N° 471

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 octobre 2024.

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LE PROJET DE LOI (n° 324)
de finances pour 2025

 

 

 

TOME VIII

 

JUSTICE : ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE
ET PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE

 

PAR M. Romain BAUBRY

Député

——

 

 Voir le numéro : 468 –III –30

En application de l’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), les réponses au questionnaire budgétaire devaient parvenir au rapporteur pour avis au plus tard le 10 octobre 2024 pour le présent projet de loi de finances. À cette date, aucune des réponses au questionnaire budgétaire n’était parvenue à votre rapporteur pour avis.

 

 


SOMMAIRE

___

Pages

PREMIÈRE PARTIE : LES CRÉDITS POUR 2025 DE L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE ET DE LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE

I. UNE PROGRESSION GLOBALE DE 4,8 % DU BUDGET PÉNITENTIAIRE QUI NE PERMETTRA PAS DE RÉPONDRE AUX DIFFICULTÉS STRUCTURELLES QUE RENCONTRENT CETTE ADMINISTRATION ET SES AGENTS

A. une gestion du parc pénitentiaire marquée par des insuffisances caractérisées

1. Une réduction inadmissible des crédits pour la sécurisation et la modernisation du parc pénitentiaire

2. Les crédits accordés à la maintenance et l’entretien des établissements pénitentiaires

3. La construction de nouveaux établissements : des projets nécessaires qui accusent des retards inquiétants

B. une stabilisation des crédits dédiés à la politique de réinsertion des personnes placées sous main de justice

1. Les aménagements de peines et mesures alternatives à l’incarcération

2. La politique de réinsertion et de prévention de la récidive

C. des efforts budgÉtaires insuffisants pour combler les carences de personnel et renforCer l’attractivité des métiers pénitentiaires

1. La création de 349 emplois supplémentaires intégralement affectés aux nouveaux établissements

2. La continuation de la politique d’amélioration catégorielle

II. LES CRÉDITS DE LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE EN AUGMENTATION DE 1,4 %

A. un budget qui ne prévoit aucun effort particulier en direction des personnels

1. Les trois objectifs stratégiques de la protection judiciaire de la jeunesse

2. Une hausse de 2,4 % des dépenses de personnel qui s’explique par l’augmentation du taux de prélèvement de la pension civile

B. Une légère réduction de 0,3 % des crédits de paiement hors masse salariale

1. Les mesures de prise en charge des mineurs délinquants et les mesures d’investigation

2. Les missions de soutien et de formation

SECONDE PARTIE : LA SÉCURISATION DES ÉTABLISSEMENTS PÉNITENTIAIRES : Une Situation Dégradée À Laquelle Il Faut Remédier En Urgence Pour Garantir La Protection Des Agents Pénitentiaires Et De La Société Tout Entière

I. Téléphones, armes et drogues en détention : les « prisons passoires » ne permettent plus d’isoler les détenus du reste de la société

A. Une croissance incontrôlée des intrusions illicites d’objets au sein des établissements pénitentiaires qui menace la sécurité des détentions

1. L’augmentation des saisies de téléphones, d’armes et de drogue

2. La surpopulation carcérale chronique accroît les risques sécuritaires

3. Une intensification des agressions contre les agents pénitentiaires

B. Plusieurs points de faiblesse rendent poreuses les prisons et permettent la multiplication de ces intrusions

1. Les intrusions par projection et livraisons par drone : des faiblesses en lien avec le bâti pénitentiaire et l’implantation géographique des établissements

2. Les intrusions par voie humaine : des faiblesses liées aux protocoles de sécurité et à l’ouverture croissante des prisons aux intervenants extérieurs

II. Si cette problématique sécuritaire est déjà prise en compte par l’administration pénitentiaire, les moyens demeurent largement insuffisants pour faire face à l’ampleur du problème

A. Les différentes techniques et mesures mises en œuvre pour lutter contre les intrusions illicites d’objets EN détention

1. Les différents dispositifs de sécurité pour limiter les projections

2. Le nouvel enjeu de la lutte contre les drones

3. Empêcher les téléphones portables de fonctionner au sein de la détention : la question des brouilleurs

B. Réagir à la crise sécuritaire : des efforts budgétaires supplémentaires et une volonté politique affirmée sont nécessaires pour mettre fin à ce fléau

1. Renforcer la sécurité passive

2. Renforcer la sécurité active

3. Restaurer l’autorité dans les détentions

Examen en commission

I. Audition de M. Didier Migaud, garde des Sceaux, ministre de la Justice

II. Examen pour avis des crédits

Personnes entendues

déplacements

 


 

   PREMIÈRE PARTIE : LES CRÉDITS POUR 2025 DE L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE ET DE LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE

● Concernant l’administration pénitentiaire (programme 107), le budget pour l’année 2025 augmente de 4,8 %, atteignant un total de 4,74 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) et 5,242 milliards d’euros en crédits de paiement (CP).

Les crédits de personnels (titre 2, y compris ceux du compte d’affectation spéciale – CAS – pensions ([1])) s’élèvent à 3,347 milliards d’euros, soit une augmentation d’environ 3,8 % par rapport à l’année précédente, représentant 122 millions d’euros.

Hors masse salariale, les CP alloués à l’administration pénitentiaire s’élèvent à 1,895 milliard d’euros, soit une hausse de 6,5 %, représentant 117 millions d’euros. Parmi ces crédits, les dépenses de fonctionnement (titre 3) croissent de 1 %, passant de 1,244 à 1,257 milliard d’euros. Les dépenses d’investissement (titre 5) augmentent de près de 20 %, passant de 519 à 622 millions d’euros. Les dépenses d’intervention (titre 6) demeurent, quant à elles, stables, à hauteur de 15 millions d’euros.

● Concernant la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ, programme 182), le budget pour l’année 2025 augmente de 1,4 %, atteignant un total de 1,141 milliard d’euros.

Les crédits de personnels (y compris ceux du CAS pensions) s’élèvent à 686 millions d’euros pour 2025, soit une augmentation de 2,4 % par rapport à l’exercice précédent, représentant 16 millions d’euros.

Les crédits hors titre 2 ([2]) de la protection judiciaire de la jeunesse s’élèvent à 454,5 millions d’euros, soit une réduction de 0,3 % par rapport à 2024.


I.   UNE PROGRESSION GLOBALE DE 4,8 % DU BUDGET PÉNITENTIAIRE QUI NE PERMETTRA PAS DE RÉPONDRE AUX DIFFICULTÉS STRUCTURELLES QUE RENCONTRENT CETTE ADMINISTRATION ET SES AGENTS

En 2025, les crédits de l’administration pénitentiaire continuent d’augmenter, avec une progression globale des CP du programme 107 « Administration pénitentiaire » de 4,8 % par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2024.

(AE, en millions d’euros)

 

Crédits votés en LFI pour 2024

Crédits demandés pour 2025

Évolution 2024-2025

Garde et contrôle des personnes placées sous main de justice (Action 01)

3 659

3 447

- 5,8 %

Accueil et accompagnement des personnes placées sous main de justice (Action 02)

2 720

854

- 68,6 %

Soutien et formation (Action 04)

435

439

+ 0,9 %

Total

6 814

4 740

- 30,4 %

 

(CP, en millions d’euros)

 

 

 

Crédits votés en LFI pour 2024

Crédits demandés pour 2025

Évolution 2024-2025

Garde et contrôle des personnes placées sous main de justice (Action 01)

3 439

3 645

+ 6 %

Accueil et accompagnement des personnes placées sous main de justice (Action 02)

1 129

1 158

+ 2,6 %

Soutien et formation (Action 04)

435

439

+ 0,9 %

Total

5 003

5 242

+ 4,8 %

Source : projet annuel de performances du programme « Administration pénitentiaire » annexé au projet de loi de finances pour 2025, p. 25.

En incluant les dépenses relatives aux pensions, le budget de l’administration pénitentiaire s’élève à 5,242 milliards d’euros en CP, ce qui représente une hausse de 239 millions d’euros par rapport à l’année dernière. Hors dépenses relatives aux pensions, le budget 2025 s’élève à 4,1 milliards d’euros, en hausse d’environ 200 millions d’euros par rapport à la LFI votée pour 2024.

Cette évolution s’inscrit dans la continuité des précédentes LFI, avec des évolutions de +2,2 % en 2018, +5,7 % en 2019, +6,2 % en 2020, +7,8 % en 2021, +7,4 % en 2022, +7,5 % en 2023 et +1,5 % en 2024.

Malgré ces augmentations budgétaires successives, les organisations syndicales pénitentiaires, comme l’ensemble des agents – des surveillants aux directeurs – dressent unanimement le portrait accablant d’une administration en détresse, confrontée à des difficultés grandissantes. Difficultés dont votre rapporteur pour avis a lui-même fait le constat au cours de ses déplacements sur le terrain.

Par ailleurs, pour l’année 2025, les AE connaissent une chute spectaculaire d’environ 30 %. Votre rapporteur y voit un élément d’inquiétude supplémentaire, menaçant la pérennité des budgets pénitentiaires, en particulier pour ceux qui concernent le programme immobilier de construction de nouveaux établissements.

A.   une gestion du parc pénitentiaire marquée par des insuffisances caractérisées

1.   Une réduction inadmissible des crédits pour la sécurisation et la modernisation du parc pénitentiaire

Pour 2025, les moyens alloués à la sécurisation des établissements pénitentiaires atteignent 67,2 millions d’euros en CP ([3]), contre 83,7 millions d’euros l’année précédente, soit une baisse de près de 20 %.

En temps normal, une telle baisse serait déjà incompréhensible. Compte tenu du drame d’Incarville survenu en mai dernier, mais aussi plus globalement de l’état sécuritaire extrêmement préoccupant des établissements pénitentiaires, votre rapporteur estime que cette coupe budgétaire est parfaitement inadmissible.

Ces crédits sont répartis entre différentes mesures de sécurité active (28,9 millions en CP) :

– l’achat de divers équipements de sécurité : portiques de sécurité à l’entrée et à la sortie des bâtiments, véhicules, armes, munitions et gilets pare‑balles, notamment (14,4 millions d’euros, à la même hauteur que l’année précédente) ;

– le déploiement du programme « mobilité », qui vise à doter les personnels de surveillance d’un terminal mobile polyvalent leur permettant d’assurer leurs différents types de communication (émetteur/récepteur, téléphone, messagerie) ainsi que la gestion des alarmes, et de disposer d’un accès à distance aux différentes applications (10,5 millions d’euros, contre 18,5 millions en 2024) ;

– le déploiement des caméras piétons (4 millions d’euros, à la même hauteur que l’année dernière).

Sont aussi concernées des mesures de sécurité passive (38,3 millions d’euros en CP) :

– la poursuite du déploiement de dispositifs de détection et de neutralisation des communications illicites (DNCI) et la mise à jour des dispositifs déjà installés afin de brouiller également les réseaux de téléphonie mobile 5G (20 millions d’euros, contre 29 millions en 2024, soit une baisse de 31 %) ;

– la lutte contre les drones malveillants (2,3 millions d’euros, contre 2,8 millions en 2024, soit une baisse de 18 %) ;

– la sécurisation périmétrique des établissements pénitentiaires (1 million d’euros, au même niveau que l’année précédente) ;

– la vidéosurveillance (4 millions d’euros, au même niveau qu’en 2024) ;

– l’amélioration des systèmes de sûreté informatique (11 millions d’euros, contre 10 millions l’année dernière).

Votre rapporteur constate en outre que, contrairement aux années précédentes, le projet annuel de performances annexé au PLF pour 2025 ne précise pas la ventilation de ces montants entre les différentes mesures de sécurité active et passive. Ces précisions lui ont été apportées par la direction de l’administration pénitentiaire à la suite des auditions conduites.

Sur le terrain pourtant, les besoins sont colossaux en matière de sécurisation des établissements pénitentiaires et de leurs abords. La plupart des établissements sont envahis par les projections ou les livraisons par drone, quand les deux phénomènes ne se cumulent pas. La sécurisation périmétrique est insuffisante pour empêcher les intrusions et les projections manuelles ou mécaniques. Ces différentes problématiques, qui feront l’objet d’un développement spécifique dans la seconde partie du présent rapport, illustrent la crise sécuritaire que rencontre aujourd’hui notre système pénitentiaire. Crise qui a conduit au drame d’Incarville au mois de mai dernier et à l’assassinat commandité depuis la prison d’Aix-en-Provence en octobre dernier. Le budget envisagé pour l’année 2025 est insuffisant pour répondre à cette situation et pousse l’inconscience jusqu’à réduire les crédits alloués à la sécurisation des établissements, au péril des agents pénitentiaires et de la société tout entière.

2.   Les crédits accordés à la maintenance et l’entretien des établissements pénitentiaires

Parmi les dépenses de fonctionnement de l’action 01, la maintenance des établissements pénitentiaires est dotée cette année, comme l’année dernière, de 37 millions d’euros en CP.

En outre, parmi les dépenses d’investissement de cette même action, environ 120 millions en CP ([4]) sont prévus au titre des opérations d’entretien et de maintenance des établissements pénitentiaires : mise en accessibilité, adaptation des locaux des équipes locales de sécurité pénitentiaire (ELSP), réaménagement du secteur des quartiers d’isolement et disciplinaire de la maison centrale d’Ensisheim, rénovation des cellules et façades du centre pénitentiaire de Grenoble et rénovation des toitures et espaces sanitaires de la maison d’arrêt de Rouen.

Si ces budgets ont augmenté ces dernières années, après avoir longtemps été honteusement sous-estimés, ils demeurent insuffisants au regard de la vétusté de nombre d’établissements pénitentiaires, dégradant les conditions de détention et donc également les conditions de travail des personnels.

3.   La construction de nouveaux établissements : des projets nécessaires qui accusent des retards inquiétants

Parmi les crédits d’investissement de l’action 01 ([5]), 414,8 millions d’euros, en CP, sont alloués aux opérations de construction menées par l’Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ) au titre du programme immobilier pénitentiaire, dit « plan 15 000 ».

Au 1er juillet 2024, selon le projet annuel de performance annexé au PLF, 4 521 places nettes avaient été mises en service, soit 1 750 de plus qu’il y a un an ([6]) : il est ironique de constater que ce total, fièrement affiché, comprend les 406 places du centre de détention de Fleury-Mérogis qui ne sont aujourd’hui pas opérationnelles. Inauguré en grande pompe par le précédent Garde des Sceaux en octobre 2023, ce centre de détention n’aura hébergé qu’une petite centaine de détenus pendant quelques mois seulement, avant d’être contraint de fermer en raison de l’absence d’eau chaude. Votre rapporteur ne peut que s’étonner qu’une telle malfaçon n’ait pu être anticipée et vienne ainsi ralentir l’avancement du « plan 15 000 ».

Les perspectives ne sont pas plus rassurantes : parmi les 28 opérations encore prévues dans le cadre de ce plan, 9 seulement sont en cours. Les 19 autres restent, au mieux, à la phase de conception, au pire, à la phase des études préalables. Pour l’année 2025, seules trois nouvelles ouvertures d’établissement sont prévues : le centre pénitentiaire Les Baumettes 3, la structure d’accompagnement vers la sortie (SAS) de Ducos et l’agrandissement de la maison d’arrêt de Nîmes.

Votre rapporteur rappelle, en outre, qu’en 2023 la loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice (LOPMI) ([7]) a entériné la création de 3 000 places supplémentaires, portant à 18 000 créations nettes l’objectif poursuivi par le programme de construction. Pourtant, un an plus tard, le PLF pour 2025 ne tient aucun compte de ces 3 000 places supplémentaires.

Au regard de ces différents éléments, la réalisation du programme immobilier pénitentiaire ne semble absolument pas garantie et votre rapporteur ne peut que déplorer les difficultés rencontrées dans son déploiement. Il reprend à son compte les conclusions avancées l’année dernière par son ancien collègue Patrick Hetzel, alors rapporteur spécial du budget de la mission Justice : « Ce calendrier laisse d’ailleurs peu de doute sur le fait que les dernières places seront livrées au-delà de cette échéance – ce qui est désastreux puisque le Président de la République s’était déjà engagé dès 2017 pour la création de 15 000 places supplémentaires d’ici à 2022. Il faudra probablement plus de deux quinquennats pour mener à bien ce projet, ce qui est regrettable et ne permet pas d’avoir une politique carcérale à la hauteur des enjeux. » ([8]).

B.   une stabilisation des crédits dédiés à la politique de réinsertion des personnes placées sous main de justice

S’agissant des différentes actions de réinsertion des personnes placées sous main de justice, les crédits prévus pour 2025 représentent 173,8 millions d’euros, en légère baisse de 0,7 % pour la deuxième année consécutive.

1.   Les aménagements de peines et mesures alternatives à l’incarcération

Les CP destinés au financement des aménagements de peines et des mesures alternatives à l’incarcération s’élèveront en 2025 à 52 millions d’euros en CP et en AE ([9]), soit une légère augmentation de 0,4 % par rapport à 2024.

Ces crédits se répartissent entre :

– les mesures liées à la surveillance électronique (27,6 millions d’euros, identiques à l’année précédente) ;

– le bracelet anti-rapprochement (BAR) ([10]) (10,6 millions d’euros, soit une hausse d’environ 2 %) ;

– le placement à l’extérieur (13,8 millions d’euros, soit une diminution de 0,7 %([11])).

2.   La politique de réinsertion et de prévention de la récidive

En 2025, les crédits alloués à la politique de réinsertion des personnes placées sous main de justice représentent 121,8 millions d’euros, soit une réduction d’un peu plus d’1 % par rapport à 2024.

Ces crédits financent la mise en œuvre de plusieurs mesures de l’action 02 ([12]) du programme 107 « Administration pénitentiaire ».

Ils financent tout d’abord des dépenses de fonctionnement pour un total de 106,8 millions d’euros, soit une baisse de 0,6 %. Ces crédits sont répartis, entre les mesures suivantes :

– le travail au titre du service général (51,1 millions d’euros) ;

– l’insertion professionnelle des personnes détenues (20,5 millions d’euros) ;

– les autres actions de réinsertion, essentiellement mises en œuvre par les services pénitentiaires d’insertion et de probation (19,8 millions) ;

– la mise en œuvre de la réforme du travail pénitentiaire (10 millions d’euros) ;

– le renforcement des prises en charge collectives en milieu ouvert (4 millions d’euros) ;

– le partenariat avec l’Éducation nationale pour l’enseignement (1,4 million d’euros).

Ces crédits comprennent en outre des dépenses d’intervention pour un total de 15 millions d’euros, soit une baisse de 5 % par rapport à l’année dernière. Ces dépenses sont consacrées à la lutte contre la pauvreté à travers les aides aux indigents (8 millions d’euros) et aux subventions aux associations, destinées à financer notamment les activités culturelles et sportives des personnes détenues (7 millions d’euros).

C.   des efforts budgÉtaires insuffisants pour combler les carences de personnel et renforCer l’attractivité des métiers pénitentiaires

Pour l’année 2025, les crédits du titre 2 alloués à l’administration pénitentiaire s’élèvent à 3,347 milliards d’euros (CAS pensions compris) en AE et en CP. En augmentation de 122 millions d’euros par rapport à 2024, soit une progression de 3,8 %, les crédits de personnel concentrent les hausses budgétaires effectuées.

Cette évolution est, en réalité, liée à la création de 349 emplois supplémentaires, ainsi qu’à la continuation des mesures catégorielles.

1.   La création de 349 emplois supplémentaires intégralement affectés aux nouveaux établissements

Passant de 44 870,25 à 45 244,86 équivalents temps plein travaillé (ETPT), le plafond d’emplois de l’administration pénitentiaire progresse de 374,61 ETPT en 2025, dont 97,53 au titre des créations nettes d’emplois et 279,75 au titre de l’extension en année pleine du schéma d’emploi 2024 ([13]).

La création de 349 nouveaux emplois se répartit entre 305 personnels de surveillance, 17 personnels d’encadrement, 23 personnels administratifs et techniques et 4 personnels des services de probation et d’insertion pénitentiaire ([14]).

L’intégralité de ces emplois sera affectée aux établissements nouvellement ouverts en 2025 : aucun emploi n’est donc prévu pour renforcer les équipes déjà en place, qui souffrent pourtant d’un déficit structurel de personnels et sont souvent dans l’incapacité d’effectuer l’intégralité de leurs missions.

Votre rapporteur s’inquiète particulièrement de cette carence. On estime qu’il manque aujourd’hui 2 600 personnels pénitentiaires. Or, comme l’a expliqué le directeur de l’administration pénitentiaire lors de son audition, cette estimation est calculée en fonction du nombre théorique de 62 000 détenus et selon un schéma de 39 heures travaillées par semaine. La réalité est donc encore plus alarmante et ce sont sans doute près de 4 000 personnels qui font aujourd’hui défaut à nos prisons pour fonctionner correctement.

S’il est évident qu’il n’est pas possible de rattraper ce retard en un seul budget, votre rapporteur ne peut que constater l’absence de volonté de combler ce manque de personnel. En effet, l’intégralité des emplois supplémentaires ouverts pour l’année 2025 a vocation à être affectés aux nouveaux établissements. Aucun recrutement n’est prévu pour commencer à rattraper cette carence structurelle de personnels dans les établissements existants.

Au-delà des chiffres, cette situation dégrade chaque jour les conditions de travail des agents pénitentiaires et les empêche d’effectuer pleinement leurs missions. Les ELSP en constituent un exemple frappant : débordées par les extractions médicales à assurer, elles sont majoritairement dans l’incapacité de mener, par exemple, des actions de sécurisation périmétrique des établissements ou des opérations de fouilles ciblées de cellules.

2.   La continuation de la politique d’amélioration catégorielle

La politique d’amélioration catégorielle est dotée pour 2025 d’une enveloppe de 26,7 millions d’euros, dont 24,4 millions sont affectés à la poursuite de la réforme de la filière de surveillance, notamment le passage des surveillants pénitentiaires en catégorie B.

Votre rapporteur pour avis se réjouit de cette réforme, puisqu’il réclamait de ses vœux depuis septembre 2022 une revalorisation statutaire importante du cadre d’emploi et estime que cela contribue à la reconnaissance d’un métier difficile. Il considère toutefois que ces métiers pâtissent encore d’un manque d’attractivité qui menace la pérennité du fonctionnement de cette administration essentielle et qui perdurera si les conditions de travail et leur articulation avec la vie sociale et familiale des agents ne s’améliorent pas.

*

*     *

S’il faut bien sûr constater que le budget de l’administration pénitentiaire augmente une nouvelle fois en 2025, votre rapporteur souligne que cette hausse en trompe-l’œil n’est malheureusement pas la traduction d’une politique volontariste au service des personnels, mais découle uniquement de deux dynamiques : d’une part, les augmentations quasi-automatiques des dépenses de fonctionnement ; d’autre part, les dépenses de personnels et d’investissement engendrées par la poursuite du plan 15 000. Pourtant, dans le cadre de ce plan, seules trois ouvertures d’établissement sont prévues l’année prochaine et il paraît de plus en plus évident que la date de 2027 pour l’aboutissement du programme immobilier ne sera pas tenue.

Aucun effort nouveau n’est au final consenti. Aucun crédit ou presque ne viendra améliorer concrètement le quotidien des agents pénitentiaires qui sont confrontés à des conditions de travail chaque jour plus dégradées. Aucun investissement n’est fait pour apporter une réponse pérenne et ambitieuse, à la hauteur de la gravité du drame d’Incarville au cours duquel deux surveillants pénitentiaires ont été assassinés.

En définitive, ce budget traduit clairement un manque d’ambition pour cette administration et ses agents.

 


II.   LES CRÉDITS DE LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE EN AUGMENTATION DE 1,4 %

Le programme 182 « Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) » voit son budget augmenter légèrement pour l’année 2025. Il est doté de 16 millions d’euros supplémentaires en CP, soit une augmentation de 1,4 % par rapport à l’année précédente. Le budget total de la PJJ s’établit ainsi à 1,141 milliard d’euros en CP.

(AE, en millions d’euros)

 

Crédits votés en loi de finances pour 2024

Crédits demandés pour 2025

Évolution 2024-2025

Mise en œuvre des décisions judiciaires
(Action 01)

979

977

- 0,2 %

Soutien (Action 03)

136

136

/

Formation (Action 04)

45

47

+ 4,4 %

Total

1 160

1 160

/

(CP, en millions d’euros)

 

Crédits votés en loi de finances pour 2024

Crédits demandés pour 2025

Évolution 2024-2025

Mise en œuvre des décisions judiciaires
(Action 01)

949

961

+ 1,3 %

Soutien (Action 03)

131

133

+1,5 %

Formation (Action 04)

45

47

+ 4,4 %

Total

1 125

1 141

+ 1,4 %

(en millions d’euros)

Source : projet annuel de performances du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » annexé au PLF pour 2025, p. 16.

A.   un budget qui ne prévoit aucun effort particulier en direction des personnels

1.   Les trois objectifs stratégiques de la protection judiciaire de la jeunesse

Le projet annuel de performances, annexé au PLF pour 2025, met en avant les trois objectifs autour desquels la direction de la PJJ a organisé sa stratégie 2023-2027 :

– affirmer la place de la PJJ dans la coordination de la justice des mineurs ;

– rénover les dispositifs de prise en charge pour s’adapter aux besoins des mineurs et éviter les ruptures de parcours ;

– construire une PJJ exemplaire pour sécuriser l’exercice des missions.

2.   Une hausse de 2,4 % des dépenses de personnel qui s’explique par l’augmentation du taux de prélèvement de la pension civile

Les crédits du titre 2 s’élèvent à 686 millions d’euros pour l’année 2025 (CAS pensions compris), contre 670 millions l’année dernière. Ils sont donc en augmentation de 16 millions d’euros, soit une hausse de 2,4 %.

Cette hausse s’explique très majoritairement par l’augmentation de 4 points du taux de prélèvement de la pension civile qui conduit à un accroissement automatique des crédits du CAS.

Hors CAS pensions, les crédits du titre 2 n’augmentent en effet que très modestement : ils s’élèvent pour l’année 2025 à 497 millions d’euros, progressant de 0,6 % par rapport à 2024.

Contrairement à l’exercice précédent, aucune création d’emploi n’est prévue : le schéma d’emploi de la PJJ est donc neutre pour 2025.

B.   Une légère réduction de 0,3 % des crédits de paiement hors masse salariale

Les crédits hors titre 2 de la PJJ s’élèvent pour l’année 2025 à 474,2 millions d’euros en AE et à 454,5 millions d’euros en CP. Ils connaissent donc une double réduction par rapport à la LFI pour 2024 : de 3,4 % pour les AE et de 0,3 % pour les CP.

1.   Les mesures de prise en charge des mineurs délinquants et les mesures d’investigation

Regroupées au sein de l’action 01 ([15]), ces mesures bénéficient de 419,5 millions d’euros en CP (hors titre 2), en diminution de 0,8 million par rapport à l’année 2023, ce qui représente une baisse de 0,2 %.

Parmi ces crédits, 293,2 millions d’euros sont affectés au secteur associatif habilité (en diminution de 2,2 %) et 126,4 millions d’euros le sont au secteur public (en augmentation de 4,9 %) ([16]).

Concernant le secteur associatif habilité, ce budget permet le financement de 38 centres éducatifs fermés, 46 centres éducatifs renforcés, 28 autres structures d’hébergement habilitées et financées exclusivement par l’État, 40 services de réparation pénale et 98 services d’investigation éducative.

Concernant le secteur public, les crédits se répartissent entre :

– les dépenses hors immobilier, qui concernent le fonctionnement (36,8 millions d’euros pour l’alimentation, les activités éducatives, les frais de déplacement et de véhicules et les dépenses informatiques notamment) et l’investissement (5 millions d’euros pour l’acquisition de véhicules automobiles) ;

– les dépenses d’intervention (19 millions d’euros pour les subventions versées aux associations intervenant dans le champ de la protection de l’enfance et de l’enfance délinquante, les actions de justice de proximité, la rémunération des stagiaires ou encore les indemnités versées aux familles d’accueil) ;

– les dépenses du propriétaire (31,3 millions d’euros dédiés principalement aux travaux de maintenance lourde et de restructuration sur l’immobilier) ;

– les dépenses de l’occupant (34,3 millions d’euros pour les loyers et les travaux d’entretien courant notamment).

2.   Les missions de soutien et de formation

Dotée, en CP, de 22,5 millions d’euros (hors titre 2) en 2025, contre 23,6 millions en 2024, l’action 03 ([17]) du programme, qui vise à financer la fonction support de pilotage, de gestion, d’animation et de coordination, voit ses crédits diminuer de 4,7 %.

Cette évolution s’explique principalement par la réduction de 12 % des dépenses immobilières (loyers et entretien des locaux des directions interrégionales et des directions territoriales de la PJJ) qui passent de 13,54 millions en CP en 2024 à 11,9 millions pour l’année 2025. Les dépenses hors immobilier (dépenses des administrations centrales, interrégionales et territoriales) connaissent, quant à elles, une hausse de 0,5 million d’euros pour s’établir à 10,6 millions en CP pour 2025.

Enfin, l’action 04 ([18]), qui concerne la formation assurée par l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ), voit ses crédits augmenter de 4 % par rapport à 2024, passant de 12 à 12,5 millions d’euros en CP (hors titre 2).

*

*     *

Votre rapporteur prend acte de l’évolution budgétaire du programme 182 « Protection judiciaire de la jeunesse ». Si les CP continuent d’augmenter, il s’inquiète toutefois d’une ambition insuffisante pour répondre aux enjeux posés aujourd’hui par la délinquance des mineurs.


   SECONDE PARTIE :
LA SÉCURISATION DES ÉTABLISSEMENTS PÉNITENTIAIRES : Une Situation Dégradée À Laquelle Il Faut Remédier En Urgence Pour Garantir La Protection Des Agents Pénitentiaires Et De La Société Tout Entière

Au cours de ses déplacements, votre rapporteur a constaté que tous les établissements visités présentaient des carences en termes de sécurité. Le sous‑financement chronique des mesures de sécurisation, combiné à la multiplication des risques induite par la surpopulation carcérale, conduit aujourd’hui à une véritable crise sécuritaire.

Du drame d’Incarville qui a coûté la vie à deux agents pénitentiaires à l’assassinat commandité depuis une cellule du centre pénitentiaire d’Aix‑en‑Provence, les infractions orchestrées depuis le sein des détentions se multiplient et s’aggravent.

Drogues, armes, téléphones : les objets illicites deviennent monnaie courante dans les établissements. Alors que la prison est censée protéger la société en mettant criminels et délinquants hors d’état de nuire, elle se révèle aujourd’hui complètement poreuse. Les détenus sont en lien permanent avec l’extérieur et peuvent ainsi continuer leurs exactions depuis leur cellule.

Sur le terrain, ces constats alarmants sont partagés par les personnels pénitentiaires, qu’ils soient agents de surveillance ou directeur interrégional. Si des mesures sont mises en œuvre et si les personnels font de leur mieux pour endiguer ces phénomènes, les moyens budgétaires sont cruellement insuffisants, dénotant l’absence d’une réelle volonté politique d’agir pour améliorer concrètement la sécurité de nos prisons.

I.   Téléphones, armes et drogues en détention : les « prisons passoires » ne permettent plus d’isoler les détenus du reste de la société

A.   Une croissance incontrôlée des intrusions illicites d’objets au sein des établissements pénitentiaires qui menace la sécurité des détentions

1.   L’augmentation des saisies de téléphones, d’armes et de drogue

● Comme l’a indiqué le directeur de l’administration pénitentiaire lors de son audition, les saisies de téléphone sont en augmentation ; certaines opérations de contrôle ou de fouille permettent même parfois de saisir une centaine de téléphones en une fois. À Fleury-Mérogis par exemple, les responsables syndicaux locaux indiquent qu’une cinquantaine de téléphones peuvent être saisis par jour ; pour eux, 90 à 95 % des personnes détenues ont un téléphone portable en leur possession.

Nombre de téléphones portables et accessoires saisis en détention

DISP

2021

2022

2023

Au 01/09/2024

BORDEAUX

2946

2693

3685

3373

DIJON

1888

1581

3564

3091

DSPOM

1345

1100

4658

1438

LILLE

2561

5063

1747

4474

LYON

7082

5274

6128

6816

MARSEILLE

4033

4859

6698

3428

PARIS

6955

6868

12105

13453

RENNES

3622

4395

5418

3579

STRASBOURG

2697

2187

3565

2361

TOULOUSE

2476

3853

5313

3321

TOTAL

35605

37873

52881

45334

Source : direction de l’administration pénitentiaire

 

Ces chiffres stupéfiants illustrent la porosité actuelle des prisons : les détenus, censés être isolés de la société, sont en réalité en lien direct et permanent avec l’extérieur de l’établissement. Ces contacts sont loin d’être innocents : en réalité, les harceleurs peuvent continuer de harceler leurs victimes, les trafiquants peuvent continuer de gérer leurs affaires, les criminels peuvent même commanditer des assassinats. Ce sont les téléphones, aussi, qui permettent de diffuser les informations et d’organiser les évasions, comme cela s’est dramatiquement traduit avec celle de Mohamed Amra en mai dernier.

● Les saisies de drogue semblent elles aussi connaître un accroissement continu ces dernières années.

NomBre de saisies de produits stupéfiants en détention

DISP

2021

2022

2023

Au 01/09/2024

BORDEAUX

1 073

1 204

1 740

1490

DIJON

1 094

1 007

1 479

970

LILLE

1 398

2 223

2 457

1517

LYON

2 417

2 168

2 013

1387

MARSEILLE

2 133

2 519

2 971

2002

DSPOM

985

473

957

1015

PARIS

2 596

2 830

3 687

2281

RENNES

1 736

2 338

2 871

2002

STRASBOURG

1 080

1 249

1 562

919

TOULOUSE

846

1 473

1 805

998

TOTAL

15 358

17 484

21 542

14581

Source : direction de l’administration pénitentiaire

À Lyon-Corbas, par exemple, la directrice de l’établissement témoigne que ce sont 15 à 20 kilos de stupéfiants qui sont saisis chaque année. Et il ne s’agit pas seulement de produits dérivés du cannabis. Les personnels de la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré témoignent en effet être régulièrement confrontés à l’arrivée en détention de nouvelles drogues de synthèse inconnues. Les produits doivent alors être identifiés pour permettre ensuite de cibler les trafics et de permettre, le cas échéant, la prise en charge médicale des détenus qui en auraient besoin.

Au-delà des enjeux sanitaires liés à la consommation, la présence de drogues conduit à un double problème sécuritaire :

– d’une part, certains comportements peuvent devenir irrationnels et être très difficiles à prendre en charge pour les personnels ;

– d’autre part, la distribution des produits s’organise nécessairement en trafics qui impliquent des relations inégales et parfois violentes entre les détenus.

● Bien sûr, parmi les intrusions d’objets, celle des armes présente des risques plus aigus encore en matière de sécurité. Là encore, les chiffres montrent que l’administration ne parvient pas totalement à endiguer ce problème.

Armes saisies en détention

 

2022

2023

Au 10/10/2024

Armes à feu

1

1

2

Armes artisanales

1 440

1 982

1 486

Armes blanches

600

626

345

TOTAL

2 041

2 609

1 833

 Source : direction de l’administration pénitentiaire

2.   La surpopulation carcérale chronique accroît les risques sécuritaires

De la même manière qu’elle complique toute la prise en charge des personnes détenues, la surpopulation carcérale accroît l’insécurité, pour les agents pénitentiaires comme pour les détenus eux-mêmes.

Comme le souligne le directeur de l’administration pénitentiaire, plus le nombre de détenus dont un personnel doit assurer la surveillance est élevé, plus la capacité de sécurisation est diminuée. Quand un surveillant doit faire une fouille de cellule occupée depuis plusieurs mois par trois personnes au lieu d’une, la fouille est nécessairement plus difficile et donc, le plus souvent, moins fructueuse. De plus, les agents ont de moins en moins le temps de s’atteler à ce type de vérifications, pourtant nécessaires à la sécurité.

La surpopulation a même des conséquences sur les établissements qui ne devraient pas être concernés. Par exemple, pour désencombrer d’autres établissements, la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré, à l’origine spécialisée dans l’accueil des auteurs d’infractions à caractère sexuel, doit désormais accueillir des profils très différents et, parfois, plus difficiles. Comme en ont témoigné les personnels, cela complique grandement la gestion de la détention et crée des tensions entre les détenus et avec les agents.

3.   Une intensification des agressions contre les agents pénitentiaires

Du 1er janvier au 31 juillet 2024, 3 186 faits de violence physique à l’encontre des personnels pénitentiaires ont été recensés contre 2 743 faits en 2023 sur la même période, soit un accroissement de près de 18 %.

Les violences commises sans arme demeurent majoritaires (61 % du total violences physiques). Les crachats et morsures sont au second rang des violences physiques sur le personnel (17 % des violences physiques). Les violences avec arme concernent tout de même 5 % de l’ensemble des violences physiques recensées, soit 156 faits.

nombre et typologie des violences commises à l’encontre des personnels

 

année 2023

au 31 juillet 2024

Violences verbales

20 778

15 360

Violences physiques

4 897

3 185

     dont prises d’otage

1

1

     dont agressions sexuelles

60

33

     dont agressions armées

243

156

     dont coups ou bousculades

2 993

1 937

     dont crachat ou morsure

813

557

     dont projections d’objet

787

501

Total des violences recensées

25 675

18 545

 Source : direction de l’administration pénitentiaire

Lors de la visite du centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan, votre rapporteur a constaté l’augmentation des violences contre les personnels : 183 agressions physiques ont eu lieu en 2023 et, à la mi-novembre 2024, on comptait cette année déjà 250 agressions de ce type.  

À l’occasion de son audition, M. Cyril Huet-Lambing, secrétaire général national adjoint du Syndicat pénitentiaire des surveillants (SPS) soulignait en outre que les agressions subies par les agents sont de plus en plus violentes. Elles se doublent en outre d’un accroissement des agressions commises à l’extérieur des établissements.

Selon la direction de l’administration 60 agressions hors des prisons ont été recensées (37 agressions physiques, 23 agressions verbales) en 2023. Du 1er janvier eu 31 juillet 2024, 33 faits ont déjà été comptabilisés (23 agressions physiques et 10 agressions verbales).

En sus des risques physiques encourus, les agents pénitentiaires voient, de manière générale, leurs conditions de travail dégradées par ce climat de tensions et cet accroissement des agressions à leur encontre. Cela participe évidemment du manque d’attractivité de cette administration et nourrit le mal-être de certains de ses agents.

B.   Plusieurs points de faiblesse rendent poreuses les prisons et permettent la multiplication de ces intrusions

1.   Les intrusions par projection et livraisons par drone : des faiblesses en lien avec le bâti pénitentiaire et l’implantation géographique des établissements

● Inexistant il y a 20 ou 30 ans, le phénomène des projections touche aujourd’hui de manière massive la quasi-totalité des établissements. Ces dernières années, leur croissance est exponentielle.

Nombre de projections récupérées par les personnels pénitentiaires

DISP

2022

2023

Au 01/09/2024

BORDEAUX

1034

1 323

1727

DIJON

1335

1 638

1483

DSPOM

668

731

784

LILLE

986

2 493

2214

LYON

634

2 958

3905

MARSEILLE

391

503

628

PARIS

446

2 236

7565

RENNES

1699

2 158

3366

STRASBOURG

854

928

1098

TOULOUSE

776

1 754

1389

TOTAL NATIONAL

8 823

16 722

24 159

 Source : direction de l’administration pénitentiaire

La quantité de projections dépend de l’accessibilité de l’établissement pénitentiaire. À l’extérieur, plus les murs d’enceinte sont accessibles, plus les projections sont faciles à réaliser. À l’intérieur, plus les murs d’enceinte sont proches des zones de détention (cellules, cours de promenade…), plus les projections sont faciles à récupérer.

● Aux projections viennent s’ajouter les livraisons par drone : ce phénomène, bien plus récent, connaît lui aussi un essor inquiétant.

Nombre de livraisons par drone repérées

DISP

2021

2022

2023

2024

DSPOM

1

5

2

3

MARSEILLE

2

4

22

38

LYON

0

3

114

45

TOULOUSE

2

2

11

5

PARIS

0

8

23

39

BORDEAUX

0

1

16

27

DIJON

0

1

25

34

STRASBOURG

0

7

86

145

LILLE

0

23

14

30

RENNES

0

10

19

23

TOTAL

5

64

332

389

dont interceptées

2

23

167

215

Source : direction de l’administration pénitentiaire

Votre rapporteur tient à préciser que ces chiffres ne tenant compte que des drones repérés, ils sont sans doute très largement sous-estimés par rapport aux réalités vécues dans les établissements. À Lyon-Corbas par exemple, les responsables syndicaux estiment que les survols sont quotidiens et expliquent que les drones volant toutes lumières éteintes pendant la nuit, ceux-ci ne sont en fait que très rarement repérés.

● En fonction de son implantation géographique et des spécificités du bâti, chaque établissement n’est pas confronté à ces problèmes dans les mêmes proportions.

L’étalement du domaine pénitentiaire de Fleury-Mérogis permet ainsi d’éviter les projections. À l’inverse, la maison d’arrêt de Lyon-Corbas est très peu étanche aux projections. Le glacis est entouré d’un grillage qui est facilement découpé et franchi, puis les projeteurs se placent au pied du mur et envoient directement les marchandises. Les surveillants estimaient les projections à une centaine de colis par nuit.

Cette conception du bâti revêt une importance toute particulière puisque le programme 107 finance actuellement un plan immobilier censé permettre la création de 18 000 nouvelles places d’ici 2027. Il est primordial que chaque nouvelle construction prenne en compte ces enjeux de protection des bâtiments pénitentiaires contre les projections et livraisons par drone. L’exemple du nouveau bâtiment de la maison d’arrêt de Bordeaux-Gradignan est à ce niveau prometteur puisqu’il intègre les glacis à l’intérieur des murs d’enceinte, ce qui permet d’éloigner considérablement les zones où se trouvent les personnes détenues de celles où peuvent se placer les projeteurs. Si tout n’est pas parfait puisque les représentants syndicaux déploraient tout de même des projections, l’intégration des glacis dans l’enceinte pénitentiaire permet de limiter ce phénomène.

2.   Les intrusions par voie humaine : des faiblesses liées aux protocoles de sécurité et à l’ouverture croissante des prisons aux intervenants extérieurs

● Les parloirs sont sans doute la zone d’intrusion la plus ancienne et la plus évidente. Les familles ou autres visiteurs apportent ainsi des objets autorisés aux personnes en détention et peuvent être tentées d’en profiter pour ajouter des objets non autorisés. Dans la plupart des établissements, les détenus n’ont pas accès à une buanderie et font donc transiter leur linge, sale et propre, par les parloirs. Les agents se retrouvent à gérer d’énormes sacs de linge qui sont difficiles à contrôler en intégralité.

Nombreux sont les personnels rencontrés par votre rapporteur à regretter que les contrôles à l’issue des parloirs ne soient pas obligatoires. Depuis 2009, les fouilles intégrales des personnes détenues ne peuvent en effet plus se faire de manière systématique mais « doivent être justifiées par la présomption d'une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l'établissement » ([19]).

Votre rapporteur estime qu’il serait pertinent de restaurer l’automaticité des fouilles post-parloir afin de limiter les possibilités d’intrusions d’objets. Comme le lui a fait remarquer le directeur de l’interrégion pénitentiaire Auvergne-Rhône-Alpe, M. Paul Louchouarn, votre rapporteur reconnaît toutefois que cette pratique est particulièrement chronophage pour des agents déjà surchargés.

● Si la suspicion ne doit pas tomber sur tous les partenaires de l’administration pénitentiaire, il est toutefois avéré que toute personne entrant dans la prison représente un risque de faire entrer de manière illicite des objets dans l’enceinte de l’établissement.

À Fleury-Mérogis par exemple, les référents syndicaux locaux ont critiqué, lors de la table ronde organisée par votre rapporteur, le nombre d’entrées de véhicules et d’intervenants extérieurs dans la détention. Pour ces agents, ce sont ces flux permanents qui permettent l’intrusion illicite d’objets dans la détention. En effet, le flux de véhicules est presque continu : selon les syndicats, Fleury‑Mérogis accueille ainsi entre 150 et 200 véhicules par jour. Or, les contrôles opérés sont très rapides, les agents ne disposant que de quelques minutes pour effectuer un simple contrôle visuel.

Il n’est pas non plus à exclure que les personnes entrant en détention, qu’il s’agisse d’avocats, d’enseignants, de personnels médicaux ou de membres d’association, puissent faire l’objet de pressions, voire de chantages ou menaces. Ils peuvent ainsi contribuer à faire passer des objets en détention contre leur gré.

Comme l’ont demandé les responsables syndicaux rencontrés, votre rapporteur estime que la gestion logistique des flux de marchandises mériterait d’être repensée afin de garantir un meilleur contrôle des entrées. Il serait par exemple pertinent de disposer systématiquement de hangars séparés dans lesquels les matériaux seraient déchargés, avant d’être contrôlés et redistribués dans l’enceinte de l’établissement par des agents pénitentiaires.

● Enfin, les agents pénitentiaires eux-mêmes ne sont pas à l’abri de subir des menaces pour les contraindre à faciliter l’intrusion illicite d’objets. Ils peuvent également subir la corruption de délinquants et criminels qui disposent parfois de moyens financiers presque illimités.

Votre rapporteur tient à souligner que cela reste bien sûr marginal. Comme l’a indiqué le directeur de l’administration pénitentiaire, 49 passages en conseil de discipline se sont tenus ces cinq dernières années pour des cas de corruption. Ceux‑ci se sont soldés par 47 révocations : il s’agit en effet d’affaires très graves qui font l’objet de sanctions lourdes.

L’administration pénitentiaire travaille à la prévention de ces situations en partenariat avec l’Agence française anti-corruption.

*

*     *

II.   Si cette problématique sécuritaire est déjà prise en compte par l’administration pénitentiaire, les moyens demeurent largement insuffisants pour faire face à l’ampleur du problème

A.   Les différentes techniques et mesures mises en œuvre pour lutter contre les intrusions illicites d’objets EN détention

1.   Les différents dispositifs de sécurité pour limiter les projections

La lutte contre les projections passe essentiellement par des mesures de sécurité passive qui vise à mieux isoler les endroits accessibles aux détenus de l’extérieur. La distance entre les lieux de détention et les murs d’enceinte est évidemment un point essentiel, qui peut être renforcé par plusieurs dispositifs.

● Équipement essentiel et peu coûteux, les filets anti-projection s’installent aux points les plus sensibles de la détention afin de limiter les projections. Cette protection passive consiste souvent à créer des écrans idéalement par des bâtiments ou des ouvrages verticaux spécifiques.

Si des budgets importants ont été consacrés à ces équipements en 2022 (9 millions d’euros) et en 2023 (2,2 millions d’euros), votre rapporteur regrette que ceux-ci soient en nette réduction : en 2024, 633 000 euros ont été consacrés à l’installation de nouveaux filets anti-projection et, en 2025, seuls 327 000 euros sont prévus pour poursuivre le déploiement de ce type de protections.

Votre rapporteur tient en outre à souligner que certains établissements, comme le centre pénitentiaire de Ducos ou la maison d’arrêt de Charleville‑Mézières ont mis en place des dispositifs anti-projection très aboutis avec le déploiement de « volières » autour des bâtiments de détention. Ces grillages très complets s’avèrent particulièrement efficaces pour empêcher la récupération des projections.

● À ces écrans verticaux peuvent également s’ajouter des écrans horizontaux : ainsi, la couverture des cours de promenade s’avère être un dispositif particulièrement efficace. Si elle n’empêche pas les projections elles-mêmes, elle complique leur récupération par les personnes détenues. Lors de son audition, M. Emmanuel Chambaud, secrétaire général de l'UFAP UNSa justice, prenait pour exemple les maisons d’arrêt d’Agen ou de Limoges dont les cours ont été recouvertes de tels filets.

Au cours de ses déplacements, votre rapporteur a toutefois constaté que ce dispositif très efficace n’est malheureusement pas transposable aux grands établissements dans lesquels les cours de promenade ou autres espaces extérieurs sont souvent trop grands pour permettre une telle installation. Il estime toutefois que tous les établissements de petite et moyenne taille devraient en être équipés au plus vite. Par conséquent, il se félicite de constater qu’en 2025, 662 000 euros sont prévus pour développer les couvertures de cours de promenade, contre seulement 43 000 l’année précédente.

L’administration pénitentiaire souligne toutefois que cette couverture complète des espaces extérieurs accentue l’aspect carcéral et peut en outre se révéler difficile à entretenir. Ces filets peuvent être dégradés ou incendiés par les personnes détenues. Ils peuvent en outre subir facilement des dégradations en raison des intempéries ou de certains types de projections particulièrement lourds. Pour pallier ces difficultés, certaines de ces couvertures sont rétractables, par exemple au centre pénitentiaire de Baie-Mahault.

● Enfin, le renforcement de la sécurité périmétrique constitue un élément essentiel. L’existence d’un domaine pénitentiaire vaste et protégé autour de l’enceinte de l’établissement est en effet une garantie pour empêcher les complices d’effectuer les projections. La clôture de ce domaine doit toutefois être suffisamment résistante pour résister aux intrusions et aux destructions.

Lors de sa visite de la maison d’arrêt de Lyon-Corbas, votre rapporteur a pu faire le tour du glacis et constater que celui-ci était percé en de très nombreux points. Malgré les réparations de fortune réalisées, ces découpes demeurent un très grand point de faiblesse et empêchent le glacis de jouer son rôle : les complices pénètrent sans difficulté sur le domaine pénitentiaire et peuvent se positionner sans encombre au pied du mur d’enceinte pour procéder facilement aux projections. Comme l’ont réclamé les personnels pénitentiaires sur place, votre rapporteur considère que la présence d’un glacis imperméable est une nécessité et il juge incontournable le renforcement de ce type de clôture par un bardage métallique et l’installation de concertinas.

En 2024, 4 millions d’euros ont été consacrés à la sécurisation périmétrique des domaines pénitentiaires et votre rapporteur se réjouit de constater que ce budget devrait atteindre 7,5 millions d’euros l’année prochaine afin de renforcer la sécurité d’une vingtaine de sites. Il constate toutefois que ce budget ne permet que de répondre aux situations d’extrême urgence, laissant de côté des dizaines de cas problématiques, comme celui de l’établissement de Lyon-Corbas.

2.   Le nouvel enjeu de la lutte contre les drones

Après une expérimentation menée en 2017, le cahier des charges a été établi en mai 2018 pour lancer un premier marché d’acquisition de systèmes antidrone. La direction de l’administration pénitentiaire a fait le choix d’une solution fondée sur la technologie de radiogoniométrie (détection du signal radio entre la télécommande et le drone) qui répondrait à 95% de la menace existante. Ces systèmes sont configurés pour fonctionner de manière automatique et omnidirectionnelle.

Le coût d’un dispositif anti-drone s’établit à 230 000 euros pour l’équipement le plus simple et à 340 000 euros pour les environnements les plus difficiles. En effet, pour les grands domaines pénitentiaires, deux à trois équipements peuvent être nécessaires. La mise en œuvre de ces dispositifs représente un budget annuel moyen de 3 millions d’euros depuis 2019, pour un montant total cumulé d’environ 16,3 millions d’euros incluant la maintenance.

Au 10 octobre 2024, 47 sites ([20]) sont déjà équipés d’un système anti-drone et 13 sites supplémentaires devraient être prochainement équipés : les centres pénitentiaires de Valence, Bordeaux-Gradignan, Vendin, Le Havre, Béziers, Nancy, Remire, Lannemezan, Douai, Bourg-en-Bresse et Toulon, ainsi que la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré et la maison d’arrêt de Lyon-Corbas. Toutefois, votre rapporteur constate qu’une enveloppe de 2,3 millions d’euros est prévue en 2025 correspondant à l’équipement de seulement 6 nouveaux sites. Compte tenu de la menace, il semble urgent d’accélérer le déploiement de ces dispositifs.

3.   Empêcher les téléphones portables de fonctionner au sein de la détention : la question des brouilleurs

● Les dispositifs de détection et de neutralisation des communications illicites (DNCI) ont pour but de détecter et neutraliser par brouillage les communications téléphoniques utilisant les réseaux 2G/3G/4G, Wifi et Bluetooth, ou les téléphones par satellite. Il s’agit de dispositifs globaux qui ont vocation à fonctionner sur l’ensemble des zones d’hébergement et de circulation des détenus d’un établissement. Le marché de DNCI a été notifié à la société SAGI le 15 décembre 2017 pour une période de six ans avec une prolongation d’une année.  

À ce jour, vingt établissements sont équipés d’un dispositif de brouillage du marché DNCI : les centres pénitentiaires de Paris-La-Santé, Vendin-le-Vieil, Condé-sur-Sarthe, Moulins-Yzeure, Orléans-Saran, Marseille, Toulouse Seysses, Rennes-Vezin, Bourg en Bresse, Toulon-la-Farlède, Aiton, Lannemezan, les centres de détention de Montmédy, Villenauxe-la-Grande, Tarascon, la maison d’arrêt d’Osny, les maisons centrales de Saint-Maur et d’Arles, ainsi que les quartiers d’isolement disciplinaire de Caen Ifs et de Poitiers‑Vivonne. La dotation de dispositifs de brouillage pour les centres pénitentiaires de Lille-Sequedin et d’Aix-Luynes (Aix 1 et Aix 2) est en cours de déploiement ou de mise en service.

Pour ce faire, l’administration pénitentiaire a engagé en moyenne 17 millions d’euros par an, maintenance incluse, pour un montant total s’élevant à 101,5 millions d’euros sur la durée du marché. En effet, le coût des dispositifs est particulièrement élevé : un DNCI classique intégrant la 5G coûte 3,5 millions d’euros en moyenne et un DNCI spécifique pour environnement difficile peut dépasser les 5 millions d’euros.

Dix établissements supplémentaires devraient bénéficier du déploiement d’un DNCI en 2025 pour un budget de 20 millions d’euros.

● L’efficacité de ces dispositifs n’est malheureusement pas à la hauteur de ces dépenses importantes. Dans la réalité, ces brouilleurs de communications téléphoniques coûtent cher et fonctionnent mal ; chaque déplacement de votre rapporteur en a apporté la démonstration.

À Fleury-Mérogis par exemple, seul le quartier d’isolement bénéficiait d’un brouillage des communications téléphoniques, mais le passage à la 5G a rendu le dispositif obsolète et, à l’heure actuelle, aucune zone de détention n’est plus brouillée dans l’établissement.

En effet, le système DNCI doit évoluer en fonction des avancées technologiques et des nouvelles fréquences proposées au public comme la future « 5G SA », dont le déploiement par les opérateurs a commencé au second semestre 2024. L’administration pénitentiaire a toutefois précisé à votre rapporteur que tous les budgets évoqués prévoient la mise à jour des dispositifs.

Par ailleurs, un nouveau marché est prévu pour la fin de l’année 2025. Il prévoit une baisse du coût unitaire du brouillage par établissement, une amélioration des performances des dispositifs, ainsi qu’un élargissement de leur déploiement avec un objectif d’au moins 80 établissements équipés en 2026. De nouvelles technologies de neutralisation des communications illicites sont également à l’étude. Le budget estimé pour ce prochain marché est de 140 millions d’euros sur sept ans.

En sus de la difficulté posée par les fréquences, l’implantation des établissements peut également constituer un élément de complexité et certains environnements peuvent diminuer l’efficacité du système ou empêcher de régler sa puissance à un niveau suffisant. Pour ces raisons, l’administration pénitentiaire expérimente actuellement une nouvelle solution technique de brouillage indépendante du type de fréquence, ce qui simplifierait considérablement leur installation et leur usage.

● Enfin, il existe également des dispositifs de brouillage mobiles : 110 sont actuellement déployés et 50 supplémentaires devraient être livrés d’ici la fin de l’année. Leur mise à jour 5G interviendra normalement d’ici le mois de mars 2025. Si ces dispositifs ne permettent qu’un brouillage local, le plus souvent limité à deux cellules, ils semblent aujourd’hui fonctionner de manière plus efficace que les dispositifs de brouillage général. Ils permettent ainsi de cibler les zones de détention les plus sensibles, comme les quartiers d’isolement par exemple.

B.   Réagir à la crise sécuritaire : des efforts budgétaires supplémentaires et une volonté politique affirmée sont nécessaires pour mettre fin à ce fléau

1.   Renforcer la sécurité passive

Si ces problématiques sont connues, force est de constater que les moyens pour y remédier demeurent insuffisants.

S’agissant tout d’abord de la sécurité passive, les budgets sont structurellement insuffisants, procédant d’une démarche trop progressive qui ne permet au final que de coller des rustines sur un système demandant une rénovation plus globale.

Votre rapporteur rappelle que pour l’année 2025, les moyens alloués à la sécurisation des établissements pénitentiaires atteignent 67,2 millions d’euros en CP ([21]), contre 83,7 millions l’année précédente, soit une baisse de près de 20 %.

Selon le directeur de l’administration pénitentiaire, compte tenu des gels et annulations qui ont réduit l’exécution des crédits en 2024, cela reviendrait finalement à maintenir le même niveau de budget. Votre rapporteur estime que la stabilisation de ce budget, déjà sous-évalué, au niveau de la sous-exécution de l’année précédente ne saurait être satisfaisante.

Il serait au contraire nécessaire de prévoir dès aujourd’hui une large augmentation de ces crédits afin de mettre un coup d’arrêt au développement de ces phénomènes. Il propose pour cela :

– 25 millions d’euros pour accélérer le déploiement des brouilleurs téléphoniques ;

– 24 millions d’euros pour équiper d’un dispositif anti-drones l’intégralité des établissements ;

– 2 millions d’euros pour l’installation de nouveaux dispositifs anti‑projections dans les espaces les plus perméables ;

– 5 millions d’euros pour entretenir le parc des portiques de contrôle et pour permettre l’achat de portiques à onde millimétrique : cinq sont prévus pour 2025, votre rapporteur estime qu’il faudrait doubler cet investissement ;

– 9 millions d’euros pour moderniser les systèmes de vidéosurveillance et y insérer des modules d’intelligence artificielle permettant d’assister les agents dans la détection de situations à risque. Votre rapporteur relève que les systèmes de caméras sont bien souvent obsolètes, comme à Saint-Martin-de-Ré par exemple où certaines images sont même en noir et blanc, ou insuffisamment entretenus.

De 67,2 millions, il faudrait donc passer à un budget de 132,2 millions d’euros pour financer efficacement les mesures de sécurité passive.

2.   Renforcer la sécurité active

Comme l’a expliqué M. Franck Linares, directeur de l’interrégion pénitentiaire de Bordeaux, le vrai socle de la sécurisation des établissements demeure la sécurité dynamique assurée par les personnels. Seule l’observation humaine permet en effet de détecter finement les comportements à risques, que ce soit risque d’évasion, risque suicidaire, risque de radicalisation…

Votre rapporteur estime essentiel de développer des mesures de sécurité active. Deux axes de progrès lui semblent évidents :

– d’une part, le renforcement des équipes locales de sécurité pénitentiaire (ELSP) pour leur permettre, enfin, d’assurer les missions de sécurité périmétrique dont elles sont chargées. Les moyens actuels sont en effet nettement insuffisants, comme cela a été dénoncé à chacun des déplacements de votre rapporteur. Le directeur du centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan comme le directeur de l’interrégion pénitentiaire Auvergne-Rhône-Alpes expliquaient clairement que les agents ELSP sont débordés par les extractions médicales et ne peuvent presque jamais assurer leurs autres missions ;

– d’autre part, la sécurisation périmétrique pourrait être renforcée par d’autres types d’interventions. Par exemple, comme l’a expliqué le directeur de l’interrégion pénitentiaire de Marseille, M. Thierry Alves, une expérimentation est actuellement conduite dans les établissements des Baumettes et d’Avignon en partenariat avec une société privée de gardiennage extérieure. Elle vise à faire circuler deux agents avec un chien le long du grillage des glacis. Cette présence s’avère en effet extrêmement dissuasive pour les projeteurs. Si votre rapporteur soutient cette démarche, il souhaiterait toutefois que les personnels pénitentiaires disposent des moyens de remplir eux-mêmes ces missions et il serait pour cela utile d’affecter une brigade canine aux établissements les plus menacés par les projections.

Selon le directeur de l’interrégion Auvergne-Rhône-Alpes, la sécurisation périmétrique est également menacée par l’absence de possibilités réelles de sanction des personnes qui commettent les projections. Il semble en effet difficile, sur le plan pénal, d’établir les liens entre la projection et le projeteur pour le condamner au titre de l’article 434-35 du code pénal ([22]). Le directeur interrégional estime qu’une infraction autonome de présence sur un domaine pénitentiaire serait sans doute plus efficace pour sanctionner ces situations. L’article 434351 du même code punit d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende « le fait de pénétrer dans un établissement pénitentiaire ou d'en escalader l'enceinte sans y être habilité ». Cette infraction semble permettre de condamner l’intrusion de projeteurs sur le domaine pénitentiaire, dans les glacis par exemple, et votre rapporteur appelle à vérifier que celle-ci est correctement appliquée par les magistrats pour sanctionner les actes de projection. Si tel n’est pas le cas, une évolution législative devrait sans doute être envisagée.

3.   Restaurer l’autorité dans les détentions

Au-delà des enjeux budgétaires et de la mise en œuvre des mesures de sécurité active et passive, votre rapporteur estime que la sécurisation des établissements pénitentiaires ne peut se faire sans un renforcement de l’autorité au sein de ceux-ci.

Tous les représentants syndicaux rencontrés font le même constat : l’administration fait preuve de laxisme quant à la lutte contre les téléphones portables. D’une part, les sanctions sont insuffisantes car les passages en commissions disciplinaires ne se font pas de manière systématique. D’autre part, l’usage même d’un téléphone a été banalisé, alors qu’avant il était assimilé à une tentative d’évasion et pouvait faire l’objet d’une sanction pénale.

Selon eux, l’administration a renoncé à lutter contre les téléphones pour « acheter la paix sociale » au sein des détentions. Parfois, les téléphones sont aussi tolérés afin de permettre à la police judiciaire de poursuivre les enquêtes.

Votre rapporteur estime intolérable un tel laxisme. Les téléphones portables sont interdits en détention : la lutte contre leur intrusion et la sanction de leur usage doivent demeurer des priorités et faire l’objet d’un encadrement extrêmement strict.

Cela implique, à ses yeux, de renforcer la recherche et la saisie des téléphones en détention. Pour cela, les fouilles intégrales systématiques doivent être rétablies après chaque parloir et les fouilles des cellules doivent être amplifiées et simplifiées. En effet, ces dernières sont actuellement complexifiées par le surencombrement carcéral qui conduit à un entassement des affaires personnelles des détenus et des produits cantinés. En accord avec les syndicats pénitentiaires, deux solutions semblent envisageables à court terme puisqu’elles relèvent essentiellement des règlements intérieurs des établissements :

– d’une part, la limitation des produits cantinés : la volumétrie totale acceptée en cellule devrait faire l’objet d’un contrôle afin de ne pas poser des risques en termes de sécurité et de ne pas gêner les opérations de fouilles des agents ;

– d’autre part, la limitation des effets personnels : il existe dans certains établissements, comme la maison d’arrêt pour femmes de Fleury-Mérogis, un « inventaire cellule » qui restreint le nombre d’effets personnels en cellule, facilitant ainsi le contrôle des cellules.

Pour aller plus loin, votre rapporteur soutient la mise en place d’un uniforme pénitentiaire qui permettrait de résorber plusieurs difficultés : l’encombrement des cellules, les trafics à travers les sacs de linge échangés lors des parloirs, la dissimulation d’objets dans des vêtements empilés, les risques de vol entre détenus…

*

*     *

En conclusion, votre rapporteur souligne qu’il n’existe pas une seule mesure clef qui permettrait de résoudre miraculeusement les problèmes de sécurité des établissements pénitentiaires. Plusieurs mesures sont en réalité nécessaires et doivent être adaptées aux spécificités de chaque établissement afin de limiter au maximum les différents risques.

Or, en l’état, votre rapporteur ne peut que constater que le budget prévu pour l’année 2025 est largement insuffisant pour remédier à ces carences sécuritaires. Faute de volonté politique, les points de faiblesse sécuritaire de nos établissements pénitentiaires vont perdurer, obligeant les personnels à continuer de composer avec cette situation qui facilite considérablement les intrusions d’objets illicites dans les prisons. Surtout, sans les moyens adéquats, cette situation continuera de mettre en danger les agents pénitentiaires et la société tout entière.

Par ailleurs, auditionné par votre rapporteur, le directeur de l’interrégion pénitentiaire de Marseille, M. Thierry Alves, estime que l’État et l’administration ont sans doute mal anticipé le très fort développement du narcotrafic. Le directeur de l’administration pénitentiaire indique d’ailleurs lui-même que l’organisation du trafic de stupéfiants sur le modèle du grand banditisme a sans doute mal été appréhendée. Cette délinquance spécifique accroît aujourd’hui les risques pour la sécurité pénitentiaire et appelle des mesures spécifiques complémentaires.

Votre rapporteur, qui, durant sa carrière chez les forces de l’ordre, a exercé pendant cinq ans au sein de l’administration pénitentiaire, est extrêmement préoccupé par l’emprise de la population pénale et des narcotrafiquants sur nos détentions. Il est de la responsabilité de l’État et du législateur de mettre en œuvre toutes les mesures nécessaires afin de garantir l’ordre et la sécurité dans nos établissements pénitentiaires. 

 


Examen en commission

  1.   Audition de M. Didier Migaud, garde des Sceaux, ministre de la Justice

Lors de sa réunion du mardi 5 novembre 2024 à 16h30 la Commission auditionne M. Didier Migaud, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur les crédits de la mission « Justice ».

Lien vidéo : https://assnat.fr/MDdk45

M. le président Florent Boudié. Nous poursuivons l’examen pour avis des missions budgétaires relevant de notre commission, avec l’examen de la mission Justice. Nous sommes ravis de vous recevoir, monsieur le garde des sceaux, pour nous présenter les crédits de votre ministère. Lors de votre audition du 8 octobre dernier, vous nous aviez fait part de votre préoccupation quant à ce budget, concernant notamment sa capacité à honorer les engagements pris dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice (LOPJ). Vous nous direz ce qu’il en est des avancées que vous avez annoncées la semaine dernière.

M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice. Le projet de loi de finances (PLF) constitue incontestablement, pour l’ensemble des magistrats, des directeurs de services de greffe judiciaires, des greffiers, des fonctionnaires et des agents des services judiciaires, de l’administration pénitentiaire et de la protection de la jeunesse, mais aussi et surtout pour tous nos concitoyens, le marqueur de la force et de la réalité de nos engagements. À ce titre, le projet de loi de finances pour 2025, présenté le jeudi 10 octobre dernier en Conseil des ministres, fondé sur la lettre plafond adressée à mon prédécesseur, était, comme je l’ai dit à plusieurs reprises, très insuffisant pour honorer les missions du ministère dont j’ai la charge et les engagements qui avaient été pris dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice.

Le volume de crédits ouverts, de 10,2 milliards d’euros, était certes en augmentation de 100 millions mais il ne permettait pas de réaliser les investissements nécessaires au renforcement et à la modernisation de nos institutions, d’autant que la LOPJ sanctuarisait les recrutements indispensables au désengorgement des juridictions. Le projet de loi de finances, qui autorisait 619 créations d’emplois, obérait l’objectif prioritaire gouvernemental qui nous avait été fixé de rendre et d’exécuter les décisions de justice plus rapidement. Vous connaissez aussi bien que moi les objectifs de la LOPJ : 1 500 magistrats, 1 800 greffiers et 1 100 attachés de justice supplémentaires d’ici à 2027. En l’état, ils n’auraient pas pu être atteints.

Les états généraux de la justice en 2021 ont fait le constat d’un retard et d’un sous-dimensionnement historiques de notre système. C’est la référence de tous les acteurs du monde judiciaire et, au-delà des professionnels de la justice, celle des élus nationaux et locaux ainsi que de nos concitoyens. Ces constats étayés ont été unanimes. Les 36 cours d’appel et les 164 juridictions qui œuvrent au quotidien pour la justice au service des justiciables sont en attente de moyens humains, numériques et immobiliers.

Le cadre posé par la loi du 20 novembre 2023 a vocation à prolonger les actions entreprises ces dernières années et à répondre aux attentes exprimées par nos concitoyens. C’est pourquoi, ainsi que le Premier ministre s’y était engagé, le ministère de la justice fera l’objet d’un effort significatif dans le projet de loi de finances, à hauteur de 250 millions d’euros supplémentaires par rapport à la lettre plafond. Je suis donc heureux de vous confirmer que le budget de la justice est rehaussé à 10,5 milliards et qu’il sera à la hauteur des engagements pris.

L’allocation de 250 millions d’euros d’autorisations d’engagement (AE) et de crédits de paiement (CP) supplémentaires, dans un contexte budgétaire extrêmement contraint, constitue un effort important que je veux saluer. Il n’aurait pas été possible sans l’arbitrage favorable du Premier ministre ni le soutien du ministre chargé du budget et des comptes publics que je remercie. Il représente un signal fort en faveur de la réparation de notre justice et de cette mission régalienne fondamentale, trop longtemps délaissée.

Entre 2024 et 2025, les crédits du ministère augmentent ainsi de 358 millions d’euros, soit de 3,5 %. L’enveloppe de rémunération versée aux agents du ministère passera de 5,05 milliards à 5,15 milliards. Ces moyens plus importants me permettront d’alimenter chacune des grandes composantes de la justice et de mener à bien ses missions cardinales, ainsi que de mettre en œuvre opérationnellement la déclaration de politique générale du Premier ministre.

Ces hausses s’élèvent à 5,5 % pour l’administration pénitentiaire, soit une hausse de 254 millions d’euros, son budget passant de 3,94 milliards à 4,2 milliards, en raison notamment de la poursuite du plan de 15 000 places de prison supplémentaires et du financement du protocole d’Incarville sur la sécurisation des extractions judiciaires. Pour les services judiciaires, la hausse du budget représente 1,8 % pour atteindre 3,82 milliards d’euros contre 3,75 milliards, hors cotisations retraite. Pour la protection judiciaire de la jeunesse, l’augmentation est de 1,4 %, hissant son budget à 964 millions d’euros au lieu de 950 millions. Enfin, le secrétariat général du ministère voit ses ressources augmenter de 1,3 %.

Je suis prioritairement attaché à respecter les engagements pris sur les effectifs, seul moyen de parvenir à désengorger les tribunaux, dont les délais d’audiencement sont devenus inacceptables, tout en étant conscient que nous pouvons encore améliorer l’organisation. L’exemple du délai de quatre ans entre la déclaration d’appel et l’audience de plaidoirie devant certaines chambres civiles de la cour d’appel de Lyon est à lui seul particulièrement éloquent. Nous poursuivrons donc les recrutements qui ont été engagés à la suite des états généraux de la justice, en les conjuguant à des mesures catégorielles ciblées afin de renforcer l’attractivité des métiers de la justice.

Ainsi, une autorisation de recrutement de 1 543 équivalents temps plein (ETP) en plus des remplacements des départs à la retraite sera accordée au ministère, soit 924 emplois en plus par rapport à ce qui était prévu dans cette fameuse lettre plafond. Ces personnels se répartissent de la façon suivante : 970 ETP dans le champ judiciaire, 528 ETP dans le champ pénitentiaire et 45 ETP à destination de la protection judiciaire de la jeunesse, pour accompagner l’ouverture de nouveaux établissements.

Par ailleurs, l’attention aux personnels et aux conditions de travail est un engagement fort de la loi de programmation, tout comme la garantie de l’attractivité de la rémunération des métiers de la justice. Une enveloppe de 28 millions d’euros destinée à financer en année pleine les revalorisations indiciaires et indemnitaires précédemment engagées, dont 21 millions au titre de la réforme de la filière de surveillance, effective depuis le 1er janvier 2024, figure dans le PLF. Le ministère poursuivra en 2025 la mise en œuvre des mesures du protocole d’accord majoritaire sur les métiers de greffe des juridictions, signé le 26 octobre 2023. Si vous adoptez l’amendement du Gouvernement, tous les engagements catégoriels pris seront tenus.

L’efficacité dans l’exécution des peines ainsi que l’accélération des procédures pénales seront deux axes essentiels de mon action. Rien ne pourra se faire sans la capacité de prendre en charge des personnes placées sous main de justice, en particulier les personnes détenues, dans le respect et la dignité dues à chacun. C’est pourquoi j’insiste sur l’importance des crédits dédiés à la réhabilitation et à la maintenance au moins autant que sur celle des moyens dédiés à la construction.

S’agissant de la programmation immobilière pénitentiaire, les crédits dévolus permettront de poursuivre le plan de construction de 15 000 places. Pour mémoire, ce plan portera à plus de 75 000 le nombre total de places de prison disponibles pour environ 80 000 détenus. La surpopulation carcérale ne sera donc pas résorbée par ce plan.

En 2025, le programme immobilier pénitentiaire poursuivra sa phase active avec le dispositif d’accroissement de la capacité de la maison d’arrêt de Nîmes, celle de la structure d’accompagnement à la sortie de Ducos, le centre pénitentiaire des Baumettes 3, ainsi que les premières phases des opérations du centre pénitentiaire de Baie-Mahault et de la maison d’arrêt de Basse-Terre.

Enfin, la rénovation et la modernisation du parc pénitentiaire existant se poursuivront, avec une dotation de 141,5 millions d’euros. Des autorisations d’engagement permettront de lancer la restructuration du centre pénitentiaire de Fresnes, dont la vétusté nécessite une intervention à court terme.

Je tiens à mentionner des difficultés que nous rencontrons dans le calendrier de réalisation des grandes opérations de construction. Elles sont liées à des aléas exogènes, techniques et environnementaux, à des tensions sur les délais d’approvisionnement, à la fragilité du tissu économique. Certaines oppositions retardent voire empêchent ces constructions. Les projets se poursuivent dans un environnement contraint, ce qui a pour conséquence d’accroître les délais de réalisation. À ce titre, un état des lieux du plan 15 000 places de prison sera dressé, pour mesurer les efforts restant à accomplir et les redéploiements de crédits éventuellement utiles.

S’agissant de l’immobilier judiciaire, 316 millions d’euros y seront consacrés, pour couvrir les opérations d’ores et déjà en chantier, poursuivre la mise à niveau du parc immobilier, notamment eu égard à la sécurité des personnes et aux mises aux normes réglementaires, la mise en sûreté des palais de justice et les opérations de gros entretien qui sont indispensables à la pérennité du patrimoine. Nous avons malheureusement beaucoup à faire.

Enfin, 7 millions d’euros seront consacrés à financer le plan concernant les centres éducatifs fermés (CEF) du secteur associatif habilité. Parallèlement à l’état des lieux sur le programme pénitentiaire, un état des lieux de ce plan sera réalisé, de même qu’un point sur les autres formats de prise en charge.

Je souhaite mettre en lumière certaines enveloppes qui ont pour vocation de moderniser et d’améliorer concrètement le fonctionnement du service public de la justice, ainsi que les conditions de travail de ses agents. Tout d’abord, les crédits d’investissement de l’informatique ministérielle seront portés à 285 millions d’euros, soit une hausse de 4,7 %. Ces crédits, auxquels je tenais beaucoup, permettront de poursuivre les projets du deuxième plan de transformation numérique du ministère. En outre, les crédits consacrés aux techniques d’enquêtes numériques judiciaires atteindront 49 millions d’euros.

Je souhaite insister sur l’obtention de ces crédits supplémentaires qui permettront au ministère d’avancer de manière décisive dans sa transformation numérique, en particulier de financer la poursuite de ses projets prioritaires : ceux qui permettront d’obtenir des gains majeurs d’efficacité et de temps dans nos services et de refondre des outils en état d’obsolescence qui mettent en risque la continuité de la justice et la qualité du service rendu aux justiciables. Les initiatives prises pour améliorer l’écoute et l’orientation des justiciables entre les différentes procédures, en d’autres termes l’attention que l’État pourra leur porter, seront renforcées par des outils numériques simplifiés.

Ainsi, ces crédits vont nous permettre de poursuivre la dématérialisation et la modernisation de bout en bout de nos chaînes judiciaire, civile et pénale, avec la procédure pénale numérique, le projet Portalis, la dématérialisation complète du casier judiciaire national, la mise en convergence de nos outils applicatifs pénaux ou encore le nouveau système d’information de l’application des peines appelé Prisme.

Les crédits de l’accès au droit à la justice s’élèveront à 802 millions d’euros contre 790 millions. Plus spécifiquement, les crédits dédiés à l’aide juridictionnelle continueront de croître pour atteindre 718 millions d’euros, soit une augmentation de 6 millions d’euros ; le budget de l’aide aux victimes augmente de 4,5 millions et atteint 51 millions d’euros, dont 37 % sont dévolus aux victimes de violences intrafamiliales. L’effort se poursuivra en faveur de cette politique pénale.

Enfin, concernant l’action sociale offerte par le ministère à ses agents, essentielle pour assurer leur soutien et contribuer à l’attractivité de notre institution, le projet de budget prévoit la mobilisation de plus de 36 millions, soit une augmentation de 3 %. Cela permettra notamment d’agir en faveur de la politique d’aide aux familles, de réduire les restes à charge en matière de services de restauration et de faciliter l’accès au logement et à la propriété pour les agents, notamment par le biais d’un ajustement du prêt bonifié immobilier.

Je suis parfaitement conscient des contraintes budgétaires auxquelles le pays et le Gouvernement sont confrontés. Je suis attaché, comme vous, à notre crédibilité financière. Tout au long de l’exercice budgétaire 2024, le ministère de la justice a pris part à l’effort budgétaire rendu nécessaire par la situation des finances publiques. Ainsi, la programmation 2024 a été remise en cause dès le début de la gestion, avec une ressource réduite par le décret du 21 février 2024 portant annulation de crédits à hauteur de 328 millions d’euros en AE et en CP.

Par ailleurs, un surgel avait été appliqué le 17 juillet, à hauteur de 297 millions d’euros en crédits de paiement, alors que la consommation budgétaire était déjà très engagée. La forte rigidité de la structure des dépenses du ministère, l’absence d’identification de mesures d’économies limitaient toutefois très fortement la soutenabilité d’une telle mesure de régulation. Nous avons pu obtenir le dégel d’un certain nombre de crédits pour terminer l’année 2024 sans reporter trop lourdement certaines dépenses sur 2025.

Dans ce contexte, les efforts sur le fonctionnement consentis par le ministère de la justice n’ont pas manqué de provoquer des mouvements sociaux, notamment au sein de la protection judiciaire de la jeunesse, dès cet été, et des tensions dans toutes les cours d’appel, juridictions et établissements pénitentiaires depuis la mi-septembre. C’est pour cela que le Gouvernement a accepté de réduire de moitié environ le montant des régulations successives de l’année. Ce geste prend en compte, d’une part, la réalisation d’efforts de maîtrise et, d’autre part, la nécessité de récupérer le quantum de crédits nécessaires au fonctionnement du service public de la justice d’ici à la fin de l’année, sans entraîner d’importants reports de charge obérant la gestion 2025.

En définitive, le ministère aura contribué par ses efforts de gestion en 2024 à la réduction des déficits de l’année, si je puis utiliser cette expression compte tenu du fait que le déficit est plus élevé que prévu. Ces efforts continueront d’être produits par le ministère. Ils sont ainsi nécessaires sur certaines dépenses, en particulier sur les frais de justice, dont la dynamique va croissant, année après année. L’enveloppe des crédits consacrés à cette action sera cette année de 748 millions d’euros, ce qui constitue une augmentation de 11 %. C’est dire l’effort que nous faisons. En sus du plan de maîtrise lancé en 2023, qui commence à porter ses fruits, une revue de dépenses associant le ministère de la justice et celui de l’économie sera engagée d’ici à la fin de l’année.

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis (Justice et accès au droit). Interrogé sur sa vocation de magistrat, Renaud Van Ruymbeke a répondu : « On travaille pour le service public, la collectivité, en plus on travaille pour la justice, ce n’est pas rien l’idée de justice… Pour les gens, c’est fondamental ! C’est un très beau métier, où il faut prendre des responsabilités, on écoute bien sûr, mais arrive le moment où il faut décider et il ne faut pas mettre des années à le faire ! Par ailleurs, vous êtes dans l’humain. Prenez un juge des enfants, un juge d’application des peines, il va examiner la situation d’une personne. Est-ce qu’il est prêt à sortir ? Est-ce qu’on va lui trouver un travail ? Que dit l’éducateur ? On va l’aider à se réinsérer. Quand vous siégez en correctionnel ou aux assises, quelle peine va-t-on retenir ? Rendre la justice n’est pas simple. »

L’idée de justice n’est pas rien et rendre la justice n’est pas simple. C’est pour cela que la justice doit avoir les moyens de faire son œuvre en toute indépendance. Cette année encore, le Grand Soir se fait attendre. Les moyens ne sont pas là. Il y a un peu plus de deux ans, le comité des états généraux de la justice remettait pourtant un rapport accablant, qui ne faisait que confirmer l’état de paupérisation avancée de notre institution judiciaire. Un plan avait été annoncé en grande pompe par le garde des sceaux de l’époque, avec pour ambition affichée de tourner enfin la page du délabrement de la justice. En réponse, une loi d’orientation et de programmation de la justice, votée fin 2023, a fixé un objectif de création nette de 10 000 postes d’ici à 2027. Bien que largement inférieure aux besoins, cette loi était un premier pas pour soulager des juridictions asphyxiées.

Presque un an après sa promulgation, où en est-on ? Les ambitions affichées n’ont pas résisté aux diktats de la sacro-sainte rigueur. Cette année, le ministère de la justice a payé le prix fort des coupes drastiques du budget : entre annulations et gels, ce sont plus de 600 millions d’euros qui ont été sacrifiés sur le dos de la justice et de l’accès aux droits, sans compter le lourd tribut déjà payé par la protection judiciaire de la jeunesse. Six cents millions d’euros, c’est le budget nécessaire pour payer 10 000 magistrats sortis d’école pendant un an ; c’est aussi l’équivalent du budget de l’aide juridictionnelle. Il faut s’imaginer les conséquences dramatiques de ces coupes sur des juridictions déjà exsangues. Le service public de la justice tient grâce au dévouement de ses personnels, magistrats, greffiers, contractuels ; mais ne nous y trompons pas, ils sont à bout. Pourtant, alors qu’il faudrait rattraper les annulations de 2024, l’austérité se poursuit, avec un budget initial inférieur de 500 millions d’euros à celui prévu par un texte voté il y a moins d’un an. Ils sont à bout et pourtant le premier renoncement du budget portait sur les effectifs. Monsieur le garde des sceaux, vous venez cependant de nous rassurer. Nous regarderons les détails de votre amendement.

Les personnels sont à bout et on le comprend encore mieux devant les chiffres alarmants publiés il y a quelques jours par le Conseil de l’Europe. Notre pays ne compte que 11,3 magistrats pour 100 000 habitants contre 21,9 en moyenne en Europe, soit moins qu’en Roumanie, en Bulgarie et en Hongrie. La France consacre 72,20 euros par habitant à son système judiciaire, alors que la moyenne européenne est à 85,40 euros, soit quelque 25 % de moins qu’en Espagne et en Italie – je vous fais grâce des chiffres des pays arrivés en tête du classement. Votre budget contribuera à faire dégringoler davantage la France dans le prochain rapport.

Derrière ces chiffres humiliants pour la République française, il y a des conséquences néfastes et très concrètes sur la vie des agents et des justiciables. Quatre greffiers se sont suicidés cette année. J’ai une pensée émue pour eux. Le dernier, Philippe, greffier au tribunal judiciaire de Bordeaux, s’est donné la mort le 10 juin. Après vingt ans de métier, il venait d’être muté dans un service qu’il a trouvé désert. Ses collègues témoignent : « Personne n’était là pour le former aux procédures. Tous étaient en arrêt maladie. […] Il se levait très tôt, se couchait très tard, il ne mangeait plus. » Sous pression constante, en raison de la cadence à flux tendu qui leur est imposée, les greffiers sont contraints, bien malgré eux, de trier les dossiers, d’en sacrifier, faute de temps. Ils le déplorent et le disent : « Ces dossiers, ce sont des personnes qui attendent que la justice se prononce pour un litige avec un bailleur, un surendettement ou le placement en tutelle d’un tiers par exemple. Ça fait mal de devoir sélectionner. […] C’est nous qui prenons tout, jamais les ministères qui dictent les conditions des services. »

En réponse, votre gouvernement prévoit de faire encore plus mal, en créant trois jours de carence. Il insulte ces agents, piétine leur souffrance et alimente le récit selon lequel les fonctionnaires seraient des fainéants.

La paupérisation généralisée du service public de la justice a aussi des conséquences sur les enfants en danger. En 2018, les juges des enfants de Bobigny publiaient dans Le Monde un appel au secours en ces termes : « Nous sommes devenus les juges de mesures fictives, alors que les enjeux sont cruciaux pour la société de demain : des enfants mal protégés, ce seront davantage d’adultes vulnérables, de drames humains, de personnes sans abri et dans l’incapacité de travailler. » Six ans après, rien n’a changé et la situation a même empiré dans certains départements.

Chaque année, en France, 160 000 enfants sont agressés sexuellement et un enfant est tué tous les six jours au sein de sa famille. Seulement 522 juges des enfants sont chargés de suivre plus de 250 000 enfants en danger, faisant l’objet d’une mesure judiciaire de protection de l’enfance. La majorité de ces magistrats suivent 450 situations, soit au moins 800 enfants, alors qu’ils devraient en suivre 325. Ce sont 77 % d’entre eux qui disent avoir déjà renoncé à prendre des décisions de placement d’enfants en danger, en raison d’une absence de place ou de structure adaptée à leur accueil. Ils doivent souvent attendre huit à douze mois pour qu’une mesure d’assistance éducative dont ils ont décidé soit effectivement mise en place, générant des conséquences catastrophiques pour les familles et un sentiment d’impuissance et de gâchis généralisé chez tous les acteurs du secteur.

Assumez-vous, dans ces circonstances, la priorité donnée à la responsabilisation des parents d’enfants délinquants, quand sombre la protection de l’enfance, et la construction de trois centres éducatifs fermés ? Votre budget n’a pas d’autres ambitions pour la justice des mineurs.

Les conséquences de l’austérité pèsent aussi sur les femmes victimes de violences – la prétendue grande cause du quinquennat. Parmi les 2,6 milliards demandés par les associations féministes pour lutter contre ces violences, 300 millions concernent le budget du ministère de la justice, pour assurer la formation continue obligatoire de l’ensemble des professionnels sur les violences sexistes et sexuelles (VSS), renforcer les pôles spécialisés dans les juridictions, étendre l’aide juridictionnelle à davantage de victimes, augmenter le nombre de téléphones grave danger (TGD) et de bracelets anti-rapprochement. On ne trouve presque aucune trace de ces 300 millions dans votre budget. Nous avons par conséquent déposé tous les amendements nécessaires pour remédier à cette absence. Ils ont été votés en commission des finances la semaine dernière. Vous engagez-vous à respecter ces votes ou attendez-vous qu’un 49.3 ou des ordonnances les balaient ?

L’austérité a des conséquences sur les associations qui accompagnent ces femmes et que l’État maltraite. Cette année, le gouvernement démissionnaire a décidé d’étendre la prime Ségur aux associations du secteur social privé à but non lucratif, avec un effet rétroactif et sans prévoir de mesures de compensation, fragilisant toujours plus le réseau associatif. Le centre d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) du Val-d’Oise est déjà en grande difficulté financière et ne peut pas verser cette prime. Vous engagez-vous à soutenir à notre amendement visant à assurer la compensation intégrale par l’État de la prime Ségur ? Comble de l’humiliation et faute d’un engagement de votre part, la fédération nationale des CIDFF a lancé aujourd’hui une cagnotte pour verser cette prime à ses salariés…

L’insuffisance des moyens a des conséquences sur l’ensemble des justiciables qui voient les procédures s’allonger, induisant souffrance, perte de confiance et perte de sens et de qualité de la réponse judiciaire. Le délai de traitement des affaires passées à l’instruction est de 51,7 mois contre 48,5 en 2022. Le délai d’audiencement des dossiers de divorce est régulièrement supérieur à un an. Dans certaines juridictions, il n’est pas rare d’attendre dix-huit mois une décision du juge aux affaires familiales. Le délai moyen d’instruction d’une affaire est de 35,4 mois. Lorsque l’on se souvient qu’Emmanuel Macron osait affirmer devant l’École nationale de la magistrature (ENM) que les délais seraient divisés par deux d’ici à 2027, il y a de quoi être écœuré.

Chaque décision de justice porte en elle ce que veut dire aujourd’hui une société juste. Mais comment les Français peuvent-ils retrouver confiance dans leur justice, lorsque des magistrats renoncent à placer des enfants en danger, faute de places disponibles en foyer, lorsque 800 femmes victimes de violences se suicident chaque année, faute d’avoir été suffisamment protégées ? Comment le peuvent-ils, lorsque les victimes d’infractions sexuelles restent des mois, parfois des années, sans nouvelles de leur dossier et qu’après tout ce temps 1 % seulement des auteurs de viols sont condamnés ? Comment y croire, lorsque le sort des prévenus les plus pauvres est expédié en vingt minutes en comparution immédiate tandis que, au même moment, la lutte contre la délinquance et la criminalité en col blanc pâtit d’effectifs insuffisants, comme s’en alarmaient publiquement en avril dernier nos plus hauts magistrats financiers ?

Vous avez annoncé avoir récupéré 250 millions sur les 500 manquants, sauf que 500 moins 250, cela fait toujours 250 millions qui manquent. Plus grave, votre budget ampute les autorisations d’engagement du ministère de la justice de plus de 2,3 milliards d’euros. Qu’est-ce que cela signifie pour l’avenir ? Est-ce que les 250 millions compensent les gels et les annulations de crédits de cette année ? Comment faire justice quand la septième puissance économique du monde consacre à la sienne à peine 0,2 % de son PIB ?

M. Romain Baubry, rapporteur pour avis (Administration pénitentiaire et protection judiciaire de la jeunesse). Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, chers collègues, je ne reviendrai pas en détail sur l’évolution des moyens dévolus à l’administration pénitentiaire et à la protection judiciaire de la jeunesse. M. le garde des sceaux les a présentés et les différents budgets prévus pour l’année prochaine font l’objet d’une analyse précise dans la première partie de mon rapport.

S’agissant des crédits de l’administration pénitentiaire, je voudrais toutefois appeler votre attention sur deux sujets.

Premièrement, nos prisons connaissent une crise structurelle et chronique. Établissements surpeuplés, personnels à bout de souffle, délinquance de plus en plus violente : l’équation est explosive. Et face à cette crise qui menace notre société tout entière, le Gouvernement n’est pas à la hauteur.

Certes, le budget de l’administration pénitentiaire augmente cette année, mais c’est en réalité une hausse en trompe-l’œil. Si les crédits augmentent, c’est par un double effet mécanique : d’une part, la croissance automatique des dépenses de fonctionnement qui augmentent du fait de l’inflation mais aussi de la hausse du nombre de détenus ; d’autre part, les dépenses liées au programme immobilier pénitentiaire, car il faut bien prévoir les budgets pour ouvrir les trois établissements prévus pour 2025.

En somme, le budget pour l’année 2025 bouchera péniblement les trous, palliant ainsi certaines urgences, mais il ne permettra pas d’améliorer l’état actuel de nos prisons, ni les conditions de détention, ni les conditions de travail de nos agents pénitentiaires. Ce manque d’ambition politique et budgétaire n’est pas à la hauteur des efforts fournis par notre administration pénitentiaire.

Nos agents sont chaque jour confrontés à davantage de difficultés. Ils doivent gérer 18 000 détenus en surnombre, alors qu’eux-mêmes font face à une carence d’au moins 4 000 agents. Ils se retrouvent souvent seuls pour gérer une coursive entière, pour prendre en charge une centaine de détenus, quand ce n’est pas cent cinquante. Ils subissent des réactions à des décisions qui ne leur appartiennent pas, comme le refus de transfert. Même en dehors de leur travail, ils sont suivis et agressés à leur domicile ; leurs véhicules sont vandalisés ; leurs familles, attaquées.

Face à ces conditions, l’absentéisme augmente et conduit les autres agents à atteindre des nombres records d’heures supplémentaires. Trop d’agents sont au bord du burnout et quand ils appellent au secours ou tentent de prendre quelques jours de repos, leur hiérarchie les menace de les faire changer de poste.

Mais cette situation n’est pas prise au sérieux par le Gouvernement. En 2025, seules 349 créations d’emploi sont prévues et toutes seront affectées aux trois nouveaux établissements qui doivent ouvrir l’année prochaine. Aucun nouvel emploi ne viendra donc améliorer la situation des établissements existants.

Deuxième sujet que je voudrais mettre en avant : la sécurisation de nos prisons. Elle est insuffisante pour garantir la protection des agents qui y travaillent, mais aussi celle des personnes qui y sont détenues et, plus globalement, celle de la société tout entière.

Nos prisons sont devenues des passoires. Tout y entre, tout y circule, pratiquement à volonté : armes blanches, parfois même armes à feu, comme à Saint-Martin-de-Ré cet été, drogues en tous genres, smartphones dernier cri, etc. Les détenus inondent les réseaux sociaux de diverses vidéos sur leur vie en prison, tournant souvent en ridicule notre système carcéral et judiciaire. Comment voulez-vous que la prison fasse peur et dissuade les délinquants quand l’image qui en est donnée est ainsi dévoyée ? Plus important encore, comment croyez-vous que les agents pénitentiaires se sentent face à ces vidéos ? Ceux que j’ai rencontrés me l’ont dit, ils le vivent mal, ils se sentent humiliés, ils y voient l’illustration de l’inefficacité de notre système pénitentiaire et de l’insuffisance des moyens mis à leur disposition pour travailler.

Tous ces objets qui entrent illégalement en détention sont autant de menaces pour la sécurité. Cela concerne d’abord la sécurité de nos agents. Je pensais que le drame d’Incarville, qui a coûté la vie à deux agents pénitentiaires au mois de mai dernier, vous ouvrirait les yeux, mais il n’en est rien. Pourtant, sans téléphone portable dans la prison, rien de cela n’aurait pu se produire. S’il est intéressant sans doute d’améliorer les méthodes d’extraction ou de transfèrement, cela ne permettra pas de résoudre le problème. Soyons clairs, tant que les détenus pourront téléphoner librement en cellule, ce type de drame pourra se reproduire. C’est sur ce sujet qu’il faut agir en priorité.

Cela concerne ensuite la sécurité des personnes détenues. L’introduction des drogues et la continuation des trafics en détention contribuent au développement du caïdat au sein des prisons. Les détenus qui ne posent pas de difficulté voient leur tranquillité troublée et leur volonté de réinsertion mise à mal par d’autres détenus qui ont à leur disposition tout l’attirail nécessaire pour les menacer.

Cela concerne enfin la sécurité de toute la société. La prolifération des téléphones en détention a une conséquence très claire : les prisons ne sont plus des lieux coupés du reste de la société. Les détenus sont en relation permanente avec l’extérieur et peuvent à loisir commettre des exactions. Certains continuent à harceler leur victime. Certains organisent leur trafic de stupéfiants depuis leur cellule. D’autres vont jusqu’à commanditer des assassinats, comme on l’a vu très récemment à la prison d’Aix-en-Provence.

Je considère, pour ma part, que cette question de la sécurité est une priorité absolue. C’est pour cette raison que j’ai choisi d’y consacrer la seconde partie de mon rapport.

J’ai moi-même exercé pendant cinq ans au sein de l’administration pénitentiaire, avant de rejoindre les forces de l’ordre. Depuis le début de mon premier mandat de député en 2022, j’ai eu à cœur de m’intéresser tout spécifiquement à cette administration essentielle pour notre société et à ses agents qui réalisent un travail difficile et trop peu reconnu. Pour ce rapport, j’ai conduit plusieurs auditions, rencontré le directeur de l’administration pénitentiaire, les directeurs interrégionaux et les responsables syndicaux. J’ai également réalisé plusieurs déplacements. Depuis septembre, j’ai visité six établissements pénitentiaires dans cinq directions interrégionales différentes.

Le constat de ces visites est déplorable, et ce sur l’ensemble des thématiques sécuritaires. Tous les établissements n’étant pas conçus de la même manière, tous ne présentent pas les mêmes failles de sécurité, mais on retrouve certaines difficultés de manière régulière.

En particulier, il est clair que les dispositifs de protection contre les projections et ceux contre les livraisons par drone sont insuffisants. Les chiffres transmis par votre administration sont parlants : depuis le début de l’année, près de 25 000 projections ont été récupérées par les agents. En réalité, la majeure partie des projections parvient jusqu’aux détenus et n’est donc pas comptabilisée dans ce nombre pourtant déjà vertigineux. Lors de mes déplacements, ces problèmes ont été systématiquement soulevés par les agents de l’administration pénitentiaire, des surveillants aux membres de la direction.

La circulation des stupéfiants prend une dimension de plus en plus affolante. Parfois, ce sont des plants entiers de cannabis qui sont retrouvés dans les cours des prisons.

Les téléphones portables sont tellement présents qu’ils en deviennent banals, alors qu’ils ne devraient même pas pouvoir fonctionner dans les cellules. À chacune de mes visites, j’ai pu constater que mon téléphone captait parfaitement, quel que soit le quartier de détention. Les brouilleurs, qui ont coûté des millions au contribuable, ne fonctionnent pas.

Les fouilles des cellules sont rendues difficiles par l’entassement des détenus en surnombre. Elles sont également compliquées par les stockages excessifs de produits de cantine, certaines cellules ressemblant à de véritables épiceries. Comment le surveillant pourrait-il y repérer les objets illicites ?

Quant aux fouilles des détenus, elles ne sont plus systématiques et les agents doivent pouvoir justifier d’un motif. Les détenus le savent et se sentent ciblés, ce qui aggrave les tensions et empêche les personnels d’exercer leur mission de manière sereine.

Même les choses les plus basiques sont remises en question. Les entrées et sorties sont loin d’être aussi contrôlées qu’on pourrait l’imaginer – à cause d’un sas trop exigu ou de portiques de sécurité mal réglés, ou encore parce qu’il faut ouvrir simultanément deux grilles pour les passages de véhicules en raison d’un défaut de conception. J’ai même vu des miradors n’offrant une vue sur certains angles que grâce à un vieux rétroviseur de poids lourd fixé au mur.

Ce ne sont là que quelques exemples parmi tant d’autres. La sécurité des prisons n’est en réalité plus assurée et ce constat doit tous nous inquiéter.

En conclusion, je constate que l’exécution du plan 15 000 places de prison stagne et que l’évolution des crédits fait planer le doute sur la capacité du Gouvernement à réaliser les constructions promises. Le budget pour 2025 ne tient d’ailleurs même pas compte des 3 000 places supplémentaires qui ont été prévues par la LOPJ votée en 2023. Nous regarderons avec attention l’amendement de dernière minute déposé par le Gouvernement.

Selon le projet annuel de performance, 4 521 places supplémentaires avaient été mises en service au 1er juillet 2024, soit 1 750 de plus que l’année précédente. L’ironie, c’est que ce total fièrement affiché comprend les 406 places du centre de détention de Fleury-Mérogis, qui a dû fermer, moins d’un an après sa rénovation, faute d’eau chaude.

Je passe sur le ridicule de cette situation pour me contenter de dire que je ne vois pas comment nous allons passer de 4 500 places supplémentaires en 2024 à 18 000 en 2027, surtout avec des AE du budget de l’administration pénitentiaire en diminution de plus de 30 % pour l’année 2025.

À la fois affolé par ces constats et ahuri par les insuffisances de ce budget, je lance l’alerte. J’espère, monsieur le garde des sceaux, que vous l’entendrez et que vous disposerez d’une marge de manœuvre suffisante pour en tenir compte.

Quelle est votre position s’agissant de la sécurisation des établissements pénitentiaires ? Comment allez-vous mettre hors d’état de nuire les narcotrafiquants qui y œuvrent ? Avec quelles mesures ferez-vous mieux que votre prédécesseur dans ce domaine ?

M. le président Florent Boudié. Je précise que le Gouvernement a bien déposé un amendement, mais en séance, conformément à la tradition. J’ai donc déposé un amendement identique et c’est le premier que nous examinerons.

Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Philippe Schreck (RN). Même avec cet amendement, le budget de la justice pour 2025 rend caduque la loi de programmation de 2023. C’est à se demander si cette loi n’est pas, elle aussi, frappée de l’insincérité budgétaire qui caractérise beaucoup de lois de finances depuis plusieurs années.

Le PLF initialement présenté prévoyait 10,242 milliards, alors que 10,681 milliards étaient inscrits dans la loi de programmation. Même en ajoutant 250 millions, il en manque encore 250 pour répondre aux besoins de nos concitoyens et de la justice tels que nous les avons identifiés dans la LOPJ. Il faut ajouter à cette baisse les 320 millions rabotés par Bercy au mois de février ainsi que le surgel de 280 millions. Entre les montants promis puis rabotés, ceux qui ont été exécutés et qui vont être rajoutés, on a du mal à s’y retrouver.

Les 250 millions d’euros supplémentaires sont destinés à financer les nouveaux personnels recrutés et les augmentations indiciaires mais, en réalité, les coupes budgétaires demeurent. Clairement, le budget pour 2025 sonne le glas du plan 15 000 places de prison, que l’actuel Premier ministre souhaitait pourtant porter à 20 000 places – mais c’était au temps de la primaire LR.

C’est le budget du renoncement. Les dépenses immobilières s’écroulent, avec une baisse de 43 % des crédits pour l’administration pénitentiaire et de 60 % pour ceux l’administration de la justice. Nous verrons comment la correction que vous souhaitez apporter tempérera ces évolutions.

Votre prédécesseur avait cherché à masquer sa procrastination et son incapacité à réaliser le plan de construction de 15 000 places de prison à grand renfort de communication. On a l’impression que vous ne le ferez peut-être pas, car cela ne correspond pas à vos convictions.

Comme l’a relevé le rapporteur pour avis, le PLF sonne aussi le glas de l’amélioration des moyens de sécurité active et passive dévolus à l’administration pénitentiaire. Et ce, alors même que le drame d’Incarville – qui aurait peut-être dû être évité – pèse dans l’esprit de chaque surveillant et que malheureusement les criminels courent toujours.

Les métiers du greffe restent dévalorisés et l’aide aux victimes stagne, alors que ces dernières sont de plus en plus nombreuses.

Notre groupe avait proposé un contre-budget qui rendait du pouvoir d’achat aux Français, réalisait des économies structurelles et, surtout, qui laissait intacte la LOPJ. Nos amendements ont pour but de faire correspondre le budget de la justice à cette dernière. Nous verrons comment ils seront accueillis.

En l’état, nous voterons contre les crédits de cette mission.

M. Jean Terlier (EPR). Le budget de la justice pour 2025 devait s’inscrire dans une augmentation historique de plus de 40 % des crédits depuis 2017, conformément à la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice pour 2023-2027 adoptée il y a un an. Il s’agissait de mettre en place une politique ambitieuse pour le système judiciaire et de le doter de moyens inédits, adaptés à de multiples enjeux. Le recrutement massif d’agents, notamment de 1 500 magistrats, de 1 800 greffiers et d’attachés de justice ; la revalorisation des métiers, en particulier de magistrat, de surveillant pénitentiaire et de greffier ; le déploiement d’une stratégie de transition numérique ; la création de nouvelles places de prison, tout cela avait fait naître la perspective d’un appareil judiciaire plus efficace et armé pour pleinement réussir sa mission… à condition que le budget du ministère augmente progressivement jusqu’en 2027.

Pour 2025, le compte n’y était pas : la version initiale du PLF prévoyait 10,24 milliards de crédits pour la mission Justice, hors contribution au compte d’affectation spéciale (CAS). Lors de votre première audition par notre commission, vous aviez fait part de votre préoccupation face à ce premier scénario. Les membres de notre groupe la partageaient, car la matérialisation de l’effort historique prévu est aussi vitale pour la confiance entre l’institution judiciaire et le citoyen qu’attendue par l’ensemble des acteurs de terrain.

Les arbitrages de ces derniers jours ont permis de rectifier le tir et de trouver un meilleur compromis entre, d’une part, une exigence budgétaire particulière pour 2025 et, d’autre part, la nécessaire poursuite des efforts et le respect des engagements pris à l’occasion de la loi de programmation. Le Gouvernement s’est engagé à doter la justice de 250 millions supplémentaires. Les députés du groupe Ensemble pour la République saluent cet ajustement indispensable et seront particulièrement attentifs aux suites données à ces annonces.

Parmi les grandes réformes et les engagements forts pris par l’exécutif figure en premier lieu le recrutement massif et attendu de personnels de justice. Il doit conduire à une augmentation de plus de 20 % des effectifs – par exemple, dans un tribunal judiciaire comme celui de Castres.

La création de 15 000 nouvelles places de prison à l’horizon 2027 constitue la promesse d’une administration pénitentiaire plus forte, de conditions de travail améliorées et d’une meilleure lutte contre la surpopulation carcérale. Nous avons tous parfaitement conscience des difficultés de construction de ces places. Chacun souhaite plus de places de prison, mais rarement à côté de chez soi…

Pour pallier ces difficultés d’exécution, nous avons prévu dans la LOPJ que la Chancellerie puisse déplacer un programme de construction enlisé vers un territoire plus accueillant. J’avais pris l’initiative de l’amendement adopté en ce sens notamment pour pouvoir aboutir à la création d’une prison dans le sud du Tarn.

Dans le contexte budgétaire singulier que nous connaissons – et qui pourrait bien perdurer les prochaines années –, pensez-vous que l’objectif de création de nouvelles places de prison demeure réaliste ? Les crédits supplémentaires en faveur de la mission Justice vont-ils constituer un apport décisif ?

La mise en place de la réforme du code de la justice pénale des mineurs a donné des premiers résultats encourageants, avec notamment un raccourcissement des procédures. Un mineur est désormais jugé en moyenne en huit mois, contre dix-huit mois avant 2021. La réponse pénale en sort renforcée. Pensez-vous que le contexte budgétaire actuel serait de nature à remettre en cause la réussite de cette réforme ?

M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Le budget alloué à la justice est à l’image du budget de l’État dans son intégralité : l’œuvre d’une droite répressive et proche des attentes de l’extrême droite, qui se consacre essentiellement au volet carcéral et sécuritaire, bien loin de combler le déficit humain, matériel et financier dont souffrent ce service public et ses usagers.

Le Gouvernement nous vend 400 millions d’augmentations pour la justice, mais la réalité est tout autre. Avec l’inflation de 2 %, cette progression est ramenée à 55 millions, ce qui ne permet même pas de rattraper les 330 millions annulés en février 2024. Cette dernière coupe budgétaire, opérée sans aucune consultation des professionnels, a de lourdes conséquences pour tous les travailleurs de la justice, et le principal perdant est le justiciable.

En réalité, la totalité des programmes de la mission Justice s’inscrit dans une ligne politique austéritaire et subit des coupes budgétaires. Les seules minces augmentations sont consacrées à l’ouverture de nouveaux centres pénitentiaires et de centres éducatifs fermés. Pourtant, l’urgence est d’investir dans la formation, le recrutement et l’accompagnement. Mais votre gouvernement préfère le tout-sécuritaire, au détriment de l’humain et des conditions de travail des professionnels, mais aussi au détriment des moyens pour l’instruction et la résolution des affaires.

S’agissant des recrutements, ce budget ne respecte même pas le minimum que le Gouvernement avait lui-même prévu dans la LOPJ. Alors que 600 postes de magistrats et de greffiers devaient être créés chaque année – ce qui était déjà insuffisant –, ce budget n’en prévoit plus que 270. Ce n’est qu’une goutte d’eau pour un secteur déjà au bord de l’implosion et cela nous maintient dans le bas du classement des pays européens au regard du nombre de magistrats : la moyenne européenne est de 22 magistrats pour 100 000 habitants mais nous n’en sommes qu’à 11 pour 100 000.

C’est encore pire pour les recrutements dans l’administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Aucun schéma d’emploi n’est prévu, alors que ces secteurs vivent une crise sans précédent et que la PJJ a déjà subi cet été la suppression de 500 postes.

Voici un aperçu de ce à quoi pourrait ressembler le budget de la justice pour l’année 2025, dans la continuité des politiques qui ont mené à la situation alarmante que l’on connaît. Ce budget dégrade encore davantage les conditions de travail des agents et la qualité du service rendu aux usagers – qu’il s’agisse des justiciables, des mineurs en état de grande vulnérabilité, des personnes détenues ou des victimes de VSS.

Nous pouvons faire autrement, en votant les amendements qui ont été adoptés par la commission des finances la semaine dernière, et qui ont permis d’aboutir à un budget en rupture totale avec l’austérité imposée depuis des années. Libre à chacun de voter en son âme et conscience, tout en sachant que ces votes nous engagerons face aux professionnels qui luttent chaque jour dans nos circonscriptions pour faire tenir debout un service public au bord de l’implosion.

Comme notre groupe l’a déjà fait en commission des finances, nous proposerons de nouveau ce que nous considérons être le minimum indispensable pour permettre à la justice de fonctionner : recrutement de 2 143 magistrats, de 1 772 greffiers, de 500 conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation et de 500 agents pour la PJJ ; augmentation de l’aide juridictionnelle, pour que chaque justiciable puisse faire valoir ses droits sans conditions de ressources ; expérimentation de la régulation carcérale pour lutter contre une surpopulation qui a valu plusieurs fois à la France d’être condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) ; mise en place d’un plan de formation des magistrats pour lutter contre les discriminations, le racisme et l’antisémitisme ; renforcement de l’aide juridictionnelle pour les victimes de VSS ; augmentation du budget alloué aux téléphones grave danger ; ouverture d’un nouveau centre ouvert pour les détenues et création d’un fonds pour améliorer leurs conditions de détention ; enfin, placement de la police judiciaire sous l’autorité du ministre de la justice, afin de renforcer cette police et de la recentrer sur le travail d’enquête en lien direct avec la justice.

Mme Colette Capdevielle (SOC). Le groupe Socialistes et apparentés regrette l’infléchissement de la trajectoire budgétaire de la justice, alors que ses besoins vont croissant. Une justice de qualité qui respecte des délais raisonnables ne peut être rendue sans moyens financiers. L’effet yo-yo de la régulation budgétaire fragilise totalement les juridictions en bloquant leurs projets.

Le recrutement d’attachés de justice, qui était tellement attendu dans les juridictions, est égal à zéro. C’est vraiment difficilement acceptable, car leur rôle est essentiel dans l’équipe qu’ils forment avec les magistrats et les greffiers.

S’agissant des délais, nous ne sommes pas dupes non plus de chiffres en trompe-l’œil qui englobent tout et ne veulent finalement plus rien dire. Nous restons toujours parmi les plus mauvais élèves d’Europe en matière de justice, derrière l’Espagne et l’Italie, et la durée de traitement des affaires est trop longue. Sur ce point, on parle toujours du pénal mais les délais de jugement exagérés dans les affaires civiles et sociales contribuent largement au discrédit de la justice. À Lyon, il faut attendre dix-huit mois pour obtenir une décision du juge aux affaires familiales (JAF) et quatre ans pour que le caractère irrégulier d’un licenciement soit reconnu par la chambre sociale de la cour d’appel. Il s’agit pourtant du contentieux du quotidien, moins visible et dont on parle rarement, mais qui concerne les enfants et l’organisation de la vie de nos concitoyens. Les juges pour enfants ont aussi beaucoup de mal à suivre les mesures d’assistance éducative en milieu ouvert, alors que la question éducative est essentielle.

Pendant les auditions, des magistrats nous ont alertés sur les stocks très volumineux d’affaires pendantes devant les cours d’assises et les cours criminelles départementales. Ces retards ont de lourdes conséquences : les victimes sont furieuses, car il est inacceptable de devoir attendre aussi longtemps et, plus grave encore, des personnes en détention provisoire vont devoir être libérées avant leur procès pour respecter les délais prévus par le code de procédure pénale à peine de nullité. Résorber ces stocks est donc une priorité.

Les frais de justice vont certes augmenter, mais ils sont absorbés à hauteur de 92 % par la justice pénale. Ils sont certes indispensables à la manifestation de la vérité, mais sont aussi nécessaires à une justice de qualité en matière civile, car ils permettent une approche à la fois scientifique et humaine.

Par ailleurs, nous déplorons le choix politique incohérent du Gouvernement qui consiste à diminuer les crédits en faveur des associations locales de médiation familiale, alors même que le législateur favorise depuis des années le recours à cette dernière afin de réduire le phénomène de judiciarisation.

Cette politique consistant à faire un pas en avant, deux pas en arrière est délétère, car elle génère une souffrance au travail pour les personnels de justice. Or on sait qu’il existe un véritable problème de recrutement des greffiers.

Enfin, je vous alerte encore une fois au sujet de la surpopulation carcérale. Ce n’est pas un syndicat qui tire la sonnette d’alarme, c’est un haut fonctionnaire de l’administration pénitentiaire – c’est un comble – qui implore les chefs de juridiction de ne plus envoyer de personnes en détention. Les personnels de l’administration pénitentiaire craquent et la prison ne joue plus son rôle.

M. Philippe Gosselin (DR). Ce budget pour 2025 aurait normalement dû suivre la feuille de route claire adoptée avec la loi d’orientation et de programmation du 20 novembre 2023, il y a moins d’un an. Cette programmation avait été patiemment discutée, parfois triturée, mais en tout cas élaborée avec l’intention sincère de sortir la justice de la voie de la clochardisation, pour reprendre une expression chère à un ancien garde des sceaux et ancien président de cette commission.

Autant dire, monsieur le ministre, que le compte n’y est pas, malgré votre bonne volonté. Et il n’y sera toujours pas malgré l’amendement du Gouvernement proposant 250 millions supplémentaires, car cela ne représente qu’environ la moitié de la somme nécessaire.

Comme beaucoup de collègues, notre groupe est notamment inquiet s’agissant des créations de postes. Vous avez raison d’essayer de nous rassurer, mais les objectifs fixés en 2023 seront très difficiles à atteindre. On peut même dire qu’ils resteront inaccessibles, car ce qui n’aura pas été fait en 2025 ne pourra pas nécessairement l’être en 2026. Comme il n’y a pas de schéma d’emplois, il est difficile d’y voir clair. Il y aura peu de nouveaux postes de magistrats par rapport à ce qui était attendu. Il est prévu de créer 349 postes dans l’administration pénitentiaire mais ils répondent aux besoins liés à l’ouverture de nouveaux établissements. Je me réjouis certes de celle-ci, mais les moyens ne sont pas à la hauteur des attentes.

En matière d’investissement, les AE connaissent une chute de 30 % – qui aurait pu même atteindre 50 % si l’on se réfère au projet initial. En tout cas, on est bien loin du milliard de crédits de l’an passé. Les CP sont, quant à eux, quasiment stables.

Tout cela augure mal du plan 15 000 plus 3 000 places, une addition qui résulte d’un savant équilibre trouvé dans la LOPJ. Comment le ministère peut-il s’engager à respecter le calendrier de construction des nouveaux établissements, sachant qu’il y a deux ans déjà, un rapport d’information de Patrick Hetzel montrait qu’on était très loin du compte, avec seulement 2 700 places construites ? On voit donc mal comment l’objectif de 18 000 places pourrait être atteint. Où en est-on, en pratique, avec les collectivités concernées ?

L’aide juridictionnelle (AJ) a tendance à stagner et ne prend pas en compte les procès hors normes. Où en est le décret prévoyant de revaloriser l’AJ ?

Les délais d’instruction et de jugement sont encore beaucoup trop longs.

Enfin, pourriez-vous dresser un bilan du déploiement des TGD ?

M. Pouria Amirshahi (EcoS). La justice, par sa qualité et les moyens dont elle dispose, incarne l’ambition que notre pays nourrit pour lui-même. En accomplissant sa mission, elle dissipe les germes et les termes de la violence et apaise notre société. Service public par excellence, elle doit impérativement réussir, et en premier lieu pour trancher des questions du quotidien, telles que les séparations, la garde des enfants et, parfois, les violences faites par les autres ou à soi-même.

Mais la justice est à bout de souffle. Lors des états généraux de 2022, elle a été diagnostiquée en état de délabrement avancé et n’ayant plus les moyens de remplir son rôle. En 2023, avec la loi d’orientation et de programmation, et malgré une modeste augmentation des crédits de fonctionnement, le précédent gouvernement a choisi d’enfoncer le pays dans la logique du tout carcéral. Notre groupe a toujours considéré celle-ci comme une impasse et s’est opposé dès le départ à cette orientation, qui ignore la souffrance des professionnels, ajoute parfois à celle des victimes, ne prépare pas les condamnés à sortir de prison dans de bonnes conditions, et ne résout aucun des problèmes structurels.

Le PLF pour 2025 – heureusement très largement corrigé en commission des finances grâce aux amendements des groupes du Nouveau Front populaire – a confirmé que le Gouvernement renonçait aux ambitions qui avaient été fixées. Les CP alloués à la mission Justice pour 2025 sont fixés à 10,24 milliards, hors CAS, par le PLF initialement déposé, soit une augmentation de seulement 1,1 % par rapport à 2024. Quant aux ambitions en matière de créations de postes, elles ont été drastiquement réduites. Il est difficile de comprendre une telle politique après les déclarations qui avaient accompagné le vote de la loi de programmation.

Cette orientation budgétaire n’est pas acceptable, car elle a pour conséquence directe de briser des parcours de vie. Tout commence dès l’enfance, avec des jeunes fragilisés par des carences et par le fait qu’ils ne peuvent pas bénéficier d’un accompagnement adéquat, en particulier par la PJJ, faute de moyens et d’effectifs d’éducateurs, de psychologues et d’assistants sociaux. Tout cela renforce les risques de comportements délinquants.

C’est une justice industrielle qui les attend, avec 60 000 comparutions immédiates chaque année. La contrôleure générale des lieux de privation de liberté, auditionnée par notre commission, a ainsi dit : « […] on juge des gens dont on ne sait pas grand-chose, dans des conditions assez lamentables qui ne permettent ni à l’avocat de travailler, ni au prévenu de se défendre, ni au magistrat de rendre des jugements appropriés. »

L’obsession sécuritaire et le tout carcéral se traduisent par une justice à la fois trop lente et expéditive Ce n’est pas l’idée que nous nous faisons d’une justice républicaine. Comment parvenir à des décisions justes lorsque celles-ci sont prises par des professionnels épuisés par le rythme frénétique qui leur est imposé. Cette justice-là, caractérisée par une politique du chiffre et une précarisation des métiers, ne respecte personne – ni les victimes, ni les prévenus, ni les professionnels.

Nos prisons deviennent trop souvent l’école du crime. Elles alimentent une spirale de la récidive, qui est largement due au sous-investissement des pouvoirs publics à l’égard des services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip), chargés de la mission essentielle de lutter contre la récidive. Les efforts avaient permis de renforcer leurs effectifs mais on voit bien que l’on tourne de nouveau le dos à cette ambition.

Et pourtant, une autre voie est possible. Nous l’avons montré lors des débats, en augmentant les crédits que votre gouvernement avait refusé d’accorder à la justice. Qu’il s’agisse de magistrats, de greffiers et des Spip, nous avons voulu doter la justice de moyens conséquents et d’un fonctionnement digne d’un État de droit.

J’espère, monsieur le ministre, que vous saurez les défendre. Je le dis d’autant plus que les conditions d’examen de ce budget sont totalement aberrantes, avec une commission des finances qui décide en amont de la commission des lois des moyens qui doivent être affectés au ministère. Ce n’est tout simplement pas admissible.

M. Philippe Latombe (Dem). Lors de votre première audition, vous aviez souligné à juste titre qu’il était de notre responsabilité de lutter contre la défiance grandissante à l’égard des institutions en général et de la justice en particulier. Renouer le lien de confiance entre les Français et la belle institution que vous dirigez n’est pas chose aisée, à plus forte raison dans un contexte budgétaire contraint.

Ce contexte vous a valu d’être confronté à un chemin escarpé dès votre prise de fonction. La mission Justice a de fait été amputée d’une partie substantielle de son budget par le décret d’annulation de février dernier, avec une baisse des crédits de 327,9 millions en AE comme en CP, soit respectivement 2,3 % et 2,7 % des crédits de la mission pour 2024.

Avec un PLF pour 2025 présentant des crédits à hauteur d’environ 10 milliards, force est de constater que le compte n’y est pas au regard de la trajectoire fixée par la loi de programmation. L’enveloppe initiale est une source de déception.

Tout d’abord, il est évident que le niveau des crédits ne permet pas de respecter les engagements pris dans l’article 1er de la LOPJ, qui prévoyait 10,68 milliards en 2025. Avec 10,24 milliards de CP prévus dans le PLF, la différence est de 440 millions.

De la même façon, le programme Administration pénitentiaire – qui représente tout de même 42 % de la mission – est marqué par une très forte diminution des AE, de l’ordre de 2,1 milliards. Cette baisse conduit à s’interroger sur la capacité à respecter les objectifs fixés par le plan 15 000 places à l’horizon 2027. Toutefois, nous sommes satisfaits que ce budget permette d’accompagner la hausse des effectifs de l’administration pénitentiaire, nécessaire pour ouvrir les nouveaux établissements et pour le bien-être des agents. En effet, le taux d’occupation des établissements continue de s’accroître. La population carcérale a atteint en septembre un nouveau record avec 78 969 détenus pour 62 000 places, ce qui porte la densité carcérale à 127,3 %. Il est par conséquent impératif que les délais du plan 15 000 places soient tenus.

Autre déception, une telle baisse du budget ne permet en aucun cas d’assurer une justice plus proche, plus protectrice et plus rapide. La justice ne peut pas être plus rapide si nous ne respectons pas l’engagement de financer 10 000 postes supplémentaires. Elle ne peut pas être plus proche et protectrice si nous ne poursuivons pas les investissements et la modernisation tant attendus.

Mais nous croyons que vous avez pris la mesure de ces difficultés. En témoigne l’amendement que vous proposez et que nous soutenons. Nous espérons qu’il permettra de recruter davantage, afin de respecter les cibles de créations d’emplois prévues pour 2027, tout en poursuivant un développement numérique qui soit à la hauteur des besoins des acteurs du judiciaire. Surtout, nous appelons de nos vœux une augmentation du budget qui permette à notre système judiciaire d’être moins étrillé par de multiples rapports internationaux.

Fidèle à sa ligne, notre groupe sera en tout état de cause vigilant s’agissant de l’enveloppe globale de la mission à l’issue des débats.

Si l’on ne peut pas vous attribuer la paternité de la baisse de budget alloué à la justice, nous espérons que votre constante mobilisation permettra à ce budget d’honorer nos engagements.

Mme Naïma Moutchou (HOR). Je ne voterai pas votre budget pour la justice.

Je ne peux pas voter un budget qui nous ramènerait plusieurs années en arrière. Au sein de mon groupe, nous sommes tout à fait conscients de l’urgence budgétaire et de la nécessité de redresser les comptes publics, mais pas sur le dos de l’institution judiciaire. La justice est à l’os et il n’y a plus rien à raboter.

Sur 1 000 euros d’argent public, 6 euros seulement servent à financer la justice. Et l’on en était à 4 euros avant la LOPJ votée en novembre 2023 – c’est dire si l’on revient de très loin. Par comparaison, les dépenses en matière de sécurité représentent 25 euros, la défense 31 euros, la santé 208 euros et les retraites 248 euros. La justice a le plus petit budget et le PLF propose de réduire encore ce presque rien.

Nous pensions avoir définitivement tourné la page du sous-investissement grâce à l’ambition budgétaire d’Éric Dupond-Moretti et aux crédits historiques qui avaient été programmés jusqu’en 2027. Ils devaient permettre de revaloriser les agents, de réhabiliter tribunaux et prisons mais aussi d’étoffer les équipes de magistrats. Tout cela n’était d’ailleurs qu’un début de rattrapage tant la justice est appauvrie. Et rappelons-nous que, pour y arriver, il avait fallu solliciter tout l’écosystème judiciaire pendant des mois, après les travaux menés par les états généraux de la justice.

Allons-nous défaire ce qui allait dans le bon sens, refaire de la justice le parent pauvre des lois de finances ? Il faut régler la question des moyens, même si ce n’est pas la panacée. Sans les moyens prévus, les juridictions n’auront pas de perspective pour sortir de la crise où elles se trouvent, de l’aveu même des procureurs et des présidents de tribunaux et de cours. Des pôles spécialisés dans les violences intrafamiliales ne verront pas le jour, le contentieux social explosera et il sera impossible de répondre aux urgences, notamment en matière pénale. Dans les prisons, le manque de places perdurera, avec des taux d’occupation qui atteignent 150 % et jusqu’à plus de 200 % dans certaines maisons d’arrêt. D’autres priorités pourraient être sacrifiées, comme les recrutements, l’immobilier judiciaire ou le numérique.

Personne ne peut se satisfaire de cette situation ; je ne m’en satisfais pas. La justice n’est pas n’importe quel service public ; elle est l’ultime recours, la richesse de ceux qui n’en ont pas pour trouver un peu d’ordre et d’équilibre. Comme le disait Portalis, la justice est la première dette de la souveraineté. Nous devons tout faire pour honorer cette dette, dans les discours comme dans les actes, en donnant à l’institution judiciaire les moyens d’agir pour espérer rétablir un peu de confiance chez nos concitoyens.

Avec 6 euros, on ne peut pas faire de miracle. Avec moins de 6 euros, il sera difficile de faire croire que la lutte contre la criminalité organisée, contre le narcotrafic, contre les violences intrafamiliales et les autres missions qui s’ajoutent sans cesse seront érigées au rang de priorité. On ne peut pas faire plus de justice avec moins, quand bien même tous ceux qui concourent à l’œuvre de justice font montre d’un engagement constant – il faut les en remercier.

Si, à l’issue de nos débats, le compte n’y est pas – il manque 250 millions – nous ne voterons pas ce budget.

Mme Martine Froger (LIOT). Notre groupe est réservé sur le budget de la justice. Certes, les choses se présentent mieux que lors de votre première audition devant notre commission, puisque vous avez réussi à négocier une amélioration de 250 millions, mais la trajectoire fixée par la LOPJ n’est toujours pas respectée. Ce recul budgétaire envoie un mauvais signal et semble difficilement compatible avec la promesse faite par votre prédécesseur de sortir le service public de la justice de son état de délabrement. Notre justice reste dans une logique de rattrapage. En dépit de la baisse des crédits, la hausse des effectifs de magistrats, de greffiers et du personnel pénitentiaire sera-t-elle conforme à la trajectoire de la LOPJ ?

Les agents des Spip, essentiels à la politique d’insertion, ont une nouvelle fois l’impression d’être les oubliés de la pénitentiaire. Les créations de postes pour 2025 restent insuffisantes. Elles ne tiennent compte ni du manque actuel d’agents – environ 455 personnes, soit 7 % du total des effectifs – ni des conditions de travail qui se dégradent et de la charge de travail qui augmente au fur et à mesure que le nombre de détenus progresse. On ne peut pas défendre une politique de prévention de la délinquance, de sécurité publique et d’insertion tout en rabotant ses moyens.

Notre groupe s’inquiète des conditions indignes de détention. Le taux moyen d’occupation est de 150 % dans les maisons d’arrêt – il est de 220 % chez moi, en Ariège – et 3 600 détenus sont contraints de dormir sur un matelas posé à même le sol. Le bleu budgétaire prévoit une cible d’occupation de 164 % en 2025. Que proposez-vous face à cette situation d’urgence ? Le plan 15 000 places de prison, connaît chaque année des retards importants. Il ne permettra pas de résorber la surpopulation carcérale. Notre groupe appelle à sortir de cette logique immobilière qui, au fil des années, n’affiche que des résultats médiocres. Nous demandons le lancement et le financement d’une véritable régulation carcérale dans tous les territoires et le renforcement de la prévention de la récidive par le recours aux peines alternatives, notamment le travail d’intérêt général et les placements à l’extérieur.

Quels sont les moyens déployés pour accompagner les agents pénitentiaires, qui sont épuisés par leurs conditions de travail et par les agressions, qui sont en augmentation ? La LOPJ a prévu le recrutement de contractuels adjoints pour aider les surveillants, mais les documents budgétaires ne contiennent aucune information à ce sujet. Où en est ce projet ?

Mme Elsa Faucillon (GDR). Monsieur le ministre, le 8 octobre dernier vous annonciez devant notre commission que l’enveloppe prévue pour votre ministère ne répondrait ni aux besoins ni aux engagements. On peut vous reconnaître cette franchise.

Je suis d’accord avec vous, ce budget n’est pas à la hauteur. Il ne respecte pas les objectifs de la LOPJ alors même qu’elle est déjà insuffisante pour rattraper le retard accumulé après trente ans d’abandon de la justice. Les auteurs du rapport des états généraux de la justice du 8 juillet 2002 font ainsi part d’« un sentiment de désespoir, voire de honte, qui domine face au manque de moyens humains et matériels, d’appuis techniques efficaces et cohérents, face aussi aux réformes incessantes et à l’impossibilité de bien remplir sa mission […]. »

À l’occasion des discussions budgétaires, nous avons dénoncé à maintes reprises la défaillance du service public de la justice – les exemples dans nos circonscriptions ne manquent pas. L’accumulation des textes législatifs a complexifié inutilement le système judiciaire et a accru la tâche des professionnels au détriment du justiciable. Le procureur François Molins a souligné qu’aucun autre corps n’a dû faire face à autant de réformes et d’inflation de normes en vingt ans. Cet empilement de réformes, dans lequel nous avons notre responsabilité, témoigne d’une vision court-termiste des gouvernements et d’une volonté de répondre en urgence par la communication, sans véritable concertation. De nombreuses propositions phares des états généraux de la justice n’ont d’ailleurs pas été reprises. Ce constat d’abandon laisse les travailleurs et travailleuses de ce secteur en souffrance, faute de création de postes. Alors que 1 500 magistrats et 1 800 greffiers devaient renforcer les effectifs à l’horizon 2027 et 1 100 attachés de justice devaient être recrutés sur la période 2023-2025, le budget 2025 ne prévoit que 270 ETP.

Les orientations budgétaires ne permettront pas de lutter contre la récidive et n’auront pas d’effet sur l’explosion de la surpopulation carcérale – 80 000 personnes sont détenues dans les prisons françaises. De façon regrettable, la priorité du Gouvernement, comme celle de nombreux autres avant lui, demeure la construction de nouveaux établissements pénitentiaires. L’enfermement reste encore et toujours la peine de référence. En 2025, l’administration pénitentiaire prévoit que la dette accumulée pour la construction de nouvelles places de prison s’élèvera à près de 5,4 milliards d’euros. Pourtant, l’augmentation du nombre de places de prison n’a jamais résolu le problème de la surpopulation carcérale et n’est pas utile pour lutter contre la récidive. À l’opposé de ces choix, nous soutenons une politique de développement des peines alternatives, comme le placement à l’extérieur, accompagnée d’un mécanisme de régulation carcérale. Une telle politique fait consensus dans l’ensemble du secteur.

Mme Brigitte Barèges (UDR). Je me réjouis que vous ayez réussi à récupérer 250 millions sur le demi-milliard qui vous a été enlevé, mais cette victoire est aussi une défaite, puisque cela fait aussi 250 millions en moins. Vous avez annoncé vouloir faire des économies sur le plan « prison ». Je suis stupéfaite que la construction de 18 000 places supplémentaires – avec les 3 000 places ajoutées à l’objectif initial par l’amendement Ciotti – soit à nouveau repoussée, mais je suis en même temps ravie de voir que l’ensemble des groupes a regretté ce retard.

Le programme dédié à l’administration pénitentiaire prévoit des dépenses de sécurisation active, comme les caméras-piétons, mais aussi de sécurisation passive, comme les dispositifs de détection et de neutralisation des communications illicites. Les services de renseignement s’inquiètent face à la tentative d’institutionnalisation du narcotrafic qui, s’inspirant des mafias d’Amérique latine, cherche à infiltrer les centres pénitentiaires en présentant massivement des candidats aux concours de gardien de prison. Comment se fait-il que seulement 20 établissements pénitentiaires sur 136 sont couverts par un dispositif de brouillage, sachant qu’une partie du trafic est gérée depuis l’intérieur des prisons ? Comment se fait-il que, dépassés par la surpopulation carcérale, les surveillants soient forcés de tolérer la vente et la consommation de drogues, comme l’a révélé Le Figaro dans une enquête sur la prison de Bordeaux-Gradignan ? Que comptez-vous faire face à l’ampleur de ces tentatives d’infiltration avec votre maigre budget ?

Face à ces attentes, ces désillusions et ces questions, notre groupe se voit dans la désolante obligation de voter contre le budget de la justice.

M. le président Florent Boudié. Nous en venons aux questions des autres députés.

M. Jordan Guitton (RN). Vous avez finalement obtenu que le budget de la justice ne baisse que de 250 millions et n’avez donc pas quitté vos fonctions. Mais il ne peut y avoir de volonté politique sans budget ; or le budget n’est pas là. Vous avez donc choisi de rééchelonner les créations de 15 000 places de prison supplémentaires, que nous avions votées à une large majorité. Ce projet est pourtant essentiel à la réussite du système judiciaire car il existe un lien entre le manque de places de prison et le laxisme judiciaire. Si les prisons sont pleines, ce n’est pas en raison d’une plus grande fermeté de la justice, mais de l’augmentation de la violence.

Quels projets ne seront pas réalisés à cause de la baisse de votre budget ? Comment le plan « prison » sera-t-il rééchelonné ? Serez-vous un ministre qui tient ses promesses ou, comme vos prédécesseurs, un ministre qui échoue ?

Mme Caroline Yadan (EPR). La justice restaurative apaise les tensions inhérentes au conflit judiciaire en permettant aux victimes de se reconstruire et aux auteurs de faits criminels ou délictueux de prendre conscience de la gravité de leurs actes. Au cours de la législature précédente, je me suis beaucoup mobilisée sur ce sujet, notamment en mettant en place un groupe de travail pour faire connaître le concept de justice restaurative, pour étudier son encadrement par la loi et pour élaborer des propositions visant à une meilleure intégration de la justice restaurative dans notre système judiciaire.

La justice restaurative ouvre la voie à une justice plus humaine, qui encourage la compréhension mutuelle et la résilience de la communauté. À l’heure où la violence verbale, symbolique et physique est devenue un mode d’expression courant dans notre société, il est essentiel d’apaiser les esprits et de retrouver les moyens de dialoguer, d’entendre, de comprendre et de se confronter, c’est-à-dire de communiquer, pour aboutir à des échanges pacifiés. C’est en favorisant le dialogue et en redonnant une place centrale à la parole des victimes que nous pourrons bâtir un système judiciaire plus juste et plus harmonieux.

Quelles sont vos pistes pour uniformiser l’offre de justice restaurative sur le territoire, développer sa pratique et mieux sensibiliser les acteurs concernés ?

Mme Marie-France Lorho (RN). La plateforme Pharos, qui lutte contre la cybercriminalité, croule sous les signalements. Selon un récent rapport de l’administration et des syndicats de police, le nombre de signalements est passé de 4 000 par semaine à 1 000 par jour alors qu’il n’y aurait que quarante-neuf agents pour gérer ce flux. Les moyens matériels aussi sont insuffisants, avec notamment des ordinateurs connectés à l’ADSL plutôt qu’à la fibre optique.

Au premier semestre 2023, les atteintes sur mineur constituaient 12,7 % des signalements adressés à Pharos, dont la mission apparaît donc comme complémentaire à celle de la PJJ. Est-il possible d’augmenter les moyens alloués à Pharos au sein du programme 182, Protection judiciaire de la jeunesse ?

M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). J’aimerais avoir des précisions sur le montant réel du gel budgétaire pour 2024 ainsi que pour 2025. Les 250 millions que vous avez obtenus représentent-ils une diminution du gel des crédits pour 2024 ou une moindre diminution du budget prévu pour 2025 ? En tout cas, ils ne me semblent pas suffisants pour rester sur la trajectoire de la LOPJ.

Que prévoyez-vous pour agir sur la surpopulation carcérale ? Il est essentiel d’avancer sur la régulation.

Mme Pascale Bordes (RN). Les chiffres de la commission européenne pour l’efficacité de la justice (Cepej) révèlent la réalité de la justice pénale dans notre pays : comparé à la moyenne européenne, la France compte 11 juges contre 17 pour 100 000 habitants et 3 procureurs contre 11 pour 100 000 habitants, chacun de ces derniers ayant à traiter 2 027 affaires en première instance contre 204.

De leur côté, les chefs de juridiction ont lancé un véritable cri d’alarme lors de leur audition par la rapporteure pour avis. Ils ont dénoncé le manque de moyens pour juger, y compris en matière criminelle où certaines affaires sont jugées dix ans après les faits ; le manque de locaux ; l’impossibilité de payer les prestataires depuis le mois d’octobre. Au 1er juin 2024, les 1 647 magistrats du parquet de première instance devaient traiter plus de 3,5 millions de procédures entrantes, en plus de celles déjà en stock, sans compter les 3,5 millions de procédures encalminées dans les placards des commissariats et des gendarmeries.

Que comptez-vous faire pour sortir la justice de l’ornière ? Allez-vous en faire une grande cause nationale pour que nos concitoyens retrouvent confiance en cette institution ?

M. Éric Pauget (DR). L’exigence d’effectivité réelle des sanctions doit s’appliquer aux consommateurs de drogues, qui alimentent les trafics. Il faut donc réduire le volume inerte de peines jamais exécutées. L’encellulement individuel des consommateurs condamnés au sein des maisons d’arrêt n’est toutefois pas adapté à leur niveau de risque.

Alors que le plan « prison » connaît des retards, une nouvelle organisation pénitentiaire semi-fermée pourrait être une solution. La transformation de bâtiments publics désaffectés pourrait permettre de créer des établissements accueillants les primo-condamnés et les condamnés à de courtes peines.

Êtes-vous favorable, comme Michel Barnier, à l’augmentation de peines courtes pour ces condamnés, notamment les consommateurs de stupéfiants, et à leur exécution dans ces prisons d’un genre nouveau ?

Mme Sophie Blanc (RN). Entre surpopulation, trafic de drogue et radicalisation croissante, le personnel pénitentiaire de la prison de Perpignan fait face à une intensification alarmante des incidents, qui sont de plus en plus violents et fréquents. Dans le cadre du plan « prison », doit être construit à Rivesaltes un centre de détention de 515 places pour désengorger la région ; la décision récente de rééchelonner le plan remet en question cet engagement initial. Ce report ne risque-t-il pas de saper la confiance du personnel pénitentiaire et des citoyens dans le ministère de la justice ?

Les agents, sous pression constante, sont contraints de travailler dans un climat explosif, qui compromet chaque jour davantage leur sécurité ainsi que celle des détenus. En cas de report des crédits d’investissement, que prévoyez-vous pour honorer les engagements du plan « prison » ?

Est-il envisageable de réévaluer les priorités budgétaires en faveur des établissements en situation critique pour y assurer la sécurité des agents, renforcer la lutte contre la radicalisation et garantir des conditions de détention acceptables ?

M. Jean Moulliere (HOR). La violence liée au trafic de stupéfiants est un fléau qui fait chaque année de plus en plus de victimes, directes et indirectes. Le Nord, comme d’autres départements frontaliers, est particulièrement touché. Il est urgent de trouver des solutions durables, justes et fortes car les conséquences pour notre société sont graves : la santé de nos jeunes est lourdement affectée et le sentiment d’insécurité se renforce.

Tous nos concitoyens sont concernés et pas seulement ceux des quartiers de banlieue puisque les centres-villes sont maintenant touchés par cette guérilla urbaine. La mise en péril de nos jeunes, happés par les réseaux de trafiquants, rend cette situation d’autant plus urgente à résoudre. En tant que responsables politiques, nous ne pouvons nous résoudre à compter les morts. Nous avons besoin de nouvelles solutions pour renforcer la lutte contre des trafiquants qui sont de plus en plus organisés et qui adaptent leurs méthodes pour contourner habilement la loi et anticiper les réglementations.

Je connais votre implication dans la question des repentis aux côtés du président Marcangeli, mais, plus largement, quelles mesures concrètes et adaptées envisagez-vous pour intensifier la lutte contre le narcotrafic sur l’ensemble du territoire ?

Mme Monique Griseti (RN). Les mineurs, qui commettaient des actes relevant plus de l’erreur de jugement et de l’immaturité, font aujourd’hui partie d’une criminalité organisée qui gangrène notre société et prennent part à des assassinats pour le compte du narcobanditisme. À Marseille, selon un rapport de la Cour des comptes, 26 % des mis en cause pour faits de délinquance sur la voie publique sont mineurs. Les Marseillais, et les Français en général, attendent une réponse ferme pour protéger les mineurs et être protégés des pires agissements de ces derniers.

Le PLF 2025 prévoit d’augmenter de 1,3 % les sommes allouées à la mise en œuvre des décisions de justice concernant les mineurs ; encore faudrait-il que les décisions de justice soient prononcées et qu’elles soient adaptées à la gravité des crimes. Cette augmentation vous paraît-elle suffisante pour atteindre les objectifs de répression, pour préserver les mineurs et pour assurer que les peines complémentaires prévues par le code de la justice pénale des mineurs sont effectivement appliquées afin de ramener les mineurs délinquants dans le cadre républicain et civique ?

M. Hervé Saulignac (SOC). Sur France Info ce matin, vous avez déclaré qu’un parquet national chargé de lutter contre la criminalité organisée et le narcotrafic « peut tout à fait être une solution ».

Dans le contexte budgétaire actuel et face à la surcharge de travail des magistrats, cette déclaration pose question, d’autant que la création par la loi du 24 décembre 2020 d’un pôle régional environnemental dans le ressort des trente-six cours d’appel avait été prévue à moyens constants et donc sans création de postes de magistrats spécialisés. Comment envisagez-vous de financer ce nouveau parquet ?

Mme Émilie Bonnivard (DR). Le principal obstacle auquel se heurte le plan « prison » me semble davantage lié à la difficulté de trouver des sites et de lever les freins à la construction qu’à un problème de sous-financement. Envisagez-vous des mesures pour accélérer la réalisation de ce plan ? Parmi les pistes envisageables, la reconnaissance des places de prison dans la loi SRU ou la démarche Grand chantier pourraient faciliter l’acceptation par les collectivités de la construction de prisons. Une communication positive aiderait également : j’ai, dans ma circonscription, un centre pénitentiaire qui crée à la fois de l’emploi et d’autres externalités positives.

Pouvez-vous faire un point sur l’avancement du protocole décidé à la suite du drame d’Incarville pour mieux prendre en compte les demandes urgentes des personnels pénitentiaires pour assurer leur sécurité ? J’aimerais aussi vous entendre sur le déficit de communication entre le renseignement pénitentiaire et le renseignement judiciaire, qui est à la source de ce drame.

M. Didier Migaud, ministre. Je suis partagé : la justice est certes loin d’être réparée et le constat des états généraux de la justice reste d’actualité, mais on ne peut pas réparer en trois ou quatre ans trente ou quarante ans d’abandon de la part des gouvernements de tous bords qui se sont succédé.

Tout de même, le budget de la justice a augmenté de 53 % depuis 2017. On est encore loin de pouvoir répondre à tous les besoins, surtout quand on compare la France à d’autres pays européens comparables, mais peu de budgets ont connu une telle augmentation.

Sur les 487 millions de réduction initiale – et non 500 millions –, j’en ai récupéré 250 millions grâce à un arbitrage favorable du Premier ministre. Je n’aurais pas été en mesure de consommer davantage. Par exemple, je n’ai pas décidé de rééchelonner le programme de construction de prisons ; simplement, j’ai constaté l’impossibilité de réaliser certaines opérations, notamment du fait d’oppositions locales. Aidez-moi donc à convaincre les élus locaux ! Je suis certes favorable aux peines alternatives, mais il y a quand même besoin de nouveaux centres de détention.

Je compte utiliser ces 250 millions pour respecter tous les engagements pris, notamment le protocole Ségur et le protocole d’Incarville, pour augmenter les effectifs de magistrats, de personnels de greffe, de juristes assistants et de personnels pénitentiaires. Le respect de ces engagements était ma priorité et j’y suis parvenu aussi grâce aux députés, notamment ceux du bloc central. Je vous en remercie.

Je vous remercie aussi de vos encouragements car, en définitive, malgré les critiques, votre commission manifeste une certaine unanimité : tout le monde soutient la justice et souhaite qu’elle obtienne des crédits complémentaires !

Je tiens à vous rassurer quant aux priorités que vous avez évoquées.

Les crédits alloués à la lutte contre les violences intrafamiliales ont sensiblement augmenté ; dans toutes les juridictions, des moyens importants y sont consacrés. Mais il est vrai que si la priorité est donnée à ce type de contentieux, ce peut être au détriment des autres, compte tenu des moyens contraints de la justice. C’est la raison pour laquelle les effectifs supplémentaires sont attendus avec impatience.

En 2024, une annulation de crédits, à hauteur de 328 millions d’euros, est intervenue au mois de février, à laquelle s’est ajouté un gel de 297 millions, soit un total de 625 millions de crédits indisponibles. Au terme d’une bataille contre Bercy, 355 millions ont été dégelés, ce qui nous a finalement permis d’honorer nos factures de fin d’année et de ne pas commencer l’année prochaine avec un budget amputé de factures en souffrance.

Par ailleurs, nous avons obtenu 250 millions supplémentaires au titre du projet de budget pour 2025 auxquels s’ajoute une hausse de 100 millions par rapport à l’année précédente, soit une augmentation du budget de la justice de 358 millions. On peut considérer que ce n’est pas suffisant, mais cela me permet de tenir l’ensemble de nos engagements. Ma priorité était de respecter la parole de l’État.

S’agissant du programme pénitentiaire, nous ferons le point sur l’ensemble des réalisations susceptibles de déboucher en 2025. Mais, encore une fois, si certaines opérations ne se font pas, c’est en raison de l’opposition qu’elles suscitent dans la population et parmi les élus. C’est le cas, par exemple, du projet de Noiseau. Peut-être faut-il réfléchir à des formules qui incitent davantage les élus à accueillir ce type de structures. Je suis prêt à en discuter avec Catherine Vautrin et le ministre des comptes publics, car cela peut être une solution, même si elle ne sera sans doute pas efficace face à des oppositions de principe.

Par ailleurs, nous devons consentir des efforts pour sécuriser davantage nos prisons, dans l’intérêt des surveillants pénitentiaires et des détenus eux-mêmes. Je profite d’ailleurs de cette occasion pour saluer l’ensemble des acteurs de la justice, notamment les personnels pénitentiaires, qui effectuent un travail remarquable. Il arrive que certains d’entre eux craquent ; nous ne pouvons que ressentir émotion et malaise face à de telles situations. C’est pourquoi nous avons signé avec les organisations syndicales des protocoles qui visent à améliorer la qualité de vie au travail. Nous sommes conscients des difficultés rencontrées par les magistrats, les personnels de greffe et les personnels pénitentiaires. Je sais, pour en être régulièrement informé en tant que garde des sceaux, qu’il se passe rarement plusieurs jours sans que des personnels pénitentiaires ou des magistrats soient bousculés ou menacés.

Il est profondément injuste que la justice soit critiquée comme elle l’est parfois, eu égard au travail remarquable qu’elle accomplit au quotidien en s’efforçant de répondre aux attentes de nos concitoyens. Plus de 2 millions de décisions de justice sont rendues chaque année – essentiellement en matière civile, du reste.

J’aurai l’occasion de proposer avec le ministre de l’intérieur, à Marseille, des réactions immédiates au fléau qu’est la criminalité organisée. Elle constitue une menace grandissante et gravissime, car elle recourt aux méthodes ultraviolentes des cartels sud-américains, lesquelles n’avaient pas cours jusqu’à présent dans notre pays. Je partage le sentiment du ministre de l’intérieur face à ce fléau. Nous devons donc faire en sorte que la justice soit mieux armée pour le combattre.

Nous allons donc proposer des mesures appropriées, dans l’attente de la présentation d’une proposition ou d’un projet de loi, car des mesures législatives seront nécessaires, que ce soit pour définir le statut du repenti ou pour réviser certaines procédures dont les avocats peuvent abuser, par exemple. Il convient également de favoriser l’échange d’informations : les services de renseignement doivent pouvoir être sollicités dans la lutte contre la criminalité organisée, qui dispose de moyens considérables, notamment pour corrompre certains de nos agents.

S’agissant de l’exécution des peines et de la régulation carcérale, je vais charger un groupe de travail rassemblant les acteurs de la justice de me proposer des mesures de nature à resserrer l’écart entre le prononcé d’une décision et son exécution, sachant que de telles mesures peuvent avoir des conséquences sur la population carcérale. La prison peut être une solution, mais elle ne l’est pas toujours pour certains délits. Le juge doit donc avoir à sa disposition une palette de sanctions. Il ne suffit pas de se dire favorable aux courtes peines ; il faut également prévoir les lieux d’enfermement où elles seront exécutées, surtout dans un contexte de surpopulation carcérale.

Les difficultés liées aux délais d’audiencement, évoquées par plusieurs d’entre vous, sont une autre de mes préoccupations. Nous allons étudier les moyens d’y remédier dans les tribunaux et les cours d’appel concernés, avec des effectifs supplémentaires et quelques renforts. Il nous faut, du reste, désencombrer la chaîne pénale en recourant à la déjudiciarisation ou à la dépénalisation, en trouvant un meilleur équilibre entre sanctions administratives et sanctions pénales. Ce sont de véritables défis qu’il nous faut relever, et je serai toujours à votre disposition pour les évoquer avec vous.

En conclusion, je tiens à ce que les moyens de la justice soient confortés et renforcés. Vos attentes et celles de nos concitoyens sont nombreuses ; je les prends en considération et, encore une fois, je suis sensible au soutien unanime que vous apportez à mon budget.

M. le président Florent Boudié. Merci pour cette touche d’humour, monsieur le ministre ! Je vous remercie pour vos réponses, je vais vous raccompagner et nous aborderons ensuite l’examen des crédits et les amendements.

La réunion est suspendue de dix-huit heures trente-cinq à dix-huit heures quarante-cinq.

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*     *

 

II.   Examen pour avis des crédits

Puis, la Commission examine pour avis les crédits de la mission « Justice » (Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis sur les crédits de la justice et accès au droit, M. Romain Baubry, rapporteur pour avis sur les crédits de l’administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse).

Lien vidéo : https://assnat.fr/6DbI96

Article 42 et état B : Crédits du budget général

Amendement II-CL495 de M. Florent Boudié

M. le président Florent Boudié. J’ai souhaité déposer cet amendement identique à celui que le Gouvernement déposera en séance publique afin que nous puissions en débattre. Il s’agit d’abonder les crédits de la mission Justice à hauteur de 249 millions d’euros en autorisations d’engagement et crédits de paiement, répartis entre les programmes Justice judiciaire, Administration pénitentiaire, Protection judiciaire de la jeunesse, Accès au droit et à la justice, et Conduite et pilotage de la justice. Ainsi les créations de postes annoncés dans le cadre de la LOPJ pourraient-elles être maintenues.

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Je relève qu’aucun de ces crédits de paiement n’est affecté au Conseil supérieur de la magistrature, que ceux alloués à l’administration pénitentiaire sont nettement supérieurs aux crédits réservés à la justice judiciaire et que nous ignorons, faute d’une information précise du ministre sur ce point, si les crédits seront suffisants pour créer les postes de magistrats et de greffiers prévus dans la loi de programmation pour l’année 2025. Car, en l’état, le bleu budgétaire prévoit 125 créations de postes de magistrat au lieu de 343 et 145 postes de greffier au lieu de 330. Tant que nous ne disposons pas d’informations supplémentaires, je ne peux donc pas donner un avis favorable à cet amendement.

M. le président Florent Boudié. Je m’en doutais un peu, madame la rapporteure pour avis.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Tout d’abord, je veux bien connaître l’astuce qui permet de déposer des amendements de ce type sans les gager. Peut-être est-ce le privilège du président de la commission.

Je ne suis pas opposé à ces 250 millions d’euros supplémentaires, mais je n’y suis pas pour autant favorable : j’opterai plutôt pour une abstention bienveillante. Je note que seulement 50 millions environ sur 250 relèvent du titre 2. Cela me paraît d’autant plus léger que le ministre nous a annoncé que ces crédits supplémentaires permettraient de valider les protocoles d’accord signés avec les personnels et les recrutements. Je n’ai rien contre le fait que l’on abonde également les dépenses de fonctionnement, car elles ont besoin de l’être, mais je souhaiterais savoir à quoi seront affectés les crédits hors titre 2.

M. le président Florent Boudié. Cet amendement est recevable au titre de l’article 40, car le Gouvernement a clairement manifesté ses intentions, notamment en déposant, en vue de la séance publique, un amendement identique, qui porte le numéro 896, et qui sera très prochainement rendu public.

M. Jean Terlier (EPR). Depuis 2017, les députés du groupe LFI n’ont jamais voté les augmentations du budget de la justice, qui a pourtant enregistré une hausse de 53 %. Le ministre a annoncé très clairement que la trajectoire des recrutements serait maintenue. Comment pouvez-vous soutenir le contraire ? Il faut être réaliste !

Les 237 millions manquants s’expliquent par l’impossibilité de consommer les crédits affectés à la construction de prisons, en raison de blocages locaux. Mais la trajectoire de recrutement prévue dans la LOPJ – 1 500 magistrats, 1 800 greffiers et 1 100 attachés de justice – sera maintenue. Il faut se satisfaire des engagements pris par le ministre – je le dis à Naïma Moutchou, qui a annoncé qu’elle ne voterait pas pour le budget.

M. Philippe Schreck (RN). Avec ces 250 millions d’euros, nous faisons la moitié du chemin à parcourir pour respecter la loi de programmation ; ce n’est donc pas mal. Il nous reste à faire l’autre moitié d’ici à la séance publique, pour peu que celle-ci se tienne, ce qui n’est pas garanti.

Le ministre a menacé de démissionner s’il n’obtenait pas des crédits qu’il nous a dit ne pas avoir demandés faute de pouvoir les utiliser. C’est un peu tourmenté… Toujours est-il que nous nous prononcerons en faveur de cet amendement, sachant que cela ne préjuge en rien de notre vote final sur un budget insuffisant au regard de la loi de programmation que nous avons adoptée et des besoins des Français.

M. le président Florent Boudié. C’est précisément parce qu’il n’est pas certain que la discussion du projet de loi de finances pour 2025 se poursuive que j’ai souhaité que nous puissions débattre de cet amendement.

M. Philippe Gosselin (DR). On peut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. Je considère, pour ma part, qu’il nous faut faire bonne figure. À cet égard, madame la rapporteure pour avis, votre intervention était à charge. Les choses sont heureusement plus contrastées, même si l’on peut s’interroger sur les crédits du titre 2.

Je persiste néanmoins à déplorer l’absence de 237 millions. Quand bien même ils ne seraient pas utilisés en 2025, nous en avons véritablement besoin dans le cadre d’un plan de construction de places de prison : nous devons nous donner les moyens de pallier le manque de terrains et de convaincre les collectivités – nous y reviendrons.

Mme Naïma Moutchou (HOR). Je m’interroge, moi aussi, sur les perspectives qu’offre cet amendement en matière d’effectifs : c’est le nerf de la guerre. J’espère que la trajectoire sera respectée, mais je n’ai aucune certitude à ce sujet. Quoi qu’il en soit, l’amendement va dans le bon sens ; je voterai donc pour, à titre conservatoire, car c’est mieux que rien. Mais je n’en pense pas moins. Il manque toujours 250 millions d’euros pour respecter la trajectoire budgétaire ; c’est d’ailleurs l’objet de l’amendement que je défendrai dans quelques instants.

M. Philippe Latombe (Dem). La grosse déception ressentie par notre groupe lors de la présentation de l’enveloppe initiale est atténuée par cet amendement ; nous voterons donc en faveur de son adoption. Il nous faut maintenant convaincre plus largement pour faire l’autre moitié du chemin et respecter la trajectoire fixée par la loi de programmation du ministère de la justice que nous avons adoptée, il faut le rappeler, au mois de novembre dernier. Notre objectif était de réparer certains dysfonctionnements. Nous ne le faisons pas entièrement ; c’est décevant.

M. Hervé Saulignac (SOC). Tout le monde s’accorde à reconnaître que le compte n’y est pas, mais ce n’est pas un motif valable pour décevoir les attentes des magistrats et des greffiers. Nous voterons donc pour cet amendement.

M. Pouria Amirshahi (EcoS). Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ! On est très loin de ce qu’il faudrait faire, mais nous voterons pour cet amendement. J’attends cependant du Gouvernement qu’en séance publique, il se déclare favorable aux excellentes améliorations que nous avons apportées en commission des finances et que nous ne manquerons pas de confirmer au cours de cette réunion.

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Monsieur Terlier, je n’ai fait qu’indiquer attendre du ministre les précisions qui s’imposent pour s’assurer que cet amendement comporte des crédits en titre 2 suffisants pour créer les 343 postes de magistrat, les 320 postes de greffier et les 307 postes d’attaché de justice que nous sommes en droit d’attendre en 2025. Tant que nous n’aurons pas obtenu ces précisions, nous nous en tiendrons à une abstention bienveillante.

La commission adopte l’amendement.

Amendement II-CL272 de Mme Naïma Moutchou

Mme Naïma Moutchou (HOR). Il s’agit de l’amendement le plus cher que j’ai déposé en sept ans : un demi-milliard d’euros ! Bien entendu, c’est un amendement d’appel. Mais il manque encore 250 millions pour respecter la trajectoire de la loi de programmation, laquelle ne marque pourtant que le début du rattrapage. J’attends donc les réponses du ministre en séance publique.

L’amendement est retiré.

Amendements II-CL267 de M. Pouria Amirshahi et II-CL393, II-CL455 et II-CL454 de Mme Gabrielle Cathala (discussion commune)

M. Pouria Amirshahi (EcoS). Selon les conclusions du rapport du 5 octobre 2024 de la Cepej, le nombre de magistrats pour 100 000 habitants est de seulement de 11,3 en France, contre 24,7 en Allemagne, la moyenne s’établissant à 17,8 pour les pays du Conseil de l’Europe. Pour renforcer notre capacité à bien juger, nous proposons donc de créer 1 000 nouveaux postes de magistrat en 2025.

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Avis favorable. Toutefois, nous proposons, quant à nous, par l’amendement II-CL393, de créer 1 500 postes de magistrat.

Pour ceux qui seraient tentés de tourner ce type d’amendements en ridicule, je rappelle qu’en recrutant 1 200 magistrats par an, il nous faudrait dix ans pour atteindre le ratio de magistrats pour 100 000 habitants qui prévaut en Allemagne. Nous en sommes loin puisque, si le ministre respecte la trajectoire de la loi de programmation, 343 magistrats seront recrutés l’an prochain, lesquels, qui plus est, compenseront, pour un tiers, des postes vacants.

Quant aux amendements II-CL455 et II-CL454, qui sont de repli, ils tendent à créer respectivement 500 et 218 postes de magistrat.

M. Jean Terlier (EPR). Ces amendements visent à créer, d’ici à 2027, un peu plus de 5 000 postes de magistrat tandis que la loi de programmation prévoit d’en créer 1 500, ainsi que 1 800 postes de greffier et 1 000 postes d’attaché de justice. Selon les responsables de l’École nationale de la magistrature et de l’École nationale des greffes (ENG), que nous avons auditionnés lors de l’examen de la loi de programmation, le doublement des effectifs d’élèves qu’implique la trajectoire retenue dans la loi contribuerait déjà à tendre les flux, de sorte qu’il serait rigoureusement impossible d’en former cinq fois plus sur la même période. Parce que nous préférons nous en tenir à la trajectoire réaliste de la loi de programmation, nous voterons contre ces amendements.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). M. Terlier découvre les raisons pour lesquelles nous n’avons pas voté pour la LOPJ ! De fait, nous souhaitions recruter davantage de magistrats et nous nous opposions à une ventilation des dépenses qui traduit la volonté d’augmenter la cadence de la répression. Tel n’est pas notre projet politique.

Il est vrai qu’en l’état actuel des moyens de l’ENM et de l’ENG, il serait impossible de former autant de magistrats que nous le souhaitons. C’est bien pourquoi, chaque année, nous proposons d’augmenter leurs moyens. Ces écoles pourraient ainsi créer des antennes dans les différentes régions de manière à multiplier les petites promos, en lien avec les facultés de droit. On pourrait également, comme cela a été fait en partie, favoriser les passerelles. Bref, beaucoup de mesures peuvent être prises, mais il faut pour cela une volonté politique, un budget et des perspectives.

Du reste, dans l’absolu, il faudrait que les projets de loi de finances soient construits à partir des besoins réels : s’il n’est pas possible de les satisfaire dans l’immédiat, au moins tracerait-on une perspective.

Mme Gabrielle Cathala, rapporteur pour avis. Je vous invite à voter pour l’amendement II-CL393, car il est mieux-disant que le II-CL267.

Successivement, la commission rejette les amendements II-CL267 et II-CL393, adopte l’amendement II-CL455 et rejette l’amendement II-CL454.

Amendement II-CL228 de Mme Colette Capdevielle

Mme Colette Capdevielle (SOC). Nous proposons d’abonder le programme Justice judiciaire afin d’augmenter les effectifs de magistrat des juridictions pénales.

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Je partage l’objectif, mais nous allons examiner des amendements plus ciblés qui visent à augmenter les moyens du parquet national financier, les effectifs des juges des enfants et des magistrats spécialisés dans les violences sexistes et sexuelles. Je vous invite donc à retirer votre amendement.

L’amendement est retiré.

Amendements II-CL449 et II-CL450 de Mme Gabrielle Cathala (discussion commune)

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Lors de la création du parquet national financier (PNF), l’étude d’impact précisait que chaque magistrat devait avoir à traiter huit dossiers. Or le PNF compte 18 magistrats qui traitent 772 procédures par an. Il convient donc de créer 78 postes de magistrat supplémentaires pour respecter le ratio initialement envisagé.

L’amendement II-CL450 est de repli : il vise à créer 13 postes de magistrat supplémentaires au sein du PNF.

La commission rejette l’amendement II-CL449.

Elle adopte l’amendement II-CL450.

Amendements II-CL456 de Mme Gabrielle Cathala et II-CL378 de M. Arnaud Bonnet (discussion commune)

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Chaque juge des enfants suit en moyenne 800 enfants, soit plus de 450 situations, au lieu de 325. Selon le Syndicat de la magistrature, qui a longuement étudié la question, il faudrait recruter 235 juges des enfants et autant de greffiers pour remédier à la situation des enfants en danger.

La commission adopte successivement les amendements.

Amendement II-CL482 de Mme Gabrielle Cathala

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Le groupe LFI s’est toujours opposé à la création des cours criminelles départementales, pour la simple et bonne raison que ces cours, qui ne comportent pas de jury populaire, dérogent au principe selon lequel la justice est rendue au nom du peuple français. Nous souhaitons que les cours d’assises aient davantage de moyens et que les jurys populaires soient étendus aux tribunaux correctionnels.

Toujours est-il que la création de ces cours a accru la charge de travail des magistrats, puisque chacune requiert cinq magistrats professionnels au lieu de trois pour une cour d’assises. Nous proposons donc de recruter 202 magistrats supplémentaires pour permettre aux cours criminelles de fonctionner convenablement.

Mme Colette Capdevielle (SOC). Nous voterons en faveur de l’amendement. Les cours criminelles départementales ne fonctionnent absolument pas. L’énorme stock d’affaires à traiter provoque une embolie dans les juridictions, qui peinent même à trouver des locaux.

Ces cours posent un problème de principe : la justice criminelle doit être rendue par le peuple.

M. Philippe Schreck (RN). En adoptant l’amendement II-CL455, nous avons décidé de créer 500 postes de magistrat supplémentaires. Pourquoi pas, mais depuis, nous avons validé la création de 200 postes de juge pour enfants et désormais, vous nous proposez 200 postes de magistrat dans les cours criminelles. Ces postes sont-ils compris ou s’ajoutent-ils aux 500, auquel cas les crédits supplémentaires que nous avons votés ne suffiront pas ? Il n’y a plus aucune cohérence ni sérieux budgétaire.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Je rappelle notre opposition aux cours criminelles départementales et notre préférence pour les cours d’assises faisant intervenir un jury populaire en vertu du principe selon lequel la justice est rendue au nom du peuple français, au moins pour les crimes.

En tout état de cause, les cours existent et souffrent déjà des mêmes travers que les cours d’assises, à savoir l’engorgement et des délais de jugement qui ne sont pas conformes aux promesses initiales. Si l’expérimentation avait donné satisfaction sur les délais, la généralisation pèche par manque de moyens.

À l’attention de M. Schreck, notre ambition initiale était le recrutement de 1 500 magistrats mais la commission a adopté l’amendement de repli. Nous essayons donc de grappiller des postes, catégorie par catégorie. Vous prenez ainsi conscience de l’ampleur des besoins.

M. Philippe Gosselin (DR). Nous avons l’illustration ici de ce à quoi nous assistons en ce moment : le concours Lépine de l’amendement, en vertu duquel chacun se sent autoriser à voter tout et n’importe quoi.

Votre proposition est en totale contradiction avec le premier amendement de cadrage budgétaire qui a été voté avec l’abstention de nos collègues La France insoumise. Les amendements qui sont adoptés ne respectent pas davantage la trajectoire définie dans la loi de programmation de l’an dernier.

Face à une telle incohérence des votes, il faudra un texte ou une procédure balai pour remettre un peu d’ordre.

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Nous n’avons jamais caché notre volonté de combler les insuffisances de la loi de programmation – sur les 1 500 postes de magistrats prévus, 500 compensent des postes vacants ; quant aux 1 800 postes de greffiers, 700 correspondent à une requalification et non à une création de poste.

La commission des finances a adopté des amendements bien plus généreux sans amputer le budget puisque nous transférons les crédits du programme Administration pénitentiaire destinés au plan 15 000 places de prison, auquel nous sommes opposés. Par ailleurs, nous avons toujours appelé à lever le gage et à supprimer l’article 40.

Enfin, nous répondons aux besoins identifiés par les personnes que nous avons auditionnées ainsi qu’au désarroi qu’elles ont exprimé face au risque de voir s’envoler les créations de postes promises d’ici à 2027.

M. Pouria Amirshahi (EcoS). Je voudrais répondre au procès en dépenses inconsidérées qui nous est intenté.

D’abord, nos propositions visent à répondre à des besoins. Ensuite, les amendements sont gagés. En outre, nous avons dégagé en première partie des recettes pour financer la politique publique que nous appelons de nos vœux. Enfin, rien n’interdit en séance à nos collègues du bloc central d’être à leur tour raisonnables et de concourir à l’amélioration du fonctionnement de la justice dans notre pays. Si vous n’étiez pas arc-boutés sur les réductions d’effectifs et de dépenses, nous pourrions trouver des compromis. Essayons d’être un peu plus ambitieux que le Gouvernement et ses 250 millions.

M. Philippe Gosselin (DR). Loin de moi l’idée de ne pas reconnaître une constance et une certaine cohérence programmatique et idéologique de votre part. Je ne vous la reproche pas mais je ne la partage évidemment pas.

Madame la rapporteure pour avis, je vous invite à vous plaindre de l’article 40 auprès du président de la commission des finances dont nous savons à quelle famille politique il appartient.

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. La discussion de la première partie du projet de loi de finances a permis, jusqu’à présent, de réinjecter 40 milliards d’euros dans le budget de l’État, soit le montant exact des économies dans les services publics voulues par M. Barnier. Demain, vous aurez la possibilité de voter un amendement dont l’objet est de taxer les profits des multinationales et qui rapporterait 27 milliards.

La commission adopte l’amendement.

Amendements II-CL480 de Mme Gabrielle Cathala et II-CL229 de Mme Céline Thiébault-Martinez (discussion commune)

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Il s’agit d’augmenter les moyens humains affectés à la justice civile, en ajoutant un magistrat par tribunal judiciaire.

Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). L’amendement II-CL229 vise également à renforcer les effectifs de magistrats dans la justice civile.

Selon le syndicat de la magistrature, les efforts budgétaires précédents sont manifestement insuffisants puisque dans certaines juridictions, il reste encore un stock d’affaires pour deux ans.

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Mon amendement est mieux-disant, mais s’il n’était pas adopté, je serai favorable au II-CL229.

L’amendement II-CL229 est retiré.

La commission adopte l’amendement II-CL480.

Amendement II-CL448 de Mme Gabrielle Cathala

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Les associations féministes réclament 2,6 milliards pour lutter efficacement contre les violences sexistes et sexuelles, dont 300 millions au bénéfice de la justice, en particulier pour recruter des magistrats spécialisés. L’amendement ouvre 36 millions d’euros pour  créer les 603 postes nécessaires.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL452 de Mme Gabrielle Cathala

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. La juridiction du Val d’Oise, dans laquelle je me suis rendue, a besoin, dès l’année prochaine, de trente-sept magistrats et trente-sept greffiers supplémentaires pour fonctionner de manière optimale, sans attendre les recrutements promis par la loi de programmation. Tel est l’objet de l’amendement.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL453 de Mme Gabrielle Cathala

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Le nombre de juges d’instruction est passé de 542 en 2020 à 562 en 2024, soit une hausse de 3,6 % en quatre ans, alors que le nombre de procédures a augmenté en moyenne de 2 % par an. La conséquence en est un allongement des délais d’instruction. Afin de les réduire, il est proposé de créer cinquante postes supplémentaires de juge d’instruction.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Il est logique que les infractions de nature criminelle liées au narcotrafic soient traitées par un juge d’instruction. On ne peut pas faire de la lutte contre la criminalité organisée une priorité et refuser d’y consacrer les moyens nécessaires. Les juridictions interrégionales spécialisées (Jirs) sont totalement engorgées et les juges d’instruction croulent sous les dossiers qui concernent des individus très dangereux. La création d’un parquet national anticriminalité organisée ne résoudra pas le problème si elle ne s’accompagne pas de postes supplémentaires de magistrat et de policier judiciaire.

Mme Naïma Moutchou (HOR). Il faudra pousser les murs, qui l’ont déjà été, de l’ENM.

Je voterai d’autant moins l’amendement que je suis favorable à la suppression du juge d’instruction, qui est totalement schizophrène – il doit juger à charge et à décharge –, et à la création d’un véritable juge de l’enquête.

La commission adopte l’amendement.

Amendements II-CL458 et II-CL457 de Mme Gabrielle Cathala (discussion commune)

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Il s’agit de créer des postes de greffier : 500 dans l’amendement II-CL458 et 215 dans l’amendement II-CL457, que je retire. Les effectifs prévus par la loi de programmation sont insuffisants, d’autant que 700 des 1 800 postes promis ne sont que des requalifications.

L’amendement II-CL457 est retiré.

La commission rejette l’amendement II-CL458.

Amendement II-CL266 de M. Pouria Amirshahi

M. Pouria Amirshahi (EcoS). Je retire l’amendement mais je souhaiterais néanmoins rappeler les missions méconnues mais essentielles qu’exercent les greffiers : préparer et suivre les dossiers, authentifier les actes judiciaires, organiser le calendrier des audiences, assurer la transparence des procédures, accueillir et renseigner le public, etc. Ils méritent d’être défendus et valorisés.

L’amendement est retiré.

Amendements II-CL230 de Mme Colette Capdevielle, II-CL231 de Mme Céline Thiébault-Martinez et II-CL459 de Mme Gabrielle Cathala (discussion commune)

Mme Colette Capdevielle (SOC). L’amendement II-CL230 a pour objet de renforcer les effectifs des attachés de justice qui travaillent aux côtés des magistrats judiciaires. Le budget pour 2025 prévoit zéro recrutement. Or on ne peut pas embaucher davantage de magistrats et des greffiers sans leur adjoindre des attachés de justice. Il est donc proposé de financer 1 000 ETP supplémentaires.

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Mon amendement tend à atteindre l’objectif de recrutement de 1 100 attachés de justice à l’horizon 2027 en y consacrant les moyens nécessaires.

La commission adopte l’amendement II-CL230.

En conséquence, l’amendement II-CL231 tombe et l’amendement II-CL459 est retiré.

Amendement II-CL460 de Mme Gabrielle Cathala

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. L’amendement vise à allouer les crédits nécessaires au recrutement de quatre personnes supplémentaires au sein du Conseil supérieur de la magistrature, là où le plafond d’emplois prévu dans le PLF est stable.

La commission adopte l’amendement.

Amendements II-CL399 de Mme Danièle Obono, II-CL299 de M. Emmanuel Duplessy, II-CL479 et II-CL462 de Mme Gabrielle Cathala (discussion commune)

Mme Danièle Obono (LFI-NFP). Dans son rapport de 2023, la Commission nationale consultative des droits de l’homme recommande d’accroître de manière significative la proportion de magistrates et magistrats bénéficiant d’une formation initiale et continue au contentieux en matière de racisme et de discrimination.

Il existe un décalage très important entre le nombre de personnes – plus d’un million par an – qui indiquent avoir été victimes d’un acte raciste et les procédures qui sont engagées. La Défenseure des droits alerte sur ce chiffre noir et déplore que les victimes et leur préjudice ne soient pas reconnus comme tels.

Malgré le plan national 2023-2026 de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine, et l’annonce d’actions de sensibilisation dans le cadre d’un partenariat entre la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT et l’ENM, les réalisations restent floues et les données manquent pour les évaluer. En outre, le plan gouvernemental ne s’accompagne d’aucun moyen supplémentaire et se borne à indiquer que les ministères concernés se sont engagés à y consacrer les moyens nécessaires. Pour pallier ces insuffisances, nous proposons, par l’amendement II-CL399, d’allouer 8 millions à la formation.

M. Emmanuel Duplessy (EcoS). L’amendement II-CL299 tend à renforcer la formation des magistrats aux violences faites aux femmes. On sait à quel point la procédure pénale peut être violente pour les victimes. Il est donc indispensable de mieux former les magistrats pour qu’ils puissent, à chaque étape de la procédure, mieux accompagner les victimes. C’est aussi une manière de faciliter l’accès au droit et à la justice pour les victimes.

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Mon amendement a pour but de s’assurer que les élèves de l’ENM et les magistrats reçoivent une formation à la hauteur en matière de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Les crédits en 2024 ont permis d’organiser seulement quinze sessions, donc de former 492 personnes, sans caractère obligatoire. L’amendement reprend le chiffrage établi par les associations féministes.

Je donne un avis favorable à l’excellent amendement de Mme Obono bien que l’ENM ait fait de nombreux progrès dans la formation à la lutte antiraciste ainsi qu’à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Le sujet des violences sexistes, sexuelles mais aussi intrafamiliales est ainsi abordé dans toutes les simulations d’audience. Tout cela reste néanmoins insuffisant. Je vous invite donc à voter les amendements.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement II-CL475 de Mme Gabrielle Cathala, amendements identiques II-CL114 de Mme Elsa Faucillon et II-CL226 de Mme Colette Capdevielle, amendement II-CL467 de Mme Gabrielle Cathala (discussion commune)

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Mon amendement II-CL475 vise à financer la présence systématique d’un avocat lors de l’audition d’un mineur dans le cadre de mesures d’assistance éducative. C’est une demande ancienne de tous les représentants de la profession d’avocat. L’amendement II-CL467 est un amendement de repli.

Mme Elsa Faucillon (GDR). L’objet est le même que celui de la rapporteure.

L’accompagnement d’un avocat est un moyen de préparer l’enfant à prendre la parole mais aussi de soutenir cette parole. Certains juges des enfants font valoir qu’ils jouent déjà deux rôles, celui du magistrat et celui de l’avocat. Mais il me semble impossible de tenir les deux postures en même temps. Certes le juge n’est pas là pour établir une quelconque culpabilité de l’enfant, mais il n’est pas en mesure de le préparer ni de le tenir informé de ses droits. C’est à l’avocat, qui y est formé spécialement, de le faire.

Mme Colette Capdevielle (SOC). Pourquoi l’enfant a-t-il besoin de la présence d’un avocat lorsqu’il se retrouve face au juge et à ses parents qui peuvent être en désaccord ? Parce que, bien souvent, la parole de l’enfant est instrumentalisée s’il n’est pas assisté.

Il est bien question de l’enfant lorsque le juge prononce une mesure d’assistance éducative. Il est particulièrement choquant qu’en 2024, un mineur se retrouve seul face au juge des enfants. Il doit bénéficier, au titre de l’aide juridictionnelle, de l’assistance d’un avocat formé et indépendant des deux parents. C’est vraiment le moins que l’on puisse faire pour garantir les droits de l’enfant.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements II-CL466 et II-CL464 de Mme Gabrielle Cathala, II-CL110 de Mme Elsa Faucillon, amendements identiques II-CL224 de Mme Colette Capdevielle et II-CL264 de M. Pouria Amirshahi, amendement II-CL468 de Mme Gabrielle Cathala (discussion commune)

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Les amendements tendent à augmenter le montant de l’unité de valeur de l’aide juridictionnelle. Les avocats nous le disent, la faiblesse de l’unité de valeur les fragilise.

L’amendement II-CL475 qui a été adopté par la commission des finances porte le montant à 60 euros – c’est la version idéale, promue par le Conseil national des barreaux. Certains amendements de repli proposent 40 euros en s’inspirant du rapport Perben, d’autres 42,2 pour prendre en compte l’inflation.

M. Philippe Schreck (RN). Je ne suis pas étonné que les avocats soient favorables à une hausse de l’unité de valeur. Les quatre premiers amendements sont un peu déraisonnables eu égard à la contrainte budgétaire actuelle.

Cependant, on sait que la faible rémunération de l’aide juridictionnelle a créé une défense à deux vitesses. Certains cabinets se détournent de cette mission, car les sommes allouées ne couvrent pas les frais fixes. Il convient donc d’envisager une montée en charge de l’unité de valeur.

M. Philippe Gosselin (DR). Il s’agit d’un vieux débat. L’aide juridictionnelle est dotée de 661 millions pour 2025, soit une hausse de 0,4 %. J’aurais donc tendance à dire que le compte n’y est pas.

Un décret visant à ajuster les barèmes de rétribution, notamment pour les procès hors normes, est en préparation – des précisions de la part du ministre auraient été bienvenues.

Les montants proposés dans les amendements font malheureusement exploser le budget. Néanmoins, je plaide pour une application du rapport Perben. Un rattrapage a été effectué, il faut le signaler, mais il n’est sans doute pas à la hauteur des attentes ni surtout des besoins.

Mme Naïma Moutchou (HOR). La rétribution de l’unité de valeur n’est pas adaptée à la charge de travail, à la complexité des contentieux ni au temps passé par les avocats à l’aide juridictionnelle.

Philippe Gosselin et moi avions recommandé dans notre rapport sur le sujet une revalorisation régulière de l’unité de valeur plutôt que par à-coups, tout en posant la question du financement global de l’aide juridictionnelle. Celui-ci étant assuré par des ressources de l’État, il n’est pas pérenne. Nous avions ainsi plaidé pour le retour du droit de timbre, dont les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle auraient été exonérés.

Les amendements vont dans le bon sens, car le travail doit être rétribué à sa juste valeur du travail, mais nous devons trouver une solution durable. C’est une charge constante qui continue d’évoluer dans le temps ; elle représente plus d’un demi-milliard d’euros.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). J’invite mes collègues à voter le dernier amendement, moins coûteux – 50 millions – et qui permet au moins de couvrir l’inflation.

Mme Colette Capdevielle (SOC). L’État a la possibilité, en vertu de l’article 700 du code de procédure civile, de se retourner contre la partie perdante. Il commence à en faire usage depuis peu. Il serait d’ailleurs intéressant que le ministère nous communique les sommes qui sont recouvrées à ce titre.

Devant la cour d’appel, le timbre est payé par l’appelant et l’intimé. Le paiement du timbre devant le juge du premier degré me semble constituer une entrave à l’accès à la justice, notamment pour la classe moyenne qui ne bénéficie pas de l’aide juridictionnelle.

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. La revalorisation à 60 euros de l’unité de valeur – soit 120 euros de l’heure, ce qui correspond au tarif habituel des avocats – est la seule manière pour les avocats de l’aide juridictionnelle de ne pas travailler à perte.

La commission rejette successivement les amendements.

La commission rejette successivement les amendements en discussion commune II-CL225 de Mme Céline Thiébault-Martinez et II-CL465 de Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis.

Amendement II-CL425 de M. Philippe Schreck

M. Philippe Schreck (RN). Les crédits nécessaires pour le budget de fonctionnement de l’aide juridictionnelle en 2025 ont été évalués à presque zéro – ils sont de 30 000 euros – contre 1 million en 2024, sans que nous ayons d’explications à ce sujet. Il faut prévoir des moyens pour l’aide juridictionnelle. Le but de notre amendement est de rétablir ce budget au même niveau que lors des exercices précédents.

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Je note que vous êtes davantage préoccupé par le budget de fonctionnement de l’aide juridictionnelle que par la revalorisation de l’unité de valeur pour la mission de service public exercée par les avocats. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendements II-CL478 et II-CL470 de Mme Gabrielle Cathala et II-CL428 de M. Philippe Schreck (discussion commune)

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Mes amendements visent à augmenter le budget pour les associations d’aide aux victimes. Les montants très modestes que je propose, respectivement de 8 et 7 millions d’euros, ne conduiront personne à s’étouffer ici, mais ces amendements sont très attendus par le secteur associatif, qui est paupérisé par l’obligation de verser la prime Ségur depuis un arrêté publié en août sans aucune compensation de la part du ministère de la justice.

La commission adopte successivement les amendements II-CL478 et II-CL470.

Elle rejette l’amendement II-CL428.

Amendement II-CL463 de Mme Gabrielle Cathala

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Il s’agit d’augmenter de 2,4 millions d’euros les crédits alloués au développement de l’accès au droit et aux réseaux judiciaires de proximité.

La commission rejette l’amendement.

Amendements II-CL232 de Mme Céline Thiébault-Martinez, II-CL473 de Mme Gabrielle Cathala et II-CL429 de M. Philippe Schreck (discussion commune)

Mme Colette Capdevielle (SOC). L’amendement II-CL232 vise à augmenter de 4,5 millions d’euros l’aide aux victimes, notamment en ce qui concerne la mise à disposition de téléphones grave danger.

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Mon amendement vise également à augmenter le nombre de TGD. On en compte actuellement environ 6 000 alors qu’il en faudrait 7 500 selon le chiffrage des associations féministes. Cette mesure est complémentaire de la mise à disposition de bracelets anti-rapprochement et de la création postes de magistrats supplémentaires pour lutter contre les VSS.

M. Philippe Schreck (RN). La lutte contre les violences intrafamiliales, notamment conjugales, demeure une cause nationale. Les 6 000 téléphones grave danger en service sont insuffisants. L’amendement II-CL429 prévoit donc des crédits supplémentaires, dans des proportions plus modestes que les amendements précédents, mais nous proposons par ailleurs de renforcer le dispositif des bracelets anti-rapprochement.

M. Philippe Gosselin (DR). Il y a sans doute des économies à faire, mais nous devons renforcer les efforts concernant les TGD, qui ont fait leurs preuves.

La commission adopte successivement les amendements II-CL232 et II-CL473.

Elle rejette l’amendement II-CL429.

Amendements II-CL361 de M. Philippe Schreck et II-CL477 de Mme Gabrielle Cathala (discussion commune)

M. Philippe Schreck (RN). Mon amendement, qui a reçu un avis favorable du rapporteur en commission des finances, vise à mettre le projet de loi de finances en cohérence avec la loi de programmation de la justice en matière immobilière. De nombreuses rénovations et même constructions de tribunaux étaient prévues, mais le budget pour 2025 tend à mettre un coup d’arrêt à cette dynamique – les 250 millions d’euros supplémentaires qui ont été votés ne concernent pas l’immobilier de la justice et des services pénitentiaires. Alors que les crédits pour la rénovation et la construction de juridictions s’élevaient l’an dernier à 456 millions d’euros, le PLF pour 2025 ne prévoit que 171 millions, ce qui représente une baisse de près de 60 %. En parallèle, les montants des contrats de partenariat public-privé continuent à augmenter alors qu’on sait qu’ils posent beaucoup de difficultés.

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Mon amendement vise à allouer 93 millions d’euros supplémentaires au programme 166. Les crédits consacrés aux investissements immobiliers des services judiciaires ont reculé en 2024 et devraient également baisser en 2025, de 62 % en autorisations d’engagement et de 26 % en crédits de paiement. Je vous propose de corriger cette trajectoire.

Avis défavorable à l’amendement II-CL361.

La commission rejette l’amendement II-CL361.

Elle adopte l’amendement II-CL477.

Amendements II-CL268 de M. Pouria Amirshahi et II-CL394 de M. Jean-François Coulomme (discussion commune)

M. Pouria Amirshahi (EcoS). Nous sommes entrés dans une phase de crétinisme parlementaire absolu. Cela fait plusieurs semaines que ce débat budgétaire, qui s’est engagé d’une manière précipitée du fait de la dissolution, nous plonge dans des situations incroyables : nous devons siéger en même temps en séance pour voter des recettes, en commission des finances pour voter des dépenses, mais aussi en commission des affaires sociales pour examiner le PLFSS, tout cela dans une boucle sans fin. Nous sommes même appelés aujourd’hui à donner un avis à la commission des finances sur des amendements qu’elle a déjà examinés ! Un tel niveau de dégradation du débat parlementaire n’est pas admissible. Je ne doute pas que vous en ayez conscience, monsieur le président, ni que vous ayez l’intention de vous exprimer avec force à ce sujet, mais la réunion que vous avez été dans l’obligation de convoquer est totalement absurde. Le moment que nous vivons n’a aucun sens démocratique. J’ignore dans quelles conditions les débats reprendront ce soir, mais nous nous demandons, au groupe Écologiste et social, si nous devons continuer à débattre d’amendements déjà examinés par la commission des finances.

M. le président Florent Boudié. Voulez-vous dire, mon cher collègue, qu’il n’y aurait pas beaucoup de sens à examiner en commission des lois des missions budgétaires qui ne feraient pas l’objet d’un débat en séance ? C’est une question rhétorique.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Même si je partage en partie les propos de Pouria Amirshahi, je vais présenter l’amendement d’appel II-CL394, qui demande le rattachement de la police judiciaire à la mission Justice, au sein d’un programme spécifique, et non à la mission Sécurités. La justice a, en effet, vocation à mener les investigations et la perspective que nous traçons ne semble pas déplaire au garde des sceaux – nous avons eu l’occasion de lui en parler.

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Avis favorable à l’amendement de Jean-François Coulomme. J’invite Pouria Amirshahi à retirer le sien, non pour une raison de fond mais parce qu’il coûterait 3,1 milliards, ce qui aurait pour conséquence de vider totalement les crédits d’un programme et d’interrompre nos débats.

L’amendement II-CL268 est retiré.

La commission rejette l’amendement II-CL394.

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*     *

Lors de sa réunion du mardi 5 novembre 2024 à 21 heures la Commission poursuit l’examen pour avis des crédits de la mission « Justice » (Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis sur les crédits de la justice et de l’accès au droit, M. Romain Baubry, rapporteur pour avis sur les crédits de l’administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse).

M. le président Florent Boudié. Mes chers collègues, nous poursuivons l’examen pour avis des crédits de la mission Justice.

Article 42 et État B (suite) : Crédits du budget général

Amendement II-CL430 de M. Philippe Schreck

M. Philippe Schreck (RN). Défendu.

 M. Romain Baubry, rapporteur pour avis (Administration pénitentiaire et protection judiciaire de la jeunesse). Avis favorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL360 de M. Philippe Schreck

M. Philippe Schreck (RN). Le projet de loi de finances pour 2025 prévoit un fort recul du budget de l’immobilier pénitentiaire, qui a subi un important coup de rabot en février 2024. Les dépenses d’investissement passent de 712 à 405 millions, soit une baisse de 43 %. Le discours du ministre relève clairement de l’évitement : « Je n’arrive pas à consommer mon budget, donc je le rends ». Renoncer à un budget, c’est renoncer à une politique.

Il faut rétablir le budget de l’immobilier pénitentiaire pour réaliser le plan 15 000 places de prison, première étape du plan « 18 000 places de prison ». Ce plan est indispensable pour lutter contre la surpopulation carcérale, que certains dénoncent à raison, pour améliorer le respect de la dignité des détenus et leur condition de détention, ce pour quoi la France a souvent été condamnée, et pour privilégier l’encellulement individuel. Comme d’autres précédemment soutenus, cet amendement n’a d’autre objet que tenter de faire coïncider le projet de loi de finances pour 2025 avec loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.

Contre l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL390 de Mme Florence Goulet

Mme Florence Goulet (RN). Cet amendement d’appel vise à alerter sur l’état critique des établissements pénitentiaires français. Dans ma circonscription de la Meuse, le centre de détention de Montmédy accueille 330 détenus, soit sa capacité maximale. Il est en première ligne de la crise. Une trentaine de postes, sur un effectif théorique de soixante-dix surveillants pénitentiaires, sont vacants, ce qui induit inévitablement une surcharge de travail, une dégradation des conditions de travail et une multiplication des incidents.

Agressions de surveillants, évasions, livraisons de stupéfiants par drone et incendies de véhicules sont désormais des réalités quotidiennes. Depuis plusieurs années, nos prisons souffrent d’une surpopulation chronique, aggravée par un manque cruel de moyens humains et matériels. Au 1er juillet 2024, le taux d’occupation de nos établissements pénitentiaires a atteint 127 %. Le budget alloué à l’administration pénitentiaire est trop faible pour lui permettre de relever les défis afférents. Il faut agir dès aujourd’hui pour la sécurité de demain.

Contre l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL388 de Mme Martine Froger

Mme Martine Froger (LIOT). Il vise à lutter contre la surpopulation carcérale et à inciter l’État à développer une politique d’insertion ambitieuse par la mise en œuvre d’un mécanisme de régularisation carcérale contraignant. L’objectif est de financer à hauteur de 10 millions, dans les territoires, des commissions réunissant toutes les parties prenantes afin de prévoir des peines alternatives dès qu’un établissement présente un taux d’occupation supérieur à 100%.

M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. Je suis opposé par principe à toute régulation carcérale, qui relève à mes yeux d’une idéologie laxiste ayant pour effet de faire sortir des prisons un grand nombre de détenus. Vous prenez le problème à l’envers. Pour vous, il y a trop de délinquants, donc il faut les relâcher. Pour nous, il faut construire des places de prison pour en accueillir davantage.

M. le président Florent Boudié. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec vos arguments mais nous verrons cela une autre fois.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL414 de Mme Gabrielle Cathala

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis (Justice et accès au droit). Il vise à améliorer les conditions de détention des femmes. L’Observatoire international des prisons (OIP) a indiqué à plusieurs reprises que les femmes détenues souffrent d’une hygiène dégradée. Elles sont souvent en situation de précarité menstruelle. Le présent amendement vise à créer une ligne budgétaire de faible montant – 1 million – pour pallier les manquements constatés.

M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. L’OIP ne fait pas partie des références sur lesquelles je me fonde. J’émets toutefois un avis favorable à l’amendement, sous réserve que le Gouvernement lève le gage.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL483 de M. Romain Baubry

M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. Il s’agit d’augmenter le budget alloué au recrutement du personnel pénitentiaire. Le schéma d’emploi prévoit la création de 305 postes d’agents de surveillance. Je propose de doubler ce chiffre, soit 710 surveillants pénitentiaires supplémentaires pour 2025. Nos prisons manquent cruellement d’effectifs. Aucun des établissements pénitentiaires que j’ai visités ne fait exception.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL484 de M. Romain Baubry

M. Romain Baubry, rapporteur pour avis.  Les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) sont le cœur du réacteur des services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip). Ce sont eux qui assurent le suivi des personnes condamnées à une mesure judiciaire en milieu ouvert et l’accompagnement des personnes condamnées à une peine d’emprisonnement.

Ce qui vient d’abord à l’esprit, lorsque l’on évoque l’administration pénitentiaire, ce sont les personnes incarcérées, qui sont près de 80 000 dans notre pays. Or, il faut y ajouter près de 180 000 personnes suivies en milieu ouvert, condamnées à des mesures judiciaires telles que des travaux d’intérêt général (TIG).

En tout, l’administration pénitentiaire assure donc le suivi d’environ 260 000 personnes. Ce sont les CPIP qui s’en chargent. Ils ont donc une lourde charge de travail. Par ailleurs, leur rôle est décisif dans le processus de réinsertion des personnes condamnées. Il me semble essentiel de faire connaître davantage ce métier en lançant une campagne de communication pour recruter davantage.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL343 de M. Michaël Taverne, amendements II-CL345 et IICL362 de M. Philippe Schreck (discussion commune)

M. Philippe Schreck (RN). Ils visent à augmenter les moyens de l’École nationale de l’administration pénitentiaire (Enap), réduits de 300 000 euros dans le budget 2025, alors même que l’on nous annonce des recrutements de surveillants pénitentiaires à hauteur de près de 500 équivalents temps plein (ETP). Il y a une contradiction entre objectif de formation et objectif de recrutement. Il faut rendre à cette école les moyens d’atteindre les objectifs qui lui sont fixés par la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027

Contre l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette successivement les amendements.

Amendement II-CL485 de M. Romain Baubry

M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. Les personnels pénitentiaires doivent être davantage protégés compte tenu des menaces et des violences qu’ils subissent. Des menaces, ils en reçoivent au quotidien entre les murs de la prison, mais les actes de violence se multiplient également à l’extérieur. Ils sont de plus en plus fréquemment attaqués à domicile ; leurs familles sont elles aussi agressées. Des couples sont passés à tabac en pleine rue, des agents suivis jusqu’à leur domicile. Tels sont les risques quotidiens que prennent les agents pénitentiaires.

Ces situations ne sont pas acceptables. Nous devons non seulement allouer davantage de moyens à leur sécurité mais aussi leur garantir un meilleur accompagnement s’ils sont confrontés à des violences. Le présent amendement vise à créer un fonds sur le modèle du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI). Ce fonds permettrait notamment de recouvrer, en totalité ou sous forme d’avance, puis dans le cadre d’un mandat, les sommes dues aux agents et à leurs familles.

La commission rejette l’amendement.

Contre l’avis du rapporteur pour avis, elle rejette l’amendement II-CL358 de Mme Colette Capdevielle.

Suivant l’avis du rapporteur pour avis, elle rejette l’amendement II-CL377 de Mme Colette Capdevielle.

Amendement II-CL359 de M. Philippe Schreck

M. Philippe Schreck (RN). Il tire les conséquences du drame d’Incarville, où deux de nos surveillants pénitentiaires ont été assassinés – il n’y a pas d’autres mots – et trois grièvement blessés – ils sont toujours soignés et n’ont pas repris leur travail. Malheureusement, les auteurs n’ont pas été interpellés.

Il y a plusieurs causes à ce drame. L’une d’elles est l’insuffisance, voire le caractère symbolique de la protection passive du véhicule utilisé pour l’extraction judiciaire des détenus. Comme seule protection, ce véhicule avait la signalétique de l’administration pénitentiaire, ce qui permettait de parfaitement le cibler. Certains ont dit, toute considération pour la gravité de l’événement mise à part, qu’il s’agissait d’un camion de pizzaïolo ou de livreur – aucun blindage, aucun mécanisme anti-intrusion, aucun mécanisme de sécurité passive, aucun mécanisme d’alerte.

La discussion avec les syndicats qui a suivi le drame a abouti à la préconisation de trente-trois mesures, parmi lesquelles la montée en charge du blindage des véhicules, qui est indispensable pour protéger, lors des extractions judiciaires par ailleurs trop nombreuses, nos fonctionnaires pénitentiaires et parfois les détenus, voire les usagers de la route. Depuis lors, rien n’a changé.

Nous verrons qui votera contre le blindage des véhicules de l’administration pénitentiaire. Le présent amendement vise à la doter d’un budget à cet effet, afin que ses fonctionnaires ne soient pas démunis lors des extractions judiciaires et des transfèrements vers un hôpital ou une juridiction.

M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. Le drame d’Incarville, qui a coûté la vie à deux agents de l’administration pénitentiaire, doit nous faire réfléchir à l’équipement que nous voulons allouer aux surveillants chargés d’escorter les détenus hors des prisons. L’achat et l’équipement de véhicules font partie de leurs souhaits pour accomplir leur mission en toute sécurité. Lorsque nous discutons avec eux, ils nous disent les difficultés matérielles qu’ils rencontrent au quotidien, notamment en raison de véhicules en panne, en nombre insuffisant ou insuffisamment sécurisés. Avis favorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL486 de M. Romain Baubry, amendement II-CL271 de Mme Naïma Moutchou, amendements II-CL351, II-CL373 et II-CL374 de M. Philippe Schreck (discussion commune)

M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. J’émets d’emblée un avis favorable aux amendements autres que le mien soumis à discussion commune.

Il s’agit de renforcer les brouilleurs de téléphonie installés dans les prisons. Lors de chacun de mes déplacements dans les établissements pénitentiaires, j’ai constaté que mon téléphone captait très bien le réseau. Si mon téléphone capte très bien le réseau, alors ceux que les détenus arrivent à faire entrer dans leurs cellules captent de même, ce qui leur permet de poursuivre leurs trafics et de se livrer à toute autre exaction de l’intérieur de la prison.

Il faut absolument agir. C’est là le nerf de la guerre de la sécurisation des établissements pénitentiaires. En 2023, près de 53 000 téléphones ou accessoires téléphoniques ont été saisis. Au 1er septembre de cette année, nous en sommes déjà à 45 000. À ces chiffres impressionnants, il faut ajouter les téléphones qui ne sont jamais repérés ni saisis. Imaginer que les criminels sont en lien permanent avec l’extérieur, alors même que la prison est censée les en isoler pour protéger la société, donne le vertige.

Il faut agir pour éviter que le drame d’Incarville ne se reproduise. Il faut agir pour protéger nos agents pénitentiaires et nos concitoyens. Adopter au moins l’un des amendements, qui prévoient des moyens supplémentaires pour équiper les établissements pénitentiaires, est logique.

M. Jean Moulliere (HOR). L’amendement II-CL271 est un amendement d’appel visant à alerter sur l’utilisation du téléphone portable dans les établissements pénitentiaires. En dépit de son interdiction, elle est malheureusement monnaie courante. À quoi bon condamner un délinquant à une privation de liberté s’il peut entretenir son trafic depuis sa cellule ? Notre amendement vise à généraliser les brouilleurs de télécommunication dans les cellules.

M. Philippe Schreck (RN). L’assassinat d’Incarville a vraisemblablement été piloté depuis une prison. Les membres de la tristement célèbre DZ Mafia continuent, comme le relate un article de presse paru il y a quelques jours, de gérer leurs trafics grâce à des téléphones portables, alors même qu’ils sont détenus à l’isolement.

Il faut faire en sorte que les prisons ne soient plus un maillon des cartels de nos quartiers. Manifestement, les téléphones entrent dans les prisons, en dépit des dispositifs anti‑projection et des portiques de sécurité. Il faut donc massivement les équiper de brouilleurs de téléphonie – tel n’est pas le cas à ce jour.

M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. J’indique à nos collègues du groupe Horizons que, s’ils veulent généraliser les brouilleurs de téléphonie au sein des établissements pénitentiaires, il convient de voter mon amendement, qui a été chiffré en fonction du nombre de brouilleurs manquants et du coût réel de ce type de dispositif.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements II-CL487 de M. Romain Baubry et II-CL350 de M. Philippe Schreck (discussion commune)

M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. Pour empêcher les téléphones portables d’entrer dans les établissements pénitentiaires, plusieurs dispositifs sont nécessaires. Deux revêtent une importance particulière : les dispositifs anti-projection et les dispositifs anti-drone.

De nos jours, les détenus se font livrer des repas UberEats à la fenêtre de leur cellule par drone. Les drones sont aussi, ce qui est plus grave, une voie d’entrée très usitée des téléphones et de la drogue. Ce phénomène est récent mais sa progression est exponentielle, notamment dans les établissements suffisamment bien conçus pour qu’il soit difficile d’y projeter des objets..

Les brouilleurs de drone sont des dispositifs éprouvés. Les syndicats d’agents pénitentiaires confirment ce constat. Nous devons investir dans ces dispositifs, qui contribuent à limiter l’entrée des téléphones, de drogue et d’armes dans les centres pénitentiaires. Le budget nécessaire pour ce faire est de 250 000 euros par brouilleur, soit 24 millions pour l’année 2025 et l’ensemble des établissements pénitentiaires.

M. Philippe Schreck (RN). Manifestement, certains ici sont pour le statu quo. Pas de dispositif anti-projection, pas de portique de sécurité, pas de brouilleur de drone : tout va bien dans nos prisons ! Elles sont en réalité des zones de non-droit et de pilotage de trafics, ce qui n’est pas sérieux.

Les voyous utilisent de plus en plus les drones, parce que leur technologie est de plus en plus évoluée et leur coût toujours moindre, pour se faire livrer des armes blanches, de la drogue – certains ici n’y voient pas d’inconvénient – et des téléphones. Il faut endiguer ce phénomène. Les brouilleurs de drone sont des dispositifs maîtrisés. Il convient d’adosser les moyens adéquats aux politiques suivies, faute de quoi elles demeurent des déclarations d’intention.

M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. Avis favorable.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement II-CL348 de M. Philippe Schreck, amendements II-CL489 et II-CL488 de M. Romain Baubry (discussion commune)

M. Philippe Schreck (RN). Il s’agit d’augmenter le budget alloué aux dispositifs anti-projection. Ceux qui ne voient pas d’inconvénient aux livraisons par drone dans les prisons et au pilotage des trafics depuis les prisons voteront naturellement contre ces amendements.

M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. J’ai consacré la partie thématique de mon rapport à la sécurisation des établissements pénitentiaires, qui est une priorité pour leur personnel et qui doit l’être pour nous. Notre système pénitentiaire ne peut pas fonctionner si nos prisons ne sont pas étanches. Nous ne pouvons pas garantir la protection de notre société si les détenus peuvent communiquer à leur guise avec l’extérieur, parfois pour poursuivre leurs trafics ou se livrer à d’autres exactions.

Pour empêcher les téléphones portables d’entrer dans les centres pénitentiaires, plusieurs dispositifs sont nécessaires, parmi lesquels les dispositifs anti-projection. Les constats de terrain confirment que ces derniers permettent de réduire le nombre de téléphones entrant dans les centres de détention. Dans certains établissements pénitentiaires que j’ai visités, les murs extérieurs sont situés bien trop près des zones de détention, ce qui rend les projections très faciles.

Les glacis ajoutés autour des murs pour garantir une certaine sécurité sont souvent très faciles à franchir. J’ai parcouru celui de la maison d’arrêt de Lyon-Corbas : le grillage qui l’enserre ressemble à du gruyère tant il est percé et découpé. Il suffit aux complices des détenus de le traverser et de se placer au pied du mur d’enceinte pour balancer tout ce qu’ils veulent à l’intérieur. Les réparations réalisées sur le grillage sont des rustines qui n’entravent en rien les projections. Les agents de l’établissement réclament l’installation de barbelé concertina pour en renforcer la sécurité. Ils demandent aussi l’installation de filets anti-projection.

J’émets un avis favorable à l’amendement II-CL348.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement II-CL490 de M. Romain Baubry, amendements II-CL349, II-CL371 et II-CL372 de M. Philippe Schreck (discussion commune)

M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. Le développement de la vidéosurveillance, l’amélioration des systèmes et l’installation de portiques sont autant de solutions utiles pour accroître la sécurité des établissements pénitentiaires et aider les personnels qui en ont la charge. Je suis effaré par la mauvaise qualité des systèmes de vidéosurveillance dont sont équipées nos prisons.

Les caméras sont pourtant l’un des outils les plus efficaces pour sécuriser la détention. Il n’est pas normal que leur qualité soit si médiocre. Nous sommes à l’heure de l’intelligence artificielle. Or, nos prisons ne profitent pas du tout de cette évolution technologique. Le présent amendement prévoit un budget complémentaire de 9 millions pour améliorer les systèmes de vidéosurveillance en y intégrant l’intelligence artificielle. J’émets un avis favorable aux amendements de repli II-CL349, II-CL372 et II-CL372.

M. Philippe Schreck (RN). Nous avons évoqué les portiques de sécurité, les dispositifs anti-projection et les brouilleurs de drone. Tout compris, le budget alloué à la sécurisation de nos prisons pour 2025 est légèrement inférieur à 40 millions, soit moins de 1 million par établissement. Nous avons une responsabilité vis-à-vis des détenus et de nos fonctionnaires, notamment de nos surveillants. En refusant le moindre coup de pouce en faveur de ces dispositifs indispensables – puisque nous courons après les voyous, les intrusions et les complices de détenus –, nous faisons preuve d’une forme de renoncement.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements II-CL352, II-CL375 et II-CL376 de M. Philippe Schreck (discussion commune)

M. Philippe Schreck (RN). Le bracelet anti-rapprochement (BAR) est un dispositif dont le principe est unanimement approuvé. Il s’inscrit dans le cadre de la cause nationale qu’est la lutte contre les violences intrafamiliales, notamment conjugales.

Ces amendements visent à prévoir la montée en charge du financement des BAR. Ils ont eu la faveur de la commission des finances, ce qui est assez miraculeux pour être signalé. Ce qui mérite aussi de l’être, c’est que les projets de loi de finances, en matière de BAR, procèdent par copier/coller. En 2025 comme en 2024 et en 2023, le budget de fonctionnement consacré à leur modernisation est de 5 millions, ce qui ne résout en rien les problèmes rencontrés, notamment en matière d’opérateurs et de suivi.

Il est désolant de voir, projet de loi de finances après projet de loi de finances, les crédits reconduits sans qu’on s’interroge sur l’origine des problèmes de déploiement de ce dispositif – dysfonctionnements, diminution du nombre de bracelets distribués. La lutte contre les violences intrafamiliales, érigée au rang de grande cause, impose de soutenir sa montée en charge.

M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. Tous les amendements tendant à renforcer la sécurité des établissements pénitentiaires ayant été rejetés, il ne faudra pas vous émouvoir, chers collègues, lorsqu’un drame surviendra en leur sein ou lorsqu’une escorte sera à nouveau attaquée. Vous devrez dire, droit dans les yeux, aux membres des familles des victimes que vous n’avez rien fait.

Quant aux victimes de violences intrafamiliales, il est évident que nous devons tout mettre en œuvre pour les protéger. Le bracelet anti-rapprochement a fait ses preuves et nous donnerons un avis favorable à ces amendements.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement II-CL391 de M. Pascal Markowsky

M. Pascal Markowsky (RN). Cet amendement d’appel vise à alerter sur la situation de la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré : nous proposons 3 millions pour rénover le quartier disciplinaire de la citadelle, qui n’est plus conforme aux normes. Par ailleurs, les conditions actuelles de transfert exposent à des problèmes de sécurité. Il importe de créer un environnement plus sûr et plus fonctionnel pour les détenus et pour les personnels, dont nous relayons ici les demandes.

M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. Avis favorable. Lorsque j’ai visité cet établissement, j’ai été scandalisé par son état, contre lequel tous les personnels protestent. La maison centrale étant divisée en deux structures séparées par la voie publique, les personnels doivent opérer des transferts d’une grande complexité pour conduire les détenus sanctionnés dans le quartier disciplinaire. Il est indispensable de financer des travaux de rénovation en vue d’une remise en état rapide.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL423 de M. Romain Tonussi

M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. Nous prévoyons de donner au centre de détention de Salon-de-Provence des moyens budgétaires pour acquérir des dispositifs de sécurité indispensables – filins anti-hélicoptères, systèmes de brouillage de drones et de téléphones, filets anti-projection.

La commission rejette l’amendement.

Amendements II-CL409, II-CL410 et II-CL406 de M. Jean-François Coulomme, II-CL491 de M. Romain Baubry, II-CL411 de Mme Gabrielle Cathala, II-CL227 de Mme Céline Thiébault-Martinez et II-CL389 de Mme Martine Froger (discussion commune)

Mme Danièle Obono (LFI-NFP). Maillon essentiel de la réinsertion et de l'accompagnement social, juridique et sanitaire des personnes condamnées, les services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip) contribuent à assurer l’individualisation des peines. Pour soutenir le développement du suivi en milieu ouvert, que nous appelons de nos vœux, il est nécessaire d’augmenter les effectifs de tous leurs agents. Nous proposons donc un plan de recrutement portant sur 3 000 équivalents temps plein (ETP) dans l’amendement II-CL409, 1 500 ETP dans l’amendement II-CL410 et 500 ETP dans l’amendement II-CL411.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Comme d’autres professions du secteur social ou médico-social, les personnels des Spip n’ont pas reçu le complétement de traitement indiciaire de 183 euros du Ségur de la santé. Nous voulons faire en sorte, par l’amendement II-CL406, qu’ils en bénéficient, compte tenu de l’accompagnement socio‑éducatif qu’ils assurent.

M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. L’amendement II-CL491 vise à créer dans chaque département deux postes de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) spécialement chargés du suivi des peines de travaux d’intérêt général (TIG) que le manque actuel de contrôle rend inefficaces.

Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). Notre amendement II-CL227 prévoit la création de 100 ETP supplémentaires au sein des Spip, augmentation qui viendrait s’ajouter à la hausse déjà prévue dans le programme Administration pénitentiaire.

Mme Martine Froger (LIOT). Les Spip jouent un rôle clef en matière de réinsertion et de prévention de la récidive mais le nombre de personnes suivies par conseiller est bien trop élevé. Il apparaît essentiel de leur accorder des moyens supplémentaires pour assurer leurs missions et répondre aux enjeux de notre politique pénale. Notre amendement II‑CL389 vise à compenser la diminution de 0,5 million que leur budget a subie.

M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. Mon avis sera défavorable sur les amendements II-CL409, II-CL410, II-CL406 et II-CL411, qui procèdent à des ponctions sur les crédits dédiés au programme immobilier pénitentiaire et au plan « 15 000 », et favorable sur les amendements II-CF491, II-CL227 et II-CL389.

Successivement, la commission rejette les amendements II-CL409, II-CL410, II406, II-CL491 et II-CL411, puis elle adopte les amendements II-CL227 et II-CL389.

Amendements II-CL400, II-CL401, II-CL403, II-CL404, II-CL405 de M. Jean-François Coulomme, II-CL233 de Mme Colette Capdevielle, II-CL492, II-CL494 et II-CL493 de M. Romain Baubry (discussion commune)

M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Les services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) souffrent d’un manque cruel de personnels. Alors que les éducateurs, pour bien faire leur travail, devraient s’occuper de seulement vingt jeunes, c’est souvent de 80 qu’ils ont la charge. Or, leur rôle d’accompagnement est décisif pour les arracher à la spirale de la délinquance. Nous proposons donc un vaste plan de recrutement sur trois ans de 3 000 ETP, ce qui ne fait jamais qu’une trentaine d’agents par département. L’amendement II-CL400 financerait un premier volet à hauteur de 50 millions. Il est suivi d’amendements de repli.

M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. Mes amendements entendent également renforcer le budget de la PJJ en ponctionnant certains des crédits de l’administration pénitentiaire ne nous semblant pas prioritaires. L’amendement II-CL492 redéploie ainsi les crédits, d’un montant de 7,5 millions, du plan de déploiement du Numérique en détention (NED) qui consiste à mettre à disposition des détenus des tablettes pour effectuer diverses démarches, lesdites tablettes faisant bien souvent l’objet de détériorations volontaires et étant délaissées par certains détenus au profit de supports papier. Dans la même logique, l’amendement II-CL493 retire 1 million aux crédits alloués au renouvellement du matériel sportif destinés aux détenus.

Avis favorable sur l’amendement II-CL233 et ceux que j’ai défendus et défavorable sur les autres.

Successivement, la commission rejette les amendements II-CL400, II-CL401, IICL403, II-404, II-CL405, adopte l’amendement II-CL233, puis rejette les amendements IICL492, II-CL494 et II-CL493.

Amendements II-CL433 de M. Philippe Schreck et II-CL407 de M. Jean-François Coulomme. (discussion commune)

M. Philippe Schreck (RN). Notre amendement vise à augmenter les crédits alloués aux centres éducatifs fermés (CEF). Dans certaines zones dominées par les trafics et la délinquance, les mineurs, parfois très jeunes, fournissent à la criminalité organisée une main‑d’œuvre bon marché, d’autant plus utile qu’elle jouit d’une certaine impunité sur le plan judiciaire. Le droit pénal devra vraisemblablement s’adapter à cette évolution. La réponse apportée par la justice ne nous semble pas pertinente : ou bien les jeunes sont renvoyés dans les quartiers mêmes d’où ils viennent, avec des sanctions tardives et symboliques, ou bien ils sont incarcérés de manière sèche, ce qui n’est pas satisfaisant. Les CEF constituent une bonne solution car ils évitent de replonger les mineurs dans des milieux criminels ou délinquants, dont ils sont aussi les victimes.

Mme Danièle Obono (LFI-NFP). Notre amendement va dans la direction opposée au précédent : il redéploie une partie des crédits consacrés aux CEF vers un nouveau programme dédié au développement des mesures en milieu ouvert.

La loi Perben 1, à l’origine de la création de ces centres en 2002, contenait de nombreuses dispositions durcissant la réponse pénale en direction des mineurs. Elle a réformé en profondeur l’ordonnance de 1945, laquelle a subi depuis de nouveaux assauts marqués par une prééminence du punitif sur l’éducatif altérant l’esprit même de ce texte selon lequel le jeune délinquant est une personne en danger.

En outre, les CEF n’ont pas fait la preuve de leur efficacité. Certaines associations les qualifient même d’« antichambre de la prison » et des cas de maltraitances ont été révélés.

M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. La réponse à la délinquance des mineurs est l’un des défis les plus importants que nous ayons à relever. Nous devons accorder davantage de crédits aux CEF pour en construire de nouveaux. Je serai donc favorable à l’amendement II-CL433.

Mon avis sera par conséquent défavorable sur l’amendement II-CL407. La vision qu’ont nos collègues de gauche de la délinquance des mineurs me paraît pour le moins naïve. Notre pays est confronté à la montée d’une délinquance plus juvénile et plus violente, évolution amplifiée par le développement des bandes et l’usage des réseaux sociaux. Face à ce phénomène, la justice peine à se faire entendre. Les CEF permettent d’apporter une réponse ferme aux auteurs d’actes de délinquance qui pourrissent de plus en plus la vie de nos concitoyens.

M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Peut-être voudriez-vous revenir aux bagnes pour enfants ? Selon vous, nous ne serions pas conscients des problèmes de délinquance mais ce sont des jeunes de nos circonscriptions qui sont pris dans des rixes et qui meurent. Nous cherchons à comprendre et nous écoutons ces gamins qui ont souvent plein de choses à dire sur les problèmes qu’ils vivent. Nous savons que les enfermer n’est pas efficace. Il faut se tourner vers des mesures de prévention, mot que vous n’employez jamais, car, pour vous, assurer la sécurité passe forcément par des logiques punitives. Nous sommes contre cette politique de la terreur.

M. Yoann Gillet (RN). Quand j’entends nos collègues d’extrême gauche refuser la fermeté car il ne faudrait pas punir sévèrement de pauvres petits enfants, je suis stupéfait. Demandez donc aux Français s’ils considèrent comme un enfant de chœur un jeune de 16 ans ayant commis des actes de délinquance. Ce qui compte avant tout, c’est protéger nos concitoyens, mais cela ne semble pas être la priorité de ceux qui préfèrent laisser les délinquants en liberté.

Mme Colette Capdevielle (SOC). Nous nous accordons tous sur l’objectif : favoriser le retour dans la société des jeunes ayant commis des actes de délinquance sans qu’ils ne récidivent. Toutefois, les CEF, dont le fonctionnement est extrêmement onéreux, sont un échec. Il nous faut en tirer les conséquences en nous tournant vers d’autres solutions qui, elles, fonctionnent : les séjours de rupture, les peines de probation, l’éloignement du lieu de vie.

Mme Elsa Faucillon (GDR). Je n’ai pas envie de me laisser enfermer dans cette opposition insupportable entre laxisme et fermeté. Personne ne souhaite voir monter la violence chez les jeunes. Personne ne peut consoler les parents d’un garçon de 14 ans tué à coups de couteau dans une rixe. Il faut arrêter de mentir aux gens et admettre que nous sommes confrontés à un phénomène complexe. Ce n’est pas en les condamnant à des peines d’emprisonnement ferme de quatre ou six ans qu’on empêchera des jeunes de s’armer à nouveau de battes ou de couteaux pour affronter une bande rivale. C’est la société tout entière qui doit assumer, avec l’aide des services publics, la responsabilité d’apporter une réponse adéquate.

M. Jean Terlier (EPR). Je n’ai pas non plus envie de me laisser enfermer dans cette opposition mais, contrairement à ce qu’affirme Mme Capdevielle, les CEF fonctionnent. Nous avons pu l’établir, Cécile Untermaier et moi-même, à l’issue de notre mission d’information sur la justice des mineurs. Certes, leur fonctionnement coûte cher mais le niveau d’encadrement est élevé et les personnels assurent une réelle prise en charge éducative auprès de mineurs qui sont parfois à rééduquer totalement. Je m’opposerai aux amendements visant à en créer plus que les vingt nouveaux prévus dans la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice du 23 mars 2019 mais je tiens à la trajectoire budgétaire qui a été tracée.

M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. M. Léaument fait un amalgame entre CEF et prison, ce faisant, il semble ignorer que, précisément, le placement dans ces centres peut éviter aux jeunes de finir en prison.

La commission rejette successivement les amendements.

La commission émet un avis défavorable à l’adoption des crédits de la mission Justice.

Après l’article 60 :

Amendement II-CL113 de Mme Elsa Faucillon

Mme Elsa Faucillon (GDR). La prise en charge des mineurs non accompagnés (MNA) est nécessairement spécifique ; elle inclut, par exemple, leur accompagnement vers la régularisation. Si certains conseils départementaux assurent cette prise en charge – de façon souvent low cost toutefois –, c’est moins souvent le cas de l’aide sociale à l’enfance (ASE) et de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Nous demandons la remise d’un rapport sur une formation des personnels de ces administrations à cette prise en charge spécifique.

M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. Avis défavorable.

M. Philippe Gosselin (DR). La majorité des personnels sont tout de même formés, et je ne peux laisser dire que les départements n’assumeraient pas leurs responsabilités. Nombre d’entre eux consacrent des millions d’euros aux MNA, et les dépenses liées à l’ASE ont pratiquement doublé ces dernières années.

Mme Elsa Faucillon (GDR). Tous les départements ne mènent pas la même politique s’agissant de la protection de l’enfance et de la prise en charge des MNA. La tendance générale, néanmoins, est à l’amoindrissement de celle-ci. Certains départements passent des appels d’offres au prix de 45 euros la journée, une somme largement insuffisante. Les personnels de la PJJ sont formés, certes, mais la prise en charge des MNA soulève des enjeux spécifiques liés aux traumas que certains d’entre eux ont vécus, ou encore à leur régularisation.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL111 de Mme Elsa Faucillon

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Je suis évidemment favorable à cet amendement. La formation aux violences sexistes et sexuelles, dont nous avons débattu au sujet des magistrats, doit concerner l’ensemble des personnels de la justice.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL356 de Mme Émilie Bonnivard

Mme Eliane Kremer (DR). Un rapport d’information pointe le retard pris par le programme de construction de 15 000 places de prison. Nous demandons au Gouvernement la remise d’un rapport sur son état d’avancement.

M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. Avis défavorable : vous dites vous‑même qu’un rapport d’information a déjà été publié. Nous pourrons aussi vous transmettre les éléments que nous avons reçus à ce sujet de la part du directeur de l’administration pénitentiaire.

M. Philippe Gosselin (DR). Je voterai cet amendement de mes collègues. Sans doute notre commission aurait-elle intérêt à organiser prochainement une audition du directeur de l’administration pénitentiaire ou du ministre, voire des deux, sur ce sujet du plan de construction de 18 000 places de prison au total. Ce pourrait être intéressant, dans la mesure où le ministre n’a pas eu le temps aujourd’hui de répondre de façon détaillée à nos questions.

M. le président Florent Boudié. Dès réception, je vous communiquerai l’état des lieux précis que j’ai demandé au ministre de nous fournir rapidement à ce sujet.

La commission rejette l’amendement.

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*     *

 


   Personnes entendues

 

   M. Sébastien Cauwel, directeur

   Mme Laurence Venet-Lopez, cheffe du service de l’administration

   M. Vincent Dupeyre, sous-directeur de la sécurité pénitentiaire

   M. Philippe Gicquel, sous-directeur du pilotage et du soutien des services

Table ronde de directeurs interrégionaux des services pénitentiaires

   M. Thierry Alves, directeur interrégional

   M. Renaud Seveyras, directeur interrégional

   M. Antoine Cuenot, directeur interrégional adjoint

Table ronde de responsables syndicaux nationaux

   M. Emmanuel Chambaud, secrétaire général

   M. Alexandre Caby, secrétaire général adjoint

   M. Cyril Huet-Lambing, secrétaire général national adjoint

   M. Marc Bercane, secrétaire régional adjoint DISP de Marseille

Table ronde de responsables syndicaux régionaux de plusieurs directions interrégionales des services pénitentiaires (DISP)

   M. Jean-Claude Roussy, secrétaire général de région (UFAP)

   Mme Julie Arribi, représentante régionale adjointe (UFAP)

   M. Franck Rassel, représentant régional (FO)

   M. Dominique Graindorge, secrétaire régional (SPS)

   M. Frédéric Charlet, représentant régional adjoint (UFAP)

   M. Jérémy Jeanniot, représentant régional (FO)

   M. Vincent Pardoux, représentant régional (FO)

   M. Jimmy Obertan, représentant régional (UFAP)


   déplacements

   M. Loïc Delbroc, secrétaire général adjoint régional UFAP UNSa

   Mme Vanesse Lefaivre, représentante locale FO

   M. Jérémy Ducolombier, représentant local FO

   M. Yannick Labry, représentant local FO

   Mme Mélanie-Jeanne Bastien, représentante locale SPS

   M. Paul Louchouarn, directeur interrégional des services pénitentiaires Auvergne-Rhône-Alpes

   Mme Dabia Lebretron, cheffe d’établissement

   M. Jihad El Hajoui, représentant régional FO 

   M. Didier Lui Hin Tsan, représentant local FO

   M. Stéphane Perrot, représentant régional adjoint UFAP UNSa

   Mme Nadia Chekhad, représentante locale UFAP UNSa 

   M. Pierre Simoes, représentant régional SPS

   M. Frank Linares, directeur interrégional des services pénitentiaires de Bordeaux (Nouvelle Aquitaine)

   M. Arnaud Moumaneix, chef d’établissement

   M. Thomas Niemczura, secrétaire régional adjoint FO 

   M. Ronan Roudaut, représentant local UFAP UNSa

   M. Régis Lavoux, chef d’établissement adjoint

   M. Christophe Poirel, représentant local UFAP UNSa

    M. Ludovic Lillo, représentant local FO

 


([1]) Compte d’affectation spéciale pensions.

([2]) Le titre 2 regroupe les crédits de personnel.

([3]) Budget intégré aux dépenses de fonctionnement de l’action 01 du programme.

([4]) 130 millions d’euros sont identifiés par le PAP, auxquels il faut retrancher 9,7 millions consacrés à la construction d’un centre pénitentiaire à Wallis-et-Futuna, ce qui ne correspond pas à de la maintenance.

([5]) Action 01 : « Garde et contrôle des personnes placées sous main de justice ».  

([6])  Projet annuel de performances du programme « Administration pénitentiaire » annexé au projet de loi de finances pour 2025, p. 45.

([7]) Loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023‑2027.

([8]) Assemblée nationale, Patrick Hetzel, rapport n° 1745 sur le projet de loi de finances pour 2024, annexe n° 30 relative à la mission Justice, 14 octobre 2023.

([9]) Ces mesures sont comptabilisées au titre des dépenses de fonctionnement de l’action 01.

([10]) Au 1er juillet 2024, 826 BAR étaient déployés, contre 932 un an auparavant (Projet annuel de performances du programme « Administration pénitentiaire » annexé au PLF pour 2025, p. 44). 

([11]) Le projet annuel de performances annexé au PLF pour 2025 précise que 1 005 personnes bénéficiaient de cette mesure au 1er juillet 2024, soit une progression de 3,8 % en un an (p. 41).

([12]) Action 02 : « Accueil et accompagnement des personnes placées sous main de justice ».

([13]) Projet annuel de performances du programme « Administration pénitentiaire » annexé au projet de loi de finances pour 2025, p. 29.

([14]) Projet annuel de performances du programme « Administration pénitentiaire » annexé au projet de loi de finances pour 2025, p. 30.

([15]) Action 01 : « Mise en œuvre des décisions judiciaires ».

([16]) Pour mémoire, au 1er juin 2024, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse dispose de 1233 établissements et services : 232 en gestion directe, qui relèvent du secteur public (soit trois de plus qu’en 2023), et 1001 habilités et contrôlés par le ministère de la Justice, qui relèvent du secteur associatif (soit 9 de plus qu’en 2023).

([17]) Action 03 : « Soutien ».

([18]) Action 04 : « Formation ».

([19]) Ancien article 57 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire – nouvel article L. 225-1 du code pénitentiaire.

([20]) Sont équipés : les centres de détention d’Uzerche, Joux-la-Ville, Ducos, Le Port et Villenauxe ; les centres pénitentiaires de Poitiers-Vivonne, Orléans-Saran, Varennes-le-Grand, Lille-Annœullin, Beauvais, Liancourt, Maubeuge, Longuenesse, Loos-Sequedin, Moulins, Villefranche-sur-Saône, Aiton, Grenoble, Saint-Quentin-Fallavier, Saint-Etienne, Avignon, Aix-Luynes, Baumettes, Saint-Denis de la Réunion, Baie-Mahault, Fresnes, Nanterre, Réau, Bois d’Arcy, Paris la Santé, Nantes, Alençon Condé sur Sarthe, Val-de-Reuil, Rennes-Vezin, Caen Ifs, Mulhouse-Lutterbach, Troyes-Lavau, Perpignan ; les maisons centrales de Saint-Maur et Arles, les maisons d’arrêt de Nantes, Villepinte, Osny, Fleury-Mérogis et Grasse.

([21]) Budget intégré aux dépenses de fonctionnement de l’action 01 du programme.

([22]) « Est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende le fait, en quelque lieu qu'il se produise, de remettre ou de faire parvenir à un détenu, ou de recevoir de lui et de transmettre des sommes d'argent, correspondances, objets ou substances quelconques en dehors des cas autorisés par les règlements. ».