Compte rendu

Commission d’enquête relative
à la mainmise sur la ressource en eau
par les intérêts privés
et ses conséquences

– Audition commune de M. Alexandre Rochatte, préfet de la Guadeloupe, M. Jean-François Boyer, directeur de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DEAL) de la Guadeloupe, et Mme Viviane Hamon, cheffe des projets structurants auprès du préfet              2


Vendredi
11 juin 2021

Séance de 21 heures 05

Compte rendu n° 75

session ordinaire de 2020-2021

 

Présidence de
Mme Mathilde Panot,
présidente de la commission
 


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COMMISSION D’ENQUÊTE relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intÉRÊts privÉs et ses consÉquences

Vendredi 11 juin 2021

La séance est ouverte à vingt et une heures cinq.

(Présidence de Mme Mathilde Panot, présidente de la commission)

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La commission d’enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, procède à l’audition commune de M. Alexandre Rochatte, préfet de la Guadeloupe, M. Jean-François Boyer, directeur de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DEAL) de la Guadeloupe, et Mme Viviane Hamon, cheffe des projets structurants auprès du préfet.

Mme la Présidente Mathilde Panot. Nous concluons notre session d’auditions de la commission d’enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, consacrées à la situation et à la gestion de l’eau en Guadeloupe. Nous allons entendre désormais les représentants de l’État en charge de ce dossier :

– M. Alexandre Rochatte, préfet de la Guadeloupe,

– M. Jean-François Boyer, directeur de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DEAL) de la Guadeloupe ;

– Mme Viviane Hamon, cheffe des projets structurants auprès du préfet.

Je vous remercie de nous déclarer tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

Les personnes auditionnées prêtent serment.

M. Alexandre Rochatte, préfet de la Guadeloupe. Les services de l’État suivent attentivement la situation, préoccupante, de l’eau et de l’assainissement en Guadeloupe. De nombreux travaux seront encore nécessaires pour régler ces questions. L’actuel directeur de cabinet du ministre des outre-mer, auquel j’ai succédé, voici huit mois, a eu à traiter de ces sujets quasi quotidiennement.

Depuis une dizaine d’années, nous menons une réflexion globale, en voie de concrétisation, sur la gouvernance de l’eau potable et de l’assainissement en Guadeloupe, au cœur du problème. La loi n° 2021-513 du 29 avril 2021 rénovant la gouvernance des services publics d'eau potable et d'assainissement en Guadeloupe a récemment tranché : au 1er septembre prochain verra le jour un syndicat mixte ouvert (SMO), rassemblant toutes les collectivités parties prenantes de la gestion de l’eau et de l’assainissement en Guadeloupe, c’est-à-dire les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), compétents en la matière, ainsi que les conseils départemental et régional. Une difficulté subsiste toutefois, due à la non-adhésion de l’ensemble des collectivités à ce SMO, dont j’ai récemment autorisé la constitution.

La ressource en eau, abondante en Guadeloupe, ne pose aucun problème en tant que telle et provient à 90 % de la Basse-Terre. Les usagers d’un certain nombre de communes ne comprennent donc pas que l’eau ne parvienne pas à leur robinet. Je ne viens de promulguer un arrêté sécheresse que parce que nous avons eu, en Grande-Terre, moins d’eau que les années précédentes, mais un tel problème demeure limité dans le temps et dans ses conséquences.

Mme la Présidente Mathilde Panot. Pourriez-vous nous présenter le plan d’action que vous comptez mettre en œuvre pour améliorer la situation, particulièrement catastrophique en ce qui concerne l’assainissement ?

M. Alexandre Rochatte. Votre question m’interroge. Il me paraît compliqué de demander à un représentant de l’État quelles mesures il peut ou doit prendre pour pallier des déficits de compétences qui ne lui appartiennent pas. En Guadeloupe comme partout en France, l’eau et l’assainissement relèvent des compétences des intercommunalités et des collectivités. La difficulté vient de l’organisation de la gouvernance de cette compétence.

Je ne me dédouane pas pour autant. L’État a un rôle à jouer. Depuis deux ans, il met d’ailleurs en place des moyens, notamment en ressources humaines. La responsable de la task force eau, l’équipe chargée de donner aux collectivités une impulsion en matière de gouvernance et de gestion de l’eau, m’accompagne d’ailleurs aujourd’hui.

L’agence régionale de santé (ARS) se charge d’analyser l’eau pour en vérifier la potabilité de l’eau. Le DEAL aussi intervient, de même, en somme, que tous les services régaliens de l’État.

Nous ne saurions nous substituer aux collectivités, même si nous avons dû nous y résoudre ponctuellement. Mon prédécesseur a ainsi réquisitionné des entreprises pour lancer des travaux d’urgence pendant la crise sanitaire liée à la Covid-19. Le non-respect des tours d’eau privait alors d’eau certains usagers, plusieurs semaines durant. Ce plan d’urgence ne visait qu’à rétablir les tours d’eau par la détection et la réparation des fuites les plus graves, dans un périmètre circonscrit. La loi limite les réquisitions à des circonstances particulières.

L’État, à l’avenir, doit continuer de fournir un appui aux collectivités dans l’exercice de leurs compétences en eau et en assainissement. Concrètement, nous les accompagnons dans la constitution du SMO, techniquement et en matière d’ingénierie, mais aussi dans le financement des investissements que les EPCI, la région et le département souhaitent réaliser pour rénover les réseaux. Au titre du plan d’urgence, nous avons ainsi octroyé à la région Guadeloupe 3,2 millions d’euros, provenant des crédits du plan de relance, sur les 4,6 qu’elle consacrera à la poursuite des travaux lancés lors de la réquisition ordonnée par mon prédécesseur. Ces travaux ont pris fin le 18 décembre dernier.

Si vous le souhaitez, nous vous renseignerons sur l’ensemble des crédits accordés par l’État, au titre de l’appui à l’investissement, dans le cadre du plan Eau DOM, du plan d’urgence et du plan de relance. Ce dernier réserve en effet 10 millions d’euros à l’eau en Guadeloupe, sachant que, comme l’a annoncé le ministre des Outre-mer, jusqu’à 30 millions d’euros pourront être consacrés à ce sujet.

Mme la Présidente Mathilde Panot. Concernant la compétence de l’eau, M. le ministre Sébastien Lecornu a déclaré, le 31 décembre 2020 : « Je ne suis pas le responsable de l’eau en Guadeloupe, mais la situation est tellement dramatique que le Président de la République m’a demandé des résultats. La seule chose qui compte, c’est de remettre de l’eau dans les tuyaux. »

Le problème de l’eau affecte, entre autres, la scolarisation des enfants et le travail des pompiers, qui craignent qu’un incendie provoque des victimes, faute d’eau pour l’éteindre.

Plusieurs personnes, lors de nos auditions, ont dénoncé une certaine responsabilité de l’État dans la situation actuelle de l’eau et de l’assainissement en Guadeloupe. Cette responsabilité porterait sur le manque d’ingénierie mise à disposition et les défaillances du contrôle de légalité. Quelle réaction vous inspire de tels propos ?

M. Alexandre Rochatte. L’ingénierie relève de la compétence des collectivités. Des organismes publics comme l’Agence française de développement (AFD) sont en mesure de fournir un appui à l’ingénierie. Encore faut-il que les collectivités les sollicitent et se mettent en condition d’exercer correctement cette compétence.

Un débat de longue date porte sur le contrôle de légalité. L’État contrôle un certain nombre d’actes budgétaires et administratifs, qu’il soumet à ses propres grilles d’analyse. D’autres actes, réalisés par les collectivités ou les syndicats, échappent au contrôle de légalité. Pour autant, ils ne sont pas nécessairement conformes à la loi. Les affaires financières ou pénales qui éclatent mettent d’ailleurs en évidence les limites de cet exercice.

Mme la Présidente Mathilde Panot. L’estimation du montant nécessaire à la réfection des réseaux d’eau et d’assainissement en Guadeloupe oscille entre 900 millions et un milliard d’euros. L’appui financier de l’État vous paraît-il suffisant pour mobiliser de telles sommes et, sinon, d’où pourraient-elles provenir ?

M. Alexandre Rochatte. Je serais incapable de vous dire sur quoi se fonde le chiffre de 900 millions d’euros. Il faudra vraisemblablement plus, ou peut-être moins, selon les périodes considérées. Tout réseau d’eau nécessite de l’entretien et un investissement régulier et continu pour remplacer les canalisations, les pompes et les usines au fur et à mesure de leur obsolescence. Un financement de l’ordre de 900 millions d’euros ne se monte en tout cas pas en un ou deux ans et, même une fois dépensée cette somme, il conviendrait de procéder à de nouveaux investissements.

Les investissements dans des réseaux d’eau et d’assainissement peuvent se financer de deux façons complémentaires : par des subventions provenant, soit des fonds propres des collectivités, soit de l’État, et par des emprunts.

Les contrats de progrès s’avèrent un outil indispensable en la matière. Ils attestent de la capacité à anticiper les coûts de fonctionnement et d’entretien tout en prévoyant les investissements nécessaires au cours des années à venir. Hélas, aucune collectivité de Guadeloupe n’a été capable d’en conclure. Pour cette raison, aucun établissement bancaire, public ou privé, ne veut leur accorder de prêt en vue d’investissements lourds dans le domaine de l’eau ou de l’assainissement.

Mme la Présidente Mathilde Panot. Il nous a pourtant été dit que deux contrats de progrès avaient été signés en Guadeloupe.

M. Alexandre Rochatte. La communauté de communes de Marie-Galante en a signé un, alors que la communauté d’agglomération de Cap Excellence a conclu un contrat de transition.

Mme la Présidente Mathilde Panot. Plusieurs associations se demandent pourquoi l’octroi de mer est facturé aux Guadeloupéens en même temps que l’eau, quel montant est ainsi collecté et à quoi il sert.

M. Alexandre Rochatte. L’octroi de mer est un dispositif fiscal qui ne relève pas de la compétence de l’État, mais du conseil régional.

Mme la Présidente Mathilde Panot. De combien d’agents la police de l’eau en Guadeloupe dispose-t-elle ? Ses moyens humains et financiers actuels lui suffisent-ils pour mener à bien ses missions ?

M. Jean-François Boyer, directeur de l’environnement, de l’aménagement et du logement de la Guadeloupe. La police de l’eau se répartit entre plusieurs acteurs, dont l’office français de la biodiversité (OFB). La DEAL n’emploie que 2 ou 3 agents, qui ne procèdent pas tant à des contrôles sur le terrain qu’à l’examen de dossiers d’investissement.

L’OFB, dont les agents sur le terrain s’occupent de l’eau ainsi que de l’environnement et de la biodiversité, emploie en principe 9 ou 10 personnes à des missions de police. Conscient des besoins en Guadeloupe, l’OFB procède en ce moment même à des recrutements pour compléter ses effectifs, réduits pour l’heure à 4 agents. Les moindres départs posent une difficulté, car il faut au moins six mois pour former ces inspecteurs de l’environnement dotés de pouvoirs de police renforcés.

Mme la Présidente Mathilde Panot. M. Davila, secrétaire général du Comité de l’eau et de l’environnement, nous a écrit que la station de traitement des eaux usées de la communauté d’agglomération du Nord Basse-Terre déverse depuis plus de deux ans dans le Grand Cul-de-sac marin, sans être poursuivie pour atteinte à l’environnement.

L’office de l’eau nous a dressé un bilan assez alarmant de la qualité des eaux de baignade et de l’état des nappes phréatiques exposées à des risques de salinisation, sans même parler de l’assainissement et de ses conséquences. Il me semble que la DEAL ne contrôle pas l’assainissement non collectif.

Les agents de l’OFB sont-ils en nombre suffisant pour mener à bien leur mission de police de l’eau et de l’environnement ?

M. Jean-François Boyer. L’État est compétent en matière d’assainissement au-delà de 200 équivalents habitants. Il revient au maire de contrôler les installations plus petites.

Nous avons défini avec le précédent préfet, voici deux ans, un plan d’action dressant une liste d’opérations à mener concernant les stations d’épuration et les installations non conformes. Après un signalement ou une alerte, nous apportons une aide puis assurons la police administrative et, lorsque cela ne suffit pas, nous intentons des actions pénales.

Ce plan ne vise pas la poursuite au pénal d’élus locaux auxquels la gestion de l’eau pose des difficultés, mais cherche à les alerter pour qu’ils assument leurs responsabilités.

Mme la Présidente Mathilde Panot. La réaction de l’État n’a-t-elle pas, selon vous, trop tardé, au vu de l’urgence de la situation ? M. Amélius Hernandez affirme avoir alerté le sous-préfet, puis le ministre Victorin Lurel en 2013, car il n’était plus possible de continuer à payer la Générale des eaux. Pourquoi l’État n’en a-t-il pas tenu compte ?

M. Alexandre Rochatte. N’étant en poste en Guadeloupe que depuis huit mois, j’ai du mal à me prononcer sur la réaction de mes prédécesseurs à ces alertes, si elles ont effectivement eu lieu.

Mme la Présidente Mathilde Panot. Vous ne savez pas si elles ont eu lieu.

M. Alexandre Rochatte. Je ne suis pas capable de vous dire si elles ont eu lieu ni sous quelle forme.

M. Olivier Serva, rapporteur. L’assainissement ne relève-t-il pas, selon vous, monsieur le préfet, de la salubrité publique ? Il constitue une bombe, non pas à retardement mais déjà en action. Tous les acteurs le reconnaissent. L’État ne devrait-il pas prendre la situation en main ? Il me semble que chacun en renvoie la responsabilité aux autres. Or c’est la population qui en pâtit.

M. Alexandre Rochatte. Je ne peux agir que dans le cadre des compétences dont je dispose. L’assainissement relève de celles des collectivités. La DEAL intervient dans le cadre de sa mission de contrôle et de police de l’eau, mais il n’appartient pas à l’État d’intervenir en amont.

Si je suis votre raisonnement, il reviendrait à l’État d’investir dans des stations d’épuration, voire d’en assurer la gestion, ce qui contreviendrait à la loi et même à la Constitution. Or je ne crois pas que les collectivités souhaitent revenir sur le partage de compétences. J’en veux pour preuve les débats autour de la loi du 29 avril 2021 rénovant la gouvernance du service public d’eau potable et d’assainissement en Guadeloupe, qui a permis la création du SMO. Selon certains élus, cette loi leur reprenait des compétences leur étant dévolues par la Constitution.

M. Olivier Serva, rapporteur. La santé et la salubrité publiques ne relèvent-elles pas tout de même des compétences de l’État ?

M. Alexandre Rochatte. Bien sûr. C’est d’ailleurs pour cela que nous procédons aux contrôles correspondants et que nous assurons un appui, financier ou en termes d’ingénierie, extrêmement important, aux collectivités. Des opérateurs publics comme l’AFD ou la Banque des territoires en font d’ailleurs autant.

M. Olivier Serva, rapporteur. Ne pourriez-vous pas envisager des réquisitions, sur le modèle de celles auxquelles a procédé votre prédécesseur face aux problèmes des coupures d’eau, pour traiter la situation catastrophique de l’assainissement en Guadeloupe ?

M. Alexandre Rochatte. La question me taraude. Juridiquement, il convient de justifier d’une réquisition, c’est-à-dire d’une intervention de l’État, par le truchement du préfet, dans un champ de compétence qui ne lui incombe pas. Il faut donc qu’une urgence ponctuelle se présente, ce qui n’est pas le cas quand des problèmes persistent de façon pérenne. Sinon, une telle intervention reviendrait à retirer la compétence de l’assainissement aux collectivités, au mépris de la loi.

Il convient d’autant plus de justifier une réquisition qu’elle peut être attaquée juridiquement. Elle permet en effet de mandater une entreprise privée ou un opérateur public sans passer par une attribution de marché.

M. Olivier Serva, rapporteur. Les coraux et les fonds marins sont abîmés et 50 % des eaux de baignades sont détériorées. Des risques existent de maladies dermatologiques et pour la santé en général. L’ARS affirme que, faute d’agir, dans dix ans, plus aucune eau de baignade en Guadeloupe ne sera de bonne qualité. N’estimez-vous pas qu’une urgence se présente ?

M. Alexandre Rochatte. Une réquisition doit se justifier aussi par le caractère non prévisible de l’urgence qu’elle vise à prendre en charge. La situation que vous décrivez comporte une évolution prévisible. La compétence de l’assainissement doit être exercée par ceux qui en ont la charge.

M. Olivier Serva, rapporteur. Il faut donc tranquillement admettre que l’assainissement, de la compétence des communautés d’agglomération, présente un risque de santé et de salubrité publiques, alors que ce risque conduit à une détérioration des eaux de baignade, de surface et souterraines, ainsi que de la santé de chacun.

M. Alexandre Rochatte. Non, ce n’est pas là notre sentiment. Nous vous avons exposé les mises en demeure et les contrôles auxquels nous procédons, de même que les poursuites pénales qui en résultent parfois.

Il nous arrive de refuser des permis de construire ou d’aménager, malgré l’extrême importance de l’urbanisation de la Guadeloupe, parce que l’assainissement ne suivrait pas.

M. Olivier Serva, rapporteur. Vous avez bien dit participer à la préfiguration du SMO ?

M. Alexandre Rochatte. Non, je ne suis qu’associé au travail de préfiguration.

M. Olivier Serva, rapporteur. Qu’entendez-vous par là ?

M. Alexandre Rochatte. La future gouvernance du SMO se précisera lors de sa préfiguration. Or l’État n’en est pas membre. La préfiguration n’implique que les collectivités qui en feront partie. Nous sommes associés aux travaux, dans la mesure où nous leur assurons un appui.

M. Olivier Serva, rapporteur. Vous êtes donc convié aux travaux de préfiguration, auxquels vous participez. Comment les préfigurateurs envisagent-ils de traiter les dettes fournisseurs qui reviendront au SMO ?

M. Alexandre Rochatte. La loi a clairement établi que les EPCI géreraient les dettes fournisseurs, soit directement en régie, soit en les confiant à d’autres syndicats mixtes. Les recettes pendantes leur reviendront aussi. Les dettes bancaires, de long terme, seront quant à elles confiées au SMO, puisqu’elles concernent des investissements amortissables.

M. Olivier Serva, rapporteur. Beaucoup d’EPCI s’inquiètent, compte tenu de leurs capacités financières détériorées, de se voir attribuer des créances incertaines et des dettes en revanche certaines. À ce jour, ni l’AFD ni la Banque des territoires n’ont été sollicitées pour concevoir des outils financiers à même de digérer ces dettes fournisseurs.

M. Alexandre Rochatte. Ces dettes fournisseurs, contractées par les EPCI ou ceux qui exerçaient en leur nom la compétence en eau et en assainissement, leur resteront en effet.

D’autres opérateurs bancaires, privés notamment, pourraient être sollicités. Nous menons un travail de recensement exhaustif, à la fois des dettes fournisseurs de tous les opérateurs d’eau aujourd’hui compétents en Guadeloupe, et de leurs recettes à recouvrer. Ces EPCI et régies ont une connaissance hétérogène de leur situation comptable.

La difficulté vient de ce que nombre de factures n’ont pas été recouvrées, soit du fait de l’écoulement du délai de forclusion depuis leur émission, soit parce qu’elles ne correspondent pas à une consommation réelle. Le taux d’impayé des factures d’eau en Guadeloupe dépasse les 50 %.

Une fois le bilan exact des dettes fournisseurs et des recettes attendues par les EPCI dressé par la direction régionale des finances publiques, nous connaîtrons leurs besoins financiers réels. À partir de là, nous pourrons mobiliser des opérateurs publics ou d’autres instruments encore, comme l’a indiqué le ministre des outre-mer, pour trouver une solution à l’absorption de la dette par les EPCI.

M. Olivier Serva, rapporteur. Selon vous, la moitié des factures d’eau en Guadeloupe ne sont pas réglées.

M. Alexandre Rochatte. Le taux d’impayé moyen tourne autour de 50 %. Nous vous communiquerons un document sur les chiffres de l’eau, pour les années 2018, 2019 et 2020.

M. Olivier Serva, rapporteur. Quel pourcentage de la population guadeloupéenne ne reçoit qu’un service d’eau dégradé, autrement dit irrégulier ?

M. Alexandre Rochatte. Je ne saurais vous répondre. Il faudrait interroger les opérateurs les uns après les autres, mais je ne suis pas sûr qu’ils aient une connaissance exacte de la situation.

M. Olivier Serva, rapporteur. Ne vous semble-t-il pas que la préfiguration du SMO accuse un certain retard pour éclaircir la situation des dettes fournisseurs ?

Qu’en est-il du personnel surnuméraire ? Le directeur de cabinet du ministre des Outre-mer estime en trop 250 des 600 postes actuellement occupés dans l’eau et l’assainissement.

M. Alexandre Rochatte. La création du SMO soulève d’autres problèmes encore. Elle implique la création d’un opérateur unique, par un travail d’architecture technique, budgétaire, financière et comptable. Comme vous l’avez souligné, à cela s’ajoute un travail sur les ressources humaines et les dettes.

Les préfigurateurs doivent toutefois s’occuper des dettes bancaires qui reviendront au SMO et non des dettes fournisseurs.

Un travail en cours au sein des EPCI et chez les opérateurs vise à améliorer leur connaissance, pour l’heure hétérogène, de leurs salariés. Chaque opérateur concerné pourrait, grâce à un appui financé par l’État, mettre en place un plan de départ volontaire en deux étapes, dont la première se déroulerait avant la création du SMO, le 1er septembre. Le maintien de certaines compétences parmi le personnel pendant la phase de transition relève d’une nécessité.

M. Olivier Serva, rapporteur. Combien de personnes vont partir volontairement d’ici au 1er septembre, puis par la suite ? Combien seront licenciées ?

M. Alexandre Rochatte. Aucun opérateur n’a prévu de licenciement. En ce qui concerne les plans de départ volontaire, je ne suis pas compétent pour vous répondre. Ce sont aux responsables des ressources humaines et des entités concernées à en décider.

M. Olivier Serva, rapporteur. Leur préfiguration n’est donc pas coordonnée ?

M. Alexandre Rochatte. Un travail de coordination est mené. Les résultats des études que j’ai mentionnées nous parviendront fin juin. Les opérateurs disposeront alors d’un état des lieux de leurs ressources humaines incluant la part de leurs agents susceptibles de quitter volontairement leur poste.

M. Olivier Serva, rapporteur. La Cour européenne de justice peut, doit ou va condamner l’État français s’il ne respecte pas ses obligations en matière de protection de l’environnement. Cette perspective ne justifierait-elle pas une action plus énergique de l’État ?

M. Alexandre Rochatte. Elle justifie en tout cas le plan d’action évoqué par le DEAL, mis en place depuis deux ans en vue du retour à la normale du fonctionnement des stations d’épuration.

M. Jean-François Boyer. Certaines stations, dont celles de Trois-Rivières et de Saint-Martin, ont déjà fait l’objet de recours de l’Union européenne envers la France. Notre plan vise à éviter tout autre recours à venir.

M. Olivier Serva, rapporteur. Quand le fonctionnement des stations d’épuration reviendra-t-il à la normale ?

M. Jean-François Boyer. Notre plan d’action ne se substitue pas aux collectivités. Il vise à identifier les stations ne respectant pas les normes puis à en avertir les collectivités en leur indiquant les mesures à prendre, tout en leur apportant de l’aide.

M. Olivier Serva, rapporteur. Le SMO détiendra au moins trois compétences : en assainissement, en petit et en grand cycle de l’eau. La préfiguration du SMO a-t-elle permis d’évaluer le montant des investissements respectifs à réaliser chaque année ?

M. Alexandre Rochatte. Il revient au SMO de définir le volume d’investissements nécessaires. L’un des groupes de travail, dans le cadre de la préfiguration, s’occupe justement du volet investissements. Il a recensé un certain nombre d’opérations à mener urgemment. Les équipes du DEAL en ont effectué une analyse technique. Nous avons décidé de participer financièrement, au titre du plan de relance, à certaines d’entre elles.

Il est nécessaire qu’un contrat de progrès définisse d’abord les orientations et les perspectives du SMO et, donc, les volumes d’investissements indispensables. Ensuite, nous étudierons leur financement. Un schéma directeur partagera dès lors les différentes compétences que vous avez énumérées.

Mme la Présidente Mathilde Panot. La crise de la Covid-19 qui perdure ne correspond-elle pas à une situation imprévisible à même de justifier une réquisition ? Votre prédécesseur estime à 25 % la proportion de Guadeloupéens n’ayant pas d’accès, ou un accès difficile à l’eau, à leur domicile. Outre les problèmes posés à la scolarisation des enfants et aux pompiers, la qualité des eaux, gravement en danger, met à mal le développement économique de la Guadeloupe. Cet état de fait n’impose-t-il pas la mise en place d’un plan d’investissement massif à même d’assurer un retour à la normale ? Il convient d’autant plus de renouveler les canalisations, anciennes, que la réparation des fuites revient pour l’heure à y poser de simples rustines.

M. Alexandre Rochatte. Je partage entièrement votre avis, qui ne contredit pas mes propos antérieurs. Depuis une dizaine d’années, seules des rustines sont posées, c’est-à-dire que seuls des tronçons de canalisations sont remplacés et quelques fuites, réparées.

Certains ont investi dans des surpresseurs, ce qui relève d’une aberration technique, d’autres, dans des citernes à l’impact négatif sur la distribution d’eau. Des solutions ponctuelles, pour ne pas dire égoïstes, ont ainsi été mises en place. Ceux qui ont installé des surpresseurs dans certains quartiers obéissaient peut-être à des motivations politiques, mais en faisant fi des autres usagers, dès lors privés de l’eau qui leur revenait. Les investissements correspondants n’ont pas donné de résultats, parce que le problème de l’eau en Guadeloupe, structurel, porte sur la gouvernance de l’eau et la connaissance du réseau, de fait absente.

Les réquisitions visaient à identifier les points de jonction et de fragilité des réseaux, que les opérateurs n’étaient pas en mesure d’indiquer. La région poursuit à présent ce travail, indispensable, dans le cadre du SMO.

Un investissement a porté sur le remplacement de canalisations, non loin de la préfecture. Pas le moindre volume d’eau n’y passe, parce qu’elles n’ont pas été raccordées au reste du réseau, faute d’une bonne connaissance de celui-ci.

Je me refuse à financer des travaux tant que nous ne disposerons pas d’une connaissance fine du réseau, sous peine qu’ils ne servent à rien. Une fois un plan d’investissement d’ensemble établi, il restera à le piloter, tronçon par tronçon, mais il faut savoir quand telle ou telle partie du réseau a été remplacée pour la dernière fois avant de procéder à des changements.

Mme la Présidente Mathilde Panot. Comment sortir des solutions de court terme ? Qu’est-il prévu pour que progresse la connaissance des réseaux afin qu’avance plus rapidement le dossier de l’eau ?

M. Alexandre Rochatte. Le SMO regroupant l’ensemble des collectivités apportera une solution valable et durable à long terme, par la mutualisation de la ressource et de sa consommation, alors que, pour l’heure, des échanges financiers s’opèrent entre les collectivités détentrices de la ressource en eau et celles qui leur en achètent.

La création d’une telle structure unique achoppait jusqu’à présent sur des raisons politiques, certaines collectivités ne voulant pas renoncer au pouvoir que leur conférait la ressource à leur disposition. La ressource en eau, en tant que bien commun, doit être partagée, surtout sur une île.

Le travail sur la connaissance des réseaux, entrepris dans le cadre des réquisitions, se poursuivra entre autres par le financement de diagnostics.

Mme la Présidente Mathilde Panot. À quelle échéance prendront fin les tours d’eau qui affectent à peu près le quart des Guadeloupéens ?

M. Alexandre Rochatte. Mon objectif de représentant de l’État est qu’ils cessent au plus tard en 2022. D’ici là, les investissements et les réparations se poursuivent. Le département et la région continuent de mener des travaux d’urgence en coopération. Nous accompagnons le secteur de l’eau et de l’assainissement par de considérables investissements au titre de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) et du fonds exceptionnel d’investissements. Simplement, nous veillons à ce qu’ils portent sur des projets qui ne nous inspireront pas de remords.

Mme la Présidente Mathilde Panot. Quelle proportion des communes de Guadeloupe remplit la base de données du système d’information sur les services publics d'eau potable et d'assainissement (SISPEA) ?

M. Jean-François Boyer. Elles sont encore trop peu nombreuses à le faire.

Mme la Présidente Mathilde Panot. Un document de la préfecture fixait comme objectif qu’en 2017, 100 % des collectivités renseignent cette base.

M. Jean-François Boyer. Nous échangeons régulièrement avec certains opérateurs pour les inciter à la renseigner. Nous vous communiquerons un chiffre précis prochainement. Leur négligence nous préoccupe, car les informations communiquées participent à une meilleure connaissance de la situation.

Mme la Présidente Mathilde Panot. Selon les chiffres parus dans la presse, 35 des 50 et quelques prélèvements effectués en Guadeloupe sur des captages d’eau potable ne respectent ni la loi no 92-3 du 3 janvier 1992 sur l’eau ni le code de l’environnement. Confirmez-vous ces chiffres ?

M. Jean-François Boyer. Nous contrôlons en Guadeloupe 61 captages, dont 28 sont en règle. Il s’agit de captages de surface sur la Basse-Terre et de puits sur la Grande-Terre, représentant à peu près 80 % du volume d’eau produite. Les 33 autres ont fait l’objet de mises en demeure, puis d’un travail régulier mené avec les exploitants pour qu’ils rentrent dans le droit commun par la réalisation, dans les meilleurs délais, des travaux nécessaires à leur mise en conformité. Nous en assurons le suivi au titre du prélèvement de la ressource, de même que l’ARS, au titre de la qualité de l’eau, c’est-à-dire que l’ARS vérifie ce qui est effectivement envoyé dans les canalisations. Les captages qui posent problème se concentrent sur 3 EPCI : Grand Sud Caraïbe, la régie Eau Nord Caraïbes et la communauté d’agglomération du Nord Basse-Terre.

Mme la Présidente Mathilde Panot. Disposez-vous de chiffres récents sur la pollution qui touche l’eau, notamment au chlordécone ? Ceux de 2016 indiquaient que 36 des principales matières détectées dans l’eau étaient des pesticides, dont 16 désormais interdits.

Les associations dénoncent l’insuffisance du plan Chlordécone IV, qui ne représente que 17 euros par personne et par an. Qu’en pensez-vous ?

M. Alexandre Rochatte. Il est certes toujours possible de juger insuffisante l’action de l’État. Certains ne s’en privent pas.

Néanmoins, ce plan a été établi avec l’ensemble des parties prenantes locales, qui s’en sont approprié les enjeux. Nous travaillerons avec les acteurs locaux de la pêche et de l’agriculture. Ce plan permettra de mettre en place des opérations dans tous les domaines d’intervention retenus comme nécessaires, dont des tests de dépistage très attendus par la population. Son enveloppe financière dépasse l’ensemble des sommes consacrées aux trois plans précédents.

 

La réunion se termine à vingt-deux heures dix.