Compte rendu

Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation

– Audition conjointe de Mmes Delphine Ernotte Cunci, présidente-directrice générale de France Télévisions, Sibyle Veil, présidente-directrice générale de Radio France, Marie Christine Saragosse, présidente-directrice générale de France Médias Monde, et MM. Bruno Patino, président d’Arte-France et Laurent Vallet, président-directeur général de l’Institut national de l’audiovisuel, sur leurs projets de contrats d’objectifs et de moyens 2020‑2022              2

– Avis de la commission sur ces contrats d’objectifs et de moyens, en application de l’article 53 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication (Mme Florence Provendier, rapporteure)              39

 

 

 


Mercredi
3 février 2021

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 29

session ordinaire de 2020-2021

Présidence de
M. Bruno Studer,
Président
 

 


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COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 3 février 2021

La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

(Présidence de M. Bruno Studer, président)

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La Commission procède à l’audition conjointe de Mmes Delphine Ernotte Cunci, présidente-directrice générale de France Télévisions, Sibyle Veil, présidente-directrice générale de Radio France, Marie‑Christine Saragosse, présidente-directrice générale de France Médias Monde, et MM. Bruno Patino, président d’Arte-France et Laurent Vallet, président‑directeur général de l’Institut national de l’audiovisuel, sur leurs projets de contrats d’objectifs et de moyens 2020‑2022 et se prononce pour avis sur ces contrats d’objectifs et de moyens, sur le rapport de Mme Florence Provendier.

M. le président Bruno Studer. La réunion de ce matin est une première pour notre commission : nous accueillons les cinq présidentes et présidents des sociétés de l’audiovisuel public, afin de débattre de leurs projets de contrat d’objectifs et de moyens (COM) pour la période 2020-2022. Pour la première fois, ces cinq COM font l’objet d’une élaboration conjointe, comportant des objectifs communs, et sont alignés sur une même période d’exécution. Ces documents nous ont été adressés quelques jours avant Noël par le Gouvernement. L’article 53 de la loi du 30 septembre 1986 donne six semaines aux assemblées parlementaires pour formuler leur avis sur les projets de COM. Nous sommes donc tout juste dans les temps pour nous prononcer. Je remercie Mme Delphine Ernotte Cunci, présidente-directrice générale de France Télévisions, Mme Sibyle Veil, présidente‑directrice générale de Radio France, Mme Marie-Christine Saragosse, présidente‑directrice générale de France Médias Monde, M. Bruno Patino, président d’ARTE France, et M. Laurent Vallet, président-directeur général de l’Institut national de l’audiovisuel (INA), d’avoir répondu favorablement à notre invitation.

Mesdames, messieurs, nous sommes très heureux de vous accueillir ensemble pour cette réunion, dont le format consacre la volonté de synergie et de collaboration qui traverse ces cinq COM. Elle témoigne aussi de l’intérêt de notre commission pour l’audiovisuel public, et de son attachement à soutenir et à conforter son ambition, ainsi que son indépendance, ce qui suppose notamment l’adoption rapide d’une solution de continuité pour le financement de l’audiovisuel public au-delà de 2022. Mme la ministre de la culture nous a assuré qu’aucune budgétisation de la contribution à l’audiovisuel public n’aurait lieu. Vous pouvez compter sur ma détermination à ce sujet, et sur la capacité des députés à prendre l’initiative si nécessaire.

Je remercie également notre rapporteure pour avis, Mme Florence Provendier, qui a mené un travail complexe d’analyse des cinq projets de COM, nourri par un grand nombre d’auditions. Son projet de rapport, destiné à éclairer les avis que notre commission rendra tout à l’heure, a été transmis hier aux membres de la commission.

Mesdames, messieurs, je vous cède la parole pour vos présentations liminaires, que je vous demanderai de bien vouloir limiter à cinq minutes chacune. Ensuite, Mme la rapporteure pour avis fera part de ses observations sur les projets de COM et vous interrogera pour obtenir certaines précisions. Enfin, je donnerai la parole aux membres de la commission, en commençant par les représentants des groupes.

Mme Delphine Ernotte Cunci, présidente-directrice générale de France Télévisions. Mesdames et messieurs les membres de la commission, j’aimerais vous faire part de trois observations sur le projet de COM de France Télévisions.

Première observation : il confirme les arbitrages arrêtés à l’été 2018, ce qui est appréciable. La trajectoire budgétaire prévue a été respectée, même si je tiens à dire ici que nos ressources publiques diminuent fortement – notre budget est inférieur de 160 millions d’euros à celui de l’année 2018. Il n’en reste pas moins que les arbitrages n’évoluent pas au gré des lois de finances, ce qui est assez rare pour être signalé. Disposer d’une visibilité sur l’évolution de nos ressources est primordial pour piloter le groupe. Il s’agit donc d’une bonne nouvelle. Comme précédemment, nous cherchons à préserver au maximum notre offre. L’accord conclu avec les organisations syndicales en 2019 nous permet notamment de poursuivre la baisse de la masse salariale de France Télévisions. En dix ans, les effectifs du groupe auront diminué de plus de 20 %, ce qui représente un effort de productivité assez considérable. Maintenir cette trajectoire sera difficile, d’autant plus que nous projetons de maintenir les comptes de France Télévisions à l’équilibre, comme c’est le cas depuis cinq ans.

Par ailleurs, le COM confirme l’accélération des coopérations entre nos sociétés. Je suis convaincue qu’il faut suivre cette voie. Les récents exemples de mise en commun de contenus démontrent que nous sommes plus forts et que nous offrons un meilleur service à nos publics si nous sommes tous rassemblés. La chaîne franceinfo, lancée en 2016 et devenue depuis lors la première plateforme d’actualité en ligne de France, est un bon exemple de l’intérêt que présente la mise en commun de nos forces. De même, la plateforme Lumni est connue de 50 % des parents et des enfants, un an seulement après son lancement. Ces coopérations sont fructueuses. Nous devons les poursuivre.

Deuxième observation : le COM réaffirme les missions de service public de France Télévisions. La crise que nous vivons démontre que la télévision demeure un média puissant. L’année dernière, chaque Français l’a regardée en moyenne quatre heures par jour. Chaque semaine, nous touchons plus de quatre Français sur cinq. Nous avons donc pour responsabilité particulière de continuer à proposer des programmes utiles et accentuant notre différenciation. Pour ce faire, nous suivons trois axes.

Le premier axe est l’exposition de la culture et du spectacle vivant. Nous avons lancé lundi soir à 20 heures 35 Culturebox, une chaîne éphémère diffusée sur le canal 19 de la télévision numérique terrestre (TNT), pour exposer, dans cette période où les salles de spectacle sont fermées, la culture sous toutes ses formes – musique, théâtre, opéra, danse, arts plastiques. Toute la maison est sur le pont depuis quinze jours et je salue la mobilisation absolument exceptionnelle des équipes, qui a permis de lancer une chaîne en quinze jours, ce qui est assez remarquable. Nous ne disposons pas encore des chiffres d’audience, mais notre offre précédente, France.tv/culturebox, était la deuxième chaîne la plus regardée du groupe le lundi soir, derrière France 2 mais devant France 3 et France 5, ce qui constitue une première indication. Bien entendu, cette chaîne éphémère ne résume pas à elle seule l’engagement de France Télévisions dans la culture. Le COM prévoit de multiplier par cinq l’exposition du spectacle vivant en première partie de soirée, ce que nous ferons dès cette année. Nous franchissons donc un grand pas.

Notre deuxième axe d’action est la régionalisation de France 3. Ce projet global et de longue haleine, qui me tient à cœur, consiste à inverser le modèle de France 3 pour créer treize chaînes régionales dotées de décrochages nationaux. Nous avons d’ores et déjà élargi la tranche régionale du 19/20, qui commence dès 18 heures 30 depuis le 25 janvier. Nous poursuivrons ce mouvement pour exposer davantage le sport, la culture, les documentaires et l’information locaux. Ce projet de développement régional a été présenté aux instances représentatives du personnel, qui en débattent.

Notre troisième axe est de faire de France Télévisions un média exemplaire en matière de représentation de tous. Je promeus avec force l’amélioration de l’exposition des femmes. Sur ce point, nous avons vraiment progressé ; nous visons la parité entre experts et expertes dès cette année – nous étions à 25 % en 2015, nous aurons donc quasiment multiplié par deux la visibilité des femmes. Cet effort doit aussi être visible derrière la caméra ; nous nous sommes fixé des objectifs en matière de séries réalisées par des femmes. Plus généralement, nous allons nous atteler à faire progresser la représentation de toutes les formes de diversité, dans une visée de normalisation de la représentation de tous sur nos antennes.

Troisième et dernière observation : il existe une contradiction, au sein du COM, entre la contraction de nos moyens – la diminution de 160 millions d’euros de notre budget et la réduction de notre bouquet en raison de la fermeture de France Ô et France 4 – et la hausse généralisée de nos objectifs de couverture d’audience. Cette contradiction est particulièrement nette en matière de couverture des jeunes publics : continuer à en couvrir plus de 60 % en fermant France 4 est un challenge dur à relever. Je ne peux m’empêcher de remarquer cette contradiction. Je rappelle que France 4 est la seule chaîne publique à dimension éducative du paysage audiovisuel français, et que la télévision représente 80 % de la consommation vidéo des enfants, loin devant YouTube et Netflix. Nous n’avons pas intérêt à désarmer le service public si nous voulons maintenir une offre sans publicité, sans contenu dangereux ou pornographique, et dotée de visées ludo-éducatives.

Plus généralement, la question des ressources de l’audiovisuel public pour l’après‑2022 se posera assez vite. Les moyens de nos concurrents que sont les médias globaux sont en hausse permanente, et les nôtres en contraction. Cet état de fait justifie de conclure toutes les alliances possibles, non seulement entre nous, sociétés de l’audiovisuel public français, mais aussi avec nos partenaires européens. Face à des médias globaux déjà ultra-dominants et ultra-puissants, dont les ressources augmentent, nous sommes encore puissants, mais nos ressources diminuent. Nous devons, autant que possible, déployer des moyens dans les domaines de l’information et de la création, afin de contenter nos téléspectateurs.

Mme Sibyle Veil, présidente-directrice générale de Radio France. Tout d’abord, je rappelle que le présent COM a été négocié en 2020, dans le contexte d’une crise inédite. Tout au long de cette année, le groupe Radio France s’est efforcé de s’adapter aux demandes de la société et à ce que les Français vivaient. Même s’il a été négocié dans un contexte inédit, le COM présente un avantage qu’il importe de rappeler : la continuité des orientations financières et stratégiques. Cette stabilité est primordiale. Chacun ici sait à quel point l’interruption des trajectoires prévues par les précédents COM a eu des effets déstabilisateurs.

La diminution du montant de la contribution à l’audiovisuel public rend la trajectoire du COM particulièrement exigeante, d’autant plus qu’elle s’inscrit dans un contexte de crise. Cela ne nous a pas empêchés, grâce à un dialogue social au long cours, de négocier un accord social prévoyant une rupture conventionnelle collective, grâce auquel nous respecterons la trajectoire d’économies prévue, notamment en matière de maîtrise de la masse salariale. Nous procédons à des redéploiements, ainsi qu’à des transformations de métiers et à des réorganisations. Leur mise en œuvre en période de crise est très exigeante, car le travail à distance est la règle, ce qui rend la transformation de l’entreprise bien plus complexe. Nous ne nous y attachons pas moins avec l’énergie de toutes nos équipes.

J’aimerais évoquer la suppression du plafond des recettes publicitaires, introduit à titre transitoire en 2015 et fixé à 42 millions d’euros. Cinq ans plus tard, il ne permet plus d’ajuster les prix des spots publicitaires à l’envol significatif et ininterrompu des audiences que nous avons connu au cours des dernières années.

Sur le fond, le COM est à l’image des missions de service public qui font partie des priorités stratégiques de Radio France, ce dont je me réjouis. En matière d’information, nous avons constaté depuis un an, plus que jamais, à quel point il importe de disposer d’un service public d’information neutre et animé par une forte exigence déontologique, compte tenu des controverses scientifiques, de l’épidémie de fausses informations et des événements des dernières semaines aux États-Unis. Nous avons mesuré à quel point laisser circuler toutes sortes de fausses informations met en danger la démocratie. Il s’agit du premier enjeu autour duquel les équipes de Radio France sont mobilisées.

Deuxième enjeu : la proximité. Disposer de médias locaux forts – je ne doute pas que la plupart d’entre vous seront d’accord avec moi – est également un enjeu de démocratie, car cela permet d’entretenir un lien authentique avec les gens. Ce besoin de proximité a été mis en lumière lors d’une grande consultation menée au mois de septembre 2020 auprès des Français, aux côtés de nos partenaires que sont France Télévisions, Radio France Internationale (RFI) et l’Institut national de l’audiovisuel (INA), destinée à déterminer ce qu’ils attendent des médias publics. L’une de leurs principales attentes est la représentation de la diversité des territoires, ainsi que de la diversité économique et sociale, qu’ils souhaitent entendre et voir dans nos offres. Je me réjouis que le COM place la proximité au cœur de nos priorités. Nous procéderons notamment au développement d’offres numériques partagées entre France 3 et France Bleu, ainsi qu’au déploiement de la diffusion des matinales de France Bleu sur les antennes de France 3, dans le cadre d’une coopération entre services publics au service d’un objectif important pour nos médias.

S’agissant de la culture, elle irrigue toutes nos stratégies. Notre offre inclut une chaîne 100 % culturelle, France Culture. Nous sommes fortement engagés auprès des acteurs du monde culturel, notamment par le biais de notre exigence éditoriale. Nous diffusons et produisons des contenus culturels, et en sommes l’un des premiers prescripteurs. Nous continuerons à renforcer nos moyens éditoriaux consacrés à la création culturelle. Nous sommes aussi très engagés en faveur de la protection des droits d’auteur. Leur respect est l’une des conditions du maintien de la diversité de la création dans notre pays, dont elle est l’une des richesses. Nous y sommes très attachés et la défendons de notre mieux, notamment en luttant contre le piratage des contenus.

Par ailleurs, le COM met l’accent sur l’accélération de la transition numérique, entamée il y a plusieurs années. Nous vivons dans le monde de la radio une révolution comparable à la libéralisation de la bande FM dans les années 1980. Nous avons réalisé un investissement inédit dans le développement numérique au cours des dernières années. Nous continuerons en 2021 et en 2022, comme le prévoit le COM. Si nous n’avions pas pris de l’avance en la matière, nous n’aurions sans doute pas relevé le défi de la crise comme nous l’avons fait tout au long de l’année 2020. Le COM fixe plusieurs objectifs, notamment l’investissement dans une écoute en direct modernisée, grâce au déploiement de notre plateforme RadioPlayerFrance, constituée d’une application et d’un site internet. Elle verra le jour cette année et rassemblera nos offres. En nous donnant les moyens d’en faire un véritable média, nous réduirons notre dépendance envers les plateformes des GAFAN. En 2018, 85 % de nos podcasts étaient écoutés sur des plateformes tierces, dont plus de la moitié sur Apple. Retrouver la maîtrise de la distribution de nos contenus nous permettra de jouer notre rôle de média de service public. Nous travaillons avec nos partenaires de l’audiovisuel public, que je remercie, afin que certains de leurs contenus soient diffusés sur nos plateformes, ce qui constitue l’une des nombreuses illustrations des coopérations que nous menons. Le COM en rappelle le principe, ce dont je me réjouis.

Mme Marie-Christine Saragosse, présidente-directrice générale de France Médias Monde. Monsieur le président, vous avez rappelé que l’élaboration des cinq COM est une première. J’aimerais revenir sur ce point en préambule, avant de détailler les axes stratégiques que suivra France Médias Monde.

En très peu de temps et en pleine pandémie, la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC), que je salue, est parvenue à élaborer un volet commun aux cinq COM. Une feuille de route commune, des objectifs communs, des projets et des chantiers communs sont ainsi définis pour le secteur audiovisuel public dans son ensemble, ce qui en rend plus visible encore l’essence même, et son importance en cette période de pandémie. Il a démontré, aux échelles nationale et internationale, à quel point il importe – Delphine Ernotte Cunci et Sibyle Veil l’ont rappelé – de disposer de médias de confiance, tandis que circulent sur les réseaux sociaux des fausses informations, des théories du complot et des informations susceptibles de mettre en danger la santé de nos concitoyens. Il n’est pas inutile de rappeler que nos sociétés procèdent toutes de l’essence du service public, sans pour autant nier leurs spécificités respectives, qui découlent de leurs missions particulières.

Du point de vue de France Médias Monde, il est particulièrement intéressant que les objectifs communs et les valeurs communes du service public englobent les enjeux internationaux à part entière. Le COM se distingue également, comme l’ont rappelé Delphine Ernotte Cunci et Sibyle Veil, par le maintien de la trajectoire budgétaire arrêtée en 2018. Les budgets régulièrement adoptés depuis lors, dans le cadre des lois de finances, sont cohérents avec les objectifs fixés et avec la durée du COM. S’agissant de l’après-2022, je suis heureuse que Mme la ministre de la culture ait exclu toute budgétisation de la contribution à l’audiovisuel public, et que vous vous soyez déclaré prêt à prendre des initiatives visant à la pérenniser après la disparition de son véhicule de collecte qu’est la taxe d’habitation, monsieur le président. Le service public de l’audiovisuel en général et ses salariés en particulier éprouvent un immense soulagement à l’idée de disposer d’une recette affectée, ce qui leur permet de se projeter dans l’avenir et constitue le gage de notre crédibilité, à un moment où la confiance dont nous jouissons n’est pas toujours stabilisée, même si elle a beaucoup augmenté après une année de pandémie. Nous avons vérifié, grâce à des enquêtes qualitatives, que le service public de l’audiovisuel constitue bien souvent une valeur refuge en cas de crise. Il importe qu’une recette affectée garantisse notre indépendance et notre crédibilité, notamment à l’échelle internationale : YouTube, par exemple, distingue les chaînes gouvernementales des chaînes de service public. Mes homologues et moi-même tenons à être référencés en qualité de chaînes de service public.

Quant à nos axes stratégiques, ils mettent en musique la feuille de route arrêtée sur la base de notre trajectoire budgétaire. Outre la réalisation d’économies, ils placent au cœur de nos enjeux notre mission d’information vérifiée, honnête, équilibrée et indépendante, en français et en dix-huit langues étrangères. Nous faisons la promotion des valeurs démocratiques et humanistes. Nous faisons aussi œuvre de pédagogie s’agissant de valeurs mal comprises, telles que la laïcité, dans toutes nos langues.

Par ailleurs, nous sommes un outil de la francophonie, dont la promotion constitue notre deuxième axe stratégique. Toutefois, un grand média international se doit de diffuser ses contenus en plusieurs langues. Outre la défense de la francophonie et la promotion de l’apprentissage du français, nous renforçons nos émissions en langue étrangère dans trois directions. En matière de langues africaines, nous développons le projet « Afri’kibaaru », basé à Dakar, grâce à notre filiale CFI-TV et, pour la première fois, à un financement de l’Agence française de développement (AFD). Dans ce cadre, nous diffuserons nos émissions en peul, en mandenkan et en haoussa. Par ailleurs, nous poursuivons la montée en puissance de France 24 en espagnol. Le passage à douze heures d’émission quotidiennes, en 2020, a permis d’augmenter notre distribution de 55 % et nos audiences de 50 %, et de multiplier par trois notre impact numérique, sans compter celui de RFI. Pour la première fois, nous mesurons l’audience des radios partenaires de RFI. Nous sommes sur le point d’arrêter les résultats ; les premiers chiffres sont très prometteurs. Enfin, nous développons nos contenus en langue arabe, qui a toujours été fondamentale pour nous. Certes, un plan de départs volontaires est en cours à Monte Carlo Doualiya, car notre trajectoire budgétaire est contraignante, mais nous n’y voyons aucune contradiction avec le renforcement de nos émissions en arabe, notamment grâce aux synergies que nous envisageons entre France 24, très connue au Maghreb, et Monte-Carlo Doualiya, très connue au Proche-Orient et au Moyen-Orient.

Notre troisième axe stratégique est la transformation numérique. En 2020, nous avons atteint le chiffre de 2,4 milliards de vidéos vues, contre 1,5 milliard l’année précédente. Nous sommes donc en pleine expansion, grâce à notre stratégie du coucou consistant à nous installer aux carrefours d’audience et à y développer de nouveaux formats. Par ailleurs, nous travaillons beaucoup sur l’intelligence artificielle et sur les data.

Notre quatrième axe stratégique est le développement de notre présence mondiale. Le COM réaffirme à juste titre qu’aucun continent n’est interdit à France Médias Monde. J’ai décrit tout à l’heure notre stratégie pour l’Afrique et le monde arabe. En Europe, nous lancerons à la fin du mois de mars un grand projet plurilingue destiné aux jeunes Européens en partenariat avec la Deutsche Welle, « ENTR ». En France, Monte Carlo Doualiya sera diffusée en DAB+ en Île-de-France et à Marseille à compter du 9 février prochain. En Asie, nous obtenons des résultats stupéfiants. France 24 réalise ses meilleures audiences en Inde, en anglais. Cette langue occupe une place croissante au sein de ses programmes, aux côtés de l’arabe et de l’espagnol, ainsi que du français, qui obtient les meilleures audiences.

Nous poursuivrons notre coopération avec les autres sociétés de l’audiovisuel public, ce dont nous nous réjouissons, notamment en matière de mutualisation des moyens et d’achats communs d’informations. Au cours de la période couverte par le COM, nous pâtirons comme eux de la diminution de la contribution à l’audiovisuel public, à hauteur de 3,5 millions d’euros. Tout compris, nous devrons procéder à un plan d’économies de 16 millions d’euros, ce qui nous contraindra à réduire notre distribution. Nous avons dû le faire aux États-Unis, et nous le regrettons, car nous avons abandonné 4 millions de téléspectateurs qui nous notaient à l’égal de BBC World. Nous avons renégocié notre contrat et procédons à un plan de départs volontaires. Par ailleurs, nous maintenons nos efforts en matière de ressources propres et de financements relevés.

Enfin, le COM rappelle l’exemplarité du secteur public, notamment en matière d’égalité entre les femmes et les hommes, dont Delphine Ernotte Cunci et Sibyle Veil ont rappelé qu’elle est fondamentale, sur nos antennes comme en interne. Nous sommes heureux d’avoir obtenu quatre-vingt-dix-neuf points sur cent à l’index de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Je conclurai en me réjouissant de l’élan donné à nos sociétés, non sans rappeler que Deutsche Welle, notre concurrent et ami allemand, et BBC World, notre concurrent et ami britannique, disposent de budgets supérieurs de 100 millions d’euros à celui de France Médias Monde. La bataille pour faire entendre la voix de la France dans le monde est rude.

M. Bruno Patino, président d’ARTE France. Monsieur le président, je vous remercie de votre accueil. Le COM m’inspire trois observations.

La première est qu’il est fidèle à la double nature d’ARTE. Notre chaîne est membre du secteur de l’audiovisuel public, comme l’indique ma participation à cette réunion, ainsi que le travail que nous menons en commun avec les autres sociétés de ce secteur, notamment avec Radio France, dans le domaine de la musique, et avec France 24, dans le domaine des reportages internationaux. Nous sommes aussi une chaîne binationale, dont la gouvernance est décidée dans le cadre du projet de groupe du groupement européen d’intérêt économique (GEIE), qui est en cours d’élaboration. Je remercie la DGMIC, qui a tenu compte de cette double logique en prenant en considération notre appartenance à l’audiovisuel public français, en identifiant les coopérations possibles et souhaitables, ainsi que les passerelles qu’il serait souhaitable d’emprunter, sans perdre de vue la spécificité binationale d’ARTE ni le fait que le GEIE résulte d’un consensus naturel entre actionnaires français et allemands sur la nature d’ARTE.

La deuxième observation porte sur la trajectoire budgétaire. Je ne peux qu’être d’accord avec Delphine Ernotte Cunci, Sibyle Veil et Marie-Christine Saragosse au sujet de la lisibilité des ressources financières. Toutefois, cette trajectoire financière est assez nettement en décalage avec les prévisions initiales du COM d’ARTE pour la période 2017-2021, au cours de laquelle notre dotation aura été inférieure de 56 millions d’euros aux prévisions. Par ailleurs, ARTE a fait preuve d’une véritable rigueur de gestion, ce qui nous a permis d’abonder les programmes sans discontinuer. De 2011 à 2019, nos frais généraux ont diminué de 25 %, et nos investissements dans les programmes ont augmenté de 33 %. S’agissant de l’après-2022, je me réjouis que la budgétisation de la contribution à l’audiovisuel public soit exclue, ainsi que de votre engagement à y veiller, monsieur le président.

Le COM et ses axes stratégiques sont totalement fidèles à la nature d’ARTE, qui est une chaîne culturelle rendant accessible la complexité du monde et la beauté de la création européenne. C’est une chaîne de création qui parie sur la production plus que sur l’achat et qui souhaite être exemplaire sur le plan de la responsabilité sociale.

S’agissant des exigences en matière de production, je rappelle que 85 % des œuvres proposées proviennent d’Europe et que 71 % du budget d’ARTE-France, hors dotation au GEIE, sont consacrés aux programmes. Nous allons continuer cet investissement assez fort pour élargir de plus en plus notre couverture.

Depuis 2017, nos audiences ont augmenté de 32 % en ce qui concerne la télévision et de 270 % pour le numérique. Ce sont des chiffres plutôt exceptionnels qui traduisent, me semble-t-il, la bonne adéquation entre l’offre d’ARTE et les exigences du temps présent, tant en Europe que dans la culture. Je pense en particulier à la nécessité d’un rapprochement entre les différents pays par la culture, les documentaires et les récits. Nous parions, à cet effet, sur notre chaîne, sur notre plateforme arte.tv et sur ce que nous pouvons faire sur les réseaux sociaux.

J’en termine, puisque j’arrive au bout de mon temps de parole, par la place accrue de l’Europe dans notre stratégie de développement et par notre souhait, comme le prévoit le COM, de passer d’une logique de disponibilité de nos programmes à une logique de conquête territoriale.

M. Laurent Vallet, président-directeur général de l’Institut national de l’audiovisuel (INA). L’INA est le fruit d’une histoire un peu particulière.

L’éclatement de l’Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF) a fait de l’INA un être pluriel, hybride, à la fois centre d’archives, centre de formation, centre de recherche et d’innovation et centre de production. La diversité des missions de l’INA a souvent été mise en avant et louée mais elle a pu contribuer, aussi, à brouiller son identité auprès de ses publics.

La révolution numérique est ensuite arrivée. Elle a donné à l’INA, dans un premier temps, la capacité de rendre ses archives plus facilement utilisables et diffusables, dans le cadre de ce qu’on a appelé le plan de sauvegarde et de numérisation (PSN), qui a été mené au prix d’un effort très important en matière de contributions publiques – un investissement de près de 200 millions d’euros a été réalisé depuis le milieu des années 1990. La deuxième révolution numérique, celle des usages, a ensuite permis à l’INA de commencer à s’adresser directement à tous ses publics – le grand public, les chercheurs et les professionnels –, à travers des sites qui ont été créés au fil du temps – ina.fr, inamediapro.com, inaglobal.fr, ina‑expert.com ou inatheque.fr, pour les chercheurs. Cela lui a permis de communiquer et d’interagir avec les publics, c’est-à-dire de devenir un média patrimonial qui diffuse des contenus – de l’information, de la création, des documents écrits et audiovisuels –, et qui transmet des savoirs et des savoir-faire, en s’inscrivant dans une démarche de responsabilité sociale. Je pense, par exemple, à la « Classe Alpha » qui a été créée récemment pour des jeunes sans prérequis de diplôme.

Cette stratégie de transformation en média patrimonial, qui est menée depuis 2015, a conduit à donner une cohérence aux missions de l’INA, dont la superposition et la variété étaient parfois à l’origine d’un trouble de l’identité. En assumant son rôle de média patrimonial, dont l’audience a été multipliée par plus de 12 – le nombre de vidéos vues est passé de 80 millions à un milliard depuis 2014 –, l’INA a vu toutes ses missions se rapprocher et se renforcer au quotidien.

Qu’il s’agisse des objectifs communs aux cinq entreprises de l’audiovisuel public, dont je salue, à mon tour, le caractère novateur, ou des cinq objectifs propres à l’INA, notre cinquième COM confirme la stratégie que je viens de présenter. Il embrasse l’ensemble des missions de l’INA et conforte leur alignement par le biais de notre stratégie d’éditorialisation et d’adaptation aux usages.

Dans le cadre des objectifs communs, le COM réserve à la formation professionnelle, qui est une des activités historiques de l’INA, un traitement distinct de celui des autres champs de coopération et de synergies : un indicateur dédié permettra de mesurer les progrès accomplis en matière de mutualisation interne, au sein de l’audiovisuel public, pour les prestations de formation professionnelle. Par ailleurs, le volet spécifique à l’INA comporte des pistes très claires pour favoriser la mise en place d’un outil mutualisé.

Le cadre financier, cela a déjà été rappelé, est extrêmement contraint. À moyen terme et sur le plan macroéconomique, il existe encore une incertitude sur le maintien d’une ressource affectée au secteur, ce qui est évidemment essentiel. À plus court terme, s’agissant des deux dernières années de la trajectoire budgétaire 2018-2022, il existe une contrainte forte. L’INA a fait sa part, proportionnellement ou un peu plus, peu importe, de l’effort demandé dans le cadre de la trajectoire définie en 2018. L’INA, qui est la seule des cinq entreprises concernées à devoir aller chercher 30 % de ses ressources sur des marchés concurrentiels – de vente de formations et d’images –, a été plus durement touché par les effets économiques de la crise. Malgré tous les efforts réalisés pour poursuivre la maîtrise des charges, pour accompagner les départs en retraite et pour réviser notre accord d’entreprise, ce qui a été fait tout récemment, nous nous trouvons encore dans une situation financière périlleuse. Le dernier point qui reste à stabiliser dans le COM est le bouclage plein et entier de notre plan de financement à l’horizon 2022. Des arbitrages devraient être rendus dans les jours qui viennent.

Le COM nous donne confiance, en tout cas, dans la possibilité de consolider notre nouvelle identité de média patrimonial de service public dans le cadre de coopérations renforcées, notamment en matière de formation professionnelle – y compris initiale.

Mme Florence Provendier, rapporteure. Le service public de l’audiovisuel joue un rôle structurant dans le paysage médiatique en raison de son ambition sociétale, citoyenne et culturelle.

L’article 53 de la loi du 30 septembre 1986 prévoit que des COM sont conclus entre l’État et chacune des entreprises audiovisuelles publiques que sont France Télévisions, Radio France, France Médias Monde, ARTE France et l’INA. Les COM déterminent plusieurs éléments pour chaque société, notamment les priorités suivies, les engagements et les évolutions économiques.

Il a été décidé, d’une façon inédite, que les projets de COM concernant les différentes entreprises de ce secteur seraient présentés en même temps pour la période 2020-2022 et qu’ils comporteraient des objectifs communs. Notre commission est donc saisie aujourd’hui de cinq projets de COM.

Il nous appartient de les examiner à l’aune de la crise sanitaire actuelle et de l’environnement de plus en plus compétitif dans lequel évoluent nos médias publics. Le développement des plateformes privées de vidéo à la demande et des réseaux sociaux modifie profondément le paysage concurrentiel. Netflix a gagné un grand nombre d’abonnés à la faveur des confinements, et la bataille se porte également sur le terrain des droits sportifs. Dans ce nouvel univers, le service public de l’audiovisuel doit se réinventer pour préserver sa place dans le quotidien des Français. Au-delà des sociétés concernées, il y va de l’avenir de la création audiovisuelle et cinématographique dans notre pays, face à la stratégie d’investissement offensive des GAFAN.

Notre pays a besoin, dans ce contexte, d’un audiovisuel public d’autant plus fort. C’était l’objectif de la création de France Médias, qui aurait rassemblé France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’INA, dans le cadre du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique que nous avons examiné en commission en mars dernier. Si l’idée initiale a été abandonnée, à ce jour, la nécessité de renforcer notre audiovisuel public grâce à des coopérations et à des synergies demeure.

Pour répondre à ce besoin, des contrats assortis d’une feuille de route, de cinq objectifs communs, d’indicateurs spécifiques et de plans d’affaires, ont été préparés de septembre à décembre 2020, grâce à l’implication des dirigeants des entreprises et de leurs collaborateurs. Cet exercice inédit a le mérite de synchroniser les ambitions et les engagements des cinq entreprises et de donner à l’État un outil de pilotage, qui tend à assurer une harmonisation et permettra d’évaluer le respect des contrats sur des temporalités comparables.

Des progrès par rapport aux précédents COM méritent d’être soulignés, notamment la réalisation d’un effort de concision, qui améliore la lisibilité des objectifs stratégiques fixés par l’État, la valorisation d’enjeux de gestion partagés, qui s’accompagne d’un effort de rapprochement notable des outils de mesure, l’affichage clair, dans la feuille de route, des missions prioritaires de chacun et le respect, jusqu’en 2022, de la trajectoire financière établie par le Gouvernement en 2018.

Les contrats ont été établis pour une durée courte, de trois ans, dont plus d’une année s’est déjà écoulée. On peut comprendre les raisons ayant amené le Gouvernement et les dirigeants des sociétés à opter pour cette temporalité, au premier rang desquelles l’abandon du projet de loi relatif à l’audiovisuel et l’absence de visibilité sur les financements après 2022. Ce choix conduit, néanmoins, à s’interroger sur la vision de l’État à long terme pour nos grands médias publics.

Permettez-moi de formuler quelques remarques au sujet de l’ensemble des COM et de leurs objectifs communs avant de revenir, dans le détail, sur chaque société.

Les objectifs des COM sont encadrés par une feuille de route identique, qui concerne l’ensemble de l’audiovisuel public. Celui-ci est qualifié de « service qui demeure utile à nos concitoyens et à la société qui évolue ». Je préférerais, pour ma part, que l’on parle de « service public, pilier de notre démocratie, accessible à tous les citoyens et qui s’adapte à l’évolution de notre société ».

La feuille de route réaffirme les priorités communes de l’audiovisuel public – la culture et la création, la jeunesse et l’éducation, l’information, la proximité, l’Europe et les actions extérieures –, puis elle fixe des objectifs communs à toutes les entreprises et des objectifs propres à chacune d’entre elles, l’ensemble étant assorti d’indicateurs de mesure.

Les cinq objectifs communs sont les suivants : proposer une offre de service public identifiée qui s’adresse à tous les publics et accélérer la transformation numérique ; développer les synergies et partenariats entre entreprises de l’audiovisuel public ; consacrer prioritairement les moyens disponibles à l’offre au public ; assurer la maîtrise de la masse salariale et optimiser la gestion pour garantir la soutenabilité économique ; être une entreprise de média exemplaire.

Les COM sont complétés par des plans d’affaires exigeants, qui s’inscrivent dans le cadre des 190 millions d’euros d’économies décidées par le Gouvernement en 2018 – c’est un effort très important. Je prends note, comme les dirigeants des sociétés que nous entendons ce matin, du respect des engagements financiers de l’État.

Les COM fixent des objectifs ambitieux en ce qui concerne la croissance des audiences et le rétablissement de l’équilibre financier des sociétés, tout en maintenant à un haut niveau l’investissement dans la création. Ces objectifs sont vertueux, mais il conviendra d’être vigilant à l’égard des recettes publicitaires. Les prévisions de croissance en la matière semblent optimistes, ce qui conduit à s’interroger sur le financement des médias publics et privés.

En raison de leur courte durée et de l’incertitude pesant sur les ressources publiques de l’audiovisuel au-delà de 2022, ces COM font figure de contrats de transition. Dans les faits, leur durée sera inférieure à deux ans, puisque l’année 2020 est déjà écoulée. Pour mémoire, la loi de 1986 prévoit que les COM ont une durée d’au moins trois ans.

La question de l’avenir et du montant des ressources publiques affectées à l’audiovisuel public au-delà de 2022 se pose, la taxe d’habitation devant être supprimée au 1er janvier 2023. Nous avons bien noté l’engagement pris par Mme la ministre de la culture lors de son audition : comme l’a affirmé le Président de la République, une nouvelle ressource pérenne et indépendante doit donner au service public de l’audiovisuel les moyens de réaliser ses ambitions.

Le projet de loi que nous avons examiné réécrivait les missions de service public des entreprises. Je note, à regret, que certains apports de notre commission ne figurent pas dans les COM, notamment en ce qui concerne l’incitation à faire une promotion croisée des programmes, l’obligation d’indépendance et de pluralisme en matière d’information ou encore le sport.

J’ai étudié les COM à la lumière des critères dits SMART, selon lesquels les indicateurs retenus doivent être spécifiques, mesurables, atteignables, réalistes et temporellement définis. Un travail important a été fait, indéniablement. Néanmoins, je relève des marges de progrès, principalement quant à l’harmonisation des indicateurs relatifs aux objectifs communs. Cela vaut en particulier pour l’audience numérique : les périmètres de mesure ne sont pas toujours comparables. Il serait utile, en vue de la préparation des prochains COM, de mener un travail plus poussé de mise en commun des indicateurs et de prévoir une déclinaison systématique selon les supports de visionnage afin de permettre une évaluation de la stratégie de chaque société.

Je m’interroge également sur les indicateurs humains. Je note en particulier qu’il n’y en a pas au sujet de la qualité de vie dans les entreprises et de la prise en compte des risques psychosociaux.

Par ailleurs, il me semble important de « challenger » les COM au regard des objectifs de développement durable prévus dans le cadre de l’Agenda 2030 des Nations unies. Je recommande vivement l’adhésion de toutes les sociétés à la charte de développement durable des établissements et entreprises publics – France Télévisions l’a déjà fait.

Je regrette aussi que les enjeux de transparence et de déontologie ne soient pas évoqués, alors qu’ils étaient pris en compte dans les COM précédents – c’est indispensable pour qu’il y ait un contrat de confiance.

Les COM mettent en avant des projets de synergies et de coopérations entre les sociétés. Je ferai deux remarques à ce propos.

Je m’interroge, tout d’abord, sur le positionnement des projets prioritaires : ils figurent dans une annexe au lieu d’être inscrits au sein des objectifs communs. Il est indispensable de donner des perspectives et un cadre à ces projets en les faisant figurer dans les objectifs. Il faut, surtout, qu’il y ait une véritable conduite de projet, grâce à des responsables dédiés qui pourraient être issus des sociétés.

Je m’interroge ensuite sur le suivi financier. Les plans d’affaires demeurent structurés très différemment selon les entreprises. L’élaboration d’une maquette commune pour les comptes de résultat est un chantier prioritaire qui doit être mené à bien, conformément aux COM, dans les prochains mois – « d’ici au printemps 2021 ».

Permettez-moi de consacrer maintenant quelques mots à chacune des sociétés.

Le COM de France Télévisions comporte des objectifs particulièrement ambitieux. Notons, en particulier, le développement de l’offre d’information et la croissance des audiences de franceinfo sur tous les supports. Un objectif ambitieux est également fixé en matière de soutien à la création, par une double action concernant les investissements et la diffusion. C’est une excellente initiative, qu’illustre également le lancement de Culturebox.

Afin d’aller plus loin, je crois qu’il faudrait s’interroger sur les moyens dont nous disposons pour protéger notre souveraineté culturelle contre les stratégies offensives des GAFAN.

Le COM reprend le projet de renforcement de l’offre régionale, en lien avec l’objectif d’engagement des chaînes de France Télévisions dans la vie locale. Il s’agit d’une bonne initiative, qui répond à une demande forte de nos concitoyens et me semble indispensable pour restaurer le lien entre les Français et leurs médias publics. Localement, toutefois, cette évolution peut susciter des interrogations et des réactions.

Je souhaite également revenir sur l’existence d’une contradiction, qui a été relevée par beaucoup de membres de la commission et que Mme la présidente Ernotte a également soulignée, entre l’objectif consistant à proposer aux enfants des offres ludo-éducatives de référence et la suppression d’un canal de diffusion en linéaire du fait de l’arrêt de France 4.

En l’état actuel des choses, tous les territoires n’ont pas un accès égal au numérique et les programmes de flux restent le moyen le plus démocratique d’accéder à notre audiovisuel public. L’économie attendue de l’arrêt de France 4 s’élève, par ailleurs, à 10 millions d’euros. Il me paraît inconcevable, dans ces conditions, de ne pas conserver une chaîne linéaire consacrée à la jeunesse. Nos collègues Béatrice Piron et Maxime Minot ont formulé une recommandation allant en ce sens à l’issue de leur mission flash sur l’offre jeunesse de l’audiovisuel public.

Pour ce qui est des ressources, France Télévisions fait face à des incertitudes du fait de la crise sanitaire. J’invite donc à la prudence au sujet des estimations financières qui figurent dans le COM, en particulier pour le développement des ressources publicitaires, qui me semblent optimistes.

S’agissant de Radio France, je tiens à saluer son adaptation, tout au long de l’année passée, pour maintenir un lien de confiance avec tous les Français.

Il faut noter l’ambition numérique du groupe, qui se traduit notamment par le déploiement du DAB+, par son leadership en matière de podcasts et par le développement de la plateforme propriétaire.

Je me réjouis aussi de la stratégie offensive de Radio France, qui vise à mieux maîtriser la diffusion des contenus. Une telle volonté est essentielle pour assurer la protection de notre souveraineté culturelle.

Radio France s’engage également à renforcer l’offre d’information de proximité. Le déploiement progressif des matinales communes de France Bleu et de France 3 dans l’ensemble du territoire, qui doit aboutir à l’horizon 2022, s’inscrit dans cette ambition. Il s’agit de renforcer l’engagement de France Bleu en région grâce à une collaboration avec sa consœur. Les tests grandeur nature qui sont en cours devront servir de référence pour le plan de déploiement général.

Le soutien apporté par Radio France à la culture et à la musique dans le contexte de la crise sanitaire est très important. Je me demande si l’on ne pourrait pas compléter les indicateurs d’exposition musicale par des sous-indicateurs portant sur la part des titres francophones diffusés par France Inter et par FIP et sur la part des nouvelles productions et des nouveaux talents.

J’appelle également votre attention sur les lourdes conséquences que pourrait avoir le déplafonnement du chiffre d’affaires des ressources publicitaires de Radio France. Cette mesure, qui ne figurait pas dans le COM précédent, pourrait accentuer le déséquilibre concurrentiel avec les radios privées, dont les modèles économiques ont été particulièrement affectés par les conséquences de la crise sanitaire de la covid-19.

Par ailleurs, si la réussite de la rupture conventionnelle collective est vitale pour le respect de la trajectoire financière, la forme qu’elle prendra – en particulier les recrutements qui sont prévus – est tout aussi déterminante pour la construction de l’avenir de l’entreprise dans un climat social serein.

La crise sanitaire et les déferlantes de fausses informations ont constitué des défis considérables pour France Médias Monde. Ils ont été relevés avec succès grâce à la richesse des offres éditoriales du groupe. Je tiens à saluer l’action menée en faveur d’une information juste et indépendante hors de nos frontières, alors que la voix de la France a été particulièrement remise en cause au cours des derniers mois.

Le renforcement de l’offre plurimédia arabophone au Maghreb et au Moyen-Orient, ainsi que la montée en puissance de l’offre hispanophone en Amérique du Sud, méritent d’être salués.

J’observe néanmoins que la trajectoire financière, qui intègre la baisse des dotations publiques prévue en 2018, pourrait amener France Médias Monde à faire des arbitrages qui, s’ils devaient se multiplier, nuiraient à la réalisation de ses ambitions, en particulier sa contribution à la diffusion d’une information juste et multilingue à travers le monde.

Je pense, par exemple, à la suppression de vingt postes au sein de Monte Carlo Doualiya (MCD), alors que la direction de France Médias Monde souhaite rendre accessible cette radio sur les ondes de plusieurs grandes villes françaises.

Par ailleurs, les médias du groupe ne disposent pas des moyens financiers suffisants pour développer une offre éditoriale en turc. Or cela me semble important, y compris sur le territoire métropolitain, compte tenu du contexte géopolitique et diplomatique que nous connaissons.

J’en viens à ARTE. Ce qui caractérise cette chaîne, comme son président l’a rappelé, c’est sa binationalité. L’élément structurant de ses politiques est son projet de groupe, négocié entre les sociétés française et allemande et approuvé par l’assemblée générale. ARTE-France tente d’assurer une cohérence entre le COM et le projet de groupe – les objectifs déclinés par Arte-France ne sont pas exactement identiques à ceux des autres parties prenantes. Je précise que le prochain projet de groupe est déjà en cours de préparation. Il sera soumis à l’approbation de l’assemblée générale à l’été 2021.

L’excellence éditoriale d’ARTE est reconnue. Son audience a atteint des niveaux historiques au cours des quatre dernières années, notamment parmi les jeunes. La chaîne récolte les fruits d’une stratégie de bouquet éditorial visant à assurer une présence pour tous les usages, de façon diversifiée.

ARTE investit prioritairement, depuis des années, dans la création, les programmes et le déploiement numérique. Or elle ne pourra plus puiser dans son fonds de roulement en 2022, et arrivera au bout des économies possibles – environ 30 % d’économies ont été réalisées pendant les six dernières années.

Le COM prévoit d’accroître le déploiement d’ARTE en Europe et de renforcer la nature européenne des programmes. Il fixe l’objectif de parler d’Europe et de montrer le projet européen sous un jour créatif. Il existe, à ce titre, une vraie complémentarité entre ARTE et France Médias Monde.

L’INA, qui est financé à hauteur de 25 % par des ressources propres, est très affecté par la chute des recettes tirées des formations et des ventes d’extraits, en raison de la crise sanitaire.

L’INA doit trouver sa place dans le cadre des nouvelles synergies prévues entre les acteurs de l’audiovisuel public, par la valorisation de ses contenus, par un rôle renforcé en matière éducative et par la création d’un nouveau pôle d’excellence en matière de formation.

Le passage à l’ère d’internet et des plateformes, caractérisé par une massification de la production de contenus audiovisuels, oblige l’INA à reconstruire son modèle économique et à changer de vocation première. Hier acteur de la conservation, l’INA doit désormais s’affirmer comme un média patrimonial à part entière.

Son modèle économique repose sur trois piliers, qui conditionnent sa pérennité. Il y a, tout d’abord, les activités de formation, qui figurent dans la liste des projets de coopération prioritaires des COM – il est prévu de créer une entité de formation professionnelle commune à l’ensemble de l’audiovisuel public et de développer une offre de formation initiale aux métiers de l’audiovisuel, sans condition de diplôme, pilotée par l’INA et France Télévisions. En la matière, je salue tout particulièrement le projet « Classe Alpha » qui vise à offrir une formation à des jeunes âgés de 17 à 25 ans. Le deuxième pilier est le rôle d’archivage joué par l’INA, conformément à sa mission de dépôt légal pour l’audiovisuel public. Enfin, l’exploitation de son fonds historique permettra à l’INA de prendre toute sa part dans les priorités mentionnées par la feuille de route.

Je souhaite insister sur la nécessité d’avoir une vision et une ambition fortes pour l’audiovisuel de demain. À cet égard, il appartiendra au Gouvernement et au Parlement de travailler de concert pour clarifier, dès 2021, la façon dont se traduira la volonté qui inspirait le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique, et pour allouer à ce secteur une ressource pérenne et indépendante.

Par ailleurs, alors que les cinq projets de COM engagent le service public dans une direction commune, les synergies doivent faire l’objet d’instructions claires, s’inscrivant dans des stratégies précisément définies en ce qui concerne les enjeux et les moyens et faisant l’objet d’outils de pilotage dédiés.

D’une manière générale, le travail d’harmonisation réalisé par ces COM de transition, au moyen d’objectifs communs, mérite d’être poursuivi afin que l’on puisse mieux comparer les résultats obtenus par chaque société, pour chaque objectif. Il faudra, à l’avenir, enrichir les indicateurs pour qu’ils soient parfaitement comparables, mesurables et renseignés.

Sous les réserves que j’ai énoncées, je propose d’émettre un avis favorable aux contrats d’objectifs et de moyens pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire des COM de transition qui incarnent une volonté réelle de collaboration et de dépassement.

Pour conclure, je tiens à remercier toutes les personnes auditionnées, notamment les dirigeants des sociétés de l’audiovisuel public et leurs collaborateurs, mais aussi nos interlocuteurs au sein de la DGMIC, de Médiamétrie et de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM), qui nous ont accordé un temps précieux, les services de l’Assemblée nationale, qui ont permis à ma mission de se dérouler dans les meilleures conditions, mon collaborateur et le président de notre commission. Je vous remercie également, chers collègues, pour la confiance que vous m’avez témoignée.

M. Pascal Bois. Merci, mesdames et messieurs les présidents, pour votre éclairage, intéressant et pertinent, sur la situation et l’avenir de notre grand service public de l’audiovisuel. Je voudrais aussi avoir un mot pour l’ensemble des salariés, qui montrent pleinement ce que veut dire la « résilience » en cette période toute particulière. Merci également, au nom du groupe La République en Marche, à notre collègue Florence Provendier pour le travail qu’elle a accompli à l’occasion de ce premier exercice global de contrats d’objectifs et de moyens.

Il faut saluer le fait que la conception de ces COM a été coordonnée : ils sont désormais alignés sous l’angle de leur durée et celui de leur contenu. Des objectifs communs favorisent inévitablement les synergies escomptées. Un premier jalon est ainsi posé, même si ces COM n’assurent qu’une transition. La feuille de route portant sur les transformations stratégiques à mener en matière de numérisation, de mutualisation et de gestion, sur les moyens et sur les priorités concernant les contenus et la qualité de l’information, vise à conforter le service public pour tous, sur tous les supports.

Calendrier aligné, objectifs communs, ambition de transformation : telles sont les raisons pour lesquelles notre groupe suivra l’avis favorable de la rapporteure.

À titre personnel, je tiens à faire part de ma satisfaction de voir que l’annexe des COM prévoit la conclusion d’un pacte pour le soutien et l’exposition de la culture et de la musique. Je salue au passage la nouvelle chaîne Culturebox, diffusée sur le canal 19.

Pour terminer, j’ai une question relative à l’équilibre du marché publicitaire. Il est certes nécessaire de dynamiser les ressources, mais il faut éviter de déstabiliser les acteurs privés de l’audiovisuel, notamment dans la conjoncture actuelle. Quel regard portez-vous sur l’écosystème publicitaire ?

M. Jean-Jacques Gaultier. La présentation conjointe de ces COM viserait à promouvoir une coordination, à définir des objectifs et un calendrier communs, à favoriser les mutualisations entre les sociétés de l’audiovisuel public. Certes, mais reconnaissez que leurs conditions d’examen, au pas de charge et à la hussarde, sont hallucinantes. Plusieurs milliards d’euros de ressources publiques sont tout de même en jeu ! C’est une gageure pour les présidents de société qui sont auditionnés mais aussi pour les députés. En tout cas, le Parlement ne travaille pas dans de bonnes conditions. L’examen du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique a été arrêté au printemps 2020 en raison de la crise sanitaire, tout comme la réforme de la contribution à l’audiovisuel public. Finalement, que reste-t-il ? Une trajectoire budgétaire 2018-2022 à la baisse puisque la contribution à l’audiovisuel public devrait diminuer de 190 millions entre 2018 et 2022. Une trajectoire budgétaire ne fait pas une stratégie.

Par ailleurs, nous sommes en février 2021 : les projets de contrats d’objectifs et de moyens concernent donc les deux années 2021 et 2022. La loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication a exclu la possibilité de rendre les COM rétroactifs : ne me dites donc pas que les COM concerneront l’année 2020, qui est derrière nous ! À nouveau, nous ne respectons pas la loi de 1986 qui prévoit que les COM durent entre trois et cinq ans. Une durée de deux ans ne correspond pas à une vision stratégique pour l’audiovisuel public, ce qui nous inquiète pour 2023. Rien ne nous empêchait de nous projeter au-delà de 2022, comme nous l’avons fait pour la loi de programmation militaire ou la loi de programmation de la recherche.

Puisque mon temps est compté, je laisserai mes collègues évoquer la suppression de la chaîne France 4, le manque de précision autour du renforcement de l’offre de proximité régionale amorcé par le rapprochement entre France 3 et France Bleu, les inquiétants dépassements du plafond autorisé de recettes publicitaires – 53 millions en 2021 et 55 millions en 2022 pour Radio France –, les préoccupations concernant la diversité et le pluralisme du paysage radiophonique et, enfin, le pôle de formation de l’INA qui « pourrait être bâti », ce qui revient à dire que nous serions encore loin d’une reconnaissance officielle du rôle de l’INA comme pôle de formation à destination des 15 000 personnels de l’audiovisuel public.

Mme Maud Petit. Je remercie les présidents pour leur propos liminaire et la rapporteure, Mme Florence Provendier, pour la qualité de son travail.

Madame Ernotte, pourriez-vous nous donner quelques informations au sujet du reclassement des salariés de France Ô, la chaîne du canal 19, depuis sa fermeture en août 2020 ? À propos du canal 19, je salue le lancement, lundi dernier, de la chaîne éphémère et culturelle Culturebox, qui a mis à l’honneur la nouvelle génération de la scène française pour sa première soirée. C’est un plaidoyer important pour la culture, en cette période difficile. J’espère que nous pourrons bientôt y découvrir des artistes ultramarins.

Mme Sylvie Tolmont. Au nom du groupe Socialistes et apparentés, je salue tous les acteurs de l’audiovisuel public qui accomplissent un remarquable travail pour faire vivre la culture, l’information et le divertissement dans notre pays. L’investissement de vos équipes, mesdames et messieurs les présidents, a porté ses fruits puisque les résultats sont excellents.

Cependant, les contrats d’objectifs et de moyens qui dessinent votre feuille de route durant la période 2020-2022, ne fixent qu’un horizon de quelques mois et ne nous offrent aucune perspective pour l’après-2022, sous le prétexte des prochaines échéances électorales, alors même que la crise sanitaire et les restrictions budgétaires décidées par le Gouvernement n’ont pas épargné l’audiovisuel public.

Ainsi, le budget de France Médias Monde baisse de 0,5 million d’euros pour se fixer à 254 millions, ce qui est bien loin du budget de 373 millions d’euros alloué à BBC World. Le budget d’ARTE a baissé de 2 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2021. La dotation de France Télévisions a chuté de près de 60 millions d’euros alors qu’elle fut un outil essentiel de soutien pédagogique durant la crise sanitaire, notamment grâce à France 4 – j’en profite pour réitérer notre opposition à la suppression de France 4. Le budget de Radio France diminue de 8 millions d’euros alors que les personnels dénoncent, depuis plusieurs années, la réduction des effectifs du groupe en dépit de ses très bons résultats. Seul l’INA aura bénéficié d’une meilleure dotation, néanmoins soumise à des efforts financiers supplémentaires. Son rôle de pôle de formation pour les 15 000 personnels de l’audiovisuel public n’est toujours pas officialisé, ce que nous regrettons.

La trajectoire est donc à la baisse puisque les ressources de l’audiovisuel public diminueront de 190 millions d’euros, au détriment de la masse salariale, alors que l’audiovisuel est une industrie de main-d’œuvre et que le déploiement numérique n’a de sens qu’à condition de mobiliser de nouveaux publics et de servir des objectifs de qualité et de proximité, pour faire rayonner la culture et délivrer une information intéressante.

M. Pierre-Yves Bournazel. Mesdames et messieurs les présidents, je voulais tout d’abord vous remercier pour votre engagement en faveur de l’audiovisuel public qui demeure, pour nous, une priorité.

Depuis le début de la crise inédite que nous traversons, notre audiovisuel public a su être au rendez-vous pour délivrer les informations, offrir des divertissements, diversifier les programmes, favoriser l’accès de tous à la culture. Depuis 2018, le Gouvernement a voulu amplifier et accélérer la transformation des offres, faire évoluer le pilotage du secteur de l’audiovisuel public. Face au poids croissant des médias numériques et à l’évolution des pratiques, ces réformes apparaissent nécessaires pour que le service public de l’audiovisuel continue à proposer des contenus diversifiés, de très grande qualité, accessibles et d’intérêt général.

Les contrats d’objectifs et de moyens pour 2020-2022 s’inscrivent dans une forte ambition de transformation, se traduisant par des objectifs communs et ambitieux, des calendriers alignés et la poursuite de la transformation numérique. Beaucoup reste à faire. Sans entrer dans le détail, je rappellerai que nous restons attentifs à la situation de France Médias Monde. Si nous voulons renforcer notre influence à l’étranger, nous devons donner les moyens à cette société de réaliser sa part.

Plus précisément, je voudrais vous interroger sur l’engagement des médias publics en matière de responsabilité sociale et environnementale, qu’il s’agisse de la lutte contre les discriminations, de la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes, de l’inclusion des personnes handicapées ou de la protection de l’environnement. Le rôle des médias publics est important car ils sont de puissants vecteurs de transmission dans notre société. Quelles actions menez-vous pour pérenniser vos projets dans ce domaine ? Les nouveaux contrats d’objectifs et de moyens sont-ils suffisamment ambitieux ? Comptez-vous travailler en équipe pour dresser le bilan des démarches qui ont porté leurs fruits, afin d’améliorer vos stratégies ?

Mme Béatrice Descamps. Je remercie à mon tour Mme la rapporteure ainsi que Mmes et MM. les présidents pour leur engagement et leurs propos. Je salue également le lancement de la chaîne éphémère dédiée à la culture. Comme je suis particulièrement sensible à la transmission de la culture à nos enfants, je ne peux que louer la plateforme Lumni. Sa complétude audiovisuelle et l’autonomie qu’elle permet ouvrent des portes vers le savoir et la connaissance pour tous les enfants qui peuvent ainsi comprendre le monde en apprenant autrement et devenir des citoyens éclairés, capables de décrypter l’actualité. Je suis très attentive à la valeur éducative de ces supports. J’ai ainsi découvert Alma Studio, application d’histoires audio sans images pour les enfants, qui représente un excellent garde-fou contre l’addiction aux écrans des plus jeunes. J’aime à penser que notre service audiovisuel public de demain pourrait s’inspirer de ce genre de création. Son modèle pourrait-il être renouvelé pour être mis au service de l’éveil à la culture, à la musique, aux émissions documentaires, ce qui donnerait à l’audiovisuel un véritable rôle de facilitateur d’attention, de concentration et d’écoute ?

Par ailleurs, je suis très sensible aux effets néfastes de la publicité pour nos enfants, en particulier les enfants malades dont l’état pourrait être aggravé par un sentiment de frustration. Serait-il possible d’engager une réflexion à ce sujet ?

M. Michel Larive. Tout d’abord, je tiens à exprimer mon regret de devoir vous interroger collégialement en seulement deux minutes. Jusqu’à présent, les commissions permanentes des deux chambres organisaient une audition annuelle autour des contrats d’objectifs et de moyens de chacune des entités que vous représentez, ce qui était logique au regard des différences qui séparent vos métiers. On voit bien les limites démocratiques que représentera la fusion de l’audiovisuel public dans le cadre de France Médias. Je vous préviens également que nous n’avons reçu le rapport relatif à vos contrats d’objectifs et de moyens qu’en fin de journée, lundi, ce qui a encore compliqué la mission de contrôle de votre action, dévolue aux parlementaires.

Cela étant, je profite de votre présence pour vous interroger sur les moyens concrets accordés à ces COM. La trajectoire budgétaire pour la période 2018-2022 prévoit une baisse de 190 millions d’euros des ressources publiques, dont 160 millions d’euros chez France Télévisions, 20 millions chez Radio France et 10 millions chez les autres sociétés. Les effectifs devront être réduits de 3,8 % entre 2015 et 2022 chez France Télévisions, sans parler de la chute des recettes publicitaires, soulignée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) dans son avis. Il semble que ces contrats vous assignent des objectifs sans les moyens qui devraient les accompagner.

En 2017, le Président de la République aurait déclaré, comme l’a affirmé le magazine Télérama, que l’audiovisuel public était une honte pour nos concitoyens. Trois ans plus tard, le bilan de la majorité pour l’audiovisuel public se résume en quelques mots : une cure d’austérité, des postes supprimés, la disparition de France Ô et sans doute celle de France 4, comme le laisse supposer la lecture des COM, en contradiction avec la position de Mme Ernotte. Dans ces conditions, mesdames et messieurs les présidents, doit-on avoir honte de notre audiovisuel public ?

Mme Elsa Faucillon. Chacun ici, depuis quelques mois, félicite et encourage à juste titre les agents et les directions des services publics de l’audiovisuel. Le secteur public n’est pas seulement un précieux outil démocratique, c’est aussi notre bien commun. N’avez-vous pas le sentiment que les contrats d’objectifs et de moyens sont en contradiction avec ce concert de félicitations ?

Madame Ernotte, nous avons tous pu mesurer l’importance du rôle joué par France 4 dans le cadre de l’opération « Nation apprenante ». La semaine dernière, l’un de nos collègues a présenté un rapport démontrant l’intérêt de maintenir cette chaîne dédiée à la jeunesse, afin de ne pas laisser les enfants aux mains des chaînes privées. En outre, une telle suppression ne correspond à aucun effort budgétaire utile. Soutenez-vous notre position ? Par ailleurs, si cette suppression était confirmée, qu’adviendrait-il du canal 14 ? Que proposeriez-vous au CSA ?

Enfin, la publicité a été interdite sur les antennes de Radio France durant de nombreuses années. En 2016, elle a été autorisée mais dans une certaine proportion. Madame Veil, ne pensez-vous pas que la particularité de Radio France par rapport aux radios privées imposerait de la préserver davantage de la publicité ?

M. le président Bruno Studer. Avant de donner la parole aux présidentes et présidents des sociétés de l’audiovisuel public, je voudrais rappeler dans quel cadre nous travaillons. Pour la première fois, les COM ont une partie en commun et personne ne s’est opposé, au sein du bureau de la commission, à ce que nous les examinions simultanément. C’est un exercice différent de celui qui consiste à entendre chaque président présenter individuellement l’exécution annuelle du COM en cours.

L’exercice est nouveau et nous pourrons toujours l’améliorer mais je tiens à saluer le travail mené depuis plusieurs semaines par Mme Provendier, qui a conduit de nombreuses auditions auxquelles tout le monde pouvait assister. J’ai bien compris que vous souhaitiez approfondir l’analyse de ces COM, aussi ne puis-je qu’espérer que nous resterons ensemble jusqu’à la fin de la matinée.

M. Laurent Vallet. Pour ce qui est des propos que le Président de la République aurait tenus en 2017, peu importe la genèse et la réalité de cette appréciation. L’ensemble des personnels concernés ont apporté la preuve, par leur travail, qu’ils étaient tout le contraire d’une « honte pour la République » : il faut saluer le rôle remarquable qu’ils ont joué pour offrir, dans cette période difficile, à nos concitoyens frappés par la crise sanitaire, des programmes adaptés. Ce débat n’a pas vraiment lieu d’être.

Pour ce qui est de la responsabilité sociale et environnementale, je citerai trois exemples de l’action de l’INA.

Tout d’abord, l’INA est la seule entreprise audiovisuelle publique à disposer d’un département de recherche, ce qui est l’une des richesses de son héritage, qui comprend notamment le fonds historique des émissions diffusées par l’ORTF. Elle est également responsable, depuis vingt-cinq ans, de la gestion du dépôt légal pour les documents audiovisuels. La combinaison de ces deux atouts lui a permis d’apporter une contribution remarquée, grâce à des données précises et irréfutables ainsi que des travaux de recherche d’une grande qualité. Des parlementaires s’en sont d’ailleurs servis pour nourrir leur réflexion, tant pour ce qui concerne la place ou la parole des femmes dans les médias, en temps de crise, que le traitement de la crise sanitaire dans les journaux télévisés.

Le deuxième exemple est celui de la création de la « Classe Alpha », à la rentrée dernière. Ce cursus accueille une centaine de jeunes entre 17 et 25 ans pour un parcours de pré‑qualification à l’emploi, sans condition de diplôme. Ce projet a suscité l’intérêt de nos partenaires de l’audiovisuel public, en particulier France Télévisions. Delphine Ernotte a pris le temps de consacrer une journée entière, en décembre dernier, à la découverte de cette classe et je me réjouis des perspectives de développement de cette initiative, pourquoi pas dans le cadre d’une coopération renforcée avec les entreprises dont vous auditionnez les présidents aujourd’hui.

Enfin, dernier exemple, dans le cadre du plan de relance, un vaste appel à projets a été lancé pour la rénovation énergétique des bâtiments de l’État et de ses établissements publics. Le projet de rénovation énergétique du site de Bry-sur-Marne – notre principale implantation – a été retenu. Ce programme qui permettra d’économiser, à l’horizon 2023, plus de 5 millions de kilowattheures a été jugé exemplaire et a reçu la meilleure note technique parmi tous les dossiers examinés par la Direction de l’immobilier de l’État.

Au travers de ces trois exemples, choisis parmi tant d’autres, j’ai voulu vous montrer que nous essayons de nous montrer à la hauteur du rôle que doit jouer l’audiovisuel public en matière de responsabilité sociale et environnementale.

M. Bruno Patino. Bien évidemment, nous sommes tous d’accord pour favoriser la diffusion de la culture, en particulier auprès de notre jeunesse, et nous pouvons tous nous réjouir, me semble-t-il, de la multiplicité des initiatives prises par l’ensemble des sociétés de l’audiovisuel public.

Pour ce qui concerne ARTE, le compagnonnage que nous avons instauré depuis longtemps et à l’échelle européenne, avec les artistes, les institutions, les producteurs et les réalisateurs a porté ses fruits. La très forte complémentarité de l’ensemble des sociétés a permis de toucher un très large public, aux diverses sensibilités. Je ne vous donnerai qu’un seul exemple. Le 18 février, nous créerons avec l’Opéra de Paris, Aida, que nous sous‑titrerons en six langues pour faire rayonner la culture en Europe, en particulier la création française pour ce qui concerne la mise en scène. Nous ne pouvons qu’approuver la volonté d’étendre toujours davantage l’exposition de la culture et le rôle de l’audiovisuel public dans la production de créations originales, surtout en cette période de crise sanitaire.

Pour ce qui concerne les actions menées en direction de la jeunesse, là encore, chacun agit de manière complémentaire, selon sa sensibilité. Nous jouons un rôle particulier dans le domaine éducatif et le programme Educ’Arte nous permet d’être présents à l’échelle européenne.

Enfin, s’agissant de l’attrition des ressources budgétaires, je ferai une remarque qui ne vaut pas seulement pour ARTE. Nous devons aujourd’hui nous adresser à tous les publics, dans ce temps si particulier de fragmentation sociale, mais aussi de fragmentation des usages. L’attrition des moyens fragilise non seulement notre capacité de production mais aussi la possibilité de faire découvrir au public des productions, notamment grâce à l’univers du numérique. Je l’ai souvent répété : faire œuvre culturelle, ce n’est pas seulement produire et relayer la création culturelle, c’est aussi disposer des compétences technologiques suffisantes pour qu’elle soit découverte. Or tout cela a un coût. Si nous soutenons la comparaison sur le plan qualitatif avec les grandes plateformes, nos compétences technologiques sont très inférieures aux leurs, ce qui représente un handicap pour faire émerger nos productions dans l’univers numérique et les présenter au public. L’enjeu est essentiel pour l’audiovisuel public : il ne faut pas l’oublier quand il est question de trajectoires budgétaires.

Mme Marie-Christine Saragosse. J’ai bien entendu les inquiétudes exprimées par les uns et les autres, quel que soit leur bord politique, tant pour ce qui est de la trajectoire descendante des moyens accordés à l’audiovisuel public que de la pérennité de ces moyens au-delà de 2023.

Concernant la trajectoire budgétaire, il est peut-être un peu tard pour agir : ces arbitrages ont été décidés en 2018, et des lois de finance ont été adoptées – certes, il nous reste 2022... Nous traversons une crise majeure et il me semble que nous devrions plutôt nous réjouir que le secteur public, malgré tout, continue de bénéficier de ressources, contrairement à d’autres entreprises. Nous avons commencé à faire des efforts et il faudra poursuivre sur cette lancée, même si certains choix sont douloureux et pourraient menacer notre avenir.

En revanche, le sort de l’audiovisuel public à partir de 2023 est entre nos mains, en particulier entre celles des membres de votre commission. Des initiatives nouvelles pourraient être adoptées, par exemple pour pérenniser la redevance, comme l’évoquait Bruno Studer, et pour faire aboutir la réforme de l’audiovisuel que nous attendons depuis dix ans afin d’adapter la taxation – les usages n’ont plus de rapport avec la détention d’un téléviseur. Nos amis allemands ont déjà lancé des réformes et votre commission y a réfléchi. En tout cas, il y aurait des solutions à trouver, en dehors des COM.

Concernant France Médias Monde, nous sommes attachés à faire respecter l’égalité et la parité salariale, à tous les niveaux. Nous regardons qui passe à l’antenne en nous intéressant à diverses catégories et nous nous assurons, pour les promotions, qu’il y a toujours un homme et une femme candidats. S’agissant de l’indicateur relatif aux écarts de rémunération entre les femmes et les hommes à poste et âge comparables, France Médias Monde a obtenu un score de 39/40. Nous continuons à nous montrer vigilants.

Pour ce qui est de la diversité, elle est constitutive de l’identité même de notre groupe puisqu’il rassemble des agents de soixante nationalités. Nous portons une attention particulière aux personnes en situation de handicap. Un plan d’action est mis en œuvre et nous en bâtirons un nouveau dans le cadre du prochain COM. Nous prenons également soin, par des mesures ciblées, de garantir la diversité des origines sociales. Quant à l’environnement, pour la première fois, le COM a prévu des indicateurs. Un plan d’action est à l’étude et nous avons l’intention de renforcer notre force de frappe dans ce domaine en mobilisant des savoir‑faire dont nous ne disposions pas nécessairement à temps plein dans le groupe. C’est une préoccupation de nos tutelles et nous y adhérons.

Mme Provendier a rappelé que France Médias Monde avait engagé un plan de départs. Nous le regrettons et nous nous en serions bien passés mais comment faire autrement quand on doit trouver 16 millions d’euros d’économies et que la masse salariale représente au moins 55 % des dépenses ? Cela étant, nous avons essayé de réduire au maximum les conséquences pour la masse salariale. L’enjeu de ce plan était essentiellement de conserver toutes nos langues, tous nos médias, afin de préserver notre vocation internationale. Nous y sommes parvenus, tout en réalisant des économies. Certes, il a fallu prendre de lourdes décisions et nous n’avons pas quitté les États-Unis de gaîté de cœur mais s’il n’y a plus d’argent, on est bien obligé de faire des choix. On aurait pu en faire d’autres mais, de toute manière, le choix n’est jamais bon lorsqu’il est guidé par le manque d’argent.

Mme la rapporteure a regretté que nous n’ayons pas les moyens de développer une nouvelle offre éditoriale en turc. Figurez‑vous que RFI comptait une toute petite rédaction turque : elle a été supprimée lors d’un précédent plan d’économies. Nous avons également vu disparaître la langue polonaise ainsi que d’autres langues de l’Europe centrale et orientale, ce qui est particulièrement regrettable par les temps qui courent. À défaut de pouvoir s’entendre au sein de l’Union européenne, nous pourrions au moins essayer de nous parler. La langue turque a donc, elle aussi, disparu, pour des raisons financières qui dépassent la portée de ce COM.

Mme Sibyle Veil. En ce qui concerne la publicité, le COM qui vous est présenté supprime un plafond transitoirement introduit par le précédent COM – couvrant la période 2015-2019 –, au moment où nos antennes ont été ouvertes à de nouveaux annonceurs, et rendu obsolète par l’évolution de nos audiences au cours des cinq dernières années. Cela permet d’adapter le prix des spots publicitaires au niveau des audiences.

Sur ce point, je tiens à rappeler quelques faits importants. D’abord, la publicité sur nos antennes est et demeure triplement limitée par notre cahier des missions et des charges. Premièrement, elle est limitée à trois antennes – France Inter, France Info et France Bleu – sur les sept que compte Radio France. Ensuite, et surtout, elle est strictement limitée en volume, ses temps de diffusion étant très encadrés et définis selon la tranche horaire. Enfin, son contenu – la nature des annonceurs et des annonces – est également encadré : les annonceurs du commerce et de la grande distribution, soit 44 % des annonces du marché de la radio, sont interdits de campagnes promotionnelles. Le COM ne revient sur aucune de ces limitations.

Le chiffre publicitaire de Radio France ne représente que 3 % du chiffre d’affaires total du secteur, selon les données officielles établies par Kantar, alors que Radio France représente plus de 30 % de l’audience globale de la radio.

La place de la publicité est donc très modérée et le restera. Ni son volume ni son positionnement ne sont ni ne seront de nature à ponctionner les ressources publicitaires des radios commerciales. J’en veux pour preuve le fait que nous ayons volontairement consacré une partie de nos espaces publicitaires à la publicité verte, à des acteurs et produits écoresponsables. Cela implique un renoncement et un manque à gagner.

Dans ces conditions, je doute que retirer Radio France du marché publicitaire puisse résoudre les difficultés économiques des radios privées. Je crains au contraire que les annonceurs qui viennent aujourd’hui chez nous ne choisissent à l’avenir d’aller vers d’autres médias, numériques, et, plus vraisemblablement encore, vers les GAFAN.

La suppression de ce plafond, qui, je le répète, vise simplement à tirer les conséquences de l’évolution de nos audiences, ne saurait porter atteinte à l’équilibre économique du marché publicitaire de la radio.

Un autre sujet important pour Radio France est la musique. Sa diffusion fait partie de nos engagements tels que les rappelle le projet de COM, et Mme la rapporteure a posé plusieurs questions relatives aux objectifs et indicateurs assignés à nos antennes en la matière.

Le niveau d’exigence fixé par le COM reste très élevé. Il correspond aux obligations inscrites dans notre cahier des missions et des charges. La priorité est le soutien à la diversité de la création française, ce qui explique l’énoncé des objectifs et indicateurs. L’ensemble des actions engagées par les différentes chaînes et par le groupe depuis le début de la crise témoigne de la force de notre engagement destiné à préserver la scène musicale française et sa diversité.

En avril 2020, nous avons lancé une opération qui se traduit par l’augmentation de 25 % de la diffusion de musique sur nos chaînes. Nous le faisons pour jouer un rôle de stabilisateur du secteur de la musique grâce aux droits d’auteur que nous versons en contrepartie de ces diffusions. Nous continuons par ailleurs de diffuser de la musique live, ce qui est indispensable pour soutenir les nouveaux talents que l’on ne peut écouter ailleurs, notamment sur les sites de streaming musical. Le 23 janvier, nous avons ainsi organisé
– c’était inédit – un concert live de six heures, diffusé simultanément sur cinq de nos antennes et réunissant une centaine d’artistes de la scène française.

Cet engagement très fort fait partie de notre identité éditoriale et de celle de chacune de nos chaînes. Le fait de donner à la Maison de la radio le nouveau nom de Maison de la radio et de la musique en 2021 en est la traduction. Je m’engage à montrer, dans le cadre du rapport d’exécution du COM, l’ensemble de nos actions de soutien à la filière musicale française.

Mme Delphine Ernotte Cunci. En ce qui concerne France 4, aucune ambiguïté de ma part : le projet que j’ai présenté au CSA lors de l’élection du président de France Télévisions indiquait clairement que j’estimais nécessaire le maintien de la chaîne dans son format actuel, celui d’une chaîne ludo-éducative et sans publicité.

En effet, l’offre de France 4 est unique dans le paysage audiovisuel. Presque entièrement éducative pendant le premier confinement, elle reste aujourd’hui ludo-éducative par le choix des films et des dessins animés diffusés : la liste est longue des programmes qui éduquent tout en distrayant.

Pourquoi était-il prématuré de décider l’arrêt de sa diffusion ? Les jeunes, dit-on, ne regardent plus la télévision ; c’est vrai, mais les enfants si. Chez les moins de 14 ans, la télévision représente ainsi 80 % de la consommation à raison d’une heure trente par jour, loin devant YouTube. Dans ces conditions, l’existence d’une chaîne gratuite, disponible partout, y compris sur la TNT, n’est pas rien ; on l’a vérifié pendant la crise sanitaire. En effet, tout le monde ne dispose pas d’une connexion internet suffisante pour accéder au numérique : malgré de gros progrès, 9 % des gens ne le peuvent toujours pas. À cette rupture technologique s’ajoute la rupture économique : dans une famille qui n’est équipée que d’un seul ordinateur, les plus jeunes n’ont pas la priorité sur leurs aînés, qui en ont besoin pour suivre un cours ou préparer un exposé.

Madame Descamps, l’ensemble des programmes de France Télévisions destinés aux enfants sont sans publicité, que ce soit sur France 3, sur France 5 ou, évidemment, sur France 4.

En outre, comme vous l’avez dit, madame Faucillon, l’économie induite par l’arrêt de la diffusion de France 4 représente moins de 1 % du budget de France Télévisions.

Plus généralement, le fait que, tout en accroissant notre investissement dans la production de contenus – ce qui nous paraît légitime et dont nous sommes fiers –, nous supprimions des chaînes – après France Ô, France 4 – crée un embouteillage sur les chaînes restantes. Ainsi, à la suite de la fermeture de France 4, nous envisageons de transférer des programmes ludo-éducatifs notamment sur France 5, qui en diffuse déjà. Au total, cela crée une sorte de jeu de taquin qui fait rejaillir la fermeture de France 4 sur l’ensemble des grilles, bien au-delà de la seule animation française.

Si nous avons réussi à lancer Culturebox si vite et avec un budget si réduit, c’est bien parce que nous captions déjà un nombre considérable de concerts, d’opéras, de festivals et autres événements culturels : une chaîne n’est qu’une façon d’exposer des contenus que nous possédons, et son coût technique est sans commune mesure avec le coût de production de ces contenus.

Madame Petit, quand la date de fermeture de France Ô a été arrêtée, nous avons reçu l’ensemble des personnels de la chaîne et une solution a été trouvée pour chacun d’entre eux. Cela a été rendu possible par l’enrichissement de l’offre de programmes ultramarins sur l’ensemble de nos chaînes auquel nous avons œuvré en parallèle et qui sollicite beaucoup les équipes dites de Malakoff – la direction des outre-mer, où était logée France Ô. De plus, nous avons relancé le portail Outre-mer La Première, avec succès. Nous avons d’ailleurs ce soir même un comité de suivi destiné à faire le point sur le pacte de visibilité.

En ce qui concerne la diversité, monsieur Bournazel, le COM inclut plusieurs indicateurs, dont la part de femmes expertes à l’antenne et le nombre d’heures de sous-titrage sur franceinfo, qui va passer d’une et demie à six. L’entreprise s’est donné des objectifs – et des méthodes pour les atteindre – encore bien plus ambitieux. Nous sommes en phase d’audit de notre label Diversité, que nous espérons bien conserver. En outre, mon prédécesseur avait engagé en 2013 une démarche en matière de RSE (responsabilité sociale des entreprises) qui a irrigué toute l’entreprise. Bref, nous allons bien au-delà des objectifs que nous assigne le COM.

Mme Béatrice Piron. Merci à tous, notamment à Florence Provendier pour son excellent travail.

Madame Ernotte, vous avez répondu par anticipation à ma question : je m’inquiétais au sujet de votre capacité à respecter l’ensemble des objectifs sur trois chaînes seulement ; vous confirmez que vous aimeriez que France 4 soit préservée.

Est-il encore possible de faire revenir les 14-25 ans – dont on parle assez peu – vers les programmes télévisés, et si oui, comment ?

Mme Delphine Ernotte Cunci. Pour mettre en avant des contenus spécifiquement destinés à ces jeunes publics, le meilleur moyen n’est pas les chaînes traditionnelles puisqu’ils regardent de moins en moins la télévision. En revanche, on sait les atteindre par l’intermédiaire des réseaux sociaux et des plateformes numériques. Nous avons donc décidé d’investir dans la création documentaire ou de fiction à leur intention ; vous retrouverez ces programmes sur notre plateforme france.tv.

Cela dit, ces jeunes regardent parfois la télévision avec leurs parents, leurs grands‑parents, leurs frères et sœurs. Nous n’avons donc pas abandonné l’idée de réunir la famille devant l’écran, par exemple lors des émissions de divertissement musical – nous le faisons d’ailleurs tous les jours grâce à « N’oubliez pas les paroles », à dix-neuf heures sur France 2.

Mme Constance Le Grip. Madame Ernotte, bravo pour Culturebox – dont nous espérons, paradoxalement, qu’elle durera le moins longtemps possible !

Vous avez dit que la diversité serait le fil rouge de votre mandat et repris l’expression, employée par le CSA, de « personnes perçues comme non blanches », ces personnes qui seraient beaucoup moins présentes à la télévision française que dans notre société. Vous avez également fait référence aux États-Unis d’Amérique en citant la formule « no diversity, no commission » pour affirmer que les projets qui ne tiendraient pas compte de l’obligation de diversité ne seraient plus financés par France Télévisions.

Comment allez-vous appréhender concrètement cette diversité ? Allez-vous appliquer des critères de différenciation ethnique ? Vers quelles dérives à l’américaine sommes-nous susceptibles d’aller ? La diversité, c’est aussi celle des opinions, et cela nous importe !

Mme Delphine Ernotte Cunci. Le souhait d’une plus grande diversité s’est très fortement exprimé lors des différentes consultations citoyennes que nous avons menées aux côtés de Radio France. La demande vient donc des publics, qui ne se voient pas tous représentés à l’écran.

J’aimerais définir ce que l’on appelle « diversité », notion plurielle. Pour nos téléspectateurs, elle est d’abord géographique : les campagnes et les petites villes ne se sentent pas assez représentées par rapport à Paris et aux métropoles ; c’est ce qui irrigue le projet de régionalisation de France 3. La diversité, c’est également la mixité, sur laquelle portent certains objectifs du COM ; c’est aussi une représentation du handicap qui rompe avec l’idée que l’on peut s’en faire, et qui est très attendue ; c’est enfin la diversité perçue, la diversité d’origine.

Sur ce dernier point, nous sommes incités à progresser par le rapport que le CSA a récemment consacré à la réalité de la diversité perçue sur les différentes chaînes de télévision. Parce qu’il a à jouer un rôle de cohésion nationale et sociale, le service public doit faire en sorte que tous les Français, quel que soit leur âge, leur genre, leur couleur de peau, leur origine sociale, leur lieu d’habitation ou leur revenu, se sentent chez eux quand ils regardent la télévision publique.

Je n’aime pas beaucoup le terme de diversité ; je dirais plutôt que nous devons normaliser la représentation de tous sur nos antennes. C’est ce que nous faisons pour les outre-mer dans le cadre du pacte de visibilité. De même, il faut donner à tous les Français leur juste place sur nos antennes.

Mme Céline Calvez. Je félicite la rapporteure pour son travail.

Vous avez toutes et tous évoqué les synergies existantes entre les différentes entreprises de l’audiovisuel public. Elles permettent de lui donner plus de place, de compétitivité, de réaliser des économies d’échelle, mais surtout d’adapter les contenus aux usages et aux attentes des Français. Concernant l’objectif n° 2, je me réjouis donc des nombreuses initiatives auxquelles se réfère Florence Provendier dans son rapport et qui sont annexées aux COM.

Comment objectiver et développer les coopérations existantes dans l’audiovisuel public ? Comment avoir plus de visibilité quant aux synergies potentielles en recherche et développement ?

Concernant l’ensemble des objectifs – communs et spécifiques –, comment associer le public à l’évaluation ? En effet, une évaluation participative de la mise en œuvre des COM pourrait susciter une plus grande adhésion des citoyens à leurs médias publics.

Mme Delphine Ernotte Cunci. Nous n’avons attendu ni le projet de loi relatif à l’audiovisuel ni les COM pour mettre sur pied un grand nombre de coopérations, qui se traduisent sur nos antennes. En témoigne notamment franceinfo, qui réunit Radio France, l’INA, France Médias Monde et France Télévisions, rencontre le succès que l’on sait et suscite l’intérêt de nos homologues européens. La marque franceinfo est leader de l’information numérique en France.

Il faut tabler sur ce qui nous a animés jusqu’à présent, sur le collectif que nous représentons, sur l’amitié née entre nous, et nous faire confiance pour développer des projets pertinents. Ainsi, on a envie de suivre Laurent Vallet quand il lance la « Classe Alpha », parce que c’est un projet remarquable : cela se fait tout naturellement, parce que c’est notre intérêt et notre plaisir de travailler ensemble.

Mme Marie-Christine Saragosse. De même, nous travaillons pour France 24 sur une émission consacrée à l’outre-mer, en lien avec le réseau La Première de France Télévisions ; nous allons ainsi pouvoir ouvrir sur l’ensemble du réseau de diffusion et de distribution de France 24 une fenêtre sur l’outre-mer en partenariat avec France Télévisions. C’est une sorte de prolongement de franceinfo pour l’outre-mer.

Je salue aussi la plateforme de podcasts de Radio France où RFI est très heureuse de côtoyer ses sœurs France Culture, France Inter ou France Info. Et, avec l’INA, nous venons de conclure un bel accord permettant d’offrir sur France 24 un regard sur la France grâce aux archives de l’INA, et nous faisons de plus en plus de formations communes.

Dans ce secteur très vivant, on ne peut pas tout mesurer sans cesse ni tout prévoir. Peut-être diffuserons-nous Culture Prime sur la chaîne éphémère Culturebox. Nous avons l’envie permanente de travailler ensemble. Mais nous avons aussi des missions spécifiques. Ainsi, chez France Médias Monde, nous travaillons souvent dans des langues qui ne sont pas parlées au sein des autres sociétés. Ne nous trompons donc pas d’objectif.

Mme Sibyle Veil. En effet, les coopérations se développent au jour le jour. Bien sûr, quand Delphine Ernotte lance Culturebox, nous avons tous envie de soutenir l’initiative, en la prescrivant sur nos antennes, par exemple : ce matin, nous avons beaucoup parlé du concert de Mika prévu ce soir à Versailles. Nous allons aussi voir comment contribuer sur le fond à cette offre. Les coopérations sont mouvantes, comme le sont nos programmes, qui s’adaptent à la situation.

L’indicateur essentiel est la satisfaction du public : c’est pour celui-ci que nous agissons. Les objectifs et indicateurs inscrits dans nos COM reflètent cette attention au public. En 2018, puis en 2020, nous avons consulté tous les citoyens – auditeurs, spectateurs ou non – pour connaître leurs attentes et mieux y répondre. C’est ainsi que nous serons des médias utiles à la société.

M. Laurent Vallet. Les coopérations et les synergies permises par le COM sont bien réelles, même si leur structuration diffère de celle qu’aurait permise la constitution du groupe France Médias.

C’est le cas en matière de formation initiale – merci à Delphine Ernotte de ses propos sur la « Classe Alpha », dont nous nous réjouissons qu’elle puisse se développer avec France Télévisions, puis, je l’espère, avec nos autres partenaires. C’est aussi le cas en matière de formation professionnelle : même si le volet commun du COM ne fixe dans ce domaine qu’un indicateur de suivi, l’INA va proposer sur ce fondement, sans que la démarche ne soit imposée par l’actionnaire commun ou la tutelle, des solutions nouvelles pour faire progresser la mutualisation de la formation au sein de l’audiovisuel public, au moindre coût et au plus près des besoins des directions des ressources humaines de ses différentes entreprises, afin d’accompagner leur transformation.

Dans le domaine de la recherche et développement, enfin, des rencontres régulières ont eu lieu ces dernières années entre les directeurs et directrices des systèmes d’information des différentes entreprises, et c’est dans ce cadre que l’INA, rompu par nature à la gestion en masse des contenus audiovisuels et des data associées, a communiqué à ses partenaires la manière dont il a conçu son lac de données.

M. Bruno Patino. Ce que nous faisons ensemble ne se mesure peut-être pas, mais se constate. Laurent Vallet vient d’en parler, 47 % des formations en matière audiovisuelle pour les équipes d’ARTE sont faites à l’INA. Nous participons aussi à la plateforme de podcast de Radio France. Dans les pays les plus inhospitaliers du monde, nous travaillons avec France 24 pour réaliser des reportages qui seront utilisés par France Médias Monde et ARTE. Les coopérations sont également nombreuses avec Radio France, notamment avec France Musique, par exemple l’opération Open Stage. Enfin, nous entretenons un dialogue permanent et des coopérations avec l’ensemble des sociétés au sein de Culture Prime, et avec France Télévisions s’agissant de leur offre numérique destinée à la jeunesse.

Mme Frédérique Meunier. « Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin. » J’ai la sensation que tel est l’objectif des COM, mais quelle est la vision de l’État ? Il vous fixe l’objectif vertueux d’être exemplaires, de maîtriser la masse salariale, de favoriser le travail en commun en cherchant les complémentarités. Mais surtout, on réduit vos moyens financiers depuis plusieurs années, et en contrepartie, on vous fait miroiter des COM avec un budget pérenne.

Ne craignez-vous pas de perdre votre originalité et les bénéfices de stratégies menées depuis plusieurs années en fonction de la sensibilité de chaque entreprise ? Ne craignez-vous pas de perdre votre âme au profit d’une coopération du secteur audiovisuel public considéré dans sa globalité ?

Mme Marie-Christine Saragosse. Je comprends tout à fait cette remarque, et je retiens la phrase « Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin ». Mais il est important d’aller vite et loin, et d’être ensemble, comme c’est le cas dans la première partie des COM, tout en respectant l’identité des parties – vous parlez d’âme, l’expression me convient. C’est l’objet de la partie du COM spécifique à chaque média, qui rappelle la trajectoire de chacun.

Je crois que nous tentons de préserver les deux éléments : la force du service public dans sa complémentarité et sa capacité à capitaliser, et le respect des spécificités de chacun. Il est toujours plus compliqué d’y parvenir sous contrainte financière ; s’il existe une recette miracle pour augmenter nos moyens en 2023, tout le monde sera d’accord !

Mme Sandrine Mörch. En cette période de crise, les messages véhiculés par les médias sont essentiels pour la population, en particulier les jeunes. J’ai toujours été très choquée, en tant qu’ancienne journaliste, par le parti pris de la sinistrose et l’emballement médiatique de certaines chaînes télévisées, nuisible à la santé mentale des Français. La commission d’enquête que j’ai présidée a fait apparaître les effets négatifs de messages qui ont pu culpabiliser notre jeunesse, dont certains sont de notre fait.

Au milieu de son lot de mauvaises nouvelles et de difficultés majeures pour les Français, cette crise a aussi permis de révéler de très nombreuses et très belles initiatives, et elles se multiplient. Pour beaucoup de jeunes, la réponse à la crise passe par un engagement associatif qui leur permet de se rendre utiles auprès des plus démunis et de sortir de leur propre condition difficile en attendant des jours meilleurs. En pleine crise, des étudiants toulousains se sont lancés dans du soutien scolaire dans les bidonvilles et les hôtels sociaux. Pour les étudiants en santé ou en sciences politiques, cette expérience va marquer toute leur vie.

Le rôle des médias est aussi de mettre en avant ces initiatives, de leur donner de la visibilité pour les rendre virales et en augmenter l’impact. Comment intégrer cet objectif aux COM ?

Mme Emmanuelle Anthoine. Je souhaite revenir sur le sujet du handicap. Les COM contiennent des engagements sur l’insertion des travailleurs handicapés au sein des sociétés de l’audiovisuel public. Pourtant, trop peu d’obligations portent sur la visibilité à l’antenne du handicap dans les médias de l’audiovisuel public. Aucun objectif n’est fixé au sujet de l’accessibilité des programmes aux personnes malvoyantes ou malentendantes. Le volume horaire quotidien de sous-titrage de la chaîne franceinfo ne suffit pas à assurer l’accessibilité à tous les publics, enjeu majeur pour notre audiovisuel public.

Mme Ernotte a parlé de normaliser la représentation de tous, qu’en est-il concrètement ? Ne peut-on envisager de fixer davantage d’indicateurs et d’objectifs ambitieux sur l’accessibilité des contenus et la visibilité du handicap dans les programmes ?

Mme Delphine Ernotte Cunci. C’est un sujet très important pour nous. Ce qui nous mobilise, les uns comme les autres, ce n’est pas la tenue des indicateurs du COM. Bien sûr, ils nous guident, mais notre légitimité nous vient de l’adhésion des publics, comme le rappelait très justement Sibyle Veil.

De ce point de vue, la question de la diversité est centrale pour nos publics, et en particulier celle du handicap. Certes, les contrats d’objectifs et de moyens contiennent une batterie d’indicateurs, mais dans notre propre politique, dans les objectifs que nous nous fixons, en particulier la mise à l’antenne des personnes en situation de handicap, nous allons beaucoup plus loin, pour la simple raison qu’il s’agit d’une attente extrêmement forte de nos publics.

Ce contrat d’objectifs et de moyens contient déjà beaucoup d’indicateurs, bien plus que le précédent, alors que nous savons que la multiplication des indicateurs nuit à leur lisibilité et même à leur respect. Je tiens à rappeler que l’engagement pour nos missions de service public va bien au-delà de quelques indicateurs chiffrés.

M. Cédric Roussel. Depuis l’année 2002, et que la Ligue 1 porte ce nom, notre championnat de football professionnel n’a jamais été diffusé en clair. Le football est un sport populaire qui ne peut rencontrer son public que si ce dernier paie.

Un équilibre semblait avoir été trouvé avec Canal Plus, qui a longtemps détenu l’ensemble des droits. Depuis plusieurs années, ces droits se répartissent entre différents acteurs payants, qui se partagent une offre devenue incompréhensible et excessivement onéreuse. L’affaire Mediapro révèle ces excès. Le streaming illégal de spectacles sportifs a progressé de 75 % entre 2019 et 2020, comme le souligne la HADOPI. Dans une tribune publiée par Le Monde, j’ai proposé qu’un match par semaine au moins revienne à nos chaînes publiques. Un nouvel équilibre doit être trouvé entre l’accès des Français à leur sport préféré et la rémunération des acteurs ; entre valeurs du sport, passion, et financiarisation à l’extrême.

Le groupe France Télévisions a-t-il proposé de se porter candidat pour accueillir sur ses chaînes publiques la diffusion de matches en cas de risque d’écran noir ? Seriez-vous favorable à l’attribution de plusieurs matchs au titre d’un service public minimum de diffusion de la Ligue 1 sur nos chaînes publiques ?

Mme Delphine Ernotte Cunci. Vous avez totalement raison de pointer la dérive des coûts des droits sportifs, qui va à l’encontre de la baisse des moyens des différents services publics. Ce n’est pas propre à la France, c’est le cas partout en Europe. Je suis très favorable à ce que le service public ait les moyens – réglementaires ou financiers – de diffuser les matches de Ligue 1. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.

Nous n’avons pas répondu à l’appel d’offres de la Ligue de football professionnel, qui s’est révélé infructueux. Nous ne sommes pas opposés à la possibilité d’aider à la diffusion de certains matchs de Ligue 2. Mais je reprends votre proposition : prévoir l’obligation de diffuser en clair et gratuitement pour tous un certain nombre de matches serait vraiment important pour le sport en général.

M. Frédéric Reiss. Ma collègue Constance Le Grip souhaitait poser une seconde question, à Mme Ernotte. Il semble qu’une part variable de la rémunération des rédacteurs en chef de France Télévisions dépende d’objectifs, parmi lesquels on trouve le traitement de sujets européens. Cet intéressement financier semble assez surprenant, même pour l’ardent défenseur de l’Europe que je suis.

Mme Delphine Ernotte Cunci. Comme c’est le cas partout, les parts variables portent sur les principaux enjeux de l’entreprise. Parler de l’Europe fait partie des principaux enjeux pour France Télévisions, avec la représentation des outre-mer et la diversité. Tout cela figure d’ailleurs dans notre contrat d’objectifs et de moyens.

Heureusement que les parts variables des différents cadres de France Télévisions reprennent les principaux enjeux inscrits dans notre contrat d’objectifs et de moyens. Et heureusement qu’une stratégie éditoriale se déploie. Nous ne remettons pas en question l’indépendance de qui que ce soit, et nous n’indiquons pas comment traiter les sujets et sous quel angle. Mais nous avons bien sûr des parts variables, comme toute entreprise.

Mme Anne Brugnera. Madame Ernotte, le réseau régional de France 3, en particulier en Auvergne-Rhône-Alpes, vient de vivre près de deux semaines de grève. En cause, la nouvelle tranche de 18 h 30, une prise d’antenne de treize à vingt minutes supplémentaires, premières étapes du projet de régionalisation qui a pour objectif de diffuser six heures quotidiennes de programmes régionaux en 2022, avec treize chaînes régionales à décrochages nationaux.

La stratégie de régionalisation est saluée par tous. Elle répond à un réel besoin : nous avons bien vu depuis le début de la crise sanitaire que les Français ont besoin d’informations de qualité et de proximité, mais aussi de ne pas voir la même chose sur toutes les chaînes. Cependant, sa mise en place à moyens constants a été dénoncée par les salariés, qui parlent d’un temps d’antenne dégradé.

Le préavis de grève a été levé dimanche soir, des avancées ayant été obtenues sur la possibilité de revoir les moyens dédiés à cette nouvelle tranche. Il faut une feuille de route dédiée, avec des objectifs clairs et partagés. Comment trouver ces moyens autrement que sur le budget du réseau France 3 ? Ne peut-on les puiser dans le budget précédemment dédié à cette tranche horaire ?

Mme Delphine Ernotte Cunci. Madame Brugnera, je vous renvoie la question ! En tant que membre de la représentation nationale, vous demandez à France Télévisions de faire plus avec moins… Effectivement, nous allons arbitrer différemment les moyens de France 3 dans le contexte de baisse générale des moyens de France Télévisions. On peut comprendre l’interrogation des salariés qui s’étonnent qu’on leur demande de faire plus avec moins. Mais après tout, c’est le Parlement qui vote le budget de France Télévisions : s’il vous semble qu’il faut répondre à cette interrogation, n’hésitez surtout pas !

M. Alexandre Freschi. Ma question était identique à celle de M. Reiss, je remercie Mme Ernotte d’y avoir répondu.

Mme Aurore Bergé. Je souhaite demander à chacun d’entre vous si vous considérez que les COM restent un outil de pilotage pertinent. Pour les parlementaires, ce n’est pas forcément le meilleur outil de contrôle. Pensez-vous que certains indicateurs mériteraient d’être refondés, et lesquels ?

À propos de la culture, vous avez tous pris des engagements de diffusion renforcés pour la période de crise – Hypernuit, Culturebox, Culture Prime – ainsi que dans le domaine de la création. Seront-ils maintenus dans la durée, au-delà de cette crise, dont les conséquences pour le secteur de la culture vont se faire sentir pendant plusieurs années ?

Mme Marie-Christine Saragosse. Je partage l’avis de Mme Ernotte sur les indicateurs : il y en a beaucoup, parfois au détriment des objectifs principaux. Il faut qu’ils convergent sur certains points, mais aussi qu’ils respectent les spécificités de chacun.

Par exemple, les objectifs 3 et 4 consistent à nous demander d’augmenter la part des dépenses consacrées aux programmes, mais aussi de réduire la masse salariale. Or les dépenses de programmes de France Médias Monde sont de la masse salariale – la rémunération des journalistes –, car nous n’achetons pas de programmes. Si nous devions nous aligner sur l’indicateur prévu pour France Télévisions ou ARTE, ces deux objectifs constitueraient une injonction contradictoire.

Le travail de rapprochement tout en préservant les spécificités me semble de bon sens, et il a fait l’objet d’un long dialogue avec nos autorités de tutelle.

Au sujet de la culture, à la différence de France Télévisions, ARTE ou Radio France, notre rôle se limite à la visibilité. Nous avons commencé à faire des journées de solidarité avec les secteurs les plus touchés par la crise, et nous avons l’intention de continuer à donner le plus de visibilité possible à nos auteurs, nos acteurs, nos musiciens et tous ceux qui forment le tissu créatif. C’est notre signature à l’international : le mot France est associé à la culture, et nous sommes plus que jamais mobilisés sur ce sujet. Un pacte culture est également prévu, nous aurons l’occasion d’y revenir.

Mme Delphine Ernotte Cunci. Nous avons intérêt à définir des indicateurs de pilotage les plus ramassés possible pour nous inciter à respecter l’esprit des COM, plutôt que leur lettre.

Nous rendons compte tous les ans devant le Parlement, devant le CSA et devant nos conseils d’administration. Le pilotage fin se fait aussi au niveau de chaque entreprise, notamment lors de ces auditions régulières et des conseils d’administration. Il ne faut pas chercher à prévoir dans les COM la totalité du pilotage de l’entreprise. Les autres moyens de pilotage sont tout aussi importants, et dans nos discussions, il n’est pas simplement question de chiffres et d’indicateurs, mais aussi d’esprit, et c’est peut-être le plus important dans nos missions de service public.

Sur la culture, nos engagements vont bien au-delà de la chaîne éphémère Culturebox : l’exposition de spectacles vivants en première partie de soirée va être multipliée par cinq ; nous avons également pris des engagements très forts s’agissant du cinéma et des livres. Nous allons continuer à renforcer la place de la culture après la période critique de pandémie que nous connaissons.

Mme Sibyle Veil. Ce qui sous-tend les COM, c’est l’adéquation entre une trajectoire financière – donc des moyens – et les missions de service public en regard. Les négociations que nous menons avec l’État portent sur cette adéquation, et c’est sur cet aspect que nous souhaitons concentrer la lisibilité des COM.

À propos des indicateurs, je rappelle que nos médias sont spécifiques. La mesure de l’audience des radios et de l’audio est différente de celle des télévisions et des vidéos, ce qui justifie que l’institut Médiamétrie mesure ces audiences selon des procédures distinctes. Les possibilités de rapprochement de certains indicateurs sont limitées de fait par la nature de nos activités.

Nous avons tous des cahiers des missions et des charges très remplis et dont l’exécution fait l’objet d’un rapport annuel. Nous avons aussi des objectifs éditoriaux portant sur les commandes d’œuvres et le nombre d’heures d’offre culturelle, qui nous permettent de mettre en valeur la spécificité de nos missions et de nos contenus.

M. Bruno Patino. Je partage ce qui vient d’être dit sur les indicateurs. Nous avons neuf indicateurs ramassés, et c’est une bonne chose. Il ne faut pas exiger des indicateurs d’en dire plus qu’ils ne peuvent. Ils montrent ce qui se passe dans une entreprise, mais ce n’est pas l’alpha et l’oméga du pilotage stratégique. Certains éléments, comme la rémanence rétinienne ou l’impact d’un programme, ne font pas l’objet d’indicateurs. Un nombre d’indicateurs réduit nous permet de savoir où en est l’entreprise. Trop nombreux, ils feraient perdre à chacun sa spécificité. Pour ARTE, le document central reste le projet de groupe.

Historiquement, la culture fait partie de l’ADN d’ARTE. Leur relation a été différente du fait de la pandémie, mais pas plus profonde. La culture était déjà au cœur de notre offre, et ce compagnonnage perdurera évidemment bien au-delà de la crise sanitaire.

Mme Fabienne Colboc. Je tiens tout d’abord à vous remercier pour votre engagement et celui de vos équipes, et pour votre capacité d’adaptation afin de toujours informer, divertir, préserver l’ambition culturelle et garder la proximité avec tous les publics, suivant vos spécificités, en préservant des programmes de qualité, diversifiés et pluralistes. En cette période, le lien et l’accès aux vraies informations sont indispensables.

Le sujet sur lequel je souhaite vous interroger pourrait paraître subsidiaire, mais ce n’est pas le cas. Il s’agit de la place des enjeux environnementaux au sein de vos stratégies. C’est l’un des volets de l’objectif 5 du COM, « Être une entreprise de média exemplaire », qui contient un indicateur commun : l’empreinte carbone directe ou indirecte.

Les possibilités d’action sont nombreuses pour améliorer l’impact de l’audiovisuel en matière environnementale. Je souscris d’ailleurs à la proposition de ma collègue Florence Provendier de généraliser à l’ensemble des entreprises de l’audiovisuel la Charte développement durable des établissements publics et entreprises publiques, déjà signée par France Télévisions. Comment seront pris en compte les objectifs de développement durable dans vos orientations stratégiques ?

Mme Delphine Ernotte Cunci. Ce sujet est pris en compte au sein de France Télévisions depuis 2013. Nous allons chercher à aller plus loin sur deux sujets. L’écoproduction tend à réduire l’empreinte carbone des producteurs extérieurs qui travaillent pour France Télévisions. Une équipe au sein de l’entreprise s’y attache depuis de longues années et irrigue notre production interne et celle du feuilleton quotidien, et nous souhaitons étendre ces méthodes de travail.

Par ailleurs, nous avons lancé un plan vélo sous l’égide du secrétaire général, pour faciliter l’adoption de ce mode de transport par l’ensemble de nos salariés, en particulier sur les emprises parisiennes.

Mme Marie-Christine Saragosse. La question concerne nos entreprises, mais, en tant qu’entreprise de média, nous avons la double casquette d’entreprise et d’antenne, et les deux doivent être cohérents.

Nous avons depuis longtemps beaucoup d’émissions à destination d’un public jeune. Avec la Deutsche Welle, nous allons lancer un projet plurilingue pour les jeunes européens, baptisé « ENTR ». L’un de ses axes importants sera la sensibilisation aux enjeux climatiques, qui préoccupent la jeunesse en France, en Europe, et probablement partout dans le monde. C’est une façon de maintenir le lien avec la génération des 14-25 ans dont nous parlions précédemment.

En interne, nous allons nous inspirer de ce qui a été fait par nos confrères, notamment France Télévisions. Pour une chaîne internationale, il est difficile de ne pas voyager. Nous avons du mal à couvrir les zones de guerre, et même notre zone de distribution mondiale. J’appelle à l’indulgence sur cet aspect : même si nous faisons très attention, nous sommes obligés de prendre des avions, ce qui affecte notre bilan carbone.

Mme Danièle Cazarian. À l’heure où les plateformes de streaming connaissent un grand succès, les chaînes de télévision publiques ont pris la décision de s’adapter et de riposter, comme en atteste l’engagement qui figure dans les contrats d’objectifs et de moyens.

Pour mieux préparer l’avenir, vous réinventez sans cesse les bases de l’audiovisuel public en adaptant une offre de contenus de qualité et diversifiée. Vous développez des pistes prometteuses pour continuer à concurrencer les GAFAN.

Parmi celles-ci, Mme Ernotte a évoqué le déploiement d’une tranche régionale. Pouvez-vous nous en dire plus sur cet axe de développement qui permettra de maintenir la proximité avec le grand public tout en mettant en lumière la richesse et la diversité de nos territoires ?

Mme Delphine Ernotte Cunci. Le projet de régionalisation de France 3 vise à inverser le rapport actuel entre les programmes régionaux et nationaux. Dans le cahier des charges actuel, France 3 est une chaîne nationale à décrochages régionaux. Nous voulons la scinder en treize chaînes régionales à décrochage national. Aux heures importantes pour nos téléspectateurs, nous pourrons mieux exposer ce qui se passe autour de chez eux.

Nous le faisons déjà pour l’information, nous souhaitons aussi le faire pour le sport. Par exemple, sur la chaîne régionale de Nouvelle-Aquitaine NoA, la pelote basque est très regardée, mais je ne suis pas sûre que ce serait le cas partout dans l’Hexagone. Nous ferons de même pour les manifestations culturelles ; ainsi, l’année Flaubert sera un événement national, mais elle sera relayée de manière plus particulière en Normandie.

Nous souhaitons mettre à disposition de nos publics régionaux tous ces sujets – sportif, culturel, économique, et plus largement l’information – à des heures de grande écoute. Ce projet est en cours de présentation aux instances représentatives du personnel, le dialogue s’ouvre avec les salariés, nous aurons l’occasion d’y revenir.

M. Raphaël Gérard. Je souhaite revenir sur la diversité au sein des équipes de programmation et de production et sur les politiques de RSE des différentes sociétés.

Dans le cadre du label Diversité délivré par l’Afnor, avez-vous mis en place des indicateurs pour mesurer la diversité de vos équipes, y compris des équipes support et administratives ? Travaillez-vous ensemble sur la convergence de ces différents indicateurs ? Entendez-vous instaurer un index de la diversité comme celui qui a été proposé par Élisabeth Moreno la semaine dernière ?

Mme Delphine Ernotte Cunci. Sur la question de la diversité, nous créons des indicateurs de suivi, parce qu’on ne progresse que sur ce qu’on arrive à objectiver. Nous l’avons constaté avec la mixité, c’est lorsque nous avons commencé à compter le nombre d’expertes sur les plateaux que des étapes ont été franchies.

Sur ce sujet complexe, nous sommes placés sous la vigilance du CSA, qui établit un baromètre de la diversité de la société française. Nous travaillons ardemment pour que, chaque année, la progression soit réelle. C’est la perception d’une juste représentation de tous qui constitue notre indicateur final.

L’index sur la féminisation des entreprises, dit « index Pénicaud », est assez efficace. Je souscris à la proposition d’Élisabeth Moreno de créer un index portant sur la diversité.

Mme Sibyle Veil. Ce sujet est important pour nous, tout comme les sujets de responsabilité sociale et environnementale. Je rappelle que nous sommes aussi signataires de la Charte développement durable des établissements publics et entreprises publiques depuis avril 2018.

Sur la diversité, nous avons annoncé un programme « Égalité 360° », qui est assorti d’un véritable projet de transformation de l’entreprise. On pourra l’entendre dès la prochaine rentrée 2021 sur nos antennes, et il s’inscrit dans le temps long. Nous pensons que nous devons ressembler aux Français pour pouvoir les rassembler. Nous avons défini un index de la diversité à Radio France, qui réunit un ensemble d’indicateurs pour mesurer le suivi de nos engagements sur la parité, le handicap, la diversité des origines, la mise en valeur éditoriale des thèmes de diversité et de lutte contre les discriminations, ainsi que la lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes, non seulement à l’antenne, mais aussi dans toutes les politiques que nous menons en interne.

Nous menons donc un ensemble d’actions ambitieuses. Nous adhérons déjà au label Diversité, mais nous comptons aller beaucoup plus vite s’agissant tant de ce qui s’entend à l’antenne que de la culture d’entreprise, la politique de ressources humaines, le recrutement et toutes les filières permettant de nous mettre en adéquation avec cet objectif. Cela doit devenir la normalité dans nos entreprises.

Mme Marie-Christine Saragosse. S’il faut ressembler au public français pour le rassembler, France Médias Monde doit ressembler à la population mondiale. S’agissant de diversité des origines, nos équipes rassemblent soixante nationalités et dix-huit langues dans ce que j’appelle la tour de Babel d’Issy-les-Moulineaux.

Il ne faut pas oublier les autres aspects de la diversité : le handicap, les différences sociales et d’âge, et les orientations sexuelles. L’égalité entre hommes et femmes tient une place à part : l’humanité est composée de 52 % de femmes ; quand cette inégalité est vaincue, toutes les formes de discrimination suivent, le plafond de verre est brisé.

Comme Mme Ernotte, je pense que l’indice Pénicaud est très utile. S’il en existait un autre sur la diversité, nous serions très intéressés. Et nous sommes signataires de la charte de la diversité élaborée par le CSA.

M. Julien Ravier. La crise sanitaire affecte le secteur de l’audiovisuel public, elle est aussi une formidable source d’opportunités pour vos métiers. Pourriez-vous indiquer, chacun pour votre média, la principale menace qui pèse sur votre activité, ainsi que la principale opportunité ? Lorsque ces opportunités ou menaces vous sont communes, génèrent-elles des solidarités, et lesquelles ?

Mme Delphine Ernotte Cunci. La principale menace, dans les années qui viennent, serait d’être coupés de notre public et de ne pas faire le lien entre notre rôle d’éditeur de contenus et nos publics. De ce point de vue, les textes en cours de discussion au sein de la Commission européenne sont essentiels, et il faut un mouvement européen – au sens institutionnel et continental – pour faire droit à la visibilité des contenus d’intérêt général, et notamment des contenus de service public.

La principale opportunité, c’est que la crise nous rappelle le besoin de chaque individu de retrouver des visages familiers tous les jours, ce rendez-vous qu’offre la télévision, et le sentiment de faire partir d’une communauté parce que nous regardons la même chose au même moment, et que nous ressentons les mêmes émotions. C’est une opportunité car la télévision a beaucoup renforcé sa puissance pendant la pandémie, mais il ne faut pas oublier que, dans le même temps, Netflix, Disney et Amazon ont énormément crû. Cette embellie passagère ne doit pas masquer la concurrence très importante de ces géants.

Cela induit forcément une très grande solidarité, parce que la question de la puissance des marques est essentielle dans ce monde où Netflix s’est imposé. C’est ce que nous avons fait avec franceinfo, en nous unissant sous un même pavillon. Ces réflexions doivent continuer à nous guider, en France mais aussi en Europe. J’ai pris la présidence de l’Union européenne de radio-télévision (UER) parce que je pense que des alliances sont nécessaires au-delà de l’échelle nationale, et je compte bien m’investir dans cette bataille.

M. Laurent Vallet. La principale menace, c’est la fragmentation des audiences et la multiplication des supports de diffusion : antennes télévision ou radio ; plateformes propriétaires et réseaux sociaux.

L’opportunité est que ce monde en crise – pas uniquement du point de vue sanitaire – a plus que jamais besoin d’ancrage dans le temps long et de recul. La mémoire audiovisuelle et les savoirs que l’INA a la charge de transmettre et d’éditorialiser répondent plus que jamais à un besoin et une attente. Il faut faire en sorte que cette opportunité permette de surmonter cette menace.

M. Bruno Patino. La principale menace pesant sur nos activités, dans le contexte de la révolution numérique et de la fragmentation des usages, est à mes yeux de ne pas être découvert. Pour l’éviter, il ne suffit pas d’être distribué. Je considère, comme Delphine Ernotte, que des stratégies d’alliances sont nécessaires, afin que chacun d’entre nous fasse découvrir aux autres ses contenus, tant les plateformes disposent de moyens technologiques inégalés pour faire découvrir les leurs.

La principale opportunité, en ce qui concerne ARTE, dont le socle repose sur ce qui rapproche les peuples à l’échelle européenne, notamment la musique et la culture, est que la crise nous a permis de nous adresser à tous. Si je puis me permettre de dire les choses de façon un peu directe, il ne nous manque pas grand-chose. Au cours des années à venir, nous souhaitons passer d’une disponibilité européenne à une logique de réelle présence européenne. Le travail est fait à 70 %.

Mme Sibyle Veil. Pour nous, la gestion de la crise est d’abord un défi humain. Radio France présente la particularité de produire tous ses contenus en interne, dans le cadre de ses chaînes. Notre principal défi, comparable à celui que doit relever RFI, est donc de faire en sorte que nos équipes continuent à remplir leur mission le mieux possible, dans le contexte très compliqué que nous connaissons et connaîtrons pour quelque temps encore. En dépit des difficultés et de la généralisation du travail à distance, nous devons préparer l’avenir. La digitalisation des usages de nos publics s’est accélérée depuis le début de la crise. Il s’agit pour Radio France d’un défi, mais aussi d’une formidable opportunité, car la révolution digitale est aussi la révolution du son. L’écoute des podcasts est en plein boom ; le développement des assistants vocaux offre un nouveau moyen de chercher des informations. L’enjeu, pour nous, est d’occuper ce terrain et d’y investir, et pour ce faire de continuer à innover, afin de résister à la concurrence des acteurs mondiaux du streaming.

Mme Marie-Christine Saragosse. La principale menace, à mes yeux, est le décrochage de la France par rapport aux autres grands pays, qu’ils soient alliés ou non, sur le plan des moyens alloués à l’audiovisuel extérieur. J’ai cité tout à l’heure la BBC World et la Deutsche Welle, qui sont nos amis ; je pourrais aussi citer, aux États-Unis, le World Media Group, qui dispose de sommes astronomiques. D’autres pays, moins amicaux à notre égard, concentrent leurs moyens sur leur action audiovisuelle extérieure, notamment au format numérique. La guerre de l’information et le renforcement du complotisme qui en résultent sur les réseaux sociaux constituent à mes yeux la principale menace à laquelle nous sommes confrontés. Qui ne progresse pas régresse. Or nous sommes en décrochage de moyens par rapport à la concurrence internationale.

La principale opportunité offerte par la crise, pour nous, a été de permettre la prise de conscience absolue de l’importance de notre mission, et du succès que nous rencontrons en la remplissant. Notre bien le plus précieux est la confiance renforcée en nos médias, dans toutes les langues qu’ils utilisent, et dans tous les pays. Il est un peu frustrant de constater que nous touchons des publics, qu’ils nous écoutent et que nous bénéficions de l’image positive de la France dans le monde en matière de liberté et de culture, mais que nous ne pouvons pas satisfaire complètement l’attente que nous suscitons, faute de moyens.

M. Alexandre Freschi. Madame Ernotte, je souhaitais vous interroger sur l’incitation financière accordée à vos équipes éditoriales pour évoquer les questions européennes. Vous avez déjà répondu à cette question, ce dont je vous remercie. Je ne doute pas qu’un tel dispositif aurait permis de faire en sorte que l’élection d’Ursula von der Leyen à la tête de l’Union européenne, au mois de juillet 2019, ne soit pas traitée en quinze secondes.

Madame Sibyle Veil, vous avez manifesté la volonté de promouvoir la musique, notamment la scène française, ce que nous soutenons pleinement. Dans ce cadre, j’appelle votre attention sur le soutien de Radio France à certains artistes, notamment Freeze Corleone, qui a fait l’objet d’articles dithyrambiques sur le site internet de la chaîne Mouv’ du 11 au 14 septembre 2020, avant d’être visé le 17 par une enquête pour provocation à la haine raciale. Sans être un dévot ni un fervent adepte de la cancel culture, j’aimerais savoir comment vous pouvez garantir qu’aucune promotion d’artistes aux propos clairement racistes et antisémites ne soit menée sur vos ondes.

Mme Sibyle Veil. Monsieur le député, votre question me permet de rétablir la vérité des faits, ce qui est aussi notre marque de fabrique. Cette affaire a suscité un emballement des réseaux sociaux autour de ce que l’on peut appeler une fake news. La réalité des faits est la suivante : le site internet de la chaîne Mouv’ a publié en 2019 un unique article au sujet de ce rappeur, invitant à appréhender ses textes avec circonspection. Un an plus tard, cet article a été extrait de son contexte et réutilisé pour alimenter la polémique suscitée par un clip de Freeze Corleone et accuser la radio publique de lui apporter son soutien, ce qui est complètement faux, comme je l’ai indiqué lorsque cette question m’a été posée dans le cadre de mon audition par votre commission sur l’exécution du COM pour 2019.

M. le président Bruno Studer. Monsieur Freschi, je suggère que nous nous en tenions à l’examen des COM. Nous aurons régulièrement l’occasion d’auditionner les présidentes et les présidents des sociétés de l’audiovisuel public pour examiner en profondeur le fonctionnement de leurs entreprises respectives.

Mme Florence Provendier, rapporteure. J’aimerais poser une question et apporter une confirmation. Ma question porte sur le déploiement progressif des matinales conjointes de France Bleu et de France 3. Une fois réalisés les tests grandeur nature, comment envisagez‑vous l’accompagnement des femmes et des hommes concernés par ce rapprochement ? Comment envisagez-vous le pilotage de cette formule lors de son déploiement général – qui pilotera le navire, en somme ? Quant à l’avis positif que j’ai donné sur les COM, il porte sur ce qu’ils sont, mais je confirme qu’il nous incombera de les réexaminer, à l’avenir, sous l’angle de leur efficacité.

Mme Delphine Ernotte Cunci. S’agissant des matinales conjointes, Radio France et France Télévisions ont conclu un contrat écrit détaillant explicitement qui fait quoi et qui paye quoi lors de leur déploiement. Les choses sont assez claires. Un programme de croissance a été établi. Pour aller au-delà, Sibyle Veil et moi-même cherchons à savoir s’il est possible, en faisant travailler les équipes entre elles dans deux régions à titre expérimental, de faire naître d’autres projets de coopération. Il nous semble important – je parle en notre nom à toutes les deux – de commencer par définir des projets éditoriaux, pour en déduire qui fait quoi et avec quels moyens. Dans la régionalisation de nos antennes, c’est bien l’aspect éditorial de notre métier qui nous guide. Nous procéderons par expérimentation, en encourageant les salariés de nos équipes de terrain à expérimenter de nouvelles propositions éditoriales.

Mme Sibyle Veil. France Bleu et France 3 mènent une coopération main dans la main pour assurer le succès de ces matinales, en commençant par une expérimentation. La première matinale a eu lieu sur les ondes de France Bleu azur il y a deux ans, au mois de janvier 2019. Le bilan très favorable de ces expérimentations nous a incités à les généraliser. Leur déploiement est en cours : nous en avons réalisé douze en 2020 et nous en prévoyons douze en 2021. Si, comme nous l’espérons, la crise sanitaire s’est atténuée en 2022, nous irons encore plus vite. L’expérience acquise par les salariés du réseau de France Bleu, qui disposent de l’autonomie éditoriale, associée à l’expertise de France 3, dont les images illustrent ces matinales d’information, permet de proposer une offre qui rencontre un certain succès. Compte tenu des résultats, nous nous sommes donné pour objectif d’accroître notre audience de 1 million de personnes, ce qui démontre qu’il est possible de créer de cette façon une offre qui réussit et trouve son public. Nous avons engagé une démarche similaire en matière d’offre numérique, qui consiste en une expérimentation à l’échelle de deux grands territoires, confiée à un comité de pilotage conjoint réunissant notamment les directeurs de France Bleu et de France 3. Nous progressons de façon pragmatique. Notre meilleur indicateur réside dans les résultats obtenus par les offres communes que nous déployons.

Mme Marie-Christine Saragosse. S’agissant des jeunes, je pensais que Delphine Ernotte parlerait de la fondation que France Télévisions a pris l’initiative de lancer et qui rassemble également l’INA, France Médias Monde et TV5MONDE, mais peut-être pas Radio France, qui a une fondation de son côté pour financer des formations. Je n’ai donc pas parlé de ce sujet tout à l’heure.

Nous nous sommes réunis, malgré la pandémie, pour sélectionner une quarantaine de projets pour des étudiants mais aussi de jeunes handicapés – il y avait un très beau projet concernant les sourds et les malentendants. Je voulais aussi mentionner ce travail : même si cela ne passe pas directement sur nos antennes, tout le service public se mobilise pour soutenir des projets de développement tournant autour du langage et de la communication.

Il faudra peut-être réfléchir à un ajustement compte tenu de la pandémie. Un prochain conseil de la fondation devrait se tenir, me semble-t-il, au printemps.

M. le président Bruno Studer. Je vous remercie des réponses que vous nous avez apportées dans le cadre de cet exercice innovant, sur lequel nous pourrons revenir par la suite.

Une fois que vous vous serez déconnectés, la commission se prononcera sur chaque projet de COM. Nous vous tiendrons rapidement informés du sens de ces votes.

(Les personnalités auditionnées quittent la visioconférence)

Madame la rapporteure pour avis, souhaitez-vous rappeler brièvement votre position ?

Mme Florence Provendier, rapporteure pour avis. Je salue l’exercice inédit
– presque un galop d’essai – qui a été réalisé. Il a notamment permis de dégager cinq objectifs communs.

Les principales inconnues concernent l’allocation des ressources après 2022 et la vision, l’ambition qui prévaudra pour l’audiovisuel public au-delà des priorités inscrites dans la feuille de route.

J’observe également que les indicateurs retenus ne sont pas exactement les mêmes pour toutes les sociétés, en raison de différences entre les outils de mesure au moment du rapprochement des COM.

Nous pourrons avoir une vision comparative sur certains objectifs prioritaires, mais il est permis de s’interroger sur leur choix. Nous n’avons pas été associés à la démarche : on nous demande notre avis sur des documents conçus sans nous, en amont – c’est une des questions qui peuvent se poser.

Je trouve, néanmoins, qu’un effort significatif a été réalisé par les chaînes pour respecter la contrainte qui leur a été fixée dans le cadre de l’élaboration de ces COM, que je considère comme étant de transition. Je salue une fois encore l’exercice inédit réalisé à cette occasion.

J’émets un avis favorable aux cinq projets de COM, non sans rappeler qu’il serait intéressant de travailler, pour l’après 2022, sur la pertinence de ces outils.

 

La commission émet successivement un avis favorable aux contrats d’objectifs et de moyens 2020-2022 de France Télévisions, de Radio France, de France Médias Monde, d’ARTE-France et de l’INA.

 

 

La séance est levée à douze heures trente.

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