Compte rendu

Commission
des affaires sociales

   Audition de M. Jérôme Salomon, directeur général de la santé, sur la crise sanitaire 2

 

 

 


Jeudi
11 février 2021

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 48

session ordinaire de 2020-2021

Présidence de
Mme Fadila Khattabi,
Présidente
 


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COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Jeudi 11 février 2021

La séance est ouverte à dix heures cinq.

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La commission auditionne M. Jérôme Salomon, directeur général de la santé, sur la crise sanitaire.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Notre commission poursuit ses travaux de suivi de toutes les dimensions de la crise sanitaire. Nous avons reçu jeudi dernier la présidente de la Haute Autorité de Santé et nous entendrons cet après-midi la directrice générale de l’offre de soins (DGOS). Nous avons déjà réalisé un nombre important d’auditions depuis janvier, notamment sur la vaccination, et nous prévoyons d’en organiser sur l’ensemble des aspects sanitaires et sociaux de la crise. La semaine prochaine, notre commission procèdera à une audition sur le numérique en santé à l’heure de la crise sanitaire. Début mars, nous nous intéresserons aux difficultés rencontrées par les étudiants, ainsi qu’aux impacts du télétravail. Nous auditionnerons également la directrice générale de Santé Publique France, tout en poursuivant nos travaux sur la situation dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).

Par ailleurs, j’ai saisi en décembre dernier l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques pour mener une étude sur la stratégie vaccinale contre le Covid-19. Les conclusions de cette étude nous avaient été communiquées très rapidement et leur qualité avait été unanimement saluée.

Je vous informe qu’en cohérence avec les décisions récentes de la Conférence des présidents, qui invitent chacun des organes permanents de notre Assemblée à se concentrer sur les aspects de la crise sanitaire relevant de ses compétences, j’ai demandé au Président de l’Office de bien vouloir travailler sur l’ensemble des aspects scientifiques et techniques de cette crise. Ainsi, l’Assemblée, au travers de ses commissions permanentes et de l’Office, continue de s’impliquer très activement dans le suivi de la crise sanitaire.

Nous accueillons ce matin le professeur Jérôme Salomon, directeur général de la santé. Dans les circonstances actuelles, nous vous sommes pleinement reconnaissants d’avoir répondu à notre invitation. Vous avez été entendu à plusieurs reprises par le Parlement depuis un an ; l’objet de notre réunion n’est donc pas de revenir sur cette période. Il s’agit d’un point d’actualité, visant à tenter de tracer des perspectives.

M. Jérôme Salomon, directeur général de la santé. Nous nous battons tous collectivement et solidairement depuis plus d’un an contre la pandémie de Covid-19 qui a malheureusement frappé plus de 107 millions de personnes et tué plus de 2,3 millions de malades dans le monde. Nos efforts au quotidien, nos sacrifices familiaux, personnels, professionnels, l’exemplarité de chacune et chacun et la mobilisation de toutes et tous ont permis de sauver nombre de vies. Nous avons pleinement conscience de la fatigue accumulée, de la lassitude liée à la durée de cette crise, des angoisses liées aux multiples incertitudes scientifiques quant à l’évolution de cette épidémie, des lourdes conséquences économiques, sociales et sociétales sur notre quotidien.

Ce formidable effort de recherche et de prise en charge préventive et curative nous permettra de progressivement desserrer l’étau du virus sur nos vies. L’épidémie demeure à un niveau d’incidence extrêmement élevé, la troisième au monde, et impacte aujourd’hui des régions qui avaient été jusque-là relativement préservées, notamment l’ouest de la France, mais également la région PACA.

Les indicateurs sont préoccupants : le nombre de cas quotidiens est élevé, le R0 reste proche de 1, les entrées à l’hôpital et en réanimation sont nombreuses. Par conséquent, la tension hospitalière se maintient à un niveau élevé dans de nombreuses régions. Plus inquiétant, les formes variantes du virus sont détectées dans plusieurs territoires et présentent une contagiosité accrue. De plus, l’incertitude demeure quant à la possibilité de réinfection et d’éventuel échappement vaccinal. D’où notre vigilance et notre réaction rapide face à l’émergence de ces formes évolutives du virus.

Le 27 janvier dernier était le triste anniversaire de l’activation du centre de crise sanitaire, suite aux trois premiers cas confirmés de Covid-19. Après le signalement fin décembre 2019 par les autorités sanitaires de Wuhan de 27 cas suspects de pneumonie, le centre opérationnel de régulation et de réponse aux urgences sanitaires et sociales avait assuré une veille active et informé en continu les agences régionales de santé, les établissements de santé et les professionnels.

Depuis, nous avons collectivement fait face à une situation exceptionnelle, sans précédent dans l’histoire moderne, qui a nécessité une adaptation permanente de notre stratégie aux évolutions du virus. Nous avons affronté et continuons d’affronter une crise mondiale d’une violence inouïe, qui a déstabilisé notre société et profondément réorganisé nos vies personnelles et professionnelles. Nous avons traité le premier cas groupé de Contamine-Montjoie, assuré les évacuations des ressortissants français de Wuhan, puis accompagné la montée en puissance de la logistique d’approvisionnement des équipements de protection individuelle, mais aussi des produits de santé. Nous avons également mis en place des dispositifs d’évacuation sanitaire hors-norme et innovants, avec notamment les TGV sanitaires et l’appui de moyens militaires aéroportés. Les évolutions de cette crise ont nécessité des mesures très fortes : périodes de confinement, périodes de couvre-feu.

Cette maladie émergente encore quasiment inconnue il y a un an poursuit sa progression dans le monde. Il nous faut aujourd’hui agir pour freiner la diffusion des variants et éviter que les formes les plus préoccupantes de ces évolutions virales ne gagnent trop et trop vite du terrain, mettant en péril notre système de santé, en ville comme à l’hôpital. Nous devons absolument prendre en charge l’ensemble des malades, ainsi que toutes les pathologies liées à la santé mentale – troubles anxieux, dépression, troubles du sommeil, risques suicidaires, difficultés que rencontrent notamment les jeunes...

Ce que je retiens des deux premières vagues, c’est une prise en charge des patients et une capacité d’adaptation exceptionnelles de la part des professionnels de santé et du système sanitaire. Nous recensons à ce jour 863 évacuations sanitaires inter-régionales (658 lors de la première vague et 98 lors de la deuxième). En parallèle, l’effort logistique est à souligner, avec 1,89 milliard de masques chirurgicaux, 267 millions de masques FFP2, 12,6 millions de masques pédiatriques, près de 200 millions de gants. De même, le développement de la recherche est remarquable, avec la production et le déploiement de candidats vaccins puis de vaccins en à peine une année, ce qui constitue une véritable prouesse scientifique. L’effort fut également numérique, au travers du système d’information de dépistage (SI-DEP) ou de StopCovid, devenu TousAntiCovid, téléchargé par 13 millions de Français. 70 000 utilisateurs ont été informés qu’ils avaient été à proximité de plus de 130 000 personnes déclarées positives dans l’application.

Nous avons fait le choix de la transparence des données de santé et je me félicite que de très nombreux Français se connectent régulièrement aux sites d’open data tels que Géodes ou les sites du ministère des solidarités et de la santé, de Santé publique France ou du Gouvernement. Pour connaître le comportement adapté à chaque situation, le ministère a mis en place le site mesconseilscovid.fr, qui propose en 3 minutes des conseils personnalisés pour agir contre le virus en fonction des conditions de vie et de la santé de chacun.

Je souhaite saluer, outre la mobilisation de tous les soignants et professionnels de santé de France, la mobilisation extraordinaire et sans faille des femmes et des hommes du ministère, des agences de santé nationales et des agences régionales de santé (ARS). Je citerai également l’évolution de la stratégie Tester-Alerter-Protéger. En effet, depuis quelques jours, chaque personne isolée se voit proposer la visite à domicile d’un infirmier. Ainsi, 40 000 infirmiers libéraux sont mobilisés, notamment pour tester sur place les personnes du foyer, et plus de 16 000 visites ont déjà été réalisées.

Nous portons également nos efforts sur les tests. Depuis le 1er mars 2020, soit en moins d’un an, nous avons passé la barre des 50 millions de tests, PCR ou antigéniques. La capacité en test est très élevée puisque nous réalisons 2,3 à 2,5 millions de tests hebdomadaires. C’est le fruit d’un engagement inédit de l’État et des acteurs de terrain, qui a permis de sécuriser les approvisionnements, d’investir dans les automates et de multiplier les vecteurs de test. Je salue la forte mobilisation des services de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM), des professionnels de santé libéraux et des ARS. Ainsi, 120 000 appels sont passés chaque jour et chaque cas positif donne lieu à un appel de la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) dès le lendemain. Les contacts sont ensuite joints par téléphone, mail ou SMS. Cette stratégie de s’isoler puis de se tester et de prévenir ses contacts fonctionne grâce à l’appui de tous ces acteurs.

J’insisterai sur l’évolution de la recherche, qui affiche de nombreuses avancées en termes de traitements, de candidats à la vaccination, d’anticorps monoclonaux, de cocktails d’anticorps, de molécules antivirales avec l’interféron, mais également de soins de support pour les formes sévères avec les corticoïdes, l’oxygénothérapie à haut débit ou les anticoagulants. Enfin, nous avançons sur les immunothérapies ciblées et sur le secteur des sciences sociales et humaines, qui nous appuient pour mieux comprendre les mesures de prévention, la mise en application des mesures et les enjeux de déterminants de santé. À ce titre, je salue la formidable coopération interministérielle et de toutes les équipes du ministère.

Un an après son émergence, la pandémie se poursuit dans le monde et en Europe et nous affrontons la nouvelle menace que représente la diffusion communautaire rapide des variants plus contagieux. Leur effet a déjà été observé au Royaume-Uni et au Portugal, ainsi qu’à Mayotte. Les scientifiques s’inquiètent d’un risque d’échappement immunitaire, avec la possibilité de réinfection, et d’un risque d’échappement vaccinal. Face à cette situation sanitaire et en attendant que les campagnes de vaccination offrent une immunité suffisante, la plupart des États européens ont mis en place différentes mesures. Le couvre-feu à 18 heures instauré par la France permet un contrôle épidémique journalier. La situation reste fragile, sachant que les conditions météorologiques jouent un rôle sur la diffusion du virus. En outre, l’arrivée des variants peut modifier les équilibres locaux. La pression épidémique reste très élevée et la situation nationale est hétérogène. Ainsi, la situation s’améliore sur certains territoires et départements, tandis qu’elle reste stable ou qu’elle se détériore dans d’autres zones. Nous restons donc très attentifs, notamment dans les territoires les plus touchés par la circulation des variants, Royaume-Uni, Portugal et Mayotte mais également les régions PACA, Ile-de-France et Hauts-de-France.

La tension est également hospitalière et nous nous approchons des niveaux records observés lors des deux précédentes vagues, avec près de 28 000 malades actuellement hospitalisés contre 20 000 lors du deuxième confinement, avec un pic à 32 000 au mois d’octobre. Cette pression hospitalière est comparable à celle qu’endure le Royaume-Uni. Nos territoires ne sont pas impactés de la même manière, la tension étant plus forte dans la moitié est de la France, ainsi qu’outre-mer. Les équipes soignantes sont épuisées et mobilisées depuis des mois. C’est pourquoi nous sommes très attentifs aux enjeux de ressources humaines et de soutien psychologique, tout en poursuivant la lutte contre les clusters hospitaliers et la prise en charge des malades. Nous avons ainsi réalisé 33 évacuations sanitaires au cours des derniers jours, pour soutenir notamment les régions Bourgogne‑Franche-Comté, PACA et Mayotte.

Face à l’apparition des variants, le déploiement de la stratégie vaccinale est une priorité absolue du Gouvernement. Nous avons dépassé le seuil des deux millions de personnes ayant reçu une première injection. Plus de 440 000 Français ont pu bénéficier des deux injections. Les professionnels de santé se préparent à une éventuelle troisième vague, du fait de la tension épidémique, de la pression hospitalière et de la diffusion communautaire des variants.

Le bilan de la pandémie, apparue il y a encore moins d’un an – soit à compter du 1er mars 2020 –, dépasse déjà les 80 400 décès. Le contrôle épidémique est assuré mais demeure complexe, impliquant la totale mobilisation de nos équipes, sept jours sur sept depuis une année. Je souligne le caractère collégial de notre action, en lien avec les professionnels de terrain, les associations, les élus, les sociétés savantes, les ordres, les instances d’expertise, les directions du Ministère, le centre de crise interministériel, les armées, l’Assurance maladie, les agences nationales et les agences régionales de santé (ARS).

J’évoquerai ensuite le sujet de la santé mentale. Près de 76 % des Français se déclarent satisfaits de leur vie, mais la récente enquête menée par Santé publique France CoviPrev révèle que 29 % des personnes interrogées font part d’états anxieux ou dépressifs. Les troubles du sommeil sont importants, en particulier chez les jeunes. L’incertitude ambiante, l’apparition des variants et la durée exceptionnelle de l’épidémie ressemble pour certains à un cauchemar sans fin et entraîne une certaine anxiété. C’est pourquoi il est primordial d’être vigilant dès lors que nous constatons des modifications de comportement chez nos proches, nos amis ou nos collègues. Des ressources ont été mises à disposition, telles que Psycom.org, la plate-forme d’équipe nationale qui aide à guider et soulager, pour une prise en charge adaptée. Nous sommes très attentifs aux plus fragiles (personnes en situation de précarité, jeunes, étudiants, sans emploi, etc.). Le président de la République a annoncé la mise en place du « chèque psy », permettant aux jeunes qui en auraient besoin d’accéder gratuitement et aisément à un professionnel de la santé mentale.

La démarche est longue, mais nous avons la possibilité d’être la solution de manière collective. La France a su témoigner de la responsabilité et de la solidarité qui l’animent. Nous pouvons nous en féliciter car nous prenons soin les uns des autres depuis maintenant plus d’un an. Nous attendons une immunité collective et individuelle post-infectieuse ou post‑vaccinale et les Français respectent très bien l’isolement, l’information des cas contacts, les mesures barrières, l’aération des locaux, le port du masque, le lavage des mains. Nous avons adapté les mesures relatives aux catégories de masques et à la distanciation, désormais portée à 2 mètres. Les bonnes pratiques ont été rappelées, en soulignant l’importance du télétravail, de la prudence vis-à-vis des rassemblements, des déplacements et des brassages.

Nous portons une attention particulière aux activités à risque, les épidémiologistes ayant mis en avant les dangers du co-voiturage et des repas collectifs. La notion de « bulle sociale familiale » peut ainsi être transposée au milieu professionnel, où les salariés sont encouragés à ne fréquenter qu’un petit groupe de collègues. Nous avons également insisté, avec les sociétés savantes et les associations de patients, sur l’importance de l’auto-isolement volontaire des personnes les plus fragiles. De plus, l’ensemble des acteurs de terrain (élus locaux comme responsables d’établissements scolaires, de santé ou médico-sociaux) s’est investi dans la lutte précoce contre les clusters scolaires. Nous prenons tous collectivement part à cet effort de prévention, traduisant la capacité de résilience de notre Nation.

Au-delà de la lutte contre le Covid-19, des actions en matière de santé publique perdurent et s’amplifient. La longueur de la crise impacte en effet fortement les déterminants de santé et nous devons rester vigilants sur ce sujet.

Si les mesures barrières ont permis de contenir certaines maladies telles que la grippe saisonnière ou la gastroentérite, d’autres problèmes de santé publique demeurent, à l’image de la santé mentale, mais également des inégalités de santé, au travers de l’accès à l’éducation à la santé, à la promotion de la santé, aux dépistages des cancers, au suivi des maladies chroniques. Nous avons par conséquent œuvré pour l’élaboration de la stratégie décennale de lutte contre les cancers, finalisé le quatrième plan national santé environnement (PNSE), poursuivi avec vos collègues du Sénat les travaux en vue de la révision de la loi de bioéthique, et conclu nos réflexions en vue de l’expérimentation du cannabis thérapeutique.

Pour conclure, nous travaillons à mieux répondre aux défis de demain, qu’il s’agisse de crises naturelles, de crises d’origine humaine, de l’impact de l’environnement sur la santé, de l’évolution démographique, des priorités de santé liées au défi du vieillissement ou du réchauffement climatique. Nous devons également internaliser et valoriser ce que nous avons appris des enjeux de santé numérique. Il est impératif d’anticiper davantage, dans la perspective d’une crise qui dure, et d’éclairer la gestion de crise par la prise en compte des effets de moyen terme. Il nous faut améliorer notre réponse face aux épidémies, la réponse de l’État face aux catastrophes sanitaires majeures, quelles qu’en soient les origines, inscrire dans un cadre européen l’élaboration des plans de gestion de crise et d’évaluation, et réapprécier la gestion des stocks. De même, il est nécessaire d’envisager un travail prospectif et d’anticipation avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS), mais également l’Union européenne et les principaux acteurs français. À ce titre, je mentionnerai la création de l’Agence nationale de la recherche sur le sida et les maladies infectieuses émergentes (ANRS‑MIE), qui a mis en lumière l’excellence et la réactivité de la recherche française dans le champ des maladies infectieuses, mais aussi l’importance de mieux coordonner et financer la recherche sur les maladies émergentes, en période de crise et sur le long terme. Cette nouvelle agence est pilotée par le professeur Yazdanpanah et animera l’ensemble de la recherche sur toutes les maladies émergentes et ré-émergentes.

Nous devons amplifier notre préparation à la crise, avec l’implication systématique du terrain. Cet objectif passera par des retours d’expérience et la constitution d’un vivier d’experts, afin de garder une mémoire vive de cette crise et investir sur ce potentiel humain.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Merci pour cette présentation. J’en profite pour saluer l’ensemble du travail effectué pour protéger nos concitoyens dans le cadre de cette crise sanitaire. Cette présentation a éclairé bon nombre d’entre nous, mais les questions demeurent nombreuses.

Mme Annie Vidal. Je salue votre engagement et celui de vos équipes, depuis maintenant plus d’un an, et vous remercie de consacrer du temps à notre commission.

Dans une note adressée aux professionnels de santé, la direction générale de la santé a pris de nouvelles mesures pour freiner la propagation des variants du coronavirus, en particulier les variants brésiliens et sud-africains. Vous avez requis que tous les tests positifs au Covid-19 soient soumis à un criblage de 36 heures pour détecter la présence éventuelle d’un variant. De plus, l’isolement préconisé est désormais de dix jours en cas de contamination par le variant brésilien et sud-africain. Les cas contacts sont testés immédiatement et les classes sont fermées à l’annonce du premier élève testé positif.

À ce stade, nous disposons de peu d’informations sur ces variants. Quelle est l’évaluation de leur taux de prévalence en France ? Quid de leur niveau de dangerosité ?

Par ailleurs, le Gouvernement prévoit une montée en puissance du séquençage afin d’identifier ces nouveaux variants, avec un objectif de 20 000 échantillons analysés par mois d’ici fin février. Sommes-nous réellement en capacité d’atteindre cet objectif et quelle est notre stratégie ?

Enfin, comment comptez-vous vous assurer que les vaccins actuellement utilisés en France afficheront une efficacité suffisante vis-à-vis des variants, notamment sud-africains ? L’OMS a fait part de ses inquiétudes à ce sujet mardi.

M. Jean-Pierre Door. L’exécutif nous assure que la situation est sous contrôle. Étant sur le terrain, je peux vous assurer que les problèmes sont multiples. Les doses de vaccins sont insuffisantes, les rendez-vous sont suspendus, les vaccinations reportées, avec le télescopage des primo-vaccinations et des rappels etc... Les objectifs de vaccination fixés pour l’été seront certainement difficiles à atteindre.

L’Europe a reconnu des retards dans les commandes de vaccins. Pourquoi la France n’a-t-elle pas pesé davantage sur la Commission européenne afin d’accélérer les commandes de vaccins ?

Par ailleurs, certains affirment que la France est en retard pour le séquençage du génome des variants. Est-ce exact, et une autre stratégie de recherche ne pourrait-elle pas être promue ?

Une étude de l’Institut canadien de cardiologie de Montréal sur la colchicine, portant sur environ 5 000 patients, mettrait en évidence une réduction des symptômes liés au Covid‑19 de plus de 20 %. Il pourrait s’agir d’une piste de traitement. Qu’en pensez-vous ?

Enfin, le directeur de l’APHP a signalé que le confinement était nécessaire. Il existe une divergence de vues entre partisans et opposants de cette solution ; je fais partie de la seconde catégorie.

M. Cyrille Isaac-Sibille. Je souhaiterais vous interroger sur la gestion des données, concernant les dates de vaccination, les types et lots de vaccins, les médecins qui vaccinent, les effets indésirables, etc... Pouvez-vous nous préciser comment ces données seront stockées afin d’assurer un suivi individuel et populationnel à court, moyen et long terme ? Derrière cette question se joue un enjeu majeur de transparence, de pharmacovigilance et de pharmacoépidémiologie, qui cristallise beaucoup d’inquiétudes. L’Assurance maladie a mis rapidement en œuvre un système informatique de suivi de la campagne de vaccination. Un nouveau système autonome et extérieur a été choisi, alors que depuis quatre ans l’Assurance Maladie a la responsabilité du dossier médical partagé (DMP), hébergeant un carnet de vaccination électronique, qui ne fonctionne malheureusement pas. À l’occasion de cette crise, le DMP aurait pu être rapidement déployé et généralisé dans l’ensemble du pays, favorisant un meilleur suivi individuel et une meilleure approche de santé publique. Pourquoi ne pas s’être appuyé sur les outils existants et ne pas avoir saisi l’opportunité de les généraliser, comme le recommandaient dès l’été les membres du Conseil scientifique, du CARE et du Comité vaccin Covid-19 ?

Sur la base de quels critères avez-vous opté pour ce système indépendant et extérieur, au lieu de favoriser le carnet de vaccination électronique qui existe déjà dans trois régions et avait donné lieu à d’importants investissements ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Je vous remercie de votre investissement dans la gestion de cette crise. Ma première question concerne les traitements. Vous avez évoqué les traitements en milieu hospitalier, quid des traitements ambulatoires, qui pourraient nous permettre de vivre avec le virus ?

Par ailleurs, les protocoles sont très, voire trop nombreux. Après un an de crise, pourrions-nous envisager des méthodes de travail à plus long terme ?

Enfin, vous avez évoqué la santé mentale de nos concitoyens. Si nous ne vendons pas beaucoup d’antibiotiques, les problématiques de sommeil et d’anxiété affichent une croissance inquiétante. Vous avez mentionné la création de plateformes, mais n’existe-t-il pas d’autres moyens pour gérer la crise psycho-sociale, qui perdurera bien longtemps après la crise sanitaire ? D’autres moyens ne pourraient-ils pas être mis en œuvre en s’appuyant sur l’ensemble des acteurs de terrain, afin de prendre en charge la santé mentale de nos concitoyens ?

Mme Valérie Six. Je souhaite porter mon intervention sur l’anticipation des mesures à prendre.

Que pouvez-vous nous dire concernant la circulation du variant sud-africain sur notre territoire ? Ce variant semble également plus résistant à certains vaccins, comment le prenez‑vous en compte dans le déploiement de la stratégie vaccinale ? Enfin, que sait-on de la contagiosité de ce variant au niveau des enfants ?

Par ailleurs, la crise a révélé des failles dans nos services de réanimation, qui ne disposent pas de moyens suffisants pour faire face à l’affluence des malades. Quelles leçons en tirez-vous ? Comment anticiper les crises futures ?

De même, quid de l’anticipation des stocks de masques, notamment FFP2, qui semblent plus adaptés ? Qu’avez-vous mis en place depuis un an pour constituer des stocks suffisants pour la crise actuelle et les crises à venir ?

Mme Martine Wonner. J’ai la réputation de tenir des propos moins agréables que ceux de mes collègues et je serai ce matin fidèle à mon image.

En 2020, vous avez quasi quotidiennement entretenu la peur de millions de Français. Vous avez parfaitement réussi, parce que les Français sont terrorisés. En tant que psychiatre, je vous confirme que les Français vont très mal.

Au 10 février 2021, la France comptabilisait 80 443 décès. Pourquoi ne remettez‑vous pas les compteurs à zéro, comme c’est le cas à chaque entrée d’hiver en épidémiologie ? En effet, le chiffre total des décès imputables à la grippe depuis plusieurs années est largement supérieur à ces 80 000 morts. Pourquoi changez-vous de stratégie ?

En mars 2020, j’avais interrogé l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) pour connaître les données de pharmacovigilance relatives à l’hydroxychloroquine. Pour 3 millions de comprimés distribués en trois ans, seuls trois décès ont été recensés, dont un suicide au plaquenil. Dans les deux autres cas, aucun rapport entre l’hydroxychloroquine et le décès n’a pu être prouvé.

Au 23 janvier 2021, nous comptabilisons déjà 57 morts en France suite à la vaccination. Deux poids, deux mesures. Je ne suis pas du tout anti-vaccin, mais constate que les vaccins utilisés à grande échelle sont encore en phase 3, qui ne prendra fin qu’en janvier 2023. Il conviendrait donc d’informer les personnes qui se font vacciner qu’elles rentreront dans un protocole encore non totalement validé, avant la phase 4 d’autorisation de mise sur le marché.

Ma question est simple : combien de morts faut-il encore pour que vous arrêtiez la stratégie vaccinale ?

M. Jean-Hugues Ratenon. La France n’est pas à la hauteur dans la gestion de la crise sanitaire, souffrant d’un manque de réactivité, d’anticipation et de planification des rendez-vous vaccinaux. Comment expliquer que Sanofi se soit fait dépasser par Pfizer, alors que l’entreprise travaille en partenariat avec une biotech américaine depuis 2018 sur l’ARN messager ? Pourquoi le Gouvernement n’a-t-il pas demandé à relancer ce partenariat ? Quelle humiliation pour la France de n’avoir pas pu développer de vaccin… Où était le Gouvernement, où étaient les moyens ? La stratégie vaccinale a également affiché des retards à l’allumage. Les déclarations contradictoires ont entraîné la méfiance de la population.

Le comble de l’indécence a été atteint vendredi dernier lorsque Sanofi a fièrement annoncé un bénéfice net en progression de près de 340 % sur l’année 2020, progressant de 2,8 milliards à 12 milliards d’euros. Le conseil d’administration proposera d’ailleurs un versement total de 4 milliards d’euros de dividendes à ses actionnaires, quand dans le même temps Sanofi supprime des centaines d’emplois… Le silence du Gouvernement le rend complice, au détriment de la santé publique.

Le préfet de la Réunion a décidé d’imposer un couvre-feu de 22 heures à 5 heures du matin, compte tenu de l’aggravation de la situation sanitaire. Selon vous, ce couvre-feu est-il réellement efficace pour stopper ou du moins freiner la propagation du virus et de ses variants ? Il faut savoir que les variants brésiliens et sud-africains sont déjà présents à la Réunion.

Enfin, un arrêté de notre académie a rendu obligatoire le port du masque pour tous les enfants de six à dix ans dans les écoles primaires, sachant que la température atteint 40 °C dans les classes. Des parents se sont opposés à cette décision et ont organisé une manifestation devant la préfecture de Saint-Denis, qui a rencontré un vif succès. Il faut rappeler que l’organisation mondiale de la santé (OMS) est défavorable au port du masque pour les enfants de 6 ans, trop peu d’études ayant démontré son efficacité.

De plus, les experts signalent que le virus circule plus aisément dans les cantines. Pourquoi ne pas embaucher des surveillants supplémentaires et agrandir les espaces de restauration, afin d’assurer une meilleure restauration ?

M. Jérôme Salomon, directeur général de la santé. S'agissant du vaccin, nous avons déployé une plateforme vaccinale interministérielle pilotée par Mme Laetitia Buffet. Cette plateforme assume différentes missions opérationnelles, mais également des missions en amont, en lien avec le Conseil scientifique, le Comité vaccin, le ministère des affaires étrangères et européennes et le ministère de l’économie.

Vous m’avez interrogé sur la recherche fondamentale. La recherche vaccinale comporte plusieurs approches, qui doivent coexister afin de mieux répondre aux risques viraux. Des vaccins de première, deuxième et troisième générations seront développés et nous disposons de chercheurs de qualité en France à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), à l’Institut Pasteur, au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), au Commissariat à l´énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ou dans des biotechs ou start-ups.

Nous sommes conscients des difficultés de mise en place de la vaccination, mais les problématiques se résorbent progressivement et les vaccins qui nous parviennent sont immédiatement dirigés vers les personnes cibles. Notre couverture vaccinale s’améliore, puisque 67 % des résidents en EHPAD ont été vaccinés à ce jour et 28 % des professionnels de santé. Plus de 2 millions de rendez-vous sont d’ores et déjà fixés pour des premières ou deuxièmes injections.

Nous déployons une stratégie d’optimisation permanente de consommation des doses afin de réduire au maximum le stock national et vacciner le maximum de Français. Les premières injections resteront longtemps très nombreuses, sachant que nous pouvons nous appuyer sur l’allongement du délai entre deux doses.

S'agissant du dispositif de pharmacovigilance, l’ANSM a l’obligation de réaliser des bilans réguliers, chaque citoyen pouvant d’ailleurs déclarer un effet secondaire. En termes de santé publique, outre le conseil scientifique, le comité de recherche et le comité vaccin, plusieurs acteurs sont mobilisés : la CNAM avec le protocole conjoint ANSM/CNAM/EpiPhare, ainsi que la cohorte de suivi de vaccination. Nous nous appuyons sur l’ensemble des données disponibles, notamment dans les dossiers pharmaceutiques et médicaux, dans une démarche d’analyse bénéfices-risques. Les bénéfices sont observés sur les cohortes de vaccinés par l’assurance maladie et par Santé publique France qui mesure la couverture vaccinale mais également la réduction de la morbidité et de la mortalité.

Vous avez ensuite évoqué le sujet des variants, qui présentent une contagiosité plus élevée, induisant davantage de cas secondaires par cas primaire et une évolution progressive de l’incidence et de la prévalence. La capacité d’adaptation est naturelle chez un virus, dont l’objectif est d’échapper aux interventions humaines. C’est ce qui explique sa capacité à réinfecter et sa propension à échapper aux vaccins. Le conseil scientifique et le Haut conseil de santé publique (HCSP) ont émis des préconisations en termes de masques, de distanciation, d’éviction et de durée d’isolement. Une enquête très rapide et stricte est mise en œuvre par l’assurance maladie dès lors qu’un variant d’intérêt est détecté. Cette action s’appuie sur notre stratégie de diagnostic rapide. Plus de 2,5 millions de tests sont réalisés chaque semaine, un test antigénique pouvant déboucher sur un test PCR, éventuellement associé à un criblage, afin d’identifier les mutations d’intérêt et confirmer la présence de variants. C’est ainsi que les patients peuvent être informés.

La stratégie de criblage est très différente de la stratégie de séquençage. En effet, la stratégie de criblage est appliquée dans les laboratoires d’analyses médicales et offre un diagnostic plus poussé, afin de donner aux patients les moyens d’agir et d’informer leurs proches. Les démarches sont en effet différentes selon qu’un variant d’intérêt est identifié. Nos laboratoires sont donc pleinement mobilisés sur ces criblages. Le séquençage constitue pour sa part un enjeu de surveillance nationale de la circulation des variants, actuels et futurs. Nous devons en effet nous tenir prêts à détecter de nouveaux variants si ceux-ci venaient à apparaître. Le séquençage est piloté par l’ANRS, puisque la recherche et l’épidémiologie fonctionnent désormais de manière coordonnée.

M. Door a évoqué les enjeux thérapeutiques. Nous sommes fortement mobilisés sur les essais cliniques et ouverts aux idées neuves de nos cliniciens : colchicine, anticorps monoclonaux, Interferon, plasma de convalescents ou de vaccinés, etc. Tous ces sujets sont en cours d’évaluation scientifique par les comités ad hoc et nous y sommes très favorables.

De la même manière, nous surveillons la dégradation de la santé mentale et mettons l’accent sur le dépistage précoce, pouvant être assuré par les proches, de troubles anxieux, de troubles du sommeil et autres changements de comportement. Toutes les mesures pouvant contribuer au dépistage précoce sont encouragées, en lien avec les acteurs de terrain mais également les partenaires de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et les collègues de travail. Cette mobilisation citoyenne en faveur de la santé mentale est particulièrement importante.

Vous m’avez également interrogé quant à Mayotte, frappée par la diffusion majoritaire du variant sud-africain, qui a bénéficié de renforts humains et logistiques. La mobilisation a également concerné l’armée et des personnels de sécurité civile. Des évacuations sanitaires ont ainsi pu être organisées vers la Réunion. Je tiens à souligner la forte collaboration au sein de l’Océan indien.

Quant à l’anticipation face au risque de contagiosité, je laisserai ma collègue de la direction générale de l'offre de soins (DGOS) le soin de détailler le plan de renforts humains et hospitaliers, mais nous suivons de près les enjeux de ressources humaines et de matériel. Les niveaux des stocks sont très élevés et nous devrons d’ailleurs conduire une réflexion quant à leur devenir. Il convient en effet de définir une stratégie sur la question de l’accès aux stocks, qui constitue une question de souveraineté nationale, en prévision de nos besoins futurs.

Enfin, vous avez évoqué les mesures relatives aux écoles et à la restauration collective. Les consignes d’hygiène sont appliquées au quotidien de façon très sérieuse. En revanche, le covoiturage et les moments de convivialité conduisant au non-port du masque demeurent des moments à risque. Nous travaillons avec l’éducation nationale sur les repas collectifs, la distanciation et la limitation des brassages, en faisant en sorte que les enfants déjeunent toujours avec les mêmes camarades.

S'agissant enfin des résultats des variants, ces derniers évoluent au quotidien, en fonction des tests PCR de criblage réalisés par les laboratoires. Des enquêtes flash ont été menées début et fin janvier, dont les résultats ont été publiés par Santé publique France. Nous enregistrons une moyenne de 15 % de variants au niveau national, avec toutefois des disparités importantes en fonction des territoires, certains départements n’ayant encore quasiment pas détecté de variants.

Nos concitoyens sont très respectueux des consignes, 85 % des Français déclarant appliquer les gestes barrières. Nous sommes très attentifs aux enjeux de santé mentale et je partage l’inquiétude de Mme Wonner sur le sujet. J’entends ses remarques sur la mortalité, que je transmettrai aux responsables des statistiques. Des efforts ont été réalisés concernant le soutien psychologique et psychiatrique de terrain, en lien avec les psychiatres, les pédopsychiatres, les psychologues, auprès des centres gérant les populations les plus précaires, à la demande des assistantes sociales de secteur. Des créations d’emploi sont intervenues auprès des cités universitaires. Nous travaillons également avec le Centre national des œuvres universitaires et scolaires (CNOUS) et le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Ces mesures interviennent dans le cadre du Ségur de la santé mais également de l’accès à la consultation pour les populations précaires. Nous avons également étendu le dispositif Ecout’émoi ainsi que le dispositif de dépistage des menaces suicidaires.

M. Cyrille Isaac-Sibille. Pouvez-vous répondre quant au carnet de vaccination électronique ?

M. Jérôme Salomon. En tant qu’infectiologue, je suis évidemment un promoteur du carnet de vaccination électronique. Une décision collective a été prise, beaucoup d’acteurs étant concernés par le choix du système d’information. Je partage votre interrogation, mais les choix de systèmes d’information ne dépendent pas uniquement de la DGS. D’autres acteurs sont en charge de l’architecture numérique et de la capacité des réseaux à remonter les données de l’assurance maladie. Je vous invite à solliciter la direction du numérique (DNUM) mais également l’assurance maladie, concernant le choix d’un système d’information certes performant, mais nouveau. D’autres dispositifs existaient, même s’ils n’étaient ni exhaustifs ni disponibles immédiatement.

Mme Marie-Pierre Rixain. Par précaution, les femmes enceintes sont systématiquement exclues des premiers essais cliniques. Il n’a pas été dérogé à ce principe lors de la conception des différents vaccins contre le Covid-19 et la HAS, dans ses recommandations, n’a pas souhaité inclure les femmes enceintes dans les populations à vacciner en priorité et ne fournit pas d’indication concernant les femmes allaitantes. Au Royaume-Uni, les autorités ont choisi d’exclure les femmes enceintes et allaitantes des programmes de vaccination, tandis que la décision a été laissée aux femmes aux États-Unis.

Pourtant, d’après le docteur Isabelle Boucoiran pilotant le volet québécois d’une étude canadienne sur le Covid-19 et les femmes enceintes, celles-ci présenteraient un taux d’hospitalisation trois à cinq fois supérieur à celui des femmes de leur âge ayant eu le Covid‑19. De même, une étude publiée dans la revue Jama Internal Medicine démontrait que le Covid-19 est associé à un risque accru de problèmes de pression artérielle et de naissances prématurées.

Il est donc important de rappeler qu’a priori les femmes enceintes ne présentent pas de contre-indications à la vaccination avant le troisième trimestre. Afin que le principe de précaution ne s’applique pas au détriment des femmes enceintes, comment concilier les bénéfices et les risques de la vaccination pour ce risque et ainsi garantir aux femmes enceintes et allaitantes l’accès à ce qui reste notre meilleure défense face au virus, le vaccin ? Pour conclure, je tiens à préciser que je ne m’associe aucunement aux propos de ma collègue Martine Wonner, que je juge dangereux.

M. Bernard Perrut. Le ministère de la santé a recouru à des cabinets de conseil, comme d’autres gouvernements avant lui. La fréquence et le montant des commandes, rendus publics hier par Véronique Louwagie, membre de la commission de finances, peuvent toutefois interroger : 11,35 millions d’euros, pour 28 commandes, soit plus d’un million d’euros de dépenses de conseil par mois, plus de 250 000 euros par semaine. Ce montant est effectivement une goutte d’eau rapporté au coût global de la crise sanitaire, mais il témoigne toutefois d’un défaut d’organisation, d’une perte d’expertise de nos institutions dans la gestion des crises.

Je ne vous en rends pas responsable, mais je souhaiterais avoir votre avis sur ce constat. Les commandes concernent d’ailleurs des prestations d’appui à la création, de maintenance de différents systèmes d’information, de modélisation, d’analyses de simulation, d’accompagnement logistique, de gestion des stocks, de coordination, etc. Une commande a même été passée en réponse à des questions parlementaires et de la Cour des comptes. Ces missions ne pourraient-elles pas être menées par nos administrations ? Ne devrions-nous pas nous doter d’une véritable organisation à même de faire face à ce type de crise ?

Ma seconde question concerne les lits de réanimation. Plusieurs organisations professionnelles réclament une augmentation du nombre d’internes de réanimation formés chaque année, afin d’assurer le renouvellement des générations. Elles appellent également au doublement, à terme, du nombre de lits de réanimation pérennes. Comment justifier la pénurie de lits de réanimation, plaçant la France parmi les derniers pays de l’OCDE en termes d’équipements et structures de réanimation ? Que pouvons-nous faire pour nous préparer à des jours meilleurs ?

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Je m’associe à la reconnaissance exprimée par mes collègues, face à la situation difficile à laquelle vous faites face. Lors d’une émission diffusée hier par France Culture, M. Antoine Flahault, professeur de santé publique à Genève, ainsi que Mme Anne-Claude Crémieux, qui intervient à l’hôpital Saint-Louis, interpellent le Gouvernement quant à sa stratégie de santé publique.

Cette crise sanitaire pointe effectivement différents enjeux, pour ne pas dire différentes difficultés, notamment en termes de réactivité, d’anticipation et d’acculturation. Mes échanges avec plusieurs instances, telles que Santé publique France ou différentes agences régionales de santé, confirment ce constat.

Les lenteurs dans la mise en place de la stratégie et la coordination des professionnels mettent en lumière les problématiques du système de santé publique au sein des écoles, pointées par de nombreux rapports, malheureusement en vain.

Les discours dissonants de professionnels, plus ou moins compétents en santé publique, prêtent à confusion et induisent une perte de confiance de la part de nos concitoyens. Quelles réflexions menez-vous sur notre politique de santé publique, en termes de pilotage, de gouvernance, d’organisation, de déclinaison ? Une mission est conduite par la Cour des comptes au sujet de la politique de prévention en France : quels enseignements pour la stratégie future ?

Enfin, quid d’une stratégie commune pour une politique de santé publique européenne ?

Mme Geneviève Levy. L’analyse des données présentées sur le site data.gouv laisse circonspect et suscite de l’inquiétude.

Quels sont les critères de répartition des vaccins entre les régions ? Je constate un manque de doses dans ma région, la région PACA, alors que les situations sont assez hétérogènes selon les territoires. En effet, 396 290 doses avaient été livrées en PACA au 3 février, soit un ratio de 58 doses pour 100 personnes éligibles, tandis que la région Bourgogne-Franche-Comté disposait à la même date de 361 085 doses, soit un ratio de 102 doses pour 100 personnes éligibles. Le taux d’incidence le plus élevé est de 200 en Haute-Saône, où le taux d’occupation des lits de réanimation est de 69,7 %. Dans ma région, le taux d’incidence atteint 453 dans les Alpes-Maritimes, pour un taux d’occupation des lits de réanimation de 90 %.

Y a-t-il une organisation à deux vitesses ? Nous avons besoin de transparence, ainsi que vous l’avez rappelé.

M. Thierry Michels. Je m’associe aux remerciements pour votre engagement constant face à la crise sanitaire. Au-delà de la réponse française, je souhaite avoir votre regard sur la réponse européenne face à cette crise qui ne connaît pas de frontières. Nous pouvons tous nous féliciter qu’après le moment de sidération qui a frappé tous les pays de l’Union européenne, cette coopération s’est progressivement mise en place. Elle s’est notamment concrétisée via le programme coordonné d’achat de vaccins au niveau de l’Union européenne. Que pouvez-vous nous dire au sujet de la coopération en matière de partage de bonnes pratiques et de recherche, concernant la prise en charge des malades à l’hôpital ou la mise à disposition de traitements novateurs ? Je pense notamment à la déception faisant suite à l’abandon du remdesivir. Quelles perspectives avons-nous de l’approbation au niveau de l’Union européenne de traitements innovants ?

De manière plus générale, quels sont de votre point de vue les domaines dans lesquels la coopération européenne a été la plus fructueuse, et a contrario ceux dans lesquels la coopération doit être renforcée, y compris dans le cadre d’un élargissement des compétences de l’Union européenne ?

M. Jean-Jacques Gaultier. Vous n’aviez pas évoqué la question du séquençage dans vos propos introductifs, vous y êtes revenus par la suite. Le séquençage est une technique qui permet de connaître le génome du virus et ainsi de surveiller la circulation des variants connus, mais également d’observer l’apparition de nouveaux variants.

Combien de séquençages sont-ils réalisés en France actuellement ? 11 000 à 12 000 cas positifs sont recensés chaque semaine dans la région Grand-Est et le Centre hospitalier universitaire (CHU) de Nancy réalise 80 séquençages par semaine. Un an après le premier séquençage chinois, combien de séquençages sont-ils réalisés en France et qui les finance ? Comptez-vous inscrire cette technique à la nomenclature des actes de biologie médicale ? Ce n’est pas le cas actuellement, ce qui signifie que les séquençages sont théoriquement à la charge des patients.

M. Belkhir Belhaddad. Je salue également l’excellent travail réalisé par vos équipes et vous-même. Je souhaite porter l’accent sur les remontées de terrain en provenance des EHPAD, où la campagne de vaccination progresse. Sous quels délais pourra-t-on considérer le niveau d’immunité collective comme suffisant ? Par ailleurs, certains résidents ont fait le choix de ne pas se faire vacciner : comment reprendre un rythme normal de visites tout en les protégeant ?

Enfin, de récents reportages télévisés ont mis en avant les difficultés de certains centres de vaccination, qui ont dû fermer leurs portes. J’imagine que ces centres ont bénéficié d’autorisation de l’ARS pour ouvrir leurs portes. Quelles sont les véritables difficultés d’approvisionnement et quelle est l’ampleur de ces fermetures ?

M. Thibault Bazin. Les concitoyens âgés de 65 à 75 ans sont très inquiets. En effet, le vaccin Astra Zeneca a été déconseillé pour les plus de 65 ans, tandis que les vaccins Pfizer et Moderna sont réservés aux plus de 75 ans.

Les délais sont tels que plus aucune date n’est communiquée pour cette tranche de la population. Quand ces personnes pourront-elles bénéficier de la vaccination ?

M. Jérôme Salomon, directeur général de la santé. Notre politique de priorisation des vaccins s’appuie sur l’avis du comité technique de vaccination de la HAS, qui identifie l’âge comme facteur de risque principal, associé aux comorbidités. Vous avez raison concernant les personnes âgées de 65 à 75 ans, même si certains pays ou l’OMS ne déconseillent pas le vaccin d’Astra Zeneca pour cette tranche de la population. Le problème n’est pas son efficacité, mais le manque de données préliminaires. Par ailleurs, Pfizer et Moderna doivent accroître leur allocation dans les semaines et mois à venir, tandis que d’autres candidats vaccins doivent être examinés par l’autorité réglementaire européenne. Nous espérons bénéficier d’un ou deux vaccins supplémentaires prochainement, afin de répondre à la problématique que vous soulevez.

Par ailleurs, la répartition des vaccins est pilotée par la task force en fonction des populations cibles, sans discrimination aucune entre territoires. Nous avons ciblé les personnes âgées de plus de 75 ans, au travers de plusieurs circuits de vaccination, en EHPAD ou en établissements de santé référents. Nous basculons désormais vers une vaccination de ville, avec le soutien des professionnels de santé.

S'agissant des femmes enceintes, aucune alerte n’a été signalée concernant cette population. Les hospitalisations sont peut-être plus importantes pour des raisons de surveillance, mais nous ne constatons pas davantage de formes graves chez les femmes enceintes, contrairement au virus de la grippe, et n’avons pas enregistré d’effet sur les bébés à naître. Il n’existe aucune contre-indication du vaccin pour cette population, même si les femmes enceintes ne font pas partie des personnes prioritaires, notamment du fait de leur âge.

À titre d’information, je signale que nous comptabilisons 70 % d’hommes en réanimation, alors que 60 % des personnes vaccinées sont des femmes.

Vous avez évoqué la question de l’immunité en EHPAD. Il convient de prendre en compte l’immunosénescence des personnes âgées, notamment très âgées. Nous veillons à ce que les deux injections soient réalisées et attendons un délai de 15 jours avant d’affirmer l’immunité. Nous recherchons également une immunité de groupe au sein des EHPAD, pouvant être atteinte en quelques semaines via la mobilisation des résidents et des professionnels de santé.

Par ailleurs, plus d’un million de nouveaux rendez-vous devraient être programmés dès le mois de mars. Nous affichons toutes nos capacités de doses, afin que les Français puissent prendre rendez-vous, même si ce n’est que sous plusieurs semaines, dans un souci de transparence.

Nous avons recouru à des cabinets de conseil, même si le pouvoir de décision reste au niveau de l’État et si les cabinets n’interviennent qu’en appui. Des sujets n’auraient pas dû être confiés à des prestataires, mais en réalité, ces derniers ont rendu compte de leur action dans ce cadre, et n’ont pas répondu directement aux sollicitations que vous avez citées, qui sont nombreuses en ce moment – missions d’inspection, audits, questions parlementaires... Je relis attentivement toutes les réponses aux questions parlementaires. Le diagnostic réalisé par Mme Louwagie interroge quant à notre capacité de gestion de crise. Nous devons à nos concitoyens une véritable réflexion sur l’armement de l’État face aux futures crises, notamment d’un point de vue opérationnel. La Cour des comptes n’avait pas pointé cet enjeu opérationnel en 2010, mais nous devons recenser les forces de l’État pour la gestion de crise. L’Assemblée nationale a déjà travaillé sur ces sujets au travers de la mission sur le « sourcing », qui reprendra son activité après la crise, ou de la mission dédiée aux conflits d’intérêts.

Vous m’avez interrogé sur les traitements innovants et les bonnes pratiques. Nous sommes en veille permanente au niveau du groupe de travail, du Conseil scientifique, du Comité recherche ou encore du binôme ministère de la santé – ministère la recherche. Nous sommes attentifs en amont à tout ce qui est source d’innovation, afin de mieux répondre aux enjeux.

Nos perspectives de recherche médicale sont nombreuses au niveau européen. Ce n’est pas le cas en santé, puisque ce sujet relève des compétences régaliennes. Nous pouvons toutefois avancer sur la recherche clinique, sur les traitements innovants, sur la réponse aux menaces conjointes européennes. Mes échanges réguliers avec mes homologues européens portent sur l’anticipation, sur la préparation face au réchauffement climatique. Les renforts humains européens et les évacuations sanitaires européennes constituent d’importantes pistes de collaboration.

Par ailleurs, nous avons besoin du séquençage pour comprendre la composition du virus. Il ne s’agit pas ici de diagnostic individuel mais bien de surveillance nationale de la circulation du virus. Il existe donc un enjeu qualitatif de performance du séquençage, mais également quantitatif. En effet, il n’est pas pertinent de séquencer l’ensemble d’un cluster, puisque le virus est bien souvent identique. Un travail est en cours au niveau de l’ANRS et de Santé publique France, afin de définir la meilleure stratégie de séquençage.

Nos capacités de séquençage ont significativement augmenté au cours des dernières semaines. Les Anglais, qui affichent une capacité de séquençage assez élevée, n’ont malheureusement identifié le variant britannique comme majoritaire que fin décembre, alors qu’il circulait vraisemblablement depuis le mois de septembre. Ce constat met en avant l’enjeu de réactivité du séquençage et de lien entre la recherche et une activité d’alerte épidémiologique. Ces sujets sont examinés par l’ANRS et Santé publique France afin de définir le meilleur schéma cible du séquençage français, qui doit être national et calibré pour fournir des réponses rapides. Nos capacités de séquençage ont plus que quadruplé au cours des derniers jours et nous devrions partager des résultats d’ici quelques jours, afin de mettre en lumière les efforts des laboratoires de recherche.

Je laisserai ma collègue de la DGOS répondre aux questions relatives aux moyens hospitaliers, puisque vous l’interrogez cet après-midi. Je précise simplement que les soins intensifs et les soins continus font partie de nos capacités de réponse aux pathologies critiques de nos concitoyens.

Pour répondre à Mme Tamarelle-Verhaeghe, dont je partage l’appétence pour la santé publique, je suis de ceux qui pensent que la santé publique n’est pas réservée aux spécialistes mais constitue un enjeu collectif national. Les élus jouent un rôle majeur dans ce domaine, de même que les acteurs de l’éducation : promotion de la santé, éducation à la santé, culture de la santé publique, etc. Le plan national de santé publique met l’accent sur l’éducation à la santé et nous affichons d’excellents résultats en termes de sécurité routière ou de tabagisme des jeunes. Nos acquis en matière de prévention du risque infectieux doivent être préservés et l’acteur clé pour la promotion de la santé publique est l’éducation nationale. Vous savez que les forces de santé de l’éducation nationale ne dépendent pas du ministère de la santé, mais nous devons travailler ensemble afin de dresser les grandes priorités de santé publique, pour un meilleur pilotage. Une fois encore, un benchmark international, les relations avec l’OMS et un travail collectif européen nous permettraient de profiter des expériences de nos voisins. En effet, la santé publique est davantage développée dans le nord que dans le sud de l’Europe.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Merci pour la clarté de vos réponses et comme l’ont souligné à juste titre les députés, pour la qualité du travail mené par vous et vos équipes, dans un contexte de crise inédite, qui nous oblige à faire preuve de beaucoup d’humilité.

La réunion s’achève à onze heures vingt.