Compte rendu

Commission spéciale
chargée d’examiner
le projet de loi
confortant le respect
des principes de la République

– Audition, autour d’une table ronde, de l’Association des maires de France (AMF), de l’Assemblée des départements de France (ADF), de Régions de France, de l’Assemblée des communautés de France (AdCF) et de France Urbaine              2

– Présences en réunion.................................28


Mercredi
6 janvier 2021

Séance de 14 heures 30

Compte rendu n° 15

session ordinaire de 2020-2021


Présidence de M. François de Rugy, président


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COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE D’EXAMINER
LE PROJET DE LOI CONFORTANT
LE RESPECT DES PRINCIPES DE LA RÉPUBLIQUE

Mercredi 6 janvier 2021

La séance est ouverte à quatorze heures trente-cinq.

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La commission spéciale procède à l’audition, autour d’une table ronde, de :

 l’Association des maires de France (AMF), représentée par M. François Baroin, président, M. Gilles Platret, maire de Châlon-sur-Saône et président du groupe de travail laïcité de l’AMF, de Mme Aurore Mouysset, directrice de cabinet, et de Mme Charlotte de Fontaines, chargée des relations avec le Parlement ;

 l’Assemblée des départements de France (ADF), représentée par M. Alexandre Touzet, vice-président de l’Essonne, délégué à la prévention de la délinquance, à la sécurité et à la citoyenneté, M. Jean-Baptiste Estachy, conseiller sécurités, et Mme Ann-Gaëlle WernerBernard, conseillère pour les relations parlementaires ;

 Régions de France, représentée par M. Renaud Muselier, président et président de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur ;

 l’Assemblée des communautés de France (AdCF), représentée par M. Sébastien Martin, président et président du Grand-Châlon, M. Nicolas Portier, délégué général, et Mme Montaine Blonsard, responsable des relations parlementaires ;

 France Urbaine, représentée par Mme Johanna Rolland, présidente, maire de Nantes, présidente de Nantes Métropole, M. Emmanuel Heyraud, directeur chargé de la cohésion sociale et du développement urbain, et Mme Catherine Vautrin, présidente de la communauté urbaine Grand Reims.

M. le président François de Rugy. Mes chers collègues, nous recevons M. François Baroin, président de l’association des maires de France (AMF) et maire de Troyes, accompagné de M. Gilles Platret, président de la commission laïcité et maire de Chalon-sur-Saône ; M. Alexandre Touzet, vice-président du conseil départemental de l’Essonne, représentant l’association des départements de France (ADF) ; M. Sébastien Martin, président de l’Assemblée des communautés de France (ADCF) et Mme Johanna Rolland, maire de Nantes, présidente de la communauté urbaine de Nantes métropole et présidente de France urbaine.

J’indique que le président de l’Association des régions de France m’avait donné son accord pour participer à cette audition, mais qu’il en a été empêché, ainsi que ses collègues, par la tenue d’une réunion de tous les présidents de région sur la stratégie vaccinale.

Madame, messieurs les présidents d’association d’élus et de collectivités, nous sommes heureux de vous accueillir pour cette audition sur le projet de loi confortant le respect des principes de la République. Il nous paraissait indispensable d’auditionner des représentants d’élus de différents niveaux de collectivité.

Vous le savez, ce projet de loi comporte plusieurs articles qui concernent directement les collectivités et nous souhaitons vous entendre sur cet aspect.

M. François Baroin, président de l’Association des maires de France. Permettez-moi, tout d’abord, de vous souhaiter une bonne année 2021 et d’en profiter pour vous rappeler que nous sommes disponibles pour aborder tous les sujets relatifs à l’évolution de l’épidémie sur notre territoire. Nous avons fait part à maintes occasions de la disponibilité des maires et des intercommunalités, au côté de l’État, pour protéger les Français.

Le texte à propos duquel vous nous sollicitez est attendu et espéré, et d’abord au regard des responsabilités des maires en tant qu’agents de l’État pour un certain nombre de missions. Également officiers de police judiciaire, nous avons à connaître du rôle et de la coordination des différents moyens de lutte contre l’islamisme radical. Nous sommes, enfin et peut-être surtout, animateurs d’équipes locales issues du suffrage universel – malgré quelques éclipses, celui-ci est l’unique moyen de gouverner dans une démocratie et une République comme la nôtre. À ces titres, le texte pourrait conforter notre rôle et notre place dans la remontée d’informations qui permettront ensuite à chacun de jouer son rôle tel qu’attendu dans un régime républicain et un dispositif démocratique de lutte contre toutes les formes d’extrémisme. Celles, en particulier, visant les fondements de la République, les principes démocratiques et la conception occidentale de la liberté doivent nous conduire à être des acteurs de premier plan au côté de l’État.

Ce texte affirme la volonté de lutter contre l’islamisme radical, qui prend la forme d’un désordre public, l’ordre public étant l’État. Au regard du droit, les maires ont la charge – et n’en demandent pas plus – de garantir la tranquillité du voisinage et d’être, dans le cadre de conventions, des agents au service de l’État, en tant que de besoin, en cas de désordres de tranquillité de voisinage virant à une problématique d’ordre public. Mais à chacun son métier, l’ordre public est une mission régalienne de l’État, ce qui ne fait l’objet d’aucune contestation, sauf de manière marginale par quelques élus. La volonté des maires n’est pas de remplacer l’État pour assurer le respect de l’ordre public mais d’être à son côté pour l’établir, le préserver et le maintenir.

Ainsi souhaitons-nous répondre à vos questions relatives au titre Ier, dont l’objet est de garantir le respect des principes républicains, concernant les problématiques de neutralité religieuse et politique dans l’espace public. C’est précisément le principe de surveillance de nos espaces publics qui doit être clairement défini. Les collectivités et communes disposent de beaucoup d’espaces publics – hôtels de ville, mairies annexes, complexes sportifs, piscines, espaces culturels et extensions de ces divers bâtiments –, et les communes sont les plus grands propriétaires fonciers d’espaces du service public.

J’ai eu l’honneur d’être parlementaire pendant de nombreuses années. Je suis d’ailleurs parlementaire honoraire, situation qui n’existera probablement plus, puisqu’il faut pour cela avoir effectué trois mandats successifs – bonne chance aux élus de cette législature !

M. le président François de Rugy. Revenons-en au texte, monsieur le président !

M. François Baroin. Cela pour dire que vous êtes des législateurs et que vous pouvez vous appuyer sur de bons administrateurs ; il serait très intéressant que vous puissiez travailler sur une définition d’un espace du service public, à laquelle mes collègues et moi-même avons commencé à réfléchir mais qui n’est pas tout à fait aboutie.

On sait ce qu’est le service public, on voit à peu près sous quelle forme il s’exerce. On voit l’intention du Gouvernement dans son texte, notamment sur la problématique des transports publics. Comme président de l’Association des maires de France, je suis demandeur d’une réflexion sur l’espace du service public. L’espace du service public, c’est la mairie et les mairies annexes ; c’est un complexe sportif avec ses vestiaires, sa salle d’attente, ses salles d’accueil ; c’est une piscine, avec l’espace d’arrivée, les salles d’attente, les vestiaires ; c’est un stade de foot, son espace d’arrivée et son cadre général. Ce sont naturellement aussi les transports publics. Dans le texte, le Gouvernement articule sa réflexion autour de la délégation de service public ; si le Parlement faisait progresser cette notion, cela pourrait éclairer l’opinion publique. Un espace du service public favoriserait une reconquête territoriale par les principes de neutralité auxquels nous sommes tous attachés, eux-mêmes allant dans le sens du renforcement, de l’affermissement, du ressourcement de nos principes républicains et de leur extension territoriale. Cela fait beaucoup de questions à trancher, mais la notion de neutralité d’un espace du service public pourrait utilement animer vos débats.

Le même esprit anime notre réflexion sur les associations. Le sujet inclut les chartes de la laïcité et leur acceptation, la traçabilité et le suivi des subventions attribuées par les communes ou les intercommunalités au milieu associatif utilisant l’espace public et, si vous en décidez, l’espace du service public. Un cadre général pourrait être fixé par la loi rendant obligatoire la formation des représentants associatifs au partage des obligations fixées par une charte de la laïcité et de neutralité, étant entendu que la neutralité n’est pas seulement religieuse, elle est absolue. Le débat devrait déboucher sur la neutralité à la française du service public – de l’espace du service public, si vous en décidez –, celle-ci permettant de brasser toutes les dimensions et d’apaiser les tensions en s’imposant à tous comme principe fondateur de notre République au nom duquel tous les usagers du service public sont au même rang d’obligation, parfois peut-être à des degrés divers. L’obligation va du premier euro versé à la traçabilité, au suivi et au rendu compte. Nous pouvons être utiles en mettant en place, dans chaque commune de France, des commissions de formation et de suivi, des systèmes d’alerte et de veille pour faire remonter des problématiques particulières et s’inscrivant dans un cadre légal général.

Je passe rapidement sur la lutte contre la haine en ligne et les menaces contre les élus, qui sont au cœur de la déstabilisation républicaine. À cet égard, nous avons salué les initiatives du Gouvernement visant à la constitution de couples préfet-maire et maire-procureur de la République en fonction des missions. Le problème concerne aussi tous ceux qui, directement ou indirectement, sont des acteurs du service public aux côtés des élus, qu’ils appartiennent au milieu associatif, aux associations paramunicipales ou qu’ils travaillent dans les centres municipaux d’action sociale. Le Parlement pourra améliorer le texte, mais d’ores et déjà des avancées vont dans la bonne direction.

Concernant le titre II et le libre exercice du culte, il n’y a pas de remise en cause des missions régaliennes : la responsabilité de la surveillance des cultes appartient incontestablement au ministère de l’intérieur, donc à l’État. Cependant, nous ne voudrions pas que le préfet puisse se substituer au maire si l’État considérait que celui-ci n’avait pas suffisamment assuré un travail de suivi d’une autorisation de permis de construire d’un lieu de culte ou de financement d’un cadre général. Si nous apprécions que les représentants de l’État dans les départements prennent un peu plus et un peu mieux leurs responsabilités grâce au nouveau texte, nous ne voudrions pas que les maires soient effacés du dispositif législatif en matière de délivrance de permis de construire. Octroyer un permis de construire est une prérogative municipale ; l’État ne saurait s’appuyer sur ce texte pour remplacer le maire. C’est là un sujet sensible, parce qu’il s’ajoute à d’autres sur lesquels nous avons maille à partir avec l’État.

Des avancées restent à accomplir en matière de financement et de suivi, mais je suis persuadé que vous trouverez le bon équilibre.

Concernant l’accès aux informations sur les individus signalés, fichés S ou non, il est insupportable pour un maire d’apprendre dans la presse la présence sur son territoire de quelqu’un qui, directement ou indirectement, a été impliqué dans des attentats, dans des actes liés à l’islamisme radical ou qui a fait du prosélytisme en faveur de ces théories. Nous souhaitons une avancée en matière d’information. Nous y avons déjà travaillé sous les précédents gouvernements, notamment avec Bernard Cazeneuve, lorsqu’il était au ministère de l’intérieur puis à Matignon. Nous souhaitons que le maire ait accès à ces informations, au côté du procureur, voire du préfet. Ce n’est certes pas facile : le schéma de lutte antiterroriste étant centralisé sous l’autorité d’un procureur national, il y a des informations relatives au suivi de décisions judiciaires que nous n’avons pas à connaître, et pourtant elles peuvent avoir des conséquences liées à la présence de ces individus dans nos territoires. Nous souhaiterions également bénéficier d’informations sur d’autres sujets pouvant faire l’objet d’enquêtes administratives. Nous aimerions que la loi permette aux maires d’avoir accès à des données personnelles, dans le cadre d’un contrôle strict, pour qu’ils sachent précisément ce qui se passe dans leur territoire.

M. Alexandre Touzet, représentant l’Assemblée des départements de France (ADF). Je vous prie d’excuser le président Dominique Bussereau, retenu par des obligations locales. Il m’a chargé, en tant que président de la commission de prévention de la délinquance et de la radicalisation de l’ADF, de vous présenter quelques éléments.

Nous considérons que la notion de séparatisme n’appréhende qu’incomplètement l’ensemble du sujet. Dans l’exercice des compétences en matière de collèges, de protection de l’enfance, de service de protection maternelle et infantile (PMI), de maisons départementales des solidarités (MDS) et de médiathèques départementales, les conseils départementaux, leurs élus et leurs agents sont confrontés à une sorte de communautarisme de repli par lequel une communauté tend à se refermer sur elle-même, à s’éloigner de la trajectoire d’un citoyen éclairé ou de notre héritage humaniste, et à se séparer de l’ensemble républicain.

Nous faisons également face à un communautarisme de contestation de la communauté républicaine, qui se manifeste factuellement par la contestation du règlement de la restauration scolaire ou du dispositif d’accompagnement pédagogique dans les collèges, par exemple.

Le communautarisme violent est traité par des mesures relevant de l’état d’urgence introduites dans le droit commun, mais des problèmes restent posés aux collectivités, tels que la sécurisation des établissements ou l’harmonisation des dispositifs d’alerte entre écoles maternelles et primaires, collèges et lycées. Nous pourrions y travailler ensemble. Face à un mécanisme de communautarisme violent, toujours sidérant, il convient d’assurer la formation des personnels afin de renforcer la résilience des enfants et des jeunes

Le sujet est particulièrement difficile à aborder dans nos collectivités. Longtemps, nous avons été retenus par un sentiment de culpabilité ; par crainte de l’amalgame, nous avons eu peur de traiter au fond un sujet qui monte dans nos territoires et qui réclame, qui plus est, une réponse complexe, qui n’est pas uniquement soit individuelle, soit sociale, soit sécuritaire, mais qui prend la forme d’un cocktail de mesures.

Trois points me paraissent importants à développer, le premier étant le partenariat État‑collectivités. Je suis surpris de la faiblesse du diagnostic posé par l’étude d’impact s’agissant du phénomène séparatiste. L’ampleur de celui-ci justifierait un travail partagé entre l’État et les différents niveaux de collectivité. Quelques études ont suscité des polémiques, notamment un sondage de l’IFOP publié en 2020 révélant la proportion de jeunes âgés de moins de 25 ans préférant les convictions religieuses aux convictions républicaines, et le livre d’Olivier Galland et d’Anne Muxel, La tentation radicale. Enquête auprès des lycéens, mais peu d’éléments de diagnostic partagé permettent d’aborder le sujet de façon lucide et sereine.

Au titre du partenariat État-collectivités, il manque aussi une définition partagée des actions. Le plan national de prévention de la radicalisation a été élaboré un peu en chambre, les services de l’État parlant aux services de l’État. Il serait intéressant de disposer d’un travail partagé avec les collectivités, d’une territorialisation de ce plan national et d’une évaluation partagée. Il conviendrait d’assurer localement l’information et la formation des élus, puisque le travail de fond d’information, de mobilisation et de concertation avec les élus, réalisé dans nos territoires après les attentats de masse de 2015, a été abandonné.

L’article 2 après sa réécriture est plus convenable que dans sa rédaction initiale, qui pouvait laisser penser que le problème majeur de la radicalisation en France était, de façon surprenante, les collectivités locales. L’administration nous a d’ailleurs indiqué qu’il s’agissait de moins de dix cas par an, pour lesquels une procédure contentieuse n’était pas la plus appropriée.

L’ADF souhaite que soit repris le recours obligatoire aux dispositifs d’aide à l’évaluation des minorités, qui a été retiré du texte et auquel elle était plutôt favorable. En outre, elle appelle l’attention sur l’effet déstabilisant dans certains quartiers des sortants de prison condamnés pour des faits d’apologie ou d’association de malfaiteurs, pour lequel un travail partenarial entre l’État et les collectivités serait utile.

Le deuxième point concerne le périmètre d’application des principes républicains. L’ADF est plutôt favorable à son extension aux organismes chargés des services publics et aux associations, ce qui correspond à une vision protéiforme de l’action publique. Dans le département de l’Essonne, nous accompagnons les dirigeants et les personnels, parce que les associations peuvent être mises sous tension par certains de leurs membres.

J’appelle l’attention sur la nécessité d’instaurer des conférences de financeurs dans les départements pour partager l’information entre différents niveaux de collectivité et l’État, et pour s’assurer que des associations peu recommandables ne sont pas financées.

Le troisième point concerne les mesures de protection du personnel des collectivités. Les articles 4 et 5 et, dans une certaine mesure, l’article 18 sur la haine en ligne sont des mesures tout à fait bienvenues. Sans même parler du communautarisme, la crise sociale rend parfois difficile la relation entre les usagers de nos services publics et les personnels des collectivités.

En matière de protection de la collectivité vis-à-vis des candidats à la fonction publique et des fonctionnaires, l’article 3 prévoit l’extension du champ d’application du fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions terroristes (FIJAIT). C’est une bonne mesure mais sans doute insuffisante, car elle n’apporte pas de garantie s’agissant de la radicalisation éventuelle d’agents travaillant dans nos collectivités. Le FIJAIT mentionne les condamnations mais pas le constat de la radicalisation hors condamnation. Se pose également la question du criblage de nos collaborateurs au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) et l’information de la collectivité. En particulier, pour les fonctions liées à la protection de l’enfance, à la prévention spécialisée, à la restauration scolaire ou dans les collèges en général, la collectivité doit être sûre de ses collaborateurs. Là encore, des mesures d’accompagnement et de formation du personnel s’avèrent importantes.

En conclusion, et pour élargir le débat, peut-être devrions-nous réfléchir, nous, élus, au discours que nous tenons sur la France et la République, car cette spécialité française qu’est le dénigrement de nos institutions pourrait constituer un point de faiblesse. Si nous ne nous aimons pas nous-mêmes, comment faire aimer la France et la République à nos concitoyens ? L’élaboration d’un contre-discours face au communautarisme passe aussi par un récit positif de l’histoire de notre pays et l’élan vers la République de la part de tous les élus.

M. Sébastien Martin, président de l’Assemblée des communautés de France (ADCF). Notre instance s’appelle aussi Intercommunalités de France.

Nous nous sommes réjouis, avec France urbaine et l’AMF, du retrait de deux articles relatifs au logement social figurant dans l’avant-projet de loi, qui visaient à légiférer par voie d’ordonnances. Toutes les associations d’élus s’accordaient pour demander qu’un sujet aussi important soit traité autrement. Le futur projet de loi sur la décentralisation dit «  4D » sera sûrement le bon véhicule législatif.

D’une manière générale, ce texte comporte des points positifs, soulignés par les associations d’élus.

Concernant la gestion déléguée d’un service public et la commande publique, écrire dans la loi ce qui relevait jusqu’à présent de la jurisprudence, que nos délégataires de service public sont soumis au principe de neutralité et de laïcité, est une bonne chose, de même que les clauses permettant de s’assurer du respect des principes et d’appliquer des sanctions aux attributaires de la commande publique qui ne les respecteraient pas. S’il est nécessaire de fixer des principes, encore faut-il se donner les moyens de les faire respecter.

Des moyens sont donnés aux collectivités pour protéger les agents du service public : la création d’une nouvelle infraction pénale, l’extension du dispositif de signalement et la création d’un nouveau délit de mise en danger de la vie d’autrui par diffusion d’informations sur les réseaux sociaux.

Les collectivités sont également concernées par le chapitre sur les associations. François Baroin a parlé du contrat d’engagement républicain visant à s’assurer que les moyens accordés sont utilisés dans le respect des principes républicains. Faut-il y inscrire la laïcité ? Une liste des valeurs figure, mais il nous paraît nécessaire d’apporter des précisions sur les modalités pratiques de ce contrat.

Intercommunalités de France approuve la philosophie du texte et les mesures proposées. Reste, mesdames, messieurs les parlementaires, que vous faites la loi et que vous contrôlez l’action du Gouvernement, c’est-à-dire les modalités de mise en œuvre des textes. Il est bon de voter des lois mais, ce qui compte, c’est le mécano qui fait suite sur le terrain. Alexandre Touzet l’a dit, au cœur de ces sujets et d’autres, dont certains d’actualité, on voit bien qu’il y a l’articulation entre l’État et les collectivités. Sans doute l’émotion suscitée par l’odieux assassinat du professeur Samuel Paty renforce-t-elle l’importance de ce texte, et celui-ci intervient-il après le discours du Président de la République aux Mureaux, mais n’oublions pas qu’il s’inscrit dans une stratégie globale de coordination entre l’État et les collectivités territoriales, et dans une action partagée. Le plan national de prévention de la radicalisation date de 2018 et plusieurs mesures – au moins cinq – concernent les élus et les collectivités. La proposition de loi relative à la sécurité globale, la stratégie de prévention de la délinquance 2020-2024 ou le livre blanc sur la sécurité intérieure insistent tous sur les enjeux de coordination et de continuum de sécurité entre l’État et les collectivités. La mise en place de conventions de coordination est même préconisée.

Ces enjeux se retrouvent d’ailleurs dans une compétence relevant des intercommunalités, qui est celle des contrats de ville. Ceux-ci peuvent inclure les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), les conseils intercommunaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CISPD) et d’autres éléments qui doivent vraiment, au-delà du projet de loi sur lequel nous intervenons aujourd’hui, refléter la philosophie d’être chacun en responsabilité et à sa place, mais tous ensemble mobilisés. L’ADCF, avec France urbaine, avait d’ailleurs soutenu cette approche dans le pacte de Dijon adopté en juillet 2018, prévoyant des engagements communs et partagés entre l’État, le bloc local des communes et des communautés, et acteurs de terrain. Il prévoyait des engagements pour lutter contre l’isolement des mères de famille, contre le non-recours au soin, pour une meilleure coordination des polices municipales, nationale et de la gendarmeries ainsi que pour la liberté des femmes d’aller et venir dans l’espace public.

Ce projet majeur apporte des solutions, mais nous n’oublions pas le cadre global dans lequel il s’inscrit, ni la nécessité de renforcer les moyens de formation des élus. Le budget de 150 millions d’euros du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) ne suffit pas. Il est nécessaire d’agir collectivement pour confiner l’influence des réseaux islamistes, qui sont généralement présents là où la puissance publique – étatique, communale, intercommunale, départementale ou régionale – a laissé un vide.

Mme Johanna Rolland, présidente de France urbaine. Mon propos liminaire sera articulé autour de trois questions simples.

Premièrement, de quels principes parle-t-on ? L’exposé des motifs cite la liberté, l’égalité, la fraternité, l’éducation et la laïcité, mais une lecture attentive révèle que le sujet majeur est la laïcité, principe essentiel auquel nous sommes, les uns et les autres, particulièrement attachés, un des piliers de notre pacte républicain, valeur à la fois émancipatrice pour chaque citoyen et cadre commun qui les rassemble dans la diversité. Les autres principes fondamentaux, notamment la liberté et l’égalité, sont présents mais n’apparaissent pas fondateurs du texte. L’éducation, fondamentale, est érigée en principe, mais d’autres le sont tout autant, comme la dimension sociale et démocratique de notre République, comme le précise l’article 1er de la Constitution. Je le dis parce qu’il y a un risque à, d’un côté, affirmer une ambition très générale et, de l’autre côté, proposer un texte ayant pour ambition, clairement explicitée dans l’exposé des motifs, de lutter contre les idéologies dites séparatistes et l’islamisme radical. Inutile de développer le danger majeur que représente cette idéologie et les terribles attentats qu’elle a suscités, ces dernières années. Ce combat doit être mené sans faiblesse, sans ambiguïté, sans relativisme, avec une fermeté certaine, et le texte contient des avancées.

Cependant, d’autres points nécessitent d’être approfondis, et d’abord s’agissant des libertés publiques, au sujet desquelles le Conseil d’État a émis des réserves. Je pense à l’article 18 créant le nouveau délit de mise en danger de la vie d’autrui par diffusion d’informations. Comme l’a dit Sébastien Martin, on voit comment le crime odieux commis sur Samuel Paty a conduit à cette réflexion, mais il faut se pencher sur les conséquences de cet article. La précision apportée par le Conseil d’État mériterait d’être inscrite dans ce texte, car si la protection de nos enseignants, et globalement de toutes celles et de tous ceux qui assurent en première ligne une mission de service public, est essentielle, la protection et la liberté de la presse le sont tout autant.

Ensuite, j’alerte sur le sens que pourrait prendre cette loi à travers le prisme des débats qui auront lieu dans l’hémicycle et au-delà. Nous sommes à la recherche d’une avancée universaliste assumée : la laïcité a vocation à s’imposer à tous et partout. Il ne faudrait pas cependant, qui plus est dans le contexte actuel, que cette loi soit perçue comme visant particulièrement une religion, en l’espèce la religion musulmane. Si le débat se déportait sur ce champ-là, l’objectif collectif de rassembler la nation autour de nos principes républicains serait manqué.

Deuxièmement, en quoi concrètement, du point de vue des maires des grandes villes, des présidents d’intercommunalités et des métropoles, ce projet de loi peut-il être efficace ?

Une série de dispositions, aux articles 3, 4 et 5, permettent de renforcer la lutte contre l’islamisme radical et d’améliorer la protection de nos agents. Nous y sommes sensibles mais ces avancées ne sont pas suffisantes ; si l’on ne pose pas en même temps la question des moyens dédiés à la justice, à la police et à la formation, c’est-à-dire des rapports de confiance entre une partie des Français et de la police républicaine, une partie de l’objectif ne sera pas atteignable.

Les dispositions relatives à la dignité de la personne humaine sont également à saluer. Je pense notamment à l’interdiction des certificats de virginité et à la lutte contre les mariages forcés, même si des communes ont d’ores et déjà pris des initiatives sur ce sujet, notamment en formant leurs personnels. Là aussi, il y a intérêt à travailler en convergence et main dans la main pour être le plus possible ancré dans la réalité.

D’autres dispositions me laissent plus perplexe. C’est le cas de l’article 2 qui étend la procédure de référé-liberté exercée par le préfet. Je le dis tranquillement mais fermement : les défaillances qui, à l’évidence, existent ici ou là parmi les élus doivent être sanctionnées, mais la base légale pour le faire existe. Quelle serait donc la plus-value réelle face au risque de discrédit des élus de la République, qui sont pourtant les premiers remparts et les premiers artisans de la République du réel et du quotidien ? Il est essentiel de ne pas donner collectivement le sentiment de leur imputer une responsabilité qu’ils n’ont pas, d’autant que cela soulève, une nouvelle fois, la question des échanges d’informations dont l’État a connaissance au sein des cellules départementales de lutte contre l’islamisme et le repli communautaire. Il faut trouver des modalités d’avancée. Le sujet n’est pas simple, mais nous avons besoin de travailler ensemble pour trouver les bonnes réponses, car les textes passent, les dispositifs aussi, mais le sujet reste bloqué.

Une dernière disposition inquiète les élus de France urbaine, à savoir l’exemption de droit de préemption urbain dans certaines situations, prévue à l’article 32. Nous ne voyons pas bien le rapport avec le projet de loi et demandons son retrait.

Cela m’amène aux limites de ce projet de loi.

Hormis ceux qui combattent la République et ses principes, et qu’il faut eux-mêmes combattre avec la plus grande fermeté, il y a tous ceux qui doutent. Ceux-là, quand vous êtes maire, vous les croisez tous les jours : c’est le jeune qui a du mal à trouver un stage, c’est la mère de famille qui devra faire deux fois plus que les autres pour donner les mêmes chances à ses enfants. Ils doutent parce qu’il y a un fossé entre la République telle que nous l’affichons, telle que nous en débattons ici et celle qu’ils vivent tous les jours.

Montesquieu l’a rappelé, ici, au Palais-Bourbon, « il n’y a pas de nation puissante que celle qui obéit à ses lois, non par des principes de peur ou de raison, mais par passion ». Pour moi, la République des mots, ce n’est pas un projet ; la République ne peut pas être un refuge ; la République doit être une ambition. Dans la France d’aujourd’hui, il y a besoin d’innovation pour rassurer nos concitoyens, parce qu’à chaque fois que la devise inscrite au fronton de nos écoles ne correspond pas à ce que vivent les gens tous les jours, le pacte républicain est en danger.

Trois exemples sont, pour moi, absents de ce texte. Je précise que je ne m’exprime plus au nom de France urbaine, même si nombre de mes collègues partagent ces convictions, mais à titre personnel.

Comment un demandeur d’asile à qui l’État ne garantit pas les conditions minimales d’hébergement ou de dignité peut-il vivre cette confiance dans la République ? J’aurais aimé que ce texte inclue des mesures fortes sur ce sujet.

Comment un jeune qui est contrôlé régulièrement, parfois même de manière incessante, en raison de son quartier ou de sa couleur de peau, peut-il ne pas douter ? J’aurais aimé que la question du récépissé trouve ici sa traduction législative.

Comment une personne discriminée ou exclue du marché du travail pour sa couleur de peau ou son adresse ne peut-elle douter de la République du réel, celle qui se traduit dans la vie de tous les jours ? J’aurais aimé qu’un travail avec les organisations syndicales constitue une base d’avancée dans ce texte.

Dans ce texte, nous ne voyons pas l’affirmation d’une ambition de la dimension sociale de la République. Cette question prend davantage d’acuité au moment où la crise sanitaire engendre sur le terrain une crise de la pauvreté sans précédent, que les maires de toutes sensibilités politiques sentent monter. Des familles déjà en difficulté le sont encore davantage et, pour la première fois de leur vie, des hommes et des femmes ne savent pas comment remplir leur frigo après le 20 du mois. Si l’on ne s’attaque pas à cette question sociale, si l’on ne prend pas en compte le contexte global, nous n’atteindrons pas une partie de l’enjeu.

En conclusion, si ce texte propose des mesures nécessaires pour répondre à certaines urgences que je partage, je suis en désaccord avec d’autres. Je m’inquiète de ce que vivent des millions de Français, qui ne sont ni des séparatistes ni des islamistes radicaux et qui ne se reconnaîtront pas dans ce texte si rien ne change dans leur vie quotidienne. Conforter les principes républicains, c’est aussi progresser en matière de discrimination, d’exclusion et de République sociale au sens le plus large. Ce texte gagnerait en profondeur et en efficacité s’il intégrait des mesures allant dans ce sens.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Votre regard au plus près de la réalité est important pour la représentation nationale. Nous sommes quelques-uns à avoir exercé ou à exercer des fonctions locales qui nous font penser que la loi du 14 février 2014 sur le cumul des mandats n’est pas toujours une réussite.

Nous voulons combattre le séparatisme – le terme lui-même s’est imposé dans le débat public et il est compris par beaucoup de Français et de responsables politiques –, considérant qu’il s’introduit parfois dans les services publics, parfois même dans les services publics locaux. C’est l’objet de l’article 1er. Il s’introduit par le biais d’associations, et nous proposons des éléments de nature à renforcer certains contrôles. Il s’introduit par la haine en ligne – des dispositions sont proposées sur ce volet –, par la vie sociale et parfois l’organisation des cultes. Tels sont les éléments sur lesquels nous souhaitons vous interroger.

En tant que parlementaires, il nous intéresserait de connaître votre appréciation de l’état de la société du point de vue de vos responsabilités locales, notamment de celles des maires. Quel est, selon vous, l’état du pays au regard des séparatismes ? Monsieur Touzet, vous avez détaillé trois catégories de repli communautaire fortes au sein de notre pays. Quelle est votre vision concrète de la situation que nous essayons modestement de traiter ?

Monsieur le président Baroin, je suis très intéressé par la notion d’espace du service public, qui fait depuis longtemps débat au sein de la classe politique. Elle rejoint les préoccupations exprimées par un certain nombre de parlementaires, au-delà de l’Assemblée nationale, au sujet des collaborateurs occasionnels du service public, c’est-à-dire de cet espace entre les agents publics qui appliquent la neutralité de l’État et les usagers du service public. S’agit-il d’une catégorie nouvelle dont vous souhaiteriez que nous débattions ici même ?

Enfin, je note la proposition intéressante de M. Touzet sur la conférence des financeurs.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure thématique. Votre éclairage est très précieux, en particulier pour moi qui suis chargée de rapporter les cinq premiers articles du texte, qui vous concernent tous.

Comme le rapporteur général, je souhaite vous interroger, s’agissant des manquements que vous percevez au sein de vos collectivités, sur les réponses à apporter aux comportements dits séparatistes.

À l’article 1er, la notion d’organisme, qu’il soit de droit public ou de droit privé, vous paraît-elle adaptée ? Le sous-traitant vous paraît-il suffisamment bien identifié par l’alinéa 5 ? Je crois que oui, mais peut-être faudrait-il viser plutôt l’opérateur économique, comme dans le code de la commande publique. La définition contractuelle des modalités de contrôle et des sanctions figurant au II, répondant au souci de différencier les situations possibles, vous paraît-elle convenir ?

Concernant l’article 2, il existe certes déjà des moyens de réagir aux défaillances évoquées par la représentante de France urbaine, mais ils demandent du temps, et la procédure de déféré présente l’avantage d’apporter une réponse dans les quarante-huit heures. Cette réécriture, après l’avis donné par le Conseil d’État, vous paraît-elle équilibrée et satisfaisante ?

Enfin, je vous remercie tous d’avoir évoqué des avancées, ce qui me donne de l’énergie.

M. Éric Poulliat, rapporteur thématique. C’est toujours un plaisir pour moi, en tant que vice-président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, de pouvoir échanger avec les représentants d’associations d’élus locaux.

Quel regard portez-vous sur le contrat d’engagement républicain pour les associations ? Sachant que les chartes existantes n’ont pas de valeur juridique et ne sont pas opposables, ce contrat devient engageant, mais les mesures coercitives assorties sont-elles suffisantes pour lutter efficacement contre les séparatismes ? Cela pose-t-il un problème au regard de la libre administration des collectivités territoriales ? Que pensez-vous de la responsabilité attribuée à l’autorité publique ayant accordé une subvention d’en demander la restitution en cas de non-respect du contrat d’engagement ? Comment cela peut-il s’appliquer ? Enfin, la possibilité d’imputer des agissements individuels à une association est-elle pareillement applicable à toutes les associations ?

Mme Anne Brugnera, rapporteure thématique. En tant que rapporteure du chapitre V, je m’intéresse plus particulièrement aux sujets liés à l’éducation et au sport.

L’article 131-6 du code de l’éducation prévoit l’établissement, chaque année, par le maire de la liste des enfants de sa commune en âge d’être instruits. C’est un travail difficile, notamment à une époque où la mobilité résidentielle des familles est importante. Dans les grandes villes, en particulier, qui attirent beaucoup de jeunes parents, le sujet doit être délicat. Quelles sont les difficultés rencontrées par les maires à ce sujet ? Quelles propositions faites-vous pour les aider à établir cette liste à partir de laquelle on peut vérifier que chaque enfant de France reçoit l’instruction à laquelle il a droit ?

L’article 131-10, quant à lui, traite de l’enquête à mener par le maire au domicile des enfants instruits en famille. L’instruction en famille est traitée par le projet de loi. Le contrôle en est une tâche difficile également, qui parfois n’est pas faite. Avez-vous des propositions à faire ou des difficultés particulières à nous faire connaître ?

L’article 22 du projet de loi traite des écoles privées hors contrat. Dans la « loi Gatel » du 1er août 2019, nous avons renforcé les procédures d’ouverture. Dans ce projet de loi, nous souhaitons progresser en matière de fermeture de ces établissements en cas de manquements réitérés à la loi ou à la réglementation ou, bien sûr, dans le cas d’écoles clandestines, sujet sur lequel L’AMF s’est déjà exprimée.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure thématique. La partie consacrée à la dignité humaine pourrait évoluer vers la notion de respect du droit des personnes et d’égalité entre les hommes et les femmes. L’article 17 prévoit de prévenir et renforcer la lutte contre les mariages forcés. En tant qu’élus, vous jouez un rôle important dans les entretiens auprès des futurs époux en cas de doute ou de signalement. C’est une possibilité dévolue aux officiers d’état civil, mais nous proposons un entretien individuel avec les deux personnes souhaitant contracter un mariage afin de vérifier le libre consentement de chacun. Quel est votre avis sur cette proposition, sur les besoins de formation et d’accompagnement des officiers d’état civil, sur la nécessité d’harmoniser les pratiques entre les communes et le besoin d’outils communs ? Quelles propositions ou dispositions vous sembleraient compléter utilement le dispositif ?

M. Francis Chouat. Je tiens à souligner l’importance de cette table ronde d’élus territoriaux pour la confection de cette loi, tant il me paraît essentiel, comme ancien maire et président d’agglomération, qu’elle soit l’occasion de resserrer l’alliance républicaine de toutes les composantes de l’État pour sa mise en œuvre efficace.

L’article 1er vise à élargir l’application du respect des principes d’égalité, de laïcité et de neutralité aux organismes concourant au service public. Est-il suffisamment précis et exhaustif ? Établit-il bien l’égalité entre ce qui se passe au sein du service public et tout ce qui concourt au service public ? Le président Baroin, avec son agilité légendaire, a versé au débat une proposition relative à l’espace public. Pourrions-nous l’examiner sous forme d’ajout, de complément ou d’amendement au projet de loi ?

L’article 2 prévoit le prolongement du contrôle a posteriori des actes des collectivités sous les auspices de la justice administrative. Considérez-vous ce dispositif comme inutilement coercitif ou bien, au contraire, devrait-il aussi concerner les services publics des autres fonctions publiques et de leurs organismes associés ?

À l’article 6, la terminologie du contrat d’engagement républicain vous semble-t-elle adaptée ? Comment envisagez-vous son articulation avec les dispositifs existants, telle que la charte des engagements réciproques de 2014 ou les chartes de laïcité déclinées localement, dont il est censé permettre l’opposabilité ? Par ailleurs, l’échange d’informations entre les maires et les préfets, notamment au travers des cellules départementales de lutte contre l’islamisme et le repli communautaire (CLIR), vous semble-t-il suffisant pour identifier les associations qui avancent masquées ? Garantira-t-il le respect de l’obligation de neutralité par les associations participant à des missions de service public sans délégation juridique explicite ?

Les dispositions relatives à l’enseignement en famille ne risquent-elles pas de modifier, à leur détriment, la responsabilité de contrôle des collectivités territoriales, notamment pour le premier degré ?

Le centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) indique que près de 15 000 agents territoriaux ont bénéficié de la formation à la laïcité depuis 2018, chiffre faible comparé aux 2 millions d’agents. Mme la ministre de Montchalin a évoqué un énorme enjeu managérial devant permettre de mobiliser tous les agents. Partagez-vous ce diagnostic ? Quel bilan tirez-vous du plan de formation national « valeurs de la République et laïcité », piloté par l’association nationale des pôles d’équilibre territoriaux et ruraux et pays (ANPP), le CNFPT et l’observatoire de la laïcité ?

Mme Annie Genevard. Je sais, pour avoir été l’une d’entre eux, que les maires sont les meilleurs connaisseurs de leur territoire. Ils sont souvent des lanceurs d’alerte. En matière de lutte contre l’islamisme, ils sont souvent des remparts, mais ils expriment leur solitude dans ce combat. Par nature, ils sont des cibles potentielles, comme l’ont été, dans un passé terroriste récent, les enseignants, les journalistes, les prêtres et les policiers. Les récentes attaques renouvelées contre le maire de Bron montrent bien que les élus sont maintenant dans le viseur.

Faut-il muscler le texte pour garantir une meilleure protection des élus ? Selon vous, celui-ci remplit-il sa mission de lutte contre le séparatisme islamique et l’entrisme, y compris l’entrisme municipal ?

La réflexion sur l’extension de la neutralité à l’espace du service public à laquelle nous invite le président Baroin est intéressante. La question mérite d’être explorée à la faveur de l’examen du projet de loi.

J’ai noté les craintes exprimées sur la rédaction initiale de l’article 2 qui proposait d’instaurer un nouveau mécanisme d’intervention du préfet lorsqu’il estime qu’un service public local manque au principe de neutralité. Le Conseil d’État a remplacé le déféré suspensif prévu par le Gouvernement, qui remettait en cause le principe de libre administration des collectivités locales, par un déféré accéléré. Quel est votre sentiment sur ce contrôle des actes des collectivités territoriales ?

Les élus locaux et territoriaux vont être amenés à exercer une mission de contrôle plus intense. On a parlé de l’instruction en famille, du contrôle du respect de la charte d’engagements à l’égard des associations. Compte tenu du nombre élevé d’associations et du vœu exprimé par le président Baroin du contrôle dès le premier euro, tout cela aura des conséquences sur les budgets locaux. La question a-t-elle été examinée par vos instances ?

Le projet de loi modifie les modalités et les motifs de dissolution administrative des associations. Les collectivités entendent-elles être associées aux décisions relatives à ces dissolutions ?

L’abandon du droit de préemption des collectivités pour les immeubles faisant l’objet d’une donation au profit d’établissements publics du culte ne prive-t-il pas les maires d’un outil utile ? Je l’ai souvent utilisé, ou plutôt j’ai souvent menacé de l’utiliser, ce qui suffisait à suspendre une manœuvre qu’on ne voulait pas voir aboutir. M. Pupponi remarquait à juste titre que le droit de préemption est parfois le seul outil réglementaire dont disposent les maires pour lutter contre l’installation de lieux de culte radicalisés. Supprimer cet outil utile me semble périlleux.

M. François Pupponi. J’ai entendu la proposition du président Baroin sur l’espace public. À l’école, les intervenants sont tenus à la neutralité, mais, dans des associations périscolaires, celle-ci n’est plus imposée. On y retrouve pourtant les mêmes enfants et les mêmes problématiques. Êtes-vous favorables à l’extension de l’obligation de neutralité aux membres d’associations financées par fonds publics s’occupant de mineurs ?

On ne défendra pas les valeurs républicaines et la République sans engager des actions de formation ou d’intervention, ce qui nécessite des financements. Êtes-vous favorables à la création de dotations spécifiques pour la défense des valeurs républicaines ? Les communes de banlieue qui bénéficient de la dotation de solidarité urbaine (DSU) doivent rendre compte de son utilisation. De même, pourrait-on financer des collectivités pour agir encore plus efficacement ?

Ne pensez-vous pas qu’un fonds devrait être dédié à des associations ? On reproche à ce texte son caractère répressif et de ne pas valoriser suffisamment ceux qui défendent de façon exemplaire les valeurs républicaines. Les associations qui se battent quotidiennement sur le territoire national pour ces valeurs pourraient bénéficier de financements spécifiques, de même que les structures de formation, d’encadrement, de suivi des fonctionnaires, qu’ils soient d’État ou de collectivités territoriales. Elles ont besoin de soutien, nous le voyons dans un sondage publié aujourd’hui par l’IFOP montrant que les enseignants ont du mal à faire leur travail.

Mme Marietta Karamanli. L’article 2 vise à renforcer l’efficacité du contrôle juridictionnel des actes des collectivités territoriales qui porteraient gravement atteinte au principe de neutralité du service public, en prévoyant que le tribunal administratif devant lequel le préfet a déféré l’acte statue sur la demande de sa suspension dans un délai de quarante-huit heures, comme c’est le cas pour les actes de nature à compromettre l’exercice d’une liberté publique ou individuelle. Quelle est votre appréciation sur ce point ?

En l’état actuel de la législation, aux termes du document Cerfa transmis aux collectivités par les associations, celles-ci respectent les principes et valeurs de la charte conclue le 14 février 2014 entre l’État, les associations d’élus territoriaux et le mouvement associatif, dont la signature est définie dans son préambule comme un acte solennel, fondé sur les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. Qu’apporte l’article 6 à l’encadrement des subventions attribuées aux associations par les collectivités publiques, sachant que parmi les éléments nouveaux figurent le rejet de la haine et la sauvegarde de l’ordre public et que l’incitation à la haine est punie par l’article 24 de la loi de 1881 ?

Cette disposition aura-t-elle, pour vous, un effet financier ? Comment détectez-vous ces situations ? Le faites-vous pour les autres personnes morales recevant des subventions ou aides matérielles, telles que des entreprises ou des fondations ? Quels liens sont établis avec les services de l’État afin d’identifier les associations qui ne respecteraient pas ces principes ? On voit bien qu’il est besoin de moyens et d’un suivi. Quelles autres mesures, d’ordre social ou culturel, seraient de nature à garantir le respect de la promesse républicaine pour les publics fragiles des associations et des quartiers, qui seraient tentés de trouver une autre source à leurs actions que les principes affirmés par la République ?

M. Pierre-Yves Bournazel. Pour reprendre l’expression utilisée par le président Baroin, il y a quelques années, nous sommes très attachés à notre modèle français de laïcité. Comment percevez-vous l’évolution de notre société, compte tenu de la montée de la radicalisation religieuse, notamment de l’islamisme politique ? Je pense aux élèves de confession ou de culture juive qui quittent, sous la pression, certaines écoles de la République ou aux retours de professeurs qui disent avoir du mal à enseigner des éléments heurtant certaines consciences religieuses. Quelles réponses attendez-vous du législateur et quelles propositions pouvez-vous formuler ?

Nous sommes également très attachés au tissu associatif de proximité, qui participe à notre cohésion sociale et à l’émancipation des individus. Il existe pourtant un déficit de ce modèle français de laïcité, parce que la radicalisation religieuse conduit certains cadres associatifs à dévoyer le sens et le rôle des associations. La charte d’engagement permettrait de mieux contrôler leur action. Que pensez-vous d’une proposition visant à obliger la formation des cadres associatifs à la laïcité et à la lutte contre les discriminations avant l’octroi de subventions ?

Enfin, il n’est nullement question pour moi de proposer pour les cantines des menus confessionnels, ce qui serait contraire au modèle français de laïcité. En revanche, il est possible de concevoir des menus vegans ou végétariens, pour permettre à tous les enfants de se retrouver à la cantine de la République.

M. Charles de Courson. Pensez-vous qu’en l’état, ce projet de loi permettra de lutter efficacement contre le séparatisme, notamment le fondamentalisme religieux ?

Dans quelles conditions les autorités locales pourraient-elles avoir accès, totalement ou partiellement, au fichier S ? C’est une vieille demande des élus locaux, à laquelle je suis favorable.

D’après vous, les maires disposent-ils des moyens de contrôle de l’exhaustivité du caractère obligatoire de l’instruction ? J’ai fait un test dans ma communauté de communes, qui en compte quarante : pas un seul maire ne savait qu’il avait cette compétence. J’ai été maire pendant trente-deux ans et je n’ai jamais fait aucun contrôle en la matière. Si je demandais au président Baroin si, à Troyes, il a vérifié l’exhaustivité de l’instruction publique des enfants âgés de 6 à 16 ans, il répondrait probablement non. Cela ne révèle-t-il pas un problème de moyens ?

Pourquoi le Gouvernement a-t-il proposé l’exclusion du droit de préemption urbain ? Nous avons auditionné les courants religieux ; aucun n’a demandé cela.

Ne faut-il pas substituer au contrat d’engagement républicain un concept d’engagement à respecter les principes républicains ? Jusqu’à preuve du contraire, la République n’est pas un contrat.

M. Alexis Corbière. Monsieur le président Baroin, pourriez-vous préciser l’idée d’un espace de service public que vous introduisez dans la discussion ? Je la comprends comme le fait que les équipements publics devraient respecter certaines règles de neutralité et de laïcité. Je n’ai pas été maire, seulement adjoint, mais quand on loue un gymnase à une association ou à un parti politique, on n’est plus tenu de respecter le principe de neutralité, tout comme un gymnase peut être prêté pour un événement religieux. Qu’apporterait votre proposition, sinon d’empêcher une association cultuelle, le temps d’un événement particulier, d’occuper un équipement public prêté ou loué ?

Les élus sont souvent la cible d’attaques. Certains seraient, dit-on, laxistes, clientélistes, laisseraient des territoires occupés, etc. Qui sont ces élus ? Où sont-ils ? Pouvez-vous nous l’expliquer afin que le débat soit basé sur des faits rationnels et non sur le sensationnalisme ? Ne trouvez-vous pas que vous en endossez un peu trop ? Comme vous, j’ai suivi le débat et j’ai parfois du mal à comprendre de quels quartiers il est question. Des commentaires sur mon département ne correspondent pas à la réalité. Je ne conteste pas que cela arrive, mais aidez-nous à y voir plus clair. J’ai peur qu’on en rajoute beaucoup et que des problèmes soient amplifiés et d’autres minimisés.

Que pensez-vous quand, à Orléans, où une charte de la laïcité a été adoptée, les élus participent à une cérémonie religieuse à l’occasion des fêtes johanniques ? Quand, à Nice, le maire participe aux fêtes de la sainte Rita, parce qu’en 1832, la ville a été épargnée par la peste et qu’il faut remercier le Seigneur ? Quand, à Paris, on organise, sur des fonds publics, la soirée du Ramadan, sans oublier la crèche municipale de Robert Ménard ? Parler de tous ces sujets permettrait de fixer des règles de respect de la laïcité communes et non à géométrie variable. Cela éviterait des indignations quand un maire, à tort, selon moi, agit dans un sens envers un culte et dans un autre sens vis-à-vis d’autres cultes sans que cela suscite de débat public.

La « loi Blanquer » imposant la scolarisation dès l’âge de trois ans est coûteuse pour beaucoup de communes, notamment pour le financement d’écoles privées. Je suis choqué de voir le financement d’écoles privées par l’argent public couler à flots.

Enfin, quand on est officier d’état civil, comme je l’ai été pendant quatorze ans, on doit, pour célébrer un mariage, vérifier le consentement des époux en leur demandant de l’exprimer à haute et intelligible voix. On peut même s’entretenir avec eux. L’article 17 propose de remplacer les mots « peut saisir » par le mot « saisit ». Il en résulte qu’en cas de mariage forcé, on pourra vous reprocher de n’avoir pas saisi le procureur. Cela fera supporter une nouvelle responsabilité aux élus, alors que, dans la vraie vie, il est ô combien compliqué d’établir le consentement.

Mme Marie-George Buffet. Qu’elles soient caritatives, sportives ou culturelles, nous savons l’importance du rôle des associations. Parfois même, elles pallient les carences des politiques publiques. En tant qu’élus des collectivités territoriales, quelle est votre appréciation de l’utilisation de l’association à des fins d’islamisme ou de séparatisme ? Sentez-vous la présence de ce phénomène dans vos associations locales ? Pouvez-vous le quantifier, ou bien avez-vous le sentiment que cela passe par une autre voie que les associations déclarées que vous subventionnez ? Il ne faudrait pas jeter l’opprobre sur le monde associatif qui est une composante de notre démocratie.

Pour agir efficacement, ne faisons pas de sensationnalisme, essayons de traiter les choses à leur juste niveau. Vous qui avez l’expérience des chartes, quel moyen de contrôle faudrait-il mettre en place ? Il y a des fédérations structurées, mais même parmi les plus structurées, le rapport au club local n’est pas évident. Assurer le contrôle au plus bas niveau sur le terrain demandera des moyens humains, donc financiers.

La neutralité dans les associations doit être définie. J’ai été confrontée à des associations liées à des cultes, à des mouvements de jeunesse liés à une religion où le principe de neutralité était difficile à définir.

Beaucoup d’entre vous ont insisté sur la nécessaire collaboration entre l’État et les collectivités. Vous avez parlé de convention. Qu’attendez-vous de plus sur ce sujet particulier ? Quelle forme pourrait prendre cette coopération améliorée supplémentaire ?

M. le président François de Rugy. À l’article 6, il est clairement indiqué : « Toute association qui sollicite l’octroi d’une subvention […] s’engage, par un contrat d’engagement républicain, à respecter les principes de liberté, d’égalité, notamment entre les femmes et les hommes, de fraternité, de respect de la dignité de la personne humaine et de sauvegarde de l’ordre public ». Je tiens à redire que l’Assemblée nationale vote des dispositions de portée générale. Il ne s’agit pas de pointer une religion et il ne s’agit pas uniquement des problèmes posés par des dérives religieuses. Les questions abordées dans cet article sont beaucoup plus larges.

Cela a suscité, dans nos premières auditions, des questionnements ou des critiques. Parce que les collectivités locales, à tous les niveaux, sont les premières à verser des subventions aux associations, est-ce pour vous un levier d’action efficace pour avoir un regard sur une association ? Cet article indique qu’en plus de l’action subventionnée, ce qui se passe dans l’association bénéficiant d’une subvention devra être conforme aux principes républicains. Pensez-vous que les maires, les présidents d’intercommunalité, de département ou de région s’en saisiraient ?

Par ailleurs, en tant qu’élus locaux, constatez-vous une montée de pratiques, de discours, d’actions séparatistes ou visant à ce que certains groupes vivent selon leurs propres règles plutôt que selon la règle commune ? Ils peuvent mettre en avant des « lois » religieuses, mais il existe d’autres formes de séparatisme que la religion. Des dérives sectaires peuvent avoir les oripeaux de la religion ou certains groupes humains peuvent vouloir vivre selon leurs propres règles.

Mme Johanna Rolland. Concernant la notion d’organismes, France urbaine suggère un point d’avancée législative. Les offices publics d’HLM sont concernés mais pas les sociétés anonymes : on gagnerait en cohérence en mettant ces deux types d’acteurs du logement social sur le même plan.

Pour nous, le fonctionnement des CLIR est nettement insuffisant pour partager les informations sur le fonctionnement et le contenu des associations. Je l’ai indiqué dans mon intervention liminaire, il convient de progresser dans le partage d’informations.

Je partage le diagnostic de la ministre Amélie de Montchalin sur la formation des agents et les enjeux de formation en matière de laïcité. Un travail partenarial doit être réalisé, non seulement sur l’injonction à la formation, mais sur la définition claire de son contenu, de qui la délivre et pour quel objectif. C’est nécessaire pour que chacun puisse inciter ses agents à être formés sur ces sujets.

Pourquoi le Gouvernement a-t-il fait figurer dans le texte l’abandon du droit de préemption ? Ce n’est pas à nous qu’il faut poser la question. J’ai dit que France urbaine demandait le retrait de cette disposition. C’est, selon nous, un cavalier législatif dont rien ne justifie la présence dans le texte.

J’ai été frappée, ces dernières semaines et ces derniers mois, par l’expression d’enseignants, notamment de collèges, disant combien ils se sentaient démunis et seuls sur ces sujets. Des gens aux convictions, aux origines et aux parcours très divers expriment un besoin d’accompagnement, de confrontation de leurs points de vue et de leurs pratiques. C’est un enjeu majeur, me semble-t-il.

La question de la restauration scolaire est comparable à celle de l’accessibilité universelle. Dans le monde du handicap, on dit que créer une porte pour un fauteuil roulant, c’est rendre service à tous les citoyens. La France fait-elle de même en matière de restauration, en soutenant que l’instauration d’un double menu est une autre manière de régler la question ? Cela vaut la peine d’en débattre.

Enfin, je citerai un exemple montrant la difficulté de conjuguer les enjeux d’ordre public et de liberté associative loi de 1901. La ville de Nantes a été attaquée au tribunal administratif par un requérant individuel nous reprochant de subventionner le centre LGBT Nocig, qui avait organisé un débat sur la GPA. À la surprise générale des juristes, dans un premier temps, un juge administratif a donné raison au requérant. Cela nous paraissait incongru dans la mesure où il n’y avait pas de prise de position, mais il l’a fait au titre de l’ordre public. Cela montre la nécessité de bien creuser ce qu’on met derrière les mots « neutralité » et « ordre public », afin d’éviter l’instrumentalisation de ce qui est par ailleurs une avancée pour les acteurs du monde associatif.

M. Sébastien Martin. On semble oublier que toutes nos collectivités ont des assemblées délibérantes et que, comme les antibiotiques, la subvention n’est pas automatique. Le contrat d’engagement républicain conforte les valeurs que nous partageons et permet d’asseoir la décision de l’assemblée délibérante de soutenir telle ou telle association. Comment savoir si notre argent est bien utilisé ? Dans une commune, des élus sont en lien avec les associations, en sorte que s’il se produit une dérive, on finit par le savoir et, si l’association est subventionnée, le maintien de la subvention est mis en question. Nous sommes des assemblées d’élus qui prenons souverainement des décisions, et la subvention n’est pas attribuée automatiquement, sans débat, sans échanges ni perspective.

La proposition de création de fonds spécifiques pour défendre et appliquer les valeurs de la République me gêne : nous sommes élus pour cela. Certains élus sont sans doute confrontés à plus de difficultés que d’autres, mais il existe déjà des outils au travers de la politique de la ville.

Nous exerçons le droit de préemption dans de nombreux domaines, y compris les baux commerciaux. Pourquoi ne pas l’exercer pour cela ? Il faut revenir à la raison.

Quant à la collaboration entre l’État et les collectivités, il est temps de considérer que nous avons tous des capteurs, des éléments d’information. Pour résoudre des problèmes, il vaut souvent mieux réunir l’ensemble des acteurs pour décider d’actions communes. Quand, dans une collectivité ou un territoire, on peut examiner des situations particulières en réunissant un bailleur, le responsable du service de l’éducation, les représentants de la police municipale et de la police nationale, on peut trouver des solutions. Voilà ce que nous demandons. Il ne faut pas faire une loi de plus pour se faire plaisir ; en l’absence de résultat, cela n’engendre que de la frustration. On peut se cacher le visage et dire que tout va très bien, mais ce n’est pas vrai. Les gens se posent des questions et attendent des réponses de la part des élus que nous sommes et de la représentation nationale. Rien ne serait pire que de voter des textes de loi non suivis de résultats concrets, faute de coordination des acteurs en mesure d’agir.

M. Alexandre Touzet. S’agissant de notre appréciation de l’ampleur du phénomène, nous disposons de quelques éléments mais nous gagnerions nationalement et territorialement à partager un diagnostic.

Dans les collèges de l’Essonne, l’hommage rendu à Samuel Paty a donné lieu à une dizaine de contestations alors qu’il était très encadré et que les jeunes savaient qu’en se comportant de telle manière, ils seraient un peu secoués. Si on réalise une projection pour évaluer le nombre de jeunes qui pensaient au fond d’eux-mêmes, sans l’exprimer, que ce qui lui était arrivé, c’était « bien fait », on arrive à environ 200. Dans deux des cinq collèges de mon canton, les élèves de couleur de peau noire ont subi des pressions pour faire le ramadan, parce que certains jeunes pensent que lorsqu’on a la couleur de peau noire, on doit obligatoirement l’observer. Dans deux collèges sur cinq, sur la cohorte des élèves de troisième, une vingtaine refuse le guide « Questions d’ados » publié par le département, car, pour certaines adolescentes, il est impossible de parler de sexualité dans un collège. Dans certains établissements, en matière d’égalité entre les filles et les garçons, entre les femmes et les hommes, ou en matière de liberté de conscience, on constate bien un recul.

Comme à la présidente de France urbaine, le soutien des enseignants me semble un sujet important. Dans les collèges, mais aussi dans les lycées, des enseignements sont contestés. Quand on est professeur d’histoire et de géographie, il est compliqué de parler de la Shoah ou de la décolonisation, en raison de la concurrence des mémoires. Des enseignants m’ont dit qu’à l’évocation de la Shoah, des élèves lèvent la main pour demander pourquoi on ne parle pas des Ouïghours ou de la Palestine. Il devient difficile d’enseigner l’histoire, la géographie et la philosophie. Les enseignants ont besoin de soutien. L’attentat contre Samuel Paty a eu pour effet de terroriser les professeurs, qui craignent pour leur image sur les réseaux sociaux et donc pour leur sécurité. Or je ne suis pas sûr qu’on apporte une réponse à la hauteur de leurs inquiétudes.

Concernant le contrôle des associations, nous avons adopté dans l’Essonne une charte prévoyant l’examen des dossiers par une commission comprenant tous les groupes politiques. Nous n’avons pas eu à connaître de cas parce que les associations concernées par ces problèmes, qui s’occupent notamment de foot en salle ou d’arts martiaux, sont en dehors du champ de la subvention publique. En revanche, cette charte permet d’aider les dirigeants d’association qui seraient contestés au sein de leurs propres associations. Elle prévoit leur accompagnement et leur formation pour les rendre à même de résoudre ces problèmes.

Je trouve très intéressante la question de M. Pupponi sur les personnels des associations, d’autant que nous sommes concernés à double titre, avec la prévention spécialisée et les missions locales. Le sujet mériterait d’être traité.

Au sujet des fichiers, je suis partagé. Il faut certes avancer sur l’accès au FSPRT, car il n’est pas possible d’avoir, dans les collèges, des agents du département dont on n’est pas sûr – notre but n’est pas de déposer des bougies, c’est d’éviter d’avoir à le faire. La question est de savoir quoi faire de l’information, car celle-ci peut nous conférer une forme de responsabilité. Cela concerne davantage les maires, mais en tant que représentant de l’ADF, je considère la question de la sûreté de nos personnels comme préoccupante. J’ai écrit à plusieurs préfets de l’Essonne afin de cribler l’ensemble des agents qui interviennent dans nos grands établissements – collèges, château, musées. Il faut avancer sur ce sujet, car nous n’avons pas le droit d’avoir de failles.

M. Gilles Platret, président de la commission laïcité de l’AMF. Ces dernières années, malgré le peu de recul que permet un mandat pour certains d’entre nous, nous notons indéniablement une montée des phénomènes de repli communautariste. Faut-il les appeler séparatismes ? C’est un débat sémantique dans lequel je n’entrerai pas, mais il est certain que des comportements privés – et c’est peut-être une des limites du texte – tendent au repli. Il y a quelques années, il n’y avait pratiquement pas de voile. Aujourd’hui, dans certains quartiers, beaucoup de mamans sont voilées, et des pères ont commencé à amener les enfants à l’école, les mamans restant cloîtrées chez elles.

Nous le sentons aussi dans les revendications auprès de nos collectivités. J’ai promis à François Baroin de ne pas développer la question des cantines, parce que cela nous emmènerait trop loin. Nous avons déjà l’obligation de proposer des menus végétariens chaque semaine dans nos cantines, ce qui répond, quoiqu’incomplètement, à la suggestion de M. Bournazel d’une proposition végétarienne quotidienne. La demande de plats halal est de plus en plus forte auprès des maires : une majorité d’enfants de confession musulmane ne mangeant plus aucune viande parce qu’elle n’est pas halal, les familles réclament du halal. Or c’est interdit, parce qu’en achetant du halal, on acquitte une taxe rituelle pour l’entretien des lieux de culte, ce qui est en complète contravention avec la loi de 1905. Mais cette pratique et cette demande existent.

Vous écoutant à propos des élus communautaristes, je pensais au film d’Henri Verneuil, Le président, et à la réplique de Jean Gabin à un député qui, alors qu’il énumère, au pied de la tribune, dans l’hémicycle, les députés corrompus, notamment des chefs d’entreprise, lui oppose qu’il existe aussi des patrons de gauche : « Il existe des poissons volants mais ils ne constituent pas la majorité du genre ». Il en va de même des élus communautaristes : ils existent, ils ne sont pas majoritaires, mais ils côtoient des personnes infréquentables dont on sait très bien qu’elles appartiennent au frérisme musulman ou au salafisme. Je me garderai de donner des noms – j’ai déjà quelques affaires sur le dos avec certains de mes collègues.

Je peux néanmoins vous dire que le groupe de travail sur la laïcité de l’AMF est allé bien au-delà de la surprotection des élus. Se fondant sur l’article 40, qui n’a pas été évoqué ici, qui interdit la propagande électorale et la tenue d’opérations de vote dans des locaux cultuels, il a envisagé, pour les élus qui ne respecteraient pas cette interdiction, la possibilité de peines allant jusqu’à l’inéligibilité. Il nous semble absolument impossible que des élus se prêtent à ces pratiques. Je dis bien que c’est la position du groupe de travail et non celle de l’AMF, mais je vous en rends compte, car la proposition est venue des élus eux-mêmes, lors d’une réunion au mois de décembre. Oui, le phénomène existe et, sur ce point, le texte va dans le bon sens, même s’il est insuffisant à bien des égards.

L’article 1er implique d’importants enjeux de formation pour les agents qui seront concernés par l’extension de l’obligation de neutralité et de laïcité. Le groupe de travail de l’AMF estime qu’à trop restreindre l’obligation aux organismes liés à la collectivité par un contrat de commande publique, on passerait à côté d’autres organismes remplissant au nom de celle-ci des missions de service public. Je pense à des associations qui organisent des activités périscolaires. Sans qu’il y ait forcément un contrat de commande publique, il peut y avoir une délégation de service public, en sorte que l’obligation de neutralité devrait s’étendre à ces organismes.

À l’article 2, la formulation du déféré neutralité des services publics a été amendée. On est passé d’un régime clairement contraire à la libre administration des collectivités territoriales à un régime correct à cet égard. De nature à éviter certaines dérives, il laisse au juge le pouvoir d’appréciation et de décision. Ce n’est pas le préfet qui décidera, mais le juge, dans les quarante-huit heures.

Concernant la protection des élus et des agents, les élus en général sont certes en première ligne, mais, au sein du groupe de travail, ils ont pensé moins à eux-mêmes qu’aux agents. Un grand nombre de nos agents sont aux prises avec des usagers qui refusent d’avoir affaire à une femme dans un service public d’état civil ou autre. Dans les mairies, nos agents d’accueil y sont souvent les premiers confrontés. Cette nouvelle infraction va dans le bon sens.

L’article 6 a beaucoup animé nos débats. À nos yeux, il est d’abord à visée pédagogique. Le contrat d’engagement républicain qu’il introduit mentionne certes les principes républicains évidents, mais le mot de « laïcité » n’y figure pas – sans doute parce qu’on peut être amené à financer des actions non cultuelles d’associations cultuelles ou para‑cultuelles, tels les Scouts de France. Notre groupe de travail considère que l’absence du mot « laïcité » dans cet article est problématique au regard de l’objet du projet de loi. Nous voyons quelle est la difficulté, mais peut-être faut-il poser le principe de la laïcité et admettre certaines exceptions dans un cadre précis. En tout cas, ne pas inscrire ce mot est ennuyeux sur le plan des principes et de la philosophie politiques du texte.

Dans la lutte contre les mariages forcés, les clés de la réussite, ce sont de bonnes et rapides relations entre la collectivité et les services du procureur de la République. À Chalon-sur-Saône, comme dans d’autres communes, nous faisons des entretiens dès qu’il y a un doute, mais il faut une réactivité forte des services du procureur de la République, parce qu’on ne peut pas maintenir longtemps des couples dans l’attente d’une décision. En outre, il faut qu’il y ait des navettes possibles. Quelle serait la responsabilité de l’élu s’il n’a pas su déceler un mariage contraint ? Pour cela, il faut des moyens supplémentaires pour la justice et les services des procureurs de la République. Vous posez un principe, mais est-il applicable ? Il faut que la justice suive.

Je ne reviens pas sur l’instruction à domicile. Il n’existe pas de mode d’emploi pour ce contrôle. Nous le faisons. Nous établissons des listes d’élèves scolarisables dans chaque commune, mais il est difficile de le faire avec précision. Et plus la commune est grande, plus la difficulté est réelle. Nous y parvenons néanmoins par des échanges constants avec les services de l’éducation nationale, en croisant nos listings. En tout cas, si l’on veut maintenir un peu de liberté scolaire, cet article peut poser un problème constitutionnel qui n’a pas forcément à être abordé par les associations d’élus ; et si l’on veut que le contrôle existe, il faudra attribuer des moyens supplémentaires aux collectivités.

Nous sommes résolument opposés à l’exemption du droit de préemption prévu à l’article 32. Si l’on ne veut plus que les maires aient la maîtrise de leur territoire, qu’on leur retire la possibilité d’exercer ce droit ! Si l’on pouvait plutôt songer à nous aider, en matière d’urbanisme commercial, pour éviter que, dans des pans entiers de villes, les commerces soient communautarisés sans qu’on puisse rien faire, au nom de la liberté commerciale, ce serait une avancée du droit. Le communautarisme emporte aussi un enjeu spatial de contrôle du territoire, qui passe par le contrôle de l’implantation commerciale.

Pour conclure, le texte constitue une avancée dans bien des domaines, malgré les limites que nous avons ciblées, mais, à lui seul, il ne suffira pas à lutter contre le séparatisme. Pour ne prendre que le seul exemple du contrat d’engagement républicain qui s’adresse aux associations, il ne touchera pas le très large spectre de celles qui ne réclameront jamais un seul centime à une collectivité parce qu’elles ne veulent pas être contrôlées. Ne nous leurrons pas, les collectivités n’ont pas les moyens de contrôler le respect des principes de neutralité et de laïcité dans les associations. Chalon-sur-Saône, ville de 47 000 habitants, compte 600 associations, dont environ 400 subventionnées ; comment pourrions-nous contrôler ces 400-là ? C’est un rappel pédagogique utile, mais dans les faits, il est impossible pour les collectivités d’opérer ce contrôle. Il y aura besoin d’autres textes et d’autres débats pour parvenir à notre fin.

M. François Baroin. Je tiens ce projet de loi pour un texte d’urgence. Beaucoup ici savent que je suis l’auteur du rapport « Pour une nouvelle laïcité », rédigé en 2003 à la demande du Président de la République Jacques Chirac et de Jean-Pierre Raffarin. Il s’agissait d’une réflexion sur le cadre général, qui a abouti à une douzaine de propositions d’inégale valeur et d’inégale intensité, parmi lesquelles la première proposition d’interdiction de tous les signes ostensibles – ostentatoires, selon la définition de la commission Stasi. Ce qui m’avait motivé à faire cette proposition d’interdiction à l’intérieur de l’école, au titre du sanctuaire républicain, c’était l’urgence calendaire dans laquelle nous précipitaient les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, la situation en Turquie et la fragilité d’un cadre juridique ne reposant que sur des circulaires de différents ministres de l’éducation nationale. C’est bien le calendrier qui avait guidé ma réflexion, structuré nos échanges, conduit à la production de ce rapport et permis la mise en place de la commission Stasi. Le débat avait été fluidifié auprès de l’opinion publique, ce qui avait permis à la représentation nationale de voter ce cadre à l’unisson.

Comme les avocats, j’en appelle au poids des mots sur le cœur et à la dignité de parlementaire qui est la vôtre. Il ne faut pas avoir peur d’aller loin dans ce projet de loi. Quand nous avions proposé le texte relatif à l’éducation nationale, on avait dit que c’était horrible : ce serait la révolution ; il ne pourrait pas y avoir de rentrée scolaire ; cela provoquerait une sécession ; il y aurait des débats ; des villes ne pourraient pas l’appliquer ; au pied du mur des responsabilités de chacune et de chacun, des élus se retrouveraient quasiment l’impossibilité d’ouvrir les écoles ! Que s’est-il produit à la première rentrée scolaire ? Quelques dizaines de cas. La loi de la République est encore suffisamment vigoureuse dans notre pays pour être ambitieux sur ce texte, à la mesure de l’urgence qu’il y a de fixer un cadre. Car, oui, il y a urgence. Oui, il y a une dégradation à tous les niveaux ; pas une commune n’y échappe, et certaines sont plus touchées que d’autres – François Pupponi connaît Sarcelles, les élus qui sont en Île-de-France la mesurent mieux.

L’article 6 soulève une question de principe. Ne pas y inscrire la laïcité, c’est ne pas intégrer que la laïcité est une valeur et une règle, au même titre que la liberté. La liberté est la règle, mais il n’y a pas de liberté sans règle. Quand on parle d’égalité en République, c’est une égalité en droits. La fraternité, ce n’est pas « Si tous les gars du monde » ; ce sont des politiques de solidarité à l’égard des aînés, des handicapés, des fragiles, de tous ceux qui sont en marge de la société. La laïcité, dans le modèle français, c’est une valeur et c’est une règle. C’est bien la singularité de notre modèle, et c’est parce que c’est une singularité qu’il faut la mettre dans l’article 6, faute de quoi, vous allez offrir à nouveau le choix entre loi de 1901 et loi de 1905 – tout ce qui ne relève pas du culte ira dans le tissu associatif. Or nous avons besoin d’outils juridiques et d’un cadre, car, comme dans une partie d’échecs, la menace est plus importante que l’exécution – le droit de préemption a été évoqué comme tel. En intégrant la laïcité dans l’article 6, vous couvrirez largement le spectre des interventions conjointes possibles, ici, des services de l’État, là, des services de la commune, ailleurs, de l’autorité judiciaire.

Je suis favorable à l’obligation de neutralité pour les salariés d’association, et je ne pense pas être loin de la position de l’AMF. Au passage, je précise que celle-ci fonctionne par groupes incluant toutes les sensibilités ; il n’y a pas un tropisme LR pour la laïcité qui, d’ailleurs, par une curieuse inversion des valeurs dans l’histoire confuse des idées politiques, donnait le sentiment que nous sommes un peu plus durs que d’autres, ce qui n’est pas vrai. Nous sommes dans une parfaite synthèse, même s’il peut y avoir des débats politiques entre nous.

Au fond, l’extension du service public répond au sujet large soulevé par Mme Vichnievsky, en ce qu’elle permet de considérer que dès qu’une collectivité verse un euro, même si ce n’est pas pour une mission de service public, une délégation de service public ou un contrat, tous au sens juridique du terme, c’est pour une production de service public. Pour tout ce qui concerne les flux financiers, c’est la définition juridique d’une telle production de service public qu’il faudrait arriver à stabiliser. En arrière-plan de la problématique de l’espace du service public que j’évoque, il y a l’idée politique de la reconquête territoriale, du renvoi de ce qui relève de l’intime, de l’espérance, de la ferveur, de la croyance, qu’elle soit de nature politique, syndicale ou religieuse, dans la sphère privée, donc dans le domaine privé, donc dans l’espace privé.

La qualification de l’espace public n’est pas très claire, entre le clos, le couvert, l’espace qui va jusqu’au pied de l’immeuble, le trottoir qui doit être nettoyé par les commerçants, le bas du caniveau avec le regard, les eaux usées, les eaux propres. En revanche, quand il s’agit de la pratique de la vie sociale et du contrat social commun, il me semble que le législateur peut définir ce qu’est un espace du service public. Après quoi, vous devrez vous poser la question de savoir s’il concerne exclusivement les salariés directs, c’est-à-dire contractuels, qu’ils soient occasionnels ou permanents, ou les usagers également. C’est un débat de plus grande envergure, et l’Assemblée n’y n’échappera pas.

Ce débat n’est ni médiocre ni inintéressant. On voit à peu près comment il sera tranché, mais ne pas le poser, c’est ne pas regarder droit dans les yeux la réalité. Il n’est pas interdit de le trancher de façon élevée et ambitieuse, sur un temps, un cadre et au moins une extension – par exemple, sur la question des accompagnatrices à l’école. Le maire de Troyes que je suis, qui a fait, comme beaucoup d’entre vous ici, des valeurs républicaines le sens de son engagement politique, a toujours estimé que c’était un péché contre l’esprit de ne pas considérer l’accompagnement des enfants en sortie scolaire, dans le temps scolaire, comme une mission d’accompagnement, quand bien même elle serait exécutée en dehors du périmètre scolaire. Ces femmes rentreraient chez elles, disait-on, et Gilles Platret a évoqué une telle évolution. Dans ce cas, il suffirait de faire des emplois aidés, ce qui aiderait beaucoup de monde, surtout par les temps qui courent. S’agissant d’emplois subventionnés, ils rentreront, à ce titre, dans un cadre global d’accompagnement et de mission de production de service public.

Pourquoi le Gouvernement a-t-il proposé la suppression du droit de préemption ? Je ne la trouve pas mal, cette question ! Depuis des années, en fait depuis 1982, l’État ne cesse d’ignorer l’article 72 de la Constitution, qui garantit la libre administration des collectivités territoriales, comme un fait dans un État centralisé. Tous les véhicules législatifs, tous les textes que vous avez ou aurez à connaître, qui permettent, sous forme de cavaliers législatifs ou d’amendements, de recentraliser les moyens de l’État sont un moyen de conquête ou de reconquête culturelle. Cette idée saugrenue de supprimer le droit de préemption ou de le redonner à la main de l’État est une reconquête par l’État des pouvoirs indépendants de libre administration des collectivités locales. Si vous ne l’avez pas par voie d’ordonnance, vous l’aurez par un texte réglementaire ou par un autre véhicule. De toute façon, nous nous y opposerons, comme à tout ce qui, dans ce texte, de près ou de loin, directement ou indirectement, ira dans le sens de la restauration d’un contrôle a priori par l’État. Le contrôle a posteriori, par les chambres régionales des comptes, par l’État et, si nécessaire, l’autorité judiciaire est normal, mais il ne saurait y avoir de restauration du contrôle a priori. Or la suppression du droit de préemption, c’est la restauration d’un contrôle a priori, donc la mise en cause de la décentralisation, et, d’une certaine manière, la cécité et la surdité aux besoins de liberté locale indispensable à la restauration des principes républicains.

M. le président François de Rugy. Soyons précis sur les termes. Un cavalier législatif est une disposition qui n’aurait rien à voir avec le texte et qui s’y retrouverait pour régler un problème ailleurs. Là, il s’agit bien de préemption sur des donations de biens pour les associations cultuelles. Cet article n’est donc ni un cavalier législatif ni une atteinte générale au droit de préemption. Il concerne uniquement « les immeubles faisant l’objet d’une donation entre vifs au profit des fondations, des congrégations, des associations ayant la capacité à recevoir des libéralités, des établissements publics du culte et des associations de droit local ». Il s’agit de garantir au donateur que sa volonté sera respectée – je ne donne pas ici mon avis, je rappelle le contenu du projet de loi.

Notre collègue François Pupponi a dit, lors d’une précédente réunion, que le respect du droit de préemption pour les communes et le respect de la possibilité de financer des cultes étaient deux sujets différents. Avant d’être élu à l’Assemblée nationale, j’étais élu local dans une région, Nantes et la Loire-Atlantique, où la religion catholique a acquis un gros patrimoine foncier et immobilier par legs successifs. Cela se fait moins, mais cela se fait encore et, pour des religions qui ont moins de patrimoine, ce pourrait être une source de financement. Telle est l’intention. On peut ne pas la partager ou considérer que l’atteinte au droit de préemption est trop grave pour l’accepter.

Mme Valérie Oppelt. J’ai pu constater par moi-même qu’il existe des risques de dérives au sein de quelques associations subventionnées par les collectivités territoriales. Il y a quelques mois, dans un quartier de la politique de la ville, j’ai assisté à un atelier sur la laïcité au cours duquel, sous l’œil bienveillant d’une élue de quartier, les formateurs faisaient clairement une confusion entre laïcité, État islamophobe et question du port du voile. J’ai également rencontré un président d’association d’éducation populaire pour qui l’idée d’un contrat d’engagement républicain relève d’une mesure de contrôle abusive, mettant en avant le droit d’être radical – heureusement encore, sans l’imposer. C’est ce genre de situation que nous cherchons à prévenir avec ce projet de loi. Les collectivités territoriales ont un rôle primordial à jouer pour nous aider à réussir.

Vous l’avez dit, le lien entre l’État et les collectivités est essentiel et, sur ce sujet, le projet de loi peut mieux faire.

Si l’assemblée des élus vote les subventions et peut réagir, encore faut-il qu’elle ait reçu les informations en amont, ce qui n’est pas toujours le cas. Puisqu’il est compliqué d’avoir un contrôle précis en aval, n’est-il pas possible, au moins en amont, d’approfondir les contrôles avant l’attribution des subventions ?

M. Robin Reda. Lutter contre le séparatisme, c’est aussi lutter contre la ségrégation urbaine qui s’est installée dans beaucoup de nos territoires. Regrettez-vous le retrait des dispositions visant à engager une réflexion en vue d’une meilleure mixité urbaine, sans remettre en cause les principes fondamentaux de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) ? L’élu de banlieue que je suis y est attaché. Des dispositions permettraient d’éviter que certains territoires s’arrogent le droit de produire trop de logements générant cette ségrégation urbaine.

La communication des collectivités a beaucoup évolué depuis le développement des réseaux sociaux. Fortement présentes sur les réseaux sociaux, leurs publications sont parfois sujettes à des commentaires blessants, voire haineux. Ce projet de loi propose opportunément de nouvelles dispositions pour lutter contre la haine en ligne. Comment la communication des collectivités, notamment la modération de leurs pages publiques sur les réseaux sociaux, a-t-elle évolué ? Comment les collectivités perçoivent-elles l’arrivée de groupes non administrés par leurs soins – communautés de parents d’élèves, associations ou citoyens –, qui tiennent parfois des propos qu’elles ne peuvent pas modérer, qui ne leur laissent pas de droit de réponse et qui sont potentiellement des dangers ?

Mme Géraldine Bannier. Je m’intéresse au suivi continu des jeunes en délicatesse avec les principes de la République, qu’il s’agisse de dérives extrémistes ou sectaires. Un travail doit être mené en commun par les enseignants, les collectivités, les présidents d’association et les représentants religieux. Peut-on envisager ou existe-t-il déjà des équipes de suivi des jeunes en dérive pour y remédier à long terme et les ramener au plus vite vers la République ?

M. Ludovic Mendes. Les préfets demandent aux élus locaux de les accompagner dans le contrôle de l’instruction en famille. Des listes sont envoyées à certains élus. J’en ai rencontré qui m’ont dit être dans l’incapacité d’entrer dans les domiciles. Selon vous, l’instruction en famille doit-elle être maintenue en l’état ? La modification que nous entendons apporter me paraît intelligente compte tenu des difficultés rencontrées pour contrôler l’instruction dans les familles.

En loisirs ou en vacances, la règle prévoit un adulte pour encadrer huit enfants, mais dans certaines associations extra-scolaires, il peut y avoir un adulte pour vingt ou trente enfants. Comment contrôlez-vous, en fonction de vos chartes, la protection de ces enfants, puisque tout enfant accueilli hors domicile est placé sous la responsabilité de l’État ou des magistrats de la commune ?

M. François Cormier-Bouligeon. Nous venons de perdre Claude Brasseur, le dernier des quatre mousquetaires du film Un éléphant ça trompe énormément, et j’ai l’impression qu’Alexis Corbière ambitionne de reprendre son rôle dans la scène mythique du restaurant, où celui-ci casse tout en se faisant passer pour un aveugle. Notre collègue, éléphant insoumis, fait mine de ne voir aucun problème d’atteinte aux principes de la République en Seine-Saint-Denis. Il est formidable dans ce rôle, mais la vaisselle cassée, ici, c’est la vaisselle républicaine. Faut-il lui rappeler M. Messaoudene, l’élu de Saint-Denis à l’initiative de la marche contre l’islamophobie, son soutien à la sphère « décoloniale » et son tweet se réjouissant des meurtres commis par M. Merah ? Le maire d’Aubervilliers qui pose de grands panneaux sur lesquels est écrit : « Ici, la municipalité travaille avec les musulmans pour construire une grande mosquée » ? Ou encore le prêt par le maire d’Aulnay-sous-Bois d’un gymnase pour la tenue d’un meeting où s’exprimaient des proches des frères Kouachi ?

Je remercie François Baroin pour le rappel du contexte dans lequel a été votée la loi de 2004 : la démonstration s’adresse parfaitement à nous. Le concept d’espace du service public proposé n’est-il pas un peu trop large ? Ne risque-t-on pas de vous reprocher de vouloir neutraliser un espace trop vaste ? Ne faudrait-il pas s’en tenir à un concept juridiquement plus soutenu, c’est-à-dire fondé sur la nature de l’action effectuée, et considérer que toute personne agissant dans le cadre d’une mission de service public doit respecter l’obligation de neutralité politique, philosophique ou religieuse ?

M. Alexandre Touzet. En Essonne, la cellule départementale de suivi pour la prévention de la radicalisation et l’accompagnement des familles (CPRAF), réunit, sous la direction du préfet, toutes les parties prenantes : caisse d’allocations familiales (CAF), conseil départemental, communes. Le partenariat entre l’État et le niveau local n’est pas toujours efficace, mais cette structure existe.

Les associations qui posent des problèmes ne demandent pas de financement. En revanche, une conférence des financeurs serait un bon moyen pour les très grandes communes qui accordent beaucoup de subventions, le département et l’État, d’échanger en amont et en aval, ce qui produirait, en outre, un effet d’économie en évitant de financer deux fois le même projet.

La haine en ligne est un vrai sujet. Sur leurs réseaux sociaux, les collectivités en tant que telles ou les élus font l’objet d’une utilisation. Les réponses qu’on peut apporter sont limitées au regard de l’effet constaté.

M. Gilles Platret. Le suivi des jeunes repose sur le volontariat de la commune. Si une commune est volontaire pour mettre en place un CLSPD, elle peut constituer, comme nous l’avons fait, un groupe de suivi individuel (GSI) pour suivre un certain nombre de jeunes, repérer les dérives et proposer des solutions. Ce GSI est très utile parce qu’il permet, en mettant de nombreux interlocuteurs autour de la table, de croiser, sous le sceau du secret, les informations et de proposer aux familles des interventions pour tirer les jeunes d’une spirale qui les aspire. Pour le moment, ce n’est pas obligatoire, cela relève uniquement de la volonté du maire ou de l’équipe municipale.

Je ne dis pas que les solutions que nous imaginons fonctionnent toujours, parce que c’est souvent compliqué. Le problème du séparatisme ne tombe pas du ciel, car les jeunes ont d’autres problèmes, d’ordre social, de criminalité, de trafic de drogue. En tout cas, le GSI permet de définir le périmètre des difficultés du jeune.

Sans vouloir répondre à la place de François Baroin, je dirais que les deux notions ne sont pas contradictoires : l’espace n’est pas forcément matériel, c’est aussi un espace dans lequel le service public s’accomplit, ce qui renvoie à l’exercice d’une mission de service public, quel que soit le lieu. Ce lieu d’exercice de la mission de service public peut varier – François Baroin a parlé de l’accompagnement scolaire –, il bouge, il est itinérant. À ce titre, il a raison de dire qu’il ne faut pas avoir peur d’aller loin, car lorsque les défenseurs de la République posent de nouveaux jalons, ses adversaires sont déjà bien au-delà, parce qu’ils sont très inventifs.

Nous n’avons pas les moyens suffisants pour contrôler l’instruction à domicile. Il y a sans doute un problème de liberté au regard de la Constitution et du bloc de constitutionnalité de la loi de 1882 sur la liberté scolaire, mais c’est un autre sujet. En tout état de cause, nous avons été beaucoup sollicités, comme vous sans doute dans vos fonctions de député, par des familles et des associations qui défendent la liberté scolaire.

M. le président François de Rugy. Qui défendent l’instruction en famille plutôt que la liberté scolaire !

M. Gilles Platret. Qui revendiquent la liberté scolaire pour défendre l’instruction en famille. En tout cas, c’est ainsi qu’elles présentent les choses. Je me dois d’ajouter que des représentants d’associations et des parents nous ont dit qu’ils n’étaient pas effrayés par un renforcement des contrôles pour prouver qu’ils ne s’inscrivent pas dans une démarche de séparatisme.

Mme Johanna Rolland. Regrettons-nous la suppression de dispositions liées au logement ? Des discussions ont eu lieu en amont ; nos associations de collectivités ont estimé que des sujets d’une telle ampleur ne pouvaient être traités par ordonnances. Pour France urbaine, Catherine Vautrin a échangé à ce sujet avec la ministre.

La mixité par le logement est un enjeu important. Vous disiez, monsieur Reda, que la construction de trop de logements par des villes pouvait conduire à des formes de séparatisme. Je n’ai pas compris si vous parliez de villes construisant trop de logements sociaux. Il me semblait plutôt que le pays en manquait. Selon des propos récents de la présidente de l’Union sociale pour l’habitat, il y en aurait plutôt moins que trop. En revanche, il y a un enjeu d’échelle. France urbaine défend la mutualisation de 25 % de logements sociaux à l’échelle des métropoles et des intercommunalités. Toutes nos communes ne sont pas identiques et leur histoire doit être respectée.

Dans les débats qui vont suivre, il nous apparaît essentiel de prendre en compte les enjeux de la loi de 1901 et de la liberté associative. Cette loi est déterminante. Je ne reviendrai pas sur ce qui a été très bien dit au sujet de l’utilisation de la confusion entre la loi de 1901 et la loi de 1905. Il importe que vous ayez ces éléments en tête lors de l’examen des amendements.

Je terminerai en témoignant de la diversité des situations des territoires. Je regarde François Pupponi, parce qu’en prenant la présidence de France urbaine et en échangeant avec nombre de mes collègues, j’ai mesuré les grandes différences d’expression des sujets selon les endroits et les territoires de notre pays, et la nécessité de les prendre en compte pour soutenir certains de nos collègues qui, dans certaines communes et dans certaines parties du territoire, sont soumis à de fortes pressions. Je ne dis pas qu’elles n’existent pas ailleurs, mais il faut avoir la lucidité intellectuelle d’admettre que les réalités sont parfois très différentes.

M. le président François de Rugy. Merci beaucoup, madame, messieurs.

 

La séance est levée à dix-sept heures quinze.

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Membres présents ou excusés

Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la République

Réunion du mercredi 6 janvier 2021 à 14 heures 30

Présents.  Mme Caroline Abadie, M. Saïd Ahamada, Mme Stéphanie Atger, Mme Géraldine Bannier, M. Belkhir Belhaddad, M. Philippe Benassaya, M. Yves Blein, Mme Anne-Laure Blin, M. Florent Boudié, M. Pierre-Yves Bournazel, M. Xavier Breton, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Anne Brugnera, Mme Marie-George Buffet, M. Francis Chouat, Mme Fabienne Colboc, M. Alexis Corbière, M. François Cormier-Bouligeon, M. Éric Diard, Mme Coralie Dubost, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Jean-François Eliaou, M. Christophe Euzet, Mme Isabelle Florennes, Mme Annie Genevard, Mme Florence Granjus, Mme Marie Guévenoux, M. Pierre Henriet, M. Sacha Houlié, Mme Marietta Karamanli, M. Guillaume Larrivé, M. Jean-Paul Mattei, M. Ludovic Mendes, M. Jean-Baptiste Moreau, Mme Valérie Oppelt, M. Frédéric Petit, M. Éric Poulliat, M. François Pupponi, M. Bruno Questel, M. Julien Ravier, M. Robin Reda, M. François de Rugy, M. Pacôme Rupin, Mme Cécile Untermaier, M. Boris Vallaud, Mme Laurence Vichnievsky, M. Philippe Vigier, M. Guillaume Vuilletet