Compte rendu

Office parlementaire d’évaluation
des choix scientifiques et technologiques

Audition publique sur le chlordécone (Catherine Procaccia, sénateur, rapporteur) – 1ère audition 2

 

 


Jeudi 17 février 2022

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 134

session ordinaire de 2021-2022

 

Présidence

de Mme Catherine Procaccia
sénateur,
vice-présidente de l’Office
 


Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jeudi 17 février 2022

Présidence de Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’Office

La réunion est ouverte à 14 h 10.

Audition publique sur le chlordécone (Catherine Procaccia, sénateur, rapporteur) – 1ère audition

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’Office. - Bonjour à tous. Je voudrais d’abord excuser notre président Cédric Villani qui nous rejoindra un peu plus tard.

Nous organisons aujourd’hui une première audition publique sur l'actualisation des données scientifiques concernant l'impact de la chlordécone aux Antilles. En 2009, avec Jean-Yves Le Déaut, nous avions élaboré, au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), un rapport dressant un bilan et des perspectives d'évolution sur les conséquences de l’utilisation de la chlordécone aux Antilles. Nous avions pu constater l'ampleur de la pollution induite par cet insecticide mais, comme la plupart des projets de recherche venaient d'être lancés, nous manquions de données pour établir des conclusions solides. C'est pour cela qu’aujourd’hui, plus de dix ans après ce premier rapport, l'Office a voulu faire un point sur l'évolution des connaissances scientifiques qui ont pu être acquises sur ce sujet d'importance majeure pour nos compatriotes aux Antilles.

Pour traiter au mieux le sujet, nous avons fait le choix d’y consacrer deux auditions publiques. Cette première audition s’intéressera aux conséquences environnementales et agricoles de cette pollution ainsi qu’aux solutions susceptibles d’être mises en œuvre. Une seconde audition sera davantage centrée sur la santé humaine et sur les répercussions sociales aux Antilles.

L’audition d’aujourd’hui est captée et diffusée en direct sur le site du Sénat. Comme il est d’habitude pour les travaux de l’Office, les internautes qui nous suivent à distance peuvent poser des questions par l'intermédiaire d’une plateforme en ligne. Nous relaierons un certain nombre de ces questions au cours des débats que nous aurons avec les intervenants.

Notre audition de ce jour s’organise autour de deux tables rondes : la première concernera l'impact de la chlordécone sur les sols et les perspectives de remédiation qui sont actuellement développées, la seconde s’intéressera aux ressources agricoles et halieutiques.

La première table ronde réunit Thierry Woignier, directeur de recherche au CNRS à l'Institut méditerranéen de biodiversité et d'écologie marine et continentale, Pierre Loïc Saaidi, maître de conférences à l'université d'Evry-Val-d’Essonne et Christophe Mouvet, ancien chef de projet au BRGM. Je vous propose d'intervenir pendant 7 à 8 minutes chacun, de telle sorte que nous puissions débattre à la suite de ces présentations. Monsieur Woignier, vous avez la parole.

M. Thierry Woignier, directeur de recherche au CNRS à l'Institut méditerranéen de biodiversité et d'écologie marine et continentale (IMBE). -  J'ai intitulé mon intervention « Approche physique de la pollution des sols par la chlordécone : l’influence de l’argile et l’idée de la séquestration ». C'est un travail qui a été réalisé avec mon collègue Luc Rangon, technicien pédologue à l'IMBE, au campus agro-environnemental caribéen. Notre objectif était d'essayer d'acquérir des connaissances à différentes échelles, de la microstructure du sol jusqu'à la parcelle, et d’essayer de proposer des solutions de gestion de cette pollution, adaptées au sol, aux plantes cultivées et à la ressource en eau. Je présenterai la contamination des sols et le confinement naturel de la chlordécone dans les sols en fonction du type d'argile ainsi que le phénomène de séquestration de la chlordécone, qui est une technique de gestion que je propose comme une alternative à la dépollution. J’évoquerai également les limites physiques de la décontamination.

Les sols de la Martinique qui ont été les plus contaminés sont ceux du nord et du centre de l’île. Nous nous sommes intéressés à deux types de sol : les nitisols et les andosols. Les études montrent que les taux de concentration en chlordécone dans les nitisols sont relativement faibles et qu’ils sont bien plus importants – avec environ un facteur 5 – dans les andosols. Pourtant, lorsque l’on s’intéresse au transfert de la chlordécone des sols aux plantes, on voit que, pour des plantes identiques, le taux de transfert est plus faible au niveau des andosols. On a donc un paradoxe : les andosols sont fortement pollués mais faiblement contaminants.

Dans les andosols, on a des argiles de type allophane qui ont des caractéristiques physico-chimiques très spéciales. Ce sont des argiles jeunes qui viennent de roches volcaniques et qui n'ont pas été complètement transformés. Plus le sol est riche en allophanes, plus la concentration en chlordécone y est élevée. Or, comme pour le transfert aux plantes, si on s’intéresse au transfert de la chlordécone du sol à l’eau, on peut voir que plus il y a d’allophanes dans le sol – et donc de chlordécone – moins le transfert est important.

On peut donc se demander si cela est lié aux propriétés physiques de ces argiles. Par microscopie électronique, on peut voir que la structure des argiles est très différente entre les nitisols (composés d’halloysite) et les andosols (composés d’allophane). Si on fractionne avec des tamis les sols pour séparer les particules d’argile selon leur taille et que l’on regarde la concentration en chlordécone dans les différentes fractions obtenues, on peut constater que, si pour les nitisols les concentrations en chlordécone sont constantes, on a une concentration en chlordécone dans les petites particules d’andosol (de moins de 50 µm) bien plus élevée que dans les particules de plus grande taille.

Les particules d’allophane sont formées par un agrégat de particules, elles-mêmes formées de particules. Cela forme une structure labyrinthique. Par des techniques de diffusion de rayons X ou de neutrons, on peut mesurer la taille des agrégats ainsi que le volume de pores présentes et la tortuosité de ces agrégats, qui représente la complexité de la structure. La concentration en chlordécone dépend de ces paramètres physiques qui sont des caractéristiques importantes de ces argiles. En revanche, le taux de relargage présente une dépendance inverse à ces paramètres. Les allophanes forment donc une sorte de piège duquel on ne peut que difficilement faire ressortir la chlordécone.

Grâce à des modèles simples, on a calculé la perméabilité et la diffusion à l’intérieur de ces agrégats, afin de déterminer l’accessibilité de la chlordécone à l’intérieur de ces structures. À faible échelle, la perméabilité et la diffusion sont toutes deux très diminuées et rendent difficile l’extraction de la chlordécone. Au vu de ce constat, la décontamination semble complexe.

C’est ce qui m’a poussé à proposer il y a quelques années une alternative : la séquestration. Puisqu’il est difficile d’extraire la chlordécone de ces structures pièges, il pourrait être intéressant, à l’inverse, d’accentuer le confinement de la chlordécone à l’intérieur des sols pour ne pas qu’elle soit transférée à l’eau ou aux plantes.

La chlordécone a une grande affinité pour la matière organique. On a donc essayé d’accroître le confinement en ajoutant de la matière organique sur les sols, par exemple avec du compost. Après des premières expériences en laboratoire, on a fait des tests comparatifs sur des parcelles avec des radis, des laitues et des concombres. On a pu observer que le taux de transfert de la chlordécone aux plantes était bien plus faible avec l’ajout de compost. Des résultats similaires ont été obtenus à l’aide de biochar.

Ainsi, l’approche physique a permis de comprendre pourquoi certains sols fortement contaminés piègent la chlordécone et de questionner l'accessibilité de cette chlordécone. La faible accessibilité que nous avons démontrée interroge sur la faisabilité des éventuelles techniques de décontamination. Pour moi, il sera physiquement impossible de décontaminer totalement les sols. Il ne faut pas faire croire aux Antillais qu’en mettant plus d'argent dans les programmes de recherche on trouvera forcément des solutions. On a proposé une alternative à la décontamination, qui est moins élégante, mais qui peut être utilisée facilement par les agriculteurs. On n'enlève pas la contamination mais on la confine et on limite ses effets.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’Office. - Merci beaucoup. Je vais maintenant passer la parole à Pierre Loïc Saaidi qui est maître de conférences à l'université d'Evry-Val d'Essonne et qui s’intéresse à la transformation bactérienne de la chlordécone.

M. Pierre-Loïc Saaidi, maître de conférences à l'université d'Evry-Val d'Essonne. - Merci beaucoup pour cette invitation. Je vais vous faire part des connaissances acquises sur la dégradation bactérienne de la chlordécone avec comme perspective la dépollution de la chlordécone par voie bactérienne qui, à ce jour, n'est pas encore actée.

Entre les années 1980 et les années 2000, quelques travaux ont eu pour objectif d’essayer d'approcher une dégradation de la chlordécone par des micro-organismes. Globalement, ce qu'il faut retenir des résultats de cette époque, c'est que la dégradation était généralement faible, sauf dans un cas qui utilisait des conditions réductrices. Malheureusement, à cette époque, les techniques analytiques ne permettaient pas d'identifier tous les produits de dégradation de la chlordécone et donc d’étudier complétement cette dégradation.

À partir des années 2010, une deuxième vague d'études ont été menées avec, encore une fois, un succès très relatif. Selon les cas, il y avait soit uniquement des traces de dégradation, soit de la bio-fixation, soit un manque de données analytiques permettant de rendre des conclusions vraiment solides.

C’est à cette époque que nous avons commencé nos travaux de biodégradation de la chlordécone. Au bout de quatre-cinq ans, nous avons réussi à identifier des conditions de culture et des bactéries qui permettaient de dégrader la chlordécone. Ainsi, dans une expérience menée en bouteille, grâce à des bactéries, un milieu de culture et des conditions réductrices (en anaérobiose), et après plusieurs centaines de jour, nous avons pour la première fois observé la disparition complète de la chlordécone qui avait été ajoutée initialement. Un produit de dégradation, alors inconnu, s’était parallèlement formé.

Nous avons ensuite étudié la biodégradation avec plusieurs bactéries et dans différentes conditions et on s'est rendu compte d’un vrai paradoxe : la chlordécone, molécule réputée très récalcitrante, pouvait – dans certaines conditions microbiologiques – être dégradée en une multitude de molécules filles, appelées produits de dégradation, que l’on peut globalement regrouper en sept grandes familles.

Nous nous sommes alors demandé si cette capacité de dégradation de la chlordécone n’était pas déjà existante aux Antilles. En collaboration avec Thierry Woignier, nous avons étudié des échantillons de sol, de sédiments et d'eau martiniquais, à la recherche de ces produits de dégradation. Leur présence aurait démontré une certaine dégradation naturelle de la chlordécone. Nous avons alors observé que bon nombre de ces composés – environ les trois quarts – étaient présents aux Antilles. Certains ne l’étaient qu’à l'état de traces, d'autres en quantité nettement plus importante. Cela nous a conduits à remettre en cause l'idée que la dégradation de la chlordécone était impossible en conditions environnementales.

Nous avons alors poursuivi nos travaux avec des échantillons de bactéries antillaises, qui ont permis – en conditions de laboratoire – d’observer cette même capacité de dégradation. Cela a été conforté par une étude de collègues antillais et canadiens qui ont publié l'année suivante des résultats similaires. Parallèlement, nous avons travaillé sur différentes bactéries isolées, certaines conduisant à des produits de transformation différents. Enfin, plus récemment, une autre équipe a montré qu'il était possible de dégrader la chlordécone avec des bactéries que je qualifierais « de métropole », issues de la station d'épuration de d'Orléans. Cette capacité de dégradation n'est donc pas forcément rare dans le monde bactérien.

Nous avons également montré par un travail de microbiologie et de biologie moléculaire que des corrinoïdes, co-facteurs très répandus chez les bactéries, étaient impliqués dans la dégradation de la chlordécone. Ce résultat constitue un autre indice montrant qu'il y a probablement énormément de bactéries qui, mises dans les bonnes conditions, peuvent être amenées à induire une dégradation de la chlordécone.

L’ensemble de ces résultats nous ont donc convaincus qu'il y avait un fort potentiel aux Antilles pour dégrader la chlordécone. Le message que je voudrais vous faire passer est que, comme pour un départ de feu qui nécessite un comburant, un combustible et de la chaleur, la dégradation de la chlordécone nécessite une chlordécone accessible – ce qui fait le lien avec la présentation de Thierry Woignier –, des conditions globalement réductrices – c’est ce que nous avons mis en évidence – ainsi que des bactéries qui aiment vivre en conditions réductrices. La question qui se pose aujourd’hui est donc de savoir comment réaliser la concomitance spatiale et temporelle de ces conditions.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’Office. - Merci beaucoup pour ces informations et ces progrès intervenus depuis une dizaine d’années. Je vais maintenant laisser la parole à Christophe Mouvet, ancien chef de projet au BRGM, qui a travaillé sur la décontamination grâce au procédé d’in situ chemical reduction, que vous allez nous présenter.

M. Christophe Mouvet, ancien chef de projet au BRGM. - Je vais vous parler de la décontamination des sols par le procédé d'in situ chemical reduction (ISCR), ou en français réduction chimique in situ. Je vais vous présenter des travaux qui ont été menés en laboratoire, mais aussi et surtout sur le terrain, par le BRGM entre 2009 et 2018.

Le principe de l'ISCR est de générer de manière temporaire dans le sol des conditions physico-chimiques permettant de transformer la chlordécone. Pour rappel, la chlordécone est une molécule composée de 10 atomes de chlore, 10 atomes de carbone et un atome d'oxygène. L’ISCR est une sorte de « chimiothérapie du sol » qui va enlever un certain nombre d'atomes de chlore.

Les résultats que je vais vous présenter ont été obtenus en conditions réelles sur une parcelle de la plaine du Lamentin, composée d’un nitisol qui avait une teneur en chlordécone de l'ordre de 0,7 ± 0,3 mg par kilogramme de sol, et qui était en jachère. Le propriétaire était très motivé à nous accompagner dans ces travaux sur sa parcelle.

L'ISCR consiste à incorporer un amendement sur le terrain, sur une profondeur de 30 à 40 centimètres, et de procéder ensuite à une légère contraction du sol, par exemple en passant dessus avec un tracteur. On irrigue ensuite abondamment la parcelle pour maintenir une forte teneur en eau et des conditions réductrices.

En comparaison avec une parcelle témoin, l’incorporation de fer zéro valent d’une granulométrie fine – un des cinq amendements que nous avons testés – permet d’observer une diminution de la concentration en chlordécone de l’ordre de 63 % après 24 jours, et de 68 % après 94 jours. Si l’on regarde le résultat après 24 jours, cela correspond à 85 % de l'effet maximum qui pourrait être obtenu. On a donc un effet qui est à la fois très significatif et très rapide.

Outre les teneurs en chlordécone, nous avons fait pousser sur ces parcelles différentes cultures vivrières, en collaboration avec le Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) et l’IRD (Institut de recherche pour le développement). Ainsi, pour le radis, la concentration en chlordécone obtenue dans les parcelles traitées était inférieure à la limite maximale de résidus (LMR), alors que ce n’était pas le cas pour les parcelles non traitées. De même, nous sommes parvenus avec certaines modalités d’ISCR à descendre sous la LMR pour des patates douces et à faire diminuer la teneur en chlordécone dans des concombres. 

Il faut cependant se demander si ce procédé n’a pas un impact agronomique négatif. Vous pouvez voir sur cette diapositive illustrative qu’il est très difficile d’identifier quelle parcelle a été traitée et celle qui ne l’a pas été. Les bananiers n’ont pas l’air impactés.

Comme pour la dégradation bactérienne, il est important d’étudier les dérivés formés au cours de cette transformation. Quels sont-ils ? Quel est leur devenir ? Quelle est leur toxicité ? Ce que l’on a observé dans le cadre de cette étude, c’est le remplacement d'atomes de chlore par des atomes d'hydrogène – une déchloration – qui peut atteindre jusqu’à 7 atomes de chlore. On peut également obtenir une ouverture de la structure en cage mais, malheureusement, ces produits, qui ont été notamment décrits par Pierre-Loïc Saaidi, n’avaient pas été recherchés lors de nos travaux. Ce sont des expériences en laboratoire réalisées récemment qui ont permis de les identifier.

Si on essaye de réaliser un bilan de masse à l’issue de cette dégradation, on constate que celui-ci est incomplet : la masse de la chlordécone restante et celle des produits de dégradation identifiés n’atteignent pas la masse initiale. Il est probable que cela s’explique par l’absence de recherche de certains produits de dégradation qui auraient été formés. Il est également possible qu’une partie de la chlordécone ait été minéralisée (transformation en dioxyde de carbone, en eau et en chlorure). Pour avancer sur ces recherches, il faudrait conduire des expériences avec des molécules marquées au carbone 14, ce qui est compliqué en laboratoire et quasiment impossible sur le terrain.

Concernant la toxicité des produits formés, celle-ci a pu être évaluée dans le cadre de collaborations. En ce qui concerne la cytotoxicité, elle a été évaluée comme inférieure à celle de la chlordécone pour la totalité des produits de transformation testés. La génotoxicité a quant à elle été quantifiée comme nulle pour les trois produits de transformation principaux, issus d’une, de deux ou de trois déchlorations. Enfin, pour l’un des principaux produits de dégradation – issu d’une triple déchloration –, l’effet pro-angiogénique, l’effet sur la croissance tumorale et l’effet perturbateur endocrinien ont été évalués via des tests réalisés in vitro et in vivo et se sont révélés moindres que ceux de la chlordécone.

L’ISCR, qui permet de diminuer de manière significative la concentration en chlordécone dans les sols traités, devrait entrainer une diminution de la contamination des eaux. Cependant, la chlordécone n’est pas uniquement située dans les 30 à 40 premiers centimètres du sol. Aussi, l’effet quantitatif bénéfique pourrait être moindre qu’espéré et le temps de réponse relativement long (potentiellement plusieurs décennies). En laboratoire, il a été montré que les produits de transformation de la chlordécone pouvaient être entrainés par l’eau mais à des concentrations plus faibles que celle de la chlordécone.

Nous avons donc réussi à atteindre, en conditions réelles de plein champ et en trois mois, une baisse de près de 70 % de la chlordécone. Cette technique ne nécessite que des équipements agronomiques classiques, ainsi que des équipements de protection individuels dans le cas du fer zéro valent. Nous avons montré que les produits de dégradation sont essentiellement des produits déchlorés, moins toxiques que la chlordécone. Enfin, cette technique permet de baisser significativement les concentrations en chlordécone dans les plantes cultivées, avec un effet agronomique nul sur les bananiers et faible sur les cultures vivrières.

Quel est le coût de cette technique ? Le fer zéro valent n’est malheureusement pas commun et indisponible sur place aux Antilles. Pour cette étude, nous avions trouvé un fournisseur en Pologne qui nous le vendait à raison de 1500 tonnes à 0,5 €/kg. Comme on appliquait une dose de l’ordre de 4 % de fer zéro valent sur 30 centimètres de profondeur, cela correspondait à environ 6 € par mètre carré pour la matière première. En ajoutant les frais de transport et des droits de mer ainsi que les coûts du fuel pour le tracteur et la rémunération du personnel agricole, on arrive à un prix de l’ordre de 160 000 euros par hectare. Ce coût pourrait peut-être baisser autour de 124 000 euros par hectare avec un fournisseur français.

Enfin, je tiens à remercier le propriétaire de la parcelle qui a accepté qu’on occupe son terrain pendant presque un an, le ministère en charge de l'environnement et la Direction générale de la prévention des risques qui a soutenu financièrement le BRGM sur cette thématique pendant presque 10 ans.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’Office. - Merci Monsieur Mouvet. Nous avons donc entendu trois intervenants nous présenter trois méthodes et trois approches différentes pour essayer de venir à bout de la chlordécone, certaines testées uniquement en laboratoire, d'autres sur le terrain. Avant de laisser la parole à mes collègues il y a quelque chose qui me surprend dans les légumes qui ont été testés. Il me semblait que c’étaient les légumes racines qui étaient principalement pollués. On peut considérer que le radis en est un mais le concombre pousse sur le sol et non dans le sol, tout comme la salade. Pourquoi avoir fait le choix de ces légumes qui ne me paraissent pas être les plus concernés par la pollution par la chlordécone ?

M. Christophe Mouvet. - Vous avez tout à fait raison. Le radis est un légume racine, il était intéressant à ce titre de voir si l’ISCR permettait de le rendre consommable et la réponse est affirmative. Nous avons également étudié la patate douce qui est également un légume racine, et pour laquelle nous avons des résultats moyennement positifs. En ce qui concerne le concombre, ce sont nos collègues du Cirad qui souhaitaient l’étudier en tant que modèle scientifique. Je pense que c’est également la réponse qui peut s’appliquer à la laitue.

M. Thierry Woignier. - Ces légumes ont été proposés par le Cirad, à la suite d’études qu’ils avaient réalisées. Nous avons également procédé à des études sur la patate douce et d’autres légumes, que je n’ai pas présentées. Le radis est un légume modèle car il se charge très vite en chlordécone – lorsqu’il y en a – et pousse très vite, ce qui permet d’obtenir des résultats assez rapidement. Avec les patates douces, il est plus compliqué de réaliser les expériences en laboratoire et cela prend beaucoup plus de temps. Concernant le concombre, comme il touche le sol – et c'est pareil avec les feuilles de salade –, il se contamine aussi, bien que de manière moins significative. Il était important de voir si le procédé de séquestration que l'on voulait tester marchait sur les cultures les plus sensibles mais également sur les moins sensibles. Ce ne sont que des modèles et il faudra – quand il y aura des financements – tester sur d'autres légumes : des dachines, des ignames, etc.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’Office. – Je lance à présent le débat avec mes collègues.

Mme Justine Benin, députée. - Je suis députée de la Guadeloupe, et ai été rapporteure de la commission d'enquête présidée par le député Serge Letchimy sur le sujet de la pollution à la chlordécone des sols de Guadeloupe et de Martinique. Je souhaite tout d’abord vous remercier pour votre invitation. Pour notre rapport, nous nous étions appuyés sur le premier rapport de l’Office et je suis ravie de l’organisation de cette table ronde ainsi que de la perspective d’une seconde audition publique sur l’impact de la chlordécone sur la santé humaine.

Ma première question est la suivante : vous avez montré des résultats pour la Martinique, est-ce que vous travaillez en partenariat avec l’université des Antilles concernant le sujet de la décontamination ? Deuxièmement, nous avions souligné l’importance de la recherche sur la dépollution des sols qui devait être une priorité stratégique : est-ce que les financements disponibles sont à la hauteur de cet enjeu ? Nous savons très bien que les terres de Guadeloupe et de Martinique sont polluées pour de nombreuses années. Troisièmement, est-ce que nous pourrions réellement tendre vers le « zéro chlordécone » ? Enfin, et même si la réponse a été donnée, sachez que je souscris totalement à la question de Mme Catherine Procaccia : plutôt que des radis j’aurais préféré que l’on me parle de dachines, d’ignames et d’autres légumes racines.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’Office. - Je vous remercie. En effet, pour cette dernière question, nous avons obtenu une réponse de nos deux intervenants. Je laisse la parole à présent à Cédric Villani, président de l’Office.

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. - Merci, chère collègue. Félicitations aux intervenants pour la qualité de leurs interventions. On a vu à quel point il était difficile de se débarrasser de la chlordécone et à quel point il existait une variété de solutions envisageables, méritant d'être investiguées. Je vais vous poser mes propres questions mais aussi celles posées par les internautes qui nous suivent.

J’ai d’abord une question concernant l’intervention de M. Mouvet. La question du coût a été évoquée, pourrait-on avoir des éléments de comparaison sur les coûts des différentes méthodes ? Est-ce que l'on pourrait disposer également d’une estimation du coût que cela représenterait au total pour l’ensemble des terres polluées ? Cela permettrait de se faire une idée de l'ordre de grandeur des sommes qu'il convient d'investir ou de réserver. J’imagine que le sujet a déjà dû être abordé dans les rapports précédents – je suis naïf sur le sujet – mais je pense qu’il est bon de rappeler les ordres de grandeur.

J’en viens à présent aux questions posées par les internautes. On a parlé de la rémanence dans les sols et de la façon dont la chlordécone pouvait migrer en profondeur mais que peut-on dire de l'éventuel transfert de la chlordécone entre parcelles ? Une question sur la toxicité des produits de dégradation : on a vu que la dégradation conduisait à plusieurs familles de molécules, que peut-on dire de leur toxicité relative ? Dans son intervention, M. Mouvet a parlé d’une étude sur la toxicité des composés qu'on obtenait à la suite du traitement par ISCR, qu’en est-il dans le cas d’une dégradation bactérienne ? Concernant la dégradation bactérienne, des essais ont-ils eu lieu à l’échelle de parcelles ? Les conditions réductrices requises pour la dégradation bactérienne sont-elles compatibles avec des conditions agronomiques propices à la croissance des végétaux ? Une question pour M. Mouvet : quel est le devenir du fer ajouté lors du procédé d’ISCR ? Quel impact environnemental a-t-il ? Peut-il être transféré dans l'eau ou dans les végétaux ?

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’Office. - Je vous laisse répondre à cette première série de questions et on demandera ensuite à nos collègues présents s’ils ont d’autres interrogations.

M. Christophe Mouvet. - En ce qui concerne l’ISCR, une des questions posées concerne la comparaison de son coût avec celui des autres méthodes. Je laisserai Thierry Woignier compléter mais, outre l’ISCR, seule la méthode de séquestration a prouvé une capacité à diminuer le transfert de la chlordécone vers les plantes et vers l’eau en conditions réelles de terrain. Il n’y a donc que très peu de méthodes avec lesquelles on peut comparer les coûts. L’utilisation de compost est intrinsèquement moins coûteuse que celle de l’ISCR, d'un facteur deux voire trois – tout dépend de la nature du compost et d’où il est importé – mais c’est une technique qui doit être répétée. Après un certain nombre d’années, le compost aura perdu son effet séquestrateur alors que l’ISCR détruit définitivement la chlordécone.

Parmi les autres questions qui relèvent de mon domaine, il y avait celle sur la toxicité des produits de dégradation. Comme je l’ai indiqué au cours de ma présentation, l’ISCR ne génère pas de produits plus nocifs que la chlordécone.

En ce qui concerne la compatibilité des conditions réductrices avec la croissance des végétaux, je crois qu'il y a une réponse simple : il suffit d'imposer des conditions réductrices pour quelques mois – voire un an ou deux – avant de revenir ensuite à des conditions normales. Au regard du problème de la chlordécone, qui dure depuis plusieurs décennies, l'effet négatif au niveau agronomique est selon moi extrêmement restreint.

Dernier point sur lequel je voudrais intervenir : le devenir du fer zéro valent. Il va s'oxyder et être fixé dans le sol. Or, les sols antillais sont connus pour leur très grande richesse en fer. Il n'y a donc aucune inquiétude à avoir en ce qui concerne l'impact environnemental potentiel de l'ajout de 4 % de fer zéro valent dans des sols antillais.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’Office. - M. Woignier, souhaitez-vous intervenir et compléter ces réponses ?

M. Thierry Woignier. - Pour compléter ce qu'a dit mon collègue Christophe Mouvet, nous avions fait une étude d’estimation comparative entre ses résultats et les nôtres : les coûts de la séquestration sont de l'ordre de 3 à 5 fois moindres. Cependant, il a tout à fait raison, l’ajout de compost n'est pas pérenne. Au bout d'un moment, le compost va se détruire et la matière organique disparaître. C’est pour cela que nous travaillons actuellement sur des biochars, qui sont aussi de la matière organique mais stabilisée. Mais je vous avouerai que je n’ai pas les coûts en tête.

Cependant, comme je l’ai expliqué tout à l'heure en jouant les Cassandre, dans les cas des andosols, les techniques d'ISCR ne permettent d’éliminer que 30 % de la chlordécone, et répéter trois fois le procédé ne permet pas d’éliminer 90 %. L’ISCR ne pourra donc pas décontaminer totalement ce type de sols. Je ne dis pas qu’il y a une méthode qui est meilleure que l’autre mais, qu’en fonction des types de sols et de certains paramètres, il faudra ajuster les traitements, qui pourront être de la remédiation ou de la gestion. Les andosols représentent 50 % des sols contaminés et, pour le moment, la technique d’ISCR n’y est pas très efficace.

Je voudrais également répondre à la question d’un éventuel transfert de la chlordécone entre les parcelles. Si vous ne faites pas de transfert de sol, il n’y aura pas ou très peu de transfert d'une parcelle à l'autre. Les travaux du Cirad ont montré qu’à l’intérieur d’une même parcelle qui n'avait pas été remaniée, on pouvait avoir des variations très importantes des taux de chlordécone puisque celle-ci n’a pas été épandue par voie aérienne mais déposée aux pieds des bananiers. Aussi, vous pouvez avoir une forte concentration à l’endroit où la chlordécone était déposée et, deux mètres plus loin, des concentrations très faibles. Ce faible transfert est lié à la faible solubilité de la chlordécone dans l'eau. Elle ne s’en va donc que très lentement avec l'eau. Si ce n’était pas le cas, cela ferait longtemps qu’une bonne partie de la chlordécone aurait été éliminée par les flux d’eau.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’Office. - Merci. Monsieur Saaidi, souhaitez-vous intervenir ?

M. Pierre-Loïc Saaidi. - Personnellement, je ne vais pas vous vendre une méthode de dégradation bactérienne. Notre but est d'apporter des connaissances, notamment sur les capacités de dégradation par des bactéries déjà présentes aux Antilles, afin d’essayer de connaître l’avenir de la chlordécone si un jour des techniques permettent de la dégrader de façon microbiologique.

En pratique, ce que nous avons montré avec mes collègues, c’est qu’il y a une dégradation naturelle qui est d'ores et déjà opérante, même si elle est probablement de très faible ampleur. L’approche actuelle de suivi de la pollution à la chlordécone ne permet pas de mettre cette dégradation en avant. Il n’y a pas assez d'analyses dans les sols – compte tenu de l'ampleur des sols pollués et de la difficulté et du coût des analyses, c'est bien normal – ni de suivi temporel dans les sols, qui permettrait de voir l'abattement naturel de la chlordécone au cours des années. La présence des produits de transformation que nous avons identifiés démontre une certaine dégradation, sans apport particulier de l'homme. Même si personnellement je ne suis pas agriculteur, j'imagine que le travail du sol par l'agriculture peut peut-être dans certains cas stimuler la dégradation naturelle. Or, c'est quelque chose qui n'a pas été investigué pour l'instant.

Par ailleurs, il existe des procédés de biostimulation du sol, soit par apport de bactéries, soit par traitement, qui vont permettre de stimuler l'activité bactérienne mais cela sort de mon domaine de compétences et cela n'a, pour l’instant, pas été vraiment tenté. Ce que je peux dire par contre c'est que lorsque l'on va traiter un sol par ISCR, on peut avoir de manière simultanée une dégradation à la fois chimique et biologique grâce aux bactéries qui sont présentes et susceptibles de se trouver dans les bonnes conditions pour pouvoir dégrader la chlordécone.

Concernant la toxicité des différents produits de dégradation, c'est quelque chose d’assez compliqué. En fait, l’enjeu de la toxicité des produits de dégradation de la chlordécone est très relatif. On a mis en évidence la présence de ces composés dans les sols mais, comme pour l'instant il n'y a pas eu d'études quant à leur éventuelle présence dans les aliments, la justification de mener des études de toxicité étendue n'est pas démontrée. Autrement dit, cela fait quatre ans que je demande des financements pour des campagnes d'étude de la toxicité de ces composés mais ce n’est pas une priorité puisque l’on n'a pas encore montré une exposition de la population à ces composés. Cependant, nous n’avons pas les outils pour suivre l'éventuelle exposition de la population à ces composés. Aussi, bien que cette question existe, elle n’est pour l'instant pas prioritaire.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’Office. - Merci. Je me tourne à présent vers nos collègues présents dans la salle. Monsieur Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, vous avez la parole.

M. Stéphane Artano, sénateur. - Merci à l’Office pour son invitation qui permet d'associer les parlementaires ultramarins à cette audition. Je ne suis pas un scientifique mais sur le plan du bon sens, j'ai bien entendu que la chlordécone se trouvait majoritairement dans les 30 à 40 premiers centimètres des sols puisque ce sont ceux que l'on cultive et ceux que l'on retourne. Est-ce qu’il serait pertinent de procéder à des carottages sur les zones identifiées pour voir en profondeur comment se situe la pollution constatée en surface ? Est-ce que cela présente une pertinence quelconque ? J’ai bien compris que s'il n'y avait pas de transport de terre d'une parcelle à une autre, il n'y avait pas de transfert de la pollution, est-ce que dans le sous-sol on peut imaginer qu'une pollution puisse exister malgré tout ? Un lessivage par des eaux en sous-sol ne pourrait-il pas polluer d'autres parcelles à travers le bassin versant ? Concernant les traitements, est-ce qu'on peut imaginer un cumul des méthodes scientifiques ? Est-ce que vous l’avez envisagé ? Cela présente-t-il un intérêt ? Pensez-vous que cela soit réalisable ? J’ai en effet le sentiment, pour être tout à fait honnête, que vous travaillez chacun indépendamment dans vos secteurs de recherche.

M. Bruno Sido, sénateur. - Pour répondre à notre président, je me suis amusé à calculer combien la dépollution pourrait coûter. J’ai pris la surface totale de la Martinique et la surface totale de la Guadeloupe, et les ai multipliées par le prix à l'hectare qui nous a été indiqué. Si l’on retient entre un et deux cinquièmes des terres contaminées, cela représente un coût entre 10 et 15 milliards d'euros.

Mme Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l’Office. - Merci pour toutes les informations que vous nous apportez. J'ai pour ma part une question très précise. Cela a été indiqué tout à l’heure, la chlordécone était répandue aux pieds des bananiers. Je suppose – même si je n’en sais rien – qu'elle contaminait les végétaux. Qu'est-ce qu'on faisait des feuilles qui pouvaient éventuellement tomber ? Où est-ce que cela a été stocké ? Y a-t-il eu un questionnement sur les déchets agricoles qui auraient pu être contaminés et ainsi permettre le transfert de la pollution à d'autres terrains ?

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’Office. - Je vais pouvoir répondre à cette question : c'est uniquement le sol qui a été contaminé. La banane n'a jamais été contaminée et la canne à sucre n’était contaminée que sur un ou deux centimètres. Je laisse nos intervenants répondre aux autres questions.

M. Thierry Woignier. - Pour répondre à la personne qui nous a dit que nous travaillions chacun dans notre coin, ce n'est que partiellement vrai car nous avons beaucoup travaillé ensemble. J'ai par exemple participé à un travail avec M. Saaidi et, quand M. Mouvet indique que les expériences d’ISCR ont été faites en partenariat avec l'IRD, il s'agissait d’une collaboration avec mon collègue Luc Rangon et moi-même. Sur les mêmes parcelles, nous avons fait des études avec le procédé ISCR et avec le procédé séquestration. Ce sont les résultats que nous avons évoqués tout à l'heure. 

M. Pierre-Loïc Saaidi. - Effectivement, au fil du temps nos chemins se sont croisés et actuellement je travaille avec la successeure de M. Mouvet au BRGM sur une approche croisée ISCR et stimulation des bactéries du sol. Nous avons bien diagnostiqué que le but est l'efficacité avant tout et que, s’il est possible d’obtenir un effet synergique, il sera plus que bienvenu.

M. Christophe Mouvet. - Je voudrais revenir sur la question de l’intérêt de faire des carottages. Je vais tout à fait dans ce sens, sachant qu'il y a dans la littérature un certain nombre de données disponibles sur des profils en profondeur mais qui, en général, s'arrêtent à 60 ou 70 centimètres. On a effectivement de la chlordécone jusqu’à cette profondeur, bien qu’il y ait une tendance claire de diminution de la concentration avec la profondeur. Si on a 10, 20 ou 30 mètres de zone non saturée en dessous du sol avant d'arriver, par exemple, à une nappe d'eau souterraine, et même si ces horizons plus profonds sont 10, 20 ou 30 fois moins contaminés que la zone cultivée du sol, on y trouve in fine la même masse de chlordécone. Aussi, sans vouloir dresser un tableau noir, si régler la contamination du sol agronomique sur 30 à 40 centimètres est, bien sûr, tout à fait souhaitable, cela ne règle absolument pas la totalité du problème, compte tenu du stock que l’on sait exister plus bas. Il faudrait effectivement pouvoir faire un nombre suffisant de carottages, bien que cela soit très coûteux et compliqué scientifiquement et techniquement. Mais il est clair que l’on ne peut pas se contenter d'une vision se limitant aux 40 premiers centimètres.

Pour revenir sur l’andosol et compléter ce que Thierry Woignier a indiqué, nous avons montré, au BRGM, par des travaux de laboratoire, que l’ISCR ne permet d’abattre que de 30 à 35 % la teneur en chlordécone dans les andosols. Mais je ne souhaiterais pas laisser l'image selon laquelle l'ISCR ne serait d’aucun intérêt pour les andosols. Il est tout à fait possible que les 30 à 35 % – voire les 25 % – qui sont éliminés par l’ISCR sont ceux auxquels les plantes auraient eu accès. Cette faible efficacité de l'ISCR sur les andosols pourrait donc être tout de même très intéressante du point de vue agronomique, bien que l’on n’ait pas pu l’étudier in situ, faute de financement.

M. Bruno Sido, sénateur. - Je vais parler en tant qu’agronome : certes les plantes vivrières ont des racines qui ne vont pas très profond mais il y a beaucoup de plantes qui ont des racines qui vont au-delà de 40 centimètres de profondeur. Par conséquent, ne traiter que les 40 premiers centimètres destine le sol à ces cultures vivrières mais pas à d'autres.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’Office. - Peut-être qu’aux Antilles, compte tenu du type volcanique de la roche, on a des plantes qui n'ont pas beaucoup de racines, mais je ne suis pas agronome.

M. Hervé Macarie, chercheur à l’IRD. - Je me suis également amusé à faire le calcul concernant le coût de l’ISCR. À 160 000 euros par hectare pour 20 000 hectares, j'étais arrivé à un coût de 3,2 milliards. Si on le divise par 65 millions d'habitants en France, cela fait 50 euros par habitant. Je pense qu’il faut remettre les choses dans leur contexte. De plus, il y a d’autres éléments qui doivent être pris en compte et dont nous ne disposons pas aujourd'hui : personne n’est capable de nous dire combien coûtent les interdictions de pêche, le fait d'avoir mis 40 % – je crois – des pêcheurs au chômage, les interdictions de culture, la fermeture de fermes aquacoles, l’obligation de faire des contrôles des aliments sur les marchés et dans les supermarchés. Il faut mettre tous ces coûts en regard du budget que représenterait une dépollution des sols.

Enfin, concernant le « zéro chlordécone », jamais personne ne sera capable de certifier qu’un produit est véritablement « zéro chlordécone ». Les équipements analytiques dont nous disposons ont des limites et il sera, au mieux, possible d’indiquer qu’aucune trace n’a été détectée.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’Office. - Merci M. Macarie de rapprocher la réalité du coût de la recherche à l’ampleur des enjeux pour les Antilles.

M. Thierry Woignier. - Je voudrais simplement ajouter un commentaire à propos du « zéro chlordécone ». Excusez-moi M. Mouvet, je ne voulais pas dire que faire de l'ISCR ne servait à rien mais, à cause de la physique, on ne pourra pas entièrement décontaminer ces sols. On entend régulièrement la revendication du « zéro chlordécone ». Je ne voudrais pas que certains pensent que des techniques miraculeuses vont arriver à nettoyer complètement la chlordécone dans les sols car, dans certains cas, ce sera physiquement impossible. J’abonde aussi avec ce qu’a dit Hervé Macarie : faire une mesure de « zéro chlordécone » n’a pas réellement de sens. On peut dire que l’on est proche de zéro mais on ne pourra jamais affirmer y être complétement.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’Office. - Merci beaucoup. On pourra éventuellement revenir sur ces sujets tout à l'heure mais je souhaiterais que l'on essaie de respecter l'ordre du jour et que l’on passe à la seconde table ronde.

M. Pierre-Loïc Saaidi. - Excusez-moi, je me permets simplement un petit ajout au sujet de la comparaison entre l’ISCR et les autres techniques. Au regard des connaissances actuelles, les produits de dégradation formés par l’ISCR ont un profil de toxicité encourageant. Ils pourraient de fait être plus facilement incorporés dans la chaîne alimentaire. En ce qui concerne les voies alternatives de dégradation, les produits formés sont différents et nous manquons d’information quant à leur toxicité et leur mobilité. Ces connaissances sont selon moi importantes à acquérir pour pouvoir les inclure dans la prise de décision concernant la dépollution des sols, et ce, au-delà des aspects financiers et d’efficacité.

Madame Justine Bénin nous a interrogés sur le soutien financier que nous avons reçu pour la dépollution des sols. Il y a eu un appel à projets sur la remédiation de la chlordécone en 2019 mais la recherche nécessite un important soutien pour pouvoir conforter ses résultats et apporter des compléments. En tant que chercheurs, nous ne pouvons que donner des informations, c’est ensuite à vous d’être décisionnaires, mais il faut que l’on puisse vous apporter des informations complètes. Notre devoir est de vous dire de ce que l’on sait, ce que l’on ne sait pas, et les informations qu’on n’aimerait mais que l’on ne peut pas vous donner. Et donc, selon moi, des informations manquent aujourd’hui pour pouvoir mettre les différentes techniques en perspective.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’Office. - Nous allons passer à la seconde table ronde qui va s'intéresser à la pollution des ressources agricoles et halieutiques. Nous avons le plaisir de recevoir Magalie Jannoyer, adjointe à la direction générale déléguée à la recherche et à la stratégie du Cirad, qui a mené de nombreux travaux sur la chlordécone – nous nous souvenons, Jean-Yves Le Déaut et moi-même, avoir pu bénéficier de votre éclairage il y a plusieurs années –, Marc Voltz, directeur de recherche à l'INRAE, professeur consultant à Montpellier SupAgro, membre correspondant de l'Académie d'agriculture de France et chercheur en sciences du sol et en hydrologie, Charlotte Dromard, maître de conférences à l'université des Antilles, dont les travaux s'intéressent à l'incidence de la contamination à la chlordécone sur les organismes marins, et Guido Rychen, professeur des universités à l'ENSAIA et président du comité de pilotage scientifique national du Plan chlordécone IV.

Nous allons commencer avec vous Mme Jannoyer, au sujet du transfert de la chlordécone du sol aux plantes. Cela sera l’occasion de répondre à ma collègue Angèle Préville, qui s’interrogeait sur ce transfert, et de nous présenter les progrès que vous avez pu réaliser dans vos recherches. Vous avez la parole.

Mme Magalie Jannoyer, adjointe à la direction générale déléguée à la recherche et à la stratégie du Cirad. - Merci beaucoup pour votre invitation. Cette présentation a été réalisée avec différents collègues mais ne reflète pas toutes les collaborations que nous avons pu mettre en place sur ces sujets. Je vais vous parler essentiellement du transfert du sol vers la plante, avec des rappels préliminaires sur le contexte pour bien comprendre la situation sur le terrain.

La chlordécone est une molécule qui a une très faible solubilité dans l'eau, une forte affinité envers la matière organique et une faible biodégradabilité, même si Pierre-Loïc Saaidi vous a expliqué qu'aujourd'hui, on avait des espoirs de ce point de vue. Ces propriétés physico-chimiques conduisent à une pollution persistante. Une première publication qui utilisait un modèle très simple montrait que la décontamination naturelle des sols pouvait durer plusieurs décennies, voire des siècles. Comme je vais vous le présenter, les perspectives ont aujourd’hui un peu évolué.

Cette molécule a été utilisée dans les bananeraies entre les années 1970 et 1990 aux Antilles. Comme vous l’avez indiqué, l’application était hétérogène : la chlordécone était appliquée sous forme de poudre autour des bananiers, ce qui a conduit à une pollution hétérogène des sols. Cette pollution est diffuse et chronique dans le temps. La chlordécone a été stockée dans les sols, qui sont aujourd’hui des réservoirs de pollution, avec un impact sur les chaînes alimentaires et les différents compartiments environnementaux. En effet, bien que peu soluble, une part de la chlordécone est tout de même entrainée par l'eau. Elle peut également être transférée vers les cultures et être absorbée et bioconcentrée chez les animaux. Guido Rychen abordera ce dernier sujet. Cette molécule finit donc par atterrir dans nos assiettes, ce qui constitue la principale source d’exposition à la chlordécone aux Antilles actuellement.

Très rapidement, nous nous sommes intéressés aux possibilités de réduction de l’exposition des consommateurs, notamment lors de la consommation de fruits et légumes. Nous essayons de trouver des pratiques permettant de produire des fruits et légumes conformes à la réglementation, qui n’exposent pas – ou en tout cas le moins possible – les populations. Pendant de nombreuses années, nous avons acquis des connaissances génériques, qui ont montré que le transfert de la chlordécone du sol vers la plante était un transfert passif, avec un gradient décroissant du sol vers les racines puis les tiges et les feuille, avec un positionnement des fruits qui est un peu intermédiaire. Il existe deux processus assez différents : d'une part, une absorption par les racines fines de la chlordécone soluble dans l’eau, d’autre part, une adsorption, c'est-à-dire que la molécule se colle sur la surface des racines et des tubercules et est ensuite transportée via le flux de sève au sein de la plante. En revanche, elle n'est pas absorbée de manière aérienne mais uniquement du fait de la présence de la molécule dans le sol.

Grâce à nos nombreuses expérimentations, nous avons réussi à mettre en évidence trois types de réponse en fonction des plantes cultivées. Cela nous a permis de construire un outil de gestion, en fonction du niveau de pollution du sol et des limites maximales de résidus. Cet outil est très utile pour les agriculteurs puisque cela leur permet d’anticiper les possibilités de culture sur leurs parcelles, en fonction de leur niveau de pollution. Comme je vous le disais, nous avons identifié trois types de production. Tout d’abord, celles qui sont peu sensibles, c'est-à-dire qui peuvent être cultivées quel que soit le niveau de pollution du sol : cela correspond aux arbres fruitiers et aux solanacées, c'est-à-dire les tomates, les piments, les aubergines, les christophines, les ananas… Il y a ensuite les productions intermédiaires qui sont plus sensibles : ce sont les cucurbitacées, les laitues et la canne à sucre. Enfin, la catégorie de production très sensible est celle des racines et tubercules.

Nous nous sommes également aperçus que le lien entre le sol et la plante était assez complexe. L'explication de la teneur en chlordécone dans la plante est liée à la nature du sol mais aussi aux pratiques agricoles et à l'utilisation qui était faite des parcelles. Comme Thierry Woignier vous l'a expliqué, on sait que les nitisols et les andosols, ne sont pas pollués de la même manière, en raison de leurs structures différentes. La pollution du sol dépend également du type d'exploitation : les exploitations de type agro-industriel qui avaient plus de moyens ont utilisé plus massivement la chlordécone. Les pratiques agricoles jouent également un rôle, notamment le travail du sol qui conduit à une homogénéisation de la pollution. Cette observation nous a conduits à proposer une méthode d'échantillonnage qui permet de caractériser correctement le niveau de pollution moyen d’une parcelle. Le niveau de pollution dépend également de l'usage d'herbicides – on a récemment mis en évidence que l’usage du glyphosate pouvait augmenter le flux de chlordécone dans les autres compartiments – et des pratiques d’amendement organique, comme Thierry Woignier vous l’a présenté. Enfin, le niveau de dégradation intervient lui aussi. Comme je vous le disais, les premiers modèles de diffusion de la chlordécone dans l'environnement ont été révisés et les perspectives actuelles sont un peu plus réjouissantes, avec l’annonce d’une fin possible de la pollution par la chlordécone. Il faudra cependant regarder l’éventuelle pollution représentée par les molécules filles issues de cette dégradation.

En effet, plusieurs questions restent en suspens au sujet des propriétés, du devenir et de l'impact des molécules filles. On peut donc se demander quel sera l'impact de ces molécules sur les productions agricoles. La question de la représentation est également posée : la pollution par la chlordécone est invisible et les processus mis en jeu sont complexes, ce qui les rend difficiles à matérialiser et à expliquer. La question de la durabilité de la pollution et de ses conséquences est marquée par de fortes incertitudes qui doivent être clarifiées. La question des données et de la temporalité me semblent essentielles dans la compréhension des processus.

Pour conclure, je vous livre quelques propositions. Il me semble important de promouvoir et de soutenir des systèmes et des pratiques agroécologiques pour éviter de nouvelles catastrophes, en particulier sur les parcelles non polluées. Une partie des sols agricoles ne sont pas pollués, on pourrait beaucoup mieux les valoriser avec ces pratiques. Concernant les questions scientifiques, il y aurait besoin de nouvelles approches pour acquérir de nouvelles connaissances. Pour les transferts sol-plante, il faut réussir à comprendre de manière plus fine les interactions entre la physiologie de la plante et les propriétés des molécules. L’utilisation de la modélisation mériterait peut-être d’être intégrée aux recherches grâce aux données que l’on a pu acquérir. Enfin une approche systémique et interdisciplinaire de type santé globale pourrait – il me semble – être assez adaptée. Elle permettrait d’intégrer toutes les échelles, tant spatiales que temporelles, et inclurait aussi tous les compartiments environnementaux.

Dès 2010, on a fait le choix de travailler à l'échelle du bassin versant et je crois que cela a permis d'assembler de nombreuses connaissances et de les diffuser auprès des parties prenantes. Ces travaux ont fait l’objet de valorisations à travers des fiches techniques très simples qui ont été diffusées auprès des professionnels agricoles et de publications d'articles dans des revues internationales.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’Office. - Merci Mme Jannoyer. Avant de passer la parole aux autres intervenants de la table ronde, je souhaiterais vous demander ce que vous entendez par une pollution qui cesserait plus rapidement. Je me souviens qu’on évoquait des périodes allant de 350 à 750 ans. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Mme Magalie Jannoyer. - On revient à des durées qu’on pourrait qualifier de plus humaines, plutôt de l'ordre du siècle que de plusieurs siècles. En fonction des sols, il pourrait même y avoir des dynamiques un peu plus rapides, de l’ordre de quelques décennies. Ce sont des durées plus facilement appréhensibles par les populations.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’Office. - C’est une bonne nouvelle !

Mme Magalie Jannoyer. - Je ne sais pas si c’est une bonne nouvelle…

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’Office. - Par rapport à 750 ans, 100 ans, ça paraît très peu.

Mme Magalie Jannoyer. -  Cela ne veut pas dire que les impacts sont moindres.

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. - Au Sénat, on accueille les nouvelles avec la sérénité qui convient pour une institution qui travaille dans le temps long.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’Office. - Je passe à présent la parole à M. Marc Voltz, directeur de recherche à l'INRAE, qui va nous parler d’hydrologie.

M. Marc Voltz, directeur de recherche à l’INRAE. - Je vais vous parler de la contamination des eaux de surface par la chlordécone. Cet exposé s’appuie sur les données acquises par l’observatoire Opale, opérationnel depuis 2016, et sur des contributions d’un ensemble de collègues, basés en métropole et aux Antilles. Comme cela a été dit, la contamination des eaux provient de la contamination des sols. Dans la plupart des sols contaminés, on a 1 à 10 kilogrammes de chlordécone par hectare. Cette chlordécone est fortement adsorbée par le sol et, bien que peu soluble, elle reste tout de même mobilisable et peut être lessivée à petite dose. C’est ce qui explique que la pollution reste présente encore de nombreuses années après la période d'épandage.

À partir de nombreuses études expérimentales que nous avons pu faire sur un ensemble de sols volcaniques des Antilles, nous avons pu constater que la voie de transfert principale est la percolation, qui représente plus de 90 % du flux sortant. Le ruissellement ne représente que moins de 10 %. Ce résultat était attendu puisque nous savons de longue date que ce type de sol est très perméable, ce qui favorise l'infiltration et la percolation qui, au fur et à mesure, lessivent la chlordécone présente dans le sol, bien qu’à faible dose.

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. - Quand vous indiquez sur vos documents 0 à 8 % pour le ruissellement et 92 à 100 % pour la percolation, l’intervalle traduit-il une incertitude ou une variabilité en fonction des situations ?

M. Marc Voltz. - C'est une variabilité en fonction des situations. On a fait des études sur différents types de sol et je vous donne ici la fourchette des résultats obtenus.

Ainsi, la chlordécone va être majoritairement transférée de manière souterraine, notamment vers les aquifères, qui sont assez fortement contaminés par la chlordécone dans les zones où le sol est contaminé. Or, les aquifères contribuent aux rivières, d’où une contamination des rivières, avec des temps de transfert qui dépendent de la nature des aquifères. Il y a également d'autres types d'écoulement, qu’on appelle les écoulements hypodermiques, qui sont aussi une source de contamination, notamment au moment des crues lorsque les sols sont saturés.

Les eaux de rivière sont constituées d’un mélange d'eaux souterraines et de surface, bien que dans la plupart des situations aux Antilles, ce sont essentiellement des eaux de surface. Ce sont les eaux de nappes qui vont déterminer les concentrations en chlordécone dans les eaux de surface.

Pour illustrer ces propos, je vais m’appuyer sur des résultats de l'observatoire Opale. Cet observatoire comprend un bassin versant en Martinique et deux bassins versants en Guadeloupe. Les relevés qui ont été réalisés montrent une contamination très élevée, bien au-dessus de la limite de potabilité, et que cette contamination est d’autant plus élevée que la part de sols contaminés sur le bassin d'alimentation de la rivière est importante. On peut également constater une variabilité forte à court terme de la concentration en chlordécone puisque, d’une semaine à l'autre, la concentration peut varier d'un facteur 1 à 10. Cette variabilité représente un problème pour la surveillance.

On a fait des études un peu plus fines ces dernières années pour comprendre ce phénomène. Si on regarde l'évolution des concentrations en fonction du débit de la rivière, on constate que les concentrations sont élevées lorsque les débits sont faibles. On pouvait s’y attendre puisque les nappes sont fortement polluées et que, quand les débits sont faibles, ce sont les nappes qui contribuent essentiellement au débit de la rivière. Mais on a également constaté qu’il y avait une augmentation de la concentration assez importante lorsque les débits étaient extrêmement forts. Cela s’explique par un transport particulaire important lors de forts ruissellements, qui charrient des particules de sol contaminé et font donc augmenter la concentration. Il y a ainsi plusieurs facteurs qui expliquent les fortes concentrations.

La contamination des rivières se fait donc, à l'échelle annuelle, essentiellement par les écoulements de nappe de manière dissoute, même si, au moment de crues importantes, on peut avoir des transports particulaires qui deviennent momentanément majoritaires. Cela rend très difficile de contrôler la contamination des eaux et ce, d’autant plus qu’il existe déjà de forts stocks de chlordécone dans les aquifères, qui vont probablement mettre des années ou des décennies à se vidanger en contaminant les rivières. Malheureusement, nous n’avons pas d’idée exacte de ces stocks.

S’il existe des espoirs quant à la contamination des sols, la contamination des eaux sera un problème de long terme. En guise d’exemple, les flux mesurés sur les bassins de l’observatoire Opale vont de de 5 à 38 kilos par an, ce qui est à la fois significatif en termes de contamination des milieux avals et côtiers mais relativement faible par rapport aux stocks de chlordécone qui sont actuellement dans les sols, puisque dans l’un des bassins de l’observatoire, il a été quantifié une masse de l’ordre de 1 600 kilos.

Je signale enfin qu’un travail important a été réalisé, notamment en Guadeloupe, pour identifier les bassins versants dont les rivières sont contaminées.

Les impacts de cette pollution concernent les écosystèmes aquatiques dulçaquicoles et marins, qui seront présentés par Mme Dromard, et bien sûr sur les prélèvements qui peuvent être faits pour le bétail. En revanche, les conséquences sont relativement limitées sur les adductions en eau potable car la plupart des prises d'eau sont faites en amont des zones contaminées. Les derniers relevés établis montrent qu’il y a très peu de dépassement des normes.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’Office. - Merci beaucoup pour cet exposé très clair. Nous allons maintenant entendre Mme Dromard, maître de conférences à l'université des Antilles, qui va aller un peu plus en aval puisqu’elle va nous parler des poissons et des crustacés. Je vous laisse la parole.

Mme Charlotte Dromard, maître de conférences à l’Université des Antilles. - Je vous présente un travail collégial réalisé avec mes collègues de l'Université des Antilles et des collègues d'Ifremer Martinique pour essayer de synthétiser au maximum les résultats obtenus depuis 2009 relatifs au milieu marin et également à la faune dulçaquicole.

En ce qui concerne les rivières, depuis 2009, les travaux les plus probants ont été réalisés dans le cadre de la thèse de Sophie Coat. Pour votre précédent rapport, il y avait eu une présentation préliminaire de ces résultats, qui s’intéressaient à la contamination de mollusques, de crevettes et de poissons. Les principaux résultats montraient que l'ensemble de ces compartiments affichaient des concentrations en chlordécone très élevées, qui dépassaient systématiquement 1 000 microgrammes par kg, ce qui est bien au-dessus de la limite maximale de résidus. À la suite donc de ces résultats, une interdiction de pêche en rivière a été mise en place au niveau régional en Guadeloupe et en Martinique. 

Dans ces travaux, il a été mis en évidence que la matière organique dérivante était une voie de transfert privilégiée de la chlordécone de la rivière vers la mer, ce qui découle directement de la forte affinité de la chlordécone pour la matière organique. Ce fait nous amène à deux observations : on remarque une forte contamination du plancton lorsqu'il est collecté à l'embouchure des rivières, puisque celui-ci va intégrer les particules de matière organique les plus fines, et également une contamination des sédiments marins à l'embouchure des rivières. Mais si ces sédiments sont contaminés, ils ne le sont pas très fortement. Il y aurait donc assez peu d'accumulation de la chlordécone dans le sédiment marin ou une éventuelle désorption de la molécule vis-à-vis de la matière organique.

Dans les travaux les plus récents, il y a plusieurs résultats nouveaux et intéressants au sujet du comportement des larves des espèces dulçaquicoles. On sait à présent que la chlordécone modifie le comportement des larves, notamment pour les espèces diadromes, c'est-à-dire les espèces qui effectuent des migrations entre la rivière et le milieu marin. Par ailleurs, les dernières publications ont indiqué une modification de la structure du biofilm de rivière, qui représente un apport nutritif très important pour les organismes. Ce biofilm a ainsi été identifié comme un indicateur très prometteur pour suivre la contamination.

La matière organique dérivante qui débouche dans le milieu côtier conduit inévitablement à une contamination du milieu marin. Parmi les travaux qui ont été menés postérieurement à 2009, il y a deux études assez importantes : les projets ChloHal et ChloAnt. Leur objectif était double : compléter la cartographie marine de la contamination et comprendre les voies de contamination des animaux marins. Dans ces différents projets, on a échantillonné de nombreux organismes appartenant à des groupes trophiques différents et vivant dans des habitats différents : des organismes de mangrove qui sont très proches de la côte et donc de la source de pollution, des organismes d'herbier qui ont une localisation intermédiaire, et des organismes de récif qui sont les plus éloignés de la source de pollution. Au-delà du récif, on est en milieu pélagique, au-delà du plateau continental et il va s’agir d'espèces assez peu concernées par la contamination à la chlordécone.

Dans ces différents projets, on a montré une décroissance de la contamination de la côte vers le large et on a démontré les deux voies de contamination. La première est celle du bain. Il s'agit d'une contamination qui résulte du contact des téguments et des branchies avec l'eau polluée. Cette voie de contamination est prédominante en mangrove : tous les organismes y présentent des concentrations en chlordécone très fortes, quel que soit leur groupe trophique, simplement parce qu’ils baignent dans la même eau contaminée. La seconde voie de contamination est la voie trophique, c'est-à-dire que les animaux vont se contaminer en consommant des proies contaminées. Cette voie de contamination est plutôt prédominante dans les milieux éloignés. En récif, il y a très peu de contamination par bain, les eaux étant diluées, mais il y a une bioaccumulation liée à la voie trophique, les animaux se déplaçant entre les habitats.

Dans ces différentes études, on a également travaillé sur la variation saisonnière, en prélevant des organismes à différentes saisons. Cela a permis de mettre en évidence une contamination plus élevée des organismes lorsqu'ils sont prélevés durant la saison humide, du fait du fort débit de la rivière et de la diffusion du panache turbide qui sort de la rivière et va aller rejoindre des habitats côtiers marins plus ou moins éloignés. Cet effet saisonnier est très perceptible en mangrove et en herbier mais assez peu ressenti au niveau des récifs.

Une partie de ces différents travaux menés dans le milieu marin a été consacrée à l'amélioration de la cartographie. Un manque de données avait été noté dans les rapports précédents concernant la contamination de la faune. Il y a vraiment eu un effort d'échantillonnage qui a été réalisé. On dispose à présent d’une base de données assez conséquente, avec 2 000 échantillons en Martinique et 1 500 en Guadeloupe. Cela a permis d'effectuer des analyses statistiques, de mettre en évidence les zones les plus contaminées et d'élaborer des cartes réglementaires concernant les zones d’interdiction de pêche et de restriction, au sein desquelles une liste d'espèces est interdite à la pêche.

En ce qui concerne l'exposition de la population, la DAAF met en oeuvre des plans de surveillance et de contrôle. Ce sont des échantillonnages réalisés sur les étals, notamment à proximité des zones contaminées, pour évaluer l'exposition des consommateurs. Cette cartographie et ces réglementations sont plutôt efficaces puisqu’on observait 5 % de produits non conformes en 2020 alors qu’avant le balisage de la zone d'interdiction de pêche on était à 60 % de produits non conformes sur les marchés. Il reste cependant des produits non conformes sur les marchés. Il y a deux explications à cela. Tout d'abord, le non-respect des zones d'interdiction par les marins-pêcheurs. Pour gérer ce problème, le comité des pêches a proposé un label pour les marins-pêcheurs qui s’engagent à ne pas aller pêcher dans les zones contaminées. La seconde raison est la mobilité des espèces marines. On dispose d’assez peu de données sur le déplacement des poissons. On sait que certains poissons sont très sédentaires et vont avoir des territoires d'une dizaine de mètres de circonférence mais d'autres organismes se déplacent entre les habitats pour se nourrir et se reproduire, et sont donc susceptibles de rejoindre des zones contaminées ou non contaminées. Il y a peut-être un travail à réaliser sur l’expansion de la contamination via la mobilité des espèces.

En guise de perspectives, je mentionnerais l’extension en cours de l’observatoire Opale, déjà évoqué, vers le milieu côtier, et la conduite de travaux de recherche sur des espèces sentinelles qui vont permettre de suivre la contamination.

En conclusion, je voudrais souligner qu’à ce jour nous n’avons aucun travail sur l’effet direct de la contamination sur les organismes eux-mêmes, sur leur métabolisme, leur physiologie et leur reproduction. Ce sont sans doute des travaux qu'il faudrait mener dans les prochaines années pour savoir si cette contamination impacte la physiologie de ces organismes marins.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’Office. - Merci Mme Dromard. Je vais passer la parole à M. Guido Rychen, professeur des universités à l’ENSAIA et président du comité de pilotage scientifique national du plan chlordécone IV.

M. Guido Rychen, professeur des universités à l’ENSAIA. - Ma présentation portera sur les avancées de la maîtrise de la contamination des animaux d'élevage terrestre entre 2011 et 2021, volet complémentaire de ce que l’on vient d’entendre sur le transfert vers les végétaux et les espèces marines.

Au cours de ces dix années de recherche, une trentaine d'expérimentations, menées sur le terrain et en conditions contrôlées, ont été réalisées sur les différentes espèces d'élevage : poules pondeuses, canards, porcins, bovins, caprins et ovins. Je ne vais pas présenter l’ensemble de ces résultats qui ont donné lieu à autant de publications que d'études. Ces travaux ont été financés par les projets Chlordepan (CIRAD et INRAE), PITE puis ANR INSSICA, par un contrat avec la DGAL et un ensemble de bourses de thèse. Les résultats que je vais vous présenter sont majoritairement issus de deux thèses : celle de Maïlie Saint-Hilaire, actuellement à l'Institut Pasteur en Guadeloupe, et celle d’Aurore Fourcot, actuellement chargée de projet au CPSN. Ces travaux nous ont permis d'avoir une bonne connaissance des facteurs d'exposition et du devenir de la chlordécone dans l'organisme animal.

Il faut savoir qu'un bovin qui pâture à l'extérieur ingère des quantités de sol qui ne sont pas négligeables et qui, dans certaines conditions, peuvent monter jusqu'à 10 % de son ingestion quotidienne, ce qui peut correspondre à près d’un kilogramme de sol ingéré. Cette ingestion de sol peut conduire à une ingestion de chlordécone et donc à une contamination. Or, l’exposition à la chlordécone conduit à une contamination de tous les organes et tissus, et ce, assez rapidement, ce qui entraine un dépassement des limites maximales de résidus autorisées.

La bonne nouvelle est que, lorsque l’exposition est interrompue, la chlordécone est éliminée progressivement de l'organisme et des tissus. C’est quelque chose qui n’est pas vrai pour tous les polluants organiques persistants. La cinétique de décontamination dépend fortement de l'espèce mais, chez les ruminants, elle permet d'envisager une stratégie de décontamination avant abattage.

Je vais donc vous présenter la conception et la mise en œuvre d'un outil d'aide à la décision pour sécuriser les filières bovines. Comme je l'évoquais, nous avons mené un ensemble d'expérimentations à partir desquelles nous avons construit un modèle pharmacocinétique chez les ovins adultes. Caractériser le devenir de la molécule dans tous les tissus et tous les organes est quelque chose d’extrêmement complexe, d’où notre choix de l’ovin, qui est un petit ruminant et qui est plus pratique et adapté à ce type d'études. Il a ensuite fallu extrapoler ce modèle au bovin, que nous sommes actuellement en train de tester. L’objectif est de pouvoir prédire la contamination de l'animal à partir d'une prise de sang et d’un dosage de la chlordécone dans le sérum.

Dans les zones contaminées, les animaux élevés à l'extérieur se contaminent rapidement et peuvent avoir une teneur en chlordécone supérieure à la limite maximale de résidus, ce qui les rend impropres à la consommation. Cela représente une perte importante pour les éleveurs. Dans notre travail, nous avons cherché à recruter des éleveurs sur les deux îles avec des animaux a priori contaminés au-delà de la limite maximale de résidus. Nous avons réussi à sélectionner un panel d’animaux assez large, provenant des deux îles et dont la plupart d'entre eux étaient soit légèrement au-dessus de la limite, soit très au-dessus.

Ce travail s’est fait avec l'administration, en collaboration les DAAF de chacune des deux îles, mais également avec les professionnels, avec le Groupement de défense sanitaire de la Martinique et le Sanigwa, organisme équivalent en Guadeloupe. Une première prise de sang est réalisée lorsque l'animal quitte la parcelle contaminée puis une seconde après la durée estimée nécessaire par le modèle pharmacocinétique pour la décontamination. Les animaux peuvent alors être abattus, étant conformes et propres à la consommation.

Plusieurs cas existent. Il y a d’abord le cas de l’agriculteur qui dispose à la fois de parcelles contaminées et de parcelles peu ou pas contaminées. Il peut très bien utiliser ces dernières pour décontaminer ses animaux. Dans le cas où l'éleveur ne dispose que de parcelles contaminées, deux stratégies peuvent être mises en œuvre : utiliser des box de décontamination mis à disposition par le GDSM avec de l’affouragement non contaminé (stratégie mise en place en Martinique), ou mettre les animaux en pension chez un autre éleveur avec la mise en place d’une convention (stratégie mise en place en Guadeloupe)

Les résultats de l’étude montrent que les concentrations observées après la durée déterminée par le modèle sont généralement inférieures à ce qui avait été anticipé, prouvant sa pertinence. Actuellement, nous ne sommes qu’au milieu de l’étude et nous attendons de nouvelles données d’ici la fin de l’année. Pour ce qui est des résultats actuellement disponibles, à l’issue de la décontamination, 100 % des teneurs en chlordécone mesurées dans le tissu adipeux périrénal sont inférieures à la limite maximale de résidus (27 µg/kg). En Martinique, les collègues souhaitent aller en dessous de 20 microgrammes, ce qui est encore une fois le cas de tous les animaux testés. Enfin, si on considère la limite de quantification de la chlordécone, qui est de 3 µg/kg, on a 60 % des mesures qui se trouvent en dessous. L’outil est donc tout à fait adapté, intéressant et pertinent.

En guise de perspectives, notre objectif pour 2022 est de valider cet outil d’aide à la décision chez le bovin adulte. À terme, dans une version 2 ou 3 de cet outil, il faudra l’élargir pour prendre en compte le transfert mère-jeune, l’animal en croissance ainsi que d’autres espèces d’élevage. Il faudra également améliorer les connaissances sur l'exposition pour prévenir la contamination de l'animal en fonction de la contamination du sol et des pratiques d'élevage. Enfin, il serait nécessaire d'élargir la capacité de cet outil d'aide à la décision afin de recommander des mesures de gestion optimales en fonction de la contamination du milieu, de façon à protéger le consommateur tout en pérennisant l'élevage. Je dirai simplement en conclusion que ces approches-là sont particulièrement bien accueillies par les éleveurs, qui sont tout à fait contents de pouvoir prédire ce que sera la contamination de leur animal. Ils sont donc partants pour travailler avec cet outil.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’Office. - Merci M. Rychen pour votre intervention. Déjà en 2009, lorsque nous avions été aux Antilles avec Jean-Yves Le Déaut, nous avions vu qu’il suffisait de changer de bassin les ouassous contaminés pour, qu’après quelques semaines, ils ne le soient plus du tout. Cela est relativement rassurant. J’ai une question : ce qui est vrai pour le bovin est-il vrai pour toutes les espèces animales ? Vous avez par exemple mentionné les poules.

M. Guido Rychen. - Nous avons des mesures du temps de demi-vie de la molécule dans l’organisme pour toutes les espèces. Pour le porc, c'est plus long et il y a donc un problème de compatibilité avec la durée d'élevage de l’animal. Chez le bovin, ce n’est pas un problème puisqu’il est tout à fait possible d’attendre deux ou trois mois pour décontaminer un animal qui a entre deux et trois ans. En revanche, pour un porcin qui a une durée de vie aux Antilles de près d’un an – contre six mois dans les élevages industriels en métropole –, c’est plus compliqué d’attendre trois, quatre ou cinq mois pour le décontaminer. Mais en tout cas nous avons les données pour en discuter avec les éleveurs.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’Office. - D’accord, donc cela s’applique à tous les animaux. Il n’y a plus qu'à espérer que cela s'applique à l'homme et qu'on puisse le décontaminer en changeant son alimentation. J’ouvre maintenant le débat avec mes collègues.

Mme Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l’Office. - J’ai plusieurs questions sur ce qui vient de nous être exposé, qui est très intéressant. Par rapport à ce qui a été mentionné sur la modification du comportement des larves, vous ne nous avez pas dit comment il était modifié. Si vous avez ces informations, je serais intéressée. Concernant la contamination dans les mangroves – dont je suis étonnée mais qu’à moitié –, j’aurais voulu savoir si, en dehors des espèces impactées, cette contamination avait un impact global sur cet écosystème, que l’on sait très fragile. Enfin, au sujet de la dernière intervention, j'ai bien compris que les bovins pouvaient être décontaminés en allant sur des parcelles saines mais comment cette décontamination a-t-elle lieu ? En chimie, on sait bien que rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Les molécules de chlordécone sont-elles dégradées ? Si oui, comment ? Si non, où se retrouvent-elles ? Dans les déjections ? Dans ce cas, n’y a-t-il pas un risque de contaminer les parcelles concernées ? Est-ce que cela a été évalué ?

Mme Charlotte Dromard. - Généralement, pour les organismes diadromes, les œufs dévalent la rivière, les larves se développent en mer et ensuite les organismes juvéniles remontent la rivière. Concernant le comportement des larves qui sont donc en estuaire, on a une désorientation lorsqu'elles sont en contact avec des eaux contaminées. Elles vont percevoir de façon plus limitée le site qu'elles doivent rejoindre pour leur croissance, c'est-à-dire remonter la rivière. La migration n’est pas forcément coupée mais elles sont désorientées.

Concernant l'impact sur les mangroves, c’est effectivement assez préoccupant de se dire que ce milieu est contaminé. Pour répondre simplement à votre question, l'écosystème entier est contaminé. Quand on a fait nos travaux sur les chaînes alimentaires, on a prélevé de la litière de feuille, des sédiments, des crustacés et des poissons, soit à la fois des proies et des prédateurs. On a constaté une contamination qui touche toutes les strates de l'écosystème. Mais comme je l'indiquais dans mes perspectives, l’impact direct sur le fonctionnement de cet écosystème, c'est-à-dire sur la physiologie des organismes, leurs relations, leur reproduction, sont des sujets qui n'ont pas encore été abordés du point de vue de la recherche, bien que nécessaires.

M. Guido Rychen. - Il y a deux niveaux différents dans la question qui m’est posée. Tout d’abord, la question du devenir de la molécule dans l’organisme et comment celui-ci fait pour l’excréter. Il faut savoir que, quel que soit le polluant – avant de travailler avec la chlordécone, nous avons travaillé sur d'autres polluants organiques persistants, notamment les dioxines et les PCD –, l'organisme va excréter ou métaboliser la molécule. Pour l’instant, nous avons peu abordé la question des métabolites. Il y a bien évidemment des questions qui sont en lien direct avec ce que nous exposait tout à l'heure Pierre-Loïc Saaidi. Globalement, l'organisme excrète ces toxiques. Pour les dioxines et le PCB c’est relativement long et la chance que l’on a avec la chlordécone – entre guillemets bien sûr – c'est que la demi-vie est plus courte. La question de la présence dans les fèces est une question que l’on nous pose souvent. Effectivement, on va retrouver la molécule parente – et probablement des métabolites – dans les fèces ainsi que, dans une moindre mesure, dans les urines, qui vont se retrouver sur les parcelles. Cependant, il y a des calculs qui montrent que par rapport à une parcelle contaminée, l’apport est vraiment très faible. Ceci étant, nous menons, avec plusieurs collègues, des travaux qui visent à dégrader la chlordécone dans le fumier et le lisier, grâce à des processus de méthanisation, par exemple. On a quelques résultats encourageants. Mais cela ne fait qu’environ dix ans qu’on travaille sur la partie animale terrestre et une part des questions posées relèvent encore de sujets de recherche, que nous nous proposons, avec nos partenaires, d’élucider dans les mois et les années qui viennent.

Mme Catherine Procacia, sénateur, vice-présidente de l’Office. - Monsieur le président, avez-vous des questions des internautes ?

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. - Oui, je vais me faire le relais de quelques questions d'internautes. Il y avait la même question que celle posée par notre collègue Angèle Préville sur le risque de contamination par les déjections animales mais vous y avez répondu. Parmi les autres questions : y a-t-il des études sur l'impact de la chlordécone sur les coraux ? Quels moyens pour traiter les nappes phréatiques ou pour empêcher que la chlordécone s’y diffuse ? Les résultats des analyses réalisées par ces travaux de recherche sont-ils publics et accessibles ?

M. Guido Rychen. - Concernant la dernière question, vous connaissez sans doute le comité de pilotage scientifique national du plan chlordécone IV. Plusieurs groupes de travail ont été mis en place, sur les sujets qui ont été abordés aujourd'hui et sur les sujets qui feront l’objet de la seconde audition publique. Pour chacun de ces groupes de travail, il y aura des synthèses bibliographiques et d'actualisation des connaissances. Concrètement, cela signifie que, dans quelques mois, nous aurons en plus des publications scientifiques, qui sont très complètes mais toujours en langue anglaise, des synthèses rédigées en français qui seront accessibles à toutes et tous. L’objectif du comité de pilotage scientifique national est bien de faire connaître l'actualité des travaux de recherche et leurs applications dans un langage le plus accessible possible.

Mme Magalie Jannoyer. - Pour compléter sur l'accessibilité des résultats, contrairement à l'usage classique, certaines équipes ont commencé par diffuser leurs résultats avant de les publier au niveau scientifique. Il existe tout un tas de fiches techniques et de petits clips vidéo qui sont disponibles à la fois sur les sites des institutions de recherche mais également sur les sites des préfectures et sur le site chlordecone-infos. Les informations sont donc normalement disponibles.

Concernant le traitement des nappes phréatiques, Marc Voltz pourra ensuite compléter, à l’heure actuelle cela me semble compliqué. D’autant plus que la structure des nappes phréatiques est loin d'être simple aux Antilles, avec un système de superpositions et d'emboîtements. Cela me paraît donc assez utopique. En revanche, on peut traiter l'eau et il y a de nombreux travaux qui se sont intéressés au captage de la chlordécone par du charbon actif.

Enfin, on n’a pas parlé de phyto-remédiation. La capacité des plantes à extraire la molécule des parcelles est assez réduite et, au vu des résultats obtenus avec les plantes que l’on a pu explorer, on a relativement peu d'espoir. En outre, cela poserait la question de la filière de traitement pour ces plantes.

M. Marc Voltz. - Je ne peux que confirmer ce que vient de dire Magalie Jannoyer : les possibilités de traitement des nappes phréatiques sont très réduites. En revanche, le traitement de l'eau est quelque chose de très bien maîtrisé, qui ne pose pas de problème.

M. Christophe Mouvet. - En effet, traiter les eaux souterraines aux Antilles est un défi que je n’aimerais pas devoir imaginer relever. On peut effectivement traiter l’eau. En revanche, pour éliminer la contamination des rivières par les eaux souterraines, il faudrait pouvoir capter toutes les zones de recharge des rivières par les eaux souterraines, ce qui est tout à fait impossible. On peut traiter un point de captage destiné à l'eau potable mais pas remédier à la contamination des eaux de surface en traitant les flux qui viennent des eaux souterraines.

Concernant la question de l'accessibilité des données, pour la technique d’ISCR, le BRGM a, outre les publications en langue anglaise, produit toute une série de rapports en français, qui sont très détaillés et publics.

M. Hervé Macarie. – Il n’est pas difficile d’envisager l'amplitude du problème du traitement des nappes phréatiques. Mais la mise en place de barrières réactives disposées sur le trajet de ces nappes vers les eaux de surface, ou bien l’injection dans ces nappes de fer zéro valent, sont-elles complètement inimaginables ?

M. Marc Voltz. - Le système des aquifères en milieu volcanique est extrêmement complexe. Les solutions proposées pourraient fonctionner avec des aquifères simples, bien repérés et bien dimensionnés. Aux Antilles, nous avons un système de superposition d'aquifères, sans doute pas très bien délimités. Cela me semble particulièrement compliqué.

M. Christophe Mouvet. - Sur la suggestion de mise en place de barrières réactives, c'est quelque chose qui est effectivement utilisé mais pour des systèmes hydrogéologiques très simples et principalement pour des cas de pollution industrielle ponctuels, où le flux est assez limité et facilement focalisable. Ce n’est pas du tout ce que l’on a à traiter aux Antilles.

Quant à l'injection de fer zéro valent dans les nappes souterraines, ce n’est techniquement pas évident d'arriver à injecter et à faire circuler convenablement dans un milieu semi-poreux des particules fines. Je ne parierais pas là-dessus.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’Office. - Vous avez dit que l'on pouvait très bien traiter l'eau, en particulier avec du charbon actif. Il y a dix ans, lors de notre premier rapport, se posait la question du devenir des filtres à charbon actif qui ne pouvaient pas être traités sur les îles. Est-ce qu’il y a eu des progrès dans ce domaine ?

M. Hervé Macarie. - En Martinique, à une certaine époque, on n’utilisait pas du charbon actif granulaire mais en poudre, qui était mis ensuite en décharge. Dans le film de Bernard Crutzen, sorti en 2019, il est dit que les charbons actifs de Guadeloupe sont envoyés en Belgique où ils sont recyclés par traitement thermique à 600 ou 650 degrés, pour éliminer la chlordécone.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’Office. - Merci pour cette information que je n'avais pas. Nous avons pu largement aborder les avancées de la recherche à l’occasion de cette table ronde. Pendant des années, j’ai interpelé les ministres de la recherche successifs au sujet des projets de recherche portant sur la chlordécone financés par l'ANR, qui ont toujours été très limités. Mais, prochainement, il devrait y avoir un appel à projets dédié, ce qui est une bonne nouvelle.

Je vais maintenant laisser la parole à Jean-Yves Le Déaut pour qu’il nous fasse part de ses remarques, qu’il dresse les conclusions des différentes interventions et qu’il nous en dise un peu plus sur le financement de la recherche.

M. Jean-Yves Le Déaut, ancien député, ancien président de l’Office. - Je voudrais tout d’abord vous remercier de m'avoir sorti de ma retraite pour jouer le rôle de témoin à l’occasion de cette table ronde. C'est une reconstitution de ligue dissoute puisque j'avais contribué avec Catherine Procaccia au premier rapport de l’OPECST sur la chlordécone en 2009. Je salue tous les élus présents qui s’intéressent à ce sujet : Catherine Procaccia, Cédric Villani, Bruno Sido, Stéphane Artano, Angèle Préville et Justine Benin.

Je vais souligner les points qui m’ont marqué. Est-ce que la science peut résoudre les problèmes que les gens rencontrent aux Antilles aujourd'hui ? C'est une question importante et elle a été posée. Je vais donner mon avis sur ce sujet. La chlordécone est une molécule qui a été traitée de monstre chimique. Elle est composée de 10 atomes de chlore, 10 atomes de carbone, une fonction cétone, une structure en cage et a un pouvoir de fixation très important vis-à-vis de certains sols. Elle est très difficilement métabolisable et, comme on vient de le voir aujourd'hui, elle est fortement rémanente. On parlait de plusieurs siècles, ce ne serait plus qu’un seul aujourd’hui, mais cela reste beaucoup. C’est une molécule qui a une affinité pour les substances hydrophobes – c'est-à-dire qui n'aiment pas l'eau –, qui est faiblement volatile et qui est faiblement soluble dans l’eau. Elle reste donc accrochée au sol. On est ainsi condamné à la voir dans les sols de la Martinique et de la Guadeloupe et il faut donc trouver des solutions. Cela a été très bien dit par les intervenants : comme elle s'accroche au sol, lors des pluies très fortes, elle se retrouve dans les zones littorales par l’intermédiaire de lixiviats. Un cinquième des sols sont pollués en Guadeloupe, et deux cinquièmes en Martinique. Cela correspond à 20 000 hectares, d’où un coût considérable pour la remédiation.

Ce qui m’a paru très important c’est qu’il n’y a pas un type de solution pour résoudre cette question. Je pense qu'il faut des solutions de cohabitation avec cette molécule, même si certains parlent de « zéro chlordécone ». Un peu comme l’amiante, on est condamné à vivre avec cette molécule pendant un temps. Il faut trouver des solutions pour qu’elle ne se retrouve pas dans les produits alimentaires, en cultivant dans les zones contaminées des plantes qui ne captent pas la molécule. Il faut qu’on ait des solutions de contrôle, aussi bien pour les aliments que pour les hommes et les femmes. En 2009, les moyens de contrôle n’étaient pas disponibles aux Antilles, on n’en n’a pas parlé aujourd’hui mais j’imagine que vous le ferez lors de la prochaine audition publique.

Vous avez proposé un certain nombre de solutions. À l’époque, on nous avait parlé de retirer la terre, de phyto-remédiation ainsi que des solutions chimiques et biologiques. Je trouve que cela a progressé depuis 2009 et je voudrais féliciter les chercheurs qui ont travaillé sur ce sujet, dans des conditions quelquefois difficiles car on n'a peut-être pas pris assez rapidement conscience de l'importance de ce sujet. Les solutions de séquestration ou de remédiation qui ont été proposées sont des solutions importantes qu’il faut mettre en place. Dans les prochains appels d'offres, il faudra insister sur les solutions de remédiation qui sont selon moi des solutions importantes. Il y a déjà eu un appel à projets en 2019 de la DRT Martinique et Guadeloupe sur la pollution à la chlordécone. Il insistait sur le travail en conditions in situ et sur la recherche des conditions de dégradation naturelle. Il ne faut pas apporter des produits extérieurs qui risquent de modifier les écosystèmes de Martinique ou de Guadeloupe. Il insistait également sur l’aspect quantitatif de ces solutions. Quand il y a des bactéries qui dégradent la chlordécone, c'est très bien, mais est-ce marginal ou en grande quantité ? Vous nous avez montré que le traitement par du fer zéro valent, on pouvait arriver jusqu’à près de 70 %, ce sont déjà des chiffres importants. Il faut également qu'on travaille sur l'écotoxicité des produits de dégradation. M. Saaidi nous a dit qu’il fallait mieux connaître les métabolites, je pense qu’il a raison. Il faut réussir à arriver à une dégradation accélérée.

Toutes les interventions nous ont montré que la recherche avait fortement progressé. Est-ce qu'il faut de la recherche ? M. Woignier a indiqué qu’il ne fallait pas faire croire que la recherche allait résoudre tous les problèmes. Ce n’est pas le cas mais sans recherche les problèmes vont continuer. Il faut accélérer la recherche tout en insistant effectivement sur toutes les autres solutions, c'est-à-dire la prévention et la cohabitation. Il faut tendre vers le « zéro chlordécone » même si on n'y arrivera pas immédiatement.

Dans le cadre du plan chlordécone IV pour la période 2021-2027, un appel à projets de recherche devrait être publié très prochainement par l’ANR. La somme des financements s’élèvera à 2,4 millions d'euros, avec pour objectif une approche intégrative, systémique et unifiée des santés humaine, animale et environnementale. L’appel à projets demande, comme le souhaitait Mme Justine Benin, à ce que des équipes de recherche métropolitaines et antillaises soient associés sur ces projets. Cet engagement est important et doit être salué, même s’il faut reconnaitre que l’ANR a déjà financé un certain nombre de travaux – environ une dizaine sur les sujets qui nous ont intéressés aujourd’hui.

Je terminerai par trois remarques. Au vu des interventions d’aujourd’hui, je constate que tous les grands axes de recherche avaient bien été identifiés lors du premier rapport de l’Office en 2009. En revanche, je regrette des progrès trop lents. Je salue le travail de fond des élus ultramarins qui se sont saisis de ce sujet. J'ai été élu au Parlement pendant 31 ans et ne vais donc pas renier mon propre travail mais parfois les propos des élus ne sont pas suivis d’une continuité dans l’action. Il faut encourager cette continuité et continuer de travailler sur les solutions de remédiation, tout en développant en même temps les solutions d'aide à la population.

Le deuxième sujet que je voulais aborder est la question du « zéro chlordécone ». Il faut se méfier des slogans. La chlordécone va rester présente pour un certain temps. Ce qu’il faut c'est qu'il y ait « zéro chlordécone » dans les aliments consommés par les Antillais. On a fait une grande erreur en utilisant ce produit et en attendant 1993 pour l’interdire complétement, alors qu'il y avait eu un accident à Hopewell aux États-Unis et qu’on connaissait les conséquences de l’exposition sur l'homme. Il faut traiter toutes les questions, y compris celle des indemnités. Il y a récemment eu des avancées au sujet de la reconnaissance des maladies professionnelles. L’idée d’expérimenter sur une même parcelle plusieurs solutions, évoquée lors de ce débat, me semble une bonne idée. Cela doit faire partie des pistes qui devront être investiguées dans le cadre de l’appel à projets de l’ANR.

Enfin, je voudrais souligner que la question de la chlordécone n’est qu’une des nombreuses questions soulevées par les pesticides. L'Académie d'agriculture vient de me confier la présidence d'une mission sur la réduction de leur impact. Je pense qu’il faut se méfier des slogans et de ceux qui pensent qu’il existe une unique solution. Il faut utiliser des bouquets de solutions. Bien sûr, l’usage des pesticides doit être réduit, on a fait le plan Ecophyto. Certains disent qu'il ne va pas assez vite…

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. - Il faudrait surtout réellement le mettre en œuvre.

M. Jean-Yves Le Déaut. - Oui, il faudrait le mettre en œuvre, absolument. Les solutions issues de l'agroécologie, évoquées par plusieurs intervenants, incluant les techniques de biocontrôle et des nouvelles techniques culturales ne doivent pas être opposées aux biotechnologies. Les variétés végétales résistantes aux herbicides peuvent par exemple permettre d'utiliser moins d'herbicide. Les solutions informatiques peuvent également permettre de développer une agriculture productive. Les produits de synthèse ne doivent pas non plus y être opposés, à partir du moment où ils sont utilisés dans de bonnes conditions. Les solutions doivent être adaptées aux cultures et aux problèmes rencontrés, ce n'est que de cette manière qu'on arrivera à traiter ces questions.

Je voudrais une nouvelle fois féliciter l'Office, son président Cédric Villani et sa vice-présidente Catherine Procaccia d'avoir organiser cette audition sur un sujet majeur, qui a eu tendance à être oublié. Merci beaucoup.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’Office. - Merci Jean-Yves. Je voudrais pour ma part remercier tous les chercheurs qui ont répondu présent aujourd'hui pour faire le point sur les recherches. Il y a eu des avancées, on peut juger qu’elles ne vont pas assez vite mais la recherche et la science ne vont pas aussi vite que les désirs des citoyens ou des politiques. Je me félicite en tout cas que l'État mette enfin, par le biais de l'ANR, la chlordécone comme un sujet prioritaire. Je laisse la parole au président de l’Office pour conclure.

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. - Merci beaucoup, chers collègues. Je remercie pour leur implication les parlementaires présents, Jean-Yves Le Déaut, qui vient de nous faire cette conclusion passionnée qui témoigne de son engagement sur le sujet, et Catherine Procaccia, dont on connaît l'extrême sérieux et la très grande rigueur pour traiter ce sujet sur la durée.

Ce n’est pas la première fois qu’on reconnait que l’Office a eu raison tôt sans que rien ne bouge, c’est un peu dommage. On a dit la même chose quand il y a eu la pandémie de la Covid au sujet des stocks de masques et à bien des occasions. J’ai en tête plusieurs rapports que nous avons faits récemment, dans lesquels nous avons alerté sur le besoin d’agir rapidement et de débloquer des fonds, et qui n’ont pas été vraiment suivis d'effets. Je pense notamment à notre rapport sur la transition électrique dans la mobilité mais on pourrait en citer bien d'autres. Ici, nous avons un rapport de 2009 qui évaluait bien le bon ordre de grandeur – qui se compte en milliards – des moyens qu'il était nécessaire de mobiliser et évoquait la nécessité de conduire des recherches.

Que voyons-nous aujourd’hui ? Ce matin nous assistions avec Catherine Procaccia à une audition du directeur général de l’alimentation et nous découvrions que le recensement des degrés de contamination des différentes parcelles n’était toujours pas achevé. Nous venons d’entendre que, sur une question aussi naturelle et importante que l'évaluation de la toxicité des dérivés de la chlordécone, nos chercheurs n'arrivent pas à avoir de financement. C’est quelque chose de sidérant. Si ce genre de sujets n'est pas suffisamment bien pris en compte, cela fera prospérer l'idée selon laquelle l'État joue à l'autruche quand il s'agit de réparer les graves dommages environnementaux et minera le sentiment de solidarité nationale entre la métropole et les Antilles, ce qui un serait un désastre absolu. Il est vital qu'on puisse mettre le sujet chlordécone en haut de l'agenda, avec les actions et les budgets qui correspondent.

Je voudrais remercier les chercheurs, qui se sont succédé pour nous exposer tout un panel de travaux, et dont on a pu apprécier l’inventivité, la ténacité et la rigueur. On a bien vu à quel point il était important que ces travaux soient communiqués dans l'espace public et ne restent pas dans la sphère spécialisée, que ce soit celle des scientifiques ou des décideurs. C'est le travail de l'Office que de contribuer à la diffusion des connaissances scientifiques et au débat public sur ce thème, mais c'est aussi le travail de l'État et des institutions de recherche. Il est fondamental que ces sujets ne soient pas mis sous le tapis, au prétexte qu’ils seraient sensibles ou que la population ne serait pas capable d’y porter un avis éclairé. Cette attitude infantilisante mène toujours à des réactions plus graves que ce qu'on aurait cherché à éviter. Il faut au contraire en parler et témoigner de l'état de la science et des recherches en cours.

Mes chers collègues, il me reste à remercier les uns et les autres pour leur implication et à adresser tous nos vœux aux personnes qui vont continuer à se battre contre le fléau de la chlordécone.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’Office. - Je vous donne rendez-vous dans quelques semaines pour la seconde audition publique sur le sujet. Je vous remercie.

 

La réunion est close à 17 h 00.

 

 

Membres présents ou excusés

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

 

Réunion du jeudi 17 février 2022 à 14 heures

Députés

Présents. - Mme Émilie Cariou, M. Cédric Villani

Sénateurs

Présents. - Mme Angèle Préville, Mme Catherine Procaccia, M. Bruno Sido

Excusés. - Mme Laure Darcos, M. Ludovic Haye, Mme Sonia de la Provôté, Mme Michelle Meunier

 

 

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