Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 

 Audition de M. Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé, et de M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie, des finances et de la relance et de la ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques, et discussion générale sur le projet de loi relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire (n° 4105) (M. Jean-Pierre Pont, rapporteur)              2

         Informations relatives à la Commission..................21


Mardi
4 mai 2021

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 82

session ordinaire de 2020-2021

Présidence de
Mme Yaël Braun-Pivet, présidente
 


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La réunion débute à 18 heures 15.

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente

La Commission auditionne M. Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé, et M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie, des finances et de la relance et de la ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques, et examine le projet de loi relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire (n° 4105) (M. Jean-Pierre Pont, rapporteur).

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. L’état d’urgence sanitaire a été décrété le 14 octobre dernier puis prorogé par les lois du 14 novembre 2020 et du 15 février 2021. Il deviendra caduc le 2 juin prochain. Le projet de loi dont nous engageons la discussion a pour objet de préparer un cadre de sortie de l’état d’urgence sanitaire sur le modèle de celui qui était en vigueur entre juillet et octobre 2020.

M. Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé. Si j’étais optimiste, je vous dirais que l’espoir renaît enfin. Si j’étais pessimiste, je vous dirais qu’il est trop tôt pour se réjouir. Mon rôle de ministre des Solidarités et de la Santé est d’être pragmatique, lucide et responsable, évidemment. Le projet de loi de sortie de l’état d’urgence sanitaire n’est pas un point de bascule. Il ne marque pas une rupture nette entre les contraintes qu’impose l’épidémie et le retour à la vie d’avant ; il fixe une destination à laquelle il nous tarde d’arriver depuis longtemps. Ce projet de loi dessine des perspectives sur le long terme. Il installe de manière progressive et pérenne les conditions d’un retour à la normale sûr, efficace et durable. Ce projet de loi n’est pas celui des incantations, des prophéties et des spéculations. Il est guidé par notre volonté collective de sortir une bonne fois pour toutes de la crise sanitaire.

Nous avons tous conscience de la lassitude des Français, si légitime après plus d’un an d’une crise sanitaire qui a exigé de chacun tant de sacrifices. Cette lassitude, vous la partagez, je la partage, parce que ce n’est pas de gaieté de cœur que l’on renonce à toutes ces choses qui font le charme de notre mode de vie. Dans cette assemblée, nous n’avons cessé, depuis le début de l’épidémie, de chercher le juste équilibre pour qu’elle ne balaie pas nos valeurs les plus fondamentales. Le juste équilibre, ce n’est pas un équilibre parfait, ce n’est pas la décision unanime – qui n’existe pas ou si rarement en démocratie –, mais celui de l’intérêt général, que vous définissez ici comme nulle part ailleurs. L’état d’urgence sanitaire n’a pas été une fantaisie. Il n’a pas été un excès de zèle ou de prudence. Il a permis de donner un cadre juridique et démocratique à des décisions sans précédent, qui se sont toujours appuyées sur les données de la science, sur notre connaissance du virus et sur nos moyens de lutter contre celui-ci avec une seule boussole : protéger la santé des Français.

L’état d’urgence sanitaire a surtout permis de contenir autant que possible la propagation d’un virus qui a déjà tué plus de 105 000 de nos concitoyens. Qu’en est-il aujourd’hui et que devons-nous faire ? Le virus est toujours présent : plus de 23 000 contaminations aujourd’hui, ce qui est certes bien mieux qu’il y a quelques semaines où nous avions atteint 40 000 cas par jour, mais est encore beaucoup. La semaine dernière, le nombre de patients en soins critiques sur l’ensemble du territoire a diminué de plus de 6 % et le volume total de patients covid en soins critiques a entamé une diminution depuis le 27 avril – il y a ce soir 5 520 patients en soins critiques, quand il y en avait plus de 5 600 hier, et 28 500 malades covid hospitalisés.

Les départements ayant fait l’objet de mesures renforcées dès la fin du mois de mars connaissent une amélioration nette de l’évolution épidémique, avec des baisses très dynamiques, à Paris, en Seine-Saint-Denis, dans le Val-d’Oise, dans les Yvelines, de même que dans l’Oise et dans les Alpes-Maritimes. C’est une tendance favorable, mais à l’heure où je vous parle, tous les leviers restent mobilisés pour permettre de répondre dans chaque région aux besoins des établissements de santé, notamment face au risque de maintien d’un plateau haut.

Le projet de loi tient compte de cette réalité, et s’il crée un régime de sortie de crise sanitaire, c’est pour que le retour à la vie normale ne soit pas un slogan mais un projet sérieux, raisonnable et réaliste. Le texte consacre des changements substantiels par rapport à ce que nous avons connu jusqu’à présent, des changements majeurs même dans le quotidien. C’est d’abord la fin de l’état d’urgence sanitaire, déclaré le 14 octobre dernier et que le Gouvernement a été contraint de demander au Parlement de proroger. La fin de cette période marquera des évolutions juridiques concrètes pour nos concitoyens. Le projet de loi consacre ainsi dès le 2 juin l’impossibilité de prendre des mesures de confinement. Nous estimons cependant nécessaire de conserver à titre très temporaire l’outil du couvre-feu, pour éviter de proroger d’un mois supplémentaire l’état d’urgence sanitaire, compte tenu de la situation. Un amendement du Gouvernement permettra le couvre‑feu, et lui seul, en encadrant très précisément ses bornes horaires : au plus entre 21 heures et 6 heures du matin, en limitant son application à quatre semaines, du 2 au 30 juin, et en garantissant la possibilité des déplacements indispensables aux besoins familiaux ou de santé. La rédaction qui vous sera proposée encadre et limite ainsi très strictement ce dispositif.

Cette mesure montre le caractère progressif de notre démarche, qui ne se traduira pas par une bascule immédiate de l’état d’urgence sanitaire vers le régime de sortie, mais par une période transitoire de quatre semaines, avant d’aboutir au régime de sortie lui-même, sans couvre-feu, à compter du 1er juillet. Faire passer le couvre-feu de 19 heures à 21 heures, ce n’est évidemment pas une victoire et nous avons déjà connu des bonheurs plus grands, mais c’est un changement qui va dans le bon sens. Comme le Président de la République l’a annoncé, cette heure sera encore retardée dans la soirée, dès lors que la situation sanitaire se sera suffisamment améliorée. Aller dans le bon sens, c’est choisir la bonne direction, éviter les accélérations trop brutales et les sorties de route. C’est la seule ambition du projet de loi.

Le texte tire également les leçons des expériences vécues. Nous savons que la circulation du virus n’est pas la même d’un territoire à l’autre, ce qui a d’ailleurs justifié des mesures territorialisées à de nombreuses reprises. Si une nouvelle flambée épidémique devait survenir en un point très circonscrit du territoire, la possibilité serait alors laissée ouverte, pendant la période estivale, de renforcer les mesures sanitaires sur une fraction du territoire, pour une durée initiale de deux mois, avant d’avoir à solliciter une prorogation par la loi. Je vous rappelle que l’été dernier, alors que la situation sanitaire s’était considérablement améliorée sur le territoire métropolitain, une flambée épidémique était apparue en Guyane – je m’y étais déplacé avec le Premier ministre et le ministre des Outre-mer – et nous avions dû prononcer des mesures de confinement qui avaient permis de sauver de nombreuses vies.

Par ailleurs, et beaucoup de députés y tenaient, ce texte permet de verser les données pseudonymisées des systèmes d’information covid au sein du système national des données de santé (SNDS), afin de pouvoir les conserver après la crise sanitaire, uniquement à des fins de recherche, ce qui sera indispensable pour l’avenir, alors que le monde sera très certainement confronté à de nouvelles épidémies.

La campagne vaccinale progresse, et avec elle nos espoirs grandissent. Nous avons vacciné, dans les dernières vingt-quatre heures, 546 000 personnes, un record pour un mardi qui laisse présager d’une semaine qui marquera des records dans la campagne vaccinale. J’ai une pensée particulière pour les 150 000 de nos concitoyens qui sont mobilisés dans tous les centres, les pharmacies, les cabinets médicaux et au domicile des patients. De nouvelles questions se posent. Je n’esquive pas celle du passe sanitaire, mais je laisserai la parole sur ce sujet à mon collègue Cédric O.

Dans la liste des outils dont nous disposons pour lutter contre l’épidémie, il y a bien entendu le vaccin et les preuves d’immunité, mais l’épidémie ne se réduit pas à sa seule dimension sanitaire. Le projet de loi tient compte de la situation économique du pays. Depuis plus d’un an, l’État a prouvé qu’il était capable d’accompagner nos entreprises. Des aides et des accompagnements ont été mis en œuvre parmi les plus favorables d’Europe et des plans spécifiques ont été amplifiés dans certains secteurs. Il convient désormais d’adapter plusieurs mesures d’accompagnement économique et social prises lors des étapes précédentes de l’épidémie, afin de limiter les conséquences de la crise sanitaire et de soutenir la reprise progressive de l’activité.

S’il est une chose qui ne s’est pas arrêtée pendant l’épidémie, c’est notre vie démocratique, et le débat de ce soir l’illustre une fois encore. Cette vie démocratique est indissociable des rendez-vous électoraux. Au mois de juin doivent se tenir les élections régionales et départementales, que ce projet de loi permet de sécuriser, tant pour la campagne que pour le scrutin.

Le texte, applicable à compter du 2 juin jusqu’au 31 octobre 2021, est la condition d’un optimisme raisonnable. Chacune de ses lignes tient compte de la persistance du virus, du rapport de force, toujours évolutif, dans le combat que nous menons contre lui. Avant d’être ministre, j’ai siégé dans l’hémicycle et j’ai une très haute idée de la mission qui vous est confiée comme représentants de la nation. Face à la crise sanitaire, votre responsabilité n’est pas grande, elle est immense. Je mesure l’amertume provoquée par le régime de l’état d’urgence sanitaire, mais je sais aussi que sans vous, sans la force de la démocratie, notre combat perd son sens et notre avenir est plus qu’incertain. Dans le projet de sortir une bonne fois pour toutes de la crise sanitaire, nous devons poser des jalons et trouver ensemble les conditions dans lesquelles la vie pourra redevenir ce qu’elle était. Je suis sûr que vous serez au rendez-vous.

M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie, des finances et de la relance et de la ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Un amendement visant à étendre l’application du passe sanitaire aux grands rassemblements a été déposé par le Gouvernement. Rappelons d’abord que ce projet se conçoit dans un contexte européen. Il est piloté par l’Europe, afin d’y faciliter les déplacements. La France est le premier pays à le mettre à disposition techniquement. J’ai d’ailleurs eu l’occasion d’échanger avec Thierry Breton à ce sujet il y a quelques jours encore. Il s’agit bien d’un passe sanitaire et non d’un passe vaccinal, qui comprendra trois options : un certificat de vaccination complet ; un test PCR négatif de moins de quarante-huit heures ; un test positif datant de deux semaines à deux mois.

Les cas d’usage seront pluriels. Dès que le projet de loi sera adopté, pourront voyager sans avoir besoin d’un test PCR négatif les personnes allant en outre-mer ou en Corse, ou en provenant, alors qu’actuellement même les personnes vaccinées, qui ont pourtant une contagiosité statistiquement inférieure aux personnes ayant un test PCR négatif de moins de quarante‑huit heures, sont obligées de se faire tester, en l’absence de base légale. À partir du 9 juin, l’objectif du Gouvernement est d’utiliser le passe sanitaire pour rouvrir de manière anticipée les grands rassemblements de 1 000 personnes et de 5 000 personnes à partir du 30 juin – festivals, concerts, salons professionnels, rencontres sportives. Le Président de la République et le ministre des Solidarités et de la Santé ont été extrêmement clairs quant au fait que nous écartions l’usage du passe sanitaire pour les activités quotidiennes – restaurants, shopping, théâtre, cinéma – contrairement à d’autres pays européens, comme le Danemark. À partir de la mi-juin, l’objectif de l’Union européenne est de généraliser le passe sanitaire pour les déplacements intra-européens. Il pourra également être utilisé, lors d’une phase ultérieure, dans le cadre de discussions soit bilatérales soit par l’intermédiaire de la Commission européenne, avec les autres pays du monde. Ne seront acceptés pour venir en France ou en Europe que les vaccins reconnus par les autorités de santé. Le passe sanitaire ne reconnaîtra donc ni les vaccins russes ni les chinois.

Les avantages du passe sont multiples : sa simplicité, sa rapidité, sa plus grande sécurité sanitaire, puisque tout se fera sans contact, en flashant le QR code, enfin, sa certification, puisque le QR code ne peut pas être falsifié. Le Conseil scientifique a rendu un avis favorable sur ce projet, estimant que le passe sanitaire était susceptible de réduire les risques. Évidemment, il ne constitue pas une garantie à 100 %. Nous avons saisi la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) dans la foulée.

Le passe sanitaire permet également de protéger les données de santé. Actuellement, quand vous souhaitez prendre un vol vers l’outre-mer, vous êtes obligés de montrer votre résultat de test et de dévoiler une donnée de santé. Demain, en montrant le QR code, l’application de lecture ne fera que donner le feu vert, sans que la personne effectuant le contrôle puisse savoir si vous avez été vacciné, testé positif ou testé négatif. Par ailleurs, le déploiement du passe sanitaire n’impose la création d’aucun nouveau fichier. Est seulement mis à disposition dans l’application TousAntiCovid ou sur la feuille de résultat le QR code que chacun peut emporter dans son téléphone portable, seul espace où il sera stocké. Enfin, personne n’est obligé de télécharger TousAntiCovid. Toutes les personnes qui se font vacciner depuis hier ou qui se font tester depuis dix jours reçoivent un document de résultat certifié sur lequel apparaît le QR code. Ce document, qui est soit récupéré en ligne soit demandé au personnel soignant, peut tout à fait suffire. Il nous paraît essentiel que nos compatriotes qui ne sont pas familiers des outils informatiques ou qui ne souhaitent pas les utiliser puissent bénéficier de ce dispositif.

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. Je ne reviendrai pas sur l’état de la situation sanitaire qui justifie le dépôt de ce projet de loi. Je ne retiens qu’une seule donnée, dont fait état le Conseil scientifique dans son avis du 21 avril : la situation sanitaire fin mai sera moins bonne que celle qui était observée l’année précédente au cours de la même période. Face à ce constat, il serait inconcevable de laisser le pays désarmé à compter du 2 juin prochain. Prétendre que l’on pourrait se dispenser des mesures de freinage de la circulation du virus à l’échéance de l’état d’urgence sanitaire relève d’une rhétorique plus que dangereuse. 

Le projet de loi que nous a présenté le ministre apparaît donc à la fois nécessaire, adapté et proportionné à l’état de la situation sanitaire. Je me réjouis qu’il tienne compte de la position exprimée par notre commission lors de la discussion du dernier projet de loi de prorogation : sortir de l’état d’urgence sanitaire dès que possible et déterminer, au moment opportun, le régime transitoire qui lui succédera afin de poursuivre, de manière proportionnée, la lutte contre le virus, tout en permettant la reprise des activités. Tel est l’objet de l’article 1er qui instaure un régime transitoire similaire à celui que nous avions bâti à la sortie du premier état d’urgence sanitaire et qui avait été applicable du 11 juillet au 16 octobre 2020.

Je sais que nos débats porteront, de nouveau, sur la durée de mise en œuvre de ce régime et le prétendu chèque en blanc qu’accorderait le Parlement au Gouvernement dans la gestion de cette crise. J’aurai l’occasion de répondre à de tels arguments mais permettez‑moi d’ores et déjà d’observer que nous discutons aujourd’hui du septième projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire en à peine plus d’un an. Le Gouvernement a effectué six déclarations, en application de l’article 50‑1 de la Constitution, devant l’Assemblée nationale, dont cinq ont été suivies d’un vote. En outre, les ministres répondent chaque semaine, en séance publique ou en commission, aux questions des parlementaires. La présence des ministres ce soir témoigne encore une fois du lien robuste et constant qui lie le Gouvernement au Parlement dans la gestion de cette crise, et je veux l’en remercier.

Nos débats sur l’article 1er porteront néanmoins sur trois sujets nouveaux : l’un figurait dans le projet de loi initial et deux nous ont été soumis hier soir sous forme d’amendements du Gouvernement. Nous aurons l’occasion d’en discuter mais je constate que ces trois dispositions – le passeport sanitaire pour les déplacements et le passe sanitaire pour l’accès à certains grands événements ainsi que la prorogation du couvre-feu jusqu’au 30 juin – s’inscrivent dans l’équilibre fragile et exigeant que cherche à atteindre ce projet de loi : favoriser au maximum la reprise des activités tout en maintenant les mesures nécessaires à la lutte contre l’épidémie.

À ce propos, messieurs les ministres, je souhaitais vous interpeller sur la mise en œuvre du passe sanitaire. J’estime, en tant que médecin, qu’il ne doit pas conduire à un relâchement des comportements et à l’abandon des gestes barrières, surtout dans le cadre des grands rassemblements. En effet, nous savons que la vaccination n’empêche pas une personne d’être porteuse du virus, et donc d’être contagieuse. Le Conseil d’État l’a d’ailleurs rappelé très clairement dans une récente décision. Pouvez-vous nous apporter des garanties à ce sujet ?

J’en viens à l’article 2 qui, en prévoyant une durée dérogatoire de déclaration de l’état d’urgence sanitaire pour la période estivale, a pu susciter des interrogations et des critiques, lesquelles ont d’ailleurs été légitimement renforcées par l’avis du Conseil d’État. Je vous proposerai un amendement qui devrait permettre d’y répondre. Il visera à réduire la durée d’application de ce dispositif dérogatoire, précisera ses conditions de mise en œuvre et prévoira une information renforcée du Parlement pendant cette période.

Alors que l’article 3 prévoit l’adaptation des deux premiers articles en Nouvelle‑Calédonie et en Polynésie française, l’article 4 permettra un double renforcement du régime de la quarantaine et de l’isolement, dans la foulée des récentes décisions prises par le Gouvernement pour l’élargissement de notre contrôle sanitaire aux frontières, et du régime de contrôle des infractions aux règles de police sanitaire.

L’article 5 me semble essentiel en ce qu’il permet d’intégrer les données recueillies par les systèmes d’information mis en œuvre aux fins de lutter contre l’épidémie de covid-19 au SNDS. Ce versement, qui se fera de manière sécurisée et respectueuse de la protection des données personnelles, vise à aligner les modalités de recueil des informations relatives à la covid-19 sur le régime de droit commun. Il constitue un outil indispensable pour améliorer, à terme, la prise en charge et la connaissance médicales et pour apprendre à mieux faire face aux éventuelles épidémies à venir. J’espère vivement que nos discussions permettront de dissiper les malentendus qui ont pu apparaître sur cet article.

Parallèlement aux mesures que je viens d’évoquer, le projet de loi assure une transition en douceur vers la sortie définitive de crise et le retour à la normale, en prorogeant et en adaptant plusieurs mesures d’accompagnement.

Ainsi, des adaptations et prolongations pourront être prises par ordonnance, en vertu de l’article 7, s’agissant de l’activité partielle, de l’indemnisation chômage des intermittents du spectacle et de la trêve hivernale – qu’il s’agisse de l’interdiction des coupures d’énergie ou des sursis à expulsion. Je rappelle que nous avions déjà opportunément prolongé la trêve hivernale jusqu’à fin mai.

L’article 6, quant à lui, prévoit de proroger, pour l’essentiel jusqu’au terme du régime transitoire, le 31 octobre prochain, toute une série d’aménagements qui, j’insiste, ne sont que des possibilités, et non des obligations, et qui ont pour but d’adapter diverses modalités au plus près des besoins et de la situation sanitaire.

Ces aménagements ont trait au fonctionnement des juridictions, des assemblées délibérantes locales, des organes collégiaux des personnes publiques et des entreprises, des établissements sociaux et médico-sociaux ou encore des assemblées de copropriété. L’article proroge aussi des aménagements en matière de droit du travail et prévoit une validité prolongée de six mois des avoirs délivrés à leurs clients par les professionnels du sport et de la culture.

Enfin, le projet de loi apporte, avec son article 8, des aménagements bienvenus aux scrutins de juin prochain, qui sont le fruit du dialogue entre le Gouvernement et les élus locaux, les associations d’élus et les forces politiques nationales. Nous avions, en février dernier, décidé du report des scrutins régionaux et départementaux de mars à juin et déjà apporté des ajustements – extension de la période de campagne électorale ou diffusion sur les chaînes de télévision de clips pédagogiques sur les élections à venir.

L’article poursuit ce travail et prévoit des mesures de deux ordres. S’agissant de la campagne électorale, il permet la numérisation des professions de foi et une extension de la période d’affichage électoral – deux amendements destinés à étendre encore plus cette période vous seront d’ailleurs proposés ; il prévoit également l’organisation de débats électoraux avant chaque tour pour les régionales – là aussi, des aménagements vous seront suggérés. S’agissant des opérations de vote, l’article permet leur tenue en extérieur et assouplit de manière pérenne des obligations logistiques portant sur le matériel électoral – nombre d’isoloirs et de tables.

Je profite de mon intervention pour vous interroger, messieurs les ministres, sur deux sujets qui, certes, ne concernent pas directement notre projet de loi, mais qui sont incontournables sur le terrain. Est-il prévu de renforcer le soutien financier apporté aux communes pour compenser les dépenses engagées en matière d’équipements de protection et, plus généralement, pour assurer la bonne tenue sanitaire des scrutins ? S’agissant du nettoyage des lieux de vote, dans les écoles notamment, des mesures particulières sont-elles prévues pour concilier le bon déroulement des dépouillements, le nettoyage des locaux et la reprise de l’école le lundi matin ?

Ces interrogations visent à renforcer la pertinence de l’article 8, dont l’objectif est de permettre aux scrutins de juin prochain de se dérouler dans les meilleures conditions possibles au regard de la situation sanitaire et d’adapter la campagne au contexte. Les aménagements prévus sont tout à fait judicieux, et les auditions que j’ai conduites ont d’ailleurs montré que l’article recueillait l’adhésion des élus locaux.

M. Guillaume Gouffier-Cha. Voilà plus d’un an que le monde entier et notre pays sont plongés dans cette crise sanitaire particulièrement violente qui touche chaque jour des millions de personnes et cause de très nombreux décès. Voilà plus d’un an qu’en responsabilité nous prenons, dans le respect de notre constitution et de notre droit, des mesures adéquates et proportionnées pour agir, protéger les vies, enrayer la propagation du virus et permettre à nos personnels soignants de réaliser leur travail au quotidien. Bien entendu, nous savons les efforts que toutes ces mesures représentent pour chacune et chacun, mais elles sont nécessaires.

Au moment où nous nous parlons, l’épidémie est encore une réalité quotidienne dans tous les territoires de notre pays, même si nous arrivons à entrevoir des perspectives plus heureuses, grâce aux mesures prises ces derniers mois, grâce au civisme des Françaises et des Français qui respectent les gestes barrières et grâce à la montée en puissance de la campagne vaccinale. C’est cette situation qui nous conduit à discuter d’un projet de loi qui ne vient pas proroger une nouvelle fois l’état d’urgence sanitaire mais en propose un cadre de sortie progressive et proportionnée.

Depuis le début de cette crise, dans le cadre d’un droit de l’urgence sanitaire que nous avons dû construire au fur et à mesure de l’évolution du contexte, nous avons à nous prononcer tous les trois mois en moyenne sur la nature du régime juridique de gestion de la crise, son périmètre, son opportunité et ses moyens d’action. C’est dans cet état d’esprit que nous avions institué une clause de revoyure pour fin mai dans le projet de loi de prorogation de l’état d’urgence sanitaire en janvier. C’est dans cet état d’esprit également que nous devons aborder cette nouvelle étape de la lutte contre l’épidémie pour faire le point sur la situation sanitaire et définir le régime juridique d’action adéquat.

Dans ce cadre, au regard du contexte sanitaire, en bonne voie mais toujours critique, et du déroulement de la campagne vaccinale, au regard aussi de la situation économique, psychologique et sociale de nos concitoyens, nous tenons à saluer la décision du Gouvernement de ne pas proroger l’état d’urgence sanitaire au-delà du 1er juin et d’entrer, à partir du 2 juin et jusqu’au 31 octobre, dans une période de transition, afin de sortir progressivement de l’état d’urgence sanitaire. Nous sommes convaincus que face à la durée exceptionnelle de la crise, nous devons réussir à mettre en œuvre un cadre d’action proportionné et efficace en dehors de l’état d’urgence sanitaire. Nous devons apprendre à retourner progressivement à la vie d’avant, tout en gardant des leviers d’action justes et respectueux de nos libertés individuelles.

À ce titre, je souhaitais vous interroger, messieurs les ministres, sur le dispositif prévu à l’article 2, qui ouvre la possibilité au Gouvernement de déclarer l’état d’urgence sanitaire à partir du 2 juin, dans des circonscriptions regroupant moins de 10 % de la population pour deux mois, et non plus pour un mois. Ce dispositif n’existait pas l’année dernière. Dans quelle mesure l’expérience de l’été 2020 vous a-t-elle conduits à le proposer ? Nous avons déposé un amendement visant à le renforcer.

À l’article 5, vous souhaitez intégrer les données pseudonymisées issues de l’épidémie au SNDS. Comment justifiez-vous leur entrée dans le droit commun ? Certains de nos collègues semblent peu convaincus.

En conséquence de la déclaration du Président de la République, vous allez défendre plusieurs amendements, messieurs les ministres. Je souhaite vous interroger sur l’élargissement de l’utilisation du passe sanitaire aux grands rassemblements. Je tiens à souligner notre refus qu’il soit mis en œuvre dans le cadre quotidien. Pouvez-vous nous dire quels sont les événements et les secteurs concernés ? Quelle est la jauge maximale prévue ?

Enfin, le couvre‑feu ne peut pas être instauré hors de l’état d’urgence sanitaire. Son maintien pose une question de droit, dans la mesure où il touche à la liberté fondamentale d’aller et venir. Nous aimerions connaître la mécanique de sa mise en place, notamment avoir plus de précisions sur son décret d’application, les critères de déclenchement et de modulation, au regard de l’évolution de l’épidémie. Une territorialisation du couvre-feu est-elle envisageable ?

M. Philippe Gosselin. Une certaine impatience se fait jour dans notre pays, en effet : l’attente de la sortie de l’état d’urgence sanitaire et, plus encore, de la fin de cette fichue pandémie commence à être bien longue…

Une fois encore, il n’est bien évidemment pas question d’empêcher le Gouvernement de travailler mais, une fois encore aussi, ce texte banalise certains points qui devraient relever de l’exception. Le rapporteur jugera peut-être que je radote mais il se pourrait aussi que ce soit la loi.

Nous déplorons plus de 100 000 morts, des millions de nos compatriotes sont touchés de près ou de loin par cette épidémie, les tests se multiplient, la vaccination est en cours et je ne sous-estime pas le risque que le plateau demeure élevé : peut-on donc parler d’une sortie de l’état d’urgence, même si la situation semble se normaliser ? Apparemment oui puisque, dès le 2 juin, la vie reprendra son cours normal… Sauf que le couvre-feu continuera de s’appliquer et qu’un passe sanitaire entrera en vigueur. Quel sera, d’ailleurs, son contenu ? Il ne devra pas être utilisé dans les circonstances de la vie quotidienne, et c’est heureux, sinon, ce ne serait plus un passe mais un passeport sanitaire. Mais en quoi est-ce si différent d’aller au cinéma ou d’assister à un festival ? Des éclaircissements s’imposent tant la frontière entre les deux est parfois ténue – je ne voudrais pas rappeler de mauvais souvenirs sur la distinction entre ce qui était essentiel et ce qui ne l’était pas…

Quid de la territorialisation ? Le groupe Les Républicains a toujours justifié sa nécessité et son principe ne nous choque évidemment pas, mais des confinements locaux pourront être déclarés pour des circonscriptions territoriales représentant moins de 10 % de la population nationale, ce qui peut tout de même concerner une ou deux régions dont les densités de population sont relativement faibles. Là encore, un équilibre doit être trouvé.

Personne ne conteste le fait que le Gouvernement cherche à travailler au service de l’intérêt général, mais je ne suis pas sûr que vous ayez trouvé le juste équilibre entre la nécessaire sécurité sanitaire et la reconquête d’un certain nombre de nos libertés collectives et individuelles. Cette sortie dite en ciseaux ou en sifflet correspond à un état d’urgence « Canada Dry ». En fait, la vie normale ne sera pas de retour, loin s’en faut, peut-être même ne reviendra-t-elle pas avant le 31 octobre.

Vous ne serez pas surpris que je m’étonne que ce texte ne mentionne aucune clause de revoyure. On nous explique chaque fois que c’est inutile, que le Gouvernement est toujours revenu devant le Parlement, sauf qu’il l’a fait sous la pression des circonstances et non suite à des rendez-vous programmés, ce qui fait une grande différence. Respecter notre assemblée, ce n’est pas s’en remettre aux hasards de la situation sanitaire, c’est prendre ses responsabilités en lui donnant des rendez-vous.

M. Philippe Latombe. Nous souhaitons ardemment que nos travaux nous permettent d’avancer mais nous ne voterons ce texte qu’à trois conditions.

La date du 31 octobre est beaucoup trop lointaine. Par cohérence avec la stratégie du Gouvernement annoncée par le Président de la République, nous souhaitons qu’elle soit avancée, au mieux, à la fin de la vaccination, cet été, au pire, au 30 septembre.

Nous souhaitons faire le tour de la question du passe sanitaire, lequel doit présenter toutes les garanties possibles. Nos concitoyens doivent connaître sa nature, son contenu, les conditions de son utilisation. À quoi correspond le « certificat de rétablissement » ou plutôt, le Conseil d’État ayant pointé un risque quant à « l’exigence constitutionnelle de clarté et d’intelligibilité de la loi », l’attestation que vous avez prévue ? À partir de quel seuil peut-on parler d’une grande manifestation ? Les Français ne peuvent pas rester dans le flou.

Enfin, le délai de deux mois au-delà duquel le Parlement doit autoriser la prorogation d’un état d’urgence sanitaire local doit être ramené à un mois. Nous ne souhaitons pas de précédent, même pendant la période estivale.

D’autres points, qui ne conditionneront pas forcément notre vote, devront être aussi clarifiés.

Un couvre-feu de 21 heures à 6 heures est incohérent avec les annonces du Président de la République. Les Français ne comprennent plus, or, ils ont besoin de savoir où on les emmène et comment.

L’article 5 concerne les données relevant du champ du SNDS. Nous avons déposé un amendement afin de garantir que leur effacement prévu à la fin de 2021 soit maintenu. Pourquoi le Gouvernement envisage-t-il aujourd’hui de les conserver, fût-ce à des fins de recherche et de manière pseudonymisée ?

Enfin, des personnes qui ont perdu leur conjoint suite au covid-19 et qui ont un enfant mineur ne peuvent pas aujourd’hui se faire vacciner si elles ne souffrent pas de comorbidités ou si elles n’ont pas l’âge requis. Nous souhaiterions qu’elles puissent le faire le plus vite possible afin de retrouver une vie plus normale dans le cadre du passe sanitaire.

Mme Marietta Karamanli. La France doit donc sortir de l’état d’urgence le 2 juin mais le Gouvernement entend encore conserver des prérogatives importantes jusqu’en octobre. Le Premier ministre pourrait ainsi prendre des mesures par décret « dans l’intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l’épidémie de covid-19 » et, ainsi, « Réglementer ou, dans certaines parties du territoire dans lesquelles est constatée une circulation active du virus, interdire la circulation des personnes et des véhicules, etc. ». Comment définir cette circulation active du virus ?

Il pourra également « interdire ou restreindre les déplacements de personnes et la circulation des moyens de transport, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux, professionnels et de santé ». Il pourra aussi « réglementer les rassemblements de personnes, les réunions et les activités sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public. » Nous avons besoin de précisions !

Pour « répondre à des dégradations localisées de la situation sanitaire », le texte précise que l’état d’urgence pourrait être déclaré jusqu’au 31 octobre « dans une ou plusieurs circonscriptions territoriales déterminées », « le délai pour l’intervention du législateur aux fins d’une prorogation de l’état d’urgence sanitaire » pouvant être porté à deux mois, ce qui est très long.

L’exécutif limite donc les libertés publiques et individuelles et habilite les préfets à prendre des mesures dans le cadre d’une gestion territorialisée. Certes, le projet de loi prévoit l’information du Parlement mais il aurait été heureux de préciser qu’elle doit se faire « sans délai ».

En mars, mai, juillet, novembre 2020 puis en février 2021, le Parlement a accepté d’accorder au Gouvernement des pouvoirs exceptionnels face à la crise. Pendant ces quinze mois, nous avons espéré que des mesures d’encadrement général des pouvoirs ainsi accordés seraient examinées. Or, une fois de plus depuis le texte de sortie précédent, en juin 2020, ce projet de loi confie au Premier ministre l’application de toutes les mesures induites par l’état d’urgence et certaines restrictions des libertés fondamentales, en l’état, pourraient être maintenues plusieurs mois sans aucune intervention de notre assemblée.

La limitation des libertés publiques et individuelles, cependant, doit être temporaire, le Parlement doit pouvoir se prononcer régulièrement et les juges doivent pouvoir s’assurer de la proportionnalité de telles mesures. Nos amendements sont fondés sur ces principes, tant en ce qui concerne la définition de ce qu’est la « circulation active du virus » – en lien avec les restrictions portées à la liberté d’aller et de venir –, que la limitation à trente jours de la durée de validité des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire allégé en l’absence de durée et de référence à la circulation du virus, ou l’information du Parlement sur les décisions prises par l’autorité administrative au plan territorial.

Plus généralement, nous avons besoin d’en savoir un peu plus sur le bilan des derniers mois, la campagne de vaccination, ses priorités, sa logistique, les différents scénarios alternatifs et l’estimation de leurs effets et, enfin, sur les avis scientifiques, bien souvent contradictoires, quant à la poursuite ou à l’évolution de la pandémie. Nous avons tous besoin de transparence, y compris afin de convaincre les plus réticents que les mesures prises sont toujours proportionnées, efficaces en l’état des connaissances disponibles, et répondent seulement aux nécessités de la situation sanitaire. Cela suppose également de placer l’expertise publique, collégiale, transparente et contradictoire au cœur de la décision.

À propos du passe sanitaire, le nombre de personnes arrivant dans notre pays – y compris en provenance de zones à risque – et devant être testées sera de plus en plus important avec l’été. Or le temps d’attente est déjà parfois assez long. Qu’en sera-t-il, plus précisément, des voyageurs en provenance d’Inde ? Plus globalement, quelle est la stratégie déployée à nos frontières, en liaison avec les États membres de l’Union européenne ? Enfin, quel sera le prix des tests obligatoires dans le cadre du passe ?

M. Olivier Becht. Ce texte nous est présenté à l’issue du troisième confinement, alors que notre pays a franchi la barre des 105 000 morts et des 5,6 millions de cas confirmés par test, mais probablement deux fois plus si l’on compte les cas asymptomatiques et les personnes qui n’ont pas été testées, notamment lors de la première vague.

Votre stratégie se fonde sur des mesures de freinage, une politique de stop and go en fonction de l’évolution du virus, alliant interdictions et réglementations des libertés de circulation, de commerce, de réunion, parfois de culte, et sur l’indemnisation des activités économiques qui sont à l’arrêt – si l’on y ajoute les mesures de relance et les prêts garantis par l’État (PGE), cela représente une dépense d’environ 400 milliards d’euros en quatorze mois.

Ce projet de loi est cohérent avec cette stratégie et il est raisonnable de le voter, car il permet le maintien d’outils de freinage, alors même que le pic de la troisième vague est dépassé mais que la situation reste tendue et le niveau des contaminations élevé : 23 000 par jour sur une moyenne de sept jours, environ 300 décès quotidiens depuis plus de sept mois.

Deux points doivent être discutés.

Nous sommes plutôt favorables au passe sanitaire, qui repose sur la vaccination et, surtout, sur les test PCR, afin de pouvoir voyager et participer à de grands événements – concerts, festivals, rassemblements de plus de 1 000 personnes. Cela nous semble raisonnable, dès lors que ce passe ne sera pas nécessaire dans les autres circonstances de la vie quotidienne.

Le couvre-feu, quant à lui, est un outil efficace, même si l’on peut se poser la question de sa constitutionnalité dans un texte de sortie de crise et non d’instauration de l’état d’urgence sanitaire.

Pour autant, nous sommes en désaccord avec la stratégie elle-même : il ne faut pas se contenter de freiner la propagation du virus : celui-ci doit être éradiqué, comme nous le disons depuis plus de huit mois. On ne peut pas admettre un nombre aussi important que 15 000 ou même 10 000 contaminations quotidiennes : ce sont autant de covid longs, de drames humains, et cela pénalise également notre potentiel économique à long terme. De la même manière, on ne peut pas admettre que 300 personnes meurent chaque jour du covid, ce qui correspond aux nombre de victimes d’un crash de Boeing 777. C’est insupportable, tout comme la tension de notre système de santé et la pression qui s’exerce sur nos soignants depuis près de quatorze mois.

Il existe deux méthodes d’éradication : la vaccination – que nous soutenons – mais son efficacité dépend du nombre de personnes vaccinées, l’immunité collective supposant que 80 % de la population le soient et que des variants ne la remettent pas en cause ; la stratégie « zéro covid », soit un confinement strict, un dépistage universel, un isolement des personnes positives ou une quarantaine aux frontières avec un accompagnement adéquat. Nous notons que le Gouvernement avance timidement mais ces mesures ne seront efficaces que si elles sont prises globalement et complètement : la quarantaine est efficace à condition qu’il ne soit pas possible de sortir pendant deux heures pour aller disperser ses variants !

Nous avons mis tous les œufs dans le panier de la vaccination : espérons qu’il n’est pas percé ! Nous voterons ce texte mais nous ne voterons pas un nouveau projet d’état d’urgence sanitaire reposant sur des mesures de freinage.

M. Pascal Brindeau. Nous voici revenus en mai dernier, à débattre d’instruments juridiques visant à proroger l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 31 octobre, même si ce ne sont pas les termes employés. Ainsi discutons-nous de l’équilibre acceptable entre restrictions des libertés individuelles et collectives, et indispensables protections sanitaires pour que le virus reflue et que les malades et les décès soient, demain, beaucoup moins nombreux. À la différence du mois de mai dernier, toutefois, nous avons des perspectives positives grâce à une vaccination de plus en plus massive.

Nos concitoyens sont las et espèrent que ces restrictions s’éloigneront le plus rapidement possible.

Deux points, toutefois, distinguent ce texte de l’état d’urgence : le confinement, qui pourra être partiel et territorialisé pendant deux mois – durée que nombre d’entre nous jugent trop long – et le couvre-feu, qui est réintroduit jusqu’à la fin du mois de juin à partir de 21 heures, puis de 23 heures. Nous sommes donc dans un régime de transition vers la fin de l’état d’urgence qui s’apparente toutefois à ce dernier ; nous devons en être conscients.

Depuis le début de la crise, le Gouvernement promeut une approche globalisée de l’arsenal dont il souhaite disposer en dessaisissant complètement le Parlement de ses prérogatives, même si les rendez-vous avec lui sont constants – quoiqu’ils soient plus contraints que délibérés, comme l’a dit Philippe Gosselin –, ce qui soulève un problème quant à l’équilibre de nos institutions.

Nous devrons également rediscuter des questions soulevées par le passe sanitaire.

Deux questions, enfin. Le projet de loi présente des mesures d’adaptation pour les élections des 20 et 27 juin. Or les élus locaux demandent que les assesseurs puissent être vaccinés le plus tôt possible, ce que ne permettent pas les conditions actuelles d’accès à la vaccination : en aucun cas, la seconde dose ne pourra leur être administrée avant ces échéances.

Qu’en est-il de la stratégie vaccinale estivale ? Nos concitoyens pourront-ils recevoir une seconde dose sur leur lieu de villégiature ou, inversement, là où ils demeurent ?

M. Paul Molac. Nous nous retrouvons régulièrement pour proroger l’état d’urgence sanitaire. Or vous connaissez nos réticences face à ce qui consiste, finalement, à dessaisir le Parlement au profit du pouvoir exécutif. À mes yeux, la séparation des pouvoirs est essentielle et je conteste cette façon de faire.

Des erreurs ont été commises : était-il raisonnable de pénaliser quelqu’un qui fait son footing sur une plage, d’envoyer des hélicoptères pour traquer les gens dans les montagnes ou de verbaliser une dame parce qu’elle n’a pas son attestation pour aller acheter sa baguette ou parce que le document n’a pas été rempli comme il le fallait ? Face à une telle infantilisation et à de tels excès, je suis heureux que l’on opte aujourd’hui pour des mesures plus proportionnées. Heureusement, les forces de l’ordre ont souvent fait la différence entre l’esprit et la lettre de la loi… mais pas toujours. Il y a donc une lassitude de nos concitoyens à laquelle il faut faire attention.

Il est vrai que les mesures du projet de loi sont de moindre portée qu’auparavant, et qu’elles ont aussi l’avantage d’être territorialisées. Nous l’avions demandé dès le départ. Je vous avais même donné l’exemple de la communauté des Monts d’Arrée, dont le taux d’incidence a dû, au plus fort de l’épidémie, avoisiner les 60 : comment expliquer à ses habitants qu’il faut respecter un couvre-feu à 19 heures ? Certaines décisions ont été dures à accepter, par exemple dans le département du Finistère, qui est le moins touché de France. Nous n’avons pas agi de façon suffisamment proportionnelle.

L’article 1er du projet de loi propose donc un régime de demi-sortie de l’état d’urgence sanitaire qui commencera par une étape d’allégement. Les mesures relatives au couvre-feu devraient être prises en concertation avec les maires. Celles relatives à un éventuel reconfinement, permis par l’article 2, le seront-elles aussi ? Souvent, pour l’instant, le préfet se contente de prendre les décisions et d’en informer ensuite les élus locaux. Une véritable concertation me semble primordiale, telle que nous l’avions d’ailleurs eue pendant le premier confinement lorsque nous avions rouvert les marchés : il y a eu une véritable coopération, qui a très bien fonctionné dans mon département.

L’article 4 nécessite quelques explications. J’ai un peu de mal à imaginer qu’on puisse décider de l’endroit où une personne passera sa quarantaine. Il me semble qu’en quarantaine, on doit rester chez soi. Le champ de l’article doit donc être mieux défini : pourquoi certains ne pourront-ils pas rester chez eux ; qui est concerné ; où iront-ils ? Sinon, on touchera vite à l’assignation à résidence !

Quant à l’article 6, je m’étonne qu’il contienne encore des mesures dérogatoires au code du travail. Puisque nous cherchons justement à revenir à une situation de droit commun, pourquoi prolonger les possibilités de dérogations aux règles de prise des congés, par exemple ?

M. Éric Coquerel. J’ai un peu peur que ce projet de loi soit moins relatif à la gestion de la sortie de la crise sanitaire qu’à la gestion de la prolongation de celle-ci, au prix de restrictions de libertés telles que celles qu’on connaît depuis un an et avec une efficacité sanitaire que, pour ma part, je conteste.

Avec ce texte, on ne sort pas réellement de l’état d’urgence sanitaire, on passe à un état d’exception, calqué sur le régime transitoire prévu par la loi de juillet 2020. Entre le 2 juin et le 31 octobre donc, la seule différence avec le véritable régime d’état d’urgence sanitaire sera l’impossibilité de décréter un confinement strict. Tout le reste sera possible. Il s’agit donc bien d’un système d’exception, avec des curseurs : plus ou moins de confinement, de couvre-feu, de restrictions, de contrôles.

Il n’est pas possible de continuer ainsi, avec un système qui n’a pas montré son efficacité en un an. Vous ne comptez manifestement que sur le vaccin pour nous sortir de la situation – je reste étonné, au passage, que la France ait voté en octobre 2020 à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) contre la proposition de l’Afrique du Sud et de l’Inde pour une licence publique du vaccin : c’est tout de même gros. Mais si le vaccin doit être renouvelé régulièrement, comme celui contre la grippe, ou alors s’avère moins efficace en matière de transmission qu’on ne l’espère – car pour l’instant on n’est sûr de rien –, nous aurons encore des mois et des années de restriction des libertés, faute d’avoir examiné les alternatives au confinement. Toutes les oppositions vous ont pourtant proposé d’autres solutions, que vous n’avez pas voulu retenir.

Nous sommes donc partis pour un confinement des libertés jusqu’au 31 octobre 2021. Votre stratégie n’est pas d’éradiquer le virus mais de vivre avec, de le gérer, moyennant plus ou moins de restriction des libertés. La différence se voit sur le passe sanitaire. On pourrait s’entendre sur l’efficacité sanitaire d’un passeport aux frontières – encore faudrait-il fixer des conditions d’application humaines, pas comme à Roissy où des gens en provenance d’Inde vivent à même le sol dans une salle d’embarquement depuis des jours. Mais j’ai entendu M. Castex et M. Macron dire que le passe pourrait servir à autre chose, et que le Parlement allait débattre de son élargissement à des événements sportifs ou culturels par exemple ! Si le passe ne sert en fait qu’à des activités de loisirs et sociales, jamais pour le travail et l’école, cela va poser problème : le passe sanitaire n’est pas une fin en soi, d’un point de vue sanitaire. Je préfère nettement qu’on décide de tester de manière systématique les gens qui vont à l’école et au travail et qu’on leur fasse des propositions concrètes pour s’isoler s’ils sont contaminés, sans parler de contrainte. Tout cela, vous ne l’avez pas fait depuis un an. Je reste donc dubitatif.

Vous n’avez pas non plus réuni les conditions matérielles permettant l’isolement des gens qui vivent dans des logements exigus, par exemple. En un an, cinquante propositions ont été faites en Seine-Saint-Denis ! Vous envisagez pourtant de contraindre des gens à aller passer leur quarantaine ailleurs que là où ils le veulent. La contrainte est possible, mais pas l’organisation qui permettrait aux personnes qui le souhaitent de s’isoler quand leur logement n’est pas adéquat. Belle contradiction !

Enfin, je suis contre la possibilité d’imposer sur une période prolongée des mesures différenciées selon les territoires, notamment un couvre-feu, lequel n’a jamais fait ses preuves sur le plan sanitaire et compromet les libertés. Les territoires où le virus circule, on les connaît : ce sont les plus défavorisés, comme la Seine-Saint-Denis – parce que les gens travaillent en première ligne, parce que l’offre de santé est insuffisante, parce que les logements sont exigus. Si la seule solution est un couvre-feu plus strict, ce n’est pas acceptable : ce n’est pas une stratégie de punition qu’il faut, mais une stratégie de solution. Cette stratégie passe par la vaccination, avec une priorité pour les travailleurs en première ligne, par des possibilités d’isolement, par des purificateurs d’air dans les classes, par des ouvertures de lits d’hôpital et des embauches de personnel soignant dès maintenant, en prévision de la prochaine vague – ce que vous n’avez pas fait en mars dernier. Bref cela passe par des solutions alternatives au confinement.

M. Stéphane Peu. Un point au moins nous réunit : je n’ai jamais entendu personne, d’aucun groupe, proposer que notre pays soit désarmé face à la pandémie. Chacun a fourni des arguments, fait des propositions pour être collectivement plus efficaces, y compris en acceptant l’idée que l’intérêt général pouvait nécessiter des restrictions des libertés individuelles, à condition que nous le décidions collectivement.

Le problème, avec ce projet de loi comme avec le précédent, est d’être sûr que l’état d’urgence sanitaire, cette mise entre parenthèses de la démocratie, ce renforcement considérable des pouvoirs de l’exécutif, est efficace. Avec un an de recul, on peut en douter. Peut-être, si la démocratie avait été plus vivante, si le Parlement avait été plus consulté, si les remontées du terrain avaient été mieux prises en compte, sachant que le Parlement peut prendre des décisions dans des délais très courts, certaines erreurs auraient-elles été évitées. Je n’accablerai d’ailleurs pas le Gouvernement, car personne ne souhaite être à sa place pour gérer la crise. Mais si l’exercice est difficile, la critique est nécessaire. Pour prendre, comme souvent, l’exemple de la Seine-Saint-Denis, il y avait des forces pour déployer la stratégie d’isolement, mais elle ne l’a jamais été. C’est bien dommage, cela aurait été de nature à freiner la maladie. Quant aux mesures territoriales, on les évoque pour le déconfinement, mais jamais pour la vaccination : encore aujourd’hui, la Seine-Saint-Denis, qui est le département le plus contaminé, est aussi le moins vacciné ! En tenant un peu mieux compte des avis du terrain, pour l’école aussi par exemple, les choses auraient été différentes.

L’état d’urgence pose également une question vertigineuse à notre démocratie. Sur les cinq dernières années, nous avons passé plus de temps en état d’urgence que dans une démocratie normale, pour des raisons liées soit au terrorisme, soit à la crise sanitaire. Mais le monde s’avère chaotique, avec des pandémies qui surviendront de nouveau, le terrorisme qui continue de nous menacer, et des événements par exemple climatiques. La démocratie est-elle inapte à faire face au monde d’aujourd’hui ? Faut-il donc donner du crédit à ceux qui prônent un pouvoir autoritaire ? Quand on met la démocratie entre parenthèses, quand l’état d’urgence règne plus de la moitié du temps sur cinq ans, c’est l’idée qu’on risque de favoriser. On ne peut pas jouer trop facilement avec la démocratie, le Parlement souverain et les décisions collectives.

Enfin, nous demanderons, au fur et à mesure des débats, des explications très précises sur le volet social du texte. Certaines choses nous inquiètent, s’agissant des aménagements du chômage partiel, des intermittents du spectacle ou des possibilités données aux employeurs de jouer avec les RTT ou les congés payés. Quant à la trêve hivernale des expulsions, je n’ai pas bien compris si elle était prolongée jusqu’au 31 octobre. Nous aurons à cœur de clarifier tout cela.

M. Sacha Houlié. Le principe même de la sortie de l’état d’urgence sanitaire, que nous avions réclamée et qui fait l’objet de ce projet de loi, est très satisfaisant, même si vous déposez un amendement maintenant le couvre-feu jusqu’au 30 juin. À ce propos, et même si je suis réservé sur le principe, le couvre-feu a bien montré son efficacité : 21 500 cas sont recensés ce soir, bien moins que le pic de la troisième vague. La territorialisation aussi demeure, ce qui est une bonne chose. Elle s’applique aux mesures de gestion de la crise sanitaire. Des décisions de couvre-feu localisé peuvent aussi être prises, avec une échéance particulière au 31 août.

Je m’interroge néanmoins sur la date posée par le texte pour la sortie de l’état d’urgence sanitaire. Philippe Gosselin et moi avons souhaité, dans notre rapport sur le régime juridique de l’état d’urgence sanitaire, que le Parlement puisse se prononcer tous les trois mois. Nous avons devant nous le mois de la session ordinaire de juin, le mois de la session extraordinaire qui nous attend probablement en juillet et le mois de la session extraordinaire que je devine pour septembre. Je proposerai donc de ramener l’échéance du texte au 30 septembre 2021.

Je trouve ensuite que la définition des grands rassemblements pour lesquels le passe sanitaire serait utilisé est trop floue et imprécise. Elle ne permet pas d’embrasser correctement les situations. Il est clair qu’on n’aura pas recours au passe sanitaire dans la vie quotidienne, mais s’agissant des événements sportifs, qui sont récurrents, cela pourra poser des difficultés.

Enfin, je proposerai un amendement pour rétablir un droit des parlementaires que nous avions acquis à l’occasion de la dernière loi d’urgence sanitaire, celui de saisir le Conseil scientifique pour avoir accès à la même information que le Gouvernement. Je pense que ce parallélisme est sain.

M. Pieyre-Alexandre Anglade. Dans cette crise brutale, il est important de donner des perspectives claires à nos concitoyens. C’est ce que vous faites aujourd’hui. Des clarifications restent cependant à apporter à ceux qui sont établis à l’étranger, et en particulier en Europe.

La semaine dernière, le Parlement européen a validé l’instauration d’un passe sanitaire à l’échelle européenne, repris dans le projet de loi, qui vise à faciliter la circulation entre les frontières européennes grâce à la présentation soit d’un certificat de vaccination, soit d’une attestation de rémission, soit d’un test de dépistage négatif. Cette mesure va dans le bon sens après les contrôles aux frontières qui ont été appliqués depuis un an, instaurés de façon non concertée, qui ont causé beaucoup de difficultés et pesé lourdement sur la vie de millions de citoyens français et européens.

Pour autant, il reste des questions en suspens. Ainsi, la France a une stratégie de tests extrêmement ambitieuse, vraisemblablement la meilleure d’Europe. On peut accéder gratuitement à peu près partout sur le territoire à un test PCR ou antigénique, et il y a maintenant des autotests. Or, un Français habitant à l’étranger doit faire un test pour revenir en France et devra débourser environ 150 euros s’il habite aux Pays‑Bas, 50 euros s’il habite en Belgique ou encore 60 euros s’il habite au Luxembourg. C’est un coût colossal pour une famille. Que prévoit concrètement le projet de loi pour prendre en charge les tests des Français de l’étranger et leur permettre de revenir sur le territoire national ? À défaut, travaillez-vous avec vos partenaires européens à ce que l’ensemble des pays de l’Union garantissent un dépistage universel accessible et gratuit, de manière à éviter toute forme de discrimination ?

Mme Cécile Untermaier. Je trouve ce projet de loi d’une complexité terrifiante et je me demande comment les citoyens s’y retrouveront dans le dispositif que vous nous proposez. L’état d’urgence, on savait ce que c’était ; l’état d’urgence transitoire, non. D’autre part, en l’absence de contrôle du Parlement, nous allons manquer à la coconstruction qui aurait été si utile pour élaborer l’état d’urgence transitoire, qui est en fait celui où l’on vit avec le virus. Les effets d’une vie avec le virus seront extrêmement sévères pour les populations les plus précaires, et rien n’est prévu de ce point de vue.

Le manque général de lisibilité et de clarifications que nous connaissons se retrouve dans ce texte. Pour prendre l’exemple des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), on constate que les possibilités offertes aux personnes âgées ne sont pas du tout les mêmes entre les établissements, y compris dans un même département, faute d’une information suffisante. C’est grave, parce qu’il s’agit de liberté : des personnes âgées peuvent recevoir leur famille dans certains EHPAD et pas dans d’autres, alors qu’elles se sont pourtant fait vacciner pour cela. C’est une défaillance de l’État, qui doit apporter, même si ce n’est pas facile, une information uniforme pour assurer l’application d’une même règle dans des organismes équivalents. Comment comptez-vous clarifier les choses, vis-à-vis des citoyens comme des acteurs ?

Par ailleurs, il est vrai que les déplacements dans l’Union européenne sont chers. Les tests sont remboursés quand on part de France, mais pas d’un pays étranger. Un déplacement entre deux États, c’est 120 euros : 60 euros par test. Imaginez pour une famille de quatre ou cinq personnes ! C’est une question concrète à poser au niveau de l’Union européenne.

M. Olivier Véran, ministre. Pour commencer par des questions d’ordre général sur l’ensemble de la situation et de notre stratégie, il y a trois façons de combattre une épidémie : la stratégie de l’atténuation, celle de la suppression et celle l’éradication. L’atténuation, c’est comme pour la grippe : le virus circule, on protège les plus fragiles par la vaccination et lorsque l’épidémie est particulièrement violente, on prend des mesures de prévention pour éviter des dégâts sanitaires trop importants. La suppression, c’est quand on confine un pays au moment où le virus circule pour ramener ce dernier au plus bas niveau possible – même s’il ne s’agit pas à proprement parler de le supprimer. C’est ce que nous avons fait avec le premier confinement, qui avait porté ses fruits puisqu’on était descendu à quelques centaines de cas par jour. Quant à la stratégie d’éradication, l’humanité l’a connue pour la variole et actuellement pour la poliomyélite – on constate, d’ailleurs, que les deux seules pathologies que nous avons réussi à éradiquer l’ont été au moyen de la vaccination de masse.

Aujourd’hui, nous poursuivons les trois stratégies à la fois : la stratégie d’atténuation, puisque nous vaccinons en priorité les plus vulnérables, pratiquons les gestes barrières et préservons nos hôpitaux ; la stratégie de suppression, que nous corrélons avec des mesures de freinage, notamment le couvre-feu ; la stratégie d’éradication enfin, celle du « zéro covid », puisque nous vaccinons la planète. Nous en sommes à 1,2 milliard d’humains vaccinés et savons que la vaccination, peut-être renouvelée mais en tout cas massive, de toute la planète, est indispensable. C’est pourquoi il faut aider l’Afrique et l’Amérique du Sud à se vacciner : c’est à ce prix que nous pourrons éradiquer définitivement la covid-19 de la surface du globe.

Vouloir mener une stratégie d’éradication à l’échelle française ou européenne n’est même plus une utopie ; c’est un mythe. Les seuls pays qui peuvent le faire sont insulaires. La Nouvelle-Zélande reconfine à chaque nouveau cas – elle a passé beaucoup de temps en confinement. Notre seul territoire ultramarin qui avait été épargné, Wallis-et-Futuna, pourtant très isolé, est désormais touchée depuis l’arrivée d’une personne potentiellement contagieuse.

Nous poursuivons donc ces trois stratégies, sachant que l’apparition de variants encore plus contagieux a rendu la stratégie de pure suppression beaucoup plus difficile à tenir. J’en veux pour preuve l’exemple allemand. Angela Merkel avait annoncé en décembre un confinement généralisé, dur, prolongé, devant permettre de presque stopper la circulation du virus. Les Allemands sont descendus à 5 000 contaminations par jour après trois mois de confinement et sont aujourd’hui à presque 20 000 contaminations par jour, quasiment le même niveau que nous, voire plus puisqu’ils font deux fois et demie moins de tests.

Il est vraiment important de saisir cette stratégie. Mme Karamanli demandait ce qu’est une circulation active du virus : tout dépend du moment. Aujourd’hui, la circulation du virus est active à l’échelle du pays, voire du continent européen. L’été dernier, elle était extrêmement faible sur tout le territoire, mais sont apparus çà et là des foyers épidémiques qui ont éveillé notre vigilance. Nous sommes intervenus en urgence, dans les abattoirs de Mayenne ou dans certaines communes rurales, pour éviter une nouvelle vague épidémique au cœur de l’été. Pendant ce temps, même si l’Europe se portait assez bien, l’hémisphère sud connaissait des vagues épidémiques intenses. Il faut préserver nos territoires ultramarins, y compris par la loi – raison pour laquelle nous vous demandons la possibilité de déclencher un état d’urgence sanitaire localisé –, y compris au cœur de l’été, y compris lorsque le Parlement est au repos. Nous devons pouvoir intervenir en urgence pour protéger les populations, comme nous l’avons fait en Guyane l’été dernier.

S’agissant des mesures qui ont été prises, vous avez parfaitement le droit de considérer, monsieur Coquerel, qu’elles ne sont pas efficaces. Pourtant, cela se voit comme le nez au milieu de la figure. Regardez les courbes de la situation en France à la suite de l’application des mesures contre lesquelles vous avez voté : on n’en est plus à 40 000 cas par jour, mais à 20 000. La concordance de temps est évidente en France, mais aussi en Allemagne, au Royaume-Uni, en Espagne, en Italie, au Japon, ou encore aux États-Unis là où les États ont édicté ces mesures. Nier l’évidence est votre droit, mais je ne crois pas que cela fasse progresser la science.

Pour entrer dans des sujets plus détaillés, il a été question des tests PCR qui sont exigés de nos ressortissants qui rentrent en France. Comme cela a été dit, la France est le seul pays de l’Union européenne dans lequel tous les tests sont gratuits et sans conditions. Faut-il prendre en charge les tests effectués par les Français revenant de voyage ou de vacances ? Cela relève-t-il de la sécurité sociale ? C’est une discussion que nous avons au niveau européen et qui n’a pas encore abouti. J’y suis sensible. Notre système de protection sociale est formidable même pour ceux qui tombent malades à l’étranger, avec un système de conventions de prise en charge des soins. Mais concernant la question que vous évoquez, nous sommes en train d’y travailler.

S’agissant des bureaux de vote et de la vaccination des assesseurs, un certain nombre de propositions ont été faites. Nous sommes en train d’y travailler avec le ministre de l’Intérieur. Une partie non négligeable des assesseurs sont déjà vaccinés parce qu’ils ont plus de 55 ans ; d’autres sont déjà identifiés et pourront être vaccinés de façon prioritaire ; d’autres encore pourront bénéficier du vaccin Janssen, monodose, qui permet d’éviter l’écueil du rappel. Tout cela est en train de s’organiser.

La différence entre l’état d’urgence sanitaire et le régime de sortie ne se trouve pas seulement dans l’impossibilité de confiner, mais aussi dans l’impossibilité de restaurer un couvre-feu – à l’exception de l’amendement que nous déposons pour le mois de juin, qui est une exception et non la règle, et encadré par des conditions très précises – ou encore dans des capacités moindres d’encadrer les rassemblements, déplacements et activités. Dans le texte que nous vous proposons, l’autorisation sous conditions est la règle et l’interdiction devient l’exception, qui doit se justifier plus strictement qu’auparavant.

Les données sur le covid du SNDS sont des données pseudonymisées. Pour le citoyen lambda, cela revient exactement au même que les données anonymisées en termes de sécurité. En termes de recherche, en revanche, c’est très différent. Le SNDS permet d’avancer en matière de données de santé, avec notamment l’espace numérique de santé qui va voir le jour pour tous les Français au 1er janvier 2022. Vous avez voté tout cela. La pseudonymisation permet l’accès à ces données, à des fins de recherche et dans des conditions très encadrées, avec l’accord systématique de la CNIL. Il ne faut pas laisser disparaître ces données fin 2021, c’est capital. D’une part, les textes prévoient la conservation des données du SNDS pour une durée de vingt ans. C’est important pour la recherche. Prévoir de conserver moins longtemps certaines données juste parce qu’elles sont liées au covid serait un peu curieux, et dommage. D’autre part, ces données peuvent être utiles en cas de résurgence du virus. Nous connaîtrons d’autres épidémies, d’autres pandémies, d’autres virus, d’autres germes, même si j’espère que ce sera le plus tard possible. Nous aurons besoin de connaissances affinées sur les relations entre l’environnement et la diffusion des vecteurs infectieux.

Pour répondre à la question du rapporteur, le passe sanitaire ne dispensera pas l’organisateur de l’événement de faire respecter les mesures de prévention, comme le port du masque, la distanciation ou le respect des jauges. Il ne sera donc pas un blanc-seing pour les organisateurs, mais pour les participants.

Si le régime transitoire est prévu pour durer jusqu’au 31 octobre plutôt qu’au 30 septembre, c’est essentiellement pour des raisons pratiques. Même si nous connaissons le même été que l’année dernière, avec une reprise globale des libertés et du vivre ensemble, on ne peut pas exclure, comme cela s’est produit en août, l’émergence de foyers infectieux qui imposent d’intervenir rapidement. L’échéance du 31 octobre ne nous permet pas de faire durer le régime pour le plaisir, mais d’être sûrs de ne pas avoir à convoquer en urgence le Parlement un 25 août pour valider un état d’urgence localisé ou prendre des mesures de gestion de crise sanitaire. Je sais que vous répondriez à l’appel, mais j’ai aussi une pensée pour les fonctionnaires des ministères qui n’ont pas pris de vacances depuis quinze mois. Éviter de les faire revenir s’ils n’ont qu’une semaine de vacances en août, ce sont des considérations pratiques, mais qui me semblent importantes.

Si l’on veut comprendre pourquoi nous allégeons les contraintes sanitaires à un niveau de circulation du virus plus élevé que précédemment, il y a deux données importantes à considérer. D’abord, la dynamique épidémique est baissière. Nous pouvons envisager qu’elle le reste et qu’à la prochaine étape de levée des mesures, dans quinze jours, le niveau soit plus bas. Ensuite, la vaccination a changé la donne : la mortalité est plus faible que ce qu’elle aurait été si nous n’avions pas vacciné. Le nombre d’hospitalisations et de réanimations est aussi moins élevé que ce qu’il aurait été, bien que nous fassions face à un variant plus dangereux et plus nocif.

Enfin à propos du couvre-feu, c’est le Président de la République qui a annoncé le calendrier général du plan de réouverture. Le couvre-feu sera fixé à 21 heures le 19 mai et à 23 heures le 9 juin, et il disparaîtra le 30 juin, sauf situation sanitaire départementale dégradée. Le texte nous donne, pour ce cas, la possibilité d’une approche territorialisée, ce qu’un certain nombre d’entre vous ont salué.

M. Cédric O, secrétaire d’État. S’agissant du passe sanitaire, pour éviter de retomber à chaque fois dans des débats interminables sur les événements concernés ou non, le Gouvernement se propose de fixer une jauge d’application à 1 000 personnes quels que soient les lieux ou les cas. Un cinéma de plus de 1 000 entrées est concerné, un restaurant de plus de 1 000 couverts aussi. On considère qu’on gère le risque. C’est conforme à l’avis du Conseil scientifique. Nous considérons que cette jauge basse de 1 000 personnes ne touche pas le quotidien des Français et que c’est le dispositif le plus simple à comprendre pour tout le monde. La jauge maximale sera de 5 000 personnes. Du 9 au 30 juin, il n’y aura pas d’événement qui rassemble plus de monde, même avec un passe sanitaire – qui sera obligatoire pour les événements de plus de 1 000 personnes. À partir du 30 juin, il n’y aura plus de jauge maximale, si tant est que l’épidémie n’est pas repartie : on continuera à respecter les protocoles et les gestes barrières, mais sans limite de nombre.

S’agissant du certificat de rétablissement, dont il est question également au niveau européen, il est envisagé d’utiliser les tests PCR positifs. On considère en effet que quelqu’un est immunisé à partir de deux semaines après un test positif. Aujourd’hui déjà, on peut aller outre-mer en produisant un test PCR positif datant de deux semaines à deux mois. En effet, certaines personnes sont systématiquement testées positives pendant assez longtemps alors même qu’elles ne sont plus contagieuses, ce qui leur interdirait de voyager. Reste la question de savoir combien de temps on est immunisé. Aujourd’hui, on considère que c’est deux mois ; le Conseil scientifique, dans son avis, suggère six mois. Il y a un débat au niveau européen. Je suis d’avis que l’on conserve de la flexibilité, mais quoi qu’il en soit, il n’y a pas de certificat de rétablissement. Le Conseil scientifique déconseille d’ailleurs l’utilisation de tests de sérologie au-delà de six mois.

La réunion se termine à 20 heures.

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Informations relatives à la Commission

La Commission a désigné :

-          MM. Raphaël Gauvain et Loïc Kervran, rapporteurs sur le projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement (n° 4104) ;

-          M. Philippe Gosselin, rapporteur d’application sur le projet de loi relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire (n° 4105) ;

-          M. Antoine Savignat, rapporteur d’application sur le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire (n° 4091) ;

-          M. Antoine Savignat, rapporteur d’application sur le projet de loi organique pour la confiance dans l’institution judiciaire (n° 4092) ;

-          M. Pierre Morel-A-L’Huissier, rapporteur d’application sur la proposition de loi visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs‑pompiers (n° 3162) ;

-          M. Guillaume Larrivé, rapporteur d’application sur le projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement (n° 4104).

La Commission a par ailleurs créé une mission flash sur l’application de l’article 122-1 du code pénal et a désigné Mme Naïma Moutchou et M. Antoine Savignat, co-rapporteurs.

 


Membres présents ou excusés

 

En raison de la crise sanitaire, les relevés de présence sont suspendus.