GROUPE DE TRAVAIL CHARGE D’ANTICIPER LE MODE DE FONCTIONNEMENT DES TRAVAUX PARLEMENTAIRES EN PERIODE DE CRISE

 

Jeudi 12 novembre 2020

 

Présidence de M. Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale

 

– Réunion conclusive du groupe de travail chargé d’anticiper le mode de fonctionnement des travaux parlementaires en période de crise

 

La réunion commence à neuf heures trente-cinq.

 

M. Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale. Lorsque nous avons décidé de créer ce groupe de travail de la conférence des présidents, au mois de mai, nous avions à cœur de créer un espace de discussion souple et transpartisan. Il s’agissait de débattre, sans tabous ni préjugés, de la capacité de l’Assemblée nationale à faire face à la crise sanitaire, mais aussi à tout autre type de situation exceptionnelle. Comment permettre à l’Assemblée de poursuivre ses missions constitutionnelles en période de crise, comment préserver le débat démocratique par gros temps ? Telle était la question – j’allais dire le défi – juridique, mais aussi technique, organisationnelle et, bien sûr politique, qui était la nôtre, la vôtre.

Je veux saluer le travail accompli en quelques mois sous l’impulsion du président Sylvain Waserman, que je remercie pour son engagement. Entretiens avec chacun des groupes politiques de l’Assemblée, séances thématiques, réunions plénières : c’est une étude approfondie qui a été réalisée ; nous ne pouvons que nous en féliciter.

C’est également un travail collectif et aussi consensuel que possible qui a été mené, les contributions des groupes politiques ayant permis de faire évoluer, jusqu’au dernier moment, les conclusions, afin de prendre en considération, autant que faire se peut, les différents enjeux et les différentes sensibilités. Je remercie chacun d’entre vous pour cet investissement qui a contribué à enrichir le travail d’une réelle diversité d’expériences.

J’ose enfin avancer que cette réflexion a déjà porté ses fruits. Alors que nous sommes frappés par la deuxième vague de l’épidémie, nos modalités de réaction ont évolué et se sont améliorées ; vos discussions n’y sont certainement pas étrangères.

Je ne doute pas que les conclusions du rapport permettront, sur des sujets multiples, d’enrichir, à l’avenir, nos méthodes de travail dans des circonstances exceptionnelles.

Les conclusions du groupe de travail seront présentées et débattues en conférence des présidents lors de sa prochaine réunion, mardi 17 novembre, à 9 heures.

M. Sylvain Waserman, président du groupe de travail. Je commencerai par rappeler rapidement la méthode que nous avons suivie. Nous avons débuté par des réunions tous les quinze jours : des réunions thématiques, mais aussi avec chacun des groupes politiques, ce qui a débouché en début de processus sur une soixantaine d’idées qui ont ensuite alimenté nos travaux. J’ai présenté en juillet un premier rapport qui a été commenté par certains d’entre vous, puis une deuxième version en septembre. La toute dernière version qui vous a été transmise comporte quelques ajustements mineurs.

En voici les quatre principales conclusions. Premièrement, nous sommes quasi unanimes à préférer conserver notre gouvernance actuelle plutôt que d’imaginer une gouvernance spécifique liée à un état de crise parlementaire. Après avoir évalué les différentes pistes possibles, nous avons donc clairement écarté le fameux « état d’urgence parlementaire » évoqué lors de nos travaux liminaires.

Deuxièmement, ce que j’ai appelé une « boîte à outils » doit mettre à la disposition de notre gouvernance des outils prédéfinis pouvant être activés en cas de crise. Nourrie notamment de la soixantaine d’idées dont je viens de parler, elle repose sur l’emploi spécifique d’outils que nous connaissons et utilisons déjà au quotidien.

En voici trois exemples : les questions écrites, moyennant leur recentrage sur le thème de la crise et un suivi plus actif des réponses du Gouvernement ; une sorte de vision à 360 degrés, pour tous les députés, de l’ensemble des actions de contrôle du Gouvernement, élément essentiel du travail parlementaire dans une période de crise où le recours aux ordonnances peut être substantiel ; enfin, et dès lors que les députés seraient empêchés de venir dans l’hémicycle par des raisons sanitaires, par exemple, le recours sur chaque texte à des contributions écrites que le rapporteur et le ministre seraient libres de mettre à profit.

Troisièmement, l’utilisation des outils numériques – qui figurent eux aussi dans la boîte à outils – doit être encadrée. L’objet de nos travaux était notamment de réfléchir à leur juste place dans une situation extrême. Le vote à distance doit ainsi préserver l’aspect solennel du vote, de même que la possibilité de contrôle démocratique direct : ainsi, le vote numérique devrait être public, pour que chaque député puisse vérifier sans délai que son intention de vote a bien été prise en considération ; cela pourrait simplifier le recours aux outils numériques et dissiper les soupçons dont ces derniers peuvent faire l’objet. Il s’agit donc de modifier le règlement de l’Assemblée nationale pour autoriser la conférence des présidents à activer ces outils, dans des circonstances exceptionnelles et de manière très encadrée – nous avons beaucoup travaillé à ce cadrage, notamment sur le fondement de vos contributions.

Le quatrième volet concerne l’ensemble des actions entreprises par les services de l’Assemblée, en lien avec les questeurs, pour préparer les crises d’après. Elles n’appellent pas nécessairement une validation par la conférence des présidents. Ainsi, si l’outil numérique doit devenir l’un des éléments utilisables en cas de crise, cela suppose de le sécuriser encore davantage ; les services y travaillent. Il faut aussi prévoir l’éventualité que le site du Palais-Bourbon soit rendu inopérant par un autre type de crise, à la suite d’une inondation, par exemple.

Je remercie l’ensemble des groupes politiques d’avoir consacré du temps à nos travaux. Il me semble que la proposition que nous vous soumettons représente un juste milieu entre ceux qui auraient voulu étendre l’usage des outils numériques, par exemple, jusque dans nos pratiques courantes et ceux qui souhaitaient que le groupe de travail se limite strictement à la question de la gestion en cas de crise, conformément à son mandat. Certains points doivent encore faire débat, notamment les modifications du règlement, qui nécessitent naturellement l’examen d’un texte en commission, puis dans l’hémicycle.

M. le président Richard Ferrand. Si le rapport est adopté, nous veillerons à ce que la modification du règlement soit mise en œuvre de manière à tenir compte des propositions qu’il contient.

M. Nicolas Démoulin. Au nom du groupe La République en marche, je salue la méthode adoptée par le président Waserman, dont les discussions bilatérales avec chacun des groupes ont été essentielles.

Notre mission soulevait, en effet, de grandes difficultés juridiques, techniques, mais aussi politiques. Il nous fallait éviter plusieurs écueils ; je crois que nous y sommes parvenus. D’abord, nous focaliser sur la crise actuelle, sous le coup de l’émotion, au lieu d’anticiper les crises futures. Ensuite, faire de l’outil technologique une fin en soi et non un moyen. L’idée, en effet, n’était pas de créer un Parlement virtuel, peuplé de députés virtuels ; notre groupe a été très attentif à cet égard : des députés connectés, oui, mais non virtuels. Enfin, nous ne devions pas oublier de préserver le rôle du député en circonscription, qui a été essentiel pendant la crise présente et le sera certainement lors des crises futures. La création d’une boîte à outils permet de traiter cette difficulté.

Notre groupe a enrichi le texte, notamment s’agissant des outils numériques. À ce propos, il nous faudra, demain, disposer d’outils souverains et, à cette fin, nous devrions encourager le développement d’applications françaises dans les semaines et les mois à venir.

Dans cette crise entièrement inédite, notre institution a besoin d’agilité. Les propositions du groupe de travail témoignent d’un consensus à la hauteur du défi que nous avions à relever pour que notre Assemblée puisse aborder les crises futures.

M. Philippe Gosselin. Je salue à mon tour chaleureusement l’investissement de Sylvain Waserman et l’intérêt du travail accompli sous sa présidence. Le groupe Les Républicains s’est efforcé de jouer le jeu : nous avons mené l’enquête auprès de nos collègues et préparé une synthèse des propositions qui en ont découlé – des propositions sérieuses, construites et solides, qu’on les approuve ou non. Je me réjouis que plusieurs d’entre elles soient reprises dans le projet de rapport.

Il est exact que nous ne saurions être des députés virtuels, membres d’un e-Parlement éthéré, désincarné. Nous devons être présents le plus possible sur place – dans la limite, bien sûr, des contraintes sanitaires, sans oublier les autres circonstances et crises possibles, envisagées dans le projet de rapport. Et puisque nous marchons sur deux jambes, Paris et la circonscription, nous devons donc également être efficaces lorsque nous rejoignons cette dernière.

La boîte à outils, sans doute encore à parfaire, est déjà très riche et nous convient bien. Nous sommes très attachés au fait que le fonctionnement visé soit cantonné aux temps de crise, ainsi qu’à la notion de représentativité politique : si une certaine souplesse est bienvenue, nous ne voulons pas d’une représentation forfaitaire telle celle que nous avons connue il y a quelques mois, sans doute nécessaire dans l’urgence et que nous n’allons pas continuer perpétuellement à critiquer puisqu’elle n’a plus cours, mais qui ne doit vraiment pas se reproduire.

La proposition de résolution tendant à modifier le règlement de l’Assemblée nationale qui sera issue de nos travaux devrait clairement mentionner cette notion de représentativité politique : cela correspond à l’état d’esprit ambiant, mais cela va mieux en le disant.

En outre, si la conférence des présidents a le grand avantage de réunir l’ensemble des sensibilités, le fonctionnement normal de notre institution repose plutôt sur le Bureau de l’Assemblée, au sein duquel la pondération des votes n’est pas la même. Si le rôle important de la conférence des présidents en temps de crise devait se confirmer, j’aimerais donc, bien que le projet de rapport écarte cette éventualité, que nous continuions à réfléchir à l’instauration d’une majorité qualifiée, afin d’obliger le groupe majoritaire, quel qu’il soit, à échanger largement et à s’allier le cas échéant à d’autres groupes. Je ne vise pas la majorité actuelle – c’est aux crises futures que nous réfléchissons – et je n’exprime aucune défiance à son endroit, mais n’écartons pas définitivement cette option, qui a l’avantage d’obliger au dialogue.

Il faut enfin réaffirmer la place et le rôle incontournable du Parlement. Nous sommes certes sous la Ve République, il ne s’agit pas d’empêcher l’exécutif de travailler en ayant les cartes en main, mais nous devons assumer nos fonctions, singulièrement en période de crise.

Pour le reste, nous sommes d’accord avec ce qui est proposé et estimons très appréciable le travail sérieux et approfondi qui a été effectué.

M. le président Richard Ferrand. Une précision : le projet de proposition de résolution indique bien que les mesures prises devront « ten[ir] compte de la configuration politique de l’Assemblée ».

M. Philippe Gosselin. Tout à fait. On peut considérer que cela revient à la représentativité dont je parlais.

M. Bertrand Pancher. Au nom du groupe Libertés et territoires, je félicite Sylvain Waserman de son action et des efforts d’écoute et de synthèse qui nous ont permis de travailler dans d’excellentes conditions.

Le choix de ne pas constituer de structure de travail ad hoc pour les temps de crise est le bon ; l’éventualité contraire aurait abouti à un fonctionnement de l’Assemblée au rabais.

La seule modification du règlement qui nous est finalement proposée consiste à introduire une option souple donnant toute latitude à la conférence des présidents pour adapter les modalités de discussion et de vote des lois, à savoir le cœur de la mission constitutionnelle du Parlement. Nous la voyons d’un bon œil.

Cependant, comme cela a été dit, il convient d’éviter l’écueil d’une décision confiée à la seule majorité au sein de cette instance. La recherche du consensus devrait y prévaloir autant que possible en situation de crise.

On nous propose également l’innovation du vote à distance sur l’ensemble d’un texte ou sur une déclaration du Gouvernement prévue par l’article 50-1 de la Constitution. Nous y sommes très favorables, et nous espérons même que cette voie sera explorée dans le cadre normal de nos travaux. Il n’y aurait rien de choquant, en effet, à ce que des textes soumis à scrutin public puissent faire l’objet d’un vote à distance, à condition que nous en soyons prévenus suffisamment tôt.

Nous accueillons aussi très favorablement l’idée de constituer des comités territoriaux d’information parlementaire associant les parlementaires et les préfets dans chaque département afin de contrôler la gestion de la crise. C’était l’une de nos demandes dans le cadre du projet de loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire.

Mme Géraldine Bannier. Au nom du groupe Mouvement démocrate et démocrates apparentés, je salue à mon tour l’écoute accordée à tous les groupes parlementaires au sein du groupe de travail, qui débouche sur des propositions de bon sens et mesurées.

Parmi les enjeux du rapport figure l’accès aux outils numériques à Paris comme en circonscription : la fracture numérique, voire l’ilectronisme, n’épargne pas les députés. Certains auraient voulu que l’on pousse plus loin le recours à ces outils, notamment en commission ; il faudra peut-être approfondir la réflexion à ce sujet pour l’avenir.

Quoi qu’il en soit, nous soutenons le projet de rapport.

Mme Sylvie Tolmont. Pour le groupe Socialistes et apparentés, la formalisation d’un fonctionnement hors norme de notre Assemblée en cas de force majeure va dans le bon sens. Nous prenons acte des propositions et orientations qui nous sont soumises à ce sujet.

Nous nous réjouissons que ces propositions s’inscrivent dans un cadre normatif constant et que les mesures plus radicales envisagées au début de nos travaux, comme la création d’un état d’urgence parlementaire, aient été écartées. Il s’agit en fait de consacrer dans notre règlement, en les améliorant, si possible, les dispositions appliquées au printemps 2020 et – malheureusement – de nouveau mises en œuvre du fait de la deuxième vague épidémique que nous vivons.

Nous accueillons nous aussi favorablement les outils envisagés pour faciliter l’exercice des fonctions parlementaires en mode dégradé, d’autant qu’ils ont été amendés, précisés et appuyés par des arguments.

Nous émettons cependant les réserves suivantes. Comme nous l’avons fait valoir au cours des précédentes discussions, la mise en œuvre d’un régime particulier de fonctionnement de l’Assemblée devrait être subordonnée à l’approbation unanime des groupes au sein de la conférence des présidents ou, au moins, à un vote à la majorité qualifiée, ainsi que certains collègues l’ont proposé. Dans sa rédaction actuelle, le projet de rapport prévoit que le recours à ce régime d’exception dépendrait de la décision de la conférence des présidents, donc du seul groupe majoritaire ; c’est pour nous un grand regret.

En effet, à situation exceptionnelle impliquant de déroger aux règles du droit commun, processus décisionnel également exceptionnel. Ce régime exorbitant du droit commun devrait donc s’appliquer sauf si un président de groupe s’y oppose. Car la limitation de la présence des députés et l’emploi de procédures telles que le vote à distance doivent demeurer exceptionnelles et supposent un consensus qui est accessible et souhaitable.

En outre, la rédaction de l’article unique du projet de proposition de résolution n’est pas assez formelle et comporte des angles morts. Ainsi, il est dit que « la conférence des présidents peut adapter temporairement les modalités de participation des députés aux réunions de commission et aux séances publiques », mais, le régime d’exception ne devant pas se prolonger, la durée pendant laquelle cette possibilité existe devrait être précisée, de même que les modalités de décision de retour au fonctionnement normal.

Enfin, dans la dernière version du projet de rapport est apparue une nouveauté qui mériterait elle aussi d’être explicitée : l’idée que « la définition des missions essentielles du député pourrait être validée par la conférence des présidents ».

 M. Thomas Gassilloud. Je salue également le travail accompli par M. Waserman. Au-delà de son énergie stable, son sens de la méthode permet de dégager un consensus.

Ces travaux ont fait l’objet d’échanges au sein du groupe Agir ensemble, sur lesquels s’appuient nos propositions. Les circonstances exceptionnelles actuelles peuvent durer et d’autres crises pourraient limiter la disponibilité physique des députés.

C’est pourquoi, même si la présence physique est préférable, il nous semble indispensable d’imaginer un fonctionnement parlementaire en temps de crise, et donc les outils juridiques et techniques permettant à l’Assemblée de délibérer et de voter. Grâce à la pratique des derniers mois, nous avons pu nous familiariser collectivement à l’exercice des visioconférences.

Je partage en grande partie le point de vue des précédents orateurs. Le groupe Agir ensemble souhaite en outre insister sur l’importance du vote électronique à distance lors de périodes de crise limitées dans le temps – comme la crise sanitaire actuelle. Ce serait une bonne chose en commission à court terme, mais également en séance publique si le dispositif est opérationnel en commission.

Bien entendu, cela implique plus largement le développement d’outils souverains. Si nous adoptons de tels outils au sein de l’Assemblée, nous améliorerons notre fonctionnement interne et nous le rendrons plus résilient face aux crises mais, surtout, nous donnerons une impulsion utile à l’ensemble du pays.

Je remercie à nouveau les participants au groupe de travail et M. Waserman. Nous espérons que ces propositions se transformeront prochainement en actes.

M. Jean-Christophe Lagarde. À mon tour, je remercie Sylvain Waserman pour son travail, qui comprend trois catégories de propositions. La première correspond à la boîte à outils. Je souhaiterais que l’évolution de ces outils fasse l’objet d’un travail commun autour de M. Waserman, avec un représentant par groupe, afin d’analyser les solutions alternatives, l’évolution de notre souveraineté numérique, etc.

La deuxième catégorie de propositions concerne la façon dont nous fonctionnons en situation dégradée – de crise. Elle n’appelle pas d’observation majeure. Je suis d’accord, il faut laisser de la souplesse ; de ce point de vue, la décision en conférence des présidents est adaptée. En effet, la difficulté est d’anticiper les crises qui peuvent survenir – M. Waserman a tenté de le faire : celles-ci peuvent être de nature politique ou sociale, l’indisponibilité des locaux peut être liée à une insurrection, etc. Les situations empêchant la délibération sont donc particulièrement variées.

On a beaucoup parlé de consensus ; je suis d’autant plus désolé de faire état d’un dissensus, mais la troisième catégorie de propositions, la plus sensible, conduira notre groupe à s’abstenir sur le rapport. La question centrale est simple : qui déclenche l’état de crise ? Vaut-il sans limite de durée ? Dans tous les autres états d’urgence, la clause de revoyure est en général fixée à un mois, et elle est nécessaire.

Comme l’a souligné notre collègue Gosselin, il ne s’agit pas de mettre en cause la majorité actuelle, mais elle n’est pas éternelle. Si, demain, nous nous retrouvons dans des situations politiques plus compliquées, ou face à des gens moins respectueux de la démocratie, nous prenons là des risques. En l’état de sa rédaction, l’article dispose qu’en cas de force majeure, la majorité décide seule de bouleverser totalement le mode de fonctionnement parlementaire. Cela nous semble extrêmement dangereux et je veux alerter tous nos collègues.

Nous aurons ce débat en commission : il faut trouver un verrou, qui ne doit pas devenir un mode de chantage pour un groupe – il faut éviter, par exemple, qu’un groupe d’extrême droite puisse tout bloquer dans l’institution. Il convient donc de parvenir à un équilibre. Monsieur Waserman, je vous ai écrit à ce propos et vous m’avez répondu que ce serait une source de complexité supplémentaire. Mais, à mon sens, laisser les choses en l’état est facteur de danger. Il ne s’agit pas de remettre en cause le modèle de délibération ou de prise de toutes les décisions, mais les modalités d’entrée en situation de gestion de crise.

Je ne prétends pas connaître la bonne solution – le verrou pourrait être l’opposition de deux ou trois présidents de groupes politiques, par exemple –, mais ce n’est pas parce qu’elle est difficile à trouver qu’il ne faut pas la chercher ! Demain, un tel outil pourrait aussi servir au putsch d’un chef d’État mécontent. S’appuyant sur ces dispositions, et sur l’article 16 de la Constitution – simple à utiliser –, il pourrait parfaitement renvoyer la plupart des députés chez eux sous prétexte qu’il dispose d’une majorité. Les oppositions démocrates ne seraient alors pas protégées. Il faut y réfléchir avant la séance qui entérinera la modification du règlement.

M. le président Richard Ferrand. Bien entendu, tous les éléments évoqués devront être discutés, afin de dissiper les craintes exprimées. Dans un premier temps, je vous propose d’adopter le rapport. Nous verrons ensuite comment nous procéderons pour donner suite à ce rapport, sans doute enrichi des observations et des interrogations des uns et des autres.

M. Sébastien Jumel. Je salue la tenue et les modalités de fonctionnement du groupe de travail, qui ont permis, selon une démarche d’écoute, à tous les groupes d’opposition d’aboutir à un consensus sur le rapport présenté.

Sur le fond, face à la crise sanitaire et à d’autres crises qui pourraient advenir, nous sommes d’accord : il n’est pas souhaitable d’institutionnaliser un mode de gestion de crise relevant d’une gouvernance et d’un corps de règles spécifiques, car le Parlement a déjà été suffisamment affaibli. Bien entendu, il doit s’adapter en temps de crise, mais il ne faut pas créer un organe de gestion de crise qui reviendrait à le déposséder.

Nous saluons donc le refus transpartisan de la création d’un état d’urgence parlementaire. Celui-ci poserait d’ailleurs de nombreuses questions constitutionnelles, sur le fond comme sur la forme. Le Parlement ne peut pas être un organe réduit en temps de crise. Au contraire, il doit donner l’exemple.

Le rapport revient sur les mesures à prendre, mentionne les difficultés pratiques des parlementaires à assumer leurs missions en temps de crise, détaille la logistique de gestion de la crise sanitaire – accès à des véhicules, matériel sécurisé pour se réunir à distance, etc. Nous saluons cet effort. Il faudra mettre ces propositions en œuvre le plus rapidement possible.

Nous sommes également satisfaits que le rapport sanctuarise l’Assemblée nationale comme lieu de délibération et exclue de se pencher sur l’hypothèse d’une impossibilité complète de réunion des parlementaires – qui tomberait de toute façon sous le coup de l’article 16 de la Constitution.

À l’inverse, s’agissant des votes sur l’ensemble d’un texte ou sur la déclaration du Gouvernement en application de l’article 50-1 de la Constitution, nous sommes en désaccord avec les préconisations du rapport à l’égard du vote à distance. Il ne faut pas faire primer la gestion de crise sur la démocratie. Cela introduit en outre l’idée que la réunion des parlementaires n’est pas une condition formelle de la démocratie. Or nous pensons qu’elle l’est.

Enfin, le rapport propose de renforcer une boîte à outils en temps de crise par différentes dispositions. Nous saluons ainsi la création de binômes majorité-opposition dans chaque commission, même s’il faudra être vigilants quant à la constitution de ces binômes – il ne faudrait pas qu’elle favorise les deux principaux groupes parlementaires.

Plusieurs dispositions sont positives, même si certaines relèvent un peu du gadgets : questions écrites et contributions écrites, qui ne remplacent évidemment pas l’oral et le contradictoire, qui font la démocratie ; promotion des réunions entre les parlementaires et les préfets à l’échelon local comme lieux de co-élaboration avec les acteurs de proximité, où les parlementaires peuvent jouer un rôle – et non comme lieu d’information sur les décisions ; semaine de contrôle de l’action gouvernementale en sortie de crise. Ce dispositif, utile, ne doit pas se borner à valider un état de fait, comme nous l’avons vécu au printemps.

En conclusion, nous soulignons un travail de qualité, équilibré, qui interroge malgré tout sur la gestion de crise et les rapports de pouvoir entre institutions : rien sur le recours aux ordonnances ; rien sur les modalités de transition de l’état de crise à l’état « normal » et la reprise des rendez-vous réguliers ; rien sur le rééquilibrage du rapport entre Parlement et Gouvernement, alors que le Parlement est, trop souvent, une chambre d’enregistrement. Mais ces sujets sont connexes à celui qui nous occupe.

M. Richard Ferrand. Le rapport du groupe de travail sera, je le répète, une base de discussion pour la conférence des présidents.

Je remercie à mon tour Sylvain Waserman et me félicite d’avoir pris l’initiative de ce groupe transpartisan. Lors de sa constitution, je me souviens du scepticisme exprimé sur sa pertinence ou son utilité… Quand les bonnes idées sont confiées aux bons collègues, cela produit du bon travail !

M. Philippe Gosselin. Je souhaite donner une explication de vote. Je le répète, nous ne manifestons aucune défiance à l’égard de la majorité actuelle et le travail réalisé est de grande qualité. Mais, à ce stade, mon groupe souhaite s’abstenir. J’entends la proposition du président et de Sylvain Waserman, qui ne veulent pas de majorité qualifiée en conférence des présidents, mais il convient de clarifier quelques éléments concernant la sortie de l’état de crise.

Nous vous demandons encore un petit effort pour nous associer pleinement à la démarche. Par la qualité de ce que nous avons proposé et celle de nos échanges, nous avons démontré que nous jouions le jeu démocratique, avec sincérité et honnêteté.

M. le président Richard Ferrand. Je vous rappelle le processus : le rapport va être adopté ; il servira de base de discussion à la conférence des présidents, où tous les groupes politiques sont représentés. Ensuite, la commission des lois se saisira de nos conclusions, puis le texte sera examiné en séance publique.

Ainsi, le rapport est une base solide de travail, mais l’approuver ne signifie pas que ses conclusions s’appliqueront sans débat. Ce dernier va se poursuivre dans les différentes instances de l’Assemblée et aboutira sans doute aux modifications qui s’imposent, afin de prendre en compte les éléments portés à notre connaissance.

M. Sébastien Jumel. Nous sommes, nous aussi, dans une logique d’abstention constructive – un tiens vaut mieux que deux tu l’auras. Le rapport va dans le bon sens, mais nous devons continuer à discuter du choix de la majorité qualifiée pour déclencher le processus de crise et en sortir.

M. le président Richard Ferrand. Je note donc l’abstention des groupes Les Républicains, de la Gauche démocrate et républicaine, ainsi que de l’UDI et indépendants.

Mme Sylvie Tolmont. Nous nous abstiendrons également à ce stade, même si nous avons bien intégré que le travail va se poursuivre. Nous restons réservés sur le processus décisionnel permettant de déclencher et de faire cesser ce mode de fonctionnement hors norme.

M. le président Richard Ferrand. J’ajoute l’abstention du groupe Socialistes et apparentés. En l’absence d’opposition, le rapport est adopté.

Je vous donne rendez-vous pour la conférence des présidents du 17 novembre. Elle sera saisie du rapport et des remarques et objections que vous avez formulées.

 

La réunion se termine à dix heures quinze.

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