Compte rendu

Mission d’information de
la conférence des Présidents sur
l’impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l’épidémie de Coronavirus-Covid 19
 

– Table ronde réunissant les organisations représentatives des personnels hospitaliers : Mme Astrid Petit, membre de la direction fédérale de la fédération Santé et action sociale de la Confédération générale du travail (CGT) ; M. Gilles Gadier, secrétaire fédéral de la fédération des personnels des services publics et des services de santé Force ouvrière (FO) ; M. Olivier Youinou, co-secrétairee du syndicat Solidaires, unitaires et démocratiques (SUD) santé sociaux solidaires de l’Assistance publique-hôpitaux de Paris
(AP-HP) ; Mme Clotilde Cornière, secrétaire nationale de la fédération santé sociaux de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) ; M. Maxime Sorin, conseiller technique pour l’Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) santé et sociaux public et privé                            2

– Présences en réunion.............................. 32

 

 


Mardi
7 juillet 2020

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 35

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2019-2020

Présidence
de M. Julien Borowczyk, vice-président


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Mission d’information de la conférence des Présidents sur
l’impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions
de l’épidémie de Coronavirus-Covid 19

Présidence de M. Julien Borowczyk, vice-président de la mission d’information

 

La mission d’information procède à l’audition de Mme Astrid Petit, membre de la direction fédérale de la fédération Santé et action sociale de la Confédération générale du travail (CGT) ; M. Gilles Gadier, secrétaire fédéral de la fédération des personnels des services publics et des services de santé Force ouvrière (FO) ; M. Olivier Youinou, co-secrétaire du syndicat Solidaires, unitaires et démocratiques (SUD) santé sociaux solidaires de l’Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) ; Mme Clotilde Cornière, secrétaire nationale de la fédération santé sociaux de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) ; M. Maxime Sorin, conseiller technique pour l’Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) santé et sociaux public et privé

 

M. Julien Borowczyk, vice-président. La crise sanitaire a soumis à rude épreuve le système hospitalier, particulièrement dans les régions les plus touchées. Il a réagi grâce à l’implication sans faille des personnels soignants et administratifs, auxquels nous rendons hommage une nouvelle fois. L’accueil et le traitement des malades ont nécessité de déployer des moyens nouveaux et des réorganisations qui ont eu des répercussions sur l’organisation du travail, notamment au regard des congés, des heures supplémentaires, du temps de travail consécutif et d’envois en renfort vers d’autres services ou établissements.

Nous avons souhaité aborder ces questions directement avec les personnels et leurs représentants. Comment le plan blanc a-t-il été appliqué ? Qu’en a-t-il été des manques en équipements de protection individuelle ? Comment les renforts en personnels étaient-ils organisés ? En un mot, comment pouvons-nous être mieux préparés dans le cadre d’une épidémie future, sachant que si l’expérience est importante, chaque épidémie comporte sa part d’inconnue ?

Conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vais vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme Astrid Petit, M. Gilles Gadier, M. Olivier Youinou, Mme Clotilde Cornière et M. Maxime Sorin prêtent serment.)

 

Mme Astrid Petit, membre de la direction fédérale de la fédération CGT santé action sociale.  La CGT est la première organisation syndicale des personnels de la santé et de l’action sociale. Pendant la crise, nous avons mené deux enquêtes de grande ampleur auprès de nos syndicats, pour mesurer l’évolution de la situation et objectiver les nombreux témoignages que nous en donnaient les personnels. Nous vous avons transmis ces analyses avant l’audition ; elles sont également accessibles sur le site de la CGT santé.

Ces enquêtes, qui apportent de nombreux éléments chiffrés, font la démonstration édifiante de ce qui n’a pas fonctionné, et pourquoi. Nous avons ainsi mis en lumière la surcontamination des personnels soignants dès la fin du mois d’avril, à un moment où la question était ignorée. Depuis, le Gouvernement a réalisé un décompte, et la surcontamination des personnels soignants est avérée.

Nous pouvons établir qu’il n’y a pas eu de fatalité à ce que 30 000 personnes meurent en France de l’épidémie ou à ce que tant de collègues soient contaminés par le virus. C’est le résultat de défaillances, de décisions politiques délibérées ou de lois adoptées ces dernières années contre notre système de santé et contre la sécurité sociale. Le bilan humain aurait pu ne pas être aussi lourd si nous avions disposé des lits d’hospitalisation que les gouvernements successifs ont fermés par dizaines de milliers – une réduction qui continue d’ailleurs aujourd’hui –, et si nous avions eu les masques, le matériel de protection et les médicaments dont nous avions besoin. Les tests auraient pu éviter des milliers de contaminations dans les EHPAD, mais nous ne les avons pas eus.

Nous avons aussi découvert que des recommandations ministérielles conseillaient de maintenir les personnes âgées malades à leur domicile ou dans les EHPAD, plutôt que de les accueillir à l’hôpital. Nous ne pouvons que nous interroger, car tout le monde sait que la moitié des décès dus au covid-19 en France provient des EHPAD.

Nous avions pourtant alerté, bien avant cette épidémie, sur le manque de personnels et sur les dangers de fermer tant de services hospitaliers et de structures sociales. Les personnels avaient dénoncé leurs conditions de travail, notamment la situation dans les EHPAD. Et l’hôpital n’a malheureusement pas pu faire face à la crise sanitaire : il n’en avait plus les moyens.

Tout le monde le sait, année après année, les budgets dévolus aux dépenses d’assurance maladie votés par le Parlement sont toujours contraints et toujours en dessous des besoins de la population. Les lois relatives à la santé n’ont eu de cesse de diminuer l’offre de soins publique. Or c’est incontestablement le secteur sanitaire public qui a fait face à l’épidémie.

Par ailleurs, nous avons pu constater pendant la crise une accélération des atteintes aux droits des salariés. Avec les plans blanc et bleu, nous avons vu des horaires de travail dérogatoires, des affectations imposées au personnel, des repos supprimés ou imposés, voire une augmentation significative des situations de dépassement d’actes professionnels.

Aujourd’hui, une forme d’opportunisme est constatée dans plusieurs endroits, tendant à pérenniser ces dérogations décidées dans des circonstances exceptionnelles. Dans le cadre du Ségur de la santé, plusieurs propositions du ministère vont dans ce sens : contractualisation des quotas d’heures supplémentaires, demandes aux personnels déjà en sous-effectif de se remplacer mutuellement, instauration de rémunérations variables, notamment en lien avec un entretien d’évaluation professionnelle. Ce ne sont pas là les promesses gouvernementales entendues pendant la crise. Les personnels avaient cru comprendre que leurs salaires seraient augmentés, pas que leurs droits seraient attaqués.

Il nous semble difficile de dire que la crise est terminée, que nous sommes dans l’après-crise, tant la situation est actuellement critique dans nos établissements. On peut même dire que la crise sanitaire perdure en France. Les centaines de milliers de patients dont les opérations chirurgicales, le suivi ou les consultations ont été annulées ou reportées, affluent désormais dans les services. Or les lits manquent toujours, les personnels sont épuisés mais restent en sous-effectif.

La dangerosité et la pénibilité de nos métiers ne sont plus à démontrer. Nous avons payé un lourd tribut par l’exposition au virus sans protections suffisantes. Pourtant, il semble que la reconnaissance comme maladie professionnelle soit réservée à ceux de nos collègues qui ont développé des formes graves de la maladie. Cette décision est vécue comme une profonde injustice, comme l’est celle de verser aux personnels une prime exceptionnelle différente selon les départements ou les établissements.

En juin, la fédération CGT a mené une nouvelle enquête, sur la situation dans notre secteur après le déconfinement. À la question : « Des salariés de votre établissement ont-ils démissionné ou ont-ils l’intention de changer de profession à la suite de la crise sanitaire ? », 37 % de nos syndicats ont répondu par l’affirmative. Nous ne le supposions pas. L’attente d’une amélioration des conditions de travail des salariés de notre champ est donc immense.

M. Gilles Gadier, secrétaire fédéral FO santé. Notre fédération représente l’ensemble des personnels des secteurs hospitalier, médico-social et social. Je tiens à souligner que la crise sanitaire a touché tous les personnels travaillant à l’hôpital, quels que soient leur grade ou leur fonction.

Il ne s’agit pas pour nous de pointer du doigt les responsabilités ou de rechercher des coupables. L’intérêt de cette audition est de vous fournir les informations utiles à votre analyse de la situation, et un retour d’expérience pour aider à apporter les corrections nécessaires et éviter que certains faits se reproduisent.

Depuis des années, notre fédération dénonce à la fois les modes de financement des établissements et leur insuffisance ainsi que le glissement vers une gestion rapprochant l’hôpital de l’entreprise, notamment au regard des stocks. Ceux-ci ont fondu comme neige au soleil, nous mettant en situation de carence, non seulement en moyens de protection individuelle et collective – masques, surblouses, surchaussures, lunettes –, mais également en matériels de réanimation, en produits médicamenteux, en lits. Depuis un certain temps déjà, nous dénoncions les fermetures de lits, trop nombreuses.

Pendant la crise sanitaire, la gestion locale des moyens et l’organisation du travail se sont articulées autour des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Or la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique prévoit leur remplacement par des comités sociaux d’établissement, dotés de prérogatives différentes. Plus grave, le seuil de représentation des agents passerait de 50 à 300, ce qui revient à entériner le fait qu’il n’y aura plus de CHSCT dans l’ensemble des EHPAD de France. Cette décision nous semble gravissime, alors que les représentants du personnel en CHSCT ont des formations spécifiques en matière de prévention, d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail.

D’ailleurs, c’est uniquement à notre demande que le CHSCT national s’est réuni. Nous en avons demandé la réunion extraordinaire le 6 mars, pour faire un état des lieux de la situation, des moyens de protection, des flux, des stocks, des personnels contaminés, des décès, et ce n’est qu’un mois plus tard, le 8 avril, que le premier CHSCT s’est tenu. Il nous apparaît comme une anomalie de taille d’avoir été dans l’obligation de demander la réunion d’un CHSCT national en pleine crise sanitaire. À ce titre, nous avons demandé, dans le cadre du Ségur de la santé, que le CHSCT soit maintenu pour la fonction publique hospitalière. Cela nous semble incontournable, et j’en donnerai deux exemples.

Le 13 mars, le site du ministère des solidarités et de la santé préconisait le port des masques FFP2 dans tous les hôpitaux, tout le temps. Le lendemain, le syndicat FO du centre hospitalier universitaire (CHU) de Strasbourg sollicitait sa direction en ce sens : celle-ci lui a opposé une fin de non-recevoir, disant suivre l’avis du comité de lutte contre les infections nosocomiales (CLIN). Ce n’est que le 25 mars que les directives du ministère ont enfin été appliquées. Au total, dans ce CHU, 600 professionnels ont été contaminés.

Au centre hospitalier de Sarreguemines, un manipulateur d’électroradiologie a été en contact avec des personnes infectées, sans moyen de protection. Représentant syndical, lors du CHSCT, il a décrit sa situation comme inadmissible. Quelques jours plus tard, il a été diagnostiqué porteur du virus. Hospitalisé trois mois en réanimation, il est aujourd’hui décédé. Des enregistrements l’attestent et je parle sous serment.

M. Olivier Youinou, co-secrétaire du syndicat SUD santé solidaires de l’AP-HP. Je suis infirmier anesthésiste dans cette grande institution qu’est l’Assistance publique-hôpitaux de Paris. Malheureusement, nous pourrions tous donner des témoignages de contaminations et de décès parmi nos collègues. La crise nous a fortement touchés ; elle n’est pas sans laisser de traces et je vous remercie de bien vouloir nous entendre à ce sujet.

Pour ce qui me concerne, j’ai abandonné mes délégations syndicales durant la crise pour renforcer les équipes de l’hôpital Henri-Mondor de Créteil, parce que mon métier était essentiel à ce moment-là.

Les soignants ont traversé cette crise comme toute la population. À cet égard, le choix politique du confinement, qui recouvre des aspects sécuritaires et liberticides, ne peut pas être une réponse à un problème de santé publique, fût-ce une pandémie. L’homme est un animal social ; se confiner chez soi n’est pas propice à l’état de bien-être, qui est la définition même de la santé.

Dans ce contexte, l’essentiel est de savoir s’il était possible de faire mieux que ce qui a été fait : à l’évidence, oui. La crise du covid-19 a mis en lumière, sinon la faillite, du moins la défaillance du système de santé français et de l’hôpital public en particulier. La transformation d’un TGV de la SNCF en chambre de réanimation a beau avoir été présentée comme un exploit, ce n’est que le reflet d’un échec du système qui n’a pas permis de trouver de solution d’hospitalisation dans les bassins de vie de ces patients. Cette situation est l’effet d’une politique d’austérité menée depuis trop longtemps, à coups de restrictions budgétaires et de fermetures de lits massives sur l’ensemble du territoire. C’est ainsi que, dans les régions les plus touchées, notamment le Grand Est, le Nord et l’Île-de-France, des patients qui le nécessitaient n’ont pas pu être hospitalisés.

Nous avons également été frappés par l’état de dépendance de la cinquième puissance économique mondiale sur des points aussi cruciaux que sont le bien-être commun et l’accès de chacun à la santé, quelle que soit sa situation financière et sociale, et son lieu de vie. C’est le message fort que nous devons retenir de cette crise : nous n’oublierons rien, nous ne voulons plus connaître ce que nous avons traversé.

Je vais vous livrer librement les résultats d’un brainstorming que nous avons mené dans nos équipes de soin. Cette liste de mots, positifs et négatifs, est révélatrice de ce que chacun a pu traverser.

Parmi les mots positifs, on trouve la mobilité et l’adaptation de l’hôpital et de ses personnels ; les dons de matériels et de masques émanant d’entreprises à l’arrêt, qui sont venus compléter l’offre disponible ou pallier le manque institutionnel ; la communication de la part des directeurs de l’AP-HP, qui ont informé quotidiennement, par visio-conférence, les soignants sur la situation de leurs établissements, le nombre de patients hospitalisés en médecine et en réanimation, le nombre d’agents contaminés ; le rapprochement des équipes ; l’attachement au service comme une unité fonctionnelle de l’hôpital, plutôt que ces grands vaisseaux, supragroupes hospitaliers ou départements médico-universitaires dont on ne sait plus qui les dirige, vers lesquels les politiques veulent nous emmener. La crise a remis les choses au clair, confirmant ce que les enquêtes sociales avaient démontré, à savoir l’attachement des hospitaliers, médecins ou soignants, au service et à la notion d’établissement.

Enfin, la reconnaissance de la covid-19 comme une maladie professionnelle a été vécue positivement.

Comme vous l’imaginez, du négatif ressort également, avec des mots très forts : insécurité, sentiment d’abandon, absence de préparation et de formation, manque de moyens de protection, de médicaments et de matériel médical, stress, angoisse.

La mobilité possible des agents, même vécue comme positive, n’a pas été de tout confort pour les infirmiers ou aides-soignants des services hospitaliers qui ont été transférés vers la réanimation. Les différences dans la prise en charge des patients et les soins ont également été un facteur de stress et d’angoisse importants.

Les personnels parlent aussi d’absence d’intégration et d’encadrement, et de protocoles à géométrie variable. Comme la communication gouvernementale, les recommandations des équipes opérationnelles d’hygiène ont varié, adaptant les bonnes pratiques en fonction des stocks disponibles. Cela a été particulièrement vrai pour les masques et les surblouses.

Parmi les remontées négatives, on trouve aussi la remise en cause des bonnes pratiques professionnelles – a ainsi été particulièrement dure à vivre l’obligation de faire des choix entre les patients à cause du manque de lits de réanimation –, et les relations avec les familles. Certains collègues sur le front, qui pouvaient être contaminés tous les jours, prenaient trois à quatre douches d’affilée en rentrant chez eux ou se changeaient dans leur garage avant de regagner leur foyer.

Nous n’adhérons pas du tout au champ lexical du Gouvernement faisant de nous des héros, des guerriers. Nous sommes simplement des professionnels de santé et aimerions être reconnus comme tels. Des héros ou des guerriers, on ne retient que le dévouement et l’engagement ; cela évite d’évoquer les conditions de travail. Or il est grand temps d’en parler, comme de la reconnaissance de nos métiers, qui sont d’utilité commune, d’utilité sociale, au cœur du pacte républicain.

Mais il faudra aussi aborder les comptes épargne-temps qui représentent, pour la seule AP-HP, 1,1 million de jours épargnés. Ces heures supplémentaires, qui n’ont été ni récupérées ni rémunérées, sont la véritable dette de l’hôpital aujourd’hui, une dette sociale, vis-à-vis de ses salariés. Si la crise permet de remédier à tout cela, elle aura au moins eu cela de positif.

Mme Clotilde Cornière, secrétaire nationale de la CFDT santé sociaux. La fédération santé sociaux représente les acteurs à la fois du public et du privé.

En matière de gestion de la crise, nous avons pu constater que le Premier ministre et le ministère n’avaient pas de capteur pour saisir ce qui se passait sur le terrain. Bon nombre des agences régionales de santé (ARS) ont été incapables de remonter les informations sur les situations locales, transmettant parfois des informations contradictoires. Certaines équipes ne recevaient pas de réponse à leurs sollicitations s’agissant notamment des autorisations spéciales d’absence, du confinement ou des heures supplémentaires. Devant les informations contradictoires émanant des ARS et des directions des établissements, donnant parfois lieu à des interprétations différentes, il a fallu que la direction générale de l’offre de soins (DGOS) publie des foires aux questions pour réguler les informations.

Les ARS se sont focalisées sur les hôpitaux, sans prendre en compte le secteur social et médico-social, ni tenir compte de leurs spécificités concernant les équipements professionnels individuels. On ne peut que constater une absence de vision des stocks ainsi qu’un déficit d’équipement criant pour les services techniques, ainsi qu’une discrimination entre les structures hospitalières et les autres. Par exemple, dans la branche de l’aide à domicile, les personnels n’avaient pas de masque, par manque de reconnaissance et méconnaissance de leur profession. Quant aux équipes du secteur médico-social, elles étaient seules, avec le confinement pour unique recours. Celui-ci a été le révélateur de l’incompétence des directions.

Un déficit des stocks de médicaments et de matériels a également été constaté. Pour répondre aux besoins, les hospitaliers ainsi que les entreprises ont parfois dû faire preuve d’ingéniosité. Je pense, entre autres, aux respirateurs.

Par ailleurs, les ARS n’ont pas organisé de réunion de tous les acteurs lors de l’annonce du confinement. Aucune implication des conseils départementaux n’a été constatée pour les secteurs social et médico-social, alors qu’ils relèvent de leur compétence.

Dans les établissements, si le système ne s’est pas grippé, c’est grâce au professionnalisme des salariés. Là où il y a eu du dialogue social et où les directions ont laissé de l’autonomie aux équipes, celles-ci ont su s’organiser.

Nous avons souligné le lien important que nous avons pu maintenir avec la DGOS. Lorsqu’elle a tenu compte des remontées du terrain, elle a su apporter des réponses et fluidifier les relations entre les organisations syndicales, les agents et les directions. Concrètement, sur le terrain, le dialogue social a manqué.

La crise sanitaire a démontré la capacité d’engagement des personnels. Lorsqu’il n’y avait pas d’information ni de dialogue social, le stress et la peur ont été importants. Bien sûr, la situation a varié selon l’ampleur de la pandémie dans les régions.

La crise a mis en avant l’importance de l’hôpital public et sa capacité à s’adapter rapidement à une situation de crise alors qu’il a été mis à mal depuis de nombreuses années, subissant coupe budgétaire après coupe budgétaire. Ses professionnels, pourtant présents dans la rue depuis plusieurs mois, n’étaient pas entendus.

La crise sanitaire a aussi révélé l’importance de la filière soin, notamment son premier niveau, les agents des services hospitaliers (ASH), personnels responsables de l’hygiène hospitalière. Dans l’hôpital de Colmar, qui avait fait le choix d’externaliser cette compétence, le personnel privé a refusé de venir travailler, mettant en difficulté la structure.

Cette crise a également montré à la société que des métiers essentiels, majoritairement exercés par des femmes, étaient relégués au plus bas de l’échelle des rémunérations et des qualifications. Il est temps aujourd’hui que ces compétences induites soient reconnues comme un indicateur de richesse.

Concernant le personnel, une déréglementation importante du temps de travail dans le sanitaire est intervenue avec la mise en place des 12 heures travaillées, et du confinement dans les EHPAD. Ce confinement a posé plusieurs difficultés au regard du temps de travail, de la rémunération et de l’hygiène – comment des personnels peuvent-ils accepter de dormir à même le sol ? Il a eu aussi des conséquences sur les collectifs de travail, puisque tout le monde n’était pas volontaire.

L’engagement a également des implications extraprofessionnelles. Être professionnel, c’est aussi savoir prendre du temps et du repos. Quelles seront les conséquences sur les collectifs de travail ainsi que sur la vie personnelle des agents ? Aujourd’hui, certains personnels disent ne plus vouloir exercer leur métier. Ils verbalisent un sentiment contradictoire de fierté et de « plus jamais ça ».

Nous constatons aussi une perte de confiance des professionnels dans le système, et la peur que les politiques ne tirent pas de leçons de la crise. Les professionnels ne font plus confiance à leurs dirigeants et à la gouvernance. Les annonces faites pendant la crise, s’agissant notamment de la prime covid-19 et de la reconnaissance comme maladie professionnelle, ne se sont en effet pas traduites dans les faits.

M. Maxime Sorin, conseiller technique pour UNSA santé sociaux. Je suis infirmier en réanimation et représentant syndical.

La crise sanitaire est arrivée alors que les personnels soignants, économiques et administratifs de l’hôpital ou du secteur médico-social étaient déjà en grande difficulté, du fait de la perte de repères et du peu de considération qu’ils ressentaient. Ce sentiment était né, notamment, de la suppression, par la loi de transformation de la fonction publique, des CHSCT, qui ont pourtant démontré leur efficacité et leur utilité durant la crise. Est également en cause la politique managériale d’efficience, alors que, dans une activité qui traite l’humain, c’est l’efficacité qui doit primer. Enfin, il faut citer le manque de moyens humains et matériels que nous vivons au quotidien.

Sans précédent dans l’histoire sanitaire, la crise a révélé un hôpital en souffrance et mis en exergue les carences du système de santé tout entier. Elle a mis en évidence les difficultés entraînées par les politiques nationales d’austérité qui se sont succédé depuis plus d’une dizaine d’années dans les secteurs sanitaire, social et médico-social, causant des tensions importantes sur les moyens humains et des carences dans les stocks et flux de matériels de protection et de certains produits médicamenteux, par exemple les curares.

Tout cela nous conduit à nous interroger sur la place des groupements hospitaliers de territoires (GHT). Un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), publié en janvier 2020, montre l’hétérogénéité des situations sur le territoire et questionne la capacité de réaction des directoires des établissements ainsi que celle de l’État stratège dans notre pays. Il a mis en avant la faculté d’adaptation et la réactivité de mes collègues, acteurs de terrain, non seulement à l’hôpital mais aussi dans les établissements médico-sociaux et sociaux, en particulier dans les EHPAD.

Permettez-moi de rendre hommage à tous ceux qui ont assuré la prise en charge de nos concitoyens dans des conditions de travail dégradées, au prix de leur santé, de leur vie privée, voire de leur vie. À l’heure où nous échangeons, les collègues avec lesquels j’ai traversé la crise sanitaire sont partis ce matin même en Guyane, pour aider d’autres soignants.

À ce stade, aucun bilan de la crise sanitaire n’a été présenté aux organisations syndicales de la fonction publique hospitalière. Le bilan de la crise du covid-19 fonction publique a été discuté en instance lors du dernier conseil commun, le 25 juin. Il m’apparaît néanmoins essentiel, compte tenu du fait que notre versant était et demeure en première ligne face à la crise sanitaire, qu’un bilan spécifique soit réalisé. Sauf erreur de ma part, très peu d’informations concernant la fonction publique hospitalière ont été communiquées lors du conseil commun.

Le bilan, pour être exhaustif, devra comporter des éléments quantitatifs et qualitatifs qui nous ont particulièrement manqué durant la crise. Il faudrait recenser les difficultés et les dysfonctionnements ; mettre en lumière les manques de moyens, en matériel de protection, en dispositifs médicaux, comme les respirateurs, ou en produits médicamenteux ; préciser le nombre de contaminations et de décès au sein de la fonction publique hospitalière – données d’autant plus fondamentales que la reconnaissance de la maladie professionnelle des agents atteints par la covid-19, dans notre versant, est en cours de finalisation juridique ; déterminer le nombre d’autorisations spéciales d’absence (ASA) délivrées soit en raison de la vulnérabilité de l’agent, soit pour garde d’enfants – étant entendu que des mesures ont été prises en la matière avec le ministère de l’éducation nationale et au plan local ; faire le point sur la mise en place du télétravail, sur le surcoût financier lié à la gestion de la crise pour les établissements, et sur le versement de la prime covid-19, en faisant apparaître sa répartition selon les montants prévus. Ce bilan serait extrêmement précieux et riche d’enseignements : cela nous permettrait de mieux appréhender la prise de décision en cas de nouvelle vague.

M. Julien Borowczyk, vice-président. Certains soignants ont estimé qu’il y a eu pendant la crise une organisation plus agile, parfois allégée, probablement en lien avec une simplification de la gouvernance. Cela correspond d’ailleurs à un engagement dans le cadre du Ségur de la santé. Quel regard portez-vous sur la gouvernance dans les hôpitaux ?

S’agissant des masques FFP2, pourriez-vous nous transmettre, monsieur Gadier, les recommandations du ministère de la santé que vous avez évoquées ? Saviez-vous que ces masques n’étaient pas destinés à tous les soignants ? M. Vallet et M. Grall, anciens directeurs généraux de la santé, ont affirmé, lorsque nous les avons auditionnés, qu’ils étaient réservés aux soignants pratiquants des actes invasifs.

Vous avez cité une recommandation ministérielle relative à la non-hospitalisation des patients des EHPAD. De quel document parlez-vous ? Pourriez-vous dès lors nous le communiquer ? 

Selon Santé publique France, il y aurait environ 31 000 soignants contaminés – si j’ai bien compris, vous êtes d’accord avec ce chiffre. Avez-vous des estimations chiffrées en ce qui concerne la déclaration et surtout la reconnaissance du covid-19 comme maladie professionnelle ? Selon le ministère de la santé, la reconnaissance serait systématique à partir du moment où une contamination est avérée, quelle que soit son origine.

M. Gilles Gadier. Selon Force ouvrière, même si nous avons bénéficié de quelques marges de manœuvre liées à une autonomie somme toute particulière, l’agilité résulte du fait que la plupart des interventions chirurgicales ont cessé d’être programmées, de même que les consultations : nous nous sommes concentrés sur la lutte contre le covid-19. L’hôpital public ne peut pas fonctionner en permanence de cette manière. Il faut répondre aux besoins de la population : les interventions chirurgicales doivent avoir lieu, y compris celles qui ont pu être reportées parce qu’elles ne correspondaient pas à une urgence vitale.

Le ministère doit avoir les éléments qui ont été publiés sur son site, mais nous allons essayer de les retrouver. En tout cas, j’ai en ma possession les échanges de mails entre le syndicat FO du CHU de Strasbourg et la direction.

Je sais que les FFP2 devaient plutôt être portés dans les salles de réveil ou lors des soins critiques. Au 25 mars, néanmoins, tous les agents travaillant aux urgences du CHU de Strasbourg devaient en porter. La situation a évolué. Nous avons observé qu’il n’y avait pas de recommandations relatives au port du masque dans de nombreux établissements. Au début de la pandémie, on ne nous disait pas que les masques allaient nous protéger, mais on s’est rendu compte, au fur et à mesure, qu’il fallait en porter. Quand on est soignant, et qu’on est directement en contact avec les malades, il faut se prémunir. Par ailleurs, le code du travail prévoit que l’employeur doit fournir des moyens de protection à son personnel, qu’il soit fonctionnaire ou non.

Je connais des EHPAD qui se sont fait un peu dépouiller de leur stock de masques, pour fournir les hôpitaux. Comme il y a des gens très fragiles dans les EHPAD, ceci est un non-sens. J’ai personnellement interpellé sur ce sujet la direction générale de l’offre de soins lors du premier CHSCT national.

M. Olivier Youinou. Nous avons vu lors de la crise, alors que l’exécutif nous faisait savoir qu’il fallait agir « coûte que coûte » et qu’il n’y avait donc pas de contrainte budgétaire, que les difficultés de l’hôpital persistaient en l’absence du matériel nécessaire. Je pense notamment au milliard de masques commandés en Chine mais jamais arrivés en France – j’ai cru comprendre qu’ils avaient été détournés sur le tarmac d’un aéroport, les Américains étant prêts à payer plus cher. Dans la mesure où la contrainte budgétaire ne pesait plus, les directions ont néanmoins été beaucoup plus à l’aise, et les équipes de soins aussi : elles pouvaient ne s’attacher qu’à ce qui doit être leur quotidien, à savoir procurer des soins en fonction des besoins. C’est une expérience très intéressante.

Je ne sais pas s’il doit, ou s’il peut y avoir des répercussions sur la gouvernance, mais j’ai constaté que nous partagions bien plus qu’avant au sein des équipes et des services. J’ai vécu un retour à ce que j’ai connu au début de ma carrière. Lorsqu’on était face à des cas difficiles, on prenait des décisions collectivement, en équipe. Les médecins écoutaient, quand il s’agissait de maintenir ou d’arrêter la thérapie, ce qu’avait à dire un infirmier venant de passer douze heures avec le patient. Revivre cela était plutôt positif.

Si l’on élabore une nouvelle gouvernance de l’hôpital, il ne faudra pas s’arrêter à l’étage médico-administratif. Il faudra intégrer tous les personnels, en particulier ceux qui sont les plus nombreux, et que nous représentons ici. Ils n’ont que des strapontins dans des instances où on leur demande leur avis sans en avoir, en général, rien à faire. Pour renforcer la démocratie sanitaire, il faudra beaucoup plus d’écoute et de partage avec l’ensemble des personnels, dans les centres décisionnels, mais aussi une meilleure représentation des usagers. Si on avait écouté les personnels et les usagers, on n’aurait pas fait de l’hôpital ce qu’il est aujourd’hui, et il serait resté présent dans l’ensemble du territoire, au plus près de la population, dans les bassins de vie.

Mme Clotilde Cornière. Nous avons fait le constat que lorsqu’un dialogue social assez fluide a pu avoir lieu entre les directions et les équipes, cela a permis de mettre de l’huile dans les rouages. Les équipes savent faire des propositions, notamment pour l’organisation du travail et pour les soins. Quand il y a un gros problème, le collectif se resserre et on arrive à prendre les bonnes décisions.

La réquisition des masques dans les EHPAD n’a pas été très bien comprise par le personnel, qui s’est demandé comment faire en l’absence de protection. Certains ont dû aussi venir alors qu’ils étaient malades, parce qu’il n’y avait personne pour les remplacer. Nous pensons que le traumatisme qui en est découlé va durer un certain temps.

Même lorsque les EHPAD relevaient d’un centre hospitalier, nos collègues nous ont dit que les personnes âgées ne pouvaient pas être envoyées en réanimation ou dans les services de médecine : c’était refusé, et il fallait se débrouiller. Un collègue m’a notamment dit à propos de Saint-Dizier : « les gens sont en train de mourir, et on ne sait pas quoi faire. On les regarde mourir. On les soulage, mais c’est tout ». Je crois que ce n’est pas acceptable. Il faudra comprendre comment on a pu mettre des usagers et des professionnels dans de telles situations. Ce qui a leur été demandé ne correspond pas à ce qu’on nous enseigne.

M. Maxime Sorin. Il y a en effet des enseignements à tirer de la crise s’agissant de la gouvernance des hôpitaux. Les informations vont trop souvent de haut en bas, du directoire vers les agents, alors que des instances devraient permettre d’engager une réflexion commune – le comité technique d’établissement (CTE), le CHSCT ou le conseil de surveillance. Trop fréquemment, les ordres du jour ne permettent pas aux représentants syndicaux de faire remonter à la direction les problématiques concrètes.

Les conseils de surveillance étaient auparavant des conseils d’administration où les élus locaux avaient toute leur place, pour que la population puisse s’exprimer. Un « conseil de surveillance » est une expression un peu étrange s’agissant d’un hôpital : on ne peut se contenter de le surveiller, il faut aussi l’administrer. Les instances actuelles sont malheureusement réduites à des chambres consultatives, où on se contente de lever la main.

Si la gouvernance a été beaucoup plus agile pendant la crise, c’est parce qu’il y avait une sorte d’euphorie – tout le monde essayait de faire de son mieux et avait des semaines à rallonge. Une des leçons à tirer de la crise, c’est qu’il faudrait des points d’ancrage beaucoup plus locaux. Certains GHT s’étendent sur presque 70 kilomètres avec une direction commune. On ne peut pas gérer un hôpital à distance.

D’après les retours que nous avons eus, le port des FFP2 concernait effectivement les actes invasifs de la sphère ORL. On sait, par ailleurs, que la transmission est à 80 % manuportée et à 20 % aéroportée. La problématique des masques est mise en avant, alors que c’est d’abord sur les gestes barrières et la distanciation sociale qu’il faut mettre l’accent, y compris dans les EHPAD, qui sont des lieux de vie.

Des choix ont été faits, ce qui a probablement coûté de nombreuses vies, et cela a créé un mal-être immense dans les équipes des EHPAD parmi lesquelles l’incompréhension était totale. On confond trop souvent les EHPAD médicalisés et les hôpitaux, alors que la gestion et l’exercice sont un peu différents. Beaucoup d’EHPAD ont dû se débrouiller avant que des actions et des recommandations soient mises en place par le Gouvernement. On a tout misé sur les hôpitaux et les établissements sociaux ; on a trop tardé pour les EHPAD et les personnes âgées, ce qui a conduit à une catastrophe. On a encore du mal à estimer les pertes à domicile – nous n’avons aucun chiffre.

Mme Astrid Petit. En ce qui concerne les EHPAD, j’ai entendu de nombreux témoignages semblables à celui qui vient d’être rapporté par Clotilde Cornière. L’hôpital a quasiment été inaccessible pour les personnes âgées. La note ministérielle qui recommandait de maintenir à domicile ou en EHPAD les personnes âgées malades – alors qu’il n’y avait pas de dépistage – date du 31 mars. On a abouti à une situation où la moitié, au moins, des gens morts du covid-19 en France sont des personnes âgées – moyennement âgées pour certaines d’elles. On ne peut que se poser la question suivante : pourquoi a-t-on maintenu ces personnes à domicile ou en EHPAD au lieu de leur donner la possibilité d’accéder à l’hôpital comme n’importe quel patient ?

S’agissant de la reconnaissance comme maladie professionnelle, il est très difficile d’estimer où on en est. Au courant du mois de juin, un tiers seulement de nos syndicats nous ont indiqué avoir connaissance, dans leur établissement, de la mise en place d’un processus de reconnaissance en tant que maladie professionnelle. A priori, les agents ont les plus grandes difficultés en la matière. En ce qui concerne la reconnaissance comme accident du travail, qui a fait l’objet de quelques démarches, 10 % seulement de nos syndicats ont connaissance de reconnaissances effectives.

Par ailleurs, notre dernier chiffre n’est pas de 30 000 agents contaminés, mais de 65 800 au 14 mai.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Permettez-moi, tout d’abord, d’exprimer ma reconnaissance personnelle et, je crois, celle de la mission, à l’ensemble des personnels soignants que vous représentez. Le professionnalisme, l’engagement et la détermination de tous les personnels soignants, à l’hôpital public, dans les établissements privés, les EHPAD, les établissements médico-sociaux et les services de soins à domicile, font naturellement partie des points positifs, et je tiens à vous dire notre immense gratitude. Si le système a tenu, malgré les conditions difficiles que vous avez rappelées, c’est grâce à vous.

Cette audition est très importante, car c’est la première fois, me semble-t-il, que nous entendons des personnels qui ont été confrontés directement aux difficultés, sur le terrain. Vos propos sont un peu éloignés de la parole plus officielle que nous avons entendue jusqu’à présent – un grand quotidien parlait hier de « positive attitude »

La plupart d’entre vous ont dit que des choix ont été faits en ce qui concerne la prise en charge des patients. C’est une position, voire une accusation, extrêmement grave, qui est contestée sur le plan médical : on nous dit que tout le monde a été accueilli. Sur quoi votre affirmation repose-t-elle ? Vous avez indiqué que des choix ont été faits à cause d’un manque de lits, ce qui a sans doute coûté des vies. Avez-vous des éléments quantitatifs et concrets ? C’est une question extrêmement importante sur laquelle il faut faire la lumière. Comment ont été effectués les choix faits dans les services de réanimation ? En avez-vous été témoins ?

Mme Petit a évoqué une instruction ministérielle du 31 mars, recommandant le maintien en EHPAD ou à domicile des personnes âgées. Nous souhaiterions que vous nous transmettiez ce document, si vous l’avez, car il nous a toujours été dit qu’il n’y avait aucune instruction de cette nature. Les conséquences sont extrêmement graves : Mme Cornière a évoqué l’exemple de Saint-Dizier, où l’on a regardé les gens mourir sans rien faire. Cela rejoint ce que j’ai connu dans mon département mais ce point a toujours été contesté par les autorités de tutelle. Si l’on n’a pas hospitalisé des personnes âgées en EHPAD, alors elles ont très souvent été conduites sur un chemin fatal, en l’absence de prise en charge. Avez-vous des éléments chiffrés et des exemples concrets à nous apporter ? Avez-vous été directement témoins de telles situations ?

M. Maxime Sorin. Quand j’ai parlé de choix, il s’agissait du matériel. Je suis intervenu à plusieurs reprises à la suite de ce qu’on a entendu à la radio ou à la télévision : on n’a pas fait des choix s’agissant des patients. Il existe des critères préétablis en matière de réanimation, et tous les patients sont examinés. J’ai vu des médecins faire des semaines interminables, avec parfois trois ou quatre gardes de vingt-quatre heures par semaine, pour voir un maximum de patients dans les services covid-19, et des salles de réveil réquisitionnées pour servir de chambres de réanimation.

Accepter un patient en réanimation est un choix difficile et lourd de conséquences. Il y a, ensuite, tout un processus de réadaptation, également très difficile et très lourd. Si un patient n’entre pas en réanimation, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de lits, mais parce qu’il peut y avoir, par la suite, des conséquences très graves et qu’il est difficile de se remettre de deux semaines de réanimation : il y a beaucoup de médicaments et beaucoup de manipulations, le corps est en souffrance. Je n’ai vu, à aucun moment, en réanimation, un médecin se poser la question : « j’ai deux patients, je choisis lequel ? ». À mon sens, cela n’est pas arrivé, et je pense qu’il y aurait une levée de boucliers si cela devait se produire.

Il faut reconnaître le professionnalisme du personnel paramédical et médical. Chacun a pris ses responsabilités, en évaluant le bénéfice et le risque – c’est ainsi que l’on travaille en médecine. Il n’y a pas eu de choix sur le plan humain. Je me suis peut-être mal exprimé lorsque j’ai évoqué des choix.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Vous avez indiqué que des choix ont été faits, ce qui a coûté des vies.

M. Maxime Sorin. Je faisais référence aux EHPAD : on a beaucoup tardé. Ce sont des lieux de vie médicalisés, il y a des médecins coordonnateurs qui permettent de gérer les prises en charge, ou plus exactement les prises en soins. La descente des informations a pris du temps.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Ce que vous avez dit concernait donc l’hospitalisation des personnes âgées en EHPAD.

M. Maxime Sorin. Mes propos manquaient de clarté, excusez-moi.

M. Olivier Youinou. Je n’ai pas la même approche. Je pense que des choix ont été faits, en particulier dans les EHPAD.

Outre la note ministérielle qui a été évoquée, il y a eu le décret n° 2020-360 du 28 mars 2020, « complétant le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire », dit décret rivotril. Dans le contexte de la crise liée au covid-19, on a jugé que des patients, essentiellement parce qu’ils étaient âgés, avaient une balance bénéfice-risque qui conduirait les réanimateurs à dire qu’ils auraient du mal à les sortir de la réanimation, mais cela reposait sur des données statistiques et non sur des données réelles, sur des études cliniques.

C’est particulièrement vrai au sujet de l’hospitalisation à domicile (HAD) – je pensais qu’Astrid Petit en parlerait. On a mis en place à l’Assistance publique des groupes d’intervention rapide (GIR). Vous imaginez, rien que sur le plan lexical, ce que cela peut vouloir dire – on n’est pas tellement dans le champ hospitalier. Les équipes hospitalières intervenaient dans les EHPAD pour mettre en place un protocole préétabli, faisant notamment appel au rivotril, pour des personnes âgées présentant une dépression respiratoire.

M. Éric Ciotti, rapporteur. C’est un protocole de fin de vie.

M. Olivier Youinou. C’est ce qui a été appelé le « protocole palliatif covid ».

Je voudrais relayer le témoignage de collègues qui ont dû mettre en place ce protocole sans avoir avec eux le médecin de l’EHPAD ou celui de l’HAD. Ils ont dû agir sur les dires d’un médecin d’un EHPAD, qui avait téléphoné à son collègue de l’HAD après avoir jugé que le patient était en dépression respiratoire et qu’il fallait mettre en œuvre le protocole palliatif. La charge a pesé sur le personnel non médical, ce qui est particulièrement lourd. Nous ne sommes pas formés à cela. C’est quelque chose qui doit être partagé, collectivement, et on ne doit pas découvrir le tableau clinique quand on arrive dans l’établissement. C’était particulièrement dur, et cela reste encore très présent dans les esprits. Les collègues ont du mal à s’en sortir. Quand bien même il serait exact que ces patients auraient eu des difficultés à sortir de réanimation, le sentiment qui reste est qu’on ne leur a pas donné toutes les chances.

M. Éric Ciotti, rapporteur. J’aimerais que l’on approfondisse ce point, car ce que vous dites est extrêmement grave. Des milliers de vies humaines sont concernées. Vous nous dites que, dans ces protocoles, aucun médecin n’est intervenu, sauf par téléphone. Dans un EHPAD, il y a un médecin coordonnateur : lui a dû voir le patient. Il a saisi le SAMU, l’hôpital, la HAD, avec un refus de prise en charge et la mise en place du protocole ; comment tout cela s’articule-t-il chronologiquement ?

M. Olivier Youinou. Je ne travaille pas en HAD, ce sont des témoignages qui me sont remontés. Le médecin de la HAD avait visiblement visité le patient et jugé que son état était grave, avec détresse respiratoire ; il a appelé le collègue de la HAD pour une prise en charge palliative du covid-19 sur ce patient. Celui-ci a dépêché une équipe à l’EHPAD pour la mise en place du protocole, qui consiste notamment en injection de rivotril par infuseur.

Mme Astrid Petit. Je travaille en HAD. Je ne suis pas infirmière mais sage-femme, j’ai donc vu des patientes covid qui étaient plutôt en forme, dirons-nous.

Ce que dit M. Youinou est vrai. Il a été mis en place, en catastrophe, une organisation ad hoc de prise en charge de patients en fin de vie, compte tenu du nombre de patients âgés qui étaient malades, mais selon un circuit que nous n’avions pas imaginé jusqu’alors. En HAD, il faut qu’un médecin voie le patient, que l’entrée soit préparée, que toutes les prescriptions soient là, qu’on ait un dossier, un accord du patient ou de la famille. Là, des GIR ont été établis.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Les GIR sont-ils spécifiques à l’AP-HP ?

Mme Astrid Petit. Oui, mais les 15 000 morts dans les EHPAD n’étaient pas tous en Île-de-France, c’est valable ailleurs aussi. Nous avons eu des entrées en HAD selon de tout autres protocoles que les protocoles habituels de soins palliatifs, avec du matériel covid, c’est-à-dire des infuseurs, dont les débits sont moins précis que les pousse-seringues. Nous avons eu aussi parfois des entrées la nuit. Dans certains EHPAD – nous avons des photos –, le numéro de la HAD était collé directement sur la porte, et l’infirmière ou l’aide-soignante de l’EHPAD de garde de nuit téléphonait. Il y a bien sûr un médecin d’astreinte en HAD, qui faisait les prescriptions, mais ce sont les infirmières qui se déplaçaient pour voir le patient et démarrer le traitement – qui n’était d’ailleurs pas un traitement.

M. Julien Borowczyk, vice-président. Ces recommandations dont vous parlez valaient-elles pour l’ensemble du territoire national ? Étaient-elles diffusées et appliquées sous contrainte administrative aux médecins et aux centres 15 s’agissant de l’entrée en hospitalisation ?

Vous nous dites que des soins palliatifs ont été mis en place mais sans, en amont, évaluation systématique par un médecin du rapport bénéfices-risques pour chaque patient, avec une prescription pour chaque patient – c’est bien cela ? Votre collègue parlait pourtant d’un protocole habituel, avec une évaluation bénéfices-risques par patient.

Mme Astrid Petit. Il y avait évidemment une prescription nominative.

M. Julien Borowczyk, vice-président. Était-elle précédée d’un avis médical balançant les bénéfices et les risques pour chaque patient ?

Mme Astrid Petit. Je ne peux pas vous affirmer que tous les patients entrés en HAD ont vu un médecin au moment de l’entrée.

M. Julien Borowczyk, vice-président. Certains patients n’ont donc pas été vus par un médecin avant de recevoir un traitement injecté ?

Mme Astrid Petit. Quand un patient entrait de nuit en HAD, je ne peux pas affirmer qu’il a forcément été vu par un médecin au moment de l’entrée.

M. Julien Borowczyk, vice-président. Sous quelles prescriptions les injections étaient-elles réalisées et par qui ?

Mme Astrid Petit. Ce pouvait être l’infirmière qui, surtout la nuit, décrivait par téléphone l’état clinique du patient au médecin pour ajuster une prescription.

M. Gilles Gadier. Nous ne sommes pas médecins ; ce que nous vous disons nous est remonté du terrain. Nous décrivons le contexte général auquel les personnels ont été confrontés. Je vous engagerais à regarder combien il y a eu de morts dans les EHPAD, combien de résidents des EHPAD sont décédés du covid, combien ont été transférés à l’hôpital, et à comparer avec les personnes qui, hors des EHPAD, ont été atteintes du covid et prises en charge à l’hôpital. Cette indication serait intéressante pour voir si les 15 000 décès des EHPAD sont une situation normale. Si une très faible proportion de ces résidents a transité par l’hôpital, on pourrait alors imaginer que des choix ont été faits.

M. Jean-Pierre Door. C’est là un sujet très important dont on parle depuis des semaines : comment s’est passée la transmission entre les EHPAD, l’hôpital, la HAD. Les structures mobiles d’urgence et de réanimation (SMUR) ont également été beaucoup mises à contribution.

Ancien réanimateur, j’ai apprécié en direct l’engagement des personnels du centre hospitalier régional de mon territoire. Je sais que beaucoup ont été touchés. J’exprime toute ma reconnaissance à nos personnels soignants dans ce combat d’un genre unique.

À quelle date avez-vous manqué de masques, et pendant combien de temps, de même que de blouses et de charlottes, ainsi que de respirateurs ?

La prime covid a-t-elle satisfait l’ensemble des personnels hospitaliers ? Comment est-elle répartie ? J’ai cru comprendre que c’était au directeur de faire le choix ce qui est un choix difficile, car comment décider lequel mérite 500 euros, lequel 1 000 euros… ? Je pense que cela ne doit pas venir de la direction mais de la hiérarchie supérieure.

À quelques jours du Ségur de la santé, quelles revalorisations demandez-vous ? Les 7 milliards annoncés donnent-ils satisfaction ou sont-ils difficiles à valider ?

M. David Habib. Je suis issu d’un département très peu touché. Quand je vous entends, je comprends que la vie et la mort ne sont pas un concept, mais un quotidien, et j’ai envie de vous dire « Respect ! ». Cela nous oblige à aller jusqu’au bout, notamment sur la question du tri évoquée par le rapporteur.

J’ai été destinataire d’une recommandation régionale de l’ARS Île-de-France du 19 mars, disant : « Dans un contexte d’exception où les ressources humaines thérapeutiques et matérielles pourraient être ou devenir immédiatement limitées, il est possible que les praticiens sur-sollicités soient amenés à faire des choix difficiles et des priorisations dans l’urgence concernant l’accès à la réanimation. » Le tri s’est adossé à des textes. Il faut, même si je ne vous poserai pas de question à ce sujet, poursuivre la réflexion pour savoir comment, en dehors du discours officiel des ministres, des mesures ont été prises pour faire face à l’urgence.

Sur la situation du personnel soignant, j’ai posé hier à Martin Hirsch la question des conséquences post-traumatiques pour vos collègues. Nous recevons des témoignages terribles. Je voudrais que vous nous fassiez le point sur la situation psychologique des personnels en EHPAD et à l’hôpital.

Alors qu’il y a eu treize décès dans le Pays basque et treize décès dans le Béarn, la prime covid était de 1 500 euros à Bayonne et de 500 euros à Pau, et il a fallu se battre, toutes sensibilités politiques confondues, pour rétablir un équilibre. Je souhaite que vous vous exprimiez sur ce fiasco qui a créé des « traumatismes », au sein de la communauté soignante.

M. Philippe Vigier. Je vous demande, à mon tour, de transmettre nos remerciements à ceux que vous représentez.

Sur les médicaments qui sont venus à manquer, comme les curares, pouvez-vous nous dire précisément ce qui s’est passé ?

Si vous aviez des propositions à faire sur le fonctionnement des ARS, cela nous intéresserait, pour que l’efficacité soit au rendez-vous.

La possibilité de transférer des patients dans le privé n’a pas été évoquée. Vous avez vu le rapport de la fédération des sapeurs-pompiers. Quelle réflexion cela vous inspire-t-il ?

Tout médecin évalue les bénéfices et les risques, mais nous devons savoir si, en dehors des EHPAD, des choix ont été faits et si vos remontées agrégées en attestent.

Nous avons interpellé pendant le confinement le ministre Olivier Véran, qui a très bien répondu, sur la reconnaissance de cette maladie professionnelle. L’engagement a été pris : existe-t-il des obstacles ? Enfin, s’agissant des primes, ce qui a été promis sera-t-il bien versé ?

M. Éric Coquerel. Je m’associe aux remerciements, que j’essaie par ailleurs d’exprimer en ce moment dans la rue, pour soutenir vos revendications.

Nous avons vécu en mars un manque de tests, de masques et de lits. En Seine-Saint-Denis, beaucoup de gens ont été retenus au maximum chez eux parce que les lits manquaient. Face à cette situation, Mme Buzyn déclarait le 30 juin : « À mon niveau, je n’ai jamais eu d’alerte spécifique de Santé publique France sur les stocks, ni en arrivant comme ministre ni après » et « Le ministre ne connaît pas les stocks des milliers de produits dont on a besoin dans notre système de santé ». Cela vous paraît-il crédible ? En mars, au moment de la généralisation de l’épidémie, aviez-vous des alertes, les avez-vous communiquées au ministère ?

Je fais partie de ceux qui pensent que la politique de santé publique suivie depuis quelques années, avec la recherche de rentabilité, a transformé cette crise épidémique en crise sanitaire. Quelle est votre analyse à ce sujet ? Et quelle est votre analyse de l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM), c’est-à-dire du passage, en 1995, de l’idée d’adapter des recettes à des besoins à celle d’adapter des besoins à des recettes ?

Enfin, il y a de nouveaux cas de confinement en Espagne, en Suisse, en Allemagne, et il est fort possible que nous connaissions une nouvelle poussée épidémique à la rentrée. Pensez-vous que les hôpitaux, les personnels, le matériel soient mieux adaptés à cette éventuelle nouvelle vague qu’au mois de mars ?

Mme Clotilde Cornière. Nous avons appelé la prime covid la prime de la discorde car, avec les zones vertes et rouges, les 500  et les 1 500 euros mentionnés dans les premiers textes, l’application sur le territoire n’avait plus rien à voir avec la prime universelle pour tous des premières annonces du Gouvernement. Tous les professionnels de la santé ont connu un plan blanc dans les hôpitaux, un plan bleu dans les EHPAD ; tous ont dû revoir leur organisation de travail, ont été en stress, éprouvés dans leur vie professionnelle et personnelle. Les mesures ne correspondaient pas aux attentes. Commencer le Ségur dans ces conditions, avec une partie du personnel qui n’a plus confiance dans la gouvernance, c’est compliqué.

Nous avons, en outre, un problème de dialogue social. Les ARS sont hors sol, n’écoutent pas ce qui se passe sur le terrain, ne savent pas, ne veulent pas entendre. Quand on met en place un comité interministériel de la performance et de la modernisation de l’offre de soins hospitaliers (COPERMO) en pleine crise, il y a un problème. Il nous est arrivé, pendant la crise, d’être obligés d’appeler directement les délégations des ARS. Elles n’avaient aucune visibilité sur ce qui se passait dans les hôpitaux et les EHPAD ; nous étions obligés de leur dire. Elles n’ont pas, selon nous, joué leur rôle de remontée d’informations.

S’agissant du Ségur, nous pensons que, pour intégrer le privé, l’enveloppe normale – puisque nous avons découvert qu’elle devait être partagée avec celui-ci –, devrait être de 8 milliards pour pouvoir atteindre le socle de 300 euros attendu par les professionnels.  

Dans les EHPAD, le problème est le manque de professionnalisation du personnel. Le défaut d’attractivité du métier pour les infirmières et aides-soignantes fait que les EHPAD manquent de personnel qualifié, ce qui a eu des conséquences dans la gestion de la crise. Sans formation, on n’a pas les bons gestes d’urgence, et cela a été un problème pour la prise en charge des personnes âgées qui étaient en train de mourir. Nous pensons qu’il faut un plan de formation du personnel des EHPAD. Ce n’est pas compliqué, pour devenir aide-soignante, il faut quatre modules, c’est quatre mois.

Nous avons demandé au ministère une gestion post-traumatique des personnels. Dans le Grand Est, nos équipes ont discuté avec les militaires, qui leur ont dit : « Quand nous rentrons d’une zone de guerre, nous avons un temps de récupération, pour se réhabituer à la vie familiale. » Notre personnel n’a pas cela. Nous n’avons pas été entendus, et aujourd’hui des collègues veulent quitter le métier, car ils ne veulent pas revivre ça.

M. Maxime Sorin. Je travaille dans le Val-d’Oise, un département qui a été extrêmement touché par le covid. À l’hôpital de Pontoise, hôpital pivot du GHT, nous avions initialement dix-huit lits de réanimation et nous sommes montés à quarante-quatre, ce qui est énorme. Nous avons eu le nombre de respirateurs suffisants pour ouvrir ces chambres de réanimation. Nous avons également eu des masques en nombre suffisant en réanimation. Mais la situation était hétérogène selon les différents services. Nos collègues administratifs, par exemple, ont dû faire des pieds et des mains pour obtenir des plexiglas.

Les modalités d’octroi de la prime covid ont suscité des difficultés sur le terrain, oppositions entre professionnels, incompréhensions… Les salariés sont, bien sûr, contents de recevoir 1 500 euros, surtout alors que les paramédicaux français sont au vingt-sixième rang sur vingt-huit en termes de salaire par rapport au PIB au sein de l’OCDE, mais ils veulent surtout être augmentés. Nous demandons 300 euros nets d’augmentation pour tous les salariés de l’hôpital.

S’agissant de la situation psychologique de nos collègues, je vous laisse imaginer ce qui passe quand, pendant deux mois on est applaudi, quand on ne fait plus la queue pour ses courses parce que les magasins ouvrent les portes avant pour les personnels de l’hôpital, et que, du jour au lendemain, on retourne dans la banalité. Pendant cette crise, tout le monde s’est mobilisé et a essayé de faire de son mieux, et ce matin encore des collègues sont partis pour la Guyane pour aller soutenir le personnel de ces départements. Comme une seconde vague est possible à la rentrée, cela fera six mois de combat acharné contre le virus. La situation psychologique est très grave. En même temps, dans beaucoup de structures, la médecine du travail est défaillante : les rendez-vous réguliers, le suivi spécifique pour les personnels de nuit et ceux qui travaillent en horaires dérogatoires font cruellement défaut à l’hôpital. Pour rappel, nous faisons partie des professionnels qui présentent le plus de troubles musculo-squelettiques, devant les travaux publics.

Quand on ouvre des lits pendant une crise, se pose une question pratique, à savoir : de quoi a-t-on besoin pour faire tourner ces lits ? Les directeurs ont été plutôt efficaces, pour la plupart, en organisant des filières de soin, des aménagements d’entrées et de sorties pour que personne ne se croise. En termes de médicaments, il n’y a pas vraiment eu défaut mais on ne s’était pas rendu compte qu’on allait manquer de curares parce qu’avec quatre fois plus de patients la consommation de médicaments serait aussi multipliée par quatre, le tableau chimique étant exactement le même pour chaque patient.

Les ARS, je rejoins Mme Cornière, sont complètement hors sol. Les informations vont de haut en bas et jamais de bas en haut, les ARS ne savent donc pas vraiment ce qui se passe dans les structures hospitalières. Elles se préoccupent de la rentabilité, de la gestion, de la T2A, mais l’hôpital n’est pas une entreprise ; on y traite de l’humain, et cela nécessite de mettre les moyens et d’arrêter de couper tous les budgets des hôpitaux.

De ce que j’ai vécu et des remontées que j’ai pu avoir, il n’y a pas eu de choix. Les critères réanimatoires sont préétablis : on étudie un patient à un instant t, et quand c’est possible on anticipe. Tout le monde s’est mobilisé pour essayer de voir les patients un à un et évaluer si la réanimation devait être lancée ou non car les implications sont nombreuses.

La reconnaissance de la maladie professionnelle est compliquée, sachant que nous avons eu du mal à obtenir des tests pour les soignants au début de la crise. Certains de mes collègues ont été reconnus en maladie professionnelle, car ils ont pu avoir accès à un test ou parce que les symptômes suffisaient à poser le diagnostic. Nous avons à présent des tests, y compris des tests sérologiques, qui ne permettent cependant pas de savoir si l’on est protégé du covid mais seulement si on l’a eu.

S’agissant des alertes, cela a manqué de timing. En janvier, février, on nous disait que l’on aurait un ou deux cas seulement sur le territoire, et on voit aujourd’hui le nombre de morts…

S’agissant des politiques de santé publique, et notamment de l’ONDAM, les salaires à l’hôpital sont extrêmement bas, conséquence de budgets hospitaliers de plus en plus réduits. La prime covid a coûté quelque 1,8 milliard d’euros sur le territoire, alors qu’il y a un an, quand le budget de la sécurité sociale est tombé, il manquait pratiquement 3 milliards. Nous devons faire toujours plus avec toujours moins.

M. Gilles Gadier. Sur la prime covid, nous avons dit, dès que nous avons été informés par la DGOS de la disparité du versement, que c’était une erreur. En applaudissant les personnels hospitaliers, les gens n’applaudissaient pas ceux de tel ou tel département, région, établissement, mais l’ensemble des personnels qui faisaient front, y compris en manquant de matériel de protection et en ayant peur de ramener le virus à la maison et de contaminer leur famille. La prime aurait dû être unique pour l’ensemble des professionnels. C’est ce que nous avons essayé de dire au ministère, mais nous n’avons pas été entendus. Il est dommage de dépenser autant d’argent sans satisfaire ceux qui le reçoivent.

L’ONDAM fixe des objectifs, mais c’est une enveloppe fermée : si le coup de bistouri vaut tant en début d’année et qu’il n’y a plus d’argent à partir de tel mois, cela veut dire qu’il faut lisser sa valeur sur l’année. Dès lors, ce n’est plus du tout le même montant qui entre dans les caisses de l’hôpital. Comment les établissements hospitaliers peuvent-ils gérer cela, alors qu’on leur demande de faire des plans pluriannuels d’objectifs et de moyens, souvent sur cinq ans, d’engager virtuellement des dépenses et de faire des projets si, dans le même temps, on change les règles du jeu et on baisse les tarifs ? Autrement dit, ce sur quoi ils s’étaient appuyés pour élaborer leur contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens tombe à l’eau. C’est quasiment insoluble.

Les ARS ont confié la gestion des stocks de masques aux établissements de santé, sans leur en donner les moyens. Selon nous, on a transféré le déficit de la sécurité sociale sur les établissements de santé, notamment par la baisse des tarifs, alors qu’il n’a échappé à personne ici que les prix de l’électricité, du gaz, de la nourriture, du traitement du linge ont augmenté – malheureusement pas les salaires des hospitaliers. Il aura fallu, pour cela, l’épidémie de covid-19, alors que nous étions dans la rue depuis des années pour dénoncer la paupérisation des professionnels travaillant dans les hôpitaux.

S’agissant de la connaissance précise des stocks, nous avons bien posé des questions à chaque CHSCT national, mais nous n’avons jamais eu de réponse – ni sur les stocks, ni sur les flux, ni sur les commandes, ni sur le nombre de personnels contaminés ou décédés ; sur rien ! Nous avons également demandé, dans le cadre du CHSCT, la mise en place de cellules de crise post-traumatiques – on comprend aisément que ceux qui ont pris des risques ont vécu des situations émotionnelles qu’ils n’ont pas nécessairement appréhendées immédiatement, mais qui nécessitent une prise en charge à un moment donné.

On a le sentiment que si les tests n’étaient pas obligatoires, c’est parce qu’on ne pouvait pas les faire. Maintenant qu’on peut les faire, ils sont très vivement recommandés dès que nous avons des symptômes. C’est la même chose pour les masques. On nous a même expliqué qu’il fallait être un technicien pour le porter, parce que s’il était mal posé, ça pouvait être plus grave que si on n’en mettait pas. Sans vouloir lancer de polémique, on cherche toujours comment on peut se débrouiller…

S’agissant de la prime covid, je veux vous donner un exemple très concret. Un technicien supérieur hospitalier biomédical, qui intervient sur les générateurs d’hémodialyse ou sur les respirateurs et qui a travaillé pendant la crise dans les chambres des malades atteints du covid-19, n’est pas éligible à la prime de 1 500 euros, le ministère ayant fixé un quota de 40 % maximum de personnels d’un établissement pouvant percevoir cette somme. Les directions ont donc dû faire des choix, alors que ce n’était pas à elles de le faire. C’est terrible de leur avoir ainsi renvoyé la balle.

Quant aux ARS, non seulement elles n’ont pas joué leur rôle – si cela ne tenait qu’à nous, les ARS n’existeraient pas –, mais de surcroît elles se permettent de faire des réserves prudentielles, la seule variable d’ajustement étant toujours la même : les effectifs. Nous sommes contents d’apprendre du ministre de la santé que le Ségur va permettre d’inverser la tendance puisque des personnels vont être recrutés, mais nous considérons que le compte n’y est toujours pas. On ne fait pas tous les mêmes calculs : pour parvenir à une revalorisation de 300 euros que revendique l’ensemble des personnels, il faut bien plus que 8 milliards.

M. Olivier Youinou. Outre la différenciation géographique, la prime covid est assortie d’un critère calendaire : il faut avoir travaillé trente jours du 1er mars au 30 avril. Il y a pourtant encore aujourd’hui des patients atteints du covid-19 et des renforts maintenus en Île-de-France, notamment en hôpital gériatrique, parce que les besoins y sont énormes et qu’il y a encore des clusters dans ces établissements-là. Ce calendrier, qui ne tient pas compte de la réalité épidémiologique, n’est donc pas acceptable, et d’autant moins qu’il est appliqué de façon disparate sur le territoire. Martin Hirsch n’a pas attendu la publication du décret d’application pour la distribuer à ses agents, posant de fait la question de l’équité sur l’ensemble du territoire. Avec la crise, ils ne doivent plus être très nombreux ceux qui méconnaissent la situation des soignants, et notamment leur non-reconnaissance.

Pour ce qui est du tri, je peux vous citer deux cas de projets personnalisés de patients qui ont été pris en charge par l’HAD de l’AP-HP. Le premier concerne un patient de 64 ans résidant en EHPAD, souffrant d’une démence sévère compliquée d’une probable infection à covid-19. Pris en charge par l’HAD depuis le 1er avril 2020 pour le soulagement des symptômes d’inconfort dans un cadre palliatif, il présente des comorbidités : hypertension artérielle, hémorragie cérébrale, épilepsie, dépression chronique. Il n’a aucune allergie médicamenteuse connue et est dépendant pour tous les actes de la vie quotidienne. Objectif de la prise en charge HAD continue : traitement des symptômes d’inconfort dans un cadre palliatif ; fin de vie en EHPAD. Le second cas concerne un patient de 90 ans résidant en EHPAD, souffrant de troubles cognitifs sévères, compliqués depuis plusieurs jours de détresse respiratoire en rapport probable avec une infection à covid-19. Il est pris en charge par l’HAD depuis le 1er avril 2020 pour le soulagement des symptômes d’inconfort dans un cadre palliatif. Ses facteurs de comorbidités sont les suivants : AVC ischémique, démence vasculaire, embolie pulmonaire bilatérale. Voilà comment le diagnostic est posé ! Le tableau clinique est envoyé, la plupart du temps, par téléphone au médecin de l’HAD qui dépêche une équipe covid palliatif pour mettre en place le protocole de prise en charge à coup de rivotril.

Quant à la situation des personnels soignants et à leur état post-traumatique, le moral est à zéro. Les collègues sont particulièrement fatigués après ce qu’ils viennent de traverser, et le Ségur de la santé ne répond pas du tout à ce qu’ils attendaient, ni aux promesses d’Emmanuel Macron qui avait pourtant dit, pendant la crise : « Il nous faudra demain tirer les leçons du moment que nous traversons, interroger le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies – au lendemain de la crise, on le voit plutôt aller plus avant encore dans ce modèle-là. Ce que révèle d’ores et déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession, notre État providence ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe. Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. »

De son discours de Mulhouse du 25 mars – « L’engagement que je prends ce soir pour eux et pour la nation toute entière c’est qu’à l’issue de cette crise un plan massif d’investissement et de revalorisation de l’ensemble des carrières sera construit pour notre hôpital. » –, sont sortis 35 euros pour les hospitaliers et 80 euros pour les soignants : voilà ce qu’est pour lui une revalorisation des carrières !

Ces propos sont vécus comme un mensonge, un non-engagement devant la nation et devant les soignants. S’il y avait une deuxième vague, l’engagement des soignants serait à l’évidence moins fort parce qu’ils ne sont toujours pas reconnus et que ce qui leur est proposé n’est pas à la hauteur de leurs attentes. Ce qu’ils attendent est mérité ce qui est partagé, je crois, par l’ensemble de la population.

L’ONDAM est aussi significatif de ce qui se passe. Pour ce qui est de l’AP-HP, l’année 2016 s’est terminée à l’équilibre. En 2017, notre activité a augmenté de 2,5 % et on a fini l’année avec un déficit de 200 millions. Voilà la spirale dans laquelle on se trouve, qui a justifié une première décision modificative du budget prévisionnel tendant à maîtriser la masse salariale, puis une deuxième prévoyant le gel de la masse salariale. Pour une institution comme l’Assistance publique, cela représente la suppression de 1 000 postes dont nous aurions eu grand besoin pendant la crise. Les 7 500 renforts que l’on a reçus en sont l’illustration même. Si nous traversons aussi bien cette crise, c’est parce que le covid-19 ne s’est pas épandu sur le territoire de façon homogène, et grâce aux renforts venus de province soutenir les régions les plus touchées. Qui peut prédire que le prochain virus se comportera de la même façon. Personne !

Mme Astrid Petit. Du point de vue du matériel médical et de protection, et du suivi chronologique de la pénurie, au-delà du fait que les ARS n’avaient pas les informations ou ne les transmettaient pas, elles n’ont pas non plus réparti les matériels existants en fonction des secteurs qui en avaient le plus besoin. Nous l’avons prouvé au travers d’une enquête couvrant le mois d’avril, en différenciant bien les zones rouges et les zones vertes. Dans les Hauts-de-France, l’Île-de-France et le Grand Est, au début du mois, 65 % de nos syndicats disaient manquer de matériel de protection individuelle ; à la fin du mois, ils étaient 71 % ;  au regard du matériel médical dans les CHU, ils étaient 14 % de plus à signaler des manques alors même que l’épidémie était en pleine progression. C’est pourquoi nous estimons que l’hôpital n’a pas pu faire face, malheureusement : il y a eu tous ces patients des EHPAD qui n’ont pas pu y accéder, tous ces transferts. Quelques régions seulement ont été touchées, mais on n’a pas pu faire face à la situation. On a transféré en Allemagne 183 patients. A-t-on manqué ou non de respirateurs ? En tout cas, on en a trouvé 200 en dehors de nos frontières.

Nous craignons que l’hôpital ne parvienne pas à faire davantage face en cas de nouvelle crise. Aujourd’hui, ce sont des centaines de milliers d’opérations chirurgicales qui ont été reportées, des consultations, le suivi de patients au long cours. Un système sanitaire doit répondre à l’ensemble des problèmes sanitaires d’une population. Les personnels étaient dans la rue précédemment pour dire que l’hôpital explosait. Nous en avons eu la démonstration en grandeur nature : non, il ne pourra pas faire face.

Si Mme Buzyn n’a pas pu mesurer la pénurie, la CGT a été capable de le faire à la fin du mois d’avril. Ce qui pose vraiment question, c’est qu’au début du mois de juin, 26 % de nos syndicats nous ont dit manquer encore de matériel de protection individuelle.

La prime covid, les autres organisations syndicales l’ont dit avant moi, est en effet la prime de la discorde. Elle est injuste, parce que c’est l’ensemble des personnels soignants et non soignants qui s’est mobilisé, qui a annulé des vacances ou accepté qu’on lui impose des congés, qui a vécu des horaires dérogatoires. Il y a eu tout autant de dérogations au code du travail ou aux accords sur le travail dans les zones vertes que dans les zones rouges. Dans les zones où il n’y avait pas de tension, le travail en douze heures et les mobilités entre les services ont été instaurés. C’est donc l’ensemble des personnels soignants et non soignants de l’hôpital qui mérite la prime de 1 500 euros. Avec 500 patients qui ont été transférés en TGV très coûteux vers d’autres régions de France, c’est l’ensemble du pays qui a été mobilisé.

Avec les 8 milliards d’euros annoncés pour le secteur de la santé, la CGT considère qu’on est bien loin de la revendication de base d’une augmentation salariale de 300 euros pour l’ensemble des personnels, notamment dans la fonction publique hospitalière, qui correspondrait aux années durant lesquelles le point d’indice a été injustement gelé. Nos salaires n’ont pas suivi la courbe de la hausse du coût de la vie, ce qui fait qu’en proportion nous sommes plus pauvres que dans les années 80. Ce qui est mis sur la table est insuffisant, et cette dissociation entre soignants et non soignants est insultante. D’ailleurs, nous avons prouvé que les contaminations ont touché tous les personnels, qu’ils travaillent dans les cuisines, dans les ateliers, qu’ils soient cadres de santé ou soignants au lit du patient.

L’autre élément qui nous semble extrêmement grave, c’est que cette augmentation salariale, qui prend la forme d’un complément indiciaire insuffisant, est assujettie à des contreparties. Je ne comprends pas pourquoi les héros en blouse blanche, encensés il y a quelques mois, doivent accepter que leurs primes fixes deviennent variables en fonction de l’évaluation professionnelle ; pourquoi la contractualisation de quotas d’heures supplémentaires doit être acceptée par les personnels en contrepartie de quelques points d’indice supplémentaires. Pourquoi le développement des glissements de tâches et des pratiques avancées doit-il être accepté en contrepartie d’une juste et légitime revalorisation salariale ? Ce qui est sur la table aujourd’hui, c’est une augmentation des rémunérations – et encore, puisqu’une partie va devenir variable – en contrepartie d’atteintes inacceptables.

Comme tout le monde, nous avons cru comprendre que l’ensemble des personnels atteints du covid-19 auraient automatiquement droit à la reconnaissance en maladie professionnelle, ce que justifient les taux de contamination. Or, dans un communiqué du 30 juin, le ministère fait le distinguo entre soignants et non-soignants, entre reconnaissance automatique et facilitée, et introduit pour la première fois la notion de formes sévères d’atteinte du covid-19. Nous sommes donc inquiets de ce qu’il n’y a pas d’automaticité de reconnaissance en maladie professionnelle et de l’apparition de nouveaux éléments dans ce communiqué.

M. Pierre Dharréville. À mon tour, je tiens à saluer les personnels hospitaliers que vous représentez. Il est important que nous regardions en face les difficultés dont vous nous faites part et qu’ils ont dû affronter.

Je vous remercie de nous avoir éclairés sur l’usage des soins palliatifs en HAD. On sait que les soins palliatifs demandent un protocole particulier, et peut-être aussi des équipes spécialisés. Ce sont là des questions à creuser à partir de vos témoignages.

Les stocks d’équipements de protection dans les hôpitaux étaient-ils à un bon niveau au tout début de la crise sanitaire ? Nous avons posé cette question hier sans obtenir, de mon point de vue, une réponse pleinement satisfaisante. Avez-vous été informés des difficultés résultant de la gestion de ces stocks au fil du temps ? On a vu que le discours a été adapté en fonction des stocks existants.

Les organisations syndicales ont-elles été associées à la gestion de ces pénuries ?

À quel prix, en termes de moyens et d’efforts de la part des personnels, le nombre de lits de réanimation a-t-il été augmenté dans les hôpitaux ? Pour quelle efficacité, au bout du compte ? Peut-être pourriez-vous nous faire un historique des suppression de lits dans la période précédente.

Lors d’une audition précédente, il a été demandé une plus grande souplesse dans le recours aux heures supplémentaires. Avez-vous des appréciations à nous livrer sur la gestion des heures supplémentaires pendant la crise ?

Mme Sereine Mauborgne. Je vous remercie pour tous vos témoignages. Infirmière depuis vingt-cinq ans, je suis extrêmement sensible à vos propos et je partage des expériences assez semblables aux vôtres.

Ayant suivi les publications de la Société française d’anesthésie et de réanimation pendant la crise, je souhaiterais que M. Youinou me dise s’il a vu réellement appliqués, en réanimation, le renouvellement toutes les quarante-huit heures de l’arbre décisionnel de maintien ou non des soins, et l’installation d’un conseil d’éthique au sein des équipes. J’aimerais aussi avoir confirmation que le stock de midazolam a été mis assez rapidement sous contrôle en raison des quantités consommées dans les réanimations très longues, et que cela a imposé d’avoir recours à d’autres types de médicaments pour les sédations profondes en fin de vie.

Madame Petit, pouvez-vous nous confirmer qu’en HAD la protocolisation des actes de sédation en cas de détresse respiratoire existe déjà ? Pouvez-vous dire si les familles ont été impliquées dans les décisions ?

Madame Cornière, j’ai été très heureuse que vous ayez évoqué le sujet des sas de décompression pour les militaires. Depuis le 15 avril, je mène un combat de longue haleine, que je ne lâcherai pas, pour qu’un « sas de vie »  puisse être proposé aux soignants qui ont été exposés à des décès massifs.

Mme Martine Wonner. Vos propos très clairs ont une tonalité bien différente de celle des auditions auxquelles nous procédons depuis maintenant trois semaines !

Vous avez indiqué que 65 800 personnels des établissements sanitaires et médico-sociaux ont été contaminés. Connaissez-vous le nombre de ceux qui ont malheureusement perdu la vie ? Cette crise est tombée sur un hôpital en situation de très grande fragilité et tous les professionnels se sont trouvés en situation d’insécurité.  Aviez-vous conscience, avant la crise, que les employeurs avaient l’obligation de protéger les professionnels ?

Au mois de mars, trois décrets importants ont été publiés. Ceux des 25 et 26 mars ont interdit l’usage de certaines molécules par les professionnels libéraux, comme l’hydroxychloroquine, entraînant un afflux hospitalier qu’il a fallu contrer. Celui du 28 mars, concerne l’usage du rivotril. Les familles étaient-elles bien informées avant chacune de ses utilisations ?

Élue du Grand Est et par ailleurs psychiatre, j’ai participé au dispositif covipsy 67 et à l’écoute qui était proposée aux soignants. On a toujours considéré que les professionnels, infirmiers notamment, étaient assez interchangeables. Or les appels les plus importants sont venus de personnels infirmiers qui ont été placés dans des services où ils se sont sentis encore plus en danger parce qu’ils n’étaient pas suffisamment accompagnés ni formés.

Avez-vous eu un retour sur les enfermements qui ont pu se produire dans les hôpitaux psychiatriques, sur lesquels la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté Adeline Hazan a rendu un avis absolument catastrophique ? Avez-vous le sentiment que, là encore, les personnels soignants ont été totalement laissés pour compte et sans doute les derniers protégés ?

M. Julien Borowczyk, vice-président. Pouvez-vous nous confirmer qu’une concertation avec les familles a bien eu lieu, en lien avec des comités éthiques et scientifiques censés avoir été créés dans les EHPAD pour donner un avis, y compris pour les soins de nuit ?

Monsieur Youinou, quelle est votre position, au regard des antécédents des deux patients que vous avez décrits, vis-à-vis de l’acharnement thérapeutique ? Pouvez-vous nous confirmer que, sur un simple coup de téléphone, sans consultation médicale, des protocoles ont été mis en place ?

M. Olivier Youinou. On sent que le sujet est sensible ! Il est temps d’en parler parce que cela a choqué les équipes et il n’est pas possible que nous portions seuls ce poids-là. Malheureusement, je ne pourrai ni affirmer ni infirmer que les familles ont été contactées. Je ne le sais pas. Je vois le lien avec la loi Leonetti et la nécessité d’avoir le consentement de la famille pour pouvoir mettre en place ce type de traitement. J’ose espérer que cela a été le cas.

Les exemples que j’ai cités ne sont que deux cas parmi plusieurs que l’on m’a fait remonter afin que je puisse vous en faire un témoignage. Il se trouve que, dans un tel contexte, un médecin de l’EHPAD dresse un tableau clinique au médecin de l’HAD, qui décide de dépêcher une équipe sur l’EHPAD pour lancer le protocole dit rivotril. Des situations similaires existent dans les unités de soins de longue durée (USLD) de nos établissements, qui ne sont pas des EHPAD mais qui hébergent également des patients particulièrement dépendants. Nous avons soulevé le sujet auprès de la collégiale des gériatres : pour eux, effectivement, il faut noter le bénéfice-risque d’une mise en réanimation de ce type de patients âgés avec des facteurs de comorbidités. On peut l’entendre, mais c’est une décision à discuter par l’équipe soignante, chacun devant pouvoir donner son point de vue. L’infirmier ne doit pas aller tout seul, la nuit, dans un établissement pour le mettre en place. Certains collègues se remettent difficilement de ce qu’ils ont été amenés à faire – cela interroge sur l’engagement professionnel, sur le sens au travail.

Mme Astrid Petit. Concernant les fins de vie en HAD, en dehors de la période covid, le protocole – écrit – est adapté au patient par le médecin prescripteur, médecin hospitalier transférant son patient en HAD. Dans les interventions GIR, cela ne s’est pas exactement passé de cette façon : les médecins des EHPAD n’étaient pas tous prescripteurs ; il s’agissait parfois des médecins d’HAD.

Concernant les accords des familles, je n’en ai pas été personnellement témoin, mais des personnels nous ont indiqué les avoir cherchés dans les dossiers et avoir eu du mal à les trouver. Nous avons interrogé notre direction qui a, bien entendu, affirmé avoir recueilli ces accords. Mais, compte tenu de l’ampleur des décès dans les EHPAD, nous continuons à nous interroger sur la prise en charge des personnes âgées pendant cette période. De mémoire, l’équipe GIR nous a précisé que la durée moyenne de séjour en HAD de ces patients était de deux jours et demi. C’était très rapide…

M. Gilles Gadier. Les heures supplémentaires figurent dans le protocole proposé dans le cadre du Ségur de la santé. Si ce n’est pas une provocation, c’est en tout cas une mauvaise idée au vu du nombre d’heures supplémentaires non payées et non récupérées par les personnels hospitaliers en France, et de l’état des comptes épargne-temps dans les établissements de santé. Ils doivent désormais disposer d’une ligne budgétaire dédiée – au centre hospitalier de Carcassonne, pour 1 800 agents, 2 millions d’euros sont budgétés ! Il va falloir faire fi de l’ONDAM et ouvrir l’enveloppe fermée ! C’est le monde à l’envers, d’autant que le compte épargne-temps ne génère pas d’intérêt. Certains d’entre nous ne pourront jamais le liquider ou se faire payer leurs heures supplémentaires.

Concernant les masques et le stock de moyens de protection, je le répète, nous n’avons aucun chiffre. Vous avez évoqué le CHU de Strasbourg, cela tombe bien ! J’ai ici une photo, devant la porte du service de réanimation, montrant un personnel vêtu d’une surblouse en plastique, bras non couverts, sur laquelle est écrit « nous prenons soin de votre véhicule ». Ce manque de moyens justifie notre dépôt de plainte contre X auprès du tribunal judiciaire de Paris, comprenant quatre chefs d’accusation. Ce dernier nous a demandé un mémoire complémentaire. Je le tiens à votre disposition. Nous serons donc amenés à en reparler, non pour trouver des coupables, mais afin d’envisager des solutions pour que cela n’arrive plus.

Mme Clotilde Cornière. Nous n’avons pu avoir aucune vision sur les stocks, car, dès le début de la crise, les équipes n’ont absolument pas été associées aux prises de décision et toutes les instances représentatives du personnel ont été suspendues. Les informations ne remontaient plus au CHSCT. Nous avons toujours du mal à disposer d’éléments chiffrés, car les CTE n’ont pas encore eu lieu et les instances représentatives du personnel n’ont pas encore pu poser leurs questions. Nous disposons donc d’éléments approximatifs, liés aux retours des équipes, mais pas d’une vision globale de la situation.

Le personnel interchangeable, c’est la réalité de l’hôpital. Un chef d’établissement peut vous positionner où il veut dans son établissement. Cela fait partie de ses prérogatives, car un hôpital doit tourner.

Bien entendu, en tant que syndicat, nous savons que l’employeur a l’obligation de protéger ses employés. À partir du moment où ce n’est plus possible et où les personnels sont en danger, cela crée une dichotomie.

Le cadre réglementaire a rapidement autorisé le déplafonnement des heures supplémentaires dans la fonction publique hospitalière. Les équipes nous ont informés que, très rapidement, le travail a été organisé sur douze heures, ce qui compliquait sensiblement la comptabilité de ces heures supplémentaires pour les personnels, qui n’avaient plus la moindre visibilité.

M. Maxime Sorin. En conseil commun, je l’ai déjà indiqué, nous manquions de données qualitatives et quantitatives, que ce soit sur la gestion du matériel et des équipements de protection individuels, sur le nombre de décès de soignants liés à la covid-19 ou le sentiment d’insécurité.

Les heures supplémentaires ont été déplafonnées et majorées : à la bonne heure ! Mais que fait-on des heures supplémentaires non payées avant ce déplafonnement ?

Le sentiment d’insécurité a été alimenté par les changements de discours : au début de la crise, on ne s’attendait pas à une pandémie aussi importante et le port du masque n’était pas vraiment conseillé. Puis la doctrine a changé, il a fallu mettre des masques et des équipements de protection, et la population a été requise pour aider les soignants en fabriquant des masques. La gestion des stocks de masques est complexe et la situation très hétérogène sur le territoire. Dans ma structure, les organisations syndicales ont été consultées afin de trouver des solutions et de distribuer des masques à tous les personnels – y compris personnels techniques et administratifs – exposés au risque.

En psychiatrie, vous avez raison, c’était une catastrophe. Chacun a essayé de faire preuve de bon sens et d’organisation, mais une gestion claire et précise des tutelles a manqué. Il aurait fallu un chef d’orchestre. Il y a donc probablement eu des abus, comme à Moisselles, établissement proche de mon département. Je ne cherche pas à excuser les professionnels, mais ils ont fait ce qu’ils ont pu, et probablement pour protéger des patients psychologiquement et socialement fragiles.

M. Jean-Jacques Gaultier. L’hôpital a tenu bon, il a sauvé des vies, porté à bout de bras par les personnels que vous représentez. Merci et bravo ! En tant qu’élu d’un département rural, les Vosges, je constate, d’ailleurs, que les hôpitaux de proximité ont été bien utiles.

Votre témoignage sur les EHPAD est crucial, car il contredit les précédentes auditions. On parle tout de même de tri des patients ! C’est une tragédie, que j’ai vécue dans les Vosges où, fin mars, certains EHPAD comptaient plus de vingt morts. C’était « Silence, on meurt », sans voir sa famille, sans cérémonie funéraire. En injectant du rivotril en intraveineuse, on aggravait la détresse respiratoire. Ces patients n’ont pas été évacués en réanimation ; ce sont des cercueils qu’on a évacués au cimetière.

L’UNSA et SUD l’ont déjà affirmé, mais confirmez-vous tous ce tri en fonction de l’âge ? Était-ce un choix délibéré ? Un choix par défaut ? Un choix au cas par cas ? De telles consignes ont-elles été données aux personnels ? Si oui, par qui ?

Mme Béatrice Piron. Je le répète : merci. En tant que parlementaires, nous souhaitons faire tout notre possible pour améliorer vos conditions de travail et prenons note de vos propos, rassurez-vous.

Comment les équipes soignantes ont-elles géré au quotidien la difficile relation avec les malades et leurs familles ? Quel est votre sentiment sur les transferts de patients entre hôpitaux et entre régions ?

Mme Josiane Corneloup. L’hôpital public a subi en quelques semaines un électrochoc qui l’a obligé à se réinventer dans l’urgence. Les personnels hospitaliers, que je remercie, décrivent cette période comme une parenthèse, certes douloureuse et stressante, mais qui a permis un formidable bouillonnement d’idées et un fonctionnement miraculeux. Les personnels ont goûté à un autre choix, à une nouvelle organisation moins verticale. La parole a été donnée aux soignants. Pensez-vous que ce besoin de décentralisation et d’autonomie puisse être entendu dans le cadre du Ségur de la santé ?

Ma deuxième question concerne le décret du 28 mars. Hier, nous avons auditionné le directeur général de l’AP-HP et lui avons demandé si les patients avaient été triés dans les services d’urgences des hôpitaux. Il a répondu par la négative. Diriez-vous que le tri ne s’est pas effectué à ce niveau, mais en amont ? C’est le sentiment que j’ai en tant que soignante, et après avoir fait le tour de l’hôpital de proximité de ma circonscription. Le protocole issu du décret a-t-il conduit à ce que certains patients âgés ne rejoignent pas l’hôpital, au regard peut-être de leurs risques de comorbidité ?

Nous avons évoqué l’importance des hôpitaux de proximité et le peu de formation des personnels des EHPAD. En Saône-et-Loire, l’hôpital de proximité de Paray-le-Monial avait relevé ce dernier point très tôt et organisé une équipe mobile composée de médecins et pharmaciens hygiénistes, ainsi que d’infirmières. Elle faisait le tour des EHPAD pour initier leurs personnels aux gestes barrières. Cette prévention a eu des effets extrêmement bénéfiques – nous n’avons pas eu de cas de covid. C’est beaucoup moins bien pour la prime, puisque nous n’étions pas dans un département rouge… Faudrait-il généraliser cette pratique dans le cadre d’un futur plan de prévention ?

M. Gilles Gadier. Sur la gouvernance de l’hôpital, avons-nous été entendus ? Pour avoir assisté à toutes les réunions concernant le pilier « simplification » du Ségur, je n’en suis pas sûr – mais j’attends de voir ce qui en sortira. Elles tenaient plutôt de la lutte de pouvoir entre le médical et l’administratif, les directeurs d’établissement cherchant à reprendre la main. Or chacun est compétent dans son domaine et les décisions doivent être prises de manière conjointe, en incluant tous les personnels que nous représentons, maillage essentiel de l’hôpital.

Les 600 hôpitaux de proximité et les 135 groupements hospitaliers de territoire du plan d’urgence pour l’hôpital n’assureront pas forcément un véritable maillage territorial. On va labelliser 600 hôpitaux pour pouvoir déstructurer leur plateau technique. Sous couvert de pénurie médicale, on va tout transférer vers les grands centres hospitaliers. Or, quand on s’éloigne des populations, on les expose à des risques considérables en cas de pathologies sévères, comme les accidents vasculaires cérébraux (AVC).

Vous évoquez la qualité de la formation des professionnels des EHPAD. J’ai assisté au discours de la ministre de la santé Agnès Buzyn, à Nanterre. Le plan solidarité grand âge a été mis en œuvre entre 2007 et 2012, avec l’engagement qu’il y aurait un soignant par résident. Mais cela n’a jamais été suivi d’effets ! En outre, dans les EHPAD, vous avez raison, très peu de personnels sont formés car beaucoup d’agents de services hospitaliers font fonction d’aide- soignants – ils font le même travail, mais ne sont pas payés comme un aide-soignant et n’ont aucune formation.

M. Olivier Youinou. Le problème n’est pas tant la formation des personnels dans les EHPAD – quand on est aide-soignant, on a le même diplôme en EHPAD qu’à l’hôpital – que le ratio personnels-patients. Il ne faut pas oublier que les EHPAD ont été créés pour que l’hospitalisation des personnes âgées dépendantes coûte moins cher à la sécurité sociale et soit moins médicalisée. S’il s’agit de remédicaliser le secteur médico-social ou les EHPAD, quelle sera la différence avec les soins de longue durée des établissements hospitaliers, où le ratio de personnel soignant, même s’il mériterait aussi d’être revu à la hausse, est quand même supérieur, notamment en termes d’infirmiers et de médecins ? Il faut y réfléchir ainsi qu’à la place que nous laissons aux seniors dans notre société.

Le Ségur va-t-il répondre à la demande de décentralisation et d’autonomie ? Je ne suis pas persuadé de la pertinence de la décentralisation si celle-ci se traduit par l’injection d’argent dans la santé par les régions selon les moyens qu’elles ont. Cela créerait des différences inacceptables. La déconcentration, avec les ARS, n’est pas non plus une solution quand elle n’est que technocratique et administrative.

Le bouillonnement engendré par la crise a permis de développer des outils de gestion intéressants, à partir du moment où la décision est partagée par toute l’équipe soignante – et non uniquement médicale. Les évolutions viendront du terrain et rien n’est plus efficace que le contrôle démocratique, par la population.

Mme Clotilde Cornière. S’agissant des EHPAD, les informations ont été relayées par les médias. Tout le monde en a entendu parler ou en a été informé en regardant le journal de 20 heures. Nous n’avons rien inventé ! Quand vous êtes infirmier, que vous alertez en expliquant que dix, douze ou treize résidents sont en détresse respiratoire et que l’on vous répond « Débrouillez-vous ! On ne peut pas venir les chercher, ils ne peuvent pas venir à l’hôpital », le professionnel comprend ce que cela signifie et fait ce qu’il faut, avec ses moyens, pour soulager ces patients, les prendre en charge et les accompagner. On ne ferme pas la porte de la chambre d’une personne en fin de vie !

Je ne suis pas d’accord avec M. Youinou, 40 % du personnel n’a pas suivi de formation professionnelle qualifiante.

La nouvelle organisation doit laisser une plus grande place aux soignants. Mais la régulation ne passera pas par des réunions de service, les espaces de discussion doivent être beaucoup plus larges.

Le déplacement d’équipes dans les EHPAD est une bonne pratique. Même si cela a beaucoup aidé, c’est malheureusement arrivé trop tard, et non au début de l’épidémie.

M. Maxime Sorin. La France a une culture très particulière de la personne âgée. Je suis membre d’un groupe de travail au sein de l’intersyndicale du secteur de l’aide aux personnes âgées (SAPA). Les structures qui les accueillent sont un peu à l’abandon et les personnels manquent en effet de formation.

Une des principales revendications de l’intersyndicale vise à atteindre le ratio d’un personnel formé pour une personne âgée. Ces patients sont multipathologiques, ils ont besoin de temps et d’attention et doivent être entourés de personnels formés. La prime grand âge, d’environ 100 euros, a été versée uniquement aux personnels qui ont une formation. C’est une bonne chose pour revaloriser le métier et améliorer l’image des EHPAD auprès des jeunes diplômés, qui ne veulent pas aller y travailler.

S’agissant des relations familles-soignants, nous avons fait ce que nous faisons d’habitude, le relais avec les médecins et les familles, mais à distance. Beaucoup de soignants se sont transformés en secrétaires et ont passé du temps le téléphone à la main, alors qu’ils auraient préféré en passer davantage avec les familles et les patients.

Le covid a-t-il constitué un électrochoc salutaire pour améliorer l’organisation de l’hôpital public ? Les propos prononcés dans le cadre du Ségur ne me rendent pas optimiste sur le fait que nous ayons été entendus, pas plus que ceux de mon directeur hospitalier qui répète à l’envie que l’ambulatoire doit se développer et s’accompagner de la suppression de lits de médecine. Le raisonnement est toujours tenu en durée moyenne de séjour (DMS) – il ne faut pas que les patients restent longtemps. L’hôpital est une usine, qui doit tourner ! La politique de management doit radicalement changer à l’hôpital et l’humain doit revenir au centre de cette magnifique organisation que sont la sécurité sociale et l’hôpital public, qui font aussi la beauté de notre République.

Si les équipes n’ont pas touché la prime, c’est une bonne nouvelle, c’est qu’elles ont fait du bon travail et qu’il n’y a pas eu de cas de covid. Il faut développer la prévention, anticiper, et ne pas attendre le déclenchement de symptômes pour soigner.

Mme Astrid Petit. En tant que personnel de santé, je ne peux pas envisager qu’un médecin trie les patients. Malgré tout, certains faits nous interpellent, ainsi que des écrits, notamment la note du 31 mars que j’ai citée et que je vous transmettrai. Celle-ci précise que seul un médecin du SAMU peut décider de transférer un patient vers les urgences. Pour ma part, j’ai le témoignage d’amis qui disent avoir emmené leurs parents directement aux urgences et avoir été refoulés.

M. Julien Borowczyk, vice-président. Nous allons approfondir ce point important. À titre personnel, en tant que médecin-régulateur du SAMU, je n’ai jamais eu connaissance de ce genre de recommandations.

M. Éric Coquerel. En Seine-Saint-Denis, nous avons eu de nombreux cas de ce type !

M. Julien Borowczyk, vice-président. Mais un médecin reste toujours libre de son choix. Nous interrogerons les médecins.

Des équipements de protection individuelle ont été progressivement acquis en 2011 et 2013, suite au transfert de la charge destinés aux soignants vers les employeurs. À l’époque, les CHSCT étaient très présents. Quelle a été votre action ? Avez-vous interpellé les hôpitaux, les ARS ou les ministères quant au manque de protections et aux stocks ?

Évoquant le Ségur de la santé, vous avez parlé de 6,4 milliards d’euros. L’estimation de la Fédération hospitalière de France (FHF) est plus proche de 5,5 milliards, mais seulement pour le secteur public. C’est un montant important, qui concerne beaucoup de soignants. Pourriez-vous nous rappeler le montant global de la dernière hausse importante de salaire, pour que nous puissions comparer ?

M. Gilles Gadier. Si vous voulez nous entendre dire que c’est sans précédent, c’est une évidence ! Comme les salaires sont bloqués depuis des années – nous avons perdu plus de 18 % de pouvoir d’achat –, le rattrapage pour tous les personnels de la fonction publique, mais aussi pour les 500 000 personnels soignants du secteur privé dont nous avons eu la surprise d’apprendre qu’ils sont intégrés dans le Ségur, implique d’énormes volumes financiers. Le Premier ministre vient d’annoncer 7,5 milliards, mais le compte n’y est pas encore. Il faut le voir comme un investissement : on ne peut pas parler du manque d’attractivité des professions sans les rémunérer comme il se doit.

M. Olivier Youinou. Si notre secteur était majoritairement masculin plutôt que féminin à 86 %, je suis sûr que nos rémunérations seraient largement supérieures. Parmi les pays de l’OCDE, en termes de rémunération des soignants, nous sommes au vingt-sixième rang sur vingt-neuf !

Les 300 euros d’augmentation nette que nous demandons ne permettraient que de rattraper le ratio du salaire moyen en Allemagne, qui est de 1,13 contre 0,95 en France. La question n’est pas de savoir si ces 6 milliards sont du « jamais vu » depuis dix ans, mais si cela répond aux attentes des personnels dont les carrières sont de moins en moins attractives. À l’Assistance publique, 800 postes d’infirmiers sont vacants. Pourquoi un jeune bachelier choisirait-il nos carrières sachant qu’il va travailler un week-end sur deux, les jours fériés et en alternance jour-nuit, que ses heures supplémentaires ne seront pas payées et qu’il devra les mettre sur un compte épargne-temps dont il ne saura que faire et dont les trois options de liquidation sont du vol avéré ?

Il faut rendre attractifs ces métiers essentiels et magnifiques !

M. Maxime Sorin. Sur les salaires, je vais répondre à votre question par une autre question : à quand remonte la dernière grande crise sanitaire ? Je suis un jeune infirmier, j’ai fait trois ans d’études pour faire un métier qui m’attire depuis que j’ai treize ans. En fin de cursus, j’ai eu droit à un cours m’expliquant que j’allais gagner 1 500 euros nets en début de carrière, tout en travaillant la nuit, le week-end, les jours fériés, à Noël, lors des anniversaires, etc. Malgré tout, j’aime mon métier.

Nous plaidons pour cet investissement, car, il y a encore quelques années, l’hôpital disposait des meilleurs paramédicaux du monde. Or la crise a mis en lumière la décadence et les grandes carences de notre système de santé. Il faut investir ces milliards pour revaloriser nos salaires, gelés depuis quatorze ans.

Mme Clotilde Cornière. La CFDT plaide depuis le début pour 25 % d’augmentation des salaires de toute la filière soignante. Cela correspond aux écarts de rémunération entre les hommes et les femmes. Il s’agirait d’une juste reconnaissance pour ces professions, féminines à 86 %, et cela représenterait bien plus que 300 euros.

À nombre d’années d’études comparable, le salaire d’une sage-femme accuse un différentiel de 400 euros avec celui d’un ingénieur. Ce n’est pas acceptable ! En début de carrière dans la fonction publique, une aide-soignante touche 1 529 euros et une infirmière 1 900 euros. Qui accepterait cela dans l’industrie ? Personne ! Dans la fonction publique hospitalière, un personnel de catégorie C doit atteindre le neuvième échelon pour que son salaire dépasse le SMIC, alors que l’État devrait être exemplaire avec ses personnels !

Non seulement les rémunérations doivent être sensiblement augmentées, mais les ratios qui bloquent les déroulements de carrière dans la fonction publique hospitalière doivent être supprimés. Pour une femme aide-soignante, ce système, ainsi que l’impact de la maternité, aboutit à des écarts avec les hommes de 15 000 euros sur une carrière. Ce n’est pas non plus acceptable !

Mme Astrid Petit. Nous partageons ces constats. La revalorisation salariale est attendue par les personnels qui ont traversé cette crise, mais elle est aussi justifiée par les années de gel des salaires. Il ne s’agit pas de comparer avec les précédentes augmentations, mais de rattraper la perte de pouvoir d’achat, accumulée au cours de la décennie.

Tous les professionnels hospitaliers ont de lourdes responsabilités. D’ailleurs, les tarifs des assurances professionnelles augmentent, et on parle même de faire cotiser les infirmiers sur leurs propres fonds – c’est bien qu’il y a un risque. Ces métiers dangereux et pénibles méritent des salaires à la hauteur de leurs responsabilités, que nous estimons à plusieurs centaines d’euros en plus sur les fiches de paie.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Vous nous avez livré le constat d’un hôpital qui a tenu, mais avec des restrictions très importantes : les patients venant des EHPAD n’ont pas pu y accéder, beaucoup de pathologies hors-covid n’ont pas été prises en charge durant la période de crise. C’est donc une perte de chance face à la maladie pour certains patients.

Comment l’hôpital remonte-t-il en charge sur les pathologies classiques ?

Le directeur général de la santé vient d’annoncer qu’il fallait se préparer à une seconde vague. Pensez-vous que nous avons tiré les leçons de la crise, pour éventuellement y faire face ?

Vos témoignages sur la prise en charge des patients dans les EHPAD sont extrêmement importants, graves même. J’aimerais que vous éclairiez un point s’agissant des services d’HAD : quand le médecin coordonnateur estime qu’un résident d’EHPAD est potentiellement touché par le covid, il appelle le 15. Que se passe-t-il alors ? Comment est motivée la non-prise en charge ? Certains patients venant d’EHPAD sont décédés à l’hôpital puisque, sur les près de 20 000 décès à l’hôpital, il me semble qu’un tiers venait des EHPAD. Pourquoi certains patients ont-ils été pris en charge et d’autres pas, basculant dans l’HAD, puis la mobilisation des équipes d’intervention et les soins palliatifs ?

Y a-t-il eu un changement dans la prise en charge entre le début de la crise et le 2 avril, date de la publication de premières statistiques de décès dans les EHPAD, qui ont causé un choc dans l’opinion publique ? Dans une situation de tension extrême, y a-t-il eu une hiérarchisation « masquée » des priorités ?

Mme Astrid Petit. Nous nous posons les mêmes questions que vous ! Il faut investiguer. Malheureusement, face à la flambée de l’épidémie, des procédures n’ont pas toujours été respectées de la même façon, notamment pour les entrées en hospitalisation à domicile. Elles ne sont pas toujours passées par le SAMU, qui normalement contacte l’HAD. À plusieurs reprises, ce sont des médecins d’EHPAD, voire – des soignants en témoignent, mais je n’ai pu vérifier leurs propos – des personnels, notamment la nuit, qui prenaient contact directement avec l’HAD. Les patients n’étaient pas dépistés positifs au covid, signalés et pris en charge par l’HAD ; ils étaient, malheureusement, en très mauvais état physique. Les infirmières, traumatisées, m’ont décrit des personnes âgées complètement cyanosées depuis trois jours quand l’HAD intervient. C’est dans ces circonstances que certains ont été pris en charge – nous avons des témoignages.

M. Olivier Youinou. Fort heureusement, même si l’activité a été affectée par la crise, nous avons continué à prendre en charge des patients non atteints par le covid-19. En France, d’ordinaire, on enregistre chaque jour 500 décès de maladies cardio-vasculaires et 502 morts de cancers. Nous avons commencé à nous inquiéter lorsque les files d’attente se sont allongées pour des gestes diagnostics, comme les coloscopies digestives. Elles restent longues, ce qui constitue, à l’évidence, une perte de chances. Les soignants ne sont pas au repos aujourd’hui, au contraire. Les discussions dans les services ont lieu pour savoir s’il sera possible de donner leurs congés annuels à l’ensemble des soignants. Certains renforts sont maintenus, car la reprise d’activité est importante.

Pendant la crise, nous nous sommes demandé pourquoi les douleurs thoraciques avaient miraculeusement disparu, alors qu’elles représentaient 75 % de l’activité du SAMU. On peut entendre que la traumatologie ait diminué, mais que sont devenues les maladies cardiovasculaires ou les AVC ? Certains patients nous disent aujourd’hui qu’ils ne sont pas venus à l’hôpital durant le confinement par peur d’être infectés par le covid-19. S’agit-il d’une perte de chances ? On ne peut pas le dire encore, mais il faudra y être attentif, car ce sont des décès et des complications, qui s’ajouteront au bilan de la crise.

J’apprends avec tristesse qu’une éventuelle deuxième vague arrive. Je ne sais pas si nous sommes davantage prêts à l’affronter que la première. Il est dramatique, considérant la situation dans laquelle nous sommes – complètement à plat –, de devoir, dans les semaines qui viennent, nous demander le même effort, voire un effort plus intense, alors que les équipes n’ont pas été renforcées. C’est d’autant plus inquiétant que nous ne savons pas comment le virus se répandra sur le territoire, s’il y aura encore des poches libres de covid-19, comme la première fois. 

Le flux de patients est là : il est fort. Nous essayons de le gérer, malgré la fatigue, l’exaspération et le sentiment de ne pas avoir été entendus, une fois de plus.

Mme Clotilde Cornière. La prise en charge de la personne âgée, nous le pensons, n’a pas été une priorité durant la crise – elle ne l’est pas aujourd’hui dans notre société. Les rapports Libault et El Khomri l’identifient comme un choix de société, qui dépasse largement le débat que nous avons aujourd’hui.

On constate en France une montée de l’âgisme. Dans les EHPAD, je n’ai jamais vu que l’on réveille un médecin coordinateur la nuit. Si vous le faites, pardon mais, vous vous faites engueuler. Je ne sais pas ce qu’il en est pour la ville ou les grands centres mais, en milieu rural, la nuit, il n’y a pas d’infirmières et on est content quand il y a des aides-soignantes.

Sommes-nous prêts pour une deuxième vague ? Déjà, le personnel doit pouvoir se reposer et récupérer. Il a été échaudé une première fois par la déréglementation dont il a pâti, ne sachant pas s’il allait être reconnu en ASA ou en maladie professionnelle ; il ne faudrait pas que cela recommence. Des signes très forts doivent être envoyés, car aujourd’hui, certains personnels nous disent qu’ils préfèrent aller travailler ailleurs où ils seront mieux payés, moins stressés, et pourront profiter de leurs week-ends.

M. Maxime Sorin. Je ne pense pas que l’activité médicale ait été stoppée. La crise a montré une vraie collaboration, nécessaire, entre le public et le privé, notamment dans le Grand Est, où l’aide des secteurs privé et non lucratif a été capitale pour décharger les hôpitaux des patients hors covid-19, qui craignaient en effet d’attraper la maladie dans les structures hospitalières.

Je ne pense pas que nous soyons prêts pour une deuxième vague. Bien sûr, s’il fallait le refaire, nous continuerions. Mais êtes-vous prêts à nous donner les moyens et les armes, pour que nous ayons l’énergie et le courage d’aller encore plus loin ? Le Ségur, c’est maintenant ; la deuxième vague, c’est demain.

M. Gilles Gadier. Il y a un manque évident d’effectifs et de moyens. S’il fallait comparer le nombre de lits de réanimation par habitant en Allemagne et en France, il y aurait matière à discussion, tout de même…

Les personnels sont épuisés. Les équipes manquent d’effectifs, mais il n’y a pas de ratio de personnel infirmier, sauf en réanimation. Dans ces services, quand des lits de fortune sont ouverts en urgence, c’est avec des personnels non formés et toutes les difficultés que cela peut comporter.

Il faut augmenter les moyens donnés à l’hôpital et les personnels qui y travaillent, pour les engager dans un processus qui ait du sens. À Mme Buzyn, qui nous invitait un jour à redonner du sens au métier, j’ai répondu que soigner les gens était précisément le sens de notre métier. Seulement, quand on éloigne les professionnels de leurs valeurs, on crée du désengagement et de la démotivation. C’est ainsi que l’on se retrouve avec 400 000 infirmières formées qui exercent un autre métier. Plutôt que de chercher à redonner du sens au métier, redonnons-lui les moyens de s’accomplir !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Membres présents ou excusés

Mission d’information sur l’impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l’épidémie de Coronavirus-Covid 19

 

Réunion du mardi 7 juillet 2020 à 17 heures

 

Présents. - M. Julien Aubert, Mme Sophie Auconie, M. Julien Borowczyk, M. Éric Ciotti, M. Pierre Dharréville, M. Jean-Pierre Door, M. Jean-Jacques Gaultier, Mme Anne Genetet, Mme Valérie Gomez-Bassac, M. David Habib, Mme Sereine Mauborgne, M. Bertrand Pancher, Mme Michèle Peyron, M. Jean-Pierre Pont, M. Bruno Questel, M. Joachim Son-Forget, M. Jean Terlier

 

Assistaient également à la réunion. - M. Éric Coquerel, Mme Josiane Corneloup, M. Nicolas Démoulin, M. Philippe Vigier, Mme Martine Wonner