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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 octobre 2024.
AVIS
PRÉSENTÉ
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES
SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2025 (n° 324)
TOME VI
ÉCONOMIE
COMMERCE EXTÉRIEUR
PAR Mme Louise Morel
Députée
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Voir les numéros : 324 (Tome III, Annexe 19)
SOMMAIRE
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Pages
PREMIÈRE PARTIE : analyse des crÉdits de l’action 7 du programme 134
I. crÉdits destinÉs À l’opÉrateur business France
1. 1. Des crédits en baisse de 10 %
II. II. crÉdits destinÉs À la rÉmunÉration de bpifrance AE
1. Un soutien croissant au secteur du numérique dans la politique de commerce extérieur
liste des propositions de la rapporteuRe
LISTE DES PERSONNES auditionnÉes
En 2023, le solde commercial de la France s’élevait à - 56,4 milliards d’euros. Le solde des biens est nettement déficitaire (- 81,5 milliards d’euros), comme tous les ans depuis 2004, alors que le solde des services est positif (25,1 milliards d’euros).
L’année 2023 marque une nette remontée du solde commercial par rapport à 2022, mettant un terme au cycle catastrophique enclenché par la crise sanitaire puis par les conséquences de la guerre en Ukraine.
Évolution du solde commercial de la France
Source : Insee (mai 2024)
Au premier semestre 2024, le solde commercial de la France s’établit à
- 40 milliards d’euros, soit une amélioration de 5 milliards d’euros par rapport à la même période de l’année précédente. Le solde des biens est positivement affecté par un recul des importations de 1,2 %, par rapport au deuxième semestre 2023, et par une augmentation concomitante des importations (+ 0,4 %). Le solde des services progresse de façon spectaculaire : + 26 milliards d’euros au 1er semestre 2024, soit davantage que ce qu’il était pour la totalité de l’année 2023.
La première partie du présent avis budgétaire porte, classiquement, sur l’analyse des crédits attribués dans le cadre du PLF pour 2025 au commerce extérieur et, plus particulièrement, aux acteurs majeurs de la « Team France Export » et de la « Team France Invest » que sont Business France et Bpifrance Assurance Export (Bpifrance AE).
La seconde partie de ce rapport est consacrée, cette année, à l’analyse des dispositifs en faveur de l’attractivité et de l’internationalisation des filières françaises du numérique et de l’innovation : entreprises de service du numérique (ESN), éditeurs de logiciels, électronique, cloud, DeepTech (quantique, cybersécurité, intelligence artificielle, réalité virtuelle)…
Ce secteur clé pour la croissance et pour l’autonomie stratégique de la France se caractérise par des risques et des coûts initiaux élevés, qui interdisent l’accès au financement bancaire classique et nécessitent un soutien public important. Les start-up, ces jeunes entreprises innovantes à la croissance rapide, ne peuvent « passer à l’échelle » (et devenir des scale-up) qu’en développant leurs activités à l’international pour atteindre une taille critique. Les technologies d’avenir sont un domaine où l’avance initiale peut durablement conférer un leadership de niveau mondial – et où un retard ne se rattrape que difficilement.
À la fin de l’année 2023, Business France et le Secrétariat général pour l’investissement (SGPI) ont conclu un partenariat visant à donner un rayonnement international au plan d’investissement « France 2030 » axé sur l’innovation disruptive. En parallèle, le maintien du crédit d’impôt recherche (CIR), qui représente la première dépense fiscale française, consolide l’attractivité et la performance des entreprises françaises de l’innovation.
C’est grâce à ces politiques ambitieuses que la France conserve en 2019, et pour la cinquième année consécutive, sa première place dans le baromètre d’attractivité EY. La France est désormais la première destination de projets d’investissements directs étrangers en Europe, devant le Royaume-Uni et l’Allemagne. La dernière édition du baromètre parle d’un « paradoxe particulier d’une France qui doute de l’intérieur et séduit à l’extérieur ».
Le contexte général de ralentissement des levées de fonds pourrait néanmoins gêner la dynamique de croissance des start-up françaises. Les start-up dépendent largement du capital risque (fonds de Venture capital), de moins en moins accessible pour des raisons de conjoncture économique. Malgré cela, les start-up françaises ont réussi à lever 8,3 milliards de fonds en 2023, ce qui place la France en deuxième position en Europe derrière le Royaume-Uni.
La bonne résilience des start-up françaises s’explique d’abord par la progression de leur chiffre d’affaires, tiré par leurs performances à l’international. En 12 mois, le chiffre d’affaires des start-up françaises a progressé de 27 % ([1]) et les marchés internationaux en représentent désormais 40 % – et même 58 % pour les éditeurs de logiciels – au lieu de 30 % il y a quelques années.
Cela montre l’importance de l’internationalisation des start-up dans leur développement, alors que les technologies sont coûteuses à développer, mais exportables partout dans le monde avec des coûts de transport et des coûts variables faibles.
La France est désormais très bien représentée au niveau mondial dans le domaine des services du numérique. 13 des 20 plus grandes ESN sont françaises, et le marché français des services du numérique est détenu aux trois quarts par des entreprises françaises.
Les entreprises françaises dans le top 20 mondial des esn
Source : cabinet Pierre Audoin Consultants (2021)
La France dispose aussi de leaders mondiaux dans les différents secteurs de la confiance numérique : sécurité numérique (Thales, Airbus D&S, Atos Eviden, ST Microelectronics), gestion de l’identité et des accès (Thales, Idemia, IN Groupe, Docaposte), services de cybersécurité (Thales, Atos, Orange Cyberdefense, Sopra Steria, Capgemini) et sécurisation des paiements (Wordline).
top 15 des acteurs français de la confiance numérique
Source : rapport 2024 de l’Observatoire de l’ACN.
En revanche, malgré ses capacités technologiques, l’Union européenne reste largement dépendante des pays tiers pour les solutions et services de cybersécurité ([2]). La part de marché mondiale de l’Union européenne est passée de 11 % en 2019 à 5 % aujourd’hui, alors même qu’elle représente 26 % des achats mondiaux. Ce déficit commercial de 21 % s’explique par la fragmentation du marché européen et l’absence d’acteur de taille européenne, dans un domaine qui continuera de croître en raison de la migration des données dans le cloud et de l’augmentation des cyberattaques.
Ces chiffres montrent à la fois le potentiel technologique de l’Union européenne et son incapacité à développer des « champions » d’envergure européenne susceptibles de rivaliser avec les entreprises américaines dans de nombreux domaines stratégiques.
Après avoir exposé le rôle de la Team France Export dans l’internationalisation du secteur numérique français et les outils nationaux dédiés à sa compétitivité, la deuxième partie du rapport présentera une réflexion sur les politiques qui pourraient être conduites au niveau européen pour promouvoir l’innovation et défendre notre autonomie stratégique (voir propositions en annexe).
PREMIÈRE PARTIE :
analyse des crÉdits de l’action 7 du programme 134
Les crédits destinés au soutien du commerce extérieur sont rassemblés, pour l’essentiel, au sein du programme 134 « Développement des entreprises et régulation » de la mission « Économie » et, plus particulièrement, au sein de l’action n° 7 « Développement international des entreprises et attractivité du territoire ».
Les politiques publiques inscrites au sein du programme n° 134 visent, d’une part, à développer la compétitivité des entreprises dans une dimension nationale et internationale et, d’autre part, à assurer la régulation des marchés et la protection des consommateurs. Elles poursuivent l’objectif de renforcer le soutien à l’international des entreprises au travers, notamment du financement des opérateurs Business France et BpiFrance.
Dans le projet de loi initial, les autorisations d’engagement ouvertes pour le programme 134 s’élèvent à 2,4 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) et à 2,5 milliards d’euros en crédits de paiement (CP), au lieu de respectivement 2,9 et 2,7 milliards d’euros dans la loi de finances pour 2024.
L’action n° 7 « Développement international des entreprises et attractivité du territoire » représente, dans le cadre du PLF 2024, 94 millions d’euros en AE soit 3,9 % des crédits du programme 134. Ces crédits concourent à l’atteinte des objectifs suivants :
l’information et le soutien des entreprises françaises, notamment les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI), afin de favoriser leur internationalisation et leur développement sur les marchés extérieurs ;
la mise en œuvre des financements export pour accompagner financièrement les entreprises françaises à l’export ;
la prospection d’investissements étrangers ;
la promotion du territoire français auprès des investisseurs internationaux susceptibles de s’y implanter (« attractivité ») ;
l’amélioration de l’image de la France à l’international.
ÉlÉments de la dÉpense par nature
Source : projet annuel de performance du P134, p. 53.
Les crédits sont répartis de la manière suivante :
une subvention pour charges de service public allouée à Business France : 90,4 millions d’euros en AE, soit une baisse de 10 millions d’euros par rapport à 2024 (I) ;
la rémunération de Bpifrance Assurance Export (Bpifrance AE), au titre de ses prestations réalisées pour le compte de l’État, qui représente 81,9 millions d’euros en CP en 2024 et ne comprend aucune nouvelle autorisation d’engagement (II) ;
le soutien à des évènements contribuant au développement de l’économie française à l’international et à l’attractivité de la France : 0,7 millions d’euros en AE et en CP, comme dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2024, auxquels s’ajoute le coût de la participation à l’exposition universelle d’Osaka-Kansaï 2025 (2,7 millions d’euros en AE et CP) (III).
I. crÉdits destinÉs À l’opÉrateur business France
L’établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) Business France est chargé d’assurer, au sein de la « Team France Export » (voir supra), l’accompagnement public des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI) sur les marchés internationaux.
Le nouveau contrat d’objets et de moyens (COM) pour la période 2023-2028 tient compte des évolutions du contexte international et des priorités stratégiques du plan « Osez l’Export ! », lancé en 2023 comme volet international du plan d’investissement « France 2030 ».
Le contrat d’objectifs et de moyens (COM) 2023-2026
Le contrat d’objectifs et de moyens (COM) pour la période 2023-2026 de Business France est structuré autour de trois axes stratégiques :
– « Impact » : accompagnement des filières sectorielles et des entreprises lauréates du Plan France 2030, résilience à l’export des PME-ETI et déploiement d’une stratégie de décarbonation et environnementale, sociale et de gouvernance (ESG) ;
– « Efficacité et performance » : amélioration de l’efficacité de l’activité traditionnelle du développement international des entreprises (digitalisation de l’offre, renforcement des programmes « Boosters », hausse de la prise en charge sur les salons) et maintien d’une trajectoire ambitieuse en matière d’attractivité de la France ;
– « Transformation » : renforcement des partenariats avec les acteurs de la Team France (CCI France, les régions et les prestataires privés).
Business France bénéficie de trois subventions pour charges de service public :
Financements publics de Business France
Ministère |
Programme |
Montant (AE = CP) |
|
PLF 2025 |
LF 2024 |
||
Économie |
134 |
90,7 M€ |
100,7 M€ |
Cohésion des territoires |
112 |
3,8 M€ |
4,8 M€ |
Agriculture |
149 |
3,7 M€ |
3,4 M€ |
Source : Assemblée nationale, à partir des documents budgétaires.
En 2023 et en 2024, Business France avait bénéficié de subventions pour charges de service public stables, d’un montant de 100,7 millions d’euros sur le programme 133, de 4,8 millions d’euros sur le programme 112 et de 3,7 millions d’euros sur le programme 149.
La COM 2023-2026 avait en principe sanctuarisé le maintien des subventions à son niveau de 2023 et sur toute la durée de la convention, afin de permettre à l’opérateur de participer efficacement au déploiement des nouvelles mesures du Plan Export (voir infra) et au coût afférent.
Or, le décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits a subitement réduit de 5,5 milliards d’euros les subventions pour charge de service public dont bénéficiait Business France, dont une moitié certes imputée sur les crédits mis en réserve. Le PLF pour 2025 propose une nouvelle diminution de la subvention, qui passerait ainsi de 100 millions d’euros en loi de finances initiale pour 2024 à 90 millions d’euros en 2025.
En audition, Business France a insisté sur le fait que la stabilité des crédits était au moins aussi importante que le niveau de ces crédits, car l’opérateur a légitimement besoin de visibilité pour assumer ses missions de service public qui sont mises en œuvre de façon pluriannuelle – les places dans les salons sont réservées un an à l’avance – et de plus en plus ambitieuse dans le cadre du Plan Export.
Les annulations de crédit de février 2024 et la nouvelle baisse prévue par le PLF pour 2025 confirment donc la justesse de l’analyse et de la recommandation faites par le précédent rapporteur pour avis, M. Charles Rodwell, qui écrivait l’an dernier : « votre rapporteur estime que les missions récemment confiées à l’opérateur en matière d’attractivité exigent d’être accompagnées de moyens, tant financiers qu’humains, à la hauteur des enjeux […] Votre rapporteur considère que les engagements financiers pluriannuels qu’a pris l’État dans le cadre du COM 2023-2026 – 100,70 M€ par an – pourraient être traduits dans le prochain PLF pour 2025 par la mention explicite de ces crédits en autorisations d’engagement ».
Il est à noter que cette solution a déjà été appliquée pour les crédits de Bpifrance AE dans le cadre de la même action n° 7 du programme 134.
Alors que la stabilité de financement promise par la nouvelle COM est déjà remise en cause, votre rapporteure reprend à son compte la proposition de son prédécesseur (proposition n° 2 du rapport de Charles Rodwell) et souhaite que les engagements pluriannuels de l’État vis-à-vis de son opérateur Business France inscrits dans la COM soient formalisés dans le PLF.
Proposition n° 1 (proposition réitérée) : formaliser, dans le cadre du futur projet de loi de finances pour 2026, les engagements pluriannuels de l’État vis-à-vis de son opérateur Business France, en conformité avec le contrat d’objectifs et de moyens (COM) 2023-2026.
Le PLF pour 2025 prévoit 0,7 millions d’euros en AE et 80 millions d’euros en CP pour la rémunération de Bpifrance Assurance Export, au titre de ses prestations réalisées pour le compte de l’État (gestion des garanties publiques et autres outils de soutien financier à l’export).
La dotation en AE, particulièrement faible (moins d’un million d’euros) contraste avec celle, particulièrement élevée (324 millions d’euros) qui était prévue pour 2024 : celle-ci correspondait à l’engagement de la totalité des dotations annuelles contractualisées dans le cadre de la convention pluriannuelle 2023-2028 signée entre l’État et Bpifrance Assurance Export.
Les crédits de paiement (81,2 millions d’euros) sont en légère augmentation par rapport à ceux de 2024 (79,9 millions d’euros), eux-mêmes légèrement plus élevés que ceux de l’année précédente, ce qui correspond aux versements prévus par la convention pluriannuelle 2023-2028 signée entre l’État et Bpifrance Assurance Export.
Comme le soulignait le rapport pour avis émis il y a un an par la commission des affaires économiques, et comme votre rapporteure le répète cette année (voir supra), la même démarche pourrait être utilement mise en œuvre dans le cadre des crédits de Business France.
La dotation prévue au titre de la contribution du ministère de l’économie, à l’organisation d’événements favorisant le développement à l’international des entreprises françaises et l’attractivité du territoire s’établit dans le cadre du PLF pour 2025 à 0,71 millions d’euros en AE et en CP, un montant égal à celui qui a été prévu les années précédentes. Cette dotation contribue notamment, pour le volet « attractivité », au financement du salon annuel Choose France.
Enfin, la participation de la France à la future exposition universelle d’Osaka-Kansaï (2025), assurée par la société par actions simplifiée publique Cofrex, est prévue dans le cadre de l’action n° 7 du programme 134 pour un montant de 2,74 millions d’euros en AE et CP, un montant en baisse par rapport à l’année précédente (3,80 millions d’euros) ce qui s’explique aisément par l’imminence de l’évènement.
Le bilan des sommets annuels Choose France
Les sommets Choose France, organisés annuellement à Versailles, visent à promouvoir l’attractivité de la France et à encourager les investissements étrangers dans les régions. Ils sont devenu un rendez-vous économique important dans l’agenda des investisseurs internationaux.
Depuis son lancement en 2018, le nombre de présidents-directeurs généraux (PDG) étrangers prenant part à Choose France a pratiquement doublé. 39 pays étaient représentés en 2024 (et 45 en 2023) contre 30 en 2021. L’édition 2024 a mobilisé 25 ministres et plus de 500 rendez-vous, dont 160 avec des membres du Gouvernement.
Le montant des investissements annoncés dans le cadre du sommet 2024 est six fois supérieur à celui de la première édition et atteint 15 milliards d’euros. Depuis 2018, un total plus de 120 projets d’investissements, représentant environ 45 milliards d’euros cumulés et des dizaines de milliers d’emplois ont été annoncés lors de ces sommets.
L’ensemble des secteurs d’activité est représenté au sommet Choose France avec une priorité accordée aux industries vertes et aux nouvelles technologies.
Parmi les secteurs évoqués, figurent l’industrie, les logiciels, les services technologiques et les télécommunications, la santé, les énergies renouvelables et l’environnement, l’automobile, les biens de consommation, ainsi que le domaine financier. Placée sous le thème de « la France, terre de champions », la dernière édition du Sommet fut également l’occasion de mettre à l’honneur, au sein d’un espace d’exposition qui leur était dédié, dix entreprises françaises qui ont proposé des solutions innovantes dans les infrastructures des jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 et dans les équipements utilisés par les athlètes. Tous les ans, les projets mis en avant lors de « Choose France » positionnent la France sur de nouvelles technologies et secteurs stratégiques, contribuant à la réindustrialisation de notre pays ou marquant le potentiel du marché français.
SECONDE partie :
le soutien à l’internationalisation et à l’attractivité du secteur français du numérique
Le soutien à l’internationalisation du secteur du numérique et des technologies d’avenir fait intervenir trois acteurs :
– La TFE, grâce notamment à l’action de Business France (a) ;
– Le ministère de l’économie, avec la Mission French Tech (b) ;
– Le ministère des affaires étrangères, qui a récemment créé la mission Numia (c)
Si l’action de la Team France Export ne s’organise traditionnellement pas de manière sectorielle, ses objectifs sont désormais alignés avec ceux du plan France 2030, au cœur duquel se trouvent les filières d’avenir.
France 2030 est un plan d’investissements de 54 milliards d’euros d’ici 2030, les crédits étant répartis entre deux axes : l’innovation et la décarbonation. À ce jour, 33 milliards d’euros ont été engagés et 9 milliards d’euros décaissés. Cinq thématiques (aussi appelées « verticales ») concernent directement l’innovation et la souveraineté numériques : « sécuriser l’accès aux composants stratégiques, notamment électronique, robotique et machines intelligentes » (levier 1), « souveraineté numérique » (levier 4), « capital-innovation de rupture industrielles et accélération de la croissance » (levier 5).
En juin 2024, ces thématiques représentaient 9,5 milliards d’euros sur les 32,9 milliards d’euros engagés. Le périmètre des start-up et de l’innovation représente donc environ 30 % de l’effort financier de France 2030, et même 40 % en intégrant les financements « écosystème d’enseignement supérieur, de recherche et d’innovation » (levier 6).
priorités sectorielles (« verticales ») et suivi de France 2030
Source : réponse écrite du SGPI.
Exemple d’un projet soutenu par France 2030 : le PEPR cybersécurité (2022)
Le PEPR cybersécurité (« Programme et équipements prioritaires de recherche »), lancé en 2022, s’insère dans la stratégie nationale pour la cybersécurité de France 2030. Il a pour objectif de tripler le chiffre d’affaires de la filière d’ici 2025 et de développer des solutions souveraines en France.
Le PEPR implique 200 chercheurs permanents issus du CEA, du CNRS, d’Inia et de 23 universités et grandes écoles. Le premier appel à projets a permis de sélectionner trois projets :
– le projet REV (recherche et exploitation de vulnérabilités) étudiera les attaques sur les systèmes numériques (comme les smartphones et les objets connectés) ;
– le projet Cryptanalyse vise à éprouver et renforcer la solidité des primitives cryptographiques, la cryptographie étant désormais un outil indispensable pour sécuriser les communications ;
– le projet Compromis porte sur la protection des données au moyen d’une intelligence artificielle sécurisée.
Dans l’objectif spécifique de doter France 2030 d’une dimension internationale, Business France et le Secrétariat général pour l’investissement, en charge du suivi de France 2030, ont conclu une convention de partenariat stratégique pour doter France 2030 d’un outil appelé plan Export ou « Osez l’export ! », comprenant 13 mesures dont 8 ([3]) seront mises en œuvre par Business France. Conformément à ce partenariat et à son contrat d’objectifs et de moyens, l’opérateur est donc pleinement orienté vers l’innovation. Sur les 400 évènements de la programmation 2024, 50 % étaient dans les verticales sectorielles de France 2030 ; ce chiffre montera à 52 % en 2025.
Le plan « France 2030 Export », mis en place à partir d’avril 2024, permet aux entreprises lauréates de France 2030 avec un fort potentiel à l’export de bénéficier d’un suivi personnalisé de la TFE. Ces entreprises ont accès aux prestations de la TFE (salons, études de marché, VIE…) à un coût réduit de 50 % sur la période 2023-2026, dans une limite de 50 000 euros de subvention. Elles bénéficient également d’une mise en avant dédiée sur la Marketplace Business France (voir encadré ci-dessous). En septembre 2024, moins d’un an après la création du plan Export, 500 entreprises lauréates ont été sélectionnées et 120 entreprises ont déjà un plan d’action finalisé sur trente mois.
Le numérique est un outil utilisé par Business France pour développer le chiffre d’affaires à l’international des entreprises opérant dans divers secteurs :
– La Marketplace de Business France est un catalogue en ligne de tous les produits et savoir-faire français. Elle confère aux entreprises françaises de différents secteurs une plus grande visibilité dans le monde ; l’an prochain 2025, les entreprises technologiques y seront progressivement intégrées.
– Business France a contractualisé avec plusieurs plateformes privées, dont le géant chinois Alibaba, pour faire apparaître des « pavillons France » digitaux sur les marketplaces privées.
La modernisation de la marketplace de Business France
La marketplace de Business France a été modernisée à la fin de l’année 2023. Il s’agit d’une plateforme non transactionnelle, qui fait connaître l’excellence française à l’international. Les entreprises peuvent y exposer gratuitement leurs produits et se faire contacter par des acheteurs professionnels étrangers. 3 000 entreprises françaises et 4 200 acheteurs internationaux (avec un fort tropisme extrême Orient et pays anglo-saxons) y sont actuellement inscrites.
Initialement ouverte à quelques secteurs – agroalimentaire, cosmétiques, vins et spiritueux –, la marketplace s’est récemment étendue aux équipements sportifs, aux équipements médicaux et à l’art-de-vivre. Les thématiques de France 2030 y seront progressivement ajoutées en 2025, ce qui permettra à la plateforme de faire connaître aussi les start-up françaises.
La Mission French Tech, créée en 2013, est une administration rattachée à la sous-direction de l’innovation de la direction générale des entreprises (DGE) au sein du ministère de l’économie. Elle est chargée de soutenir et de mobiliser l’écosystème des start-up françaises, en France et à l’international, rassemblé sous la marque « la French Tech » qui appartient à l’État. La French Tech, qui intègre l’ensemble des acteurs (entreprises, investisseurs, incubateurs…) est organisée autour d’une centaine de « communautés », associations de droit privé labellisées pour trois ans, en France et dans le monde.
L’activité de la Mission French Tech s’articule aujourd’hui autour de cinq programmes :
– French Tech 40/120 (2019) : programme d’accompagnement « performance » ;
– French Tech Tremplin (2019) : programme d’accompagnement « égalité des chances » ;
– French Tech Rise (2021) : programme d’accompagnement « territoires » ;
– French Tech 2030 (2023) : programme d’accompagnement « France 2030 »
– « Je choisis la French Tech » (2023) : programme de valorisation des entreprises françaises auprès des partenaires économiques.
La lisibilité des activités de la Mission French Tech souffre de la multiplication de ses programmes d’accompagnement, dont les objectifs et les moyens semblent redondants.
Le programme d’accompagnement historique est « Next 40/120 ». Lancé en 2019, il s’agit d’un programme d’accompagnement, pour une durée d’un an, au bénéfice des start-up ayant le plus grand potentiel. Les start-up en question, au nombre de 120 (dont un premier palmarès de 40), sont sélectionnées tous les ans, selon des critères de performance économique (levées de fonds, croissance).
Le programme « Tremplin », lancé la même année, fonctionne de la même façon mais avec une dimension sociale. Les projets soutenus sont portés par des personnes socialement défavorisées (bénéficiaires de minima sociaux, boursiers, réfugiés…).
Le volet « social » a été complété en 2021 par un volet « territoires », avec le programme « Rise ». La vocation de ce programme est assez ambiguë : le site de la Mission French Tech le décrit comme le programme qui « vise à réduire les inégalités d’accès au financement des start-up des territoires » – de quels territoires et de quelles inégalités parle-t-on ? – et à « faire bénéficier toutes les start-up d’un même accès au financement, quelle que soit leur implantation territoriale », suggérant à l’inverse que les autres programmes de la French Tech sont ciblés sur les métropoles et les régions les plus dynamiques.
Dernier né des programmes d’accompagnement (2023), « French Tech 2030 » est la déclinaison « France 2030 » de « Next 40/120 ». Les deux programmes sont censés s’adresser à deux publics distincts, puisque French Tech 2030 est axé sur les thématiques de France 2030 (et non, comme Next 40/120, sur la performance), mais ces thématiques sont tellement larges qu’elles peuvent difficilement justifier un dispositif ad hoc. En pratique, dans la mesure où toutes les start-up sont par définition innovantes, et où France 2030 valorise d’abord l’innovation, toutes les entreprises éligibles à Next 40/120 entrent dans le champ de French Tech 2030, surtout depuis que le premier programme a intégré en 2023 des critères d’engagements sociaux et environnementaux.
Sur le site officiel de la Mission French Tech, les deux programmes sont décrits dans des termes très proches, ce qui ne peut qu’entretenir cette confusion.
Comparaison des deux principaux programmes d’accompagnement de la Mission french tech
Programme |
Next 40/120 |
French Tech 2030 |
Année de création |
2019 |
2023 |
Durée accompagnement |
1 an |
2 ans |
Nombre d’entreprises par promotion |
120 |
125 |
Critères |
Performance économique Engagements sociaux et environnementaux (depuis 2023) |
Thématiques France 2030 (technologies numériques, deeptech…) |
Description officielle des objectifs et du contenu du dispositif (site de la Mission French Tech) |
« Faire des 120 start-up françaises les plus performantes des leaders de rang international, avec un appui individuel sur les enjeux liés à l’État (relations avec les administrations et ministères, enjeux réglementaires et normatifs), favoriser le développement commercial avec les acteurs privés et publics (Je choisis la French Tech) et inciter au partage d’expérience entre pairs et d’expertise en format collectifs sur des points stratégiques tels que le développement international, le financement, l’implantation territoriale. » |
« Accompagner le développement des solutions des start-up qui répondent aux grands enjeux sociétaux par l’innovation, apporter un appui individuel sur les enjeux liés à l’État (relations avec les administrations et ministères, enjeux réglementaires et normatifs, financement), favoriser le développement commercial avec les acteurs privés et publics (Je choisis la French Tech) et inciter au partage d’expérience entre pairs et d’expertise en format collectifs sur des points stratégiques tels que le développement international, le financement, l’implantation territoriale. » |
Votre rapporteure exprime sa perplexité face à l’éclatement de l’activité de la Mission French Tech entre plusieurs programmes qui paraissent artificiellement cloisonnés. Une fusion de ces programmes en faveur d’un instrument unique soutenant les entreprises les plus innovantes dans les domaines identifiés comme stratégiques serait de nature à améliorer l’efficacité et la lisibilité des dispositifs.
Proposition n° 2 : rationaliser l’activité de la Mission French Tech en fusionnant les quatre programmes d’accompagnement en un programme unique dédié aux start-up à la fois performantes et innovantes.
L’initiative « Je choisis la French Tech », mise en place en 2023, a pour objectif de doubler le recours aux solutions des start-up françaises par les acteurs publics et privés d’ici 2027.
Elle repose sur deux moyens :
– La mise en relation entre les start-up et les acheteurs publics et privés ;
– La formation et la communication. Ce volet sera complété par un nouveau programme, « Je choisis la French Tech Adadémie », qui formera dès 2025 les start-up aux procédures de la commande publique.
À ce jour, un an après son lancement, plus de 500 entreprises dont huit grands groupes (ADP, Axa, BPCE, CMA CGM, EDF, FDJ, Orange et SNCF) ont adhéré à l’initiative et volontairement « choisi » la French Tech.
Les personnes auditionnées ont souligné à la fois le caractère très prometteur de « Je choisis la French Tech », et ses limites liées au fait que l’initiative – ainsi appelée précisément en raison de son absence de contenu budgétaire ou juridique – est entièrement fondée sur le volontariat des parties prenantes. S’il était mieux structuré et doté de véritables moyens, le dispositif pourrait devenir le pilier de la politique industrielle de promotion et d’internationalisation des start-up françaises.
Proposition n° 3 : renforcer « Je choisis la French Tech » en structurant le dispositif et en créant de véritables incitations pour les grands industriels français à choisir des solutions proposées par les start-up françaises.
Au sein du ministère des affaires étrangères, la direction générale de la mondialisation (DGM) coordonne le réseau des ambassades sur les sujets liés à l’export et exerce la cotutelle de Business France avec la direction générale du Trésor du ministère de l’économie (DGT).
En cohérence avec France 2030 et avec la nouvelle stratégie de la DFE, le ministère des affaires étrangères a souhaité développer une équipe dédiée à l’internationalisation des start-up numériques. La nouvelle mission « Numia » – pour « numérique et intelligence artificielle » –, rattachée à la direction de la diplomatie économique (DGE) et pleinement opérationnelle depuis septembre 2024, a comme mission principale le soutien à l’exportation des entreprises du numérique. Dans sa réponse écrite, la DGE décrit ainsi les missions de Numia : « révéler des champions mondiaux – français – des technologies stratégiques et souveraines, capables de rivaliser avec des géants comme Google, Apple, Nvidia et Microsoft ».
La Numia s’appuie sur la TFE, sur la coopération interministérielle (ministère de l’économie, ministère des armées, de l’intérieur, SGDSN, ANSSI, SGPI…), mais aussi sur le réseau des ambassades et des relais à l’étranger. Elle apporte ainsi à la politique de soutien à l’internationalisation des start-up une expertise en diplomatie économique complémentaire de l’action de la direction générale des entreprises.
La mission « numérique et intelligence artificielle » (Numia) de la DDE
La Numia a été créée en 2024 pour répondre à plusieurs enjeux :
– L’internationalisation des entreprises françaises dans les filières numériques jugées stratégiques (technologies quantiques ; intelligence artificielle ; cybersécurité ; télécommunication ; acquisition, traitement et gestion des flux de données numériques) ;
– La mise en œuvre de mesures d’attractivité pour les entreprises et talents étrangers ou sur ces technologies, en coordodination avec les autres administrations concernées ;
– Le renforcement de la présence de la France sur ces sujets au sein des instances multilatérales (OCDE, Union internationale des télécommunications et autres organismes normatifs internationaux).
Depuis septembre 2024, l’équipe de la Numia est composée d’un chef de mission et de quatre rédacteurs qui couvrent les quatre thématiques suivantes :
– « données » (cloud, 6G, cybersécurité, Internet des objets) ;
– « intelligence artificielle » ;
– « télécommunications » (câbles sous-marins, 5G, infrastructures numériques) ;
– « industries technologiques » (microélectronique, semi-conducteurs, technologies quantiques, calcul haute performance, supercalculateurs)
L’attractivité et le développement international des entreprises de l’innovation et du numérique repose sur quelques dispositifs transversaux qui pour but d’orienter les investissements privés vers la recherche et le capital-risque :
– Le dispositif IR-PME incite les particuliers à investir dans les petites entreprises et, singulièrement depuis cette année, dans les start-up (a) ;
– Le crédit d’impôt recherche (CIR) incite les entreprises de toutes tailles à investir dans la R&D (b) ;
– Le dispositif « Tibi » incite les investisseurs institutionnels à investir dans le capital risque (c).
Jusqu’en 2024, le dispositif IR-PME s’appliquait indifféremment aux investissements dans les PME, que ces entreprises soient ou non réputées innovantes. La loi de finances pour 2024 a réformé le dispositif en créant un taux renforcé de réduction d’impôt pour les investissements directs dans les start-up, comprises dans la catégorie juridique des « jeunes entreprises innovantes » (JEI).
Créé en 1994, le dispositif IR-PME (ou dispositif « Madelin ») est une réduction d’impôt sur le revenu (IR) en faveur des particuliers ayant investi directement ou indirectement dans les fonds propres des PME. La dépense fiscale était estimée à 171 millions d’euros pour l’année 2024.
La loi de finances pour 2024 a créé deux taux majorés, en plus du taux de droit commun de 18 % :
– Un taux de 30 % pour les investissements directs dans les jeunes entreprises innovantes et de croissance (JEIC), c’est-à-dire ayant au moins 15 % de dépenses de R&D (ou une croissance particulièrement forte).
– Un taux de 50 % pour les investissements directs dans les jeunes entreprises innovantes et de rupture (JEIR), c’est-à-dire ayant au moins 30 % de dépenses de R&D.
La réforme 2024 de l’IR-PME en faveur des start-up
Dépenses R&D de la PME |
Taux de réduction d’IR |
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Avant 2024 |
Depuis 2024 |
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5 % + condition de croissance |
18 % |
30 % (régime JEIC) |
15 % |
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30 % |
50 % (régime JEIR) |
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Le statut des Jeunes entreprises innovantes (JEI) et ses avantages
Le statut de « jeunes entreprises innovantes » (article 44 sexies-0 A du code général des impôts) confère plusieurs avantages aux entreprises, typiquement des startups, qui en bénéficient.
Pour être reconnue comme JEI, une entreprise doit avoir au maximum 250 salariés, 50 millions d’euros de chiffre d’affaires, huit ans d’ancienneté au plus dans une activité nouvelle, et consacrer une part significative de ses dépenses à la R&D.
Depuis 2024, le critère de R&D s’est assoupli, permettant à un plus grand nombre d’entreprises de se voir octroyer le statut : il suffit de 5 % de dépenses R&D (au lieu de 15 % classiquement) si l’entreprise satisfait une condition supplémentaire de croissance fixée par décret (« jeunes entreprises d’innovation et de croissance »).
Les JEI disposent des avantages suivants :
– exonération (dégressive sur une période de huit ans) des cotisations sociales patronales ;
– exonération de taxe foncière pendant deux ans ;
– crédit d’impôt recherche (CIR) « accéléré » (versement en un an au lieu de trois) ;
– accès facilité à la commande publique grâce au dispositif « achats innovants » (voir infra).
Si la loi de finances pour 2024 a créé des taux majoré d’IR-PME pour les JEI, elle a en revanche supprimé l’exonération d’IS qui n’était pas efficace (cette exonération bénéficiant par définition aux entreprises ayant déjà des résultats positifs).
Votre rapporteure se félicite de cette réforme de 2024, salutaire pour le financement des start-up à l’amorçage, et souhaite qu’elle soit pérennisée.
En revanche, votre rapporteure attire l’attention sur les conclusions du rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) d’octobre 2023, commandé par le Parlement en application de l’article 17 de la loi de finances pour 2023. L’IGF considère que deux mécanismes de l’IR-PME, qui existaient avant la réforme de 2024 et n’ont pas été remis en cause par celle-ci, ne sont pas efficaces :
– la possibilité de bénéficier de l’IR-PME au titre des investissements indirects – via des FIP ou des FCPI –, au taux de droit commun de 18 % ;
– le taux majoré de 25 % (au lieu de 18 %) pour les entreprises solidaires d’utilité publique (ESUS).
Alors que la création des taux de 30 % et de 50 % en faveur des jeunes entreprises innovantes est tout à fait légitime, il pourrait en revanche être pertinent, dans une logique de lisibilité des dispositifs et de redressement des finances publiques, de revoir l’éligibilité des investissements indirects et de supprimer le taux majoré de 25 % qui n’a pas produit les résultats escomptés.
Proposition n° 4 : aller au bout de la réforme de l’IR-PME de 2024 en révisant les paramètres de cette dépense fiscale qui ne constituent pas des incitations à l’innovation (éligibilité des investissements indirects et taux majoré pour les ESUS).
Le crédit d’impôt recherche (CIR) est le principal dispositif fiscal en faveur de l’innovation. Il s’agit, en gros, d’un remboursement partiel des dépenses de R&D des entreprises. Le taux de crédit d’impôt est de 30 % pour la partie des dépenses inférieure à 100 millions d’euros et de 5 % au-delà.
L’efficacité du CIR est régulièrement contestée alors qu’il s’agit de la première niche fiscale française. En 2024, le coût du CIR pour les finances publiques est estimé à 7,6 milliards d’euros.
Au CIR s’ajoute le crédit d’impôt innovation (CII), dont le taux a été réhaussé de 20 % à 30 % en 2023 (pour l’aligner sur le taux du CIR) qui est spécifiquement réservé aux PME et à certaines activités.
Si votre rapporteure insiste sur l’importance du CIR pour l’attractivité et la croissance de France et se félicite du maintien du dispositif dans le PLF pour 2025, une réflexion devra néanmoins être conduite sur la façon de mieux cibler le dispositif. Le CIR n’est limité par aucun plafond ni par aucune condition, de sorte qu’il bénéficie aussi bien aux grandes entreprises qu’aux entreprises innovantes (contrairement au CII). L’instauration de plafonds de dépenses, de plafonds de chiffre d’affaires ou d’une conditionnalité économique (partenariats avec des start-up, absence de versement de dividendes…) seraient à même d’assurer une plus grande efficacité de la dépense publique.
De même, l’intérêt de la « pattent box » (taux d’IS réduit pour les revenus de la propriété intellectuelle), introduite par la loi de finances pour 2019, pourrait être évalué.
Cette réflexion devra être conduite en cohérence avec l’instauration prévue d’une contribution exceptionnelle sur les bénéfices des grandes entreprises (article 11 du PLF pour 2025), qui est temporaire et ne cible que les entreprises ayant un chiffre d’affaires supérieur à un milliard d’euros.
Proposition n° 5 : maintenir un crédit d’impôt recherche (CIR) ambitieux, tout en réfléchissant aux moyens d’en améliorer l’efficacité par l’instauration de plafonds ou de conditionnalités.
L’initiative « Tibi », lancée en 2019 – du nom du rapport de Philippe Tibi qui date de la même année –, vise à accroître la capacité de financement des entreprises technologiques en mobilisant l’épargne des investisseurs institutionnels (Limited Partners – LPs), principalement des compagnies d’assurance.
La première phase de Tibi (2019-2022) a rassemblé une vingtaine d’investisseurs institutionnels qui s’étaient engagés à investir 6 milliards d’euros sur la période dans des fonds de capital-investissement late stage et dans des fonds d’actions cotées homologués « Tibi ». Ces objectifs ont été dépassés : au total, 6,4 milliards d’euros ont été investis dans les fonds homologués, et 30 milliards d’euros d’investissements privés ont été engagés par effet de levier.
Grâce à ce dispositif, les start-up ont levé en France 8,3 milliards d’euros en 2023, ce qui est plus qu’en Allemagne (6,6 milliards d’euros).
Le dispositif Tibi 2 était un peu plus ambitieux : objectif de 7 milliards d’euros d’investissements des investisseurs institutionnels, sur la période 2023‑2026, avec cette fois un volet early stage (phase d’amorçage des start-up). Les chiffres de la DG Trésor ([4]) montrent que les fonds de venture capital homologués Tibi investissent à 54 % dans des start-up et scale-up françaises grâce au biais domestique.
En 2023, toutefois, le rythme de mobilisation stagne. Depuis le lancement de Tibi 2 en 2023, 2,5 milliards d’euros ont été investis par les investisseurs partenaires, dont un peu plus de la moitié dans des fonds non cotés (capital-risque). Selon l’Alliance pour la confiance numérique, la cible de 7 milliards d’euros d’investissements d’ici 2026 est insuffisante : il faudrait un montant de 20 à 25 milliards d’euros de la part des institutionnels pour stimuler véritablement l’écosystème.
Comme pour « Je choisis la French Tech », les personnes entendues en audition ont souligné le fait que Tibi ne repose que sur la bonne volonté des investisseurs institutionnels, de sorte que l’efficacité du dispositif dépend de la conjoncture, alors qu’il devrait au contraire avoir un effet contra-cyclique.
Force est de constater que ce type de partenariats présente des limites et qu’il ne suffira probablement pas de dispositifs mous pour créer une véritable culture d’investissement dans le capital-risque, comme cela existe aux États-Unis.
Votre rapporteure se prononce en faveur d’un renforcement du dispositif Tibi, qui devrait revêtir un caractère quasi obligatoire pour être plus efficace.
Proposition n° 6 : assortir le dispositif Tibi d’un appareil normatif adapté pour garantir l’affectation d’une part des investissements des investisseurs institutionnels au capital-risque.
Au niveau de l’Union européenne, deux mécanismes permettent d’investir de façon ciblée dans certaines entreprises ou projets innovants :
– Les « projets importants d’intérêt européen commun » (PIIEC), qui autorisent les États membres à attribuer des aides d’État pour financer des projets intergouvernementaux d’innovation (a) ;
– Les fonds de l’Union européenne, à commencer par le récent Conseil européen pour l’innovation, qui permettent à celle-ci d’investir directement dans un projet (b).
L’Union européenne ne dispose en revanche pas de l’équivalent du « Buy American », pas plus en matière technologique que dans les autres domaines (c).
Les « projets importants d’intérêt européen commun » (PIIEC) sont un cadre dérogatoire permettant aux États membres de l’Union européenne d’accorder des aides d’État à certaines entreprises, conformément au régime prévu au paragraphe 3 de l’article 107 du TFUE et dans des conditions fixées par la Commission européenne. Alors que celle-ci faisait traditionnellement primer la politique de concurrence sur la politique industrielle, les premiers PIIEC ont été autorisés à la fin des années 2010, dans un contexte d’évolution du contexte géopolitique et de prise en conscience de la nécessité d’une « autonomie stratégique » européenne.
Alors que les premiers PIIEC portaient sur les batteries et sur l’hydrogène, l’année 2023 marque un tournant avec la création de deux PIIEC relatifs à la microélectrique et au cloud – cependant, aucun PIIEC n’a été créé ni n’est à ce jour envisagé en matière de cyber et d’intelligence artificielle.
Les semi-conducteurs sont un élément clé de la fabrication des puces, circuits intégrés et microprocesseurs et, par suite, de toute l’industrie technologique. Or les usines de semi-conducteurs sont concentrées en Asie, notamment à Taïwan et en Corée du Sud : la capacité d’innovation et de croissance de l’Europe dépend donc de quelques pays.
Avec le soutien volontariste du commissaire Thierry Breton, et dans une volonté assumée « d’autonomie stratégique », la Commission européenne a autorisé en juin 2023 un PIIEC sur les semi-conducteurs dans le prolongement d’un premier PIIEC « microélectronique » de 2018. Ce PIIEC doit garantir la sécurité d’approvisionnement de l’Europe et contribuer au progrès technologique dans de nombreux secteurs : communication (5G et 6G), véhicules autonomies, IA, informatique quantique.
Il concerne l’ensemble de la chaîne de valeur, des matériaux et outils jusqu’à la conception et la fabrication des puces. Le montant des aides d’État autorisées est de 8,1 milliards d’euros, qui seront complétées par 13,7 milliards d’euros d’investissements privés. 56 entreprises de 14 Etats membres participent au projet.
En France, l’État a ainsi signé en juin 2023 un contrat de 2,9 milliards d’euros d’aides bénéficiant notamment à STMicroelectronics avec l’objectif de doubler la production française de semi-conducteurs d’ici 2030.
Présentation du PIIEC « cloud »
Source : Commission européenne.
Le 5 décembre 2023, la Commission européenne a autorisé un PIIEC sur le cloud, dont le nom officiel est « Next Generation Cloud Infrastructure and Services ». Il s’agit de développer le premier écosystème européen interopérable et libre d’accès. Ce PIIEC rassemble 7 Etats membres et 19 entreprises, dont 2 entreprises françaises, ainsi que 90 partenaires indirects.
Les financements publics autorisés, de 1,2 milliard d’euros, devraient permettre de débloquer au moins autant d’investissements privés par effet de levier. Les phases de recherche, de développement et de premier déploiement industriel se dérouleront jusqu’en 2031, avec dès la fin de l’année 2027 une infrastructure de référence libre d’accès.
Présentation du PIIEC « cloud »
Source : Commission européenne.
Au cours des auditions, plusieurs acteurs ont déploré l’absence de projet industriel européen d’envergure en ce qui concerne le cyber et l’IA.
Votre rapporteure encourage l’État à créer les conditions de projets européens dans le domaine du cyber et de l’IA, qui puissent recevoir l’agrément de la Commission européenne sous la forme d’un PIIEC.
Dans la volonté de créer un organisme européen dédiée à l’innovation de pointe, sur le modèle de la DARPA américaine, la Commission européenne a lancé en 2017 la phase pilote d’un « Conseil européen de l’innovation » (EIC) qui connaît sa phase définitive depuis 2021. L’EIC s’inscrit dans le troisième pilier d’Horizon Europe et a vocation à être le « guichet unique européen » de l’innovation.
L’EIC présente plusieurs points communs avec la DARPA : il permet le financement de projets trop risqués pour les investisseurs et la valorisation industrielle des découvertes scientifiques ; il s’organise autour de programmes managers inspirés des programs managers de la DARPA.
Le modèle de la Darpa américaine
La Defense advanced research projets agency (Darpa) est une agence américaine financée par le département de la Défense, chargée de promouvoir l’innovation dans le domaine des nouvelles technologies destinées d’abord à un usage militaire.
La Darpa est à l’origine de grandes inventions qui ont une application militaire comme civile étendue (internet, le GPS, la furtivité…). Elle fonctionne selon un mélange original de démarche bottom-up et top-down. Elle pose des objectifs mesurables, puis elle laisse émerger les meilleures idées à partir de la compétition entre inventeurs qu’elle stimule par des concours de recherche.
Les projets soutenus par la DARPA doivent être à mi-chemin entre recherche fondamentale et application et représenter des coûts et des risques tels que leur développement serait compromis sans argent public. Les projets sont gérés par des chefs de programme (program managers) recrutés pour trois ans, en général issus du secteur privé, et qui disposent d’une grande souplesse dans la conduite des projets.
L’EIC a donc pour objectif de financer le développement d’innovations disruptives, qu’il s’agisse de l’amélioration substantielle de produits existants (innovations « de rupture ») ou de la création de nouveaux produits (innovations « radicales »), alors que ces projets sont souvent trop risqués pour être intégralement financées par des investisseurs privés. Il concerne l’ensemble de l’échelle de maturité technologique, mesurée par l’indice TRL (Technology readiness level), grâce à ses deux « volets », qui couvrent les projets de la recherche appliquée (volet « éclaireur ») à la phase de développement et de commercialisation (volet « accélérateur »).
Toutefois, il ressort des auditions que l’EIC peine à satisfaire ses objectifs aussi efficacement que son modèle américain. Les explications de ce succès en demi-teinte sont les suivantes :
– Le budget de 10 milliards d’euros pour la durée du cadre financier pluriannuel (2021-2027) reste deux fois inférieur en moyenne annuelle au budget de la DARPA ;
– Les « programme managers » de l’EIC, calqués sur les programs managers de la DARPA, n’ont pas la marge de manœuvre de leurs homologues qui ont davantage de liberté en contrepartie d’une plus grande prise de risque ;
– La gouvernance de l’EIC n’est pas aussi indépendante que celle de la DARPA, et la Commission européenne continue d’exercer un verrou important malgré l’existence d’un conseil de recherche composé d’experts en principe indépendants ;
– Les technologies visées par l’EIC sont exclusivement civiles : comme cela a été rappelé en audition, l’Union Européenne a du mal à envisager le caractère dual de nombreuses innovations (GPS, IA, drones…) ;
– Alors que la DARPA a l’innovation comme objectif unique, les critères de sélection des projets de l’EIC intègrent des éléments hétérogènes, comme l’origine du projet (logique d’excellence versus logique nationale) ou le genre des entrepreneurs (critère « d’attraction »).
Ce constat, d’abord établi dans un rapport de la Commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale ([5]), est également partagé par le récent rapport sur la compétitivité européenne, dit « rapport Draghi » ([6]), qui appelle à la création d’une véritable agence européenne pour l’innovation de rupture sur le modèle de la Darpa.
Votre rapporteure préconise donc, comme les deux rapports précités, la « darpa-isation » de l’EIC, qui devrait être recentré sur l’innovation de rupture, à l’exclusion d’autres objectifs, et fonctionner davantage sur un mode intergouvernemental.
Au niveau national comme au niveau européen, le développement international des start-up suppose d’abord une forte demande intérieure, qui doit être stimulée par les règles de la commande publique : d’une part les procédures doivent être souples, pour ces entreprises jeunes et « agiles », d’autre part les administrations publiques (« pouvoirs adjudicateurs ») pourraient être incitées à réserver une part de leurs appels d’offres à des solutions européennes.
De nombreux rapports montrent que la structure des appels d’offres est inadaptée aux petites entreprises : lenteur des procédures, critères de qualification trop restrictifs, cycles de vente trop longs…
L’article R. 2122-0-1 du code de la commande publique prévoit que, pour les marchés d’un montant inférieur à 100 000 euros, les pouvoirs adjudicateurs sont dispensés de publicité et de mise en concurrence si le marché porte sur des prestations innovantes. Depuis la loi de finances pour 2024, les Jeunes entreprises innovantes (voir supra) sont automatiquement éligibles à ce dispositif : « sont considérés comme innovants tous les travaux, les fournitures ou services proposés par les entreprises définies à l’article 44 sexies-0 A du code général des impots », sans avoir besoin de démontrer que le critère d’innovation est satisfait.
Cette réforme de 2024 permettra d’accroître la part de la commande publique dans le chiffre d’affaires des start-up – elle n’en représente aujourd’hui que 17 % – et indirectement de privilégier les entreprises françaises dans la commande publique, en profitant pleinement du biais domestique très fort pour les entreprises de cette taille.
Les règles nationales de la commande publique restent toutefois enserrées dans les règles générales du marché intérieur qui s’opposent à toute forme de préférence nationale, même indirecte, fût-elle européenne.
Les acteurs représentatifs du secteur numérique entendus en audition ont publiquement pris position ([7]) en faveur d’un « Buy European Act », qui serait le pendant européen – et certainement circonscrit à l’innovation et aux secteurs stratégiques – du Buy Americain Act de 1933.
Comme le montre France Digitale ([8]), les entreprises européennes ne représentent que 25 % de la commande publique européenne. Alors que l’Europe a un retard à combler dans le domaine des technologies numériques, des règles de commande publique égalitaires ne peuvent que favoriser les entreprises américaines : « qu’un géant et un nain marchent sur la même route, chaque pas qu’ils feront l’un et l’autre donnera un nouvel avantage au géant » ([9]). Les entreprises américaines ont en effet déjà investi dans la R&D et peuvent de ce fait proposer des prix plus attractifs.
Or, les critères européens de la commande publique sont presque exclusivement centrés sur le prix, au détriment de critères plus stratégiques (portée environnementale, maîtrise de la chaîne de valeur et des technologies), comme le regrette le « rapport Letta » sur le marché unique présenté en avril 2024 devant le Conseil européen ([10]).
Dans la lignée du rapport Letta, votre rapporteure soutient qu’il faudrait permettre aux États membres de privilégier une solution européenne quand la différence de prix n’est pas trop importante (par exemple 15 %), voire de réserver une part de la commande publique à des entreprises européennes innovantes dans les domaines couverts par la « double transition » (numérique et écologique).
liste des propositions de la rapporteuRe
Proposition n° 1 (proposition réitérée) : formaliser, dans le cadre du projet de loi de Finances pour 2026, les engagements pluriannuels de l’État vis-à-vis de son opérateur Business France, en conformité avec le contrat d’objectifs et de moyens (COM) 2023-2026.
Proposition n° 2 : rationaliser l’activité de la Mission French Tech en fusionnant les quatre programmes d’accompagnement en un programme unique dédié aux start-up à la fois performantes et innovantes.
Proposition n° 3 : renforcer « Je choisis la French Tech » en structurant le dispositif et en créant de véritables incitations pour les grands industriels français à choisir des solutions proposées par les start-up françaises.
Proposition n° 4 : aller au bout de la réforme de l’IR-PME de 2024 en révisant les paramètres de cette dépense fiscale qui ne constituent pas des incitations à l’innovation (éligibilité des investissements indirects et taux majoré pour les ESUS).
Proposition n° 5 : maintenir un crédit d’impôt recherche (CIR) ambitieux, tout en réfléchissant aux moyens d’en améliorer l’efficacité par l’instauration de plafonds ou de conditionnalités.
Proposition n° 6 : assortir le dispositif Tibi d’un appareil normatif adapté pour garantir l’affectation d’une part des investissements des investisseurs institutionnels au capital-risque.
Proposition n° 7 : créer les conditions de la mise en place de « projets importants d’intérêt européen commun » (PIIEC) en matière d’intelligence artificielle et de cyber.
Proposition n° 8 : réformer le Conseil européen de l’innovation pour en faire une véritable DARPA européenne, axée sur l’innovation de rupture et avec un mode de fonctionnement et de financement davantage intergouvernemental.
Proposition n° 9 : réfléchir aux modalités d’un dispositif permettant aux États membres de l’Union européenne de privilégier les entreprises européennes dans la commande publique (« Buy European Act »).
Au cours de sa réunion du mercredi 16 octobre 2024, dans le cadre de l’examen de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2025, la commission des affaires économiques a examiné pour avis, sur le rapport de Mme Louise Morel, les crédits de la mission « Économie », en ce qui concerne le commerce extérieur.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous poursuivons l’examen pour avis des crédits de la mission Économie du projet de loi de finances (PLF) pour 2025.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. La France souffre d’un déficit commercial tenace, évalué à 56 milliards d’euros, en particulier dans les secteurs des biens industriels et d’équipements, et de l’énergie. Dans l’agroalimentaire, le risque d’une perte de souveraineté sur certains produits, comme le lait, dans les années à venir, suscite des inquiétudes. Le déficit commercial intraeuropéen de la France, très important, est également en dégradation constante depuis 2018 – une situation qui appelle très certainement des réponses de la puissance publique.
Mme Louise Morel, rapporteure pour avis. Le commerce extérieur est un sujet important de nos politiques publiques en matière économique. Dans le prolongement des travaux sur la régulation que j’ai conduits sous la XVIe législature en tant que rapporteure du projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique, j’ai souhaité consacrer la partie thématique de mon avis budgétaire au soutien à l’internationalisation et à l’attractivité du secteur du numérique et de la tech, où les enjeux sont immenses.
Je commencerai par quelques informations générales sur le commerce extérieur et les crédits prévus dans le PLF pour 2025. Le solde du commerce extérieur français est effectivement déficitaire de manière continue depuis le milieu des années 2000, mais la nette amélioration de la balance commerciale en 2023 a permis de diminuer d’un quart le déficit commercial global, services compris, de 74 milliards d’euros en 2022 à seulement 56 milliards. C’est une bonne nouvelle, d’autant que les résultats du premier semestre 2024 confirment cette dynamique positive : nous sommes en train de sortir de la période néfaste qui a commencé par la crise sanitaire.
En matière d’attractivité, les nouvelles sont, elles aussi, excellentes : l’édition 2024 du baromètre EY confirme que la France reste le pays le plus attractif d’Europe en termes d’investissements directs à l’étranger, devant l’Allemagne et le Royaume-Uni – une première place qu’elle occupe depuis 2019 grâce à des dispositifs ambitieux en faveur des investissements et de l’innovation.
La politique du commerce extérieur s’organise autour de deux acteurs majeurs de la Team France Export, Business France et BPIFrance, soutenus par l’action 07 du programme 134. Dans le PLF pour 2025, la subvention pour charge de service public de Business France passe de 100 millions à 90 millions d’euros, sachant que 5 millions de crédits ont déjà été annulés par décret en février. Avec cette décision, qui ne fait évidemment plaisir à personne mais apparaît compréhensible au regard d’un contexte budgétaire très difficile appelant des efforts de toutes les administrations, le ministre chargé du budget et des comptes publics, lui-même ancien directeur général de Business France, fait, en quelque sorte, montre d’exemplarité.
Cet opérateur a, en revanche, besoin d’une plus grande stabilité de ses crédits. Le contrat d’objectifs et de moyens (COM) signé en octobre 2023 prévoyait la sanctuarisation de ses crédits jusqu’en 2026, mais il n’a pas empêché l’annulation de 5 millions d’euros de crédits quelques mois plus tard. Or, Business France a besoin de visibilité pour assurer ses missions de service public, généralement mises en œuvre de façon pluriannuelle – par exemple, les places dans les salons internationaux sont réservées plus d’un an à l’avance. Comme mon prédécesseur Charles Rodwell, je préconise donc d’inscrire formellement les crédits prévus par le COM dans le prochain PLF.
Tout en insistant sur la nécessité de veiller à ce que l’évolution des crédits s’inscrive, à l’avenir, dans une trajectoire plus prévisible, je propose d’émettre un avis favorable à l’adoption des crédits relatifs au commerce extérieur.
J’en viens à la partie thématique du rapport, qui porte sur le soutien au numérique et à l’innovation, dans sa double dimension attractivité – donc compétitivité – et internationalisation. Ce secteur clé pour la croissance et l’autonomie stratégique de la France se caractérise par des risques et des coûts initiaux élevés, qui empêchent certains types d’entreprises, comme les start-up, d’accéder aux financements bancaires classiques. Nous devons donc inciter le secteur privé à investir dans des fonds de capital-risque, qui pourraient également être abondés par des financements publics ciblés. Dans ces domaines, le développement international n’est pas une option ; les entreprises doivent absolument développer leur activité à l’étranger pour atteindre une taille critique et rentabiliser leurs investissements. Les coûts fixes étant très élevés, notamment pour la recherche et développement, et les coûts variables, faibles, seules quelques entreprises peuvent atteindre ce niveau mondial, et ce sont des entreprises américaines, les Gafam. Cela doit nous interpeller.
L’internationalisation et le développement du numérique sont soutenus à différents niveaux, à commencer par la Team France Export, qui est au cœur de la politique de commerce extérieur. Business France et le secrétariat général pour l’investissement (SGPI) ont ainsi conclu fin 2023 un partenariat visant à aligner les priorités de Business France sur celles du plan d’investissement France 2030, axé sur l’innovation disruptive et les start-up.
La mission French Tech, créée il y a une dizaine d’années et rattachée à la direction générale des entreprises (DGE) de Bercy, est chargée de soutenir et mobiliser l’écosystème des start-up françaises, en France et à l’international, rassemblées sous la marque French Tech, qui appartient à l’État. L’État a également créé plusieurs dispositifs fiscaux de soutien à l’innovation, notamment le crédit d’impôt recherche (CIR), le crédit d’impôt innovation, la réduction d’impôt pour souscription au capital d’une société (IR-PME) ou encore le statut de « jeune entreprise innovante ». Créé en 2019, le dispositif Tibi vise, lui, à inciter les assureurs à investir une part de leurs fonds dans le capital-risque.
Au niveau européen, les projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC) permettent aux États membres, à titre dérogatoire et avec l’accord de la Commission européenne, d’accorder des aides d’État à certains projets d’intérêt européen. Le Conseil européen de l’innovation finance, pour sa part, les projets les plus disruptifs, sélectionnés par appel à projets.
Les acteurs sont donc nombreux dans ce domaine. Si nous pouvons nous en réjouir, je formulerai quelques pistes d’amélioration.
Tout d’abord, la mission French Tech est utile, mais on se perd un peu dans les divers programmes d’accompagnement, qui se sont multipliés au fil des années. Le souci de rationalisation voudrait qu’on les fusionne au sein d’un programme unique, fondé sur des critères clairs. Le programme « Je choisis la French Tech » mériterait d’être renforcé pour devenir le cœur de la politique de soutien aux start-up, afin que les grands groupes choisissent systématiquement des solutions développées par de jeunes entreprises innovantes françaises.
En matière de dispositifs fiscaux, le crédit d’impôt recherche est, à mes yeux, l’outil le plus formidable qui existe en faveur de l’innovation. On lui doit en grande partie les bons résultats de la France en matière d’attractivité, et on ne peut donc que se réjouir qu’il soit maintenu dans le prochain projet de loi de finances. Je regrette cependant que son petit frère, le crédit d’impôt innovation, ne soit pas, lui, reconduit. Il me semble que l’économie de 300 millions d’euros résultant de cette suppression aurait pu être obtenue autrement – par exemple, en plafonnant le crédit d’impôt recherche pour qu’il ne profite pas excessivement aux grandes entreprises, ou en y supprimant l’éligibilité des dépenses de veille technologique.
Même si la réduction d’impôt IR-PME a déjà été largement réformée dans le dernier PLF, la recentrer davantage encore sur l’innovation – à travers la suppression de l’éligibilité des investissements directs, par exemple – permettrait de réaliser des économies tout en améliorant l’efficacité de la dépense publique, dans une logique de responsabilité budgétaire.
Né d’une excellente idée, le dispositif Tibi, qui encourage les assureurs à investir une petite part de leurs fonds dans le capital-risque, reste trop peu contraignant et insuffisamment ambitieux, puisque l’objectif pour la période 2023-2026 est de 7 milliards d’euros seulement. Du fait qu’il n’a aucun caractère obligatoire, le mécanisme fonctionne bien quand la conjoncture est bonne, moins bien quand elle est mauvaise. Or, on ne saurait parier uniquement sur la bonne volonté des acteurs privés.
Enfin, les PIIEC relatifs au cloud et aux semi-conducteurs lancés l’an dernier sont une excellente nouvelle, et il faudrait en développer dans d’autres domaines, comme le cyber et l’intelligence artificielle (IA). Il faut également réfléchir beaucoup plus activement à une sorte de Buy European Act, au moins dans les domaines technologiques, non pour interdire aux acteurs publics de recourir aux entreprises américaines, mais bien pour permettre aux États d’élargir les critères de sélection de la commande publique, en prenant en compte, au-delà du seul prix, la résilience de la chaîne de valeur ou la fiabilité technologique et juridique. Les entreprises américaines, qui ont déjà réalisé leurs investissements, peuvent se permettre de casser les prix : un « protectionnisme intelligent » nous permettrait de rattraper notre retard et de développer des solutions souveraines dans des secteurs stratégiques.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Lionel Tivoli (RN). Sur le plan extérieur comme intérieur, notre situation budgétaire n’a jamais été aussi grave. Pour favoriser le redressement de notre pays, il est impératif d’opérer des choix drastiques. À cet égard, le commerce extérieur est une priorité et doit être sanctuarisée. Le solde commercial de la France s’établit à – 40 milliards d’euros pour le premier semestre 2024 ; cette situation particulièrement alarmante devrait tous nous préoccuper. Nous ne sommes pas de ceux qui voient le verre à moitié vide ou à moitié plein, ou qui se satisfaisons de quelques données contextuelles positives ; nous sommes résolument de ceux qui continueront à alerter sur la pente dangereuse que notre pays emprunte.
La réduction de la subvention de Business France, de 100 millions en 2024 à seulement 90 millions dans le PLF 2025, est un signal inquiétant. Un pays qui se porte bien est un pays qui exporte ; or, la France n’exporte pas suffisamment. Il ne s’agit absolument pas ici de mettre en cause les entreprises françaises. Au contraire, ce sont bien souvent de véritables championnes qui, quand elles exportent, contribuent au rayonnement de notre pays à l’international. Seulement, on ne permet pas à suffisamment de sociétés françaises d’exporter leurs produits, souvent d’excellence, à l’étranger.
Parmi les multiples freins à l’exportation, les contraintes diverses qui pèsent sur nos entreprises et les conséquences néfastes de certains traités de libre-échange ne font qu’accentuer les difficultés. Il est donc nécessaire de sanctuariser les crédits de Business France, tout en procédant, en parallèle, à une profonde refonte de l’organisation de cette structure d’accompagnement des petites et moyennes entreprises (PME) et entreprises de taille intermédiaire (ETI) sur les marchés internationaux, dont l’action n’est pas suffisamment efficace, comme en témoignent de nombreuses entreprises utilisatrices.
Le commerce extérieur de la France est un outil fondamental, tant pour le rayonnement de notre pays à l’international que pour le développement de notre tissu économique. Plutôt que de belles paroles, il faut désormais des actes. Il est temps d’améliorer la coordination entre les différents services de l’État, car tous les acteurs concernés doivent œuvrer de concert afin d’offrir enfin aux entreprises françaises un écosystème réellement favorable à leur développement à l’international.
Mme Louise Morel, rapporteure pour avis. Nous partageons la même ambition de développer le commerce extérieur de notre pays. On ne peut que regretter cette baisse des crédits, qui ne réjouit personne, à commencer par moi – d’autant qu’à travers mes rencontres avec les différents acteurs, je n’ai pu que mesurer combien le soutien aux entreprises favorisait le développement d’activités formidables. Mais dans le contexte économique actuel, particulièrement contraint, un effort est nécessaire – tous les acteurs en ont d’ailleurs convenu en audition. Nous espérons tous que, dans les années à venir, nous pourrons à nouveau accorder davantage de crédits à Business France.
M. Stéphane Vojetta (EPR). Les déficits commerciaux restent élevés. Pour y remédier, les différents acteurs du soutien au commerce extérieur coopèrent au sein de la Team France Export. En tant que député des Français de l’étranger, j’ai régulièrement l’occasion de travailler avec nos entreprises, mais aussi les relais de l’État sur le terrain – Business France, les chambres de commerce et d’industrie (CCI), les conseillers du commerce extérieur de la France et les pôles French Tech.
Le Premier ministre a annoncé la fusion prochaine de Business France et Atout France, agence spécialisée dans la promotion touristique. Si elle se concrétise, comment garantir qu’elle permettra effectivement de renforcer les missions de chacune des agences et d’accroître l’efficacité de la France sur la scène internationale, sans nuire à son attractivité touristique ?
À propos d’attractivité, permettez-moi de remercier ces acteurs qui, sous l’égide du Président de la République, ont fait de la France le pays européen qui attire le plus d’investissements et d’entreprises étrangers, permettant ainsi la réindustrialisation de notre pays, la transformation de notre économie, notamment en matière numérique, et la baisse du chômage – tout ce que l’on attend de l’État et du Gouvernement. Nous devons continuer de faire au mieux pour attirer ces investissements, qui permettent de créer des emplois, tout en s’assurant du respect scrupuleux de notre cadre législatif, réglementaire, et fiscal.
À cet égard, je tiens à déplorer publiquement les polémiques visant à instrumentaliser la volonté de cession, par Sanofi, d’une part minoritaire de sa filiale Opella. Cette cession permettrait à l’entreprise de libérer des milliards d’euros de capital et de les réorienter vers des investissements stratégiques. Sanofi est une entreprise privée ; or la France respecte le principe de libre administration des entreprises et l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose que « la propriété [est] un droit inviolable et sacré ». Il est évidemment nécessaire de s’assurer du respect des procédures d’encadrement des investissements étrangers dans les secteurs stratégiques et d’obtenir des garanties, mais ce n’est pas en stigmatisant un investisseur américain et en menaçant de nationaliser Sanofi ou sa filiale que nous pérenniserons l’attractivité de la France ou créerons des champions européens.
J’appelle donc à une modération collective des propos contre les chefs d’entreprise, le capital et, plus généralement, les investisseurs ; ils ne feront que donner des envies d’ailleurs à tous ceux qui prennent des risques et créent ou maintiennent des emplois en France. Autrement, ces derniers iront le faire ailleurs, comme ceux de ma circonscription vont à Barcelone, où, à quelques centaines de kilomètres de la France, ils paient sans doute davantage d’impôts qu’en France, mais ne sont ni vilipendées, ni menacés pour leur volonté de créer de la valeur.
Mme Louise Morel, rapporteure pour avis. J’ai bien entendu votre remarque sur Sanofi. S’agissant du projet de fusion entre Atout France et Business France, j’ai été beaucoup interrogée ces derniers jours, mais je n’ai pas plus d’informations que vous : Business France n’a pas évoqué ce sujet, ni en audition, ni dans sa réponse au questionnaire écrit que nous lui avons adressé. Ce projet mentionné par le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale ne trouve de traduction ni dans le PLF, ni dans aucun autre texte officiel. Néanmoins, au regard du statut d’Atout France, cette fusion ne saurait se concrétiser qu’à travers l’adoption d’un texte législatif ; la fusion éventuelle ne pourrait donc intervenir avant, au plus tôt, le projet de loi de finances pour 2026.
Mme Alma Dufour (LFI-NFP). Décidément, en matière de records économiques, Emmanuel Macron s’est surpassé : médaille d’or des catastrophes ! Nous avons battu le record de pauvreté des Français, le record des faillites de très petites entreprises (TPE), le record de déficit des comptes publics, mais aussi le record du déficit commercial. Avec 99 milliards d’euros, soit le deuxième déficit le plus important de notre histoire, l’année 2023 n’est jamais que médaille d’argent ; la médaille d’or revient à l’année 2022, qui avait vu le déficit commercial atteindre 164 milliards d’euros. Nous ne pouvons donc nous satisfaire de la légère inflexion que vous avez présentée s’agissant du premier semestre 2024.
Rassurons-nous, le Gouvernement n’est vraiment pas pour grand-chose dans la baisse du déficit ; c’est surtout la remise en service des réacteurs nucléaires et la baisse du coût du pétrole qui ont eu pour effet de réduire notre abyssal déficit commercial en matière d’énergie. Je vous laisse deviner ce qu’il adviendra de notre balance commerciale en cas de reprise de la crise énergétique par suite de la généralisation du conflit au Proche-Orient. La Banque mondiale alertait déjà à l’automne dernier : les conséquences de cette crise pourraient être bien pires que celles de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Mais cela ne semble toujours pas inquiéter en haut lieu.
Depuis 2017, le macronisme a tout sacrifié à la compétitivité des grandes entreprises. Décrochage des salaires par rapport à l’inflation, baisse sans précédent des impôts des grands groupes, 170 milliards d’aides sociales et fiscales, record d’Europe des dividendes, augmentation de 15 % des licenciements économiques en 2024, refus d’instaurer des mesures protectionnistes élémentaires, sacrifice des droits de l’homme sur l’autel de l’exportation d’armes : tant d’efforts pour rester l’un des pires déficits commerciaux d’Europe ! Quel bilan douloureux ! Si l’on considère la part de l’emploi industriel dans l’emploi, la France se place au vingt-deuxième rang des pays européens.
L’état du déficit commercial après sept ans d’Emmanuel Macron est la preuve définitive que l’ultralibéralisme est une impasse : nous sommes déficitaires quasiment partout.
Selon le haut-commissariat au plan, deux tiers des 9 781 produits étudiés étaient en déficit commercial en 2022.
En matière d’énergie – le principal gouffre commercial –, l’obstination à ne pas investir dans la transition écologique nuit gravement à la planète et à nos finances publiques. En 2022, nous aurions pu, par exemple, économiser 9 milliards d’euros sur nos importations de gaz si les engagements en matière de développement des énergies renouvelables avaient été tenus.
Dans le secteur automobile, par peur de mesures de rétorsion de la Chine et sous la pression de l’Allemagne, nous avons refusé pendant des années d’instaurer une bannière douanière. Résultat, la France est le pays de l’Union européenne qui s’est le plus désindustrialisé dans ce domaine, où 114 000 emplois ont disparu en quinze ans et 70 000 sont encore menacés. Rien que cette année, 3 000 emplois ont été supprimés dans la sous-traitance automobile. Le déficit commercial de ce secteur atteint 24 milliards d’euros. Nous n’avons cessé de vous alerter sur la nécessité de contraindre rapidement les constructeurs à développer des véhicules électriques légers et abordables made in France, mais, alors même que ces véhicules ne se vendent pas, vous avez décidé de plomber un peu plus la consommation en baissant les aides à l’achat.
Peu de gens le savent mais, sans nos exportations d’alcool dans le monde entier, notre agriculture aussi serait déficitaire – une situation que la poursuite des accords de libre-échange – en particulier celui avec le Marché commun du Sud, le Mercosur – et la baisse du soutien à l’agriculture, ne risquent pas d’arranger.
Enfin, plus de 3 000 médicaments sont en situation de pénurie, et la France dépend à hauteur de 60 % à 80 % des importations dans le secteur de la santé.
Mais vous persistez et signez : alors que le contexte géopolitique est particulièrement tendu, au lieu de chercher à nous rendre moins dépendants, vous avez refusé d’imposer des objectifs de relocalisation, comme nous vous l’avons proposé lors de l’examen du projet de loi relatif à l’industrie verte. Vous n’avez donc rien appris de la crise du Covid et continuez de rendre la France toujours plus vulnérable aux prochaines crises. Dernier exemple en date, vous êtes en train de laisser le Doliprane passer sous pavillon américain. En cas de délocalisation, les Français ne pourront même plus soigner le mal de crâne que le bilan économique d’Emmanuel Macron leur laisse.
Mme Louise Morel, rapporteure pour avis. Je regrette de n’avoir plus de temps pour vous répondre, Madame Dufour.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Vous pourrez reprendre la parole aussi longtemps que vous le souhaitez à l’issue des questions des orateurs des groupes.
Mme Valérie Rossi (SOC). Mon groupe regrette la tonalité de votre rapport. Vous acceptez sans sourciller la réduction de 10 % du budget de Business France au titre de l’effort d’économies que réclame la situation budgétaire catastrophique à laquelle vous avez vous-même contribué en votant l’ensemble des budgets précédents. Cette réduction, compréhensible à vos yeux, ne l’est pas aux nôtres.
Bien que les 62 milliards de cadeaux fiscaux que vous avez consentis aux plus riches et aux grandes entreprises dans les budgets précédents soient restés sans effet sur la croissance, la création d’emploi ou les salaires, vous refusez de revenir sur ces mesures. Il ne faut donc pas s’étonner de la saignée opérée sur les dépenses dans le PLF pour 2025. Or, non seulement les 10 millions d’économies que vous imposez à cet opérateur majeur, qui ne représentent que 0,025 % des économies à trouver, ne vous permettront pas d’atteindre vos objectifs en matière budgétaire, mais ils l’affaiblissent à contretemps, en pleine période d’une concurrence internationale accrue et de plus en plus sauvage.
Entre l’offensive de la Chine sur les véhicules électriques et les énergies renouvelables et l’Inflation Reduction Act américain se joue une bataille majeure pour attirer des investissements et trouver de nouveaux marchés. Sans l’avantage compétitif que nous procurait un prix bas de l’énergie, et face aux retards structurels de la France en matière de robotisation, de digitalisation et d’IA, c’est une mise sous stéroïdes de Business France et BPIFrance dont nous avons besoin, pas l’inverse ! Les budgets de ces opérateurs doivent au moins être maintenus à leur niveau de 2024. Nous déposerons des amendements en ce sens : les soutiendrez-vous ? À défaut, nous nous opposerons à l’adoption des crédits relatifs au commerce extérieur.
Néanmoins, nous souscrivons à votre proposition de mieux cibler le crédit d’impôt recherche. Alors que vous vous y êtes toujours montrés opposés, nous nous réjouissons de vous voir enfin considérer la conditionnalité des crédits d’impôts à des critères environnementaux et sociétaux, comme nous le défendons depuis 2018. Au regard des annonces de Sanofi, ce sujet est plus que jamais majeur. Pouvez-vous préciser votre position sur ce point ?
Mme Louise Morel, rapporteure pour avis. Je n’accepte pas sans sourciller cette baisse des crédits. Je préférerais vous annoncer des augmentations de crédits et vous proposer de dépenser sans compter, mais je crois fermement que, dans un contexte budgétaire difficile, tout le monde doit faire des efforts. Je suis très attachée à l’attractivité de notre pays, et nous n’acceptons pas cette réduction de gaieté de cœur, mais lors des auditions, les différents acteurs nous ont confirmé que leur première préoccupation était la sanctuarisation des crédits, fussent-ils en baisse, pour pouvoir s’organiser, plutôt que de découvrir une annulation de crédits en cours d’année, comme cela a été le cas en février dernier. C’est l’objet de mes premières recommandations.
S’agissant du crédit d’impôt recherche, les propositions que je formule dans le rapport tiennent compte, là encore, du contexte : dans la situation actuelle, il faut envisager des aménagements, comme la conditionnalité. Loin d’accepter sans ciller la disparition du crédit d’impôt innovation, je prône au contraire son maintien, quitte à restreindre l’éligibilité de certaines dépenses, comme celles liées à la veille technologique, car la prise en charge des abonnements à des revues ou le remboursement des billets d’avion ou de train pour se rendre à des salons internationaux ne sont pas une priorité. Nous avons mené une réflexion très poussée avec les acteurs sur ce sujet.
Je vous donnerai mon avis sur votre amendement le moment venu.
M. Guillaume Lepers (DR). Malgré l’amélioration du solde de nos échanges commerciaux en 2023, portée par une légère diminution des importations, voilà vingt ans que la balance commerciale de la France est déficitaire.
Cette situation doit collectivement nous interroger, car la conjoncture n’est pas la seule responsable de ce défaut de compétitivité sur les marchés étrangers. Nous subissons aussi des handicaps structurels, au premier rang desquels une désindustrialisation continue, qui a détruit l’économie de nombreux territoires – Fumel, dans ma circonscription, a connu la délocalisation de la métallurgie en Espagne dans les années 1970, puis le départ de l’industrie du parquet en Chine, il y a dix ans à peine. Et ce phénomène continue, sans que nous parvenions à l’endiguer. Les normes fiscales, sociales et environnementales écrasent aussi lourdement nos entreprises. Leur poids est disproportionné par rapport à nos partenaires : nous sommes le seul pays d’Europe à ajouter des normes nationales aux normes européennes. Cette situation pénalise nos entreprises, en particulier les PME, qui n’ont ni la même agilité, ni les mêmes ressources que les grands groupes, mais aussi le monde agricole, qui avait d’ailleurs placé la simplification administrative en tête de ses revendications.
Face à la dégradation des comptes publics, il est légitime de chercher partout des pistes d’économies. Il faut cependant garder à l’esprit que dépenser pour le commerce extérieur, c’est investir pour la croissance future.
Vous avez souligné le manque de lisibilité de la mission French Tech et la redondance de ses programmes d’accompagnement des start-up – un constat important. Subie par toutes les entreprises, cette multiplication des interlocuteurs et des dispositifs génère une complexité qui épuise les meilleures volontés, et est source de dépenses inutiles pour les entreprises comme pour les finances publiques. Au-delà de la mission French Tech, avez-vous identifié des possibilités de rationalisation des différents programmes de soutien au développement international des PME et des ETI ? L’internationalisation des entreprises est une étape cruciale ; beaucoup la ratent, faute d’un accompagnement efficace, et leur équilibre en est fragilisé.
Mme Louise Morel, rapporteure pour avis. J’ai entendu à plusieurs reprises que notre balance commerciale était déficitaire. Mais attention, celle-ci englobe à la fois les biens et les services, qui sont, eux, excédentaires. Seule la balance des biens est déficitaire, notamment en raison de l’évolution de notre économie, aujourd’hui davantage tournée vers les services – gardons bien cela à l’esprit.
S’agissant de la redondance des programmes, je donne plusieurs exemples dans le rapport. Prenons celui des programmes Next 40/120 et French Tech 2030 : le premier, lancé en 2019, accompagne pour un an 120 entreprises ; le second, lancé en 2023, accompagne pour deux ans 125 entreprises. Dans les descriptions officielles, les objectifs et le contenu de ces missions sont presque identiques : dans un souci de rationalisation, on pourrait donc les fusionner. J’ai identifié des pistes, et j’en informerai les services concernés pour que l’on avance sur ce sujet.
M. Pascal Lecamp (Dem). Pour des raisons de transparence, je précise que je suis en disponibilité de Business France, l’opérateur principal du commerce extérieur, où j’ai effectué la plus grande partie de ma carrière. Je garderai donc pour moi ce que je pense de la baisse des crédits.
La fusion de Business France et d’Atout France annoncée par le Premier ministre ne se retrouve pas dans les lignes du PLF. J’espère que le Gouvernement nous éclairera en séance sur ses conséquences budgétaires.
La baisse de plus de 10 % de la dotation annuelle de Business France risque-t-elle d’affecter la Team France Export, dont elle est un membre stratégique ? Aura-t-elle des conséquences sur son efficacité et sur le fonctionnement avec ses partenaires ?
Peut-on réformer le Conseil européen de l’innovation sur le modèle de la Darpa, l’agence américaine pour les projets de recherche avancée de défense ? Que suggérez-vous pour améliorer la performance du crédit d’impôt recherche ?
Mme Louise Morel, rapporteure pour avis. Business France a pu anticiper la baisse de sa subvention, qui intervient moins brutalement que l’annulation des crédits en février. L’opérateur nous a confirmé qu’il participerait aux efforts demandés, mais souhaite que les crédits soient plus stables et respectent une trajectoire pluriannuelle.
Concernant le Conseil européen de l’innovation, nous devons vraiment nous inspirer de la Darpa. La difficulté est que le Conseil européen de l’innovation agit dans le cadre communautaire, avec les contraintes que cela implique, notamment la dépendance à l’égard de la Commission européenne. Pour ne pas être freiné par celle-ci ou par les États membres ne souhaitant pas investir dans l’innovation, le Conseil devrait fonctionner davantage de manière intergouvernementale, sur la base du volontariat. Nous pourrions même inclure des États européens non-membres de l’Union européenne.
M. Harold Huwart (LIOT). Le moteur de la dégradation du commerce extérieur, depuis 2000, est la désindustrialisation du pays. C’est l’industrie qui génère les excédents et alimente les exportations ; le combat pour la réindustrialisation est donc fondamental. Or, nos entreprises ont besoin d’être accompagnées pour pouvoir exporter. Trop de PME et d’ETI se restreignent à des marchés déjà saturés et n’osent pas aller sur les marchés en expansion.
Le rapprochement annoncé des deux opérateurs est à Bercy une idée vieille comme le monde, qui pose un problème de cohérence. Il vise à faire d’Atout France une réserve de crédits et d’ETP (équivalents temps plein) pour Business France, afin de pallier la baisse de la dotation de ce dernier. Or, les coupes dans les crédits se font toujours au détriment de l’accompagnement des entreprises à l’exportation. L’État sabote ainsi lui-même les objectifs qu’il affiche.
Je ne suis pas contre l’idée de baisser les crédits des opérateurs, car chacun doit participer à l’effort. Toutefois, cela nous oblige à avoir un dialogue de gestion avec les régions, car l’État va se défausser sur elles. Il faut donc s’assurer avec les CCI que les réductions de crédits ne se feront pas au détriment du guichet de l’exportation et de l’accompagnement sur le terrain.
Mme Louise Morel, rapporteure pour avis. Il est difficile de commenter un projet de fusion qui n’apparaît pas dans les documents budgétaires. Cela pourra faire l’objet du prochain rapport pour avis.
M. André Chassaigne (GDR). Je ne conteste pas l’attractivité de la filière numérique, mais le choix que vous avez fait d’y consacrer votre rapport est assez révélateur de l’abandon par la France de tout développement industriel : la priorité, ce sont les services, les services, les services !
D’autres sujets auraient été plus opportuns, comme les accords de libre-échange dont une analyse critique aurait pu révéler la nécessité de moyens de contrôle, donc des dépenses. Mais ayant pris le parti, comme nous l’avons constaté, de ne pas étriller ce budget, vous n’aviez pas intérêt à choisir un tel thème.
Je souhaite revenir sur une réalité occultée par toutes les analyses portant sur le commerce extérieur : notre dépendance inacceptable à des décisions prises par les États-Unis, en particulier le blocus unilatéral imposé à Cuba pour asphyxier son économie et affamer sa population. La France, au lieu d’être à l’offensive, laisse faire dans un silence terrible. La Commission mixte économique bilatérale franco-cubaine ne s’est pas réunie depuis trois ans, et l’excellent travail accompli par l’Agence française du développement (AFD) est mis en difficulté, l’ambassade de France à Cuba et Business France freinant les échanges commerciaux.
Mme Louise Morel, rapporteure pour avis. Ce n’est pas parce que j’ai fait le choix d’étudier le secteur du numérique que je suis contre la production de biens. J’insiste sur le fait qu’il y a toujours une base industrielle dans l’économie des services. J’évoque d’ailleurs les PIIEC concernant les puces, les semi-conducteurs, la microélectronique, qui visent à relocaliser la production et les chaînes de valeur dans un objectif industriel d’autonomie stratégique européenne.
Par ailleurs, l’objectif d’un rapport est d’étudier l’efficience de la dépense et de proposer des améliorations, comme nous le faisons pour le crédit d’impôt innovation et le crédit d’impôt recherche.
Enfin, n’étant pas une experte des sujets franco-cubains, je prends bonne note de vos observations et reste à votre disposition pour en discuter.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous en venons aux questions des autres députés.
M. Pascal Lecamp (Dem). Alors que son budget est resté exactement le même entre 2017 et 2024, Business France a accompagné 13 500 personnes, passant de 110 000 à 150 000 exportateurs et générant 3 milliards d’euros supplémentaires. L’opérateur est d’accord pour participer à l’effort, mais une diminution de 10 % de ses crédits est trop importante au moment où l’on réindustrialise et où les entreprises ont le plus besoin d’accompagnement à l’exportation.
Mme Louise Morel, rapporteure pour avis.
Il ne faut pas réduire le rapport à sa position sur la baisse de crédits de 10 millions d’euros pour Business France. Le rapport propose de nombreuses pistes d’amélioration : maintenir et mieux cibler le crédit d’impôt recherche ; conserver intact le crédit d’impôt innovation ; renforcer le programme « Je choisis la French Tech » ; réfléchir à la multiplicité des programmes de la mission French Tech ; achever la réforme de l’IR-PME ; assortir le dispositif Tibi d’un appareil normatif pour garantir l’affectation d’une part des investissements des institutionnels au capital-risque, etc. Il ne s’agit pas d’attaquer l’attractivité de notre pays ; il s’agit, au contraire, de la muscler.
M. Pascal Lecamp (Dem). Cela fait quatre années consécutives que la France est le premier pays destinataire d’investissements directs étrangers (IDE) en Europe. Depuis sa fusion avec Invest in France, Business France est également chargé d’attirer des capitaux étrangers en France. Une baisse de 10 millions d’euros de sa dotation peut mettre en péril certaines activités qui font sa réussite. Attention !
Article 42 et état B : Crédits du budget général
Amendement II-CE19 de Mme Mélanie Thomin
Mme Valérie Rossi (SOC). Il est incompréhensible que Business France n’ait pas les moyens de lutter face à la concurrence agressive de la Chine et à l’Inflation Reduction Act des États-Unis. Nous proposons donc de revenir sur la réduction de 10 millions d’euros de sa subvention, qui doit retrouver son niveau de l’année dernière.
Mme Louise Morel, rapporteure pour avis. Business France est prêt à faire des efforts, mais souhaite avoir l’assurance que les crédits votés ne seront pas ensuite annulés. Il y va de notre crédibilité. Demande de retrait.
M. René Pilato (LFI-NFP). Le NFP a proposé 50 milliards de rentrées fiscales, totalement à rebours de ce qui se fait depuis sept ans. Nous soutiendrons l’octroi des moyens nécessaires pour que nos entreprises soient compétitives.
M. André Chassaigne (GDR). À chaque fois que nous sommes amenés à nous déplacer à l’étranger, nous faisons le même constat : nos ambassades ne disposent pas de suffisamment d’agents chargés du développement économique et des échanges internationaux, contrairement à d’autres pays. Il y a urgence à prévoir des moyens supplémentaires.
M. Pascal Lecamp (Dem). Baisser la dotation d’un opérateur de 10 %, cela va au-delà d’une simple participation à l’effort. Sans faire les marchands de tapis, un amendement à 5 millions d’euros répondrait à la fois à la demande de l’opérateur et à notre volonté de soutenir les entreprises.
Mme Louise Morel, rapporteure pour avis. Les moyens des ambassades relèvent d’un autre programme.
La commission rejette l’amendement.
Après avoir examiné les cinq avis budgétaires se rattachant à la mission Économie, la commission a émis un avis favorable à l’adoption des crédits modifiés de cette mission lors de sa réunion du jeudi 24 octobre 2024.
LISTE DES PERSONNES auditionnÉes
Par ordre chronologique
Secrétariat général pour l'investissement (SGPI)
M. Florent Kirchner, directeur du pôle souveraineté numérique
M. John Palacin, directeur de cabinet
CCI France international
M. Charles Maridor, délégué général
Mme Charafa Chebani, directrice Business Development
Business France
M. Benoît Tivulce, directeur général délégué stratégie et ressources
M. Didier Boulogne, directeur général délégué à l’export
Mme Marie-Cécile Tardieu, directrice générale déléguée Invest
France Digitale
Mme Marianne Tordeux Bitker, directrice des affaires publiques
M. Yann Boulay, responsable des affaires publiques
Direction générale des entreprises
M. Ludovic Pouille, directeur de la direction de la diplomatie économique
Alliance pour la confiance numérique
M. Daniel Le Coguic, président
Mme Elsa Auriol, chargée de mission affaires publiques
BPI France
M. Paul-François Fournier, directeur exécutif, en charge de l’innovation
M. Olivier Vincent, directeur exécutif, en charge de l’export
M. Jean-Baptiste Marin Lamellet, directeur des relations institutionnelles
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire des représentants d’intérêts de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui vise à fournir une information aux citoyens sur les relations entre les représentants d’intérêts et les responsables publics lorsque sont prises des décisions publiques.
([1]) Baromètre France Digital / EY de septembre 2024.
([2]) ACN, rapport sur les « Priorités européennes de la filière » (2024)
([3]) Notamment : le déploiement d’outils digitaux de prospection ; le développement de programmes d’accompagnement collectif intensif « boosters » ; la hausse de la prise en charge de la participation des entreprises françaises sur les Pavillons France des salons internationaux et l’expérimentation d’une offre « Export en France » visant à accompagner les entreprises étrangères souhaitant participer à des évènements en France.
([4]) DG Trésor, « Initiative Tibi : phase 2 et perspectives » (mai 2024).
([5]) Rapport de la Commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale sur l’avenir de la politique industrielle européenne (2021), p. 48 à 53.
([6]) « The future of European competitiveness », rapport remis en septembre 2024 à la présidente de la Commission européenne par Mario Draghi.
([7]) Voir Alliance pour la confiance numérique, « Priorités européennes de la filière » (2024) et le « non-paper » co-signé par France Digitale, « The role of public procurement in the defence of EU digital sovereignty » (2022).
([8]) France Digitale, « Manifeste des startups françaises » (2022).
([9]) Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes (1754).
([10]) Enrico Letta, « Much more than a Market » (2024).