Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

–  Suite de l’examen du projet de loi, adopté par le Sénat en première lecture, relatif à la lutte contre la fraude (n° 1142) (Mme Émilie Cariou, rapporteure)              2

–  Présences en réunion...........................59

 


Mercredi
25 juillet 2018

Séance de 14 heures 30

Compte rendu n° 130

session extraordinaire de 2017-2018

 

Présidence

 

de

 

Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas,

Secrétaire

 


  1 

La commission poursuit lexamen du projet de loi, adopté par le Sénat, en première lecture, relatif à la lutte contre la fraude (Mme Émilie Cariou, rapporteure).

 

Article 9 bis (article 41-1-2 du code de procédure pénale) : Convention judiciaire dintérêt public en matière de fraude fiscale

La commission est saisie des amendements identiques CF28 de M. Charles de Courson, CF38 de M. Jean-Paul Dufrègne, CF80 de Mme Christine Pires Beaune et CF161 de Mme Sabine Rubin.

M. Charles de Courson. La convention judiciaire dintérêt public (CJIP) existe, hélas, mais actuellement elle ne concerne pas la fraude fiscale ; en revanche, elle concerne le blanchiment de fraude fiscale. À ma connaissance, le premier cas dapplication a été laffaire HSBC, banque qui a organisé la fraude fiscale en France – elle nest pas la seule – et qui, grâce à cette CJIP, a échappé à un procès public.

Vous me direz que, pour déclencher la CJIP, la culpabilité de lintéressé doit avoir été reconnue, et que la sanction est publique. Mais le danger est que le peuple français considère quil sagit dune justice à deux vitesses, ce qui sest passé pour laffaire HSBC. Les très gros poissons plaideront coupable, car leur souci nest pas de payer un milliard ou un milliard et demi deuros, mais déviter la dégradation de leur image par un procès au cours duquel leurs turpitudes seront étalées au grand jour. Ils sont donc prêts à payer pour une moindre dégradation de leur réputation.

Cette procédure nest donc pas assez dissuasive. Cest pourquoi la suppression de larticle 9 bis, introduit par le Sénat, vous est proposée.

M. Jean-Paul Dufrègne. Nous demandons aussi la suppression de cette disposition, ajoutée par le Sénat, autorisant la conclusion dune CJIP en matière de fraude fiscale.

La procédure de CJIP a été instaurée par la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin 2 ». Elle permet la conclusion dune transaction entre le procureur de la République et la personne mise en cause, transaction homologuée ensuite par un juge.

Or, à quoi revient cette procédure ? À autoriser notre justice à transiger avec lauteur de linfraction qui, pour sa part, échappe ainsi à toute reconnaissance de culpabilité, donnant par là le sentiment dune justice à double vitesse.

Depuis 2016, deux affaires de grande ampleur, impliquant les banques HSBC et Société Générale, se sont conclues par des CJIP, permettant certes de recouvrer des amendes de lordre de 300 et 200 millions deuros, mais ces sommes restent minimes au regard de lampleur de la fraude.

Étendre cette procédure à la fraude fiscale, alors que lobjet du projet de loi est précisément de lutter contre ce fléau, apparaît malvenu et inadapté.

Mme Christine Pires Beaune. La CJIP a été instituée par la loi « Sapin 2 », prenant prétexte de la quasi-absence de condamnation pour les faits de corruption dagent public étranger. Cette convention est validée par le juge, qui met fin aux poursuites judiciaires et fixe certes le montant dune amende, sans pour autant donner lieu à une reconnaissance publique de culpabilité.

Cest bien ce dernier point qui nous gêne, et cest pourquoi nous sommes opposés à lextension de la CJIP à la fraude. Labsence de reconnaissance publique de culpabilité dispense en effet dinscription au casier judiciaire, et la société concernée échappe à des conséquences importantes, comme linterdiction de répondre à des appels doffres publics. À lheure où le « verrou de Bercy » est remis en cause, introduire un nouveau système dérogatoire paraît curieux. Cela ne peut quaggraver limpression de justice à deux vitesses et, en labsence de débat public, encourager la fraude.

Mme Sabine Rubin. Nous nous étions élevés, à larticle 9, contre lextension de la procédure de « plaider-coupable » à la fraude fiscale ; nous refusons à plus forte raison celle de la CJIP, qui nemporte pas de reconnaissance de culpabilité. Les sociétés concernées échapperont à linscription au casier judiciaire et pourront négocier avec le procureur, ce qui reviendrait à instituer une justice à deux vitesses. Cest pourquoi nous demandons la suppression de cet article.

Mme Émilie Cariou, rapporteure. La convention judiciaire dintérêt public a été instituée par la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin 2 ». Elle sinspire du dispositif de la procédure de deferred prosecution agreement (DPA) américaine qui a permis daccroître significativement la répression de la délinquance économique sans imposer la lourdeur induite par un procès pénal. La conclusion dune CJIP nest possible quavant la mise en mouvement de laction publique. Elle peut mettre à la charge de la personne morale mise en cause le versement dune amende ainsi que le suivi dun programme de mise en conformité.

Les amendements visent à empêcher lextension de cette procédure à la fraude fiscale elle-même, dont le principe a été décidé par le Sénat. Compte tenu de laménagement du « verrou de Bercy » que je proposerai à larticle 13, le parquet va être amené à examiner davantage de dossiers quaujourdhui. Il est donc utile de lui donner une gamme doutils diversifiée pour traiter ces affaires.

Par ailleurs, nous avons tous demandé que les parquets disposent de plus de pouvoirs pour pénaliser et sanctionner la fraude fiscale. On ne peut donc pas se plaindre que les parquets choisissent de recourir à une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) ou à une CJIP. Si nous ne faisons pas confiance à la justice ni à ladministration fiscale, vers qui nous tournerons-nous ? Il faut faire confiance au fisc pour les affaires fiscales et au juge pour les affaires pénales.

À ce jour, deux CJIP ont été conclues pour blanchiment de fraude fiscale, qui ont concerné HSBC et la Société Générale. Dès lors que, du fait de la publicité de la décision, le nom de lentreprise est rendu public et associé à des faits de corruption et de blanchiment de fraude fiscale, il me semble quil y a bien reconnaissance de culpabilité de facto.

La CJIP sera dailleurs particulièrement adaptée aux hypothèses de complicité de fraude fiscale réalisée par des personnes morales, notamment lorsque les équipes de direction de ces dernières ont changé, ce qui se produit fréquemment, et ont pris des mesures pour ne plus reproduire la fraude. Nous ne parlons pas dentreprises qui disparaissent deux ans après leur création, mais de sociétés qui ont plus de cent ans dâge.

Je rappelle quau titre des instruments opposables figurent les redressements fiscaux, qui portent sur limpôt dû, les intérêts de retard et les pénalités financières. La CJIP emporte une amende allant au-delà de la récupération dimpôt effectuée par les services fiscaux – amendes qui ont été respectivement de 200 et 300 millions deuros dans les deux affaires citées : on peut se demander si un procès pénal aurait abouti à un tel résultat.

Larsenal se compose donc damendes très lourdes susceptibles dêtre prononcées et de la publication des noms des personnes morales impliquées, qui précise la nature des faits qui leur sont reprochés ; à ce titre il me paraît complet.

Nous avons eu loccasion dorganiser de nombreuses auditions, et si la plupart des ONG étaient favorables à la CRPC, certaines se sont montrées défavorables à la CJIP ; pour sa part, lassociation Transparency International sy est déclarée favorable, considérant que la CJIP faciliterait le prononcé de sanctions en évitant le risque dun enlisement procédural susceptible de durer des décennies.

Il ny a pas de justice à deux vitesses : limpôt sera redressé par ladministration fiscale, qui fait son travail de la même manière pour les petits comme pour les gros poissons, et il sera encaissé par lÉtat avec les indemnités, les pénalités de retard, etc. La sanction pénale interviendra par surcroît, et les montants auxquels ont abouti les deux CJIP évoquées me paraissent aller bien au-delà de ce qui aurait pu être obtenu par une procédure pénale, ce qui ma été confirmé par des magistrats.

Encore une fois, la CJIP doit figurer dans la boîte à outils des magistrats, afin de traiter les nouveaux dossiers qui se présenteront devant la justice pénale.

Pour ces raisons, je suis défavorable aux amendements.

M. Charles de Courson. Vous en êtes réduite à considérer, madame la rapporteure, que la recette fiscale obtenue par la CJIP sera plus importante que par la voie pénale. Cet argument est grave

Mme la rapporteure. Je nai pas parlé de recette, jai parlé de peine prononcée.

M. Charles de Courson. Votre argument est grave, au sens latin du mot gravitas, car il signifie que la personne morale ou physique coupable accepte de payer plus afin déviter le procès. Cest votre argument, qui dailleurs nest pas faux, mais si les intéressés acceptent

Mme la rapporteure. Je dis simplement que les aléas de la procédure pénale sont nombreux.

M. Charles de Courson. ...il nen demeure pas moins que largument portant sur la productivité fiscale de la CJIP est grave, et vous ne faites quillustrer mon propos.

HSBC, qui nest pas à 100 millions deuros près, peut payer plus pour éviter le procès. Sil existait une République, cette société devrait se voir interdit tout exercice en France, et sa licence aurait dû être suspendue pour peu que lAutorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) soit allée jusquau bout de sa démarche. On ne peut accepter davantage que des institutionnels comme la Société Générale aient fait cela : songez quils allaient jusquà démarcher les clients ! On leur a épargné le procès, en invoquant toujours les mêmes bons arguments, la direction du Trésor prétextant que la Société Générale est un peu fragile, etc.

Pour ma part, je me place du côté du contribuable, de celui qui paie ses impôts, du bon citoyen qui sait quil naura jamais accès à ces procédures. Car qui y aura accès, sinon les puissants ?

Mme la rapporteure. Pourquoi cela ? La CRPC et la CJIP sont ouvertes à tous !

M. Charles de Courson. Quels sont les deux premiers cas de mise en œuvre de la CJIP ? HSBC, mes chers collègues, démarchait les grandes fortunes, non pas pour leur proposer un montage doptimisation, mais pour organiser la fraude ! Et la Société Générale a fait de même !

Cet outil ne servira quaux puissants, il nest pas destiné aux gens modestes. Or je considère que notre rôle de parlementaires consiste à défendre les citoyens, singulièrement les citoyens modestes, contre les puissants de ce monde, qui nont pas besoin de nous pour leur défense. Cest pourquoi je considère quadopter cet article 9 bis serait une énorme erreur, et demande donc sa suppression.

M. Gérald Darmanin, ministre de laction et des comptes publics. Monsieur de Courson, je ne suis absolument pas daccord avec vous, et je vais vous expliquer pourquoi.

Sur le plan des principes, on peut comprendre vos arguments. Pour ma part, je me range aux côtés de Mme la rapporteure, ce qui ne surprendra personne ; quiconque à ma place, comme cétait le cas jadis, ferait la même chose. Lorsque lon fait de la recherche de fraude fiscale, il nest pas absurde de se préoccuper de rapporter des recettes à lÉtat.

Je constate que les critiques portées contre le Gouvernement, ainsi que contre son prédécesseur, visaient le fait de savoir si largent que les intéressés auraient dû payer lavait finalement été – ce qui demeure en effet le but de la lutte contre la fraude fiscale, et il nest donc pas totalement illégitime de considérer que récupérer des recettes constitue la finalité du contrôle fiscal et des poursuites susceptibles de sensuivre.

Par ailleurs, la CJIP, à linstar de la procédure du « plaider-coupable » qui a fait lobjet des mêmes critiques lors de son instauration, aboutira à un nombre accru de peines prononcées. Je peux entendre largument selon lequel les grands fraudeurs échapperont à la sanction grâce au recours à la CJIP que nous proposons, et quils préféreront payer une amende de quelques milliards deuros, qui ne représente que peu de chose par rapport à leur surface financière comme par rapport au montant dune possible condamnation, afin déviter une mauvaise publicité. Ils nen connaîtront pas moins, le fait même que nous lévoquions en commission le prouve, lopprobre public : la conclusion même de la CJIP signera leur culpabilité, qui pourra être évoquée publiquement par tout un chacun sans crainte dêtre contredit.

Jajoute quil faut parfois attendre cinq, six, voire sept ans laboutissement dun procès, au terme duquel il arrive de surcroît que lÉtat perde. Dans laffaire Wildenstein, par exemple, qui portait sur des centaines de millions deuros, aucune condamnation na été prononcée au terme des sept années de procédure. Il ny a eu ni reconnaissance de culpabilité, ni audience publique, ni récupération de recettes.

Enfin, je précise que ce nest pas Bercy qui va négocier : la procédure na rien à voir avec le fameux « verrou ». La CJIP sera homologuée par le juge. Largument qui est le vôtre depuis de nombreux mois est curieux, puisquil consiste à considérer que cest au juge quil revient de connaître de ces questions fiscales en toute liberté ; or, dès que nous proposons de lui laisser le choix de proposer une CJIP, vous criez au déni de démocratie !

Vos trois arguments sont donc parfaitement réversibles et ne servent pas la cause que vous semblez vouloir défendre.

Mme Christine Pires Beaune. Javoue ne pas avoir été convaincue par les arguments de la rapporteure et du ministre.

Lors de lexamen de la loi « Sapin 2 », le Conseil dÉtat avait émis un avis négatif au sujet du dispositif dit « de convention de compensation dintérêt public », finalement remplacé par la CJIP, notamment au regard de la complexité des affaires de corruption. Je ne doute pas quil émettrait le même avis sur lextension de la CJIP aux faits de fraude fiscale, qui sont tout aussi complexes.

Par ailleurs, nous avons relevé hier la différence de traitement entre les personnes physiques et les personnes morales, et il me semble que seules ces dernières seront concernées par la CJIP.

Enfin, ce qui me gêne le plus dans cette procédure, cest que laspect financier de linfraction prenne le pas sur laspect moral. Je peux entendre largument du rendement financier, mais, au cours de procès dont la durée moyenne est légèrement inférieure à treize ans, la Société Générale ou HSBC sont stigmatisés pendant une durée bien plus longue que les trois ou quatre mois nécessaires à la passation dune convention.

Mme Marie-Christine Dalloz. En aucun cas, monsieur le ministre, nous ne mettons Bercy en cause. Ce qui nous gêne, dans la CJIP, cest la notion de transaction, car nous navons pas affaire à une procédure classique, qui certes implique quelque longueur, mais aboutit à un jugement.

Vous avez considéré, madame la rapporteure, que les deux conventions conclues ont rapporté plus dargent que ne lauraient fait des procédures de justice. On ne peut pas dire une chose pareille : la justice na pas prononcé de jugement dans ces deux dossiers ; seule la convention a reconnu la culpabilité des intéressés. Jentends que cela a été le fait dun procureur et de juges, mais il ne sagit pas dun jugement public : cest cette notion même de transaction, donc dabsence de transparence, qui pose un vrai problème.

M. Jean Terlier, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de ladministration générale de la République. Je ne partage absolument pas le point de vue de M. de Courson. Comme la expliqué le ministre hier soir, laménagement du « verrou » multipliera par deux le nombre de dossiers traités. Le parquet, cest-à-dire des magistrats, appréciera alors en opportunité sil y a lieu dattraire devant le tribunal correctionnel le contribuable auteur de linfraction pénale, ou sil est préférable de recourir à la CRPC, ce qui est un peu plus rapide, ou à la CJIP.

Il me semble que qui dit justice ne dit pas nécessairement longueur de celle-ci. Il faut aussi avoir le souci de lefficacité de la justice, et que celle-ci fasse preuve de pragmatisme. Il faut faire confiance au juge pour opérer le bon choix entre un tribunal correctionnel traditionnel, la CRPC ou ce type de convention.

Enfin, non seulement ce sont des magistrats qui décideront en opportunité, et en fonction des éléments du dossier, den passer par ce type de convention, mais cest encore un autre juge qui homologuera la transaction. La transparence dont vous déplorez labsence est présente dans cette procédure, qui me semble bien cadrée.

Mme Véronique Louwagie. Vous avez pris pour argument, madame la rapporteure, la question du manque de moyens de ladministration fiscale, que vous aviez déjà évoquée hier soir en réponse à des demandes de suppression de larticle 1er A. Cela ne me paraît pas recevable, car si les orientations dune politique sont bonnes, il faut se donner les moyens de les conduire à bien ; on ne saurait fonder une décision sur ce seul critère.

En loccurrence, cest une question de moralité qui est posée, car il sagit de fraude fiscale, qui ne peut pas être appréciée de la même manière que dautres domaines relevant du litige, de lappréciation ou de linterprétation. Sagissant de fraude, nous sommes confrontés à une problématique réelle que vous nappréciez pas à sa juste mesure.

Mme Sabine Rubin. Je souhaiterais revenir sur deux de vos arguments, madame la rapporteure. En premier lieu, dans le cadre dune CJIP, la culpabilité des entreprises mises en cause nest précisément pas établie. Par ailleurs, mettre en avant le manque de moyens de la justice nest pas recevable : si justice il doit y avoir, les moyens doivent être au rendez-vous.

M. Daniel Labaronne. Lobjet de ce projet de loi est de remettre la justice au cœur de la lutte contre la fraude fiscale ; et je souhaite rappeler la cohérence de notre démarche.

En amont de lintervention du juge, nous mettons en place de nouveaux moyens dinvestigation, particulièrement la police fiscale, à côté de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF) et de la police douanière. En aval, nous proposons au juge un certain nombre de dispositifs comme la CRPC ou la CJIP, quil lui sera loisible de déployer dans le cadre du principe dopportunité des poursuites. Il faut donc apprécier la démarche globale.

Si, par surcroît, le rendement est intéressant, que le nom des banques impliquées est mentionné, et que la dénonciation est publique, nous aurons mis sur pied un arsenal que nous appelons de nos vœux depuis très longtemps. A ceux qui, maintenant que cela se réalise, nous adressent des critiques, je réponds quil faut conserver présent à lesprit que cest le juge qui appréciera en opportunité les moyens par lesquels il souhaite instruire un dossier, lequel sera bien « ficelé » grâce au travail de la police fiscale.

M. Charles de Courson. Je souhaite répondre à M. le ministre. En premier lieu, pourquoi le Gouvernement na-t-il pas lui-même introduit cette disposition dans le projet de loi ? Cest probablement quil a considéré que cela aurait un effet contreproductif ; si dailleurs javais été son conseiller, je laurais invité à sen abstenir.

Par ailleurs, nous sommes aussi libres que le Sénat dadopter les dispositions que nous voulons.

Ensuite, laffaire Wildenstein constitue un très mauvais exemple, puisque les intéressés ont gagné : dans ces conditions, pourquoi auraient-ils réclamé une CJIP, alors quils pensaient lemporter ?

De plus, madame la rapporteure, monsieur le ministre, vous ne répondez pas à la question de savoir qui pourra bénéficier de cette CJIP. Ce seront les puissants de ce monde, cest évident ! Celui qui peut payer quelques millions deuros supplémentaires, puisquil sagit de personnes morales et non de personnes physiques, sempressera de le faire. Les deux premiers exemples le montrent à lenvi : la Société Générale et HSBC ne sont tout de même pas de « petites boîtes » ! Vous forgez bel et bien un outil destiné aux puissants, qui paieront un peu plus – ce qui sera tant mieux pour lÉtat, dirait M. le ministre chargé des comptes publics, mais attention aux dégâts !

Enfin, cette procédure nest pas un cadeau fait aux juges, qui devront choisir de recourir à cette procédure ou non. Et, quelle que soit in fine leur décision, ce nest plus Bercy qui sera attaqué, mais la justice, car les gens sinterrogeront sur ce choix ; ils verront que lentreprise potentiellement condamnée à verser 60 millions deuros transigera en acceptant den payer 100. Les juges se trouveront dans une situation épouvantable.

Telles sont les raisons, mes chers collègues, pour lesquelles je fais appel à vos sentiments républicains, et vous invite à supprimer cet article provenant dun amendement du Sénat, et non pas du Gouvernement.

Mme Amélie de Montchalin. Au terme de ce débat, il me semble bon de rappeler quelques principes.

Si lon croit à la République, il faut croire aux institutions et à la séparation des pouvoirs, donc à la capacité des juges et des procureurs à proposer la meilleure issue, au regard de la connaissance quils ont des dossiers.

Vous considérez que la CJIP est un outil destiné aux puissants ; cest en réalité un outil pour les procureurs. Rien nest écrit qui expliquerait que certains contribuables disposant dune surface financière supérieure à celle des autres seraient plus à même de demander à bénéficier de cette procédure en faisant éventuellement pression sur les magistrats – ce qui reviendrait à bien mal considérer ceux-ci dans leur travail.

Nous sommes ici devant un cas despèce, pour lequel nous cherchons à donner au procureur la capacité de décider de la manière dont il aboutira à la sanction, et avec quel outil, susceptible dêtre plus rapide et efficace quun long procès pouvant sengluer, il trouvera une solution favorable aux intérêts de lÉtat en lui évitant de perdre.

Si lon croit à la République, à lindépendance des juges, et si lon considère quils sont bien là pour accomplir la mission qui leur est confiée, nous ne sommes pas là pour secourir les puissants, mais pour assister les procureurs. Et les arguments défendus par la rapporteure, le ministre et le représentant de notre groupe sont de nature à nous rassurer. Notre objectif est clair, il sagit de donner à ceux qui, au quotidien, combattent la fraude fiscale et se trouvent souvent pénalisés par le manque doutils mis à leur disposition, les moyens permettant de prononcer des sanctions

M. Jean-Louis Bricout. Je remercie Mme de Montchalin de soutenir à sa façon la suppression du « verrou de Bercy », car elle vient de nous délivrer tous les arguments militant en ce sens, en appelant à la confiance en notre justice.

Il me semble que le cœur de nos préoccupations doit demeurer le contribuable « lambda », qui pourrait penser quau titre de laccélération des procédures on saccommode dune certaine immoralité. Comme la souligné M. de Courson, limpression sera que les personnes morales les plus riches pourront dune certaine façon acheter la justice.

Cela est donc, je le répète, profondément immoral, et nos concitoyens pourraient très mal recevoir linstitution de cette CJIP.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite lamendement CF29 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Vous avez hélas entériné cette mauvaise idée du Sénat que constitue la CJIP. Au moins pourrions-nous essayer de lencadrer, en prévoyant quelle est utilisée pour éviter la voie judiciaire classique, donc en la réservant aux seules « petites » affaires. Ceux qui relèvent de la transmission prévue à larticle 13, en particulier pour les montants supérieurs à 100 000 euros, ny auraient pas accès. Nous verrions bien si cette procédure, réservée aux poissons petits et moyens, prospère.

Mme la rapporteure. Je comprends parfaitement votre motivation. Je considère malgré tout que lappréciation relève du pouvoir du parquet. Avis défavorable.

La commission rejette lamendement.

 

Elle examine ensuite lamendement CF30 de M. Charles de Courson. 

M. Charles de Courson. Il convient déviter quun contribuable nait recours aux conventions judiciaires pour payer moins par ce biais quil naurait payé à la suite dun redressement contre lequel il aurait en vain intenté un recours. Lamendement est donc ainsi rédigé : « Le montant de cette amende ne peut être inférieur à 50 % du produit brut de linfraction. » Cela veut dire que, par exemple, si je fais lobjet dun redressement fiscal de 30 millions deuros, lamende ne pourra être inférieure à 15 millions deuros.

Mme la rapporteure. Le montant ne peut jamais être inférieur à ce qui est dû à lissue du contrôle fiscal. Les impôts dus sont en effet calculés à lissue dune procédure administrative pouvant prendre en compte parfois de longues périodes antérieures, pour lesquelles sont appliqués des intérêts de retard et des pénalités séchelonnant de 40 % à 80 %, voire 100 %.

Remettre des impôts alors quils sont dus ne constituerait dailleurs rien de moins quun délit de concussion. Aussi le redressement ne sera-t-il jamais inférieur à limpôt dû. Là encore, je préfère que nous laissions la décision au parquet, comme nous le faisons pour des délits pénaux très graves, comme les atteintes aux personnes : les procureurs proposent, les magistrats du siège disposent.

Le montant de limpôt dû ayant déjà été sanctionné à lissue de la procédure fiscale, laissons à la justice le soin de conduire la procédure pénale.

Avis défavorable.

La commission rejette lamendement.

Puis elle adopte larticle 9 bis sans modification.

 

Article 9 ter (article L. 228 du livre des procédures fiscales) : Possibilité pour le parquet dengager la poursuite du délit de blanchiment de fraude fiscale

La commission examine les amendements identiques CF91 de M. Daniel Labaronne et CF219 de la commission des lois.

M. Daniel Labaronne. Le Sénat a inscrit dans le projet de loi la jurisprudence de la Cour de cassation qui précise que les poursuites pour blanchiment de fraude fiscale ne sont pas, à la différence de celles pour fraude fiscale, subordonnées à une plainte préalable de ladministration fiscale. Ce nest pas une bonne idée.

Nous ne souhaitons pas revenir sur létat du droit et la possibilité pour le procureur de la République de poursuivre les auteurs du délit de blanchiment de fraude fiscale sans plainte préalable de ladministration fiscale. Nous proposons donc la suppression de larticle.

M. le rapporteur pour avis. La légalisation de la jurisprudence dite « Talmon » ne nous semble pas non plus nécessaire, puisquelle est claire et bien établie depuis dix ans.

Par ailleurs, linfraction de blanchiment étant une infraction autonome, il apparaît curieux dintroduire une disposition indiquant que le régime juridique de larticle L. 228 du livre des procédures fiscales applicable aux poursuites concernant une autre infraction, à savoir la fraude fiscale, ne lui serait pas applicable.

Nous risquons en outre de rendre possible un raisonnement a contrario malvenu. En effet, lintroduction dune telle disposition pour les faits de blanchiment nest pas cohérente, puisquil existe dautres infractions autonomes qui peuvent trouver à sappliquer à des faits de fraude fiscale et dont la poursuite nest pas subordonnée à une plainte préalable de ladministration fiscale : cest le cas, par exemple, du délit descroquerie à la TVA. Cette modification pourrait conduire, par un raisonnement a contrario, à signifier que dautres infractions trouvant leur origine dans la fraude fiscale pourraient désormais être soumises aux dispositions de larticle L. 228.

Mme la rapporteure. Dans le cadre de la mission dinformation commune sur le « verrou de Bercy », les auditions de hauts magistrats avaient permis de nous éclairer sur la fragilité de la jurisprudence Talmon. Nous avions donc envisagé délever au niveau législatif lautonomie de la plainte pour blanchiment de fraude fiscale. Depuis cette date, nous avons entendu cependant des avis partagés, notamment sur la rédaction ici proposée. Cela ma conduit à revoir mon jugement.

Dusage autonome, le blanchiment de fraude fiscale est une arme aujourdhui assez pratique pour les procureurs. Il ne faudrait pas que nous resserrions trop les cas demploi, en induisant des effets a contrario sur dautres cas. Je rends donc un avis de sagesse, dans lattente dune formulation plus sûre. Vous pourrez naturellement être associés à sa rédaction.

M. Jean-Louis Bourlanges. Nous étions dans une situation où le blanchiment échappait de facto au « verrou de Bercy ». En arrivant à la quasi-suppression de celui-ci, nous aurions tort, cependant, de revenir sur les possibilités dintervention des procureurs. Nous enverrions un signal politique extrêmement négatif et extrêmement contraire à lobjectif que nous poursuivons.

Je pense, comme la rapporteure, que nous pouvons faire mieux que cette formulation. Je voterai cependant en faveur de cet amendement, à titre conservatoire, tout en proposant que nous améliorions, en plénière, son articulation avec les dispositions que nous prendrons sur le verrou de Bercy.

M. Charles de Courson. Nous ne devrions en fait discuter de larticle 9 ter quaprès avoir discuté de larticle 13. Tout dépend en effet de ce que nous voterons alors : si daventure nous nadoptons pas larticle 13, il faudrait en effet maintenir larticle 9 ter. Si, en revanche, nous ladoptons, il faudra supprimer larticle 9 ter.

Mme Amélie de Montchalin. Madame la présidente, pouvons-nous réserver larticle 9 ter ?

M. Joël Giraud, rapporteur général. Je me rappelle mêtre intéressé à la lutte contre le blanchiment lorsque la jurisprudence Talmon nexistait pas encore. Elle est arrivée à point nommé pour que nous puissions mener des investigations dans de bonnes conditions. Cest pourquoi je ne voudrais pas que nous déstabilisions, par une formulation erronée, une jurisprudence si pratique et si bien établie. Une élévation au niveau législatif présente cependant un intérêt, vu le caractère par définition instable de la jurisprudence. Ce qui serait de bonne politique serait donc dadopter une rédaction plus sûre de lamendement proposé, en vue de la séance publique.

Mme MarieChristine Verdier-Jouclas, présidente. En accord avec la rapporteure, je vous propose de reporter le vote sur cet article après notre discussion sur larticle 13.

Les votes sur les amendements et sur larticle 9 ter sont réservés jusquaprès larticle 13.

 

Article 10 (articles 413 bis et 431 du code des douanes) : Aggravation des sanctions douanières en cas de refus de coopérer

La commission examine lamendement CF162 de Mme Sabine Rubin. 

Mme Sabine Rubin. Cet article va dans le bon sens, puisquil renforce les sanctions douanières, notamment en portant le montant maximal de lamende de 450 à 3 000 euros. Nous proposons de renforcer encore les sanctions, en portant ce montant à 5 000 euros, cest-à-dire le montant prévu par le code général des impôts pour refus de communiquer des documents à ladministration fiscale. Cela nous paraît la moindre des choses pour que la sanction soit réellement dissuasive.

Mme la rapporteure. Le présent amendement propose daligner le montant de lamende sur celui prévu par larticle 1734 du code général des impôts en cas de refus de communiquer certains documents à ladministration fiscale.

Sur le fond, le souci daligner le montant des sanctions est gage de cohérence, mais il me semble toutefois que cela impliquerait une requalification de la contravention en délit.

À ce stade, je men remets à la sagesse de la commission, et souhaite entendre lavis du ministre.

M. le ministre. Mon avis est plutôt défavorable. En portant lamende maximale à 5 000 euros, on créerait un délit douanier qui ne relèverait pas de larticle 413 bis du code des douanes. Cest pourquoi la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) nous a proposé un simple doublement. Les faits réprimés relèvent aujourdhui dune contravention douanière, qui ne peut dépasser, si je ne mabuse, 3 750 euros. Porter lamende au-delà nous ferait changer de catégorie, ce qui créerait de la complexité.

M. Charles de Courson. Ne pourrions-nous, par exemple, fixer le montant maximal à 3 500 euros, afin de rester juste au-dessous du seuil ?

M. le ministre. Madame Rubin, si vous proposez, en séance, de porter le montant maximal à 3 700 euros seulement, je donnerai un avis favorable. Mais ne rendons pas maintenant pour les douanes la situation plus complexe quelle ne lest aujourdhui.

Mme Sabine Rubin. Je suis daccord pour le redéposer en séance, en indiquant un nouveau montant.

Lamendement est retiré.

 

La commission examine lamendement CF1 de Mme Marie-Christine Dalloz. 

Mme Marie-Christine Dalloz. Cet article va effectivement dans le bon sens, mais je peine à comprendre son alinéa 5. Il évoque « tout refus de communication des documents et renseignements demandés par les agents des douanes dans lexercice du droit de communication prévu par larticle 65 ou tout comportement faisant obstacle à la communication », avant de préciser : « Cette amende sapplique par demande, dès lors que tout ou partie des documents ou renseignements sollicités ne sont pas communiqués ».

Lorsquune entreprise fait du commerce international et ne peut rassembler lensemble des documents requis, je crains que des services zélés nimposent une amende à des contribuables de bonne foi. Cest pourquoi je trouve que la dernière phrase citée élargit beaucoup trop le champ.

Je propose donc de sanctionner seulement la volonté délibérée de ne pas fournir les documents, en ajoutant : « en raison de manœuvres à des fins dilatoires ». La rédaction actuelle me semble erronée.

Mme la rapporteure. Votre amendement propose en effet de limiter lapplication des sanctions aux seuls cas où les documents ne sont pas communiqués en raison de manœuvres à des fins dilatoires. Je comprends votre souci, mais je trouve que votre amendement va trop loin. Son adoption compliquerait considérablement le travail de la douane, que nous souhaitons au contraire rendre plus facile. Cest pourquoi je vous propose de retirer lamendement, pour que nous trouvions une autre formulation.

M. le ministre. Je suis défavorable à lamendement pour deux raisons.

Dabord, nous sommes sur le point de consacrer le droit à lerreur, dans un projet de loi actuellement en nouvelle lecture au Sénat. Grâce à sa portée générale, la bonne foi sera par principe du côté des contribuables et des entreprises.

Larticle 10 prévoit ensuite que les douaniers constatent une infraction de refus de communication, avant que ladministration décide de lancer des poursuites. La bonne foi du contribuable est donc par nature prise en compte, puisquil faut un refus – non une simple absence – de communication.

M. Jean-Louis Bourlanges. Il peut en effet y avoir plusieurs raisons de ne pas communiquer des documents, certaines étant légitimes, mais demander à ladministration de prouver le caractère dilatoire des mesures serait trop restrictif. Je crois donc que la formulation proposée par le ministre est tout à fait juste. La loi doit seulement préciser que les documents « font lobjet dun refus de communication ».

Mme Marie-Christine Dalloz. Lalinéa 5, tel quil est rédigé, na pas de sens. Lamende sapplique dès lors que manque une partie des documents. Cest tout de même extraordinaire !

Je retire lamendement, mais jen déposerai un nouveau en séance.

Lamendement est retiré.

La commission adopte larticle 10 sans modification.

 

Après larticle 10

La commission examine, en discussion commune, les amendements CF33 et CF34 de M. Charles de Courson. 

M. Charles de Courson. Selon le rapport du 30 mars 2015 du Centre danalyse du terrorisme, « la contrebande de cigarette représente plus de 20 % des sources criminelles de financement des organisations terroristes, un phénomène qui prend de lampleur depuis lan 2000 ». Effectivement, la contrebande de cigarettes est facile à mettre en œuvre, extrêmement rentable et peu risquée. Les sanctions sont en effet beaucoup plus faibles que pour le trafic de drogues ou pour la prostitution. Cette contrebande alimente en outre le terrorisme et le crime organisé. Quelle en est lampleur ? Certains lestiment actuellement que, sur les 20 % à 25 % de cigarettes importées, 10 % seraient des cigarettes de contrebande. Une grosse partie vient dAlgérie, par Marseille.

Lamendement CF33 a pour objet de donner à lÉtat des moyens renforcés et daugmenter les sanctions. Lamendement CF34 constitue un amendement de repli, prévoyant les mêmes dispositions, à lexception du renvoi au code de procédure pénale.

Mme la rapporteure. Larticle 414 du code des douanes définit le délit douanier de contrebande. Cet article général prévoit une modulation des sanctions encourues en fonction de la nature des produits concernés, ainsi que de la façon dont la contrebande a été mise en place. Outre les amendes, larticle prévoit une peine de trois ans demprisonnement pour le délit de contrebande. Cette peine est portée à cinq ans lorsque la contrebande porte sur des objets mixtes, civils et militaires dont les conditions de circulation sont encadrées par le droit de lUnion européenne. Elle est portée à dix ans dans le cas de contrebande de marchandises dangereuses.

Le premier amendement vise à sanctionner plus lourdement la contrebande commise en bande organisée, mais pose plusieurs problèmes, de fond comme de forme.

La première partie du dispositif supprime la peine de dix ans demprisonnement en cas de contrebande commise en bande organisée, au profit dune nouvelle peine de réclusion criminelle de vingt ans. Cela appelle plusieurs remarques. Lamendement crée une infraction criminelle, catégorie qui nexiste pas en matière douanière, sauf si elle est accessoire à un autre crime. Par ailleurs, cela pose une question de fond. À titre dillustration, le code pénal prévoit une peine de vingt ans de réclusion criminelle pour la torture ou les actes de barbarie commis sur un mineur ou une personne vulnérable. Je ne nie pas limportance de la lutte contre la contrebande, mais ce seul exemple montre quon doit modérer les sanctions en fonction des crimes et délits. En outre, la formulation est peu précise en létat.

Sagissant de la seconde partie du dispositif, la lecture combinée du III et de lexposé sommaire semble indiquer que lobjectif de lamendement est de renforcer les sanctions applicables à la contrebande de tabac. Or, je rappelle que larticle 414 concerne tous les délits de contrebande.

Pour toutes ces raisons, je vous suggère de retirer vos amendements. À défaut, jémettrais un avis très défavorable. Je considère que léchelle des peines qui existe aujourdhui est satisfaisante.

M. le ministre. Je suis sensible, monsieur de Courson, à votre argumentation, mais trois raisons mempêchent de my ranger.

Je ne sais pas si les cigarettes de contrebande représentent vraiment 10 % des cigarettes importées, mais leur volume est en tout cas très important, et elles ont des origines géographiques diverses.

Le tabac est cependant une marchandise légale. Vous voulez le traiter de la même manière que les stupéfiants. Ce nest pourtant pas tout à fait la même chose... Que le commerce, ou le trafic, de ces deux substances différentes fasse encourir les mêmes peines, voilà qui me dérange.

Ensuite, votre amendement conduirait à traduire devant les cours dassises tous les trafiquants de cigarettes, alors que les prises, de plus en plus nombreuses, conduisent aujourdhui à des comparutions immédiates. Cette procédure lourde des assises ralentirait les procédures de lutte contre la contrebande.

Enfin, il est évident que des réseaux internationaux existent. Récemment encore, cest une tonne entière qui a été saisie à Dunkerque. Mais nous avons aussi affaire à une contrebande de « fourmis », organisée, le cas échéant, par colis. Il peut aussi sagir dune contrebande qui exploite la proximité de la frontière avec dautres États membres de lUnion européenne.

La réponse que vous proposez ne me semble donc pas être la réponse adéquate, notamment à cause de léchelle des peines que vous prévoyez.

M. Jean-Louis Bourlanges. Je suis très partagé sur ce sujet. Vous faites, monsieur de Courson, une remarque très juste et très profonde en soulignant quest sous-estimée limportance de latteinte à lordre public financier que représente cette contrebande.

Mais ma gêne est due aux mêmes raisons que celles de notre rapporteure : vous isolez le tabac dans la hiérarchie des peines. Or je ne suis pas sûr que le fait que les substances soient licites ou illicites suffise à exclure une identité des peines. Il y a dautres enjeux, telle latteinte à lordre public financier.

Ne peut-on, dici la séance publique, trouver un mécanisme qui permette une substantielle aggravation des peines, tout en ne faisant pas du tabac une substance dont la contrebande mène en cour dassises ?

M. Charles de Courson. Vous me parlez de contrebande de « fourmis », de contrebande par colis, mais la réalité dont je parle, cest celle des bandes organisées.

M. le ministre. Eh oui, les fourmis sont connues pour être organisées !

M. Charles de Courson. Dans la fourmilière, il y a une reine

Pourquoi ne pas augmenter la peine jusquà vingt de réclusion, comme pour les stupéfiants ? Si ce traitement identique paraît excessif, on peut se contenter de quinze ans. Mais il faut dissuader les trafiquants !

Quant à la comparution devant une cour dassises, elle me semble méritée quand nous sommes en présence de bandes organisées. Il sagit en effet, comme en matière de stupéfiants, dune question de santé publique.

Je vais néanmoins retirer mes amendements pour les calibrer sur un format moins ambitieux, si vous êtes prêts à les soutenir.

M. le ministre. Je partage avec vous la conviction que la lutte doit être plus efficace, non seulement pour des raisons de santé publique, mais aussi pour venir en aide aux buralistes, pour améliorer les rentrées fiscales, et pour lutter contre les bandes organisées.

Je souligne néanmoins que la peine maximale de dix ans nest déjà pas appliquée aujourdhui. Je mengage à vous fournir, pour la séance, des statistiques sur les trois ou quatre dernières années.

Enfin, le projet de loi de réforme de la justice arrivera bientôt devant vous. Cest le véhicule législatif adéquat. Je suis prêt, en amont de son examen, à travailler avec vous sur cette question, mais porter la peine maximale à vingt ans de réclusion ne peut se faire quen liaison avec Mme la garde des sceaux.

M. Charles de Courson. Êtes-vous daccord pour durcir la législation ? Je vais donc retirer mes amendements. Au surplus, la loi de finances rectificative me semble aussi fournir un véhicule législatif adéquat.

Les amendements sont retirés.

 

Article 10 bis (article 575 du code général des impôts) : Sanction des circuits illicites de vente du tabac manufacturé

La commission adopte larticle 10 bis sans modification.

 

Article 10 ter (article 1791 ter du code général des impôts) : Sanctions en cas de fabrication, de détention, de vente ou de transport illicites de tabac

La commission adopte larticle 10 ter sans modification.

 

Article 10 quater (article 6 de la loi n° 2004575 du 21 juin 2004) : Information du public sur les risques associés à lachat et la vente de tabac en ligne

La commission examine lamendement CF102 de M. Daniel Labaronne.

M. Daniel Labaronne. Le présent amendement a pour objet de préciser lobligation prévue à larticle 10 quater, qui dispose que les hébergeurs et fournisseurs daccès à internet doivent mettre en place un dispositif signalant à leurs abonnés les sites internet identifiés par les autorités publiques comme vendant illégalement du tabac.

Il ny a pas de réel intérêt à faire connaître au public lexistence de tels sites illégaux. En revanche, le fait dinformer les abonnés de lillégalité de toute opération de vente ou dachat de tabac sur internet en France participerait au renforcement de la lutte contre le marché parallèle des ventes de tabac à prix réduits.

Notre amendement propose donc dajouter à larticle 6 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans léconomie numérique un alinéa dédié à cette obligation dinformation du public concernant le caractère illégal de telles activités sur internet, ainsi que les sanctions légalement encourues par les auteurs de telles infractions. En cas de manquement à cette obligation, les hébergeurs de sites et les fournisseurs daccès à internet seraient passibles des sanctions prévues par la loi du 21 juin 2004 précitée.

Enfin, la rédaction proposée permettrait dinformer les abonnés des fournisseurs daccès à internet ainsi que des hébergeurs de sites, des sanctions légalement encourues tant en cas dachat de tabac sur internet, quen cas de vente, dintroduction depuis un autre État membre ou dimportation en provenance dun pays tiers de produits du tabac dans le cadre dune vente à distance.

Mme la rapporteure. Votre amendement rend plus cohérent le dispositif adopté par le Sénat. Mon avis est donc favorable.

La commission adopte lamendement.

Larticle 10 quater est ainsi rédigé.

 

Article 10 quinquies [nouveau] (articles L. 3512-23 à L. 351226 et L. 3515-4 du code de la santé publique, L. 80 N du livre des procédures fiscales et 28-1 du code de procédure pénale) : Dispositif national de traçabilité des produits du tabac

La commission examine lamendement CF22 de M. Vincent Ledoux.

M. Charles de Courson. Larticle 15 de la directive du 3 avril 2014 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes prévoit que les États membres font en sorte que chaque unité de conditionnement des produits porte un identifiant unique – cest ce que lon appelle la traçabilité totale. La Commission a édicté un règlement dexécution du 15 décembre 2017 concernant les normes techniques nécessaires pour les dispositifs de sécurité appliqués aux produits du tabac, complété par la décision dexécution 2018/576 du 15 décembre 2017 de la Commission concernant les normes techniques nécessaires pour les dispositifs de sécurité appliqués aux produits du tabac.

Seules certaines dispositions du règlement dexécution sont dapplication directe. En outre, la décision 2018/576 précitée désigne comme destinataires les seuls États membres. Il importe donc de compléter le droit national quand la réglementation européenne laisse à lÉtat membre le soin de choisir le dispositif applicable, afin que les dispositions concernées soient opposables à tous.

Par ailleurs, compte tenu de lélargissement du champ des articles du code de la santé publique concernés, il est nécessaire de modifier larticle L. 3515-4 de ce code afin dassurer la sanction de lensemble des infractions commises.

Enfin, les articles L. 80 N du livre des procédures fiscales et 28-1 du code de procédure pénale sont modifiés pour permettre aux agents en charge des contrôles et des enquêtes de disposer des pouvoirs et habilitations nécessaires à lexercice de leur mission.

Il sagit de tirer les conséquences de ladoption de ces textes européens, puisquil semble que cela na pas été fait, monsieur le ministre.

Mme la rapporteure. Votre amendement complète substantiellement le code de la santé publique en ce qui concerne la traçabilité des produits du tabac, pour tenir compte des précisions récemment apportées par les actes dexécution de la directive de 2014. Il est très technique mais semble en grande partie tirer les conséquences des dispositions dapplication de cette directive.

Je minterroge toutefois sur la pertinence den discuter dans le cadre du présent projet de loi, étant donné quil ne sagit pas directement de fraude fiscale ou douanière. Mais nous lexaminerons dans le détail dici la séance publique. Je men remettrai à la sagesse de mes collègues.

M. le ministre. Je suis très favorable à cet amendement technique, de transposition de dispositions européennes. M. de Courson la très bien expliqué. Jajouterai que, comme tous les députés de la dixième circonscription du Nord, M. Ledoux est toujours extrêmement précis, mais cest historique dans cette circonscription

La commission adopte lamendement.

 

Article 11 (articles 39 duodecies, 39 terdecies, 119 bis, 125-0 A, 125 A, 145, 150 ter, 163 quinquies C, 163 quinquies C bis, 182 A bis, 182 A ter, 182 B, 187, 219, 2380 A, 244 bis, 244 bis B et 792-0 bis du code général des impôts, et L. 62 A du livre des procédures fiscales) : Élargissement de la liste des États et territoires non coopératifs

La commission examine, en discussion commune, les amendements identiques CF55 de M. Fabien Roussel et CF82 de Mme Christine Pires Beaune, ainsi que lamendement CF163 de Mme Sabine Rubin.

M. Jean-Paul Dufrègne. Lamendement CF55 propose une réforme volontariste de la liste française des États et territoires non coopératifs (ETNC) – communément appelés « paradis fiscaux » – fondée sur une refonte puissante des critères définissant les ETNC afin de les rendre plus conformes à la réalité fiscale mondiale actuelle – transparence fiscale, assistance et coopération, régimes fiscaux dommageables.

Il propose également de placer lélaboration de cette liste sous le regard des parlementaires – et donc des citoyens, protégeant ainsi cette nouvelle nomenclature nationale de la force diplomatique dÉtats ou territoires peu enclins à participer à la coopération fiscale internationale.

Cet amendement reprend larticle premier de la proposition de loi créant une liste française des paradis fiscaux, portée par M. Fabien Roussel et lensemble des députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) et examinée en début dannée 2018 par notre assemblée. En définissant des critères plus aboutis et ambitieux, en sappuyant sur larsenal des sanctions dores et déjà prévues par le code général des impôts, la lutte contre la fraude et lévasion fiscale en sortirait renforcée.

Il est clair que cet amendement apporterait une solution plus adéquate que celle proposée en létat par le présent projet de loi. Ce dernier nopère quune transposition de la liste européenne des paradis fiscaux, dont la substance est toute relative puisquelle ne contient aucun paradis fiscal !

Cest clairement insuffisant : pays de lUnion européenne a priori exclus – Irlande, Pays-Bas, Malte, Chypre – alors que ce sont des paradis fiscaux notoires ; manque de transparence dans le suivi de cette liste européenne – un comité Théodule en ayant la charge. Lopacité règne : où sont les pays des Caraïbes, paradis fiscaux sil en est ? Où sont Hong Kong et la Suisse ?

Le compte ny est pas. Notre droit a un point fort – ce sont les sanctions quil prévoit à légard des paradis fiscaux –, mais vous voulez maintenir son point faible – la liste. Nous proposons un amendement ambitieux car des sanctions adaptées ne servent à rien si on ne peut les mettre en œuvre du fait dune liste trop restreinte.

Mme Christine Pires Beaune. Les montants placés dans les paradis fiscaux sont difficiles à estimer. Certains économistes parlent de 350 milliards deuros de recettes fiscales évaporées dans le monde, lOrganisation de coopération et de développement économiques (OCDE) table sur une fourchette de 100 à 240 milliards, les Nations unies les évaluent à 600 milliards... Que lon retienne lestimation la plus basse ou la plus haute, il sagit de sommes colossales, qui minent la confiance des citoyens dans leurs gouvernements. Cest notamment le cas des citoyens européens, car de nombreux paradis fiscaux se situent en Europe : lIrlande, le Luxembourg ou les Pays-Bas, pour nen citer que trois.

Notre amendement CF82 réécrit larticle 11, sur la base des excellentes dispositions prévues par la proposition de loi créant une liste française des paradis fiscaux, discutée récemment.

Mme Sabine Rubin. La simple transposition de la liste européenne des paradis fiscaux ne sattaquera pas aux pratiques dévasion fiscale, puisque cette liste ne comporte plus que sept États, et aucun paradis fiscal notoire.

Notre amendement CF163 a pour objectif de redéfinir des critères pertinents, ainsi que les modalités de validation de ces critères. Les critères proposés reposent sur la transparence fiscale, les normes de base dimposition et le transfert de bénéfices – base erosion and profit shifting (BEPS) – ainsi que labsence de mise en place dun régime fiscal dommageable, conformément aux préconisations du Conseil de lUnion européenne et de lOCDE.

En outre, cet amendement renforce le poids du Parlement, en lui permettant de débattre de lapplication effective des critères et de cette liste, sur la base dun rapport remis par le Gouvernement. Dans ce cadre, le Parlement aura le dernier mot concernant la liste, en décidant de la valider, ou non.

Enfin, lamendement prévoit une clause de sauvegarde au bénéfice des pays reconnus comme les moins avancés par lOrganisation des Nations unies et qui ne disposent pas dun centre financier. En effet, il ne faut pas pénaliser les États socialement et économiquement les plus fragiles dans notre combat contre la grande délinquance financière.

Mme la rapporteure. En proposant une nouvelle rédaction de larticle 11, ces amendements écrasent les dispositions concernant la modulation des contremesures en fonction de la gravité des actes. Or, il me semble que M. Roussel nétait pas hostile au principe de cette modulation. Par ailleurs, les critères retenus nous paraissent trop larges : il suffit den remplir un seul pour être un ETNC, dautant plus que certains sont déjà intégrés à la liste européenne.

En outre, faire figurer ces pays dans la liste des ETNC nest pas le seul moyen de lutter contre la fuite de capitaux vers les pays à fiscalité privilégiée : larticle 238 A du code général des impôts est également souvent utilisé. Cest un moyen daction puissant puisque les entreprises françaises ne peuvent déduire les charges quelles versent aux personnes localisées dans ces pays. Peuvent également être mentionnés larticle 209 B – qui permet dimposer en France les filiales situées dans ces pays – ou encore larticle 57 sur les prix de transfert abusifs.

Enfin, le dispositif des ETNC a aussi pour objectif de faire entrer les États dans des logiques de coopération.

Je suis donc défavorable à vos amendements.

La commission rejette les amendements.

 

Elle en vient aux amendements identiques CF54 de M. Fabien Roussel, CF66 de Mme Sarah El Haïry, CF87 de Mme Christine Pires Beaune et CF164 de Mme Sabine Rubin.

M. Jean-Paul Dufrègne. Je peine à me remettre du sort réservé à notre précédent amendement

La multiplication des exemptions nuit à lefficacité de la liste des ETNC. Notre amendement CF54 propose de ne pas exclure a priori les juridictions appartenant à lUnion européenne. Aujourdhui, on fait de grandes déclarations mais on ne touche pas aux copains !

Mme Sarah El Haïry. Suite au travail mené par M. Roussel, du groupe GDR, notre amendement CF66 vise à ne pas exclure par principe et sans raison les États membres de lUnion européenne. Lappartenance à lUnion européenne ne doit pas être considérée comme un bouclier contre des sanctions potentielles. Plus la transparence prévaudra, mieux ce sera. Elle permettra dailleurs de mieux lutter contre les paradis fiscaux, mais aussi de renforcer lUnion européenne.

Mme Christine Pires Beaune. Bien sûr, madame la rapporteure, la liste noire nest pas le seul outil pour lutter contre les paradis fiscaux, mais une liste aussi réduite est une véritable plaisanterie !

Notre amendement CF87 vise spécifiquement les États européens. Cette liste ne peut exclure demblée les paradis fiscaux situés dans lUnion européenne. Cest presque une question de survie pour cette dernière : les élections approchent et il va sagir dun important sujet de campagne. Vous devriez y réfléchir.

Mme Sabine Rubin. Notre amendement CF164 vise à supprimer lexclusion des pays membres de lUnion européenne de la liste française des ETNC. Je vous soumets deux arguments supplémentaires. Le premier prend appui sur les propos dEmmanuel Macron. Il na certes jamais désigné les Pays-Bas, Malte et le Luxembourg comme paradis fiscaux, mais il a tout de même indiqué : « Ce sont des États dont les règles permettent aujourdhui des contournements massifs. »

La concurrence fiscale agressive de certains pays de lUnion européenne engendre des pertes estimées à 2 % ou 3 % des produits intérieurs bruts nationaux dans lUnion européenne, pour un coût estimé à 15 milliards deuros pour les seules finances publiques françaises. Il faudrait en tenir compte !

Mme la rapporteure. La liste des ETNC, comme leur nom lindique, cible les États et territoires non coopératifs. Si certains États membres étaient considérés comme « non coopératifs », ils seraient probablement en infraction avec le droit communautaire puisque cinq directives sappliquent en la matière et quune sixième vient dêtre adoptée. Aucun pays européen nappartient actuellement à la liste des ETNC. Pour autant, des redressements peuvent être notifiés au titre de larticle 238 A relatif aux pays à fiscalité privilégiée.

Je partage votre souci de ne pas empêcher linscription de pays européens sur cette liste. Je serai donc favorable à vos amendements, en espérant quaucun pays européen ny sera inscrit

M. le ministre. Conformément à lengagement que javais pris lors de lexamen du projet de loi de finances et lors de celui de la proposition de loi de M. Roussel, je donne également un avis favorable à ces amendements.

Mme Amélie de Montchalin. Lors de lexamen de la proposition de loi portée par M. Roussel, nous avions longuement débattu de limportance dune liste suffisamment large et nous nous étions accordés sur la nécessité de réfléchir aux sanctions. Lavis favorable rendu par Mme la rapporteure et M. le ministre souligne que nous avons tenu cet engagement collectif.

M. Éric Coquerel. Ces amendements visent à mettre fin à linégalité de traitement entre les fraudeurs « utilisant » des paradis fiscaux hors Union européenne et les autres, puisque les pays qui les hébergeaient nétaient pas sur la liste au motif quils appartenaient à lUnion européenne. On peut dailleurs sinterroger sur la constitutionnalité de cette inégalité de traitement géographique. En létat actuel du droit, larticle 238-0 A ne peut être utilisé car il ne sagit pas de paradis fiscaux. Nous devons donc inclure les pays européens qui sont effectivement des paradis fiscaux.

M. Daniel Labaronne. À loccasion de lexamen de la proposition de loi de notre collègue Roussel, nous avions pris lengagement de réfléchir à ses propositions, notamment sagissant des pays de lUnion européenne se rapprochant dÉtats non coopératifs. Nous tenons notre engagement. Le groupe La République en Marche soutiendra ces amendements.

Mme Sarah El Haïry. Nous avions beaucoup débattu de ce point pendant lexamen de la proposition de loi du groupe GDR. Ces amendements sont une belle avancée. Nous aurons désormais une réponse juridique. Bravo pour laudace !

Mme Bénédicte Peyrol. Madame Pires Beaune, vous nous avez interpellés sur la survie de lUnion européenne et la nécessité de règles européennes harmonisées. Vous avez raison. Il est par ailleurs extrêmement important que ces États siègent à table des négociations concernant les futures directives relatives à lassiette commune consolidée pour limpôt sur les sociétés (ACCIS).

En outre, la France doit être motrice pour que lUnion européenne accompagne ces États dans leur transition. En effet, leur modèle économique, fondé sur les services, est assis sur cette fiscalité très attractive.

Mme Christine Pires Beaune. Je remercie la rapporteure et le ministre pour cet avis favorable. Cest un premier pas. Je rejoins Bénédicte Peyrol, le chemin est encore long

M. Jean-Louis Bourlanges. Jaurais souhaité ne pas avoir à voter cet amendement, car lUnion européenne devrait doffice exclure ce type de comportement. Mais je le voterai car il serait paradoxal que lappartenance à lUnion européenne aboutisse à soustraire ces États au principe de coopération !

M. Jean-Paul Dufrègne. Ne voulant pas être en reste par rapport à mes collègues, je salue à mon tour le travail réalisé et les avis donnés par Mme la rapporteure et M. le ministre. Un avis favorable est tellement rare ! M. Roussel, qui ne peut malheureusement pas être là et le regrette vivement, sera heureux de la décision que nous allons prendre.

La commission adopte les amendements à lunanimité.

 

Elle en vient à lexamen de lamendement CF122 de Mme Sarah El Haïry.

Mme Sarah El Haïry. Cet amendement repense la définition des ETNC, avec des critères plus complets, et revisés, afin de lutter plus efficacement contre le phénomène de fraude.

Mme la rapporteure. Jy suis défavorable, pour les raisons précédemment évoquées. Par ailleurs, la liste « Hurricane » que vous mentionnez dans votre amendement nexiste plus car il sagissait dune liste temporaire. Votre amendement conduirait à exclure des pays comme les îles Vierges américaines de la liste des ETNC.

La commission rejette lamendement.

 

Elle examine ensuite lamendement CF94 de M. Daniel Labaronne.

M. Daniel Labaronne. Vous me permettrez de défendre conjointement les amendements CF94, CF211 et CF212. Nous nous proposons de revenir sur certaines modifications introduites à larticle 11 à loccasion de lexamen du projet de loi par le Sénat.

Le premier amendement propose de revenir sur lajout dun critère lié à léchange automatique de données au 2 de larticle 2380 A du code général des impôts. Leffectivité de léchange automatique de renseignements est en effet déjà prise en compte par la liste européenne des pays et territoires non coopératifs à des fins fiscales que le Gouvernement a décidé de transposer à ce même article. Cette précision serait donc redondante.

Le critère retenu par le Sénat sécarte par ailleurs de celui prévu par la liste européenne et est donc contraire à notre volonté dappliquer strictement les critères adoptés à lunanimité par les États membres.

Lamendement CF211, pour sa part, tend à modifier lalinéa 12 du présent article, afin de ne pas mentionner directement dans la loi française la numérotation des critères adoptée par le Conseil de lUnion européenne. Cette numérotation peut évoluer, ce qui obligerait à amender les textes à chacune des modifications. La rédaction proposée permet de se prémunir contre cette éventualité. Elle garantit une meilleure intelligibilité de la norme en inscrivant dans la loi la définition retenue par le Conseil européen.

Enfin, lamendement CF212 modifie lalinéa 14 pour éviter une redondance, étant donné que ce même alinéa prévoit déjà que larrêté modifiant la liste des ETNC indique le motif justifiant lajout ou le retrait de la liste. Il nest donc pas nécessaire de préciser quil doit mentionner les critères ayant présidé à la modification ou lajout.

Mme la rapporteure. Concernant lamendement CF94, la rédaction du Sénat se fonde uniquement sur léchange automatique de renseignements, laissant de côté léchange à la demande. Elle pourrait conduire à ce que des pays ne soient pas qualifiés dETNC, alors même quils ne coopèrent pas avec la France. Je suis donc favorable à votre amendement.

La commission adopte lamendement.

 

La commission examine lamendement CF67 de Mme Sarah El Haïry.

Mme Sarah El Haïry. Cet amendement vise à imposer la tenue dun débat annuel devant les parlementaires, a minima devant les commissions compétentes en matière de finances et daffaires étrangères de lAssemblée nationale et du Sénat, en présence du ministre chargé de léconomie et des finances.

Mme la rapporteure. Je vous demanderai de bien vouloir retirer votre amendement au profit de lamendement CF215 que jai déposé, et qui prévoit lui aussi linformation des commissions compétentes, avec la possibilité dun débat.

Lamendement est retiré.

 

Lamendement CF56 de M. Fabien Roussel tombe du fait de ladoption de lamendement CF94.

 

La commission en vient à lamendement CF211 de M. Daniel Labaronne, faisant lobjet du sous-amendement CF214 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Avis favorable, sous réserve de ladoption de mon sousamendement consistant à substituer au mot « offshore » le mot « extraterritoriaux ».

La commission adopte le sous-amendement, puis lamendement ainsi sous-amendé.

 

Suivant lavis favorable de la rapporteure, elle adopte lamendement CF212 de M. Daniel Labaronne.

 

Elle est saisie de lamendement CF60 de M. Fabien Roussel.

Mme la rapporteure. Je demande le retrait de cet amendement au profit de mon amendement CF215, évoqué voici un instant.

Lamendement est retiré.

 

La commission adopte lamendement de précision CF208 de la rapporteure.

 

Elle examine, en discussion commune, les amendements CF215 de la rapporteure et CF97 de M. Daniel Labaronne.

Mme la rapporteure. Lamendement CF215 prévoit que le Gouvernement informe chaque année les commissions permanentes compétentes en matière de finances et daffaires étrangères de lAssemblée nationale et du Sénat de lévolution de la liste des ETNC. Contrairement à lamendement CF97, il précise que linformation doit avoir lieu devant les deux commissions concernées, non uniquement devant la commission des finances.

M. Daniel Labaronne. Dans un souci de transparence et dinformation de la représentation nationale, le présent amendement propose que lévolution de la liste des ETNC fasse tous les ans lobjet dune information.

Mme la rapporteure. Monsieur Labaronne, je vous suggère de bien vouloir retirer votre amendement au profit du mien.

Lamendement CF97 est retiré.

M. Jean-Paul Dufrègne. Ne pourrait-on sous-amender lamendement de Mme la rapporteure pour prévoir un débat en séance publique ?

Mme la rapporteure. La constitutionnalité dune telle disposition pose problème, car les assemblées sont maîtresses de leur ordre du jour. Le Conseil constitutionnel sest déjà prononcé sur des dispositions similaires et les a censurées.

M. le ministre. Je me range à lavis de la rapporteure, mais il me semble que M. Dufrègne évoque une possibilité, non une obligation.

M. Charles de Courson. Madame la rapporteure, la dernière phrase de votre amendement est inutile, car nos commissions sont également maîtresses de leur agenda. Il nest pas nécessaire de linscrire dans la loi, dautant quil sagit dune simple possibilité. Par ailleurs, les arrêtés listant les pays concernés sont publiés.

Malgré tout, je voterai cet amendement car il nest pas inutile de prévoir que le Gouvernement peut venir sexpliquer, mais je souhaite déposer un sous-amendement supprimant la dernière phrase.

Mme Véronique Louwagie. Contrairement à M. de Courson, je propose pour ma part un sous-amendement CF232 tendant à supprimer les mots « devant ces mêmes commissions », ce qui ménage la possibilité dun débat en séance publique.

M. Jean-Louis Bourlanges. Je suis daccord avec M. de Courson sur le fait que le sujet peut être débattu en commission et en séance, et opposé à la mention du débat en séance pour une raison simple : cela transformerait la compétence de droit commun de nos commissions en une compétence dattribution. Cela laisserait entendre, en effet, que tout ne pourrait pas faire lobjet dun débat. Or, cest à nous den décider !

Mme la rapporteure. La dernière phrase de mon amendement évoque un débat infra-annuel, ce qui signifie que si une évolution survient en cours dannée, elle pourra faire lobjet dun débat. Je suis plutôt favorable au sous-amendement de Mme Louwagie, qui ouvre la possibilité dun débat en commission comme en séance.

Mme MarieChristine VerdierJouclas, présidente. Le sous-amendement CF232 de Mme Louwagie est ainsi rédigé : « Après les mots : “peut faire lobjet dun débatˮ, supprimer la fin de la seconde phrase. »

La commission adopte le sous-amendement CF232 de Mme Véronique Louwagie, puis lamendement CF215 ainsi sous-amendé.

 

Enfin, elle adopte larticle 11 modifié.

 

Article 11 bis A [nouveau] (article 209 B du code général des impôts) : Extension du régime des sociétés étrangères contrôlées aux États et territoires non coopératifs

La commission examine, en présentation commune, les amendements CF49, CF50 et CF51 de Mme Bénédicte Peyrol.

Mme Bénédicte Peyrol. Lamendement CF49 vise à renforcer les sanctions applicables aux ETNC en leur étendant lapplication du régime des sociétés étrangères contrôlées (SEC) défini à larticle 209 B du code général des impôts, qui constitue un outil très efficace de lutte contre lévasion fiscale.

Quant à lamendement CF50, il sattaque à une autre forme que peuvent revêtir les paradis fiscaux, celle des pays à régime fiscal privilégié. Le régime fiscal privilégié est une notion qui permet dappliquer un certain nombre de mesures aux pays pratiquant un seuil dimposition inférieur de plus de 50 % à limposition française, notamment limposition en France des bénéfices dune SEC, lencadrement strict de la déduction de certaines charges ou encore lassouplissement de lapplication de larticle 57 du code général des impôts pour les prix de transfert. Afin de renforcer les mesures contre les pays qui pratiquent des taux dimposition très inférieurs aux taux français, lamendement CF50 propose ainsi délever de 50 % à 60 % de limpôt français le seuil dimposition en deçà duquel une entreprise est réputée soumise à un régime fiscal privilégié.

Enfin, lamendement CF51 vise à enrichir le débat sur les ETNC, prévu par la loi bancaire de 2013, dun volet relatif à lapplication au sein de lUnion européenne des principes de justice fiscale des entreprises

Mme la rapporteure. Avis favorable à ces trois amendements.

La commission adopte lamendement CF49.

Article 11 bis B [nouveau] (article 238 A du code général des impôts) : Relèvement du plafond sous lequel un régime fiscal est qualifié de privilégié

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la commission adopte lamendement CF50.

 

Après l’article 11

La commission est saisie de lamendement CF53 de M. Fabien Roussel.

M. Jean-Paul Dufrègne. Lamendement CF53 propose denrichir larsenal des sanctions françaises applicable aux ETNC pour y inclure linterdiction faite aux établissements de crédit français dy exercer leurs activités.

À visée préventive, ce dispositif contribuera à lutter efficacement contre le rôle souvent stratégique occupé par les établissements bancaires dans lévitement fiscal international. Jouant sur les asymétries des législations nationales et lopacité entretenue par de nombreuses juridictions fiscales et bancaires – dont certaines très proches de la France –, des banques font transiter chaque année des milliers de milliards deuros par les paradis fiscaux.

Afin de définir le meilleur équilibre possible, cet amendement subordonne linterdiction dexercice dans les paradis fiscaux au fait que cet exercice na quune finalité : échapper à limpôt, en labsence de toute activité économique réelle. Lamendement entend ainsi ne pas affecter la conduite dactivités bancaires pouvant être légitimes dans certains États ou territoires non coopératifs en matière fiscale – je pense notamment au financement de projets de développement ou à la fourniture aux populations locales de services bancaires légitimes.

Par ailleurs, pour renforcer lefficacité des échanges de renseignements fiscaux et bancaires et rendre effectives et concrètes les obligations déclaratives, cet amendement impose également aux banques françaises sétablissant dans des paradis fiscaux reconnus de constituer leurs implantations locales sous une forme juridique les soumettant aux lois françaises en matière de déclaration des comptes et informations bancaires. Sans cela, la création dentités dans des paradis fiscaux opaques peut conduire à priver deffet les obligations déclaratives.

Jajoute que le dispositif proposé, au-delà de la seule question fiscale, contribue à la lutte indispensable contre le blanchiment dargent issu dactivités criminelles, blanchiment qui repose en très grande partie sur les facilités offertes par les paradis fiscaux et la présence détablissements bancaires peu regardants sur lorigine des fonds qui y circulent.

Mme la rapporteure. Cet amendement reprend larticle 2 de votre proposition de loi sur les paradis fiscaux, monsieur Dufrègne. Je comprends lobjectif que vous visez, mais je crains quil ne se heurte à des obstacles juridiques très importants.

Si vous avez pris la précaution dinclure une clause de sauvegarde pour ne cibler que les opérations relevant de labus de droit, cette précaution reste insuffisante pour assurer au dispositif sa conformité à la Constitution, mais aussi au droit de lUnion européenne – je rappelle que les pays à régime fiscal privilégié peuvent être des États membres. Jémets donc un avis défavorable à cet amendement.

La commission rejette lamendement.

 

Article 11 bis C [nouveau] (article 6 de la loi n° 2013672 du 26 juillet 2013) : Débat sur l’application au sein de l’Union européenne des bonnes pratiques en matière de fiscalité des entreprises

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la commission adopte lamendement CF51.

 

Après l’article 11

La commission examine lamendement CF57 de M. Fabien Roussel.

M. Jean-Paul Dufrègne. Le 2 février 2017, lAssemblée nationale adoptait à une large majorité la résolution « Pour une conférence des parties (COP) de la finance mondiale, lharmonisation et la justice fiscale », défendue par notre ancien collègue Alain Bocquet.

Cette proposition de résolution invitait, notamment, lexécutif français à être à linitiative dune grande conférence internationale, placée sous légide des Nations unies, portant sur la régulation mondiale de la finance et lharmonisation et la justice fiscales, et dont lobjectif serait de parvenir à un accord global visant à linstauration dune instance permanente de coopération et de régulation fiscale internationale, permettant la bonne application des engagements pris par les États-parties et louverture régulière de nouvelles négociations sur ces questions.

Il est urgent davancer vers une régulation mondiale du secteur financier et dattaquer de front les mécanismes à lœuvre permettant la fraude, loptimisation et lévasion fiscales. Il est essentiel de traiter ces problèmes à léchelle planétaire, en y associant lensemble des pays, notamment ceux en voie de développement, souvent mis à lécart des discussions internationales et pourtant victimes majeures des phénomènes dont il est ici question.

Le présent amendement propose une information du Parlement sur les initiatives prises par le Gouvernement suite à ladoption de cette résolution.

Mme la rapporteure. Sans préjuger de lopportunité dune COP fiscale, je rappellerai que des travaux nourris sont conduits par lOCDE sur le sujet. Si lOCDE est souvent présentée comme le « club des pays riches », ses travaux ont été largement ouverts à tous et associent des pays en développement. Surtout, le projet BEPS a été mené dans lobjectif daméliorer la justice entre les pays développés et ceux en voie de développement : sur ce point, je vous invite à prendre connaissance des travaux de Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et dadministration fiscales de lOCDE, où il expose un engagement total en ce sens.

M. Éric Coquerel. Jappuie sans réserve cet amendement, en faisant remarquer que, lors dun récent débat dans lhémicycle, M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances, a émis la même idée, ce qui montre que nous pouvons nous rejoindre pour la défense des grandes causes – dont lorganisation dune COP fiscale fait partie, même si ses enjeux peuvent paraître moins cruciaux que ceux relatifs au climat : la fraude fiscale ne met peut-être pas en péril la survie de lespèce humaine, mais nen constitue pas moins une plaie à léchelle internationale.

La commission rejette lamendement.

 

Elle est saisie de lamendement CF68 de Mme Sarah El Haïry.

Mme Sarah El Haïry. Pour donner une réelle portée à une liste nationale des ETNC, le renforcement du volet relatif aux sanctions est impératif. Cet amendement vise à permettre la préparation dun tel volet dici à 2021, qui entrerait en vigueur en 2022. Il est également proposé de mettre en place une taxe sur les flux financiers entre la France et les ETNC, à un taux faible, afin dencourager États et territoires à prendre les mesures nécessaires à la sortie de cette liste, de pénaliser les flux financiers à destination de ces territoires, et de remettre ainsi sur le droit chemin les pays qui douteraient encore de la nécessité de lutter contre les pratiques abusives.

Mme la rapporteure. Vous demandez un rapport sur un nouveau volet sanctions visant les ETNC. Je vous rappelle quil existe plus dune vingtaine de contre-mesures, allant de lexclusion du régime mère-fille à des majorations de 75 % des retenues à la source, et je ne suis donc pas certaine quun rapport visant à enrichir cet arsenal soit nécessaire.

Mme Marie-Christine Dalloz. Il sagit dun rapport sur les sanctions !

Mme la rapporteure. À chaque fois quune demande de rapport sera faite, je suggérerai à son auteur de se rallier soit au rapport spécial de notre commission, soit – de préférence – au document de politique transversale créé lannée dernière par la loi de règlement, et dont la première édition, encore parcellaire lors de sa première publication dans le cadre de la loi de finances pour 2018, va senrichir progressivement.

Mme Sarah El Haïry. Nous navons pas lhabitude de demander des rapports sans nécessité, et jinsiste sur le fait quil sagirait en loccurrence dun rapport axé très spécifiquement sur les sanctions, qui pourrait être utile pour les volets 2021 et 2022.

La commission rejette lamendement.

 

Elle examine lamendement CF69 de M. Fabien Roussel.

M. Jean-Paul Dufrègne. En sus dune implication renforcée dans lélaboration de la liste des ETNC, il apparaît opportun dadjoindre au Parlement une structure ad hoc pour traiter des questions dévitement fiscal et déchanges de renseignements. Un observatoire indépendant rattaché au Parlement paraît à cet égard constituer une formule intéressante, pouvant sinspirer du modèle de lOffice parlementaire dévaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Cet office bicaméral est composé en nombre égal de députés et de sénateurs, et se trouve assisté dun conseil scientifique constitué de vingtquatre personnalités de haut niveau. Lobservatoire pourrait ainsi reprendre cette formule bicamérale associant également des experts des questions fiscales, financières et économiques, pour apprécier en toute sérénité les problématiques liées à lévitement fiscal et les progrès ou reculs enregistrés.

Mme la rapporteure. Je suis désolée de vous décevoir, mais il ne me semble pas nécessairement opportun de créer de nouveaux organes quand ceux qui existent disposent de toutes les prérogatives pour atteindre le même résultat. Nous nous sommes engagés sur la voie dune meilleure évaluation, dun contrôle exercé de manière plus efficace et plus approfondie, mais les commissions permanentes disposent déjà de toutes les prérogatives utiles pour mener leurs travaux législatifs et de contrôle. Jémets donc un avis défavorable à cet amendement.

M. Jean-Louis Bourlanges. Le principal problème auquel nous ayons à faire face est un problème deffectivité, et non dévaluation. Pour employer une image un peu osée, je dirai que le voyeurisme est la conséquence de limpuissance, mais quil ne permet pas den guérir

La commission rejette lamendement.

 

Elle étudie lamendement CF70 de M. Jean-Paul Dufrègne.

M. Jean-Paul Dufrègne. Les auteurs du présent amendement proposent au Gouvernement de mettre à létude la création dun observatoire parlementaire indépendant, chargé dassister le Parlement dans le traitement des problématiques liées à lévitement fiscal. Il nous semble en effet important de pouvoir bénéficier dun tel accompagnement.

Mme la rapporteure. Il me paraît étrange que le Gouvernement puisse être chargé de remettre au Parlement un rapport sur lopportunité de créer au sein de ce dernier un observatoire indépendant en matière de lutte contre lévitement fiscal : si le Parlement veut se saisir, il peut le faire. Par ailleurs, jestime que nous sommes en mesure dexercer nos missions de contrôle sans quil soit nécessaire pour cela de créer de nouveaux organismes. Je suis donc défavorable à cet amendement.

La commission rejette lamendement.

 

Article 11 bis : Interdiction pour lAgence française de développement de participer au financement de projets dont lactionnaire de contrôle est immatriculé dans un État ou territoire non coopératif

La commission examine les amendements identiques CF61 de M. Marc Le Fur, CF63 de M. Vincent Ledoux et CF88 de M. Bruno Fuchs.

Mme Marie-Christine Dalloz. Lamendement CF61, déposé par Marc Le Fur, vise à la suppression de larticle 11 bis introduit en première lecture au Sénat par amendement. Lamendement sénatorial visait à donner une valeur législative à un code de conduite du groupe Agence française de développement (AFD) et à lappliquer à lensemble des États et territoires non coopératifs au sens de larticle 238-0 A du code général des impôts.

Or, cette disposition est superfétatoire, puisque linterdiction que le Sénat souhaitait créer par cet article 11 bis figure déjà dans la loi du 7 juillet 2014 dorientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale (LOPDSI) et les textes administratifs qui en précisent les modalités dapplication.

M. Charles de Courson. Effectivement, le Sénat semble méconnaître la loi du7 juillet 2014 et les textes administratifs qui en précisent les modalités dapplication, dans lesquels figure déjà la disposition contenue dans larticle 11 bis. Par ailleurs, il me paraît contreproductif de viser uniquement lAFD. Cest pourquoi nous proposons, par lamendement CF63, de supprimer larticle11 bis.

M. Bruno Fuchs. Larticle 11 bis, introduit par le Sénat, nous semble non seulement inutile, mais encore néfaste. Le Sénat fait référence à une politique interne de lAFD datant de 2013, alors quentre-temps, nous avons adopté la LOPDSI, dont une lettre du ministre des finances et des comptes publics du 2 février 2016 est venue préciser les modalités. Les contraintes actuellement imposées à lAFD sont donc plus précises et plus sévères que celles auxquelles se réfère larticle 11 bis.

Par ailleurs, lAFD est soumise aux dispositions et interdictions applicables aux établissements de crédit en France. Stigmatiser spécifiquement une institution française ayant vocation à favoriser le développement international revient à lui porter préjudice en termes dimage.

Pour toutes ces raisons, nous proposons de supprimer larticle 11 bis.

Mme la rapporteure. Larticle 11 bis, introduit par le Sénat sur avis favorable de sa commission des finances et du Gouvernement, avait également été adopté par notre commission lors de la discussion de la proposition de loi de M. Roussel, qui avait finalement été rejetée.

Cet article na nullement pour objet de stigmatiser lAFD, dont le rôle essentiel et central dans laide au développement na plus à être souligné. Cependant, jentends largument sur le caractère restrictif de larticle 11 bis par rapport à la politique interne de lAFD, et cest pourquoi jai déposé lamendement CF210 qui introduit dans larticle une clause de sauvegarde, afin que le financement soit possible même si lactionnaire du projet est immatriculé dans un ETNC, dès lors que cette immatriculation est légitime.

Je suis donc défavorable à ces amendements de suppression.

La commission rejette les amendements.

Elle adopte lamendement de précision CF209 de la rapporteure.

 

Elle examine ensuite lamendement CF210 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Venant compléter larticle 11 bis, lamendement CF210 ne supprime rien, mais introduit la clause de sauvegarde que jai évoquée tout à lheure.

M. Bruno Fuchs. La rédaction proposée par le Sénat prévoyait deux dérogations : premièrement, un intérêt économique réel dans lÉtat ou le territoire concerné – cest la dérogation que vous avez reprise dans votre amendement –, deuxièmement, un projet réalisé dans un État ou un territoire non coopératif. Jignore si vous avez oublié cette seconde dérogation ou si vous lavez volontairement omise mais en tout état de cause, jestime quil convient de la rétablir.

Mme la rapporteure. Lamendement CF210 a pour objet de compléter le texte du Sénat en prévoyant une dérogation – celle dun actionnaire établissant que son immatriculation est justifiée par un intérêt économique réel dans lÉtat ou le territoire concerné. Il ne retranche ou noublie donc rien par rapport au texte du Sénat : il ajoute.

M. Charles de Courson. Il me semble, madame la rapporteure, que vous navez pas répondu à largument invoqué à lappui des trois amendements de suppression de larticle 11 bis, selon lequel cette disposition est superfétatoire, linterdiction que le Sénat souhaite créer par cet article figurant déjà dans la LOPDSI. Or, ce point est essentiel, car si linterdiction est déjà prévue, larticle 11 bis est bel et bien inutile

Mme la rapporteure. En fait, linterdiction ne figure pas dans la loi de 2014 ellemême, mais dans un rapport annexé à larticle 2 de cette loi, et na donc pas la valeur normative dune loi.

M. Charles de Courson. Ce nest pas ce que dit lAFD : ainsi notre collègue Vincent Ledoux, rapporteur spécial pour laide extérieure de lÉtat, estime-t-il que linterdiction est déjà prévue.

Mme la rapporteure. Je vous confirme que linterdiction ne figure pas dans la loi, mais seulement dans un rapport annexé. Au demeurant, je ne comprends pas pourquoi vous semblez opposé à une clause de sauvegarde qui va dans le sens de la position que vous défendez. Afin que nous puissions avancer, je vous propose que nous en reparlions avant la séance publique.

Mme Véronique Louwagie. La rédaction de lamendement CF210, fondée sur lexistence dun « intérêt économique réel dans lÉtat ou le territoire concerné », minquiète un peu, car ce critère implique une appréciation subjective, ce qui est toujours dangereux : il est permis de se demander si nous ne sommes pas en train douvrir la boîte de Pandore. Jai limpression que, nétant satisfaite ni par la rédaction du Sénat, ni par la suppression que nous vous avons proposée, vous vous efforcez tant bien que mal de trouver une voie intermédiaire. Or, celle que vous avez définie me paraît être source de contentieux.

Mme la rapporteure. La référence à un « intérêt économique réel » est connue et commentée, car elle est aujourdhui utilisée dans toutes les clauses de sauvegarde ou les clauses anti-abus, notamment dans lexclusion du régime mère-fille.

M. Charles de Courson. Sans vouloir faire du juridisme, on peut tout de même se demander qui définira lintérêt économique réel. Le conseil dadministration de lAFD devrat-il faire remonter chaque dossier au ministre ?

Mme la rapporteure. Les clauses de sauvegarde définies selon la formulation que jai retenue sont nombreuses dans le code général des impôts. Si je comprends bien, vous souhaiteriez remettre en cause toutes les notions fiscales élaborées au cours des vingt dernières années : cela risque de représenter une lourde tâche... La fiscalité est rarement binaire, et nous sommes aujourdhui fréquemment confrontés à des montages juridiques nécessitant un important travail de démonstration.

M. Bruno Fuchs. Si linterdiction figure pour le moment dans une annexe de la loi du 7 juillet 2014, elle nen a pas moins valeur dune contrainte sappliquant aux activités quotidiennes de lAFD. Or, la formulation que vous proposez est plus souple que cette contrainte. Puisque lAFD est soumise aux interdictions applicables aux établissements de crédit en France, pourquoi ne pas étendre linterdiction dont il est ici question à lensemble des établissements de crédit opérant dans le monde entier ? À défaut, lAFD se trouve stigmatisée par une disposition ne sappliquant quà elle.

La commission adopte lamendement.

 

Puis elle adopte larticle 11 bis modifié.

 

 

Article 12 (articles L. 247 et L. 251 A du livre des procédures fiscales) : Rétablissement de la faculté transactionnelle de ladministration fiscale en cas de poursuites pénales

La commission est saisie de lamendement CF32 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Pour sassurer de légalité de tous les citoyens devant la loi, il convient de supprimer larticle 12, qui vise à redonner à ladministration fiscale la possibilité de transiger lorsquelle envisage de déposer plainte pour fraude fiscale.

Mme la rapporteure. En létat du droit, ladministration fiscale ne peut plus effectuer de transactions sur les pénalités avec un contribuable dès lors quelle envisage une action pénale. Autrement dit, la saisine de la commission des infractions fiscales rend impossible une transaction sur les pénalités.

Larticle 12 inséré par le Sénat prévoit de rétablir cette faculté transactionnelle qui existait avant 2013. Cet article me paraît acceptable, à condition que larticle 13 soit aménagé dans un sens plus important que celui prévu par le Sénat. Jémets donc un avis défavorable à cet amendement de suppression de larticle 12.

M. Charles de Courson. Si je comprends bien, madame la rapporteure, vous proposez de reporter la discussion de larticle 12 après larticle 13. Dans ce cas, tout dépend de ce que nous voterons à larticle 13

M. le ministre. Jappelle votre attention sur le fait que nous visons un double objectif. Il sagit dabord de récupérer des recettes dun montant important – ce qui est le cas lorsque des contribuables convaincus de fraude fiscale doivent payer le juste impôt, assorti de pénalités , afin que la Nation ne se trouve pas flouée.

Mais nous souhaitons également poursuivre les cas les plus graves : nous serons amenés à nous pencher sur cette notion dans le cadre de lexamen de larticle 13, qui définit notamment les cas susceptibles de donner lieu à des poursuites pénales.

Je ne comprends pas la proposition de suppression de larticle 12, car ce nest pas parce quon transige sur les recettes que laction pénale se trouve éteinte.

M. Charles de Courson. En fait, monsieur le ministre, je suis hostile par principe à la transaction, qui revient à placer ladministration fiscale dans une situation où ses décisions feront toujours lobjet de commentaires, voire de suspicions de corruption.

M. le ministre. Vous reconnaissez donc être idéologiquement opposé à la transaction, en méconnaissant le fait que, lorsque ladministration se lance dans une procédure, elle finit souvent par ne rien récupérer du tout... Au demeurant, jinsiste sur le fait quune transaction sur les recettes néteint pas laction publique : le procès pénal peut se poursuivre.

M. Éric Coquerel. Je soutiens lamendement de Charles de Courson. Le débat que nous avons sur larticle 12 rejoint celui portant sur le « verrou de Bercy » en ce quil pose au fond la même question : quand il y a fraude fiscale, vaut-il mieux aller au bout de laction pénale ou transiger – ce qui constitue lassurance de récupérer des recettes ? Pour notre part, nous estimons que la transaction nest pas une bonne idée, et nous ne saurions donc voter un article allant à lencontre des quelques progrès contenus dans larticle 13. Inefficace et injuste, le recours au « plaider-coupable » nous paraît également constituer un message très négatif à ladresse de tous les Français qui paient leurs impôts sans tricher.

Mme Bénédicte Peyrol. Le ministre vient de le rappeler : la transaction néteint pas laction publique. Ne nous faites pas croire quon ne pourra pas aller jusquau bout de laction pénale !

La commission rejette lamendement.

 

Elle en vient à lamendement CF95 de M. Daniel Labaronne.

M. Daniel Labaronne. Le présent amendement vise à supprimer une disposition, introduite par le Sénat, qui apparaît comme superfétatoire au regard des prérogatives générales, importantes, attribuées au président et au rapporteur général de la commission des finances.

Mme la rapporteure. Avis favorable.

Mme Véronique Louwagie. Je suis au contraire, pour ma part, très défavorable à cet amendement : il soppose à la transparence, à un contrôle du Gouvernement par le Parlement. La notification de la liste nominative des transactions conclues par ladministration dont le montant de latténuation est supérieur à 200 000 euros ou qui portent sur des faits ayant fait lobjet dune plainte de ladministration fiscale me paraît essentielle. Si lon peut faire confiance à ladministration – je ne suis pas totalement opposée au mécanisme des transactions –, je souhaite quil y ait, jy insiste, un minimum de transparence. Il sagit par là déviter la suspicion.

Mme la rapporteure. Il existe déjà un rapport qui fait état de toutes les transactions conclues au cours de lannée, et pour ce qui est de laccès aux données nominatives, je rappelle que le président et le rapporteur général de la commission jouissent déjà de prérogatives qui leur permettent daccéder à ce type de document.

Mme Véronique Louwagie. Ce nest pas la même chose.

M. le rapporteur général. Il est vrai que le président de la commission et moimême avons la possibilité de demander tout ce que nous voulons. Aussi la disposition ajoutée par le Sénat est-elle superfétatoire puisque, jy insiste, elle prévoit le transfert automatique de données que nous sommes de toute façon à même de demander – et vous avez du reste pu le constater récemment avec le rapport d’information sur lapplication des mesures fiscales. Plutôt que de sencombrer chaque année de tonnes de données qui nous parviendront automatiquement, mieux vaut les demander à chaque fois que nous avons des investigations à mener.

Mme Christine Pires Beaune. Jen profite pour rappeler au ministre que je lui ai envoyé il y a quelques semaines un questionnaire, précisément au sujet des transactions, auquel je nai toujours pas obtenu de réponse.

M. Jean-Louis Bourlanges. Je comprends très bien largument du rapporteur général mais il est tout de même très différent dobtenir de droit les éléments considérés par une procédure automatique qui ne met en aucune façon en cause lhonorabilité de la personne sur laquelle on demande des renseignements, et de les obtenir suivant une procédure active, quelle soit positive ou négative, consistant à dire : sur celui-là, on voudrait bien avoir quelque information... Les deux démarches, jy insiste, ne sont pas de même nature, et lidée de lautomaticité de la transmission des données sur tous les bénéficiaires des transactions en question est en soi satisfaisante.

Mme la rapporteure. Le rapporteur général peut demander la liste de tous les bénéficiaires des transactions

Mme Véronique Louwagie. Certes, et je remercie le rapporteur général davoir rappelé quelles sont ses prérogatives, dont nous savons quil use avec une grande vigilance. Reste que si le rapporteur général et les rapporteurs spéciaux jouissent de prérogatives quils exercent à juste titre et avec discernement, nous demandons, ce qui nest pas la même chose, la notification annuelle, donc régulière, de la liste nominative des transactions – ce qui est de nature à leur donner une certaine force – alors que son droit, le rapporteur général lexerce de façon exceptionnelle dans des cas bien particuliers. Il faut sans doute faire évoluer la manière dont ladministration réagit par rapport à un certain nombre de contentieux, et la transaction peut à cet égard se révéler un dispositif intéressant mais quil faut contenir, sécuriser afin déviter toute faille.

M. Daniel Labaronne. Le Parlement est informé chaque année du traitement de ces dossiers par le comité du contentieux fiscal, douanier et des changes, dont lavis est obligatoire pour les demandes datténuation dépassant 200 000 euros. Linformation est donc déjà transmise, directement, au Parlement.

M. le ministre. Nous répondrons intégralement au questionnaire que nous a envoyé Mme Pires Beaune. Je peux dores et déjà lui indiquer quen 2016, par exemple, le nombre de transactions conclues après mise en recouvrement était inférieur à 2 000 et représentait moins de 0,15 % du total des demandes. Le nombre de transactions conclues avant mise en recouvrement est assez comparable dune année à lautre : en 2016, il y avait eu 1 270 transactions après mise en recouvrement, et 1 724 avant mise en recouvrement.

La commission adopte lamendement.

 

Puis elle adopte larticle 12 modifié.

 

TITRE III

RÉFORME DE LA PROCÉDURE DE POURSUITE PÉNALE
DE LA FRAUDE FISCALE

 

Article 13 (Art. L. 141 B [nouveau], L. 228, L. 228 A et L. 232 du livre des procédures fiscales, article 1er de la loi n° 77-1453 du 29 décembre 1977) : Conditions du dépôt des plaintes pour fraude fiscale par ladministration

La commission examine, en discussion commune, les deux amendements identiques CF186 de la rapporteure et CF112 de M. Daniel Labaronne, faisant lobjet des sous-amendements CF225 de M. Charles de Courson, CF224 et CF223 de Mme Laurence Vichnievsky, CF226, CF227, CF228, CF230 et CF229 de M. Charles de Courson, ainsi que lamendement CF93 de Mme Christine Pires Beaune, les amendements identiques CF99 de Mme Christine Pires Beaune et CF117 de M. Jean-Paul Dufrègne, et lamendement CF166 de M. Éric Coquerel.

Mme la rapporteure. Je vais prendre le temps de mexprimer, car il est très important que je vous explique bien clairement le dispositif que je vous propose par le biais de lamendement CF186.

Le « verrou de Bercy » est une exception au libre exercice de laction publique par le parquet. Il subordonne la poursuite pénale de la fraude fiscale à une plainte préalable de ladministration fiscale, après avis favorable de la commission des infractions fiscales (CIF).

Je rappelle que les manquements fiscaux ont vocation à être sanctionnés dans le cadre des contrôles fiscaux programmés chaque année par ladministration fiscale. Des pénalités administratives sont appliquées lorsque le manquement commis est intentionnel – ladministration fiscale redresse limpôt, applique des intérêts de retard et applique, quand le manquement est intentionnel, des pénalités qui vont de 40 % à 100 %.

Les sanctions pénales viennent en plus. Elles nont dailleurs vocation à sappliquer, comme la jugé le Conseil constitutionnel, quaux fraudes les plus graves, celles pour lesquelles la sanction pénale présente une plus-value par rapport aux sanctions administratives. De ce point de vue, le « verrou de Bercy » se justifiait par le fait quon considérait que ladministration était la mieux placée pour apprécier latteinte aux intérêts financiers du Trésor.

Reste que la perception de la société a changé à légard des manquements fiscaux. La fraude fiscale, auparavant considérée comme une simple atteinte aux intérêts financiers de lÉtat, est aujourdhui perçue comme un trouble à lordre public et une atteinte à légalité des citoyens devant la loi. Cest pourquoi nous avons souhaité la création dune mission dinformation commune afin de trouver des solutions pour améliorer les procédures.

Le présent amendement reprend en grande partie les propositions du rapport de la mission d’information.

En premier lieu, lamendement institue une obligation à la charge de ladministration dinformer le parquet – au-delà dun certain seuil de droits rappelés – de tous les manquements fiscaux ayant donné lieu à des pénalités administratives importantes révélant une intentionnalité déluder limpôt : soit les pénalités de 100 % et de 80 % et les pénalités de 40 % en cas de réitération du manquement. Pour ces dossiers, lamendement prévoit un seuil déterminé par décret en Conseil dÉtat – nous allons sans doute discuter du fait de savoir si ce seuil devrait plutôt figurer dans le texte même. Jenvisage un seuil de 100 000 euros ; le ministre pourra nous dire ce quil en pense.

Pour les personnes soumises à des exigences de transparence en application des lois organique et ordinaire du 11 octobre 2013 – à savoir les personnes qui déposent une déclaration aujourdhui auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) – les affaires sont transmises sans seuil dès lors quelles sont assorties de pénalités dau moins 40 %.

La constitution de ce vivier de dossiers répond à trois préoccupations : elle permet tout dabord au législateur de se réapproprier les critères de sélection des dossiers présentant un profil pénal à lissue du contrôle fiscal ; elle met fin ensuite à la suspicion infondée selon laquelle certains dossiers importants échapperaient aux parquets ; enfin, elle accroît le périmètre des dossiers sur lesquels les parquets pourront librement exercer leurs prérogatives de juge de lopportunité de poursuites pénales.

En deuxième lieu, la possibilité est prévue pour ladministration dêtre à linitiative du déclenchement des poursuites pénales pour les dossiers qui ne répondraient pas aux critères précités. Lavis de la CIF est maintenu pour les plaintes spontanées de ladministration. Pourquoi ? Parce que le principe dautomaticité de transmission de dossiers répondant à certains critères ne nécessite pas lavis de la CIF. Dans les autres cas, on en revient au rôle originel de la CIF visant à garantir les droits du contribuable et donc veiller à ce que ladministration juge en toute objectivité la transmission des dossiers au pénal.

En troisième lieu, lamendement concerne les cas de présomption caractérisée de fraude fiscale ; il sagit des dossiers transmis à la BNRDF pour quelle enquête avant même la vérification fiscale. Jusquà présent cette transmission passait par la CIF et lamendement propose que ce ne soit plus le cas, ladministration pouvant dès lors déposer plainte directement. Les investigations et les dépôts de plainte sen trouveront accélérés.

Quatrièmement, il sagit de permettre au parquet de poursuivre directement les fraudes connexes à celles dont il est déjà saisi – ce que nous avions appelé la « petite connexité », à savoir les fraudes qui vont porter sur dautres périodes et dautres impôts que la fraude initialement visée. Cétait, ici aussi, une proposition du rapport.

Cinquième et dernier point, je propose de délier les agents de ladministration fiscale du secret professionnel à légard du procureur de la République – je vous demande de mesurer cette avancée substantielle – avec lequel ils pourront échanger des informations couvertes par ce secret indépendamment de lexistence dune plainte. On permet ainsi au juge un dialogue avec ladministration.

Je vous propose douvrir la discussion sur le fondement de cette présentation.

M. Daniel Labaronne. Le groupe La République en Marche se félicite de lamendement de la rapporteure, qui était également rapporteure de la mission dinformation commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales. Je tiens à souligner la cohérence de la démarche de la majorité, qui a commencé son travail en la matière par le projet de loi pour un État au service dune société de confiance, travail qui sest poursuivi par la demande de création dune mission dinformation, celle que je viens de mentionner, qui a œuvré très rigoureusement et dans un esprit très ouvert, sans a priori aucun, et qui a remis un rapport dont les propositions ont été adoptées à lunanimité – propositions elles-mêmes reprises dans le présent texte. Il sagit, disons-le, de supprimer le « verrou de Bercy » en place depuis quelque cent ans. En douze mois, tranquillement, de manière rigoureuse, jy insiste, et convaincante, nous avons avancé sur ce dossier.

Ensuite, malgré les divergences initiales, nous avons pu, grâce aux nombreux échanges organisés entre le ministère de laction et des comptes publics et les groupes politiques du Parlement, parvenir à un point déquilibre entre les nécessités propres à ladministration fiscale, légitimes, et la remise, au cœur du système, de la justice en matière de fraude fiscale. Aussi le texte satisfait-il un très grand nombre de parties prenantes à ce dossier.

Nous nous félicitons donc de cette avancée et, bien sûr, nous soutenons lamendement dÉmilie Cariou – identique à lamendement CF112 que je défends. Sur ce dossier quelque peu explosif il y a un an, nous aboutissons donc posément mais non sans détermination, à une proposition contentant, je le répète, un très grand nombre dacteurs.

M. Charles de Courson. Lamendement Cariou, appelons-le ainsi, est un amendement de compromis entre ceux qui voulaient supprimer purement et simplement le « verrou de Bercy » et ceux qui voulaient le maintenir.

Le point positif est quon supprime le « verrou de Bercy » pour tous les dossiers satisfaisant aux critères ici définis – hormis le montant au-delà duquel ladministration informe le parquet des manquements fiscaux ayant donné lieu à des pénalités administratives importantes révélant une intentionnalité déluder limpôt. Il y a automaticité du transfert et « mixage » de lautorité des juges avec celle des autorités fiscales pour faire le tri, mais ce sont, bien entendu, les premiers qui choisiront in fine.

Je nen ai pas moins relevé plusieurs points négatifs.

Dabord, on conserve le « verrou de Bercy » pour les dossiers qui ne satisfont pas aux critères et pour lesquels on maintient le rôle de la CIF. On supprime le « verrou » pour 2 000 dossiers au lieu de 1 000 actuellement alors que de 12 000 à 13 000 dossiers seront – ou non – susceptibles dêtre transmis par ladministration fiscale.

Ensuite, un régime dérogatoire est prévu pour les élus et les hauts fonctionnaires : si des majorations leur sont appliquées sans quil y ait de seuil de montant, leurs dossiers sont automatiquement transmis. Cette dérogation présente à mes yeux un risque dinconstitutionnalité.

Je soutiens donc la partie de lamendement Cariou qui supprime le dispositif en vigueur, mais je pense que le texte, plutôt que den renvoyer la fixation à un décret en Conseil dÉtat, devra lui-même déterminer le seuil évoqué au début de mon intervention. Je pense également quil faut supprimer le régime dérogatoire pour les élus et les hauts fonctionnaires, qui doivent être traités comme tous les citoyens et ne doivent donc bénéficier daucun privilège ni daucune sanction – comme ici – particuliers.

Lensemble des sous-amendements CF225 à CF230 que je défends ici, on laura compris, vont dans le sens dune suppression totale du verrou de Bercy.

Mme Sarah El Haïry. La méthode suivant laquelle la commission a travaillé sur le « verrou de Bercy » sest révélée exemplaire, et les députés du groupe du Mouvement Démocrate et apparentés soutiennent sans réserve lamendement dit, désormais, « Cariou ». Nous sommes en effet très satisfaits du point déquilibre auquel nous sommes parvenus. Nous nen défendons pas moins deux sous-amendements pour éclaircir certains points.

Le sous-amendement CF224 a pour objet de faire dépendre lobligation de dénonciation, de la situation objective de fraude, constituée par les agissements ou les omissions du contribuable, dès lors bien sûr que ladministration fiscale en aura eu connaissance, sans y ajouter la condition que la fraude ainsi révélée ait fait de surcroît lobjet dune notification de majoration de droits. Le sous-amendement CF223, quant à lui, vise à fixer à 100 000 euros le seuil du montant des droits éludés au-delà duquel ladministration sera tenue de dénoncer certaines fraudes fiscales au procureur de la République.

Mme la rapporteure. Il est étrange que vous affirmiez vouloir supprimer le « verrou de Bercy », monsieur de Courson, puisque vous souhaitez une transmission automatique pour les dossiers satisfaisant aux critères – et un verrouillage complet pour tous les autres ! Les dossiers émanent par définition de ladministration fiscale, puisque cest elle qui constate les infractions et qui calcule limpôt. Aujourdhui, certains dossiers de moins de 100 000 euros passent déjà devant le juge pénal lorsquils comportent des actes très graves. Pour les autres dossiers, ladministration va constater quil y a un caractère de gravité dans dautres dossiers, et dans ce cas elle va les porter devant le juge.

Le sous-amendement CF224 vise, à lalinéa 6, avant les mots : « ont conduit » à insérer les mots : « sont passibles ou ». Je ne comprends pas du tout ce que cela signifie parce quil faut bien que linfraction soit constituée, quun redressement soit écrit et motivé avec un montant dimpôt... Lajout que vous proposez est donc trop flou.

Pour ce qui est des amendements CF223 et CF226 et de la fixation du seuil à 100 000 euros, nous en rediscuterons plus tard et je men remettrai à la sagesse de la commission.

M. Daniel Labaronne. Pendant les travaux de la mission dinformation commune, monsieur de Courson, vous ne cessiez de dire quen définitive le « verrou de Bercy » nattrapait pas les gros poissons. Le présent dispositif le permettra automatiquement. Très logiquement, vous ajoutiez que le « verrou » ne concernait que les petits poissons. Eh bien, il sagit ici dattraper à la fois les gros et les petits puisque, sagissant des gros, le Parlement reprend la main, et que, sagissant des petits, ladministration fiscale aura toujours la possibilité de considérer que certains dossiers ne remplissant pas les critères méritent tout de même de suivre la voie pénale – mais il y aura un sas pour protéger les contribuables : le maintien du rôle de la CIF. Ensuite, sur avis conforme de celle-ci, les dossiers en question suivront ou non la voie pénale et le juge aura toujours lopportunité de poursuivre ces petits poissons.

Mme la rapporteure. Jajoute que le gros requin est parfois accompagné dun petit poisson pilote... et que le dispositif permet de le prendre également et de le conduire au pénal.

Mme Véronique Louwagie. Cette discussion sinscrit dans le prolongement des travaux de la mission dinformation commune dont vous avez été la rapporteure, madame Cariou, sous la présidence dÉric Diard.

Jestime quon ne peut pas, compte tenu de lorientation prise, ne pas déterminer un montant. On peut discuter du fait de savoir si celui de 100 000 euros, proposé par le sousamendement CF223, est le bon ; il semble correspondre en tout cas à lusage. Reste quil nous appartient à nous, parlementaires, de linscrire dans le texte.

Ensuite, notre collègue de Courson la évoqué, un dispositif dérogatoire est prévu pour les élus et les hauts fonctionnaires. Son existence me gêne également : le droit commun doit en effet sappliquer – et le risque dinconstitutionnalité est en effet bien réel.

M. Jean-Louis Bourlanges. Nous devons saluer ces amendements, qui sont laboutissement du grand travail auquel sest livrée la rapporteure, un travail intéressant qui a permis de revoir un certain nombre da priori. Nous étions en effet partis avec lidée, souvent évoquée par Charles de Courson, que le « verrou de Bercy » protégeait les « gros », quil reposait sur une volonté claire de ladministration fiscale de dessaisir lautorité judiciaire. Nous étions également partis avec lidée, plus juste mais difficile à remettre en cause, que tout ce système était exagérément centralisé. Nous nous sommes en réalité aperçus que le « verrou » ne protégeait pas nécessairement les gros, et quil avait pour objet dassister, daider la justice qui parfois était très empêtrée dans cette affaire. Nous avons compris que le « verrou » navait pas été imposé par Bercy à la justice, mais au contraire demandé par les magistrats, qui avaient le sentiment depuis longtemps, dès la création de limpôt sur le revenu, de manquer de conseils techniques et que cétait donc sur le fondement dune coopération insuffisante que sétait organisé tout cela.

Sur ces différents points, nous pensons vraiment que le système ici proposé est très satisfaisant. Cest un compromis rendu possible par lattitude ouverte du ministre. On na pas supprimé la CIF mais on a fixé des critères automatiques. Lautomaticité prévient contre tout risque darbitraire dans le domaine où ces critères sont appliqués. Il ne sagissait pas seulement, comme on pouvait le penser en écoutant les premières interventions de M. Darmanin, très justes dailleurs, de donner à la loi la possibilité de fixer des critères aujourdhui définis entre Bercy et la justice ; mais, au-delà de la fixation par la loi, cest lautomaticité qui est importante et qui est une garantie fondamentale.

Ensuite, je ne suis pas daccord avec Charles de Courson sur le fait quon maintiendrait le « verrou de Bercy ». Cest en fait lanti-« verrou de Bercy », puisque la possibilité est donnée à Bercy de sintéresser à des contribuables qui nobéissent pas aux critères définis, alors que sans cette possibilité, ils se trouveraient miraculeusement protégés – ce nest pas parce que des gens gagnent peu que ce ne sont pas de profonds scélérats... Il faut vraiment distinguer la gravité de la faute de limportance du montant gagné. Il eût donc été absurde que ladministration fiscale ne puisse déférer à la justice ceux qui ne répondaient pas aux critères.

Enfin, la proposition de délier les agents de ladministration fiscale du secret professionnel à légard du procureur, même si cette disposition ne sera facile dapplication ni pour Bercy ni pour personne, ouvre la porte à des commencements de coopération décentralisée au niveau des différents parquets. Cest en tout cas là un très grand progrès.

Nous soutenons ce compromis.

Jen viens plus précisément au sous-amendement CF224. Notre collègue Laurence Vichnievsky est inquiète, cest sa nature et son métier qui le veulent... Quand on a été si longtemps juge dinstruction, on se méfie à juste titre de tout le monde ! Or, après les discussions que nous avons eues avec la rapporteure et avec le ministre, nous avons bien vu que la réalité de linfraction potentielle ne pouvait se matérialiser, sévaluer quaprès la notification. Par sympathie, je voterais bien son sous-amendement, mais ma raison résiste à mon cœur

M. Éric Coquerel. Revenons-en au contexte. Le texte initial du Gouvernement ne comportait aucune disposition sur le « verrou de Bercy ». Le texte tel quil nous est parvenu du Sénat ne propose rien de significatif et mérite vraiment quon parle de coup dépée dans leau. Nous avons discuté et le compromis auquel nous sommes parvenus est une version dégradée de la version « optimum » pour laquelle nous nous étions engagés à lissue des travaux de la mission dinformation dite « Cariou ». Nous avions même plaisanté, alors, sur lidée dun « serment de Lamartine » – puisque nous étions salle Lamartine – liant les membres de la mission et consistant à défendre jusquau bout cette version exigeante.

Je note que, certes, lamendement dÉmilie Cariou comporte dimportants progrès puisquil reprend une partie non négligeable des propositions que nous avions élaborées, et la levée du secret professionnel des agents du fisc à légard du procureur nest pas la moindre de ces avancées.

Reste que notre amendement CF166 reprend de manière plus condensée les sousamendements de notre collègue de Courson, non pas pour le seul plaisir de demeurer fidèles à notre « serment », mais parce quil nous paraît que ce que nous avons appelé la « version recommandée 1 », celle sur laquelle nous nous étions engagés, était beaucoup plus efficace pour atteindre le but fixé.

Il nous semble nécessaire que le seuil du montant des droits éludés au-delà duquel ladministration sera tenue de dénoncer certaines fraudes fiscales au procureur, ne soit pas fixé par décret en Conseil dÉtat mais par lAssemblée. Il serait de 100 000 euros – idée admise par le ministère.

Nous avons gardé, contrairement à lamendement dÉmilie Cariou, les cas de majoration de 40 % dans dautres cas que celui de récidive. Cest important car nous savons que, sans cette mesure, on divisera à peu près par deux le nombre de dossiers : on passerait de 4 000 à 2 000 dossiers, soit une différence quantitative importante.

Le deuxième problème qui nous semble important est celui des infractions connexes, que nous incluons toutes dans notre amendement – quil sagisse du trafic de drogue ou dune autre infraction – alors que le projet de loi ne porte que sur les infractions concernant un autre impôt.

Se pose enfin la question de la disparition de la CIF. Je rappelle que le projet de loi prévoit de supprimer la CIF et de permettre au parquet de poursuivre directement les dossiers quil a sélectionnés à lissue de lexamen conjoint avec ladministration fiscale – examen dont nous estimions en effet quil devait avoir lieu par la suite, mais dont la mission a recommandé quil soit conduit à léchelle départementale. Conserver la CIF nous paraît problématique, car le texte sen trouverait amoindri. Jai entendu Mme Cariou répondre à M. de Courson en parlant dadministration « verrouillée », mais je vous rappelle que nous avons prévu le dispositif ensemble – il est présenté à la page 64 du rapport de la mission d’information, qui a recommandé un examen systématique par ladministration et le parquet. Il est donc bien prévu que lorsque les dossiers ne sont pas inclus dans les critères, ladministration ne décide pas seule ; il est procédé à un examen systématique et conjoint des dossiers par ladministration fiscale et la justice. Nous avions dailleurs expliqué que cest à la justice de trancher en dernière instance sur lopportunité des poursuites. La disparition de cette proposition avec le maintien de la CIF atténue la portée du texte et je le regrette ; cest pourquoi nous voterons en faveur des sous-amendements de M. de Courson et défendons notre amendement CF166.

Mme Christine Pires Beaune. Avant de présenter mes deux amendements CF93 et CF99, je tiens à saluer le travail de la mission dinformation conduite par notre rapporteure Émilie Cariou, car cest grâce à ce travail que nous pouvons désormais avancer. Lamendement CF186, qui sera certainement adopté, risquant de faire tomber les suivants, permettez-moi tout de même den dire deux mots.

Je commencerai par rappeler lorigine paradoxale du régime dérogatoire que constitue le « verrou de Bercy ». Il a été institué à une époque où ladministration était jugée trop intrusive, où les poursuites étaient trop nombreuses et où il fallait protéger le contribuable. Depuis, le contexte a changé du tout au tout, au point que lon adresse le reproche inverse à ladministration – celui de ne pas recourir assez souvent aux poursuites. Le sentiment dune pénalisation insuffisante de la fraude existe bel et bien. Sur le plan intellectuel, le monopole quest « le verrou de Bercy » ne saurait nous satisfaire puisquil constitue une exception à la règle de droit commun.

Lamendement CF93 vise simplement à supprimer le « verrou de Bercy » sans le faire de but en blanc, du jour au lendemain, mais avec une date deffectivité fixée au 1er janvier 2022, ce qui permettra de réunir les conditions nécessaires pour que tout se passe bien et pour que la justice puisse se muscler. Lamendement CF99 est un amendement de repli qui vise à assouplir le « verrou de Bercy » en fonction des conclusions de la mission d’information.

Jajoute que lamendement adopté au Sénat ne nous convient évidemment pas du tout puisquil prévoit des critères cumulatifs et que ce nest pas la voie que nous souhaitons emprunter.

M. Jean-Paul Dufrègne. Nous nous félicitons à notre tour des travaux accomplis par la mission dinformation. Lamendement CF117, qui sappuie sur ces travaux, vise également à mettre fin à lanomalie démocratique que constitue le « verrou de Bercy ». Il est proposé dinscrire dans la loi les critères à partir desquels ladministration fiscale présente de manière obligatoire les dossiers de contrôle fiscal au procureur de la République. Lamendement renvoie à un décret en Conseil dÉtat les modalités dexamen conjoint des dossiers concernés par ladministration et par lautorité judiciaire, et ouvre la voie au parquet pour poursuivre les faits de fraude fiscale connexes ou découverts de manière incidente.

Plusieurs questions restent en suspens : de combien de dossiers la justice sera-t-elle saisie ? Aujourdhui, ce nombre est de lordre de 1 000 ; le ministre nous en annonce 2 000, mais il y aurait plus de 4 000 dossiers fiscaux représentant un montant supérieur à 100 000 euros. Quid des 2 000 dossiers restants ? Passeront-ils entre les mailles du filet ? Enfin, selon nous, le maintien de la CIF pose également problème.

M. le ministre. Je vais tâcher de ne pas abuser de votre temps, même si ce moment des travaux de la commission est important.

La position du Gouvernement peut sexprimer en trois temps.

Tout dabord, je constate avec vous que le Gouvernement a tenu sa parole quant à la façon dont il a travaillé avec le Parlement, en premier lieu dans le texte sur la confiance que vous a présenté Mme la garde des sceaux, puis lors de la création de la mission dinformation commune suite à diverses discussions que nous avons eues au cours de lexamen des lois de finances, puis encore en ayant laissé la mission travailler – jai à cette occasion apporté lune des solutions qui a été complétée, corrigée et largement amendée et qui a consisté à donner les clés du « verrou » au Parlement. À cet égard, je métonne des propos de M. Coquerel, quil a tenus sans malice et que je me permettrai de compléter : il ne faut pas interpréter labsence de disposition gouvernementale concernant le « verrou » dans le texte initial, puisque le Gouvernement a demblée annoncé quil ne ferait pas de mauvaise manière au Parlement, notamment à lAssemblée nationale, et quil lui laisserait le soin dapporter les compléments, modifications et autres suppressions du « verrou de Bercy » – dont je rappelle quil nexiste pas dans les textes. Le grand paradoxe, en effet, est que ce « verrou » existe depuis un siècle sans être prévu nulle part ailleurs que dans la jurisprudence administrative et constitutionnelle. Vous allez donc en inscrire les critères dans la loi et cest un progrès, mais nous pouvons considérer que cest tout de même un paradoxe – et ce nest pas le seul de cette ténébreuse affaire.

Ensuite, je me félicite du travail accompli en commun, en particulier celui de lexcellente mission d’information conduite par M. Diard et par votre rapporteure. Je remercie également ladministration – celle de la justice et celle de Bercy – qui a su accompagner les évolutions et éclairer les débats. Elle sest constamment tenue à votre disposition et, même avec des points de vue parfois différents, vous a apporté les éléments qui vous permettent aujourdhui de prendre une décision en toute connaissance de cause.

Je crois comprendre que lamendement défendu par Mme Cariou fera lobjet dune belle unanimité. Il ne sarrête pas à la question des critères – jy reviendrai – mais évoque également la connexité, un sujet très important dont on sait que le champ est réduit, et la possibilité de lever le secret fiscal et professionnel, auquel vous savez à quel point ladministration et les ministres des comptes publics sont attachés, lorsquaura lieu le dialogue entre lautorité judiciaire, en particulier le procureur de la République, et ladministration chargée du contrôle fiscal. Mme la rapporteure la dit dans son propos liminaire : il ne faut pas sous-estimer cette avancée. Cest une forme de confiance collective que nous nous faisons en permettant la levée de ce secret fiscal alors même que des poursuites ne seront pas systématiquement engagées au sujet de tel ou tel dossier personnel. Je rappelle en effet que la levée du secret fiscal, le lancement dune procédure de contrôle fiscal voire lengagement de poursuites ne se traduisent pas toujours par une condamnation : il arrive que le contribuable visé ait raison contre ladministration – cela se produit même plus souvent quon ne le souhaite.

Connexité et levée du secret pour le dialogue entre administration et justice sont donc deux éléments du rapport de votre mission d’information. Il ne faudrait pas que le seul montant des critères cache la forêt de lévolution des relations entre lautorité judiciaire, la fonction du Parlement et lactivité de Bercy.

Permettez-moi néanmoins une pique que jai déjà formulée plusieurs fois à lendroit de la représentation nationale, avec tout le respect que jai pour elle : nous sommes face à la conséquence de la non-utilisation des pouvoirs du Parlement, pourtant inscrits dans les textes, car depuis sept ans, mesdames et messieurs les députés – cela vaut aussi pour les sénateurs –, vous navez auditionné ni la CIF ni le directeur général des finances publiques sur les dossiers relatifs à ce « verrou ». Vous auriez pourtant dû le faire car la loi le prévoit, en particulier la loi portant création de la CIF à la fin des années 1970. Aucune des commissions, quelles que soient les majorités, ne la fait, à commencer par celle de lannée dernière ; cest dommage.

Peut-être, cela dit, de telles auditions nauraient-elles pas porté leurs fruits. Il se pose en effet un problème tenant au fait que la CIF ne répond devant personne puisquelle est indépendante par sa composition et quelle a pour mission de protéger les contribuables – cétait même sa raison dêtre ; je reviendrai plus tard sur lautre sujet quest lopportunité de son maintien. Je constate quaujourdhui, le directeur général des finances publiques, sur les conseils que lui donne son administration de transmettre ou non tel ou tel dossier au procureur de la République, passe par la CIF, qui donne un avis, et que 90 % de ces avis sont suivis ; les plaintes sont ensuite déposées en conséquence. Le ministre des comptes publics ne donne aucun avis sur la transmission des dossiers – du moins ne lai-je jamais fait en quinze mois, et il me semble que ce fut aussi le cas de mes prédécesseurs depuis quil nexiste plus de cellule de contrôle fiscal. Sur ce point précis, le ministre ne contrôle donc pas son administration, notamment le directeur général des finances publiques – en qui jai toute confiance mais saiton jamais, un changement de directeur finira bien par arriver un jour, comme il se produira sans doute un changement de ministre. En clair, cest le directeur général des finances publiques – qui nest donc pas contrôlé par le ministre – qui transmet les dossiers ; quant à la CIF, personne ne la contrôle puisque vous ne lauditionnez pas. Résultat : une plainte fiscale arrive sur le bureau dun procureur ou dun juge alors que personne na encore regardé comment les choses se sont passées. Cest là où lopacité était selon moi la plus grande.

Cela étant dit, je laisserai une totale liberté au Parlement – tout en donnant un avis favorable à lamendement de Mme Cariou – quant à la fixation des critères. Faut-il fixer aussi le montant – qui intéresse tout le monde ici et sans doute aussi à lextérieur de cette assemblée – à 100 000 euros, cest-à-dire, grosso modo, celui quont retenu la direction générale des finances publiques (DGFiP), la CIF et, in fine, la justice, pour juger des dossiers ? Je pense que cest un bon niveau, mais sil appartient au Parlement de fixer les critères, alors il lui appartient aussi de fixer les montants. Il serait plus utile et plus simple de passer par un décret en Conseil dÉtat, comme le prévoit lamendement du Sénat, mais je comprends la frustration que cela entraîne pour les parlementaires et je ne serais aucunement choqué quils fixent eux-mêmes le montant de ces critères dans la loi – à ceci près quil faudra changer la loi pour changer les critères, notamment le montant, alors que lon pourrait se contenter de changer un décret. Quoi quil en soit, je laisse au Parlement le soin den décider et je ne mopposerai pas à lune ou lautre solution.

Faut-il ou non supprimer la CIF ? Je déduis de largumentation de M. Coquerel et de celle de M. de Courson que le « verrou » se réduit par abus de langage à la CIF. Je conçois que le moment quelque peu original que constitue le passage par la CIF des dossiers qui ne sont pas soumis au critère dautomaticité soit assimilé au « verrou ». En réalité, le « verrou » est le monopole laissé à ladministration de porter plainte au nom de celui qui a été lésé, cestàdire le contribuable représenté par le ministre des comptes publics. Je trouverais dommage – je le dis en toute franchise – quun dispositif qui protège le contribuable contre une volonté éventuellement néfaste du politique – le fait de transmettre tel dossier et non tel autre peut en effet susciter le doute, ce doute qui a poussé le gouvernement de Raymond Barre et la majorité parlementaire dalors à prévoir une protection face à ce que pourrait faire un ministre des comptes publics avec larme du contrôle fiscal dont il dispose en transmettant des dossiers à la justice mais, par un présage heureux ou malheureux, la CIF a désormais le monopole de lopacité – je trouverais dommage, disais-je, que vous supprimiez la CIF et je me range plutôt à lavis de Mme la rapporteure : gardons la CIF pour traiter les dossiers qui ne sont pas soumis à lautomaticité, quitte à en changer la composition, même si elle est actuellement composée de membres indépendants et sans lien avec le pouvoir politique. Je ne mopposerai cependant pas à sa suppression si vous la souhaitez, sagissant dune protection du contribuable voulue par les parlementaires.

Troisième point : lintervention de M. de Courson sur la HATVP fait écho à un débat public intéressant. Je peine davantage à comprendre Mme Louwagie et je constate hélas quaprès avoir beaucoup parlé du « verrou de Bercy » depuis quelques mois, aucun député du groupe Les Républicains nest présent pour porter la contradiction alors que nous nous apprêtons à le supprimer, ce que je regrette. Je le dis sans méchanceté aucune : dans lopposition, vous souhaitiez tous supprimer le « verrou », et une fois dans la majorité, vous navez jamais poussé votre ministre à le faire – au point de le mettre en minorité lorsque vous apparteniez à la majorité, monsieur de Courson. Cest aussi le cas des députés socialistes et des députés Les Républicains. Je suis heureux de constater que cest nous, notamment la majorité des groupes La République en Marche et MoDem, qui ont créé les conditions politiques permettant de supprimer ce « verrou » ; cest une grande victoire politique quil convient de souligner. Cest plus facile à faire dans la majorité, quand on est responsable, que dans lopposition où lon ne fait que parler.

Quoi quil en soit, la question de la HATVP est intéressante. Cest le Gouvernement, par ma voix, qui a souhaité déposer un amendement visant à ce que tous les responsables politiques et hauts fonctionnaires remplissent une déclaration particulière consistant à publier leur patrimoine – un acte qui me semble normal, mais dont il faut convenir quil nest pas lordinaire du commun des citoyens, monsieur de Courson : il faut tout de même distinguer entre ceux qui ont une autorité particulière, notamment politique, et ceux qui nen ont pas.

En pratique, ladministration fiscale transmet les dossiers inférieurs à 100 000 euros qui ne relèveraient pas du cheminement jurisprudentiel normal entre la DGFiP et la CIF visàvis de la justice, parce que les contribuables concernés ont une personnalité particulière. Lorsquun ministre ne déclare ou ne paye pas ses impôts, par exemple, même si le montant est inférieur à 100 000 euros, la responsabilité est prise den transmettre le dossier à la CIF qui ladresse à la justice, laquelle condamne manifestement ces personnes.

Un point de votre argumentation me semble très étonnant, monsieur de Courson : il faudrait absolument supprimer le « verrou », dites-vous, et faire confiance à la justice – ce que nous faisons en très grande partie – tout en considérant quun doute demeure concernant les élus et personnalités qui font une déclaration à la HATVP, et quil vaudrait mieux quils soient traités comme les autres citoyens. Il me semble quétant donné lexigence de probité – on peut la regretter mais elle reflète la société dans laquelle nous vivons –, on ne comprendrait pas que des dossiers qui sont aujourdhui transmis automatiquement même lorsquils natteignent pas 100 000 euros ni ne correspondent à vos critères, parce que les intéressés sont député, ministre, sénateur, préfet ou directeur dadministration centrale, ne soient plus transmis grâce ou à cause de lamendement que vous allez adopter. Le Gouvernement maintiendra donc sa position dans lhémicycle ; le Parlement prendra alors ses responsabilités en souhaitant éventuellement supprimer la distinction entre lensemble des contribuables et les personnes qui adressent des déclarations à la HATVP, mais jestime que cela nirait pas dans le sens de la vertu, pour reprendre les termes de léchange que le Premier ministre a eu avec M. Mélenchon.

Se pose enfin la question de la date. Jai compris que Mme la rapporteure souhaitait décaler la mise en place de la disposition pour que nous nous mettions tous daccord. En ce qui me concerne, je laisserai le Parlement en décider. Il me semble que cela enverrait plutôt un mauvais signal, car un report laisserait croire que nous ne sommes pas prêts ; je peux vous dire que ladministration que je dirige sera évidemment prête, le jour où la loi sera promulguée, à lappliquer à la date que le Parlement aura votée, et le plus tôt sera le mieux. Avant même le vote définitif de la loi, je publierai avec Mme la garde des sceaux les circulaires que jai promises à la rapporteure et à lensemble des parlementaires, notamment sur le fonctionnement de la connexité et du dialogue déconcentré.

Je vous remercie pour ce beau travail. Il sagit à mon sens de lun des moments les plus intéressants que nous ayons eu à connaître de la relation entre le Parlement et le Gouvernement – pour ce qui me concerne en tout cas, après 250 heures passées devant lAssemblée nationale depuis ma nomination au Gouvernement.

Mme la rapporteure. Le sous-amendement CF225 de M. de Courson vise à supprimer la possibilité de déposer des plaintes en dehors des critères ; jy suis défavorable pour les raisons que jai dites.

Même avis défavorable au sous-amendement CF224 de Mme Vichnievsky relatif à la distinction entre dossiers sanctionnés et dossiers passibles de sanction. Son sous-amendement CF223 vise à fixer le montant de 100 000 euros dans la loi : je men remets à la sagesse de la commission. Même avis de sagesse en ce qui concerne le sous-amendement CF226 de M. de Courson.

Avis défavorable au sous-amendement CF227 de M. de Courson. Son sousamendement CF228 porte sur les exigences de transparence et les personnes tenues de déposer une déclaration à la HATVP : je nai pas spécialement envisagé dinstituer un dispositif dérogatoire pour ces personnes, mais le Sénat la adopté. Je nai pas souhaité mettre en cause le devoir dexemplarité ; avis défavorable.

Le sous-amendement CF230 de M. de Courson, qui na pas été évoqué, porte sur les déclarations rectificatives. Il est déjà possible de déposer des déclarations rectificatives spontanées, la notion de spontanéité ayant déjà été définie comme suit car elle vaut dans le droit commun, notamment à larticle 1758 A du code général des impôts : avant toute mise en demeure, avant lengagement dun examen de la situation fiscale personnelle – le contrôle fiscal de la personne physique – et avant lavis de vérification pour lentreprise. Autrement dit, dès lors quun avis de vérification est envoyé, ladministration fiscale naccepte plus les déclarations rectificatives. Sont également prévus dautres cas, notamment avant proposition de rectification lorsquelles sont faites sans engagement de vérification de la situation fiscale personnelle, ce qui peut arriver. Dans tous ces cas de figure, il nest plus possible de corriger spontanément une déclaration non pas à lissue du contrôle mais dès lengagement du contrôle – car sinon, ce serait trop facile. Je suis donc défavorable à ce sous-amendement.

Enfin, le sous-amendement CF229 vise à permettre la rectification à une date antérieure à celle de la notification du contrôle fiscal, mais il faut retenir la date dengagement du contrôle. Avis défavorable.

M. Charles de Courson. Permettez-moi simplement de demander une précision : il nous a été dit que 15 000 dossiers étaient susceptibles dêtre transmis, et 4 000 relevant des critères. Les critères étant légèrement modifiés par rapport à la pratique habituelle, seuls 2 000 dossiers seront transmis automatiquement ; il en reste donc 13 000, mais le ministre a-t-il une idée du nombre de ces dossiers pour lesquels la procédure ancienne pourrait être utilisée ? Une centaine ?

M. le ministre. Quappelez-vous « procédure ancienne » ?

M. Charles de Courson. Le maintien du passage par la CIF pour les dossiers inférieurs aux seuils, puisque les dossiers dépassant les seuils sont automatiquement transmis. Ces dossiers étant plus modestes, combien dentre eux seront transmis ? Cent ? Deux cents ?

M. le ministre. M. Bourlanges a employé une belle et convaincante métaphore pour nous expliquer quun petit montant cache parfois un montage frauduleux important et quinversement, les montants importants ne sont pas toujours le signe dun montage frauduleux. Quoi quil en soit, au-dessus de 100 000 euros, il y a un peu plus de 4 000 dossiers bon an mal an ; si vous adoptez le dispositif proposé par Mme Cariou, quelque 2 000 dossiers seront automatiquement transmis à la justice sans autre forme de procès, si jose dire. La DGFiP aura la possibilité – soit quil sagisse de dossiers récurrents, soit de personnalités, soit de politiques conduites par le ministère des comptes publics – de communiquer tous les autres dossiers à la CIF pour transmission éventuelle à la justice.

M. Charles de Courson. Mais combien le seront ?

M. le ministre. Potentiellement, tous.

M. Charles de Courson. Ladministration limitait déjà les transmissions à mille dossiers ; combien le seront désormais ? Cent ? Deux cents ? Mille ? Cest déjà énorme !

M. le ministre. Si 2 000 des 4 000 dossiers sont automatiquement transmis, la DGFiP peut potentiellement transmettre tous les autres à la CIF – si vous la conservez.

M. Charles de Courson. Javais présenté six sous-amendements pour avoir un débat. Je pense que quelques centaines de dossiers seulement passeront par la CIF. Dans ce cas, je déposerai peut-être un sous-amendement en séance publique pour supprimer la CIF, dont lintérêt sera dès lors limité. En attendant, je retire le sous-amendement CF225.

Le sous-amendement CF225 est retiré.

La commission, successivement, rejette le sous-amendement CF224, adopte les sousamendements identiques CF223 et CF226, et rejette les sousamendements CF227, CF228, CF230 et CF229.

Puis elle adopte à lunanimité les amendements identiques CF186 et CF112 sousamendés.

Larticle 13 est ainsi rédigé et les amendements CF93, CF99, CF117 et CF166 tombent.

Mme Christine Pires Beaune. Je tiens à préciser à M. le ministre que nous n’avons en effet jamais auditionné la CIF mais que nous sommes certainement plusieurs à avoir comme moi rencontré le directeur départemental des finances publiques de notre circonscription, notamment pour évoquer la CIF. Le rapport que la direction départementale des finances publiques (DDFiP) du Puy-de-Dôme m’avait transmis sur les activités de la CIF en 2016 est très éclairant et fourni, et comporte des données statistiques ventilées par catégorie socioprofessionnelle et par zone géographique.

Nous venons d’adopter cet amendement à l’unanimité mais après le vote de cet amendement, les juges ne seront toujours pas en mesure de s’autosaisir et d’ouvrir des poursuites judiciaires pour fraude fiscale.

Mme Amélie de Montchalin. Je remercie M. le ministre et Mme la rapporteure pour cette avancée. La jeune parlementaire que je suis, comme dirait notre collègue de Courson, avait été assez marquée par les échanges que nous avons eus voici un an dans l’hémicycle, sur un sujet certes technique, qui a donné lieu il y a des années à des débats interminables et sur lequel notre majorité est aujourd’hui capable d’avancer.

Je suis seulement un peu déçue que nos collègues du groupe Les Républicains qui, dans l’hémicycle, ont été très virulents et même vitupérants sur ce sujet, ne soient pas là aujourd’hui pour voter cette avancée. Alors que nous cherchons à avoir un Parlement fort, nous avions là l’occasion parfaite de montrer qu’une mission parlementaire qui a conduit un travail sérieux et précis sur un sujet complexe est parvenue à l’unanimité et que nous manquons aujourd’hui de représentants. Nous sommes certes, monsieur de Courson, très mobilisés sur d’autres textes, mais le signal que nous donnons est celui-ci : les travaux parlementaires semblent davantage intéresser certains d’entre nous lorsqu’ils se déroulent dans l’hémicycle que dans les moments où le Parlement est effectivement fort et obtient des avancées.

Mme Christine Pires Beaune. Permettez-moi simplement de réagir : ce que nous vivons aujourd’hui est une illustration du mauvais fonctionnement du Parlement. Se tiennent simultanément la réunion de la commission des lois, qui est ouverte à tous, l’examen en séance publique d’un projet de loi essentiel sur l’avenir professionnel, qui doit tous nous intéresser même si nous ne siégeons pas dans la commission saisie au fond, et les travaux de la commission des finances sur un sujet qui nous occupe depuis longtemps. Je ne peux donc pas laisser tenir de tels propos ; j’ignore quel pourcentage des commissaires du groupe majoritaire est représenté aujourd’hui mais, de notre côté, nous sommes deux, soit 50 % des commissaires aux finances du groupe Nouvelle Gauche, et les deux absents auraient certainement aimé être avec nous, mais il se trouve qu’ils siègent dans d’autres réunions à l’Assemblée.

Mme Amélie de Montchalin. Au moins votre groupe est-il représenté, lui !

M. le rapporteur pour avis. Permettez-moi à mon tour de rebondir sur les propos de Mme de Montchalin pour dire que j’avais déposé, au nom de la commission des lois, un amendement identique à celui de Mme Cariou, dont je me félicite qu’il ait été adopté. J’ajoute que la commission des lois a achevé sa réunion et que ses membres auraient donc pu rejoindre la nôtre.

M. Daniel Labaronne. Je précise que notre collègue Éric Diard, président de la mission d’information, a déposé en commission des lois un amendement identique à celui de Mme Cariou. Certes, les membres du groupe Les Républicains ne sont pas présents, mais je salue la démarche de M. Diard qui, en définitive, s’était associé à la volonté réformatrice qui inspire cet amendement en accord avec le ministre.

M. Charles de Courson. Je me félicite du résultat obtenu : ce fut long et difficile, mais nous avons progressé. Certes, rien n’est parfait, mais nous avons progressé. Si je puis vous donner un modeste conseil, madame la jeune députée, évitez ce genre de remarques, car le pourcentage de représentants de la majorité n’est pas très élevé non plus – à peine un tiers de vos commissaires aux finances. Arrêtons donc ce genre de commentaires. Les collègues doivent siéger dans bien d’autres commissions

Mme Amélie de Montchalin. Il n’y a personne sur leurs bancs !

M. Charles de Courson. ...et je devrais moi-même siéger dans une délégation depuis plus d’une heure, mais je suis resté jusqu’au bout. Si j’étais parti, vous auriez pu dire que mon groupe n’était pas représenté non plus.

Mme Amélie de Montchalin. Précisément : vous êtes resté !

Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas, présidente. Permettez-moi simplement, monsieur de Courson, de reformuler l’observation de Mme de Montchalin : nous avons tous des contraintes et des priorités en fonction desquelles il faut composer notre agenda. Nous remarquons qu’aucun député du groupe Les Républicains n’a fait le choix d’être ici lors du vote. Ce n’est pas une critique mais un constat, étant entendu que nous avons tous les mêmes contraintes de temps.

M. Jean-Louis Bourlanges. Il me semble sincèrement que cette comptabilité n’a pas lieu d’être ici. M. Diard, du groupe Les Républicains, a joué un rôle très important dans l’élaboration du compromis en présidant la mission d’information. Nous savons tous que nous sommes tenus par des contraintes simultanées qui diffèrent selon les groupes. L’opinion publique nous rappelle assez que nous ne sommes pas des saints pour que nous nous persuadions que nous n’avons pas le don d’ubiquité et que nous ne pouvons pas être présents dans trois endroits à la fois. Jetons donc un voile pudique sur les absences et les présences des uns et des autres : chacun fait ce qu’il peut avec un emploi du temps ingérable !

Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas, présidente. Je confirme que nous n’avons pas ce don.

Mme la rapporteure. Il est vrai que M. Diard est absent alors qu’il avait déposé un amendement identique au nôtre. Je tiens à saluer son action en tant que président de la mission d’information. Nous avons travaillé en bonne entente. Tous les membres de cette mission ont contribué activement aux auditions, nous ont tous fait progresser dans une voie qui a abouti à cette solution. Je tiens donc à lui rendre hommage.

 

Article 9 ter (suite) [précédemment réservé]

La commission reprend l’examen des amendements identiques CF91 de M. Daniel Labaronne et CF219 de la commission des lois.

M. Daniel Labaronne. Je vous propose de supprimer cet article, qui vise à inscrire dans la loi la jurisprudence Talmon. Dans la mesure où l’infraction de blanchiment est autonome, il peut sembler curieux, en effet, d’introduire dans le texte une disposition indiquant que le régime juridique applicable aux poursuites concernant une autre infraction, à savoir la fraude fiscale, ne s’applique pas en la matière. J’y vois un premier problème juridique.

En outre, il serait préférable de ne pas introduire dans le code général des impôts des dispositions de procédure pénale qui sont relatives à des infractions ne figurant pas dans ce code. Pour des raisons de lisibilité, il vaudrait mieux que les dispositions procédurales permettant la répression des infractions prévues par le code pénal figurent dans le code de procédure pénale.

Autre difficulté, l’introduction d’une telle disposition pour les faits de blanchiment ne me paraît pas cohérente : il existe d’autres infractions autonomes qui peuvent trouver à s’appliquer à des faits de fraude fiscale et dont la poursuite n’est pas subordonnée à une plainte préalable – c’est le cas, par exemple, du délit d’escroquerie à la TVA.

M. la rapporteur pour avis. Sans reprendre tout ce que j’ai déjà eu l’occasion d’indiquer, je voudrais redire qu’il ne me paraît pas pertinent de légaliser une jurisprudence de la Cour de cassation qui a dix ans d’âge.

Mme la rapporteure. J’ai expliqué tout à l’heure mes doutes sur cette disposition, et je maintiens mon avis de sagesse.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article 9 ter est supprimé.

 

Après larticle 13

La commission est saisie de lamendement CF152 de Mme Sabine Rubin.

Mme Sabine Rubin. Nous avons déposé une série damendements pour lutter contre la fraude et lévasion fiscales. En ce qui concerne le calendrier, je métonne que lon examine aujourdhui un texte relatif à la fraude alors quun rapport d’information sur l’optimisation et lévasion fiscales doit être remis en septembre : à nos yeux, ce sujet en est un pendant absolument nécessaire.

Lors de lexamen de la proposition de loi relative à la protection du secret des affaires, nous avons proposé de préciser ce qui relève ou non de cette notion, mais lamendement que nous avons déposé a été rejeté. Dans le cadre du présent projet de loi, il nous semble parfaitement légitime de demander que tout ce qui touche à la fraude et à lévasion fiscales soit, a minima, exclu du champ du secret des affaires.

Nous proposons ainsi de limiter, dans la définition même du secret des affaires, ce qui peut en relever, au regard de lintérêt général légitime que peuvent représenter certaines informations afin de lutter contre la fraude fiscale. Nous voulons préciser que les informations de nature fiscale relatives à loptimisation fiscale et à lexistence de montages fiscaux ainsi que les informations de toute nature qui permettent détablir lexistence dune fraude ou dune évasion fiscale ne relèvent pas du secret des affaires.

Mme la rapporteure. La proposition de loi relative à la protection du secret des affaires a été définitivement adoptée le 21 juin 2018 – elle est en cours dexamen au Conseil constitutionnel. Le débat sur les dérogations au secret des affaires a donc déjà eu lieu, et je pense quil nest pas du tout opportun de le rouvrir dans le cadre du présent projet de loi. Je voudrais aussi rappeler que des dérogations au secret des affaires sont prévues par les articles L. 151-6, L. 151-7 et L. 151-8, nouveaux, que cette proposition de loi vise à introduire dans le code de commerce.

Par ailleurs, je trouve que votre amendement est trop large : il vise notamment des informations de nature fiscale relatives à loptimisation fiscale. Or le fait de créer une filiale et de faire de lintégration fiscale constitue une optimisation qui nest pas illégale – cest même fait pour. Pour toutes ces raisons, je donne un avis défavorable.

Mme Sabine Rubin. Le but est de lutter efficacement contre la fraude et lévasion fiscales. Si les informations dont nous parlons relèvent du secret des affaires, alors on hésitera à faire des révélations, comme celles des Panama Papers, par exemple. Nous souhaitons que ce soit autorisé.

La commission rejette lamendement.

 

Puis elle examine lamendement CF150 de Mme Sabine Rubin.

Mme Sabine Rubin. Cet amendement sinscrit dans le prolongement du précédent. Nous voulons préciser les différents intérêts publics légitimes pour lesquels il est possible de déroger au droit des affaires. À cet effet, et pour que le texte soit le plus protecteur et le plus précis possible pour les lanceurs et les lanceuses dalerte, nous proposons dintroduire une référence explicite à la lutte contre la fraude et lévasion fiscales.

La proposition de loi qui a été adoptée est floue et limitée, car elle mentionne seulement « la protection dun intérêt légitime reconnu par le droit de lUnion ou le droit national, et notamment pour la protection de lordre public, de la sécurité publique et de la santé publique ». Afin déviter une incertitude juridique qui pourrait dissuader les lanceurs et les lanceuses dalerte de bonne foi, et surtout légitimes quand un intérêt public est menacé, notre amendement précise que les dérogations à la protection des affaires concernent notamment la lutte contre la fraude et lévasion fiscales.

Lobjectif est le même que celui de lamendement précédent, mais dans des termes différents.

Suivant lavis défavorable de la rapporteure, la commission rejette lamendement.

 

Mme Marie-Christine Dalloz. Je demande la parole pour réagir aux accusations proférées contre les membres du groupe Les Républicains, qui seraient censément trop peu nombreux dans cette salle, voire absents, alors quils participent à dautres travaux, notamment dans lhémicycle ! De telles mises en cause sont parfaitement insupportables.

 

La commission examine lamendement CF147 de M. Éric Coquerel.

Mme Sabine Rubin. Dans la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, le Gouvernement a introduit une peine complémentaire dinéligibilité en cas de condamnation pour atteinte à la probité. Notre amendement CF147 va dans le même sens : en vue de renforcer la confiance dans la vie économique, de rassurer les actionnaires et les salariés, ainsi que dassurer la longévité des emplois et des investissements, nous proposons dinterdire – temporairement, dans un premier temps – quun dirigeant ayant œuvré dans des paradis fiscaux ou qui a été jugé coupable de fraude fiscale puisse exercer un mandat social. Linterdiction vaudrait pour cinq ans à la suite dun premier manquement, puis elle serait prononcée à vie en cas de récidive. Cette mesure aurait évidemment une portée dissuasive.

Mme la rapporteure. Je comprends bien ce qui vous motive, mais il me semble quune condamnation pour fraude ou complicité de fraude emporte déjà des conséquences sur lexercice des mandats sociaux. Je trouve également curieux que lamendement ne concerne que les sociétés anonymes, et non celles ayant une autre forme. Autre problème, vous demandez quune interdiction soit prononcée en cas de transactions avec des ETNC, alors que de vraies entreprises peuvent y être implantées et quil peut, en outre, sagir de pays en développement. Jémets donc un avis défavorable.

La commission rejette lamendement.

 

Puis elle est saisie de lamendement CF135 de Mme Sabine Rubin.

Mme Sabine Rubin. Par lamendement CF135, nous vous proposons de mettre en place un impôt universel, qui fait partie des propositions phares de notre programme « LAvenir en commun », et dont la source dinspiration est, en lespèce, la fiscalité en vigueur aux États-Unis.

Cet impôt, lié à la nationalité française, sappliquerait aux expatriés payant un faible impôt dans leur pays daccueil. Ce serait un outil très efficace pour la lutte contre lévasion fiscale, car plus aucun citoyen français naurait intérêt à sexpatrier dans le seul but déchapper à limpôt. Cette disposition, par le principe de taxation différentielle qui est en son cœur – les ressortissants français devraient sacquitter de la différence entre limpôt effectivement acquitté à létranger sur leurs revenus et le montant quils auraient dû payer sils étaient résidents en France –, sarticule parfaitement avec les conventions bilatérales visant à éviter les doubles impositions. Une telle mesure est, vous laurez compris, de nature à lutter contre lévasion fiscale.

Mme la rapporteure. Nous avons déjà examiné cet amendement à l’occasion du dernier projet de loi de finances. Le présent projet de loi, relatif à la fraude, nest pas le bon véhicule pour des dispositions relatives à lassiette fiscale : ce sont des sujets relevant de la loi de finances. Ce que vous proposez constituerait, par ailleurs, une modification de très grande ampleur qui conduirait à revoir nos conventions fiscales. Jajoute que le dispositif américain est perçu comme une anomalie sur le plan de la répartition des impôts entre les États – vous savez que le système français repose, quant à lui, sur la notion de domiciliation fiscale. Je suis donc très défavorable à votre proposition.

La commission rejette lamendement.

 

Puis elle examine lamendement CF146 de M. Éric Coquerel.

Mme Sabine Rubin. Sagissant du précédent amendement, je regrette que vous souhaitiez écarter loptimisation et lévasion fiscales de ce projet de loi. Les évaluations des pertes fiscales sont, en effet, très importantes.

Lamendement CF146 permettra de lutter contre les pratiques dévasion fiscale des grandes multinationales, qui ne représentent pas rien : elles sont, au contraire, massives, comme la montré Gabriel Zucman dans son ouvrage intitulé La Richesse cachée des nations. Enquête sur les paradis fiscaux. Nous souhaitons réarmer lÉtat contre les pratiques agressives des multinationales. Elles sont censées répartir les bénéfices entre leurs filiales comme si celles-ci constituaient des entités indépendantes qui échangent des biens et des services au prix du marché. Or, dans la réalité, des cabinets comptables trafiquent les prix des transactions intragroupes pour faire apparaître des bénéfices dans les paradis fiscaux et des pertes dans les États ayant une fiscalité plus élevée. Le résultat est « magique », si je puis dire : Google, par exemple, a déclaré 15,5 milliards de dollars de bénéfices en 2015 aux Bermudes, où les profits sont taxés à un taux de 0 %. Cela revient à supposer que chaque habitant de larchipel a généré 260 000 dollars de bénéfices au profit de cette entreprise

Gabriel Zucman a proposé de se concentrer sur le chiffre daffaires, quand dautres organisations, comme Oxfam, privilégient la prise en compte de plusieurs critères, notamment le nombre de salariés et dutilisateurs. Nous proposons de laisser ladministration fiscale choisir parmi différents critères : selon les secteurs dactivité, ce ne sont pas toujours les mêmes éléments qui sont les plus révélateurs de lactivité réelle dune entreprise. Dans ce cadre, ladministration fiscale pourra déterminer quels sont les bénéfices réels dans notre pays et demander le paiement des impôts en conséquence.

Mme la rapporteure. Gabriel Zucman a proposé ce type daction, en effet, mais cela conduirait à dénoncer toutes les conventions fiscales en vigueur – et il serait un peu compliqué davoir à le faire à la suite dun simple amendement : comme le dispositif que vous proposez sinscrit dans le cadre de limpôt sur les sociétés, il serait neutralisé par nos conventions fiscales. Par ailleurs, les critères sont trop imprécis et relèvent plus de la logique de létablissement stable, et donc du droit dimposer, que de la valorisation des bénéfices. Enfin, je voudrais rappeler quil existe déjà un certain nombre de dispositifs qui remplissent lobjectif visé, comme larticle 209 B du code général des impôts et son article 57, que vous connaissez bien, puisquil permet de lutter contre les prix de transfert abusifs. Jémets donc un avis défavorable.

La commission rejette lamendement.

 

Puis elle aborde lamendement CF145 de Mme Sabine Rubin.

Mme Sabine Rubin. Je nai pas pu bien expliquer la logique de lamendement CF146, mais jy reviendrai de façon plus précise dans lhémicycle. Il faut quand même prendre en compte le manque à gagner pour les finances publiques françaises.

Jen viens à lamendement CF145. Alors même que le Gouvernement a supprimé limpôt de solidarité sur la fortune dans la dernière loi de finances en le remplaçant par un impôt sur la fortune immobilière, il nous paraît primordial dautoriser les saisies, par le Trésor public, de biens immobiliers qui se cachent derrière les sociétés civiles immobilières (SCI) lorsque lun des associés est mis en cause.

Mme la rapporteure. Vous proposez de compléter larticle 1929 ter du code général des impôts pour prévoir que lhypothèque légale du Trésor puisse être inscrite sur les biens détenus par une société civile, à hauteur des parts sociales détenues par le contribuable. Les règles applicables en matière dhypothèque sont clairement établies. Vous mettez en place une procédure particulièrement lourde quil conviendrait dapprofondir. De plus, le nantissement des parts sociales nest quune solution imparfaite dans le cas de lhypothèque car il ne permet pas dobtenir la vente des biens de la SCI. Ainsi, votre dispositif ne tient pas compte de la capacité du redevable à aliéner limmeuble détenu par la SCI dans laquelle il possède des parts. Pour toutes ces raisons, je suis défavorable à cet amendement même si je trouve lidée intéressante.

La commission rejette lamendement.

 

Article 14 [nouveau] (article L. 229 du livre des procédures fiscales) : Services de ladministration fiscale compétents en matière de dépôt de plainte

La commission examine les amendements identiques CF220 de la commission des lois et CF128 de M. Jean-Louis Bourlanges.

M. le rapporteur pour avis. Lamendement CF220, adopté par la commission des lois, a été déposé par des membres du groupe du Mouvement Démocrate et apparentés et défendu par Mme Vichnievsky. Comme cest le dernier amendement de la commission des lois à être examiné, jen profite pour remercier les administrateurs de cette commission pour leur travail et leur mobilisation rapide.

Cet amendement vise à étendre aux services chargés du contrôle de limpôt la faculté de déposer plainte pour fraude fiscale. Aujourdhui, ces plaintes doivent être déposées par les services chargés de lassiette et du recouvrement de limpôt, ce qui exclut les services chargés uniquement du contrôle. Cet amendement devrait apporter de la souplesse.

Suivant lavis favorable de la rapporteure, la commission adopte les amendements.

 

Après l’article 13

La commission étudie lamendement CF48 de Mme Bénédicte Peyrol.

Mme Bénédicte Peyrol. Comme la rappelé M. le ministre dans son propos liminaire, on a du mal à évaluer ce que représentent loptimisation, lévasion et la fraude fiscales. Dans le cadre de la mission d’information dont je suis la rapporteure et qui est présidée par M. Parigi, nous avons examiné cette question. Cet amendement propose douvrir au public, en open data, certaines données de ladministration fiscale en préservant le secret fiscal pour permettre une meilleure évaluation de ces trois phénomènes. La DGFIP remet actuellement deux documents dont les données ne peuvent pas être exploitées par les chercheurs et les universitaires.

Mme la rapporteure. Je comprends tout à fait lesprit de cet amendement. Cela étant, jémettrai un avis défavorable car on ne sait pas quelles données vous souhaitez rendre accessibles en open data : sagit-il de données nominatives ou pas ? Dautre part, la date du 1er février pose problème car à ce moment-là, les comptes de lannée fiscale précédente ne sont pas encore clos.

M. le ministre. Je suis favorable, sur le principe, à lamendement de Mme la députée. Je lui demanderai néanmoins de le retirer pour quelle le retravaille avec Mme la rapporteure dici à la séance, afin de préciser que les données rendues publiques ne sont pas nominatives.

Lamendement est retiré.

 

La commission examine lamendement CF169 de Mme Sabine Rubin.

Mme Sabine Rubin. Cet amendement vise à rendre automatique la transmission des notes du service de traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN) au parquet national financier. Il sagit dune proposition émanant de la mission relative à la poursuite des infractions fiscales et tendant à en améliorer lefficacité.

TRACFIN est aujourdhui un outil majeur de lutte contre le blanchiment dargent et le financement du terrorisme, dont le volume dactivité a quintuplé entre 2009 et 2014. Malgré des moyens humains et matériels limités, cet organisme contribue grandement à la détection des fraudes fiscales et les notes dinformation quil a produites en 2016 ont permis à ladministration fiscale de récupérer près de 900 millions deuros en rappels dimposition et de pénalités, ce qui me paraît une somme non négligeable.

Mme la rapporteure. Ce nest pas larticle L. 561-31 du code monétaire et financier quil faudrait viser mais larticle L. 561-30-1. Je vous propose de retirer votre amendement et de le redéposer pour la séance, sachant que cette mesure faisait partie des recommandations de la mission dinformation.

M. le ministre. Je suis absolument opposé à cet amendement. TRACFIN est sous mon autorité, mais de manière indépendante, si je puis dire, puisquil est dirigé par un magistrat. Il sagit dun service de renseignement au même titre que la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ou la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), et qui produit des fiches de renseignement. Il nest pas question de transmettre systématiquement ces fiches à la justice – même si elles portent sur des sujets fiscaux. Elles sont destinées au ministre, au coordinateur de la sécurité ou parfois à la DGSI ou à la DGSE.

Quand le directeur de TRACFIN repère une infraction financière, il saisit automatiquement le procureur de la République. Vous pourriez peut-être lauditionner dici à la séance pour quil vous explique le fonctionnement de cette petite entité très agile et très efficace, mais il nest pas de bonne pratique de transmettre des fiches de renseignement à la justice alors quelles ne sont pas toujours exactes, quelles demandent parfois à être vérifiées ou recoupées, voire à rester secrètes. Imaginez la même disposition pour la DGSI : le débat aurait été vite tranché ! Je vous encourage à organiser cette audition et si vous le souhaitez, nous vous accueillerons avec grand plaisir à TRACFIN pour que vous vous fassiez un avis.

Mme Sabine Rubin. Je retire mon amendement et vérifierai ces informations.

Lamendement est retiré.

 

La commission aborde lamendement CF167 de Mme Sabine Rubin.

Mme Sabine Rubin. Nous proposons dinstaurer un véritable reporting public pays par pays pour mettre un terme à lévasion fiscale. Il sagit de savoir où les grandes entreprises réalisent leurs activités et où elles paient leurs impôts pour les empêcher de déplacer artificiellement leurs bénéfices. Cet amendement fait écho à lamendement CF146 dont jai eu du mal, tout à lheure, à vous expliquer la logique. Le reporting public a été imposé aux banques par la loi de séparation bancaire, ce qui démontre quil est possible dinstaurer un tel reporting quand on en a la volonté politique.

Mme la rapporteure. Il y a, là encore, une petite erreur. Vous évoquez dans lexposé sommaire le reporting public pays par pays mais lamendement renvoie à un article relatif au registre des bénéficiaires effectifs, document bien différent. Je vous rappelle que la cinquième directive anti-blanchiment, qui a fait lobjet dun accord politique en mai dernier, va bientôt être transposée et quelle prévoit une publicité étendue du registre des bénéficiaires effectifs. Cest pourquoi je vous demanderai de retirer votre amendement, sans quoi jy serai défavorable.

La commission rejette lamendement.

 

Elle étudie lamendement CF168 de Mme Sabine Rubin.

Mme Sabine Rubin. Cet amendement de repli vise à ouvrir la consultation des informations contenues dans le reporting public aux seuls parlementaires. En effet, le Conseil constitutionnel a pu considérer par le passé que le caractère public de ces informations pourrait nuire à la liberté dentreprendre. Des concurrents pourraient utiliser ce reporting. Confier les informations délivrées par le reporting public aux parlementaires permettrait de passer outre ces arguments.

Mme la rapporteure. Cet amendement comporte encore une fois une erreur, car il renvoie au registre des bénéficiaires effectifs et non au reporting public. Par ailleurs, sans minorer le rôle et la légitimité des parlementaires, je ne suis pas sûre quil relève de notre mandat de député ou de sénateur daccéder, en cette seule qualité, à ces données protégées. Pour ces raisons, jémets un avis défavorable.

La commission rejette lamendement.

 

Elle est saisie de lamendement CF149 de M. Éric Coquerel.

Mme Sabine Rubin. Actuellement de 100 millions deuros, le plafond des sanctions applicables aux banques par lACPR nest absolument pas dissuasif. Un établissement comme BNP Paribas, avec un bilan de 2 500 milliards deuros, absorbe de telles amendes sans difficulté. Les sanctions appliquées aux banques, intermédiaires financiers de la fraude et de lévasion fiscales, doivent être proportionnées au préjudice subi par la société, aux gains illégalement réalisés ainsi quaux capacités financières des banques afin dêtre réellement dissuasives.

Mme la rapporteure. Vous souhaitez rehausser les sanctions de manière excessive et lamende que vous souhaitez instaurer vise les manquements aux règles bancaires du code des assurances et de la mutualité. Ce nest pas lobjet de ce texte. Avis défavorable.

La commission rejette lamendement.

 

Article 15 [nouveau] (article 128 de la loi n° 20051720 du 30 décembre 2005) : Enrichissement du document de politique transversale sur la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales

La commission en vient à lamendement CF47 de Mme Bénédicte Peyrol, faisant lobjet du sous-amendement CF231 de la rapporteure.

Mme Bénédicte Peyrol. Toujours dans un souci de chiffrage et dévaluation des outils anti-abus, je propose que soit annexé au projet de loi de finances un état des lieux des outils de lutte contre la fraude, lévasion et loptimisation fiscales, concernant leur utilisation, leur rendement individuel et les modifications susceptibles de leur être apportées. Dans le cadre de notre mission dinformation, nous avons pu avoir accès à quelques données, ce dont je remercie ladministration fiscale. Cest fort utile pour apprécier la qualité des outils antiabus.

Mme la rapporteure. Je souscris à la volonté de Mme Peyrol davoir plus dinformations sur les outils permettant de lutter contre lévasion fiscale. Je propose, par mon sous-amendement CF231, que ces informations soient versées non pas dans un nouveau document mais dans le document de politique transversale que nous avons créé lannée dernière à loccasion de lexamen du projet de loi de règlement. Jémets donc un avis favorable, sous réserve de ladoption de ce sous-amendement.

La commission adopte le sous-amendement, puis lamendement ainsi sous-amendé.

 

Après l’article 13

Enfin, la commission examine lamendement CF44 de M. Éric Alauzet. 

M. Éric Alauzet. Hier, jai suggéré que nous demandions aux grandes entreprises dinformer les membres de leur conseil dadministration sur les dispositifs de planification fiscale. Il ne sagit pas ici dimposer une obligation mais de créer un label grâce auquel les entreprises pourraient sengager de façon volontaire dans cette démarche. Lobjectif est de garantir la confiance, de protéger les actionnaires et dadopter une vision moderne de lentreprise, fondée sur la notion de responsabilité sociétale des entreprises.

Mme la rapporteure. Il me semble que votre souhait est déjà pris en compte dans le projet de loi pour un État au service dune société de confiance. Je rappelle que larticle 7 a été complété, à linitiative de Bénédicte Peyrol, par un volet consacré à la reconnaissance de la vertu fiscale des entreprises – notamment à travers une labellisation. Cette reconnaissance fera lobjet dordonnances. Il nest pas opportun de mettre en place deux dispositifs parallèles ; cest pourquoi je vous invite à retirer cet amendement.

M. le ministre. Monsieur le député, je partage totalement les attendus de votre amendement ainsi que vos arguments. Mme Peyrol a eu loccasion dévoquer cette question dans le cadre du projet de loi sur le droit à lerreur, et je crois que cela figurera aussi dans les travaux de sa mission dinformation. Dans le cadre de ce projet de loi, nous avons énoncé le principe de la relation de confiance. Une consultation a été lancée cette semaine en vue de rédiger lordonnance prévue par le texte. Nous avons dix-huit mois mais je me suis engagé à publier cette ordonnance avant le 31 décembre de cette année. Si cela vous intéresse, vous pourriez peut-être participer au suivi parlementaire des textes sur le droit à lerreur et nous aider à améliorer cette relation de confiance pour faire naître ce que vous appelez le civisme fiscal, sur un modèle à langlaise comportant peut-être des spécificités françaises. Il faut effectivement informer les conseils dadministration de la situation fiscale des grandes entreprises. Je vous propose donc de retirer votre amendement.

Lamendement est retiré.

 

La commission adopte, à lunanimité moins une abstention, lensemble du projet de loi modifié.

 

Mme Marie-Christine Dalloz. Madame la présidente, je souhaite faire une mise au point suite aux propos qui ont été tenus par lune de nos collègues.

Il y a des règles, madame de Montchalin. Vous allez apprendre. La vie parlementaire, vous en avez pris conscience récemment, nest pas un long fleuve tranquille. Mais une chose est sûre : si les députés de votre groupe sont habitués à être aux ordres, ce ne sera jamais le cas des députés Les Républicains. Nous pouvons être en séance publique ou non, et si nous ny sommes pas, cest que nous travaillons ailleurs : laissez à chacun sa liberté et contentezvous de gérer votre groupe. Tout à lheure, et cétait tout aussi passionnant car cela témoigne dun manque de respect de la démocratie au sein de notre assemblée, votre groupe a refusé de faire droit à une demande dauditions complémentaires par la commission des lois au titre de ses pouvoirs de commission denquête. Vous auriez dû précisément y être attentive, plutôt que de vous préoccuper exclusivement de ce qui se passait en commission des finances.

Enfin, madame de Montchalin, les donneurs de leçons ne sont jamais les plus irréprochables.

Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas, présidente. Jai été très fière de présider aujourdhui notre commission pour lexamen de ce texte très important, qui met notamment fin au « verrou de Bercy ». Beaucoup en ont rêvé, nous lavons fait ! Je tiens donc à féliciter Émilie Cariou, notre rapporteure, et Daniel Labaronne, porte-parole du groupe La République en Marche sur ce texte, ainsi que M. le ministre, pour avoir accepté des compromis qui ont rendu possible cette belle victoire. Il ne sagit, certes, que dune première étape, mais elle est importante.

M. Daniel Labaronne. Le groupe La République en Marche se félicite du travail de co-construction accompli par le ministère de laction et des comptes publics et les députés. Nous avons ainsi pu aboutir à un texte opérationnel qui permettra de lutter efficacement contre la fraude fiscale, douanière et sociale.

Je relève que, sur les 205 amendements que nous avons examinés, nous en avons adopté 87, issus de tous les groupes politiques, soit un taux – remarquable – de 43 %.

Un point nous a peut-être échappé dans le feu de laction. Il me semble que, grâce à ce projet de loi, nous contribuons à la construction dune nouvelle matière juridique hybride, qui fait le pari dune association efficace et harmonieuse de ladministration fiscale et de lautorité judiciaire, des cultures et des pratiques du droit fiscal, matière de droit public, et du droit pénal, matière de droit privé, dans un monde économique en profonde mutation.

Ce texte témoigne ainsi de notre capacité à adapter notre arsenal législatif en matière de droit fiscal et pénal au nouveau défi que représente la fraude fiscale, une fraude de plus en plus sophistiquée et complexe, aux ramifications souvent internationales. Par lamendement que notre groupe a soutenu aux côtés dÉmilie Cariou, nous avons introduit trois modifications majeures – lautomaticité, la connexité et la collégialité – qui font objectivement sauter le « verrou de Bercy ». Ce faisant, nous avons été, me semble-t-il, fidèles au « serment de Lamartine ». Cest, pour nous, un motif légitime de fierté et de satisfaction.

Pour conclure, je veux remercier M. le ministre et Mme la rapporteure, qui ont permis que soit élaboré en bonne intelligence ce projet de loi qui, je nen doute pas, fera date.

Mme la rapporteure. Je me félicite également que nous ayons pu aboutir à ce beau résultat. Sachez cependant que ce projet de loi nest quune étape dans la lutte contre la fraude, lévasion et loptimisation fiscale agressive, lutte qui a commencé bien avant lélaboration de ce texte. Je pense en particulier au travail de ladministration, qui sefforce de corriger notamment les défauts des conventions fiscales. Cette matière forme un tel millefeuille quil est, aujourdhui, extrêmement complexe de remettre en cause les schémas de fraude et doptimisation fiscale.

Au-delà de ce texte, lenjeu se situe dans les instances internationales. Cest pourquoi le Parlement doit accompagner le Gouvernement, qui doit le tenir informé de la ligne quil adopte, dans les négociations qui sont en cours à léchelle de lOCDE et de lUnion européenne. Nous avons dautres combats à mener : la lutte contre loptimisation fiscale ne saurait se limiter à ce projet de loi.

M. Charles de Courson. Il est si rare que nous adoptions un texte presque à lunanimité, en tout cas sans vote contre ! Moi qui siège à lAssemblée depuis vingt-cinq ans, je voudrais dire à mes jeunes collègues que jen ai voté, des textes contre la fraude fiscale... Mais, comme le disait notre rapporteure, quil faut remercier pour le travail quelle a accompli, la grande lutte contre ce phénomène doit être menée à l’échelon international. Ne nous illusionnons donc pas trop sur ce que nous faisons, même si ce texte marque un progrès.

M. Daniel Labaronne. Ne boudez pas votre plaisir !

M. Charles de Courson. Vous êtes tout jeune, mon cher collègue, et je ne voudrais pas que vous soyez déçu !

M. Jean-Louis Bourlanges. Je veux tout dabord massocier, au nom du groupe Mouvement Démocrate et apparentés, aux compliments qui ont été adressés à Mme la rapporteure. Bien que notre assemblée connaisse actuellement des tumultes assez intenses, les différents groupes savent travailler de manière convergente lorsque nous abordons des questions fondamentales, précises, qui requièrent certaines compétences. Ainsi, Mme Dalloz, quoique mécontente des propos que lon a tenus sur son groupe, nen a pas moins voté le projet de loi. Le président de la mission parlementaire sur le « verrou de Bercy » a su travailler en très bonne intelligence avec Mme Cariou et les autres membres de la mission. Lapproche des groupes de gauche, de droite et du centre a été, à bien des égards, convergente sur les finalités, même si, bien entendu, nous navons pas toujours été daccord sur les moyens. Cela devrait nous rappeler que nous formons un pays et que notre sens du bien commun et de lintérêt général peut nous rassembler, malgré les passions démocratiques de cette maison sans fenêtres.

Mme Christine Pires Beaune.  Je veux massocier, au nom du groupe Nouvelle Gauche, à ce bel hommage quasi unanime. Cependant, les mots ont un sens. Si nous avons beaucoup avancé sur le « verrou de Bercy » – et je tiens à en remercier la mission dinformation, notamment Émilie Cariou, pour ses travaux –, celui-ci aura disparu lorsquun juge pourra sautosaisir. Néanmoins, ce texte comporte dautres dispositions, quil sagisse de la lutte contre les paradis fiscaux ou de la création dun nouveau service de lutte contre la fraude fiscale rattaché à Bercy. À cet égard, nous jugerons leffectivité du texte en fonction des moyens, jinsiste sur ce point, qui seront alloués à ce nouveau service sans que soient pour autant déshabillés les services existants.

Mme Sabine Rubin. Le groupe La France insoumise sest abstenu, car ce texte est en demi-teinte. Il comporte, certes, des avancées, parmi lesquelles on peut mentionner lamélioration de laccès à linformation, ladoption du principe name and shame à propos des sanctions pénales et administratives ou le renforcement des sanctions en matière de fraude fiscale. Mais certaines de ses dispositions relèvent de leffet dannonce. Ainsi, la police fiscale quil tend à créer semble déjà exister et consister en un simple redéploiement de personnels. Par ailleurs, si nous nous félicitons que la liste des paradis fiscaux nexclue plus les pays de lUnion européenne, nous regrettons que les critères demeurent insuffisants. De même, nous saluons lavancée concernant le « verrou de Bercy », mais celle-ci se limite à un aménagement. Enfin, la grande absente de ce texte est lévasion fiscale, qui est pourtant à lorigine dun important manque à gagner.

M. Jean-Paul Dufrègne. Je ne reviendrai pas sur le fond, car nous avons largement débattu de toutes ces questions. Jinsisterai plutôt sur la forme en soulignant que le respect mutuel et la prise en compte de toutes les sensibilités permettent de progresser, même si lon natteint pas toujours le but que lon sétait fixé. Je tenais à relever cet aspect de nos discussions, car ce nest pas si fréquent, et féliciter celles et ceux qui ont contribué à ce que nos débats se déroulent dans un climat serein.

M. le ministre. Jespère, si le texte est adopté dans les mêmes conditions quaujourdhui, que la commission mixte paritaire (CMP) sera conclusive, car cela nous ferait gagner de précieux mois. Je veux saluer le travail que nous avons accompli avec lAssemblée nationale. À ce propos, je remarque, en tant quobservateur un peu lointain

M. Jean-Louis Bourlanges. Il faut se méfier des observateurs par les temps qui courent

M. le ministre. ...que, lorsque lon privilégie la réflexion plutôt que les réflexes et lorsque lon prend le temps nécessaire, on peut, sans renoncer à ses convictions, avoir des échanges qui, parce quils sont fondés sur des données scientifiques, relèvent davantage de la vérité que de lopinion. Cest heureux, car il est parfois difficile de débattre de questions fiscales ou budgétaires sans céder aux passions, voire à lidéologie.

Je remercie M. Diard et Mme Cariou, ainsi que tous les membres de votre mission dinformation et lensemble des groupes politiques, pour ce débat constructif. Je remercie particulièrement les collaborateurs du Gouvernement – je pense au directeur général des finances publiques et à ses collaborateurs, qui ont accompli un travail considérable pour que nous puissions répondre aux innombrables questions que vous nous avez légitimement posées – ainsi que mon cabinet, qui a été à votre écoute. Enfin, je remercie Mme la présidente, Mme la rapporteure et les services de lAssemblée nationale, qui ont contribué à vérifier que lexécutif ne disait pas trop de bêtises

Il me paraît important que nous ayons désormais un débat sur lévaluation de la fraude, auquel je vous invite tous à participer. Jorganiserai à Bercy, au mois de septembre, une première réunion avec les organisations non gouvernementales, les parlementaires qui le souhaitent et des représentants de lOCDE notamment, pour tenter dévaluer le montant de cette fraude, car il est important que nous disposions de données fiables en la matière. Certes, ce texte napporte pas une solution à tous les problèmes, mais il réglera, me semble-t-il, une grande partie des difficultés que nous rencontrons au plan national, même si cette question est avant tout internationale.

 

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de léconomie générale et du contrôle budgétaire

 

Réunion du mercredi 25 juillet 2018 à 14 heures 30

Présents. - M. Saïd Ahamada, M. Éric Alauzet, M. Jean-Noël Barrot, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Jean-Louis Bricout, Mme Émilie Cariou, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, Mme Dominique David, M. Jean-Paul Dufrègne, Mme Stella Dupont, Mme Sarah El Haïry, M. Olivier Gaillard, M. Joël Giraud, M. Stanislas Guerini, Mme Nadia Hai, M. Alexandre Holroyd, M. Christophe Jerretie, M. François Jolivet, M. Daniel Labaronne, M. Mohamed Laqhila, M. Michel Lauzzana, M. Gilles Le Gendre, Mme Véronique Louwagie, Mme Marie-Ange Magne, Mme Amélie de Montchalin, Mme Cendra Motin, Mme Catherine Osson, M. Xavier Paluszkiewicz, Mme Valérie Petit, Mme Bénédicte Peyrol, Mme Christine Pires Beaune, M. Xavier Roseren, Mme Sabine Rubin, Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas, M. Philippe Vigier

Excusés. - M. Marc Le Fur, M. Jean-Paul Mattei, M. Hervé Pellois, Mme Valérie Rabault, M. Olivier Serva, M. Benoit Simian, M. Éric Woerth

Assistaient également à la réunion. - M. Bruno Fuchs, M. Jean Terlier

 

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