Compte rendu

Mission d’information sur l’émergence
et l’évolution des différentes formes de racisme
et les réponses à y apporter

– Audition de M. le vice-amiral d’escadre Philippe Hello, directeur des ressources humaines du ministère des armées 2


Mardi
3 novembre 2020

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 44

session ordinaire de 2020-2021

M. Robin Reda,
Président

 


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La mission d’information procède à l’audition de M. le vice-amiral d’escadre Philippe Hello, directeur des ressources humaines du ministère des armées.

La séance est ouverte à 18 heures.

M. le président Robin Reda. Cette mission d’information a été créée par la conférence des présidents de l’Assemblée nationale le 3 décembre 2019. Nous cherchons à identifier la réalité du racisme dans notre société et dans le cadre de nos réflexions, nous auditionnons les ministères qui sont concernés par la lutte contre le racisme.

L’armée était pour nous un sujet important, au cœur de nombreuses problématiques qui traversent cette question du racisme et de la lutte contre les discriminations ainsi que, plus largement, la question de la cohésion républicaine.

Mme Caroline Abadie, rapporteure. Depuis le début des auditions, nous avons largement évoqué les différentes formes de racisme auxquelles sont confrontés de trop nombreux Français ou étrangers sur le territoire français.

Je pense bien sûr aux propos et actes racistes, interdits et condamnés par la loi. Je pense aussi aux discriminations, peut-être moins visibles. Ainsi, nous constatons encore de nombreuses inégalités professionnelles. Vous pourrez nous expliquer comment, en l’absence de statistiques ethniques, vous pilotez cette mission de lutte contre les discriminations.

Le préjugé, qui ne se traduit pas nécessairement par un propos ou une discrimination, constitue le troisième aspect que nous avons identifié. Il semblerait que la meilleure manière de les combattre soit de travailler ensemble sur un pied d’égalité à un objet qui nous est supérieur. Je ne vois pas qui mieux que l’armée pourrait y parvenir et j’espère donc que votre institution permet d’abattre les préjugés dans ses rangs.

M. le vice-amiral d’escadre Philippe Hello, directeur des ressources humaines du ministère des armées. Je préciserai en préambule que je ne suis pas directement en charge du recrutement, de la formation, et de la gestion individuelle des personnels militaires. Je porte néanmoins l’ensemble des politiques des ressources humaines, y compris la lutte pour l’égalité et contre les discriminations.

En tant que militaires, nous considérons que le racisme est avant tout un rejet de l’autre et de celui qui est jugé différent, voire hostile, pour des raisons d’origine mêlées à des préjugés culturels ou sociaux, ou à une lecture décontextualisée et simplifiée de l’histoire.

Au-delà des groupes ethniques, nous faisons face à des racismes de communauté ou de religion, voire à des racismes liés aux modes de vie, à des racismes socioculturels ou d’opinion.

En tant que militaire, il me semblerait illusoire d’affirmer qu’il n’y a pas de racisme dans nos rangs ni de victimes de comportements ou de propos racistes. Nous sommes l’émanation de la société française et nous sommes son reflet complet, même si nous sommes des armées professionnalisées.

Sur la base de ces considérations et en se focalisant sur le personnel militaire, il apparaît que les armées obtiennent finalement des résultats corrects dans la maîtrise du racisme, compte tenu de la pluralité des origines et de l’âge de ses personnels.

Ces résultats s’expliquent vraisemblablement par des valeurs communes qui sont enseignées tout au long de la carrière. Ils ne sont cependant pas complètement satisfaisants et en conséquence, nous cherchons des pistes de progrès. Il faut néanmoins admettre que ce n’est pas un sujet qui nous préoccupe de manière majeure au ministère, en raison de la manière dont nous travaillons et de la mission qui sous-tend ce travail.

Je rappellerai en premier lieu que nous sommes naturellement tournés vers la jeunesse. Nous recrutons plus de 26 000 personnes par an, des mousses de 16 ans comme des post-doctorants, dans toutes les sphères de la société. Ce sont des flux considérables qui doivent être mis en regard avec des flux sortants également élevés. Nous voulons que les armées restent jeunes et nous sommes donc dans un modèle pyramidal avec des impératifs de jeunesse et de sélection.

Je précise que cette sélection n’est ni élitiste ni discriminatoire. Nous formons des combattants sans faire de différence selon le sexe, l’origine, ou le lieu de naissance. Le recruté qui a vocation à devenir fantassin, marin ou aviateur, se fondra dans un nouvel univers dans lequel nous l’aiderons à progresser. Nous le sélectionnerons sur son engagement, son savoir-être, ou son potentiel.

Nous ciblons la jeunesse avec une politique forte d’intégration et de lien avec l’éducation. Nous avons ainsi beaucoup de partenariats dans des domaines de formation professionnelle, baccalauréat professionnel et brevet de technicien supérieur (BTS) notamment, pour proposer des emplois militaires à des jeunes qui seront capables d’appréhender des métiers techniques. Nous aidons aussi des jeunes en difficulté à faire des études sous condition d’engagement.

Nous avons également des écoles d’apprentis militaires, les mousses à Brest et aussi les mécaniciens aviateurs à Saint-Agnant et à Rochefort. Nous aurons bientôt une école technique de l’armée de l’air qui embauchera des jeunes pour leur donner tout de suite, ab initio, une capacité technique dans des métiers de soutien logistique opérationnel pour les véhicules de l’armée de terre.

Nous avons aussi des lycées militaires de la défense, dans lesquels 15 % des places sont réservées à des boursiers civils dans le cadre des plans « égalité des chances ».

Enfin, nous offrons tous les ans aux personnels civils plus de 2 000 contrats d’apprentissage et plus de 13 000 stages scolaires ou étudiants.

Il est vrai que nos 26 000 recrutements ne représentent qu’une faible part d’une classe d’âges de 850 000 jeunes. C’est néanmoins une part significative et à mon niveau, je ne constate aucune remontée de difficultés majeures d’ordre disciplinaire, contentieux ou pénal, liées directement au racisme.

Dans le cadre de nos procédures nous constatons qu’il peut y avoir occasionnellement des accusations de racisme. Ce n’est cependant pas un phénomène fréquent ou se développant. Par ailleurs, nous ne parvenons généralement pas à définir, objectiver et confirmer les cas constatés.

Ce constat positif peut s’expliquer par la sélection de nos personnels. Ils doivent être aptes au combat, ce qui implique qu’ils remplissent des critères physiques, psychologiques, médicaux et de technicité. Il faut aussi qu’ils soient jeunes (moins de 30 ans en général), qu’ils aient un casier judiciaire vierge, et qu’ils satisfassent à des enquêtes d’habilitation de sécurité. Il y a donc une attrition importante dans les classes d’âge que nous recrutons, notamment lors des six premiers mois et plus particulièrement pour les jeunes militaires du rang (plus de 15 000 sur les 26 000 recrutements annuels).

Cet échantillon de la société française de 26 000 personnes a certes été sélectionné, mais il présente une très grande pluralité d’origines raciales, sociales et culturelles. Ces personnes vivent et travaillent en harmonie dans le ministère. Je tiens à vous dire que c’est une conviction profonde, partagée par l’ensemble de la communauté militaire. Elle est fondée sur un modèle qui, de ce point de vue, a fait ses preuves et que nous cherchons sans cesse à améliorer.

La capacité d’intégration dans les armées repose sur plusieurs piliers. Le premier, c’est l’entretien d’un certain nombre de traditions historiques et culturelles, caractérisé par des objectifs collectifs qui fédèrent l’ensemble des individus et des valeurs intégratrices telles que la fraternité d’armes et l’entretien de traditions qui évoque l’histoire de nos armées.

La tradition historique intégratrice s’appuie sur la codification d’un certain nombre d’usages. Notre armée est celle de la République française et elle accueille toute la Nation. Ses valeurs sont enseignées en mettant en avant le respect de l’autre, des devoirs, des sujétions partagées, une égalité de traitement à tous les niveaux, une discipline, un mode de vie et d’habillement qui sont complètement égalisateurs.

Celui qui entre dans l’armée apprend d’emblée la cohésion et la fraternité, le culte de l’effort collectif, le dépassement de soi au sein d’un groupe. Dès le premier jour, il sait qu’il ne vaut rien sans les autres.

Nous sommes attachés à des mots qui sont martelés, peut-être oubliés aujourd’hui et qui peuvent paraître désuets : l’amour de la patrie, qui a pour nous un sens profond, l’honneur, l’esprit de sacrifice. Ils reposent sur des valeurs transcendantes de notre vieille civilisation. Ces mots sont codifiés et se traduisent par des actes ; ils sont ainsi inscrits sur nos drapeaux et nos bâtiments et sont vécus au quotidien sous le regard des autres.

Certaines de ces notions procèdent de notre Constitution, telle la libre disposition de la force armée, qui engendre cet engagement total, cette disponibilité pour toute mission. Elles sont aussi déclinées dans le code de la défense pour tout ce qui concerne les sujétions et les devoirs du militaire, et développées dans des chartes. Dans chaque armée, nous éprouvons le besoin de préciser quelles sont les qualités de savoir être individuel que nous attendons et que nous devons développer – le sens du service, la disponibilité, la camaraderie – sous forme d’un code d’honneur du soldat ou d’un carnet des valeurs du marin ou de l’aviateur.

Notre recette est relativement simple et fondée sur le culte de l’histoire, l’histoire que nous regardons derrière nous pour construire l’avenir.

À l’échelle des armées, nous célébrons l’histoire commune de nos traditions. C’est bien sûr l’enseignement des valeurs de la République mais c’est aussi le souvenir entretenu des militaires de la France, à toutes les époques et dans des moments de fierté comme dans l’adversité, qui ont construit des faits d’armes. Cette histoire commune ne se limite donc pas à des symboles. C’est plutôt l’histoire de nos aînés qui ont servi la patrie, quels que soient leur grade, leur condition, leur couleur et leur culture. Il s’agit moins d’analyser le bien-fondé d’un conflit que le comportement exemplaire des personnes.

Ce qui nous intéresse, c’est le savoir-être individuel car il est reproductible et projetable dans le futur. C’est une forme de geste des anciens qui irrigue toute l’exigence de formation et d’entraînement de nos jeunes recrues. Les difficultés sont endurées collectivement et elles forgent une cohésion qui porte ses fruits en opération. Cette fraternité d’armes représente un lien très fort entre les militaires, qui les pousse à éclipser leur intérêt personnel au service du groupe. C’est à mon avis le rempart le plus important contre le racisme.

Il y a aussi une histoire collective à l’échelle des unités qui, suivant la même logique identitaire, engendrera une fierté individuelle d’appartenance à un petit groupe, à son action passée mais aussi présente. Ce sentiment de fierté cimentera un collectif qui permettra de construire une identité au-delà des différences : pour beaucoup de jeunes, nous constatons que l’appartenance à un régiment est une deuxième identité extrêmement salutaire.

Enfin, à l’échelle du ministère, nous ne nous contentons pas d’histoire symbolique. Nous avons à cœur de regarder l’histoire avec recul et discernement. C’est le rôle de la direction du patrimoine, de la mémoire et des archives (DPMA), qui entretient cette histoire des armées dans le cadre de missions mémorielles et d’enseignement de défense. La DPMA contribue ainsi à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme. De nombreuses actions sont également conduites en faveur de la jeunesse.

Si les armées ont besoin de références pour dépasser les différences, elles doivent aussi entretenir un esprit au quotidien. Nous sommes ancrés dans le réel, dans le concret des missions. Ce sont ces missions et l’autorité exercée pour les réussir qui construiront le collectif, ainsi que l’accompagnement du personnel avant, pendant et après la mission.

Quelle que soit son intensité ou sa complexité, la mission est éminemment fédératrice. Le militaire ne la choisit pas, elle est variable par essence dans ses finalités, sa dangerosité, sa répétitivité ou son éloignement. Rien n’est anodin et dès le début de l’entraînement, de la préparation opérationnelle, des outils complexes et dangereux sont mis en œuvre, qui demandent de faire attention aux autres, de respecter les consignes. Cela peut être dans un milieu éprouvant. Sur un théâtre d’opérations, la vie de tous dépend de chacun.

L’autorité doit expliquer le sens de la mission, qui n’est pas toujours évident à appréhender pour un soldat. Le chef doit donc cultiver les valeurs du passé tout en les inscrivant dans les missions d’aujourd’hui et de demain. Il doit aussi consolider son autorité par la bienveillance envers les plus fragiles et ceux qui pourraient se sentir différents. Il est néanmoins le gardien ferme des règles pour assurer la vie en collectivité.

L’accompagnement correspond quant à lui à une attention individualisée et immédiate en cas de difficultés personnelles. Nous avons la chance d’être soutenus par des professionnels qui prennent le relais de l’encadrement auprès du militaire, auprès de sa famille.

Enfin, nous développons systématiquement des activités de cohésion qui permettent d’entretenir l’esprit de groupe et qui associent autant que possible les familles, au travers de clubs sportifs et de loisirs qui sont intégrés aux bases militaires. Des actions sont aussi mises en place par le commandement pour améliorer le cadre de vie et le bien-être au quotidien. Toutes ces actions sont à la hauteur des services rendus par le militaire et des sacrifices qu’il a consentis.

Le succès de ce modèle est-il mesurable ou objectivable ? Il est difficile de répondre car nous ne faisons pas de statistiques ethniques. Cependant, je peux affirmer que de tous temps, les armées ont été un creuset de diversité. Je crois que c’est encore plus vrai aujourd’hui. Le brassage des populations est beaucoup plus important que dans les unités de mamelouks de Napoléon ou les unités coloniales de la Première Guerre mondiale. Nous avons des régiments et des unités complètement divers à tous les niveaux. Il suffit d’ailleurs de les visiter pour l’apprécier. La densité de personnel ultramarin est considérable dans nos armées et nous avons également de nombreux personnels originaires des ex-colonies françaises.

Statistiquement, deux tiers des jeunes qui nous rejoignent ont des ascendants ou des proches qui ont été militaires et qui peuvent leur parler de manière concrète de ce métier si particulier. Cela vaut pour toutes les origines.

Une fois que les personnes ont été engagées, notre priorité est de les fidéliser. Là encore, les critères pour fidéliser un personnel sont bien d’apprécier ses compétences et son savoir-être, ainsi que les qualités qu’il a pu développer indépendamment de ses origines.

La politique de soutien social et familial dans la durée contribue aussi à cette cohésion et à cette fidélisation qui ont traversé des générations de militaires. Nous soutenons nos militaires mais également un million de familles et de ressortissants.

Nous disposons de chaînes indépendantes pour la remontée des incidents. Nous avons une cellule qui lutte contre le harcèlement, la discrimination et les violences sexuelles, en service depuis 2013. Sa mission sera élargie à toutes les formes de discrimination, dont le racisme, à partir du 1er janvier 2021.

Nous avons aussi un haut fonctionnaire à l’égalité des droits, directeur de projet pour les sujets de mixité : le contre-amiral Anne de Mazieux anime la chaîne des référents égalité mixité qui sont répartis dans toutes les armées, directions et services depuis début 2020.

Enfin, de manière plus ancienne, nous avons des dispositifs de référents d’alerte et des chaînes de médiateurs animés par les inspecteurs généraux des armées, directement rattachés à la ministre. Ils peuvent être saisis en toute indépendance par un militaire qui voudrait rapporter des faits, des actes, des informations dont il aurait personnellement eu connaissance ou dont il aurait été victime.

Nous avons une chaîne de concertation extrêmement développée. Elle représente des personnels qui sont présidents de catégories parmi les militaires, sous-officiers et officiers, et qui remontent directement des informations au chef d’état-major et au Conseil supérieur de la fonction militaire, organisme principal de concertation responsable devant la ministre.

Nous avons enfin une commission des recours miliaires qui vise à traiter tous les actes administratifs en précontentieux et au travers de laquelle nous avons énormément de remontées d’informations sur des dossiers qui pourraient faire préjudice en matière d’actes administratifs, mais aussi lorsque des cas de racisme sont invoqués.

Si ce tableau peut paraître lénifiant, je tiens à préciser que nous avons des axes de progrès.

Le principal axe de progrès que nous avons, c’est l’augmentation de la diversité dans les postes de responsabilité. Tous les corps de l’État sont soumis à cette difficulté. Force est de constater que la diversité ethnique, globalement bien présente, est moins forte dans les postes de haut encadrement – contrairement, d’ailleurs, à la diversité sociale. Ceci nous interroge. Est-ce lié au problème plus général de la motivation des jeunes étudiants pour adhérer à la défense de notre modèle commun de société ? Je n’ai pas de réponse.

La ministre a donc fixé un cap dans un mandat diversité qui a été émis le 12 octobre 2020. Ce mandat comporte trois leviers.

Tout d’abord, nous essaierons de repérer davantage de talents dans les établissements scolaires et universitaires. Il s’agit d’avoir une action beaucoup plus concertée au travers des « journées de défense citoyenneté », des classes « défense et sécurité globales », pour inciter les talents à rejoindre nos rangs. Il s’agit également d’augmenter encore la part des effectifs de classes préparatoires aux études supérieures dans nos lycées militaires de la défense.

Ensuite, nous devons travailler encore plus sur la promotion interne au sein des armées. Nous devons améliorer les passerelles entre les différents corps, le brassage des carrières entre les grandes écoles, les officiers du rang, les officiers sous contrat, ceux qui ont des origines beaucoup plus diverses.

Nous avons également développé en interne le bagage académique qui permet de faire monter en compétence des jeunes dans le domaine technique. Nos armées sont de plus en plus complexes d’un point de vue technologique et souvent, la capacité à franchir des marches en connaissances techniques et scientifiques pour exercer des responsabilités constitue l’un des plus grands obstacles.

Nous devons aussi être vigilants sur les signaux faibles qui pourraient résulter des fractures accrues que nous constatons dans notre société. Pour ce faire, nous comptons beaucoup sur les référents lanceurs d’alerte, la cellule que j’ai évoquée, ainsi que sur les référents mixité en place depuis 2020 au sein des unités.

Le troisième levier d’action vise à valoriser les actions et les valeurs intégratrices des armées. Le ministère ambitionne ainsi une labellisation AFNOR dans le domaine de la diversité en 2021. Nous avons obtenu une labellisation « égalité » l’année dernière et nous souhaitons maintenant une labellisation « diversité ». Nous visons notamment le périmètre des écoles de formation des sous-officiers et des officiers. Nous avons la conviction que nous pouvons obtenir cette labellisation.

M. le président Robin Reda. Merci pour votre présentation. Je retiendrai que l’armée offre la perspective d’un projet collectif pour résoudre la question du racisme et des préjugés.

Mme Caroline Abadie, rapporteure. Vous avez dressé un tableau assez complet de tout ce que vous mettez en œuvre. Vous avez parlé d’un accompagnement indifférencié mais respectueux de la culture de chacun. Pouvez-vous nous donner quelques précisions ?

Par ailleurs, l’ascenseur social ne permettrait-il pas d’assurer une meilleure diversité au sommet des armées ?

Enfin, avez-vous une idée de l’impact du service militaire en termes d’intégration et de cohésion ?

M. le vice-amiral d’escadre Philippe Hello. Nous devons à la fois accompagner le militaire dans son environnement professionnel mais aussi prendre en compte son environnement privé parce que celui-ci a un impact très fort sur sa sérénité dans l’action mais aussi sur sa capacité à rester dans l’institution. Très souvent, c’est la famille qui va peser sur cette capacité à s’intégrer et à être heureux dans l’institution sur un temps long. Toutefois, nous devons toujours veiller à faire en sorte que notre accompagnement, quasiment paternaliste dans les unités, préserve l’intimité de chacun de nos personnels dans leur vie privée. Le paradoxe de notre milieu militaire est que la dimension collective y est très forte mais que nous sommes en même temps très jaloux de notre vie en dehors de l’institution. Il y a une certaine forme de pudeur et de discrétion, et peut-être même d’individualisme, dans la vie sociale.

Comme nous nous intéressons aux familles et à l’environnement extérieur du militaire pour qu’il parvienne à concilier sa vie professionnelle et sa vie privée, nous avons plusieurs dispositifs. Nous avons des aumôniers de tous les cultes pour prendre en compte la dimension spirituelle de chacun. Ils sont aussi capables de remonter des difficultés, un état d’esprit ou une ambiance pendant les opérations. Nous avons aussi des assistants de services sociaux qui peuvent traiter des difficultés ou tensions éventuelles.

Concernant « l’ascenseur social », il s’agit plutôt pour nous d’un « escalier social » escaladé à la sueur du front et des bras. Nous avons une promotion interne qui fonctionne très bien mais l’inconvénient de la promotion interne, c’est qu’elle ne permet pas de rattraper tout le temps passé. Nous devons développer la promotion interne mais en modifiant ses modalités : elle sera moins académique et de plus en plus pratique et concrète.

Quand je parle de déséquilibres suivant les représentations sociales, culturelles et ethniques dans le rang des officiers en particulier, je parle du haut encadrement, c’est-à-dire des officiers généraux. C’est là que nous devons combler notre retard.

L’ascenseur social est déjà consubstantiel au fonctionnement nos armées. Les officiers issus du rang représentent une part très importante de nos armées. Cependant, nous devons encore faire un effort de brassage chez les officiers de carrière, peut-être en faisant une promotion accrue des perspectives de carrière dans nos armées.

À propos du service militaire, je rappellerai qu’il n’a pas été supprimé à cause de dysfonctionnements ou pour des raisons de coûts. Il a été supprimé parce que le modèle de notre armée a changé et basculé vers une armée expéditionnaire et de métier.

Il est vrai que le service militaire ne brassait pas de manière complète la totalité de la société. Il y contribuait néanmoins. Aujourd’hui, les armées seraient incapables de remonter à ce niveau d’encadrement de jeunes conscrits d’une classe d’âge.

M. le président Robin Reda. Je voudrais évoquer le recrutement des agents qui sont affectés aux missions de renseignement. Je suppose que la sensibilité de ce genre de recrutement nécessite un regard sur les origines des personnes, sur la surveillance de leurs liens avec des pays étrangers. Comment les modes de recrutement permettent-ils de se prémunir d’infiltrations ?

M. le vice-amiral d’escadre Philippe Hello. Vous faites allusion aux questions de contrôle de sécurité et d’habilitation, qui ont lieu pour deux raisons : pour des personnes qui seraient amenées à manipuler des données sensibles et pour pénétrer dans des lieux classifiés.

Concernant les civils, nous ne pouvons pas faire de contrôle systématique de sécurité. Nous conduisons donc des contrôles sur leur habilitation à pénétrer dans les locaux. C’est uniquement sur ce critère que nous conduisons des enquêtes.

Pour les militaires en revanche, il y a des habilitations en fonction de leur niveau de responsabilité. Cela suppose donc des enquêtes régulières tout au long de leur carrière et non uniquement au moment du recrutement. Ces contrôles sont assurés par la Direction du renseignement et de sécurité de la défense (DRSD), qui est le principal organe de contre-ingérance et de surveillance sur le territoire pour le ministère des armées. Ils obéissent à des méthodes éprouvées et à des règles strictes. La question des nationalités est effectivement sensible et il peut y avoir des tâches sensibles réservées aux seules personnes de nationalité française.

Il est clair que pour les personnes qui rentrent dans les concours, notamment pour les militaires, il y a toujours une réserve d’habilitation, le temps que les enquêtes de sécurité se fassent. Ce que je dis pour les habilitations de sécurité est également valable pour les aptitudes.

Il est très difficile, au sein d’une unité, d’isoler ce qui est sensible de ce qui ne l’est pas. La règle est donc d’avoir un socle minimum d’habilitations, qui permet de pallier ces risques.

M. le président Robin Reda. Je vous remercie chaleureusement, Amiral, pour vos interventions et vos réponses. Je vous souhaite bon courage dans les missions qui sont les vôtres et qui sont celles des armées françaises, confrontées en ce moment à des enjeux majeurs pour la sécurité de nos compatriotes.

 

La séance est levée à 18 heures 50.

 

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