Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

Table ronde, ouverte à la presse, commune avec la commission des affaires étrangères, avec M. Jean-Pierre Maulny, directeur-adjoint de lInstitut de relations internationales et stratégiques (IRIS), M. le général Henri Bentégeat, ancien chef détat-major des armées et M. Camille Grand, secrétaire général adjoint de lOrganisation du Traité de lAtlantique Nord (OTAN) pour linvestissement de défense, sur lavenir de lAlliance atlantique.

 

 


Mercredi
27 novembre 2019

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 22

session ordinaire de 2019-2020

Présidence de
Mme Françoise Dumas,
présidente

 


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La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Mes chers collègues, permettez-moi, en préambule de notre réunion, de rendre hommage aux treize militaires qui ont trouvé la mort lundi au Mali lors d’une opération de combat contre des groupes armés terroristes. Je veux exprimer en notre nom à tous à leurs familles, à leurs frères d’armes, toute notre solidarité. Cet évènement nous rappelle ce que nous devons à ces femmes et à ces hommes engagés en notre nom pour défendre nos principes, nos valeurs, nos libertés, souvent au prix de leur vie. Cet évènement douloureux fait écho à l’objet de notre réunion qui concerne la sécurité et la stabilité de l’Europe et de son voisinage. C’est au lendemain de l’intervention militaire de la Turquie dans le Nord-Est syrien que nous avons décidé d’organiser cette table ronde. Notre Assemblée nationale a condamné unanimement cette opération qui a vu un membre de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), la Turquie, envahir un territoire géré en partie par les forces démocratiques syriennes, engagées elle-même dans la lutte contre le terrorisme, et un autre membre de l’OTAN, les États-Unis, se retirer unilatéralement sans aucune concertation avec ses alliés de la coalition anti-Daech pour permettre cette invasion. Autant de manquements à la solidarité élémentaire, qui posent, à notre sens, la question d’une remise à plat de l’Alliance atlantique. Nous avons donc souhaité ouvrir un débat sur la défense de l’Europe, sur la nécessaire refondation de l’OTAN, en y associant tout naturellement la commission de la défense. Nous avons choisi de le faire quelques jours avant le sommet de l’OTAN qui doit se tenir à Londres les 3 et 4 décembre prochains.

C’est le bon moment pour ouvrir une réflexion de fond. À l’heure où les rapports de force et les équilibres du monde sont en pleine mutation, nous devons collectivement nous interroger sur notre capacité à assumer ensemble la sécurité des Européens et à garantir la stabilité dans notre voisinage avec les outils existants, mais également avec la volonté de construire une autonomie européenne pleine et entière de pensée, de moyens et d’actions. Autant de questions que nous soumettons à nos trois invités. Jean-Pierre Maulny, vous connaissez bien cette maison, vous êtes directeur adjoint de l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), spécialiste des questions de défense de l’Europe, de la défense et de l’OTAN. Vous pourrez, à ce titre, nous présenter votre analyse des nombreuses difficultés auxquelles l’Alliance est aujourd’hui confrontée. Le général Henri Bentégeat a été chef d’état-major des armées françaises de 2002 à 2006, puis président du comité militaire de l’Union européenne de 2006 à 2009. Vous pourrez nous éclairer sur les dissensions qui existent entre États membres, en particulier avec la Turquie, ainsi que sur les enjeux, mécanismes, et difficultés de l’Europe de la défense. Camille Grand, diplomate et actuel secrétaire général adjoint de l’OTAN pour l’investissement de défense, vous êtes ancien directeur de la Fondation de la recherche stratégique et vous avez à ce titre participé à plusieurs groupes d’experts sur l’avenir de l’OTAN.

Mme la présidente Françoise Dumas. Avant tout, je tiens à m’exprimer en tant que présidente et au nom de tous les commissaires, pour m’associer à l’hommage de la représentation nationale que vous venez de rendre aux treize militaires français morts au cours d’une action de combat dans le cadre de l’opération Barkhane au Mali.

Chaque jour, notre commission de la Défense nationale et des forces armées constate, à travers ses nombreuses rencontres, l’engagement et le professionnalisme de nos soldats qui méritent toute l’admiration et la reconnaissance de la Nation. Ces décès nous rappellent que cet engagement en faveur de notre sécurité peut aller jusqu’au sacrifice suprême. Nos pensées se tournent aujourd’hui vers les familles, les proches, les frères d’armes de ces jeunes gens morts pour la France.

Permettez-moi aussi d’avoir, en votre nom à tous, chers collègues, une pensée d’amitié et de fraternité toute particulière pour notre collègue parlementaire, Jean-Marie Bockel, qui a perdu son fils dans cette action.

Je souhaite la bienvenue à nos trois invités que je remercie d’avoir accepté d’être présents ce matin pour débattre avec nous de l’avenir de l’Alliance atlantique. Cette audition est commune avec votre commission, Madame la présidente, et je m’en réjouis, car une bonne politique étrangère dépend, est-il besoin de le rappeler, d’une fine articulation entre la défense et la diplomatie. L’une ne peut pas aller sans l’autre et je souhaite que cette réunion soit le prélude à de nombreux travaux communs entre nos deux commissions.

Cette audition intervient à quelques jours d’un sommet programmé à Londres pour fêter les 70 ans de l’OTAN et devrait être l’occasion d’apporter de premiers éléments de réponses aux interrogations politiques et stratégiques qui se posent aujourd’hui de manière ouverte à l’OTAN. Cette audition répond aussi à une nécessité, pour que les députés puissent se saisir de ce débat, de ne pas être de simples spectateurs et qu’ils fassent connaître dans leur diversité, et peut-être leur convergence, leurs opinions.

La crise politique et stratégique que traverse l’OTAN ne date pas des déclarations, il y a quelques jours, du Président de la République dans The Economist. Celles-ci ont eu le mérite de la mettre publiquement à jour et de contraindre l’ensemble de nos partenaires à se positionner par rapport à elle, les obligeant à rompre avec toute tentation d’immobilisme. Mais cette crise est beaucoup plus ancienne. L’Alliance atlantique, créée en 1949 pour conjurer la menace soviétique, a survécu à la disparition du Pacte de Varsovie en février 1991 et à celle de l’Union soviétique en décembre 1991. Cette belle longévité de 70 ans est en soi déjà un succès. Elle s’explique par la volonté des États-Unis de continuer à exercer une influence stratégique en Europe et la crainte de nombreux pays européens de voir resurgir la menace russe. Cet équilibre a été remis en cause à la fois par les déclarations du président Trump, qui a jugé l’OTAN obsolète dès sa campagne électorale de 2016 et s’était interrogé sur la clause de défense mutuelle de l’article 5 du traité de Washington.

L’intervention unilatérale de la Turquie en Syrie, le mois dernier, contre ceux-là mêmes qui nous ont apporté une aide déterminante dans la lutte contre le califat de Daech n’a fait que renforcer les doutes quant à la cohérence et la stratégie de l’Alliance en tant que structure politique. Certes, le rôle militaire de l’organisation n’est pas en cause. Nul ne songerait à remettre en question les acquis de 70 ans de planification, de standardisation et d’interopérabilité de l’OTAN. Il serait insensé de prétendre remplacer ce capital patiemment accumulé par une structure créée ex nihilo. Ce n’est donc pas sous cet angle qu’il faut comprendre le concept d’autonomie stratégique de l’Union européenne ; ce serait d’ailleurs contraire aux textes européens eux-mêmes. En instaurant une obligation d’aide et d’assistance à tout État membre qui serait l’objet d’une agression armée sur son territoire, plus contraignant que l’article 5, l’article 42-7 du traité sur l’Union européenne rappelle que l’OTAN reste, pour les États qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l’instance de sa mise en œuvre. On ne peut cependant se satisfaire de la vision mercantile du président Trump, qui semble ne voir dans le parapluie américain offert à tous ses alliés, y compris asiatiques, qu’un investissement dont la rentabilité économique doit être désormais sérieusement prise en considération.

En tout cas, le président Macron estime que la France n’a pas signé pour cela. Je suis persuadée que nous sommes nombreux à considérer ici qu’il a raison de le dire, et que ses mots peuvent contribuer à accélérer les réflexions en cours au sein de l’OTAN et la prise de conscience par les Européens de leurs responsabilités. Pour développer une nécessaire autonomie stratégique européenne, il nous faut nous interroger sur les moyens pour la France de mettre en œuvre un pilier européen de l’Alliance. Elle ne peut agir seule. Ne faudrait-il pas commencer par une alliance entre les trois principales puissances militaires européennes ? La France, le Royaume-Uni et l’Allemagne contribuent ensemble, en effet, aux deux tiers de l’effort de défense européen, et représentent bien davantage en termes opérationnels et capacitaires. Il pourrait être possible ensuite d’y associer d’autres pays ; je pense notamment à l’Espagne, qui témoigne d’un intérêt de plus en plus accru pour les projets de coopération de défense. Pour aller plus loin, peut-on ou faut-il même envisager à terme une OTAN sans les États-Unis ?

Les questions que nous nous posons et que nous posent nos concitoyens sont nombreuses, et les trois heures qui viennent ne seront pas de trop pour les évoquer ensemble.

M. Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de lIRIS. Vous avez eu l’initiative de cette table ronde avant même que le président Macron ne publie son interview dans The Economist ; vous avez fait preuve de sagacité !

J’ai également une pensée pour les 13 soldats qui sont morts hier. Les questions que nous sommes sur le point d’aborder sont sérieuses, graves, avec malheureusement parfois la mort au bout du chemin pour nos soldats.

Sur l’OTAN, je pense qu’il faut résumer les épisodes précédents pour comprendre la situation où nous sommes aujourd’hui. Je ne parlerai pas de crise de l’OTAN. Simplement, la situation politique et les intérêts de sécurité des membres de l’OTAN ne sont plus exactement les mêmes, certes pas sur tous les aspects, mais en tout cas sur un certain nombre, d’où les difficultés que nous connaissons aujourd’hui.

L’OTAN a été fondée en 1949 contre la menace soviétique. À la fin de la guerre froide – elle était alors composée de 16 pays – elle avait gagné le conflit sans avoir tiré un coup de feu. La question de son maintien s’est posée. L’URSS en pleine dissolution, la Russie a pris la principale succession et le Pacte de Varsovie fut dissous. L’OTAN ne fut cependant pas dissoute pour trois raisons qui firent consensus entre les États membres, y compris de la France, même si le sujet a donné lieu à des débats. La première, c’est que tout le monde voulait maintenir un lien transatlantique en matière de sécurité avec les États-Unis. Ensuite, les Européens ne se sentaient pas en capacité d’assurer seuls leur sécurité. Enfin, la stabilité de la Russie suscitait des inquiétudes. Un des six scénarios du Livre blanc de 1994 concernait ainsi la résurgence de la menace majeure, la menace russe.

Dans les années qui ont suivi, l’OTAN a véritablement trouvé une utilité, non pas en tant qu’alliance militaire, mais en tant qu’outil militaire au moment des conflits balkaniques, puisqu’elle a fait du « peace keeping » et du « peace enforcement » ; nous n’étions pas sous le régime prévu à l’article 5, mais l’outil militaire a fonctionné. Il a fonctionné de nouveau, quoiqu’avec des difficultés, au moment du Kosovo.

Ensuite, nous avons eu l’épisode des élargissements de l’OTAN et de l’Union européenne. Les pays d’Europe centrale et orientale et les pays d’Europe du Nord, les ex-pays baltes, voulaient, d’une part, avoir accès à la prospérité européenne – c’était l’accès à l’Union européenne – et d’autre part, la sécurité proprement dite en matière de défense via l’accès à l’Alliance atlantique. Tout cela n’a pas suscité trop de grincements de dents de la part de la Russie. Entre 1997 et 1999 puis entre 2003 et 2005, c’est-à-dire au moment des deux élargissements, les Russes protestent mais ne sont pas véritablement en position de s’opposer. Le conseil OTAN-Russie est mis en place à cette époque.

Des divergences sont apparues par la suite. La première divergence est liée au fait que nous étions sortis de la guerre froide sans avoir véritablement fait de réconciliation avec la Russie, mais sans, en même temps, qu’il y ait de tension. La situation s’est dégradée durant les années 2000, autrement dit, bien avant 2014, en particulier à deux occasions. Tout d’abord, la défense antimissile de l’OTAN sur la partie européenne ont fait craindre aux Russes une remise en cause de leur force de dissuasion. Puis, lors du sommet de Bucarest, en 2008, le communiqué final indiquait que l’Ukraine et la Géorgie seraient membres de l’OTAN. Les relations se sont alors tendues avec les Russes. Elles se sont tendues partiellement parce qu’à l’époque, la coopération demeurait forte sur un certain nombre de dossiers : d’une part, en matière de lutte contre le terrorisme et, d’autre part, sur l’Afghanistan et au fond, sur la relation Russie-OTAN à propos de l’Afghanistan.

La deuxième divergence est venue des États-Unis ; pas de Donald Trump, mais de Barack Obama. Barack Obama a été élu sur le projet de retirer les troupes américaines du Proche-Orient. Il a commencé à le faire en Irak et il voulait le faire également en Afghanistan. D’une certaine manière, Donald Trump aujourd’hui ne fait que prolonger la politique de Barack Obama sur ce sujet. La sécurité des États-Unis, pour Barack Obama, passe d’abord par la sécurité en Asie, et non pas par la sécurité en Europe. En 2009-2010, tout le monde attendait Barack Obama : ce devait être la réconciliation. Or Barack Obama ne venait pas, si je puis dire. Ses paroles étaient très sympathiques, mais relativement tièdes. La politique de Barack Obama perdure aujourd’hui sur les deux points que j’ai soulignés, et deux divergences majeures dont on parle peu à l’heure actuelle, moins que l’épisode syrien, qui sont le retrait du Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA) – la question iranienne – et plus récemment, la reconnaissance de la colonisation d’Israël en Palestine. Ce sont deux sujets proche-orientaux cruciaux pour les Européens.

L’Alliance atlantique oscille aujourd’hui entre alliance militaire et objet, organisation politique. L’alliance militaire et l’outil militaire, personne ne les remet en cause. Cet outil fonctionne, bien qu’ayant des défauts, étant un peu lourd, un peu cher. C’est une alliance militaire, mais est-ce une organisation politique ? Voilà la question aujourd’hui. La France a toujours essayé de minimiser le rôle politique de l’Alliance atlantique, mais à partir du moment où vous avez une organisation, vous ne pouvez pas dire qu’elle n’a pas de rôle politique. C’est un fait. Avec l’épisode syrien, deux pays de l’Alliance atlantique ont agi sans avertir leurs partenaires de l’OTAN alors que l’article 4 prévoit normalement que les alliés doivent se consulter : l’un a décidé de retirer ses troupes du nord de la Syrie, l’autre y a des intérêts de sécurité, ce qu’a reconnu d’ailleurs le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, dans le nord de la Syrie.

L’essentiel est de bien délimiter le rôle politique de l’OTAN, de ne pas lui donner des rôles qu’elle n’a pas à avoir – parce qu’on va se poser plus de problèmes qu’autre chose – et bien entendu, de conserver l’outil militaire. L’OTAN ne doit pas être, par exemple, l’instrument d’un dialogue avec la Chine ou avec la Russie. L’instrument de dialogue doit être l’Union européenne, les États-Unis, l’Union européenne et les États-Unis ensemble, mais cela ne peut pas être une alliance militaire. À partir du moment où vous faites dialoguer une alliance militaire avec ce type de pays, nécessairement, vous avez la logique plus ou moins de l’ennemi qui vient en tête. C’est cela qu’il faut éviter.

Par ailleurs, si une commission d’experts ou de hautes personnalités, de sages est mise en place au prochain sommet de Londres pour réfléchir sur le futur de l’OTAN, je pense qu’il faut éviter le piège du consensus et privilégier un document très politique. Je me souviens, Camille, quand tu étais dans le groupe d’experts préparatoire, au moment du conseil stratégique de l’automne 2010, alors que des tensions étaient déjà perceptibles. Vous étiez là pour essayer de déminer les tensions. Or, il vaut mieux dire quelles sont exactement les convergences et les divergences de sécurité, ce qu’il faut absolument conserver et ce qu’il faut absolument éviter.

Général Henri Bentégeat, ancien chef détat-major des armées. Quand la Turquie a rejoint l’OTAN en 1952, soit un an avant l’Allemagne, elle a été qualifiée de « pilier oriental de l’Alliance ». La Turquie n’a pourtant jamais été un allié facile, comme le rappelait mon voisin. Dès l’origine, des escarmouches frontalières avec la Grèce ont eu lieu et n’ont jamais véritablement cessé. En 1974, elle a occupé le nord de Chypre avec, pour conséquence, un embargo temporaire sur les armes. En 2003, elle a refusé le passage et le stationnement des forces américaines qui voulaient envahir l’Irak, même si quelques arrangements ont eu lieu après. Les contentieux, comme on le sait, se multiplient depuis dix ans, c’est-à-dire depuis que le président Erdogan a lancé sa grande politique ottomane.

Aujourd’hui, deux sujets sensibles jettent le trouble au sein de l’OTAN. D’une part, le déploiement du système de missiles S-400 russes sur le sol turc et d’autre part, l’offensive turque en Syrie, dont nous venons de parler. Les S-400 sont un système de défense antiaérienne tout à fait classique dans sa conception. Ils reposent sur un ensemble de radars, des missiles bien sûr, et de moyens de coordination entre les deux. Le système S-400 russe est actuellement le plus moderne au monde. Son niveau technologique est sensiblement supérieur à celui des missiles Patriot américains. Ses capacités de défense antimissile sont également supérieures à celles des Patriot. C’est un système extrêmement moderne et curieusement moins cher que les Patriot. C’est une des raisons pour lesquelles la Turquie les a commandés en 2017, ayant échoué à acheter à un prix qui lui paraissait acceptable les Patriot américains. Les livraisons de défense antimissile S-400 ont commencé depuis le mois de juillet dernier. Le Pentagone a alors décidé de suspendre la livraison de chasseurs F-35 également commandés par la Turquie, et ce pour une raison simple : le S-400 va être mis en œuvre inévitablement, au moins dans les débuts, avec l’aide de conseillers russes. Ce système de défense antiaérienne permettrait de détecter très rapidement à la fois les capacités, mais aussi toutes les faiblesses, les insuffisances, de ce nouveau fleuron de l’armée de l’air américaine qui va bientôt équiper Israël, qui va équiper également au moins six des pays de l’Union européenne. Le F-35 est une préoccupation majeure pour le Pentagone. Par ailleurs, ce système de défense russe n’est pas naturellement interopérable avec les autres systèmes de défense antiaérienne de l’OTAN. Ce ne serait pas la première fois, pour être honnête, mais dans le principe, les alliés sont censés s’orienter vers des équipements de toute nature interopérables.

L’affaire est-elle définitivement réglée ? Les Turcs vont-ils réellement terminer de s’équiper avec un système de défense antiaérienne S-400 ? Pour les États-Unis, aujourd’hui, il semble que l’affaire ne soit pas réglée. Les Américains ont formulé des contre-propositions pour que les Turcs reviennent à un système américain Patriot. Des négociations secrètes sont en cours. Mais on voit quand même mal aujourd’hui, alors que les livraisons russes ont commencé, les Turcs renoncer à cette acquisition.

Le deuxième point concerne l’offensive turque en Syrie. Cette offensive, tout le monde la connaît. Elle a été conduite pour éloigner les milices kurdes de la frontière turque. Elle a débuté le 9 octobre et s’est achevée trois semaines plus tard à la suite d’un accord entre le président Erdogan et le président Poutine. Elle s’est exercée avec le feu vert, au moins implicite, des États-Unis contre des milices qui avaient joué un rôle essentiel dans la guerre contre Daech. Elles ont provoqué les réactions que l’on connaît, de la France en particulier, mais aussi de l’Union européenne, et la décision de mettre en place un embargo sur les armes à destination de la Turquie. À l’inverse, comme l’a souligné tout à l’heure notre présidente, le secrétaire général de l’OTAN – je ne veux évidemment pas ici faire injure à mon voisin – M. Stoltenberg, a déclaré comprendre les préoccupations de sécurité de la Turquie. La Turquie, pour sa part, s’est indignée du manque de solidarité de ses alliés de l’OTAN à son égard, alors qu’elle se trouvait directement menacée par ces milices kurdes.

La question qui se pose aujourd’hui, compte tenu de ces éléments, de ces incartades répétées de la Turquie, des problèmes qu’elle pose aujourd’hui, de l’éloignement visible du président Erdogan de la ligne traditionnelle de l’Alliance atlantique, est la suivante : la Turquie doit-elle, peut-elle, et veut-elle quitter l’OTAN ? La réponse est négative, à l’évidence, pour la quasi-totalité des alliés, probablement même pour la France. Pourquoi ? D’abord, il n’existe pas de procédure d’exclusion des membres au sein de l’OTAN. Deuxièmement, la Turquie a une position stratégique très importante pour l’OTAN. Elle tient toujours les détroits du Bosphore et des Dardanelles. Elle tient les sources du Tigre et de l’Euphrate. Elle est à la fois frontière et intermédiaire avec le monde musulman. L’armée turque est une des plus solides de l’OTAN avec 750 000 hommes bien équipés, en dépit des purges, et un budget de 20 milliards d’euros par an. Surtout, pour l’avoir bien connue, c’est une des rares armées européennes qui soit capable de se battre. La Turquie est dépositaire de 50 armes nucléaires tactiques américaines. Elle n’a pas de possibilité d’alliance alternative : la Russie n’est pas fiable et le monde musulman est divisé.

Un point souvent ignoré est que la Turquie pose un problème à l’Europe de la défense et peut en poser de plus redoutables encore à l’avenir. D’abord, elle pose un problème parce qu’elle bloque tout accord formel entre l’OTAN et l’Union européenne à cause bien sûr du différend de Chypre, et aussi parce qu’elle n’a pas retrouvé au sein de l’Union européenne la place qu’elle avait autrefois au sein de l’Union de l’Europe occidentale. En fait, la Turquie n’a pas de position aujourd’hui de partenaire extérieur privilégié au sein de l’Union européenne, ce qu’elle réclame depuis les débuts de la politique européenne de sécurité et de défense. De ce fait, elle empêche aujourd’hui les Européens de faire appel aux moyens de l’OTAN pour mener une opération, ce qui ne gêne pas du tout la France ou l’Union européenne, pour être honnête. Par contre, ce qui est beaucoup plus grave et beaucoup plus préoccupant pour l’avenir, la Turquie fera certainement tout ce qu’elle pourra pour empêcher que l’Union européenne signe avec le Royaume-Uni des accords de partenaire privilégié.

J’en viens donc à la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), à l’Europe de la défense. Je crois que les progrès récents sont absolument indiscutables, mais ils se situent exclusivement dans le domaine des capacités militaires. Des capacités militaires non pas collectives, mais celles des membres de l’Union européenne. C’est tout ce qu’apporte la coopération structurée permanente (CSP) et ce qu’apporte aujourd’hui la participation de la Commission européenne, c’est-à-dire le Fonds européen de défense. L’Europe de la défense souffre d’une faiblesse fondamentale, c’est sa capacité d’action opérationnelle. Pourquoi ? D’abord parce que la quasi-totalité des États de l’Union européenne font reposer leur défense et leur sécurité sur la garantie de sécurité américaine, pour ce qu’elle vaut encore, et donc inévitablement se reposent sur l’OTAN. La deuxième raison est que la perception des menaces n’est pas la même dans tous les pays européens. Un sondage qui avait été réalisé en 2015 était particulièrement éloquent. Onze des pays de l’Union européenne considéraient que la seule menace aujourd’hui pour l’Europe était la Russie. Le reste des États européens étaient avant tout inquiets de ce qui se passait en Méditerranée et des risques terroristes.

Le Parlement et les opinions publiques en Europe sont globalement assez réticents à la participation de leur pays aux interventions militaires de l’Union européenne et ils sont, il faut le dire, confortés par les résultats controversés des opérations en Afghanistan, en Libye, voire aujourd’hui dans le Sahel. Pourtant, les mécanismes existent depuis 2003 – je les ai expérimentés directement à Bruxelles –, les moyens sont là, imparfaits et insuffisants, mais suffisants malgré tout pour avoir permis de conduire depuis 2003, depuis quinze ans, huit opérations militaires, dont certaines d’une ampleur réelle, au-delà de 5 000 hommes, et une cinquantaine de missions de formation, d’observation, de contrôle.

Dans ce cadre, je crois que l’initiative européenne d’intervention (IEI) qui a été lancée par la France il y a deux ans est quand même très positive, même si ses objectifs ne peuvent être que modestes. Pourquoi est-elle positive ? Parce qu’elle s’attaque pour une fois à ce qui est le cœur de ce dont a besoin aujourd’hui l’Union européenne, c’est-à-dire la volonté et la capacité opérationnelle. Elle a le grand mérite d’inclure deux pays qui sont pour nous extrêmement précieux, mais qui sont en dehors du système, en dehors de la PSDC ou qui vont l’être : le Royaume-Uni et le Danemark. L’initiative européenne d’intervention est une potentialité, mais restera une potentialité jusqu’à ce que les esprits soient assez mûrs chez nos partenaires pour que les Européens se décident enfin à construire l’autonomie stratégique de l’Europe dont nous avons besoin.

M. Camille Grand, secrétaire général adjoint de lOTAN. Je m’associe à l’hommage rendu aux soldats français au Mali. J’ai vécu hier devant le Conseil de l’Atlantique Nord un moment assez émouvant quand tous nos alliés et le secrétariat général ont rendu un hommage appuyé à ces soldats.

Il est clair que l’OTAN connaît une phase de turbulences. Depuis 2014 et les évènements de Crimée, l’OTAN a été amenée à s’interroger sur son rôle et finalement à réinventer un peu dans l’urgence ce que j’appellerais une « OTAN 3.0 », soit l’OTAN de l’après-guerre froide. L’organisation revient à certains fondamentaux de la défense collective, de la défense de l’Europe, mais elle doit, dans le même temps, prendre en compte et continuer à prendre en compte toute une série de crises à la fois dans le voisinage immédiat de l’Europe, mais également au-delà où parfois l’OTAN reste engagée comme en Afghanistan. Du point de vue stratégique, vu de Bruxelles, vu de l’environnement OTAN, ce moment est compliqué et appelle un certain nombre d’adaptations de l’Alliance.

L’affaire du Nord-Est syrien a suscité des tensions entre alliés. Ce n’est pas la première fois dans l’histoire de l’Alliance : un certain nombre d’exemples ont déjà été cités. Si nous remontons loin, nous pouvons parler de la crise de Suez, de très vifs débats au moment de la guerre d’Algérie pour savoir si la France n’allait pas entraîner l’OTAN dans des aventures de guerres coloniales, du retrait français de 1966, de la crise de Chypre, de la crise des euromissiles au début des années 1980 et évidemment, de la crise irakienne de 2003, où les alliés étaient extrêmement partagés – je l’ai vécu au sein du ministère de la Défense – sur l’engagement américain en Irak qui s’est fait sans l’OTAN parce que précisément, la France et l’Allemagne s’y étaient opposées avec la Belgique et le Luxembourg.

Ces tensions sont compliquées par le thème du partage du fardeau, qui est ce thème récurrent de la demande américaine de voir les Européens dépenser davantage pour leur défense. Les Américains consentent un peu plus des deux tiers des dépenses militaires de l’Alliance. Ce chiffre a donné lieu depuis les années 1950 à un certain nombre de pressions américaines sur les Européens. Depuis 2011 et le discours du secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, toutefois, la pression est montée. Le président Trump insiste d’une manière particulièrement forte sur les alliés.

Enfin, les discussions sont vives entre alliés sur la manière d’aborder ces crises ; autour de la question syrienne, en particulier, mais aussi autour d’autres grands dossiers politiques et stratégiques – je pense à la Syrie, mais nous pourrions parler de l’Iran également – alors même que ces crises n’impliquent pas l’OTAN ou alors, de manière très marginale.

Pour autant, l’OTAN s’est adaptée et continue à le faire. Je parlais d’OTAN 3.0 tout à l’heure. Depuis le sommet du Pays de Galles en 2014, nous avons eu deux autres sommets à Varsovie en 2016 et à Bruxelles en 2018, qui ont donné lieu à des décisions qui ont adapté profondément l’Alliance. Je citerai rapidement l’évolution de la structure de commandement de l’Alliance, c’est-à-dire tous les états-majors qui organisent le système militaire de défense de l’Europe, le déploiement d’une présence avancée dans l’est de l’Europe – une présence avancée limitée, mais qui est une première depuis la fin de la guerre froide avec une présence dans les trois pays baltes et en Pologne –, un travail sur la réactivité, c’est-à-dire le fait de rendre les forces d’autant plus agiles et aptes à réagir face aux différentes crises, avec une augmentation des volumes de forces en alerte et un travail en cours. Ce dernier va se concrétiser à Londres dans quelques jours sur une initiative qui s’appelle « OTAN réactivité » visant à avoir en permanence des forces – 30 bataillons, 30 bâtiments et 30 escadrons – prête à agir avec un préavis de 30 jours.

Le débat portait aussi sur le partage du fardeau financier à proprement parler. Nous avons vu les Européens et les Canadiens réinvestir dans la défense, ce qui était à mon sens tout à fait nécessaire, avec un engagement de plus de 100 milliards de dollars supplémentaires qui ont été dépensés dans les quatre dernières années par ces alliés, qui ont changé assez fondamentalement les équilibres militaires dans ce dispositif. Enfin, un travail a eu lieu sur l’interopérabilité, que l’on veut désormais immédiate et pas adaptée à un engagement militaire dans de la gestion de crise.

Dans ce contexte, je pense qu’il est important de noter le réengagement américain dans la sécurité européenne. On parle souvent de désengagement américain. En réalité, dans les deux ou trois dernières années, les Américains ont renforcé leur présence dans les exercices au sol en Europe, ce qui constitue un retour inédit puisque jusqu’en 2014, nous déplorions un mouvement continu de retrait par rapport aux 300 000 soldats américains présents pendant la guerre froide. Aujourd’hui, sans que les volumes soient très importants, nous assistons à un réengagement notamment dans les exercices.

Enfin, la prise en compte des nouvelles menaces, qu’il s’agisse du terrorisme, des menaces hybrides, du cyber, de l’innovation fait l’objet d’un travail approfondi et l’OTAN vient de reconnaître l’espace comme un domaine d’opérations ; tout cela pour confirmer le point qui a été évoqué par différents orateurs avant moi sur la vitalité de l’OTAN comme organisation militaire qui, je pense, s’adapte rapidement et plutôt efficacement.

Pour un certain nombre d’alliés, tout ceci est lié au fait que l’OTAN reste pour eux la clé de voûte de la sécurité européenne. Beaucoup d’alliés voient dans l’OTAN et dans les relations transatlantiques un élément essentiel de leur propre sécurité et de gestion des crises. J’ai coutume de dire – et c’est frappant lorsqu’on arrive dans l’OTAN en tant que Français que pour 26 alliés sur 29, la politique de sécurité et de défense se fait à l’OTAN à 90 % ou à 99 %. Il y a trois exceptions : les États-Unis, pour des raisons géographiques évidentes, puisque l’OTAN n’est qu’une part mineure de leurs responsabilités ; la Turquie, qui a toujours gardé la volonté de disposer d’un outil de défense qui puisse fonctionner en dehors de l’Alliance atlantique – on le voit aujourd’hui – et de l’utiliser dans la gestion de son environnement immédiat ; enfin, la France, pour un mélange de raisons historiques, mais aussi de tradition militaire d’action nationale, souvent dans un cadre national. Pour les autres alliés, le cadre naturel de leurs engagements militaires, que ce soit en opération ou dans la planification, reste l’OTAN, même si un grand nombre d’entre eux souscrivent évidemment au projet de renforcement du rôle de l’Union européenne dans ce domaine, en tout cas pour les 21 alliés, bientôt 22, qui sont membres de l’Union européenne.

Sur l’OTAN et l’Union européenne, peut-être un mot. C’est une relation compliquée pour les raisons que le général Bentégeat évoquait, notamment du fait des alliés qui ne sont pas membres de l’Union européenne et qui sont toujours vigilants sur ce point, mais c’est une relation qui se développe, notamment sous l’impulsion du secrétaire général, du président Juncker et du président Tusk qui ont signé un programme commun de 74 axes de travail. Certains sont assez mineurs, d’autres sont beaucoup plus importants et concernent le « développement capacitaire », donc le développement des capacités militaires, de manière à travailler davantage ensemble. Nous allons devoir, demain, prendre davantage en compte les développements du côté de l’Union européenne. J’ai, pour ma part, puisque je suis responsable des investissements de défense, développé dans les dernières années des relations très étroites avec la Commission européenne, l’Agence européenne de défense, pour travailler ensemble et tirer profit de ces nouveaux outils européens.

Je voudrais terminer sur la question des crises politiques. D’abord, je pense que souvent, on mélange un peu les tensions qui traversent les relations transatlantiques avec l’Alliance atlantique et les tensions commerciales, les tensions autour du sujet iranien, les débats sur le désarmement, etc. Ce ne sont pas des sujets qui sont tous liés à l’Alliance atlantique. Sur le thème des consultations politiques à l’OTAN, nous sommes dans une situation un peu paradoxale et intéressante de mon point de vue. La France qui, traditionnellement, n’est pas forcément favorable au fait que l’OTAN soit un forum de consultation politique et voit l’Alliance avant tout comme un outil militaire, a ouvert ou en tout cas accéléré un débat sur l’OTAN comme forum politique, ce qu’elle est déjà assez largement. Nous avons eu au Conseil de l’Atlantique Nord des débats sur la Syrie très vifs. Nous avons eu des débats sur un certain nombre de crises et nous les avons assez régulièrement. Il est vrai que cela se passe généralement plus souvent au niveau des ambassadeurs qu’au moment des cinq réunions ministérielles, même si encore une fois, les deux dernières réunions ministérielles ont été l’occasion d’échanges assez vifs.

À propos du groupe d’experts qui a été proposé par la France, mais aussi par l’Allemagne, je note que c’est récurrent dans l’histoire de l’OTAN. Il y a eu le rapport Harmel à la fin des années 1960, à un moment important dans l’histoire de l’Alliance. Il y a eu des groupes pour travailler sur le concept stratégique de 2010 auxquels j’avais participé. Il y a eu d’autres groupes plus ou moins importants. Ce qui paraît intéressant, c’est d’avoir une conversation sur notre sécurité. Ce sera peut-être un point de divergence avec Jean-Pierre, je pense que ces groupes ont le mérite d’une part, et c’est utile, de confronter les points de vue, mais aussi, et c’est l’une des fonctions de l’Alliance, comme objet de forger du consensus entre les alliés sur une vision partagée à la fois de l’environnement stratégique et du rôle des alliés.

Je termine d’un mot sur les relations entre la France et l’Alliance atlantique. Bien que la France soit retournée dans une structure militaire intégrée en 2009, nous continuons parfois à parler de l’Alliance atlantique comme si c’était une sorte d’objet extérieur à notre politique étrangère et de sécurité. Je pense que c’est un élément parmi d’autres, mais un élément important de notre politique étrangère et de sécurité, que la France est un allié entendu et respecté dans cette Alliance, qu’elle y occupe une place importante, l’un des deux commandants suprêmes alliés étant un Français, le général Lanata. À ce titre, on pourrait – je cite le rapport Védrine de 2012 qui explorait les opportunités du retour dans l’Alliance atlantique – s’interroger sur la manière d’utiliser ce levier aussi dans nos initiatives de politique étrangère et de défense. Je pense qu’elle aurait aussi un écho auprès de ceux de nos alliés qui sont très sensibles à l’importance de l’OTAN dans leur politique de sécurité.

M. Philippe Folliot. Je voudrais, à l’instar de ce qui a été dit, m’associer à l’hommage qui a été rendu à nos treize soldats morts au Mali. Ceci nous renvoie dix ans en arrière, après l’embuscade de la vallée d’Uzbin où dix de nos soldats, dont huit du 8e régiment parachutiste d’infanterie de marine (RPIMa) de ma ville de Castres, étaient tombés. Ceci nous montre avec un certain écho combien ces questions de défense, de sécurité et de lutte contre le terrorisme sont éminemment importantes.

Je ne vais pas revenir sur l’assemblée parlementaire de l’OTAN, son rôle ; 270 parlementaires venant des 29 pays membres de l’Alliance, 18 parlementaires français, 11 députés, 7 sénateurs, et le travail que nous essayons de conduire ensemble pour faire valoir les options des parlements et pas un contrôle, mais en tout état de cause, certaines visions parlementaires sur les questions des enjeux de l’Alliance.

Je voudrais revenir sur la déclaration du Président de la République. Il a eu des mots forts, un certain nombre de formules-chocs qui ont eu le mérite de souligner vis-à-vis de l’opinion la nécessité de poser des questions et un débat par rapport à l’OTAN. Cette interview n’était pas uniquement ces mots forts, c’était une vision globale et géostratégique.

Le monde est toujours plus instable et dangereux. Un réarmement est en cours un peu partout et il est indispensable de continuer à faire des efforts pour notre sécurité. La France assume sa part de responsabilité au travers de la loi de programmation militaire qui ouvre la perspective d’atteindre un budget de défense à hauteur de 2 % du produit intérieur brut (PIB), et on sait que c’est quelque chose d’essentiel et de fondamental pour l’avenir. Ceci étant dit, il y a un certain nombre de questions que le président a posées et que nous nous sommes posées au sein de l’assemblée parlementaire de l’OTAN. Ce sont tout d’abord les questions relatives à l’article 4 et à l’article 5, qui sont les deux pivots, les deux éléments essentiels de l’Alliance. L’article 4 stipule qu’un allié, avant de prendre une décision, quelle qu’elle soit, doit consulter les autres alliés, doit les informer, tout au moins. On s’aperçoit que l’un des principaux alliés, les États-Unis, au regard de ce qui s’est passé en Syrie est un condensé de ce qu’il ne faut pas faire, c’est-à-dire prendre une décision unilatérale sans avoir ne serait-ce qu’informé les autres alliés.

Le deuxième point qui interpelle a trait à l’article 5 et à la notion de solidarité. La crédibilité de l’Alliance reposera sur le fait que nos adversaires potentiels n’auront pas de doute sur notre capacité de nous engager collectivement au nom du « tous pour un, un pour tous » dans le cadre de cet article. Malheureusement, un certain nombre de déclarations ici ou là pourraient laisser penser le contraire, ce qui, à certains égards, peut avoir un certain nombre de conséquences pour l’Alliance.

En conséquence, il nous paraît fondamental de poursuivre l’effort de réarmement du pilier européen de l’Alliance de telle sorte que nous ayons une certaine autonomie et une certaine capacité de décision. Vis-à-vis de l’industrie de la défense, cela constitue certainement un changement. Nul n’est tout à fait empreint de cécité au regard de la stratégie menée par les États-Unis en la matière, qui voit aussi l’OTAN comme un moyen de favoriser ses exportations d’armement en Europe, avec tout ce que cela comporte. Au-delà de cela, un des enjeux essentiels de l’Alliance est la nécessité d’avoir une vision équilibrée entre les deux pôles. Un certain nombre de pays de l’Alliance ne voient qu’une menace russe à l’est, mais le flanc sud reste fondamental pour notre sécurité. La prise en considération de ce flanc sud est un enjeu majeur pour nous, pour que des opérations que nous menons au Sahel, qui sont des opérations d’alliés, peut-être un jour deviennent des opérations de l’Alliance.

Mme Marianne Dubois. L’initiative de cette audition s’inscrit dans une actualité particulièrement lourde en matière militaire. Le groupe Les Républicains (LR) souhaite se joindre aux hommages rendus à nos treize soldats morts lundi soir au Mali lors d’une opération de combat menée contre des groupes djihadistes.

En deux semaines, c’est la seconde fois que l’OTAN est présente au sein de nos débats à l’Assemblée. La semaine dernière, l’Assemblée nationale a ratifié le protocole permettant à la Macédoine du Nord de devenir le trentième État membre de l’Alliance. L’intervention de la Turquie, notre allié au sein de l’Alliance, au nord de la Syrie un mois auparavant a remis l’OTAN, son utilité et sa finalité même au cœur des débats. Ce débat, qui nous paraît particulièrement utile, vient du Président de la République lui-même. En effet, dans un entretien à l’hebdomadaire The Economist daté du 7 novembre 2019, Emmanuel Macron a évoqué la « mort cérébrale » de l’OTAN du fait du désengagement des États-Unis vis-à-vis de ses partenaires et du comportement dangereux de la Turquie dans une zone particulièrement sous tension. Des mots qui sont particulièrement forts, peu diplomatiques, et qui n’en sont pas moins justes et intéressants ; ils doivent nous pousser à une réflexion de fond sur l’avenir de l’OTAN.

En tant que membre de l’assemblée parlementaire de l’OTAN, je constate l’attractivité que l’Alliance exerce sur un nombre important de nos partenaires. En témoignent les réponses parfois sèches de nos partenaires aux remarques du Président de la République. Je constate aussi ce qui me semble être un décalage entre nos forces armées et les instances politiques des pays membres. Les forces armées qui composent l’Alliance travaillent, coopèrent, échangent, s’entraînent, combattent parfois, de manière, semble-t-il, particulièrement fluide et naturelle. L’appartenance à l’Alliance est une donnée parfaitement intégrée pour nos forces qui se posent moins de questions que les différents gouvernements des États membres qui la composent. Nous leur devons, parce que ce sont elles qui sont sur le terrain, un soutien et une stratégie claire. Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre un hypothétique revirement de stratégie de nos alliés américains. Ce revirement n’arrivera pas, que le président Trump soit réélu ou pas dans un an. Nous soumettre aux résultats des élections présidentielles est déjà une forme de renoncement. C’est à l’Europe de prendre en main sa défense et sa sécurité. 22 des membres de l’OTAN sont déjà membres de l’UE, et nous y sommes très largement majoritaires.

La France paie largement le prix du sang, ce qu’elle a encore prouvé lundi, pour défendre l’Union européenne des dangers du djihadisme dans la bande sahélo-saharienne. Notre armée se bat au quotidien. Elle sait pourquoi elle le fait, mais c’est aux instances politiques de lui donner des finalités et des objectifs clairs. Le groupe des Républicains appelle de ses vœux un dialogue ferme et constructif au sein de l’Alliance. Si le Président de la République parvient à faire bouger ces lignes avec diplomatie, il aura notre soutien.

M. Jean-Louis Bourlanges. Évidemment, je m’associe à ce qui a été dit par nos collègues sur la disparition de nos treize soldats. J’ai moi-même perdu un neveu dans cette affaire.

Nous pouvons analyser les problèmes actuels à la lumière de deux séries d’évènements très différents. D’abord, un évènement ancien, sur lequel je crois que nous devons jeter un coup de projecteur, qui est la démarche que nous avons faite en 2009 en regagnant l’OTAN. Nous devons nous interroger sur la façon dont nous avons géré cette affaire. Le président Sarkozy estimait qu’on pouvait voir l’OTAN de deux façons : comme l’organisation par laquelle les Américains exercent non seulement une protection, mais une tutelle sur les Européens – c’est un peu le réflexe spontané que nous avons en France – ou comme l’organisation dans laquelle les Américains sont confrontés à des gens qui ne sont pas des Américains, c’est-à-dire des Européens. Pour les Américains, l’OTAN est d’abord une affaire d’Européens. Le calcul qui était celui du président Sarkozy à l’époque, était de dire que nous devions jouer cette carte et développer l’européanisation de l’OTAN.

J’ai l’impression – ma question s’adresse sur ce point notamment au général Bentégeat, qui a suivi cela de très près, mais aussi à vous trois – que nous n’avons pas vraiment joué pleinement ce jeu, que nous avons toujours été hésitants entre ces deux approches, qu’au bout du compte, nous avons été moins impliqués dans l’OTAN plutôt après qu’avant, que nous avons répugné à jouer cette carte, comme avec le poste de commandant suprême allié Transformation (SACT) pour lequel nous avons eu du mal à trouver des candidats. J’ai l’impression que nous avons un peu boudé les instances dans lesquelles les Européens essayaient d’affirmer quelque chose d’un peu autonome – je ne dis pas du tout divergent par rapport aux États-Unis – ce qui se comprend. N’avons-nous pas été prisonniers d’une attitude « entre deux chaises », si je puis dire, où nous n’avons joué ni la carte hors OTAN, la vieille carte gaulliste, ni la carte de l’exploitation des possibilités européennes dans l’OTAN ?

La seconde approche est celle que nous avons abordée depuis le début, c’est-à-dire à la lumière de ce qui s’est passé et notamment de ce qui se passe aux États-Unis. M. Grand a dit – c’est très intéressant – qu’on ne pouvait plus parler aujourd’hui de désengagement. Il reste que le dispositif OTAN, par rapport à ce qu’il était il y a quelques années, est redimensionné à la baisse. Sommes-nous à la hauteur des menaces auxquelles nous sommes potentiellement confrontés, en Europe, en particulier, tant sur le plan quantitatif, sur le plan des troupes, des hommes, des unités, et surtout au niveau stratégique, notamment à la lumière de ce qui a été évoqué, les cybermenaces, etc. ?

La deuxième question a été posée par M. Maulny. Nous sommes en désaccord important avec les États-Unis sur trois enjeux : Israël, l’Iran, le climat. L’OTAN, vous avez raison de le rappeler, est une organisation technique, assez largement, une organisation de sécurité. Ce n’est pas une organisation – et les Français ne l’ont jamais voulue ainsi – de pilotage politique de l’Occident. Peut-être le général de Gaulle avait-il envisagé le directoire à trois en 1958, mais ce n’est pas cela. Pouvons-nous aujourd’hui penser la responsabilité sécuritaire de l’OTAN indépendamment de ces conflits, de ces contradictions politiques qui nous opposent aux États-Unis ? L’autre variante de la question – cela me rend un peu pessimiste – est que nous voulons absolument une organisation européenne, autonome, voire indépendante de l’OTAN. Or – je pose la question notamment à M. Grand – y a-t-il des gens en Europe qui partagent ce projet ? J’ai l’impression que nous sommes un peu une vox clamantis in deserto sur ce point et que nous ne rencontrons pas, parmi nos partenaires, des gens qui disent « vous avez raison, on peut se passer des Américains, on peut faire les choses autrement ».

Nous pourrions être à peu près cohérents dans notre recherche de protection vis-à-vis de la Russie mais nous sommes bien en peine de dégager une attitude commune sur le front sud vis-à-vis de l’islam, vis-à-vis de la Turquie ; nous sommes là dans un embarras complet. Comment, à la lumière de cela, pensez-vous aujourd’hui la fameuse distinction historique entre le en-zone et le hors-zone ? Où l’OTAN reste-t-elle fondamentalement compétente et irremplaçable, et où est-elle en réalité un peu disqualifiée par nos contradictions ?

M. Alain David. Notre réunion de ce matin se tient opportunément avant le sommet de l’OTAN de la semaine prochaine et une semaine après que la discussion dans l’hémicycle à propos de l’adhésion de la Macédoine du Nord à l’Alliance. À cette occasion, j’avais d’ailleurs questionné la pertinence d’une Alliance qui a renoncé en août 2013 à tirer les conséquences du franchissement de la fameuse ligne rouge fixée à Bachar el-Assad par le président américain. J’avais également interrogé le fonctionnement d’une organisation au sein de laquelle le président Trump annonçait unilatéralement et sans concertation le retrait de ses soldats de Syrie. Enfin, j’avais déploré qu’un pays membre de l’Alliance, la Turquie, pour ne pas la nommer, ait le champ libre pour s’attaquer impunément à nos alliés kurdes qui ont combattu le terrorisme avec un courage incroyable.

Nous pourrions également parler du fait que la Turquie agit non seulement seule, mais au mépris de tous ses engagements à l’égard de ses alliés. Elle semble n’écouter que ce que lui dit la Russie, à laquelle de surcroît elle vient d’acheter des missiles. L’OTAN est décidément bien malade. Nous n’échapperons pas à une réflexion sur son avenir dans les prochains mois et les prochaines années. Pour autant, je ne suis pas convaincu que la stratégie du coup de pied dans la fourmilière soit la plus efficace diplomatiquement à quelques jours du prochain sommet de l’OTAN. En tout état de cause, l’occasion doit nous être donnée d’interroger le futur de l’Alliance atlantique, son rôle, comme son fonctionnement qui pose problème. Au moment où les discussions pour une politique européenne de sécurité restent incertaines, on peut se poser la question simplement : l’OTAN est-elle un frein à une Europe puissance qui parlerait d’une voix forte et agirait avec efficacité sur les grands problèmes géopolitiques et les grands conflits du monde ? Il semble que la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, le chef de la diplomatie, Joseph Borrell, ou le président du Conseil européen, Charles Michel, souhaitent tous renforcer la capacité de l’Europe à peser entre les États-Unis, la Chine ou la Russie. Le moment ne serait-il pas venu de saisir enfin cette opportunité ?

M. Olivier Becht. Je pense qu’il est utile de rappeler d’abord que les questions que nous nous posons aujourd’hui ne remettent pas en doute le caractère d’allié que sont pour nous les États-Unis d’Amérique. Les États-Unis sont des alliés historiques. Ils savent ce qu’ils doivent à la France dans leur fondation et nous savons ce que nous devons aux États-Unis dans la liberté qui est la nôtre encore aujourd’hui. Les doutes sur l’OTAN ne sont pas des doutes sur les États-Unis d’Amérique, mais plus une volonté du président des États-Unis d’Amérique actuel, Donald Trump, lorsqu’il a exprimé des réserves sur l’article 5 de la charte de l’Atlantique Nord en disant : « est-il est bien nécessaire d’aller mourir pour le Monténégro ? »

Personnellement, je ne sais pas si l’OTAN est en état de mort cérébrale, mais ce qui est certain, c’est que les doutes existent. Ce doute est inquiétant, évidemment, parce que si les ennemis de l’OTAN ont disparu, les menaces, elles, demeurent. Vous avez cité la Russie, qui a été traitée comme une vaincue de la guerre froide et qui a soigné en quelque sorte son humiliation par une politique impérialiste dont les conséquences géopolitiques sont aujourd’hui réelles ; nous l’avons vu en Géorgie, nous l’avons vu en Crimée. Nous le voyons actuellement au Donbass avec d’autres menaces sur les pays baltes ou sur d’autres pays de l’ex-bloc soviétique. Vous avez cité la Turquie, qui est aux portes des communautés européennes depuis 1963, et qui elle aussi soigne ce qu’elle a considéré comme étant un mépris des Européens par une politique impérialiste dont les effets déstabilisateurs sur le bassin méditerranéen sont évidents ; on le voit encore actuellement en Syrie. Bien sûr, il y a le terrorisme – vous l’avez cité tout à l’heure – avec les risques de déstabilisation sur l’ensemble du continent africain, dont nous voyons bien que les effets, notamment en termes de migration, mais également en termes économiques, peuvent être importants sur l’Europe.

Face à cela, je pense qu’il est utile – en tout cas, c’est la volonté du groupe UDI, Agir et indépendants – de réaffirmer un certain nombre de positions. Premièrement, les États-Unis sont pour nous des alliés indéfectibles parce que nous partageons une même vision du monde et des valeurs communes ; c’est quand même ce qui est aujourd’hui le plus important dans les relations internationales. Nous sommes évidemment favorables à ce qu’il puisse y avoir non seulement une défense européenne autonome, mais pourquoi pas un jour une armée européenne, à condition bien sûr qu’elle soit accompagnée d’une démocratie européenne, parce qu’une armée ne peut pas aller au combat s’il n’y a pas de chef et de décisionnaire et s’il n’y a pas derrière un peuple pour lequel elle combat. Nous sommes face à la nécessité pour l’Europe de trouver également des coopérations avec la Russie et la Turquie ; nous le croyons nécessaire, notamment dans le cadre du Conseil de l’Europe parce que l’on ne peut pas avoir deux grands peuples qui ont également une grande histoire comme voisins si l’on n’a pas une stratégie à leur égard. Cette stratégie ne peut pas être simplement défensive et militaire. Elle doit être proactive pour faire en sorte que nous trouvions ensemble les moyens d’affirmer la paix dans le XXIe siècle.

M. Jean-Michel Clément. À la veille du 70e anniversaire du traité de l’Atlantique Nord, il est en effet important de s’interroger, mais n’est-il pas déjà trop tard pour qui veut croire encore à l’efficience de ce traité ? Un simple regard sur les quinze dernières années devrait nous alerter. En 2003, les Américains envahissaient l’Irak sous un prétexte fallacieux et provoquaient le chaos actuel que nous connaissons au Proche-Orient. L’OTAN laissa faire et 16 pays membres de l’Union européenne y participèrent. Plus tard, les mêmes, mais pas seuls, déclenchèrent une guerre en Libye dont l’issue n’est toujours pas trouvée, provoquant la déstabilisation de l’État libyen, la fuite de sa population, dont nombreux sont ceux qui périssent en mer aujourd’hui. En 2015, ce sont encore les Américains, seuls cette fois, qui remirent en cause l’accord nucléaire iranien avec l’Iran et l’Iran est aujourd’hui en crise. L’Europe feint de s’y opposer mais rentra dans le rang devant la menace de sanctions économiques. Je pourrais aller même jusqu’à l’ingérence américaine relayée en Amérique latine, reconnaissant l’opposition contre le gouvernement légal. Va-t-elle faire de même en Bolivie ou fermer les yeux si la Chine envahit Hong Kong ? Enfin, les Américains n’ont-ils pas livré les Kurdes à l’armée turque, sans consulter leurs « alliés » européens de l’OTAN, pourtant présents sur place ? Je relèverai le tweet de Donald Trump : « J’espère qu’ils se débrouilleront tous. Nous sommes à 11 000 kilomètres. » N’est-il pas suffisant pour que l’Europe comprenne qu’elle est reléguée au rang de protectorat de l’Amérique aujourd’hui ? L’Europe va-t-elle continuer à se mentir ? L’OTAN vit une crise que seuls l’Europe et son secrétaire général refusent de voir. N’est-il pas temps d’interroger l’OTAN sur ses rapports avec la Russie et de poser la question des conséquences de l’émergence militaire de la Chine, prompte à en faire la démonstration ? J’entends qu’il y a des débats parfois virulents dans cette structure, avez-vous dit, Monsieur Grand. Je peux m’en féliciter, mais débattre suffit-il ? Un nouveau cadre doit, selon moi, être posé par l’Europe, pour l’Europe et ensuite envisager ces rapports aux autres puissances de ce monde, sans quoi nous aurons encore discuté une fois pour rien.

Mme Clémentine Autain. Depuis le début de cette séance, je trouve notre discussion d’une étrange sérénité par rapport aux enjeux géopolitiques actuels et aussi aux discussions qui existent réellement sur l’idée même de quitter l’OTAN pour la France, mais peut-être pour d’autres. Même Emmanuel Macron dans The Economist a prononcé cette phrase : « ce que nous sommes en train d’expérimenter, c’est la mort cérébrale de l’OTAN ». Pour ma part, je ne parlerai pas de mort cérébrale, mais il me semble qu’à l’occasion de ce 70e anniversaire de l’OTAN qui va être fêté au mois de décembre, le moins que l’on puisse dire est que l’OTAN est un cadre obsolète par rapport aux défis contemporains et que la France s’honorerait à quitter ce cadre, parce que l’OTAN a perdu son rôle de défense pour être de plus en plus offensive. Elle est devenue une sorte de machine de guerre et une organisation concurrente à l’Organisation des Nations unies (ONU). La position de notre groupe est connue. Vous savez que nous ne sommes pas d’accord avec la présence dans l’OTAN et avec son cadre. Nous pensons qu’il n’y a pas d’autre solution à l’échelle internationale que de se reposer sur les droits. Or la seule instance qui pour l’instant peut les faire valoir et devrait être renforcée est davantage l’ONU, avec une sortie de l’OTAN nécessaire.

Pour mémoire – puisque je dis que c’est une machine de guerre – en 2018, l’OTAN a conduit une opération en Norvège qui était l’une des plus grosses manœuvres militaires depuis la guerre froide. Nous avons eu l’Afghanistan, le Kosovo. Nous sommes bien devant une OTAN qui a pour activité majeure de faire la guerre.

Par ailleurs, et ce n’est pas anodin dans ces choix, l’OTAN est sous tutelle américaine et met la France sous tutelle américaine. L’objectif pour les Américains, nous le savons, est notamment de nous faire acheter du matériel militaire américain. Je pense en particulier à l’avion F-35. En plus, nous avons des rapports tout à fait déséquilibrés puisque – chacun a en tête l’affaire Snowden – nous voyons bien que le Pentagone est dans une logique d’espionnage parfois massif de l’armée française et en particulier, je pense au cas de notre armée maritime qui a été espionnée dans différents cas.

Enfin, dans l’autre sens, il est vrai que nous ne sommes pas informés de ce que décident de faire les États-Unis. Quelqu’un l’a dit tout à l’heure de façon très feutrée, mais quand Trump décide de retirer ses troupes en Syrie, je vous signale que nous l’apprenons par un tweet ; et il faut voir quel tweet : « J’espère qu’ils se débrouilleront tous. Nous sommes à 11 000 kilomètres », un niveau de provocation rarement égalé. Le président américain devient même une menace pour la paix dans le monde ; il faut en prendre tout à fait conscience.

Non seulement il y a cet allié américain menaçant, mais nous avons un autre allié qui s’appelle la Turquie, qui lui aussi, par rapport à un enjeu planétaire majeur qu’est la lutte contre le djihadisme, ne nous apparaît pas tout à fait comme un allié intéressant. Je le dis de façon mesurée, mais quand la Turquie pourchasse nos alliés kurdes qui ont combattu sur le terrain contre Daech et qu’elle demande à l’OTAN de classer le parti kurde PYD comme un parti terroriste, nous avons un problème. La Turquie le fait avec la bienveillance de Washington, qui s’en accommode parce qu’en contrepartie, Washington demande de surveiller les frontières maritimes de la Russie. On sait bien que la Turquie compte sur les États-Unis pour son armée puisqu’elle commande à 60 % du matériel américain. Nous sommes bien sous tutelle.

Il me semble que la question dont nous devrions débattre dans ce moment et au Parlement, c’est de la pertinence aujourd’hui de rester dans ce cadre de l’OTAN. Nous le disions depuis longtemps que ce n’était pas le bon cadre, mais j’estime que la période toute récente invite cette question comme une urgence si nous voulons retrouver de la souveraineté. Il faut que nous prenions un peu au sérieux cette question et que nous n’en débattions pas de façon feutrée comme si nous étions dans un moment calme, comme si nous en débattions comme il y a dix ans, vingt ans ou au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Les équilibres du monde ne sont pas les mêmes et donc il y a des mesures à prendre pour la France de façon assez urgente, me semble-t-il.

M. Jean-Paul Lecoq. En ce qui concerne la position du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et des députés communistes, vous la connaissez également. Vous savez que dès l’origine, nous étions contre cette organisation et ce traité de l’Alliance atlantique, mais, aujourd’hui, démonstration est faite que ce qui a été porté et dit pendant des décennies se démontre. Il n’y a plus personne, en tout cas, je n’en ai pas entendu ce matin, pour faire la démonstration que les Américains n’étaient pas la tutelle de l’OTAN. Il n’y a plus personne, en tout cas, je n’en ai pas entendu ce matin, pour nous expliquer que tout ce qui est dit sur les achats d’armes, sur le contrôle par les États-Unis de l’ensemble des communications, sur les décisions concernant les interventions de l’OTAN, ne sont pas sous l’autorité du président des États-Unis. Il n’y a personne pour l’avoir dit. En tout cas, je ne l’ai pas entendu dans cette salle.

Aujourd’hui, il n’y a plus la menace de l’Union soviétique et nous n’avons pas comme ennemi la Russie – jusqu’à preuve du contraire – même si les Américains, eux, peuvent avoir comme ennemi la Russie, mais ce n’est pas le cas de la France ou l’Europe. Nous considérons qu’il faut aussi travailler et œuvrer au désarmement nucléaire avec force, puisque l’OTAN est un outil aussi de déploiement de l’arme atomique sur le sol européen, et notamment de l’arme atomique américaine. Des missiles, jusqu’à preuve du contraire, sont préprogrammés avec des objectifs – quels sont-ils ? – sur le sol européen. Vers qui sont tournés les missiles nucléaires qui y séjournent ? Vers qui doivent-ils intervenir, puisque nous n’avons pas d’ennemi à proximité ? Une multitude de questions concernant la paix, concernant les relations internationales, est posée avec la question de la présence dans l’OTAN. Nous souhaitons les poser en ces termes-là.

L’OTAN est un bras armé que l’on peut, que l’on doit, peut-être, utiliser lorsque les relations diplomatiques ne permettent plus de garantir la paix, la liberté, ou les valeurs qui sont censées nous réunir dans l’OTAN. Quelle est la diplomatie correspondant au bras armé de l’OTAN ? Qui ? L’ONU ? Dans l’état où cette organisation se trouve, y compris par l’attitude des Américains, on s’aperçoit que ce n’est pas l’outil diplomatique. L’Europe, outil diplomatique ? La puissance diplomatique de l’Europe – quelqu’un peut-il nous la démontrer ce matin ? – pourrait conduire éventuellement à la construction d’une armée européenne, qui répondrait à l’espace et à la volonté diplomatique de l’Europe. Chacun sait bien que nous n’en sommes pas là, et qu’il y a encore beaucoup de chemin à faire. D’ailleurs, il faudrait que les peuples européens décident de franchir ce pas à la fois de l’outil diplomatique en parlant au nom de tous, légitimement, et de l’outil militaire puissant, protégeant l’Europe et répondant aux attentes de tous derrière la diplomatie. Nous voyons bien ce matin que nous n’en sommes pas encore là.

Nous n’avons pas d’ennemis. Nous n’avons pas encore de diplomatie européenne. Nous n’avons pas de diplomatie internationale de niveau suffisant et en termes de non-domination de quelque État que ce soit. La question de l’existence même de l’OTAN est posée avec force. Ce débat-là, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine pense qu’il doit être posé au niveau des peuples. Nous pensons que le peuple français doit avoir l’opportunité de dire au regard de tout ce que nous avons vu ces quinze dernières années si nous décidons de rester dans l’OTAN ou pas. Œuvrons-nous réellement à la création d’un autre outil, ou pas ? Décidons-nous de poursuivre le désarmement nucléaire, ou pas ? Ces questions relèvent de la décision du peuple et pas uniquement de la décision du Parlement ou du Président de la République, même si parfois, on nous explique que c’est le domaine réservé du Président de la République. Non, c’est le domaine réservé du peuple. La question de la bombe atomique, nous savons tous ici et maintenant que nous allons dépenser plus de dix millions d’euros pour la modernisation de notre bombe atomique et chaque jour pendant cette année. La question d’un référendum qui permettrait au peuple français de se prononcer sur ces enjeux qui le concernent en premier parce que cela concerne la paix et donc son avenir est posée. Les députés communistes et le groupe de la Gauche démocrate et républicaine pensent que ce débat doit se poursuivre, mais en allant plus loin, notamment en abordant ces questions.

M. Éric Girardin. Je m’associe à l’hommage rendu à nos soldats morts au combat.

Membre fondateur de l’OTAN, la France n’a pourtant pas hésité à quitter cette instance en 1966 sous l’impulsion du général de Gaulle. Un coup d’éclat diplomatique, une décision qui s’inscrit en fait dans la volonté de doter la France d’une politique de défense indépendante. En quittant le commandement militaire intégré de l’OTAN, le général de Gaulle cherchait moins à réformer l’Alliance qu’à mener la politique étrangère de la France en toute indépendance. « Ce que nous sommes en train de vivre, c’est la mort cérébrale de l’OTAN », a déclaré le président Macron dans une interview à l’hebdomadaire The Economist de novembre dernier. En utilisant cette expression, le chef de l’État adopte en quelque sorte la même stratégie que le général de Gaulle, un coup d’éclat médiatique et diplomatique pour tendre vers, non pas une politique de défense française indépendante, mais pour une politique européenne de défense. Mais que penser de l’insistance de Donald Trump sur le partage du fardeau financier ? Les vives accusations du président américain contre les Européens qui ne dépenseraient pas assez pour leur défense doivent d’abord être interprétées comme une technique de négociation pour affaiblir l’OTAN. Son objectif n’est autre que de négocier plusieurs accords bilatéraux de sécurité réciproque, en priorité avec les États qui se considèrent sous la menace russe, tels la Pologne ou les États baltes. Si tel était le cas, ne pensez-vous pas que les États européens seraient contraints d’envisager sérieusement la perspective d’une défense européenne commune qui ne pourrait être construite que dans le cadre d’une alliance classique d’États-nations ou peut-être même d’une Alliance atlantique sans les États-Unis ? En somme, Donald Trump ne fait-il pas le jeu d’Emmanuel Macron ?

M. Guy Tessier. Il y a 70 ans, l’OTAN était créée. Aujourd’hui, face à une modification brutale du contexte sécuritaire international ainsi qu’à des tensions internes qui génèrent des inquiétudes sur sa capacité à continuer à remplir sa mission stratégique, il est légitime de s’interroger. L’OTAN est traversée par une crise interne majeure, frappée par la perte d’une vision stratégique commune. Chacun se souvient des dissensions qui avaient émaillé le sommet de Bruxelles de 2018 lorsque le président américain avait vilipendé ses alliés jugés incapables de fournir des efforts estimés nécessaires pour assurer leur propre sécurité, ce qui, soit dit en passant, n’est pas tout à fait faux. Le positionnement individuel, voire individualiste, de certains pays prennent également le pas sur l’intérêt commun ; certains pays allant même jusqu’à mener des actions aux conséquences potentielles pour toute l’Alliance, sans information ni coordination préalable, chacun regardant avec inquiétude les actions, notamment de la turbulente Turquie, comme l’a présenté tout à l’heure le général Bentégeat.

Deuxièmement, cette crise stratégique s’inscrit au sein même de l’OTAN alors que cette dernière est précisément le résultat de l’intégration aux côtés des premiers pays membres de ceux de l’ancien pacte de Varsovie. Souvenez-vous de cette phrase, que nous utilisons beaucoup à l’occasion des mariages, de Saint-Exupéry : « l’important n’est pas de se regarder l’un l’autre, mais de regarder ensemble dans la même direction ». On ne peut que constater qu’aujourd’hui, la direction diffère. En 2019, l’Alliance reste régie par le concept stratégique de 2010 qui était caractérisé par un « engagement actif, défense moderne » et qui fonde la posture fondamentale de l’OTAN c’est-à-dire une posture à 360 degrés. Certes l’Alliance a su évoluer au cours de la dernière décennie, mais ces ajustements n’emportent pas le même effet structurel que l’adoption d’un nouveau concept stratégique dans un environnement en permanente mutation.

S’il importe de réécrire un concept stratégique commun, ce concept ne pourrait-il pas se développer de la manière suivante : pour ce qu’il est convenu d’appeler les concepts à basse intensité, je reprendrai le concept que nous avons connu en Yougoslavie, où nous avons été obligés de demander à l’OTAN d’intervenir, notamment avec son aviation. Ce type de concept pourrait être réglé par une armée européenne, en tout cas, une défense commune européenne plutôt ; je ne crois pas à une armée européenne. D’autre part, les conflits de haute intensité pourraient être pris en compte par l’OTAN. En quelque sorte, il y aurait un partage de la tâche ou du fardeau, suivant que l’on veuille prendre une expression ou une autre. J’attends vos éclaircissements là-dessus.

Mme Brigitte Liso. Je m’associe évidemment à l’hommage rendu à nos soldats tombés au Mali et mes pensées vont vers leurs treize familles.

Nos militaires français s’engagent partout en France et dans le monde au péril de leur vie. Grâce à la politique de sécurité et de défense commune, des victoires sont partagées avec nos voisins européens. La France s’est engagée à construire une véritable Europe de la défense, mais l’obligation d’un vote à l’unanimité des 27 bloque toute avancée. Néanmoins, plusieurs succès multilatéraux ou bilatéraux sont à noter ; je pense à la coopération structurée permanente, le Fonds européen de défense ou encore le futur avion de combat franco-allemand. Cette méthode à petits pas donne quelques résultats, mais quelle est notre réelle capacité d’intervention européenne ? Bien que capable d’intervention rapide, l’OTAN est fragilisée par des logiques d’État imprévisibles. Face à des crises mondiales complexes, nous devons être davantage mobilisables, sans pour autant former une armée stricto sensu. L’idée d’un porte-avions européen que l’on évoque en ce moment mériterait discussion.

Mes questions sont les suivantes : que deviendrait l’OTAN dans le cas d’une Europe de la défense ? Malgré le faible budget européen annoncé pour 2021 à 2027, pensez-vous qu’une coopération opérationnelle renforcée dans des domaines stratégiques comme le naval ou l’aérien est envisageable ?

Mme Frédérique Dumas. J’ai un point de vue un peu différent de ce qui s’est exprimé, puisque je ne partage pas celui de ceux qui approuvent les propos du Président de la République. Je pense que ce n’est pas juste ; il n’y a pas de mort cérébrale. On peut déplorer des rapports de force qui ne conviennent pas, mais je pense que certains peuvent les exercer. Ce n’est pas la meilleure manière de bouger les lignes puisque cela a créé les deux choses que l’on redoute la plupart du temps : la France est souvent perçue comme arrogante et deuxième chose, c’était dans un contexte. Le président a parlé de la nécessité d’une alliance stratégique avec la Russie. Or, comme cela a été rappelé, ce n’est pas partagé par l’ensemble des pays, notamment de l’Union européenne, et à l’intérieur de l’OTAN. Ce n’était pas la meilleure manière de ne pas créer un climat anxiogène pour certains pays.

Je rappelle aussi que les Américains ne sont pas si peu présents en Europe. J’ai cru comprendre que Donald Trump avait annoncé un exercice militaire important en avril-mai où il va transporter 20 000 hommes en Europe pour montrer, notamment aux pays de l’Est, que l’Amérique est bien présente à leurs côtés. Je pense que ce n’est pas aussi blanc et noir.

Le Président de la République a lui-même, quelque temps après, parlé du fait que la France était un pilier de l’OTAN donc c’est un peu contradictoire, et je pense qu’évidemment la Turquie est aussi un pilier de l’OTAN. On peut dire tout ce que l’on veut, nous avons passé un accord en 2016 sur 3,5 millions, voire 4 millions de réfugiés. Nous sommes pris en otage par cet accord, notamment. Nous avons organisé notre propre impuissance.

Vous avez, général, parlé du fait que la Turquie voyait d’un mauvais œil un accord stratégique privilégié de l’Union européenne avec l’Angleterre. Je ne connaissais pas ce projet. Pourriez-vous préciser pourquoi et comment ?

Pour aller aussi dans le sens des interventions, j’ai le sentiment que si l’on veut donner trop d’ambition à l’OTAN, à travers notamment des projets politiques et autres, on n’y arrivera jamais. Les choses que l’on peut constater, c’est qu’il y a deux désaccords sur la perception des menaces, comme vous l’avez aussi évoqué ; ceux qui ont le sentiment que la menace vient plutôt de la Russie – malgré les propos de mon collègue, certains le pensent – et ceux qui pensent que cela vient plus de la Méditerranée et du terrorisme. Ne pourrait-on pas se mettre d’accord ensemble sur le partage des menaces des uns et des autres ? Ce n’est pas en mettant en avant les menaces que nous percevons nous-mêmes que les autres seront d’accord avec nous, ni l’un ni l’autre. Si nous pouvions juste nous mettre d’accord de manière pragmatique sur notre sécurité et donc faire partager par les uns et les autres nos problèmes respectifs, ce serait peut-être un chemin vers une alliance. À la différence de certains de mes collègues, je pense que si nous devons assurer notre sécurité, il est évident que nous avons besoin de l’OTAN. Il n’y a pas d’autre alternative aujourd’hui que l’OTAN sur le caractère opérationnel immédiat pour maintenir et préserver la sécurité.

Mme Anne Genetet. Je m’associe évidemment à tous les hommages qui ont été rendus à nos soldats tués. Je voudrais témoigner aussi notre infinie reconnaissance, comme l’a dit le Premier ministre hier, à nos forces armées.

L’interview du Président de la République au journal The Economist s’agissant de l’OTAN a fait grand bruit. Il a obligé beaucoup de nos partenaires à prendre position. Il faut certainement s’en réjouir. À ce propos, je voudrais justement citer l’interview ce matin même de notre ministre Jean-Yves Le Drian dans La Provence, qui dit : « La semaine dernière, avec mon homologue allemand, nous avons mis une proposition simple sur la table : confier à des personnalités politiques un travail de réflexion sur les valeurs, les objectifs et les moyens de l’OTAN. Elle a recueilli un large soutien. Une prise de conscience collective a commencé. Chacun comprend, par exemple, que les Européens doivent être plus responsables et plus proactifs pour assumer une part plus importante du fardeau et de l’action au sein d’une relation transatlantique. Pour être très clair, dit notre ministre, je suis convaincu qu’il n’y aura pas plus de défense européenne sans OTAN que d’OTAN crédible sans renforcement des engagements de défense européens. » Ces réactions s’entendent parfaitement, compte tenu de l’histoire et du rôle de l’organisation, mais je trouve qu’elles sont aussi inquiétantes. Personne à ce jour ne semble envisager l’éventualité que peut-être, les États-Unis ne veulent plus être les gendarmes de l’Europe ou du monde et en particulier, cela a été dit, ce n’est pas une lubie. Au lendemain de l’interview du secrétaire général, Newsweek nous apprenait par une source interne de la Maison-Blanche que le président des États-Unis, M. Donald Trump, estimait que les États-Unis étaient « violés » par l’OTAN et qu’il souhaiterait sortir de l’organisation. Ce n’est donc pas une lubie parce qu’il l’avait déjà exprimé en 2016 pendant sa campagne électorale. Il s’est depuis montré ouvertement critique, notamment s’agissant des budgets ; cela a été évoqué ici. Cette question résonne auprès d’une grande partie de son électorat après l’Irak et l’Afghanistan. Ma question est simple : quel avenir envisager pour l’OTAN si, demain, les États-Unis devaient la quitter ?

M. Nicolas Dupont-Aignan. Je vous renvoie à des textes du général de Gaulle avant 1966, notamment la lettre écrite au président américain. C’était il y a plus d’un demi-siècle et il avait anticipé le caractère multipolaire du monde. Ce qui est fascinant, c’est que 53 ans après, nous sommes en train d’essayer de comprendre pourquoi l’OTAN explose en plein vol, mais c’est tout simplement parce qu’un outil de défense n’est qu’au service d’une politique étrangère. C’est d’ailleurs parce que Donald Trump a sa propre politique étrangère qu’il n’est pas d’accord avec ce qu’a fait l’OTAN. C’est parce que la Turquie a sa propre politique étrangère qu’elle s’exonère de ses responsabilités. Malheureusement, la France, qui avait pu conquérir peu à peu une certaine autonomie stratégique, a opéré un contresens total en 2009 en rentrant dans le commandement militaire intégré de l’OTAN. Je vous rappelle qu’à l’époque, nous avions très fortement critiqué cette réintégration. On nous avait expliqué que cela allait être formidable, que nous allions influencer l’OTAN, que nous allions construire une politique européenne et que si nos partenaires européens ne voulaient pas construire une politique européenne, c’est parce que nous n’étions pas dans le commandement militaire intégré de l’OTAN.

Or en vérité, c’est un fiasco intégral : obsession contre-productive contre la Russie parce que les menaces ont changé, comportement absolument scandaleux de la Turquie avec une soumission des Européens, contradiction des Américains qui veulent se désengager, mais qui veulent continuer à vendre leurs équipements et l’acheter de nos partenaires européens qui sont ravis de profiter de l’argent américain et du sacrifice de nos soldats pour s’exonérer du fardeau. La vraie question aujourd’hui est que l’OTAN est contraire aux intérêts de la France et que notre pays doit quitter cette organisation. C’est la meilleure façon, à terme, de construire une politique européenne. Mme Genetet vient de citer les déclarations de M. Le Drian qui me paraissent totalement contre-productives. Il n’y aura pas de construction de défense européenne dans le cadre de l’OTAN parce que l’OTAN interdit une autonomie stratégique européenne. Nous ne pourrons construire un pôle de défense européen à terme non pas par une unité, mais par des coopérations techniques, ne serait-ce que militaires, que si c’est au service d’une indépendance stratégique. Voilà pourquoi cette organisation est vouée à mourir. Elle mourra à la fois par les Américains et, je l’espère, par les Français. D’ailleurs, c’est intéressant, je crois que l’un des experts de l’OTAN a dit qu’il n’y avait que trois pays respectés : les États-Unis, la Turquie et la France. Pourquoi ? Parce qu’ils défendent leurs intérêts ; la France l’a fait à un moment.

La parole du Président de la République est assez bienvenue. Pour une fois, je suis d’accord. C’est une mort cérébrale parce que cet outil n’est plus adapté aux menaces du temps présent et ne répond pas au désir des peuples qui constituent cet outil. Que l’on garde une organisation atlantique pour échanger ne me gêne pas, et il y aura besoin de coopération. En revanche, il est urgent que la France retrouve sa liberté – liberté stratégique et liberté de matériel militaire – et mette au pied du mur nos partenaires européens. Sinon, nous rentrerons dans un sable mouvant supplémentaire qui serait celui d’une pseudo Europe de la défense qui sera soumise à l’OTAN et donc totalement impuissante.

Enfin, je voudrais dire que pour que nous ayons une politique étrangère indépendante, il faut que nous ayons un outil performant. Cela pose la question des matériels, de l’investissement de la nation et de l’investissement de nos partenaires. En tout cas, la France doit maintenir son effort de défense très fortement et doit inciter nos partenaires à faire de même, mais ne pas céder à cette organisation qui aujourd’hui joue ouvertement contre nos intérêts.

Mme Mireille Clapot. Je vais associer à ma question Nicole Trisse, présidente de la délégation française à l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe qui a dû s’absenter. Cette question concerne la Russie. La Russie, cela a été dit, reste pour 11 pays de l’OTAN la menace principale et l’OTAN, l’organe protecteur et salvateur. La France en revanche travaille à réduire la défiance avec la Russie. Ce dialogue entre l’OTAN et la Russie existe à travers le conseil OTAN-Russie (COR). Vous l’avez dit, les points de divergence et les points de convergence sont connus et gérés par cet organe qui, hélas, est en panne. Mais sur le terrain, les exercices ont un fort impact psychologique. Prenons par exemple les exercices de la Russie qui avait montré ses muscles par Zapad 2017 et Vostok 2018 avec la Chine. De son côté, pour ne citer que les plus récents, l’OTAN a mené des exercices géants en juin 2018 en Pologne et dans les pays baltes et en octobre 2018 au large de la Norvège. Plus grave, il est bien possible que les provocations russes en Géorgie et en Ukraine se soient faites en réaction à l’éventualité de l’entrée de ces pays dans l’OTAN. Enfin, il n’est pas envisageable que les pays baltes soient déstabilisés dans un avenir proche ou lointain. Pour revenir au politique, vous avez mentionné le nécessaire équilibre entre le politique et le militaire ; comment voyez-vous la position de la France sur la relation OTAN-Russie dans ce cadre tendu ?

Mme Anissa Khedher. Je m’associe aux hommages rendus à nos treize soldats. J’ai une pensée émue pour leurs familles et pour leurs frères d’armes.

J’aimerais vous poser une question sur l’avenir de l’OTAN et sur les enjeux futurs auxquels nos pays, nos continents, vont être confrontés. Chaque jour, nous prenons de plus en plus conscience du réchauffement climatique et de ses conséquences sur notre sécurité. Certaines d’entre elles sont déjà des réalités dans plusieurs régions du monde et impactent directement les populations. Elles font partie de notre discussion au sein de l’assemblée parlementaire de l’OTAN ; ce fut le cas notamment lors de nos rencontres avec les autorités islandaises, norvégiennes, inquiètes de la montée des tensions en Arctique. La montée des eaux ou encore l’insécurité alimentaire ont pour conséquence d’amplifier les migrations qui peuvent à leur tour générer des instabilités, voire des conflits. Face à ces enjeux, je voudrais connaître votre analyse sur les enjeux internationaux de défense liés au changement climatique. Dans ce contexte, le retrait des États-Unis des accords de Paris et la difficulté de l’OTAN à avoir une position commune sur ce sujet ne démontrent-ils pas une nouvelle limite de l’Alliance transatlantique ?

M. Charles de la Verpillère. J’ai écouté avec beaucoup d’attention les interventions des trois experts que nous avons invités. Leurs propos étaient très intéressants, mais parfois aussi bien lénifiants, prudents. Le contraste est frappant avec ce qu’a dit, à tort ou à raison, le Président de la République dans cette fameuse interview à The Economist en affirmant que l’OTAN est en état de mort cérébrale. Il faut voir la portée de ces propos.               Quelqu’un qui est en état de mort cérébrale, soit on le débranche, soit on continue à le perfuser en glucose, mais il n’y a pas de troisième solution. On voit bien l’écart entre ce que nous ont dit les experts et ce que laissent imaginer les propos du Président de la République. En tout cas, sans aller aussi loin que le Président de la République, je pense que nous ne pouvons pas en rester là, qu’il y a évidemment des solutions drastiques : la dissolution de l’OTAN ou la sortie de la France de l’OTAN. La ligne sur laquelle il faut travailler et les pistes qu’il faut explorer sont celles de configurations de défense différentes en fonction de la nature des menaces auxquelles nous faisons face. Nous voyons bien que se prémunir contre une éventuelle agression de la part des grandes puissances que sont la Russie et la Chine n’est pas la même chose que de lutter contre le terrorisme en Afrique ou au Moyen-Orient. C’est plutôt cette piste qu’il faudrait explorer.

Mme Natalia Pouzyreff. Hier, je participais à la conférence sur la sécurité à Berlin. Si j’ai pu y entendre quelques commentaires acerbes sur les déclarations du président Emmanuel Macron, je dois dire qu’il y a plus qu’un bruit de fond, plutôt, un vrai questionnement qui se fait entendre parmi nos partenaires européens sur la posture américaine, l’absence de concertation, mais aussi le tropisme américain par rapport à l’Asie, et plus particulièrement la Chine. L’interrogation porte sur la volonté des Américains et donc la capacité de l’OTAN à réellement protéger les pays européens.

J’ai bien entendu ce que vous disiez sur le fait que l’OTAN est plus un outil militaire qu’un forum politique. Néanmoins, on voit bien que la question se pose, comme l’a dit ma collègue, Mme Clapot, sur le lien entre la politique étrangère et l’action militaire. Quant à la Russie, son représentant a appelé de ses vœux à la reprise du dialogue entre l’OTAN et la Russie, plutôt dans une perspective d’échanges entre militaires, mais avec bien sûr comme prérequis que l’OTAN sorte de sa logique de guerre froide. Est-il véritablement envisageable de reprendre ce dialogue entre l’OTAN et la Russie ? Est-ce même souhaitable sur le plan politique pour l’Union européenne ? Cela sera-t-il utile véritablement, par exemple, si l’on se réfère à la crise iranienne ?

Y a-t-il un consensus entre vous trois qui nous permette de faire la part des choses entre les causes qui ont entraîné le tournant pris par la politique russe en 2014 et le fait que cela a été causé par une réaction directe au projet d’extension vis-à-vis de l’Ukraine et de la Géorgie ? Ou s’agit-il plus d’un opportunisme russe ?

M. Philippe Michel-Kleisbauer. Je voudrais demander aux experts un retour d’expérience sur cette question du COR qui a été abordée par ma collègue, même si je ne définis pas de la même manière qu’elle la question des provocations en Géorgie ou en Ukraine, puisqu’il s’agit vraiment d’une guerre. En Ukraine, c’est 14 000 morts et 1,2 million de déplacés. Ce COR avait été créé en 1997 et a été suspendu en 2014 en mesure de rétorsion par rapport à cette élection en Crimée dans le Donbass. Ne s’agit-il pas d’un outil qui pourrait nous être utile ? Un peu comme le disait Natalia à l’instant, pour envisager des formes de coopération et peut-être même se tourner sur le flanc sud, comme le disait notre collègue et président de la délégation française à l’AP-OTAN, Philippe Folliot. Le COR, je crois, continue quand même à fonctionner sous forme d’un dialogue limité, structuré et circonstancié.

Mme Séverine Gipson. Je souhaite tout d’abord honorer la mémoire de nos treize soldats et avoir une pensée émue pour leurs familles et leurs frères d’armes.

Ma question s’adresse à M. Jean-Pierre Maulny. Vous mentionniez l’article 4 de la concertation. Or, nous l’avons vu, celui-ci n’a pas été mis en œuvre suite à l’offensive turque en Syrie. Comment, selon vous, faire en sorte que la concertation se trouve au cœur du mode de fonctionnement de l’Alliance ? Faut-il aller jusqu’à changer les modes de décision au sein de l’OTAN pour garantir un dialogue préalable à toute intervention militaire ?

M. Jean-Louis Thiériot. J’ai été frappé en vous écoutant – et avec ce que l’on constate – par le parallèle entre la difficulté de faire de l’organisation du traité de l’Atlantique Nord une alliance politique, notamment dans la définition des objectifs et des menaces – est-ce le flanc sud ou est-ce le flanc est qui est le plus important ? – et la difficulté de promouvoir l’autonomie stratégique européenne au sein de l’Union européenne, où l’on a finalement la même difficulté à prioriser les menaces et à se mettre d’accord sur les objectifs et les moyens. Je ne pense pas qu’il y ait une différence majeure entre l’OTAN et l’Alliance face à la définition de la menace et des périls. Ma question est simple : comment dépasser ces intérêts nationaux extrêmement divergents ? Comment faire face au désengagement éventuel des États-Unis ? J’ai été frappé par ce que disait Camille Grand sur le fait que l’on assistait à une forme de remontée en puissance de la présence américaine ; l’exercice Defender prend la suite de Reforger qui existait jusque dans les années 1990. À court terme, c’est peut-être rassurant, mais vous le disiez vous-même, la politique de Donald Trump est, avec le basculement vers l’Asie, dans la continuité de ce qui avait déjà été arrêté par le président Obama. Comment faire face à cette menace en tenant compte d’intérêts qui sont divergents à tous les niveaux ?

M. Jean-Charles Larsonneur. Une question simple, mais à multiples tiroirs : au point où nous en sommes, que pouvons-nous faire avec l’allié turc ? Je pense que nous avons raté une occasion historique au moment de l’extinction de l’Union de l’Europe occidentale ; cela a été dit par le général Bentégeat. Nous avons aussi manqué la possibilité d’associer plus étroitement la Turquie à l’UE. Aujourd’hui, nous avons un partenaire, un allié, au sein de l’Alliance qui est turbulent, avec des conséquences à Chypre, des conséquences évidemment en Syrie, des conséquences sur le plan capacitaire ; nous avons évoqué les missiles. J’ai été très intéressé aussi par ce retour sur l’idée qu’aujourd’hui, la Turquie est un partenaire difficile qui s’était opposé à de nombreuses reprises à des négociations avancées entre elle et l’OTAN et qui demain sans doute, dans les relations que nous aurions avec le Royaume-Uni, ne serait pas un partenaire facile. Concrètement, que peut faire l’UE ? Que peut faire l’OTAN ? Ces consultations politiques qui s’ouvrent au niveau de l’OTAN sont-elles un bon canal, un bon moyen d’ouvrir une nouvelle phase des relations avec la Turquie ?

M. Jacques Marilossian. L’OTAN est une alliance militaire, c’est bien sa spécialité en tant qu’organisation, mais comme l’a indiqué le Président de la République, c’est bien sa finalité politique aujourd’hui qui est en question. Nous savons que les pays européens ont repris leurs investissements en matière de défense ; c’est bien, mais encore faudrait-il que cet argent serve des objectifs réellement politiques, précis, et non apparemment à financer ce que l’on appelle le complexe militaro-industriel américain, dans un contexte où, certains l’ont déjà dit, il est difficile de regarder la Russie comme plus menaçante que l’Union soviétique et le Pacte de Varsovie.

Le forcing politique effréné conduit par les États-Unis ce printemps contre le Fonds européen de défense est, me semble-t-il, un signe de la volonté américaine de freiner le développement de l’autonomie stratégique européenne. Les Américains peuvent-ils reconnaître que ce fameux partage du fardeau de l’Alliance passe aussi par le développement d’une certaine autonomie stratégique européenne et admettre avec les Européens eux-mêmes que l’OTAN n’est pas le cadre unique de la défense des intérêts de l’Europe ?

Mme Valérie Boyer. Je réitère toute ma compassion pour nos valeureux enfants qui sont tombés au Mali.

Effectivement, aujourd’hui, nous devons nous interroger sur l’OTAN après avoir été si silencieux pendant de longues années, notamment par rapport à la Turquie. Je sais que mes collègues de la commission des Affaires étrangères sont peut-être lassés de mes multiples interventions sur la Turquie, mais Monsieur Bentégeat, vous venez de le dire, comment, aujourd’hui, pouvons-nous considérer que ce pays porte le nom d’allié ? Un pays qui n’est pas en phase avec sa mémoire et qui est même dans le négationnisme. Un pays qui occupe un État de l’Union européenne, je parle de Chypre et d’ailleurs, tout le monde – je vais être triviale – s’en fichait de Chypre ou avait totalement oublié que Chypre était occupée par la Turquie, dans des conditions en plus particulièrement dures sur le plan des droits humains et des droits des femmes. Il faut quand même ne pas l’oublier. M. Erdogan s’est rappelé à notre bon souvenir en fêtant la libération de Chypre du Nord récemment, puisqu’aucune provocation ne lui échappe. Je ne vais pas revenir sur l’ambiguïté de la Turquie lors de la guerre en Irak et en Syrie, du massacre des Kurdes et des menaces quasi quotidiennes qu’il fait vis-à-vis de l’Union européenne.

Notre problème aussi, c’est l’Allemagne, qui négocie seule avec la Turquie, souvent en passant par-dessus notre tête, et notamment, qui a négocié seule cet accord pour les réfugiés. Ensuite, la France est allée à la rescousse des engagements totalement incohérents de l’Allemagne vis-à-vis de la Turquie. Je m’interroge sur la crédibilité de nos alliances. Pourquoi aujourd’hui la France est-elle seule à porter le fardeau et le fardeau du prix du sang pour défendre nos frontières ?

Par ailleurs, quelle est notre cohérence vis-à-vis de la Russie qui est toujours considérée comme un ennemi, comme si nous faisions fi de l’évolution du monde ? Quelle est notre boussole ? Quelle est notre stratégie ? Aujourd’hui, rien ne se décide. Il y a une confusion sur la notion d’armée européenne qui est largement entretenue et que le débat sur les élections européennes a aggravée. Nous faisons face à une diplomatie brouillonne, sans cohérence, et même parfois arrogante, à l’isolement de la France. J’en veux pour preuve l’autre jour Mme Merkel qui tançait vertement notre Président de la République en lui disant qu’elle en avait assez qu’il se fâche avec elle et qu’ils se réconcilient pour qu’ils puissent prendre le thé ensemble, pour recoller les morceaux. Franchement, je ne comprends pas où nous en sommes aujourd’hui. Quelle est notre vision ? Je sais que la France est isolée et qu’elle est la seule à payer le prix du sang au Mali.

Ma question est : quelle attitude vis-à-vis de la Turquie aujourd’hui avec probablement un des dirigeants les plus dangereux de la planète à sa tête, M. Erdogan, qui a une diplomatie prévisible ? Nous le savons, mais nous ne réagissons pas. Aujourd’hui, quelle attitude de la France dans l’Union européenne sur l’évaluation des périls et des menaces ? La France puis l’Union européenne et enfin l’OTAN. C’est peut-être cette hiérarchie qu’il faudrait préserver pour essayer d’y voir plus clair et surtout pour défendre nos intérêts, notre intégrité, et la place de la France dans le monde.

Mme Sira Sylla. Depuis la fin de l’URSS en 1991 et la dissolution du Pacte de Varsovie cette même année, les grands équilibres géostratégiques du monde ont considérablement changé. L’OTAN a accru le nombre de ses membres en intégrant des pays de l’Europe de l’Est et a opéré en dehors de son périmètre géographique d’origine avec toujours cette invariable dépendance des membres du traité vis-à-vis des forces et des technologies militaires de nos alliés américains. En outre, il apparaît que les États-Unis d’Amérique ont revu leurs priorités géostratégiques en concentrant désormais leur attention sur le Moyen-Orient et sur l’aire Asie-Pacifique, tout en plaidant pour une augmentation des crédits militaires de leurs partenaires européens.

Plusieurs de mes collègues ont fait référence à la formule du Président de la République : « mort cérébrale de l’OTAN », mais je voudrais rappeler ici le début de sa phrase qui me semble tout aussi importante : « L’instabilité du partenaire américain et la montée des tensions font que l’idée d’une Europe de la défense s’installe progressivement. C’est un véritable aggiornamento d’une Europe puissante et stratégique. » Quels sont d’après vous, Messieurs, les principaux leviers activés pour atteindre cette Europe de la défense que le Président de la République appelle de ses vœux ?

M. Camille Grand. Vous avez été plusieurs à aborder la question des relations entre l’OTAN et la Russie, qui est évidemment un sujet important qui fait partie à la fois de l’ADN de l’OTAN et de son histoire. D’abord, sur le cadre de la politique, on décrit les choses en essayant de maintenir deux canaux parallèles qui sont d’un côté, ce qui relève de la dissuasion et de la défense avec un renforcement aux frontières de l’Alliance pour décourager toute velléité de déstabilisation des pays les plus vulnérables, ce qui passe notamment par des exercices et une présence limitée. En même temps, je crois qu’il est important de souligner dans ce contexte-là que nous ne sommes pas revenus à une posture de guerre froide. Il n’y a pas eu un déploiement massif d’armes nucléaires en Europe. Il n’y a pas eu un déploiement massif de divisions de l’OTAN sur les frontières orientales de l’Alliance. On parle de quelques milliers de soldats qui ont été déployés dans la Baltique. On parle d’exercices importants, Trident Juncture ou Defender qui sont en volume des exercices plus importants que ce que nous avons fait dans les vingt dernières années, mais qui ne ressemblent pas aux exercices de la guerre froide.

Sur le COR, il y a eu une décision prise après l’annexion illégale de la Crimée, qui était dans le cadre des sanctions prises par l’OTAN de limiter les échanges avec la Russie. Cela n’a pas été une coupure complète des liens puisqu’est maintenu le COR qui se réunit à peu près trois à quatre fois par an au niveau des ambassadeurs et qui donne lieu à chaque fois des échanges vraiment denses. Ce ne sont pas des réunions formelles, qui ont pu traiter aussi bien de l’Ukraine que de l’Afghanistan, que du traité sur les forces nucléaires intermédiaires, qui était l’un des grands sujets dont nous avons pu débattre dans ce contexte-là. Il y a également des échanges militaires à haut niveau, aussi bien le commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR) que le président du comité militaire ont périodiquement des échanges avec le général Guérassimov, qui est le chef d’état-major russe, ce qui prouve que les canaux sont toujours ouverts. Mais c’est vrai que la position générale des alliés, de tous les alliés – ce sont des choses qui se décident par consensus – est de maintenir une ligne selon laquelle nous ne voulons pas revenir, comme on dit à Bruxelles, dans le « business as usual » et considérer qu’il ne s’est rien passé en Crimée en 2014. Il y a cette limite-là qui fait qu’il n’y a pas un retour à la situation qui prévalait entre 1999, la création du COR et 2012, où il y avait une très forte densité de relations.

La Turquie est évidemment un allié et un allié exigeant. C’est compliqué. À Bruxelles, certains disent que c’est un peu comme l’était la France, c’est-à-dire un allié qui dit souvent non, qui pose des questions, qui défend ses intérêts avec beaucoup d’énergie. Je partage avec vous une réflexion qui est que s’agissant de la Turquie, il ne faut peut-être pas s’arrêter aux derniers développements parce que nous avons souvent des retournements. Il y a cinq ans, au moment où les Turcs abattaient un chasseur russe à la frontière syrienne, les experts s’inquiétaient de voir la Turquie nous entraîner dans une guerre avec la Russie. Aujourd’hui, on s’inquiète du rapprochement de la Turquie avec la Russie, et ainsi de suite. Les décisions d’équipements ont été parfois renversées. Il y avait auparavant les systèmes chinois auxquels ils ont renoncé. Les choses sont moins linéaires dans l’évolution qu’on le pense parfois lorsqu’on s’arrête – à juste titre – sur un évènement majeur. In fine, je partage l’opinion du général Bentégeat qui est en réalité celle de tous les alliés, qui est de dire que garder la Turquie à bord de l’OTAN présente aujourd’hui beaucoup plus d’avantages que d’inconvénients même si, évidemment, c’est un allié très présent dans les discussions et qui n’est pas le plus simple dans la défense de ses positions.

Cela m’amène à une question qui était un peu sous-jacente dans une grande partie de ce que vous avez dit, sur les articles 4 et 5 du traité. C’est intéressant. La question de l’article 4 prévoit des consultations politiques ou les encourage. D’abord, dans le cadre des opérations en Syrie, ces consultations ont eu lieu. Elles ont eu lieu après le commencement des opérations, effectivement, mais elles ont bien eu lieu. C’est assez compliqué, parce que nous avons un regard français là-dessus. Nous ne sommes pas non plus désireux de voir l’OTAN décider de ce que nous faisons ou ne faisons pas dans telle ou telle région du monde et de nous soumettre au bon vouloir des autres alliés pour savoir si nous intervenons au Mali ou quelque part. L’OTAN fonctionne selon la règle du consensus, qui est la règle de base de cette Alliance. Il faut que les 29 soient d’accord pour faire quoi que ce soit ; il n’y a pas de majorité qualifiée à l’OTAN, il n’y a pas de décisions qui se prennent là-dessus. Nous sommes d’ardents défenseurs de notre indépendance de décision et du fait que nous ne soumettons pas nos décisions militaires, nos décisions stratégiques, à l’approbation de l’Alliance atlantique. Il est compliqué de demander aux autres de se soumettre à une règle que nous ne souhaitons pas nécessairement voir appliquer à nous-mêmes, mais ayant dit cela, je crois la question importante qui se pose aujourd’hui est de savoir s’il est souhaitable – c’était, un élément important dans l’intervention du Président de la République – d’avoir un dialogue politique plus approfondi entre nous, peut-être plus large que sur une décision immédiate pour dire : quelles sont nos priorités stratégiques ? Quelle est la manière dont nous percevons les menaces, notre environnement ? Ce ne sera pas une discussion facile, mais c’est une discussion utile.

Sur la question de l’autonomie stratégique, à la fois du degré de volonté des Européens et du degré d’acceptation des Américains, je pense qu’il y a deux choses. Pour la grande majorité des Européens – ce n’est pas une critique, mais un constat –, leur politique de défense et de sécurité se déploie avant tout dans l’OTAN ; c’est un choix qu’ils ont fait et qu’ils ont répété. Pour autant, ce qui est intéressant, c’est que depuis une vingtaine d’années s’est développée par étapes toute une série d’initiatives dans le contexte de l’Union européenne, et que l’on voit un certain nombre d’alliés se rapprocher d’une approche qui verrait les Européens prendre davantage de responsabilités. Il me semble intéressant de voir les dynamiques européennes au sens de celles qui ont lieu dans le cadre de l’Union européenne et les travaux qui se font en plus petit groupe : franco-britannique, le travail entre les pays nordiques, le groupe franco-allemand, le travail de l’initiative européenne d’intervention. À mon sens, il faut travailler à la complémentarité, c’est-à-dire comment ces différentes initiatives prennent la même direction, qui est de voir des Européens prendre davantage de responsabilités et être plus sérieux sur le plan militaire, afin de faire face à un environnement stratégique fluide.

Sur la perception américaine, nous avons là aussi un regard américain qui a évolué dans le temps, qui était devenu assez favorable depuis la fin de l’administration Bush à la fin de l’administration Obama, qui aujourd’hui mêle deux aspects : d’une part, une incitation très forte à voir les Européens faire davantage et qui donc, de ce point de vue-là, est une sorte d’écho étrange au thème de l’autonomie stratégique. D’autre part, la volonté de conserver des relais, des points d’influence, et de maintenir l’OTAN comme le lieu essentiel du dialogue sur les questions de sécurité. Je fais partie de ceux qui pensent que c’est plutôt un processus long et graduel qu’un changement du jour au lendemain qui va faire évoluer cette situation, mais finalement, on voit des Européens qui sont plus sérieux.

Sur le rapport entre le flanc sud et le flanc est, l’OTAN parle de 360 degrés. Effectivement, il y a des alliés qui s’intéressent bien davantage à l’Est ; on a la politique de sa géographie. Ce n’est pas une nouvelle radicale. En même temps, nous avons réussi à trouver, que ce soit sur la Russie ou sur le Sud, des points d’équilibre pour que chacun s’y retrouve. Sur la question du Sud et sur l’engagement de l’OTAN dans la gestion des crises au sud, il y a une question qui est posée aussi bien aux Français qu’aux Américains qu’aux alliés : souhaitons-nous que l’OTAN soit engagée au sud ? La France n’était pas particulièrement favorable à ce que l’OTAN prenne en charge la gestion du Nord de la Syrie. La France n’est pas particulièrement demandeuse de voir l’OTAN s’impliquer dans la bande sahélo-saharienne. On peut inverser la question en disant : que l’OTAN peut-elle y apporter ? Sans doute une compétence dans le domaine de la formation ou du renseignement, des outils de ce type, mais il y a une sorte de quiproquo intéressant à penser là-dessus.

Un autre point qui était sous-jacent à un certain nombre d’interventions, c’est la question de la liberté de la France dans cette organisation. Comme je le disais, c’est une organisation qui fonctionne par consensus. La France est libre à chaque décision, et elle le fait assez souvent, de dire : « non, je ne souhaite pas que nous nous engagions sur tel terrain ». « Je ne souhaite pas que nous prenions tel axe politique ». Toutes les politiques de l’OTAN sont approuvées et construites avec un apport de la France et un apport qui est souvent très utile pour les équilibrer, les construire, dans un dialogue avec ceux de nos alliés qui ont, pour des raisons géographiques, pour des raisons historiques, une perception un peu différente de tel ou tel axe de politique de sécurité ou de défense là-dessus. Cela, je crois que c’est quelque chose qu’il faut comprendre.

Enfin, sur la question américaine, il y a un débat qui traverse les administrations américaines sur le degré d’implication dans la sécurité et le poids relatif des Européens et des Américains dans tout cela ; ce n’est ni propre à Trump, ni complètement nouveau. Je ne saurais dire quelles seront les évolutions du débat politique américain. Je constate que l’appareil militaire américain reste engagé en Europe beaucoup moins que pendant la guerre froide, et c’est normal, mais plus qu’il y a quelques années où l’on pouvait imaginer un désengagement progressif, mais qui allait se poursuivre indéfiniment. Là, on est dans une sorte d’entre-deux. Il faudra regarder comment cette tendance américaine se déploie à l’avenir. C’est difficile à prédire, si on peut le dire comme cela, mais je pense que la réalité du terrain dans les exercices, la présence est une réalité assez forte.

M. Philippe Folliot. Je ne suis pas du tout d’accord avec votre analyse par rapport à l’article 4 et le parallèle que vous faites entre ce qu’est la politique de la France de manière globale et générale et ce qui s’est passé en Turquie. La différence avec ce qui s’est passé par rapport à la Turquie et à la Syrie, c’est que les alliés soutenaient les Kurdes. Nous sommes dans une situation très différente ; quand la France intervient, elle l’a fait au début dans le cadre d’accords de défense avec des pays africains ou un certain nombre de choses. Faire un parallèle par rapport à cela ne me semble pas approprié. D’un côté, comme nous l’avons dit, les alliés ont soutenu les Kurdes de tout temps et nous dénonçons le fait que les Américains se soient retirés sans consulter les autres alliés. En ce sens, il ne peut pas y avoir un parallèle avec les interventions que peut faire la France ailleurs, sachant que quand elle le fait, elle intervient toujours dans le cadre du droit international. Elle intervient toujours dans le cadre d’accords de défense et le plus souvent dans le cadre de résolution des Nations -Unies.

M. Camille Grand. Il ne faut pas considérer que tout est identique. Le point que je soulevais, c’était que s’agissant de l’article 4, ce n’est pas une obligation. C’est une incitation pour dire : « les alliés veulent se consulter sur les défis de sécurité, même quand l’Alliance n’est pas directement impliquée ». C’est une sorte de déclaration générale. Il y a eu des moments dans la longue histoire de l’OTAN où cette pratique a été plus ou moins respectée par les différents alliés. Cela reste de l’initiative d’un allié. Sur la question de la Syrie, un certain nombre d’alliés ont posé des questions. Cela a été immédiatement à l’ordre du jour du Conseil de l’Atlantique Nord. Ce n’est pas comme s’il n’y avait pas eu de débat et que l’on avait regardé de l’autre côté. Il y a eu un débat immédiatement et la Turquie est d’ailleurs venue expliquer ce qu’elle faisait. Elle s’est exposée à la critique de ses alliés immédiatement. La particularité de l’article 4 est qu’il y a une dimension où il faut qu’un ou plusieurs alliés souhaitent avoir ce débat au conseil, mais cela n’emporte pas, contrairement aux questions de l’article 5, de décisions. On ne dit pas : « je viens parler devant le conseil pour savoir s’il approuve ou désapprouve et vote sur ma décision nationale de mener telle ou telle intervention ».

Général Henri Bentégeat. Une question a été soulevée à laquelle il est difficile de répondre de manière très précise, mais qui n’est pas neutre : quelles sont les conséquences du retour de la France dans l’organisation intégrée de l’Alliance ? Quel bilan peut-on en faire aujourd’hui ? Évidemment, je n’ai pas tous les éléments pour y répondre, mais je vais essayer de vous dire simplement comment on peut l’apprécier.

Le président Chirac, après une tentative malheureuse, était convaincu qu’en ne rejoignant pas la structure intégrée de l’OTAN, nos militaires, et en particulier nos officiers, conserveraient une qualité et un avantage, c’est-à-dire une certaine liberté d’esprit, une certaine capacité d’initiative et ne seraient pas dévorés par la maladie des slogans et de l’obsession technologique qui quand même – il faut le reconnaître – est un peu une caractéristique américaine, et donc de l’OTAN.

Le président Sarkozy pour sa part estimait que notre retour dans l’organisation militaire intégrée nous permettrait de renforcer notre position au sein de l’Union européenne et en particulier dans le cadre de l’Europe de la défense. Que pouvons-nous en dire ? Je crois que nous pouvons dire oui et non. Oui, ce retour nous a renforcé en partie au sein de l’Union européenne. Pourquoi ? D’abord parce que les initiatives françaises – je l’ai vécu en direct – dans le cadre de la politique commune de sécurité et de défense ont été accueillies plus facilement par la plupart de nos partenaires européens parce qu’il n’y avait plus cette suspicion de l’agenda secret, caché, de la France. Oui, surtout et de manière beaucoup plus pragmatique sur un point précis : le traité que la France a signé à Lancaster House avec les Britanniques n’aurait jamais vu le jour si la France n’avait pas réintégré la structure militaire de l’Alliance. Or c’est un point fondamental pour la défense et la sécurité de l’Europe, même en dehors du cas de l’Union européenne.

Non, par contre, ce retour dans la structure intégrée n’a pas toujours facilité la politique commune de sécurité et de défense. Pourquoi ? D’abord parce que nos partenaires traditionnels dans l’opposition au courant principal au sein de l’Union européenne dans ce domaine – je pense en particulier à la Belgique ou à la Grèce – ont été complètement désarçonnés par cette volte-face de la France. D’une certaine manière, nous nous sommes nous-mêmes désarmés. Je veux dire par là que petit à petit, la politique étrangère de la France – autant que je puisse en juger – a pris un virage atlantiste jusqu’à il y a deux ans à peu près, qui a été très fortement intégré au sein de l’état-major des armées (EMA), au point d’une obsession européenne que j’ai connue quand j’étais à l’EMA et contre laquelle j’ai lutté. L’obsession européenne, petit à petit, a été remplacée par une obsession italienne. Il n’y a pas eu du tout dans les armées françaises de réticence à rentrer dans l’OTAN. Au contraire, cela s’est fait avec beaucoup d’enthousiasme. Il faut dire que la France a aujourd’hui 800 officiers dans les états-majors de l’OTAN, ce qui est beaucoup par rapport au très faible volume de nos engagements dans les opérations de l’OTAN. L’enthousiasme s’est peut-être un peu refroidi, mais ce qui n’a pas changé et ce qui, en définitive, justifie probablement que l’on ait réintégré cette structure militaire, l’un des avantages pratiques et concrets, c’est que jamais les officiers français ne se ressentiront comme des fonctionnaires de l’OTAN, ce qui est le cas, il faut le reconnaître, de la majorité de leurs partenaires de l’Alliance. L’OTAN et l’Union européenne partagent les tâches. Le partage des tâches n’existe pas théoriquement ; il est réel. Il se fait au coup par coup, pas tellement sur des zones géographiques, même si, comme l’indiquait tout à l’heure Camille Grand, il est clair que la France – elle n’est pas la seule – n’a jamais vraiment souhaité que l’OTAN s’engage en Afrique. D’ailleurs, nos partenaires de l’OTAN ne le souhaitent pas trop non plus, mais surtout sur une question de niveau d’intensité. À partir d’un certain niveau d’intensité des combats potentiels, il est clair que l’Union européenne n’a pas les moyens d’agir. Seule l’OTAN peut le faire. Finalement, l’argument essentiel est toujours le même. Les Américains ont-ils envie ou non de s’impliquer dans l’aventure qui arrive ? Si les Américains ont envie de s’impliquer, l’OTAN se mobilisera ; s’ils n’ont pas envie, on laissera éventuellement faire l’Union européenne.

De manière très concrète et pratique, j’en reviens au coup par coup et au pragmatisme qui doit être toujours de mise dans ces affaires-là. Aujourd’hui, qui combat avec nous dans le Sahel, l’opération Barkhane ? Clairement, les Américains sont derrière nous, à la fois pour des questions de renseignement et de soutien des drones, les Britanniques, qui ont mis à notre disposition un détachement d’hélicoptères lourds, et quelques Estoniens, ce qui en soi n’est pas neutre. Le reste, c’est quoi ? C’est l’Union européenne, mais exclusivement dans des missions de formation, pas de combat. Peut-on construire l’Europe dans l’OTAN à travers le pilier européen ? C’est une question qui revient régulièrement. C’est une idée qui a toujours été soutenue par la majorité de nos partenaires européens. La réponse à mon avis est très simple, c’est non. Nous ne pouvons pas construire un pilier européen dans l’OTAN. Pourquoi ? Parce que quand un pays fournit 50 % des ressources et 70 % des moyens, il est légitime qu’il exerce son leadership. Je crois honnêtement que la France, si elle était dans la position actuelle des États-Unis, ferait bien pire que les États-Unis en matière de tutelle. On ne construira jamais contre les Américains un pilier européen dans l’OTAN.

Si les Américains quittent l’OTAN, nous ferons face à leur désengagement. À ce moment-là, nous serons bien obligés d’essayer de construire quelque chose en Europe, mais personnellement, je ne crois pas qu’aujourd’hui les États-Unis, même avec M. Trump, aient l’intention d’abandonner cet outil qui est pour eux malgré tout un gage de sécurité. La sécurité de l’Europe continue de les intéresser, même si leur priorité est d’ailleurs. D’autre part, ils y trouvent leur intérêt ne serait-ce que dans le domaine des exportations d’armement.

Sortir la France de l’OTAN, oui, peut-être d’un point de vue politique, mais d’un point de vue militaire, cela nous poserait des problèmes considérables ; il ne faut pas s’y tromper. L’interopérabilité, c’est-à-dire notre capacité d’agir avec nos partenaires et nos alliés, passe par là. Ce n’est pas au sein de l’Union européenne que nous construisons notre capacité à agir ensemble avec nos alliés. C’est au sein de l’OTAN. L’OTAN seule a les capacités de nous permettre d’agir avec les autres. Ce qui veut dire que la France serait condamnée à un grand isolement militaire sur le terrain.

Les accords entre le Royaume-Uni et l’Union européenne ont été discutés, mais jamais vraiment négociés jusqu’à présent puisque le problème du « Brexit » n’est pas encore réglé. Il n’est pas possible de signer d’accord sur les questions de défense avant ce « Brexit ». Quel est le problème ? Ce que souhaite le Royaume-Uni, c’est garder un pied dans l’Union européenne pour tout ce qui concerne cette politique commune de sécurité et de défense. Cela veut dire avoir un observateur au comité politique de sécurité, avoir un observateur au comité militaire, avoir des officiers intégrés dans l’état-major de l’Union européenne, avoir une position d’observation à l’Agence européenne de défense, dans l’ensemble du mécanisme de l’Europe de la défense. C’est précisément ce que nous avons toujours refusé à la Turquie. Quand l’Union européenne tentera de réaliser cet accord avec le Royaume-Uni – j’espère qu’elle le tentera, parce qu’il y a une autre tentation que l’on connaît bien au sein de l’Union européenne, c’est de se dire : « après tout, ces gens-là nous ont posé des problèmes sans arrêt pour notre politique commune de sécurité et de défense, il n’y a aucune raison pour que l’on ne se réjouisse pas de les voir partir » ; or, compte tenu de ce qu’est le Royaume-Uni, compte tenu de sa vision, de sa capacité à agir et de sa volonté d’agir, écarter à l’avenir de l’Union européenne le Royaume-Uni dans ce domaine précisément, à mon avis, serait une erreur fondamentale – ce ne sera pas facile du tout et la Turquie fera certainement tout pour empêcher que nous arrivions à cet accord.

On a évoqué les conséquences militaires et sécuritaires du changement climatique ; c’est un sujet qui est étudié à l’OTAN bien sûr, mais surtout au niveau de l’Union européenne. Il ne faut jamais oublier que l’Union européenne et l’OTAN ne sont pas des organisations de même nature. L’Union européenne est d’abord un instrument politique et économique. Quand on parle des changements climatiques, les conséquences, y compris dans le domaine de la défense et de la sécurité, sont multidimensionnelles. L’Union européenne à cette capacité unique que n’a pas l’OTAN d’aborder ce problème sous toutes ses facettes. Cela montre bien qu’il nous faut à tout prix, sur des sujets majeurs, continuer à nous appuyer sur l’Union européenne, sans pour autant décider de quitter l’OTAN, ce qui nous causerait de gros problèmes.

M. Jean-Pierre Maulny. Il a été dit que nous avions des propos lénifiants sur la question de l’OTAN. Je pense que nous avons peut-être les uns et les autres des biais de déformation. Très souvent, nous sommes dans des séminaires internationaux, nous avons des Baltes ou des Polonais en face de nous, et nous faisons extrêmement attention aux paroles que nous tenons. Pourquoi ? Parce que ce que nous avons en tête que ce n’est pas l’OTAN, mais l’Union européenne. La question de la présence de la France dans l’OTAN relève de l’Union européenne. Nous ne pouvons plus organiser cette sortie de l’OTAN aujourd’hui. Au fond, c’est le rapport Védrine de 2013. Si nous le faisons, nous cassons toute perspective de construire une autonomie stratégique européenne, une Europe de la défense, etc. Nous perdrons toute crédibilité à ce niveau-là. La vraie question, encore une fois, ce n’est pas la question de l’OTAN, c’est véritablement la question des rapports entre l’Union européenne et les États-Unis. L’OTAN n’est qu’un vecteur de cette question de la relation entre l’Union européenne et les États-Unis.

J’émets une petite nuance sur la question de la France par rapport à l’OTAN et du retour en 2009. Au niveau militaire, nous avons parfaitement joué la carte. Au niveau politique, j’ai quand même le sentiment que nous n’avions pas véritablement de politique vis-à-vis de l’OTAN. En somme, que voulions-nous faire de l’OTAN ? Je pense que ce n’était pas une question. En 2009, le retour dans le commandement militaire intégré de l’OTAN était surtout lié à la question de la relation avec les États-Unis, dont nous avions besoin notamment dans le Sahel – c’est vrai que la relation fonctionne très bien à ce niveau-là – et avec les Britanniques effectivement, avec Lancaster House, mais ce n’était pas européen et cela n’a jamais été perçu par nos partenaires comme une décision de portée européenne. Cela nous a été reproché car c’était une relation bilatérale.

Nous avions à cette époque-là une administration – nous l’avons toujours en partie – française qui fondamentalement était très sceptique sur la construction européenne, notamment après ce qui a été ressenti comme un échec au moment de la présidence française de l’Union européenne au deuxième semestre 2008, où nous avions voulu faire avancer la coopération structurée permanente. Le virage français – il y a véritablement un double virage – concernant la construction européenne en matière de sécurité et de défense, c’est le « Brexit » en 2016, c’est le référendum, parce que tout d’un coup, on a peur que l’Union européenne se délite et on se dit : « finalement, la Défense, c’est un bon objet pour recréer de la cohésion ». C’est là que vous avez la première lettre Le Drian-von der Leyen sur une feuille de route le 11 septembre 2016. La deuxième étape, c’est l’élection d’Emmanuel Macron et le conseil des ministres franco-allemand de juillet 2017.

Pour ce qui est de l’interview d’Emmanuel Macron à The Economist, je pense que ce n’est pas l’OTAN le plus important. C’est une phrase dans une interview qui fait dix pages. Il faut la lire en entier, parce qu’on a toute l’explication de texte derrière. Je pense que ce n’est même pas la Russie non plus qui est le centre, c’est l’Union européenne. Il faut faire quelque chose au niveau de l’Union européenne. Je suis allé à un séminaire juste après l’interview de The Economist. Il y avait des Polonais, tous ceux qui pouvaient être critiques. La réaction a été : « Emmanuel Macron affaiblit l’article 5 », « Emmanuel Macron affaiblit l’OTAN ». Après, on commence à parler d’autonomie stratégique européenne. Là, nos amis polonais et baltes disent : « oui, c’est vrai, il faut faire quelque chose de plus au niveau européen. » « Oui, effectivement, aller vers plus d’autonomie stratégique européenne, ce serait pas mal ». Tout cela est un système de mutuelle, si je puis dire, de garantie de sécurité. C’est comme une assurance sociale, si vous voulez. Ces pays ont eu une avec l’OTAN. Ils ne sont pas opposés à en avoir une deuxième si jamais la première garantie tombe. Mais évidemment, ils n’abandonneront pas l’OTAN dans un premier temps parce qu’ils ont une perception. Nous ne pouvons pas leur retirer. C’est ce qui existe actuellement. Ils considèrent que la Russie est une menace, et nous ne pouvons pas leur démontrer le contraire s’ils le ressentent comme tel.

La politique américaine à ce niveau-là, et notamment la politique de Donald Trump, il faut faire très attention à ce qui se passe parce que le jeu politique – je dis bien politique – c’est de faire une sorte de chantage pour dire : « si vous continuez, je me retire de l’OTAN ». Naturellement, les pays d’Europe du Nord et les pays d’Europe centrale sont paniqués à cette idée. Derrière, on a le risque que certaines situations soient traitées non pas au niveau de l’OTAN, mais au niveau bilatéral. Il ne faut pas oublier que Donald Trump – c’est une différence majeure avec Barack Obama – ne croit pas au multilatéralisme. Il préférera toujours des accords bilatéraux, notamment pour faire de l’exportation d’armement, etc. Il faut que nous fassions extrêmement attention au niveau européen, parce qu’il faut que nous conservions cette cohésion. Il faut à la fois que nous disions : « il faut bouger au niveau européen, il faut construire cette autonomie stratégique » parce que c’est une construction de l’Union européenne et que l’Union européenne, pour le coup, ce n’est pas qu’une alliance militaire. C’est véritablement une organisation politique. Nous avons quand même énormément de politiques communes, et même la politique commune en matière de défense, je sais bien, cela avance très lentement, mais cela avance quand même. Tout cela, il faut essayer de le défendre avec un horizon qui va être 20, 30 ou 40 ans, et pas un horizon à 2 ou 3 ans. Je pense que c’est tout cela qui est en jeu.

Le dialogue principal pour l’instant, si on doit avoir un dialogue avec la Russie, c’est le Format Normandie sur la question de l’Ukraine et c’est l’application des accords de Minsk. Ce n’est pas l’OTAN proprement dite. L’OTAN peut faire de la déconfliction. Il y a toute la question de remettre en place, parce que cela ne fonctionne plus, des mesures de confiance et de sécurité. Normalement, cela devrait être au niveau de l’organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), mais on peut imaginer que ce soit au niveau de l’OTAN. Après, je suis quand même très étonné qu’en France, il y ait une lettre qui soit partie de Poutine vers tous les membres de l’OTAN et vers la Chine, un certain nombre de pays, pour proposer un gel des déploiements de missiles russes par rapport au traité FNI. Pour avoir cette information, il fallait lire le Financial Times. Aucun journal français n’a repris cette information. Cela a été après rejeté par l’OTAN. C’est vrai qu’avec la façon dont a procédé Poutine, cela s’explique un peu, mais c’est quand même anormal que ce type d’information n’ait pas été connue en France dans les journaux.

Les enjeux dans les mois et dans les années qui viennent, c’est vraiment cette question de construction de l’Union européenne, sachant qu’encore une fois – Camille, tu nous diras si cela fait partie des choses qui sont prévues au sommet de l’OTAN à Londres – il y a cette attaque de la part des Américains sur la coopération structurée permanente et sur le Fonds européen de défense, sur la question de la relation aux États tiers. C’est une question importante. Nous savons très bien à peu près quelle limite nous voulons mettre. Nous ne voulons pas fermer la porte aux Américains ; ce n’est pas la question. Pour l’instant, ils en font une sorte de casus belli. Naturellement, ils vont faire là aussi pression sur tous les pays d’Europe du Nord et d’Europe centrale pour dire : « la Commission européenne et les Français, il faut absolument qu’ils cèdent sur le sujet ». C’est problématique.

Sur la question de l’article 4, oui, c’est vrai que nous avons une forme de schizophrénie sur le sujet, mais c’est le jeu tactique. Le jeu tactique, c’est de dire : « attendez, il n’y a pas de dialogue sur la question de la Turquie et des États-Unis », mais en même temps, si nous ne voulons pas renforcer le rôle politique de l’OTAN en considérant que les questions de sécurité ne concernent que la sécurité territoriale des pays de l’OTAN, effectivement, ce dialogue-là n’est pas nécessairement au sein de l’OTAN, mais plutôt au sein des Nations-Unies. Là, il y a une dialectique, tout comme il y a toujours eu une dialectique américaine, une sorte de schizophrénie, mais qui est assez logique sur la question de la construction européenne en matière de défense. Nous avons vécu la même chose en 1999 au début de la création de la politique de sécurité et de défense commune, quand les Britanniques avaient signé l’accord de Saint-Malo avec les Français. Tout de suite, ils s’étaient fait convoquer en disant : « Qu’est-ce que c’est que ça ? Qu’est-ce que vous faites entre vous ? » En fait, nous renforcions la sécurité de l’Union européenne avec les accords de Saint-Malo, et de fait, nous renforcions la sécurité de l’Europe et donc l’OTAN dans son rôle de sécurité collective. C’est la même situation aujourd’hui. On retrouve cette même schizophrénie de la part des Américains, la même politique, sauf que c’est quand même un peu plus violent à l’heure actuelle.

M. Frédéric Petit. Je suis député des Français qui sont installés en Europe centrale, en Allemagne et dans les Balkans, et je suis très content, car à plusieurs reprises, non seulement parmi les intervenants, mais également chez certains de mes collègues, j’ai pu sentir que l’on sortait de raisonnements qui m’apparaissent parfois comme simplistes dans la position des onze pays dont on parle souvent. Vous avez parlé de rencontres en tête à tête, j’en ai beaucoup également. Je voudrais développer un exemple, c’est la réaction du président Tusk, qui a été traduite très souvent rapidement par des gens qui lisent une seule phrase des articles, mais cela ne suffit pas, et parfois, comme vous l’avez rappelé, cela ne suffit pas de lire la presse, il faut un peu enquêter au-delà, surtout en France. Je crois que ce qui est dans la réponse de Tusk, ce n’est pas la phrase que l’on a beaucoup développée en disant qu’il ne fallait pas dire cela. C’est ce qu’il dit après qui est très interculturel. Il dit : « vous n’avez pas eu la Russie quarante ans chez vous. » Il y a quand même une région – et peu de gens en sont conscients en France, je le rappelle à mes collègues – dans l’est de l’Estonie qui est sociologiquement, historiquement et culturellement exactement ce qu’était la Crimée il y a dix ans. Cela fait trente ans que les Estoniens en parlent. J’ai aussi travaillé en Estonie, cela fait trente ans qu’ils en parlent. La Lituanie, c’est exactement pareil. Kaliningrad, c’est la Russie. J’insiste sur ce point-là, il n’y aura pas de défense européenne si nous n’avons pas une politique inclusive, qui n’est pas opposante. Il ne s’agit pas de convaincre les Polonais que le danger vient du sud. Il s’agit de construire une réponse européenne qui sera inclusivement un espace où les menaces de l’Europe aujourd’hui, même celles qui sont fantasmées – et nous en avons – seront sur la table.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Il est très important de comprendre la position des pays de l’Europe de l’Est. Si nous nions leur histoire et leur géographie, nous n’arriverons pas à construire ce qui doit être construit. De ce point de vue, je rejoins parfaitement ce que Frédéric Petit vient de dire.

Deuxièmement, sur le Fonds européen de défense, je demande que nous arrêtions d’être naïfs. Derrière l’OTAN, derrière ce que l’on appelle le partage du fardeau, derrière les sommes qui sont ciblées par les Américains, c’est l’industrie de l’armement, l’industrie de la défense et l’économie qui parlent. Arrêtons d’être naïfs et considérons que nous n’avons pas vocation à donner en permanence aux Américains des marchés pour leurs propres produits, leurs propres industries et leurs propres emplois. L’Europe a aussi à préserver sa propre économie, sa propre recherche et ses propres intérêts. Ce n’est pas un gros mot de dire que les Européens doivent défendre leurs intérêts, comme les Américains le font. Il y a aussi un moment où il faut que les Européens fassent face et montrent davantage de volonté politique sur le sujet.

Je ne veux pas revenir sur la question de l’OTAN, mais j’ai deux intuitions. La première, c’est que la France a une expression en matière de politique étrangère dans son histoire, dans ce qu’elle est, dans son ADN de liberté et d’indépendance, d’une forme d’autonomie, et qu’il faut absolument préserver cette liberté, cette indépendance et cette forme d’autonomie parce qu’elle peut être extrêmement importante pour l’équilibre du monde de demain.

La seconde intuition est qu’il est plus que temps que les Européens considèrent qu’ils doivent prendre à bras-le-corps les questions de sécurité et de défense. Ils sont maintenant arrivés dans la maturité ; c’est à eux de faire ce chemin. Si nous traitons ces deux aspects en gardant une voix un peu originale de la France qui peut être à l’initiative, je ne veux pas dire d’une troisième voix, mais en tous les cas de pays non-alignés aussi avec une Europe forte, nous nous poserons les questions de l’OTAN d’une manière différente, me semble-t-il.

Mme la présidente Françoise Dumas. Dans la continuité de ce qui vient d’être dit, je crois que nous devons avancer sur les deux fronts en même temps. Nous devons conserver cette capacité opérationnelle d’intervention dans le cadre de l’OTAN. Nous devons aussi continuer à définir ensemble au niveau européen quelle autonomie stratégique nous voulons, ce que nous voulons construire ensemble, quelles sont les valeurs que nous partageons et que de facto, nous serons amenés à défendre.

Merci pour la qualité de vos interventions. Le format de partage entre nos deux commissions est toujours extrêmement instructif et j’espère que nous aurons l’occasion de poursuivre nos travaux souvent simultanément. Merci à tous, chers collègues.

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La séance est levée à douze heures vingt.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Louis Aliot, M. Jean-Philippe Ardouin, M. Xavier Batut, M. Thibault Bazin, M. Olivier Becht, M. Christophe Blanchet, Mme Aude Bono-Vandorme, M. Jean-Jacques Bridey, M. Luc Carvounas, M. Philippe Chalumeau, M. Alexis Corbière, Mme Marianne Dubois, Mme Françoise Dumas, M. Olivier Faure, M. Jean-Jacques Ferrara, M. Jean-Marie Fiévet, M. Philippe Folliot, Mme Pascale Fontenel-Personne, M. Claude de Ganay, M. Thomas Gassilloud, Mme Séverine Gipson, M. Fabien Gouttefarde, M. Loïc Kervran, Mme Anissa Khedher, M. Bastien Lachaud, M. Jean-Charles Larsonneur, M. Christophe Lejeune, M. Jacques Marilossian, Mme Monica Michel, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Patricia Mirallès, M. Jean-François Parigi, Mme Natalia Pouzyreff, M. Bernard Reynès, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Laurence Trastour-Isnart, M. Stéphane Travert, M. Stéphane Trompille, M. Pierre Venteau, M. Patrice Verchère, M. Charles de la Verpillière

 

Excusés. - M. Florian Bachelier, M. Stéphane Baudu, M. Sylvain Brial, M. André Chassaigne, M. Yannick Favennec Becot, M. Richard Ferrand, M. Benjamin Griveaux, M. Stanislas Guerini, M. Christian Jacob, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Fabien Lainé, M. Gilles Le Gendre, M. Franck Marlin, Mme Sereine Mauborgne, Mme Josy Poueyto, M. Joaquim Pueyo, M. Thierry Solère, M. Joachim Son-Forget, Mme Sabine Thillaye, Mme Alexandra Valetta Ardisson

 

Assistaient également à la réunion. - M. Dino Cinieri, M. Jean-Luc Warsmann