATHOS et de plusieurs mesures que nous attendions, nous ne voterons pas le budget de la mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation.

S’agissant de la mission Défense, plusieurs points méritent une attention particulière.

Le premier d’entre eux n’est pas sans incidence sur nos militaires en exercice et sur notre politique de recrutement : il s’agit de la politique de rémunération. En dépit de la prochaine finalisation de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) et de la récente revalorisation des grilles, le rééquilibrage du traitement indiciaire et indemnitaire des militaires est longtemps resté un impensé de la politique gouvernementale.

Les informations nous manquent pour être convaincu qu’une prise de conscience a eu lieu. Compte tenu de la réduction du nombre d’Opex et des salaires pratiqués dans le secteur privé, un tel rééquilibrage est pourtant la mesure la plus appropriée pour relever les défis de l’attractivité et de la fidélisation de nos troupes.

Le deuxième point sur lequel nous souhaitons appeler l’attention est le bâti, notamment la vétusté de nos bases de défense et la baisse considérable du budget relatif aux infrastructures de santé. Les difficultés récurrentes, dénoncées par la Cour des comptes dans un rapport publié en juin dernier, ne semblent pas près d’être résorbées. La remise à niveau complète des hôpitaux militaires est pourtant essentielle pour le SSA.

Le troisième point ayant appelé notre attention est l’augmentation du budget des écoles militaires de 3 % seulement, alors même que l’inflation est supérieure à 5 %, et même très supérieure sur leurs principaux postes de dépenses que sont l’énergie et l’alimentation.

D’autres points nous ont interpellés, notamment le projet de fusion de l’école nationale supérieure de techniques avancées (ENSTA) Paris et de l’ENSTA Bretagne, dont les deux diplômes ne jouissent pas d’une reconnaissance au même niveau. Nous serons vigilants à l’évolution de ce projet.

Par ailleurs, en dépit d’une hausse importante des crédits, nous nourrissons des doutes sur la préparation opérationnelle. Comment satisfaire aux critères de l’OTAN si l’on manque d’hommes et de matériel pour réaliser la préparation ?

Sur ce budget, nous nous abstiendrons.

La mission Sécurités a été érigée par la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi) en étendard. Le groupe Socialistes et apparentés estime, comme l’an dernier, que la réforme territoriale de la police nationale risque d’affaiblir les capacités de la police judiciaire. Par ailleurs, le budget pour 2024, pas davantage que le précédent, ne prévoit aucun équivalent temps plein (ETP) supplémentaire pour la sous-action 06.01 Formation de la police nationale. Nous proposerons d’en augmenter les crédits de 100 millions.

Nous voterons contre les crédits de la mission Sécurités.

M. Loïc Kervran (HOR). Au nom du groupe Horizons et apparentés, je tiens à exprimer notre profonde satisfaction de l’augmentation substantielle du budget de nos forces armées. Pour l’année 2024, notre pays consacrera 47,2 milliards à sa défense, soit quasiment 50 % de plus que ce qu’il dépensait en 2017 et 3,3 milliards de plus que l’année dernière. Il s’agit d’une augmentation sans précédent.

Cet accroissement budgétaire est en parfait accord avec les objectifs de la LPM 2024-2030. Plus profondément, il est aussi en accord avec nos obligations morales.

Notre première obligation morale est envers les hommes et les femmes qui servent ou ont servi la France. Clemenceau a eu, au sujet des anciens combattants, ce mot célèbre et souvent cité : « Ils ont des droits sur nous ». Nos devoirs envers ceux qui défendent la France et ses valeurs de nos jours ne sont pas moindres. Nous devons leur fournir un équipement individuel et des véhicules qui les protègent efficacement, leur donner les armes et le renseignement leur assurant la supériorité et la victoire, et mieux les rémunérer. C’est ce que fait ce budget.

Notre deuxième obligation morale est envers les Français. Le monde dans lequel nous évoluons est dur et dangereux, chaque jour un peu plus. Les autres pays s’arment, mettent à l’eau des flottes, constituent des stocks de munitions. La guerre est là en Ukraine, en Arménie, au Mali, en Israël ; l’agressivité contre la France et ses intérêts, quotidienne. Nous n’avons pas le droit de ne pas nous donner les moyens d’assurer la sécurité des Français.

Ce budget renforce nos capacités dans tous les domaines prioritaires identifiés par la LPM 2024-2030. Nous allouons des ressources considérables à l’innovation, à l’espace, à la défense sol-air, aux drones, au cyber, aux forces spéciales, au renseignement et à la souveraineté outre-mer : autant d’investissements essentiels pour maintenir à niveau notre sécurité nationale et notre rôle sur la scène internationale.

En 2024, grâce à ce budget et à la mobilisation de nos industriels, il y aura plus d’avions, plus de canons, plus d’hélicoptères, plus de drones, plus de munitions. J’en donnerai deux exemples, offerts par deux entreprises présentes dans le département du Cher, qui contribue tant à la défense de notre nation. L’année prochaine, huit canons Caesar sortiront chaque mois des usines de Nexter, contre deux en 2022, et MBDA fabriquera bientôt quarante missiles Mistral par mois contre vingt jusqu’à présent.

Ce budget permet de renouveler l’engagement de la France dans une collaboration étroite avec ses partenaires européens et de l’Alliance Atlantique. Nous nous félicitons du maintien du soutien financier de l’État aux programmes de coopération bilatérale et européenne visant au développement de nouvelles technologies d’armement, tels que le SCAF et le MGCS.

L’encouragement aux initiatives diplomatiques dans le domaine de la défense doit se poursuivre. Nous saluons la coopération militaire lancée cette semaine avec l’Arménie. L’investissement continu dans notre dissuasion nucléaire est lui aussi fondamental, car il constitue le pilier de notre souveraineté nationale et une garantie supplémentaire de l’autonomie stratégique de l’Europe.

En examinant ce budget, nous ne devons pas oublier le caractère profondément humain de l’action du ministère des armées. Nous nous réjouissons de la mise en œuvre du plan « famille 2 », des moyens dédiés à la modernisation des infrastructures et des lieux de vie des militaires, ainsi que des efforts du ministère en matière de logement et d’environnement.

Convaincu que ces ressources sont essentielles pour garantir la sécurité de notre nation, renforcer notre position sur la scène internationale et soutenir nos militaires ainsi que leurs familles, le groupe Horizons et apparentés votera les crédits de la mission Défense.

Nous voterons également les crédits de la mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation. Je tiens à partager ma satisfaction de constater que les crédits de cette mission dédiée seront stables en 2024, en dépit de la baisse tendancielle du nombre de bénéficiaires de l’Office national des combattants et des victimes de guerre (ONACVG). Le plan Blessés 2023-2027 permettra une prise en charge et un suivi toujours plus poussés des soldats, dès leur retour de mission ou d’Opex.

Par ailleurs, l’année 2024 sera riche en commémorations célébrant les 80 ans de la Libération. Les crédits supplémentaires alloués à la politique de mémoire devront permettre d’y associer autant que possible les associations, la jeunesse et tous les Français. Quant aux harkis et leurs familles, le groupe Horizons et apparentés soutient le renouvellement des engagements de l’État à leur égard.

S’agissant du programme Gendarmerie nationale, nous saluons la création de 238 brigades, qui marque la volonté d’assurer la présence de l’État sur tout le territoire et de porter une attention particulière à la sécurité des habitants des zones rurales.

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La commission en vient à l’examen, pour avis, des crédits de la mission « Défense »

 

 

Article 35 et état B : Crédits du budget général

 

Amendement II-DN6 de Mme Valérie Rabault

Mme Isabelle Santiago (SOC). Cet amendement du groupe Socialistes et apparentés vise à augmenter de 5 % la dotation dite du gasoil, allouée à nos forces armées, afin de tenir compte des incertitudes et des risques internationaux qui pourraient affecter le prix du pétrole. Notre demande intègre la hausse des tarifs de cession qui pourrait se poursuivre, ainsi que du volume de carburant nécessaire à l'activité de nos forces armées en 2023. Nous déposons régulièrement cet amendement.

L’amendement procède à une écriture administrative pour gager la dépense, mais nous souhaitons que le Gouvernement lève le gage en cas d’adoption de l’amendement.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis (Soutien et logistique interarmées). La hausse du coût des carburants est un sujet important. En 2022, le budget prévisionnel a été dépensé dès la fin du premier semestre. La gestion du compte courant de commerce du service de l’énergie opérationnelle (SEO) et celle du programme 178 Préparation et emploi des forces se retrouvent sous tension.

Je vous demande de retirer votre amendement car j’en ai déposé un sur le même sujet, mais le mien prévoit une augmentation des crédits de 100 millions d’euros quand le vôtre se contente d’une hausse de 1 680 040 euros. Si vous souhaitiez le maintenir, je voterais tout de même en sa faveur.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN7 de Mme Mélanie Thomin

Mme Isabelle Santiago (SOC). Il vise à abonder les crédits dédiés à la préparation des forces navales car, à 89 %, la fonction de protection est la plus faible de toutes les forces armées ; le constat est particulièrement préoccupant pour la sécurité de notre zone économique exclusive (ZEE). Comme l'indiquait le projet annuel de performances (PAP) de la mission Défense du PLF pour 2023, le niveau de couverture des zones de surveillance maritime devrait se maintenir à 68 % jusqu’en 2025 et le parc des moyens aériens et maritimes resterait quantitativement équivalent. Ce taux de couverture restant très faible, nous proposons d’augmenter les crédits de paiement alloués à la préparation des forces navales.

 

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis (Préparation et emploi des forces : Marine). La dernière LPM a consacré une montée en puissance de la préparation des forces navales. Le PLF pour 2024 affiche une augmentation des autorisations d'engagement de 20 % et des crédits de paiement de 9 % ; cet effort sera poursuivi toutes les années couvertes par la LPM. J’émets un avis défavorable à cet amendement.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN10 de Mme Mélanie Thomin

Mme Isabelle Santiago (SOC). Il vise à augmenter les crédits du plan « famille 2 », afin de faire porter l’effort financier en début de période de programmation et de s’assurer que les crédits de paiement disponibles sont en phase avec les autorisations d'engagement du PLF pour 2024.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Plus tôt nous pouvons agir pour les familles, mieux c’est : le chantier est tel que ces 7 millions d’euros supplémentaires dès l’année prochaine seront utiles. L’avis est favorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN16 de Mme Anna Pic

Mme Isabelle Santiago (SOC). Il vise à restaurer un niveau de crédits équivalent à celui de 2023 pour la rénovation et la création des infrastructures des bases de défense.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Pour les mêmes raisons que pour l’amendement précédent, l’avis est favorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN17 de Mme Mélanie Thomin

Mme Isabelle Santiago (SOC). C’est le même amendement, mais il concerne le logement des familles de militaires.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

 

 

Amendement II-DN18 de Mme Isabelle Santiago

Mme Isabelle Santiago (SOC). Il vise à doubler les crédits alloués à la transition écologique dans le ministère des armées. Celui-ci a élaboré un plan Climat, mais il importe d’augmenter les crédits dans ce domaine pour que la transition s’opère le plus rapidement possible.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Le ministère des armées possède de très nombreux bâtiments fort vétustes, qui n’offrent pas le confort nécessaire aux militaires et à leurs familles. Il est indispensable d’agir rapidement, car les passoires thermiques ne contribuent pas à la fidélisation des militaires. L’avis est favorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN19 de Mme Anna Pic

Mme Isabelle Santiago (SOC). Il vient compenser par un montant de 1,2 million l’une des conséquences financières de l’externalisation des services de restauration et d’alimentation des armées : le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée pour 2024. Beaucoup de restaurants sont passés en gestion déléguée ; nous préférerions que ce service reste assuré en interne.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Demande de retrait. Il ne faut pas confondre les concessions au profit de l’économat des armées, très bel instrument, établissement public historiquement uni aux armées par des liens étroits, et l’externalisation de la restauration. Les concessions à l’économat permettent une véritable rénovation du bâti et rendent ainsi un service sans externalisation, contrairement à certains mécanismes antérieurs qui étaient réellement problématiques.

Mme Isabelle Santiago (SOC). Je ne retire pas l’amendement, car il a pour première signataire ma collègue Anna Pic, qui s’est appuyée pour l’écrire sur des situations qu’elle connaît dans sa circonscription.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN20 de Mme Anna Pic

Mme Isabelle Santiago (SOC). Lors de son audition par la commission de la défense le 3 octobre dernier, le ministre Lecornu évoquait une augmentation de l’ordre de 70 millions des crédits alloués au service de santé des armées dans le PLF pour 2024. Or, s’il est vrai que le budget des sous-actions Fonction santé des programmes 178 et 212 augmente, au total, les crédits alloués à la santé dans nos armées connaissent une baisse de 23 millions.

En outre, dans un rapport de juin dernier, la Cour des comptes soulignait : « Les difficultés récurrentes du ministère des armées à inscrire dans sa programmation budgétaire la remise à niveau complète des hôpitaux militaires, nécessaire tous les soixante ans, concernent actuellement l’hôpital Laveran de Marseille, élément essentiel du dispositif du service de santé des armées, dont la reconstruction devient urgente. En juin 2023, la reconstruction du futur hôpital sur le site de la caserne Sainte-Marthe d’ici à 2030 a été annoncé par le Président de la République, mais le financement de cette opération n’a pas été prévu dans le rapport annexé au projet de loi de programmation militaire 2024-2030. »

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Vous avez raison en ce qui concerne Laveran. C’est un vrai problème : nous votons une LPM et, dans la foulée, avant même la commission mixte paritaire, le Président annonce la création d’un nouvel hôpital qui n’est pas du tout financé dans la LPM. Il faut donc abonder le budget du SSA pour cela. Avis favorable.

Il est également nécessaire, vu notre contribution à l’Otan, de nous interroger sur les contreparties que l’Alliance peut nous apporter : selon certains, le financement de cet hôpital pourrait bénéficier de fonds de l’Otan. Le Gouvernement doit être plus explicite sur ce point.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN21 de Mme Anna Pic

Mme Isabelle Santiago (SOC). Il vise à lisser les crédits liés à la cyberdéfense sur les prochaines années de la LPM.

Conformément aux engagements pris dans le cadre de cette dernière, les enjeux de cyberdéfense bénéficient dans ce PLF d’une attention particulière, comme en témoigne l’augmentation considérable des crédits qui leur sont alloués. Si le développement de nos capacités cyber est une absolue nécessité, d’autres postes subissent en parallèle une baisse de crédits. Voilà pourquoi nous proposons ce lissage et une hausse de 100 millions au profit de la sous-action Infrastructures de santé du programme 178. La construction de l’amendement est due aux contraintes de l’article 40.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Tout ce qui permet d’avancer les dépenses qui ont été rejetées à la fin de la LPM est une bonne chose. Favorable.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis (Équipement des forces Dissuasion). Les 500 millions consacrés au cyber représentent une accélération souhaitée par tous les groupes et qui a fait l’objet de nombreux échanges avec les militaires et civils entendus par notre commission. Je ne comprends pas que l’on veuille ainsi déshabiller Pierre pour habiller Paul. Le PLF pour 2024 en ferait trop pour la cybersécurité ? On ne peut pas se plaindre d’insuffisances ou de retards dans certains domaines, puis défendre de tels amendements. Croyez-nous, la copie reste équilibrée et l’effort en matière de cyber est nécessaire. Je suis très défavorable à cet amendement.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Moi aussi. Le propre d’une LPM est la cohérence. Ce jeu de ping-pong n’est pas très sérieux. Il y a beaucoup d’orgueil à croire que l’on peut jongler ainsi avec 100 millions.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN22 de Mme Anna Pic

Mme Isabelle Santiago (SOC). Il vise à abonder les crédits en faveur des écoles militaires.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Ces crédits sont augmentés de 3 % pour 2024. Il s’en ajoute d’autres que l’on ne voit pas car ils viennent de l’extérieur. Je pense notamment au PEM (Pôle écoles Méditerranée), qui a des coopérations avec la région et envoie des marins en formation à la Coudoulière, à Six-Fours.

En outre, les infrastructures de la Marine, bénéficient d’une augmentation de 8 % en crédits de paiement en 2024, pour un total de 157 millions d’euros (hors dissuasion).

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN29 de M. Frédéric Boccaletti

M. Frédéric Boccaletti (RN). Il tend à abonder de 100 millions le programme Environnement et prospective de la politique de défense, afin de réunir les fonds nécessaires à la bonne réalisation du projet de création du bataillon de réservistes du renseignement en 2024.

Les récents événements internationaux ont mis sur le devant de la scène l’importance du renseignement humain combiné au renseignement technique. Il est indispensable de prévoir un budget destiné à ce poste stratégique pour nos armées et nos intérêts.

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis (Environnement et prospective de la politique de défense). Demande de retrait ou avis défavorable.

La brigade de renseignement a été dissoute en 2016 au profit du commandement du renseignement. Votre amendement me permet toutefois de souligner le rôle que les réservistes jouent dans le domaine du renseignement – je pense en particulier à la DGSE (direction générale de la sécurité extérieure) et à la DRSD (direction du renseignement et de la sécurité de la défense), qui relèvent toutes les deux du programme 144 dont je suis rapporteur pour avis. Mais si vous créez une brigade au sein de l’armée de terre, elle doit relever de l’armée de terre, c’est-à-dire du programme 178 et non du programme 144 comme vous l’indiquez dans le dispositif de votre amendement.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis (Préparation et emploi des forces : Forces terrestres). Même avis.

Je salue l’importance des réservistes de l’armée de terre. Celle-ci est en train d’adapter en profondeur son modèle et sa doctrine d’emploi des réservistes pour préparer le doublement de leur nombre, prévu dans le cadre de la LPM. Cette refonte se fera dans la durée. Le besoin est élevé s’agissant de la création d’une réserve de compétences, mais il est encore trop tôt pour évaluer précisément les crédits spécifiquement nécessaires au bataillon de réservistes du renseignement et il ne m’apparaît pas opportun de flécher des crédits, en particulier vers ce poste, alors que d’autres fonctions critiques, comme le cyber ou la maintenance, ont également besoin d’être renforcées par des réservistes.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN34 de M. Julien Rancoule

M. Julien Rancoule (RN). Avoir une dissuasion nucléaire consolidée, de grands programmes d’armement renouvelés et de grandes ambitions dans le domaine du spatial ne doit pas nous faire oublier qu’à la fin des fins, sur le terrain, quand le militaire se retrouve face à l’ennemi, il a besoin d’une cartouche pour se défendre contre celui qui veut le tuer.

La France est le seul membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies à ne pas avoir de filière nationale de production de munitions de petit calibre. Nous ne pouvons pas l’accepter. Nous devons apprendre des dernières années – je pense aux pénuries de masques et de médicaments que nous ne produisions même plus en France. N’ayons pas la même naïveté s’agissant des munitions de petit calibre : en la matière aussi, nous pouvons connaître des situations exceptionnelles qui fragiliseraient les acheminements. L’amendement vise à relancer cette filière sur notre territoire.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. La relocalisation de filières critiques pour l’approvisionnement de nos armées, dont celle dont vous parlez, est un sujet important et une exigence de la loi de programmation militaire. Notre commission avait amendé le rapport annexé de la LPM en ce sens. Soyez donc rassuré sur ce point.

Néanmoins, il serait prématuré d’inscrire à cette fin des crédits dans la loi de finances pour 2024, notamment au profit du programme 146 : le sujet nécessite des travaux structurels, en lien avec les industriels, qui ne se relancent pas d’un trait de plume sur un programme aussi important.

Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

M. Julien Rancoule (RN). Nous préconisions cette relocalisation dans le rapport de la mission flash sur les stocks de munitions dont j’étais rapporteur avec Vincent Bru. Dans ce cadre, nous avions rencontré des industriels et des personnes de différents ministères, dont l’intérieur ; ils nous avaient dit qu’un projet était déjà dans les tuyaux et que les munitions devaient commencer à être produites fin 2024. Il serait donc parfaitement pertinent de voter dans ce PLF un budget destiné à appuyer ce projet.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. La LPM 2024-2030 prévoit une enveloppe de 16 milliards d’euros en faveur des munitions, notamment de petit calibre. Vous avez donc été entendu.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN38 de Mme Caroline Colombier

Mme Caroline Colombier (RN). Il vise à alerter le Gouvernement sur la nécessité, dans un objectif d’attractivité, de fidélisation et de disponibilité des réservistes opérationnels des trois armées, de leur accorder une carte de circulation militaire, au même titre qu’à leurs camarades d’active.

Cela permettrait de faciliter leurs déplacements sans surcharger la cellule de transport régimentaire par la demande de bons unitaires de transport, de les fidéliser par une réduction de 75 % sur leurs voyages sur le réseau ferroviaire national et de rendre attractive la réserve opérationnelle.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. C’est un amendement d’appel au Gouvernement, qui n’est pas représenté ici. Je vous invite donc à le retirer pour le redéposer en vue de la séance, en espérant qu’il n’y aura pas eu de 49.3 d’ici là et que vous aurez une réponse du ministre.

La commission adopte l’amendement.

 

 

Amendement II-DN40 de Mme Caroline Colombier

Mme Caroline Colombier (RN). Avant le projet Fomedec (formation modernisée et entraînement différencié pour les équipages de chasse), la formation des pilotes comprenait des étapes sur le TB-30 Epsilon et l’Alphajet. Fomedec a fusionné les phases d’Epsilon et Alphajet, conservant seulement la transition opérationnelle à Cazaux. Avec le projet Mentor présenté en 2019, cette phase se déroule à Cognac, grâce à des PC-21 de nouvelle génération, plus économiques. Mais leur nombre ne permet pas à l’ensemble des élèves de s’entraîner pour honorer leur contrat opérationnel ; on a besoin de cinq nouveaux PC-21 NG, dont le coût est estimé à 12 millions l’unité.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Vous avez raison de souligner l’apport de ces avions à la formation des pilotes, qui permettent notamment de se familiariser avec l’avionique du Rafale, et leur avantage économique. La base de Cognac recevra bientôt des drones Male (volant à moyenne altitude et de longue endurance) et des ALSR (avions légers de surveillance et de reconnaissance). Le chef d’état-major ne nous a fait part d’aucune alerte au sujet des PC-21. Avant les neuf commandés en 2021, l’armée de l’air et de l’espace en avait déjà dix-sept.

Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN41 de Mme Caroline Colombier

Mme Caroline Colombier (RN). Si la LPM prévoit une augmentation de 460 ETP d’ici à 2030, le niveau des années 2015-2016 est loin d’être atteint alors que le SSA a subi une dizaine d’années d’arbitrages budgétaires défavorables. Un rapport d’information sénatorial a alerté sur la pénurie, qui pourrait coûter cher dans l’hypothèse d’un conflit de haute intensité. Il convient donc de renflouer l’enveloppe consacrée aux ressources humaines du SSA en l’abondant de 20 millions en autorisations d’engagement et en crédits de paiement.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Je comprends l’objectif, mais je doute que 20 millions suffisent. Les postes sont ouverts, mais non pourvus ; ce n’est donc pas en en ouvrant davantage que l’on rehaussera les effectifs. Et avec 20 millions, on ne peut pas à la fois ouvrir les postes et revaloriser significativement les rémunérations. Une réflexion plus globale est nécessaire.

Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN42 de Mme Caroline Colombier

Mme Caroline Colombier (RN). Le rapport d’information sénatorial que j’ai cité signale l’urgence d’accélérer l’acquisition de groupements médico-chirurgicaux (GMC) dans la perspective d’un conflit de haute intensité. Pour préparer le SSA à un engagement majeur, la priorité est de reconstituer sa capacité à déployer des hôpitaux de campagne. Il apparaît donc essentiel d’acquérir dès 2024 trois GMC de plus, pour un coût total de 18 millions.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Même avis que sur le précédent amendement. Nous n’avons malheureusement pas les effectifs qui permettraient d’armer ces trois GMC supplémentaires. Il faut d’abord recruter et, pour cela, rendre le SSA plus attractif.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN43 de Mme Caroline Colombier

Mme Caroline Colombier (RN). Selon la LPM, l’armée de l’air et de l’espace prévoit l’acquisition de six systèmes de drones Male Eurodrone d’ici à 2035, pour un montant initial de 2 milliards. Toutefois, lors du vote final de la LPM, il n’était pas encore question du drone Male Aarok, développé par Turgis & Gaillard. Véritable vedette du Salon du Bourget, ce drone français moins coûteux et plus léger que l’Eurodrone a suscité l’intérêt des armées, à commencer par le chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace, qui s’est déclaré « prêt à payer pour voir » lors d’une audition ici même.

Le PLF pour 2024 offre précisément l’occasion de payer pour voir, en vue de doter les armées, si les premiers achats sont concluants, d’un outil souverain de surveillance et de renseignement. Le coût unitaire est estimé entre 5 et 10 millions. Il conviendrait de doter nos armées de quatre appareils, ce qui représente un investissement relativement peu important au regard des gains capacitaires et des retombées économiques attendus.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Nous avons tous été bluffés par ce drone. Le ministre lui-même, au Sénat, l’a jugé très intéressant. Son premier vol devrait avoir lieu dans quelques mois. Malgré l’intérêt qu’il suscite et le retard que nous accusons dans ce domaine, il est donc encore trop tôt pour engager en 2024 des crédits de paiement sur ces capacités précises.

La LPM prévoit de consacrer 5 milliards aux drones. Nous sommes d’accord concernant l’objectif et la solution. Patience !

Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). En effet, nous avons tous été frappés par ce produit de Turgis & Gaillard, et je suis d’accord avec le chef d’état-major de l’armée de l’air : cela vaut la peine de payer pour voir. Mais je ne voterai pas l’amendement, car le drone ne vole pas encore. Il faudra envisager de lui consacrer des crédits, à l’intérieur de l’enveloppe de 5 milliards, dès que nous aurons la certitude que le vecteur et les différents effecteurs fonctionnent. Je ne suis pas du tout contre l’amendement ; simplement, c’est trop tôt.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis (Préparation et emploi des forces : Air). Je soutiens l’amendement. Il faut envoyer des signaux positifs à notre BITD, surtout quand elle est « rafraîchissante » : ici, une entreprisequi a développé sur fonds propres un projet que les grands consortiums mettent plusieurs années à faire aboutir – je ne reviens pas sur les délais de développement  de l’Eurodrone. Ce produit a la confiance de la DGA (direction générale de l’armement) et du ministre ; il a été vendu en Ukraine pour un essai : si les Ukrainiens ont mis de l’argent pour le développer, je ne vois pas pourquoi nous n’en ferions pas autant.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Le signal que vous souhaitez est envoyé par la LPM : ce sont les 5 milliards, que nous investirons dans des solutions réellement éprouvées. Ne vous inquiétez pas : dans quelques mois, le sujet sera traité.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Il y a effectivement un projet avec la BITD ukrainienne, mais il ne s’agit pas du même modèle que celui qui pourrait intéresser les armées françaises : celui-là est plus simple, avec une motorisation plus légère et des objectifs qui ne sont pas exactement les mêmes. Si l’idée est un produit sinon alternatif à l’Eurodrone, du moins complémentaire, ce n’est pas cela qui est vendu à l’Ukraine.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN46 de M. Michaël Taverne

Mme Caroline Colombier (RN). La BITD française constitue un pilier solide de notre économie et les grandes entreprises de ce secteur en sont autant de fleurons. En effet, les exportations d’armement constituent pour tout un pan de notre industrie une véritable force d’entraînement d’autant moins négligeable que notre pays ne cesse de battre des records de déficit commercial et de baisse de la part de l’industrie dans la production nationale de richesses.

Dans ce contexte, la baisse de 8,1 % du budget alloué à la politique de soutien aux exportations conduite par la DGA apparaît parfaitement contre-productive, alors même que l’État se doit, tout autant pour la BITD que pour le reste de nos entreprises, notamment industrielles, de soutenir l’export et de promouvoir nos productions nationales.

Nous proposons donc d’abonder de 5 millions le budget de la sous-action DGA/Soutien aux exportations de l’action 52 du programme 212.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Nous souhaitons que la BITD puisse se développer sans être dépendante de l’export. Un soutien appuyé à l’export ne garantirait pas la souveraineté du pays : si notre BITD dépend des achats d’autres puissances, nous serons dans leur main.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN49 de M. Emeric Salmon

M. Laurent Jacobelli (RN). Les conditions de logement sont importantes pour attirer et fidéliser les militaires. En préparant notre rapport d’information, mon collègue Chenevard et moi-même avons constaté combien la question était récurrente. Or 25 % seulement du patrimoine immobilier de la défense est en état. Nous proposons donc des crédits supplémentaires pour que nos soldats vivent dans des conditions décentes.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. La somme proposée, de 15 millions, n’est pas suffisante face aux enjeux. Nous ne pouvons pas laisser entendre qu’elle le serait. Je vous demande donc de retirer l’amendement pour réévaluer ce montant à la hausse en séance.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN52 de M. Laurent Jacobelli

M. Laurent Jacobelli (RN). Le programme MGCS (système principal de combat terrestre), conduit avec les Allemands, est en déshérence totale. L’objectif en était politique avant d’être opérationnel. Le ministre allemand de l’économie s’est dit prêt à se libérer des règles et des engagements européens pour défendre avant tout l’industrie allemande. D’ailleurs, il a commencé, signant avec d’autres partenaires – la Suède, l’Italie, l’Espagne – un autre programme qui, contrairement à ce qui a été dit ici même, pourrait concurrencer le MGCS.

La France ne doit pas être le dindon de la farce. Il nous faut prévoir ce qui va arriver. Six ans ont été nécessaires pour se mettre d’accord sur les objectifs du MGCS : dans de telles conditions, il y a une probabilité non nulle qu’un projet aille dans le mur…

Parce que nous avons besoin de cet équipement, parce que nous ne pouvons pas laisser aux seuls Allemands le sort de la souveraineté de notre défense, nous proposons que l’on prépare un plan B pour le MGCS.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. C’est un amendement d’appel, mais si je m’en tiens à l’objectif que vous venez d’expliciter, il est satisfait. En effet, tout est fait pour que, à partir de 2025, l’ensemble des options qui sont sur la table puissent être activées. Quant à l’autre projet auquel vous vous référez – un projet de composants, non de système de combat –, connaissez-vous le montant total qui lui est alloué ? 30 millions. Et celui que notre pays inscrit, dès 2024, dans le projet de loi de finances pour engager les études sur le MGCS, en AE ? 33 millions. En réalité, il n’y a pas de concurrence entre les deux projets.  Le MGCS est conforté par la volonté politique et la convergence des besoins militaires, qui sont les deux premiers prérequis. Pour le troisième, la convergence des industriels, 2024 sera l’année de vérité.

Demande de retrait ; sinon, avis défavorable.

M. Laurent Jacobelli (RN). Je me contente de lire les interviews des dirigeants allemands. Ils expliquent qu’ils préparent leur avenir ; pendant ce temps, ils stérilisent les projets français. Dans quelques années, ils auront le char du futur, avec d’autres partenaires, et nous n’aurons rien. Si vous ne l’avez pas compris, nous allons le répéter à nouveau. Les Allemands avancent pratiquement à visage découvert ! Il n’y a qu’en France que l’on a quelques dirigeants qui ne veulent pas voir la vérité. Nous ne pouvons pas rester le bec dans l’eau, sans plan B. C’est la moindre des sagesses.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Nous avons déposé un amendement analogue.

Notre collègue Belhamiti nous explique qu’il n’y a pas de concurrence entre les deux programmes en faisant valoir qu’ils sont financés à hauteur l’un de 30, l’autre de 33 millions : ce n’est vraiment pas convaincant.

Quoi qu’il en soit, on observe une inflexion dans les discours de la majorité et du Gouvernement : on nous dit désormais que nous aurons un moment pour reprendre nos billes. Le travail d’alerte que nous menons depuis des mois commence donc à porter ses fruits. Je peux comprendre que vous ayez besoin de sauver la face, mais notre argumentation est désormais bien étayée. Les cycles industriels français et allemand ne se synchroniseront pas. Les Allemands ont bien l’intention d’empêcher la France de mobiliser sa capacité à investir dans un projet alternatif. Au bout du compte, il y aura un projet allemand tandis que, côté français, nous n’aurons que nos yeux pour pleurer.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Heureusement, nos armées et la DGA ne nous ont pas attendus pour commencer à travailler sur toutes les hypothèses du système futur de combat terrestre ! Nos discussions franches avec eux nous montrent que toutes les options sont sur la table. Je parlais d’un plan B dès mon rapport de l’année dernière. Il y a 33 millions d’AE dans le budget cette année : c’est que l’on commence à accélérer les études. Les Allemands sont dans une logique incrémentale et il est anachronique de considérer que l’incrément nourri par les 30 millions de partenariat européen est un concurrent du MGCS, lequel viendra bien plus tard. Nous avons eu ces débats dans le cadre de la LPM. Tout est possible, mais gardons-nous de tuer le projet dans l’œuf. Il est dans l’intérêt de la France de développer cette capacité en coopération, en maintenant ses exigences de souveraineté et de liberté d’exportation.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN53 de M. Laurent Jacobelli

M. Laurent Jacobelli (RN). Après le MGCS, le Scaf (système de combat aérien du futur), qui en est une sorte de pendant, en moins caricatural, dans la collaboration à marche forcée avec nos amis allemands. La France, avec Dassault, serait capable de s’en sortir toute seule. Ce que l’on appelle le couple franco-allemand n’en a plus que le nom : nous sommes les seuls à le vouloir, et le projet s’enlise. Ne restons pas dénudés, ne livrons pas les clés de la défense française à un pays qui ne veut pas de nous et reste tourné vers les États-Unis.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN55 de M. Laurent Jacobelli

M. Laurent Jacobelli (RN). Un tiers des militaires ne renouvellent pas leur contrat ; un tiers ne vont pas au bout de leur engagement. À cela s’ajoutent les difficultés de recrutement. Nous proposons donc que l’on augmente la rémunération des militaires de la marine nationale. Lorsque les montants offerts ne peuvent rivaliser avec ceux du privé et que les conditions de vie ne sont pas toujours à la hauteur de ce qui est attendu, les effectifs sont à l’avenant. Il est chaque année plus difficile de recruter et de conserver les troupes.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. L’ancien marin que je suis pourrait se réjouir de cet amendement, mais nos forces armées sont un tout. Le retex (retour d’expérience) de la précédente LPM a montré que plusieurs mesures avaient commencé à produire des effets, comme la NPRM (nouvelle politique de rémunération des militaires), qui représente cette année, pour sa troisième phase, 351 millions d’euros. J’avais fait adopter dans le cadre de la LPM un amendement prévoyant une modification, avec augmentation, de la grille indiciaire de l’ensemble des militaires. Elle concernera les hommes du rang dès 2024, les sous-officiers en 2025 et les officiers en 2026.

Avis défavorable.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Vous avez déposé trois amendements : un pour l’armée de terre, un pour la marine et un pour l’armée de l’air, mais vous avez oublié le soutien interarmées. Je vous demande un retrait au profit de mon amendement, qui se veut global. Il permettra, en effet, de répondre à l’ensemble des situations, sans s’y prendre au doigt mouillé – mais ce n’est pas un reproche, car je sais la difficulté de trouver un chiffre satisfaisant parmi les informations qui nous sont données. J’ai pris pour référence l’ensemble des mesures indiciaires dans la fonction publique – l’augmentation du point d’indice et ce qu’on appelle les mesures « Guérini ».

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN56 de M. Laurent Jacobelli

M. Laurent Jacobelli (RN). Je me demande si Mme Magnier, du groupe Horizons, sera elle aussi vouée aux gémonies par M. Cormier-Bouligeon. Elle a, en effet, déposé un amendement faisant appel au même mécanisme que ceux de La France insoumise, du parti socialiste, c’est-à-dire de tout le monde en fait.

L’amendement II-DN56 concerne, cette fois, les forces de l’armée de l’air et de l’espace.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Je soutiens cet amendement. Toutes les mesures qui permettront de recruter et surtout de garder les sous-officiers, officiers et techniciens, à qui on fait des ponts d’or au sein de la BITD et ailleurs, sont évidemment bienvenues.

La commission rejette l’amendement.

 

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Le minimum, dans une commission telle que la nôtre, serait de faire preuve de respect. J’aimerais que ceux de nos collègues qui en traitent d’autres de tocards soient rappelés à l’ordre. Qu’est-ce qui leur permet de nous insulter ?

M. le président Thomas Gassilloud. Je n’avais pas entendu.

M. Frédéric Boccaletti (RN). Nous nous sommes fait insulter et diffamer au début de la réunion – vous n’étiez pas là. Je me suis donc permis de dire à un de nos collègues qu’il avait un comportement de tocard, ce que je confirme, en précisant que ce n’est ni injurieux ni diffamatoire, contrairement aux propos qui nous visaient.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Se faire insulter par les députés du Front national est une forme de légion d’honneur.

Amendement II-DN57 de M. Laurent Jacobelli

M. Laurent Jacobelli (RN). Merci à notre collègue qui est resté vingt-trois ans au parti socialiste, aux côtés de François Mitterrand, lequel avait reçu la francisque. Qu’il assume son héritage !

Nous souffrons, s’agissant des avions à très forte capacité d’emport, d’un vrai manque. Nous avons des appareils pouvant embarquer 17 tonnes, 25 tonnes ou 37 tonnes, mais pas 150 tonnes. En cas de besoin, par exemple pour transporter des chars, nous avons recours à des avions appartenant à des armées d’autres pays, comme les États-Unis d’Amérique. Puisqu’il est beaucoup question de souveraineté – nous sommes très heureux que ce terme soit à nouveau au centre des débats –, il faudrait développer notre propre avion à forte capacité d’emport. Tel est l’objet du présent amendement.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. C’est une capacité qui nous manque, en effet, mais votre amendement prévoit d’y consacrer 100 millions d’euros, alors qu’il faudrait plutôt des milliards pour mener un tel projet. Par ailleurs, le général Mille, que nous avons auditionné, n’a pas fait état d’un besoin prioritaire dans ce domaine, contrairement à ce qu’il nous a dit à propos du renouvellement des Casa ou des Hercule C-130. Il s’agit d’une capacité que nous aimerions bien avoir, naturellement, mais que nous ne pouvons pas nous offrir dans le contexte actuel. Il existe un projet européen en la matière, mais je ne sais pas si cela peut vous plaire. Il me semble pourtant que c’est le bon échelon : ce ne sont pas des capacités de transport auxquelles on a recours quotidiennement. Pour ces raisons, demande de retrait, sinon avis défavorable.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Vous dites que nous n’avons pas besoin de cette capacité au quotidien, mais que se passe-t-il au Niger ? Les A400M ne suffisent pas pour transporter tout le matériel entreposé depuis des années dans ce pays. Nous avons une carence en ce qui concerne les gros-porteurs, ce qui nous contraint à nous tourner vers des solutions qui ne sont pas souveraines, comme la location d’Antonov.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Je partage la préoccupation à l’origine de cet amendement. Le général Mille a dit que nous pouvions être confrontés à des problèmes en matière de transport stratégique. Nous le savons, les Antonov arrivent en fin de vie. Par ailleurs, si nos amis américains peuvent nous aider avec leurs C-5 Galaxy, cela ne va pas très loin. Le problème est qu’il s’agit d’un programme qui coûterait de 5 à 15 milliards d’euros et pour lequel il n’existe pas de marché. Les seuls pays qui peuvent s’offrir ces capacités sont les États-Unis, la Chine, peut-être – mais je doute qu’on vende des avions aux Chinois – et l’Europe, collectivement. Ce n’est pas en mettant sur la table 100 millions d’euros, au petit bonheur la chance, qu’on aboutira une solution. Néanmoins, cette question mérite de faire l’objet d’un véritable travail. Une mission parlementaire avait été créée à ce sujet il y a quelques années, mais je pense que nous devrions retravailler sur le dossier pour voir ce qui peut marcher.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN60 de M. Laurent Jacobelli

M. Laurent Jacobelli (RN). On a mis six ans à se mettre d’accord sur l’objectif du MGCS, et il est clair que ce char ne verra pas le jour avant 2040 – et encore c’est une hypothèse optimiste. Entre-temps que fera-t-on ? Nous avons des chars qui commencent à vieillir et nous vivrons une période tampon assez délicate à gérer. Par ailleurs, les signaux qui nous parviennent quant à l’état du monde ne sont pas très encourageants. Il ne faudrait donc pas se trouver dépourvu quand la bise sera venue. Nous proposons – tenez-vous bien – une solution franco-allemande, codéveloppée par Nexter, dont le capital est mixte, et potentiellement disponible à moyen terme, à savoir l’E-MBT. Ne restons pas sans armement à force de courir après des chimères.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Avis défavorable.

M. Jacobelli croît tantôt au couple franco-allemand et tantôt il n’y croit pas, ce qui n’est pas très cohérent. Vous avez déjà enterré le MGCS, un peu comme le croque-mort qui, dans les albums de Lucky Luke, prend les mesures des gens de leur vivant. Nous essayons, pour notre part, de voir le verre d’eau à moitié plein, parce que nous sommes aux responsabilités et que nous voulons préparer l’avenir. Force est de constater que des avancées substantielles ont été réalisées ces derniers temps : un accord a été trouvé entre les états-majors français et allemands au sujet des besoins militaires et un High Level Common Operational Requirements Document a été signé en septembre 2023 par les ministres Sébastien Lecornu et Boris Pistorius.

Comme l’a indiqué devant nous le chef d’état-major de l’armée de terre (Cemat), la question primordiale est celle des besoins militaires. Or les forces terrestres, que vous le vouliez ou non, ne souhaitent pas un char Leclerc amélioré, le Cemat a été très clair lors son audition. L’enjeu est de ne pas rater le changement de génération en allouant des ressources à un modèle intermédiaire. De plus, indépendamment du développement industriel qui suivra, le programme MGCS permet de travailler sur les caractéristiques du système de char du futur et sur les briques technologiques nécessaires, comme l’a rappelé notre excellent collègue Belhamiti.

En attendant, notre responsabilité est de prévoir les moyens de pérenniser et de moderniser le char Leclerc pour le faire durer jusqu’en 2040 ou 2045 – c’est ce qui est prévu par la loi que nous venons d’adopter. En 2024, 21 chars Leclerc rénovés seront ainsi livrés à l’armée de terre et la LPM prévoit 200 chars rénovés en 2035.

Je me permets aussi de vous faire remarquer que vous voulez ponctionner 100 millions sur les crédits des journées défense et citoyenneté, alors que nous devons favoriser l’engagement de nos jeunes dans les armées, et sur le programme Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant, que vous prétendez défendre – c’est vraiment faire preuve de duplicité.

M. Laurent Jacobelli (RN). Je pense qu’il y a un problème à l’éducation nationale puisqu’on peut apparemment être député sans savoir lire. Voici ce que nous avons écrit : « Cette minoration est proposée pour les besoins de la recevabilité financière. En cas d’adoption de l’amendement, il est demandé au Gouvernement de lever cette compensation ». Il faudrait en finir avec les clowneries.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. L’organisation de nos travaux ne suit absolument aucune logique. Nous passons des chars aux avions puis au logement, avant de revenir en arrière. Aucune réflexion n’est possible dans ces conditions. De plus, la majorité n’est quasiment pas représentée, parce qu’elle sait très bien que le Gouvernement aura recours au 49.3. C’est donc un véritable cirque : nous ne faisons que ridiculiser l’institution parlementaire, que le Gouvernement piétine continuellement. C’est uniquement parce qu’il s’agit de nos armées que nous resterons jusqu’à la fin de ce débat.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Je partage les préoccupations de notre collègue Jacobelli au sujet de l’avenir du MGCS, mais j’ai écouté très attentivement le chef d’état-major de l’armée de terre. Il nous a dit qu’il ne souhaitait pas un char intérimaire, mais que, comme l’ont également expliqué le délégué général à l’armement et le ministre, il faudrait faire un choix fondamental en 2025 et que, de toute façon, ce qui serait fait dans le cadre du programme E-MBT pourrait servir à un plan B si le MGCS ne devait pas voir le jour. Notre collègue pose donc une bonne question, mais il est peut-être trop tôt pour y répondre. Attendons 2025.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Je note que nos collègues de La France insoumise ne sont pas contents d’avoir à défendre des amendements identiques à ceux du Rassemblement national. Au-delà de la question de l’ordre d’examen des amendements, qui peut effectivement se poser, François Cormier-Bouligeon a apporté une réponse de fond : ne tuons pas l’initiative MGCS avant de lui avoir donné une chance d’aboutir. L’année 2024 sera déterminante.

L’amendement rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN61 de M. Laurent Jacobelli

M. Laurent Jacobelli (RN). L’Agence européenne de défense est un organe de ce qu’on appelle « l’Europe de la défense », qui est une chimère, on le voit bien. Il y a peu d’export d’armement français vers nos partenaires européens privilégiés. Les nations d’Europe centrale et de l’Est regardent vers les États-Unis d’Amérique, et les principales coopérations européennes dans le domaine de l’armement enchaînent les difficultés. Confier toujours plus de pouvoir à l’Union européenne pour notre défense revient, de facto, à céder des bouts de notre souveraineté, au détriment d’accords bi, tri ou quadrilatéraux portant sur de vrais projets, à l’image de ce qui a été fait hier pour Ariane ou Airbus. Nous proposons donc de réduire les financements de l’Agence européenne de défense.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Il existe un certain nombre de programmes européens dans lesquels la France est particulièrement engagée. Puisque l’exposé sommaire de l’amendement évoque le SHOM (service hydrographique et océanographique de la Marine), je précise que la relève des bâtiments participant à son fonctionnement est programmée et qu’un travail assez important est réalisé en lien avec l’Occar (Organisation conjointe de coopération en matière d’armement), par exemple pour l’EPC, la future corvette de patrouille européenne dont nous avons parlé ce matin, et les Fremm (frégates multimissions). Par conséquent, avis défavorable.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Je rejoins ce qui a été dit quant à la manière dont l’examen des amendements est organisé. Nous avons eu des débats de très grande qualité sur la loi de programmation militaire, dont ce budget est une déclinaison. Le regroupement des amendements selon les noms des premiers signataires nous empêche aujourd’hui d’avoir de véritables échanges sur le fond.

S’agissant de l’Europe de la défense, nous avons une vision absolument contraire à celle de M. Jacobelli. L’Europe est une garantie de paix, grâce à la coopération entre les pays. Il faut approfondir cette coopération, qui a d’abord été économique : nous avons besoin que l’Europe ait aussi une voix politique et géopolitique forte – c’est elle qui peut peser – et une défense. Je suis donc totalement hostile à cet amendement.

Les buts de l’Agence européenne de défense sont les suivants : « l’harmonisation des exigences pour la mise à disposition de capacités opérationnelles ; la recherche et l’innovation pour le développement de démonstrateurs technologiques ; les formations et exercices de maintenance visant à soutenir des opérations relevant de la politique de sécurité et de défense commune » – nous avons besoin de tout cela. Je souligne aussi que l’agence travaille notamment avec l’Ukraine, la Norvège et la Suisse.

Nous avons besoin de cette agence, de plus de coopérations, d’armées qui fonctionnent ensemble et, plus globalement, d’un socle politique et militaire européen.

La commission rejette l’amendement.

 

 

 

Amendement II-DN62 de M. Laurent Jacobelli

M. Laurent Jacobelli (RN). Je suis d’accord avec les autres groupes de l’opposition : il est très compliqué de débattre dans ces conditions, et très inintéressant. Cela m’intéresserait, revanche, de parler du MGCS et de l’Europe de la défense de manière détaillée, au lieu de passer sans cesse du coq à l’âne en bâclant les débats.

Le retex d’Orion nous a montré que la navigation satellitaire posait certains problèmes. Dès qu’il pleut, les tablettes cessent de fonctionner et les signaux satellitaires ont leurs limites : il a donc fallu reprendre les bonnes vieilles cartes, la bonne nouvelle étant que nos officiers, sous-officiers et soldats ont été suffisamment astucieux et ingénieux pour utiliser des systèmes alternatifs. Au lieu de tout miser sur le satellitaire, il faudrait investir dans d’autres solutions, comme les technologies inertielles, qui permettent d’éviter non seulement les piratages mais aussi les ruptures de signal.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Cet amendement, outre qu’il est seulement d’appel, apporterait une mauvaise réponse à une vraie question. Il y a eu, effectivement, un problème d’accès aux données et de traitement, l’audition du général Métayer l’a confirmé, mais ce n’est pas un problème de génération de données. Or ce que vous proposez, au sujet du programme Omega, est d’arrêter de générer des données de géolocalisation par le biais de satellites, au profit de solutions faisant appel à des centrales inertielles. Ce n’est pas parce qu’on a eu un problème d’accès aux données, avec les terminaux fournis à nos soldats, que les données dont nos forces en opération ont besoin sont générées par un mauvais système. C’est sur le SIC, le système d’information et de communication, c’est-à-dire les réseaux opérationnels d’accès à l’information, qu’il faut faire porter un effort. Je vous demande donc de retirer l’amendement ; à défaut, avis défavorable.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Je partage, une fois de plus, l’inquiétude exprimée par notre collègue. Par ailleurs, je n’ai pas la même lecture que le rapporteur pour avis : il s’agit, pour moi, d’un amendement d’appel visant à lancer une alerte sur le risque du tout-satellitaire et non à supprimer des budgets. Nous ne devons surtout pas retirer des crédits au programme Omega, mais le tout-technologique est un problème : on sait la nécessité de pouvoir fonctionner en mode dégradé. Je voterai, à titre personnel, pour cet amendement que je trouve judicieux.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN63 de M. Laurent Jacobelli

M. Laurent Jacobelli (RN). Il s’agit, par cet amendement, de renforcer le maintien en condition opérationnelle. En effet, nous avons besoin d’une grande disponibilité des matériels. La LPM va dans le bon sens, mais il faut reconnaître que nous avons des équipements sous-dimensionnés auxquels on demande beaucoup. Nous sommes encore dans une logique de flux qui montre ses limites. Il faudrait passer, au moins partiellement, à une logique de stocks, comme l’ont souligné différents rapports, issus de députés de divers groupes, mais cela ne sera pas fait dans les mois qui viennent, il suffit de s’entretenir avec des officiers généraux pour le savoir.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Quand on donne des leçons de compétence, d’une manière assez péremptoire, encore faudrait-il être soi-même à la hauteur. Or notre collègue Jacobelli a mal lu le projet de loi de finances pour 2024 : celui-ci prévoit une hausse de 230 millions d’euros pour l’entretien programmé des matériels, ce qui représente les trois quarts de la hausse des crédits du BOP (budget opérationnel de programme) de l’armée de terre. Au total, le budget de l’entretien programmé des matériels des forces terrestres s’élèvera en 2024 à 1,46 milliard d’euros en crédits de paiement, soit une hausse de 19 % – excusez du peu – par rapport à la loi de finances initiale pour 2023. S’agissant de la programmation pour 2024-2030, par ailleurs, le budget alloué au MCO doit augmenter de 40 % par rapport à la précédente LPM : il s’élèvera à 49 milliards d’euros, dont 13,2 milliards pour l’armée de terre.

Au-delà de la question des crédits, il faut prendre en compte l’accroissement de la performance du MCO. J’ai entendu, moi aussi, des officiers généraux, notamment le DC Simmt (directeur central de la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres). La Simmt finalise actuellement sa nouvelle ambition pour 2030, qui vise à adapter son mode de fonctionnement aux enjeux de la haute intensité. La constitution de stocks de pièces de rechange est un enjeu bien pris en compte par la Simmt, qui a lancé une démarche tendant à augmenter l’efficience du MCO terrestre, notamment par la renégociation des contrats de soutien en service. Il s’agit de disposer de davantage de pièces de rechange en passant d’une logique de contrats forfaitaires orientés vers la performance à une logique de constitution de stocks. C’est la direction que nous sommes en train de prendre, et je dois dire que le DC Simmt fait preuve d’une certaine fermeté en la matière.

Je vous demande de retirer votre amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN64 de M. Laurent Jacobelli

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. L’entretien programmé du matériel doit déjà bénéficier de 49 milliards d’euros sur la période 2024-2030 . L’effort prévu par le PLF est à la hauteur de la promesse faite par la LPM en matière de MCO, auquel iront plus de 5,7 milliards, soit une progression de 745 millions d’euros. Par conséquent, avis défavorable si l’amendement n’est pas retiré.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendements II-DN67 et II-DN68 de Mme Cyrielle Chatelain

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Comme nous l’avons dit lors des débats sur la loi de programmation militaire, le réchauffement climatique et ses effets, en matière de disparition de la biodiversité et d’amplification des catastrophes climatiques, sont un phénomène global et extrêmement déstabilisant d’un point de vue environnemental, social, économique et géostratégique qu’il faut prendre en compte dans l’organisation de nos armées.

L’amendement II-DN67 demande ainsi une augmentation des crédits alloués à la prospective de défense. Nous avons besoin de moyens pour penser la politique de défense dans un monde qui se réchauffe, où on a moins de pétrole et d’eau et où les conditions opérationnelles deviennent plus difficiles.

L’amendement suivant vise à augmenter les moyens de la coopération internationale et de la diplomatie. Une politique de défense est solide, nous l’avons également souligné pendant tout l’examen de la LPM, s’il existe à ses côtés une politique diplomatique forte.

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis. Nous sommes tous conscients des enjeux du réchauffement climatique, notamment sur le plan environnemental, et sommes tous impliqués sur cette question. Néanmoins, le montant très élevé – 100 millions d’euros – qui est proposé dans votre premier amendement est assez surprenant : il est sans rapport avec les montants consacrés aux dispositifs de soutien pluriannuels à la recherche mis en place par la DGRIS (direction générale des relations internationales et de la stratégie). Cette dernière a mis en place, en 2016, un observatoire « Défense et climat » dont vous avez peut-être connaissance et qui a fait l’objet d’un marché de 1,44 million d’euros passé avec l’Iris (Institut de relations internationales et stratégiques). Ce marché a d’ailleurs été renouvelé en mai 2022, pour une durée de quatre ans. Tous les travaux de cet observatoire sont diffusés sur son site internet et sont donc accessibles.

En ce qui concerne l’amendement suivant, j’ai un petit doute sur l’abondement de l’action 08 du programme 144, qui finance des actions de natures très diverses, comme le programme mondial de lutte contre les mines antipersonnel et l’Agence européenne de défense : une fois encore, le montant que vous proposez – 50 millions d’euros – me paraît peu en rapport avec ce que fait la DGRIS de manière générale.

La commission rejette successivement les amendements.

 

 

Amendement II-DN69 de Mme Cyrielle Chatelain

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Cet amendement revient sur la question de l’Europe de la défense. Nous proposons une augmentation des crédits prévus pour la planification des moyens et la conduite des opérations afin d’accroître les coopérations opérationnelles avec les forces armées d’autres pays européens grâce à des échanges de savoir-faire et à une standardisation de procédures.

Suivant la position du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN70 de Mme Cyrielle Chatelain

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). L’armée – nous en avons aussi parlé lors de l’examen de la loi de programmation militaire – est propriétaire de très nombreux bâtiments. Comme il faut faire des efforts en matière de rénovation thermique dans le cadre de l’ensemble des politiques de l’État, cet amendement a pour objectif d’augmenter fortement les moyens prévus pour la politique immobilière du ministère des armées. On ne dispose que de fort peu de temps pour rénover de très nombreux bâtiments et atteindre nos objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. C’est un amendement tout à fait intéressant qui, si nous l’avions examiné et adopté dans l’ordre prévu par le règlement de l’Assemblée, aurait fait tomber l’amendement de M. Jacobelli, qui proposait 15 millions d’euros supplémentaires. Le présent amendement de Mme Chatelain aurait dû être examiné en premier, puisqu’il propose une augmentation des crédits plus importante, de 150 millions – ce qui permettrait de faire des choses.

Nos collègues du Rassemblement national ne pourront pas, compte tenu de l’amendement qu’ils ont eux-mêmes déposé, se prononcer contre celui-ci, mais nous allons voir si c’est l’intérêt général qui guide leurs votes ou bien un intérêt purement politique.

La commission adopte l’amendement.

Amendement II-DN71 de Mme Cyrielle Chatelain

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Je propose à notre collègue de retirer son amendement, car il me semble déjà satisfait par le « plan familles II », qui repose sur une coordination renforcée avec les acteurs locaux. Nous pourrions peut-être discuter de l’intégration des associations d’habitants en séance avec le ministre.

L’amendement est retiré.

Amendement II-DN72 de Mme Cyrielle Chatelain

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Cet amendement concerne l’inclusion des personnes en situation de handicap dans nos forces armées. Le taux d’emploi de ces personnes y reste en deçà de la moyenne nationale, ce qui est préjudiciable non seulement pour elles, mais aussi pour nos armées, qui sont privées de compétences et de talents précieux. C’est pourquoi nous souhaitons augmenter les moyens en faveur de la politique menée dans ce domaine.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Je sais que la députée Chatelain connaît les restrictions d’accès aux armées, compte tenu de ce qu’il est convenu d’appeler le profil Sigycop. Néanmoins, je comprends que cet amendement tend à favoriser l’emploi des personnes en situation de handicap dans l’ensemble du ministère. Comme il n’y a pas de restrictions pour les civils du ministère des Armées, j’émets un avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN73 de Mme Cyrielle Chatelain

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Cette proposition risque d’être moins consensuelle que les précédentes. En cohérence avec ce que nous avons défendu lors de l’examen de la loi de programmation militaire, nous considérons que, même si nous ne pouvons pas sortir de la dissuasion nucléaire d’une manière unilatérale, il faudrait commencer à penser un système de défense bâti sur une autre dissuasion, non nucléaire. Nous souhaitons donc réduire progressivement les moyens alloués à la dissuasion nucléaire.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. En effet, nous avons déjà eu ce débat. La France est exemplaire en matière de réduction des arsenaux nucléaires. Nous avons abandonné la composante terrestre de notre dissuasion et démantelé nos sites pour les essais nucléaires, ainsi que nos installations d’enrichissement de matières nucléaires, tout cela d’une façon irréversible. Ce sont des efforts considérables que d’autres grandes puissances n’ont pas faits. Doit-on aller plus loin ? Il est vrai que vos propositions ont une cohérence, même si on pourrait reparler de la contribution du nucléaire civil à la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre. Seulement, le contexte ne nous permet pas d’engager une nouvelle réduction de notre arsenal nucléaire. Si nous devions le faire, ce serait un signal très négatif pour nos alliés et nos compétiteurs. Avis défavorable.

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis. Au risque d’énoncer un truisme, une dissuasion n’est dissuasive que si elle est au meilleur niveau. Si elle est en dessous du niveau de ses compétiteurs, elle ne dissuade plus personne et ne sert donc à rien – dès lors, autant prévoir 0 euro pour ce volet. Il faut soit moderniser soit abandonner notre dissuasion.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN76 de M. Frank Giletti

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Cet amendement vise à donner plus de moyens à l’armée de l’air et de l’espace pour faire face à l’augmentation du coût du carburant et accroître son activité. Je rappelle que la norme au sein de l’Otan est d’au moins 180 heures de vol par an et par pilote de chasse. Or nous en étions à 164 heures en 2022 et que nous avons une cible à 147 heures en 2023 – je ne dirai rien de l’objectif pour 2024, car il est confidentiel.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN78 de M. Frank Giletti

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. L’A400M, dont nous avons parlé ce matin, est un peu un game changer – pardon d’employer ce terme, que je n’aime pas beaucoup. C’est un atout qu’on emploie tout le temps, pour les opérations Sagittaire au Soudan et Apagan en Afghanistan et maintenant au Niger. La LPM a sanctuarisé au moins trente-cinq A400M. Je propose que nous en ayons trois de plus. C’est une nécessité, notamment pour donner une réassurance aux populations qui vivent dans nos outre-mer et envoyer un signal stratégique à nos compétiteurs. Nous pourrons également utiliser ces vecteurs pour apporter notre appui lorsque des cataclysmes climatiques se produiront dans la zone indo-pacifique. L’amendement tend à augmenter les crédits pour permettre la livraison d’un A400M supplémentaire dès 2024.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. L’objectif fixé par la LPM, que nous avons adoptée il y a quelques semaines, est effectivement d’avoir au moins trente-cinq A400M – cela dépendra notamment de la vitalité d’Airbus à l’export. Il n’y a pas lieu, à ce stade, de remettre en cause ce que nous venons de voter. Par ailleurs, nos capacités dans ce domaine ne nous ont jamais mis en défaut par rapport à nos ambitions opérationnelles, qu’il s’agisse de Sagittaire ou d’autres opérations. Je comprends votre ambition – nous sommes plusieurs à la partager ici – qui est de prépositionner des A400M à des endroits stratégiques, par exemple dans l’Indo-Pacifique, mais ne le faisons pas comme cela, maintenant. Il faut donner sa chance à la loi de programmation militaire, que vous avez votée, comme nous. Par conséquent, même si nous pouvons nous rejoindre sur l’objectif d’un accroissement de nos capacités en ce qui concerne l’A400M, avis défavorable.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. J’avais déjà déposé un amendement lors de l’examen de la LPM afin d’augmenter le nombre d’A400M. Il faut prévoir les choses : un A400M, c’est aussi un équipage et des mécaniciens, des infrastructures, des supports. Nos armées ont besoin de visibilité. Or on ne sait pas quand l’objectif de trente-cinq A400M sera atteint. Je reviens un instant sur nos échanges au sujet du Pang (porte-avions de nouvelle génération) : ce n’est pas seulement un vecteur, mais aussi un équipage, et le premier officier qui commandera ce porte-avions entre aujourd’hui à l’École navale. Il faut aussi prévoir les pilotes pour les A400M. Par ailleurs, nous limitons notre ambition opérationnelle alors que nous pourrions faire beaucoup plus, afin d’être plus présents, d’exercer davantage d’influence et de force, notamment outre-mer.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN80 de M. Frank Giletti

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Orion a notamment mis en exergue les failles du SSA (service de santé des armées) : on ne pourrait soigner que huit blessés en situation d’urgence vitale par jour. Or on sait que le chiffre serait malheureusement bien supérieur en cas de conflit de haute intensité. Cet amendement demande donc l’achat de structures médicales mobiles robustes pour assurer des soins médicaux d’urgence et un soutien sanitaire continu dans des zones éloignées des structures hospitalières traditionnelles. Ce n’est que la traduction des besoins exprimés par nos généraux.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il s’agit d’un amendement d’appel. Attendons l’avis du ministre en séance : sagesse.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). L’organisation des débats est particulièrement problématique : nous revenons une fois encore sur la question du SSA.

Le ministre avait été interpellé à ce sujet lors de l’examen du projet de loi de finances de l’an dernier, puis de la LPM. On nous a expliqué que la restructuration du SSA faisait l’objet d’un moratoire, et la nouvelle feuille de route n’a pas été présentée à notre commission ni, a fortiori, devant la représentation nationale. Nous savons que le ver est dans le fruit depuis un long moment, mais n’avons aucune vision d’ensemble.

Cet amendement d’appel, même si je comprends bien son intention, ne permettra pas d’établir une stratégie crédible et durable pour le SSA. Nous avons affaire à un problème global qui ne se réglera pas en mobilisant 100 millions d’euros.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Ce n’est peut-être pas suffisant, mais il s’agit au moins d’un premier pas. Je sais que vous avez à cœur, comme nous, le service de santé des armées et son personnel.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN86 de Mme Michèle Martinez

Mme Michèle Martinez (RN). L’Institution de gestion sociale des armées (Igesa) joue un grand rôle dans la vie de nos militaires et de leurs familles : elle leur apporte un soutien important, qu’il s’agisse des activités de loisir, de l’accueil des enfants ou des prêts financiers – la liste n’est pas exhaustive. Malheureusement, il est difficile de pourvoir aux besoins de toutes les familles. Je pense en particulier aux places dans les crèches et les autres espaces d’accueil de la petite enfance. Il est nécessaire d’aider l’Igesa à se développer, afin que le plus grand nombre puisse bénéficier de ses services.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Je vous demande de retirer cet amendement au profit du mien, le II-DN169, qui prévoit un montant supérieur. Compte tenu des besoins de cet organisme essentiel, 10 millions d’euros ne suffiront pas.

La commission adopte l’amendement.

Amendement II-DN87 de Mme Michèle Martinez

Mme Michèle Martinez (RN). Les infrastructures sont un peu le parent pauvre du budget de nos armées : les montants prévus s’apparentent plus à l’utilisation d’un fond de tiroir qu’à un réel investissement. Pourtant, les parties communes des logements militaires, casernes et autres emprises n’échappent pas aux dégradations liées au temps – problèmes de plomberie, d’isolation, de salubrité, voire de sécurité, qui ne sont pas en soi des fatalités et méritent d’être traités. Plus le règlement de ces problèmes traînera, plus les budgets de rénovation seront élevés. Il serait donc bénéfique pour tous que les réparations aient lieu au plus tôt. De plus, avec la diminution des Opex, nos militaires seront amenés à passer plus de temps dans ces locaux – raison de plus pour que les rénovations soient faites.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Avis défavorable, pour les mêmes raisons que précédemment. Compte tenu des besoins réels, cet amendement ressemble trop à une posture.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN91 de M. Bastien Lachaud

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Cet amendement d’appel porte sur un sujet que nous avons déjà abordé, le MGCS, auquel nous ne croyons pas. Notre proposition repose sur une note de l’Ifri qui a établi la nécessité de l’E-MBT en tant que gap-filler (bouche-trou) – j’emploie ce mot pour faire plaisir à notre collègue Thiériot, qui affectionne les anglicismes. L’E-MBT nous permettra d’avoir, comme les Allemands, un matériel sur l’étagère ou en tout cas de faire en sorte que le savoir-faire ne se soit pas complètement perdu chez Nexter le jour où il faudra retirer nos billes du MGCS. Je souligne au passage que Nexter n’est plus indépendant : KNDS prend les décisions. C’est la conséquence de choix politiques qui nous avaient pourtant été présentés comme un moyen de garantir la pérennité et la souveraineté de l’industrie de défense dans le domaine terrestre, ce qui n’a pas été tout à fait vrai, à l’évidence.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Avis défavorable. Nous en avons déjà débattu et nous en reparlerons, comme notre collègue Belhamiti l’a dit, courant 2024, quand la situation commencera à s’éclaircir. Sur le plan capitalistique, M. Saintoul a probablement raison, mais la R&D et la production de Nexter, ou anciennement Nexter, sont encore en France.

M. le président Thomas Gassilloud. Sachant qu’on en est, de mémoire, à 50-50 sur le plan capitalistique, en ce qui concerne KNDS.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN93 de M. Aurélien Saintoul

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Cet amendement d’appel, d’un montant de 1 euro, demande de réinternaliser la fonction Red Air, qui sert à la préparation des pilotes. Son externalisation est la conséquence de la fin de vie de l’Alpha Jet, avion utilisé pour ce type d’exercice, et de difficultés en matière de ressources humaines. Le fait que des entreprises privées fassent des profits sur la préparation des armées nous pose un problème de principe.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Lors de la présentation de mon rapport, j’ai évoqué la fonction Red Air et fait part de mon étonnement d’un contrat de sept ans avec un potentiel prestataire pour simuler la force adverse lors des exercices de l’AAE. J’y vois l’illustration de la faiblesse de l’actuel format de notre aviation de chasse.

Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN94 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Si l’Alpha Jet arrive en fin de vie, qu’adviendra-t-il de la Patrouille de France, qui est la vitrine de l’AAE ? La Patrouille de France volera-t-elle sur un avion qui n’est pas français ? Sinon, il faut prévoir qu’elle vole sur Rafale.

Il ne s’agit pas de dépouiller les forces opérationnelles de l’AAE, mais d’anticiper la fin de vie de l’Alpha Jet et de réfléchir à l’avenir de la Patrouille de France. Sommes-nous prêts à mettre les moyens pour la doter de Rafale ou devrons-nous accepter l’idée qu’elle vole sur des avions étrangers ?

M. le président Thomas Gassilloud. Si j’étais un peu taquin, je dirais que vos alliés écologistes refusent le survol des communes qu’ils dirigent par la Patrouille de France. J’ai eu ce débat avec le maire de Lyon.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Je me sens surveillé et cela m’inquiète. Il y a une dizaine de jours, j’ai adressé au Gouvernement une question écrite sur l’avenir de la Patrouille de France compte tenu de la fin de vie des Alpha Jet. Il suffit de me suivre sur les réseaux sociaux pour le savoir. Cet amendement me surprend donc.

J’ai posé au ministre des armées la question du devenir de la Patrouille de France, qui fait la fierté de la France. Je vois mal les Rafale remplir cette mission de prestige, pour de nombreuses raisons, au premier rang desquelles le format de l’aviation de chasse l’AAE. Nous avons peu de Rafale. Gardons-les pour les missions opérationnelles, pour la posture permanente de sûreté aérienne et pour la dissuasion.

Avis défavorable.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Je ne doute pas que les maires écologistes ayant refusé le survol de leur commune par la Patrouille de France ont des arguments tout à fait solides liés aux enjeux de leurs communes respectives, qu’ils défendent ardemment.

Nous voyons l’intérêt de l’amendement de nos collègues du groupe La France insoumise. Nous le voterons.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN95 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il porte sur un sujet à la fois budgétaire et démocratique.

Le financement des missions opérationnelles ne relève pas officiellement du budget des Opex. Il ne fait pas l’objet d’un vote du Parlement, conformément à l’article 35 de la Constitution. Elles remplissent pourtant tous les critères des Opex. Les militaires qui servent dans ce cadre bénéficient d’un statut quasi-identique à celui des militaires qui servent en Opex, pensions mises à part, ce qui n’est pas rien.

Comment en assurons-nous le financement ? Par le truchement du budget opérationnel de programme (BOP) Opex du programme 212 et par le truchement du BOP du programme 178, en espérant un collectif budgétaire de fin d’année permettant de bénéficier d’un financement interministériel. Il en résulte une fragilité budgétaire, pour les armées, et démocratique, s’agissant d’une forme de contournement du vote du Parlement.

Le présent amendement vise à basculer le financement des missions opérationnelles sur le BOP Opex, afin que le Gouvernement assume qu’elles sont des Opex, que leur budget fasse l’objet d’un débat et d’un vote au Parlement, et que le budget des armées soit sécurisé.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. À mon tour, je me sens espionné, ayant soulevé la question dans mon rapport pour avis sur le précédent projet de loi de finances ! Je ne peux donc qu’abonder dans votre sens, Monsieur Lachaud.

Toutefois, une telle décision ne peut être prise au détour d’un amendement. Elle ferait en revanche un excellent sujet de réflexion pour notre commission pour l’année à venir, en vue de l’examen du projet de loi de finances pour 2025.

M. le président Thomas Gassilloud. Le ministre a indiqué qu’il attendait des propositions à ce sujet de la part de ses services et de l’état-major des armées (EMA).

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN96 de M. Aurélien Saintoul

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Cet amendement est une variante du précédent. Faut-il financer les missions opérationnelles sur le budget des Opex ou par un programme propre ? En réalité, on nous demande de ne pas choisir et d’attendre que le ministre lui-même prenne la décision. C’est l’une de nos traditions, en Macronie, de décider de nous dessaisir de notre pouvoir !

Plus sérieusement, il y a bel et bien un problème. Si, d’après le ministre, nous sommes dans une zone grise depuis plus d’un an, et si les missions opérationnelles relèvent bien du droit des Opex, alors le vote du Parlement a été allègrement contourné et les missions Lynx et Aigle se déroulent dans un cadre qui n’est pas démocratique, ni même constitutionnel.

Nous devrions nous élever contre cet état de fait, mais, manifestement, le souci du respect des institutions n’est pas universellement partagé.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Avis favorable.

La commission rejette l’amendement.

 

 

Amendement II-DN97 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Nous avons appris que le standard F4.2 du Rafale sera livré avec un an de retard. Tous les programmes, au demeurant, connaissent des retards récurrents. Pour que le Standard F5 ne soit pas livré en retard, nous proposons d’en lancer les travaux par anticipation.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. L’amendement est satisfait. La ligne budgétaire Rafale F5 dont vous demandez la création existe. Elle a été introduite dans le projet de loi de finances pour 2024 à la sous-action 09.59 du programme 146, qui prévoit des crédits de plus de 65 millions pour le passage du Rafale au standard F5 et pour l’acquisition de drones d’accompagnement.

Demande de retrait ou avis défavorable.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Nous retirerons l’amendement pour le retravailler d’ici à l’examen du texte en séance publique, où nous sommes certains d’avoir des débats fructueux avant le 49-3.

L’amendement est retiré.

 

Amendement II-CF98 de M. Aurélien Saintoul

Mme Martine Etienne (LFI-NUPES). Il vise à permettre la désinsectisation des logements des militaires et de leurs familles en cas d’infestation par les punaises de lit. La crise des punaises de lit continue dans notre pays. Il y en a partout. Les logements des militaires, lesquels effectuent de nombreux déplacements, n’en sont pas exempts.

En 2018, on comptait au moins 400 000 sites infestés, dont 100 000 En Île-de-France. Si les punaises de lit ne transmettent pas de maladies à proprement parler, elles provoquent d’importants dégâts psychologiques, déstabilisent le rythme du sommeil et provoquent des insomnies ainsi que des troubles psychologiques et psychiatriques, voire un syndrome de stress post-traumatique (SSPT).

S’en débarrasser, nul ne l’ignore, est très difficile. Les frais moyens induits par une désinfestation s’élèvent à 1 200 euros en moyenne, ce qui est considérable. Il s’agit donc d’un problème de santé publique et d’une ruine financière pour celles et ceux dont le logement est infecté.

Le présent amendement vise à prendre en charge la désinsectisation des logements des militaires au même titre que celle des casernes pour qu’elle soit réellement efficace. C’est du simple bon sens.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Avis favorable. Comme l’a montré l’actualité récente, le taux de prévalence des punaises de lit dans le pays explose. Les logements de militaires n’en sont pas exempts.

Il est de notre devoir, pour la fidélisation des militaires et pour le bien-être de leurs familles, d’agir et de créer la ligne budgétaire proposée. Imaginez un marin parti en mer pour plusieurs mois apprenant que son logement est infesté de punaises de lit et que son épouse ou son époux est obligé de gérer seul la situation ! Il s’agit d’un problème de santé publique.

Les nombreux sourires que je vois suggèrent que tout le monde n’a pas pris conscience de l’importance du sujet. C’est dommage. De nombreux militaires trouveraient un intérêt à la création de la ligne budgétaire proposée.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN100 de M. Bastien Lachaud

Mme Martine Etienne (LFI-NUPES). Cet amendement d’appel vise à ouvrir le débat sur l’organisation des services de renseignement, où le tout-électronique prévaut de plus en plus. Le technologique et le numérique prennent de plus en plus de place dans la doctrine de renseignement. Nos services et nos agents se posent, légitimement, de plus en plus de questions sur l’avenir du renseignement d’origine humaine (ROHUM) et sur la place qu’il occupera.

Par le biais de la présente demande de rapport, nous espérons obtenir des réponses sur la place de l’humain dans les services de renseignement des armées. Les récents événements en Israël et au Niger prouvent que le ROHUM est essentiel et qu’il n’est pas remplaçable. À nos yeux, le tout-numérique n’est pas une solution. Il est nécessaire de s’assurer du recrutement et de la fidélisation de personnels formés et d’apporter des réponses claires sur la doctrine de renseignement envisagée pour les années à venir.

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis. Cet amendement d’appel n’est pas sans rappeler celui de M. Boccaletti que nous avons discuté auparavant. Il eut été de bonne méthode de procéder à des rassemblements thématiques.

L’équilibre entre le renseignement d’origine humaine et les autres sources de renseignement est une question pertinente, que j’évoque chaque année avec la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) et dont je fais part dans mes avis sur le programme 144.

Je serai toutefois moins catégorique que vous s’agissant du Niger ou d’Israël, qui sont des cas différents. En ce qui concerne Israël, le problème a moins été le manque de renseignements humains que l’absence de prise en compte de ceux transmis par d’autres États alertant sur l’imminence d’une attaque. Votre exposé sommaire mériterait d’être plus nuancé.

J’ai abordé longuement le déménagement de la DGSE au Fort Neuf de Vincennes ce matin, et je le fais également dans mon avis à paraître prochainement. Je suis ce projet de très près et je ne doute pas que la délégation parlementaire au renseignement (DPR) en fait autant. Le Parlement est donc associé au suivi de ce dossier, alors que votre exposé sommaire indique que ce n’est pas du tout le cas.

Par ailleurs, l’amendement est notamment cosigné par M. Lachaud, rapporteur pour avis du programme 178 – dont dépend la direction du renseignement militaire (DRM). Le Parlement est donc associé par son intermédiaire aux réflexions sur la place du renseignement humain, et je ne doute pas que son avis contribuera à nous éclairer utilement sur cette question.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN104 de M. Emmanuel Fernandes

Mme Martine Etienne (LFI-NUPES). Les retours d’expérience du conflit en Ukraine montrent l’importance des blindés. Ils sont essentiels en raison de leur puissance de feu, de la protection qu’ils apportent à l’infanterie et de leurs capacités de franchissement.

Mais en même temps on a pu constater l’utilisation de drones de combat, qui complètent les matériels antichars plus traditionnels. D’où l’importance de protéger les chars Leclerc de manière passive, mais aussi active, afin de réduire leur vulnérabilité. Tel est l’objet des crédits supplémentaires proposés par cet amendement.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. L’importance des systèmes de protection active constitue en effet l’un des retours d’expérience du conflit en Ukraine.

La direction générale de l’armement (DGA) conduit deux programmes – dénommés Prometeus (protection multi effets terrestre unifiée) et Pronoia (protection novatrice orientable intégrée d’autoprotection) – afin d’étudier la pertinence de tels dispositifs et de déterminer quels sont les véhicules qu’il conviendrait d’équiper en priorité. Cette réflexion doit se faire en conduite, pour pouvoir s'adapter de manière réactive aux évolutions technologiques, sous réserve de la maturité de la technologie.

Nous avions déjà eu ce débat lors de la discussion du projet de LPM. Le ministre des armées avait indiqué que la priorité pourrait être accordée aux véhicules blindés plutôt qu’aux chars de combat.

Enfin, l’ajout de systèmes de protection active fait partie des réflexions menées dans le cadre du programme de système principal de combat terrestre (MGCS).

Je vous propose de travailler ensemble sur cette question en vue du PLF pour 2025.

Demande de retrait.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN106 de Mme Murielle Lepvraud

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NUPES). Cet amendement d’appel a pour objet d’ouvrir l’accès à la délivrance de la carte du combattant et au titre de reconnaissance de la nation aux sous-mariniers embarqués à bord de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE).

Cette carte du combattant permet de bénéficier, entre autres, de l’allocation de reconnaissance du combattant, de la rente majorée par l’État de la retraite mutualiste du combattant ou encore d’une demi-part supplémentaire de quotient familial pour le calcul de l’impôt sur le revenu au soixante-quatorzième anniversaire du combattant – un peu tard, mais c’est un autre sujet.

Pour obtenir cette carte, il faut avoir pris part pendant quatre mois à des opérations extérieures (Opex). Ce critère pose un problème aux sous-mariniers embarqués à bord d’un SNLE, dont les missions ne sont pas considérées comme des Opex.

La dissuasion nucléaire ayant pour objectif d’empêcher tout conflit, ils ne pourraient obtenir la carte du combattant qu’en cas d’échec de leur mission, c’est-à-dire d’engagement du feu nucléaire. Cette situation est pour le moins paradoxale.

Si vous considérez que la dissuasion nucléaire constitue le cœur du cœur de la défense de notre pays, selon l’expression de notre collègue Thiériot, ne pensez-vous pas qu’il conviendrait de modifier la réglementation relative à la carte du combattant pour les sous-mariniers qui servent dans les SNLE ?

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Mon collègue Jean-Charles Larsonneur et moi-même avons posé plusieurs questions écrites à ce sujet, lesquelles ont manifestement été lues par d’autres collègues.

Nous sommes tous d’accord au sein de cette commission : il faut corriger cette anomalie. Mais il s’agit d’une affaire réglementaire et non pas budgétaire.

J’émets un avis défavorable pour des raisons techniques. Mais il va falloir traiter cette question, qui concerne l’ensemble des sous-mariniers.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendements identiques II-DN130 de M. Jean-Charles Larsonneur, II-DN133 de Mme Isabelle Santiago et II-DN138 de Mme Anne Genetet, amendements II-DN129 de M. Julien Bayou et II-DN116 de Mme Josy Poueyto (discussion commune)

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis. L’an dernier, nous avions voté le doublement des crédits du fonds spécial de soutien à l’Ukraine en les portant à 200 millions.

Or, le PLF pour 2024 ne prévoit pas de prolonger ce fonds. Cette mesure peut paraître brutale dans le contexte d’une longue guerre d’attrition, même si le ministre des Armées Sébastien Lecornu a expliqué qu’un processus était engagé pour faire évoluer l’aide à l’Ukraine. Il s’agit d’associer plus directement les industriels français avec la partie ukrainienne et de moins recourir à des acquisitions financées par ce fonds.

Son arrêt brutal apparaît comme un mauvais signal à nombre de collègues et sur la plupart des bancs. C’est la raison pour laquelle les amendements identiques et ceux qui leur sont très similaires proposent de maintenir le fonds spécial. Ils ne diffèrent que par les gages retenus, qu’il est d’ailleurs demandé au Gouvernement de lever car l’article 4 de la LPM prévoit que les dépenses exceptionnelles liées à l’Ukraine ne seront pas financées par la mission Défense.

Mme Anna Pic (SOC). Dans un contexte où l’attention est quelque peu détournée de l’Ukraine et où le Kremlin compte sur la lassitude des opinions publiques occidentales, il est essentiel de ne pas envoyer de mauvais signal. La disparition du fonds de soutien sans qu’il y ait encore véritablement un dispositif de remplacement pourrait être symboliquement perçue comme un abandon soudain de l’Ukraine par la France. L’amendement II-DN133 vise à accompagner le développement de stratégie destinée à se substituer aux cessions d’armement dont le ministre nous a parlé.

Mme Natalia Pouzyreff (RE). L’amendement II-DN138 est identique. Comme l’a indiqué le ministre, les 200 millions du fonds de soutien sont déjà en partie consommés et d’autres sommes sont engagées au titre des commandes faites par les Ukrainiens. Nous souhaitons donc que ce fonds soit maintenu et nous demandons que l’article 4 de la LPM soit appliqué afin que les crédits de la mission Défense ne soient pas affectés par cette aide.

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). Cet amendement propose de pérenniser le fonds spécial de soutien à l’Ukraine.

Le groupe d’amitié France-Ukraine a récemment organisé un déplacement dans ce pays, et Murielle Lepvraud et moi-même y avons participé. Le soutien de la France est attendu par les Ukrainiens.

Ce n’est pas seulement l’avenir du peuple ukrainien qui se joue là-bas. Il s’agit d’un conflit entre la dictature et la démocratie. On compte seulement des régimes autoritaires dans le camp des Russes et des démocraties dans le camp ukrainien. Abandonner l’Ukraine signalerait à Poutine qu’il peut continuer à s’en prendre à la Moldavie et à déstabiliser l’Europe.

Ce conflit est bien sûr observé aussi par la Chine. Un succès russe serait nécessairement interprété comme la possibilité de l’emporter contre un adversaire soutenu par l’Ouest en ne respectant pas le droit de la guerre.

Il y a beaucoup à faire pour aider l’Ukraine : geler les avoirs russes, les affecter à la reconstruction et soutenir l’armement de ce pays. Mais cela commence dans l’immédiat par la pérennisation du fonds spécial de soutien.

M. Christophe Blanchet (Dem). Avec l’amendement II-DN116, le groupe Démocrate propose lui aussi de maintenir les 200 millions prévus dans le cadre du fonds spécial de soutien à l’Ukraine. Il s’agit bien d’un affrontement aux portes de l’Europe entre une démocratie et des dictatures. C’est l’avenir européen qui est en jeu.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Étant moi-même cosignataire de l’amendement II-DN138, je suis favorable à l’adoption des trois amendements identiques.

Demande de retrait pour les amendements II-DN129 et II-DN116, mais seulement pour des raisons de technique budgétaire.

Sur le fond, il faut bien mesurer que le Gouvernement propose d’aider au développement d’une base industrielle et technologique de défense (BITD) ukrainienne, en association étroite avec les industriels français. Le fonds spécial de soutien a pour objet de rendre possibles des commandes directes de l’Ukraine auprès de nos industries de défense et, si possible, que l’industrie de défense ukrainienne puisse répondre au mieux aux besoins du front – y compris dans le domaine du maintien en condition opérationnelle (MCO), crucial dans un conflit qui va encore durer longtemps.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Du fait d’un petit loupé technique, le groupe Les Républicains n’a pas déposé un amendement identique.

Mais nous soutenons totalement ces amendements, qui constituent un signal. Après l’attaque terroriste du Hamas contre Israël, on a tendance à regarder le Proche-Orient et à perdre de vue l’Ukraine. Il est très important que notre commission adopte ces amendements le plus largement possible, afin de montrer que nous n’oublions pas cette dernière.

Ensuite, le fonds spécial de soutien correspond à un besoin des armées ukrainiennes. Nous avons entendu ce qu’a dit le ministre des armées et nous sommes favorables au fait de passer d’une logique de cessions à une logique d’amorçage. Mais cela suppose aussi des crédits, et le fonds spécial peut et doit y participer. Des PME en ont besoin et certaines attendent la réouverture de ce fonds, comme par exemple Cybergun.

Enfin, comme cela a été dit par tous, la demande de pérennisation du fonds spécial ne se conçoit que dans le cadre de l’article 4 de la LPM, voté à l’unanimité, lequel dispose que l’aide à l’Ukraine ne doit pas se faire au détriment de nos armées. Nous appelons solennellement le ministre à respecter cet article.

La commission adopte les amendements identiques.

 

En conséquence, les amendements II-DN129 et II-DN116 tombent.

 

Amendement II-DN146 de M. Jean-Louis Thiériot

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Il s’agit d’un amendement d’appel, qui vise à insister sur l’importance de réfléchir, dans le cadre de la fonction d’influence, au déploiement d’une stratégie avec les think tanks non étatiques. Je suis prêt à retirer l’amendement, dont le montant de 10 000 euros est symbolique, mais nous devons élaborer une véritable stratégie avec ces organisations pour que les think tanks français de la défense parviennent à faire entendre une voix indépendante de la France, même s’ils n’atteindront jamais la puissance de la Rand Corporation.

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis. Je vous rejoins complètement sur voter objectif. J’en parlais ce matin dans ma présentation. J’ai eu l’occasion de m’entretenir avec plusieurs think tanks dans le cadre de mes travaux ainsi qu’avec la DGRIS. Je pense que nous devons réfléchir aux moyens de soutenir davantage et mieux nos centres de recherche. La réforme du dispositif de soutien aux think tanks de la DGRIS mis en place en 2015 a porté ses fruits mais nous devons aller plus loin. Je vous propose de retirer votre amendement et de poursuivre la réflexion sur les modalités du renforcement de ce soutien.

L’amendement est retiré.

 

L’amendement II-DN148 de M. Jean-Louis Thiériot est retiré.

 

 

Amendement II-DN156 de M. Frank Giletti

M. Frank Giletti-, rapporteur pour avis. Il vise à mettre en lumière la nécessité de la montée en puissance de nos capacités spatiales. Qui dominera l’espace aura un avantage sur le champ de bataille : nous n’avons pas suffisamment pris la mesure des besoins dans ce domaine ; l’amendement vise à combler notre retard pour ne pas revivre l’expérience des drones.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Je demande le retrait de l’amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable. Le PLF traduit les engagements de la LPM et comporte ainsi la première étape du patch de 6 milliards d’euros programmés pour le spatial. Les autorisations d'engagement s’élèvent à 1,2 milliard en  2024 pour le programme de « maîtrise de l’espace », soit une augmentation supérieure à 200 % par rapport à 2023. La programmation satisfait l’amendement.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-DN157 de M. Frank Giletti

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. L’un de mes précédents amendements évoquait l’activité des aéronefs ; celui-ci cible leur disponibilité. Les restrictions de diffusion d’informations en matière de disponibilité des flottes nous empêchent d’analyser l’efficience du maintien en condition opérationnelle (MCO). Ayant pu consulter les chiffres, je propose d’abonder le MCO de 280 millions d’euros, afin que la flotte –  notamment le triptyque MRTT, A400M, Rafale – puisse voler plus fréquemment.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN158 de M. Frank Giletti

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Il vise à donner plus de moyens au programme Scorpion, afin de renforcer les capacités d’évacuation médicale du service de santé des armées (SSA). Nous avons en effet des interrogations sur les livraisons des véhicules Griffon sanitaire (SAN) et Serval SAN.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. L’évacuation des blessés figure en effet parmi les nombreux enseignements du retour d’expérience de l’exercice Orion.

Il s’agit d’un amendement d’appel, mais, sur le fond, la version sanitaire du Griffon et du Serval n’en est qu’une parmi d’autres du programme Scorpion, toutes également importantes et que la DGA doit qualifier successivement. Huit autres sous-versions sont ainsi prévues pour le Serval – infanterie, génie, mortier de 81 millimètres, mortier de 120 millimètres, poste de commandement, missiles de moyenne portée (MMP), sol-air de très courte portée et ravitaillement.

Il appartient aux forces de prioriser les livraisons des différentes versions en fonction de besoins militaires associés. De récentes avancées sont à saluer car la DGA a pu qualifier, le 25 septembre dernier, la version du véhicule de patrouille blindé sanitaire du Serval : les livraisons vont pouvoir débuter pour ce véhicule, qui sera destiné aux équipes médicales mobiles du SSA. Celui-ci en attend 135 exemplaires, afin de remplacer d’ici à 2029 la version « évolution contre les engins explosifs improvisés (Évol Cied) » du véhicule de l’avant blindé (VAB). Par ailleurs, le SSA sera doté de 196 Griffon SAN, la DGA ayant déjà qualifié cette version en 2022.

Je demande le retrait de l’amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN161 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Nous débutons l’examen d’une série d’amendements liés à lla partie thématique de mon rapport budgétaire.

Le premier concerne les militaires affectés outre-mer, lesquels bénéficient tous d’un logement du ministère : le financement du loyer s’effectue par une retenue sur salaire, qui représente 10 % pour un militaire mais 15 % pour un agent civil du ministère des armées. Cet amendement vise à supprimer cette inégalité de traitement en ramenant la retenue des personnels civils à 10 % de leur salaire.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN162 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Nous avons déjà évoqué le sujet du coût du carburant pour les armées. Il s’agit de l’amendement que je proposais à nos camarades socialistes à la place du leur.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Je partage votre inquiétude sur la hausse de ce coût. J’ai moi-même déposé un amendement en ce sens, qui me paraissait équilibré et proportionné aux besoins, alors que le vôtre, qui propose une augmentation des crédits de 100 millions d’euros, me semble quelque peu disproportionné ; j’émets donc un avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

 

Amendement II-DN163 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. L’amendement porte sur le même sujet.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. L’avis est défavorable, car la loi de finances initiale pour 2024 prend déjà en compte pour partie votre demande. Nous rappelons chaque année l’existence de l’article 5 de la LPM, qui a joué dans les années précédentes.

La commission rejette l’amendement.

 

Suivant la position du rapporteur pour avis M. François Cormier-Bouligeon, la commission rejette l’amendement II-DN164 de M. Bastien Lachaud.

 

Amendement II-DN165 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il vise à limiter les irritants du quotidien qui ennuient les militaires et contribuent à affaiblir leur fidélisation, en augmentant les stocks d’habillement du service du commissariat des armées (SCA). Actuellement, 2 % du catalogue se trouve en rupture de stock : les produits les plus demandés, notamment les chaussures noires plates de taille 44, manquent régulièrement. L’amendement abonde les crédits du SCA pour que celui-ci reconstitue ses stocks d’habillement.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN166 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il porte sur le statut des personnes occupant le poste de baleinier en Polynésie française ; celles-ci sont indispensables pour l’accostage dans les atolls ; chacun de ces derniers est unique, si bien que le temps de formation est très long. Ils ont longtemps bénéficié du statut de personnels civils de recrutement local (PCRL) et pouvaient travailler jusqu’à l’âge de la retraite. Ils ont actuellement le statut de militaires commissionnés et ne peuvent donc pas dépasser dix-sept ans de service. L’essentiel de cette période est consacré à la formation, donc ils souhaiteraient pouvoir exercer plus longtemps.

Cet amendement d’appel vise à ouvrir une réflexion sur le statut des baleiniers, indispensables à notre présence en Polynésie.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Une fois n’est pas coutume, je suis en phase avec M. Lachaud. Les baleiniers n’appartenaient pas à la marine nationale, ils étaient rattachés aux gens de mer ; maintenant qu’ils ont rejoint la marine, ils ne peuvent pas servir plus de dix-sept ans car ils ne peuvent pas accéder au brevet supérieur. Il faut trouver une solution, qui pourrait emprunter la voie de la validation des acquis de l’expérience (VAE), pour que ces personnes, très peu nombreuses, puissent obtenir le brevet supérieur. L’avis est favorable.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Ils sont entre cinq et dix, pas plus.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN167 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Dans le cadre de la reconnaissance de la dette de l’État français à la suite des essais nucléaires dans le Pacifique, le ministère des armées a créé un statut de PCRL. Malheureusement, ces agents ne sont recrutés qu’à des postes équivalents aux catégories B et C de la fonction publique ; leur avancement est donc bloqué alors qu’ils remplissent souvent des tâches de catégorie A.

Ces agents apprécient ce statut protecteur et utile, mais ils aimeraient être reconnus à la hauteur de leurs qualifications – ils sont souvent surdiplômés –, de leur engagement et de la nature réelle des postes qu’ils occupent.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN168 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Les forces de souveraineté sont très souvent sollicitées pour effectuer les évacuations sanitaires (Évasan), qui ne relèvent pourtant pas de leurs compétences. L’amendement vise à augmenter les moyens civils dédiés aux Évasan afin que les forces ne soient pas détournées de leurs missions opérationnelles.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN169 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Je propose une augmentation de 50 millions du budget de l’Igesa (institution de gestion sociale des armées), dont le rôle est fondamental tant pour les loisirs que pour la gestion des établissements sociaux et médico-sociaux.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN170 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Je propose de doter de 220 millions supplémentaires la rémunération indiciaire des personnels militaires de la marine nationale, de l’armée de terre, de l’armée de l’air et de l’espace, mais aussi des personnels exerçant des fonctions de soutien et logistique interarmées relevant du programme 178. Ce montant correspond à l’ensemble des mesures générales concernant la fonction publique qui se sont appliquées aux armées et garantit que le financement des mesures interministérielles n’est pas ponctionné sur la LPM.

La commission adopte l’amendement.

 

Avant l’article 50

 

Contre la position du rapporteur pour avis Bastien Lachaud, elle rejette l’amendement II-DN2 de Mme Isabelle Santiago.

 

Amendement II-DN5 de Mme Anna Pic

Mme Anna Pic (SOC). C’est une demande de rapport relatif à l’adaptation de la politique de rémunération des militaires, en vue d’améliorer l’équilibre entre rémunération indiciaire et indemnitaire.

Ces dernières années, le ministère des armées a repensé la solde de nos soldats en mettant en œuvre la NPRM. Le rapport annexé de la LPM 2024-2030 indique que « la revalorisation des grilles permettra […] aux militaires du rang de progresser dès les premières années de leur engagement […]. Une attention particulière sera portée à la reconnaissance des sous-officiers supérieurs […]. Les parcours d’officiers seront également valorisés en accompagnant mieux les potentiels et les performances constatées. La part indemnitaire de la politique salariale, quant à elle, ciblera les métiers et les expertises en forte tension et qui participent à nos pivots capacitaires ». Le PLF pour 2024 doit marquer l’achèvement du déploiement de la NPRM.

Ces efforts, salués par les principaux concernés, ne nous semblent cependant pas suffisants pour relever les défis de l’attractivité et de la fidélisation et face au sentiment de déclassement éprouvé par nos troupes. La baisse des cibles d’effectifs pour 2024 et la non-atteinte des objectifs de recrutement inscrits dans la LPM, pourtant votée il y a quelques mois, le prouve. La revalorisation du point d’indice est, elle aussi, bien insuffisante après plus de dix ans de gel.

Contre la position du rapporteur pour avis Bastien Lachaud, la commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN3 de Mme Isabelle Santiago

Mme Anna Pic (SOC). Il demande un rapport relatant les actions entreprises par le Gouvernement pour atteindre ses objectifs en matière de politique environnementale et de transition écologique dans le domaine des armées, et examinant la possibilité de créer une ligne budgétaire dédiée à la transition écologique dans le cadre de la mission Défense.

Contre la position du rapporteur pour avis Bastien Lachaud, la commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN1 de Mme Anna Pic

Mme Anna Pic (SOC). Il demande un rapport sur l’évaluation de la mise en œuvre du dispositif d’économie de guerre concernant l’industrie de défense : politique d’accroissement et de gestion des stocks, notamment de munitions, maintien en condition des équipements, simplification des besoins, assouplissement des règles, etc.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Avis défavorable : l’amendement est satisfait par le rapport annuel prévu à l’article 9 de la LPM.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN8 de Mme Anna Pic

Mme Anna Pic (SOC). Il demande un rapport formulant, conformément à la recommandation de la Cour des comptes dans son rapport sur l’exécution du budget 2022, une trajectoire d’autorisations d’engagement et de restes à payer, notamment pour le programme 146, sur une base pluriannuelle. Nous nous inquiétons toujours de l’augmentation des restes à payer.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Avis défavorable. L’article 10 de la LPM prévoit déjà un rapport annuel sur l’évaluation de la programmation budgétaire. L’augmentation des restes à payer est liée à celle des capacités, conforme à l’ambition commune qu’exprime la LPM.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN9 de Mme Anna Pic

Mme Anna Pic (SOC). Il demande un rapport sur l’évaluation et l’état d’avancement des programmes d’armement en coopération dans le secteur de la défense, qu’il s’agisse des coopérations avec les États partenaires établies sur une base plurinationale ou des programmes lancés dans le cadre de l’Union européenne et financés par des crédits communautaires. Ce rapport évalue également dans quelle mesure le PLF inscrit dans les faits la coopération européenne et en quoi ces partenariats renforcent l’autonomie stratégique nationale sur la scène européenne dans deux domaines en particulier : les équipements et l’industrie ; la recherche et le développement.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Avis défavorable. L’article 9 de la LPM prévoit déjà un rapport annuel qui traite de cette question.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN24 de Mme Isabelle Santiago

Mme Anna Pic (SOC). Il demande un rapport sur le coût du retrait anticipé des forces armées françaises au Sahel et la redirection des budgets qui leur sont dédiés. Il est souhaitable que ce rapport comprenne un volet détaillant le coût de retour des matériels et équipements et un autre précisant les coûts de transport de personnels et la juste rémunération des militaires déployés et rapatriés dans de brefs délais. Enfin, le rapport ferait état de la répartition des fonds utilisés pour assurer la présence française dans la région ainsi que la pérennité des missions de défense alors que l’on se tourne davantage vers la coopération de sécurité et de défense.

Contre la position du rapporteur pour avis Bastien Lachaud, la commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN25 de Mme Isabelle Santiago

Mme Anna Pic (SOC). Nous demandons un rapport sur le coût de développement des matériels et technologies innovants adaptés aux nouveaux espaces de conflictualité, qui différenciera bien le spatial, le cyber et les fonds marins.

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis. Avis défavorable. La politique d’innovation de défense fait déjà l’objet d’un rapport annuel précis : le DrOID (document de référence de l’orientation de l’innovation de défense), édité par l’AID (Agence de l’innovation de défense). Il est vrai que l’édition 2023 du document n’a pas encore été publiée, pour tenir compte des nouvelles priorités fixées dans la LPM, mais l’AID m’a fait savoir qu’il sera publié très prochainement.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN109 de M. Aurélien Saintoul

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il demande un rapport destiné à faire la transparence sur le recours éventuel de l’État à des ESSD (entreprises de services de sécurité et de défense) pour l’exercice budgétaire 2024.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN113 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il demande un rapport relatif à l’impact des reports de commande sur le coût des programmes et la capacité des armées à honorer les contrats opérationnels.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Défavorable. Nous en avons longuement parlé dans le cadre de la LPM. Il est normal de revoir les cibles d’année en année en fonction des priorités et contraintes géostratégiques et géopolitiques.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN114 de M. Aurélien Saintoul

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Selon la Cour des comptes, la contribution de la France à l’Otan devrait coûter 830 millions d’euros en 2030. En parallèle, nous dépensons chaque année 700 millions en nature sur le flanc est de l’Europe, en mettant à disposition certains moyens de nos armées. Nous souhaitons savoir très précisément comment cette contribution en nature est prise en compte au sein de l’Otan dans le financement de l’Alliance par la France. Nous voulons également connaître les objectifs du Gouvernement s’agissant de l’obtention de financements de l’Otan. Bref, y a-t-il une vision, une stratégie française au sein de l’Otan, qui justifie que nous soyons revenus au sein du commandement intégré et qui prenne en compte ce que nous faisons pour l’Organisation de sorte que nos armées bénéficient de retours sur investissement ?

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis.  La question de l’OTAN et celle de notre stratégie vis-à-vis de cette organisation ont été longuement débattues pendant la LPM. Un rapport du gouvernement sur ces sujets est d’ailleurs prévu dans son rapport annexé.

Par ailleurs, rien n’empêche notre commission de faire une mission d’information sur ce sujet.

M. le président Thomas Gassilloud. Nous auditionnerons mardi prochain les membres de la Cour des comptes qui ont consacré un rapport à cette question.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Nous avons déjà eu ce débat à propos de la LPM. Chaque fois, on nous dit que la commission va faire une mission d’information. Chiche !

La commission rejette l’amendement.

 

Amendements II-DN118 et II-DN120 de M. François Piquemal

Mme Martine Étienne. Le premier de ces deux amendements vise à obtenir un rapport relatif aux moyens mis en œuvre pour lutter contre les débris spatiaux. Il s’agit d’établir les priorités, en énumérant les risques et les moyens d’action, pour consacrer à ce problème un véritable budget en loi de finances et en programmation.

Les débris spatiaux, raison principale de la dégradation de nos matériaux, peuvent même détruire nos équipements. Le problème s’aggrave d’année en année, à mesure que le trafic spatial augmente et que les méga-entreprises aux dirigeants milliardaires, comme Elon Musk, se livrent à une course spatiale sans fin. L’ESA (Agence spatiale européenne) donne l’alerte et souligne l’importance de technologies permettant de prévenir le phénomène. Elle ajoute qu’« en parallèle, les régulateurs doivent surveiller de plus près les engins spatiaux placés sous leur juridiction ainsi que l’adhésion aux mesures d’atténuation des débris ».

Le second amendement demande un rapport sur les moyens mis en œuvre dans le domaine de la météo spatiale. Seule une parfaite connaissance, maîtrise et anticipation des événements comme les éruptions solaires permet d’appréhender convenablement le domaine spatial et de protéger nos matériaux. Or la météo spatiale ne fait pas l’objet d’une délégation de service public : ce sont des start-up, françaises ou non, qui travaillent sur cette question. Le Gouvernement prévoit-il de continuer à faire appel à des services privés ou souhaite-t-il investir dans un opérateur d’État spécifique ? L’étude de l’espace repousse les limites de nos connaissances et développe notre humanité.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Chacun comprendra la préoccupation de La France insoumise concernant les vieux débris – spatiaux, évidemment – compte tenu de l’impact qu’ils peuvent avoir sur les activités de l’armée de l’air et de l’espace. Plus sérieusement, c’est un sujet qui se traite au niveau européen, notamment dans le cadre de l’Agence spatiale européenne (ESA). Je ne vois pas en quoi un rapport national aiderait cette agence à bien documenter et appréhender la question. Et ce n’est pas davantage par un rapport que nous traiterons le sujet de la météo spatiale. Avis défavorable.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il s’agit d’une question importante de souveraineté à laquelle vous ne pouvez pas répondre « l’Europe fera ». La France n’est plus la première contributrice nette au budget de l’Agence spatiale européenne (ESA) : c’est désormais l’Allemagne, qui détermine donc un peu plus que nous les orientations de l’agence. Or nous n’avons pas les mêmes objectifs, la même vision de l’utilité de l’espace que les Allemands. Nous avons, pour notre part, un commandement de l’espace, qui a besoin de gérer la question des débris, et toutes nos armées dépendent de la météo spatiale. Ne balayons donc pas la question d’un revers de main.

Nous sommes les seuls à avoir insisté sur l’enjeu de l’espace lors des trois dernières campagnes présidentielles. Nous sommes ravis de constater que la majorité s’est enfin résolue, dans le cadre de la dernière LPM, à considérer l’espace, le cyber et les fonds marins comme des enjeux centraux, ainsi que nous le faisons depuis plus de dix ans. Néanmoins, vous n’allez pas assez loin. La manière dont vous réagissez à ces amendements démontre bien que vous n’avez pas encore pleinement compris l’importance de l’espace pour les conflits de demain et, au-delà, pour la survie de l’humanité.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Nos collègues de LFI sont les seuls à ne pas avoir voté la loi de programmation militaire et le renforcement de 6 milliards des moyens pour le spatial. Nous n’avons pas de leçons à recevoir dans ce domaine, Monsieur Lachaud. Par ailleurs, je n’ai pas dit « l’Europe fera », mais que ce n’est pas avec des demandes de rapport qu’on traitera ces questions.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Je chercherai la date de l’anniversaire de notre collègue Bastien Lachaud pour lui offrir l’ensemble des discours d’Emmanuel Macron. Il pourra ainsi constater que son groupe n’est pas le seul à parler de ces sujets.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendement II-DN143 de M. José Gonzalez.

M. José Gonzalez (RN). Si le bloc NPRM, c’est-à-dire la nouvelle politique de rémunération des militaires, va globalement dans le bon sens, les associations professionnelles nationales nous ont alertés sur un point qui semble essentiel : certains profils sont pénalisés par l’indemnité de garnison et sa fiscalisation dès lors que le taux marginal d’imposition dépasse 15 %. Nous soulignons, par cet amendement qui demande au Gouvernement de nous remettre un rapport, la nécessité de modifier le décret du 24 mai 2023 pour aller vers une défiscalisation de l’indemnité et éviter à nos militaires une perte de pouvoir d’achat.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Je suis favorable à la défiscalisation de l’indemnité de garnison, mais une demande de rapport n’est pas le bon moyen d’atteindre cet objectif. Il faudrait soit revenir maintenant sur le décret soit attendre 2025 pour voir réellement les effets de l’indemnité. Je vous demande donc de retirer l’amendement.

La commission rejette l’amendement.

 

Elle émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Défense modifiés.

 

 

 


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   Annexe :

Auditions et dÉplacementS dU rapporteur pour avis

1.- Paris

M. le vice-amiral d’escadre Éric Janicot, directeur du personnel militaire de la Marine

M. le vice-amiral Xavier Petit, sous-chef opérations à l’état-major de la Marine

M. le contre-amiral Éric Vernet, sous-chef d’état-major soutiens-finances à l’état-major de la Marine

M. le contre-amiral David Desfougères, sous-chef d’état-major plans et programmes à l’état-major de la Marine

M. le commissaire en chef Roberto Lemos, chargé de mission sûreté et sécurité maritimes, direction générale des relations internationales et stratégies, ministère des Armées

MM. Toni Vieira, directeur délégué, relations institutionnelles internationales, Christophe Adotti, vice-président développement Mozambique, Jean-Marie Chouzenoux, directeur délégué relations institutionnelles France, TotalÉnergies

M. le commissaire général Philippe Jumel, délégation ministérielle aux partenariats, aux stratégies et aux innovations de Sécurité (DPSIS) du ministère de l’Intérieur

 

2.- Mayotte (11 au 12 septembre 2023)

M. le capitaine de frégate François-Xavier Pilven, commandant de la base navale de Mayotte

M. le colonel Axel Girard, commandant du détachement de la Légion étrangère à Mayotte

M. Le colonel Guillaume Larabi, commandant du RSMA de Mayotte

M. Thierry Suquet, préfet de Mayotte

M. Ben Issa Ousseni, président du conseil départemental de Mayotte

M. Joël Bastard, chef de l’antenne d’infrastructure maintenance de Mayotte

 

 

 

3.- La Réunion (13 au 14 septembre 2023)

M. Jérôme Filippini, préfet de la Réunion

M. le général de brigade Jean-Marc Giraud, commandant des Forces armées dans la zone Sud de l’océan Indien et M. le capitaine de vaisseau Cyrille de Cerval, adjoint interarmées et commandant de zone maritime sud de l’océan Indien

M. l’ingénieur en chef Didier Noguès, directeur de l’infrastructure de défense de Saint-Denis de la Réunion

M. Eric Legrigeois, président du directoire du Grand port maritime de la Réunion

M. le capitaine de frégate François-Xavier Poisson, commandant de la frégate de surveillance Floréal

M. le capitaine de frégate Gildas Danguy des Déserts, directeur de l’antenne du Service Soutien de la Flotte de la Réunion et de Mayotte

M. Thomas Rostaing, directeur du CROSS-SOI