Compte rendu
Commission
des affaires étrangères
– Examen, ouvert à la presse, des avis budgétaires sur le projet de loi de finances pour 2021 (n° 3360) :
- Examen pour avis des crédits de la mission Action extérieure de l’État :
- Action de la France en Europe et dans le monde ; Français à l’étranger et affaires consulaires (M. Christophe Di Pompeo, rapporteur pour avis) ;
- Diplomatie culturelle et d’influence - Francophonie (M. Frédéric Petit, rapporteur pour avis) ;
• Vote sur les crédits de la mission Action extérieure de l’État. 2
- Examen pour avis des crédits de la mission Défense (M. Guy Teissier, rapporteur pour avis) ;
• Vote sur les crédits de la mission Défense............. 35
– Informations relatives à la Commission ................. 44
Mercredi
21 octobre 2020
Séance de 9 heures 30
Compte rendu n° 7
session ordinaire de 2020-2021
Présidence
de M. Rodrigue Kokouendo,
Vice-président
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Examen, ouvert à la presse, des avis budgétaires
sur le projet de loi de finances pour 2021 (n° 3360)
- Examen pour avis de la mission Action extérieure de l’État :
- Action de la France en Europe et dans le monde ; Français à l’étranger et affaires consulaires (M. Christophe Di Pompeo, rapporteur pour avis) ;
- Diplomatie culturelle et d’influence - Francophonie
(M. Frédéric Petit, rapporteur pour avis) ;
- Examen pour avis des crédits de la mission Défense
(M. Guy Teissier, rapporteur pour avis).
La séance est ouverte à 9 heures 30.
Présidence de M. Rodrigue Kokouendo, vice-président.
M. Rodrigue Kokouendo, président. Je salue amicalement, en votre nom, notre présidente Marielle de Sarnez, à qui nous présentons nos vœux de prompt rétablissement et qui suit attentivement tous nos travaux.
Je dois faire un point de procédure. Comme vous le savez, notre présidente a écrit, jeudi dernier, au président Richard Ferrand pour lui faire part de nos préoccupations quant aux dispositions arrêtées par la Conférence des présidents du mardi 13 octobre, laquelle a réservé la visioconférence aux activités de contrôle et d’évaluation, les travaux législatifs des commissions devant s’effectuer exclusivement en présentiel.
Dans le respect des dispositions de l’article 41 du Règlement qui charge notre présidente d’organiser nos travaux et permet à notre bureau d’organiser les délibérations de la commission, et après que l’ensemble des coordinateurs des groupes a été consulté, Marielle de Sarnez a demandé à pouvoir proposer aux commissaires de participer par visioconférence aux discussions générales auxquelles donnent lieu nos travaux législatifs.
Par lettre du mardi 20 octobre, le président Richard Ferrand a fait droit à cette demande, en faisant notamment valoir la spécificité de nos travaux législatifs qui comportent peu d’examen d’articles, peu d’amendements et donc peu de votes. Dans ces conditions, notre réunion de ce matin a pu être proposée en mode mixte.
Afin de concilier l’exigence de réserver la participation à l’examen des articles et des amendements et aux votes aux seuls commissaires présents physiquement dans la salle, le son de la visioconférence sera coupé à la fin des discussions générales, sans interrompre la liaison Zoom. La visioconférence reprendra son cours normal une fois que les votes seront intervenus. Cette interruption du son interviendra ainsi après la discussion des deux rapports sur la mission Action extérieure de l’État, puisque nous serons alors amenés à examiner des amendements. Il sera rétabli après le vote sur les crédits de la mission, pour entendre le rapport sur la mission Défense.
Mme Frédérique Dumas. Je suis ravie de cette décision finale, mais je suis très surprise de sa justification, selon laquelle la visioconférence peut être autorisée au motif que la commission n’a que peu d’amendements à voter. En quoi la crise sanitaire empêche-t-elle de faire des visioconférences ? Le virus ne circule pas par visioconférence. Cette situation est extrêmement choquante. Notre collègue Jean-Louis Bourlanges l’avait noté, de même que notre présidente. C’est inadmissible. D’une part, c’est contraire au Règlement. D’autre part, il est dramatique de nous expliquer que les députés ne peuvent pas participer et poser des questions en visioconférence. Cela n’a aucun rapport avec la crise sanitaire. C’est clairement un abus de pouvoir et de droit.
M. Frédéric Petit. Je me réjouis, moi aussi, qu’on arrive à une position médiane, qui me semble très logique. Mais je ne comprends pas pourquoi il faut couper le son. Nos collègues devront-ils nous suivre à partir de la retransmission sur Internet ?
M. Rodrigue Kokouendo, président. Non. La raison n’est pas technique.
M. Frédéric Petit. Quel est l’intérêt ? C’est surréaliste. Je voudrais comprendre pourquoi le son sera coupé pendant les votes. Pouvez-vous me l’expliquer ? Je ne vois pas ce que cela change, pour qui. Pourquoi avoir fait un Règlement qui, d’après ce que je comprends, ne sert qu’à ce qu’à se disputer deux ans plus tard parce qu’il n’aura pas été intégré ? Je ne vois pas quel est l’objectif démocratique de couper le son pendant le vote, alors que nos réunions sont publiques et que sur Internet, les votes seront visibles. Je comprendrais qu’on coupe le micro de nos collègues en visioconférence – c’est, de toute façon, toujours coupé –, mais alors il faudrait l’indiquer.
M. Rodrigue Kokouendo, président. C’est exactement ce que vous venez d’expliquer.
M. Frédéric Petit. On leur coupe donc leur micro.
M. Rodrigue Kokouendo, président. Voilà. Nos collègues en visioconférence n’interviennent pas pendant les votes, ainsi que vous venez vous-même de l’expliquer.
M. Michel Herbillon. Je m’exprime au nom du groupe Les Républicains. La crise sanitaire ne peut pas entraîner une démocratie au rabais. Alors que notre pays est confronté à un certain nombre de problèmes, en particulier la crise sanitaire, et même si cela arrange notre exécutif de gouverner seul, par ordonnance ou avec un petit cercle très limité, nous sommes un pays démocratique, avec un Parlement. En l’occurrence, l’honneur du Parlement – comme, j’espère, du Gouvernement – est de trouver des modalités qui respectent les conditions sanitaires et la distanciation physique tout en permettant à la démocratie parlementaire d’exercer son rôle, c’est-à-dire de légiférer, de contrôler l’action du Gouvernement et d’interpeller ce dernier.
Je suis assez surpris que, dans un lieu dans lequel on établit la norme et la réglementation, on se soit permis une disposition exorbitante de la réglementation de l’Assemblée nationale. En quoi la Conférence des présidents peut-elle décider d’interdire subitement aux parlementaires de suivre les travaux de cette commission à la fois en présentiel et en visioconférence, du fait de la crise sanitaire ?
M. Rodrigue Kokouendo, président. Nous avons eu cette discussion la semaine dernière. Notre présidente a écrit au président de l’Assemblée nationale.
M. Michel Herbillon. Puis-je terminer mon intervention ? Si c’est vous qui voulez me couper le micro, il faut le dire !
M. Rodrigue Kokouendo, président. Pas du tout. Je rappelle simplement que nous avons eu cette discussion la semaine dernière.
M. Michel Herbillon. Et effet, et j’étais présent. J’ai donné mon accord à la lettre qui a été envoyée. Mais à partir du moment où notre collègue Frédérique Dumas a, très justement, exprimé sa réaction, vous me permettrez d’exprimer la mienne. J’ai besoin d’explications. Puisque vous présidez la séance, vous avez certainement la réponse, monsieur le président. Quelle est la raison pour laquelle le micro des collègues qui suivent nos travaux en visioconférence sera coupé ?
M. Rodrigue Kokouendo, président. Le micro sera coupé uniquement le temps du vote.
M. Michel Herbillon. Au nom de quelle règle ?
M. Rodrigue Kokouendo, président. Jusqu’ici, aucun collègue n’a voté par visioconférence.
M. Michel Herbillon. Quel est le dispositif du Règlement qui le prévoit ?
M. Rodrigue Kokouendo, président. Il en a toujours été ainsi. Jamais personne n’a voté par visioconférence.
M. Michel Herbillon. Il n’y avait pas de crise sanitaire. Il n’y a donc pas de précédent.
M. Rodrigue Kokouendo, président. Si nous estimons qu’il faut des dispositions particulières, nous en discuterons entre nous.
M. Michel Herbillon. On doit faire des dispositions particulières pour permettre aux parlementaires d’exercer leur rôle, y compris et même plus encore pendant la crise sanitaire. Vous le savez. Ce n’est pas un sujet de polémique entre nous. Il faut le réaffirmer. Il est très facile pour un Gouvernement de gouverner seul, sans le Parlement. Mais telle n’est pas la démocratie française. Nous sommes les représentants du peuple. Il faut donc affirmer notre rôle, y compris lorsqu’il y a des difficultés.
M. Christian Hutin. Nous avons eu la chance exceptionnelle que Marielle de Sarnez prenne les commandes de cette commission. Je pense que l’ensemble des groupes sont à peu près d’accord sur ce point. Souvent, Jean-Paul Lecoq demande que des textes soient débattus dans l’hémicycle, et nous y passons une journée. Ce n’est pas inintéressant. De nombreuses personnes suivent d’ailleurs nos débats relatifs à des questions internationales. Leur nombre est même plus important que le PLFSS. Nous avons eu la chance que cette commission soit revalorisée grâce à Marielle de Sarnez. Je le dis franchement.
Le président de l’Assemblée nationale considère que nous sommes des petits et que nous ne votons pas beaucoup d’amendements. Évidemment ! Nous n’avons pas le droit d’amender des traités internationaux. Nous avons un peu le droit de parler dans l’hémicycle, grâce à Marielle de Sarnez, ce qui est déjà bien. J’amenderai ainsi cet après-midi, en remplacement de mon collègue Alain David, le projet de loi sur l’action extérieure de l’État. Nous porterons une dizaine d’amendements. Ils seront refusés, bien évidemment. Mais nous les défendrons. Le courrier du Président de l’Assemblée nationale est dévalorisant pour notre commission. Au motif que nous sommes une petite commission qui vote peu d’amendements, elle peut se réunir comme elle l’entend. Il est inadmissible d’écrire cela. C’est énorme ! Il faut l’entendre avant de ne plus être parlementaire !
Par ailleurs, au motif qu’un participant sera en Afrique, notre bureau va se réunir en visioconférence alors que nous ne sommes que huit. Nous ne sommes pas dangereux ! Je souhaite que l’ensemble de la commission statue ce matin quant au fait que le rapport de Mmes Kuric et Dumont relatif aux enfants sans identité puisse être présenté dans l’hémicycle. Je pense que nous serons nombreux à être d’accord. Si la commission prend cette décision, nous aurons alors une discussion, laquelle intéressera beaucoup de monde. Je souhaite que nous puissions prendre cette décision en dehors du bureau « visioconférencé » durant lequel il sera possible ou non de voter. Ici, nous pouvons tous voter. La qualité du rapport Kuric et Dumont est exceptionnelle. Aussi celui-ci devrait-il passer dans l’hémicycle à un moment ou à un autre, quand ce sera possible.
Enfin, nous sommes totalement en dehors des clous du Règlement de l’Assemblée nationale. Certains collègues votent. D’autres ne votent plus. Certains sont là, d’autres ne sont plus là. Il suffit de se rendre au parking du troisième sous-sol pour constater qu’il n’y a plus personne ! Nous avons un vrai problème de démocratie parlementaire, avec un Gouvernement qui gouverne un peu lui-même, sans trop s’occuper du Parlement. Qui plus est, on fait des injonctions à la commission des affaires étrangères au motif qu’elle est une petite commission et qu’elle peut se réunir.
Je me trouve dans le même état d’esprit que Mme Dumas et, globalement, l’ensemble de nos collègues. Si vous nous dites qu’il ne faut plus venir, nous ne viendrons plus. Mais il faut nous le dire tout de suite, et les débats se passeront ailleurs.
M. Rodrigue Kokouendo, président. N’exagérons rien.
M. Jean-Louis Bourlanges. Ne vous inquiétez pas, monsieur le président, cette réunion se passera très bien ! Il faut laisser les parlementaires débattre. C’est ce que fait Mme de Sarnez, et elle a raison. En s’inspirant de son exemple, tout se passe toujours très bien.
Je me réjouis profondément – pas simplement par solidarité politique de groupe – de l’attitude et de la vigilance de Marielle de Sarnez. Après l’incident de la semaine dernière, elle m’a tout de suite fait signe en m’indiquant qu’elle avait déjà pris des initiatives, car elle avait été très choquée des conséquences, pour notre commission, des décisions prises la concernant. Le problème que j’ai posé la semaine dernière en termes vifs – je présente d’ailleurs mes excuses si j’ai été un peu vif auprès de certains collègues – est grave, ainsi que l’ont rappelé les intervenants précédents. La défense des droits parlementaires justifie ou explique une certaine vivacité de ton.
Par ailleurs, à l’instar de Frédérique Dumas, je suis étonné des attendus du président Ferrand. Je sais bien qu’il mange son chapeau dans cette affaire, puisque Mme de Sarnez l’oblige à revenir sur une décision qu’il avait fait prendre. Il s’en tire en disant, comme le rappelle M. Hutin, que nous ne sommes pas grand-chose et qu’on peut nous laisser assister aux votes puisqu’il y en a fort peu. Cet argument est non seulement méprisant pour la commission, mais aussi absurde. Il y a des votes ou il n’y en a pas. On participe ou on ne participe pas. La quantité ne fait rien à l’affaire. Mettons cela sur le compte de la vanité blessée du Président de l’Assemblée nationale.
Troisième point, je ne comprends pas – mais ce n’est pas grave – la mesure qui consiste à nous couper le micro. Comme si, le micro était resté ouvert, les collègues en visioconférence allaient sauter sur l’occasion pour voter d’une façon clandestine. C’est évidemment absurde ! Non seulement on nous dit que nous ne votons pas, mais en plus on nous coupe le micro. C’est punitif.
J’en viens à ma quatrième et dernière remarque. La décision de la Conférence des présidents quant à la non-participation de membres extérieurs aux travaux de nos commissions est fondamentalement inacceptable. Nous avons toujours admis cette participation, d’autant que nous travaillons souvent avec des pays dans lesquels les présidents de groupe d’amitié sont extérieurs à notre commission. Cette décision est inadmissible sur le fond et contraire au règlement.
Je crois qu’il nous faut faire encore un effort si nous voulons vraiment être pleinement républicains. Je me réjouis de la décision qui a été prise, au fond, par le président Ferrand à la demande insistante de Mme de Sarnez, notre présidente qui a bien montré que même si elle est loin, elle est un peu comme le dieu caché des jansénistes : elle est cachée, mais elle est présente.
Mme Liliana Tanguy. J’ai fait partie du groupe de travail relatif à l’évolution du fonctionnement de l’Assemblée nationale en situation de crise. Ce groupe transpartisan s’est réuni plusieurs fois à la sortie du confinement. La question du e-Parlement, c’est-à-dire de la possibilité donnée aux parlementaires de voter à distance, en séance ou en commission, a été évoquée. J’y suis favorable, mais je tiens à rappeler qu’une bonne partie des oppositions s’y sont opposées, lui préférant la présence physique. Elles prétendent, et cela peut se comprendre, que les débats sont facilités par la présence physique. Un problème juridique a également été mis en avant : faire évoluer le Règlement intérieur nécessiterait de modifier des dispositions légales. Je veux bien que l’on râle contre la situation, mais les oppositions étaient défavorables au vote à distance. Je tenais à rétablir la vérité.
M. Rodrigue Kokouendo, président. Je ne rappellerai pas les conclusions du rapport Waserman. Celui-ci, établi avec l’aval de tous nos collègues, préconise le vote en présentiel.
M. Jean-Paul Lecoq. J’entends bien qu’il y a eu une discussion au début de la crise. Mais nous avons vécu la crise. Nous avons appris à vivre avec elle, à vivre autrement et à nous entraîner à utiliser les outils électroniques. Au début du débat relatif à l’adaptation du Règlement, nous n’étions peut-être pas aussi performants que nous le sommes devenus.
Je continue à préconiser le vote en présentiel, mais nous ne sommes pas des enfants. Le Président de l’Assemblée nationale considère qu’il faut couper les micros au moment du vote, mais nous ne sommes pas des enfants ! Il n’est pas utile de couper les micros. C’est cela qui est humiliant. Le Règlement indique que les votes se feront en présentiel. Dont acte. Les votes comptabilisés seront ceux qui seront faits en présentiel.
On a d’abord considéré que les parlementaires en visioconférence ne s’exprimeraient pas. Nous avons tous réagi, à juste titre, avec force. Marielle de Sarnez a fait ce qu’il fallait et nous étions tous derrière elle. Nous avons gagné l’évolution d’aujourd’hui, en quelque sorte. On a parfois l’impression que, dans notre pays, la démocratie s’est évaporée. Mais il en reste au fond du bocal, et nous sommes les gardiens du fond du bocal. Et à un moment donné, il faudra remettre de la démocratie dans le bocal. Restons les gardiens du fond du bocal ! Si notre commission peut jouer ce rôle, qu’elle le joue – et qu’elle le joue avec force. Nous avons la chance extraordinaire d’avoir une commission présidée par une femme qui ne se laisse pas faire, qui raisonne, qui réfléchit, qui accepte et qui est porteuse de la réflexion collective. C’est parce que nous sommes ainsi, dans cette commission, que nous devons pouvoir faire avancer les choses et que nous devons oser. Je serais tenté de dire osez la rébellion, osez la résistance, osez la désobéissance civique ! Il faut que les commissaires de la commission des affaires étrangères fassent le règlement de la commission des affaires étrangères et décident de ce qui est bon pour elle. Nous sommes des députés, pas des enfants. Nous sommes assez grands pour savoir ce que nous avons à faire.
M. Rodrigue Kokouendo, président. La parole est à Anne Genetet, puis nous commencerons notre séance.
Mme Anne Genetet. En tant que parlementaire « du fond du bocal », pour reprendre l’image de Jean-Paul Lecoq, je remercie notre présidente qui a eu l’excellente initiative d’interroger le Président de l’Assemblée sur la façon dont nous pouvions continuer à fonctionner. Ainsi que l’a indiqué le Président de la République, cette pandémie durera au moins jusqu’à l’été 2021. Il n’est pas imaginable que la démocratie fonctionne en mode dégradé durant toute cette période. Heureusement, les outils numériques nous permettent de fonctionner autrement. C’est une bonne chose que le Président de l’Assemblée nationale ait autorisé que nous puissions au moins participer à la discussion générale en visioconférence. À cet égard, je voudrais souligner un point, qui est rarement cité. La salle de notre commission ne respecte aucun des protocoles demandés, par exemple aux écoles. Pas une seule fenêtre ne s’ouvre. Je mets au défi quiconque de me prouver que cette salle est aérée trois fois par jour. C’est la raison pour laquelle je m’adresse à vous en visioconférence, et je viendrai tout à l’heure au vote en restant en salle d’attente, et en m’assurant que je ne resterai pas plus de dix minutes dans la salle de la commission. J’y tiens, parce que j’ai besoin de me protéger pour des raisons personnelles.
Je peux comprendre que le vote soit fait uniquement en présentiel. Mais pourquoi n’est-il pas possible de porter une délégation en commission, comme c’est permis en séance ?
Mon autre question s’adresse à vous, monsieur le président. J’ai bien entendu qu’en visioconférence, nous pouvons participer à la discussion générale. Mais qu’en est-il du temps de débat et de questions complémentaires ? Le courrier de M. Ferrand nous traite-t-il comme une sous-commission ? N’avons-nous pas non plus le droit de participer au débat après la discussion générale ?
M. Rodrigue Kokouendo, président. Les micros sont coupés seulement au moment du vote. Le débat est permis.
Examen pour avis et vote des crédits de la mission Action extérieure de l’État :
– Action de la France en Europe et dans le monde ; Français à l’étranger et affaires consulaires (Mme Christophe Di Pompeo, rapporteur pour avis);
– Diplomatie culturelle et d’influence, Francophonie (M. Frédéric Petit, rapporteur pour avis)
M. Rodrigue Kokouendo, président. Nous poursuivons ce matin l’examen du projet de loi de finances pour 2021, avec l’examen de trois avis budgétaires. Les deux premiers portent sur la mission Action extérieure de la France. Christophe Di Pompeo nous présentera tout d’abord son avis sur les programmes relatifs à l’action de la France en Europe et dans le monde et sur les Français à l’étranger et les affaires consulaires. Puis Aina Kuric présentera au nom du groupe Agir ensemble une contribution écrite sur ce budget. Frédéric Petit nous présentera ensuite son avis sur les programmes relatifs à la diplomatie culturelle et d’influence et à la francophonie. Enfin, Guy Teissier présentera son avis sur les crédits de la mission Défense.
L’examen de l’avis sur la mission Action extérieure de l’État ; Action de la France en Europe et dans le monde ; Français à l’étranger et affaires consulaires est ouvert à la presse. Nous allons entendre notre collègue Christophe Di Pompeo présenter son rapport, puis la contribution du groupe Agir ensemble.
Nous pouvons nous féliciter que les moyens du ministère de l’Europe et des affaires étrangères augmentent de 8 % l’an prochain. Au sein des 411 millions d’euros de crédits supplémentaires, 344 millions seront affectés à l’aide publique au développement. Néanmoins, l’Action extérieure de l’État, qui absorbe 54 % du budget du ministère, est en augmentation de 2,3 %. Ces nouveaux crédits sont essentiellement concentrés sur le programme 105 dont le budget augmente de près de 4 %. Je rappelle que ce programme, dénommé Action de la France en Europe et dans le monde, permet au ministère de conduire la politique étrangère de la France en finançant le réseau diplomatique, les dépenses des directions politiques et géographiques, les contributions internationales et européennes et les actions de coopération de sécurité et de défense.
Ce budget pour 2021 tire les enseignements de la crise sanitaire. Les effectifs du ministère sont stabilisés. C’est une première depuis vingt ans.
Les moyens de fonctionnement et d’investissement des postes augmenteront de près de 8 %. Comme l’a souligné Jean-Yves Le Drian la semaine dernière, avoir obtenu que la totalité du produit des cessions immobilières revienne au ministère est un grand motif de satisfaction.
On notera, enfin, la mobilisation de moyens pour la transformation numérique du ministère, pour laquelle nous avons tous milité au travers de nos groupes de travail au printemps dernier. Les crédits sont en augmentation de 22 %. Notre rapporteur Christophe Di Pompeo en a fait, à juste titre, le thème de son étude thématique. Car la numérisation, au-delà de l’amélioration de l’efficacité de la gestion administrative, permet d’accroître la qualité du service rendu aux usagers et ne peut donc s’accompagner d’une réduction de la présence humaine dans les postes.
Je donne la parole à Christophe Di Pompeo.
M. Christophe Di Pompeo, rapporteur pour avis. Il me revient de vous présenter le budget du Quai d’Orsay dans sa composante diplomatique et consulaire, qui figure aux programmes 105 et 151 de la mission Action extérieure de l’État.
Mon avis s’est très largement nourri d’un groupe de travail créé par Marielle de Sarnez. Au moment de la crise, en effet, le président Richard Ferrand avait souhaité créer une commission chargée de vérifier l’ensemble des conséquences de la pandémie dans toutes ses composantes. Marielle de Sarnez s’en était saisie et avait créé plusieurs groupes de travail, dont un consacré au réseau diplomatique et consulaire à l’étranger.
Avec Didier Quentin, Anne Genetet et M’jid El Guerrab, nous avons fait passer un certain nombre d’auditions pendant la crise. Celles-ci nous ont conduits à orienter, dans un deuxième temps, cet avis budgétaire sur le numérique du quai d’Orsay. Il est apparu, en effet, que le numérique n’était pas toujours au rendez-vous en temps de crise et qu’il posait problème.
Je tiens à souligner l’exceptionnel dévouement des diplomates dans les différents postes. Ils n’ont pas compté leurs heures pour assurer le rapatriement de 250 000 Français de l’étranger, souvent avec des effectifs réduits – seulement 12 % des diplomates étaient en poste dans les ambassades – et des moyens qui n’étaient pas au rendez-vous pour faire du télétravail. Cet important travail a été effectué avec l’appui du Centre de crise et de soutien, de façon remarquable. On a souvent vu des équipes consulaires sur le tarmac, munies de papiers et de crayons, pour faire embarquer nos ressortissants vers la France.
Je souhaite également dire que nous avons ressenti une ambiance « équipe de France ». Des acteurs comme Air France ont vraiment joué le jeu. Dans certains pays voisins, les compagnies aériennes n’ont pas toujours été au rendez-vous. Mais Air France et les pouvoirs publics français étaient là. Je tiens à les remercier et les féliciter pour le travail accompli.
Ainsi que nous l’avons vu lors des budgets rectificatifs, les Français de l’étranger ont beaucoup souffert pendant la crise. Aussi avons-nous créé deux fonds, de 50 millions de crédits supplémentaires pour les bourses scolaires et du même montant pour l’aide sociale. Avec le recul, force est de constater qu’ils ont été très peu consommés, par manque de communication mais aussi du fait de la rigidité administrative qui s’observe parfois dans l’attribution de fonds supplémentaires. Le ministère en est conscient. Aussi a-t-il souhaité assouplir très largement les conditions d’attribution de ces aides et de lancer une communication forte. On peut aussi penser que les effets de la crise continueront à se faire sentir. Ces fonds seront donc les bienvenus.
La crise sanitaire a aussi eu de très fortes conséquences sur le fonctionnement du ministère, puisque 90 % de ses effectifs ont basculé en télétravail. Malgré cela, aucun poste n’a fermé à l’étranger. Les ambassades ont fait leur travail, et la crise continue de les impacter. Nous pouvons donc les remercier pour le travail qu’elles effectuent.
Le budget pour 2021 tire les enseignements de la crise, tant pour les effectifs que pour les moyens du ministère. Aussi augmente-t-il de 8 %, pour atteindre 5,411 milliards d’euros – une hausse en grande partie portée par l’aide publique au développement ainsi que nous nous y étions engagés voilà quelques années.
Dans le champ strict de la mission Action extérieure de l’État, qui représente la moitié des crédits du ministère, les moyens sont en augmentation de 2 %. Cette hausse bénéficie principalement au programme 105, tandis que les moyens des programmes 151 et 185 restent plus ou moins stables. L’augmentation de 65 millions d’euros dans le programme 105 renforcera les moyens de fonctionnement du ministère, à savoir l’immobilier, la sécurité et le numérique. Les moyens du programme 151 sont certes stables, mais le ministère prévoit que celui-ci puisse être abondé en gestion pour tenir compte des conséquences économiques de la crise pour les résidents français à l’étranger.
Le fait le plus marquant de ce budget est sans aucun doute la stabilisation des effectifs du ministère. Ainsi que nous l’avons dit à plusieurs reprises, le plan Action 2022 prévoyait une dégression de chacun des ministères. Celui de l’Europe et des affaires étrangères s’y est plié. Mais la crise a permis de rendre toute leur grandeur aux ambassades et aux consulats, et il est apparu qu’il fallait cesser de « dégraisser » des services qui ont toute leur place et produisent un travail exemplaire et utile. Ainsi, en 2021 et depuis très longtemps, il n’y aura plus de baisse des effectifs au Quai d’Orsay. C’est une bonne chose. Il faut simplement espérer que l’on s’en souvienne l’année prochaine et les suivantes. C’est, en tout cas, la meilleure des nouvelles de ce budget.
J’en viens à la partie thématique de mon avis budgétaire, que j’ai voulu consacrer à la transformation numérique du Quai d’Orsay. Lors de la crise, nous avons constaté de réelles difficultés dans nos différents postes dans le monde. Le ministère des affaires étrangères est l’un des plus attaqués au plan numérique, car les communications y sont très sécurisées, voire un peu trop. Elles rendent notamment très difficile le télétravail. De fait, sur le terrain, les personnes en charge de nos ressortissants ont dû employer d’autres moyens non sécurisés, comme Zoom, WhatsApp ou des pages Facebook.
Un important travail avait déjà été effectué en matière de numérique. D’importants chantiers de dématérialisation ont été lancés, comme le vote par internet ou « France-Visas ». Ces projets prennent toutefois du temps, et la crise sanitaire a conduit à reporter leur échéance. Mais face aux conséquences de la pandémie et aux difficultés liées aux outils, le ministère s’est engagé à améliorer le numérique – non pas en changeant ou en ajoutant du matériel, mais en changeant de philosophie. L’Angleterre, par exemple, travaille à différents niveaux de sécurité, donc avec différents outils. Elle utilise également le cloud Microsoft 365. Or l’absence de cloud français ou, au moins, européen, pose un problème de souveraineté. En tout état de cause, l’optique du ministère est bien celle d’un changement de philosophie.
Je vous remercie.
M. Rodrigue Kokouendo, président. Je donne à présent la parole à Aina Kuric, pour qu’elle nous présente la contribution écrite du groupe Agir ensemble.
Mme Aina Kuric. Dans un contexte international instable et incertain, marqué par la multiplication des zones de crises et de conflit, la mission Action extérieure de l’État confiée au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères est au cœur de la diplomatie d’influence de la France. Tout au long du confinement, le programme 151 a même été au cœur de l’action du Quai d’Orsay, alors que bien souvent nous échappe le fait que près de 3,5 millions de nos compatriotes vivent à l’étranger. À ce titre, nous ne pouvons que nous réjouir de la réapparition, lors du dernier remaniement, d’un secrétariat d’État aux Français de l’étranger également en charge du tourisme et de la francophonie. Ce fut un signal important adressé à la communauté française qui réside à l’international.
Il est souvent commun de parler du caractère universel de notre réseau diplomatique et consulaire, avec ses 160 ambassades, ses 89 consulats généraux et consulats ou ses 112 sections consulaires d’ambassade, sans que l’on puisse en appréhender toute la dimension. Or nul autre pays que la France ne peut se targuer d’avoir pu permettre le retour de plus de 370 000 de ses citoyens, qui se sont retrouvés du jour au lendemain bloqués partout dans le monde sans aucune possibilité de rapatriement. Notre ministère de l’Europe et des affaires étrangères a fait preuve d’ingéniosité et de disponibilité pour répondre à un certain nombre de situations dramatiques, pour lesquelles nous avons presque tous été sollicités dans nos circonscriptions.
Nos compatriotes ont ainsi pu mesurer tout l’engagement de nos diplomates en général, et de nos agents consulaires en particulier. Avec un total de 136 millions d’euros hors dépenses de personnel, les moyens de l’action consulaire s’en trouvent ainsi stabilisés. Les conséquences économiques de la pandémie sur les Français de l’étranger ont fait l’objet de mesures budgétaires anticipées avec l’adoption de la loi de finances rectificative de juillet 2020. Ainsi, 100 millions d’euros additionnels ont été ouverts dans le programme 151, dont 50 millions pour l’aide à la scolarité et 50 millions pour le financement d’un secours occasionnel de solidarité à nos compatriotes de l’étranger affectés par la crise sanitaire.
Ces aides ont été plus que salutaires pour notre réseau d’établissements français à l’étranger et pour les parents d’élèves. En effet, fin septembre, le budget annuel de l’enveloppe de bourse a été intégralement consommé, alors qu’habituellement le ratio est de 70 % à la même époque. Cet exercice a été mené conjointement par l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, l’AEFE, et les postes consulaires, dans un souci constant de rigueur et d’humanité face à une précarisation de certains Français privés de revenus depuis le mois de mars et ne pouvant bénéficier des mêmes plans d’aide que leurs concitoyens de l’hexagone.
Le PLF 2021 porte donc la dotation pour les affaires sociales à 20 millions. Elle est en hausse de 17 % par rapport à l’année 2020. Dans le même temps, l’enveloppe des bourses, qui favorise la scolarisation des enfants français, est maintenue à 105 millions d’euros. Ces deux lignes budgétaires sont amenées à évoluer pendant la gestion de l’exercice 2021. En effet, au regard de l’évolution de la pandémie, les moyens nécessaires à la poursuite du soutien de nos compatriotes à l’étranger doivent être actualisés pour coller au plus près des besoins, alors que la situation diffère d’un pays à l’autre.
La crise sanitaire a impacté le bon déroulement de notre démocratie. Ce fut le cas pour les élections municipales sur le territoire national, mais également à l’étranger pour les élections consulaires, différées aussi en raison de la pandémie. Le programme bénéficiera d’un report pour 2021 des crédits votés en 2020. Ce contretemps doit toutefois accélérer notre réflexion sur la mise en place du vote électronique, prévu pour ces élections. Il s’agit là d’une véritable urgence démocratique, à l’heure où d’élection en élection, le taux d’abstention ne cesse d’augmenter, celui-ci étant encore plus fort à l’étranger en raison en partie des contraintes de déplacement pour accéder à un bureau de vote, dans certains pays aussi vastes que des continents.
Je profite de l’occasion qui m’est donnée pour saluer le travail quotidien, souvent méconnu, des élus consulaires auprès de nos compatriotes. Ils ne comptent pas leurs heures de présence au plus près de la communauté française alors que les enjeux éducatifs, sécuritaires, environnementaux, culturels ou économiques se multiplient.
Ainsi, il nous faut poursuivre les réformes de modernisation de l’administration consulaire. La mise en place, à titre expérimental, d’une plateforme d’accueil consulaire a été différée de 2020 à 2021 en raison de la crise sanitaire, alors que l’avancement du projet de registre de l’état civil électronique devrait permettre de dégager une économie d’un demi-million d’euros.
Dans le cadre du plan de relance, il paraît important d’intégrer pleinement cette communauté de 3,5 millions « d’ambassadeurs du savoir-faire français » qui a souvent tendance à se sentir oubliée. Les données disponibles quant aux transferts de fonds des Français de l’étranger vers la France montrent que ceux-ci sont souvent sous-estimés. Ils représentaient 24 milliards d’euros en 2016. Ils sont en augmentation régulière, comme a pu le rappeler notre collègue Anne Genetet dans son rapport relatif à la mobilité internationale des Français, remis en juin 2018 au Gouvernement. L’importance de ces rentrées d’argent sur le sol français ne peut être négligée. Cette richesse doit participer activement à l’économie française. Il faut donc proposer des solutions et faciliter au mieux ces transferts d’argents.
L’Europe et l’international sont profondément ancrés dans l’ADN du groupe Agir Ensemble. Dans le cadre du plan de relance, nous avons ainsi présenté au Premier ministre six propositions relatives aux affaires étrangères, dont la n° 17 qui concerne tout particulièrement les Français de l’étranger en suggérant de créer un label francophone dédié aux entreprises de la diaspora française – « Entrepreneurs du Monde » – qui permettrait de faciliter leur accès au financement bancaire.
Notre groupe propose même d’aller plus loin en avançant l’idée d’une convention des Français de l’étranger, sur le modèle du Ségur pour la santé ou du Grenelle pour le travail, qui pourrait être organisée très prochainement afin de réunir tous les acteurs politiques, associatifs, administratifs ou encore civils qui traitent du sujet.
Pour y faire leurs études ou y occuper un emploi, les Français n’ont jamais été aussi nombreux à vivre à l’étranger. Loin des fantasmes qui leur sont souvent accolés, ils constituent une richesse indéniable pour la France et nous offrent souvent un regard différent sur notre pays à l’image de l’ancien Président de notre Assemblée, Jacques Chaban Delmas, qui disait « aller en Chine pour mieux voir la France et ses problèmes ».
Pour la première fois depuis vingt ans, le Quai d’Orsay ne connaîtra pas de baisse de ses effectifs. Attentif à ce que cette conjoncture soit pérennisée voire amplifiée dans les prochains PLF, le groupe Agir Ensemble votera les crédits de la mission Action de la France en Europe et dans le monde.
M. Rodrigue Kokouendo, président. Merci, chère collègue, pour cette belle contribution.
La parole est aux orateurs des groupes.
Mme Anne Genetet. Ce qu’Aina Kuric a dit à propos de la communauté des Français qui résident à l’étranger, qui sont autant de pépites pour notre influence actuelle et surtout future, est fondamental.
Je félicite mon collègue Christophe Di Pompeo pour son rapport et l’accent qu’il a mis sur le numérique. Je vous invite tous à aller regarder la page qui montre le plan d’occupation des sols des outils numériques du ministère des affaires étrangères. Ce plan est à la fois édifiant et intéressant.
Je me réjouis que, pour la deuxième année consécutive, les moyens de la mission Action extérieure de l’État progressent. Une hausse de 8 % est considérable. Je me réjouis également que les effectifs du ministère soient stabilisés. C’est une excellente nouvelle. Députée d’une vaste circonscription comptant 49 pays et 153 000 Français officiellement enregistrés au registre – probablement largement plus de 200 000 officieusement –, je n’ai fait que constater, depuis la fin du mois de janvier 2020, combien notre réseau diplomatique et consulaire était toujours essentiel, vital à la sauvegarde des intérêts de la France partout dans le monde. Il est tout aussi essentiel à nos compatriotes, mais aussi à vous qui souhaitez vous rendre à l’étranger même si vous ne le pouvez pas en ce moment.
Combien de drames, de vrais drames, ont pu être évités grâce à ce réseau ? Année après années, notre commission et nos prédécesseurs ont été amenés à regretter la réduction des moyens de ce ministère, la réduction de son plafond d’emplois et celle de la taille des postes – parfois pour des motifs valables, dont acte, cela se justifie, mais d’autres fois pour des motifs davantage budgétaires, vision que je ne partage pas du tout. Cette tendance ancienne pose systématiquement le même problème : comment défendre notre diplomatie, une activité dont le cœur de métier ne peut s’apprécier uniquement par des indicateurs chiffrés – ce que Bercy aimerait pourtant beaucoup ?
Aujourd’hui, la question ne se pose plus. Elle s’est fracassée sur le mur de cette pandémie mondiale, qui s’étirera toute l’année 2021, partout dans le monde. Au seul mois de mars, notre réseau a permis de ramener en France 150 000 de nos concitoyens, sans compter de nombreux citoyens européens. La situation est très difficile pour nos entrepreneurs basés à l’étranger, qui nous ont pourtant aidé à faire venir en France des masques, du matériel médical et des médicaments, alors que la demande internationale était très forte. C’est aussi le maintien de notre réseau diplomatique qui a permis d’entretenir des échanges constants avec toutes les autorités locales, partout et dans des conditions difficiles. Chapeau à notre réseau diplomatique et consulaire ! Ce sont des jours, des nuits, des énergies incroyables dépensées par tous nos agents, dont je tiens à saluer l’engagement sans faille malgré les vents et les marées auxquels ils ont dû faire face. Aujourd’hui, ils font encore face à une situation compliquée, davantage en interne qu’avec les autorités locales, pour essayer de faire revenir en France les conjoints étrangers de nos ressortissants français. Le blocage n’est pas à l’extérieur mais à l’intérieur, chez nous, au ministère de l’intérieur.
L’universalité du réseau, qui a été évoquée, n’est pas une formule magique pour « faire joli » ou qui évoque la nostalgie d’une grande puissance qui ne serait plus. Elle nous permet de faire face à des situations comme celle que nous connaissons aujourd’hui. Nous en avons plus que jamais besoin.
S’agissant des bourses scolaires (programme 151), dont le budget a été abondé, les critères ont été modifiés mais ils ne prennent en compte que les trois premiers mois de revenus de 2020. Or la situation de nos Français à l’étranger, comme celle de nos Français de France, se dégradera au fil du temps, durant tout 2020 et 2021. Pouvons-nous avoir la garantie que ces critères s’assoupliront encore pour prendre en compte les ruptures brutales de revenus ?
Par ailleurs, les bourses qui ont été créées n’ont pas été intégralement consommées. J’aimerais que l’on puisse accélérer cette consommation.
M. Rodrigue Kokouendo, président. Je vous invite à conclure votre intervention.
Mme Anne Genetet. Ces crédits pourront-ils être réabondés en 2021, car les situations vont évoluer ? Il faudra actualiser les crédits, et pas seulement les reporter. Il faudra pouvoir en ajouter l’an prochain, puisque les situations vont continuer à se dégrader.
M. Rodrigue Kokouendo, président. Je vous invite à être plus rapides dans vos interventions.
M. Michel Herbillon. Je salue l’excellent rapport de notre collègue Christophe Di Pompeo. J’ai conscience que le travail n’est pas simple pour les administrateurs, mais dans un souci d’efficacité et de meilleure information des parlementaires et de contrôle législatif pour notre commission, il serait souhaitable que les rapports soient envoyés plus tôt afin que nous ayons le temps de les examiner.
Notre réseau diplomatique et d’influence a été lourdement affecté par la crise de la covid, parfois révélatrice de l’inadéquation entre les moyens affectés et les missions qui doivent être conduites par le personnel diplomatique. On peut toutefois souligner que notre système a tenu, ainsi que l’excellence de notre réseau diplomatique et la capacité de l’ensemble des fonctionnaires du Quai à répondre à cette crise. Au nom de mon groupe Les Républicains, je rends hommage à l’action de notre réseau diplomatique durant toute la crise. Je pense notamment au travail extraordinaire conduit jour après jour, nuit après nuit, pour rapatrier un certain nombre de Français indépendamment de leur localisation dans le monde. Je tenais donc à rendre hommage à nos diplomates.
S’agissant du budget, on peut se féliciter qu’après plusieurs années de baisse ou de stabilité, alors que nous étions « à l’os » il y a quelques années, pour citer le Premier ministre, les crédits sont enfin en légère augmentation. Elle n’est pas très importante, à 2 %, mais je tiens à souligner ce changement, de même que la stabilisation des effectifs, alors que de nombreux postes ont été supprimés. Depuis 2017, nous dénoncions les inconstances budgétaires sur les actions et les programmes, qui traduisaient en réalité un exercice comptable, pour ne pas dire un exercice de gestion de la pénurie des moyens du ministère. Nous ne pouvons que nous féliciter que cette tendance ait été stoppée. J’espère que nous continuerons dans cette voie dans les années à venir, car le ministère des affaires étrangères a suffisamment contribué, de mon point de vue, à l’effort de réduction de la dépense publique.
Pour autant, si l’hémorragie est stoppée, les moyens accordés ne permettent pas d’assumer pleinement l’ambition qui doit être celle de la France dans le monde et le fait que le réseau diplomatique français est l’un des plus importants au monde.
Je suis intervenu à plusieurs reprises au sujet du patrimoine immobilier du Quai d’Orsay. Le ministre a précisé que la politique consistant à vendre « des bijoux de famille » ne pouvait plus continuer. Les besoins sont importants. On ne peut pas afficher à la fois une ambition diplomatique et de politique étrangère, ce qui est le cas de la France, et disposer de moyens immobiliers qui se réduisent. J’ai le sentiment d’une certaine opacité. Il faut que notre commission se saisisse du sujet, d’autant que nous sommes à un moment où les modalités de financement de notre politique immobilière sont revues en profondeur. Une stratégie immobilière est nécessaire. Il faut que les moyens alloués à l’entretien, à la rénovation et à la sécurisation des 1 800 biens de notre parc immobilier soient assurés dans la durée et dans la transparence. Avez-vous reçu du ministère la liste des opérations et des chantiers qui seront menés en 2021, ainsi que celle des biens qui, par hypothèse, devraient être cédés l’année prochaine ?
Concernant la politique du numérique, je rejoins votre avis et je me réjouis qu’enfin, on mette des moyens pour faire du numérique une priorité. La crise sanitaire a eu bon dos pour justifier intégralement les retards pris dans ce domaine. En réalité, il a fallu attendre la quatrième année du quinquennat pour qu’un plan numérique d’ensemble soit annoncé – mais pas encore présenté. Quand le sera-t-il ? Vous avez très bien rappelé, dans votre rapport, les enjeux et les besoins très importants dans ce domaine. La prise de conscience est salutaire, mais elle arrive bien tardivement.
M. Bruno Fuchs. Je remercie le rapporteur pour son excellent rapport. Je salue les propositions de la contribution du groupe Agir ensemble et d’Aina Kuric, qui vont au-delà du rapport. Je salue également le travail de tout le personnel du ministère de l’Europe et des affaires étrangères pendant la crise sanitaire. Dans ma circonscription, j’ai moi-même eu affaire à plusieurs reprises aux services du ministère dans de nombreux pays. Dans une grande partie des cas, la volonté de faire revenir les Français bloqués notamment au Maroc, en Tunisie ou en Thaïlande s’est concrétisée. Je m’associe donc aux remerciements de mes collègues.
La crise sanitaire a renforcé une idée que j’ai toujours défendue avec le groupe Mouvement démocrate et Démocrates apparentés : baisser les effectifs du ministère des affaires étrangères n’est pas souhaitable. Mes collègues et moi saluons la stabilisation de la masse salariale au sein du Quai d’Orsay – une première dans un budget depuis vingt ans. La suspension de la trajectoire Action publique 2022 et les coupes dans les effectifs devenaient incompatibles avec les enjeux actuels, dont les principaux sont la possible survenance de nouvelles crises internationales dans lesquelles le personnel consulaire et diplomatique devra assurer une mission de charge des Français à travers le monde, l’ambition française de rester un moteur du multilatéralisme ou encore l’accroissement du nombre de francophones à travers le monde, qui nous obligera à renforcer encore notre engagement diplomatique dans cette voie.
Je partage les interrogations quant à la démarche numérique, qui n’est pas à la hauteur des enjeux.
Ces défis n’étant pas limités à 2021, il faudra continuer dans la démarche de stabilisation de la masse salariale voire, au cas par cas, entreprendre une augmentation des effectifs quand cela est nécessaire pour des missions spécifiques. Nous espérons que ce gel ne sera pas un gel d’urgence pour 2021, décidé par Bercy.
Nous voterons ces crédits.
M. Christian Hutin. Le groupe Socialistes et apparentés votera ces crédits. Nous félicitons M. Di Pompeo de la qualité de son rapport, et de tenir la constance de ce que nous avons décidé depuis trois ans dans cette commission, inquiète de constater la baisse des crédits de nos ambassades, consulats et services extérieurs. Cette baisse, que nous avions tous observée lors de nos voyages, était assez grave, ne serait-ce que pour l’allure et le prestige de la République. Que ces crédits soient maintenus depuis deux ans, et pourquoi pas un jour augmentés, est une excellente chose.
Je félicite les services extérieurs qui ont rapatrié des concitoyens, parfois grâce au système D. Beaucoup de personnes sont reconnaissantes à nos services extérieurs d’avoir réussi à organiser ces rapatriements de citoyens de nos circonscriptions dans des conditions extrêmement complexes.
Voter ces crédits est important y compris au regard des circonstances internationales. La France, c’est quelque chose. Ce qui s’y passe fait parler d’elle. Cette universalité est un fait. Ce que nous représentons au niveau international est essentiel. Nos ambassades constituent un élément de lumière dans certains pays qui en ont beaucoup moins.
Nous avons tous voyagé, car c’est le rôle et notre commission des affaires étrangères dans de nombreux consulats et ambassades. Je me souviens qu’au consulat de Palestine, la voiture qui servait au consul datait de 1975 – et peut-être même s’agissait-il d’une voiture américaine blindée. Les portes qui ne s’ouvrent plus évitent l’enlèvement, mais quand même !
Il serait intéressant que nous sachions, ambassade par ambassade, ce qui manque, ce qui est en trop et ce qui convient. Dresser ce panorama ne doit pas être facile, mais il serait bon que nous y parvenions, dans cette commission.
Enfin, je partage la contribution d’Agir ensemble. J’attends que vienne dans l’hémicycle le rapport sur les enfants sans identité de Mmes Kuric et Dumont.
M. Jean-Paul Lecoq. Je remercie M. Di Pompeo pour son rapport clair. Je centrerai mon propos sur le budget en tant que tel. Il est très rare, pour un député communiste, de voir quelque chose de positif dans un projet de loi de finances ! Le budget du ministère des affaires étrangères n’est pas le dindon de la farce de Bercy, ni la cinquième roue du carrosse. Cela fait bien longtemps que le Quai souffre de suppressions de postes et que le personnel est en souffrance également. Les recrutements de cette année et les budgets supplémentaires sont donc très importants. Mais quel dommage d’avoir attendu si longtemps ! Quel dommage de ne pas avoir entendu les nombreuses alertes de tous les collègues dans cette salle, depuis des années. Les députés communistes le disent tous les ans : il ne faut pas se satisfaire d’un budget correct, pas en baisse, stable cette année – comme si la situation de sous-effectif était unanimement reconnue comme critique l’année dernière, avec un peu plus de 13 500 équivalents temps plein. Elle l’est tout aussi cette année, même s’il y a 39 équivalents temps plein supplémentaires.
N’oublions pas que nous ne reviendrons pas en un seul exercice budgétaire à des niveaux suffisants pour recréer la force et le rayonnement de notre réseau diplomatique antérieur. Pour être à la hauteur de nos ambitions internationales, le Gouvernement devrait s’employer à créer une trajectoire haussière, connue de tous – et non pas une potentielle année d’embauche dans un océan de suppressions de postes. Avec une hausse de 8 %, à 2,93 milliards d’euros, le budget du Quai est positif. Mais les députés communistes redoutent qu’une fois passé le plan de relance, l’austérité et l’obsession de Bercy pour la dette ne reprennent le dessus. Ces recrutements n’auraient alors été qu’un coup d’épée dans l’eau. Car l’utilité de notre réseau consulaire et diplomatique est indéniable.
Avec la crise, nous avons bien vu comment la France pouvait rapatrier rapidement ses ressortissants, quand certains d’autres pays peinaient à retrouver leur foyer. La France, fidèle à sa tradition, a su être solidaire dans cette période. Nous saluons nous aussi le travail des représentations consulaires, jour et nuit, ainsi que leur humble engagement. On parle toujours des personnels de santé et de logistique, mais l’on oublie les fonctionnaires qui étaient sur le pont – notamment ceux du ministère des affaires étrangères, qui ne s’arrêtent jamais puisqu’il fait toujours jour sur notre pays.
Au-delà de la crise, il est du devoir de l’État de faire en sorte que toutes les demandes de ressortissants français à l’étranger, qu’ils soient touristes ou expatriés, soient traitées. Cela impose d’améliorer notre réseau consulaire, en renforçant notre présence partout dans le monde et en facilitant les contacts. Le travail consacré aux questions numériques, dans le rapport, est très important à souligner et à défendre.
Nous pensons que le budget 2021 sera confirmé dans les années à venir.
Nous saluons aussi la contribution particulièrement détaillée et précise de notre collègue Kuric. Une telle qualité convient bien à notre commission, qui dispose ainsi de documents de référence. À cet égard, que deviennent nos rapports, notamment celui relatif aux enfants sans identité ? Ne devons-nous pas porter le travail effectué par nos collègues au-delà des murs de la salle de la commission des affaires étrangères, pour qu’il éclaire la politique de notre nation ?
Il sera difficile pour moi de voter pour ces crédits, car je les trouve insuffisants au regard de ce qu’il serait nécessaire d’avoir. Pour autant, nous ne voterons pas contre.
Mme Frédérique Dumas. Je félicite à mon tour le rapporteur et tous mes collègues qui, chaque année, se battent pour ces sujets. Ils ont en partie obtenu satisfaction. Je remercie aussi le travail extrêmement précieux de tous les personnels du Quai d’Orsay et du réseau diplomatique et consulaire. Nous savons à quel point il a été important pendant la crise, et à quel point il continue à l’être.
La crise sanitaire a mis en lumière l’importance d’un service consulaire adapté et rapide pour les Français basés à l’étranger. La baisse des mobilités justifie une baisse des crédits pour certaines missions du programme 185. S’agissant du programme 151 relatif aux Français à l’étranger et affaires consulaires, le ministre avait annoncé une baisse de 71 % des demandes de visas dans le monde par rapport à 2019, du fait de la crise sanitaire. Cela étant, une reprise progressive des activités est prévue en 2021, laquelle justifie une stabilisation des crédits alloués pour les actions de ce programme, dont le budget est en légère augmentation par rapport à 2020. Cette stabilisation est une bonne chose.
Il est également particulièrement bienvenu que l’enveloppe dédiée aux aides aux personnes ait été augmentée. Cependant, nous nous interrogeons quant aux crédits dédiés aux OLES, les organismes locaux d’entraide et de solidarité de l’action 01 « offre d’un service public de qualité aux Français à l’étranger ». En effet, l’évolution de la crise sanitaire en 2021 est incertaine. De plus, comme l’indique le PLF pour 2021, « indépendamment de la crise sanitaire, une partie des Français résidant à l’étranger continue de se paupériser ». Aussi, la dotation de 410 000 euros réservée aux OLES, qui reste stable par rapport à 2020, et alors que ceux-ci ont été fortement mobilisés pour venir en aide à nos compatriotes fragilisés par la crise sanitaire, devrait être augmentée. À ce titre, le programme 151 et le budget qui lui est alloué, en légère augmentation, ne semblent pas poser de problème particulier.
En revanche le programme 105 « actions de la France en Europe et dans le monde » interroge. À l’heure où le multilatéralisme est mis en danger, les contributions internationales sont souvent en légère augmentation et les crédits alloués à l'action européenne en légère diminution. Il existe un décalage important entre les augmentations ou les stabilisations légères des cinq premières actions de ce programme, et la hausse assez importante des actions au soutien au réseau diplomatique. Pouvez-vous nous donner plus d’informations sur ce qui justifierait de tels décalages ?
Par ailleurs, je rejoins la demande de mon collègue Jean-Paul Lecoq. Nous nous félicitons de cette hausse – dont certains ont souligné qu’il n’y en avait pas eu de cette nature depuis vingt ans –, mais il serait intéressant d’avoir une trajectoire, puisque nous savons qu’elle n’est pas suffisante.
Je souligne le travail de notre collègue Aina Kuric au nom du groupe Agir ensemble. Nous soutiendrons les propositions qui ont été faites en complément, qui sont très intéressantes.
Je soutiens aussi la demande de notre collègue Christian Hutin pour que le rapport de nos deux collègues sur les enfants sans identité soit présenté dans l’hémicycle. Nous savons à quel point nos concitoyens sont intéressés par ces sujets. Il est dommage que cela ne soit pas pris en compte.
S’agissant du numérique, je n’ai pas été vraiment rassurée par ce que vous avez dit, monsieur le rapporteur. Vous avez parlé de changement de logiciel. Je pense que lorsque le numérique ne fonctionne pas dans les administrations, c’est en raison d’un manque de personnes compétentes. Avons-nous l’assurance que des compétences seront apportées au ministère, pour que tout cela puisse se mettre en ordre de manière déficiente ?
Enfin, nous voterons en faveur des crédits.
Mme Marion Lenne. Merci, monsieur le rapporteur, pour ce travail très approfondi, notamment la partie thématique très pointue consacrée au « Quai d’Orsay au défi de la révolution numérique » – vaste programme ! Comme vous le mentionnez, aucune organisation dans le monde ne pense aujourd’hui sa transformation sans le numérique.
Si le numérique au sens large, fondamental et opérationnel, est essentiel au développement d’une structure, il implique aussi une transformation en profondeur. Vous avez même parlé de changement de philosophie. Cette transformation en profondeur, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères semble avoir des difficultés à l’engager et à passer au tout numérique. Cela rappelle un certain archaïsme européen en la matière, reflet d’une incapacité à répondre aux demandes des usagers, notamment en matière de transparence, d’une culture hiérarchique de la fonction publique et d’un réflexe de « pose de rustines ».
Cela peut s’entendre. Ce ministère est l’une des principales cibles des attaques informatiques en France, avec une ampleur extraterritoriale. En effet, les menaces pèsent aussi bien sur les centres de données situés en France que sur les réseaux de communication nationaux et mondiaux, les infrastructures situées dans les postes à l’étranger, les postes de travail et les terminaux téléphoniques des agents en France et à l'étranger et les infrastructures de nos sous-traitants. Pour autant, ce ministère s’adapte et devient de plus en plus résilient. Il nous le démontre chaque jour de cette crise sanitaire qui s’éternise un peu plus, avec une grande réactivité des services que, comme vous, je tiens à saluer. J’en profite pour souligner que notre commission, sous l’élan de sa présidence Marielle de Sarnez, a été la première à reprendre ses travaux en mars, grâce à la visioconférence.
Dans le budget de 2021, 9 millions d’euros sont mobilisés pour les moyens de fonctionnement du numérique. Alors que les données personnelles sont l’une des ressources les plus stratégiques de notre époque, un investissement plus conséquent est-il envisageable ?
M. Rodrigue Kokouendo, président. Merci de tenir dans les deux minutes.
Mme Amélia Lakrafi. Je me joins à mes collègues pour saluer la qualité du rapport, notamment au regard de l’évolution notamment des crédits dédiés aux Français de l’étranger et aux affaires consulaires.
La crise que nous traversons nous rappelle que le ministère de l’Europe et des affaires étrangères est aussi un ministère de service public. Il l’a démontré en mobilisant fortement ses équipes, qu’il s’agisse du centre de crise et de soutien ou la direction des Français à l’étranger, pour organiser les retours que tout le monde a cités et félicités. Il l’a également démontré en mettant en place les mesures de soutien financier que vous avez rappelées, destinées aux Français résidant à l’étranger, ou en venant au secours au réseau d’établissements scolaires français, très affecté par la crise. Il l’a aussi démontré en se mobilisant lors de la tragédie survenue à Beyrouth.
Je me réjouis donc du maintien des effectifs de ce ministère et je rappelle l’importance de notre réseau consulaire, qui maintient un lien essentiel avec nos 3,5 millions de concitoyens qui vivent à l’étranger. Je salue également la hausse de la dotation pour les affaires sociales en 2021, dans le programme 151.
La crise a-t-elle conduit à redéployer des emplois, notamment d’agents titulaires ou en CDI, dans le réseau de l'administration consulaire ? Ce sont ces personnels, particulièrement ceux qui sont en charge des aides sociales, qui sont en mesure de rencontrer et d’assister nos Français établis à l’étranger les plus fragilisés. Dans votre rapport, vous précisez que la crise sanitaire traversée ne met pas fin à l’exercice Action 2022, qui devrait se traduire par la suppression de 416 équivalents temps plein au sein de notre réseau. Pouvez-vous revenir sur les perspectives d’évolution des effectifs ?
Je me réjouis du report des 50 millions d’euros dédiés à l’aide sociale.
M. Rodrigue Kokouendo, président. Chère collègue, pouvez-vous conclure ?
Mme Amélia Lakrafi. Vous soulignez, dans la partie de votre rapport consacrée au numérique, qu’on ne peut pas se passer de l’humain. Au fil de mes déplacements, j’ai estimé que le service consulaire pourrait venir à nos résidents étrangers en mettant à leur disposition des ordinateurs. Cela a-t-il été étudié dans le cadre du rapport ?
M. Rodrigue Kokouendo, président. Chers collègues, merci de tenir dans le temps de parole de deux minutes.
Mme Liliana Tanguy. Le budget du programme 105, relatif aux contributions européennes et internationales, reste stable. La France est l’un des principaux contributeurs en la matière. Dans la mesure où les Nations unies considèrent que les efforts faits pour promouvoir les objectifs environnementaux ne sont pas suffisants et où le Président de la République a souligné qu’il fallait être plus volontariste dans les contributions internationales – évaluées à 4,25 % pour 2021 – qui y concourent, ce budget vous semble-t-il suffisant ?
M. Jean-Louis Bourlanges. Je me félicite, comme tous, de l’arrêt de l’hémorragie des crédits. Vouloir faire des économies pour des petits budgets, comme celui du Quai d’Orsay, dans la même proportion que pour les grands est une aberration, car on atteint tout de suite l’os, mettant ainsi en cause la capacité des ministères à assumer leurs obligations. Il faut véritablement préserver les crédits des administrations qui en ont fort peu.
En revanche, je suis préoccupé, comme nombre de nos collègues, par le fait que dans le passé, on a gagé les économies sur la vente des « bijoux de famille ». Je voudrais que soit dressé un inventaire des ventes immobilières qui se sont souvent traduites, pour des raisons fonctionnelles souvent mesquines, par une réduction importante de la qualité et du prestige de nos représentations à l’étranger. Le patrimoine immobilier qui permet d’afficher l’action de la France a été très sérieusement endommagé. Il faut cesser cette hémorragie criminelle et suicidaire pour un pays qui vit autant de son image que de sa puissance.
M. Christophe Di Pompeo, rapporteur pour avis. Les revenus des parents pris en considération pour l’attribution des bourses scolaires seront ceux de l’année N et non plus de l’année N-1. Les situations réelles, affectées par la crise, pourront donc être prises en compte dès à présent. Par ailleurs, ces bourses pourront être abondées. Les 50 millions d’euros qui n’ont pas été consommés cette année seront reportés en 2021, avec l’assouplissement que j’ai évoqué tout à l’heure. Il sera également possible de mobiliser les réserves de l’AEFE.
S’agissant du patrimoine immobilier, le budget 2020 montre que la part des ventes des « bijoux de famille » a considérablement réduit.
M. Pierre Cordier. Il n’y a peut-être plus rien à vendre.
M. Christophe Di Pompeo, rapporteur pour avis. Il n’y a plus rien à vendre. Nous sommes allés au bout de cette politique. La nécessaire amélioration de la situation est prise en considération.
M. Michel Herbillon. Des ventes sont-elles envisagées en 2021 ?
M. Christophe Di Pompeo, rapporteur pour avis. À ma connaissance, non. Le budget dédié à l’entretien du patrimoine immobilier avait déjà évolué en 2020, passant de 72 à 80 millions. En 2021, il sera encore augmenté de 27 millions. La volonté et la prise de conscience sont réelles.
M. Michel Herbillon. Il est important que notre commission se saisisse de ce sujet. Il existe une certaine opacité. Nous avons tous réprouvé la politique suivie jusqu’alors, qui a consisté à vendre des éléments importants de nos outils diplomatiques. C’était une politique à courte vue. Il serait intéressant de demander des informations plus précises au ministère.
M. Christophe Di Pompeo, rapporteur pour avis. Il importe, en effet, que nous disposions d’une vision globale de notre patrimoine et des moyens de nos 160 ambassades. J’ai été nommé rapporteur pour avis jusqu’à la fin du mandat. L’an prochain, je pourrai orienter le point de vue sur le patrimoine immobilier de notre réseau diplomatique.
M. Rodrigue Kokouendo, président. Nous suivrons ce sujet.
M. Christophe Di Pompeo, rapporteur pour avis. Le ministère des affaires étrangères avait commencé sa mutation numérique avant la crise. Mais celle-ci a montré ô combien elle était nécessaire et ô combien il fallait changer de braquet. Le sujet des compétences numériques est compliqué. Depuis l’année dernière, une direction numérique a été créée dans les ministères qui le souhaitaient. Le ministère des affaires étrangères s’en est saisi. Désormais, un ambassadeur gère le numérique accompagné d’un ingénieur. Le numérique comme un outil comme un autre. Il change les pratiques et l’organigramme. Il révolutionne ce ministère, dont le secrétaire général avait d’ailleurs informé notre commission qu’il mènerait ce changement numérique. La prise de conscience et la volonté sont là. Aussi le ministère s’est-il doté de compétences, la difficulté venant de la forte volatilité des profils.
Concernant l’aide sociale, la troisième loi de finances rectificative pour 2020 avait prévu 50 millions d’euros supplémentaires. Dans le PLF 2021, ces crédits sont encore augmentés de 2,9 millions, qui pourront être abondés au besoin.
S’agissant d’Action publique 2022, la volonté d’arrêter l’hémorragie de nos diplomates est réelle. Je pense qu’elle sera durable. On ne peut plus penser qu’en réduisant les effectifs, le réseau fonctionnera de la même façon.
Il n’est pas prévu de mettre des ordinateurs à disposition de ressortissants. Le plan du ministère concerne uniquement ses agents.
Les contributions représentent les deux tiers des crédits du programme 105 et restent stables, à 718 millions d’euros.
Mme Liliana Tanguy. Ce budget est-il suffisant au regard des objectifs que nous nous sommes fixés au plan international ?
M. Christophe Di Pompeo, rapporteur pour avis. Il me semble suffisant dans la mesure où je n’ai pas observé de nouveaux besoins. Personne ne demande que ces contributions soient augmentées.
M. Frédéric Petit. Ces 718 millions d’euros ne sont pas choisis. Ce montant nous est imposé à 80 %, sur lesquels nous n’avons aucune influence. En effet, les contributions sont décidées par d’autres organismes.
M. Rodrigue Kokouendo, président. La discussion générale sur les crédits de la mission Action de la France en Europe et dans le monde ; Français à l’étranger et affaires consulaires est close. Nous allons passer aux crédits de la mission Diplomatie culturelle et d’influence et de la Francophonie. Nous examinerons les amendements sur la mission Action extérieure de l’État après ce débat.
M. Rodrigue Kokouendo, président. La crise sanitaire a eu, sur le réseau culturel français à l’étranger et sur l’activité culturelle elle-même, des conséquences importantes dont l’ampleur est difficile à évaluer. Pendant la crise, notre rapporteur a co-animé un groupe de travail sur les réseaux qui a mené des dizaines d’auditions et présenté de nombreuses propositions. Son rapport budgétaire est l’occasion de donner un nouvel éclairage sur cette question.
Tous, nous souhaitons éviter toute fermeture d’établissement, de service ou de classe. Tous, nous souhaitons aider nos réseaux et nos opérateurs à franchir ce cap difficile, en conservant leur dynamisme et en maintenant la place de la France. Les difficultés financières des établissements d’enseignement français à l’étranger (AEFE), souvent nées des défauts de recouvrement des frais de scolarité, sont représentatives de ces problèmes.
La crise n’explique pas toutes les difficultés de nos opérateurs. Ainsi, si la baisse du nombre des élèves enregistrés à la rentrée scolaire de 2020 est préoccupante, les évolutions sont très hétérogènes selon les pays. La crise impose des mutations pour renforcer la cohérence des réseaux et installer des outils de pilotage efficaces. Le ministère a fait preuve de souplesse, comme pour le versement des bourses, l’intégration des étudiants dans les cycles d’études et la délivrance de formations à distance. Notre rapporteur nous propose d’utiliser la crise pour adapter nos opérateurs, nos méthodes, notre offre culturelle, mais également pour renouveler nos coopérations bilatérales.
M. Frédéric Petit, rapporteur pour avis. Comme les années précédentes, ma présentation liminaire ne suivra pas mon rapport, que vous avez eu tardivement et je le regrette. Je me concentrerai plutôt sur trois points qui permettent de lancer un débat entre nous, avant, bien évidemment, de répondre aux questions que pose mon rapport et à celles issues du débat.
Le premier point concerne l’impact de la crise du covid-19 et du numérique dans le réseau. En la matière, je dois dire que nous partons de très loin. L’année dernière, j’avais recensé dix-sept plateformes – et j’en ai encore découvert une cette année – dont chaque opérateur était très fier, mais qui faisaient la même chose : soit de la formation de professeurs de français, soit de l’enseignement à l’étranger. Il est important de ne pas papillonner. Une révolution informatique ne commence pas par les informaticiens mais par les managers qui doivent se poser les bonnes questions. Ce n’est qu’une fois qu’on sait ce qu’on va leur demander qu’on invite les informaticiens. Par exemple, la commission des affaires étrangères leur demanderait d’abord qu’on puisse voter à distance avant de savoir quelle caméra ou micro utiliser.
Le bouillonnement était normal durant toutes ces années, beaucoup de gens se posant des questions et cherchant de nouveaux moyens. Maintenant, il faut veiller à ce que ce bouillonnement se coordonne.
Le numérique va changer l’enseignement, non pas comme un enseignement dégradé, non pas comme un enseignement de crise, non pas pour préparer la prochaine crise, non pas pour renforcer le Centre national d’enseignement à distance (CNED). Il va révolutionner l’enseignement de tout le monde, de même qu’il va révolutionner le Parlement. Si on ne pose pas les bonnes questions, on en sera réduit à coller des rustines qui nous empêcheront de régler les problèmes. Cette adaptation au choc numérique qui a été provoquée par la crise doit commencer non par une réflexion technologique et informatique, mais par une réflexion pédagogique sur les évolutions à apporter pour les enfants qui sont dans les lycées français mais aussi pour ceux qui sont dans d’autres dispositifs, pour les adultes qui fréquentent les alliances françaises, pour la diffusion de la culture, du cinéma français, pour les centres scientifiques à l’étranger.
Mon deuxième point porte sur la nécessaire poursuite des réformes engagées dans le réseau. Certaines voix officielles ont été tentées de dire que la crise du covid-19 devait nous conduire à les arrêter, mais je suis persuadé du contraire. L’enseignement du français à l’étranger, par exemple, a été envisagé sur une trajectoire à dix ans, et il ne faut pas l’interrompre.
Certaines choses ont été accélérées par le covid-19. Ainsi, à l’Institut français de Paris, le nouveau directeur a, dès le début de la crise, engagé un travail remarquable d’analyse. Il n’a pas encore débouché sur une révolution, mais des choses intéressantes ont été entreprises. Certaines alliances françaises en ont profité pour récupérer le logiciel qu’elles avaient acheté il y a quelques années et pour se sont numériser.
Dans mon rapport, je reviens aussi sur la mission que j’ai effectuée au lycée d’Alexandrie que je connais bien puisque j’ai passé cinq ans en Égypte. Lorsque j’avais quitté ce lycée de 300 élèves, en 2015, il était derrière les barricades et on ne pouvait plus y accéder. Aujourd’hui, il compte 1 000 élèves et il vient d’acheter un terrain parce que 3 000 élèves y seront attendus dans trois ans.
Ce qui me soucie, c’est que l’administration n’a toujours pas réussi à construire un rapport avec les non-administratifs. C’est le grand débat entre le préfet et le maire, le grand débat sur la place des parents au sein des écoles publiques à l’étranger. M. di Pompeo a salué l’ensemble des aides exceptionnelles, mais, sans qu’on sache pourquoi, les procédures habituelles qui fonctionnent très bien avec les élus n’ont pas été suivies pendant la crise, ce qui fait que les élus consulaires n’ont pas participé à l’attribution des bourses aux étrangers ni à l’aide sociale. On a été contraint de construire d’autres instances. Je suis inquiet de la tournure d’esprit de notre administration en direction de ses élus, d’autant que va s’ouvrir une année électorale. Il est vrai que notre administration a du mal à se projeter à cinq ou dix ans sur certains opérateurs et pas uniquement à faire fonctionner ce qui existe aujourd’hui.
Enfin, j’ai intégré dans mon rapport une contribution personnelle que j’ai faite au printemps, car je voulais montrer qu’une projection à dix ans était possible. Le réseau d’enseignement français à l’étranger a un très bon financement public, contrairement aux autres réseaux concurrents qui ne sont pas soutenus publiquement par leurs États et qui sont privés, à l’exception du réseau chinois qui est en train de se développer et qu’on ne connaît pas encore très bien. Je ne dis pas que ma réflexion prospective est la bonne, mais il faut éviter de dire que ce n’est pas possible.
J’ajoute que nous sommes quasiment les seuls sur notre créneau. L’une de mes grandes craintes est de perdre le contact avec la sociologie de notre réseau, qui est très particulière. L’enseignement français aux élèves étrangers ne s’adresse pas aux très riches – pour cela, il y a le lycée américain qui est trois fois plus cher que nous – , il s’adresse aux classes moyennes supérieures en train d’émerger. Je crains que certains lycées qui seront contraints, du fait de la crise, d’augmenter leurs tarifs, perdent le contact avec cette sociologie importante.
Aucune raison ne justifierait que nous soyons timorés et que nous refusions de nous projeter à dix ans. Notre réseau peut voir le nombre d’élève doubler en dix ans s’il prend les bons outils, s’il profite de cette aide qui a encore augmenté cette année après une forte hausse l’année dernière. J’ajoute qu’il est soutenu par le dispositif de bourses que l’on a rappelé tout à l’heure ainsi que par un dispositif exceptionnel de bourses aux étrangers instauré pendant la crise du covid-19 et qui sera certainement reconduit l’an prochain.
Mme Anne Genetet. Grâce à Frédéric Petit, qui connaît maintenant parfaitement le sujet, j’en apprends toujours beaucoup sur notre réseau d’influence et la francophonie.
Notre influence culturelle n’a certes pas été épargnée par la crise sanitaire mais elle n’a pas non plus été oubliée. Les députés représentant les Français de l’étranger, dont je fais partie avec Frédéric Petit, avaient très tôt averti le secrétaire d’État Jean-Baptiste Lemoyne des risques de fermeture partielle, voire totale, de certains établissements agréés AEFE, en tout cas de la réduction de leur activité, donc des ressources pour les alliances françaises, notamment parce qu’elles ont été dans l’impossibilité d’organiser des événements culturels. Le Gouvernement nous a entendus puisque des financements exceptionnels ont été apportés, mais la situation reste encore très incertaine. On peut espérer que ce budget sera suffisant, mais on doit maintenir notre vigilance parce que les difficultés vont s’égrener tout au long de l’année. En outre, une fois l’épidémie passée, il faudra continuer à en payer le coût pour que nos relais d’influence subsistent. Aussi avons-nous besoin d’une réflexion collective avec le Gouvernement sur notre stratégie post-covid en matière de pilotage et de financement de ces outils d’influence culturelle de la France.
Je note que les moyens alloués pour l’organisation d’événements culturels sont passés de 7,2 millions d’euros en 2020 à 5,9 millions pour 2021. Je comprends qu’il y ait moins d’événements culturels, mais la plupart de nos alliances françaises ne peuvent plus du tout organiser d’événements culturels.
Bon nombre de nos alliances françaises ont rebondi en développant des outils numériques, et se sont montrées capables de proposer un enseignement à distance remarquable. Elles ont même compris qu’elles pouvaient trouver par ce biais de nouveaux élèves pour qui l’alliance française du coin n’était pas accessible géographiquement. Aussi les alliances françaises demandent-elles un outil marketing mutualisé leur permettant de continuer à aller chercher ces élèves. Aller chercher des élèves sur internet, c’est un métier et il faut cesser de croire que le Quai d’Orsay est capable de faire tous les métiers du monde. Pensez-vous, monsieur le rapporteur pour avis, que l’on pourrait mandater une société spécialisée dont c’est le métier pour aider nos alliances françaises à rechercher de nouveaux élèves et à continuer de développer cet outil d’enseignement mixte, présentiel et distantiel ?
Enfin, les alliances françaises en France, celles qui s’occupent des étrangers en France, qui sont chargées de propager notre culture en France, rencontrent des difficultés. Aussi, je vous pose une question simple : qui s’occupe de ces agences françaises là ? J’ai été alertée notamment par celle de Vichy.
M. Michel Herbillon. Je remercie Frédéric Petit pour son implication sur ce dossier important qu’il suit depuis longtemps avec beaucoup de rigueur.
Nous avons le sentiment que le pilotage et la mise en cohérence du réseau ont été très fortement améliorés. L’impact budgétaire de la crise sanitaire a été terrible pour l’ensemble de nos réseaux. Nos alliances, les instituts français et l’AEFE ont connu une année 2020 difficile, et abordent 2021 avec une grande incertitude. Je ne vois pas dans le budget qui nous est présenté une réponse à cette situation extrêmement difficile. On se demande si la mesure a été prise de la situation particulièrement complexe et inédite à laquelle se trouve confronté notre réseau d’influence.
En général, quand on parle de budget sanctuarisé – c’est le cas ici –, on parle de budget stable. Mais lorsqu’on entre dans le détail de certaines actions, un budget stable, voire en diminution, ne me paraît pas très compatible avec les grands discours présidentiels et les grands projets régulièrement mis en avant sur la langue française, sur l’enseignement français à l’étranger, sur la francophonie, sur les alliances françaises, et de manière plus générale sur l’importance qu’on accorde à la diplomatie d’influence qui, je le rappelle, était considérée au début du quinquennat comme une priorité de l’action diplomatique de la France. Il y a souvent un écart entre les discours et les actes.
Ce budget montre une fois encore le déclin d’Atout France, seul opérateur de l’État dans le domaine du tourisme. Il est indiqué dans le rapport que la subvention d’Atout France est stabilisée alors qu’elle a baissé de 6 % cette année et qu’elle baissera encore de 7 % l’année prochaine. C’est parce que le tourisme est en crise, nous dit-on. Nous espérons que 2021 sera une année de rebond du tourisme. Avez-vous eu des contacts avec Atout France ? Les moyens qui lui sont alloués vous paraissent-ils suffisants ? Pour notre part, nous émettons quelques réserves.
Si ce budget 2021 rompt avec les errements du début du quinquennat, nous considérons qu’il n’a pas tiré toutes les leçons de la crise, et qu’il n’anticipe pas suffisamment les difficultés qui nous attendent pour l’année prochaine. Nous risquons une fois encore d’être contraints d’intervenir dans l’urgence et la précipitation. Aussi, le groupe Les Républicains n’approuvera pas les crédits inscrits pour 2021.
M. Bruno Fuchs. Merci, monsieur le rapporteur pour avis, pour ce rapport et pour votre vision structurante et prospective des choses, ce qui est important pour analyser un budget en temps réel et surtout se projeter dans le futur.
Je me réjouis que les crédits du programme 185 « Diplomatie culturelle et d’influence » augmentent de 3 millions d’euros pour 2021. Dans le cadre du plan de la langue française et du plurilinguisme présenté par le Président de la République en 2018, l’objectif est de créer dix nouvelles alliances françaises et de doubler le nombre d’élèves scolarisés dans le réseau français à l’horizon 2030. Ce budget peut aider à accomplir le premier pas, mais il faut à tout prix se battre pour que cet objectif résiste à la crise, et pour que les instituts ou les alliances, qui s’auto-financent en grande partie mais qui ont pu ou vont encore bénéficier d’une aide exceptionnelle de 150 millions d’euros, puissent être accompagnés dans la durée. Cela nécessite de conserver une logique de sanctuarisation.
Je vous remercie d’avoir évoqué dans votre rapport les futures relations franco-africaines que le Président de la République a dessinées à Ouagadougou en matière de partenariat éducatif, de formation professionnelle, de circulation des étudiants, de coopération culturelle. Vous avez rappelé, à juste titre, l’importance des politiques bilatérales et surtout la nécessité de surmonter la crise tout en gardant le cap. Là encore, nous serons vigilants pour que ce cap soit gardé.
Le statu quo n’est pas viable, avez-vous dit. Bien sûr, il faut un réseau d’alliances françaises, d’instituts français, un réseau physique fort, une organisation solide qui est le point d’ancrage de la France et de son influence dans le monde. Mais si nous voulons atteindre les 700 millions de locuteurs en français en 2050, il faut changer d’échelle – ils sont actuellement entre 250 et 280 millions. On ne peut pas se contenter d’une organisation physique dans des alliances françaises ou instituts français. Vous avez pris l’exemple du lycée d’Alexandrie où 1 000 jeunes – et bientôt 3 000 – apprennent le français. Or il y a chaque année 2 millions de naissances en Egypte. Avec 3 000 jeunes qui apprennent le français, on n’est pas dans la bonne échelle. Je rentre du Mali et du Niger où l’influence du Français décroît. Il faut, là aussi, se remettre en question et inventer, à partir de notre organisation physique, un système beaucoup plus puissant d’éducation numérique. J’aimerais vous entendre sur ce point.
Bien évidemment, nous voterons ces crédits.
M. Christian Hutin. Monsieur Petit, je veux tout d’abord saluer votre volontarisme et votre honnêteté. Il est clair que nous partions de loin. Vous indiquez que le statu quo n’est pas viable ; votre vision personnelle est tout à votre honneur.
Mon groupe aura l’occasion de présenter cet après-midi, en commission des finances, plusieurs amendements relatifs à l’enseignement. Les frais de scolarité ont connu une forte hausse de 25 %, et les crédits dédiés à l’aide à la scolarisation des enfants stagnent. Quant aux aides économiques financières multilatérales classiques, elles baissent de 92 % par rapport à 2020, ce qui est terrible. Les amendements que nous avons déposés visent à corriger cette situation.
Mme Aina Kuric. Je souhaite saluer, monsieur le rapporteur pour avis, la qualité de votre rapport, à la fois réaliste mais pas pessimiste, et qui propose une vision éclairante.
Nous ne pouvons que nous réjouir que les moyens de la diplomatie d’influence, qui est devenue un élément à part entière de la politique étrangère de la France, puissent progresser légèrement. Toutefois, du fait de la crise sanitaire notre réseau a beaucoup souffert, qu’il s’agisse de nos instituts français, de nos alliances ou encore de nos établissements d’enseignement français à l’étranger. Les incertitudes quant à la durée de la deuxième vague n’ont pas dissipé les doutes puisque, çà et là, des écoles n’ont pas pu reprendre leur enseignement en présentiel et que les alliances françaises, du fait de leur statut d’institution de droit local et bénéficiant de financements privés, ne pourront profiter des mêmes plans d’aide. Aussi, le modèle économique de nos institutions culturelles et académiques à l’étranger vous semble-t-il encore viable aujourd’hui ?
Comment voyez-vous l’évolution du rôle des ambassadeurs thématiques au Quai d’Orsay, dont certains peuvent se montrer essentiels, notamment pour notre diplomatie scientifique ?
M. Jean-Paul Lecoq. Je vous remercie, monsieur le rapporteur pour avis, pour ce rapport qui reprend bien les grands enjeux de la diplomatie culturelle et qui montre également les souffrances d’un réseau vivant, même en temps de crise sanitaire, où la culture, les échanges et les enseignements en présentiel sont quasiment tous à l’arrêt, sinon en passe de l’être.
Cette crise mondiale sans précédent met à mal tout le système, en même temps et partout. Malgré ces difficultés, il faut se féliciter que, pour une fois, les services du Quai d’Orsay ne sacrifient pas leur budget au nom du sacro-saint désendettement, mais font en sorte que tout cela se solidifie dans le temps. La diplomatie culturelle et l’éducation française dans le monde sont une véritable force pour notre pays et lui permettent de rayonner.
Avec 418 millions d’euros, le budget de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger est stable malgré toutes les difficultés qu’elle rencontre pour faire face au contexte sanitaire. Nous aurions préféré voir ses crédits augmenter. Ce changement a bouleversé les saisons culturelles, les expositions et les cours. Malgré cela, beaucoup d’activités ont pu se maintenir et l’innovation, l’imagination ont été au rendez-vous, comme l’a dit Frédéric Petit.
En tant que membre du conseil d’administration de l’Institut français, je reste vigilant sur le budget qui reste stable avec 28,8 millions d’euros, mais je tiens à féliciter les 141 salariés de cette magnifique institution qui ont travaillé avec acharnement pour continuer à faire vivre leurs activités, et quelque part à faire rayonner notre culture.
La fragilité de ces réseaux en temps de pandémie mondiale est désormais attestée, et il appartient maintenant aux représentants de la nation que nous sommes de veiller à ce que le ministère reste au chevet de ces différents réseaux et institutions afin que cette année ne soit pas la seule où les finances sont au service de l’État et non pas l’inverse. Peut-être Bercy comprendra-t-il à l’avenir qu’on définit d’abord une politique avant de lui affecter les financements.
Il faudra attendre les années suivantes pour vérifier si les engagements financiers sont confirmés, car la crise frappe durement partout dans le monde et probablement encore pour quelque temps. Gageons que le budget 2022 confirmera et amplifiera la reprise du projet de loi de finances de 2021, car elle est trop timide. Les députés communistes n’approuveront pas ce budget mais ils restent attentifs à l’évolution, qu’ils apprécient malgré tout, des crédits de la mission « Action extérieure de l’État ».
Enfin, nous dénonçons l’écart qu’il y a entre les besoins budgétaires réels et ce qui est mis sur la table. Même si l’augmentation est positive, nous considérons qu’elle n’est pas suffisante pour répondre aux besoins, tant ils sont importants.
Mme Frédérique Dumas. Je m’associe aux félicitations adressées par mes collègues au travail de Frédéric Petit, dont les avis sont toujours pertinents. L’année dernière, sa contribution personnelle, d’ordre graphique, nous avait permis de mieux comprendre les enjeux ; cette année, il nous livre des outils dynamiques pour sortir du statut quo.
L’année dernière, notre commission a reçu Mme Louise Mushikiwabo, secrétaire générale de la francophonie, qui nous appelait à poursuivre nos efforts afin de développer l’enseignement du français à l’étranger, et qui rappelait que la langue française était perçue comme élitiste. Il était donc nécessaire de renforcer les moyens et outils, donc la pédagogie, pour que notre langue ne soit plus perçue comme telle, mais qu’elle soit attractive et accessible à tous. Le projet de loi de finances pour 2021 va dans ce sens, car ce sont bien les actions « Coopération culturelle et promotion du français » et « Agence pour l’enseignement français à l’étranger », qui, dans le programme 185, bénéficient d’une augmentation du budget par rapport à l’année 2020. Mais vous nous rassurez également sur les méthodes pédagogiques.
En revanche, ce sont les deux seules actions qui bénéficient d’une augmentation de crédits, renforçant le décalage avec les autres actions de ce programme, comme celle relative aux objectifs de développement durable, celle de l’enseignement supérieur et de la recherche, et celle relative à la diplomatie économique et au développement du tourisme, cette dernière action enregistrant une baisse 9,66 %, soit la plus forte baisse de crédits par rapport à 2020. La crise sanitaire, bien sûr, explique en partie ces diminutions de crédits. Les mobilités scientifiques et universitaires ont été fortement affectées, remises à plus tard, voire totalement annulées, et cette situation pourra se poursuivre en 2021.
J’aborderai en particulier deux actions. Tout d’abord, l’action « Objectifs de développement durable » diminue de 4,7 % par rapport à 2020. Si cette baisse peut sans doute s’expliquer par le fait qu’il n’a pas pu y avoir de mobilités et que, par conséquent, les crédits alloués aux bourses dédiés aux échanges d’expertises n’augmenteront pas en 2021, ces échanges indispensables d’expertise sur des sujets particulièrement importants, notamment en période de crise sanitaire, devront se faire grâce à d’autres outils avec un système qui pourrait être hybride – présentiel, visioconférence – et qui nécessite des financements. De plus, des mobilités existeront, qui devront être encadrées avec une vigilance particulière et des moyens sanitaires renforcés. Le coût sera donc vraisemblablement en augmentation, lui aussi.
Dans le projet de loi de finances, il est écrit dans l’action « Soutien » du programme 105 que les incertitudes liées à la crise sanitaire ne permettent pas de prévoir une diminution des frais de mission des services en France dans la mesure où même dans l’hypothèse d’une diminution du nombre de missions, le coût des déplacements est en augmentation. Cet argument est également valable pour les mobilités du programme 105. Pourtant, comme on le verra, il n’est pas repris. Je tiens à rappeler qu’une des sous-missions de l’action « Objectifs de développement durable » est relative aux dotations pour opération aux établissements à autonomie financière pluridisciplinaires, et que ces dotations permettent des actions locales et régionales dans les domaines de la préservation de l’environnement, mais aussi de la recherche médicale.
L’action « Enseignement supérieur et recherche » subit également une diminution des crédits qui lui sont alloués de 5,33 % par rapport à 2020. Ce sont donc les bourses du Gouvernement français qui sont les plus touchées par cette baisse. Cette diminution, comme pour l’action précédente, est liée au fait que des mobilités sont reportées ou annulées. Cependant, tout en diminuant fortement les crédits alloués aux bourses du Gouvernement français, le projet de loi précise que, par ailleurs, afin de suivre au plus près l’actualité internationale, des moyens devront être dégagés afin de soutenir la mobilité des étudiants provenant des zones en crise – Syrie, Liban et bientôt Arménie. La diminution drastique de ces crédits est donc paradoxale par rapport, d’une part, aux objectifs retenus, d’autre part, aux argumentaires développés pour d’autres actions et programmes de la mission « Action extérieure de l’État », alors même que le projet de loi de finances pour 2021 reconnaît lui-même que le réseau des unités mixtes des instituts français de recherche à l’étranger (UMIFRE) a été particulièrement utile pour analyser les grands bouleversements socio-économiques et politiques en cours et qui devraient perdurer dans les années à venir. Ma question portera évidemment sur ce paradoxe et ce décalage.
Mme Mireille Clapot. Je remercie le rapporteur pour avis pour son rapport toujours très intéressant. Je souhaite appeler l’attention sur le sommet Africa 2020 qui avait été initié par le Président de la République en novembre 2017 à Ouagadougou et dédié aux cinquante-quatre États du continent africain, et dont l’objectif était de mieux faire connaître l’Afrique contemporaine aux Français. Il était conçu autour des grands défis du XXIe siècle pour présenter les points de vue de la société civile. Si j’ai bien compris, les crédits de 2020 figuraient dans les crédits de l’Institut français. Pouvez-vous nous confirmer que, malgré les aléas dus à la crise du covid-19, cette noble manifestation pourra avoir lieu en 2021, et que les crédits sont bien reconduits ?
M. Frédéric Petit, rapporteur pour avis. Je remercie l’ensemble de mes collègues pour la qualité de leurs questions – cela change de celles un peu surréalistes, à l’emporte-pièce et plutôt émotives que j’avais dû traiter la première fois que j’ai été rapporteur.
Cette année encore, j’avais prévu de montrer un graphique, mais on m’a expliqué que si je le projetais cela coupait la visioconférence.
Je confirme la résistance et la résilience de nos réseaux. Si on nous avait dit qu’on aurait fait une rentrée pareille au mois de mars, on aurait signé des deux mains.
Un rapport budgétaire est aussi un exercice de contrôle parlementaire ; on n’y parle pas que d’argent. Il est tout aussi intéressant de savoir qu’on a été résilients sur les opérations que de vérifier que les familles allaient payer. J’ai vu des évolutions, et la résolution de conflits par le haut. On a fait comprendre aux parents que ce n’est pas parce qu’il n’y avait pas de vidéo vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour les enfants de maternelle qu’il n’y a pas d’école à distance. Tous ces sujets ont été petit à petit repris dans beaucoup d’endroits. Aussi la résilience n’était-elle pas uniquement financière.
Une vigilance post-covid, c’est ce qu’a demandé la présidente de la commission, comme nous tous ici. Nous voulons que les ambassadeurs, dans chaque pays, chaque région du monde, écrivent maintenant non pas un plan école ou un plan enseignement, mais des plans de diplomatie d’influence post-covid. J’espère en tout cas que ce sera fait.
Les événements culturels dans les alliances françaises font très peu l’objet d’un financement public de l’État français. Effectivement, certains crédits sont en baisse à cause des reports. Je confirme que le sommet Africa 2020 est seulement reporté. Les équipes travaillent pour savoir sous quelle forme et à quelle échéance il se tiendra. Mais ce budget ne disparaît pas.
Effectivement, les alliances françaises sont en révolution, en cours de réorganisation. Les alliances françaises sont fédérées dans la Fédération des alliances françaises, qui est une petite structure très légère mais une vraie tête de réseau. Avec très peu d’argent public, 8 millions, elle a effectué un énorme travail de réorganisation, de définition des présidents de région pour une bonne adaptation à chaque région. La même chose n’a pas été faite en Amérique latine, où les alliances françaises ont une présence et une histoire complètement différente, et ailleurs. Il ne s’agit pas de décisions prises au Quai d’Orsay.
Par contre, dans les instituts français, un nouveau métier a été inventé par le terrain, qui a été pris en compte par le Quai d’Orsay : le directeur de cours. Bien souvent, cette fonction est exercée par une personne bilingue sous contrat local, qui réfléchit à la façon d’augmenter la fréquentation des cours de français, sous forme de cours individuels pour les entreprises ou en négociant avec l’État local. Dans ma circonscription, en Slovénie, l’Institut français forme tout un ministère au français, parce que la Slovénie, en entrant dans l’Union européenne, a souhaité que les gens parlent français.
Les alliances françaises en France sont des associations loi de 1901. Elles font partie de la Fédération et sont très indirectement soutenues par le ministère des affaires étrangères. L’alliance de Vichy, le CAVILAM, Centre d’approches vivantes des langues et des médias, est un institut associatif qui fait de la formation, y compris de professeurs de français à l’étranger. Il n’a pas perdu sur son activité française en France, mais sur la formation des professeurs de français qui ne peuvent plus venir de l’étranger. Il a été quelque peu mis de côté en matière d’aides parce que c’est une association française. Aussi est-on en train de voir dans quel système il pourrait être intégré pour être soutenu en cas de crise.
Je pense que la fonction de tête de réseau n’est pas encore bien comprise par l’administration. Ce sujet est transversal dans toutes vos questions. Je maintiens qu’on peut faire des politiques publiques qui ne soient pas intégralement payées par des fonds publics. Lorsque je suis agressé sur ce sujet dans ma circonscription, je prends l’exemple du football qu’on peut considérer comme une politique publique en France, mais dont seule une petite partie est soutenue par l’État. Sur les 522 lycées français à l’étranger, 460 sont des structures locales exactement de la même façon, et c’est très bien. Cela donne un maillage, une osmose extrêmement bénéfique. Si certains ont résisté, c’est grâce à cela.
Le budget ne serait pas compatible avec les grands projets sur la langue française. Aujourd’hui, ce qu’on gère c’est la destination de l’argent quand il arrivera, c’est-à-dire le contrôle sur les opérations. Je dis souvent qu’il ne sert à rien de mettre de l’essence dans un moteur qui n’est pas encore réparé. Comme vous l’avez vu dans ma contribution personnelle sur le réseau d’enseignement, des rééquilibrages sont nécessaires pour que l’argent public arrive et participe à l’élan qu’on veut donner.
Je trouve Michel Herbillon assez sévère sur l’anticipation, mais il a le droit de ne pas être d’accord, c’est même parfois un devoir.
L’augmentation de 3 millions des crédits du programme 185 est plus significative encore si l’on considère qu’on part de ce qui a été budgété l’an dernier, moins ce qui a été complètement annulé à cause de la crise du covid-19.
Je dis que le statu quo n’est pas viable, parce que je prétends qu’il faut continuer à réformer nos réseaux en ce sens que notre administration doit cesser de considérer qu’un réseau de partenaires dans la francophonie est un mode dégradé de l’administration centralisée ; c’est une autre manière de travailler avec des gens. Les ambassadeurs et les numéros deux d’ambassade ont compris, depuis le discours du Président de la République l’an dernier, qu’ils sont devenus des chefs d’orchestre qui font jouer des partenaires ensemble. Le raisonnement qui veut que celui qui finance est responsable, ou alors il ne s’occupe de rien, n’est plus valable.
Parmi les 700 millions de locuteurs espérés, une partie sera naturellement francophone. Le travail de la francophonie sera plutôt de leur apprendre à habiter le français. On ne peut pas se contenter d’avoir des locuteurs français par naissance et avec lesquels on ne travaille pas : il faudra faire un travail d’inclusion. L’archétype, ce sont les normes. Il faut que les normes soient françaises et non chinoises. La croissance ne se fera pas avec des gens qui auront passé le diplôme d’études en langue française (DELF). Elle sera naturelle dans les pays qui sont déjà francophones.
Il se passe effectivement de belles choses en Égypte puisqu’on y construit un campus. J’ai vu renaître l’université française dans une bonne stratégie. Lorsque je l’ai quittée, en 2014, on était en train de l’euthanasier parce qu’elle était vide. Depuis, un effort politique, qui ne s’appuie pas que sur des fonds publics, a permis d’entrer dans une démarche qui profite de la francophilie de l’Égypte.
J’ai oublié de dire que c’est l’éducation nationale qui organise, le mois prochain, les états généraux du numérique éducatif auquel tout le monde participera, y compris les réseaux étrangers. Je tire mon chapeau à ce ministère pour sa capacité de réaction et d’organisation dans ce domaine. Un effort important de réorganisation des opérateurs a été réalisé. C’est une équipe et tout le monde travaille ensemble, le CNED, le réseau Canopé, France éducation international, anciennement le centre international d’études pédagogiques (CIEP). Ils ont regroupé leurs forces pour avoir un seul outil d’État d’école à distance qui ne soit pas uniquement une roue de secours quand on ne peut pas faire autrement, mais qui transforme les pratiques durablement. On peut imaginer que lorsque la crise sera dernière nous, le mode hybride sera choisi par certains enseignants qui préféreront avoir quatre élèves en classe et quatre qui regardent. Ce système, impulsé de manière pertinente par l’éducation nationale, aura une répercussion sur nos réseaux. Je vous invite d’ailleurs à participer – on peut bien sûr y assister à distance – à un colloque de trois jours sur le numérique dans l’éducation.
Nous allons devoir travailler sur quelque chose qui est aujourd’hui plus ou moins l’éléphant dans la salle dont personne ne parle dans le monde enseignant : la formation entre pairs. L’éducation nationale a élaboré, il y a trois ans, l’Observatoire des ruptures de laïcité, dont le rapport annuel, rendu il y a trois semaines, regrette que les interventions s’arrêtent à la porte de la classe. On sait tous pourquoi. Le numérique va nécessairement demander à des enseignants d’être formés par leurs pairs, c’est-à-dire que des enseignants pourront venir voir ce que je fais et que je pourrai aller voir ce qu’ils font numériquement. Ce système n’est pas encore dans la culture de l’éducation nationale.
Je suis favorable à l’évolution du rôle des ambassadeurs thématiques. Il devrait y avoir un ambassadeur sur l’éducation française dans le monde comme il en existe un sur l’environnement. Et son rôle devra être beaucoup plus politique que celui d’un technicien de la diplomatie. Si l’on veut faire travailler ensemble des acteurs du privé, des acteurs associatifs, des élus locaux, avec un ambassadeur, un consulat, on aura besoin d’une sorte de médiateur politique. On ne peut pas laisser le conseiller de coopération et d’action culturelle (COCAC) se disputer avec le président de l’association qui gère le lycée et l’ONG qui fait les objectifs de développement durable dans la ville. Un ambassadeur thématique pourrait avoir ce rôle de liant, de ciment.
Le budget de l’AEFE est passé de 383 à 418 millions d’euros en deux ans. Pour ma part, je considère qu’il est plutôt en augmentation que stable.
Il se passe, avec l’Institut français, quelque chose de très intéressant et de très nouveau. Il doit assumer son rôle de tête de réseau, ce qu’il ne fait pas aujourd’hui. Il doit reconstruire une relation qui s’était arrêtée au milieu du gué à cause de la réforme Fabius, il y a six ans. Là, il y a des crédits à récupérer qui n’ont pas été utilisés.
Je crois effectivement qu’on est timide. L’absence de timidité, c’est une compétence qu’il faut chercher, recruter, organiser. Il manque peut-être des compétences de leadership à certains endroits de notre architecture administrative à l’étranger.
J’aime beaucoup que l’on dise que la francophonie c’est le plurilinguisme. Parmi les quatre-vingt-trois pays de la francophonie, il y a un seul malheureux pays où on ne parle qu’une seule langue : la France. Notre action publique et notre argent public doivent servir à aider des projets dont les objectifs sont importants.
Les UMIFRE n’ont pas beaucoup souffert. Elles sont très peu financées par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères et surtout soutenues par le CNRS. Je m’impose, depuis trois ans, à la conférence annuelle des UMIFRE au sein du CNRS. J’ai utilisé la nouvelle réglementation de l’Assemblée nationale pour faire une communication lors de la discussion du projet de loi de programmation de la recherche, afin qu’il y ait une recherche française dans le monde et non une recherche française en France avec un saupoudrage à l’étranger.
Si les bourses ont été décalées, c’est parce que les gens n’ont pas pu voyager à cause de la crise du covid-19. Il faut savoir que le système des bourses octroyées aux étudiants étrangers qui viennent en France est une usine à gaz. En fait, on vote un budget qui part ensuite dans un sac qui s’appelle la dotation à l’ambassadeur. Et c’est l’ambassadeur qui décide s’il octroie une bourse ou s’il donne à l’Institut français. Campus France ne fait que consolider les informations qu’on lui transmet. Quand on connaît bien le mécanisme, on voit qu’il n’est pas contradictoire. J’ajoute que la conférence des présidents d’université est très investie en ce qui concerne l’invitation des étudiants étrangers à venir en France.
M. Rodrigue Kokouendo, président. Monsieur le rapporteur pour avis, je vous remercie pour vos réponses. Je vous précise que l’Organisation internationale de la francophonie compte quatre-vingt-huit pays, et non quatre-vingt-trois.
La discussion générale est close. Nous passons à l’examen des articles et des amendements.
En accord avec la présidente Marielle de Sarnez, nous avons décidé de permettre aux députés de prendre la parole lors de la discussion des amendements s’ils le souhaitent. Dès lors que le vote interviendra, leur participation cessera.
Article 33, état B : Action extérieure de l’État
La commission est saisie des amendements AE6, AE5 et AE7 de M. Alain David.
M. Christian Hutin. Ils sont défendus. Je précise que je les présenterai plus en détail, cet après-midi, en commission des finances.
M. Christophe di Pompeo, rapporteur pour avis. Avis défavorable.
La situation du fonds citoyen franco-allemand a changé puisqu’il est doté de 2,4 millions.
En ce qui concerne l’action de la France dans le monde, l’enveloppe des bourses pour 2021 est de 105 millions d’euros. Les 50 millions d’euros qui n’ont pas été dépensés sont également reportés.
Quant au budget en faveur de l’aide à la scolarité des enfants français, il a été augmenté de 2,9 millions. Les 50 millions qui avaient été votés dans le cadre du budget rectificatif mais qui n’ont pas été dépensés seront eux aussi reportés.
M. Frédéric Petit, rapporteur pour avis. Je ferai la même réponse que M. di Pompeo sur l’amendement AE5. Il y a bien report.
Sur les 50 millions à date, on a réussi à utiliser 1,7 million. Il reste donc encore de la marge. De toute façon, cet argent sera versé avant la fin de l’année à l’AEFE qui pourra à son tour procéder à un report. Ce n’est pas un report dans les lignes de l’État.
S’agissant de l’amendement AE7, je crois que les budgets des opérateurs que vous citez augmentent. Au mois de novembre, nous disposerons du budget interne de ces opérateurs qui serait concerné par vos amendements.
Avis défavorable sur les amendements AE5 et AE7.
M. Christian Hutin. Je remercie les rapporteurs pour leurs précisions, ce qui ne m’empêchera pas de les présenter cet après-midi en commission des finances.
La commission rejette successivement les amendements.
Elle examine l’amendement AE14 de M. Frédéric Petit.
M. Frédéric Petit, rapporteur pour avis. Il s’agit de retirer la petite somme symbolique de 30 000 euros sur l’action 05 « Coopération de sécurité et de défense » du programme 105, et de l’inscrire sur la ligne budgétaire de l’AEFE, afin de permettre la mise en place d’un système de contrôle qualité au niveau de l’AEFE. Je reprends là la recommandation 57 du rapport de Samantha Cazebonne.
Un effort de contrôle et d’évaluation a été fait au sein de l’éducation nationale, mais il est nécessaire qu’il soit renforcé à l’étranger par un travail de contrôle et de certification international pour deux raisons. D’une part, à la différence des établissements sur le sol national, à l’étranger les écoles sont financées à 75 % par des familles qui choisissent d’y mettre leurs enfants. Nos concurrents font ce travail de certification.
D’autre part, nous venons de vivre une crise qui a parfois bousculé la compréhension et la confiance dans un lycée français. Tous les députés qui représentent les Français de l’étranger sont convaincus qu’une certification extérieure serait une garantie d’apaisement de tensions, surtout si cette certification est faite par un organisme international, comme le font tous nos concurrents.
Mme Anne Genetet. Pour obtenir le label AEFE, il faut déjà remplir certains critères. Qu’est-ce que cette évaluation de qualité apporterait de plus à l’homologation AEFE ?
M. Frédéric Petit, rapporteur pour avis. Ce n’est pas une homologation AEFE, elle est faite par le ministère de l’éducation nationale. Effectivement, on est un lycée français si on est homologué. Ce que je pense indispensable, c’est une homologation internationale qui permette aux familles de comparer le lycée français aux lycées allemand, anglais, etc. Le certificateur ne serait pas juge et partie et il certifierait que la formation des cadres administratifs est faite, que nous avons des procédures environnementales, etc. Ces éléments vont plus loin que l’homologation stricte faite par l’éducation nationale.
Mme Anne Genetet. Ce genre de certification existe pour l’enseignement supérieur – des établissements d’enseignement supérieur, par exemple dans le domaine économique, ont une certification internationale –, mais avez-vous déjà identifié un organisme international qui pourrait établir cette certification et en connaissez-vous le coût ? Je suis à l’étranger depuis très longtemps. Je sais que les écoles internationales anglo-saxonnes, américaines, ont leur diplôme, l’IB, c’est-à-dire le baccalauréat international, mais je n’ai encore jamais vu la certification de l’établissement en tant que tel. Je serais curieuse de savoir où et comment cela se passe.
M. Frédéric Petit, rapporteur pour avis. Il existe des établissements privés certifiés iso par des organismes comme TÜV. Notre centre de crise, au ministère, a été certifié par un organisme extérieur, de même que le service des étrangers dans une préfecture que j’ai visitée. On peut donc garantir à un usager qui n’est pas nécessairement membre de la communauté nationale que le service rendu n’est pas certifié uniquement par l’État français, et qu’il fait bien ce qu’il dit. Je pourrai vous fournir des exemples d’établissements scolaires privés qui ont une certification iso.
La commission adopte l’amendement.
Suivant l’avis défavorable du rapporteur pour avis, elle rejette successivement les amendements AE4 et AE8 de M. Alain David.
Suivant l’avis favorable du rapporteur pour avis, la commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Action extérieure de l’État » ainsi modifiés.
Avant l’article 53
M. Rodrigue Kokouendo, président. Le rapporteur pour avis a déposé deux amendements portant article additionnel avant l’article 53 du projet de loi de finances. Je suis contraint de les déclarer irrecevables, car ils constituent des cavaliers budgétaires contraires aux dispositions de l’article 47 de la loi organique relative aux lois de finances. Je donne cependant la parole à notre rapporteur pour expliquer sa démarche.
M. Frédéric Petit, rapporteur pour avis. L’amendement AE12 porte sur un sujet dont vous m’avez déjà entendu parler. Nos opérateurs sont gérés par un comité de direction (CODIR), c’est-à-dire un directeur ou un secrétaire général entouré de managers – le directeur de l’AEFE, le directeur d’Expertise France, etc.
Les statuts de ces opérateurs ont été modifiés pour leur adjoindre un conseil d’administration, alors qu’ils relevaient jusque-là d’un fonctionnement interministériel. Le président du conseil d’administration, pour une raison qui me paraît assez étrange, est très souvent nommé par l’administration, et se trouve être le supérieur hiérarchique du directeur, créant ainsi un doublon qui ne sert absolument à rien. Seule Expertise France y a échappé, et cela se passe très bien puisque la présidente de son conseil d’administration, Mme Tubiana, est également présidente de celui de l’AFD. Il faut imaginer le conseil d’administration de l’AEFE, le seul organisme où les parents ont accès à la gestion, et qui est présidé par le supérieur hiérarchique du directeur : cela semble un peu étrange.
Je souhaiterais que, après sa nomination, un président de conseil d’administration d’un opérateur vienne devant notre commission nous présenter sa vision de son travail, nous permettant ensuite d’émettre un avis. Un tel débat ne causerait pas de gêne – nous ne signons pas les chèques et ne faisons pas tourner la maison. Il ne s’agit pas de toucher aux directeurs ni au comité de direction, mais seulement de demander au président du conseil d’administration de nous faire un état des lieux politique. Certains parmi nous sont administrateurs de divers opérateurs, et nous sommes tous d’accord pour dire qu’il serait intéressant que le conseil d’administration devienne un endroit de débat politique.
L’amendement AE13 vise, quant à lui, à demander des contrats d’objectifs et de moyens (COM) post-covid. Il s’agirait de demander à l’AEFE de prolonger son COM, censé prendre fin au 31 décembre 2019, et de travailler non pas à un COM2020-2022, qui est déjà quasiment ficelé, mais à un COM2021-2024 post‑covid.
Ces deux amendements ont été déclarés irrecevables pour des raisons de procédure et non de fond.
Mme Anne Genetet. Pourquoi ces amendements ont-ils été déclarés irrecevables ?
M. Rodrigue Kokouendo, président. Ce sont des cavaliers budgétaires au sens de l’article 47 de la loi organique relative aux lois de finances.
M. Jean-Paul Lecoq. Je suis dsolé, mais ce point fait débat. Il s’agit d’entendre le président d’un opérateur venir exposer sa politique : en quoi cela constituerait-il un cavalier budgétaire ?
Les deux amendements sont retirés par le rapporteur pour avis.
M. Rodrigue Kokouendo, président. Nous en avons terminé avec l’examen de la mission Action extérieure de l’État.
– Examen pour avis des crédits de la mission Défense (M. Guy Teissier, rapporteur pour avis) et vote sur les crédits de la mission Défense.
M. Rodrigue Kokouendo, président. Guy Teissier va nous présenter les crédits de la mission « Défense ». Nous connaissons tous son expertise sur les questions de défense et de sécurité internationale. Il a exercé cette année son œil critique sur les conséquences de la crise sanitaire, non seulement sur l’exécution du budget de la défense, mais également sur la situation de notre industrie de défense et, plus généralement, de notre base industrielle et technologique de défense (BITD).
Des satisfactions sont relevées, au premier rang desquelles le respect des prévisions d’exécution de la loi de programmation militaire. Les moyens humains sont renforcés, les équipements modernisés, les moyens de renseignement s’accroissent substantiellement. En somme, nos armées s’adaptent aux nouvelles menaces extérieures. Mais Guy Teissier ne manquera pas de nous faire part de quelques sujets d’inquiétude.
Notre rapporteur a, par ailleurs, souhaité étudier plus particulièrement le soutien aux exportations d’armement. Ces ventes, très importantes pour notre balance commerciale, assurent surtout la viabilité de nos outils industriels et de notre recherche et développement, travaillant pour la performance de notre industrie de défense qui, sans ces marchés extérieurs, aurait une activité insuffisante pour se maintenir, se développer et conserver sa prééminence technologique. Nos exportations renforcent également la force diplomatique et géostratégique de la France, contribuant à créer des liens étroits dépassant le cadre militaire avec les États clients. C’est pourquoi l’ensemble des composantes de l’État et des acteurs des secteurs de la défense sont mobilisés pour les soutenir.
Le rapport que va présenter notre collègue Guy Teissier permettra à nouveau de comprendre pourquoi la loi de programmation militaire (LPM) que nous avons votée en juillet 2018 a fait du soutien aux exportations d’armement une de ses priorités, en allouant des moyens accrus aux armées à cet effet.
M. Guy Teissier, rapporteur pour avis. Puisque la défense est le bras armé de notre politique étrangère, il est nécessaire d’en examiner les crédits dans cette commission.
Cette année, le budget de la défense s’inscrit dans un double contexte : d’une part, un contexte prévisible, lié à la loi de programmation militaire, qui court jusqu’en 2025, ou du moins jusqu’en 2022 ; d’autre part, un contexte imprévisible, qui nous a tous pris au dépourvu, celui de la crise sanitaire et de son impact sur le monde de la défense, lequel n’a pas été épargné.
S’agissant du contexte prévisible, le budget de la défense augmentera de 1,7 milliard d’euros en 2021, ce qui est conforme à la LPM. Cette nouvelle hausse des crédits, similaire à celle de l’année dernière, porte le budget de la défense à 39,2 milliards d’euros, permettant ainsi de poursuivre la remontée en puissance de nos armées. Une part substantielle des nouveaux moyens est orientée vers la modernisation des équipements afin de réparer l’outil de défense.
Je ne pourrai entrer ici dans le détail de la répartition des crédits mais je veux saluer l’engagement des hommes et des femmes présents sur les terrains d’opération comme à l’intérieur de nos frontières pour assurer la sécurité de nos concitoyens.
Je salue également l’action du service de santé des armées (SSA). Son rôle est déjà fondamental pour les soldats déployés en opérations extérieures ; nous connaissons désormais, par sa contribution à la lutte contre l’épidémie, sa capacité à s’adapter dans un domaine qui n’est pas initialement le sien. C’est d’autant plus remarquable que le SSA a été très fragilisé ces dernières années, le service ayant perdu 10 % de ses personnels entre 2014 et 2018. Si la LPM prévoit la stabilisation de ses effectifs, le SSA rencontre de grandes difficultés à recruter et à fidéliser en raison de la faiblesse des soldes. En effet, dans ce service extraordinaire, qui fait honneur à la France partout où il intervient, un jeune homme ou une jeune femme – il y a d’ailleurs plus de femmes que d’hommes médecins dans le SSA – termine ses études au grade de capitaine, ce qui pose problème pour des gens qui commencent leur carrière vers 30 ans. Il me paraît urgent de remédier aux difficultés affectant ce service.
L’impact de la crise sanitaire sur l’industrie de défense n’a pas été prise en compte par le ministère des armées. La crise sanitaire a bousculé l’industrie de défense à deux titres : d’abord, sur le plan de l’offre, en imposant un coup de frein brutal à la production ; ensuite, sur le plan de la demande, en entourant de flou les perspectives à l’export.
Le choc de la crise est majeur pour de nombreuses PME. L’industrie de la défense emploie 200 000 salariés et compte 4 000 PME ; ce sont ces entreprises, indispensables aux grands groupes, qui trinquent en pareille situation, particulièrement dans le secteur de l’aéronautique.
Je regrette que la défense soit la grande oubliée du plan de relance. Lorsque la ministre des armées indique que la LPM est le plan de relance de la défense, comment peut-on la croire, alors que la LPM a été votée en 2018, bien en amont de la crise que nous traversons ? On veut nous faire croire à des mesures nouvelles en donnant des habits neufs à des mesures adoptées depuis longtemps.
Sans mesure de relance, nous ne pouvons exclure le risque d’une fragilisation profonde, peut-être irréversible de notre industrie de défense. J’emprunte ici les mots bien avisés de nos collègues de la commission de la défense, Jean-Louis Thiériot et Benjamin Griveaux. L’industrie de défense n’est pas une industrie comme une autre : elle est la garantie de notre souveraineté ; elle est intensive en main-d’œuvre et en technologies de pointe ; elle est un exemple à suivre pour ceux qui, au lendemain de la crise sanitaire, veulent bâtir une autonomie stratégique dans de nouveaux domaines, de l’alimentation à la santé. De par cette autonomie, chaque euro investi dans la défense ne risque pas de se perdre dans des chaînes de valeur internationales complexes, mais nourrit directement l’activité et l’emploi en France, et ce dans tous les territoires. Une occasion a donc, sans aucun doute, été manquée par le Gouvernement.
J’ai décidé de consacrer la partie thématique de mon avis budgétaire au soutien aux exportations d’armement. La vente d’armes ne peut être détachée de la politique étrangère de la France. Les exportations de matériel militaire peuvent être le catalyseur de partenariats stratégiques sur le long terme avec nos voisins immédiats en Europe.
La politique d’exportation d’armement de la France repose sur deux piliers : le contrôle et le soutien. Deux de nos collègues, Jacques Maire et Michèle Tabarot, présenteront dans quelques jours un rapport très important sur le contrôle des exportations d’armement. C’est pourquoi j’ai centré mon propos sur le soutien.
La France a remporté de grands succès à l’export ces dernières années. En 2019, notre pays a enregistré 8,3 milliards d’euros de prises de commandes dont, de façon inédite, presque la moitié à destination du marché européen. Nous devons cette performance autant à la qualité de l’offre d’armement française qu’à la cohésion de l’« équipe France », qui regroupe les autorités politiques, le Quai d’Orsay, la direction générale de l’armement (DGA), les armées et les industriels.
Malgré tout, la place de notre pays sur les marchés extérieurs est loin d’être garantie. Sur ce marché, la concurrence est vive, et même brutale, si l’on s’en réfère à la manière dont les États-Unis déstabilisent les industries européennes sur leurs marchés traditionnels, jusqu’en Europe, pour vendre le F35. Au-delà des États-Unis, de nombreux pays, tels que la Russie, la Chine, Israël ou la Grande-Bretagne, renforcent leur soutien aux exportations d’armement, ce qui a pour effet de fragiliser notre position sur les marchés mondiaux.
Dans ce contexte, la LPM fait du soutien aux exportations d’armement une priorité. Elle y consacre de nouveaux moyens. Mais nous devons aller plus loin et je fais pour cela deux propositions. Première proposition : la France a intérêt à développer la formule des contrats de gouvernement à gouvernement, comme cela se pratique dans d’autres pays avec succès. Cela répond à une demande croissante des États clients. Le contrat « CaMo » avec la Belgique, dont la ratification a été récemment autorisée par notre commission, est une réussite qui en appelle d’autres.
Deuxième proposition : nous devons réduire le poids des missions de soutien aux exportations qui pèsent sur les armées, tant dans le domaine de la formation que pour le maintien en condition opérationnelle (MCO) des matériels. Ainsi, notre pays devrait bientôt vendre dix-huit avions Rafale à la Grèce, dont douze appareils d’occasion, pour un montant de 1 milliard d’euros. Véritable effet d’aubaine pour le budget de notre pays, cette vente mobilisera la substantifique moelle de nos armées pour former les pilotes et les mécaniciens grecs. Si les pilotes peuvent être formés en six mois, il leur faudra ensuite une année pour être véritablement opérationnels. Les mécaniciens devront, quant à eux, suivre les appareils en Grèce et tout cela sera pris sur nos effectifs militaires. L’entreprise Dassault vient de créer sa propre école de formation, ce qui allègera la charge que subissent nos armées avec ces missions éloignées de leur cœur de métier.
D’autres prospects à l’export existent, en Suisse, en Croatie ou en Finlande. Bien sûr, il faut se réjouir du fait que nos partenaires européens soient enfin prêts à acheter du matériel européen – et, encore mieux, du matériel français ! Mais nous devons veiller à ce que ces ventes d’armes n’aggravent pas les trous capacitaires des armées, ni les tensions sur les ressources humaines militaires. La capacité des armées à assurer notre défense en dépend.
Mme Amélia Lakrafi. Les moyens dédiés aux missions de souveraineté sont significativement renforcés en 2021. Parmi elles, la défense bénéficie d’un effort financier exceptionnel. Conformément à la trajectoire votée dans la loi de programmation militaire 2019-2025, la troisième année de la LPM voit les crédits de la mission « Défense » augmenter à nouveau de 1,7 milliard d’euros. Le budget atteint donc 39,2 milliards d’euros à périmètre constant, soit une hausse de 4,5 % par rapport au budget 2020. Cela représente 18 milliards d’euros de ressources supplémentaires depuis 2007. Cet engagement constant du Gouvernement permet une remontée en puissance de notre appareil militaire. Ces augmentations de budget doivent garantir à la France un modèle d’armées complet et équilibré, pour que celles-ci soient en mesure de réaliser leur mission au service des Français sur le territoire national, mais également en opérations extérieures (OPEX), dans un environnement dégradé.
Dans cette optique, le budget 2021 répond aux ambitions suivantes : continuer la montée en puissance des équipements ; soutenir la base industrielle et technologique de défense, qui doit être préservée malgré la crise économique ; réussir le défi du recrutement et de la fidélisation ; améliorer le quotidien du soldat et des familles.
Je souhaite souligner l’effort consenti pour les opérations extérieures : les OPEX représentent l’engagement de la France pour la paix dans le monde, particulièrement dans la lutte contre le terrorisme. Pour la deuxième année consécutive, la provision pour les OPEX est portée à 1,1 milliard d’euros, à comparer aux 450 millions du précédent quinquennat. Même si le coût des OPEX est difficilement prévisible, cette réserve de 1,1 milliard d’euros est plus proche de la réalité que précédemment. À cela s’ajoutent également les 100 millions d’euros réservés au titre des missions intérieures, à l’instar de Vigipirate et de Résilience.
En 2021, on peut s’attendre à une mobilisation croissante de nos armées. Ainsi, il faudra anticiper les conséquences budgétaires possibles d’une prolongation de la crise sanitaire, si jamais les moyens des armées devaient à nouveau être mis à rude épreuve.
Monsieur le rapporteur, je me joins à vous pour saluer chaleureusement le service de santé des armées, ces hommes et surtout ces femmes qui soignent, guérissent et réparent. Il est aisé de constater que la mission « Défense » apporte une réponse ambitieuse et conforme aux objectifs de notre pays en la matière. Aussi, je vous encourage, au nom du groupe La République en marche, à voter les crédits.
M. Frédéric Petit. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, pour la grande compétence que vous partagez avec nous chaque année. Il est important que notre commission se saisisse de ce dossier. La défense est le bras armé de la diplomatie : dans le monde actuel, cela est particulièrement sensible. Nous partageons vos craintes et nous sommes conscients qu’il faut être très vigilant sur l’application de la loi de programmation. Le groupe MODEM votera ces crédits sans état d’âme.
Je souhaiterais connaître votre analyse concernant les efforts franco-allemands dans le domaine de l’industrie militaire, notamment pour les projets en cours. Par ailleurs, vous avez parlé de contrat d’État à État : quelle est la différence entre un tel contrat et un contrat d’armement classique ? Ce type de contrat pourra-t-il être utilisé dans le cadre franco-allemand, avec plusieurs pays, voire avec l’Europe ?
M. Christian Hutin. On peut dire que, depuis trois ans, le Gouvernement a tenu parole : les crédits augmentent. J’aurais souhaité que cela augmente beaucoup au départ et plus faiblement ensuite ; c’est plutôt l’inverse qui a été fait, mais l’engagement est globalement respecté. C’est important, car les forces armées jouent un rôle essentiel dans la souveraineté de la France.
Dans son Appel du 18 juin, le général de Gaulle affirmait que la France n’était pas seule. J’ai tout de même l’impression que, par exemple au Mali, la France est un peu seule, même si nous avons fait un habillage européen avec quelques camions allemands et trois containers belges. Non seulement nous sommes seuls, mais on pourrait ajouter que, parfois, nous sommes salis. C’est très compliqué d’intervenir en OPEX, et parfois la population locale le comprend mal. Nous commençons à rencontrer des difficultés de ce point de vue. Quel est votre avis sur cette question ?
Concernant la relance industrielle post-covid, et sans aller jusqu’à réarmer le pays, des commandes publiques sont-elles prévues, par exemple pour soutenir les chantiers navals ?
Autre question, plus pernicieuse : plusieurs reportages, que je pense honnêtes, ont montré des soldats français obligés de mettre des gilets pare-balles sur les portières des véhicules blindés légers. Très franchement, est-ce cela, être opérationnel ? Y a-t-il eu des améliorations ou va-t-on continuer à exploser sur des bombes artisanales dans tous les pays où l’on intervient ?
Dernière question, plus politique : quel est l’état de nos relations militaires et commerciales avec l’Arabie saoudite ? Selon certains journalistes, il ne faudrait surtout pas évoquer le salafisme car cela pourrait nuire à nos relations commerciales avec ce pays. Qu’en est-il exactement ?
Mme Aina Kuric. Je souhaite vous parler de transition écologique. Premier consommateur énergétique institutionnel du pays, le ministère des armées représente 0,3 % de la consommation d’énergie nationale, les trois quarts étant absorbés par les besoins de mobilité. Or les armées ne devraient pas échapper à la transition écologique.
La ministre des armées, Florence Parly, en a fait une priorité, en juillet, sur la base pétrolière de Chalon-sur-Saône, au service des essences des armées, désormais rebaptisé service de l’énergie opérationnelle. Elle compte surtout présenter une nouvelle stratégie énergétique dont l’objectif est d’infléchir la consommation du ministère. Elle se résume ainsi : consommer sûr, consommer moins et consommer mieux. Pour garantir la résilience des infrastructures, l’armée va poursuivre sa politique de carburant unique.
La coopération avec les autres pays membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) devrait être poursuivie ; une coopération structurée permanente devrait également être lancée au sein de l’Union européenne avec l’Espagne, l’Italie et la Belgique autour de la fonction énergie opérationnelle. Sur les îles Glorieuses, un projet de groupe électrogène hybride photovoltaïque et hydrogène devrait être testé par le ministère des armées. Quelle est la part réelle de la transition écologique dans le PLF 2021 et comment cette trajectoire pourrait-elle évoluer ? Le groupe Agir ensemble votera les crédits de la mission « Défense ».
M. Jean-Paul Lecoq. J’ai toujours plaisir à écouter Guy Teissier. Pour avoir fait quelques déplacements avec lui à l’époque où il présidait la commission de la défense, j’ai pu mesurer son expertise, sa grande connaissance du sujet et le respect que nos militaires vouent à un député qui sait de quoi il parle.
Je tiens à le remercier pour son rapport, qui a le mérite de la clarté. Le budget de la défense a besoin de la diplomatie pour aider les exportations d’armement. L’opacité de notre système d’exportation de l’armement est tout à fait utile pour aller vite et pour servir à la fois notre industrie et notre balance commerciale – c’est ce qui est dit dans le rapport, et je ne partage pas ce point de vue. Les députés communistes se sont toujours opposés à l’idée que notre réseau diplomatique n’était qu’une succursale au service des intérêts économiques du pays, car cela abîme l’image de la France. Celle-ci doit défendre des valeurs fortes, les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité.
Les intérêts économiques ne s’embarrassent cependant pas de ces valeurs, les seules qui vaillent étant le profit et les dividendes. C’est d’ailleurs comme cela qu’est construite la politique d’exportation d’armement de notre pays : chaque demande d’exportation est évaluée au sein de la commission interministérielle pour l’exportation des matériels de guerre, où tout est classé « secret défense » – et voilà, on ne peut plus rien dire ! C’est ainsi qu’au nom de l’aide à l’export, nous vendons des armes à l’Arabie saoudite et à leurs alliés, qui les utilisent dans l’horrible conflit au Yémen. Je partage le questionnement de la commission : quid de l’utilisation de ces armes au regard du droit international ? Peut-être en discuterons-nous lors de la réunion que la commission consacrera spécifiquement aux ventes d’armes. Cet État véhicule partout dans le monde une idéologie religieuse et politique qui mène à la violence, à l’exclusion, et parfois au pire – je tenais à le dire. La nécessité de réformer ce système et de libérer le Quai d’Orsay de ces contraintes économiques et militaires est urgente, pour retrouver une voix libre et digne dans le monde, une voix pour la paix.
Par ailleurs, je constate que la trajectoire de la loi de programmation militaire, qui prévoyait de dépenser 2 % du PIB pour notre armée, est parfaitement respectée, alors que l’aide publique au développement n’a jamais eu de trajectoire très crédible, selon nous, pour atteindre 0,5 % du PIB – à croire que les injonctions de Donald Trump et de l’OTAN ont plus de force que celles des organisations non gouvernementales ; c’est parfaitement regrettable !
Enfin, concernant le plan de relance, vous avez indiqué dans votre rapport que celui-ci financera, à hauteur de 150 millions d’euros, les dépenses de recherche duale supportées par le Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Devons-nous en conclure que le plan de relance soutient la recherche sur la bombe atomique ? L’adaptation de l’arme nucléaire aux enjeux du XXIe siècle continue-t-elle d’être pertinente alors que les enjeux de ce siècle sont la cybersécurité, les crises environnementales et les crises sanitaires ?
Nous considérons qu’il convient d’apporter les moyens nécessaires à notre armée. Je me souviens de ces soldats en Afghanistan, qui expliquaient que si les Américains étaient un peu protégés dans leurs véhicules, le fond des véhicules légers français ne l’était pas – j’espère que tout cela a bien évolué depuis ! Nous ne partageons pas toujours les missions qui leur sont confiées, mais là n’est pas la question : les militaires doivent être protégés. Voilà pourquoi le groupe des députés communistes ne soutiendra pas ce budget.
Mme Frédérique Dumas. La situation internationale est très instable ; elle se complexifie et la crise sanitaire ne participe pas à l’apaisement international, bien au contraire. De plus, les moyens d’attaque et de défense évoluent rapidement, les théâtres d’opérations engendrant un besoin croissant de s’adapter au plus vite à ces nouvelles situations. Pour faire face à tous ces défis, le budget de la mission « Défense » continue d’augmenter en respectant la trajectoire de la loi de programmation militaire 2019-2025 : on ne peut donc que le saluer.
Il est important de souligner l’augmentation conséquente des crédits alloués à certaines actions, qui était indispensable. C’est le cas notamment de l’action « Prospective de défense », qui augmente de 8,28 % par rapport à 2020, action indispensable pour appréhender les nouveaux enjeux internationaux. Mais nous regrettons fortement la stagnation du budget destiné à la sous-action « Actions civilo-militaires », qui figure dans l’action « Surcoûts liés aux opérations extérieures ».
Dans le même esprit, nous pourrions nous réjouir de l’augmentation de 20,8 % de l’opération budgétaire « Activités et entraînement des forces » dans la sous-action « Emploi des forces » de l’action « Planification des moyens et conduite des opérations ». Cependant, cette augmentation s’explique principalement par une augmentation des activités de coopération et d’entraînement menées par les forces de présence et de souveraineté. Or les actions civiles et militaires ont pour but de participer à la réalisation des objectifs civils du plan de paix dans le domaine sécuritaire, culturel, économique et social. Dans ce budget, elles stagnent. L’idée est pourtant que les forces armées passent progressivement le relais aux organismes civils au fur et à mesure de la sortie de crise – au Sahel, on en est très loin ! Cela nous paraît donc être une faute majeure d’analyse.
Le chef d’état-major des armées (CEMA) a indiqué à plusieurs reprises que la guerre serait très longue au Sahel, sans doute plus de vingt ans – autant dire sans fin. De plus, les opérations militaires ne permettront jamais, à elles seules, de gagner le soutien des populations. Ce qui vient de se passer récemment au Mali, avec la libération de 200 prisonniers, ou encore au Niger, avec l’exécution de six jeunes bénévoles, nous le démontre cruellement. La politique dite du scalp, celle de l’élimination des chefs de guerre, si elle permet de communiquer, ne résout aucun problème structurel : les chefs sont immédiatement remplacés par d’autres chefs, des représailles sont menées, nécessitant l’engagement de moyens toujours plus coûteux pour parvenir à ces éliminations. Cela fait peser des menaces de plus en plus fortes sur nos militaires et sur nos ressortissants. Enfin, au Mali, parmi les prisonniers, il n’y avait que quelques djihadistes terroristes combattants ; tous les autres étaient des villageois, qui avaient aidé ponctuellement en fournissant de l’eau, de l’essence, une moto ou un service. Ils l’ont fait, la plupart du temps, pour vivre en sécurité : en effet, sans réponse aux besoins des populations, sans protection des populations, nous restons impuissants face à ceux qui défendent un autre modèle de société que le nôtre, mais qui apportent des réponses aux besoins essentiels et vitaux des populations sur le terrain.
Il est par ailleurs inquiétant que le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et la lutte contre les inégalités mondiales ait totalement disparu de l’agenda, même virtuel, du Gouvernement. À travers ce budget, on peut s’interroger sur la répartition des dépenses : quelles interventions doit-on vraiment mener dans les pays du Sahel pour sortir de la crise ?
M. Guy Teissier, rapporteur pour avis. Je voudrais tout d’abord remercier l’ensemble de mes collègues qui m’ont adressé des éloges que je ne mérite sans doute pas, mais qui me touchent.
Beaucoup de vos questions portent sur des sujets de fond : il nous faudrait une bonne heure pour en débattre ! Tout d’abord, concernant les OPEX, il n’y a pas si longtemps, lorsque je présidais la commission de la défense, il n’y avait pas de ligne budgétaire pour les OPEX : j’ai donc demandé que l’on crée une ligne budgétaire. Par nature, on ne peut pas prévoir l’intensité des combats que nous aurons à mener sur tel ou tel point du globe. Il est donc difficile d’évaluer avec précision le montant qui sera accordé à ces opérations. Il n’en reste pas moins que le Gouvernement a engagé 1,1 milliard d’euros pour garantir les OPEX, notamment au Mali, mais également les opérations intérieures (OPINT). Toutefois, nous savons que cela ne suffira pas : déjà, l’année dernière, nous en étions à 1,5 milliard, et nous n’avons pas baissé la garde. Cela ne fera donc qu’augmenter et il faudra de nouveau prélever, sur le budget de la défense, à peu près 400 millions. Il n’y aura pas d’aide interministérielle, comme c’était le cas dans le passé.
Par ailleurs, si nous menons avec nos voisins et amis allemands des projets très structurants, notamment pour les avions de combat, nos relations avec eux sont toujours très compliquées et très lentes. Nous ne sommes jamais parvenus à rééditer la victoire obtenue dans le domaine de l’aéronautique civile avec Airbus. J’ai le souvenir que le Gouvernement a, par le passé, tenté de conclure des contrats avec de gros industriels comme ThyssenKrupp – ils ont en effet une bonne expertise en matière de navires de combat –, mais sans succès. Je pense d’ailleurs que l’Allemagne se consacre davantage à l’export de son industrie militaire qu’à ses propres armées. Vous savez comme moi que l’armée allemande est une armée de non-engagement : les Allemands ne se battent plus. Ainsi, en Afghanistan, ils avaient créé un hôpital de campagne, qui était très apprécié, mais ils ne se battaient pas. De plus, c’est une armée qui est syndicalisée, et il faut l’autorisation du Parlement pour qu’elle soit engagée. Nous rencontrons donc des difficultés pour mener des projets à bien avec nos voisins allemands.
Le contrat d’État à État consiste pour deux gouvernements à s’engager à faire un achat d’armes important. Il s’agit d’un contrat clé en main. Le pays qui vend prend tout en charge : la vente de matériel et son entretien. Cela engendre quelques difficultés, car lorsque vous achetez du matériel, par exemple au gouvernement américain, c’est à ce dernier que vous devez vous adresser en cas de défaillance. Charité bien ordonnée commençant par soi-même, ce ne sont pas forcément les clients étrangers qui sont satisfaits en priorité. Il faut attendre pendant des mois et des mois ; je parle d’expérience parce que nous avons ce type de contrat avec les États-Unis. Je crois d’ailleurs que, désormais, on s’exonère de l’obligation de passer par le gouvernement en traitant directement avec l’industriel, pour obtenir une réponse plus rapide. C’est à la fois globalement plus satisfaisant – ce n’est pas plus mal que ce soient les États qui négocient plutôt que les industriels – et loin d’être parfait.
S’agissant du Mali, la situation est désespérante de solitude : côté européen, nous sommes les seuls engagés au combat. C’est le sang des soldats français qui coule ; il n’y a pas de victimes autres que les nôtres. Les Allemands ont envoyé quelques médecins, les Anglais quelques hélicoptères : ils participent au soutien, qui est indispensable, mais ils ne sont pas au combat. C’est quand même très dur de voir que ce sont nos soldats qui tombent régulièrement. Les Espagnols devaient s’engager au début du premier trimestre de cette année en envoyant une compagnie de combat, soit une centaine d’hommes, mais nous ne les avons pas vus arriver.
En revanche, nous avons une lueur d’espoir avec la possibilité de conclure des accords industriels avec des pays amis voisins. Cela nous rapproche dans la coopération et dans l’action. Le contrat CaMo peut nous laisser entrevoir la fourniture par les Belges d’une compagnie de combat avec le nouveau matériel qu’ils sont en train de recevoir. Nous étions désespérément en retard sur le blindage de nos véhicules. Au début, c’est vrai, nos soldats mettaient leurs gilets pare-balles sur les vitres. Les banquettes des véhicules non blindés étaient solidaires du plancher : quand ils passaient sur une mine, tout sautait. Depuis, nous avons fait des progrès en séparant les banquettes du plancher. Dans le partenariat que nous avons obtenu avec la Belgique – un petit pays qui a une très bonne armée –, les 442 engins du contrat CaMo sont des blindés médians : sans être des chars, ils sont considérablement blindés et devraient donc être en mesure de résister.
Concernant la transition écologique, je dois avouer que je suis très surpris de voir l’intérêt que les militaires accordent à l’environnement – à la façon des militaires : quand un ordre est donné, on le respecte. Ainsi, le préfet maritime a donné l’ordre de planter 1 000 arbres dans l’arsenal de Toulon : c’est quand même extraordinaire !
Dans le domaine de l’immobilier, nous avons accumulé énormément de retard. Les militaires vivent dans des conditions d’un autre temps, c’est-à-dire en chambrée. Or nous ne sommes plus au temps de la conscription : vivre en chambrée de dix, douze ou vingt personnes était supportable quand on ne restait que quelques mois, mais cela ne l’est plus pour des hommes et des femmes qui restent au minimum cinq ans. Il faut que nos armées évoluent ; c’est l’objectif du plan Vivien, qui n’est pas encore achevé, faute de moyens. Dans l’arsenal de Toulon, nous avons vu les nouveaux bâtiments qui accueillent les marins lorsque les bateaux font relâche dans le port : ils sont modernes, avec des chambrettes convenables, équipées de douches et de WC.
Les exportations d’armement sont très importantes, pour des raisons stratégiques, diplomatiques, industrielles et économiques. Il faut renforcer la BITD parce qu’elle soutient notre industrie. C’est un outil de souveraineté face à une concurrence sauvage.
Dans le domaine nucléaire, nous sommes les plus vertueux puisque nous avons supprimé, il y a déjà de longues années, notre composante terrestre sur le plateau d’Albion. À ma connaissance, parmi les pays dotés d’une force nucléaire déclarée, nous sommes les seuls à avoir agi ainsi – d’autres pays ont déclassé des équipements parce qu’ils étaient devenus obsolètes, sans que cela soit le résultat d’une volonté politique. Il serait nécessaire de conclure un accord de désarmement global dans lequel les Russes, les Israéliens, les Britanniques, les Américains décideraient, d’un commun accord, de renoncer à ces armements. Peut-être est-ce le but poursuivi par les députés communistes, mais je dois dire que nous en sommes très loin. Nous sommes donc obligés de maintenir une vigilance nucléaire, réduite à la composante aérienne et à la composante maritime.
Je ne parlerai pas du contrôle des exportations d’armes – je laisse ce soin à mes collègues – mais il est important et tatillon. Après avoir rencontré le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), j’ai voulu m’entretenir avec des membres de la direction générale de sécurité extérieure (DGSE), laquelle s’est fait un peu tirer l’oreille. Ils sont quand même venus et nous ont expliqué qu’ils jouaient surtout un rôle de conseiller auprès du Gouvernement, l’alertant sur tel ou tel pays, mettant en garde contre un éventuel détournement d’utilisation des armes ; voilà ce qui nous a été dit. Il est plutôt réconfortant de savoir qu’ils interviennent en quelque sorte comme des consultants extérieurs, pour communiquer au Gouvernement des renseignements dont ils sont détenteurs ou qu’ils cherchent à sa demande ; on peut comprendre, dès lors, que cela soit confidentiel défense.
Enfin, je précise qu’il n’y a plus désormais de livraisons d’armement à l’Arabie saoudite, même si je ne saurais vous dire depuis combien de mois – je n’ai sans doute pas posé la bonne question !
Article 33, état B : Défense
M. Rodrigue Kokouendo, président. La commission n’étant saisie d’aucun amendement, nous allons passer au vote sur les crédits de la mission « Défense ». Monsieur le rapporteur, souhaitez-vous nous rappeler votre avis sur ces crédits ?
M. Guy Teissier, rapporteur pour avis. Mon avis est partagé : s’il y a beaucoup de bonnes choses, ainsi qu’une continuité dans les engagements, il y a également de graves lacunes, notamment un possible déficit capacitaire de nos armées. Si nous vendons nos Rafale, il nous faudra des années pour les renouveler, surtout si d’autres commandes arrivent, qui seront prioritaires sur notre propre défense. Quoi qu’il en soit, vous connaissez mon tropisme pour la défense : je me prononce donc pour une abstention positive – je ne suis pas loin d’être pour !
La commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Défense », sans modification.
La séance est levée à 13 heures 20.
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Informations relatives à la Commission
La Commission a désigné :
M. Jean-Paul Lecoq, rapporteur sur le projet de loi autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française, la région flamande et la région wallonne relative à l’aménagement de la Lys mitoyenne entre Deûlémont en France et Menin en Belgique (n° 3244) ;
Mme Isabelle Rauch, rapporteure sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’avenant à la convention du 20 mars 2018 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et la fortune (n° 3246) ;
M. Pascal Brindeau, rapporteur pour le suivi du contrat d’objectifs et de performance d’Atout France, en remplacement de M. Christophe Naegelen ;
M. Meyer Habib, co-rapporteur de la mission d’information sur la problématique des pôles, en remplacement de M. Christophe Naegelen.