Compte rendu

Délégation aux droits des femmes
et à l’égalité des chances
entre les hommes et les femmes

 Audition de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie              2

 

 

 


 

Mercredi
17 novembre 2021

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 3

session ordinaire de 2021-2022

Présidence
de Mme Marie-Pierre Rixain, présidente


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La réunion est ouverte à 15 heures 15.

Présidence de Mme Marie-Pierre Rixain, présidente.

La délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes auditionne Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie, dans le cadre de la mission d’information sur l’égalité économique et professionnelle (Mmes Marie-Pierre Rixain et Laurence Trastour-Isnart, rapporteures).

Mme la présidente, Marie-Pierre Rixain. Mes chers collègues, notre ordre du jour appelle dans un premier temps la désignation des co-rapporteurs de la mission d’évaluation de la mise en œuvre des recommandations de notre délégation en matière de promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes sur la scène internationale. Il s’agit du deuxième cycle de travaux décidés par le bureau de notre délégation en septembre dernier. Outre ma propre candidature, nous avons reçu celles de mesdames Annie Chapelier et Bénédicte Taurine.

La Délégation désigne Mmes Annie Chapelier, Bénédicte Taurine et Marie-Pierre Rixain rapporteures.

J’en viens à présent à la seconde partie de notre ordre du jour qui appelle l’audition de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Cette audition s’inscrit dans le cadre de la mission d’information en cours sur l’égalité économique et professionnelle, et porte plus spécifiquement sur l’égalité femmes-hommes dans le cadre des récents plans de soutien à l’économie. Nous savons, madame la ministre, que ce sujet vous tient particulièrement à cœur, et que vous n’avez eu de cesse de l’investir depuis votre entrée au Gouvernement. Vous avez notamment créé le Conseil pour la mixité et l'égalité professionnelle dans l'industrie (CMEPI), et êtes à l’origine de la charte pour une représentation mixte des jouets.

Le ministère de l’économie et des finances n’a pas donné suite à nos premières demandes d’auditions techniques sur le sujet de la place des femmes dans les différents plans de soutien à notre économie. Nous avons été informés qu’il n’existait pas de service ou de personnels spécifiquement affectés à cette question. Nous avons donc souhaité vous solliciter directement. De même, au cours de plusieurs travaux de notre délégation, nombre de collègues ont observé que, localement, les sous-préfets à la relance ne mettaient pas nécessairement en avant cette question parmi leurs axes d’action. Aussi nous réjouissons-nous de vous entendre aujourd’hui plus généralement sur les objectifs du gouvernement en matière d’égalité économique et professionnelle entre les femmes et les hommes, ainsi que sur les instruments dont vous disposez afin d’en assurer la mise en œuvre et le suivi.  

La crise sanitaire, économique et sociale dans laquelle nous sommes entrés en mars 2020 a mis en lumière la persistance des inégalités économiques entre les femmes et les hommes, notamment sur le marché du travail. Les femmes sont surreprésentées parmi les personnels dits « de première ligne ». Elles ont assumé une part importante de l’effort national de lutte contre la pandémie, et ont été les plus touchées par ses conséquences économiques. Elles étaient déjà surreprésentées parmi les contrats précaires, et certains indices laissent craindre que les progrès enregistrés au cours des dernières années en matière d’égalité femmeshommes pourraient ralentir, voire être remis en cause par les effets de la pandémie. Si les mesures de soutien à l’économie leur bénéficient naturellement – comme elles bénéficient à l’ensemble de la population – nous ne saurions nous contenter de cette seule évidence. C’est d’ailleurs tout le sens de la proposition de loi que je porte et qui a été adoptée par l’Assemblée nationale et le Sénat : sans contrainte sur la matrice de notre économie, les femmes resteront cantonnées à des places subalternes, marginales, voire précaires.

À ce titre, le plan de relance comme le plan France 2030 constituent des leviers essentiels pour corriger les biais du marché du travail. Si nous pouvons nous réjouir de l’adoption d’un amendement à la loi finances 2021 prévoyant de renforcer les obligations de transparence quant au score obtenu à l’index de l’égalité professionnelle pour les entreprises ayant reçu des crédits de l’État dans le cadre du plan de relance, cette avancée reste quelque peu subsidiaire. Nous souhaiterions donc savoir dans quelle mesure la question de l’égalité entre les femmes et les hommes a été prise en compte dans la conception et le pilotage de ces plans de soutien. En effet, s’il importe de revaloriser les professions les plus précaires, ce que nous avons fait grâce au Ségur de la santé, il est avant tout essentiel de féminiser les métiers de demain, ainsi que les secteurs que l’État priorise dans son action et qui restent encore trop souvent des filières à dominante masculine. Qu’il s’agisse des métiers de la transition écologique, des transports ou des biotechnologies, nous devons faire en sorte que ces domaines jugés stratégiques pour l’économie soient attractifs et accessibles à toutes et tous, et que les femmes soient incluses dans les processus décisionnels. À cet égard, la COP 26 qui vient de se conclure a permis de mettre en lumière les conséquences disproportionnées du dérèglement climatique sur les femmes, en raison notamment de ses répercussions sur la sécurité alimentaire, la santé ou les ressources en eau. De même, la question du genre ne peut plus être évacuée. Les femmes doivent faire partie intégrante du changement, y compris dans l’élaboration de solutions techniques, voire industrielles.

Si l’éga-conditionnalité des aides publiques constitue l’ultima ratio de cette démarche, il existe par ailleurs toutes sortes de méthodes susceptibles d’augmenter la part des femmes parmi les bénéficiaires des crédits de l’État et, in fine, dans le tissu économique. Nous pourrions par exemple renforcer l’information des femmes entrepreneurs en nous appuyant sur les réseaux féminins nationaux et locaux, afin de nous assurer qu’elles ont bien accès aux dispositifs que nous mettons en place, mais aussi qu’elles se sentent légitimes de les solliciter. Nous ne manquons pas de femmes entrepreneures, mais les dynamiques pour les intégrer à notre économie territoriale ou nationale sont trop rares. En Essonne, aucune des dix entreprises aidées par l’État pour un total de 42 millions d’euros n’est dirigée par une femme. Je peux pourtant vous assurer que de nombreuses femmes dirigent des entreprises dans ce département. Il est urgent de former les personnels de l’État chargés de l’attribution de ces aides aux différents biais de genre qui existent et pénalisent les femmes dans leur aventure entrepreneuriale. Je pense notamment aux sous-préfets à la relance qui tiennent un rôle crucial de proximité dans l’exécution du plan de relance, voire dans l’identification des entreprises qui pourraient solliciter ces fonds. Alors que nous nous apprêtons à dessiner la France de 2030, il me semble impératif de créer des conditions égalitaires d’accès aux financements de l’État. Il n’est pas concevable que les femmes soient exclues de l’économie de demain. Comment exiger des objectifs de féminisation de la part des entreprises, si l’État lui-même n’organise pas les conditions d’une égalité des chances entre les femmes et les hommes ?

Enfin, il me paraîtrait plus juste que l’État fasse l’effort d’identifier les femmes entrepreneures en mesure d’intégrer une action globale, plutôt que de créer un fonds dédié qui les marginaliserait davantage en leur octroyant des crédits réduits au titre de leur seul sexe.

À défaut d’introduire des mesures d’éga-conditionnalité, le plan France 2030 seratil l’occasion d’un nouvel élan pour l’égalité entre les femmes et les hommes, en faisant la promotion de l’index de l’égalité, mais également en formulant des attentes en matière de recrutement dans les filières scientifiques et technologiques ? Nous aimerions également savoir quels sont les moyens humains et techniques dont vous disposez, ou qu’il conviendrait de développer, pour concevoir, mettre en œuvre et suivre des objectifs en matière d’égalité femmes-hommes dans l’économie.

Mme la ministre Agnès Pannier-Runacher. Comme vous le savez, les femmes ont plus durement souffert de la crise sanitaire. S’il ne s’agit pas d’une spécificité propre à la France, les femmes françaises ont toutefois été moins touchées que dans d’autres pays. Il s’agit d’une certaine manière du résultat des mesures d’urgence puis du plan de relance entrepris par le Gouvernement. Il conviendra d’ailleurs de revenir sur ce sujet qui constitue un retour d’expérience important sur les politiques publiques.

À l’échelle mondiale, les femmes ont perdu plus de 64 millions d’emplois l’année dernière, soit une perte de 5 % contre 3,9 % pour les hommes, ce qui représente tout de même 20 % de plus pour les femmes. En France, pendant le premier confinement, les mères ont dû renoncer à travailler pour garder leurs enfants deux fois plus souvent que les pères. Parmi les femmes en emploi au 1er mars 2020, deux sur trois travaillaient encore deux mois plus tard contre trois hommes sur quatre. 48 % des femmes en télétravail vivaient avec un ou plusieurs enfants au moment du confinement, contre 37 % des hommes.

En outre, face au télétravail, les femmes disposent moins souvent d’une pièce qui leur est attribuée. Ainsi, dans la répartition du logement, la pièce pouvant être isolée a plus souvent été attribuée aux hommes tandis que les femmes devaient se débrouiller dans la pièce à vivre. En moyenne, un quart des femmes télétravaillent dans une pièce dédiée où elles peuvent s’isoler, contre 41 % des hommes. La situation s’est notamment détériorée pour les classes populaires, les familles monoparentales et l’entrepreneuriat féminin. Les Nations unies estiment d’ailleurs que nous pourrions perdre 25 % de progrès réalisés en matière d’égalité femmeshommes en l’espace d’un an. Ainsi, le Gouvernement a choisi de faire face à l’urgence et d’endiguer les effets de la crise en soutenant massivement l’économie. Ce soutien à l’économie prend la forme d’une fusée à trois étages. Nous avons commencé par mettre en place des mesures d’urgence massives dont l’objectif consistait à préserver l’outil de travail des artisans, des commerçants et des entreprises. Nous avons créé le prêt garanti par l’État (PGE) et le fonds de solidarité dans ce but. Le deuxième objectif de ces mesures consistait à garantir l’emploi. Le fonds de solidarité y a également contribué, en préservant l’emploi des commerçants et des artisans, et en garantissant l’activité partielle des salariés. Il semblerait que ce soutien ait fonctionné. En effet, nous constatons aujourd’hui que le taux de faillite est significativement plus bas qu’en temps normal. En 2019, 2020 et 2021, une moyenne de 30 000 faillites a été enregistrée contre 50 000 durant les années précédant la crise.

Le plan France Relance vise à faire redémarrer l’économie, notamment en rassurant les entreprises et en leur permettant d’investir lors d’une période d’extrême incertitude. En effet, lorsque nous avons lancé le plan de relance en septembre dernier, nous disposions d’une visibilité sur la croissance économique de 2021 ainsi que sur la reprise mondiale et nationale très limitée. L’enjeu consistait à inciter les entreprises à continuer d'investir afin de ne pas perdre l’élan créé par cet investissement. Au contraire, dans une logique d’entreprises non aidées, les sociétés auraient pu chercher à protéger leur trésorerie en attendant d’y voir plus clair. Ce mouvement a fonctionné. J’ai notamment en tête l’exemple du dispositif « Territoire d’industrie », dont les statistiques sont actuellement les plus étayées. Ainsi, 5 milliards d’euros ont été investis sur ce seul dispositif, permettant la création de 27 000 emplois et le soutien de 1 400 entreprises. Notez que nous avons soutenu un peu plus de 10 000 entreprises industrielles au total. Nous pouvons en outre constater les effets bénéfiques du plan de relance au regard de notre croissance, qui est actuellement la plus élevée en Europe. La France a pris le parti de dérouler son plan de relance avant même de recevoir les financements européens. Cette décision s’est avérée être la bonne, les financements européens n’ayant commencé à être distribués qu’en août 2021, alors que nous avions lancé le plan de relance en septembre 2020. De fait, nous sommes aujourd’hui les plus avancés dans la mise en œuvre du plan de relance en Europe. Concernant le domaine de l’industrie, nous représentons actuellement entre 80 et 90 % des crédits déployés en Europe, alors même que nous avons procédé à deux réabondements de crédits.

Toutes ces mesures ont pour toile de fond le plan France 2030, à travers lequel nous avons positionné notre vision de l’avenir. Son objectif se décompose en trois temps : sauver l’économie, stabiliser et consolider les filières industrielles, puis construire les filières de demain. France 2030 représente 30 milliards d’euros d’argent nouveau. Grâce à ce plan, nous figurerons parmi les nations leaders en matière de décarbonation, nous développerons des filières industrielles porteuses d'emplois, et nous créerons les conditions propices au succès et à l’entraînement de l’économie qui nous permettront d’augmenter la croissance potentielle de la France. Je pense que cette stratégie est aujourd’hui bien comprise par tous. Il s’agit d’une vision du président de la République, renouant avec la France des années 60-70 qui savait prendre des risques industriels.

L'éga-conditionnalité consiste à conditionner les aides apportées par l’État à des résultats en matière de parité. Nous avons envisagé cette hypothèse lors du lancement des mesures d’urgence et du plan de relance, et avons fait le choix de ne pas la retenir, en premier lieu pour des raisons de rapidité. En effet, conditionner davantage l’attribution de ces aides aurait constitué un frein potentiel à leur déploiement, alors même qu’il devait être le plus rapide possible. De façon structurelle, si les femmes sont les plus touchées par la crise, ce sont aussi elles qui bénéficieront davantage des aides déployées. C’est d’autant plus le cas dans le milieu de la restauration et de l’hôtellerie, où les femmes représentent entre 60 et 65 % des personnels. Nous nous sommes également demandé comment nous positionner face aux entreprises qui, malgré un bilan médiocre sur le plan de la parité, emploient tout de même des femmes. L’enjeu, in fine, consistait avant tout à ce que les femmes soient accompagnées. Nous ne voulions pas sanctionner celles travaillant dans les entreprises qui ne remplissent pas leur contrat en matière de parité, et entraîner ainsi une double peine. Il faudrait également définir l’éga-conditionnalité. S’agit-il de soutenir les entreprises dirigées par des femmes ? C’est le cas de 17 % des entreprises françaises, soit une femme pour un peu plus de quatre hommes. S’agit-il de soutenir les entreprises où les femmes sont bien représentées dans les fonctions de direction (entre 30 et 40 %) ? Ou s’agit-il de soutenir celles où les femmes sont plus nombreuses que les hommes ? La réponse choisie nous orienterait sans pour autant nous permettre d’atteindre notre objectif d’accompagnement des femmes. L’enjeu du plan de relance consiste à redonner un élan à notre économie. Nous estimons que plus nous serons proactifs à l’égard de cet élan, plus les femmes seront en situation d’en bénéficier. En effet, elles sont souvent les parents pauvres de la reprise.

Pour autant, cette décision ne signifie pas qu’il ne faille pas agir en faveur de la parité en parallèle des différents plans déployés. Je vous invite à vous placer dans une perspective dépassant les seules mesures récentes, afin de constater ce que nous avons accompli sous l’égide du président de la République et dans le cadre de la grande cause du quinquennat. Nous sommes au fait des grands combats à mener sur la question de la parité économique. Il s’agit en premier lieu d’un combat contre les stéréotypes limitants auxquels les petites filles sont exposées dès l’âge scolaire. Il s’agit ensuite de s’attaquer à la charge familiale des femmes, notamment dans les familles monoparentales composées à près de 80 % de femmes. Enfin, le troisième axe d’action repose sur l’égalité professionnelle et la féminisation des métiers. Certaines filières sont majoritairement féminines et d’autres masculines. Les filières où les femmes sont surreprésentées sont moins bien rémunérées à niveau de diplôme égal, et présentent des conditions de travail plus complexes que les filières dominées par les hommes. Prenons l’exemple de l’industrie. Il s’agit du secteur d’activité où le taux de salariés rémunérés au salaire minimum de croissance (SMIC) est le plus faible de toute l’activité privée : 5 % contre 13 % en moyenne dans le privé. S’intéresser plus précisément aux chiffres permet de s’apercevoir que les femmes représentent 30 % des personnels de l’industrie, ce qui signifie qu’il existe des pertes d’opportunités pour les femmes.

Le combat à mener contre les stéréotypes est culturel et doit associer toute la société : parents, enseignants, surveillants, acteurs de l’orientation, etc. J’ai créé en 2018 le CMEPI, composé de professionnels de l’industrie, notamment du président de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM), de dirigeants d’entreprises, de membres des organisations syndicales et de l’ancienne DRH d’un grand groupe, Sylvie Leyre, que je cite puisqu’elle préside ce comité, mais est aussi à l’origine de « l’index Pénicaud ». Nous avons notamment travaillé à l’élaboration d’une feuille de route à l’occasion de la semaine de l’industrie. Les professionnels réunis dans ce comité souhaitent pouvoir recruter des compétences sans être des militants de la parité. En revanche, ils sont convaincus qu’il s’agit d’un élément de compétitivité pour leurs entreprises, aussi leur avons-nous demandé comment développer la parité. Nous avons fait le choix de ne pas aborder ce sujet sous l’angle politique de l’égalité ou du pacte républicain, mais de mettre ces professionnels face à leurs responsabilités au regard de la question des compétences, du vivier de talents, des difficultés de recrutement et de la performance de leurs entreprises. En effet, des études montrent que les équipes mixtes réalisent de meilleures performances que celles où un genre est surreprésenté. Ce conseil a mené un certain nombre d’actions. Nous avons par exemple développé une charte pour une présentation mixte des jouets. Loin d’être un sujet anodin, les jouets représentent un élément culturel entouré d’un fort discours publicitaire assignant les petites filles au cercle domestique et à des activités souvent moins valorisées que celles attribuées aux garçons, et ce dès l’âge de 5-6 ans. Je pense par exemple aux panoplies du médecin ou de l’infirmière. Les activités affectées aux garçons leur assignent un rôle dans la science, la technique, la construction ou encore les projettent à l’extérieur. Dans ces domaines, les jouets pour les petites filles sont sous-représentés. Il est facile de le constater en ce moment, en observant les rayons destinés aux filles et ceux destinés aux garçons. Le problème n’étant pas qu’un jouet soit bleu ou rose, mais que l’ordinateur rose propose par exemple 50 fonctionnalités quand l’ordinateur bleu en offre 100. Les ambitions affichées ne sont clairement pas les mêmes pour les filles ou pour les garçons.

Nous avons également réfléchi à comment rendre les études scientifiques, numériques et d’ingénieur plus accessibles aux jeunes filles, en augmentant par exemple le nombre de jeunes femmes en école d’ingénieur. Un certain nombre de ces écoles dépendent du ministère de l’économie et des finances et sont ainsi devenues nos laboratoires. Je pense bien sûr aux Mines et aux Télécoms. Plus largement, nous avons travaillé sur le mentorat des jeunes filles et à la représentation des enfants lors de la semaine de l’industrie. Nous avons notamment visé la projection professionnelle des jeunes filles en leur faisant accéder à des visites dans l’industrie.

Bien souvent, les femmes sont responsables de la charge familiale et assument un rôle majeur au sein de leur biotope familial. Elles sont plus souvent responsables des enfants, et sont par exemple plus systématiquement appelées par les écoles en cas de problème.

Le Gouvernement a mis en place un nouveau service public des pensions alimentaires. Il s’est agi d’un projet essentiel et concret, porté par Adrien Taquet. En effet, près d’une femme divorcée sur trois n’avait régulièrement pas accès à sa pension alimentaire. Adrien Taquet a également travaillé à augmenter le nombre de places en crèche pour les familles monoparentales. Plusieurs propositions allant dans ce sens devraient bientôt être votées. Le CMEPI a par ailleurs émis des recommandations auprès du président de la République en février 2019, concernant notamment l’allongement du congé paternité. Il était important de montrer que le président de l'UIMM, des DRH de grands groupes, mais aussi le bras droit de Laurent Berger à la CFDT portaient une même vision sur ces sujets.

Concernant l'égalité professionnelle et la féminisation des métiers, je pense que nous pouvons saluer la création de l’index pour l’égalité professionnelle. Ce dernier a le mérite de mesurer la situation de manière rationnelle, mais aussi d’ouvrir le débat sur la question de la réalité de la parité, notamment en ce qui concerne les promotions, le congé maternité et les différences de rémunération. Sous l’impulsion de Philippe Darmayan, alors président de l’UIMM, le CMEPI a proposé qu’une obligation minimale de proportion de femmes dans les instances dirigeantes soit mise en place. Il me semble que cette idée a cheminé de façon positive. En effet, elle figure parmi les objectifs de la proposition de loi Castaner-Rixain qui vient d’être votée à l’Assemblée nationale et au Sénat. Nous attendons à présent une commission mixte paritaire (CMP) qui, je l’espère, sera conclusive. Le CMEPI a publié un guide sur les bonnes pratiques innovantes en matière d’égalité femmes-hommes en entreprise. Nous avons en outre créé un vivier de talents en lançant le collectif « IndustriElles » qui rassemble plusieurs réseaux dans l’industrie pour montrer que ce vivier de talents existe. Nous avons par ailleurs travaillé sur un référentiel et des principes de gouvernance avec le lancement d’une norme AFNOR sur la parité. Enfin, 56 fonds d’investissement se sont engagés à investir au moins 30 % de leur fonds dans des start-ups portées par des femmes en signant la charte SISTA. Le CMEPI a porté l’ensemble de ces projets afin que notre politique économique globale profite plus puissamment aux femmes, et ce sans passer nécessairement par la loi. Aller plus loin nécessite de s’appuyer sur les bons réseaux, ce que nous essayons de faire à travers IndustriElles. Ce collectif nous permet de réunir un certain nombre de réseaux de salariés ou d’entrepreneurs. Nous avons par exemple beaucoup travaillé pendant la crise sanitaire avec le réseau de Marie Eloy, « Bouge ta Boîte ». Poursuivant un objectif d’équilibre économique à titre individuel, elle a accompagné de nombreuses femmes entrepreneures confrontées à des difficultés économiques en tant que réseau. Son action ne touchait pas au domaine de l’industrie, mais aux TPE, aux PME, au microentrepreneuriat, au cœur du sujet des femmes entrepreneures des territoires, qui ne sont pas nécessairement les mieux accompagnées.

Aller plus loin nécessite en outre de faire bouger certaines lignes. Nous en avons notamment discuté avec Élisabeth Moreno. Il nous semble que nous soyons avant tout face à un enjeu de non-régression des droits des femmes, enjeu qui pourrait constituer un objet politique. Je souhaiterais citer Simone de Beauvoir : « N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question ». Nous pourrions entreprendre des mesures plus spécifiques, en faisant par exemple émerger des normes de classes qui amèneraient les investisseurs et les banques à atteindre un certain pourcentage de leur activité avec des entreprises où la parité est bien respectée. Il s’agit d’un travail en cours, nous avons d’ailleurs commencé à animer des discussions à l’échelle internationale entre plusieurs grands fonds. Certains fonds d’investissement qui établissent un lien entre la performance et la parité au sein des comités exécutifs se positionnent d’ailleurs de leur propre initiative et encouragent ce type d’approches en demandant des comptes aux entreprises avant de s’engager avec elles. Au même titre que l’on inscrit un certain nombre de bonnes pratiques dans le code Afep-MEDEF, mettre en place une norme de classes chez les investisseurs pourrait permettre d’être plus efficace et d’aller plus loin que de légiférer, le risque étant de ne pas réussir à englober l’ensemble des investisseurs dans le cadre d’une seule loi et d’entraîner des effets de bord mal mesurés.

La question de l’octroi des emprunts bancaires demande de réaliser un reporting de la situation. Il est toutefois difficile de déterminer le taux de réussite des projets proposés par des femmes. Quel est le taux de prêts sollicités par des femmes accordés contre le nombre de prêts sollicités par des hommes ? Pour le déterminer, il est nécessaire de s’intéresser au vivier de projets au départ : sont-ils tous envisagés de façon homogène ? Il n’est pas envisageable de se contenter d’observer les résultats au moment où les projets atteignent le comité crédit, car d’autres étapes ont déjà été franchies, durant lesquelles les projets des femmes ont pu disparaître. Ainsi, il n’est pas évident de s’assurer de la qualité des données. L’enjeu consiste à pousser les établissements bancaires vers une amélioration de leur reporting, et vers une forme d’émulation afin d’obtenir de meilleurs résultats. L’idée n’est pas d’aller trop loin dans la contrainte, le risque étant que les établissements se concentrent davantage sur la façon d’atteindre le bon indicateur que sur l’objectif final.

Nous pourrions également utiliser les marchés publics comme leviers d’accélération du changement. Dans le cadre d’un marché public, et dans le respect de la règlementation européenne, il est impossible d’introduire des critères qui ne sont pas directement liés à la prestation. Je ne pourrais donc pas introduire la condition de respect de la parité lorsque j’achète, par exemple, un lot de stylos. En revanche, toute entreprise accédant aux marchés publics doit respecter la loi. Ainsi, de la même façon qu’elle doit fournir des éléments témoignant de sa situation fiscale et sociale, elle pourrait devoir prouver qu’elle a publié son barème à l’index Pénicaud, voire qu’elle a atteint un certain niveau. Nous pouvons également imaginer qu’une fois approprié par les entreprises, cet index intègre des données sur les emplois en temps partiel ou en intérim, assumés principalement par des femmes. Finalement, ces mesures transversales concernent à 70 % les femmes. Prenons l’exemple des horaires décalés des prestations de services telles que le nettoyage d’administrations ou d’entreprises, qui figure d’ailleurs parmi les combats menés par certains députés. En effet, rien n’interdit de faire le ménage entre 8 h et 18 h plutôt qu’avant ou après, et nous connaissons les conséquences de ces horaires sur la dynamique des familles ainsi que le coût social qu’ils entraînent.

Nous devons encore en outre travailler sur les métiers à prédominance féminine, en commençant par nous interroger sur les conditions de travail et sur le niveau d’investissement technologique dont ils bénéficient. L’industrie dispose par exemple d’exosquelettes pour porter les charges lourdes. Je n’ai pas l’impression que les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) soient aussi bien équipés, alors qu’une aide-soignante de 50 kilos aura du mal à soulever une personne âgée qui en pèse 90. Il s’agit d’une condition de travail pouvant être améliorée. Sait-on investir pour ces conditions de travail et dédier des financements à l’innovation en matière de process et d’équipements dans les métiers essentiellement féminins ? Il faudrait également réfléchir à une revalorisation de ces emplois, sans se contenter de réajuster le salaire pour le salaire. En effet, il faudrait s’interroger sur le contenu des tâches réalisées et repositionner les personnels sur des tâches à plus forte valeur ajoutée. Il est nécessaire de valoriser les acquis et l’expérience des personnels dont les tâches dépassent la description de leur fiche de poste et qui doivent donc accéder à des rémunérations supérieures. C’est notamment le cas dans le milieu du soin. En 2003, lorsque je travaillais à l’assistance publique des hôpitaux de Paris, nous nous demandions quelle tâche pouvait être assumée par les infirmières, par les aides-soignantes, etc. Ce questionnement permet d’enrichir le contenu de leurs postes et justifie la revalorisation de leur salaire. Une telle démarche demande d’être réalisée en bonne intelligence, mais il s’agit d’une façon intéressante d’aborder le problème de la revalorisation des métiers. Je pense également que le travail accompli pour attirer davantage de femmes dans les métiers industriels, scientifiques et techniques doit s’accompagner d’efforts pour attirer les hommes vers les métiers à dominance féminine. Il s’agirait d’une façon assez efficace de revaloriser ces métiers, même si c’est bien sûr plus facile à dire qu’à faire.

Nous nous sommes aperçus que les femmes n’étaient pas les plus promptes à défendre leur rémunération dans le cadre de la négociation salariale. Il serait temps que les candidates aient accès aux montants du salaire minimum, maximum et médian du poste qu’elles visent dans l’entreprise. Une telle transparence de l’information rendrait la candidate plus confiante à demander son augmentation.

Il est également indispensable d’améliorer la représentation des femmes dans les ordres professionnels, les fédérations, les branches et les organisations syndicales. Les participants au Comité pour la mixité s’y sont d’ailleurs engagés et l’ont appliqué dans leurs propres organisations. Bien sûr, cet objectif doit être accompagné dans les organisations fondées sur le vote. En effet, elles rencontrent souvent un problème lié au nombre de candidates. L’UIMM s’est par exemple donné pour objectif d’accueillir deux femmes au minimum dans son organisation, et aux différents niveaux de représentation. C’est également le cas de certains syndicats de salariés. Nous constatons que ces engagements progressent et permettent d’évoquer plus facilement le sujet de la parité économique.

Mme la présidente, Marie-Pierre Rixain. Tous ces sujets figurent parmi ceux sur lesquels les membres de notre délégation peuvent être amenés à travailler. J’entends la difficulté d’intégrer des critères d’égalité femmes-hommes ou de parité à la mise en place d’un plan d’urgence et d’un plan de relance dont l’objectif consistait à consolider notre économie en septembre 2020. Je me pose aujourd’hui une question davantage structurelle : quelle sera la place des femmes dans notre économie en 2030 ? Quel message envoyons-nous aux jeunes filles qui passent aujourd’hui leur baccalauréat et seront sur le marché de l'emploi en 2030 ? Il me semble qu’une proactivité de la part des services de l’État sur ce sujet est nécessaire. Je peine encore à comprendre pourquoi sur nous ne pourrions pas nous appuyer sur les réseaux tels que bouge ta Boîte pour faire en sorte que les femmes, leurs projets entrepreneuriaux et les secteurs vers lesquels elles se dirigent soient bien identifiés, afin qu’elles puissent contribuer à faire fructifier ces 100 milliards d’euros dédiés à la construction de notre économie de demain ? En effet, les études montrent que les femmes sont majoritaires parmi les talents et les ressources d’aujourd’hui, mais aussi qu’elles sont mieux formées et plus compétentes sur le marché de l’emploi. Nous ne pouvons pas nous permettre de nous priver de ces compétences si l’on souhaite faire fructifier cette dépense de l’État.

Mme Nicole Le Peih. Depuis le mercredi 3 novembre à 9 heures 22, les femmes ont symboliquement cessé d’être rémunérées. Pourtant, l’action pour l’égalité salariale en France ne date pas d’hier. Déjà en 1972, la loi pour l’égalité professionnelle établissait que « tout employeur est tenu d’assurer pour un même travail ou un travail de valeur égale, l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes ». En 2018, presque quarante ans plus tard, la ministre du travail Muriel Pénicaud doit encore se battre pour faire avancer la lutte contre les inégalités salariales dans les entreprises. Au 1er janvier 2019, les sociétés de plus de 50 salariés disposaient de trois ans pour agir et faire disparaître ces différences indues. À la suite de cette première séquence, quelle est votre perception du travail effectué, et quelle façon d’intervenir vous semble la plus efficace ?

Il convient par ailleurs de vous féliciter. En effet, selon une étude de l’Apec parue en 2017, les écarts de rémunérations constatés dans l’industrie sont globalement plus faibles qu’ailleurs, allant de 3 à 5 % dans la métallurgie contre 9 % dans l’ensemble de l’économie.

Enfin, les inégalités professionnelles limitent la progression des carrières. Un véritable plafond de verre empêche parfois les femmes d’accéder aux plus hautes responsabilités. Sur cette seconde question, quel est votre sentiment sur le chemin parcouru et sur celui qu’il reste encore à parcourir ? 

Mme Sophie Panonacle. Fin 2020, la France comptait 1,16 million d’ingénieurs, dont 921 100 étaient en activité professionnelle. Selon la 32ème enquête annuelle de la société des Ingénieurs et Scientifiques de France (IESF), seuls 24 % d’entre eux étaient des femmes. Bien que présentes à 47 % dans les filières scientifiques en terminales, les jeunes filles ne sont plus que 32 % à accepter une proposition d’admission dans les classes préparatoires aux grandes écoles scientifiques, et 28 % dans les écoles d’ingénieurs. Pourquoi ces chiffres dégringolentils au moment du passage dans l’enseignement supérieur ? Est-ce en raison d’une désaffection, d’une autocensure, d’un manque de confiance en soi, d’idées reçues… ? Il paraît indispensable de lever les freins à la féminisation lors de l’entrée en cycle supérieur. Le regard des étudiantes sur ces formations et sur les métiers d’ingénieurs doit bien évidemment changer, et ce dès le plus jeune âge. Des associations telles que Elles bougent se mobilisent pour renforcer la mixité dans les entreprises des secteurs industriels et technologiques. Grâce à des témoignages de marraines passionnées et engagées, Elles bougent informe les collégiennes, lycéennes et étudiantes des très nombreuses opportunités professionnelles que leur offrent les diplômes d’ingénieur et de technicien. L’association sensibilise également les parents et les enseignants dont le rôle dans l’orientation des jeunes filles est fondamental. Je tiens également à signaler que Elles bougent copilote la dixième édition de la semaine de l’industrie. Madame la Ministre, quelles actions complémentaires pourrions-nous envisager afin de mieux promouvoir les métiers d’ingénieurs auprès des jeunes filles, notamment dans les filières industrielles et maritimes ?

Mme Céline Calvez. Merci d’avoir rappelé le rôle du combat culturel pour l’égalité, en pointant notamment la nécessité fondamentale de lutter contre les stéréotypes, dès le plus jeune âge et tout au long de la vie.

Madame la Ministre, vous nous avez expliqué pourquoi les aides d’urgence n’ont pas été soumises à l’éga-conditionnalité, que vous avez envisagée sous l’angle de l’atteinte de résultats. Toutefois, l’éga-conditionnalité pourrait être considérée comme une occasion pour les entreprises de se doter des moyens nécessaires pour observer, compter, former et sensibiliser sur la question de l’égalité. Il ne s’agirait donc pas d’attendre des résultats, mais de prendre en compte les moyens dont les organisations peuvent se doter. C’est par exemple le cas dans le secteur de la musique. Depuis un an, le Centre national de la musique (CNM) conditionne l’obtention de ses financements à la signature d’un protocole destiné aux employeurs du secteur, destiné à mettre en place des moyens de prévention contre le harcèlement et les violences. Que pensez-vous de cette façon d’aborder l’éga-conditionnalité ? À l’heure où nous investissons massivement, nous ne pouvons plus passer à côté de cette occasion de se doter de moyens pour favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes dans les différents secteurs économiques. 

Mme la ministre Agnès Pannier-Runacher. Merci d’avoir souligné que l’industrie est bonne élève sur la question de l’égalité des salaires, c’est également le cas dans le domaine du partage de la valeur ajoutée. Le mouvement que nous avons amorcé et qui semble aboutir à travers la proposition de loi Castaner-Rixain amène un certain nombre d’entreprises à réfléchir à leurs viviers de talents. En effet, elles ne parviendront à atteindre leurs objectifs qu’en travaillant sur ce vivier dès maintenant. Une évolution dans les pratiques de ressources humaines et de recrutement est d’ailleurs notable. Certains professionnels s’efforcent de recruter un pourcentage minimum de femmes à l’entrée dans l’entreprise, puis d’observer leur évolution à travers les éventuelles promotions ou entrées dans les cercles des hauts potentiels, des cadres et des cadres dirigeants. Les entreprises établissent souvent leur top 50, 100 ou 300 selon leur taille. Ce phénomène s’est accéléré grâce à la prise en compte de la dimension de la parité dans la rémunération des managers et leurs différentes variables. Dans le cas des grandes entreprises, le reporting, la transparence, les codes tels que l’Afep-MEDEF ou Euronext qui fixent des normes constituent d’excellents leviers sur ces sujets. En effet, si l’organisation ne se conforme pas aux normes en question, elle doit expliquer pourquoi dans son document de référence. Cette obligation vaut pour les entreprises cotées, mais peut aussi s’appliquer à d’autres entreprises suffisamment structurées. Les PME font face à des difficultés de recrutement qu’une conditionnalité de genre compliquerait encore davantage. Moins attractives que les grandes entreprises, les PME ne sont pas toujours situées sur des territoires où il est facile de se loger, ou encore de trouver un deuxième emploi pour le conjoint de l’employé. Ainsi, il convient d’élargir le vivier de recrutement, ce qui nous amène à la question de Mme Panonacle : comment amener davantage de jeunes femmes à entreprendre des études scientifiques et techniques ? Je pense que tout se joue au collège, et non au lycée. Les régions ont la charge de l’orientation des élèves, or il leur est plus difficile d’entrer dans les collèges que dans les lycées, avec lesquels elles entretiennent un plus grand contact institutionnel. Le risque consiste à se retrouver dans une situation où la relation entre les acteurs est plus institutionnelle que ce qu’ils souhaiteraient, et où l’orientation intervient trop tard, même lorsqu’elle est bien faite. Nous devons nourrir les imaginaires dès les classes de CM1, CM2. Il pourrait par exemple devenir habituel que les enfants visitent une entreprise industrielle au même titre qu’ils visitent des musées ou des grands monuments du patrimoine. Ces visites seraient d’autant plus utiles que l’industrie et les métiers scientifiques et techniques sont les moins visibles dans l’univers des jeunes. Tous se rendent chez les commerçants, savent ce qu’est un boulanger, une infirmière, un policier, etc. et tous connaissent ces métiers visibles et présents dans le domaine public. Au contraire, les sites industriels et les laboratoires de recherche sont des espaces fermés au public. Ainsi, il est impossible d’y être confronté avant d’avoir atteint une phase de l’orientation déjà avancée, dans le cadre d’une recherche de stage, d’alternance ou d’apprentissage par exemple. Je considère donc qu’il nous faut intervenir dès le collège en organisant des sessions de mentorat, qui évolueraient ensuite au lycée et lors des études supérieures, où les besoins et les profils ne sont pas les mêmes. La nécessité d’élargir le stage de troisième a également été largement pointée du doigt, afin de les rendre plus qualitatifs. Rendre les sites industriels accessibles à des élèves de troisième reste toutefois difficile en raison de problèmes d’interdits et d'horaires. Il convient de réfléchir à comment répondre à ces questions. Nous avons en outre abordé le sujet des classes en entreprise avec le président de l’UIMM, Jean-Michel Blanquer et le président de France Industrie. Nous nous sommes aperçus qu’elles fonctionnaient très bien à travers un retour d’expérience qualitatif. Les élèves passent une semaine au sein d’une entreprise, durant laquelle les professeurs mènent des actions pédagogiques en maths ou en physique en s’appuyant sur l’activité de l’entreprise. Cette dernière peut par exemple présenter sa politique de décarbonation ou expliquer comment elle contribue à la lutte contre le réchauffement climatique. Les élèves visitent des ateliers, réalisent des travaux de groupe, assistent aux présentations des salariés… Ce dispositif permet de rendre les métiers de l’industrie plus accessibles et de changer le regard des jeunes sur l’entreprise. Il convient en outre de travailler avec les professeurs sur la représentation qu’ils se font de ces métiers. En effet, ils ne sont pas exposés aux entreprises, notamment lorsqu’ils enseignent dans le général. Il en va de même pour les acteurs de l’orientation, les proviseurs et toutes les personnes assumant un rôle de prescripteur dans les études. Enfin, et c’est un sujet plus délicat, nous devons nous appuyer sur les parents à travers les associations de parents d’élèves. Nous devons les associer à notre réflexion sur comment permettre aux jeunes de mieux connaître la diversité des métiers dans les différents secteurs d’activité. En effet, les métiers d’un grand nombre de secteurs d’activité restent méconnus, entraînant une forme de déterminisme social. Concernant la question plus structurelle de l’accès aux études scientifiques et techniques, je pense que nous devons avoir recours au triptyque « mesurer, donner un objectif, déterminer des plans d’action », et ce au sein de toutes les instances responsables de porter l’éducation.

Envisager l’éga-conditionnalité comme un ensemble de protocoles ou la dotation de moyens plutôt que comme une obligation de résultat est probablement envisageable dans le cadre de processus d’accompagnement sur le long terme. Nous pourrions par exemple demander que les investisseurs publics s’assurent que les entreprises disposent d’un plan d’amélioration ou d’une feuille de route pour faire progresser la parité lors d’un investissement. Il pourrait être exigé des entreprises qu’elles fassent des propositions votées ensuite par leur conseil d’administration au cours des six mois de discussion généralement préalables à tout investissement. Il n’est pas absurde d’attendre d’une entreprise qu’elle ait une vision de sa trajectoire carbone, de son empreinte environnementale, de la parité et de l’employabilité de ses salariés dans le cadre de mesures d’accompagnement au long cours, il s’agit même des conditions de performance future de l’entreprise. Tout investisseur ou financeur doit se demander si toutes les conditions sont réunies pour le succès de l’entreprise. Nous pouvons prendre cette direction, tout en dépassant la question des violences sexuelles et sexistes, l’enjeu étant vraiment de progresser. Je rappelle aussi que les entreprises cotées ont l’obligation de présenter une fois par an leurs plans pour l’égalité femmes-hommes. Bien sûr, il ne faut pas que ce sujet soit abordé à la va-vite à la fin du conseil d’administration parce qu’il n’est pas pris au sérieux. Au-delà du seul protocole, cette question doit être traitée de façon qualitative et s’accompagner d’un véritable intérêt à agir.

Mme Isabelle Rauch. Je souhaitais citer l’exemple d’un grand groupe qui offrait des cartes bancaires à ses employés. Bien que présentant des revenus ou des taux d’endettement similaires, les services proposés aux hommes étaient bien supérieurs à ceux proposés aux femmes. Ne sommes-nous pas face à un problème lié à l’intelligence artificielle et aux recours aux bases de données ? En effet, bon nombre de recrutements et d’orientations sont aujourd’hui assistés par des algorithmes qui privilégient les hommes et renvoient les femmes vers des métiers moins rémunérateurs et plus genrés.

M. Gaël Le Bohec. Je souhaitais vous remercier pour vos déclarations dans la presse au sujet des visites de sites industriels pour les classes de CM1-CM2. Il est en effet tout à fait possible d’imaginer des classes hors les murs, pour faire des maths en industrie, de l’économie dans un musée, et apprendre beaucoup sur ces questions d’égalité en dehors de la classe. Ces visites permettent de découvrir de magnifiques métiers, y compris pour les femmes. Je me suis par exemple rendu chez NG Biotech avec le ministre Le Drian la semaine dernière et visiterai demain une menuiserie industrielle à Redon, dans le cadre du Duoday.

L'intégration des stéréotypes de genre et le décalage des viviers commencent très tôt. Un excellent rapport sur les stéréotypes de genres coécrit par Carine le Bon et Gaël le Bohec explique qu’ils commencent même parfois in utero. En effet, certains chercheurs ont montré que la relation du parent à son enfant n’est pas la même à partir du moment où il sait s’il attend un garçon ou une fille. Ce décalage se crée tout au long de l’enfance et de la vie, nous devons donc créer et coconstruire un véritable continuum de l’égalité. Si seulement 32 % des élèves entrants en classes préparatoires sont des filles, il est encore plus choquant de constater que les établissements se félicitent que ce pourcentage ne descende « qu’à » 28 % à la sortie. Si nous enregistrons une perte de 10 % tous les deux ans, il ne reste que très peu de jeunes femmes à l’arrivée.

Nous avons beaucoup parlé d’éga-conditionnalité et de la nécessité de s’appuyer sur des chiffres et des données objectives. Je souhaitais vous informer de la difficulté que notre Délégation avait rencontrée à obtenir que la Fédération bancaire française (FBF) ou la banque publique d’investissement (BPI) comptent le nombre de femmes présentes dans leurs organisations, et ce en dépit de nombreuses relances adressées à leur directeur et directrice. Je voulais vous alerter sur ce sujet et solliciter votre influence sur ces deux organismes, afin que nous fassions cause commune pour obtenir ces chiffres qui me semblent indispensables si nous souhaitons progresser, avant même de nous poser la question de l’éga-conditionnalité.

L'évolution de la place des femmes s’annonce rapide et doit se préparer dès aujourd’hui. Concernant cette idée d’éga-conditionnalité de moyens, nous pourrions imaginer que l’État tienne un rôle proactif en interne afin d’aider les entreprises et le secteur privé à mieux accompagner les femmes, en les formant notamment à la négociation. Bouge ta Boîte s’apprête par exemple à lancer un programme intitulé Bouge ton groupe qui permettra à des femmes d’en accompagner d’autres pour qu’elles soient plus à l’aise lors de négociations. Pourrait-on imaginer une forme d’éga-conditionnalité qui consisterait pour les entreprises à s’engager dans ce type de dispositifs, à y recourir ou à y participer ? Je pense aussi à l’exemple du programme Entreprendre pour Apprendre qui souhaite transmettre aux petites filles dès le collège suffisamment de confiance en elles pour viser des postes de directrice générale, directrice financière ou encore directrice industrielle.

Mme Claire Pitollat. Il est très positif de constater que les choses avancent et que nous sommes très mobilisés sur la question de la parité. Je vous remercie d’avoir souligné les travaux des parlementaires de cette législature sur les horaires décalés. Certaines entreprises se sont déjà saisies du sujet. Dans ma circonscription, le groupe Onet a réalisé d’importants travaux sur les horaires de nettoyage, notamment dans les trains. La raison sociale des entreprises constitue un autre levier efficace dans ce domaine.

Il est bien sûr nécessaire de créer les conditions de confiance pour que les femmes osent parler de salaire. Je pense que nous devons aussi travailler sur les stéréotypes intégrés par les interlocuteurs qui reçoivent la demande d’augmentation. Si de plus en plus de femmes osent négocier leur salaire, les recruteurs ne le perçoivent pas de la même façon que lorsqu’ils sont face à un homme. Un travail sur les biais des stéréotypes de genre auprès des recruteurs est indispensable si nous souhaitons permettre aux femmes d’aller au bout de leurs ambitions, qui ne manquent pas.

Ingénieure de formation, j’ai quitté mon travail pour devenir députée et participer ainsi à la féminisation de la politique. Comme toutes mes collègues, nous cherchons à répondre à l’enjeu de la présence et de la parole des femmes. Je pense que les cours de technologie pourraient être rafraichis. En effet, j’ai pu constater qu’ils étaient totalement déconnectés de la réalité de l’industrie, et je pense que leur contenu est trompeur à la fois pour les enseignants et pour les élèves. Le collège et le lycée constituent le bon moment pour orienter les jeunes vers des carrières dans l’industrie. En effet, très peu d’orientations se font au moment de l’école primaire, même s’il reste important de déconstruire les biais dès cet âge-là.

Ma question concerne le plan d’action du CMEPI. Pourriez-vous nous communiquer les éléments de bilan du grand défi IndustriElles lancé il y a deux ans à destination des femmes de l’industrie ?

Mme la ministre Agnès Pannier-Runacher. De façon générale, le problème des algorithmes et de l’intelligence artificielle est essentiel. Il s’agit d’une question démocratique : les données traitées par l’algorithme constituent une sorte de boîte noire, et il est possible d’influencer la façon dont sa réponse est structurée. La question des algorithmes se pose notamment dans le cadre de sujets centraux tels que le recrutement. Ils sont utilisés sur les sites professionnels de mise en relation entre employeurs et candidats. Sur les grands sites d’offres d'emplois, un même profil n’obtiendra pas les mêmes propositions de postes selon que le candidat est un homme ou une femme. L’algorithme étant un algorithme apprenant, il est biaisé par le fait que davantage d’hommes vont dans certaines directions, ce qui l’amène à aller chercher encore plus d’hommes. Nous avons travaillé à travers le Fonds pour l’innovation et l’industrie (FII) à l’audit des algorithmes sur la question de la parité, mais aussi sur les logiciels de reconnaissance faciale, les algorithmes pour proposer des prestations de formation ou de santé. En effet, il est important que le fonctionnement de ces algorithmes soit transparent pour nous assurer qu’ils ne sont pas soumis à des biais marketing ou de construction qui rendent les données autoréférentes. Je pense par exemple au problème de l’algorithme de Facebook qui conduit l’utilisateur à rester enfermé dans une représentation du monde plutôt qu’à être mis en contact avec des représentations proches. Il s’agit d’un sujet essentiel. De manière plus générale, l’intelligence artificielle va permettre à beaucoup de femmes d’avoir accès au monde industriel à travers la robotisation. En effet, elle rendra obsolètes les questions de taille, de poids, de musculature et de puissance. Ce changement interviendra aussi pour les personnes en situation de handicap.

Inciter les entreprises à s’engager vers plus de parité peut constituer une piste de travail. Beaucoup d’entreprises demandent en effet de bénéficier d’une forme d’incitation positive lorsqu’elles s’engagent par exemple dans la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Il ne s’agit pas d’une incitation financière, mais plutôt d’une forme de reconnaissance de leur engagement, à travers une labellisation contribuant à fidéliser leur clientèle et à améliorer leur image d’employeur. Dans un contexte de guerre des talents, une telle reconnaissance revêt une grande valeur.

Les travaux réalisés par d’importants acteurs des métiers du nettoyage montrent justement que des changements sont possibles. Je pense que ces métiers invisibles doivent devenir visibles. Certains grands groupes présentant des bilans RH très flatteurs laissent les éléments liés à la sous-traitance ou à l’intérim dans un angle mort de leur politique, alors même que c’est précisément là que se logent les dernières poches de précarité et de fragilité. Il est intéressant de les amener à aller plus loin et à construire des politiques RH qui intègrent également les retombées de la sous-traitance et de l’intérim.

La formation aux biais de genre constitue un véritable enjeu, et figure parmi les recommandations du CMEPI, notamment en direction des entreprises privées. L’inscription culturelle étant très forte, il est nécessaire de former les managers et recruteurs à cette problématique et d’y revenir régulièrement.

Concernant les cours de mathématiques, de sciences et de technologie, j’irais encore plus loin. Je pense que la réussite du plan France 2030 ainsi que la conduite d’une politique de reconquête industrielle efficace exigent une transformation radicale de la formation scientifique et technique par tous les moyens. Cette transformation doit intervenir dès l’école primaire via un renforcement en mathématiques et en sciences dures, et se poursuivre jusqu’au postdoctorat sans oublier d’intégrer les filières professionnelles. En effet, ces dernières peuvent représenter des voies d’excellence vers l’ingénierie par un autre mode d’apprentissage qui doit être tout autant reconnu. Un lien entre l’enseignement le plus académique et l’apprentissage le plus pratique mis en situation dans l’entreprise doit être assuré. Les écoles de production, l’apprentissage, les lycées professionnels et les campus d’excellence doivent former un continuum. Nous devons pouvoir faire monter les jeunes en compétence en leur offrant la meilleure adéquation possible selon leur mode d’apprentissage. Il faut oublier la dichotomie faite entre les filières d’excellence et les filières non nobles, qui crée effectivement de la frustration. Encore aujourd’hui, les mauvais élèves sont envoyés en lycée professionnel, comme ils étaient envoyés à l’usine autrefois. Il s’agit d’une vision aussi désastreuse qu’enfermante et erronée de ce qu’est l’enseignement professionnel. Il nous reste donc encore un important travail à mener.

Le collectif IndustriElles représente aujourd’hui plus de 2 000 personnes et réunit six associations dont Elles bougent, l’Association des femmes ingénieures, etc. Faire vivre ce réseau demande d’aller encore plus loin. L’objectif est d’en faire un vivier de talents, d’ambassadrices, de mentores, et de personnes pouvant prendre la parole dans les médias ou à l’occasion d’actions de formation, de présentation des métiers ou d’orientation. Ce dispositif est très intéressant, car il existe sur l’ensemble des territoires et réunit non seulement des professionnels de l’industrie, mais aussi des personnes n’y travaillant pas, mais s’y intéressant, en allant de l’ouvrière qualifiée à la patronne de grand groupe.

Mme la présidente, Marie-Pierre Rixain. Merci à tous. La prochaine réunion de la délégation aura lieu le 24 novembre à quinze heures dans le salon de l’hôtel de Lassay à l’occasion du colloque consacré à la lutte contre les violences faites aux femmes en situation de handicap.

Les débats sont accessibles sur le portail vidéo de l’Assemblée à l’adresse suivante :

https://assnat.fr/hdWDQi

La réunion s’achève à 16 heures 35.


Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Céline Calvez, M. Gaël Le Bohec, Mme Nicole Le Peih, Mme Sophie Panonacle, Mme Claire Pitollat, Mme Isabelle Rauch, Mme Marie-Pierre Rixain