Compte rendu

Commission
des affaires sociales

   Audition de M. Frédéric Advielle, conseiller maître à la Cour des comptes, président de la chambre régionale des comptes des Hauts-de-France, sur le rapport public thématique « La protection de l’enfance : une politique inadaptée au temps de l’enfant »              2

 

 

 


Mercredi
27 janvier 2021

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 38

session ordinaire de 2020-2021

Présidence de
Mme Fadila Khattabi,
Présidente
 


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COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 27 janvier 2021

La séance est ouverte à quinze heures cinq.

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La commission procède à l’audition de M. Frédéric Advielle, conseiller maître à la Cour des comptes, président de la chambre régionale des comptes des Hauts-de-France, sur le rapport public thématique « La protection de l’enfance : une politique inadaptée au temps de l’enfant ».

Mme la présidente Fadila Khattabi. La protection de l’enfance est un sujet sur lequel notre commission des affaires sociales travaillera activement dans les prochaines semaines. Je rappelle que notre commission avait examiné au fond la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfance. Le bureau de la commission a souhaité que nous prenions connaissance du rapport public thématique que la Cour des comptes a adopté le 24 novembre dernier. Son titre est : « La protection de l’enfance : une politique inadaptée au temps de l’enfant » Le constat est sévère et ne peut qu’interpeller les législateurs que nous sommes. Nous nous devions donc d’entendre M. Advielle, président de la chambre régionale des comptes de Hauts-de-France, qui a présidé la formation interjuridictions ayant mené à bien les travaux sur ce rapport.

M. Frédéric Advielle, conseiller maître à la Cour des comptes, président de la chambre régionale des comptes de Hauts-de-France. Ce rapport est un lourd travail, engagé avec trois chambres de la Cour et douze chambres régionales des comptes. De nombreux exemples ont été cités. Pour ce contrôle, soixante‑quinze structures ont été examinées, structures dépendant des départements, des opérateurs ou des institutions judiciaires. Nous avons essayé de concentrer nos travaux sur trente territoires. C’est vous dire l’importance des observations qui ont été conduites.

Le contrôle des opérateurs associatifs constitue une innovation majeure par rapport au précédent contrôle puisque nous n’étions jusqu’à présent pas compétents.

De nombreuses auditions se sont succédé, notamment sur l’impact de la crise sanitaire. Nous avons auditionné une bonne dizaine de personnes, outre les contrôles et les déplacements réalisés.

Quels étaient les objectifs assignés à ce contrôle et les objectifs que nous nous étions fixés ? Il s’agissait d’actualiser le rapport thématique de 2009, d’apprécier l’impact des deux lois récentes de 2007 et 2016 sur la protection de l’enfance et de prendre en compte l’effet des contraintes financières qui pèsent sur les départements. L’impact des dépenses sociales contraint en effet beaucoup les politiques des départements et des inquiétudes commençaient à apparaître quant à la capacité des départements de continuer à financer un certain nombre de dépenses sociales.

Nous souhaitions aussi évaluer les modalités de prise en charge des mineurs non accompagnés (MNA), qui faisaient la une de la presse à l’époque, et contrôler les opérateurs associatifs, une nouvelle compétence des juridictions financières issue de la loi sur la modernisation du système de santé.

La politique de protection de l’enfance est un enjeu sociétal majeur car le nombre d’enfants bénéficiant d’une mesure de protection progresse très rapidement. Depuis 2009, nous enregistrons une progression de 12,1 % du nombre d’enfants ayant bénéficié d’une mesure. Cette progression est en réalité constante puisque, depuis 1996, le nombre de mesures a progressé de 35 % alors que la population de moins de 21 ans n’a augmenté que de 3 % durant la même période.

Par ailleurs, le juge des enfants reste toujours à l’origine d’environ 75 % des décisions, en dépit de la volonté du législateur. Signalons également la grande hétérogénéité de la politique de protection l’enfance selon les territoires puisque le taux de mesures dans la population des moins de 21 ans varie de 1 % à 4,1 % selon les départements. Ces éléments montrent bien l’intérêt d’une enquête de la Cour.

Le coût de cette politique ne cesse d’augmenter : il s’élevait à 8,4 milliards d’euros selon les derniers chiffres disponibles, datant de 2018, financés à 95 % par les départements. Les mesures de placement, que ce soit en accueil en établissement ou en accueil en famille, représentent environ 80 % des coûts alors qu’elles ne constituent que 53 % des mesures. Il faut avoir en tête que l’accueil en établissement coûte beaucoup plus cher que l’accueil en famille : 41 700 euros pour un enfant accueilli en établissement, 28 400 euros pour un enfant accueilli en famille. Les mesures de prévention sont les parents pauvres de cette politique. Les dépenses d’allocations restent marginales.

L’organisation de cette politique est extrêmement complexe, difficilement compréhensible pour le commun des mortels. La loi de 2007 a beaucoup amélioré le recueil d’informations, notamment à travers les cellules de recueil d’informations préoccupantes. Ces informations proviennent essentiellement des professionnels de l’Éducation nationale, de la médecine de ville ou hospitalière, des services de police et de gendarmerie. La crise sanitaire a eu des impacts puisque l’Éducation nationale, habituellement le principal pourvoyeur d’informations, avait cessé toute remontée d’informations du terrain à un moment tout de même un peu critique.

Dans cette organisation sont compétents à la fois le président du conseil départemental et la justice. Le président du conseil départemental peut décider de mesures d’aide éducative à domicile avec l’accord des parents et des enfants, ce qui permet à l’enfant de demeurer dans son milieu de vie. Le juge peut prendre des mesures coercitives à travers l’assistance éducative en milieu ouvert. Malheureusement, ces mesures de contrainte restent aujourd’hui largement majoritaires puisqu’elles représentent environ 70 % des mesures, avec toutefois des écarts extrêmement importants selon les départements. Les mesures à l’initiative du président du conseil départemental représentent en moyenne environ 30 % des mesures mais leur nombre varie en réalité de 10 % à 60 % selon les départements observés.

L’organisation est donc très complexe, fait intervenir de multiples opérateurs et l’une des questions posées dans le rapport est de savoir comment mieux coordonner ces opérateurs.

Le rapport a été structuré autour de trois idées principales : expliquer que les ambitions du législateur tardent vraiment à se concrétiser et que le pilotage de cette politique, quel que soit l’échelon, se révèle aujourd’hui particulièrement défaillant ; la réactivité des acteurs locaux reste globalement insuffisante pour garantir la qualité de la prise en charge de ces enfants ; un consensus se dégage pour dire que l’intérêt de l’enfant exige une prise en charge précoce et un accompagnement dans la durée ce qui n’est malheureusement pas la réalité de cette politique actuellement.

La conclusion et le titre de ce rapport sont donc que la temporalité dans laquelle cette politique est mise en œuvre doit être profondément modifiée dans l’intérêt des enfants qui sont pris en charge.

Le premier chapitre du rapport est consacré au pilotage, qui est défaillant. L’impulsion attendue à l’échelon national reste freinée par la confusion des missions entre de multiples organismes. Un schéma rappelle dans le rapport la dizaine d’organismes qui sont censés mettre en œuvre cette politique. Les ambitions du législateur ne sont en conséquence pas traduites sur le terrain. Les lois de 2007 et 2016 restent encore peu ou mal appliquées.

La coordination entre le département, chef de file de cette politique qu’il finance à 95 %, et les services judiciaires est souvent informelle. Elle dépend plus des personnes que des procédures mises en œuvre. Les acteurs judiciaires restent très majoritairement à l’origine des mesures décidées, alors qu’ils ne disposent en général pas des informations utiles à leur décision.

Enfin, la coordination au sein des services déconcentrés de l’État est aujourd’hui inexistante de telle sorte que la complémentarité attendue entre les politiques de santé ou d’éducation n’est pas assurée.

Le rapport demande de clarifier et de simplifier le pilotage de cette politique et fait trois recommandations.

Première recommandation : confier la mission exclusive de production de données statistiques à la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), qui est aujourd’hui l’opérateur le plus à même de mener ces études. Il n’existe pas de bonne politique sans connaître les chiffres, si nous ne savons pas à quel public nous avons affaire ni sur quelle durée. Il faut surtout essayer de développer des évaluations par le biais d’études qualitatives ou longitudinales sur le devenir des enfants protégés. Ces études sont actuellement quasiment inexistantes.

Deuxième recommandation : clarifier et simplifier le pilotage national de la protection de l’enfance en confortant par un mandat explicite le rôle de coordonnateur interministériel. Il n’existe pas de bonne politique en France sans un coordonnateur interministériel. Tous les arbitrages finissent toujours à Matignon et il faut que quelqu’un porte cette politique. Nous recommandons que ce rôle soit confié à la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) en simplifiant les différents comités et en gardant l’idée d’un comité qui associe tous les partenaires, quel que soit son nom.

Troisième recommandation : nous recommandons surtout de renforcer la gouvernance territoriale de la protection de l’enfance en désignant le préfet de département comme le coordonnateur et l’interlocuteur unique du président de conseil départemental. Cela lui permettrait de coordonner sur son territoire l’ensemble des services de l’État en matière de protection de l’enfance, en lien avec les autorités judiciaires.

L’objectif du deuxième chapitre est de montrer que la qualité de la prise en charge n’est pas garantie. La coordination entre les départements et les opérateurs, souvent privés puisque c’est aujourd’hui le cas de 85 % des opérateurs, est souvent très insuffisante. Il n’existe pas de référentiel partagé que ce soit sur les financements, l’encadrement des mesures ou la définition des différentes prises en charge, ce qui ralentit l’évolution du dispositif d’accompagnement. Les opérateurs privés sont souvent fragilisés par des questions de gouvernance. La capacité des départements à contrôler et évaluer ces opérateurs reste globalement insuffisante d’après les observations que nous avons faites. En conclusion, l’objectif est de replacer les besoins de l’enfant au cœur de ces modalités de prise en charge. Cela nous paraît essentiel et nous faisons trois recommandations.

Première recommandation : sécuriser la qualité de la prise en charge des mineurs protégés en alignant la durée des autorisations de place sur les échéances d’évaluation externes. Il faut faire une évaluation et, en même temps, donner une autorisation, comme cela paraît logique.

Deuxième recommandation : renforcer le dispositif de contrôle des établissements et des services de protection de l’enfance. Aujourd’hui, très peu de contrôles sont effectués par les départements sur les opérateurs.

Troisième recommandation : dénéraliser le recours à la contractualisation pluriannuelle entre départements et opérateurs. Nous reviendrons sur les problèmes de tarification annuelle qui génèrent beaucoup de difficultés pour ces opérateurs ; ils n’ont pas de vision pluriannuelle ce qui rend difficile la mise en place d’une politique.

Enfin, dans le dernier chapitre, nous affirmons que le temps de la protection de l’enfance est aujourd’hui, de plus en plus, en décalage avec le temps des enfants. La prise de décision en matière de protection de l’enfance se caractérise globalement par un empilement de délais qui se cumulent ce qui retarde d’autant la prise en charge de ces enfants.

La réflexion sur le long terme est peu présente ; les mesures sont toujours prononcées à titre provisoire, sans vision et avec l’ambition de préserver la possibilité d’un retour en famille alors même que, bien souvent, les défaillances des parents sont durables, identifiées. La relation avec les parents doit être clarifiée dans cette politique.

Surtout, l’avenir des enfants protégés doit être pris en charge et beaucoup mieux préparé que ce n’est le cas aujourd’hui. Nous avons paradoxalement une exigence d’autonomie beaucoup plus forte chez ce public. Elle est beaucoup plus précoce à l’égard des jeunes protégés qu’à l’égard de la population des jeunes en général. L’idée sous-jacente à cette partie du rapport est de repenser le parcours de l’enfant.

Nous faisons trois recommandations principales et une concernant les mineurs non accompagnés.

Première recommandation : publier les délais de traitement des informations préoccupantes et d’exécution des décisions de justice. Nous savons que la publication des délais incite les opérateurs à respecter ces délais tandis que, lorsqu’ils ne sont pas publiés, ils ne sont pas respectés.

Deuxième recommandation : renforcer le contenu du projet de l’enfant en y intégrant l’évaluation des compétences parentales, un projet alternatif de moyen à long terme et l’examen du recours à la délégation de l’autorité parentale. Un chapitre est consacré à ce sujet dans le rapport.

Troisième recommandation : mieux préparer l’avenir des jeunes protégés. L’idée est d’organiser systématiquement, de manière obligatoire, un entretien dès l’âge de 15 ans pour favoriser les parcours de formation et d’insertion. Trop de jeunes sortent aujourd’hui sans aucun diplôme de ce parcours. Il faut accompagner si besoin leur projet au-delà des 21 ans et, surtout, assurer un suivi des jeunes qui sortent de ce dispositif, suivi qui est aujourd’hui quasiment inexistant.

Enfin, il faut profiter de cette période où les enfants sont dans un environnement propice pour opérer la consolidation de l’état civil des mineurs non accompagnés, sans attendre la demande du titre de séjour. Les délais sont très longs et il vaut mieux préparer cette consolidation de l’état civil plus en amont.

Voici donc le résumé de ce rapport dont le seul objectif est d’améliorer la prise en charge et le pilotage de cette politique, au bénéfice d’un public particulièrement fragile et défavorisé.

Mme Mireille Robert. Monsieur le président, je vous remercie pour la clarté de votre rapport, qui porte sur un enjeu fondamental. Fin 2018, 328 000 enfants bénéficient d’une mesure de protection, soit 12 % de plus qu’en 2009.

Malheureusement, malgré de premières avancées, la politique de protection de l’enfance peine à atteindre les objectifs escomptés. Pour ne prendre qu’un exemple, ces publics restent encore très exposés au décrochage scolaire.

Vous pointez plusieurs lacunes : la coordination trop informelle entre les acteurs institutionnels, l’empilement des délais qui retarde la prise en charge particulièrement pour les mineurs non accompagnés, la confusion préjudiciable entre les organismes nationaux actuels et, plus globalement, la difficulté à élaborer une solution qui s’adapte durablement aux ruptures successives que vivent ces enfants protégés. Vos conclusions avancent plusieurs solutions ayant pour finalité de concevoir cette politique publique dans l’intérêt de l’enfant.

Je souhaite revenir sur le pilotage territorial. En tant que parlementaires, c’est une problématique à laquelle nous sommes très sensibles dans nos circonscriptions. Les choix de pilotage en matière d’aide sociale à l’enfance (ASE) restent trop hétérogènes selon les départements et rarement fondés sur une analyse fine des besoins. Pouvez-vous nous préciser en quoi une gouvernance territoriale renouvelée et en lien avec les préfets permettra d’obtenir plus de transparence ? Comment l’ensemble des acteurs concernés pourront-ils contribuer et prendre part à ce processus décisionnel ?

M. Stéphane Viry. Monsieur le président, je vous remercie pour votre intervention, qui justifie que nous mettions à l’ordre du jour de notre commission vos travaux. Je constate que le législateur a eu en 2007 et 2016 une véritable ambition en termes de protection de l’enfance mais que ces dispositions législatives peinent et tardent à être mises en application partout dans les territoires.

Vous nous avez rapporté des éléments statistiques très intéressants, dont tout d’abord le nombre d’enfants bénéficiant de mesures de protection. Il montre la fragilisation et la précarité de notre société et de notre tissu familial. Vous nous avez aussi rapporté le coût de cette prise en charge des enfants en insistant, et cela me paraît opportun, sur la différence de coût entre un accueil en établissement et un accueil en famille d’accueil. Ceci doit à mon avis guider un certain nombre d’orientations.

J’ai noté tout ce que vous avez mentionné sur le pilotage, national ou local, avec une fragmentation qui nuit à sa cohérence et son efficacité.

J’ai surtout relevé vos préoccupations sur la volonté de maintenir les parents dans un horizon présent des acteurs de prise en charge de l’enfant. Ce qui sous-tend toute mesure de placement est, à terme, un retour en famille. Avez-vous, dans le cadre de vos travaux d’évaluation, identifié des pratiques, des pistes ou des orientations concrètes sur ce qui pourrait être fait pour renforcer la relation avec les parents ?

Par ailleurs, il est aberrant que, à cause du couperet des 18 ans, tout le fruit de cet investissement tombe lorsque l’enfant reste livré à lui-même. Certaines collectivités s’engagent. Vos investigations vous permettent-elles d’avoir une opinion sur les dispositifs existants ?

Enfin, avez-vous, pour les MNA, des éléments plus spécifiques qui sortent des observations communes que vous avez faites pour les mineurs pris en charge par les conseils départementaux ?

Mme Perrine Goulet. Monsieur le président, une prise de conscience progressive à lieu sur la protection de l’enfance mais elle est encore bien trop lente à notre goût. Le rapport que vous publiez aujourd’hui vient confirmer les travaux précédents, notamment le rapport de l’Inspection des affaires sociales (IGAS) mais également celui de l’Assemblée nationale. Je tiens à saluer la qualité exemplaire de votre rapport car il se fonde sur le prisme trop souvent oublié de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Le rapport monte l’inachèvement de la mise en place de ce que le législatif ou le réglementaire imposent sur la protection de l’enfance. Les trois quarts des recommandations de votre précédent rapport de 2009 n’ont toujours pas été mises en place et le déploiement des observatoires départementaux de la protection de l’enfance (ODPE) est poussif. En France, la loi n’est donc pas appliquée par ceux qui en ont la responsabilité.

Vous partagez le constat fait en ces murs, pour lutter contre les disparités territoriales persistantes, de redonner un rôle au préfet dans cette politique. Nous entendons souvent la critique d’une renationalisation de la politique de protection de l’enfance de la part des départements lorsque nous parlons d’un pilotage dual au niveau territorial. Qu’en pensez‑vous ? Comment verriez-vous cette évolution vis-à-vis de la réforme de la gouvernance nationale que vous appelez de vos vœux ?

Vous notez également que le recours au tiers digne de confiance demeure encore marginal, bien qu’expressément prévu par les textes. Outre le bien-être de l’enfant de se trouver dans un milieu connu, estimez-vous que ce soit une piste d’économies à creuser compte tenu des rares informations financières que vous avez évoquées ? À votre avis, pourquoi cette solution n’est-elle pas assez déployée par la justice ou les départements ?

Vous pointez aussi la nécessité d’une clarification des relations entre les parents et les enfants, notamment la question de l’évaluation de la compétence parentale qui est beaucoup plus développée au Québec, en Belgique ou en Italie. D’où vient selon vous cette réticence française ?

Pour terminer, les départements fournissent des réponses en annexe de votre rapport. Tous pointent la responsabilité du trop grand nombre de placements judiciaires. Est-ce à dire que le virage de l’accompagnement administratif porté par les départements est un échec ? Dans ce cas, que devons-nous faire pour y remédier ?

Mme Gisèle Biémouret. Nous partageons le constat que, dans le cadre de la protection de l’enfance, il faut des moyens matériels et humains à long terme pour protéger, éduquer et guider vers son avenir un enfant abandonné placé, afin de combler la déchirure et la souffrance de cette rupture de vie.

Si vous saluez globalement la prise en charge des enfants dans notre pays, vous soulignez un certain nombre de dysfonctionnements chroniques. Vous pointez par exemple que très peu de départements ont appliqué la loi de 2016 ce qui explique une prise en charge très inégale en fonction des territoires, d’où la nécessité de revoir le pilotage national.

Vous recommandez notamment de confier au préfet le rôle de coordonnateur. Je m’interroge sur cette préconisation. Si l’État a le devoir de faire respecter une équité de traitement sur l’ensemble du territoire, la responsabilité doit rester à mon sens aux départements qui doivent, par contre, être obligés d’appliquer la loi. L’État doit accompagner les départements dans la prise en charge. Qu’en pensez-vous ?

Je souhaite également avoir votre sentiment sur la question des moyens. Il manque des places en structures d’accueil, des personnes qualifiées pour accompagner les enfants, des pédopsychiatres pour assurer un accompagnement psychique pour ces enfants en grande souffrance. Dans mon département du Gers, le service de l’ASE est souvent confronté à la difficulté des prises en charge relevant du soin, psychiatrique en particulier, ce qui entraîne, faute de moyens, des ruptures de parcours dommageables.

Vous avez évoqué dans votre rapport le fait que les besoins évalués en protection de l’enfance n’étaient pas pris en compte par le projet régional de santé élaboré par l’agence régionale de santé (ARS). Comment expliquez-vous cette absence de prise en compte alors que nous parlons d’enfants particulièrement malmenés par la vie ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Ce rapport très riche met en exergue l’apparent paradoxe entre une tendance, voire une doctrine, qui tend à favoriser le retour en famille des enfants placés, possible à tout moment, et la nécessité d’offrir la perspective d’un parcours continu et sécurisé à des enfants déjà fragilisés. Le maintien avec les parents est jugé prioritaire. La relation avec les parents doit gagner en clarté et en lisibilité pour être plus prévisible pour tous, y compris et avant tout par les enfants afin qu’ils se projettent. Il conviendra de lever cet apparent paradoxe et de conduire des politiques offrant la visibilité nécessaire à la projection des jeunes. Quelles sont vos préconisations dans ce domaine ?

La France dispose d’outils législatifs ambitieux, fondés sur une attention toujours accrue à la place de l’enfant. Toutefois, le pilotage demeure extrêmement complexe et peu coordonné, avec beaucoup d’intervenants et donc un manque de lisibilité tant au niveau national que local. Je vous rejoins sur la nécessité d’une meilleure coordination. Il est indispensable de clarifier et de simplifier le pilotage national de la protection de l’enfance. Pouvez-vous nous indiquer comment la transition pourrait être opérée ?

Enfin, un point de vigilance pour l’ancienne conseillère départementale que je suis est la nécessité de favoriser les contractualisations pluriannuelles entre les départements et les opérateurs qui, par ailleurs, doivent être plus souvent et mieux évalués comme vous l’avez indiqué dans votre rapport. Je m’interroge sur la façon d’opérer ces contrôles. Auriez-vous quelques indications ?

Mme Valérie Six. Je remercie M. le président pour l’exposé de ce rapport de la Cour des comptes, qui démontre que le nombre de mineurs nécessitant une protection particulière est en très forte hausse depuis dix ans et que, par conséquent, les budgets des collectivités territoriales qui y sont dévolus subissent une augmentation similaire. La protection de l’enfance est donc un « contre-la-montre » tant il est nécessaire que les politiques publiques en la matière se déploient rapidement.

Comme l’indique l’intitulé du rapport, le temps de nos politiques publiques n’est pas celui de l’enfance. Il nous faut donc penser un parcours adapté au temps de l’enfant et se délester enfin des contraintes administratives qui sont autant d’obstacles au déploiement des politiques que nous votons ici.

Vous préconisez dans le rapport de nommer un coordinateur interministériel pour faire le lien entre la santé et l’éducation. Quelle fonction dans la gouvernance lui donneriez‑vous ?

Vous parlez aussi de la confusion des missions administratives, de la superposition des compétences, de la redondance des administrations. Que faut-il enlever ou alléger comme organismes dans le pilotage de cette politique ?

Les établissements d’accueil d’hébergement sont des structures très coûteuses. Imaginez-vous d’autres solutions et comment ?

Mme Monique Limon. Je vous remercie pour ce rapport clair et édifiant alors que placer sous l’égide des départements la protection de l’enfance vise à prévenir ou à réduire les dangers auxquels un mineur peut être exposé. Le développement d’une approche de prévention en faveur de l’enfant et de ses parents est au cœur de la stratégie de protection de l’enfance. Selon les derniers chiffres, 8,4 milliards d’euros ont été consacrés à la politique d’aide sociale à l’enfance en 2018. À cette date, 328 200 enfants ont bénéficié d’une mesure de protection ce qui constitue une augmentation de 12 % par rapport à 2009.

Vous l’avez souligné, les MNA expliquent un tiers de l’augmentation du nombre d’enfants concernés. Pour la seule année 2019, près de 17 000 jeunes reconnus mineurs ont été orientés vers les services spécialisés en vue d’une prise en charge.

Bien que le cadre législatif de cette politique ait été renforcé par la loi du 14 mars 2016, votre rapport intitulé « Une politique inadaptée au temps de l’enfant » illustre que l’organisation de la protection de l’enfance demeure complexe. Son pilotage que vous dites défaillant – je dirais inégalement mis en œuvre sur les territoires – aboutit à un décalage avec la prise en compte effective des besoins de l’enfant.

Ce rapport fait dix recommandations et se penche notamment sur la question des délais, sur la mise en œuvre du projet pour l’enfant, sur le pilotage de l’État et des départements, sur la réactivité des acteurs locaux et sur l’organisation des départements en matière d’aide sociale à l’enfance.

Je rappelle que le secrétaire d’État Adrien Taquet, conscient de ces difficultés, souhaite faire de l’année 2021 l’occasion de mettre en œuvre des améliorations en réformant entre autres la gouvernance au niveau national et en reprécisant la place de l’État dans cette politique décentralisée. Nous, parlementaires, sommes très attentifs à ces évolutions nécessaires et saurons continuer à prendre notre place dans ces améliorations.

Quelles sont pour vous les priorités incontournables à mettre en place pour améliorer ce système et faire en sorte que les besoins de tous les enfants soient considérés et pris en compte de la même manière sur tout le territoire français ? Ne pensez-vous pas qu’il faille aussi regarder du côté de la formation, des pratiques professionnelles des travailleurs sociaux qui seraient peut-être à harmoniser ?

M. Bernard Perrut. Monsieur le président, votre rapport sur la protection de l’enfance révèle une organisation qui demeure complexe, un pilotage défaillant, tant à l’échelon national que local, ce qui aboutit à un décalage entre sa mise en œuvre et la prise en compte effective des besoins de l’enfant.

Alors que chaque département est libre de choisir son organisation, comment expliquer l’absence dans certains départements de service administratif dédié à l’aide sociale à l’enfance, service pourtant incontournable pour assurer une prise en charge coordonnée des mineurs ? Comment renforcer la gouvernance territoriale de la protection de l’enfance en lien avec les services de l’État et les autorités judiciaires sur le territoire ?

Vous proposez de clarifier le pilotage national de la protection de l’enfance, notamment en supprimant le conseil national de la protection de l’enfance. Êtes-vous favorable à la création d’un unique organisme national de référence qui couvrirait l’ensemble du champ de la protection de l’enfance en se substituant aux quatre structures actuelles chargées d’apporter un appui technique aux acteurs de proximité ?

Le développement d’une approche de prévention en faveur de l’enfant et de ses parents doit être à mon sens au cœur de notre stratégie de protection de l’enfance. Les multiples liens entre la protection de l’enfance et d’autres domaines ministériels font que la politique de prévention doit, dans sa dimension de prévention universelle, infuser dans toutes les politiques publiques et notamment dans les domaines que je juge prioritaires de l’éducation, de la santé et de la petite enfance.

En matière d’éducation, monsieur le président, comment rendre plus explicite les obligations incombant à l’Éducation nationale, mieux coordonner les interventions de l’ensemble des professionnels impliqués ? En matière de santé, comment renforcer la prise en compte des enjeux de la prévention en protection de l’enfance dans le système de droit commun – médecine libérale et hospitalière – dans le cadre d’une complémentarité accrue avec les services de protection maternelle et infantile et de médecine scolaire ?

Enfin, un rapport publié lundi par l’IGAS souligne les dangers bien identifiés que présente l’hébergement en hôtel d’enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance, du fait du faible contrôle de la qualité des lieux, de la promiscuité dans les chambres, de l’isolement, de la proximité de lieux de trafic. Comment, monsieur le président, réduire le recours à ces lieux ? Quelles solutions alternatives est-il possible d’envisager ? La protection de l’enfance doit véritablement être une priorité dans notre pays.

Mme Annie Vidal. Je vous remercie, monsieur Advielle, pour votre rapport qui clarifie les insuffisances de la politique actuelle de protection de l’enfance et propose des voies d’amélioration.

Vous soulignez notamment l’importance de mieux accompagner les jeunes majeurs sortant de l’aide sociale à l’enfance pour qui l’âge de la majorité est souvent un couperet qui renforce l’isolement. Vous recommandez de préparer leur entrée dans l’âge adulte à travers un parcours de formation et d’insertion professionnelle qui leur corresponde et je vous rejoins complètement sur ce point. Ces jeunes ont en effet besoin d’avoir un cadre familial et social stable après leur majorité. Les contrats jeune majeur qui permettent de prolonger la prise en charge au-delà de 18 ans restent facultatifs et rares dans certains départements. Force est de constater les disparités territoriales quant aux décisions qui sont prises au niveau départemental. Cela attire bien évidemment notre attention car il est fondamental de garantir une égalité d’accès aux droits pour tous, tout particulièrement dans le contexte induit par la crise sanitaire.

Aussi, monsieur Advielle, comment encourager les départements à généraliser les contrats jeune majeur et à veiller à la continuité de la prise en charge de ces jeunes après leur majorité tout en garantissant une équité de traitement sur tout le territoire national ?

M. Thibault Bazin. Monsieur le président, je vous remercie pour la présentation de votre très intéressant rapport, dont nous pourrions déduire que la protection de l’enfance est de plus en plus coûteuse et semble de moins en moins répondre aux besoins de protection de l’enfant. Il est donc urgent de modifier la donne, notamment le pilotage.

Vous faites le choix de privilégier le préfet dans la coordination. Pourquoi ne serait‑ce pas le procureur, qui a des pouvoirs propres d’enquête, surtout avec le détournement constaté de la voie de la protection de l’enfance pour des personnes qui ne sont plus des enfants ? Avec une part de faux mineurs ou de mineurs non isolés en réalité, le besoin n’est-il pas impérieux de mieux contrôler pour mieux répondre aux vrais mineurs qui ont besoin de mesures de protection ? Avez-vous mené une étude comparative avec nos voisins européens ?

Par ailleurs, nous entendons souvent parler du manque de coordination entre les services sociaux et les forces de l’ordre. N’avons-nous pas là une marge de progression ?

Concernant les difficultés rencontrées par certains parents dans nos territoires, quels sont selon vous les liens entre la politique de protection de l’enfance et la politique familiale ?

Enfin, vous n’avez pas ou peu parlé des communes. Celles-ci sont en première ligne du fait de leurs compétences scolaires et pour la petite enfance, parfois avant même les services sociaux, bien éloignés des écoles ou des multi-accueils où se révèlent quelquefois des besoins de mesure de protection. Quelle place imaginez-vous pour les communes et leurs délégataires ?

M. Alain Ramadier. La loi de 2007 est un échec et la déjudiciarisation de la protection de l’enfance ne fonctionne pas. Cinq ans plus tard, rares sont les mesures mises en œuvre, à l’instar du projet pour l’enfant trop peu mis en place alors qu’il s’agit d’une obligation légale. Il me paraît important pour les enfants suivis par la protection de l’enfance que nous, législateurs, nous attelions à travailler sur une réforme ambitieuse mais, surtout, en connexion avec le terrain.

Il faut absolument que les organismes de protection de l’enfance, à l’échelle nationale, soient regroupés. Il est ensuite indispensable que cette politique décentralisée à l’échelle des départements soit néanmoins identique dans tous les territoires.

Nous l’avons vu, le système comporte des lenteurs, entre autres avec une justice trop lente, très lente même. Le faible pourcentage de décisions mises en œuvre est parfaitement inacceptable.

Vous parlez dans votre rapport d’une amélioration sur le parcours des enfants en matière de santé. C’est en réalité avec une grande parcimonie que nous constatons ces progrès. Par exemple, le délai pour le suivi pédopsychiatrique en centre médico-psychologique est d’au moins un an pour un seul rendez-vous.

En matière scolaire, le chantier est également immense. Pourquoi les enfants suivis à l’ASE ne sont-ils pas pris en charge jusqu’à leur majorité ? Pourquoi sont-ils, en d’autres termes, assujettis à de courtes études car ils savent qu’ils se retrouveront seuls à 18 ans ? Que faudrait-il faire selon vous pour éviter cela ?

M. Guillaume Chiche. Vous nous interpellez sur la nécessité de remettre au centre les besoins de l’enfant. Des mineurs placés sous protection sont encore logés dans des chambres d’hôtel, sans aucun accompagnement moral face à un parcours de vie semé d’embûches, avec un petit peu d’argent de poche ou des tickets pour se nourrir dans des fastfoods à proximité des hôtels. Cela donne lieu à des situations sanitaires qui ne sont pas acceptables, des conditions d’hébergement qui sont très peu contrôlées et à deux doigts de la vétusté quand nous ne nageons pas en plein dedans.

J’aimerais connaître le coût journalier de ces placements absolument inadaptés, condamner fermement cette situation et vous faire part de ma position : mettre fin le plus rapidement possible aux hébergements en chambre d’hôtel. J’ai bien entendu les déclarations du secrétaire d’État Adrien Taquet, qui parle de situations inadmissibles. J’en déduis que, prochainement, nous serons amenés à arrêter ce type d’hébergement. Comment devrions-nous nous y prendre, avec quels moyens ? Cela doit-il passer par un grand plan de construction d’accueils collectifs pour les placements ou par l’augmentation du recrutement en famille d’accueil pour pouvoir enfin mettre en corrélation directe les besoins de l’enfant avec les solutions proposées ?

Monsieur le président, s’agissant des mineurs non accompagnés et de leur évaluation de majorité ou de minorité, avez-vous connaissance dans certains départements de caractérisations de minorité pour des MNA qui ouvrent la voie au recours à des avocats pour contester l’évaluation menée par les services du département afin d’obtenir une caractérisation de majeur ce qui serait proprement inacceptable également ?

Mme Bénédicte Pételle. Parmi les recommandations du rapport de la Cour des comptes afin de renforcer la gouvernance territoriale de la protection de l’enfance, il est proposé de désigner le préfet de département comme interlocuteur du président du conseil départemental et comme coordonnateur des services de l’État sur le territoire en lien avec les autorités judiciaires. En effet, le rapport démontre qu’une meilleure coordination des différents acteurs en lien avec la protection de l’enfance est nécessaire au niveau départemental, entre les départements et les services judiciaires mais également avec les services déconcentrés de l’État.

Pour renforcer la dynamique territoriale, que pensez-vous de l’idée de la mise en place d’une instance locale de coordination de la protection de l’enfance avec le président du conseil départemental, le préfet de département et le procureur de la République ? Cette instance pourrait prendre forme au sein de l’ODPE lorsqu’il existe, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas.

M. Belkhir Belhaddad. Ce lundi 24 janvier, j’ai eu le plaisir d’accueillir dans ma circonscription Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles, pour la visite d’une maison d’enfants à caractère social, qui accueille une quarantaine d’enfants âgés de 6 à 18 ans. Cette structure à dimension humaine a l’avantage d’offrir à ces enfants un cadre privilégié qui la rapproche d’un modèle familial ordinaire et leur permet de vivre une vie simple, comme à la maison, notamment en regroupant les fratries. Ce n’est pas un cas isolé car notre département de Moselle dispose d’une véritable diversité de structures d’accueil pour répondre au mieux et surtout de manière la plus individualisée possible au profil et aux besoins de chaque enfant.

Comme vous le mettez en lumière dans votre rapport, monsieur le président, il est indispensable que les besoins des enfants soient au cœur des modalités de prise en charge et d’accueil. Malheureusement, la situation à l’échelle nationale est loin de ressembler à l’exemple que je viens de donner. Aujourd’hui, 7 500 à 10 000 jeunes seraient hébergés en hôtel selon le rapport de l’IGAS paru cette semaine.

Je souhaite donc connaître votre analyse sur les raisons qui peuvent expliquer les inégalités territoriales en termes de structures d’accueil. La problématique des mineurs non accompagnés, qui représentent 95 % des enfants accueillis à l’hôtel, est-elle une des clés de lecture pertinentes pour comprendre ces disparités ?

M. le président de la chambre régionale des comptes des HautsdeFrance. Je rappelle d’abord que nous ne nous sommes intéressés à la prise en charge des mineurs non accompagnés qu’à partir du moment où ils étaient accueillis par l’ASE.

Nous avons adressé au Premier ministre un référé, disponible sur le site de la Cour des comptes, qui fait le point sur la phase amont, c’est-à-dire la phase de reconnaissance de minorité, de l’accueil fait aux mineurs non accompagnés avec un certain nombre de recommandations qui ne sont pas reprises dans le présent rapport. L’une de nos recommandations est d’asseoir la contribution de l’État aux dépenses des départements sur des référentiels, sur des justifications beaucoup plus pertinentes que celles qui existent actuellement et sur la base d’une enquête nationale, d’une grille de coûts des différentes phases de prise en charge de ces jeunes. Il s’agit donc de redonner à l’État le rôle de coordonnateur de cette politique, qui est très hétérogène sur l’ensemble du territoire.

De nombreuses questions portent sur la gouvernance et la manière d’améliorer cette politique. Sur la gouvernance au niveau national, notre proposition est de redonner à la DGCS un rôle de coordonnateur interministériel pour ce qui est du rôle de l’État. Toutefois, il faut bien rappeler que cette politique est décentralisée et que les départements en assument 95 % des coûts. Il est donc logique et normal qu’il puisse exister un certain nombre de disparités sur le territoire tant qu’elles ne sont pas préjudiciables à la prise en charge de ces mineurs.

L’existence au niveau national d’une instance de rencontre et de gouvernance est importante, qu’il s’agisse d’un groupe interministériel de pilotage ou d’une autre formule à imaginer. Elle doit permettre de réunir l’ensemble des acteurs pour piloter et conseiller sur le pilotage de cette politique.

De nombreuses questions portent sur la proposition que nous faisons pour le pilotage au niveau départemental. Le département est le chef de file de cette politique et il n’est nullement question de la recentraliser. Ceci étant, le confinement a montré un besoin encore accru de coordination car un certain nombre de services de l’État doivent intervenir, être des interlocuteurs du président du département comme nous l’avons vu au niveau des cellules de recueillement des informations préoccupantes ou dans les politiques de prévention. Aujourd’hui, aucune instance de coordination ne joue ce rôle. Les politiques de santé et d’éducation ne sont pas coordonnées. Il nous a semblé logique que les services de l’État soient pilotés, sans être du tout dans une optique de recentralisation. Comme le département est l’interlocuteur privilégié de cette politique, il nous a semblé que seul le préfet de département pouvait réunir autour d’une même table le président du département et les instances judiciaires qui, je le rappelle, sont indépendantes et viendront autour de cette table pour mieux coordonner cette politique mais il n’est bien entendu nullement question que le préfet puisse intervenir dans le domaine judiciaire.

Le problème de cette politique n’est pas tellement son coût mais, à l’intérieur de ce coût, le besoin de revenir à des solutions plus en faveur de la prévention et des bonnes pratiques. Ce rapport essaie d’ailleurs de mettre en évidence toutes les bonnes pratiques que nous avons trouvées. Nous avons actuellement tendance à mettre de préférence les enfants en MECS, ce qui coûte deux fois plus cher que l’accueil en famille, tandis que la prévention est le parent pauvre de cette politique.

Je pense que nous devrions globalement réfléchir pour savoir si la meilleure solution possible est de placer ces enfants en foyer d’accueil alors qu’un projet de moyen terme n’a pas encore été réalisé sur eux, qu’un accompagnement individualisé et des réflexions nécessaires à la prise en charge n’ont pas encore été réalisés. Nous pourrions certainement, sans utiliser systématiquement le recours à la prise en charge en maisons, avoir une politique qui favorise plus la prévention, permette d’alléger les coûts et peut-être de développer des politiques alternatives.

J’ai été interrogé sur les bonnes pratiques qui pourraient être diffusées. Le rapport fait état, pages 68 et 69, de l’ensemble des bonnes pratiques que nous avons vues. Elles sont simples à mettre en œuvre. Nous citons par exemple au niveau local : la mise en place d’espaces de médiation familiale et de services de rencontre et d’échange ; la mise en place de mesures destinées à renforcer l’accompagnement scolaire des enfants suivis ; la mise en place d’équipes pluridisciplinaires en matière de soin, chargées de prévenir les troubles du comportement de l’enfant ; des offres d’hébergement autonome pour des adolescents proches de la majorité ce qui peut être une forme de prise d’autonomie.

Ces exemples sont tirés de ce que font déjà certains départements. Le département de Loire-Atlantique a par exemple créé une structure de relais familial dans le cadre d’un contrat d’impact social. Pendant la première crise liée au confinement, un certain nombre d’opérateurs de départements ont su faire preuve de réactivité et ont proposé des accueils temporaires spécifiques et innovants. Nous avons noté en particulier que des internats scolaires fermés du fait des circonstances ont pu être mobilisés pour des enfants suivis habituellement à domicile qui se trouvaient en difficulté pendant le confinement.

Ce n’est donc pas qu’une question de coût. Il existe un certain nombre de bonnes pratiques qui ne sont malheureusement pas recensées et diffusées. Nous n’avons pas de référentiel pour mettre en œuvre cette politique. Nous n’avons ni évaluation ni remontées de terrain. Nous avons le sentiment que, finalement, nous reconduisons en permanence la même politique parce que nous avons des places d’hébergement et que, tant que nous avons des places d’hébergement, nous les remplissons.

Je pense que le fait d’avoir des contrats d’objectifs pluriannuels donnerait plus de visibilité à l’ensemble des opérateurs. Cela permettrait peut-être au département d’infuser plus facilement sa politique, sa vision. Cela pourrait être extrêmement favorable.

Pendant la crise, le garde des sceaux a diffusé une circulaire qui recommandait de mettre en place une conférence quadripartite entre le siège, c’est-à-dire le juge des enfants, le procureur, le représentant du département et les services de l’État. Cette circulaire devrait être généralisée et ces instances de coordination doivent être permanentes. Des juges prennent aujourd’hui des décisions sans disposer de l’ensemble des informations qui concernent ces enfants. C’est dommageable car ces informations existent mais ne sont jamais retracées.

Nous avons besoin de remettre l’enfant au centre de cette politique et de regagner la confiance. Tous les acteurs que nous avons rencontrés sont passionnés, impliqués dans ces politiques mais nous avons l’impression qu’ils sont parfois un peu isolés, seuls pour conduire ces politiques.

Pourquoi continuons-nous à avoir 75 % de mesures judiciaires ? Parce que c’est rassurant, parce que le litige est tranché par un juge ce qui permet de couvrir l’ensemble des opérateurs. En cas d’erreur, chacun pourra dire que la décision a été prise par l’autorité judiciaire. Il faut que chacun des opérateurs apprenne à prendre ses responsabilités.

Cette politique doit être partagée, mieux coordonnée. Nous devons pouvoir redéployer des crédits, réinventer une relation avec les parents. Cette relation doit gagner en lisibilité. Il faut arrêter de n’avoir que des mesures provisoires. Certains enfants peuvent être pris en charge à 7 ou 8 ans et se retrouver à 18 ans avec un empilement de mesures provisoires, aucune mesure définitive n’ayant jamais été prise à leur encontre. Il faut que des rendez-vous soient prévus et permettent de mieux coordonner cette politique entre les acteurs. Chacun des acteurs semble avoir développé des bonnes pratiques sans qu’elles n’aillent jamais au-delà des opérateurs qui mènent ces politiques.

Un problème majeur est le tarissement des assistants familiaux. Ce problème relève peut-être du Parlement. Une politique peut être menée pour le recrutement, la formation et l’attractivité de ce métier. J’ai rappelé que cette formule d’hébergement coûte tout de même deux fois moins cher que l’hébergement en maison. La majorité des acteurs ont plus de 50 ans et, si nous n’y prenons pas garde, nous aurons un problème dans chacun des départements alors que cette formule a fait ses preuves. Elle ne doit pas être laissée pour compte. C’est actuellement Pôle emploi qui réoriente certains publics ayant du mal à trouver un emploi vers des emplois d’assistants familiaux. Il s’agissait d’une vocation et je pense que cela doit le rester.

Mme Caroline Régis, conseillère maître à la Cour des comptes, corapporteure générale. S’agissant de la gouvernance nationale, je signale que la Cour des comptes a publié au mois d’avril 2020 un référé dans lequel nous expliquons plus en détail que dans le rapport public thématique nos recommandations pour simplifier et clarifier la gouvernance nationale de la protection de l’enfance. Vous pouvez y accéder sur le site de la Cour des comptes.

Le principe qui nous a guidés est de ne pas raisonner par structure mais par mission essentielle de la politique de protection de l’enfance. C’est pourquoi nous proposons de supprimer le Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE), dont nous estimons qu’il n’a pas trouvé sa place alors qu’il était censé répondre à une très grande attente lorsqu’il a été créé en 2016. Nous avons l’impression que l’État n’est pas allé jusqu’au bout de sa logique en ce qui concerne le CNPE : alors qu’il existait une très forte demande d’une sorte de « Parlement de la protection de l’enfance » réunissant l’ensemble des parties prenantes, ce CNPE n’a pas eu les moyens nécessaires puisqu’il disposait d’un seul équivalent temps plein (ETP) et a empiété sur les compétences de nombreuses autres structures préexistantes ce qui n’était pas du tout le meilleur moyen d’asseoir sa légitimité. Il a empiété sur le champ de la DGCS, sur le champ du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA), sur le champ du groupement d’intérêt public Enfance en danger. Au cours de nos investigations, nous avons très vite perçu beaucoup de dissensions entre les différents acteurs de la protection de l’enfance au niveau national parce que le CNPE était venu empiéter sur les compétences et les missions des uns et des autres.

Forts de ce constat, nous nous sommes appuyés sur l’idée qu’il faut raisonner non pas par structure en fusionnant ou en supprimant telle ou telle structure mais par mission. Il faut faire en sorte qu’un seul organisme ou une seule structure soit chargé de chaque mission. Par exemple, la mission « statistiques » est actuellement dispersée entre la Drees et l’Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE), la Drees ayant très peu d’effectifs à y consacrer, avec seulement 1,5 ETP, et l’ONPE ne parvenant pas à remplir la mission de remontée de données statistiques des départements qui lui revient. Il nous semble donc que la mission « statistiques » doit revenir à la Drees.

Nous proposons finalement de supprimer le CNPE tout simplement parce que l’ensemble de ses missions sont partagées. Nous ne disons pas qu’il faut supprimer les missions du CNPE mais qu’il faut les confier à une seule structure à chaque fois. Par exemple, les missions consultatives du CNPE – examiner des avis... – nous sembleraient mieux prises en charge par le HCFEA. Celui‑ci est en effet une structure consultative alors que le CNPE est présidé par le ministre de la santé et des solidarités, ce qui le met dans une position délicate pour émettre des avis ou des recommandations sur la politique du Gouvernement. Je souhaitais illustrer par ces deux exemples ce que nous voulions dire par « raisonner par mission et non par structure ».

Sur la coordination territoriale, il n’est bien sûr pas question que le préfet assume le rôle des départements. Ce n’est absolument pas ce que nous avions en tête. Le département est chef de file mais, en revanche, il nous est beaucoup remonté que les départements eux‑mêmes réclament un interlocuteur unique de l’État. Nous avons beaucoup entendu qu’ils ont le sentiment que l’État n’est pas mobilisé au niveau local sur les questions qui relèvent de l’Éducation nationale, de la justice, de la santé... Chacun de ces acteurs – ARS, Éducation nationale... – n’a pas la protection de l’enfance dans le cœur de ses missions et le rôle que nous souhaiterions confier au préfet ou à une personne chargée de cette mission serait de mobiliser et de coordonner les services déconcentrés de l’État pour fournir un interlocuteur unique aux départements.

Mme Danièle Nicolas-Donz, première conseillère des juridictions financières à la chambre régionale des comptes des Pays de la Loire, corapporteure générale. Deux points émergent de nos travaux.

Le premier, en écho à la question de la coordination, est qu’une mesure de protection au titre de l’aide sociale à l’enfance est une approche globale par rapport à l’ensemble des besoins de l’enfant. Ce qui nous a paru particulièrement criant est le besoin de mettre en résonnance les questions de santé, les questions de scolarisation, les questions de place de l’enfant dans la société et dans sa famille. Il semble que cette approche globale soit extrêmement difficile à organiser au-delà de la mobilisation des professionnels et de leur implication dans cette politique. Tout dépend encore beaucoup de la qualité des relations interpersonnelles pour avoir une approche globale des besoins de l’enfant.

Il nous semblait très important de mettre en avant la question du soin parce que nombre d’enfants pris en charge au titre de la protection de l’enfance ont besoin de soins « traditionnels » mais aussi besoin de soins par rapport aux traumatismes qu’ils ont pu vivre et qui ont amené à cette mesure de protection. Ce travail ne peut se faire qu’en concertation entre les services de la protection de l’enfance pilotés par les départements et les services sous la tutelle de l’ARS au sens large. Ces services sont amenés à intervenir plus ou moins rapidement, plus ou moins en donnant la priorité aux enfants de la protection de l’enfance dans les prises en charge thérapeutiques. Nous avons fait le constat qu’il n’existait pas de priorité et que les enfants, bien que bénéficiant d’une mesure de protection, devaient parfois attendre de longs mois voire plus d’une année. Il faut dans la prise en charge une complémentarité de tous les domaines qui concernent la vie de l’enfant et qui sont parfois difficiles à coordonner.

Le paradoxe apparent entre le travail pour le retour en famille et la nécessaire vision à long terme a été soulevé. C’est un élément caractéristique de cette politique : elle met en évidence un besoin de protection sur un temps court et les avancées des neurosciences montrent que plus une réponse de protection tarde à venir, plus les risques sont importants pour le développement de l’enfant. Il faut intervenir vite pour répondre à ces besoins tout en travaillant la relation et l’amélioration de la relation entre les parents et l’enfant, tout en étant capable de se projeter sur le long terme. Il nous semble important que le message de l’investissement sur l’avenir puisse être pris en compte. Les coûts de l’aide sociale à l’enfance, s’ils ne sont pas importants au plus tôt, risquent de se répercuter sur des coûts sociaux une fois que les jeunes protégés deviennent adultes et présentent des difficultés d’insertion sociale. Il faut imaginer comment protéger un enfant sur le long terme tout en lui permettant de maintenir des relations avec ses parents, de maintenir le lien sans avoir la perspective d’un retour sachant que ce retour peut être pour l’enfant une source de stress et d’angoisse qui freine son développement et serait contreproductive par rapport à la mesure de protection.

Les méthodes d’évaluation des compétences parentales sont très peu développées en France. Elles commencent à se développer en prévention, dans l’accompagnement des formations parentales mais c’est un champ important qu’il est nécessaire de développer tant au niveau de la formation des travailleurs sociaux que de la concertation entre les différentes professions du soin ou du secteur social pour être en mesure d’accepter que des parents puissent ne pas être compétents sur le long terme, sans pour autant aller vers une suspension des relations entre parents et enfants.

M. le président de la chambre régionale des comptes des HautsdeFrance. Une question a été posée sur la place des communes. Elles sont bien entendu parties prenantes à l’ensemble de ces dispositifs, notamment à travers les cellules de recueil d’informations. Les maires ont souvent des informations par les professionnels au contact des enfants dans l’enseignement primaire et sont au contact de la population au quotidien. Ils devraient bien entendu être encore mieux associés au fonctionnement des cellules de recueil d’informations, de façon plus systématique.

Le principal pourvoyeur d’informations est aujourd’hui l’Éducation nationale. Nous avons traversé un moment difficile lorsque les écoles étaient fermées : le 119 a explosé et, en même temps, plus aucune information ne pouvait remonter du terrain. Je pense que les communes sont donc effectivement des acteurs importants de cette politique, au côté des conseils départementaux, surtout dans la prévention.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je vous remercie pour le travail de qualité réalisé sur ce sujet sensible. Il montre l’existence de gros « trous dans la raquette ». La Défenseure des droits nous a dit : « La protection de l’enfant doit être une obligation. » Il nous faudra trouver des réponses, probablement par le biais de textes législatifs.

 

 

 

La séance est levée à seize heures vingt-cinq.