Compte rendu
Commission
des affaires sociales
– Examen du rapport de la mission d’information « Maladie de Lyme : améliorer la prise en charge des patients » (Mme Jeanine Dubié, présidente ; Mme Nicole Trisse et M. Vincent Descoeur, rapporteurs) 2
– Examen du rapport de la mission d’information « Organisation des professions de santé : quelle vision dans dix ans et comment y parvenir ? » (M. Cyrille Isaac-Sibille, rapporteur) 32
– Présences en réunion.................................33
Mercredi
7 juillet 2021
Séance de 9 heures 30
Compte rendu n° 103
session extraordinaire de 2020-2021
Présidence de
Mme Fadila Khattabi,
Présidente
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COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Mercredi 7 juillet 2021
La séance est ouverte à neuf heures trente.
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La commission examine le rapport de la mission d’information « Maladie de Lyme : améliorer la prise en charge des patients » (Mme Jeanine Dubié, présidente ; Mme Nicole Trisse et M. Vincent Descoeur, rapporteurs).
Mme Jeanine Dubié, présidente de la mission d’information. Nous achevons aujourd’hui les travaux de notre mission d’information intitulée « Maladie de Lyme : améliorer la prise en charge des patients ».
Avant de laisser le soin à mes collègues Nicole Trisse et Vincent Descœur de présenter leur rapport, je voudrais revenir sur l’esprit dans lequel nous avons travaillé. En effet, ce n’est pas un hasard si nous nous sommes retrouvés tous les trois sur cette mission d’information puisqu’ensemble, depuis le début de la législature, nous travaillons, dans le cadre d’un groupe d’études, sur cette maladie de Lyme dont nous entendons parler de plus en plus souvent.
Cette implication de notre part résulte d’alertes régulières que nous recevons non seulement de la part d’associations de patients, mais également de patients que nous rencontrons directement dans nos circonscriptions et qui nous disent qu’ils sont malades, qu’ils sont atteints de la maladie de Lyme, qu’ils souffrent, physiquement et psychologiquement, et que notre système de soins les a abandonnés.
Évidemment, cet appel ne peut pas laisser indifférents les parlementaires que nous sommes. Nous avons ainsi conduit de nombreuses auditions dans le cadre du groupe d’études afin de parvenir à mieux cerner cette question. Néanmoins, nous ne parvenions pas réellement à comprendre où se situaient les points de blocage pour la prise en charge de ces patients et pas davantage les raisons pour lesquelles de si violentes passions se déchaînaient autour de cette question et l’inertie qu’elles engendraient.
Nous avons donc souhaité élargir notre analyse. Dès lors, nous remercions le bureau de la commission des affaires sociales d’avoir accepté de créer cette mission d’information qui a été vraiment très instructive et qui permet aujourd’hui à nos rapporteurs de vous présenter des préconisations très concrètes afin de progresser.
Nos travaux se sont déroulés depuis le mois de février 2021 dans une atmosphère constructive. Nous avons auditionné l’ensemble des acteurs concernés par cette question, à plusieurs reprises lorsque cela s’avérait nécessaire. Nous avons entretenu des échanges suivis avec eux de sorte à approfondir les sujets qui l’imposaient. Nous avons effectué deux déplacements dans deux hôpitaux spécialisés dans la prise en charge de ces patients.
C’est donc avec une meilleure compréhension de ce dossier très complexe que nous nous présentons devant vous aujourd’hui, empreints d’un mélange d’inquiétude et d’espoir quant à la situation de ces patients qui sont au cœur de nos travaux.
Je laisse à présent parole à mes collègues rapporteurs, que je remercie pour leur travail et leur investissement.
M. Vincent Descœur, rapporteur. Comme l’a laissé entendre la présidente de notre mission d’information, et comme vous le savez peut-être déjà pour avoir assisté aux tables rondes organisées en septembre dernier, la maladie de Lyme constitue un sujet complexe parce que toute affirmation touchant à cette maladie prête le flanc à la controverse.
Nous allons donc essayer de délimiter notre sujet en en définissant les termes. La maladie de Lyme ou, plus précisément, la borréliose de Lyme, est une maladie infectieuse provoquée par une bactérie, la Borrelia burgdorferi, transmise à l’homme par des piqûres de tiques du genre Ixodes. Ses manifestations peuvent être très diverses. Dans un premier temps, elle provoque un érythème migrant, c’est-à-dire une lésion circulaire rouge autour du site de la piqûre, qui évolue de manière centrifuge jusqu’à disparaître. Cependant les difficultés apparaissent dès ce stade, car cet érythème migrant n’est pas systématique ou, plus exactement, n’est pas systématiquement repéré.
Cette infection peut parfois évoluer vers des formes disséminées, liées à la migration de la bactérie dans certains organes. À ce stade, les patients peuvent présenter des symptômes très divers : dermatologiques, neurologiques, articulaires, cardiaques ou encore ophtalmologiques. Ces symptômes peuvent apparaître quelques jours, quelques semaines, voire plusieurs années après la piqûre de tique. En outre, ces symptômes sont souvent non spécifiques, c’est-à-dire qu’ils sont communs à d’autres maladies.
Afin de diagnostiquer la maladie, il faudrait donc idéalement identifier la bactérie dans l’organisme. Mais ce n’est pas aisé, car les méthodes de détection directe de type PCR ne fonctionnent pas correctement ou ne sont pas praticables. Il reste donc la sérologie, qui permet de détecter des anticorps de la maladie de Lyme, avec les limites que nous lui connaissons, à savoir les faux positifs et les faux négatifs. En outre, elle ne permet pas de prouver une infection active, mais uniquement un contact de l’organisme avec la bactérie.
Face à cette maladie, nous sommes donc confrontés à une série d’inconnues qui tiennent en partie aux limites des méthodes diagnostiques disponibles, mais pas uniquement. Elles relèvent également d’un défaut de connaissances sur la borréliose de Lyme et, de manière générale, sur les maladies vectorielles à tiques. En effet, les tiques sont porteuses de nombreux agents infectieux, dont plusieurs provoquent des maladies chez l’homme.
Ce manque de connaissances s’avère très préjudiciable pour les patients. La borréliose de Lyme se traduisant par des signes polymorphes plus ou moins caractérisés, de nombreux patients peuvent attribuer leurs symptômes à cette maladie. Lorsque les tests biologiques restent négatifs et qu’aucun diagnostic différentiel solide n’est établi, les patients se retrouvent en situation d’errance. Ils enchaînent alors les consultations médicales chez des spécialistes variés, pendant plusieurs mois, voire plusieurs années. Parfois, ils sont obligés d’arrêter de travailler ou d’interrompre leur scolarité lorsqu’il s’agit d’enfants ou d’adolescents qui sont en effet, parmi les premiers concernés, en particulier par les manifestations neurologiques de la borréliose de Lyme. In fine, il est fréquent que les patients se tournent vers des thérapies alternatives, généralement à grands frais.
Quel est le traitement de la maladie de Lyme, si tant est que cette maladie soit en cause ? Nous nous trouvons ici face à un nouveau sujet de controverses. L’état actuel des connaissances scientifiques laisse à penser que cette maladie se traite simplement, par la prise d’antibiotiques pendant une durée n’excédant généralement pas un mois. Pourtant, certains patients traités pour une borréliose de Lyme ont des symptômes persistants à l’issue de la cure antibiotique. La présence de la bactérie n’ayant pas pu être mise en évidence chez ces patients, la plupart des médecins s’accordent à penser qu’il s’agit de séquelles, alors que d’autres, moins nombreux, considèrent que la Borrelia est toujours présente, « cachée » dans les tissus, et qu’il convient de poursuivre les traitements antibiotiques au long cours de sorte à l’éradiquer.
Dans le cadre de notre mission, nous n’avons évidemment pas eu la prétention de trancher ces questions et tel n’était d’ailleurs pas notre objet. Peu importe, de notre point de vue, que ces patients souffrent d’une borréliose de Lyme active, de séquelles ou d’une autre maladie non diagnostiquée. Notre souci réside dans l’errance médicale de ces patients en l’absence de certitudes scientifiques et de traitement pour les soulager. Nous estimons que l’errance médicale représente une problématique de santé publique qui n’est pas suffisamment prise en compte par les autorités sanitaires. D’ailleurs, aucune évaluation de cette errance n’est organisée, ni par le ministère de la santé, ni par les caisses d’assurance maladie, ni par les agences régionales de santé (ARS). Nous disposons donc d’une vision très approximative de son ampleur, à travers les témoignages recueillis.
Nous alertons au sujet de cette errance médicale et nous pointons du doigt l’incapacité de notre système de soins à la prendre en compte. Nous pensons que l’absence de réponse scientifique ne constitue pas un motif suffisant pour priver les patients de soins, voire mettre en doute leur souffrance ou leur coller systématiquement l’étiquette « psy ».
Mme Nicole Trisse, rapporteure. Ces patients souffrent et il faut les prendre en charge. Cela implique d’abord d’écouter leur souffrance et, ensuite, de tenter tous les traitements que la médecine est susceptible de proposer. À défaut de diagnostic et de traitement approprié, il conviendra a minima de soulager leurs symptômes dans une relation d’accompagnement.
Le constat de l’errance des « patients Lyme » a été posé par nos autorités sanitaires depuis plusieurs années et des bonnes résolutions avaient déjà été prises. En 2016, un plan national de lutte contre les maladies vectorielles à tiques a été adopté sous l’impulsion de la ministre Marisol Touraine. L’axe stratégique 3 de ce plan prévoit la mise en place d’un parcours de soins pour les patients affectés de troubles attribués à la maladie de Lyme ou à une autre maladie vectorielle à tiques. Il prévoit l’élaboration d’un protocole national de diagnostic et de soins afin de prendre en charge ces patients. Toutefois, la mise en œuvre de ce plan n’a pas été à la hauteur des attentes en raison non seulement des polémiques scientifiques, dont la violence défie l’entendement et qui ont tendance à bloquer toute initiative constructive sur cette question, mais également d’un manque d’engagement de la part de certains acteurs concernés, probablement en partie lié au climat de controverses, et d’un défaut de moyens, indispensables à la réalisation de ce plan. Nous n’affirmons pas qu’aucune action n’a été engagée depuis 2016, mais simplement qu’elles ont généré très peu d’effets bénéfiques pour les patients.
Un groupe de travail a été mis en place en 2018, sous l’égide de la Haute Autorité de santé (HAS), afin d’élaborer des recommandations pour la prise en charge des « patients Lyme », mais ses participants ont refusé de s’associer aux recommandations finales.
En 2019, le ministère a annoncé la mise en place d’un parcours de soins en trois niveaux pour la prise en charge de ces patients. Premier niveau : les médecins généralistes, idéalement les médecins traitants qui, connaissant bien leurs patients, seraient aptes à identifier une suspicion de maladie vectorielle à tiques. Deuxième niveau : des centres de compétence régionaux chargés de la prise en charge des cas complexes, via une équipe pluridisciplinaire. Troisième niveau : cinq centres de référence interrégionaux, à savoir Rennes, Villeneuve-Saint-Georges associé à Créteil, Strasbourg associé à Nancy, Clermont‑Ferrand associé à Saint-Étienne et Marseille.
Les centres de référence ont été sélectionnés sur dossier au mois de juillet 2019 et pourvus d’une dotation annuelle de 300 000 euros. Leurs missions principales consistent à assurer la prise en charge de recours des patients très complexes, à conduire de la recherche clinique, à organiser et maintenir la coordination du réseau.
En réalité, le démarrage de leurs activités a été très lent et très inégal selon les centres. Nous en avons visité deux et nous avons constaté des fonctionnements très différents, ce qui nous laisse un peu sceptiques quant à cette notion de « centre de référence ».
S’agissant des centres de compétence, le plus grand flou règne quant à leurs activités et, dans une certaine mesure, quant à leur identité. Le ministère a rencontré des difficultés à nous en fournir une liste.
La réalité des activités de ces centres est complexe à apprécier en raison de l’absence de données objectives. Il semble bien que la plupart d’entre eux soient simplement des services d’infectiologie qui se proposent de recevoir ces patients, mais sans réelle organisation en ce sens. Certains pourtant sont très actifs dans ce domaine, avec une file active et importante de patients ainsi que des moyens humains et matériels dédiés ; ils sont cependant très minoritaires. En outre, force est de constater que ces centres ne bénéficient d’aucun financement, ce qui est problématique pour une activité manifestement complexe à rentabiliser via la tarification à l’activité (T2A), car la prise en charge des « patients Lyme » suppose un temps médical important.
S’agissant du premier niveau, les médecins généralistes sont censés être sensibilisés et formés afin de prendre en charge et d’orienter ces patients. Dans les faits, il n’est pas possible de déployer ce niveau de prise en charge parce que les médecins généralistes ne sont pas en mesure de suivre ces patients complexes, au-delà de l’érythème migrant. Nous constatons non seulement des problèmes de formation, mais également et surtout une impasse matérielle : il est impossible aux médecins généralistes d’appréhender ces patients dans toute leur complexité dans le cadre d’une consultation standard de quinze minutes alors qu’ils sont souvent déjà surchargés par ailleurs, la démographie médicale étant ce qu’elle est.
Bref, le parcours de soins relevait d’une bonne idée sur le papier, mais la mise en œuvre pêche gravement. En outre, l’absence totale de communication et d’information quant à ce parcours – bien souvent, ni les médecins ni les patients ne connaissent son existence – n’a pas favorisé l’amélioration de la prise en charge des « patients Lyme » depuis 2019.
Cela ne signifie pas que nous devions renoncer au plan Lyme de 2016 qui, selon nous, préconisait des orientations pertinentes. Il convient dorénavant de les mettre en œuvre et de leur attribuer des moyens.
S’agissant de nos préconisations, nous estimons qu’il importe prioritairement et impérativement de mettre fin à ce climat de polémique délétère qui décourage les bonnes volontés et dont les patients sont les premières victimes. Les personnalités « clivantes » doivent être écartées du parcours de soins afin de laisser place à d’autres acteurs plus constructifs.
Nous présentons par ailleurs une série de recommandations de sorte à donner du corps à ce parcours de soins, dont certaines présentent un enjeu important.
Nous préconisons la création d’une consultation longue, avec une cotation de « consultation complexe », voire « très complexe », afin de prendre en charge les patients se présentant avec des symptômes polymorphes non attribués. Il s’avère impératif d’installer la possibilité d’une écoute attentive dès les premières étapes du parcours de soins afin d’éviter l’errance médicale. La consultation longue nous semble représenter une méthode satisfaisante.
Nous sollicitons l’attribution de moyens aux centres de compétence qui ont une file active importante de patients afin de financer les coûts supports et transversaux non valorisés dans le cadre de la T2A.
Nous appelons à une accélération du déploiement des centres de référence et à une harmonisation de leurs pratiques, en se fondant sur un recueil des bonnes pratiques élaboré en lien avec les associations de patients. Dans ce cadre, les pratiques déployées au centre de référence de Villeneuve-Saint-Georges nous ont paru intéressantes à plusieurs égards. Nous estimons que ces bonnes pistes pourraient valablement être reprises à l’échelle du réseau, non seulement dans les centres de référence, mais également dans les centres de compétence.
Nous appelons le ministère à renforcer l’évaluation de ces centres. Les différences de pratiques observées et le caractère lacunaire de plusieurs rapports d’activité ne nous semblent pas acceptables à plus long terme.
Certes, ce réseau a subi la pandémie de plein fouet et ces centres reposent sur des services d’infectiologie qui sont en première ligne dans la crise sanitaire. Cependant, il importe d’accentuer la pression sur ce réseau, car il est urgent qu’il produise enfin les effets attendus pour les patients.
M. le rapporteur. Nos recommandations insistent également sur la nécessité de développer la recherche sur les maladies vectorielles à tiques et les troubles chroniques qui leur sont associés. Cet aspect ne figurait pas au centre de notre rapport parce qu’il a fait l’objet d’un rapport de notre collègue de la commission des finances, Véronique Louwagie. Il n’en demeure pas moins, selon nous, un aspect incontournable afin d’améliorer la prise en charge des patients. L’amélioration des connaissances scientifiques est capitale.
Des fonds importants sont débloqués actuellement pour la recherche en santé humaine, non seulement en France, mais également à l’échelle de l’Union européenne. Nous pensons qu’il est impératif qu’une partie de ce budget soit consacrée à améliorer les connaissances sur les maladies vectorielles à tiques.
Par ailleurs, nous préconisons de nous inspirer des recherches menées sur le « covid long » pour entreprendre des recherches sur les troubles chroniques associés à la maladie de Lyme. S’agissant du « covid long », des cohortes ont été créées et elles ont permis d’acquérir très rapidement une vision satisfaisante des troubles associés à cette pathologie. Nous pourrions procéder de manière identique pour les « patients Lyme », car une telle démarche serait très porteuse d’enseignements.
Nous appelons enfin à une remobilisation du ministère de la santé dans son ensemble afin de porter la mise en œuvre du plan Lyme et de produire un effort important de communication et d’information à ce sujet. Nous pensons aussi qu’il importe que les ARS assument davantage leur rôle dans ce domaine, et nous appelons à la désignation d’un pilote du plan Lyme dans chaque ARS, prioritairement dans les zones à forte densité de tiques.
Telles sont, en substance, les orientations de notre rapport. Nos recommandations découlent d’un constat de terrain, objectif et sans concession. Dans leur ensemble, elles ont d’ailleurs reçu un accueil très favorable des acteurs auprès desquels nous les avons évoquées, y compris le directeur général de la santé, avec qui nous avons récemment échangé.
Au regard de la crise sanitaire que nous avons traversée et que nous vivons encore, la problématique des « patients Lyme » peut sembler secondaire. Il n’en est rien. Les maladies vectorielles à tiques ne constituent pas une problématique anecdotique. Je vous invite à consulter la lettre rédigée par une équipe de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement qui figure en annexe de notre rapport. Elle montre que le changement climatique accentuera ces problématiques.
En outre, force est de constater que les tiques sévissent de plus en plus dans les zones urbaines, dans les jardins ou dans des parcs. Cette évolution doit nous interpeller, car il est prouvé que les tiques sont porteuses de nombreux éléments pathogènes. Il importe donc être vigilant sur cette question, dès lors que l’effort à fournir se révèle, somme toute, assez modeste au regard de son bénéfice, en mettant fin à l’errance de nombreux patients, une errance non seulement synonyme de souffrance, mais encore très coûteuse pour notre société.
Mme la présidente Fadila Khattabi. Je vous remercie pour ces conclusions très intéressantes et qui contiennent des préconisations et propositions fortes, claires et dénuées de « langue de bois ». Je les apprécie d’autant plus que j’estime que les victimes de cette maladie ont déjà fait preuve d’énormément de patience. Nous demeurerons extrêmement mobilisés sur cette problématique.
Mme Véronique Hammerer. J’ai lu ce rapport avec beaucoup d’attention. Il est extrêmement complet et soulève de nombreuses questions. Je salue donc le travail de mes collègues.
Vous nous indiquez que les associations estiment que trois cent mille patients sont en errance médicale. Cependant ces chiffres demeurent difficilement vérifiables puisque la spécificité de la borréliose de Lyme réside notamment dans la complexité à en établir le diagnostic et ce, d’autant plus lorsque les victimes présentent des symptômes banals. En effet, les maux de tête ou les douleurs articulaires ne sortent pas particulièrement de l’ordinaire. Cependant, ils occasionnent des douleurs et altèrent les conditions de vie de plusieurs milliers de personnes. Comme le démontre votre rapport, ces patients en errance rencontrent des difficultés à se faire entendre.
Dans le même temps, certains discours entendus au sein de la communauté scientifique remettent en cause la place attribuée à la maladie de Lyme alors que nous constatons que les tests sérologiques ne sont pas suffisamment fiables.
Pourriez-vous nous indiquer les raisons du décalage entre le nombre de patients en errance, insuffisamment informés, souvent moins bien pris en charge que d’autres et dont les symptômes se déclarent parfois à long terme, et la communauté scientifique, qui ne considère pas la maladie comme un problème de santé majeur ? Cette maladie est-elle sous-estimée ?
Par ailleurs, face à une prise en charge trop disparate, une offre de soins parallèle s’est constituée. Elle échappe à toute régulation. Sans être qualifiée de dérive sectaire, cette offre prône des soins alternatifs dangereux pour la santé et souvent à des prix exorbitants. Pouvez‑vous nous apporter des précisions sur le travail de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) ? La lutte contre les soins parallèles peut-elle entrer dans le cadre de ses missions ?
Par ailleurs, ainsi que vous l’évoquez, le rôle des médecins traitants est essentiel comme premier niveau de prise en charge. Néanmoins, les disparités territoriales observées en complexifient l’accès.
Il convient également de souligner un probable défaut de formation et de communication correcte autour du diagnostic de cette maladie. Est-il probable que certains professionnels de santé n’envisagent pas la maladie de Lyme comme une première option ? Le cas échéant, comment procéder à une normalisation de son diagnostic ?
Quelles préconisations seriez-vous en capacité de nous soumettre pour ce qui concerne la formation des médecins ?
Comment améliorer la prévention dans la lutte contre la maladie, concrètement, sur le terrain ?
Je lance un message très amical à l’ensemble des patients victimes de la maladie de Lyme dont j’ai moi-même été atteinte pendant deux ans, et j’ai également connu l’errance.
M. Thibault Bazin. Je tiens également à remercier nos collègues pour leurs travaux visant à améliorer la prise en charge des patients atteints de la maladie de Lyme. Cette maladie devient en effet une préoccupation croissante de nos concitoyens dans nos territoires et ils ont été nombreux à venir m’en entretenir.
Je me suis également entretenu avec des professionnels de santé. Certains invitent à opérer une distinction entre deux niveaux de maladie : la maladie de Lyme chronique et une « neuro-Lyme » qui présente des troubles différents et génère des séquelles. Il convient de prendre en compte ces deux niveaux de sorte à élaborer un système de prise en charge plus adapté à chacun d’eux.
Vos trois premières préconisations me semblent réellement essentielles, à savoir la mise en place d’une consultation longue à rémunération adaptée, la diffusion d’un questionnaire de diagnostic destiné aux médecins généralistes et l’accélération du déploiement de la base de données tactique.
En accord avec Vincent Descoeur, je pense qu’il est capital que nous progressions en matière de recherche, notamment de recherche clinique, afin d’élargir nos connaissances. Ainsi que vous l’avez indiqué, les données scientifiques fiables nous font défaut. Il importe donc de déployer de la volonté et des moyens de sorte à progresser. À cet égard, la crise sanitaire a été très instructive, car elle a démontré qu’en dégageant des moyens, nous sommes capables de progresser rapidement sur la connaissance. La maladie de Lyme affectant un grand nombre de nos concitoyens, il est également essentiel que nous élargissions rapidement nos connaissances en la matière.
S’agissant de l’aménagement sanitaire du territoire, les centres de référence vous semblent-ils aisément accessibles sur l’ensemble du territoire, compte tenu du large périmètre de nos régions ?
M. Philippe Vigier. Ce travail parlementaire constitue une construction très positive en faveur de cette maladie de Lyme, maladie oubliée à l’instar des maladies orphelines, qui n’ont jamais suscité de véritable attention non seulement de ceux qui sont en charge d’élaborer les politiques de santé, les ministères et leurs déclinaisons locales constituées par les ARS, mais également des médecins, que ces maladies déroutent.
Vous avez insisté sur le mot « errance » qui, en effet, caractérise parfaitement les patients atteints de la maladie de Lyme. Nous connaissons les limites depuis de nombreuses années. Comme biologiste, je sais combien les faux positifs et faux négatifs troublent le suivi thérapeutique des patients et leur prise en charge par les médecins qui se trouvent devant un vide.
Certaines de vos préconisations s’imposent.
En effet, comment pouvons-nous expliquer aux Français que nous créons un vaccin contre la covid alors que depuis de longues années, la maladie de Lyme a été tellement oubliée que nous ne lui avons consacré aucun moyen ?
En matière de recherche, il appartient aux doyens des universités, aux universitaires, de donner des impulsions et d’inciter les étudiants à rédiger des thèses d’État sur cette thématique.
Les tests PCR existent et nous disposons d’une bonne connaissance des autres spirochètes. Pour quelles raisons la bactérie à l’origine de la maladie de Lyme a-t-elle été oubliée ? L’hôpital Saint-Louis détient une renommée mondiale en matière de prise en charge des maladies infectieuses et pourtant, aucun programme de recherche relatif à la maladie de Lyme n’a été déployé au cours de ces dernières années.
La protocolisation des traitements est également essentielle. En effet, il n’est pas tolérable qu’un patient de Figeac soit traité différemment d’un patient soigné à Châteaudun en Eure-et-Loir ou à Bayonne. L’harmonisation des protocoles est capitale.
Il me semble également important de créer, en accompagnement des médecins généralistes, une filière de référence sur le modèle de celles qui existent déjà pour de nombreuses maladies dont la déclaration est obligatoire. Le généraliste est omnipraticien, mais il ne peut pas tout savoir sur tout. Si nous ne l’aidons pas lorsqu’il en a besoin, c’est le patient qui se retrouve à l’abandon.
M. Boris Vallaud. Je vous remercie, mes chers collègues, pour ce rapport dont le diagnostic est accablant : diagnostic complexe, médecins généralistes livrés à eux-mêmes, errance thérapeutique, mauvaise prise en charge des patients, mauvaise prise en charge de la maladie, faiblesse ou pauvreté de la recherche, notamment de la recherche clinique.
Avez-vous eu la possibilité d’étudier la situation d’autres pays de l’Union européenne s’agissant de la recherche sur cette maladie et de la prise en charge des patients ?
M. Paul Christophe. Chers collègues, vous nous proposez ce matin d’examiner le rapport de votre mission d’information relative à la maladie de Lyme et vos propositions de recommandations pour une meilleure prise en charge de cette pathologie.
À la lecture de votre rapport, nous constatons que le défaut de connaissances sur les troubles chroniques associés à cette maladie explique en partie les défaillances dans le suivi des patients. Comme le soulignait l’écrivain et philosophe suisse Henri-Frédéric Amiel, « Connaître son mal est déjà une demi-guérison ».
La demande pressante de ces patients, qui souhaitent être reconnus réellement en tant que malades, nous oblige à renforcer les moyens mis à la disposition de la recherche afin d’établir une liste de critères permettant d’affiner le diagnostic de la maladie de sorte à la comprendre dans sa globalité.
Les difficultés reposent sur le caractère protéiforme de la pathologie associée qui doit être identifiée d’abord en tenant compte de la pluralité des symptômes rencontrés et non plus seulement avec la seule borréliose de Lyme, dont la mise en évidence s’avère complexe. Ainsi, votre recommandation qui vise à la création d’un registre régional des personnes souffrant de ces troubles chroniques, qui pourrait être envisagée dans les zones endémiques, va-t-elle dans le bon sens.
Je ne peux d’ailleurs m’empêcher de dresser un parallèle avec la fibromyalgie, une autre pathologie pour laquelle il conviendrait que nous progressions significativement.
Ainsi que vous l’avez évoqué, de nombreuses similitudes apparaissent entre les troubles associés à la maladie de Lyme et les symptômes imputés au « covid long ». Ainsi la recherche sur les troubles chroniques des patients devrait-elle bénéficier de l’effet d’entraînement exercé par la recherche sur le « covid long », car c’est bien grâce à la recherche que nous parviendrons à trouver et à révéler les marqueurs de cette maladie et ainsi limiter l’errance médicale que subissent certains patients et qui ajoute une fatigue psychologique à la fatigue physique des symptômes.
Vous consacrez une partie de votre rapport au droit à l’information des patients sur leur maladie. En effet, les patients et les médecins de ville doivent pouvoir bénéficier d’une information claire et harmonisée sur la prise en charge dans le cadre du parcours de soins. Nous souscrivons à votre préconisation d’accélérer la mise à disposition d’un site Internet commun aux centres de référence.
La recherche et l’information constituent deux composantes essentielles pour limiter le sentiment d’abandon et l’errance thérapeutique de ces patients. Nous vous remercions donc de permettre à ces malades de sortir de l’ombre grâce à ce rapport.
Mme Valérie Six. Je tiens à vous remercier pour ce rapport relatif au parcours de soins des patients atteints de la maladie de Lyme et à l’errance médicale qu’ils subissent. J’espère que ce bilan nous permettra de sortir de l’impasse dans laquelle semble se trouver ce dossier depuis 2016, date du lancement du plan national de lutte contre les maladies transmissibles par les tiques.
S’agissant des patients atteints de la maladie de Lyme et du diagnostic, vous posez dans votre rapport le constat de l’imprécision des données sur lesquelles est fondée la surveillance épidémiologique de cette maladie. La seconde faiblesse de ce système de surveillance réside dans le fait que seuls les patients qui consultent les professionnels de santé sont recensés. En effet, les malades asymptomatiques et non diagnostiqués ne sont pas pris en compte. Comment remédier à ces lacunes ?
S’agissant du parcours de soins, au premier niveau, le rôle du médecin généraliste, médecin traitant, est essentiel dans la prise en charge des patients. J’adhère totalement à votre proposition de faire en sorte qu’il bénéficie d’une formation renforcée sur la borréliose de Lyme et les autres maladies vectorielles à tiques de sorte à apprendre à reconnaître les signes cliniques qui leur sont associés.
Il appartient à la HAS d’évaluer l’opportunité d’inscrire la maladie de Lyme dans la liste des affections de longue durée. Disposez-vous, à ce stade de vos travaux, d’informations à ce sujet ?
Enfin, vous déplorez les lenteurs et le défaut d’engagement dans la mise en œuvre du plan Lyme de 2016. J’espère qu’à l’issue de la publication de votre rapport, les efforts nécessaires seront mis en œuvre.
Mme Martine Wonner. Je remercie mes collègues pour leur travail sur un sujet particulièrement complexe. Nous en attendions beaucoup en raison non seulement de l’historique des travaux parlementaires relatifs à cette problématique, mais également de l’histoire des patients atteints de la maladie de Lyme.
Je vous remercie également pour la quantité impressionnante de recommandations que vous avez produites à la fin de vos travaux.
Depuis plusieurs années, aux États-Unis notamment, les médecins généralistes et les spécialistes qui prennent en charge des patients atteints de la maladie de Lyme ne sont plus inquiétés ; ils sont même protégés. À l’inverse, en France, le Conseil de l’ordre, les ARS et l’assurance maladie ont lancé depuis quelques mois une « chasse aux sorcières » sans précédent contre les médecins qui soignent la maladie de Lyme et qui la guérissent. En conséquence, régulièrement, les médecins de première ligne ne souhaitent plus prendre de nouveaux patients. Ils ont peur. Dès lors, avant qu’ils parviennent à trouver le chemin des centres de référence et des centres de compétence, les patients expriment souvent un sentiment d’abandon.
Les projets de recherche ne constituent pas directement le support de ce rapport puisqu’ils ont déjà été étudiés par Mme Louwagie. Pour autant, je pense qu’il serait très intéressant de suggérer de redonner aux associations de malades une responsabilité dans les décisions en matière financière et budgétaire, à l’instar de ce qui se pratique avec les associations qui accompagnent les patients souffrant du sida.
Actuellement, à l’examen du bilan des centres labellisés, nous constatons que, malheureusement, à défaut de diagnostic de la maladie de Lyme, trop souvent, les patients sont orientés vers la psychiatrie. Soyons tous attentifs à ce constat qui risque d’être extrêmement délétère à terme et de nuire aux patients.
M. Pierre Dharréville. Je salue également le travail de nos collègues sur cette question qui nous a déjà occupés et préoccupés, à juste titre, puisque nous avons toutes et tous rencontré des femmes et des hommes qui subissent la situation que vous avez décrite d’errance sanitaire, de désarroi, dont la raison primordiale réside peut-être dans la difficulté à poser un diagnostic. Vous avez fait à ce sujet des propositions qu’il serait souhaitable d’encourager. Néanmoins, il est vrai que les polémiques ralentissent toute action.
Cependant, il s’avère nécessaire de mieux organiser non seulement la pose du diagnostic, mais également la prise en charge des patients atteints de la maladie de Lyme. À titre d’exemple, une patiente m’a indiqué que le seul traitement qui la soulageait réellement était dispensé en Allemagne. Ces traitements sont très onéreux et ils ne sont pas pris en charge par la sécurité sociale. Quels sont les traitements qui existent dans d’autres pays, mais ne sont pas disponibles chez nous ? Pour quelles raisons aucune réflexion n’est-elle menée en ce sens ? Comment résoudre ces problèmes ? En effet, il est probable que d’autres patients soient confrontés à la même situation que la patiente que j’évoquais précédemment qui, au demeurant, n’avait plus les moyens de se faire soigner à l’étranger. Je m’interroge quant au suivi de la prise en charge, car chaque patient est en droit d’être vraiment soigné et suivi correctement.
Par ailleurs, j’estime, ainsi que vous l’avez souligné, que la recherche est un élément essentiel et qu’il importe de lui attribuer des moyens dont elle ne dispose pas actuellement.
M. Thierry Michels. Je vous remercie, mes chers collègues, pour votre travail de grande qualité sur une maladie insidieuse et complexe. Je vous remercie également pour vos propositions relatives à une prise en charge plus efficace des malades.
Je retiens notamment vos propositions de partage des bonnes pratiques entre les centres de compétence et de référence. Je me réjouis que Strasbourg et son hôpital universitaire, associés à son voisin nancéien, soient dotés d’un centre de référence. Cependant, les territoires ne bénéficient pas tous de l’avantage métropolitain puisqu’en France, les services spécialisés se trouvent dans les grandes villes. Ainsi que vous le soulignez, cet état de fait génère une faiblesse du maillage du territoire par les centres de compétence et les centres de référence. Dès lors, de quelle manière l’information et la formation relatives non seulement au diagnostic, mais également au traitement de la maladie, sont-elles déployées sur le terrain auprès des médecins généralistes, qui représentent le premier niveau du parcours de soins ? En effet, la pratique de gestes simples de contrôle après une journée en forêt, par exemple, peut permettre d’éviter de grandes souffrances ultérieurement. Par ailleurs, une démarche de prévention pourrait être déployée massivement dans les écoles et les collèges par l’éducation nationale, auprès des enfants et des parents.
Vous avez évoqué la difficulté de diagnostic et l’errance médicale dont sont victimes certains des malades. En l’absence de toute approche scientifique rigoureuse, elles sont susceptibles de conduire à une prise en charge par des personnes se prétendant expertes qu’il conviendrait d’empêcher de nuire. Avez-vous, chers collègues, mené des entretiens avec des représentants de l’administration de la santé et de la justice afin d’identifier l’action de la puissance publique dans le cadre d’une plus grande fermeté face à ce type d’acteurs et de pratiques ?
M. Bernard Perrut. Nous rencontrons effectivement, chaque semaine, des personnes qui nous exposent les difficultés qu’elles rencontrent face à cette maladie, souvent méconnue, qui revêt un caractère chronique – paralysie d’un membre, fatigue extrême, raideurs articulaires, symptômes neurologiques graves... – impactant le quotidien des patients.
La bactérie infectieuse que la tique transmet à l’homme est très complexe. Alors que nous sommes confrontés au réchauffement climatique, ne faudrait-il pas renforcer la sensibilisation préventive de la population à la pratique des gestes adaptés ?
Il s’avère également urgent d’améliorer le diagnostic, les tests de dépistage et les traitements de sorte à mettre fin à l’errance médicale et à la souffrance des malades.
Force est de constater que l’effort de recherche sur cette maladie est très modeste en France puisque le budget annuel qui lui est consacré s’élève à 5 millions d’euros. Je salue à ce titre votre proposition 12, qui reprend d’ailleurs les travaux de la députée Véronique Louwagie. Comment accorder un financement plus important pour la recherche française sur le dépistage, le traitement de cette maladie ? Qu’en est-il par ailleurs, de la recherche européenne ?
Avez-vous évalué le coût pour la société de la maladie de Lyme et des maladies transmissibles par tiques ?
Quelle est votre position quant à la création de l’Agence nationale de recherche sur les maladies vectorielles à tiques, suggérée par la Fédération française contre les maladies vectorielles à tiques ? La question porte non seulement sur la recherche fondamentale, mais également sur la recherche clinique. En effet, qu’advient-il du patient lorsque le médecin ne parvient pas à dépister la maladie ? Ne conviendrait-il pas de soutenir davantage la recherche portant sur la thérapeutique, car la cause de cette maladie reste nébuleuse ?
Par ailleurs, les tests n’ont fait l’objet d’aucun consensus, ce qui pose de réels problèmes. Il importerait de mobiliser des moyens en matière de recherche qu’il s’agisse de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, du Centre national de la recherche scientifique ou des centres hospitaliers universitaires.
Vous préconisez de s’inspirer des recherches conduites sur le « covid long ». Comment expliquer qu’un syndrome beaucoup plus récent soit aujourd’hui pris comme modèle pour traiter la maladie de Lyme ? Pouvez-vous nous apporter des précisions dans ce cadre ?
En effet, certains malades sont contraints de se faire soigner à l’étranger afin d’être mieux pris en charge. Avez-vous pris totalement connaissance de ce phénomène ? Quels avantages de prise en charge nos voisins proposent-ils ? Il est intolérable, mes chers collègues, que les patients français en soient réduits à s’expatrier pour être soignés.
Est-il envisageable d’impliquer davantage et de manière efficace les associations de patients et les patients eux-mêmes dans le plan national de lutte contre la maladie de Lyme ?
Mme Michèle de Vaucouleurs. Madame et monsieur les rapporteurs, je vous remercie pour ce travail qui s’avérait essentiel afin de nous éclairer sur la prise en charge de la maladie de Lyme.
Ma question porte sur votre recommandation numéro 5, à savoir stabiliser les centres de compétence au premier semestre de 2022 et les labelliser. Or l’identification des centres de compétence devait être réalisée au premier semestre de 2019.
Il est souhaitable d’aboutir à la une bonne stabilité des centres de compétence afin d’appréhender plus efficacement l’évolution des infections. Où en sommes-nous aujourd’hui concernant la couverture nationale ? Reste-t-il encore des territoires à couvrir ?
En outre, vous proposez leur labellisation. Or une instruction de 2018 établissait déjà assez précisément leur cadre de mission. Qu’apporterait, selon vous, une labellisation ?
Par ailleurs, la labellisation des centres de référence s’avère particulièrement complexe ? Quel mode de labellisation proposeriez-vous pour ces centres de compétence ?
M. Stéphane Viry. Les maladies vectorielles à tiques s’étendent et il me semble qu’une mobilisation s’impose. Cette contribution parlementaire me paraît essentielle et susceptible d’agir sur ce que je qualifierais, en termes sanitaires, de « plafond de verre ». En effet, depuis quelques mois que je m’intéresse à cette maladie qui handicape et empoisonne la vie d’un grand nombre de nos concitoyens, j’ai le sentiment que la complexité du sujet et la doctrine variante rendent les pouvoirs publics inertes. Dès lors, il me paraissait indispensable que l’Assemblée nationale, dans le cadre de cette mandature, et la commission des affaires sociales en particulier, s’emparent de ce sujet, le fassent progresser et apportent une pierre au débat public.
Des tables rondes ont précédé cette mission d’information et je m’associe bien volontiers aux compliments et félicitations décernés par nos collègues sur la qualité de vos travaux, madame et monsieur les rapporteurs. En effet, je considère que les vingt-quatre recommandations que vous présentez sont très concrètes, très pratiques et répondent parfaitement aux interrogations actuelles. Je formule le vœu sincère que votre travail permette de faire évoluer la situation.
J’évoquais précédemment un « plafond de verre ». La divergence actuelle des points de vue entre des praticiens et des associations de patients est telle qu’il s’avère essentiel de retrouver une sérénité à ce sujet. Pensez-vous, à l’aune de vos réflexions, que nous puissions aboutir à une approche unifiée dans les temps à venir de toutes les plus hautes autorités sanitaires du pays afin qu’une réponse lisible soit apportée à nos concitoyens qui sont atteints par cette maladie ?
Mme Isabelle Valentin. En France en 2019, environ cinquante mille personnes ont été touchées par la maladie de Lyme et huit cent quatre-vingt-treize d’entre elles ont été hospitalisées. Une augmentation significative du nombre de nouveaux cas a été constatée au cours de ces dernières années. De nombreux patients nous sollicitent parce qu’ils souffrent et qu’ils se sentent très peu reconnus. La maladie de Lyme représente un véritable sujet de santé publique.
Pouvez-vous nous apporter des précisions quant à l’organisation territoriale de la prise en charge de la maladie de Lyme, notamment quant aux cinq centres de référence et aux centres locaux de compétence ? Cette organisation est-elle effective sur l’ensemble de nos territoires ? Disposez-vous d’un retour d’expérience relatif à son efficacité ?
Le plan gouvernemental de 2016 évoquait la possibilité d’intégrer les formes graves de la maladie de Lyme dans la liste des infections de longue durée, bénéficiant ainsi d’une prise en charge à 100 % par la sécurité sociale. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Quels sont les travaux de recherche en cours ? Qu’en est-il du programme de 15 millions d’euros annuels évoqué l’année dernière par la ministre de la recherche ?
Mme Caroline Janvier. Je tiens tout d’abord à remercier la présidente de la mission d’information, Jeanine Dubié, et les rapporteurs, Nicole Trisse et Vincent Descœur, pour ce travail que nous avons tous apprécié. Il s’agit d’un travail de pédagogie, mettant en lumière la maladie de Lyme, identifiée du grand public, mais dont les symptômes et les conséquences sur les malades sont encore trop méconnus. Si vous soulignez les nombreuses avancées réalisées, notamment pour ce qui concerne la prise en charge lors de la phase primaire de la maladie, facilement identifiable lors d’un examen clinique, vous soulevez cependant la principale problématique, à savoir un diagnostic sur le temps long, en regard de la nomenclature officielle préconisée par la HAS.
La problématique relève également de la multiplication des autodiagnostics générés par l’accès à l’information médicale sur Internet, où certains trouvent des réponses à leurs maux, alors que le corps médical a été dans l’impossibilité de fournir une explication claire à leurs symptômes. Le plan Lyme de 2016 esquissait une réponse en mettant en place des protocoles, mais il n’est pas encore suffisamment déployé sur le territoire.
Dans vos propositions, vous soulignez la nécessité de renforcer la recherche sur ces maladies vectorielles à tiques, dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne, via le programme de recherche « Horizon Europe ». Cette idée de mutualiser les efforts de recherche en matière de santé entre les différents pays touchés me semble bienvenue, notamment dans cette période de crise sanitaire qui conduit l’ensemble des pays européens à prendre conscience des difficultés à diagnostiquer le « covid long » et à le prendre en charge. Avez-vous eu la possibilité de vous en entretenir avec les instances en charge de la préparation de la présidence française du Conseil de l’Union européenne ? Dans l’affirmative, ont-elles été réceptives à cette proposition ?
Mme la rapporteure. Je me réjouis de l’intérêt que vous avez porté à ce rapport et des très nombreuses questions qu’il a suscitées. Nous sommes tous confrontés à cette problématique, soit par le biais des personnes qui nous sollicitent, soit dans notre entourage. Si ce rapport sert de base à des avancées significatives, nous aurons été utiles.
Vous avez à plusieurs reprises évoqué le cas de malades qui partent se faire soigner à l’étranger. Dans l’état actuel de la situation, les tests Elisa et western blot sont les seuls tests reconnus dans le périmètre de l’Union européenne. Aucun autre test n’a été scientifiquement validé. Les tests pratiqués à l’étranger, souvent dans des cliniques privées, sont très onéreux et ne sont pas remboursés par la sécurité sociale, notamment parce qu’ils ne sont pas reconnus. Cependant, j’admets que la détresse de ces patients soit telle qu’il paraît presque normal et logique qu’ils cherchent ailleurs une solution à leurs maux. C’est terrible, mais c’est ainsi.
Pour autant, en Allemagne, comme dans toute l’Europe, la connaissance de la maladie de Lyme n’est pas plus large qu’en France. Néanmoins, en Allemagne, des cliniques privées proposent une forme de prise en charge des patients, très onéreuse, non reconnue et inopérante. Il est donc essentiel – et c’était l’objectif de notre mission d’information et du rapport qui en est issu – de modifier et d’améliorer la prise en charge défaillante actuellement en France, de faire en sorte qu’elle soit reconnue et remboursée par la sécurité sociale. Ainsi, les patients ne seront-ils plus obligés de chercher un soulagement à l’étranger.
S’agissant du maillage territorial, nous disposons de cinq centres de référence qui représentent le plus haut niveau, le niveau de coordination, de l’ensemble du réseau. Cette architecture est pertinente sous réserve que ces centres soient harmonisés et constituent une référence unique dans les modes opératoires proposés. En revanche, les centres de compétence présentent des différences, voire des lacunes, selon les régions. En outre, ils sont trop peu nombreux dans certaines régions. À titre d’exemple, le Grand Est, région endémique, ne dispose pas d’un nombre suffisant de centres de compétence.
En réalité, la création de ces centres de compétence a fait l’objet d’un appel à candidatures. Cependant, aucun budget n’ayant été dégagé, les hôpitaux ne sont pas intéressés par cette activité supplémentaire. Finalement, les ARS ont uniquement entériné les candidatures des hôpitaux qui souhaitaient devenir des centres de compétence. Dès lors, les centres de compétence ne sont pas répartis harmonieusement dans les régions.
S’agissant de la labellisation des centres de compétence, elle suppose de définir des critères et un cadre circonscrit. Elle impose la présence d’une équipe médicale pluridisciplinaire et la création d’un programme dédié à un parcours de soins. Le patient consulte dans un tel centre lorsque son médecin généraliste n’a pas trouvé de solution à son problème. Il importe donc que lui soit proposé un parcours de soins dédié à sa maladie et dans lequel il aura le sentiment d’être pris en charge. L’étiquette « centre de référence » ou « centre de compétence » n’est pas suffisante. Il convient d’évaluer l’établissement et de suivre ses actions. Les centres de référence bénéficient d’une dotation de 300 000 euros dont il serait souhaitable de tracer l’utilisation.
Par ailleurs, il apparaît nécessaire que les centres de compétence fassent également l’objet d’une dotation parce que le parcours dédié impose la présence d’une équipe pluridisciplinaire, composée obligatoirement d’un infectiologue, d’un neurologue, d’un rhumatologue... En outre, il convient de mettre en place un secrétariat spécifique au traitement de ce type de dossiers. La présence d’un psychologue est également indispensable pour l’accompagnement des patients qui, en situation d’errance médicale et de détresse, ont besoin d’être pris en charge.
M. le rapporteur. En effet, la labellisation impose une évaluation et préalablement, l’affectation de moyens dédiés. Dès lors qu’un érythème migrant n’a pas été repéré, il revient à des équipes pluridisciplinaires de reconstituer le dossier du malade ce qui nécessite un retour sur l’historique du malade. La mise en œuvre de moyens pour accompagner ces équipes s’avère donc indispensable. L’ensemble des acteurs que nous avons rencontrés a également souligné l’importance de l’accompagnement psychologique. La labellisation est donc indissociable de cette évaluation.
S’agissant de l’offre de soins parallèles, je vous renvoie à la recommandation 21, qui suggère d’attribuer aux ARS une mission d’information du public relative aux différentes pratiques et à leurs conséquences éventuelles. Il ne nous appartient pas de juger les décisions de celles et ceux qui sont tentés de rechercher ailleurs des solutions qu’ils ne trouvent pas sur le territoire. Toutefois, au regard des dérives identifiées, il nous semble nécessaire de diffuser une juste information de sorte à protéger les personnes en errance.
Dans ce cadre, il est apparu, au travers de nos auditions, qu’un certain nombre des thérapies proposées en Allemagne ne sont pas conformes aux préconisations allemandes, mais relèvent d’un système parallèle qui se développe et sur lequel, de toute évidence, les institutions de santé allemandes ne sont pas très regardantes et contre lequel elles n’interviennent pas.
S’agissant de la recherche, nous avons abondamment évoqué la recherche clinique dans nos pistes de réflexion et nos préconisations. Il convient néanmoins de rappeler l’importance de la recherche fondamentale, conduite au centre national de référence de Strasbourg par les équipes du Pr Jaulhac. Nous insistons sur la nécessité de développer la recherche clinique, en s’inspirant de ce qui a été réalisé de manière rapide pour le « covid long » et sur la création de ce type de cohortes qui ont permis de mieux cibler les symptômes.
La prise en charge des malades de Lyme est assez similaire dans les autres pays européens et la recherche n’y est pas plus dense. C’est pourquoi nous préconisons de nous appuyer sur les appels à projets de l’Agence nationale de recherche sur les maladies infectieuses émergentes, en exigeant – c’est le terme que nous utiliserons – qu’un budget, que nous avons évalué à 5 millions d’euros par an, soit dédié à ces maladies vectorielles à tiques. Le programme européen constituerait le second point d’appui, en profitant notamment de la présidence française au cours du premier semestre de 2022. 95 milliards d’euros peuvent être mobilisés et il est important que la maladie de Lyme soit intégrée dans ce programme européen.
Dans un précédent rapport budgétaire que j’avais rendu, j’avais indiqué que 6 500 000 euros avaient été dépensés au cours des dernières années pour quarante-cinq projets de recherche, très disséminés et choisis sans aucune coordination. Ce budget représentait néanmoins un effort de recherche sans commune mesure avec les 15 millions annoncés à l’occasion des débats budgétaires. C’est pourquoi nous suggérons très concrètement de dégager des crédits dans le cadre d’appels à projets de l’Agence nationale de recherche sur les maladies infectieuses émergentes et de profiter de ce programme européen.
Il avait été envisagé de qualifier la maladie de Lyme en affection de longue durée (ALD) spécifique. Actuellement, lorsque la maladie de Lyme est reconnue comme ALD, elle l’est hors liste. Nous avons souligné dans notre rapport la difficulté rencontrée par les patients souffrant de syndromes liés à la maladie de Lyme d’accéder à cette reconnaissance en ALD. La préconisation 24 vise à faire en sorte que soient revisités les critères d’octroi de l’ALD hors liste afin qu’elle soit plus facilement mobilisable pour les personnes souffrant de la maladie de Lyme.
Stéphane Viry a évoqué le « plafond de verre ». Non seulement il existe un « plafond de verre », mais dès qu’on s’en approche, on s’expose car dès lors qu’on s’intéresse à ce sujet, on s’éloigne de l’unanimité et du consensus. Pour autant, il est important d’accepter de prendre ce risque et de tenter d’apaiser l’environnement. La controverse complique la situation, y compris pour les intervenants de premier niveau, parce qu’elle ne facilite pas la prise de décision.
Mme la rapporteure. La prévention est le domaine qui a été le mieux traité dans le cadre du plan Lyme 2016. Elle ne constituait pas la problématique la plus prégnante. En revanche, nous avons rapidement compris que le parcours de soins du patient représente un véritable parcours du combattant. Nous avons donc tenté, en premier lieu, d’identifier l’origine des polémiques et des controverses. La maladie de Lyme a fait l’objet de dépôts de plaintes à l’encontre des médecins, etc., alors que rien de tel n’a été constaté avec des maladies comme Ebola, par exemple. Nous avons donc cherché où se situait le problème qui générait un tel parcours du combattant et nous avons rapidement compris que chaque strate présentait un problème, mais qu’il serait possible de résoudre avec de la bonne volonté, en mettant de l’huile dans les rouages, en débloquant un peu d’argent quand cela s’avère nécessaire et, surtout, en décidant d’évaluer la situation. Certes, nous avons traversé une crise sanitaire. Néanmoins, il y a urgence parce que les maladies vectorielles à tiques se développeront en raison du réchauffement climatique et constitueront un enjeu dans les prochaines années.
En outre, l’errance médicale a un coût pour la société. Au-delà de la détresse des patients, qui nous choque, l’impact de cette errance qu’il soit psychologique, social ou économique, n’a jamais été évalué. La mise en place d’une consultation longue, la formation et l’accompagnement des médecins sont indispensables. Actuellement, la plupart d’entre eux ignorent l’existence des centres de compétence et des centres de référence. L’organisation et l’architecture en place sont adaptées, mais il importe désormais de créer des liens entre les différents intervenants de sorte que les patients soient pris en charge.
M. le rapporteur. Nous avons beaucoup stigmatisé les manquements, mais nous avons également évoqué l’intérêt de partager les bonnes pratiques. En effet, nous avons rencontré de nombreux professionnels engagés, des équipes très mobilisées et à l’écoute des patients. De nombreux médecins déploient des trésors d’énergie dans l’accompagnement de leurs patients.
S’agissant de l’apaisement de l’environnement, nous avons formulé plusieurs propositions visant à améliorer le dialogue. Nous suggérons que certaines associations interviennent dans les centres de référence, dans l’optique d’un partenariat constructif. Nous proposons également d’associer des patients experts, à l’instar de ce qui est pratiqué pour d’autres maladies, afin d’échanger avec celles et ceux qui, légitimement, s’inquiètent du traitement qui leur sera réservé. Il est essentiel de rétablir le dialogue de sorte à briser le « plafond de verre ».
Mme la présidente de la mission d’information. Je remercie nos deux rapporteurs avec lesquels j’ai eu grand plaisir à travailler.
J’ajoute que, lorsque nous avons interrogé la Miviludes, elle nous a confirmé n’avoir enregistré depuis 2012 qu’une dizaine de signalements relatifs à d’éventuelles dérives à caractère sectaire dans le domaine de la maladie de Lyme.
En revanche, les dérives d’ordre financier sont plus préoccupantes. En désespoir de cause, certains patients dépensent des budgets exorbitants dans des cliniques privées allemandes non conventionnées par le système classique allemand. Par ailleurs, ce système parallèle utilise des tests qui ne sont plus en application en France.
Nous avons auditionné le Conseil de l’ordre, qui nous a confirmé avoir été amené prendre des décisions vis-à-vis de certains médecins, sur la base de signalements des caisses primaires d’assurance maladie ou de confrères, mais cela ne constitue pas un phénomène récurrent.
En ce qui concerne la reconnaissance comme ALD, la HASa émis un avis défavorable.
L’idée d’associer des patients experts dans le parcours de soins me semble intéressante. Un tel dispositif a été déployé sur le parcours de patients atteints du VIH ou encore en cancérologie. Ces experts ont été victimes de la maladie et, à l’issue de leur parcours de soins, ils ont travaillé et suivi une formation universitaire. Il existe une formation universitaire à la Sorbonne qui prépare à être patient expert. Ces experts pourraient représenter un lien entre les associations et la communauté scientifique.
Nous ne disposons d’aucune estimation sérieuse quant au coût financier associé à l’errance médicale qui, par ailleurs, n’est pas spécifique à la maladie Lyme.
Enfin, je vous confirme que nous avons abordé cette mission sans a priori. Nous nous sommes attachés à garder toute l’objectivité nécessaire et nous n’avons subi aucune influence des associations de patients. Nous avons gardé suffisamment de distance pour que notre analyse et nos préconisations soient objectives.
Mme la présidente Fadila Khattabi. Je remercie chaleureusement madame la présidente et les rapporteurs, notamment au nom des patients qui souffrent au quotidien.
En application de l’article 145, alinéa 7, du Règlement, la commission autorise la publication du rapport de la mission d’information.
Puis la commission examine le rapport de la mission d’information « Organisation des professions de santé : quelle vision dans dix ans et comment y parvenir ? » (M. Cyrille Isaac-Sibille, rapporteur).
M. Cyrille Isaac-Sibille, rapporteur. Madame la présidente, chers collègues, je tiens à vous remercier pour m’avoir confié, il y a trois mois, cette mission passionnante relative aux professions de santé. J’ai le plaisir vous en présenter le rapport que j’ai souhaité intituler « Organisation des professions de santé : quelle vision dans dix ans et comment y parvenir ? De la théorie de l’escalier ! »
Nous sommes nombreux dans cette commission, sur tous les bancs, à vouloir faire évoluer l’organisation de notre système de santé, avec l’objectif d’améliorer l’accès aux soins et d’enrichir les missions et les carrières des professionnels paramédicaux.
Les réflexions se sont récemment concentrées sur l’opportunité ou non de créer une profession de santé intermédiaire. Faute de consensus et devant la difficulté à mieux la définir, la création de cette nouvelle profession n’a pas été adoptée par notre Assemblée. Un rapport sur le sujet a néanmoins été confié au Gouvernement. Cette mission, pilotée par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), est en cours. J’ai souhaité que ce travail soit mené en parallèle de la mission du ministère. Elle m’a auditionné et son rapport nous sera remis à l’automne.
Partant de notre interrogation sur cette nouvelle profession intermédiaire, j’ai souhaité examiner les autres leviers à notre disposition qui permettraient d’améliorer la qualité des soins dispensés et d’offrir aux professionnels de santé une perspective d’évolution de leurs missions. Les travaux de la mission se sont concentrés sur trois de ces leviers : le renforcement des coopérations entre l’ensemble de ces professionnels, le développement de l’exercice en pratique avancée et les modifications des périmètres de compétences des différents professionnels. Bien sûr, l’évolution des professions doit aller de pair avec l’évolution des formations, sujet que nous avons pu aborder la semaine dernière avec le rapport d’Annie Chapelier.
Afin d’identifier des solutions concrètes, j’ai souhaité que cette mission pose le constat de convergences entre l’ensemble des professions. Dans ma recherche de ces convergences, j’ai tenu à rencontrer les deux principaux ordres – médecins et infirmiers – au début de la mission et à leur en rendre compte à son issue. J’ai également procédé à des échanges avec les différentes directions centrales. Dans la conduite de mes travaux, j’ai adopté une méthodologie particulière combinant deux approches : une approche transversale par grandes catégories de professions – infirmiers, kinésithérapeutes, prothésistes... – ainsi qu’une approche par filières – visuelle, auditive, bucco-dentaire, santé mentale –, provoquant ainsi des rencontres entre professionnels médicaux et paramédicaux lors d’une même audition. La plupart des acteurs entendus ont d’ailleurs salué cette démarche, indiquant qu’ils avaient rarement été réunis autour de la même table afin d’évoquer l’organisation de leur filière.
L’objectif du rapport ne consiste pas à imposer par le haut une nouvelle organisation des professions de santé, mais bien de consulter l’ensemble des acteurs concernés afin d’identifier les mesures susceptibles d’emporter l’adhésion d’un grand nombre d’entre eux. D’ailleurs, les professionnels sont bien souvent conscients des difficultés que pose l’organisation actuelle de notre système de santé. Il existe un véritable consensus sur son inaptitude à répondre aux grands défis à venir. Nous ne pourrons pas faire face au vieillissement de la population, à l’explosion des maladies chroniques et aux virages préventifs si nous conservons un système dans lequel la répartition des compétences entre professions médicales et paramédicales est extrêmement rigide et dans lequel encore trop peu de place est réservée au travail en équipe et aux délégations de tâches. Nous nous devons de faire évoluer l’organisation des professions de santé. D’ailleurs, face à l’urgence sanitaire, l’autorisation de vacciner contre la covid-19 a été élargie à un plus grand nombre de professions de santé.
L’ensemble des propositions contenues dans le rapport s’attache à servir la vision de l’organisation des professions de santé que nous souhaitons voir se dessiner dans dix ans. Je suis convaincu que cette vision, qui mériterait de faire l’objet d’une large concertation, pourrait s’articuler autour de trois grands axes.
Le premier axe repose sur la montée en compétences de l’ensemble des professionnels de santé. Dans le rapport, je parle de « logique de l’escalier ». Dans la filière du soin par exemple, les aides-soignants pourraient pratiquer, sous leur contrôle, des actes réalisés actuellement par des infirmiers qui eux-mêmes pratiqueraient, sous le contrôle des médecins, des actes considérés actuellement comme médicaux. Cette démarche serait bénéfique pour les médecins, car cela leur permettrait de dégager du temps médical, non seulement pour réaliser les actes les plus complexes, mais également pour remplir au mieux leur rôle de coordinateur de la prise en charge des patients.
Les médecins sont conscients que l’explosion des besoins de santé à l’horizon de dix ans nécessitera l’augmentation du nombre de professionnels, leur meilleure répartition sur le territoire, l’extension de leurs compétences et une coopération accrue. La concurrence entre les professions de santé, que nous constatons malheureusement souvent, sera, de facto, considérablement réduite du fait d’un plus grand nombre de personnes à prendre en charge, et ce, de manière coordonnée.
Le rapport établit des propositions visant une montée en compétence des différentes professions paramédicales, notamment la montée individuelle en compétences. Il est nécessaire de fluidifier les parcours professionnels et de mieux valoriser les compétences acquises, notamment dans le cadre des formations prévues par les protocoles de coopération. L’octroi d’unités de valeur universitaires pourrait, par exemple, venir sanctionner le suivi d’une formation et l’acquisition d’une compétence. Cela permettrait aux professionnels de conserver leurs nouvelles compétences pour la suite de leur carrière, même en dehors de tout protocole de coopération.
Le deuxième axe autour duquel s’articule cette vision à dix ans vise au renforcement des missions de prévention. Le champ actuel de la prévention est insuffisamment structuré et la crise sanitaire a crûment souligné ses faiblesses. Les missions de prévention – notamment la prescription d’actes de prévention – nécessiteraient un plus large partage entre les professionnels de santé. Si l’élaboration du diagnostic médical et la définition d’une conduite à tenir et d’une thérapeutique, à savoir les premières prescriptions, doivent demeurer dans le champ de compétences des médecins, sauf exception bien délimitée, la prévention est l’affaire de tous et il est essentiel que l’ensemble des professions y jouent un rôle. Elle consiste en effet à mettre l’accent sur l’éducation à la santé, sur l’éducation thérapeutique, sur le repérage des fragilités, notamment chez les personnes âgées, et sur un meilleur dépistage chez les enfants, notamment en milieu scolaire. Le rapport contient des propositions visant à renforcer le rôle des professionnels en matière de prévention, notamment celui des infirmiers en pratique avancée (IPA) exerçant dans le secteur libéral. Il est également nécessaire de poursuivre activement les réflexions de la Caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM) afin de mieux valoriser financièrement les missions de prévention.
Le troisième grand axe autour duquel s’articule cette vision à dix ans réside dans le renforcement du travail en équipe, et ce, notamment, pour ce qui concerne la prise en charge des maladies chroniques. Dès lors qu’un diagnostic d’affection de longue durée est posé, des coopérations doivent facilement pouvoir s’instaurer entre les différents professionnels, de la ville, du médico-social ou de l’hôpital. Il s’agit notamment de développer l’exercice coordonné entre les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) et les équipes de soins primaires, qui recoupent des logiques différentes, et de renforcer les échanges d’information entre les professionnels.
Les outils numériques, complétés par la tenue en présentiel de réunions de concertation pluridisciplinaires, s’avèreraient, à ce titre, extrêmement utiles. Vous connaissez mon attachement au dossier médical partagé et au futur « Mon espace santé ». Des progrès ont été réalisés en la matière, notamment depuis la création de la délégation ministérielle au numérique en santé. Je me félicite, par exemple, que les organismes de tutelle travaillent activement à la mise en place et au financement d’un référentiel d’interopérabilité obligatoire, opposable aux éditeurs de logiciel. Il importe de poursuivre activement ces travaux.
Le renforcement du travail en équipe impose également des protocoles de coopération, dispositifs encore trop peu utilisés. Le rapport propose, par exemple, de faciliter le déploiement, sur le territoire national, des protocoles locaux de coopération. La direction générale de l’offre de soins pourrait être chargée de s’assurer que des dispositifs de formations formalisés sont opérants sur l’ensemble du territoire lorsqu’un protocole local est étendu.
Montée en compétences des professionnels, renforcement de la prévention et du travail en équipe : telle est la vision à dix ans, mise en avant dans le rapport. Cette vision n’est pas utopique, bien au contraire. Elle nécessite néanmoins que nous nous retrouvions préalablement sur les définitions. Le rapport s’attache à définir des notions trop souvent confondues, comme celles de compétence et de qualification, d’autonomie et d’indépendance ou encore de pratique avancée et de spécialisation. Dans le rapport figure un tableau dans lequel nous avons répertorié les différents niveaux dans la pratique des professionnels paramédicaux. Ainsi, par exemple, la pratique avancée, qui repose sur un haut degré d’autonomie – et non pas d’indépendance –, un travail de collaboration renforcée avec les autres membres de l’équipe et des missions larges et transversales, se distingue assez nettement de la spécialisation. Le rapport contient d’ailleurs des propositions visant à renforcer la pratique avancée, notamment en l’ouvrant à d’autres professions de santé, telles que les techniciens de laboratoire et les manipulateurs en électroradiologie.
Au-delà des propositions « générales » qui concernent l’ensemble des professions de santé, les travaux de la mission ont permis de faire émerger des mesures, déployables par filière, sur lesquelles la très grande majorité des acteurs auditionnés, voire la totalité, ont réussi à s’accorder.
Dans la filière visuelle, il apparaît essentiel de développer les délégations de tâches aux opticiens et orthoptistes. Les ophtalmologistes y sont favorables sous certaines conditions. Il est urgent que nous répondions aux faiblesses d’organisation de la filière visuelle, qui engendrent des difficultés majeures d’accès aux soins.
Dans la filière auditive, il est essentiel de mener une réflexion sur la place occupée par des audioprothésistes au sein de structures médicales, tout en gardant à l’esprit l’importance de séparer les actes de prescription et les actes de vente pour les dispositifs d’audioprothèses. Une mission de l’IGAS a été lancée à ce sujet. Je pense que nous gagnerons collectivement à nous saisir de ses propositions lorsqu’elles seront publiées.
Dans la filière du soin, un très grand nombre d’acteurs auditionnés appellent de leurs vœux la création d’un statut libéral d’aide-soignant. J’insiste sur le fait que les aides-soignants qui disposeraient de ce statut travailleraient au sein de cabinets d’infirmiers libéraux et sous la responsabilité de ces infirmiers. Il s’agit ici surtout d’instaurer une coopération pleine et entière entre aides-soignants et infirmiers dans le secteur libéral et de contribuer au virage domiciliaire que nous appelons tous de nos vœux.
La filière de la santé mentale est probablement celle où les points de convergence entre les professionnels – au premier rang desquels les médecins généralistes, les psychiatres et les psychologues – ne sont pas établis. Les auditions de la mission ont néanmoins permis de démontrer qu’une meilleure coordination entre ces professionnels était envisageable. Trois expériences de terrain pourraient utilement inspirer d’autres territoires en associant les professionnels qui le souhaitent, à savoir les dispositifs de soins partagés mis en place dans les Yvelines Sud, à Créteil et à Toulouse.
Concernant la filière bucco-dentaire, l’ensemble des intervenants semblent favorables à la proposition de création d’un statut d’assistant dentaire de niveau 2, auquel l’assistant de niveau 1 pourrait accéder, après une durée d’expérience définie et une formation, et qui serait très bénéfique dans le domaine de la prévention. Comme les assistants de niveau 1, les assistants dentaires de niveau 2 exerceraient uniquement au sein des cabinets dentaires, sous le contrôle d’un chirurgien-dentiste. À très court terme, nous pourrions expérimenter la création d’assistants dentaires de niveau 2 dans les zones sous-denses et prévoir un dispositif de financement de leur formation.
Concernant la filière de l’anesthésie, il paraît essentiel de reconnaître les infirmiers anesthésistes diplômés d’État dans le code de la santé publique, via la création d’un chapitre dédié, et d’élargir, dans le cadre des protocoles de coopération, leurs compétences à d’autres champs tels que les unités d’accès vasculaires ou le post-opératoire.
Enfin, la mission a consacré une partie de ses travaux à la santé des enfants, sujet préoccupant. J’insisterais surtout sur la nécessité de renforcer le rôle des services de protection maternelle et infantile et de la médecine scolaire. L’exercice des infirmières puéricultrices en ville gagnerait également à être soutenu et développé, notamment en matière de prévention.
En conclusion, je souhaiterais remercier l’ensemble des professionnels de santé auditionnés pour leur disponibilité et leurs propositions. J’espère que ce rapport sera utile et nous permettra collectivement d’avancer, notamment dans le cadre du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).
Mme la présidente Fadila Khattabi. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, pour cette présentation très riche. La perspective d’organisation que vous nous proposez a probablement nécessité de nombreux échanges avec les professionnels de santé et requérir une certaine pugnacité pour aboutir.
M. Jean-Louis Touraine. Je vous remercie et je vous félicite, monsieur Isaac‑Sibille pour cet important travail, qui apporte des propositions opportunes et nous offre l’occasion d’une discussion ouverte et bienvenue sur les professions de santé, notamment sur les professions paramédicales. Cette analyse et ce projet prolongent les propositions de Stéphanie Rist ainsi que celles d’Annie Chapelier.
Il apparaît donc que l’organisation des professions de santé n’est pas satisfaisante dans notre pays : répartition des compétences très rigide, exercice professionnel trop solitaire, absence d’évolution significative dans les dernières décennies, en dépit des modifications de la patientèle, aujourd’hui plus âgée et porteuse d’affections chroniques.
Dans le prolongement du Ségur de la santé, mais en allant bien au-delà, vous proposez de réformer très largement l’organisation des professions de santé et plus spécifiquement des professions paramédicales. Vous fixez quatre objectifs : montée en compétences de l’ensemble des professions, place plus importante dévolue aux missions de prévention, renforcement du travail en équipe et fluidification des parcours professionnels. J’adhère totalement à ces orientations fondamentales et salutaires, pour lesquelles vous formulez des suggestions très pragmatiques. J’ai plus particulièrement retenu trois d’entre elles
D’abord, le renforcement de la formation et de l’exercice en pratique avancée : cet excellent dispositif, relativement récent en France, ne progresse pas suffisamment rapidement alors qu’il donne satisfaction à un grand nombre de malades, qu’il améliore l’attractivité des métiers et qu’il redonne du temps médical aux praticiens.
Ensuite, l’instauration de nouvelles modalités de financement propices aux collaborations et à diverses synergies au service des patients.
Enfin, la mise en œuvre rapide de mesures consensuelles, souhaitées par les professionnels au sein de chaque filière, à savoir dans les domaines bucco‑dentaire, visuel, auditif, de la santé mentale, des soins pédiatriques...
Monsieur le rapporteur, les perspectives que vous avez tracées sont très attendues par les professionnels, par les malades et leurs associations et par les pouvoirs publics. Je ne doute pas qu’elles soient suivies d’effet.
M. Jean-Carles Grelier. Monsieur Isaac-Sibille, je vous remercie pour ce rapport très pertinent. En effet, nous sortons d’une période de crise sanitaire dans laquelle nous avons constaté que la coopération entre les professionnels de santé sur les territoires était absolument indispensable. En outre, alors qu’il intervenait devant notre commission, le président de la Conférence des doyens des facultés de médecine nous a convaincus que, vraisemblablement, dans les années à venir, et malgré la suppression du numerus clausus, le nombre de médecins n’augmenterait pas. Dès lors, c’est bien à travers la mise en œuvre rapide d’une coopération que nous parviendrons à régler ces problèmes de démographie médicale sur les territoires.
Nous vous félicitons non seulement pour ce constat, que nous partageons intégralement, mais également pour les propositions que vous avancez. Elles sont concertées ; elles sont innovantes ; elles sont pertinentes et elles méritent d’être soulignées.
Vous évoquez la révision des décrets d’actes de certaines professions paramédicales. Une révision permanente, au fil de l’eau, afin d’adapter les décrets d’actes à la réalité de terrain dès que cela s’avère nécessaire ne serait-elle pas plus pertinente ? Jusqu’à un passé très récent, une infirmière libérale n’était pas autorisée à prescrire du sérum physiologique alors que ce produit est en vente libre en grande surface. La révision des décrets d’actes permettrait de mettre un terme à ce type d’abus.
Il me semble que, dans votre rapport, vous ne faites aucune mention de la filière maïeutique ni du rôle et de la mission des sages-femmes dans la prise en charge de la santé des femmes, non seulement en obstétrique, mais également plus largement.
Ne pensez-vous pas que l’expérience acquise par une infirmière ou une aide-soignante qui, pendant des décennies, exerce son métier dans le même service hospitalier mériterait que son expertise soit reconnue par la validation des acquis de l’expérience et que sa carrière soit revalorisée à due concurrence ? En effet, la rémunération des IPA, comme celle des autres professionnels, pose problème.
M. Philippe Vigier. Je crois que le rapport de Cyrille Isaac-Sibille apportera une pierre à l’édifice de ce chantier qui nous appartient à tous. Dans notre pays, l’accès aux soins ne cesse de régresser depuis de longues années. Ce rapport propose des solutions innovantes, concrètes, qui sont confrontées au vécu. Il serait essentiel que ce que nous proposons soit suivi d’actions concrètes de sorte à apporter de véritables solutions parce que force est de constater que les dix années à venir seront celles de tous les dangers.
Actuellement, le nombre d’heures de médecin disponibles équivaut à celui de 1980 alors que les besoins vont croissant, puisque la population a augmenté de 30 %. Par ailleurs, la pandémie a mobilisé l’ensemble du corps médical.
Il n’est pas juste d’affirmer que le numerus clausus a été supprimé ; il n’est pas supprimé. Quand déciderons-nous enfin, dans notre pays, de former un plus grand nombre de médecins ?
La création des IPA a été très bénéfique et je déplore que leur nombre stagne. Nous en dénombrons environ quatre cents alors que nous en espérions deux mille lorsque cette mesure a été lancée, en 2016.
J’adhère à l’idée d’une révision permanente, au fil de l’eau, des décrets d’actes, évoquée par notre collègue. Il mentionnait les infirmières, mais il était également interdit aux biologistes de vacciner, alors qu’ils sont en première ligne pour le dépistage de la covid.
Les CPTS ont montré leur véritable efficacité. Leur nombre stagne faute de financements et de moyens et c’est regrettable.
Il est nécessaire que nous progressions dans l’ensemble de ces domaines. Je félicite Cyrille Isaac-Sibille d’avoir porté toutes ces propositions et nous l’assurons de notre soutien dans leur concrétisation.
M. Boris Vallaud. La méthode choisie par notre collègue pour mener sa mission a permis une large concertation et des discussions décloisonnées qui, parfois, font défaut dans les instances de représentation alors qu’elles sont en pratique plus denses sur le plan local.
La question de la démographie médicale est prégnante et elle induit la nécessité d’organiser des coopérations afin de pallier des carences. Je ne suis pas certain qu’à l’horizon que vous évoquez, à savoir dix ans, nous disposions d’un plus grand nombre de médecins, en tout cas d’un nombre suffisant et d’un nombre suffisant là où ils seraient nécessaires. Dans mon département, la question de la démographie médicale et des déserts médicaux est essentielle. Dans les années 1990, l’écart entre l’espérance de vie d’un hyper‑rural et celle d’un hyper‑urbain s’élevait à deux ans ; actuellement, il est évalué à deux ans et deux mois. Certes, l’accès aux soins n’explique pas tout, mais il prend une part significative dans l’explication.
Selon vous, comment pourrions-nous articuler ces pratiques nouvelles avec des règles d’installation qu’il importe, à mon sens, de faire évoluer ? Nous avons, les uns et les autres, expérimenté une grande diversité d’incitations à l’installation dans ces déserts médicaux. Le groupe Socialistes et apparentés a formulé plusieurs propositions, notamment le conventionnement sélectif ou encore l’obligation, les cinq premières années, d’exercer dans des territoires déficitaires en médecins. Si nous n’apportons aucune réponse à la question de la démographie médicale, le reste, aussi utile soit-il, risque d’être inopérant.
M. Paul Christophe. Au nom du groupe Agir ensemble, je salue la qualité du travail accompli par notre collègue Cyrille Isaac-Sibille.
La grande leçon que nous tirons de la crise de la covid-19 réside dans le constat selon lequel les professionnels de santé constituent le socle de notre nation. Leur engagement sans faille nous a permis de faire face à des pics épidémiques et chacun a pu constater non seulement leur dévouement total, le courage exemplaire dont ils ont fait preuve dans la tourmente, mais également les difficultés auxquelles ils ont été confrontés et le manque de reconnaissance dont ils ont fait l’objet.
Le Ségur de la santé a apporté des réponses. Il a permis de revaloriser les salaires de manière pérenne inédite et de renforcer l’attractivité des métiers de santé. Certes, il s’agit d’un effort historique qu’il convient de saluer. Toutefois, il ne constitue pas une fin en soi. Il importe manifestement de faire évoluer l’organisation des professions de santé afin de répondre aux transformations qui traversent notre société et impactent notre système de santé. Le défi de l’autonomie et l’augmentation des maladies chroniques constituent autant d’enjeux auxquels il nous appartient d’apporter une réponse immédiate.
L’horizon de dix ans pour mener à bien cette ambition nous paraît pertinent. Nous privilégions en effet trop souvent les moyens à la vision. Notre groupe partage votre constat, qui fait d’ailleurs écho aux conclusions du rapport récemment présenté en commission par notre collègue Annie Chapelier sur la formation des professions paramédicales. Vous proposez ainsi de renforcer le socle de compétences des professions paramédicales, ce qui conduirait par exemple les aides-soignants à pratiquer des actes actuellement réalisés par des infirmiers qui, à leur tour, pratiqueraient des actes considérés actuellement comme médicaux. Une telle montée en compétences pourrait-elle, selon vous, s’appuyer sur des formations paramédicales universitaires et leur intégration dans le schéma classique d’un parcours universitaire licence‑master‑doctorat, comme le pratiquent la plupart de nos voisins européens ?
Mme Valérie Six. Monsieur le rapporteur, je tiens à vous remercier pour les travaux que vous avez menés. Il était en effet important de procéder à un point d’étape et d’analyser l’organisation des professions de santé en France de sorte à dégager des perspectives d’évolution face aux défis auxquels nous serons confrontés : le vieillissement de la population, l’augmentation des maladies chroniques et la nécessité de développer des politiques de prévention.
En effet, ces dernières années, nous avons vu s’enchaîner une série de mesures à ce sujet, parfois même une réforme n’était pas encore déployée qu’elle se voyait déjà percutée par la suivante qui tentait de la corriger. Le dernier exemple en date fut apporté par la volonté de créer une profession médicale intermédiaire alors que les pratiques avancées n’étaient pas encore complètement mises en œuvre sur notre territoire.
Je partage la vision d’analyser l’organisation des professions de santé sous l’angle des filières métier afin d’identifier les difficultés ou les blocages auxquels elles sont confrontées. Cependant, monsieur le rapporteur, je resterai vigilante quant à l’élargissement des compétences des professions et sur les éventuels risques de séparation entre les filières. En effet, cela pourrait complexifier et rendre illisible l’organisation des professions de santé, ce qui s’avèrerait contre-productif. Il est important que chacun reconnaisse la compétence de l’autre, pour une meilleure complémentarité.
La coopération des professionnels de santé devient en effet une nécessité pour les années à venir. Cependant, nous avons besoin dès maintenant d’une adaptation de ces métiers de la santé. Le parcours de soins du patient et sa fluidification constituent une priorité. Ce rapport doit nous amener à identifier des aides et des mesures concrètes lors du PLFSS que nous examinerons à la rentrée.
Mme Martine Wonner. Il y a unanimité autour du constat établi par le rapport sur le fait que notre système de santé est de plus en plus en décalage par rapport aux besoins de la population. Nous sommes confrontés au vieillissement de la population et au développement croissant des problématiques de santé liées aux catégories d’âge les plus avancées et des maladies chroniques ainsi qu’à l’augmentation de la dépendance.
Dès lors, je partage certaines des conclusions pragmatiques de votre rapport. Il s’avère effectivement essentiel d’augmenter les effectifs de soignants et de les répartir de façon plus pertinente sur notre territoire afin d’éviter toute forme de désert de soins et d’améliorer la coordination entre les différents professionnels de santé.
Cependant, un grand nombre de professions médicales alertent et manifestent depuis plusieurs mois sur la déshumanisation progressive des soins. Médecins, infirmiers et aides‑soignants dénoncent régulièrement les contraintes économiques et la recherche constante de l’efficience, qui conduisent progressivement à considérer le patient comme un dossier. Dans son parcours de soins, le patient doit de plus en plus faire face à la multiplicité d’intervenants suivant des protocoles rigoureux, souvent schématiques, qui dépersonnalisent l’acte de soin. Nous constatons les prémices de cette déshumanisation dans la réorganisation du secteur sanitaire et médico-social, notamment dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.
Vous avez mentionné le secteur psychiatrique et je vous en remercie. J’avais évoqué en 2019, dans mon rapport parlementaire sur la santé mentale, le dispositif coordonné du centre hospitalier universitaire de Toulouse, exemplaire tant en matière de partenariat public‑privé sur le territoire que pour les liens humains qu’il développe entre le soignant et le patient.
M. Pierre Dharréville. La vision périphérique de la répartition des tâches et de la coopération entre les différentes fonctions médicales et paramédicales que nous propose ce rapport est très utile.
Nous ne pourrions pas résoudre la problématique de la démographie médicale simplement par un simple redécoupage et cela ne doit pas constituer un objectif. En revanche, des évolutions sont nécessaires, souhaitables et souhaitées. Dès lors, j’apprécie la démarche qui consiste à y réfléchir et à afficher une volonté d’élargir les compétences des différentes professions de santé, tout en tentant de répondre à la question de la perte de sens, prégnante pour les professions de santé, ainsi que l’a révélé la crise sanitaire que nous traversons.
Notre groupe a également proposé le conventionnement sélectif et la création plus volontaire de centres de santé. Cette démarche mériterait d’être intégrée dans les dispositifs publics.
Par ailleurs, nous contestons les logiques de tarification des actes et de tarification à l’acte.
Dans le respect des métiers, il me semble que dans la réflexion qui est la vôtre, il est indispensable de construire les contours des métiers, et non pas simplement d’agréger des compétences, de sorte à favoriser la formation et la qualification des professionnels de santé. Émergent alors les enjeux liés au lien direct qui existe entre les grilles de qualification et la rémunération.
M. Bernard Perrut. Il est indispensable de dessiner l’évolution des professions de santé. Je félicite bien sûr notre collègue pour cet excellent rapport.
Les publics fragiles, seniors ou personnes atteintes d’un handicap, expriment une volonté d’accès aux soins au plus près de chez eux, à domicile, dans la mesure du possible. Cette évolution majeure de la prise en charge suppose de construire et de financer un système réunissant prévention, soins primaires, suivi médico-social et social, dans une logique ambulatoire. Ce nouveau paradigme de la protection sociale doit tenir compte de l’allongement de la durée de la vie et du développement des maladies chroniques. La complémentarité des acteurs de santé, la continuité des parcours et les innovations de produits et services se situent au cœur des enjeux. C’est pourquoi vous proposez, cher collègue, à ce titre, la création d’un statut libéral d’aide-soignant susceptible d’offrir aux professionnels une plus grande diversité des modes d’exercice et de garantir aux patients un choix plus large des modalités de prise en charge. Pourquoi pas ?
Pour autant, cela est-il suffisant ? Ce n’est pas suffisant si, dans le même temps, le secteur de l’aide à domicile, indispensable, n’obtient pas la juste considération qu’il mérite. Vous n’abordez pas ce sujet, sur lequel je souhaiterais connaître votre point de vue. Les conditions de travail, le manque de reconnaissance sociale ou encore les faibles rémunérations qui nuisent à l’attractivité du secteur de l’aide à domicile et qui freinent ainsi le développement du virage domiciliaire et participe de la rupture du parcours de soins.
Comment soutenir une revalorisation pérenne des métiers de l’aide à domicile ?
Quel encadrement proposez-vous afin de garantir une qualité des prestations déployées ?
Comment tenir compte des facteurs de pénibilité des métiers du secteur ?
Comment intégrer la notion de parcours dans le développement du maintien à domicile ?
Comment assurer la complémentarité et la coordination des acteurs du secteur ?
Nous sommes ici même, monsieur le rapporteur, au cœur de l’actualité et il y a urgence.
Mme Stéphanie Rist. Je vous remercie, cher collègue pour ce rapport, que j’ai eu plaisir à lire, et je vous félicite pour ce travail.
Sur un sujet, l’évolution des professions de santé, qui est primordial, nous accusons un retard important par rapport aux pays qui nous entourent et cette démarche constitue un enjeu majeur pour les années à venir afin d’améliorer, d’une part, l’accès aux soins, et d’autre part et surtout, l’attractivité de métiers importants et la qualité de la prise en charge des patients.
Je partage votre insistance sur la nécessité de valoriser les soignants, sous une forme de certification, dans le cadre des protocoles de coopération.
J’adhère également à votre proposition de développement de ces professions intermédiaires de sorte à favoriser la prévention et la prise en charge des personnes âgées, face à l’évolution de notre démographie qui se dessine pour les années à venir.
Enfin, je soutiens votre volonté de renforcer le travail de coopération et de coordination.
Cependant, vous proposez la montée en compétence des professionnels sous le contrôle d’autres professionnels. Je ne pense pas que ce contrôle soit indispensable si les soignants sont formés, notamment via des parcours universitaires. Nous vivons sous le joug d’une culture médicale très marquée par les officiers de santé et qui confère un monopole aux médecins, notamment. Comment pensez-vous que cette culture puisse évoluer au bénéfice des patients ? Cette évolution, cette transformation, est-elle envisageable sans repenser le mode de rémunération des professionnels de santé ?
M. Alain Ramadier. Monsieur le rapporteur, vous formulez plusieurs propositions dans ce projet de rapport d’information. Je souhaiterais vous interroger sur la douzième, à savoir « améliorer l’organisation de la filière santé mentale » qui soumet deux suggestions : favoriser sur l’ensemble du territoire la mise en œuvre de dispositifs de soins partagés sur le modèle de ceux qui ont été déployés en Yvelines Sud, à Créteil et à Toulouse, en y associant les professionnels ; évaluer l’ensemble des expérimentations existantes avant d’envisager leur généralisation.
Les professionnels de santé mentale sont trop peu nombreux en France, et ce d’autant plus que la crise sanitaire a littéralement fait exploser les besoins, un nombre croissant de nos compatriotes étant victimes d’une grande détresse.
Si je souscris sans réserve à la proposition avancée dans ce rapport, je m’interroge toutefois quant à l’application d’une telle mesure selon les territoires. En effet, s’il est envisagé de favoriser la mise en œuvre de tels dispositifs de soins, je crains qu’ils soient difficilement applicables dans les territoires ruraux, éloignés des centres urbains qui présentent une forte densité de population et des services de soins bien plus nombreux. Je souhaiterais connaître votre position sur ce point précis.
Mme Michèle de Vaucouleurs. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, pour votre investissement sur ce sujet de l’évolution des professions de santé et pour vos recommandations.
Ainsi que vous le rappelez dans votre rapport, plusieurs dispositifs ont été mis en place ces dernières années afin de décloisonner les parcours professionnels et d’inciter au développement de nouveaux modes d’organisation des soins. Vous mentionnez les pratiques avancées, l’exercice coordonné et les protocoles de coopération. Parmi ceux-ci, les CPTS me paraissent offrir un laboratoire précieux pour réfléchir à la question de la montée en compétence de l’ensemble des professionnels et de la fluidification de leur parcours. Vos auditions vous ont-elles permis d’observer, en leur sein, des pratiques innovantes ? Quelles seraient vos recommandations pour soutenir ces laboratoires d’innovation que peuvent constituer les CPTS ?
M. Thibault Bazin. Quelles préconisations proposeriez-vous pour nos territoires ruraux ou périurbains dans lesquels, parfois, il n’y a pas suffisamment de place pour plus d’un médecin ? Je vous donne l’exemple d’une jeune femme médecin qui, depuis deux ans, tente d’innover et de mettre en place une coopération avec une infirmière qui, comme elle, travaille en libéral. Leur initiative se heurte à un véritable parcours du combattant. Mettre en place une coopération simple d’un binôme libéral, médecin et infirmière, sans créer une maison de santé pluri-professionnelle, sans passer par un lien d’organisation économique, de sorte à éviter une requalification, pourrait conceptuellement paraître simple afin de répartir les actes et de faire de la prévention à laquelle l’infirmière pourrait contribuer. Néanmoins, force est de constater que la démarche s’avère complexe.
Pouvez-vous imaginer un tel dispositif de coopération, dans de petits villages de moins de mille habitants, entre un médecin et un infirmier ? La création d’une structure qui ne soit ni trop technologique ni trop importante et qui corresponde à la réalité de certains territoires vous paraît-elle envisageable ?
Mme Isabelle Valentin. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, pour votre travail qui émane d’un terrain qui vous est familier.
Dans la crise sanitaire que nous traversons depuis plus d’un an, la réactivité et la proximité nous ont permis d’être opérationnels. L’éclosion des initiatives locales doit inspirer la transformation profonde de notre système de santé. Il convient de poursuivre cette dynamique de décloisonnement, à tous les niveaux, entre hôpital, médecine de ville, secteur public et secteur privé. La crise sanitaire nous a démontré que cela fonctionne.
Il importe que la formation des professionnels de santé réponde aux enjeux futurs, que les études de santé soient réformées de sorte à devenir mieux adaptées aux connaissances, aux compétences et aux aptitudes attendues par les futurs professionnels, tout en demeurant garantes d’un haut niveau d’exigence.
Il est également nécessaire d’encourager davantage les coopérations et les passerelles entre les professionnels.
J’adhère à vos propos relatifs au défaut de prévention de santé pour les enfants et à la carence en médecins dans la médecine scolaire. J’identifie deux préoccupations majeures : le numerus clausus, qui bloque toujours, et le zonage, problème administratif de non-sens.
Ma première question porte sur l’annexe 1, à savoir le tableau des effectifs, dans lequel l’évolution pourrait sembler croissante. Pouvez-vous nous préciser si vous chiffrez en nombre de personnes ou en équivalents temps plein (ETP), ce qui est très différent ? Une préconisation pourrait consister à évaluer des effectifs systématiquement en ETP, notamment pour ce qui concerne les zonages. Dans ma circonscription, nous connaissons un déficit de sages-femmes. Se référant aux textes, l’agence régionale de santé est sourde à nos arguments.
Les groupements hospitaliers de territoire (GHT) deviennent le modèle qui s’imposera de gré ou de force sur le territoire. Or si ce mode d’organisation constitue un véritable apport dans certains territoires, force est de constater qu’il n’est pas toujours pertinent selon les territoires concernés. Il serait préférable de laisser les GHT poursuivre leur intégration et de soutenir ceux qui sont dans une situation plus complexe, sans chercher à uniformiser, plutôt que d’imposer une vision technocratique. Qu’en pensez-vous ?
Ma dernière question concerne le secteur bucco-dentaire. En Suisse, des hygiénistes dentaires viennent en soutien des chirurgiens-dentistes qui font cruellement défaut. Une telle démarche pourrait apporter une solution à cette filière. Qu’en pensez-vous ?
M. le rapporteur. Je n’ai pas étudié la question des sages‑femmes parce que j’ai centré mon analyse sur les professions paramédicales et sur les opportunités d’évolution que nous pourrions leur offrir.
Le rapport porte sur les professions de santé, et notamment celles du livre III. Il existe dans notre pays une segmentation entre les professions médicales – médecins, dentistes, sages-femmes – et les professions paramédicales du livre III. Il conviendrait de les rapprocher. Dans le passé, il a été question de créer des professions intermédiaires entre les professions médicales et les professions paramédicales. Lors des auditions que j’ai menées, personne n’a évoqué le principe de la profession intermédiaire entre ces deux secteurs. C’est la raison pour laquelle j’évoque la « théorie de l’escalier », qui consiste à augmenter les compétences des professions existantes – infirmiers, manipulateurs radio, kinésithérapeutes... – de sorte à répartir différemment le travail entre les professions médicales et paramédicales.
Nous nous sommes attachés à préciser les définitions, qui revêtent une grande importance, de sorte à différencier les professions médicales – médecins, dentistes, sages‑femmes – des professions paramédicales. La profession médicale impose une culture globale qui permet de poser un diagnostic médical et d’identifier la conduite à tenir ensuite. En revanche, les actes de soins ou de prévention, qui ne nécessitent pas d’avoir fait entre dix et douze années d’études, peuvent être partagés puisqu’ils relèvent de l’ensemble des professions.
La pratique avancée est une notion assez récente. J’ai eu l’occasion d’auditionner et d’écouter des IPA, dont le nombre va croissant. Cette année, plus de mille IPA ont été formés. Nous avons identifié plusieurs problèmes dans ce cadre de la pratique avancée.
Le premier réside dans le financement de la formation. Certaines formations sont financées par des établissements de soins ou des hôpitaux qui prennent en charge la formation et la rémunération pendant deux ans. A contrario, certains IPA ont dû financer leur formation sur leurs deniers personnels, voire parfois, vendre leur maison pour y parvenir. Il importe que cette formation devienne accessible à tous.
La pratique avancée fonctionne très bien effectivement dans les établissements de soins publics ou privés et elle suscite même parfois une certaine concurrence. En revanche, dans le secteur libéral, les infirmiers formés à la pratique avancée ne sont pas rémunérés à hauteur de cette spécialisation. J’ai donc auditionné les directions centrales et la CNAM afin d’identifier des pistes de financement de la pratique avancée exercée en libéral, sachant qu’elle concerne essentiellement la prévention et les maladies chroniques.
Les IPA montent en puissance. Leur nombre était limité à cinq mille, mais je pense qu’il conviendrait d’aller au-delà. La formation comporte une année de tronc commun et une année de spécialisation. Il serait possible d’imaginer que les IPA suivent plusieurs cursus de spécialisation au cours de leur carrière et ce qui tendrait à les faire évoluer vers cette profession intermédiaire que nous évoquions, alliant formation et expérience. Il convient donc d’insister au sujet de la formation et de la rémunération de ces IPA, notamment pour ceux qui travaillent en libéral.
Il est vrai que la crise sanitaire a quelque peu fait exploser le système. La pratique de la vaccination a notamment été étendue.
Le problème du numerus clausus relève d’un débat différent. Le déficit de médecins sera toujours prégnant dans les prochaines années. La fin du numerus clausus est limitée par la capacité des universités à former les étudiants et à leur proposer des stages. Néanmoins, il est possible d’imaginer que, dans dix ans, nous disposions d’un nombre de médecins équivalent à celui d’il y a dix ans. Il s’agit surtout de définir le rôle d’un médecin. Selon moi, le médecin est le praticien capable de poser un diagnostic et d’identifier la conduite à tenir. Il a également la mission de coordonner les soins ou la prévention au sein de son équipe.
L’idée d’une évolution des décrets d’actes au fil de l’eau me semble intéressante. Actuellement, il existe un Comité national des coopérations interprofessionnelles, qui pourrait faire évoluer les compétences et le périmètre des activités des différentes professions. Une évolution globale de l’ensemble des professions semble complexe à mettre en œuvre, notamment pour ce qui concerne la formation. Il existe des protocoles de coopération, mais leur validité reste locale, voire limitée à un service. Il serait intéressant que la coopération locale puisse être validée par des unités de valeur universitaires, en sachant qu’un infirmier pourrait cumuler jusqu’à trois unités de valeur et faire ainsi évoluer sa carrière.
Vous évoquez le rôle des sages-femmes, dont chacun sait qu’il est essentiel dans de nombreux domaines, y compris celui de la prévention pour la santé de la mère et de son enfant.
Vous m’interrogez sur la reconnaissance des compétences. Il s’agit en effet de valoriser les compétences par une qualification, via les unités de valeur universitaires dont la validation induirait un niveau de rémunération.
S’agissant des heures disponibles des médecins, il est vrai que, dans le passé, certains médecins pouvaient travailler jusqu’à vingt heures, vingt-et-une heures, voire vingt‑deux heures. La tendance a légitimement évolué et les médecins s’attachent désormais à conjuguer vie professionnelle et vie personnelle. Nous ne disposons d’aucune estimation d’un temps moyen quotidien qu’un médecin consacre actuellement à son travail. Pour autant, comme l’ensemble des professions libérales, les professions médicales et paramédicales ne sont pas soumises aux trente‑cinq heures hebdomadaires.
La montée en compétences individuelle semble relativement aisée, notamment grâce à la reconnaissance des protocoles via les unités de valeur universitaires.
Nous constatons une augmentation du nombre des acteurs de la prévention. Selon moi, la prévention relève de la santé publique. Il s’agit en fait de procéder à une approche plus populationnelle qu’individuelle. La prévention individuelle relève davantage des professions de santé.
La déshumanisation constitue une réelle préoccupation. Elle est liée au temps médical ou paramédical. Alors que les IPA disposent d’un temps d’écoute des patients plus important, a contrario, et malheureusement, le temps médical, celui dont disposent les médecins, est beaucoup plus limité, de l’ordre de dix à vingt minutes. L’IPA prend le temps d’écouter le patient. Il est reconnu en tant que tel par le patient, qui s’autorise alors à discuter avec lui, à lui poser des questions, etc. Cela participe à l’humanisation de la médecine, qui retrouve alors du temps d’échange à consacrer aux malades et à leur éducation thérapeutique. Cela constitue le véritable intérêt de ces montées en compétence.
Nous accusons un déficit prégnant en psychiatres et en infirmiers psychiatriques. Néanmoins, nous disposons de nombreux psychologues. La table ronde que nous avons organisée sur le thème de la santé mentale a mis en évidence deux types d’attitude des psychologues. Certains psychologues ne souhaitent pas être reconnus comme appartenant à une profession de santé ; d’autres y sont favorables. S’ils sont volontaires, il serait possible d’envisager leur intégration, rémunérée, dans la prise en charge du patient. Des expérimentations sont en cours dans ce sens. Il serait, selon moi, intéressant d’associer les psychologues qui le souhaitent, afin de répondre à la demande croissante en matière de santé mentale.
J’ai constaté que certaines professions paramédicales sont sollicitées pour des tâches qui ne relèvent pas de leurs compétences, notamment dans les établissements de soins. À titre d’exemple, face au déficit en secrétaires médicaux, il arrive que des infirmières assurent cette fonction. Il serait nécessaire de renforcer les fonctions administratives ce qui permettrait de redonner du sens à chacune des professions.
La différence entre les maisons de santé et les centres de santé réside dans le statut de chaque établissement. Le personnel des uns est libéral alors que celui des autres est salarié. Chacun peut y trouver un intérêt. La demande des médecins à être salariés est croissante. Toutefois, il est souhaitable de renforcer l’attractivité des professions libérales, car elles assurent la continuité du service sur le territoire.
S’agissant du maintien à domicile, le virage domiciliaire est amorcé. Il impose d’organiser la prise en charge à domicile qui repose sur deux piliers : d’une part, tout ce qui relève des services de soins infirmiers à domicile, des services d’aide et d’accompagnement à domicile et des services polyvalents d’aide et de soins à domicile, composés d’infirmiers, d’aides-soignants ou d’auxiliaires de vie salariés, et d’autre part, les infirmiers libéraux.
L’attractivité du métier d’aide-soignant serait accrue dans le cadre d’un statut libéral. Toutefois, ce métier rencontre des difficultés de recrutement, les aides-soignants privilégiant le secteur hospitalier à celui du maintien à domicile. Il convient donc d’agir en ce sens.
Le contrôle de la montée en compétence des professionnels par d’autres professionnels relève d’une question de définition : autonomie ou indépendance ? Je défends l’autonomie, c’est-à-dire le travail en équipe qui n’autorise pas l’indépendance, cette dernière consistant à travailler seul dans son coin. Il importe que l’ensemble des professions monte en compétence dans une synergie, dans le cadre d’une équipe de soins, sous la coordination des médecins qui, après avoir posé un diagnostic, établiront une ligne de conduite à suivre par leur équipe.
S’agissant de la santé mentale, des expérimentations sont en cours sur plusieurs territoires et il conviendra de les généraliser dès lors qu’elles auront été évaluées et qu’elles s’avèreront bénéfiques. Il serait également nécessaire d’étudier la répartition des psychologues sur le territoire et notamment dans les territoires ruraux de sorte à envisager des délégations de tâches.
Les CPTS constituent des lieux d’échanges, de rencontres, pour l’ensemble des professions de santé, médicales et paramédicales. La crise sanitaire a mis en évidence l’intérêt de ces centres, notamment dans l’organisation de la vaccination. Les CPTS disposent également des éléments de diagnostic des territoires sur lesquels elles peuvent organiser des actions de prévention spécifiques. Les données de santé serviront de base à des indicateurs qui nous permettront d’évaluer l’action de ces communautés et l’évolution de la culture de santé sur les territoires et ainsi, de définir une rémunération collective.
La coordination s’articule dans deux secteurs : une coordination entre les professionnels de santé et une coordination sur le territoire, via les CPTS. Celles‑ci s’adressent à un territoire sur des objectifs ; la coordination entre les équipes de soins primaires, par exemple, s’adresse à une patientèle. Il serait envisageable d’établir des protocoles locaux permettant à un médecin, un infirmier, voire un pharmacien et un kinésithérapeute de travailler ensemble avec des délégations de tâches. De telles coopérations existent, mais elles ne sont pas suffisamment connues.
Le tableau des effectifs figurant dans l’annexe 1 répertorie un nombre de personnels et non pas des ETP. Cependant, que signifierait un « équivalent temps plein » pour des personnels de santé ? Si nous nous fondons sur trente-cinq heures hebdomadaires, nous pouvons considérer que l’ensemble des effectifs travaille à temps plein. Certains effectuent entre cinquante et soixante, voire soixante-dix heures de travail hebdomadaires. Le personnel salarié est soumis à un temps de travail défini, mais ce n’est pas le cas des professionnels de santé en libéral.
Les GHT relèvent d’une organisation entre hôpitaux. Les CPTS constituent une organisation entre les professionnels de santé de ville. Les hôpitaux de proximité représentent des lieux de rencontre entre les GHT et CPTS et assurent le lien.
S’agissant de la santé bucco-dentaire, j’avance une proposition analogue à la profession d’hygiéniste que vous évoquez : les assistants dentaires de niveau 2. Il convient de définir s’ils doivent travailler dans un cabinet dentaire, sous le contrôle d’un dentiste, de manière autonome sans être indépendants, ou s’il est préférable qu’ils conservent leur indépendance, comme c’est le cas en Allemagne. La profession d’assistant dentaire de niveau 2 que je préconise serait l’équivalent d’un hygiéniste allemand, mais il serait associé à un cabinet dentaire, donc autonome sans être indépendant.
L’importance de ce rapport réside dans l’identification de points de convergence. Le ministère présentera des propositions à la rentrée de septembre. Dès lors que nous nous accordons sur le diagnostic, il convient de faire progresser nos propositions de sorte qu’elles soient mises en place dans le prochain PLFSS.
Mme la présidente Fadila Khattabi. Chers collègues, au regard de la qualité de ce rapport, je suppose que vous ne verrez aucune objection à sa publication.
En application de l’article 145, alinéa 7, du Règlement, la commission autorise la publication du rapport d’information.
La séance s’achève à douze heures cinq.
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Réunion du mercredi 7 juillet 2021 à 9 heures 30
Présents. - M. Thibault Bazin, M. Sébastien Chenu, M. Paul Christophe, Mme Christine Cloarec-Le Nabour, M. Marc Delatte, M. Pierre Dharréville, Mme Jeanine Dubié, M. Jean-Carles Grelier, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Caroline Janvier, Mme Fadila Khattabi, Mme Monique Limon, M. Thierry Michels, M. Bernard Perrut, Mme Michèle Peyron, M. Alain Ramadier, Mme Stéphanie Rist, Mme Valérie Six, M. Jean-Louis Touraine, Mme Nicole Trisse, Mme Isabelle Valentin, M. Boris Vallaud, Mme Laurence Vanceunebrock, Mme Michèle de Vaucouleurs, Mme Annie Vidal, M. Philippe Vigier, M. Stéphane Viry, Mme Martine Wonner
Excusés. - M. Joël Aviragnet, Mme Justine Benin, Mme Josiane Corneloup, Mme Pascale Fontenel-Personne, Mme Claire Guion-Firmin, Mme Myriane Houplain, M. Thomas Mesnier, M. Jean-Philippe Nilor, Mme Nadia Ramassamy, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Nicole Sanquer, Mme Hélène Vainqueur-Christophe
Assistait également à la réunion. - M. Vincent Descoeur