N° 459
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 octobre 2024
AVIS
PRÉSENTÉ
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2025 (n° 324),
TOME VII
IMMIGRATION, ASILE ET INTÉGRATION
PAR Mme Brigitte KLINKERT
Députée
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Voir le numéro : 324.
SOMMAIRE
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Pages
I. des moyens budgÉtaires plus resserrÉs pour la politique migratoire
A. Le programme immigration et asile
B. Le programme intÉgration et accÈs à la nationalitÉ française
A. Éloignement contraint des Étrangers : État des lieux
1. Les grandes tendances récentes de la migration
2. Des évolutions juridiques récentes
3. Des moyens matériels nouveaux
B. La faible dÉlivrance des lpc : principal obstacle À l’Éloignement
1. Le nombre insuffisant de LPC délivrés et ses causes
C. Les visas : un levier au maniement délicat
1. Une procédure lourde en droit européen
2. Un outil peu convaincant en droit français pour favoriser les réadmissions
D. La nÉcessitÉ d’un dialogue politique franc avec les pays d’origine
1. Faire valoir nos objectifs politiques
2. Coopérer avec des États devenus eux‑mêmes des terres d’immigration
3. S’appuyer sur l’aide publique au développement
annexe : Liste des personnes auditionnÉes par la rapporteure pour avis
Deux opérateurs participent à la mise en œuvre de la politique relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France : l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), en charge de l’accueil et de l’intégration des ressortissants étrangers admis au séjour, et l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), chargé de la reconnaissance de la qualité de réfugié, d’apatride ou de protégé subsidiaire.
Les crédits de paiement (CP) de la mission Immigration, asile et intégration passent de 2,16 milliards d’euros en loi de finances initiale pour 2024 à 2,05 milliards d’euros dans le projet de loi de finances pour 2025, en baisse de 5,04 %. Les autorisations d’engagement (AE), quant à elles, diminuent de 1,97 %, à 1,73 milliard d’euros.
La mission comprend deux programmes : le programme n° 303 Immigration et asile (qui représente environ 82 % des crédits de la mission en 2025) et le programme n° 104 Intégration et accès à la nationalité française (qui représente 18 % de ces crédits).
La rapporteure pour avis, après avoir examiné les principaux axes du budget de l’immigration, de l’asile et de l’intégration pour le prochain exercice, concentrera son analyse sur la politique diplomatique de la France en matière de laissez‑passer consulaires (LPC) face à l’enjeu de l’éloignement des ressortissants étrangers en situation irrégulière. La faible délivrance des LPC de ceux‑ci est en effet l’une des principales raisons du défaut d’exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF). Ce sujet soulève des problématiques à la fois juridiques, politiques et diplomatiques qu’il importe d’explorer si l’on veut enregistrer des progrès dans la maîtrise des flux migratoires.
I. des moyens budgÉtaires plus resserrÉs pour la politique migratoire
La mission Immigration, asile et intégration est appelée à contribuer, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025, à l’effort de redressement des finances publiques. Les crédits de paiement de la mission diminuent ainsi de 5,04 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2024, passant de 2,16 milliards d’euros à 2,05 milliards d’euros. Le plafond d’emplois des opérateurs est fixé à 2 258 équivalents temps plein travaillé (ETPT).
Les crédits de paiement du programme n° 303 Immigration et asile diminueront légèrement en 2025 (‑ 2,54 %), tandis que ceux du programme n° 104 Intégration et accès à la nationalité française régresseront plus fortement (‑ 15,05 %).
A. Le programme immigration et asile
Pour 2025, les dotations du programme 303 Immigration et asile s’élèvent à 1,36 milliard d’euros en AE et à 1,68 milliard d’euros en CP, respectivement en augmentation de 2,04 % et en baisse de 2,54 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2024. Ce programme comporte deux actions principales ([1]) : Garantie de l’exercice du droit d’asile (n° 2) et Lutte contre l’immigration irrégulière (n° 3).
Dotée de 1,09 milliard d’euros en AE (+ 12,63 %) et de 1,4 milliard d’euros en CP en 2025 (‑ 0,19 %), l’action n° 2 Garantie de l’exercice du droit d’asile finance l’accueil et l’hébergement des demandeurs d’asile en centres d’accueil et d’examen des situations (CAES) ([2]), en centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) ou en hébergements d’urgence pour demandeurs d’asile (HUDA). Elle finance également l’accueil, dans des centres provisoires d’hébergement (CPH), de personnes vulnérables ayant récemment obtenu une protection internationale ; le but est ici de favoriser la sortie de ces personnes des lieux d’hébergement pour demandeurs d’asile. Les crédits demandés pour le parc d’hébergement des demandeurs d’asile et des réfugiés s’élèvent à 639,1 millions d’euros en AE (+ 13 %) et à 944,8 millions d’euros en CP (‑ 5 %).
L’augmentation sensible (+ 12,6 %) des autorisations d’engagement de l’action n° 2 en 2025 est due principalement à l’inscription d’autorisations budgétaires pour couvrir des places d’hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile (HUDA) en Île‑de‑France.
L’action n° 2 Garantie de l’exercice du droit d’asile finance aussi le versement de l’allocation pour demandeurs d’asile (ADA), dont la gestion est assurée par l’OFII. Son montant de base s’élève à 6,80 euros par personne et par jour. La dotation prévue à ce titre pour 2025 s’élève à 246,6 millions d’euros (hors frais de gestion). Elle est en diminution de 16 % (‑ 47,2 millions d’euros) par rapport à la loi de finances initiale pour 2024. Elle repose sur une hypothèse de 147 300 demandes d’asile introduites en guichets uniques pour demandeurs d’asile (GUDA) en 2025. À cette ADA stricto sensu s’ajoute l’ADA versée aux bénéficiaires de la protection temporaire (BPT), et en particulier aux Ukrainiens ayant fui leur pays pour s’installer en France. La dotation prévue ici s’élève à 106,8 millions d’euros (hors frais de gestion). Quant aux frais de gestion de l’ADA, 6,2 millions d’euros (en AE et en CP) sont inscrits dans le projet de loi de finances et prendront la forme d’une subvention à l’OFII.
L’action n° 2 porte par ailleurs la subvention pour charge de service public versée à l’OFPRA. La subvention inscrite au projet de loi de finances pour 2025 s’élève à 97,2 millions d’euros, contre 107,9 millions d’euros pour l’exercice 2024. Elle sera toutefois complétée par des fonds européens du Fonds asile, migration et intégration (FAMI), à hauteur de 10,8 millions d’euros, si bien que la dotation consolidée de l’établissement s’élèvera à 108 millions d’euros. La baisse des crédits budgétaires nécessaires pour financer l’OFPRA, du fait de la comptabilisation de ces ressources européennes importantes, explique pour une bonne part, la légère baisse des crédits de paiement de l’action n° 2 en 2025.
Le plafond d’emplois de l’OFPRA sera relevé de 1 036 à 1 065 ETPT. Ce relèvement, qui s’inscrit dans le sillage des recrutements effectués au cours des années récentes, vise à renforcer la capacité de décision de l’opérateur et, ainsi, à poursuivre la réduction du délai de traitement des demandes d’asile, l’objectif fixé par la loi étant de parvenir à un délai moyen de traitement de deux mois ([3]). La réduction du délai d’instruction des demandes constitue en effet un enjeu crucial en ce qu’elle a un impact direct sur le coût global de l’ADA pour l’État. Le recrutement de 29 officiers de protection affectés à l’instruction des demandes d’asile en 2025 a pour but la poursuite de cet objectif. Il convient de rappeler à cet égard que l’OFPRA remplit également une mission de délivrance d’actes d’état civil aux personnes protégées. L’OFPRA a bénéficié de 8 ETPT en 2023 et de 16 ETPT supplémentaires en 2024 afin d’accélérer la délivrance de ces documents et de réduire le stock de dossiers en instance. Le nombre de dossiers d’état civil traités en 2023 a ainsi doublé par rapport à 2022.
L’action n° 3 Lutte contre l’immigration irrégulière est en nette diminution. Elle atteint 173,3 millions d’euros en AE (‑ 42,2 %) et 199,3 millions d’euros en CP (‑ 23,55 %).
Elle est d’abord destinée à financer notamment le fonctionnement courant des centres de rétention administrative (CRA), celui des locaux de rétention administrative (LRA) et celui des zones d’attente des personnes en instance (ZAPI) : 69 millions d’euros en AE et en CP sont prévus à ce titre. Des crédits sont également prévus pour la prise en charge sanitaire des personnes en CRA (20,13 millions d’euros en AE et en CP), ainsi que pour leur accompagnement social et juridique (10,5 millions d’euros en AE et en CP).
L’action n° 3 financera aussi la poursuite de l’extension du parc de LRA et de CRA. L’objectif fixé par le Gouvernement est de porter à 3 000 le nombre de places en CRA (plan « CRA 3 000 »). La loi du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur dispose en effet : « Afin de lutter contre l’immigration clandestine alimentée par un dévoiement du droit d’asile et de favoriser les reconduites à la frontière, (…) le nombre de places en centres de rétention administrative sera progressivement porté à 3 000 » ([4]). S’agissant des LRA, il a été demandé aux préfets de zone d’accroître leurs capacités d’au moins un tiers.
Les travaux de sécurisation des CRA, également financés par cette action, se poursuivront en 2025. Ils sont rendus nécessaires par la priorité désormais donnée au placement des auteurs de troubles à l’ordre public (TOP). Le rehaussement du niveau de sécurité s’impose pour tenir compte de ce nouveau public, plus difficile, auteur de nombreux incidents, et notamment d’évasions ou de tentatives d’évasion dans plusieurs CRA.
21,6 millions d’euros en AE et 43,19 millions d’euros en CP, au total, sont prévus pour couvrir ces dépenses d’investissement en matière immobilière.
Enfin l’action n° 3 finance les frais d’éloignement, par voie aérienne ou maritime, des étrangers en situation irrégulière, mission confiée à la direction nationale de la police aux frontières (DNPAF). Après avoir connu une importante augmentation l’année dernière, ces crédits sont en léger reflux, avec 52,07 millions d’euros en AE et 56,38 millions d’euros en CP.
La rapporteure pour avis souligne que l’effort de redressement budgétaire nécessaire demandé à l’ensemble des ministères se traduit par une diminution trop importante des crédits dédiés à l’action n° 3 Lutte contre l’immigration irrégulière. En effet cette action est une priorité gouvernementale à laquelle il convient d’affecter les moyens nécessaires pour assurer son effectivité.
B. Le programme intÉgration et accÈs à la nationalitÉ française
Le programme n° 104 Intégration et accès à la nationalité française voit sa dotation fortement diminuer en 2025 : 369 millions d’euros en AE (- 14,37 %) et 366 millions d’euros en CP (- 15,05 %) sont prévus à ce titre dans le projet de loi de finances. Ce programme se décompose en quatre actions : Accueil des étrangers primo‑arrivants (n° 11), Intégration des étrangers primo‑arrivants (n° 12), Accès à la nationalité française (n° 14) et Accompagnement des foyers de travailleurs migrants (n° 16).
L’action n° 11 Accueil des étrangers primo‑arrivants porte le financement de la subvention pour charge de service public et de la subvention pour charge d’investissement de l’OFII ainsi que ses dépenses d’intervention : 268,3 millions d’euros en AE et en CP sont prévus à ce titre en 2025, soit une hausse de 9,09 %. Le plafond d’emplois de l’OFII est en revanche en diminution de 29 ETPT ([5]) ; il est ainsi ramené à 1 193 ETPT.
L’accueil des étrangers primo-arrivants qui souhaitent demeurer de manière relativement durable sur le territoire national est concrétisé par la signature d’un contrat d’intégration républicaine (CIR). Le CIR comprend, outre un entretien d’orientation, des cours de langue française et une formation civique. Les marchés de formations civique et linguistique seront renouvelés en 2025. La rapporteure pour avis rappelle à ce sujet que les exigences en matière de maîtrise de la langue française, pour pouvoir obtenir certains titres de séjour de longue durée (carte pluriannuelle et carte de résident), ont été rehaussées par la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration.
L’action n° 12 Intégration des étrangers primo-arrivants se voit attribuer 98,3 millions d’euros en AE et 95,4 millions d’euros en CP, en baisse respectivement de 43,73 % et de 45,41 %. L’action n° 12 vise à faciliter l’intégration des personnes étrangères, y compris les bénéficiaires de la protection internationale, pendant les années qui suivent leur admission à séjourner durablement sur le territoire français. Cette politique d’intégration des étrangers primo-arrivants est mise en œuvre de manière territorialisée ; plus de 80 % des crédits de l’action n° 12 sont ainsi mis à disposition des préfets de région pour l’intégration sociale et professionnelle des étrangers primo-arrivants.
Les crédits de l’action n° 12 financent également des programmes tels que le programme AGIR (Accompagnement global et individualisé des réfugiés). Lancé en 2022, ce programme devrait être mis en œuvre dans toute la France en 2025. Il a pour objet de mettre en place un guichet unique départemental pour les personnes ayant obtenu le statut de réfugié ou la protection subsidiaire. Ce guichet doit permettre de les accompagner vers le logement et l’emploi, en coordonnant mieux l’ensemble des acteurs locaux de l’intégration : service public de l’emploi, de l’hébergement et du logement, de l’insertion, acteurs associatifs, etc. Au 31 juillet 2024, 31 446 bénéficiaires de la protection internationale au total avaient déjà été orientés par l’OFII vers le programme AGIR.
L’action n° 14 Accès à la nationalité française garantit les moyens de fonctionnement de la sous-direction de l’accès à la nationalité française (SDANF) du ministère de l’intérieur. Cette sous-direction assure les naturalisations par décret et coordonne l’activité des plateformes en préfecture dans l’instruction des demandes de naturalisation et l’enregistrement des déclarations de nationalité au titre du mariage avec un conjoint français, à raison de la qualité d’ascendant de Français ou de la qualité de frère ou sœur de Français. Cette action est dotée en 2025 de 1,3 million d’euros en AE et en CP, soit un montant stable par rapport à la loi de finances initiale pour 2024.
L’action n° 16 Accompagnement des foyers de travailleurs migrants contribue au financement du plan de transformation des foyers de travailleurs migrants (FTM) en résidences sociales, mis en œuvre depuis 1997. Les AE et CP de cette action sont en diminution de 85,55 % dans le projet de loi de finances pour 2025, avec un montant de 1,3 million d’euros pour les unes et les autres. Cette diminution s’explique par une simplification de l’organisation administrative décidée en 2024 par la direction générale des étrangers en France (DGEF) et la délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (DIHAL), ayant conduit au transfert d’une partie des crédits d’intervention du programme 104 vers le programme 177 Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables de la mission Cohésion des territoires.
À la mission Immigration, asile et intégration sont rattachés des fonds de concours tels que le fonds asile, migration et intégration et l’instrument de soutien financier à la gestion des frontières et à la politique des visas (IGFV). Le FAMI et l’IGFV permettent de financer des projets d’assistance juridique et d’amélioration de l’accueil en CRA, ainsi que le financement du retour et des aides au retour. Dans le domaine de l’asile, le FAMI contribue au financement des opérations de relocalisation de demandeurs d’asile depuis d’autres États membres de l’Union européenne et de réinstallation de réfugiés en provenance de pays tiers. Dans le domaine de l’intégration, le FAMI cofinance le projet « AGIR ».
La prévision de rattachement des fonds européens sur la mission Immigration, asile et intégration pour 2024 est évaluée à 20,7 millions d’euros pour le programme 104 et à 83,7 millions d’euros pour le programme 303.
Synthèse du budget de l’immigration, de l’asile et de l’intégration pour 2025
Mission Immigration, asile et intégration (IAI)
Autorisations d’engagement : 1,73 milliard d’euros (‑ 1,97 %).
Crédits de paiement : 2,05 milliards d’euros (‑ 5,04 %).
Programme n° 303 Immigration et asile
Autorisations d’engagement : 1,36 milliard d’euros (+ 2,04 %).
Crédits de paiement : 1,68 milliard d’euros (‑ 2,54 %).
Points saillants concernant le programme 303 :
Représente 82 % des crédits de la mission IAI.
Augmentation sensible des AE pour l’action n° 2 relative à l’exercice du droit d’asile.
Nette diminution des crédits consacrés à la lutte contre l’immigration irrégulière : ‑ 42,2 % en AE et ‑ 23,55 % en CP.
Programme 104 Intégration et accès à la nationalité française
Autorisations d’engagement : 369 millions d’euros (‑ 14,37 %).
Crédits de paiement : 366 millions d’euros (‑ 15,05 %).
Points saillants concernant le programme 104 :
Augmentation sensible des crédits dédiés à l’accueil des étrangers primo-arrivants : + 9,09 % en AE et en CP.
Forte baisse des moyens consacrés à l’intégration des étrangers primo-arrivants : ‑ 43 % en AE et ‑ 45 % en CP.
II. Éloignement des Étrangers et laissez‑passer consulaires (Lpc) : quelle diplomatie pour la France ?
L’actualité a malheureusement remis, de manière tragique, au premier plan le problème de l’inexécution des OQTF. Cette inexécution n’est pas toujours liée à une difficulté d’identification de la nationalité de l’étranger ou d’obtention d’un LPC. Toutes les mesures d’éloignement prononcées par les préfets ne sont pas immédiatement ni nécessairement exécutoires. Des mesures prononcées, parfois, ne sont pas notifiées, par exemple parce que l’étranger en situation irrégulière n’est plus localisé. Dans d’autres cas, des mesures sont abrogées par l’administration, du fait d’un recours non contentieux, ou compte tenu du changement de situation de l’étranger, avec, par exemple, la naissance d’un enfant français. La décision peut enfin avoir été annulée par un juge après un recours contentieux.
Il reste que, en dehors de ces cas, l’absence d’exécution des OQTF est principalement liée au défaut d’obtention d’un LPC dans des délais utiles. C’est pourquoi la rapporteure pour avis a souhaité consacrer ses travaux à ce sujet. Après avoir fait un point sur les évolutions récentes à la fois des chiffres, du droit et des moyens en matière d’immigration irrégulière, elle analysera les causes de la faible délivrance des LPC. Elle se penchera ensuite sur les moyens de remédier à cet état de fait. Face aux résultats décevants du recours à la politique des visas comme moyen de pression sur les États de retour, elle incitera à placer cette question au cœur d’un dialogue politique bilatéral avec ceux‑ci, dialogue qui devra être franc et global.
A. Éloignement contraint des Étrangers : État des lieux
L’immigration irrégulière est nourrie par plusieurs canaux dont le franchissement irrégulier des frontières n’est que l’un des principaux. La gestion de cette immigration fait l’objet d’un encadrement juridique complexe, de nature légale, réglementaire et jurisprudentielle, qui a connu et continue de connaître de nombreuses évolutions.
1. Les grandes tendances récentes de la migration
En matière d’immigration illégale, la pression migratoire aux portes de l’Union européenne est en baisse en 2024, avec 166 003 entrées irrégulières à la date de septembre 2024, soit - 42 % par rapport à septembre 2023 (285 472 entrées irrégulières en 2023). On constate toutefois une reprise très récente des arrivées irrégulières. Ainsi, au cours du mois de septembre 2024, 24 963 entrées ont été enregistrées (+ 11 % par rapport à août 2024, où 22 577 entrées étaient comptabilisées). Les principales voies d’entrées irrégulières dans l’Union européenne sont maritimes et 2023 a connu des arrivées massives via la Méditerranée centrale. Cette voie a décru en 2024 tandis que la route par la Méditerranée occidentale (Espagne, Canaries) a beaucoup augmenté.
S’agissant de la demande d’asile, celle‑ci a globalement retrouvé en Europe son niveau d’avant la crise sanitaire. En 2024, en France, la demande telle qu’elle est enregistrée dans les guichets uniques pour demandeurs d’asile dans les préfectures est en baisse sur les huit premiers mois de l’année 2024, de l’ordre de 7 % par rapport à 2023. La demande d’asile auprès de l’OFPRA, en revanche, a augmenté sur la même période en 2024 d’environ 11 % par rapport à l’année précédente. Ceci s’explique par l’accroissement du nombre de personnes entrant normalement dans le champ du règlement Dublin mais dont la demande est finalement examinée par l’OFPRA, en raison de l’absence de reprise par l’État d’entrée dans les délais requis.
La demande d’asile contribue, à côté des franchissements irréguliers, à nourrir l’immigration illégale. Les personnes qui ne se voient pas reconnaître une protection internationale demeurent en effet, dans leur immense majorité, sur le territoire national. Déjà, dans un rapport de 2015, la Cour des comptes avait estimé à plus de 96 % la proportion des déboutés du droit d’asile qui demeuraient en France malgré le rejet de leur demande. L’immigration irrégulière est en outre nourrie par le maintien sur le territoire national de ressortissants étrangers au-delà de la date d’expiration de leur visa ou de leur titre de séjour, dans une proportion qu’il est très difficile de chiffrer.
Le nombre total des ressortissants étrangers en situation irrégulière est difficile à chiffrer puisqu’il s’agit, par définition, de dénombrer des personnes qui se dérobent au contrôle des autorités françaises. Il est néanmoins possible de l’évaluer par le biais des statistiques du ministère de la santé, via le nombre de personnes bénéficiant de l’aide médicale d’État (AME). En dix ans (2011-2021) le nombre de bénéficiaires de cette aide s’est accru de 80 %, passant de 210 000 à 380 000. Or, une étude de l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (IRDES), réalisée sur un échantillon de 1 223 personnes dans les agglomérations parisienne et bordelaise en 2019, arrive à la conclusion que 49 % des personnes éligibles à l’aide médicale d’État ne font pas valoir leurs droits. En conséquence, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin pouvait estimer devant la commission des lois du Sénat, le 2 novembre 2022, à un chiffre compris « entre 600 000 et 900 000 », le nombre d’étrangers séjournant irrégulièrement sur le territoire français.
2. Des évolutions juridiques récentes
La loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration du 26 janvier 2024 a apporté plusieurs modifications importantes destinées à faciliter l’éloignement des étrangers en situation irrégulière (ESI). Elle a prévu, par exemple, que lorsqu’un étranger avait été définitivement débouté de sa demande d’asile (par l’OFPRA puis la CNDA), la préfecture devait édicter une obligation de quitter le territoire français à son égard, dans un délai de quinze jours après en avoir été informée. La loi a porté à quatre jours la durée de rétention initiale (au lieu de 48 heures), durée au cours de laquelle un étranger peut être maintenu en lieu de rétention administrative. Elle a par ailleurs donné au juge pénal la possibilité de prononcer une interdiction du territoire français pour tout délit puni d’une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure ou égale à trois ans, et non plus seulement pour des cas spécifiques qu’elle énumère ([6]).
De manière très récente, le premier ministre a annoncé une nouvelle prorogation pour six mois du rétablissement du contrôle aux frontières intérieures (RCFI), mesure permise par le code Schengen et qui avait été décidée initialement par les autorités françaises à la suite des attentats du 13 novembre 2015. Rappelons que l’Allemagne a également rétabli de tels contrôles à l’ensemble de ses frontières en septembre dernier. Une note des autorités françaises (NAF) a donc été transmise en vue d’une prorogation à compter du 1er novembre 2024. Cette nouvelle prorogation se justifie notamment au regard des exigences de sécurité, dans le contexte des mouvements migratoires d’ampleur dans et vers l’Union européenne. Seule la perspective de l’entrée en vigueur au printemps 2026 des dispositions du pacte européen sur la migration et l’asile, qui a pour finalité notamment de renforcer les contrôles aux frontières extérieures et de lutter contre les mouvements secondaires, pourrait permettre, le cas échéant, d’envisager une levée du RCFI.
Une évolution juridique récente est venue toutefois compliquer la mission de contrôle des frontières intérieures. Elle résulte de l’arrêt du Conseil d’État « ADDE » du 2 février 2024. Cet arrêt tire les conséquences d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 21 septembre 2023 qui avait estimé, sur le fondement de la directive « Retour » de 2008, que la France ne pouvait pas prendre de mesure de non‑admission de personnes entrant illégalement sur son territoire sans qu’elles puissent « bénéficier d’un certain délai pour quitter volontairement le territoire ». L’arrêt du Conseil d’État est venu traduire cette décision dans le droit national. Désormais, les personnes interpellées à la frontière doivent se voir appliquer la procédure de retenue pour vérification du droit au séjour (RVDS), d’une durée de 24 heures maximum, ce qui confère à la personne le droit à un interprète, un avocat, un médecin, etc. ([7]). Il résulte notamment de cette jurisprudence que les procédures de réadmission sans délai ni formalité des étrangers en situation irrégulière vers les pays frontaliers (principalement l’Italie, l’Allemagne ou l’Espagne) qui s’exécutaient sur le fondement d’accords bilatéraux, ne peuvent plus être mises en œuvre sans une RVDS préalable. Cette jurisprudence a considérablement compliqué la tâche de la police aux frontières, nécessité des investissements lourds en termes de logistique et de personnel et nui à l’efficacité des contrôles aux points de passage que sont Montgenèvre, Vintimille, etc.
Concernant spécifiquement la rétention, le ministère de l’intérieur concentre désormais, aux termes d’une instruction ministérielle du 3 août 2022, les éloignements sur deux publics sensibles. Le premier est celui des « TOP » (troubles à l’ordre public). Il appartient aux préfets de département d’identifier les personnes remplissant ce critère. Les risques de troubles à l’ordre public peuvent résulter notamment de la mise en cause dans des faits de violences sur personnes dépositaires de l’autorité publique, d’atteintes aux personnes (violences, vols avec violences, extorsions, etc.), de violences intrafamiliales, proxénétisme, infractions sexuelles (exhibition, agression, viol, viol en réunion ou sur mineur, etc.), d’infractions en lien avec les stupéfiants ou d’atteintes aux biens réitérées ou avec violences (vols, destructions, escroquerie, recel). Une recommandation de la rapporteure pour avis, outre l’augmentation du nombre de places de rétention qui est une orientation déjà en cours de mise en œuvre, est de prioriser les cas de rétention au sein même des publics dits « TOP », notamment sur les auteurs d’infractions sexuelles et d’infractions en lien avec les stupéfiants. Le second public sensible est celui des individus radicalisés. Les autorités algériennes, en particulier, sont réticentes à reprendre ces derniers dont elles considèrent souvent qu’ils se sont radicalisés en France ; ce serait donc, d’après elles, à la France de les prendre en charge. Toutefois lorsque la France se montre insistante à propos de certains profils, les autorités algériennes consentent à les reprendre. En tout état de cause, la remise des cas signalés (radicalisés, condamnés pour faits de terrorisme, etc.) fait l’objet, au regard de sa sensibilité, d’un traitement particulier entre services spécialisés.
Le déroulement d’un éloignement contraint
La personne reconduite est présentée à la division nationale de l’éloignement (DNE) de la DNPAF par une équipe de pré-achemineurs (service territorial) en vue d’une prise en charge par les escorteurs deux heures avant le départ de l’avion. Le dossier de la personne est vérifié afin de s’assurer de la présence des documents nécessaires (mesure d’éloignement et document de voyage, c’est-à-dire passeport ou LPC, etc.).
L’individu et ses bagages font l’objet d’une fouille de sûreté. Un dialogue est établi avec l’intéressé pour le conduire à accepter la mesure. Si, cependant, il s’y oppose, des moyens de contrainte peuvent être utilisés, de façon graduée et proportionnée, ainsi que des dispositifs de protection pour les policiers (casque de boxe, masque chirurgical en cas de crachat, etc.).
Une heure avant le départ de l’avion, les escorteurs sont amenés sur piste avec le reconduit et pré-embarquent à bord de l’avion (avant les autres passagers).
Chacune de ces opérations mobilise en règle générale entre 5 et 7 policiers de l’Unité nationale d’escorte, de soutien et d’intervention (UNESI) selon la destination finale. Ces chiffres ne tiennent pas compte des pré-achemineurs qui les accompagnent jusqu’au départ effectif de l’avion.
L’article L. 744-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dispose que l’étranger est informé par le responsable du lieu de rétention de toutes les prévisions de déplacement le concernant, liées aux audiences, à la présentation au consulat et aux conditions du départ. Cependant, il est précisé que le retenu peut ne pas être prévenu en cas de menace pour l’ordre public à l’intérieur ou à l’extérieur du lieu de rétention, ou si la personne ne paraît pas psychologiquement à même de recevoir ces informations.
Les éloignements de nuit sont extrêmement rares, l’autorité administrative interdisant les décollages et les atterrissages du trafic aérien entre 22 heures et 6 heures (et de minuit à 5 heures pour le trafic commercial).
3. Des moyens matériels nouveaux
La France compte actuellement 26 CRA. Un plan d’ouverture de places en CRA portera le nombre de celles‑ci à 3 000 d’ici à la fin de l’année 2027 ([8]). En 2024, la capacité de rétention a été portée à 1 959 places avec la livraison du CRA d’Olivet (90 places) et l’extension du CRA de Perpignan (+12 places) en 2023. Elle reste identique en 2025, la prochaine livraison étant prévue en 2026 avec le CRA de Bordeaux, d’une capacité de 140 places.
Un effort de création de LRA est également déployé actuellement. En 2023, un LRA permanent, d’une capacité de deux places, a été créé à Beauvais ([9]). Au premier semestre 2024, deux LRA permanents ont également été créés : celui de Caen, d’une capacité de quatre places, et celui de la Seyne-sur-Mer, d’une capacité de deux places.
B. La faible dÉlivrance des lpc : principal obstacle À l’Éloignement
La faible exécution des OQTF résulte essentiellement du faible taux de délivrance des LPC. En 2023, sur un total de 2 120 annulations d’éloignements, 96 % de ces annulations ont été dues à des refus de délivrance de LPC (2 041), émanant essentiellement des autorités des pays du Maghreb. La rapporteure pour avis en rappellera les raisons principales en illustrant cette explication par le cas de l’Algérie.
1. Le nombre insuffisant de LPC délivrés et ses causes
La faible obtention des LPC, notamment de la part des États du Maghreb, constitue la principale difficulté rencontrée en matière d’exécution des OQTF. On note certes une amélioration en 2024 par rapport aux années précédentes. L’Algérie a dépassé en 2023, comme en 2024, les résultats de l’année 2019, qui constitue l’année de référence. Le Maroc et la Tunisie s’en approchent et suivent, en tendance, une trajectoire de dépassement de l’année 2019.
Le nombre de LPC demeure toutefois faible, au regard du nombre d’OQTF émises par la France à l’encontre de ressortissants de ces trois pays, comme le montre le tableau ci‑après, établi d’après les données d’Eurostat pour l’année 2023.
OQTF prononcÉes et exécutÉes en 2023 en France et dans l’Union Européenne
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Étrangers ressortissants des pays du Maghreb |
Total étrangers toutes nationalités |
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Nombre |
% |
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A. Étrangers visés par une obligation de quitter le territoire en 2023 |
Dans l’UE |
106 455 |
22,0 % |
484 160 |
En France |
47 535 |
34,5 % |
137 730 |
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B. Étrangers ayant quitté le territoire à la suite d’une obligation de le quitter en 2023 |
Depuis l’UE |
8 590 (B/A = 8,1 %) |
9,4 % |
91 465 (B/A = 18,9 %) |
Depuis la France |
3 625 (B/A = 7,6 %) |
34,1 % |
10 625 (B/A = 7,7 %) |
Données Eurostat 2023 – Base de données « Gestion des migrations »
Plusieurs facteurs interviennent pour expliquer ce faible taux. Certaines raisons techniques sont avancées. Les dossiers envoyés par les préfectures peuvent être incomplets, non conformes aux protocoles en vigueur ou inexploitables par les autorités consulaires. Le dialogue entre préfectures, ministère de l’intérieur et consuls vise à remédier à ces cas. Il arrive également que les préfectures ne saisissent pas le bon consulat, ou que le consulat saisi s’estime incompétent sur une base territoriale, par exemple si la demande de LPC émane d’une préfecture qui n’est pas dans la circonscription consulaire du consulat interrogé. Ces erreurs peuvent provenir aussi d’une mauvaise clarification par les autorités consulaires maghrébines de leurs compétences territoriales, ou d’une méconnaissance par elles de nos propres procédures administratives.
La principale explication du faible taux de délivrance des LPC tient toutefois à la non-reconnaissance de nationalité. Les individus visés par une OQTF et une demande de LPC sont souvent dépourvus de documents d’identité, ce qui oblige le ministère de l’intérieur et les consulats à identifier leur nationalité en fonction d’un faisceau de critères (déclaration de l’individu, langues maîtrisées, connaissance du pays, etc.). Or, les ressortissants du Maghreb, surtout dans les régions frontalières, peuvent facilement se faire passer comme ressortissants d’un autre pays que celui dont ils sont originaires. Des erreurs ont également eu lieu (réadmissions d’Algériens au Maroc ou de Tunisiens en Algérie), qui ont suscité des tensions avec les pays partenaires. Un cas particulier est celui du Maroc, qui se fonde, pour identifier les ressortissants présumés marocains, sur son fichier national biométrique. Or, celui-ci est incomplet et certains ressortissants n’y sont pas enregistrés, ce qui conduit le Maroc à ne pas les reconnaître, nonobstant la présence d’autres indices de nationalité.
Par ailleurs le faible taux d’exécution des OQTF par rapport à la moyenne européenne peut s’expliquer par le fait que les autorités françaises ont tendance à prononcer plus systématiquement une OQTF lorsque les intéressés ont été déboutés du droit d’asile.
La question de la mobilité entre la France et l’Algérie occupe une place centrale dans notre relation bilatérale. En effet, il n’y a pas un seul Algérien qui n’ait une histoire avec la France ; la question de la circulation entre les deux pays est donc cruciale et se pose de manière forte pour la population algérienne, pour les autorités du pays et pour la presse qui se fait largement l’écho des débats français en matière d’immigration.
Il existe trois principales raisons spécifiques qui expliquent le faible taux de délivrance de LPC par l’Algérie, taux qui se situe à l’heure actuelle aux alentours de 10 %.
La première raison tient à l’organe titulaire de la compétence en matière migratoire en Algérie. Cette compétence n’appartient pas au ministère de l’intérieur mais au ministère algérien des affaires étrangères. Or, ce dernier n’hésite pas à lier sa pratique migratoire aux aléas de la relation bilatérale et joue volontiers sur le levier de la délivrance des LPC, contrairement au ministère de l’intérieur qui tendrait à avoir une position plus accommodante.
La deuxième raison tient à l’organisation du dispositif consulaire algérien en France. En effet, si l’Algérie dispose de dix‑neuf consulats en France, les performances de ces derniers sont très variables en matière de taux de délivrance des LPC, certains atteignant 20 % tandis que d’autres ne dépassent pas 5 %. Il y a manifestement une forme de latitude donnée aux consuls dans l’appréciation de l’opportunité de délivrer les LPC. Certains consulats dans le Sud de la France ont pratiquement cessé d’en délivrer. Le rappel par Alger de son ambassadeur en France, en juillet dernier ([10]), n’est pas de nature à renforcer la coordination du dispositif consulaire.
En troisième lieu, les compétences d’un certain nombre de consulats algériens ne sont pas calquées sur le découpage administratif régional français. De ce fait, une préfecture peut avoir comme interlocuteurs plusieurs consulats algériens, ce qui nuit à la fluidité des échanges.
3. Les autres causes de non‑éloignement des personnes retenues en centre de rétention administrative (CRA)
Il ne faut jamais perdre de vue que, si l’absence de délivrance de LPC explique en grande partie l’inexécution des OQTF, elle n’est pas la seule cause de non‑éloignement des personnes retenues en CRA. D’autres difficultés peuvent conduire à annuler, ou à repousser, l’éloignement forcé des étrangers en situation irrégulière. Outre les libérations judiciaires, on peut citer les contraintes du trafic aérien international, l’impossibilité physique de mettre en œuvre les éloignements forcés, les impossibilités dues par exemple à des actes d’automutilation des personnes concernées ou encore les refus d’embarquer. Ces derniers donnent lieu à judiciarisation, puisqu’il s’agit d’une infraction, avant mise en œuvre d’un nouvel éloignement. Les pays vers lesquels les éloignements sont aujourd’hui physiquement impossibles sont notamment la Russie, l’Ukraine, la Libye, la Syrie, et l’Afghanistan. Vers ces cinq derniers pays, ainsi que vers le Yémen, la Palestine, la Biélorussie et le Liban, il n’existe actuellement aucune liaison aérienne utilisable pour la mise en œuvre d’éloignements forcés.
Le nombre d’éloignements effectués, les principales causes de non‑éloignement et le nombre de libérations par les autorités judiciaires sont rappelés dans les tableaux ci‑après. Ces chiffres permettent de constater que le nombre de cas de forclusion de la rétention faute de reconnaissance consulaire est en forte augmentation tandis que les cas de refus d’embarquer sont en nette diminution.
Les principales causes de non-éloignement des retenus en CRA |
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Libérations par l’autorité judiciaire |
Non‑obtention de LPC |
Forclusion |
Refus d’embarquer |
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2019 |
1 934 |
116 |
36 |
3 458 |
2020 |
2 942 |
111 |
131 |
1 579 |
2021 |
5 525 |
62 |
452 |
5 039 |
2022 |
5 941 |
52 |
492 |
4 048 |
2023 |
8 141 |
44 |
460 |
1 697 |
9 mois 2024 |
4 725 |
19 |
681 |
1 305 |
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Éloignements depuis les CRA et durée moyenne de rétention |
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Nombre d’éloignements |
dont SEP ([11]) |
Durée moyenne de rétention |
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2019 |
3 449 |
462 |
23,01 jours |
|
2020 |
5 009 |
983 |
19,17 jours |
|
2021 |
6 133 |
1 216 |
24,28 jours |
|
2022 |
6 905 |
1 657 |
25,99 jours |
|
2023 |
6 064 |
1 568 |
30,42 jours |
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9 mois 2024 |
4 424 |
1 176 |
31,73 jours |
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Nombre de libérations par l’autorité judiciaire |
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JLD ([12]) 1 |
JLD2 |
JLD3 |
JLD4 |
2019 |
764 |
109 |
194 |
42 |
2020 |
2 028 |
281 |
438 |
86 |
2021 |
2 079 |
318 |
713 |
135 |
2022 |
1 994 |
338 |
914 |
235 |
2023 |
2 245 |
388 |
2 028 |
383 |
9 mois 2024 |
1 418 |
228 |
719 |
223 |
Source : DNPAF
En tout état de cause, il ressort des différentes auditions menées par la rapporteure pour avis qu’une extension de la durée légale de rétention au-delà de 90 jours ne serait pas de nature à apporter des résultats plus satisfaisants en matière d’exécution d’OQTF, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les autorités consulaires des pays de retour ont connaissance de cette durée et ont tendance à laisser les individus placés en rétention jusqu’à forclusion de celle-ci, soit qu’ils délivrent en fin de rétention le LPC, soit que le refus soit signifié au terme de la rétention. Il existe peu de cas où une durée plus longue aurait permis d’obtenir un LPC et donc aussi la réadmission de l’individu dans le pays de départ. En deuxième lieu, l’allongement de cette durée serait perçu par certains des pays de retour avec lesquels les discussions sont difficiles comme un durcissement de la politique migratoire française qui ne serait pas de nature à réengager le dialogue souhaité. Troisièmement, enfin, cette rétention, en n’offrant pas les garanties d’efficience suffisantes pour les raisons qui viennent d’être dites, constituerait une atteinte renforcée aux libertés fondamentales des intéressés et pourrait susciter une intervention supplémentaire du JLD conduisant à une augmentation des libérations par l’autorité judiciaire, qui ont pour conséquence une non-réadmission des individus.
C. Les visas : un levier au maniement délicat
Pour remédier au faible taux de délivrance des LPC, le recours à la politique des visas, comme moyen de pression sur les pays d’origine, a été expérimenté mais n’a pas donné les résultats escomptés.
1. Une procédure lourde en droit européen
Le droit de l’Union européenne permet d’adopter envers un pays faiblement coopératif sur le plan migratoire, notamment en ce qui concerne les retours, un certain nombre de restrictions en matière de visas. La procédure est toutefois lourde. Elle consiste d’abord à inscrire un pays sur une liste d’examen, puis à mettre en œuvre des mesures pour restreindre l’accès au visa, telles que l’augmentation tarifaire, le rétablissement de l’obligation de visa elle-même pour certains publics ou encore la suspension de la délivrance des visas.
Si donc la coordination au plan européen apparaît comme opportune, notamment pour harmoniser la politique des États membres en termes de critères et de volume de délivrance, ainsi que de relations politiques bilatérales, on ne peut que regretter que le dispositif européen actuellement existant autorise peu de réactivité et de souplesse.
2. Un outil peu convaincant en droit français pour favoriser les réadmissions
Le droit français permet d’utiliser le levier des restrictions en matière de visas face à des États se montrant peu coopératifs en matière migratoire, notamment dans leur délivrance de LPC. La politique des visas constitue l’étape initiale de la politique migratoire, avant la délivrance d’un titre de séjour requis pour séjourner en France au‑delà de trois mois. On distingue les visas de court séjour, valables pour trois mois, et les visas de long séjour. Le visa est en principe un prérequis pour l’obtention d’un permis de séjour, à une exception près : le visa de long séjour valant titre de séjour (VLS-TS) qui dispense de l’obligation de solliciter une carte de séjour ([13]).
Le levier des visas a été utilisé par le Gouvernement français en 2021 et 2022 avec les trois États du Maghreb, ce qui a suscité de vives tensions. Des objectifs en termes de quotas de refus ont ainsi été fixés. Le 28 septembre 2021, le Gouvernement a annoncé une réduction de 50 % d’octroi des visas français pour l’Algérie et le Maroc, et de 30 % pour la Tunisie par rapport à l’année 2020. Cette décision s’inscrivait en réaction à la coopération limitée des pays du Maghreb à délivrer les LPC, refusant ainsi de rapatrier leurs ressortissants en situation irrégulière.
Au Maroc, par exemple, le taux de refus de visa par les autorités consulaires françaises était passé de 17 % à 32 %. Cette politique n’a pas eu toutefois les effets escomptés. D’un côté, elle n’a pas entraîné d’amélioration notable de la délivrance des LPC. De l’autre côté, elle a suscité beaucoup de ressentiment dans les populations locales. Des visas ont ainsi été refusés en se fondant sur des erreurs matérielles minimes. Des personnes ayant demandé un visa pour des raisons familiales, professionnelles ou de santé ont essuyé un refus alors qu’elles avaient, par le passé, obtenu un visa dans des circonstances identiques. Des personnes ayant toutes les justifications et pièces nécessaires ont été déboutées. Au final, les classes moyennes, les plus francophones et francophiles, ont été les plus touchées. Vis‑à‑vis de l’Algérie, la politique de restriction de visas avait conduit à une crise bilatérale, avec cessation des contacts, rupture des canaux de communication et arrêt total de délivrance des LPC. Une nouvelle tentative en ce sens conduirait à nouveau, selon toute probabilité, à la suspension de toute délivrance de LPC et des réadmissions.
Dans ces conditions, le Gouvernement a préféré lever les mesures restrictives à l’égard de la Tunisie le 31 août 2022, et celles à l’égard de l’Algérie et du Maroc en décembre 2022.
Le levier des visas est également affaibli par le fort contentieux dont il est l’objet. Loin de constituer un acte de Gouvernement ou une prérogative souveraine de l’État, la délivrance d’un visa est en effet soumise à recours. Environ 17 000 recours administratifs sont enregistrés chaque année contre les décisions de refus de visa. Les décisions de refus de visa de long séjour sont soumises à la commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France. Les recours administratifs contre les décisions de refus de visas de court séjour sont examinés par la sous-direction des visas, au sein de la DGEF.
La personne dont le recours administratif a été rejeté peut saisir le tribunal administratif de Nantes d’un recours juridictionnel. Celui‑ci examine chaque année environ 4 000 affaires de cette nature, dont la majorité concerne des demandes de réunification familiale. Selon la DGEF, les évolutions jurisprudentielles récentes se sont montrées très favorables au demandeur, en appréciant de manière particulièrement restrictive les motivations des consulats (fraude, risque migratoire, incohérences dans les dossiers des demandeurs, etc.). Cela se traduit par un taux d’annulation important au tribunal administratif et à la cour administrative d’appel de Nantes (de 50 % à 60 % en fonction des chambres).
Il résulte de tout ce qui précède qu’il serait illusoire de voir dans l’outil des visas le moyen privilégié pour inciter les États d’origine à reprendre leurs ressortissants. Cela ne signifie pas pour autant que la bonne coopération consulaire avec eux ne doit pas être prise en compte par les autorités françaises. Elle demeure une condition nécessaire pour les exonérations de visa que la France peut accorder, à titre national ou au niveau européen. C’est pourquoi d’ailleurs la France suit attentivement les négociations européennes sur la révision du mécanisme de suspension des exonérations ([14]). Il reste aussi que le niveau de coopération consulaire influence, par nature, les conditions de délivrance des visas, ne serait-ce parce que les postes consulaires n’ont pas la même évaluation du risque migratoire si les perspectives de retour sont faibles en cas d’immigration irrégulière.
Plutôt que d’agir sur les visas, il pourrait être tentant d’agir sur les passeports diplomatiques dont bénéficient les classes dirigeantes des pays de départ. Toutefois, les États sont souverains en matière de délivrance de passeports diplomatiques. Le nombre de passeports diplomatiques algériens, marocains ou tunisiens en circulation est d’ailleurs très difficile à évaluer. Des facilités ont certes été prévues, fondées sur des accords d’exemption de visa au bénéfice des passeports diplomatiques pour des séjours inférieurs à 90 jours. Toutefois ces facilités sont réciproques : les Français titulaires de passeports diplomatiques disposent des mêmes facilités d’entrée. Toute révocation unilatérale de ces accords entraînerait l’extinction au profit des Français titulaires de passeports diplomatiques de ces facilités. Une mesure de ce type vis‑à‑vis des États du Maghreb fragiliserait notre position de négociation avec eux, de telles initiatives pouvant alimenter un narratif nationaliste et entraîner des rétorsions.
En tout état de cause, limiter les facilités pour les élites des pays de dialogue peut être un outil pour amorcer la discussion mais pas un moyen de dialogue durable et structuré.
D. La nÉcessitÉ d’un dialogue politique franc avec les pays d’origine
Le recours à la politique des visas comme outil de pression s’étant révélé décevant et contre-productif, c’est plutôt la voie d’un dialogue politique franc qui permettra d’améliorer la délivrance des LPC. Ce dialogue est d’autant plus possible que les pays d’origine des personnes soumises à des OQTF, c’est‑à‑dire pour une large part les pays du Maghreb, sont eux-mêmes confrontés à des phénomènes importants d’immigration irrégulière.
1. Faire valoir nos objectifs politiques
Un durcissement par la France de sa politique migratoire (restriction des visas, nouvelles possibilités données à la police aux frontières en matière d’identification, extension de la durée de rétention, conditionnalité de l’aide publique au développement, etc.) risque d’entraîner des mesures de rétorsion s’il ne s’inscrit pas dans le cadre d’un dialogue politique.
Afin de ne pas susciter une dégradation de la coopération migratoire et de la relation bilatérale, des mesures restrictives devraient être discutées en amont, avec nos partenaires du Maghreb, dans des formats dédiés ou au plus haut niveau politique. L’expérience de la limitation unilatérale de la délivrance de visas démontre que l’absence de dialogue préalable, la mise en œuvre de mesures sans concertation et la communication à sens unique dégradent durablement l’ensemble des champs de la coopération sur le long terme. Les pays du Maghreb ont donc une approche politique de la coopération migratoire et la lient à la qualité de la relation bilatérale. Toute mesure unilatérale est susceptible d’entraîner des conséquences négatives sur la coopération. Inversement, l’amélioration de la coopération est corrélée à l’amélioration des relations politiques.
Les autorités algériennes, tunisiennes et marocaines, en particulier, sont bien conscientes de nos objectifs et ne les remettent pas en cause en tant que tels. Il n’y a pas, de leur part, d’obstacle de principe à la reprise de leurs ressortissants visés par une OQTF. Actuellement, malgré les tensions sur la question du Sahara occidental, il est frappant de constater que l’Algérie a maintenu – à un rythme certes ralenti – les réadmissions alors qu’on s’attendait à une suspension. Des opérations de réadmission ont ainsi toujours lieu sur une base de 20 à 40 personnes par semaine.
Cette approche politique est désormais privilégiée par les ministères compétents en France. L’instauration d’un référent migratoire au sein de chaque ambassade et la création d’un poste d’ambassadeur aux migrations constituent des évolutions qui vont dans ce sens et qu’il convient de saluer. Ce dialogue politique peut au demeurant emprunter plusieurs canaux. L’année 2024 a permis la réactivation de plusieurs formats de dialogue sur les questions migratoires avec les pays du Maghreb tels que le comité de pilotage de l’accord de gestion concerté avec la Tunisie ([15]) et la réunion plénière du groupe migratoire mixte permanent avec le Maroc ([16]). Depuis 2018, des accords et arrangements administratifs avec le Maroc, le Sénégal et la Tunisie ont pu être conclus ou améliorés en matière d’identification, de délivrance de LPC et de retour. Avec l’Algérie, nous ne disposons pas de dialogue migratoire formalisé. Des réunions régulières sont organisées entre les services compétents des ministères de l’intérieur et de l’Europe et des affaires étrangères, d’une part, et l’ambassade d’Algérie en France, d’autre part. La construction d’un dialogue migratoire structuré avec l’Algérie demeure toutefois un chantier à entreprendre.
Cette approche de nature politique est partagée sur le plan européen, comme en témoigne la signature du mémorandum d’entente entre l’Union européenne et la Tunisie le 16 juillet 2023. Cet accord vise à mettre en œuvre une nouvelle approche globale de la coopération, fondée autour de la stabilité macro-économique, de l’économie et du commerce, de la transition énergétique verte, du rapprochement entre les peuples et des migrations et mobilités. Il a permis d’enregistrer des avancées en matière d’énergie et de migrations. Les arrivées de migrants en Italie depuis les côtes tunisiennes ont ainsi diminué de 70 % entre 2023 et 2024 (en année glissante). Les mesures de prévention des départs ont été renforcées. On peut regretter cependant que le suivi technique de cet accord demeure compliqué et qu’il n’ait pas vraiment permis, pour l’instant, un travail sur les causes profondes des migrations. Les autorités tunisiennes ont répété à maintes reprises ne pas vouloir être les garde‑côtes de l’Europe et se sont abstenues de célébrer ou valoriser l’anniversaire de la signature de l’accord de 2023.
L’Espagne, pour ce qui la concerne, a clairement fait le choix d’un traitement éminemment politique de la question migratoire avec le Maroc. Les deux pays partagent plusieurs frontières – terrestres à Ceuta et Melilla, maritimes aux îles Canaries – et la géographique dicte en partie cette politique. L’amélioration de la situation migratoire aux frontières maroco-espagnoles a suivi l’évolution du langage espagnol sur le Sahara occidental.
Ainsi, il pourrait être envisagé, dans le cas de l’Algérie, d’instituer un outil de dialogue politique permanent et structuré afin de rendre la coopération bilatérale en matière de réadmission moins sujette à des considérations d’opportunité ou de fluctuation de la relation diplomatique. Un tel choix pourrait se traduire par un accord bilatéral ou en étant inclus dans un accord bilatéral existant.
2. Coopérer avec des États devenus eux‑mêmes des terres d’immigration
Le développement d’un dialogue sans concession, mais constructif, en matière migratoire, avec en particulier les États du Maghreb, s’impose d’autant plus que ceux‑ci sont devenus eux‑mêmes des lieux de destination de l’immigration et que, par ailleurs, ils sont en train d’accomplir, s’agissant en tout cas du Maroc, leur transition démographique. La France et ces États doivent donc désormais relever des défis de même nature, ce qui devrait les amener à gérer ensemble les flux dans le respect des droits de l’Homme et des conventions internationales.
Les trois pays du Maghreb constituent en effet à la fois des pays de transit et des pays d’immigration, régulière ou irrégulière, en provenance notamment d’Afrique subsaharienne. La Tunisie connaît de longue date une immigration professionnelle en provenance d’Afrique francophone (Côte d’Ivoire, Guinée notamment). Se trouvant sur la route de la Méditerranée centrale, elle connaît également une immigration irrégulière, en provenance d’Afrique centrale et de l’Ouest.
Il est au demeurant difficile d’estimer le nombre de migrants irréguliers en Tunisie. Leur situation est très dégradée (violence à leur encontre, conditions de vie précaires, maladies, objets de rackets et de trafics, etc.). Il y a là un sujet de grande préoccupation qui doit être au centre de notre dialogue politique. Le pouvoir tunisien a fortement durci son discours et son action vis-à-vis des migrants, réguliers comme irréguliers. Le président Kaïs Saied a dénoncé en février 2023 l’immigration légale et illégale comme un « complot » visant à modifier l’identité arabo-islamique de la société tunisienne. Ces propos ont été suivis d’une vague de violence à l’encontre des migrants, ainsi que d’arrestations arbitraires. Des refoulements de migrants dans le désert, voire des déportations par‑delà les frontières tunisiennes vers l’Algérie ou la Libye, ont été constatées par les principales organisations non gouvernementales (ONG) de défense des droits de l’Homme en Tunisie, conduisant à la mort de plusieurs migrants. Les autorités ont par ailleurs accru la pression sur les ONG et les organisations internationales qui traitent de migrations : les dirigeants de l’association Tunisie Terre d’Asile ont été arrêtés et incarcérés sur le fondement de la pénalisation des financements étrangers d’association ; les travaux du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) sont par ailleurs entravés. Ce dernier n’est plus en mesure d’enregistrer les demandes d’asile. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) est désormais le seul acteur à pouvoir agir sur la gestion des flux migratoires en Tunisie, ainsi que dans la protection des migrants. La Tunisie ne dispose d’ailleurs pas, à proprement parler, d’un droit des étrangers ni d’un droit des réfugiés, si bien que la gestion des flux migratoires n’est pas encadrée par des règles de droit.
Les autorités tunisiennes ont renforcé leur action en matière de prévention des départs mais aussi de retours volontaires vers les pays d’origine. Cela a permis la diminution en 2024 de 80 % des départs en provenance de Tunisie. La France soutient financièrement les programmes de retours volontaires mis en place par l’OIM et les autorités tunisiennes, notamment à travers la mise à disposition d’une expertise technique internationale.
Le Maroc constitue lui aussi un pays d’immigration légale comme illégale. Il a beaucoup investi dans l’accueil d’étudiants africains, qui seraient environ 20 000 au sein de ses universités et écoles (École nationale d’administration de Rabat, École militaire de Meknès, écoles d’ingénieurs, etc.). Le Maroc se situe sur la route de la Méditerranée occidentale ainsi que sur la route atlantique en direction des Canaries. Le royaume connaît de ce fait une immigration illégale, de transit mais également d’installation, face à laquelle il déploie des moyens importants (prévention des départs, retours volontaires, sécurisation des frontières etc.). Il est confronté à une augmentation très forte des flux sur les voies atlantiques et de Méditerranée occidentale. L’Union européenne soutient les efforts du Maroc à hauteur de 52 millions d’euros.
L’Algérie, à l’instar du Maroc, accueille depuis longtemps une immigration légale en provenance d’Afrique subsaharienne. Le pays devient également un pays de transit sur la voie de la Méditerranée occidentale. Les autorités algériennes ont une approche peu respectueuse des droits des migrants : l’armée et les forces de sécurité intérieure algériennes ont pratiqué des vagues d’arrestations, des refoulements vers les frontières tunisiennes et libyennes à l’Est ou nigérienne au Sud, voire des envois groupés de migrants dans le désert, notamment à la frontière libyenne, entraînant des situations humanitaires d’urgence. Plusieurs décès de migrants ont été rapportés dans ce cadre.
La gestion des flux migratoires et la prévention des départs, mais aussi le respect des droits des migrants, et en particulier des personnes les plus vulnérables, doivent être au cœur du dialogue politique à instaurer.
3. S’appuyer sur l’aide publique au développement
Parmi les volets de ce dialogue politique, l’aide publique au développement (APD) est appelée à tenir une place particulière. Lors de sa réunion du 5 mai 2023, le conseil présidentiel du développement, qui réunit les principaux ministres concernés sous la présidence du chef de l’État, a défini, sur le plan sectoriel, dix nouveaux objectifs politiques prioritaires de la politique d’APD, rebaptisée à cette occasion « stratégie française d’investissement solidaire et durable ». Le dixième de ces objectifs est le suivant : « aider nos partenaires à lutter contre les réseaux d’immigration clandestine ». L’Agence française de développement (AFD) a intégré dans son mandat la question migratoire (projets en matière de prévention des départs, retours Sud-Sud, etc.).
L’inscription de la dimension migratoire dans la stratégie française d’aide au développement ne saurait prendre la forme d’une pure et simple conditionnalité qui, par exemple, ferait dépendre la mise en œuvre d’un projet d’une augmentation chiffrée du taux de délivrance des LPC. Il ne s’agirait plus, d’ailleurs, dans ce cas, d’aide publique au développement au sens où l’entend le Comité d’aide au développement (CAD) de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), et les financements concernés ne pourraient être comptabilisés comme tels. Au surplus, la mise en place de cette conditionnalité stricte aurait peu d’effet sur le plan migratoire. Au Maroc, par exemple, premier pays d’engagement de l’AFD au Maghreb, l’aide française serait facilement substituable par d’autres bailleurs (États-Unis, Allemagne, Espagne), et nous perdrions une présence importante et reconnue dans le pays. En Algérie, l’aide au développement est marginale (l’Algérie refuse tout endettement extérieur et les engagements de l’AFD y sont limités à quelques subventions) : la suspension de l’aide au développement y serait donc indolore. S’agissant enfin de la Tunisie, sa situation financière ne lui permet pas de contracter de nouveaux prêts.
Sans conditionner explicitement l’APD à certains résultats quant aux indices migratoires, il est possible de faire comprendre à nos partenaires que cette aide est un tout, et qu’elle est appelée à progresser, ou au contraire à ralentir, en fonction de la qualité de la coopération dans les autres domaines, y compris dans le domaine migratoire.
Surtout, cette aide peut être orientée, le cas échéant sous forme d’expertise technique fournie par Expertise France, vers le renforcement des capacités de maîtrise des flux migratoires, par exemple par la formation des forces de sécurité ou la délivrance de matériels. Les travaux de fiabilisation de l’état‑civil, tels notamment que les mène CIVIPOL, opérateur de coopération technique internationale du ministère de l’intérieur ([17]), peuvent également se révéler stratégiques. Un état civil fiable et numérisé représente en effet la possibilité pour la France de standardiser les prises d’empreintes, dans le cadre de l’identification des personnes retenues, afin de pouvoir plus facilement les renvoyer vers leur pays d’origine ([18]). Plus généralement, l’aide publique au développement permet d’agir sur les causes profondes des migrations : développement économique, éducation, assainissement, santé, agriculture, etc.
Au cours de sa réunion du mercredi 30 octobre 2024, la commission examine le présent avis budgétaire.
Mme Laetitia Saint-Paul, présidente. Les crédits de paiement (CP) de la mission Immigration, asile et intégration s’élèvent à un peu plus de 2 milliards d’euros dans le projet de loi de finances pour 2025, un montant sensiblement équivalent à celui de 2024, de 2,1 milliards.
Notre rapporteure pour avis a choisi de consacrer la partie thématique de ses travaux à la question des laissez-passer consulaires (LPC), qui a pris une place significative dans le débat public. Comme chacun sait, tout éloignement d’un étranger en situation irrégulière ne disposant pas d’un titre d’identité valide nécessite l’accord du pays de retour et la délivrance par ce dernier d’un laissez-passer. Or, dans bien des cas, les démarches entreprises par la France pour obtenir ce document échouent, les pays d’origine n’étant pas toujours enclins à en faciliter l’aboutissement. En l’espèce, la situation est marquée par une grande hétérogénéité entre les pays concernés.
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure pour avis. La mission Immigration, asile et intégration regroupe les crédits de la direction générale des étrangers en France (DGEF). Même si celle-ci relève du ministère de l’intérieur, il est tout à fait justifié que notre commission émette un avis sur ces crédits, tant la question migratoire et les relations internationales sont étroitement liées. C’est d’ailleurs pour cette même raison que nous nous saisissons aussi des projets de loi relatifs à l’immigration.
Les crédits de la DGEF financent la gestion des flux migratoires, l’accueil des demandeurs d’asile et le traitement de leurs demandes, ainsi que l’intégration des étrangers séjournant légalement sur notre sol et, le cas échéant, leur accès à la nationalité française. Cette mission budgétaire se compose de deux programmes : les programmes 303, Immigration et asile, et 104, Intégration et accès à la nationalité française. Le premier représente 80 % des crédits de la mission, le second, 18 %.
Dans le cadre de l’effort général de redressement de nos finances publiques, la mission Immigration, asile et intégration est mise à contribution, puisque ses crédits diminuent de 5 % par rapport à la loi de finances initiale (LFI) de 2024, pour être ramenés à 2 milliards d’euros. Les autorisations d’engagement (AE) enregistrent une baisse un peu moindre, de l’ordre de 2 %, pour s’établir à 1,7 milliard. En revanche, le plafond d’emplois de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) augmente de 29 équivalents temps plein travaillés (ETPT).
Si les crédits consacrés à la lutte contre l’immigration irrégulière baissent nettement, rappelons qu’ils avaient considérablement augmenté dans la loi de finances de 2024, les autorisations d’engagement et les crédits de paiement ayant crû respectivement de 46 % et de 54 % par rapport à 2023. Ces sommes ont permis de financer la poursuite du plan d’ouverture de places en centres de rétention administrative (CRA), qui se prolongera en 2025 et qui vise à porter à 3 000 le nombre de places en CRA d’ici à 2027. Les travaux de sécurisation des CRA se poursuivront également, pour tenir compte du fait que la rétention administrative est désormais destinée prioritairement aux étrangers en situation irrégulière qui causent des troubles à l’ordre public – pour les autres, c’est l’assignation à résidence qui est privilégiée en première intention. L’accent a été mis sur la fermeté à l’égard des étrangers délinquants. Compte tenu du profil de la majorité des retenus, un renforcement des normes de sécurité a été jugé nécessaire.
La baisse des crédits alloués à la lutte contre l’immigration irrégulière, même si elle peut s’expliquer par leur très forte augmentation dans la précédente loi de finances, constitue en tout cas un point de vigilance pour les prochains exercices budgétaires.
Les autorisations d’engagement au titre de l’action 02 du programme 303, Garantie de l’exercice du droit d’asile, enregistrent quant à elles une hausse de plus de 12 %, destinée à financer la création de places d’hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile (HUDA) en Île-de-France. La dotation au titre de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA) diminue en revanche de 16 %, en lien avec les recrutements en cours à l’OFPRA, les efforts de réduction de la durée de traitement des demandes d’asile et les prévisions d’évolution du nombre de demandeurs.
J’en viens à la partie thématique de mon rapport pour avis : la politique diplomatique de la France en matière de laissez-passer consulaires pour faire face à l’enjeu de l’éloignement des ressortissants étrangers en situation irrégulière. L’actualité a malheureusement remis au premier plan, de manière tragique, le problème de l’inexécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF). L’immigration irrégulière est nourrie non seulement par les franchissements irréguliers des frontières de l’Union européenne mais aussi par le maintien sur notre territoire de personnes dont le titre de séjour ou le visa a expiré ou qui ont été déboutées définitivement de leur demande d’asile. Le 2 novembre 2022, devant la commission des lois du Sénat, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin estimait que le nombre d’étrangers séjournant irrégulièrement en France était compris entre 600 000 et 900 000.
Face à ce constat, la puissance publique se heurte aux plus grandes difficultés pour éloigner les personnes dépourvues de titre de séjour. En 2023, le pourcentage d’étrangers ayant quitté la France après la délivrance d’une OQTF s’est élevé à seulement 7,7 %. Une partie des décisions d’éloignement est annulée par l’autorité judiciaire, en particulier par les juges des libertés et de la détention (JLD). Dans d’autres cas, les éloignements sont physiquement impossibles : par exemple vers la Russie, la Biélorussie, l’Ukraine, la Libye, la Syrie, l’Afghanistan, le Yémen ou la Palestine. Parfois, enfin, la personne concernée refuse d’embarquer, ce qui constitue une infraction et entraîne des poursuites judiciaires.
La principale explication réside néanmoins dans le faible taux de délivrance des LPC. Si des raisons techniques peuvent être invoquées – dossiers des préfectures incomplets, saisine d’un consulat géographiquement incompétent –, le facteur essentiel tient à l’incapacité de déterminer la nationalité de la personne à expulser, qui est généralement dépourvue de tout document d’identité ou de voyage. Cette difficulté à établir la nationalité est parfois réelle, par exemple pour les personnes originaires de certaines régions frontalières. Dans d’autres cas, elle résulte de la mauvaise volonté des autorités consulaires : par exemple, en Algérie, la compétence en matière migratoire est détenue non par le ministère de l’intérieur mais par le ministère des affaires étrangères, qui n’hésite pas à jouer de la délivrance des LPC en fonction des aléas de notre relation bilatérale. En réponse, l’utilisation des visas comme levier vis-à-vis des pays peu coopératifs n’a pas apporté de résultats très satisfaisants avec les États du Maghreb. Elle a suscité beaucoup de ressentiment, surtout dans les classes moyennes – souvent francophones et francophiles –, ainsi qu’une grande incompréhension, sans améliorer la reprise par les États concernés de leurs ressortissants en situation irrégulière. C’est pourquoi il a été mis fin à cette politique de quotas au second semestre 2022.
Les mesures unilatérales de durcissement prises sans coordination avec les autorités des États de départ apparaissent ainsi peu efficaces. Elles sont même de nature à entraîner des mesures de rétorsion, comme la non-délivrance pure et simple de LPC. C’est plutôt la voie d’un dialogue politique franc et sans concession qui paraît susceptible d’améliorer la situation. Les autorités algériennes, tunisiennes et marocaines, en particulier, sont bien conscientes de nos objectifs et ne les remettent pas en cause. Elles n’expriment pas d’opposition de principe à la reprise de leurs ressortissants visés par une OQTF. Ces États sont d’ailleurs devenus eux-mêmes des pays d’immigration et commencent à être confrontés à des difficultés similaires aux nôtres.
Nous devons mettre clairement les choses sur la table et établir un dialogue politique structuré et global. Tout en nous montrant à l’écoute des demandes légitimes de nos partenaires, nous devons exiger clairement que soient délivrés davantage de LPC, y compris en exerçant une pression sur les consulats réticents. Sans conditionner mécaniquement le versement de notre aide publique au développement (APD) à des résultats en la matière, nous pourrions signifier à nos partenaires que cette aide pourrait évoluer en fonction de la qualité de notre coopération, y compris dans le domaine migratoire. Cette coopération doit aussi mettre l’accent sur le renforcement de l’état civil des pays concernés, qui doit inclure la prise d’empreintes biométriques pour faciliter l’identification de leurs ressortissants présents sur notre sol. Cette approche bilatérale et très politique est d’ailleurs privilégiée par l’Espagne avec le Maroc et par l’Italie avec la Tunisie. Elle donne des résultats encourageants.
Je vous invite à donner un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Immigration, asile et intégration. Ils ne doivent pas être appréciés isolément mais en tenant compte des budgets précédents, des priorités déjà traitées par le passé et des objectifs que nous nous fixons pour l’avenir. Dans un contexte de baisse globale de la dépense publique, ce budget préserve l’essentiel et permet de concilier la recherche d’efficacité de l’action publique et le respect des droits des personnes.
Mme Laetitia Saint-Paul, présidente. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Aurélien Taché (LFI-NFP). Je ne vous cache pas mon désarroi face à ce budget tronqué et amaigri, inversement proportionnel à l’obsession pour l’immigration partagée par les groupes parlementaires qui soutiennent le Gouvernement, des députés Ensemble pour la République à ceux du Rassemblement national. Dès qu’il s’agit d’améliorer concrètement l’accueil et l’intégration, rien n’est fait. Le peu qui l’était est même détruit.
S’agissant d’abord de l’accueil, la baisse des crédits est générale et touche aussi bien l’administration que la prise en charge des nouveaux arrivants. Traitement déshumanisé des demandes d’asile ou des titres de séjour ; rendez-vous pour le renouvellement systématiquement fixé après l’expiration du titre, conduisant à la précarisation, voire à la rétention, des personnes ; baisse de 71 millions d’euros des crédits alloués au parc d’hébergement des demandeurs d’asile et des réfugiés ; suppression de 6 429 places d’HUDA ; nouvelle baisse du montant consacré à l’ADA alors qu’une hausse de 5 % des demandes est attendue : cette politique violente conduira mécaniquement à augmenter le nombre de personnes à la rue et, conjuguée à la crise du logement qui nous frappe de plein fouet, se traduira tout simplement par un retour des bidonvilles dans notre pays.
La situation n’est guère meilleure pour ce qui concerne l’intégration. Le Gouvernement et ses soutiens, qui – de façon aussi mensongère que stigmatisante – ne cessent de jeter la suspicion sur l’attachement aux principes républicains de ceux qui arrivent en France, détruisent dans le même temps les fondements mêmes de notre politique en la matière. Dois-je rappeler que l’intégration n’est pas qu’un slogan ?
Alors qu’on devrait permettre aux personnes qui bénéficient du regroupement familial d’accéder à des cours de français avant même de quitter leur pays d’origine, comme c’était le cas auparavant, les coupes infligées au programme 104 sont telles que je ne vois pas comment les cours prévus à leur arrivée – dont le volume avait triplé à la suite du rapport que j’avais remis au Gouvernement en 2018 – pourront être assurés.
Et que dire des actions destinées à accompagner les demandeurs vers le logement ou l’emploi, qui seront tout bonnement supprimées ? Alors que les personnes qui tentent d’obtenir l’asile en France n’ont toujours pas le droit de travailler ni de suivre des cours de français pendant l’examen de leur demande, elles sont désormais totalement livrées à elles-mêmes, même après avoir obtenu le statut de réfugié, à tel point que certaines retournent dormir dans les campements où elles sont arrivées. Tout est fait pour compliquer le parcours d’intégration, et on s’étonne ensuite que les Français doutent ou se posent des questions.
Votre politique plaira sans doute aux éditorialistes des chaînes d’information en continu mais ne réglera aucune des difficultés que vous prétendez traiter. Elle est, en revanche, le plus beau cadeau que vous puissiez faire au Rassemblement national. Notre groupe votera contre ces crédits.
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure pour avis. Je ne peux pas être d’accord avec vous.
D’abord, tous les crédits ne baissent pas. Les effectifs de l’OFPRA, par exemple, seront renforcés à hauteur de 29 ETPT, en vue d’accélérer encore le traitement des demandes d’asile. Les moyens consacrés à l’hébergement ont aussi beaucoup augmenté depuis 2020. Le nombre de places dans les CRA sera, quant à lui, porté d’environ 2 000 aujourd’hui à 3 000 d’ici à 2027.
Ensuite, un gros travail – qui a vocation à être encore renforcé – est mené avec nos pays partenaires, notamment ceux du Maghreb, qui connaissent eux-mêmes des phénomènes d’immigration et sont prêts à reprendre leurs ressortissants, à condition que ces démarches soient correctement préparées.
Enfin, contrairement à ce que vous prétendez, les moyens conséquents dont dispose l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) pour mener des actions dans le domaine de l’insertion, de l’apprentissage des langues ou encore du logement ne sont nullement supprimés. J’estime que la politique migratoire doit marcher sur ses deux jambes : la maîtrise des flux et l’intégration.
M. Julien Gokel (SOC). Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les autorisations d’engagement consacrées aux volets immigration et asile de la mission budgétaire augmentent de 2,04 %, quand celles allouées à l’intégration baissent de 14,37 %. Les dispositions de la loi immigration du 26 janvier 2024 et les budgets alloués pour 2025 le montrent clairement : le Gouvernement demande de faire plus avec moins. Ainsi, on exige du demandeur d’asile une meilleure maîtrise de la langue sans y consacrer les moyens de formation nécessaires et on entend réduire les délais d’instruction sans augmenter les effectifs de l’administration.
Nous sommes également frappés par la dé-corrélation entre les enjeux internationaux et la mission budgétaire, entièrement rattachée au seul ministère de l’intérieur, alors que les questions relatives au droit d’asile, à la délivrance de visas ou au retour des personnes sous OQTF dans leur pays d’origine, relèvent de la diplomatie et du ministère chargé des affaires étrangères.
Le bleu budgétaire mentionne, par exemple, « le financement par le Royaume-Uni des moyens français de lutte contre l’immigration clandestine à la frontière à hauteur de 540 millions d’euros sur une période triennale 2023-2026 », en vertu de l’accord conclu le 10 mars 2023. Cette somme vous semble-t-elle à la hauteur des enjeux qui se jouent sur le littoral de la Côte d’Opale ?
Ce pacte financier résulte en réalité des accords du Touquet, vieux de vingt ans, qui ont fait de la France la gardienne des frontières britanniques sans que le Royaume-Uni assume ses responsabilités. Il est temps de les renégocier, dans leur dimension tant financière que logistique, pour mieux définir les responsabilités réciproques. Les élus locaux et les associations font de leur mieux avec des moyens limités mais la situation, de plus en plus dramatique, n’est acceptable ni pour les réfugiés, qui vivent dans des conditions inhumaines, ni pour les habitants, qui sont également touchés par cette crise. Des événements se sont encore déroulés ces derniers jours.
Un effort budgétaire supplémentaire semble donc nécessaire pour lutter contre les réseaux de passeurs, accueillir dignement les réfugiés et augmenter les places dans les centres d’hébergement.
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure pour avis. J’ai, moi aussi, soulevé la question des moyens dans mon rapport pour avis, tout en soulignant la nette augmentation des budgets enregistrée les années précédentes. Le ministre de l’intérieur a par ailleurs déjà annoncé de nouvelles hausses pour les prochains exercices. Pour ce qui est de 2025, vous n’êtes pas sans savoir qu’il a été demandé à chacun de faire des économies.
Dans le domaine de l’intégration, un énorme travail est réalisé, notamment dans le cadre du programme d’accompagnement global et individualisé des réfugiés (AGIR) conduit par l’OFII, pour favoriser l’intégration dans le domaine des langues, du travail ou encore du logement, même si on peut toujours faire plus, j’en conviens.
Le pacte financier qui nous lie au Royaume-Uni, et qui résulte des accords du Touquet signés par Jacques Chirac, doit être maintenu. La coopération entre États est indispensable pour avancer en matière d’immigration.
Je partage pleinement votre souci de lutter contre les réseaux de passeurs. Nos services s’y emploient avec un certain succès mais il est vrai que ces dernières semaines ont vu se succéder les tragédies impliquant des small boats. Ces embarcations sont d’autant plus dangereuses qu’elles sont de plus en plus surchargées : jusqu’à soixante-dix personnes contre trente à quarante il y a encore quelques mois.
M. Michel Herbillon (DR). Malgré un contexte budgétaire difficile, le montant global des crédits alloués au ministère de l’intérieur – un peu plus de 24 milliards d’euros – augmente légèrement par rapport à la LFI de 2024, conformément à la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (LOPMI) que le groupe Les Républicains avait votée.
Les crédits proposés pour la mission Immigration, asile et intégration ne sont que provisoires, en raison des difficultés liées à la construction du budget, qui se déroule dans un contexte singulier. Le ministre de l’intérieur Bruno Retailleau a ainsi indiqué en commission des lois, le 22 octobre dernier, qu’un amendement du Gouvernement viendrait prochainement relever le budget de la mission et celui de la lutte contre l’immigration irrégulière. Notre groupe soutenant le rehaussement à venir des crédits, nous nous abstiendrons sur ce budget dans l’attente de la présentation de cet amendement.
Madame la rapporteure pour avis, nous ne partageons pas vos conclusions quant à la politique diplomatique de la France en matière de délivrance des LPC : elles reviennent à courber l’échine face à ceux qui défient nos lois. Pourquoi refusez-vous, par principe, d’augmenter la durée de rétention en CRA, notamment pour les profils les plus dangereux, afin d’éviter des drames ? L’Allemagne et l’Italie l’ont fait !
Vous estimez que la politique des visas n’a pas eu les effets escomptés. Je rappelle que nous accordons chaque année plus de 200 000 visas aux ressortissants algériens, quand l’Algérie nous octroie moins de 2 000 laissez-passer consulaires. Cela n’est pas tolérable. Nous demandons simplement l’application du principe de réciprocité, ce que vous ne faites pas de façon explicite.
Enfin, vous ne souhaitez pas que le versement de l’APD soit conditionné à la délivrance de laissez-passer consulaires, au motif qu’elle ne serait plus comptabilisée comme une aide par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Nous le réaffirmons avec force : notre APD ne doit pas financer des pays qui nous sont hostiles ou qui ne coopèrent pas convenablement avec nous. Vous appelez à un dialogue politique franc avec les pays concernés ; nous demandons, nous, des actes forts. Les Français exigent des résultats. Ils ont raison ; prenons les mesures qui s’imposent.
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure pour avis. Le ministre de l’intérieur a en effet annoncé en commission des lois, le 22 octobre, qu’un amendement du Gouvernement serait consacré au relèvement du budget de l’immigration et de la lutte contre l’immigration irrégulière. Je soutiens évidemment cet amendement, car – je l’indique noir sur blanc dans mon rapport – il est indispensable de maintenir le budget de l’an dernier en matière de lutte contre l’immigration.
Les pays de retour connaissent le délai de rétention dans les CRA et se servent de cette information, soit en délivrant le LPC dès le début, soit en attendant la toute fin pour le faire. Prolonger ce délai serait donc non seulement très coûteux mais inefficace.
L’aide publique au développement doit être utilisée, non dans le cadre d’une conditionnalité automatique mais comme outil de pression diplomatique. Il est important de garantir l’existence d’opportunités économiques dans le pays pour limiter les départs.
Je suis pour ma part pour un dialogue franc – et même rude – avec les États partenaires. C’est ainsi que l’on avancera au sujet des LPC.
M. Jean-Louis Roumégas (EcoS). Votre rapport met l’accent sur l’inexécution des OQTF et sur la baisse éventuelle du budget alloué à la lutte contre l’immigration irrégulière. Nos visions divergent profondément.
Alors que de tragiques faits divers ont été instrumentalisés ces derniers mois pour justifier une politique migratoire toujours plus répressive, nous tenons à rappeler une évidence : un migrant, même en situation irrégulière, même frappé par une OQTF, n’est ni un délinquant ni un criminel. Des lycéens qui passent leur bac, des livreurs qui vous apportent vos repas, des étudiants qui attendent un titre de séjour peuvent être sous le coup d’une OQTF.
Une politique migratoire, c’est aussi et surtout une politique d’accueil et d’intégration. Or le PLF pour 2025 marque un recul sur ces aspects. L’allocation pour demandeur d’asile baisse de 16 %. Les associations de terrain craignent que, contrairement à ce que vous dites, le nombre de places d’hébergement ne diminue très fortement, alors que 65 % des demandeurs d’asile sont déjà sans solution. C’est contraire à la directive « accueil » ; la France dérogerait à ses obligations. Votre rapport ne nous rassure absolument pas à ce sujet.
Enfin, le programme 104, Intégration et accès à la nationalité, ne représente que 18 % des crédits de la mission. La dotation de l’action 12, Intégration des étrangers primo-arrivants, fond de 40 %. Ce budget signe ainsi l’effondrement de nos ambitions en matière d’accueil et d’intégration. Mettons en perspective les données, loin des fantasmes de l’extrême droite : la France n’est qu’au seizième rang européen pour l’accueil des demandeurs d’asile.
Combien de places d’hébergement la France comptera-t-elle en 2025 ? Ce chiffre intégrera-t-il les réfugiés ukrainiens, qui n’y étaient pas inclus en 2023 ni en 2024 ?
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure pour avis. L’instrumentalisation existe des deux côtés. Il faudrait s’en abstenir. Le sujet est sérieux et difficile ; il touche des êtres humains, ne l’oublions pas. Avec plusieurs pays dont sont issues les personnes immigrées, la France a une histoire. L’Alsacienne que je suis n’oublie pas que l’Alsace a été libérée en 1945 avec l’aide des spahis marocains.
Les migrants ne sont pas des délinquants mais il existe de la délinquance dans la population immigrée, comme dans la population française. C’est pourquoi nous concentrons les placements en CRA sur les auteurs de troubles à l’ordre public. Je recommande d’ailleurs de renforcer cette politique de ciblage, parallèlement à l’augmentation du nombre de places.
Je le répète, et c’était l’objet de la loi de janvier 2024, nous devons aider les personnes étrangères qui veulent travailler et s’intégrer à le faire mais nous devons parvenir à éloigner les délinquants.
Mme Anne Bergantz (Dem). Notre politique migratoire tient sur un équilibre délicat mais nécessaire, entre adaptation de l’immigration régulière aux réalités économiques et sociales, attractivité, contrôle des flux migratoires, lutte contre l’immigration illégale et accueil des demandeurs d’asile. Avec un peu plus de 2 milliards d’euros engagés, la mission Immigration, asile et intégration répond à ces exigences.
Les lois votées ces dernières années concourent à atteindre les objectifs de cette mission : la LOPMI, la loi de 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, mais aussi le pacte européen sur la migration et l’asile, qui entrera en vigueur en 2026.
Pour accueillir mieux, il faut d’abord des moyens renforcés, afin de continuer de réduire le délai de traitement des demandes. C’est ce que permet la création de 29 ETP à l’OFPRA, dans la continuité des 200 ETP dont il a bénéficié depuis 2020, mais aussi la réforme de l’asile engagée cette année et la création des pôles territoriaux France asile. L’amélioration du processus de traitement des demandes et du pilotage de l’hébergement nous permettra d’accueillir plus efficacement ceux qui, menacés dans leur pays d’origine, doivent jouir de notre protection. L’objectif de six mois de délai global pour l’instruction des demandes d’asile est très ambitieux. Cette durée a déjà été considérablement réduite depuis 2022 ; nous devons maintenir cette tendance.
La volonté d’accompagner les étrangers apparaît également dans les moyens destinés à l’apprentissage de la langue française, indispensable pour s’insérer dans notre société, en particulier professionnellement. Nous avons clairement une marge de progression en la matière. Nous devons faire preuve de plus d’exigence concernant ces compétences.
Enfin, dans la continuité des exercices budgétaires précédents, la lutte contre l’immigration irrégulière doit se poursuivre, par l’augmentation du nombre de places en CRA et la mise en œuvre des OQTF. Nous devons mieux maîtriser les flux migratoires, sans démagogie ni caricature, et lutter contre l’immigration illégale et les réseaux de passeurs.
Attaché à cet esprit d’équilibre entre accueil et régulation des flux migratoires, mon groupe votera les crédits de cette mission.
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure pour avis. Je suis entièrement d’accord avec vous au sujet de l’intégration, notamment par l’apprentissage de la langue. Des populations entières présentes sur le sol national depuis longtemps n’ont pas été intégrées à notre République. Le travail et la langue sont le cœur de l’intégration. Je connais une famille sous OQTF, dont l’enfant connaît parfaitement les paroles de La Marseillaise : ça, selon moi, c’est de l’intégration ! Mais comment intégrer si nous coupons les moyens dédiés à l’intégration par la langue et par l’insertion professionnelle ? Notre politique d’immigration doit se tenir sur ses deux jambes : maîtriser les flux et faire repartir ceux qui ne doivent pas rester ; mieux intégrer ceux qui arrivent et ont vocation à demeurer en France.
Dans mon territoire, pour les vendanges, dans les hôpitaux ou les restaurants, nous avons besoin d’immigrés, pour peu qu’ils veuillent s’intégrer, apprendre notre langue, travailler et qu’ils partagent nos valeurs. Si j’ai soutenu la loi « immigration » l’année dernière, c’est parce qu’elle permet d’intégrer par le travail mais aussi parce qu’elle incluait des mesures nouvelles de contrôle des entrées, de simplification des normes, de diminution du nombre de recours. La France est une terre d’accueil ; simplement, il ne faut pas accueillir n’importe comment, sans contrôle et sans véritablement intégrer les arrivants.
M. Bertrand Bouyx (HOR). Dans leur appréciation de la question migratoire, la France et l’Europe doivent toujours faire preuve de fermeté et d’humanité : fermeté envers l’immigration illégale ; humanité envers les demandeurs d’asile. Ce sont ces principes qui ont guidé le pacte européen sur la migration et l’asile comme la loi du 26 janvier 2024. Celle-ci était nécessaire : elle a doté la France d’instruments renouvelés pour renforcer les exigences d’intégration, assurer le respect par tous des principes de la République et mettre fin au séjour de ceux dont le comportement constitue une menace pour l’ordre et la sécurité publics – malheureusement, l’actualité nous rappelle parfois à cette triste réalité.
Le groupe Horizons salue l’augmentation des moyens consacrés à l’accélération du traitement des demandes d’asile et à l’accueil des étrangers primo-arrivants. Nous regrettons la baisse des crédits de paiement alloués à la lutte contre l’immigration irrégulière. Nous n’en voterons pas moins en faveur de ce budget.
Au sujet des LPC, vous évoquez l’exemple de l’Algérie et la très grande latitude laissée aux consulats algériens en France s’agissant de leur délivrance. Quelles solutions diplomatiques peut-on envisager ?
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure pour avis. Je suis d’accord avec beaucoup de ce que vous avez dit.
Sur le dernier point, nous rencontrons différents problèmes s’agissant des LPC algériens. Certains sont techniques : soit nos autorités transmettent des données considérées par les autorités algériennes comme inexploitables ou incomplètes ; soit le fait que le découpage administratif des autorités consulaires algériennes ne corresponde pas à notre propre organisation déconcentrée conduit à adresser les demandes aux mauvais interlocuteurs. D’autres problèmes sont diplomatiques : les autorités algériennes font preuve d’une forme de mauvaise volonté lorsqu’il s’agit d’accéder à nos demandes, ce qui se traduit de plusieurs manières.
Il a été démontré que jouer le rapport de force avec l’Algérie ne fonctionne pas. En 2021, la France a mené une politique de restriction des visas vis-à-vis de l’Algérie en rétorsion à la mauvaise volonté que met ce pays à reprendre ses ressortissants clandestins. La rétorsion algérienne s’est faite plus virulente s’agissant des LPC : elle a pris de l’ampleur vis-à-vis des autorités consulaires et, sur le plan de la coopération dans la lutte contre le terrorisme, elle a fait peser une menace sur nous. La coopération économique – donc les opportunités pour nos entreprises en Algérie – a été également menacée. Bref, c’est la France qui a perdu au change.
Nous avons besoin d’un dialogue structuré, permanent, de nature politique, qui évite les aléas diplomatiques en fixant des règles claires, non susceptibles de varier en fonction des humeurs des uns et des autres.
M. Davy Rimane (GDR). La mission budgétaire que nous étudions est représentative de la politique d’austérité et répressive que le nouveau gouvernement a l’intention de mener. Les crédits diminuent partout, certes, mais principalement au sein du programme Intégration et accès à la nationalité française, dont les crédits de paiement baissent de plus de 15 %. Ce sont moins de dépenses pour l’accueil, pour l’intégration, pour la formation linguistique.
On entend à longueur de journée les groupes de droite et d’extrême droite dire que les personnes immigrées ne cherchent pas suffisamment à s’intégrer, ne font pas assez d’efforts pour apprendre la langue française, entre autres inepties ; et quand ces mêmes forces arrivent au pouvoir, leurs premières victimes sont justement les politiques qui favorisent le vivre-ensemble dans une société devenue – désolée de vous le dire – pluriculturelle.
La baisse drastique, de plus de 45 %, des moyens dédiés à l’action 12, Intégration des étrangers primo-arrivants, du programme 104, Intégration et accès à la nationalité française, est révélatrice. Nous déplorons particulièrement la baisse de 71,2 millions concernant le parc d’hébergement des demandeurs d’asile et des réfugiés. C’est d’autant plus inquiétant que ces crédits couvrent les places en centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) et en HUDA et que les besoins en la matière sont criants.
Je parle en connaissance de cause. Les outre-mer sont dépourvus de tout CADA alors que les besoins pour accueillir dignement les migrants sont immenses, notamment en Guyane. À Cayenne, des personnes dorment dans la rue par centaines, ce qui alimente les bidonvilles, la précarité, l’économie informelle et divers trafics, souvent nécessaires pour subvenir aux besoins des familles ou tout simplement pour survivre.
Nous réaffirmons notre volonté de mettre en œuvre une politique ambitieuse et généreuse à l’égard des personnes migrantes, fondée sur le respect des droits et libertés fondamentaux, à l’opposé de ce qui est présenté dans ce budget. Celui-ci semble préparer le futur projet de loi sur l’immigration annoncé pour début 2025, le trente-troisième texte sur le sujet depuis quarante-quatre ans, qui sera certainement aussi efficace que les trente-deux précédents…
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure pour avis. Je crois, moi aussi, beaucoup au programme Intégration et accès à la nationalité française. De manière générale, énormément de crédits et d’actions ont été mis en œuvre depuis 2017, notamment en ce qui concerne les places d’hébergement.
Je m’étonne que certains collègues du NFP parlent d’austérité à propos des crédits alloués à l’immigration alors même qu’ils ne proposent rien à ce sujet, sinon la régularisation de l’ensemble des immigrés irréguliers, défendue par Mme Castets.
Dans certains territoires d’outre-mer, la situation est effectivement catastrophique. Il faut une politique de grande fermeté mais aussi d’humanité – l’un ne va pas sans l’autre – pour ne pas laisser la situation dépérir.
Mme Alexandra Masson (RN). Depuis près de cinquante ans, les Français subissent une immigration hors de contrôle faute de volonté politique de la maîtriser. L’immigration illégale et clandestine a doublé depuis 2015. Loin d’être combattue, elle a souvent été encouragée par différentes politiques nationales.
Il est donc important de limiter l’arrivée sur notre sol de nouveaux étrangers que nous ne pouvons plus accueillir dignement. Le budget alloué à l’accueil et à l’intégration des étrangers primo-arrivants doit être réduit d’au moins 10 %, ce qui représenterait une économie de 37 millions pour l’État.
La situation critique de nos finances publiques requiert des économies généralisées auxquelles tous doivent participer, y compris les demandeurs d’asile. Nous appelons donc à minorer de 5 % le budget destiné à l’allocation pour demandeur d’asile et de 10 % les crédits d’hébergement, pour une économie budgétaire totale de 80 millions au profit de l’État.
Alors que la France subit une importante pression migratoire et que le taux d’exécution des OQTF est catastrophiquement bas – moins de 9 % –, le budget de la lutte contre l’immigration irrégulière ne représente que 12,7 % des ressources de la mission. Pire encore, en autorisations d’engagement, ses crédits diminuent de 126,5 millions, soit 42 %, dont 86 % de baisse pour les seules dépenses d’investissement. Un choix totalement assumé par le ministre de l’intérieur, face caméra, dans les locaux de la police aux frontières (PAF) de Menton, le 18 octobre. C’est tout simplement inacceptable.
Nous appelons à opérer un virage à 180 degrés, à augmenter de 200 millions les crédits alloués à la lutte contre l’immigration irrégulière et à diminuer d’autant les lignes budgétaires destinées à l’accueil et à l’intégration des migrants.
Les centres de rétention administrative jouent un rôle essentiel dans la lutte contre les étrangers dans l’attente de leur renvoi forcé en les maintenant dans un lieu fermé. Leurs moyens doivent être renforcés à hauteur de 100 millions, de même que le budget destiné à l’exécution des OQTF.
Dans les prochaines années, de plus en plus de personnes seront poussées à vouloir quitter leur pays et ces flux migratoires continueront d’avoir des conséquences dramatiques en France s’ils ne sont pas anticipés et maîtrisés.
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure pour avis. Je ne sais pas à quelle politique qui aurait encouragé l’immigration vous faites référence. S’il s’agit d’accueillir en France des étudiants étrangers qui sont une richesse pour nos universités, j’assume. Pour le reste, une politique de fermeté est poursuivie, et ce depuis 2017, pour mieux contrôler les entrées.
Vos amendements tendent à la suppression quasi totale des budgets liés à l’intégration mais nous avons besoin de ces crédits car il existe des étrangers qu’il faut intégrer. Il faut aussi mettre l’accent sur l’aide au développement et coopérer étroitement avec les pays d’origine pour que leurs ressortissants y restent et y trouvent les ressources pour s’installer et travailler. Ce que vous nous proposez là, ce sont des solutions simplistes.
Mme Liliana Tanguy (EPR). Ces dernières années, la politique gouvernementale a été marquée par la volonté de mieux contrôler l’immigration irrégulière et de mieux intégrer les primo-arrivants par la langue et le travail, tout en favorisant une immigration qualifiée et orientée vers des métiers en tension. C’est l’esprit de la loi immigration adoptée en janvier dernier.
Lors de son discours de politique générale, le premier ministre a rappelé que l’immigration restait l’une des priorités majeures de son gouvernement et proposé des mesures visant à mieux contrôler l’arrivée des migrants en situation irrégulière.
Dans le PLF pour 2025, l’effort budgétaire demandé à la mission s’est concrétisé par une baisse de 5,04 % en crédits de paiement. Si le groupe EPR comprend que le redressement de nos comptes publics est nécessaire, il souhaite cependant appeler l’attention du Gouvernement sur l’impact d’une diminution trop marquée des crédits de la mission, en particulier ceux de l’action 03, Lutte contre l’immigration irrégulière, du programme 303, Immigration et asile, et de l’action 12, Intégration des étrangers primo-arrivants, du programme 104. Alors que les arrivées irrégulières tendent à augmenter de nouveau au sein de l’Union européenne, la baisse du budget de l’action 03, destiné à financer les places en CRA et les locaux de rétention administrative, risque de porter atteinte à l’efficacité des mesures que le Gouvernement défend.
Quant à l’inexécution des OQTF, ses causes sont multiples. Le recours à la politique des visas a montré ses limites – vous l’avez rappelé – et n’a pas permis d’améliorer le taux de délivrance des laissez-passer consulaires. Nous partageons votre avis sur ce point. Il nous faut mettre l’accent sur la définition de formats de discussion sur ces questions avec les États concernés, notamment les pays du Maghreb.
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure pour avis. Certes, le budget de la mission régresse quelque peu. Je rappelle cependant l’annonce d’un amendement gouvernemental destiné au relèvement du montant de la mission, et notamment des moyens consacrés à la lutte contre l’immigration irrégulière. Nous nous en réjouissons tous. Le nombre de places en CRA va également être augmenté pour atteindre 3 000 en 2027. Je souligne dans mon avis que les crédits de la lutte contre l’immigration irrégulière ne doivent pas baisser.
En ce qui concerne les laissez-passer consulaires, nous serons plus puissants en agissant à l’échelon européen. Je songe aussi, en l’espèce, au pacte européen sur la migration et l’asile.
Mme Stella Dupont (NI). Je déplore les coupes budgétaires massives que subissent l’hébergement – comment pourra-t-on éviter qu’un nombre encore plus grand de femmes, d’enfants, d’hommes se retrouvent à la rue ? – et l’intégration. La baisse des moyens alloués à l’intégration des étrangers primo-arrivants atteint 45 % ; je n’en comprends pas du tout la logique. Vous venez de rappeler votre attachement à l’intégration ; dès lors, comment approuver les crédits de la mission ?
Le volet intégration, qui recouvre l’accès à l’emploi et à l’apprentissage de la langue française ainsi que des valeurs de la République, représente déjà une part minoritaire du budget alloué à la mission. Cette coupe aurait pour conséquence une précarisation encore plus forte des primo-arrivants.
Sur le plan économique, nous sommes fréquemment sollicités par des entreprises qui ont du mal à recruter, notamment dans le bâtiment, la restauration ou l’aide à domicile. Renoncer à l’intégration par le travail des réfugiés et personnes protégées est un non-sens. Quel avenir pour le programme AGIR, qui couvre le logement, la santé, l’emploi et dont la généralisation partout en France est justement prévue pour 2025 ? Les membres du collectif social-démocrate partagent mon incompréhension. Ce programme concerne des personnes autorisées à demeurer en France. L’intérêt général est de leur permettre le plus vite possible de maîtriser le français, de se former, de se loger, de travailler. Ne pourrait-on auditionner à ce propos Didier Leschi, directeur de l’OFII ?
Le projet annuel de performance (PAP) de la mission mentionne le plan national de mise en œuvre du pacte européen sur la migration et l’asile. Le cadre européen prévoit une adoption par les États avant fin 2024. Quel est le calendrier prévu ?
Merci de vous être penchée sur l’inexécution des OQTF mais arrêtons d’en délivrer à tour de bras, y compris à des gens qui travaillent et qui ont oublié un papier dans leur demande de titre. C’est inacceptable !
M. Michel Herbillon (DR). Arrêtez votre angélisme sur cette question !
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure pour avis. J’ai, bien sûr, auditionné le directeur de l’OFII pour préparer mon rapport. Je salue d’ailleurs l’excellent travail réalisé par l’Office.
Je ne parlerais pas de « coupes massives » dans les crédits de l’intégration. Il y a une baisse, certes, mais chacun doit faire un effort budgétaire. Il faut définir des priorités au sein de la mission et la première est, à mes yeux, de renforcer les moyens de la lutte contre l’immigration irrégulière, sans renoncer à l’intégration, particulièrement par le travail.
Je répète que les crédits dont nous parlons ont fortement augmenté depuis 2017 et que le ministre de l’intérieur envisage de les relever par amendement. Dans mon rapport, je demande que leur montant soit plus élevé à l’avenir.
Le programme AGIR est un très bon outil, très utile. Oui, les personnes que nous avons accueillies doivent l’être de manière décente. Ce sont des êtres humains avant tout.
Mme Laetitia Saint-Paul, présidente. Nous en venons à présent aux interventions et questions posées à titre individuel.
M. Guillaume Bigot (RN). Votre rapport est une sorte d’aveu d’impuissance. Vous nous expliquez que toutes les solutions explorées ont échoué. S’agissant de l’aide publique au développement, le bras de fer n’a jamais été engagé ; la politique en matière de restrictions de visas n’a été expérimentée que quelques mois en plein Covid. Maintenez-vous que ces solutions ont été mises en œuvre avec constance et détermination ?
Par ailleurs, votre rapport comporte un angle mort : le rôle délétère joué par l’Union européenne. L’accord et la convention de Schengen n’ont pas été revus et les jurisprudences subjectives et innombrables sont systématiquement favorables aux migrants. Comment remporter un bras de fer sans plus de bras pour contrôler ses frontières ?
Enfin, je n’ai pas compris quel est le lien entre la participation, certes glorieuse, des troupes de l’Empire à la libération du territoire métropolitain et la question des visas et des OQTF ?
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure pour avis. Je ne considère pas avoir à répondre à la dernière question.
En 2021, la France a tenté d’engager un bras de fer lorsqu’elle a fait, seule, le choix de restreindre les visas délivrés aux ressortissants d’Algérie et du Maroc car ces pays ne délivraient pas suffisamment de LPC. Ces derniers se sont alors tournés vers d’autres pays européens qui ont fourni des visas Schengen, permettant aux ressortissants algériens et marocains de venir sur notre territoire.
Il a été démontré qu’établir un rapport de force avec l’Algérie ne fonctionnait pas. En 2021, la France a mené une politique de restriction des visas à l’égard de l’Algérie en représailles à la mauvaise volonté dont elle faisait preuve pour reprendre ses ressortissants clandestins. Au bout du compte, c’est la France qui a perdu au change.
M. Stéphane Rambaud (RN). L’échec de la politique en matière d’OQTF est une réalité accablante pour les macronistes. En 2023, 137 730 OQTF ont été prononcées mais seules 7,7 % d’entre elles ont été exécutées. Plus de 27 000 ont été prononcées en raison d’une menace à l’ordre public et 7 200 sur le fondement d’une condamnation pénale. Cela signifie que près de 40 000 individus étrangers, potentiellement dangereux pour nos concitoyens, sont toujours en France alors que leur expulsion a été ordonnée. Appliquerez-vous des mesures fermes, telles que l’arrêt de la délivrance des visas, pour contraindre les pays d’origine à reprendre leurs ressortissants ?
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure pour avis. J’ajoute à ma précédente réponse que j’ai auditionné Stéphane Romatet, ambassadeur de France en Algérie, qui déconseille de rompre le dialogue.
Je ne comprends pas bien vos calculs, monsieur Rambaud. Je le répète, il faut expulser les étrangers dangereux. En revanche, nous devons accueillir les étrangers qui souhaitent s’intégrer, apprendre notre langue et travailler car nous avons besoin de salariés dans tous les domaines d’activité. L’intégration massive d’étrangers dans les années 1960 a été, dans l’ensemble, réussie.
Mme Dieynaba Diop (SOC). Je suis assez déconcertée. Vous dites vouloir intégrer par le travail et accueillir dignement les étrangers alors que les crédits de l’action 12, Intégration des étrangers primo-arrivants, diminuent de 45 %. Seule la coupe sèche des crédits, proposition démagogique du Rassemblement national, pourrait être plus radicale que cette baisse massive.
En ma qualité de députée et d’élue locale, de nombreux employeurs m’interpellent car ils souhaitent que leur employé, qui travaille et qui est parfaitement intégré, soit régularisé. Tant dans le secteur des urgences qu’en matière de services à la personne, de nombreuses personnes d’origine étrangère soignent et s’occupent de personnes. Comment comptez-vous faire mieux avec beaucoup moins ?
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure pour avis. Je rappelle qu’il s’agit de la prévision budgétaire du Gouvernement, non de la mienne. Cette baisse de crédits concerne une action et non tout le programme 104. Par ailleurs, les crédits dédiés à l’accueil des étrangers primo-arrivants augmentent de plus de 9 %.
Mme Amélia Lakrafi (EPR). Je suis ravie que vous ayez abordé la question des visas, qui est souvent révélatrice des relations entre la France et d’autres pays – vous avez rappelé l’épisode avec les pays du Maghreb, lié aux OQTF.
La politique en matière de visas n’est pas un outil de négociation efficace, alors qu’elle a un impact énorme sur l’image de la France à l’étranger. Le refus de visa opposé à des ministres, à des sportifs de haut niveau ou à des entrepreneurs africains, ou l’obligation pour des particuliers de passer par des officines aux prix de plusieurs centaines d’euros par crainte de ne pas obtenir de visa, a un effet délétère.
Certains collègues souhaitent exercer une pression sur les pays qui refusent de délivrer des laissez-passer consulaires au moyen des visas mais cette méthode est inefficace. Le problème n’est-il pas plutôt le nombre exagéré d’OQTF délivrées qui ne pourront pas être exécutées ?
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure pour avis. Hier, le président de la République s’est exprimé devant le Parlement marocain. Il a dit que l’espace commun méditerranéen devait être « un espace ordonné, dont chacun des partenaires [acceptait] d’être le garant ». Il a souligné « la nécessité d’une coopération naturelle et fluide en matière consulaire [qui est] une question de confiance réciproque » ; j’en suis convaincue. Dans mon rapport, je préconise d’adopter cette méthode afin de retrouver la confiance et de relancer le dialogue.
Nos politiques en matière migratoire sont regardées de très près en Algérie, au Maroc et en Tunisie, qui sont eux-mêmes devenus des pays d’immigration et commencent à être confrontés aux mêmes difficultés que nous. Il faut engager un dialogue franc qui nous permettra d’améliorer la délivrance de LPC.
M. Michel Guiniot (RN). Les gouvernements qui se sont succédé depuis 2022 ont procédé à un nombre de 3 000 à 4 000 retours aidés par an. Le Gouvernement a pour ambition d’atteindre les 8 000 retours aidés en 2024 puis en 2025 ; nous demandons à voir.
Chaque retour aidé d’un individu qui n’a rien à faire chez nous coûte 2 000 euros au contribuable, entre le billet d’avion et le chèque qui lui est remis. Quant aux éloignements forcés, bien que peu nombreux, ils coûtent presque quatre fois plus cher.
Au mois de janvier 2024, la Cour des comptes a déploré que le ministère de l’intérieur exige un séjour de six mois en France pour bénéficier du retour aidé. On marche sur la tête : le ministère encourage les clandestins à s’installer en France avant de contribuer financièrement à leur retour ! Considérez-vous qu’une telle procédure est normale ? Elle coûte tout de même 8 millions d’euros.
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure pour avis. J’ai auditionné l’OFII, qui est chargé de mettre en œuvre les retours aidés. C’est un bon dispositif : ces retours coûtent quatre fois moins cher que les éloignements forcés et ont des effets plus positifs. Il ne s’agit pas de remettre un chèque aux personnes mais de financer, dans leur pays d’origine, des aides pour trouver un logement, un travail…
Mme Stella Dupont (NI). Je ne suis pas sûre que le collègue du Rassemblement national ait bien saisi l’intérêt de la procédure des retours aidés.
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure pour avis. Les personnes qui font l’objet d’un éloignement forcé sont transférées sous escorte depuis le centre de rétention jusqu’à l’aéroport, puis accompagnées d’une escorte durant le vol car elles peuvent créer des difficultés. Les éloignements forcés coûtent donc plus cher, tant en raison du coût de l’escorte que de celui du billet d’avion.
M. Jérôme Buisson (RN). Que de clichés et de naïveté ! Les solutions simples – simplistes, avez-vous dit – sont bien plus efficaces que votre pensée complexe…
L’État confie la gestion de l’accueil, de l’hébergement et de l’accompagnement des demandeurs d’asile à des associations qui sont très politisées et promeuvent l’immigration en agissant comme de véritables activistes. Nous venons d’apprendre que la France n’était pas de taille à engager un bras de fer avec l’Algérie s’agissant des laissez-passer consulaires. Vous capitulez avant même d’engager la bataille. Oubliez le bras de fer, passez à des mesures plus fortes, notamment en matière de transferts de fonds ! L’Algérie n’a pas moins à perdre que nous sur le plan économique.
Pensez-vous vraiment que la gestion déléguée à ces associations immigrationnistes soit plus efficace pour contrôler l’immigration ?
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure pour avis. Le Rassemblement national revendique des solutions simplistes pour résoudre un problème complexe. En l’espèce, c’est clair ! Comme je n’avais pas d’attente particulière en la matière, je ne suis pas déçue.
Il faut sans doute revoir certains aspects des choses avec les associations. Néanmoins, je tiens à souligner le travail accompli par l’OFII en la matière.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Vous maîtrisez à merveille la méthode Coué : vous ne cessez de répéter que la baisse des crédits dédiés à l’intégration est modérée alors qu’elle est massive.
Vous maîtrisez également l’art de l’esquive politique, voire politicienne. Vous n’avez pas répondu à Davy Rimane sur les moyens de la politique d’intégration en Guyane. Or vous devez savoir qu’il n’y a pas de CADA en Guyane et qu’à 3,80 euros, le montant de l’ADA y est bien inférieur qu’en métropole, où il est de 6,80 euros. Comment fait-on pour vivre avec 3,80 euros par jour ? Cette allocation n’a pas été revalorisée depuis plus de dix ans, comme si les demandeurs d’asile ne subissaient pas l’inflation. Ils ont bien de la chance !
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure pour avis. Les crédits du programme 104 dédiés à l’intégration connaissent une baisse de 14,37 % ; ce n’est pas une esquive d’en dire qu’elle est somme toute modérée. Du reste, j’indique que le niveau de ces crédits devra être relevé à l’avenir.
S’agissant de l’ADA, on ne comprendrait pas que cette allocation augmente alors que des efforts sont demandés à tout le monde.
Mme Clémentine Autain (EcoS). Depuis maintenant sept ans, fermeté et humanité sont les mots d’ordre de la Macronie. J’ai vu la fermeté, avec le renforcement des mesures de rétention, de surveillance et de répression ; je n’ai pas encore vu l’humanité. Désormais, vous marchez dans les pas du Rassemblement national : il veut supprimer le budget de l’intégration ; vous le diminuez de 40 %.
Il y a un problème de diagnostic : vous pensez qu’il y a une crise migratoire ; pour nous, c’est une crise de l’accueil. L’urgence nous paraît plutôt de donner des papiers à ceux qui travaillent, qui font vivre les hôpitaux, qui assurent nos services à la personne. Elle est aussi de permettre aux préfets de respecter l’État de droit ; celui de Seine-Saint-Denis m’a confié n’avoir pas les moyens d’accorder des rendez-vous à temps. L’urgence est encore de donner les moyens aux associations de sauver des êtres humains. Lorsqu’une personne est prête à mourir en Méditerranée, aucun mur ne l’empêchera de venir.
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure pour avis. Je vous invite à relire la loi de janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration. Elle prévoit des mesures en matière d’intégration, en particulier la création d’un nouveau titre de séjour de travail et l’apprentissage de la langue.
Je n’accepte pas d’être assimilée au Rassemblement national – je suis d’ailleurs fière de l’avoir battu en Alsace – car nous avons des visions diamétralement opposées. La maîtrise de l’immigration est une attente des Français ; il faut agir de manière équilibrée. Il faut aussi aider les pays dont sont issues les personnes immigrées, tant sur le plan économique qu’en matière d’état civil afin qu’ils puissent identifier leurs ressortissants.
M. Kévin Pfeffer (RN). Je suis toujours stupéfait par l’inventivité de la gauche pour s’extraire des réalités. Le faible taux d’exécution des OQTF n’est pas un problème, il suffit de moins en délivrer. Pourquoi n’y avoir pas pensé avant ? Mais non : une personne qui s’introduit illégalement sur le territoire et qui ne répond pas aux conditions fixées pour le droit d’asile méritera toujours de se voir délivrer une OQTF. Régulariser tout le monde, comme le prône Mme Castets, y compris ceux qui ne travaillent pas, créerait un appel d’air en matière d’immigration illégale.
Dans notre bras de fer avec l’Algérie pour la délivrance des LPC, avons-nous vraiment mis toutes nos forces ? Ne nous sommes-nous pas contentés d’amuser la galerie, mentant ainsi aux Français qui sont, eux, très majoritairement favorables à une politique d’immigration plus ferme ? Selon certains experts, nous aurions tout à gagner à sévir et l’Algérie aurait beaucoup à perdre. M. Driencourt, ancien ambassadeur de France en Algérie, l’a rappelé dans plusieurs tribunes. Nous pourrions commencer par dénoncer l’accord franco-algérien de 1968, qui n’est plus justifié et qui profite bien plus à l’Algérie qu’à la France.
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure pour avis. Nous sommes ici en commission des affaires étrangères et mon rapport est plutôt orienté sur notre politique diplomatique. Mais je vois que le nombre d’OQTF délivrées s’est élevé à 138 739 en 2023 et qu’il est de 66 560 à ce moment de l’année 2024. La baisse est nette et la politique en la matière pose en effet question. Il faut cibler les OQTF là où c’est utile.
Quant à l’accord franco-algérien, je propose dans mon rapport de le rééquilibrer.
Mme Laurence Robert-Dehault (RN). La procédure du droit d’asile est coûteuse. Compte tenu des délais moyens de traitement des dossiers par l’OFPRA et la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), un demandeur d’asile débouté aura perçu l’ADA et occupé un hébergement d’urgence pendant plus de douze mois, sans obligation de rembourser les sommes perçues. La procédure est totalement dévoyée et est devenue une voie d’immigration illégale à part entière. Il est très difficile d’éloigner les déboutés : ils sont plus de 96 % à rester sur notre sol après le rejet de leur demande.
Vous misez sur la voie diplomatique pour améliorer les procédures d’éloignement. Pouvez-vous donner plus de précisions à ce sujet ? La diplomatie vous paraît-elle adaptée à l’urgence de la crise migratoire que nous connaissons en Europe depuis 2015 ?
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure pour avis. Il est hors de question d’abandonner l’asile ; il y va de l’honneur de la France.
Les délais de traitement des demandes d’asile par l’OFPRA ont été considérablement réduits au cours des derniers mois et 29 ETP permettront de poursuivre cet effort, de sorte que les demandeurs d’asile soient fixés sur leur sort au plus vite. Au passage, le groupe Rassemblement national s’oppose à cette augmentation de moyens.
M. Jean-Paul Lecoq (GDR). S’agissant des OQTF, vous avez réussi l’exploit de ne pas parler du déplacement au Maroc du président de la République qui, pour obtenir des laissez-passer consulaires, a craché sur le droit international en reconnaissant la « marocanité » du Sahara occidental. C’est pourtant l’une des explications à nos relations compliquées avec l’Algérie. Le Maroc deviendra-t-il, après Israël, un sujet tabou en commission des affaires étrangères ? Il y a bien un axe des pays colonisateurs.
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure pour avis. J’ai parlé du déplacement du président de la République au Maroc. J’ai même cité une partie de son discours. Il n’y a aucun tabou.
Mme Laetitia Saint-Paul, présidente. Avez-vous eu un retour d’expérience sur l’application des mesures relatives aux métiers en tension issues de la loi de 2024 ?
En matière de délivrance des LPC, y a-t-il des enseignements à tirer de la disparité qu’on observe en Afrique francophone, avec des taux variant de 25 % dans certains pays à 50 % en Côte d’Ivoire ?
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure pour avis. J’ai choisi comme thème de mon rapport les LPC. S’agissant des métiers en tension, tous les décrets d’application de la loi de janvier 2024 n’ont pas encore été pris. Avant de dresser un bilan de ces mesures et de penser à une autre loi, il faut les appliquer. Il faut aussi que nous transposions le pacte européen sur la migration et l’asile afin de renforcer notre pression, dans le dialogue, sur les pays concernés, notamment en matière de LPC.
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Article 42 et état B : Crédits du budget général
Amendement II-AE47 de Mme Alexandra Masson
Mme Alexandra Masson (RN). Cet amendement vise à diminuer de 50 % le budget alloué à l’allocation pour demandeur d’asile et de 10 % les crédits d’hébergement, pour une économie totale de 80 millions d’euros. Cette baisse s’inscrit dans une politique globale de contrôle de l’immigration qui doit permettre d’économiser 16 milliards d’euros par an, selon les estimations du contre-budget du Rassemblement national.
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure pour avis. Avis défavorable. La fluctuation de l’ADA est due au nombre d’arrivants sur notre sol et non à l’augmentation de l’allocation versée.
On ne peut pas faire n’importe quoi. Notre droit est encadré par le droit européen. La directive « accueil » de 2013 fixe des normes minimales pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, en matière d’hébergement ou d’allocations financières. Il serait déraisonnable de diminuer le montant de l’ADA, qui est de 6,80 euros par jour. Au-delà de la question humanitaire, rogner sur l’hébergement et l’allocation, c’est prendre le risque de voir s’installer des campements sauvages et, avec eux, le développement de trafics et de l’insécurité. Cela risquerait aussi d’aboutir à un empiétement sur d’autres dispositifs d’hébergement d’urgence ou de mise à l’abri.
L’ADA est versée en contrepartie de la signature d’un contrat avec l’OFII, qui intègre ces personnes dans un circuit de prise en charge, éventuellement jusqu’au retour volontaire. Dans le domaine de l’asile, il y a largement matière à progrès, dans l’éloignement des déboutés comme dans l’accueil, qui doit être digne.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-AE45 de Mme Alexandra Masson
Mme Alexandra Masson (RN). Cet amendement vise à augmenter de 100 millions d’euros le budget alloué aux CRA, essentiels dans la lutte contre l’immigration irrégulière, afin de lancer la construction de nouvelles places supplémentaires. Dans ma circonscription, le CRA de Nice compte soixante places alors qu’il en faudrait au minimum deux cents. Cette proposition s’inscrit dans la politique globale de contrôle de l’immigration que nous promouvons dans notre contre-budget, qui sanctuarise des crédits votés dans la loi immigration de janvier 2024. Nous invitons le Gouvernement à lever le gage.
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure pour avis. Avis défavorable. L’action sur laquelle vous souhaitez prélever 100 millions est celle qui finance l’OFII, opérateur essentiel et bien géré. L’augmentation des places en CRA est déjà prévue, puisque leur nombre passera de 1 959 à 3 000 d’ici à 2027. Un CRA sera construit à Olivet et celui de Perpignan sera étendu.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-AE46 de Mme Alexandra Masson
Mme Alexandra Masson (RN). Le Gouvernement a diminué de plus de 126 millions d’euros le budget alloué aux retours forcés et volontaires des migrants illégaux ; nous proposons de l’augmenter de 100 millions, toujours dans le cadre d’une politique globale de contrôle de l’immigration. Depuis le 2 février 2024 et la décision du Conseil d’État d’annuler la disposition permettant d’opposer des refus d’entrée, la lutte contre l’immigration est entravée. Au poste-frontière de Menton, la PAF ne peut retenir que quatre heures les migrants arrivés illégalement sur le territoire français si l’Italie ne veut plus les admettre de nouveau.
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure pour avis. Avis défavorable. Là encore, vous souhaitez prélever 100 millions sur l’action qui finance l’OFII, l’organisme même qui gère l’aide au retour volontaire des étrangers en situation irrégulière, que vous dites vouloir augmenter. Quant aux retours contraints, mon rapport montre que les obstacles ne sont pas d’ordre financier mais relèvent de difficultés juridiques et de l’état de nos relations bilatérales avec les pays.
M. Michel Herbillon (DR). Il est difficile de se prononcer sur cet amendement, comme d’ailleurs sur le précédent, puisque nous attendons un amendement du Gouvernement relatif à ces crédits. C’est la raison pour laquelle nous voterons contre.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-AE59 de M. Julien Gokel
M. Pierre Pribetich (SOC). Protéger une personne victime de persécutions ou menacée dans son pays consiste à lui offrir l’asile – non seulement le droit mais, mieux encore, l’exercice de ce droit. L’amendement vise à renforcer l’action de l’État en faveur de la création de places d’hébergement d’urgence pour les demandeurs d’asile en compensant la baisse de 71,2 millions d’euros prévue pour 2025.
Comment ne pas accueillir « n’importe comment », accueillir mieux, avec 6 179 places de moins ? Pour conformer notre droit d’asile à la convention de Genève de 1951 et à notre Constitution, nous devons garantir un hébergement digne et de qualité, et nous montrer ainsi à la hauteur des valeurs et principes défendus par la France sur la scène internationale.
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure pour avis. Avis défavorable. On doit accueillir mieux en accueillant moins. La réduction des délais de traitement des demandes d’asile va se poursuivre en 2025, grâce aux 29 ETP supplémentaires alloués à l’OFPRA. Les importants efforts d’optimisation du pilotage du parc d’hébergement ont permis de réduire les indisponibilités et les occupations indues, et ainsi contribué à faire progresser la part des demandeurs d’asile hébergés au sein du parc spécialisé financé par la mission budgétaire. Après plusieurs années d’augmentation sensible, la taille de ce parc s’est stabilisée en 2024.
Pour l’hébergement d’urgence, privilégier l’hébergement en logement plutôt que des nuitées d’hôtel permet de réaliser des économies. Il faut donc investir en ce sens.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-AE56 de Mme Alexandra Masson
M. Marc de Fleurian (RN). La submersion migratoire que subit notre pays, sous sa forme légale ou illégale, rencontre une apathie politique que les Français sont de plus en plus nombreux à rejeter. Ils ont exprimé ce refus dans les urnes, faisant du Rassemblement national la première force politique de notre Assemblée.
Dans une démarche symbolique, cet amendement proposé par Alexandra Masson, députée de Menton, à la frontière Sud de notre pays, est cosigné et défendu par votre serviteur, député de Calais, à sa frontière Nord. Il vise à abonder de 50 millions d’euros les crédits de l’action Lutter contre l’immigration irrégulière, en minorant d’autant les crédits de l’action Intégration des étrangers primo-arrivants du programme Intégration et accès à la nationalité française. Nous contestons d’ailleurs les termes de cet intitulé : l’accès à la nationalité française ne saurait être l’aboutissement d’une intégration. Les Français souhaitent pouvoir reconnaître comme compatriotes seulement ceux qui auront fait l’effort difficile d’une assimilation volontaire à notre nation.
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure pour avis. Avis défavorable. La lutte contre l’immigration irrégulière est évidemment un sujet majeur. Certes les crédits sont en baisse cette année mais le ministre de l’intérieur a annoncé un amendement gouvernemental pour les rehausser.
S’agissant du durcissement des conditions de délivrance des visas, j’espère vous avoir convaincu que ce n’était pas une solution. En tout cas, l’expérience tentée vis-à-vis des pays du Maghreb est loin d’avoir été concluante. Quant aux retours contraints, les insuffisances ne sont pas dues à un problème de financement mais bien à des difficultés d’ordres juridique et diplomatique avec les États de départ.
M. Frédéric Petit (Dem). La réduction des délais d’examen des demandes conduit mathématiquement à une réduction du nombre de demandeurs d’asile, puisque les refus sont délivrés plus rapidement. Du reste, peut-on parler de submersion lorsque 30 % seulement des demandeurs d’asile obtiennent in fine le statut de réfugié, soit quelques dizaines de milliers de personnes ?
M. Marc de Fleurian (RN). Quelques dizaines de milliers chaque année !
M. Frédéric Petit (Dem). Ce n’est pas beaucoup, au regard des 500 000 étudiants étrangers que nous cherchons à attirer en France à l’horizon 2025 !
M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Le Rassemblement national, dans ses comptes, fait un amalgame entre droit d’asile et immigration. Les demandeurs d’asile ne cherchent pas à migrer ; ils cherchent une terre de refuge le temps que la tempête passe dans leur pays. Ils sont très nombreux à y retourner lorsque la situation le permet, c’est-à-dire quand ils n’y sont plus en danger de mort.
J’espère vivement que notre gouvernement continuera de considérer qu’être une femme en Afghanistan, par exemple, justifie à soi seul l’obtention de droit du statut de réfugié dans notre pays. Ce sera notre fierté.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-AE57 de Mme Alexandra Masson
Mme Alexandra Masson (RN). Cet amendement tend à augmenter de 50 millions d’euros le budget alloué à la lutte contre l’immigration clandestine à Mayotte. Avec 26 000 migrants retenus en 2022, le CRA de ce département a concentré, à lui seul, 60 % des placements dans les vingt-cinq centres de métropole et d’outre-mer. Selon le préfet de Mayotte, près de 2 979 migrants ont été interceptés en mer en 2023, en augmentation de 29 % par rapport à 2022 et de 286 % par rapport à 2020.
Majoritairement alimentée par les filières d’immigration irrégulière, l’immigration à Mayotte pèse sur tous les aspects de la vie économique, sociale et culturelle du département. Ce fléau y dégrade fortement la sécurité et met en danger la cohésion sociale. Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), la moitié des habitants du département ne possède pas la nationalité française. Cette situation est intolérable.
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure pour avis. Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, la forte hausse des crédits de l’action 03 les années passées a permis une nette augmentation des places en CRA. Il faudra néanmoins rester vigilants lors des prochains exercices budgétaires.
À l’évidence, nos compatriotes de Mayotte vivent une situation extrêmement difficile : explosion démographique, insécurité, pénuries, saturation des services publics et atteintes à l’environnement sont, nous le savons, autant de conséquences directes de l’immigration incontrôlée depuis les Comores. Je ne prétends pas avoir une solution miracle à ce problème majeur mais ce n’est, en tout cas, pas un simple transfert budgétaire qui va régler la situation. Mieux vaudrait améliorer la politique de détection et d’interception de l’immigration autour de l’île ou encore lutter contre la fraude documentaire pour l’obtention du droit au séjour ou de la nationalité.
Avis défavorable.
M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Même si ce territoire entretient avec la France des liens très particuliers et très anciens, le statut de Mayotte pose question au regard du droit international. Il s’agit de savoir s’il faut favoriser les déplacements entre les trois îles des Comores et l’île de Mayotte, comme ils se pratiquent depuis des siècles, ou mener une politique de type « mur de Berlin » ? Personne n’a jamais réussi à enfermer un peuple et, plutôt que de vouloir construire un mur, engager une réflexion sur les déplacements des populations dans cette zone serait bien plus intelligent.
M. Guillaume Bigot (RN). Pour m’être rendu aux Comores dans le cadre de la préparation de l’avis budgétaire que je présenterai bientôt à la commission, je peux dire que, malgré tout l’argent investi, le projet de transport maritime inter-îles au sein de l’archipel n’est toujours pas opérationnel.
Par ailleurs, l’histoire de Mayotte, c’est aussi celle des rapts de femmes dont se sont rendus coupables les sultans batailleurs comoriens, un épisode bien documenté dans les livres d’histoire. Quand on cite l’histoire, il faut la connaître !
Mme Dominique Voynet (EcoS). Manifestement, ce n’est pas votre cas !
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-AE60 de M. Julien Gokel
M. Pierre Pribetich (SOC). Le coût de la vie augmente considérablement mais le montant de l’ADA n’évolue pas. Il est – j’ai honte de le dire – de 6,80 euros par jour auxquels s’ajoutent 7,40 euros lorsque l’étranger ne bénéficie pas d’hébergement – la moitié des demandeurs d’asile ne pouvant être hébergés dans le cadre du dispositif national d’accueil, ils sont 60 000 à les toucher. Mais où se loger à Paris avec seulement 230 euros par mois ?
Si on veut éviter l’émergence de bidonvilles et accueillir les réfugiés avec la dignité et le respect dus à tout être humain, il faut mener une politique digne de la tradition d’accueil de notre pays. Cet amendement vise donc à augmenter de 20 millions d’euros le budget consacré à l’allocation pour les demandeurs d’asile, afin de compenser l’inflation.
Penser arrêter les flux est une illusion : aucune barrière, aucun mur, aucun système n’arrivera jamais à endiguer ces phénomènes de diffusion. Ils s’accentueront même avec la crise climatique. Mme Meloni a essayé d’empêcher les flux vers l’Italie et ils se sont dirigés vers d’autres pays européens, comme la Grèce et l’Espagne. C’est donc avant tout une politique globale qu’il faut mener, en particulier en matière d’aide au développement, en accompagnement des politiques migratoires.
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure pour avis. Je souscris complètement à votre conclusion : ce ne sont pas les murs qui arrêteront l’immigration mais un dialogue ferme et franc avec les pays d’origine.
L’amendement du RN tendait à réduire le budget de l’ADA ; le vôtre tend à l’augmenter pour tenir compte de l’inflation, évaluée par l’INSEE à 1,6 % pour 2024. Je pense que la vérité se situe à mi-chemin.
Les montants d’ADA que vous avez rappelés correspondent à des montants individuels : ils augmentent en fonction du nombre de membres de la famille, selon un barème qui respecte les normes prévues par la directive européenne d’accueil des demandeurs d’asile.
Avis défavorable.
M. Sébastien Chenu (RN). Notre collègue socialiste voudrait toujours plus de places, toujours plus de crédits, toujours plus d’allocations. Avec une telle logique, on fait déménager le continent africain sur le continent européen. Ce n’est ni possible, ni souhaitable. De telles logiques représentent un vrai danger pour l’Europe, et plus particulièrement pour notre pays.
L’angélisme de la réponse mi-chèvre, mi-chou de la rapporteure pour avis dénote un refus total d’affronter ces problématiques assurément d’avenir. Il y aura bien des migrations climatiques et on ne peut pas se contenter de réponses aussi faibles, et encore moins accepter des logiques aussi dangereuses que celles développées par M. Pribetich.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-AE58 de Mme Alexandra Masson
Mme Alexandra Masson (RN). Dans un rapport de janvier 2024, le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, indiquait que la France ne consacre pas suffisamment de moyens à la lutte contre l’immigration clandestine. Par une décision du 2 février 2024, le Conseil d’État a pourtant interdit le refus d’entrée aux frontières, entravant lourdement l’action de la PAF, de la gendarmerie nationale et de toutes les forces engagées dans la lutte contre l’immigration clandestine, regroupées sous l’appellation de border force.
Dans mon département des Alpes-Maritimes, les nouvelles procédures de réadmission vers l’Italie provoquent un engorgement des zones de rétention. À l’inverse du Gouvernement, qui propose de diminuer les moyens alloués aux zones d’attente de la PAF, cet amendement tend à les augmenter de 10 millions d’euros.
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure pour avis. Je répète qu’il est très important d’aider à s’intégrer les étrangers présents sur notre sol qui le souhaitent, notamment les demandeurs d’asile, en leur permettant d’apprendre notre langue et de travailler.
S’agissant du contrôle aux frontières intérieures, le directeur général adjoint de la PAF m’a confirmé que l’arrêt du Conseil d’État ajoutait une contrainte supplémentaire, alors que d’autres pays, comme l’Allemagne, ne sont pas tenus par cette jurisprudence sur la directive « retour ». C’est une question importante, dont le Gouvernement doit se saisir, mais qu’un simple transfert de crédits ne réglera pas.
Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-AE69 de M. Sébastien Chenu
M. Sébastien Chenu (RN). L’état catastrophique dans lequel les gouvernements successifs ont laissé les finances publiques fait que beaucoup d’efforts sont demandés aux Français. Dès lors, nous pensons qu’il faut recentrer les priorités budgétaires sur leurs préoccupations, aux premiers rangs desquelles la recherche d’un logement décent.
Les investissements français doivent avant tout bénéficier aux Français. Or 1,3 million d’euros sont inscrits à l’action 16 pour la transformation des foyers de travailleurs migrants en résidences sociales – un terme intéressant –, alors même qu’un plan pluriannuel lancé en 1997 a déjà permis d’y rénover 75 000 places. Nous considérons que le développement de foyers pour les enfants ou les femmes en difficulté est davantage prioritaire. Cet amendement vise donc à minorer de 1,3 million les crédits de l’action 16 en AE et en CP.
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure pour avis. L’amendement II-AE69 tend plutôt à minorer de 50 millions d’euros l’action 12, dont les crédits de paiement sont déjà en baisse. J’y suis défavorable.
L’exposé sommaire est d’ailleurs un peu trompeur : le meilleur accès à la reconnaissance des diplômes ou la promotion de l’activité des femmes n’ont jamais été présentés comme les objectifs essentiels de cette action. Il s’agit plutôt d’aspects qui avaient été sous-estimés et sur lesquels le Gouvernement souhaite agir. L’action 12 finance l’important programme AGIR, dont les résultats en matière de logement et d’emploi des réfugiés sont très encourageants.
M. Aurélien Taché (LFI-NFP). Après avoir proposé de supprimer intégralement les crédits alloués aux politiques d’intégration, qui permettent, par exemple, de financer les cours de français ou d’initiation aux valeurs de la France et de la République, vous voulez maintenant supprimer les crédits dédiés à la rénovation des foyers de travailleurs migrants, où s’entassent depuis les années 1970 et 1980 des personnes venues reconstruire la France après la guerre.
Votre vision, c’est simplement la stigmatisation de tous les étrangers et la suppression de toute immigration. Ne venez pas dire ensuite que vous voulez des étrangers bien intégrés ou que vous faites une différence entre ceux qui commettent des délits et les autres. Toutes vos propositions ce matin prouvent, au contraire, que vous êtes xénophobes et hostiles à toute immigration.
Mme Liliana Tanguy (EPR). À l’inverse du RN, le groupe EPR réaffirme son engagement en faveur de l’intégration des étrangers par la langue et le travail. Il n’est donc pas question d’affaiblir les dispositifs mettant en œuvre ces deux voies essentielles.
M. Sébastien Chenu (RN). Les personnes qui vivent dans les foyers de migrants ne sont évidemment pas celles arrivées en France il y a cinquante ans. Pour en avoir visité, je sais que de tels cas, quand ils existent, sont tout à fait marginaux. Tout ce qui est excessif est insignifiant, vous venez encore de nous le démontrer.
Nous avons visiblement beaucoup de mal à nous entendre pour construire un budget pour la France, ruinée par les années de macronisme. Il y a des priorités : à Denain, dans ma circonscription, c’est la demande de logements. Je n’ai d’ailleurs pas dit qu’il fallait tout arrêter ; simplement, des rénovations ont déjà été faites et nous assumons de nous tourner vers d’autres priorités.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-AE48 de Mme Alexandra Masson
Mme Alexandra Masson (RN). L’immigration massive met en péril les finances publiques. Cet amendement, qui vise à diminuer de 37 millions d’euros le budget alloué à l’accueil et à l’intégration des migrants, participe de la politique globale de contrôle de l’immigration promue par le contre-budget présenté par Jean-Philippe Tanguy, qui permettrait d’économiser 16 milliards d’euros par an.
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure pour avis. Avis défavorable. Vous proposez de réduire la subvention de l’OFII. Or cet organisme s’occupe certes de l’accueil des personnes ayant obtenu un droit de séjour à titre professionnel ou familial mais aussi de l’aide au retour volontaire qui, je le rappelle, reste moins coûteuse qu’un retour contraint.
Pour information, l’addition des propositions du RN aboutirait à diminuer de plus de 300 millions d’euros un programme qui n’en est doté que de 268. Il faut vraiment travailler plus sérieusement !
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-AE68 de M. Sébastien Chenu
M. Sébastien Chenu (RN). Quand on lègue les comptes d’un pays dans un tel état, avec de tels dérapages budgétaires, on ne donne pas de leçons ! En matière de connaissance de ses dossiers, chacun devrait faire preuve d’humilité.
Voici un nouvel amendement visant à réduire des crédits : ceux de l’action 12, dédiés à l’apprentissage du français en présentiel. Les techniques modernes permettraient de dispenser cet apprentissage en ligne et, ainsi, de réaliser des économies. D’où cette proposition de minoration de 50 000 euros.
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure pour avis. J’avais choisi de ne pas le souligner mais, puisque vous persistez à nous donner des leçons, je vous signale que vous avez interverti la défense des amendements II-AE69 et II-AE68.
Ce dernier porte sur les foyers de travailleurs migrants, dont nous avons déjà débattu. Pour ma part, je suis favorable à la poursuite du plan de transformation des foyers en résidences sociales lancé en 1997, qui permettra d’héberger les travailleurs migrants dans des conditions décentes.
Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-AE61 de M. Julien Gokel
M. Julien Gokel (SOC). Les chiffres alarmants et dramatiques des décès en mer Méditerranée et dans la Manche commandent que les États européens reprennent l’initiative en matière de recherche et de sauvetage. Actuellement, ces opérations sont assurées par des associations. Si, en mer, le devoir d’assistance s’impose à tout capitaine de navire, la coordination des opérations et la désignation d’un port sûr relèvent des États côtiers.
Cet amendement, déjà adopté en commission des lois, vise à créer un programme dédié aux opérations de recherche et de sauvetage en mer et à le doter de 20 millions d’euros.
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure pour avis. Avis défavorable. Les 20 millions en question seraient ponctionnés sur le programme même où votre amendement précédent les aurait transférés.
La France n’a pas attendu cet amendement pour se préoccuper des naufrages en Méditerranée et dans la Manche.
M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Et à Mayotte, avec les kwassa-kwassa !
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure pour avis. Absolument.
L’un des grands objectifs de la politique migratoire est précisément d’éviter ces drames, en dissuadant les franchissements irréguliers, en empêchant les départs et en organisant des voies d’immigration légale. Depuis janvier, quinze naufrages ont causé la mort de cinquante et une personnes dans la Manche et en mer du Nord. Les réseaux de passeurs en sont évidemment responsables. Pour réduire le risque d’être repérés, ils modifient leurs pratiques, par exemple en utilisant des points de départ à l’intérieur des terres, et font prendre de plus en plus de risques aux migrants en les entassant sur des small boats surchargés et sous-gonflés.
La France coopère avec le Royaume-Uni et a mobilisé des moyens très importants pour renforcer la surveillance et les capacités d’intervention – avions, hélicoptères, drones et bateaux –, afin d’empêcher ces traversées. Sur les huit premiers mois de l’année, vingt-trois filières d’immigration vers le Royaume-Uni ont été démantelées et plus d’une centaine de trafiquants, interpellés.
La commission rejette l’amendement.
Puis, la commission émet un avis défavorable à l’adoption des crédits de la mission Immigration, asile et intégration.
annexe : Liste des personnes auditionnÉes par la rapporteure pour avis
([1]) Il existe par ailleurs une action n° 1 intitulée Circulation des étrangers et politique des visas. Dotée comme l’an passé de 520 000 euros en AE et en CP dans le projet de loi de finances pour 2025, elle finance la mise en place de dispositifs visant à simplifier les procédures de délivrance des visas aux étrangers de bonne foi au sein du réseau diplomatique et consulaire, tout en maintenant un contrôle adéquat notamment du point de vue sécuritaire. Il existe enfin une dernière action (n° 4), dite Soutien, qui regroupe une partie des moyens de fonctionnement de la direction générale des étrangers en France. Les crédits de cette action sont en forte augmentation dans le projet de loi de finances pour 2025, avec 87,9 millions d’euros en AE et 76,9 millions d’euros en CP.
([2]) Les centres d’accueil et d’examen des situations (CAES) constituent un sas d’entrée dans l’hébergement et assurent une mission d’orientation vers d’autres dispositifs d’hébergement plus adaptés aux profils des demandeurs d’asile. Ils limitent la reconstitution de campements dans les territoires les plus en tension.
([3]) Cf. loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (LOPMI), rapport annexé, 3.7.
([4]) Cf. loi précitée, rapport annexé, 3.7.
([5]) Cinq ETPT sont par ailleurs transférés au programme 216 Conduite et pilotage des politiques de l’intérieur, compte tenu du transfert (de l’OFII vers la DGEF) de la compétence en matière d’amendes administratives infligées aux employeurs ayant recours à des travailleurs non autorisés à travailler.
([6]) Article 35 de la loi du 26 janvier 2024.
([7]) Articles L743-24 à L743-25 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).
([8]) Cf. loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur.
([9]) Arrêté de la préfète de l’Oise du 27 décembre 2023.
([10]) Après l’annonce d’un renforcement du soutien français au plan d’autonomie marocain pour le territoire contesté du Sahara occidental.
([11]) SEP : sortants d’établissements pénitentiaires.
([12]) JLD : juge des libertés et de la détention.
([13]) Le VLS-TS a été mis en service en juin 2009 pour faciliter l’arrivée en France de quatre catégories de bénéficiaires de visas de long séjour : conjoints de ressortissant français, étudiants, travailleurs salariés et visiteurs.
([14]) Le 13 mai 2024, les représentants des États membres réunis au sein du Comité des représentants permanents (Coreper) ont arrêté une position commune sur un projet de règlement qui met à jour le mécanisme permettant à l’Union européenne de suspendre les voyages sans visa pour les pays tiers dont les ressortissants sont exemptés de l’obligation de visa lorsqu’ils voyagent vers l’espace Schengen.
([15]) Dernière réunion le 1er mars 2024, suivie de la réunion de plusieurs sous-comités.
([16]) Dernière réunion le 3 octobre 2024.
([17]) https://www.civipol.fr/fr : « CIVIPOL bâtit des coopérations de sécurité avec des États partenaires (…) intervient sur le cadre normatif, met en place une expertise spécialisée (…). L’assistance technique est l’activité centrale de CIVIPOL, financée très majoritairement par les bailleurs de fonds internationaux. Sur le terrain, nos experts représentants des différents métiers du Ministère français de l’intérieur, coconstruisent, avec les États partenaires, des réponses à des enjeux communs de sécurité intérieure. »
([18]) La France a également débloqué 27,5 millions d’euros en 2023 pour financer des projets en matière migratoire avec les autorités tunisiennes. Ces fonds ont notamment permis de financer des moyens d’identification biométriques en Tunisie.