Compte rendu

Délégation aux droits des femmes
et à l’égalité des chances
entre les hommes et les femmes

 Audition de Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté 2

 

 

 

 

 


 

Mardi
22 février 2022

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 16

session ordinaire de 2021-2022

Présidence
de Mme Fiona Lazaar,
Vice-présidente


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La réunion est ouverte à 14 heures

Présidence de Mme Fiona Lazaar, Vice-présidente.

La délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes auditionne Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté.

Les débats sont accessibles sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

https://assnat.fr/JP8eDl

Mme Fiona Lazaar, présidente. Madame la ministre déléguée chargée de la citoyenneté, vous avez souhaité évoquer devant nous les mesures relatives à la lutte contre les violences faites aux femmes annoncées par le Président de la République le 10 janvier dernier. La délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes s’est particulièrement investie sur cette question. Elle examinera prochainement un rapport évaluant la mise en œuvre des recommandations qu’elle a adoptées au cours de la législature. La présente audition nous permettra précisément de parachever ce travail.

Le 10 janvier, le Président a annoncé entre autres la création d’un fichier de prévention des violences intrafamiliales, notamment des violences conjugales ; le doublement du nombre d’enquêteurs dans les unités spécialisées, soit 2 000 policiers et gendarmes supplémentaires, afin que les plaintes soient mieux recueillies, qualifiées et transmises aux procureurs de la République – ce doublement figurera dans la future loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (LOPMI) ; l’amélioration de l’accompagnement des victimes grâce à 200 intervenants sociaux en commissariat et gendarmerie (ISCG) supplémentaires, leur nombre étant ainsi porté à 600. Comment les besoins ont-ils été identifiés ? Quel est le calendrier de déploiement de ces moyens supplémentaires ? Selon quelles modalités seront-ils répartis sur le territoire national ?

Le Président souhaite en outre faciliter les possibilités offertes aux associations de signaler les faits aux services de police et de gendarmerie. Quelles en seront les modalités ? Des modifications législatives sont-elles envisagées ? Des moyens particuliers y seront-ils affectés ?

S’agissant de la protection des femmes dans l’espace public, le Gouvernement devra doubler la présence policière dédiée dans les transports en commun aux horaires où les violences sexuelles sont le plus constatées. Combien d’infractions ont été constatées en 2021 ? Quelle est leur répartition géographique ? Selon quelles modalités les moyens seront-ils accrus ? Sur quelle durée leur déploiement sera-t-il effectué ?

Le Président a en outre abordé le sujet essentiel du harcèlement de rue, sur lequel vous êtes très engagée. Loin de diminuer, le harcèlement de rue est devenu un véritable fléau social. C’est une profonde régression pour le droit des femmes, nombre d’entre elles craignant de circuler ou de se vêtir comme elles l’entendent. Le Président a indiqué que la LOPMI sanctionnerait ce délit par une amende forfaitaire de 300 euros, soit le triple du montant actuel. Nous savons que les victimes portent très peu plainte et que le flagrant délit reste rare en comparaison avec le nombre de faits enregistrés par les forces de l’ordre. À combien estime-t-on le nombre de délits de ce type ? Comment ce chiffre a-t-il évolué au cours des dernières années ? Dans quelle mesure le dispositif actuel est-il mis en œuvre ? Comment évaluer son efficacité ? Comment le montant de 300 euros a-t-il été déterminé ? En quoi serat-il plus dissuasif ?

Pour finir, je voudrais vous interpeller sur les violences conjugales commises par des membres des forces de l’ordre. Les violences conjugales existent dans tous les milieux sociaux et concernent tout type de population – notre délégation, qui a beaucoup travaillé sur le sujet, le sait bien. L’arrestation aujourd’hui même d’un policier suspecté de féminicide, après presque un mois de cavale, le rappelle tristement. Le sujet demeure absent du débat public, alors même qu’une victime dont le conjoint est gendarme ou policier se trouve dans une situation très particulière lorsqu’elle souhaite déposer plainte. En 2016, la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF), qui gère le 3919, a recensé 115 appels de conjoints de policiers ou militaires, soit environ 10 % des fiches pour lesquelles la profession de l’auteur présumé était renseignée.

S’il ne faut pas en faire une généralité, le phénomène n’est pas négligeable, et il apparaît nécessaire de l’objectiver. Disposons-nous de données à ce sujet, par exemple le nombre de procédures disciplinaires ouvertes à l’encontre de policiers ou de gendarmes pour des faits supposés de violences intrafamiliales ?

À la suite du Grenelle des violences conjugales, le Gouvernement a annoncé que le port d’arme serait suspendu pour les personnes visées par une plainte pour violences conjugales. Comment cette suspension est-elle mise en œuvre ? Des modalités particulières sont-elles prévues pour les agents de police et de gendarmerie ? Quelles autres pistes d’action intéressant les agents de police et de gendarmerie le ministère a-t-il dégagées pour mieux lutter contre les violences conjugales ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Je vous remercie de m’accueillir pour la dernière audition programmée par votre Délégation au cours de ce quinquennat, qui sera aussi ma dernière audition par un organe de l’Assemblée nationale. C’est donc avec une émotion particulière que j’échangerai aujourd’hui avec vous sur ces sujets qui me tiennent, comme à vous, particulièrement à cœur.

Je tiens tout d’abord à vous remercier humblement, non en tant que ministre mais en tant que citoyenne, féministe et activiste, qui présidait auparavant une association engagée sur ces questions, pour tout le travail que vous avez accompli pendant la législature. Vous avez été à la fois alertes et très concrets ; vous avez très clairement fait évoluer les lois et les dispositions relatives aux droits des femmes.

Je souhaite revenir sur tout ce que nous avons fait – c’est un « nous » très collectif. Au cours de ces cinq dernières années, il y a eu des évolutions, grâce à l’impulsion donnée par le Président de la République – qui a fait de l’égalité femmes-hommes la grande cause de son quinquennat – et au travail du Gouvernement et des parlementaires, mais aussi grâce à l’engagement de la société civile – je pense en particulier au mouvement #MeToo – et au cheminement des médias, qui ne traitent plus désormais ces questions comme ils le faisaient il y a encore cinq ou dix ans.

J’ai entendu, tout au long du quinquennat, différentes remarques et critiques. Certains disent que nous n’en avons pas fait assez. Il y a probablement encore beaucoup à faire, mais personne ne peut dire que rien n’a été fait pendant ce quinquennat. D’autres disent que notre action en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes relève « de la com’ ». Tout d’abord, il ne faut pas mépriser la communication. Si les femmes ne connaissaient pas les dispositifs de protection que nous avons créés, elles ne pourraient pas s’en saisir, et ce serait comme si nous n’avions rien fait. L’absence de communication n’aide aucune femme. J’en veux pour preuve que le numéro 3919 est désormais connu de la quasi-totalité des femmes sur le territoire français, alors que, d’après une étude que nous avions commandée, il ne l’était que par un nombre infinitésimal d’entre elles avant le lancement du Grenelle des violences conjugales – précisément le 3 septembre 2019 – et la grande campagne relative à ce numéro.

L’égalité entre les femmes et les hommes, surtout la protection des femmes contre les violences conjugales, c’est aussi une question de communication, parce que c’est un combat culturel. Les mots que l’on utilise importent. Le terme « féminicide » apparaît désormais dans les bandeaux des chaînes d’information en continu. Pourtant, lorsque je l’ai utilisé à propos de l’affaire Alexia Daval, on m’a reproché de l’inventer, et j’ai subi un véritable lynchage médiatique. Ce ne sont pas que des mots ; les mots précèdent les choses et peuvent contribuer à ce combat culturel. Il y a eu à cet égard, au cours de ce mandat, un « avant » et un « après ».

J’aborderai les actions qui relèvent du ministère de l’intérieur – de nombreuses autres mesures relevant d’un travail collectif ou d’autres ministères. Je me concentrerai sur la protection des femmes par les forces de l’ordre contre les violences qu’elles subissent, en particulier contre les violences conjugales.

La loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, que vous avez adoptée, a fait de la France le premier pays du monde à verbaliser le harcèlement de rue. Il s’agissait d’un engagement de campagne du Président de la République et des députés, qui a été tenu. Le message est double : les hommes ne peuvent pas décider de s’approprier l’espace public, et la liberté de circuler, d’aller et de venir, est une liberté fondamentale pour les femmes.

Près de 5 000 infractions pour outrage sexiste ont été enregistrées, en flagrant délit, par les forces de sécurité intérieure. Je rappelle que le Parlement a ouvert la possibilité de verbalisations non seulement en flagrant délit, mais aussi en cas de dépôt de plainte, par exemple lorsqu’une agression sexuelle ou un viol a été précédé ou s’est doublé d’un outrage sexiste – puisque telle est l’appellation juridique que vous avez décidé de retenir. Les forces de l’ordre sont désormais formées sur la question du harcèlement de rue, ce qui n’était pas le cas avant la promulgation de la loi. Nous avons noué des partenariats avec des associations, des gestionnaires d’applications et des entreprises pour mobiliser tout le monde dans la lutte contre le harcèlement de rue.

Vous l’avez rappelé, madame la présidente, le Président de la République a voulu aller plus loin encore : il a annoncé l’augmentation de l’amende pour outrage sexiste, afin de la rendre plus dissuasive. Avec cette amende, la loi pose un interdit et délivre un message pédagogique : non, la République ne tolère pas que l’on suive, intimide ou invective des femmes dans l’espace public. Nous considérons que nous pouvons augmenter la palette des sanctions que vous avez votée, laquelle va de 90 à 1 500 euros. Nous entendons en outre doubler la présence policière dans les transports en commun aux heures où les faits sont le plus constatés.

Nous ne voulons rien laisser passer non plus en matière de violences faites aux enfants. Avec la loi du 3 août 2018, nous avons posé ensemble une première pierre dans la politique de lutte contre ces violences et contre l’inceste, menée notamment par mon collègue Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles, dont je tiens à saluer le travail. Je fais référence à l’allongement, de vingt à trente ans, du délai de prescription pour les crimes sexuels commis sur mineurs. Une personne qui a été violée dans son enfance peut désormais déposer plainte jusqu’à l’âge de 48 ans. Je rappelle que la victime peut aussi porter plainte ultérieurement, auquel cas il revient au juge d’apprécier la prescription.

Avec le Grenelle des violences conjugales, nous avons décidé ensemble d’abaisser, dès le début du quinquennat, le seuil de tolérance de la société face aux violences sexistes et sexuelles. J’en ai donné tout à l’heure un exemple : des faits qui étaient auparavant considérés comme des « crimes passionnels » et rapportés dans les pages « faits divers » des journaux sont désormais traités comme il se doit, c’est-à-dire comme un fait majeur de société, un fléau, un crime de masse. Nous avons créé un terreau favorable à une mobilisation générale : avec le Grenelle des violences conjugales, nous avons mis fin au travail en silos ; nous avons réuni tous les acteurs à Matignon, puis au sein de groupes de travail, qui poursuivent leur action –ceux qui sont compétents en matière de sécurité sont pilotés par le ministère de l’intérieur, ceux qui travaillent sur des thèmes interministériels le sont par ma collègue Élisabeth Moreno, ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances.

Lors d’une visite que j’ai effectuée récemment dans un commissariat, un policier m’a dit qu’avant le Grenelle, lorsqu’on l’appelait pour des violences conjugales, il se déplaçait mais se contentait souvent de dire au monsieur de se calmer et à chacun de reprendre ses esprits, invitant à le rappeler si les choses dégénéraient ; désormais, on n’agissait plus jamais de la sorte. Il a précisé qu’une personne était en garde à vue dans les locaux, parce que ses collègues et lui avaient décidé de l’interpeller, d’ouvrir une enquête et de saisir la justice, pour qu’une sanction soit prononcée. Cet engagement et cette action des forces de l’ordre, c’est un changement concret, opérationnel ; ce n’est pas de la communication.

Le Grenelle des violences conjugales, qui s’est accompagné de 182 événements auxquels ont participé quelque 4 550 personnes – je salue les députés ici présents qui en ont organisé –, a débouché sur deux lois : celle du 28 décembre 2019, visant à agir contre les violences au sein de la famille, qui a repris des engagements du Premier ministre de l’époque, Édouard Philippe ; celle du 30 juillet 2020, visant à protéger les victimes de violences conjugales, qui a été défendue par les députés du groupe La République en marche.

Grâce à ces textes, nous avons permis la suspension de l’autorité parentale lorsqu’un parent est l’auteur d’un féminicide. Je tiens à rappeler ce qu’avait dit Édouard Philippe à ce sujet : un homme qui bat la mère de ses enfants ne peut en aucun cas être un bon père – ce fut un moment historique, la première fois qu’un Premier ministre tenait de tels propos. Nous avons en outre étendu la garantie VISALE – visa pour le logement et l’emploi – aux femmes victimes de violences conjugales. L’État peut ainsi se porter garant dès le stade de la plainte, afin qu’elles disposent d’un logement pérenne. À cela s’ajoutent de nombreuses autres mesures, que vous connaissez bien pour les avoir proposées ou votées : la mise en œuvre du bracelet anti-rapprochement – je salue l’engagement du garde des sceaux, Éric DupondMoretti, qui a augmenté comme jamais les crédits, afin qu’il y ait partout suffisamment de téléphones grave danger et de bracelets anti-rapprochement ; la levée du secret médical ; la reconnaissance de l’emprise et du suicide forcé.

Si nous devions garder en tête une seule mesure, je retiendrais l’accueil de la parole des femmes. On a beaucoup dit que la parole des femmes se libérait. Pour ma part, je déteste cette expression, car les femmes parlent depuis des générations, et c’est plutôt l’écoute qui s’est enfin libérée. Le Président de la République a souhaité que le 3919 soit ouvert sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Je rends ici un hommage appuyé aux équipes de la FNSF, qui réalisent un travail remarquable – j’étais encore il y a quelques jours avec Françoise Brié, directrice générale de la FNSF. Notre volonté a été de développer le 3919, numéro d’écoute et d’accompagnement, mais il faut se souvenir qu’en cas d’urgence, il faut composer le 17, les policiers étant désormais formés sur la question des violences conjugales.

Je reviens de manière plus détaillée sur les mesures qui relèvent directement du ministère de l’intérieur. Nous avons pris l’habitude de dire qu’il doit être le premier ministère de protection des femmes contre les violences conjugales, et tel est bien le cas. En effet, c’est vers les forces de l’ordre que les victimes se tournent, en premier lieu vers les policiers et les gendarmes. Il était donc primordial que le ministère prenne un engagement de premier plan en la matière. Il l’a fait dès le Grenelle des violences conjugales, et a même fait davantage. Je voudrais vous en donner quelques exemples très concrets.

Je commence par les ISCG. Le travail des policiers, c’est de recevoir les plaintes, de faire en sorte qu’elles soient bien qualifiées et de les transmettre au parquet. Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a donné des instructions très fermes pour que 100 % des plaintes soient prises – il ne doit y avoir aucun refus de plainte ni aucune main courante. Le travail des ISCG consiste à accompagner la prise de plainte. Lorsqu’il était ministre de l’intérieur, Christophe Castaner s’était engagé à recruter 80 ISCG supplémentaires. L’engagement a été tenu, et nous sommes même allés au-delà, puisque nous en avons recruté 140, si bien qu’il y a en ce moment 411 ISCG en poste dans les commissariats et les gendarmeries. J’avais découvert que, dans certains départements, il n’y avait aucun ISCG, ce qui était bien évidemment inadmissible. Vous l’avez rappelé, madame la présidente, le Président de la République a souhaité s’emparer lui-même du sujet et a annoncé un objectif de 600 ISCG. Autrement dit, nous allons ouvrir le recrutement de 200 ISCG dans le cadre de la LOPMI.

Nous avons en outre créé, avec les associations – je salue à cet égard l’engagement d’Ernestine Ronai –, une grille d’évaluation du danger, désormais diffusée dans tous les commissariats et toutes les gendarmeries. Il s’agit d’une liste de questions, qui permet de mesurer l’imminence du danger et de ne pas laisser de côté certaines formes de violence. En cas de violences conjugales, il importe par exemple de savoir s’il y a des viols conjugaux, pour que la plainte soit dûment qualifiée et que la justice puisse s’en saisir correctement. Les questions portent aussi sur les violences psychologiques. Nous avons fait traduire cette grille en une quinzaine de langues, pour que toutes les femmes aient accès à leurs droits et puissent déposer plainte, y compris celles qui ne parlent pas le français ou le parlent mal – c’est un point fondamental.

Une des questions de la grille d’évaluation du danger me paraît particulièrement importante : celle qui vise à savoir si l’homme violent est en possession d’une arme à feu. On emploie souvent l’expression « morte sous les coups de son conjoint », mais le premier mode opératoire est l’arme à feu, et le deuxième, l’arme blanche. Désormais, la loi donne la possibilité de saisir les armes, dès la plainte. Le ministre de l’intérieur a envoyé des instructions pour systématiser les choses et les rendre automatiques : dès qu’il y a plainte, la question de la possession d’une arme doit être posée, et l’arme immédiatement saisie.

J’en viens à la formation. Désormais, 100 % des policiers et des gendarmes qui sortent d’école ont suivi une formation initiale relative aux violences sexuelles et sexistes. C’est une révolution : ce n’était pas du tout le cas il y a dix ans. Parmi les policiers et les gendarmes qui n’ont pas bénéficié de cette formation initiale, près de 100 000 ont suivi une formation continue, en présentiel. Il nous reste donc beaucoup de travail à accomplir pour que la totalité des policiers et des gendarmes soient formés.

Le ministre de l’intérieur s’était effectivement engagé à développer le dépôt de plainte à l’extérieur. Nous avons conclu plus de 215 conventions avec des établissements hospitaliers, sur tout le territoire, pour que les victimes puissent déposer plainte dès leur entrée à l’hôpital.

Pour nous assurer de l’effectivité de ces nouvelles mesures, nous avions annoncé un audit sur l’accueil, dans les commissariats et les gendarmeries, des femmes victimes de violences conjugales. Réalisé en 2019, il a porté sur 635 victimes accueillies dans 540 commissariats et brigades de gendarmerie. Cet outil très précieux permettant de maintenir un niveau d’exigence, nous avons décidé de le pérenniser ; il est donc réalisé désormais chaque année. À la suite des propos odieux tenus par un policier au moment où une femme venait déposer plainte pour agression sexuelle, j’ai décidé de rendre publics ses résultats, afin que chacun puisse en prendre connaissance.

Tels ont été les résultats du Grenelle des violences conjugales. Des demandes nous sont adressées pour que les forces de l’ordre aillent plus loin encore. Je tiens à remercier les policiers et les gendarmes, qui réalisent 400 000 interventions par an, parfois à leurs risques et périls, pour sauver la vie de femmes et d’enfants. J’ai une pensée pour les trois gendarmes de la compagnie d’Ambert décédés alors qu’ils tentaient de sauver une femme menacée de mort par un homme surarmé. Lors de mes déplacements sur le terrain, j’ai rencontré un très grand nombre de policiers et de gendarmes extrêmement engagés sur ces questions. Je souhaite que l’on soutienne leur action. Le lien de confiance entre les femmes et les forces de l’ordre est primordial, si on veut les encourager à déposer plainte. Rappelons aussi que, lorsqu’une femme ne peut pas ou ne veut pas déposer plainte, elle peut recourir à la plateforme arretonslesviolences.gouv.fr, qui permet de dialoguer, sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre, avec des policiers et des gendarmes.

Le ministre de l’intérieur présentera prochainement le projet de LOPMI. J’en ai rappelé certains éléments : augmentation considérable du montant de l’amende pour outrage sexiste, afin de la rendre plus dissuasive ; doublement de la présence policière dans les transports en commun aux heures où les faits sont le plus constatés. Toutes les études menées au préalable par le ministère de l’intérieur, notamment le baromètre du harcèlement de rue, ont été très utiles, afin de disposer d’une analyse fine, notamment des lieux et des heures en question.

Lorsque nous avons annoncé ce baromètre et cette cartographie, certains ont ri ou prétendu que c’était inutile. Or c’est précisément ce qui nous permet de savoir à quels endroits renforcer la présence policière. Le 1er février dernier, nous avons supprimé les cycles horaires chronophages des unités d’intervention sur la voie publique. En outre, les policiers et les gendarmes sont de plus en plus mobiles, notamment grâce à l’équipement numérique mobile, qui leur permet de réaliser des tâches lors des patrouilles. Nous développons par ailleurs le recours à la réserve opérationnelle de la gendarmerie et à celle de la police, qui devraient passer respectivement de 30 000 à 50 000 membres, et de 6 000 à 30 000 membres. Les forces de l’ordre peuvent ainsi recentrer leur action sur la sécurité, qui constitue le cœur de leur mission. D’autres mesures y concourent : la substitution de personnels administratifs aux personnels actifs dans les bureaux, la mise en place de la fonction d’assistant d’enquêtes de police et de gendarmerie, l’abandon de certaines tâches administratives périphériques.

Vous m’avez demandé, madame la présidente, de quelles données nous disposions concernant le harcèlement de rue. J’ai publié il y a quelques semaines le premier baromètre en la matière, que je viens d’évoquer. Il s’agit de mesurer l’ampleur du phénomène, d’analyser les chiffres et d’adapter nos mesures sur le terrain, territoire par territoire. Le harcèlement de rue relève de l’appropriation de l’espace public. Plus encore que pour d’autres phénomènes de violence, on relève des disparités territoriales. Cela ne veut pas dire qu’un département est plus concerné qu’un autre ; il y a en réalité des points névralgiques au sein d’un même département, en particulier les gares et les transports. Au-delà, nous avons engagé un travail subtil sur les liens entre l’urbanisme et la question de la protection des femmes.

Le baromètre du harcèlement de rue, qui présente en détail les données recueillies en la matière par le service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI), permettra chaque année de revenir sur les actions engagées par le ministère de l’intérieur pour protéger les femmes contre ce phénomène. Je vous transmettrai le baromètre 2022 à l’issue de notre audition. Vous pourrez y lire que neuf victimes sur dix des outrages sexistes enregistrés dans le périmètre de la police nationale sont des femmes, ou encore que 30 % des infractions d’outrage sexiste sont commises avec des circonstances aggravantes, notamment le fait qu’elles sont commises sur un mineur de moins de 15 ans.

Comment aller plus loin encore dans la lutte contre les violences conjugales ?

Nous avons, je l’ai dit, adressé des instructions aux forces de sécurité intérieure pour systématiser la saisie des armes dès la plainte et lancé l’expérimentation de la prise de plainte hors les murs.

Nous avons nommé des référentes nationales « violences intrafamiliales » (VIF), dont la mission a vocation à s’inscrire dans la durée – c’est très important car, la démocratie étant ce qu’elle est, les responsables politiques ignorent où ils seront dans quelques mois. Je vous invite à prendre contact avec elles. Placées directement auprès du directeur général de la police nationale, du directeur général de la gendarmerie nationale ou du préfet de police de Paris, ce sont des interlocutrices très précieuses. Grâce au réseau des référents désignés à notre demande dans les commissariats et les brigades de gendarmerie – ces référents n’existaient pas auparavant –, elles ont une bonne vision de la question, peuvent travailler sur la remontée d’informations et donner des impulsions.

Le ministre de l’intérieur a donné des instructions – je salue cette décision courageuse – pour que tout policier ou gendarme condamné pour des violences conjugales soit éloigné sur-le-champ. Il s’agit d’assurer la protection des femmes et d’éviter qu’elles ne tombent nez à nez avec un homme condamné précisément pour de tels faits.

Nous avons renforcé les moyens de la plateforme arretonslesviolences.gouv.fr. Outre des policiers et des gendarmes, des psychologues rattachés au ministère de l’intérieur interviennent désormais sur cette plateforme. Ils peuvent prendre le relais quand une conversation devient difficile.

Le point commun de toutes ces nouvelles mesures, c’est la protection et l’accueil des victimes, quel que soit l’endroit où elles se trouvent, qu’elles souhaitent se signaler ou non. Pour ma part, j’ai toujours été opposée à l’injonction de porter plainte. Il importe d’ouvrir toutes les possibilités pour déposer plainte, rôle qui incombe au ministère de l’intérieur, mais, lorsqu’une femme ne se sent pas en mesure de le faire immédiatement, pour une raison personnelle ou autre, il faut aussi le comprendre.

À cet égard, nous travaillons à de nouveaux moyens de signalement par les associations. Plusieurs réunions se sont déjà tenues à ce sujet entre les associations et les services compétents, en présence du ministre de l’intérieur, du garde des sceaux, de la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de moi-même. Nous sommes en train de concevoir un modus operandi à même de satisfaire tous les acteurs et de préserver, bien sûr, le lien de confiance entre les femmes et les associations.

D’après la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la justice, 70 % des féminicides commis n’ont donné lieu à aucune préalerte. Pour les 30 % de cas signalés, il faut renforcer l’accompagnement et la prévention, afin que de tels féminicides ne se produisent plus. Quant au chiffre de 70 %, dont chacun conviendra qu’il est beaucoup trop élevé, il doit être considérablement réduit – 10 %, ce serait encore trop. À cette fin, nous travaillons main dans la main avec des organisations telles que la FNSF, le CIDFF – centre d’information sur les droits des femmes et des familles –, la fédération nationale GAMS –groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles, des mariages forcés et autres pratiques traditionnelles néfastes à la santé des femmes et des enfants –, Femmes solidaires et France victimes.

Nous voulons en outre permettre aux forces de l’ordre de se déplacer au sein des associations pour recueillir la plainte des victimes en présence d’un membre de l’association, de manière à rassurer les femmes. Je le répète, il est très important que la plainte soit bien qualifiée, y compris quand les faits sont très difficiles à verbaliser, afin de déclencher les réponses appropriées. Nous allons travailler en ce sens.

Parce que notre responsabilité est de protéger les femmes et les hommes qui interviennent chaque jour, parfois au péril de leur vie, pour protéger les femmes concernées, nous travaillons en lien étroit avec le ministère de la justice à la création d’un fichier de prévention des violences intrafamiliales. Ce fichier permettra de prévenir les violences conjugales en prenant en compte les signaux de dangerosité, d’empêcher la récidive par des individus déjà connus, mais aussi de mieux sécuriser les interventions des forces de l’ordre. Un groupe de travail interministériel, placé sous la responsabilité de la gendarmerie nationale, a été créé pour coordonner ces travaux, qui dureront environ dix-huit mois.

Il va de soi que les violences conjugales sont tout aussi inadmissibles lorsqu’elles sont commises par des membres des forces de l’ordre, voire le sont plus encore, dans la mesure où les policiers et les gendarmes ont un devoir d’exemplarité et sont chargés de protéger les femmes et de recevoir leurs plaintes. C’est pourquoi le ministre de l’intérieur et moi avons décidé d’écarter de la profession les membres des forces de l’ordre qui seraient violents vis-à-vis de leur compagne. Le ministre de l’intérieur a d’ailleurs décidé de suspendre le policier qui s’était rendu coupable non pas de violences conjugales, mais d’injures à l’égard d’une femme qui venait déposer plainte.

Nous commençons à disposer de statistiques. C’est notamment ce qui nous a permis de savoir que l’arme à feu était le premier mode opératoire des féminicides. Nous avons aussi communiqué des données relatives à l’âge, qui montrent que des féminicides sont commis dans toute la pyramide des âges. En revanche, le SSMSI n’a pas de chiffres concernant les professions. D’après un article récent du Parisien, la part des féminicides commis au cours des dix dernières années par des membres des forces de l’ordre est très faible. Je ne crois pas que l’on puisse dire qu’il s’agit d’un phénomène massif. Néanmoins, nous exerçons bien évidemment une vigilance particulière à ce sujet, notamment en ce qui concerne la saisie des armes. La compagne d’un gendarme ou d’un policier, ou encore d’un notable ou d’un responsable politique, député ou ministre, doit avoir elle aussi accès au dépôt de plainte.

Il arrive qu’une victime ait peur d’être reconnue en se rendant dans un commissariat ou une gendarmerie pour porter plainte contre un notable ; c’est pourquoi nous avons permis le dépôt de plainte hors les murs, la préparation de celle-ci pouvant aussi s’effectuer sur la plateforme arretonslesviolences.gouv.fr. Une victime doit toujours avoir accès à ce droit fondamental, sans aucune exception.

Le ministère de l’intérieur mène encore beaucoup d’autres politiques publiques en matière de protection des femmes. Nous avons présenté en votre présence, madame la présidente, le plan anti-GHB visant à protéger les jeunes femmes et les jeunes hommes dans un contexte de fête. S’agissant de la représentation des femmes, nous avons organisé l’exposition 109 Mariannes ainsi que l’événement « Commandantes ! » promouvant la féminisation du ministère de l’intérieur.

Toutes ces actions illustrent l’engagement de mon ministère dans la protection des femmes face aux violences sexistes et sexuelles depuis cinq ans. Le bilan est tout à fait positif, même si nous devons rester humbles – tant qu’il y aura des femmes agressées, violentées et tuées, nous devrons agir toujours davantage. L’État ne peut pas tout faire tout seul : c’est la mobilisation de tous les acteurs, y compris des élus, des membres de la société civile et des médias, qui permettra de mieux lutter contre ces violences et de les éradiquer. Vous y contribuez largement en votant des lois toujours plus protectrices, et je tiens à saluer à nouveau votre engagement.

Mme Karine Lebon. Je salue les nouvelles mesures prises dans le cadre du plan national de lutte contre le GHB que vous venez d’évoquer.

J’aimerais que vous m’apportiez quelques précisions au sujet du mouvement des Hijabeuses. Je ne comprends pas ce qui peut justifier l’exclusion sportive de ces femmes, le règlement de la Fédération française de football (FFF) pouvant être modifié comme l’y autorise la Fédération internationale de football association (FIFA) depuis 2014. Soit nous considérons que le voile est un choix vestimentaire comme un autre, au même titre qu’un bonnet ; vous conviendrez alors qu’il est impensable d’imposer aux femmes les vêtements qu’elles doivent porter et de les exclure d’un sport pour un tel motif, qui ne pose aucun problème pour les hommes. Soit nous considérons que le voile est un instrument du patriarcat ; dans ce cas, comme l’a très bien analysé votre collègue Élisabeth Moreno, l’inclusion de ces femmes est nécessaire afin de garantir leur indépendance et de permettre leur émancipation. Qu’importe l’analyse retenue : l’exclusion de ces femmes ne repose sur aucune base rationnelle.

À cet égard, l’exemple réunionnais devrait être valorisé et suivi. Pas de déferlement de haine, pas de battage médiatique : dans notre île, ces jeunes filles pourraient jouer au foot sans problème car notre conception locale de la laïcité repose sur les bases fondamentales définies par Aristide Briand au début du XXe siècle. Nous prônons une laïcité inclusive visant à concilier le respect de la République avec le respect des croyances individuelles de tout un chacun. C’est à ces fondamentaux que doit revenir l’Hexagone afin de lutter, comme cela se fait à La Réunion, contre l’extrémisme haineux.

M. Gaël Le Bohec. Votre synthèse de toutes les actions menées durant ce quinquennat tient lieu de bilan et d’engagement, tant de la part du Gouvernement que des parlementaires. Je tiens à rappeler l’investissement des députés dans le cadre des Grenelle locaux contre les violences conjugales, qui ont donné lieu à une synthèse organisée à l’hôtel de Lassay sous la présidence de Richard Ferrand. Je veux ici féliciter, entre autres, Aurore Overnoy et Julie Carré, qui ont lancé le Grenelle local à Redon et tenu les comités de suivi annuels permettant de voir tout ce qu’il reste à faire dans ce domaine où nous devons avancer en permanence. À l’échelle locale, nous pouvons constater les progrès immenses que nous avons réalisés – je pense par exemple à la formation des forces de l’ordre, notamment à celle des gendarmes auxquels nous avons rendu visite tous les ans. Des améliorations restent cependant nécessaires, en ce qui concerne notamment la prise en compte des enfants dans les familles qui connaissent beaucoup de violences.

Il y a cinq ans, vous l’avez rappelé, il était honteux de parler de féminicides et on évoquait très peu – voire pas du tout – les violences conjugales. Je sais gré à Emmanuel Macron, alors candidat à la présidence de la République, d’avoir mis ce sujet sur la table. Que proposez-vous pour prolonger cette grande cause du quinquennat, qui nécessite des actions à bien plus long terme que la présente législature ? Comment envisagez-vous l’action publique en matière de lutte contre les violences conjugales dans les mois et années à venir ?

Mme Sophie Panonacle. Je vous remercie pour vos actions énergiques en faveur des femmes et, à partir de 2020, de la valorisation de la citoyenneté. S’agissant de la lutte contre les violences faites aux femmes, nous pouvons être fiers de ce qui a été fait depuis 2017, même si nous pouvons encore aller plus loin – et je ne doute pas que c’est ce que nous ferons.

Lors de votre première visite dans le bassin d’Arcachon, vous aviez participé à une table ronde que j’avais pris soin d’organiser et qui réunissait des centres communaux d’action sociale (CCAS), la police, la gendarmerie, des médecins référents de ville et de l’hôpital ainsi que des bailleurs sociaux. Le travail que nous avions alors engagé a porté ses fruits puisque le centre hospitalier d’Arcachon accueillera bientôt une unité de victimologie, où les femmes pourront venir porter plainte. Les médecins de tous les services mèneront des actions de formation, tant au sein de l’hôpital qu’à l’extérieur, par exemple dans des établissements scolaires. À la suite du Grenelle, dans le cadre d’un partenariat avec les bailleurs sociaux, nous avons obtenu une douzaine de places d’hébergement pour les femmes. Grâce aux actions que vous avez conduites au niveau national et à l’important travail collectif que nous avons réalisé dans mon territoire, nous avons ainsi obtenu des résultats dont je suis très fière.

Nous avons toutes et tous rencontré, dans nos territoires, des citoyennes et des citoyens exemplaires, remarquables par leurs engagements. Seuls ou au sein d’associations, leur unique but est d’œuvrer en faveur d’autrui, sans rien demander en retour si ce n’est, en toute humilité, le titre de bénévoles de la République. Ne pourrions-nous pas imaginer une réserve de ces bénévoles intervenant dans des domaines civils, sur le modèle de la réserve citoyenne dont l’action est plutôt orientée vers la défense et la sécurité de notre pays ?

Mme Bérangère Couillard. Depuis juillet 2020, la loi visant à protéger les victimes de violences conjugales, dont je suis à l’origine, permet aux forces de l’ordre de saisir les armes des conjoints violents dès le premier dépôt de plainte. Vous avez demandé que cette mesure soit systématique, ce qui apparaît d’autant plus crucial que, dans un tiers des décès, l’auteur des violences a fait usage d’une arme à feu. Votre ministère a également indiqué renforcer le fichier national des interdits d’acquisition et de détention d’armes (FINIADA), afin de prévenir les passages à l’acte criminel, et travailler à l’élaboration d’un nouveau fichier recensant les auteurs de violences conjugales et connecté au fichier des porteurs d’armes, pour améliorer la prise en compte des signaux faibles. Une telle avancée semble indispensable. Pourriez-vous nous communiquer des chiffres illustrant l’efficacité de la disposition facilitant les saisies d’armes et nous décrire l’avancement des travaux visant à la création du fichier de suivi des auteurs de violences conjugales ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Madame Lebon, ma réponse à votre question sur les Hijabeuses sera très franche. Après cinq années passées au Gouvernement, j’ai l’impression que nous ne cessons de débattre du voile ; il ne faudrait pas que cela masque les autres sujets relatifs à l’égalité femmes-hommes, essentiels à mes yeux, tels que la lutte contre les violences conjugales ou la protection des femmes dans l’espace public. Votre position est légitime, autant que la mienne qui se résume en deux mots : neutralité et liberté. Il faut appliquer la loi, toute la loi, rien que la loi : celle-ci impose la neutralité religieuse des personnes qui représentent la République mais préserve la liberté de porter le voile dans l’espace public. C’est cet équilibre que nous avons toujours défendu, contrairement à certains groupes parlementaires qui ont proposé l’interdiction de ce signe religieux dans l’espace public. Le règlement de la FFF indique que le prosélytisme n’a pas sa place dans les compétitions sportives ; cette organisation n'est pas placée sous mon autorité et je n’entends pas consacrer ma dernière audition devant votre éminente délégation à ce débat. Du reste, de nombreux responsables politiques, de Fabien Roussel à Valérie Pécresse, se sont exprimés à ce sujet.

S’agissant de la lutte contre le GHB, nous avons présenté, avec l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH), qui regroupe aussi les professionnels du monde de la nuit, des affiches comportant un QR code qui, une fois scanné, permet d’accéder à ses droits, de déposer une plainte et d’appeler immédiatement les forces de l’ordre. En lien avec ces dernières, les professionnels du monde de la nuit bénéficient de dispositifs de formation dans chaque département. Des guides et des flyers déposés sur les comptoirs rappellent les responsabilités de chacun.

Monsieur Le Bohec, vous avez rappelé que le Président de la République avait décidé en 2017, pendant la campagne électorale et bien avant les phénomènes que nous avons connus ces dernières années, de faire de l’égalité femmes-hommes la grande cause de son quinquennat. Cette annonce avait été accueillie dans l’indifférence générale et suscitait l’incompréhension de certains journalistes politiques qui ne voyaient dans cette thématique qu’un petit sujet d’activistes ou de militantes. Je remercie donc le Président de la République d’avoir pris cette décision, qui a donné une impulsion à notre action.

Il reste tellement de choses à faire qu’il nous faudrait quatre heures pour les détailler ! Les lois votées dans le prolongement du Grenelle des violences conjugales sont votre héritage politique et concret ; il sera très important de ne rien lâcher à ce sujet, de maintenir un très haut niveau d’exigence et de veiller à la bonne application de ces textes dans les années à venir. On pourra toujours trouver des failles dans la législation et des choses à améliorer ; aussi, je ne doute pas que de nouvelles lois seront votées, mais il faudra prendre garde à ne pas sauter d’un texte à l’autre.

Madame Panonacle, je me souviens très bien de ce déplacement à Arcachon au cours duquel vous avez décerné des médailles à des citoyens et à des citoyennes particulièrement engagés – c’est d’ailleurs ce qui a inspiré la création de la médaille de l’égalité. Je vous félicite donc pour votre créativité.

Vous avez effectivement fait le lien entre notre combat et les hôpitaux – j’ai participé à des déplacements avec la plupart d’entre vous, et ces retours de terrain ont toujours été très précieux en ce qu’ils nous ont permis d’aller plus loin dans la mise en œuvre de nos dispositifs. Dans l’ensemble du territoire, grâce à des conventions, 215 hôpitaux permettent aux victimes de déposer une plainte sur le lieu de leur prise en charge, notamment aux urgences. Le dépôt de plainte chez autrui, c’est-à-dire hors les murs d’un commissariat de police ou d’une gendarmerie, est expérimenté dans le Vaucluse, dans le Pas-de-Calais, dans la Sarthe, dans le Morbihan, en Haute-Corse, dans certains arrondissements de Paris et à SaintDenis ; cette expérimentation a évidemment vocation à s’étendre, de sorte que, dans un an, il sera commun de voir un policier se déplacer dans les locaux d’une association ou le cabinet d’un avocat pour recevoir une plainte dans les plus brefs délais.

Madame Couillard, nous sommes en train de collecter, avec les services statistiques du ministère de l’intérieur, toutes les données permettant de savoir dans quelle mesure la nouvelle disposition relative à la saisie des armes du conjoint violent a été mise en œuvre. Nous nous heurtons cependant à une vraie difficulté : il arrive que la détention d’une arme n’ait pas été déclarée et que la femme elle-même ne sache pas que son conjoint en possède une. Cette question est désormais systématiquement posée à la victime – si elle ne l’est pas, il s’agit d’un dysfonctionnement et d’une faute –, mais en cas de réponse négative, il n’y a pas de perquisition.

La création d’un nouveau fichier fait l’objet de très longs travaux techniques et juridiques, qui devraient durer dix-huit mois compte tenu de la nécessité de croiser plusieurs fichiers existants. La France possède une législation assez stricte en matière de constitution de fichiers et de respect des libertés publiques, et c’est heureux puisqu’il est question de données personnelles. Aussi devons-nous associer la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) à nos travaux. Nous avons déjà gagné une première bataille : l’ensemble des acteurs conviennent de la nécessité et de l’urgence de disposer d’un tel fichier permettant de mieux prévenir les violences conjugales et les récidives. Lorsqu’un féminicide a été commis, rien n’est plus insupportable que de constater que la victime avait tenté de déposer une plainte mais que sa démarche n’avait pas abouti, ou qu’un signalement avait été effectué par des travailleurs sociaux mais que les données n’avaient pas été croisées.

Mme Danièle Obono. Vous avez présenté le bilan du ministère de l’intérieur en matière de lutte contre les violences faites aux femmes, notamment contre les violences conjugales, en affirmant qu’il était tout à fait positif. Je ne partage pas votre point de vue, et je ne dis pas cela de gaîté de cœur car s’il y a un sujet sur lequel nous aurions dû avancer ensemble, malgré nos différences d’approche, c’est bien celui-là.

Avec les associations, qui sont nombreuses à porter un regard très critique sur votre bilan, nous considérons que les avancées que vous présentez en matière de droits des femmes ne sont que de façade. Le nombre annuel de féminicides n’a pas baissé de manière significative depuis 2016. En 2020, près d’une victime de féminicide sur cinq avait déjà porté plainte pour violences. Certes, vous avez organisé un Grenelle des violences conjugales. Alors que les associations féministes exigent, depuis le début du quinquennat, qu’une enveloppe de 1 milliard d’euros soit consacrée à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, vous avez trouvé un artifice comptable pour nous expliquer, lors d’un débat parlementaire, que des milliards étaient déjà sur la table. Vous vous félicitiez tout à l’heure que vos opérations de communication aient permis de faire connaître le 3919, mais rappelez-vous que le Gouvernement a essayé de privatiser ce service en janvier 2021 ! Heureusement que les associations qui gèrent cette ligne se sont mobilisées et ont obligé l’exécutif à faire marche arrière…

En mars 2021, le collectif #NousToutes a recueilli près de 4 000 témoignages de femmes victimes de violences ayant porté plainte : 66 % d’entre elles déclaraient avoir été mal reçues. Vous nous avez beaucoup parlé de votre plateforme de signalement en ligne, mais le ministre de l’intérieur lui-même n’a pas hésité à remettre en cause les nombreuses déclarations de personnes utilisant le mot-dièse #DoublePeine, dans le prolongement du mouvement #MeToo, en les accusant de prendre des postures militantes.

En Macronie, on ne se soucie des violences subies par les femmes que pour faire de la communication. Vous ne luttez pas contre la précarité qui maintient des femmes dans des situations de dépendance, puisque vous n’agissez pas contre la précarité en général, et vous ne vous donnez pas les moyens de faire avancer les choses, puisque vous menez une politique austéritaire. Personne ne dira que vous n’avez rien fait, madame la ministre déléguée : vous avez été très occupée à publier des communiqués, à poster des messages sur les réseaux sociaux et à écrire nombre de tribunes, y compris pour défendre l’un de vos collègues au Gouvernement qui avait été pris en défaut sur cette question. Tout cela a été au service d’une politique inconséquente, en dessous de tout…

Mme Fiona Lazaar, présidente. Si vous avez une question, madame Obono, je vous prie de la poser.

Mme Danièle Obono. Je termine là mon interpellation – je n’ai pas de question, puisque nous sommes en fin de législature et que toutes les promesses faites aujourd’hui concerneront nécessairement le prochain quinquennat. Du reste, nous n’y croyons pas – les femmes et les associations qui les défendent non plus. De notre point de vue, votre bilan n’est vraiment pas à la hauteur.

Mme Nicole Le Peih. Je m’inscris en faux contre les propos de Mme Obono.

En 2019, pendant la présente législature, le Grenelle des violences conjugales a permis de donner la parole aux victimes. Dans la continuité de ces travaux, afin de renforcer la protection de ces personnes et de leur garantir un meilleur accompagnement, nous avons adopté la loi visant à protéger les victimes de violences conjugales. Ayant rédigé un rapport d’information sur ce texte au nom de la délégation aux droits des femmes, j’ai toujours insisté sur la violence silencieuse de ce fléau ; or les solutions d’écoute que nous avons déployées ont permis de libérer la parole des victimes – pour reprendre votre phrase, madame la ministre déléguée, « l’écoute s’est libérée ».

Pour que la prise en charge soit efficace, il fallait former les acteurs de terrain, et c’est ce que nous avons fait : 90 000 gendarmes et policiers ont déjà reçu une formation entre 2019 et 2022. Dans mon département, le Morbihan, qui était pilote dans ce domaine, nous nous sommes retroussé les manches. Au sein de la gendarmerie, une unité « violences intrafamiliales » a été mise en place.

La décision de travailler sur ce sujet a été fondamentale, d’autant que les confinements successifs ont entraîné une augmentation des violences. Aujourd’hui, nous constatons que le nombre de plaintes a augmenté : là encore, c’est le signe que la parole des victimes s’est libérée, mais aussi que le fléau persiste et que le problème n’a pas encore été résolu. Quelle analyse faites-vous des dernières données publiées, qui permettent de mesurer nos premiers résultats ? Comment jugez-vous l’efficacité de ces nouvelles unités de gendarmerie ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Madame Obono, vous ne m’avez posé aucune question : cela montre bien le mépris que vous portez depuis le début de la législature, avec quelques députés de votre groupe, à la question de la protection des femmes. De même, vous n’avez pas formulé une seule proposition : nous n’avons entendu que des cris pendant les débats parlementaires. Lors du vote sur la verbalisation du harcèlement de rue, vous vous êtes abstenue, comme les cinq députés de La France insoumise présents en séance. Aujourd’hui, le candidat Jean-Luc Mélenchon propose d’aller plus loin – en tant que député, il avait pourtant le pouvoir de voter cette mesure, mais encore eût-il fallu être présent dans l’hémicycle… Vous n’avez d’ailleurs pas voté l’ensemble de cette loi de 2018, qui visait notamment à allonger les délais de prescription applicables aux viols commis sur mineurs.

En vérité, votre opposition politicienne à l’action du Gouvernement vous a conduite à ne pas être au rendez-vous des droits des femmes. Votre désir de faire de l’anti-Macron à tout prix, sur tous les sujets, vous a amenée à refuser de travailler non seulement avec le Gouvernement, mais aussi avec la majorité présidentielle, sur ces questions qui auraient pourtant mérité notre unité. En tant que députée, vous avez la possibilité de déposer des propositions de loi. Combien en avez-vous déposé, depuis cinq ans, en vue d’améliorer la situation des femmes ? Aucune ! Jamais vous ne nous avez convoqués dans l’hémicycle, comme vous pouvez le faire lors de vos journées de niche, pour discuter d’une proposition de loi défendue par La France insoumise sur ce sujet. Il est un peu fort de café de prendre la parole pendant deux minutes pour critiquer tout ce qui a été fait, sans poser aucune question, quand on s’est abstenue et qu’on n’a rien proposé pendant cinq ans !

Vous auriez pu participer au Grenelle des violences conjugales et réclamer les moyens que vous sollicitez aujourd’hui : vous ne l’avez pas fait non plus. Ce n’est pas nous qui tenons des propos de tribune !

En quatre ans, j’ai défendu quatre lois et proposé 150 mesures. J’ai prévu la saisie systématique des armes des conjoints violents, j’ai formé des policiers et des gendarmes, j’ai permis de déchoir les pères violents de leur autorité parentale, j’ai allongé les délais de prescription, j’ai permis la verbalisation du harcèlement de rue et le dépôt de plainte à l’extérieur, j’ai souhaité que le fait de droguer une personne à son insu constitue une circonstance aggravante dans la commission d’agressions sexuelles. Et vous, qu’avez-vous fait ? Rien !

Je trouve un peu gonflé de propager de fausses informations. Ma collègue Élisabeth Moreno n’a jamais envisagé de privatiser le 3919 : au-delà d’un certain montant, la loi exige que soit lancé un appel d’offres. Le Gouvernement a toujours fait en sorte de soutenir les acteurs associatifs ; personnellement, j’ai d’ailleurs reversé l’intégralité des droits d’auteur de mon livre Les Droits des femmes face aux violences, publié chez Dalloz, à l’association qui gère le 3919.

Vous voulez faire croire que la justice est une institution anti-femmes. Je vous confirme, madame Obono, que je ne soutiens pas les organisations qui déconseillent aux femmes de porter plainte mais les invitent à envahir les commissariats. Quel est l’intérêt d’une telle démarche ? C’est extraordinairement puéril !

Nous accuserions les femmes de mentir lorsqu’elles racontent avoir été mal accueillies dans un commissariat ? Là encore, c’est totalement faux : nous n’avons jamais tenu de tels propos. J’ai toujours été à l’écoute de ces femmes. Bien avant d’être ministre, j’avais publié un livre qui recensait les remarques désobligeantes faites aux femmes, notamment au moment de déposer plainte pour ce type de violences. C’est pour que la situation s’améliore que, concrètement, nous formons les policiers et les gendarmes.

Nous avons prévu le versement par les caisses d’allocations familiales (CAF) des pensions alimentaires impayées pour les mères célibataires. Nous avons allongé la durée du congé de paternité pour un meilleur partage des responsabilités entre les femmes et les hommes. Nous avons établi un index de l’égalité professionnelle afin qu’à poste égal, les femmes soient payées autant que les hommes. Nous n’avons pas à rougir des nombreuses mesures qui ont été prises. Je conviens tout à fait qu’il faut aller encore plus loin, mais je trouve assez navrant de faire de l’anti-macronisme primaire sur le dos des femmes, en fin de quinquennat, quand on n’a jamais proposé une loi ou une mesure concrète pour améliorer leur situation.

En effet, madame Le Peih, le Morbihan est l’un des six départements où a été expérimentée la formation d’unités de gendarmerie dédiées à la lutte contre les violences conjugales. Nous avons pu organiser, avec des partenaires institutionnels et associatifs, de larges campagnes de communication sur le terrain pour mieux faire connaître le dispositif, et je tiens à vous en remercier. De façon générale, nous constatons que le nombre de plaintes recueillies en zone police est plus faible qu’en zone gendarmerie, ce qui s’explique notamment par des différences de maillage territorial. Je vous annonce que le Morbihan est le département où a été déposé, en décembre 2021, le plus grand nombre de plaintes en mobilité – il y en a eu cinquante-cinq. Au 14 janvier 2022, c’est-à-dire après deux mois d’expérimentation, 104 victimes ont pu bénéficier de ce dispositif auprès de la gendarmerie nationale.

Mme Fiona Lazaar, présidente. Je vous remercie, madame la ministre déléguée, d’avoir bien voulu participer à nos travaux.

 

La réunion s’achève à 15 heures

 

Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Annie Chapelier, Mme Bérangère Couillard, Mme Fiona Lazaar, M. Gaël Le Bohec, Mme Karine Lebon, Mme Nicole Le Peih, Mme Sophie Panonacle

 

Excusées. - Mme Isabelle Rauch, Mme Bénédicte Taurine

 

Assistait également à la réunion. - Mme Danièle Obono