Compte rendu

Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation

  Audition de M. Antoine Petit, dont la nomination à la présidence du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) est envisagée par le Président de la République              2

  Vote à bulletins secrets sur cette nomination en application de l’article 13 de la Constitution 16

  Présences en réunion...............................17

 


Mercredi
2 février 2022

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 27

session ordinaire de 2021-2022

Présidence de
M. Bruno Studer,
Président
 

 


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COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 2 février 2022 à 11 heures

La séance est ouverte à onze heures.

(Présidence M. Bruno Studer, président)

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La Commission procède à l’audition de M. Antoine Petit, dont la nomination à la présidence du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) est envisagée par le Président de la République.

M. le président Bruno Studer. Chers collègues, nous sommes réunis pour émettre un avis sur la reconduction de M. Antoine Petit à la présidence du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Cette nomination fait partie de celles sur lesquelles notre commission, en raison de ses compétences en matière d’enseignement supérieur et de recherche, doit se prononcer au préalable, en application de l’article 13 de la Constitution. Aux termes de cette procédure, si l’addition des suffrages négatifs émis dans les commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat atteint les trois cinquièmes du total des suffrages exprimés, le Président de la République ne peut pas procéder à la nomination.

Avant d’émettre notre avis, nous allons entendre M. Petit, qui a déjà été auditionné ce matin à neuf heures par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat. Le dépouillement des votes des deux commissions aura lieu de manière concomitante vers douze heures trente.

Bienvenue devant notre commission, monsieur Petit. Comme nous avons déjà eu l’occasion de vous rencontrer à plusieurs reprises, je ne reviendrai pas sur votre parcours, qui vous a amené à être nommé à la tête du CNRS en 2018. Depuis lors, les échanges entre nous ont été réguliers, que ce soit au moment des lois de finances ou pour la préparation de la loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 (LPR). Nous avons eu également la chance d’organiser une réunion dans vos locaux à l’occasion des quatre-vingts ans du CNRS, en juin 2019.

Cette audition va nous permettre de parler du présent du CNRS, dans le contexte particulier de la crise sanitaire que nous traversons depuis bientôt deux ans, mais également de son avenir et de celui des femmes et des hommes qui le composent.

Comment analysez-vous l’impact de la LPR, adoptée définitivement fin 2020, sur le CNRS, ses moyens et ses différentes activités ?

Quelles seraient vos priorités d’action, en matière tant de programmes de recherche que de ressources humaines et de coopérations internationales ?

Enfin, votre seconde présidence coïnciderait avec le nouveau programme Horizon Europe, neuvième programme-cadre de l’Union européenne pour la recherche et l’innovation, qui couvre les années 2021 à 2027. Quels sont, selon vous, les principaux défis que doit relever la recherche européenne, et quelle devrait être la place du CNRS dans ce programme ?

M. Antoine Petit, président-directeur général du CNRS. Je vous remercie de me permettre de vous présenter ma candidature à un second mandat à la tête du CNRS.

Diriger le CNRS pendant quatre ans a été un honneur et un plaisir de tous les instants, même si le contexte a varié du tout au tout entre 2019, année d’anniversaire pour l’organisme, né le 19 octobre 1939, et la crise sanitaire, que nous avons subie de plein fouet, comme tout le monde.

Le CNRS est une institution unique et une chance pour notre pays. Bénéficiant d’une reconnaissance internationale exceptionnelle, il doit jouer un rôle encore plus important dans une période où, plus que jamais, la société, dans toutes ses dimensions, a besoin de davantage de science.

Un bref regard sur les quatre-vingt-deux années d’existence du CNRS doit appeler à une grande humilité. Il appartient à chacun d’apporter sa petite pierre à la construction et à l’évolution de ce bel édifice qui est avant tout une œuvre collective.

Je ne minimise pas pour autant le rôle de son président-directeur général (PDG). Celui-ci doit fixer les grandes orientations, créer des dynamiques, mobiliser les énergies, représenter l’institution et la faire rayonner, et décider, en recherchant l’adhésion.

C’est dans cet esprit que j’ai présenté ma candidature à un second mandat de PDG, en m’inscrivant dans la continuité de la politique menée depuis quatre ans – le contraire aurait été incompréhensible. Cette continuité revendiquée ne signifie en aucune manière sur-place ou stagnation : les chantiers ne manquent pas. À travers leur mise en œuvre, le CNRS continuera à évoluer, comme il le fait depuis sa création – le CNRS d’aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir avec celui de Jean Perrin et de Jean Zay.

Ces évolutions doivent tenir compte des priorités que se donne l’établissement, en interaction constante avec l’État et en veillant à la complémentarité et aux synergies avec les autres acteurs, nationaux et internationaux.

À cet égard, je tiens à rappeler que, contrairement à ce qui se dit ou s’écrit parfois, la plupart des pays ont trois types d’acteurs : des universités, des organismes de recherche nationaux – et non, il ne s’agit pas d’une spécificité française ; il suffit de penser à la Société Max-Planck en Allemagne, à l’Académie des sciences de Chine, aux National Laboratories aux États-Unis ou encore au RIKEN au Japon – et des agences de financement, publiques ou privées.

Il est absurde d’opposer les uns aux autres, car ces acteurs, nullement en concurrence, doivent au contraire coopérer. Mais il convient de préciser clairement leurs missions, leur rôle et leur périmètre, afin d’avoir un système de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation efficace, reconnu et attractif sur la scène internationale.

C’est dans cet esprit que j’ai élaboré ma proposition de programme pour un éventuel second mandat. Ce programme peut être synthétisé en une devise simple : la recherche fondamentale au service de la société.

Conduire des recherches fondamentales, faire avancer les connaissances, est la mission première du CNRS, celle qui justifie son existence. Comme leur nom l’indique, ces recherches fondamentales constituent les fondements sur lesquels le CNRS construit ses activités. La recherche fondamentale est tout sauf un luxe. Une des tâches principales de la direction de l’institution est de tout faire pour que le CNRS maintienne le niveau international qui est le sien, voire l’élève.

Pour cela, je propose de recruter et accompagner les talents au meilleur niveau international. Ce n’est peut-être pas d’une grande originalité, mais c’est absolument vital. Ce meilleur niveau international ne se décrète pas ; il se constate. À cet égard, les résultats du CNRS au sein du Conseil européen de la recherche (ERC) sont remarquables et révélateurs. Sur l’ensemble du programme-cadre Horizon 2020, plus de la moitié des lauréats exerçant en France sont des salariés du CNRS, alors que nos chercheurs ne représentent qu’un peu plus de 11 % de la communauté académique.

Le CNRS est attractif – j’en veux pour preuve que près d’un tiers des chercheurs et chercheuses permanents que nous recrutons chaque année ont une nationalité autre que française – mais il nous faut veiller à le rester. C’est essentiel.

Notez que, contrairement encore à ce qui se dit parfois, la plupart des grands pays scientifiques ont des statuts de chercheur permanent. Ceux qui le souhaitent peuvent aussi enseigner, sur la base du volontariat. C’est le cas de plus de la moitié des chercheurs du CNRS. Il est également essentiel de travailler à la notion de « package d’accueil ». C’est souvent un élément de choix pour un jeune chercheur, au-delà du salaire personnel qui lui est proposé. Il convient, en outre, de poursuivre la politique volontariste visant à offrir aux femmes scientifiques des carrières comparables à celles de leurs collègues masculins.

Par ailleurs, le milieu international de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation est un savant et complexe mélange de coopération et de compétition. Qu’on le veuille ou non, la compétition mondiale est de plus en plus forte pour attirer les talents 
– étudiants, chercheurs et enseignants-chercheurs –, notamment car il y a plus d’acteurs à l’international. Regarder ces enjeux à travers le seul prisme de la France, voire de l’Europe, serait une erreur grave.

Le CNRS se doit aussi de jouer un rôle majeur dans l’élaboration et la mise en œuvre de la feuille de route pluriannuelle des infrastructures de recherche, pilotée par le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Ce document joue un rôle de plus en plus important dans la plupart des disciplines.

Il faut poursuivre sans relâche la promotion de la science ouverte, en sachant faire une chance des différents niveaux de maturité des communautés.

Je crois aussi qu’il est noble et valorisant d’avoir l’ambition de mettre la recherche fondamentale au service de la société. De fait, celle-ci bénéficie tous les jours de l’avancée des connaissances et du progrès. Je propose de porter une attention particulière à trois volets.

D’abord, les défis sociaux. Ces derniers font par définition l’objet de beaucoup d’attention et de préoccupation. Pour autant, l’importance de la science pour les aborder n’est pas toujours bien perçue. La science doit aider à comprendre et à identifier les pistes les plus prometteuses et à élaborer des solutions pertinentes. Le très large spectre thématique du CNRS est une chance à cet égard. Il faut mobiliser les forces de l’ensemble des instituts de l’organisme autour de questions et de projets concrets, pour apporter des contributions substantielles. C’est ce que nous avons fait en proposant pour la première fois, en 2020, dans le contrat d’objectifs et de performance que nous avons signé avec l’État, six défis sociaux : réchauffement climatique, transition énergétique, santé-environnement, territoires du futur, inégalités éducatives et intelligence artificielle. Nous revendiquons de contribuer à appréhender ces défis et à les surmonter. Il faut poursuivre cette démarche, notamment autour des objectifs de développement durable des Nations unies (ODD) ou des grandes priorités de France 2030.

Le deuxième volet relève du monde économique. Celui-ci a constitué une priorité de mon premier mandat. Je souhaite poursuivre et accélérer cette politique volontariste. À cette fin, je propose notamment d’amplifier notre programme de prématuration. C’est une étape clé pour le transfert, qui peut déboucher sur un projet de création de start-up ou de valorisation avec une entreprise existante, mais parfois aussi sur rien du tout – il faut accepter un taux d’arrêt significatif dans ce genre de processus. Il convient de développer également la quantité et la qualité des start-up issues du CNRS – nous en créons près d’une centaine par an avec nos partenaires universitaires. Cela peut se faire via la création d’un véritable « CNRS start-up studio », destiné à mieux identifier et accompagner celles qui présentent un fort potentiel. Il importe aussi d’encourager et de promouvoir les laboratoires communs avec des industriels. Nous avons célébré en novembre dernier le deux centième laboratoire actif. Dans ces laboratoires, le CNRS continue à faire de la recherche fondamentale, mais sur des sujets définis avec nos partenaires industriels et en interaction avec eux. Ces laboratoires communs sont un outil essentiel qui contribue à la capacité d’innover des entreprises françaises et à la souveraineté de notre pays. Ils doivent être encouragés et soutenus.

Le troisième volet est l’aide à la compréhension et à la décision. La crise sanitaire liée à la covid-19 aura peut-être eu au moins un effet bénéfique : celui de rappeler l’importance pour la société de pouvoir s’appuyer sur la science, qu’il s’agisse de prendre des décisions ou simplement, en tant que citoyen, de se forger une conviction ou de mieux comprendre. Je souhaite ainsi rendre pleinement opérationnelle la mission pour l’expertise scientifique que nous venons de créer, développer les partenariats avec l’ensemble des ministères et autres instances nationales ayant des préoccupations scientifiques, en faisant mieux connaître l’offre du CNRS, et étudier la création d’une chaîne de télévision, CNRS TV.

Pour ce faire, le CNRS doit s’appuyer sur trois atouts qui font sa force et doivent être soigneusement entretenus, utilisés et renforcés.

Le premier d’entre eux réside dans un potentiel d’interdisciplinarité unique. Les grands défis industriels ou les grands enjeux sociaux ne peuvent jamais être traités à travers des approches disciplinaires : ils nécessitent de faire coopérer et interagir différentes disciplines. Or le CNRS a précisément pour caractéristique de couvrir tous les champs du savoir. Je me propose ainsi de privilégier le développement de l’interdisciplinarité à travers des projets et des objets d’étude, sans pour autant créer de nouvelles structures. Il convient aussi de développer un programme transverse sur les données, tirant parti des expériences et savoir-faire des instituts. Vous savez tous que les données jouent un rôle de plus en plus important, dans la société comme dans le monde de la recherche.

Le deuxième atout du CNRS consiste dans un réseau de partenariats académiques exceptionnel. Le CNRS est le premier partenaire des universités en ce qui concerne la recherche. Les chercheurs de l’organisme contribuent largement au succès des universités françaises dans les classements internationaux – succès dont nous devons tous nous réjouir. Je souhaite aborder une nouvelle phase des relations avec les universités, fondée sur des partenariats plus individualisés et des stratégies partagées. Il faudra notamment veiller aux plus-values résultant de la coopération entre le CNRS, organisme national, et l’université, ancrée dans son territoire – l’un comme l’autre ayant l’ambition naturelle de rayonner internationalement.

Le troisième atout tient à un ensemble remarquable de coopérations internationales. Le CNRS est un centre de recherche profondément international. C’est une orientation qui ne saurait être remise en question. Cela commence par le recrutement, que j’ai déjà évoqué. Je propose aussi de privilégier les coopérations institutionnelles avec des universités ou organismes renommés internationalement, en s’appuyant notamment sur nos centres de recherche internationaux et sur les programmes conjoints de PhD que nous menons chaque année avec plusieurs grandes universités à travers le monde. Il faudra également mettre en œuvre le plan Afrique, finalisé fin 2021, et suivre la feuille de route intitulée « Stratégie européenne du CNRS », adoptée en mai 2021, qui doit nous permettre d’être plus performants dans le cadre des quatre piliers d’Horizon Europe.

Ce programme, que je n’ai fait qu’esquisser devant vous, vise aussi à recentrer le CNRS sur les activités pour lesquelles son statut d’organisme national est une réelle valeur ajoutée. Je précise que, de mon point de vue, le CNRS n’est pas là pour permettre aux bons de devenir très bons, mais pour aider les très bons à devenir encore meilleurs – parmi les meilleurs au niveau international. Qu’il n’y ait pas de malentendu : il est important d’aider les bons à devenir très bons, mais ce n’est pas le rôle du CNRS. Pour prendre une métaphore sportive, son rôle n’est pas d’aider à se qualifier pour les Jeux olympiques, mais d’aider les qualifiés à obtenir une médaille. Et dans le domaine de la recherche, nous avons ce grand avantage que les Jeux olympiques sont permanents.

Permettez-moi de finir cette courte présentation en évoquant rapidement la question essentielle des moyens.

La période 2010-2020 doit faire réfléchir. De nombreux gouvernements s’étant succédé pendant ce temps, mon propos ne se veut en aucun cas polémique, mais c’est mon rôle d’ancien et j’espère bientôt de nouveau président que de vous alerter.

La subvention pour charges de service public (SCSP) octroyée au CNRS est importante, avec plus de 2,7 milliards d’euros en 2021. Mais la part prise par la masse salariale est trop grande : 2,3 milliards, soit plus de 84 %. Qui plus est, elle n’a cessé d’augmenter depuis 2010, quand elle était de 80 %. Paradoxalement, le nombre d’emplois financés à travers la SCSP est en baisse régulière depuis 2010. Le CNRS a ainsi perdu près de 11 % de ses effectifs rémunérés sur la SCSP, soit en gros 3 000 postes.

Le système actuel n’est donc ni vertueux ni même incitatif. Il serait logique qu’une baisse des effectifs se traduise par une hausse de l’enveloppe disponible pour le fonctionnement de la recherche. Or il n’en est rien. Au contraire, les marges de manœuvre du CNRS se sont significativement réduites depuis dix ans. Elles sont aujourd’hui très limitées. Cette situation ne saurait perdurer sur le long terme : le CNRS ne peut voir baisser continuellement à la fois ses effectifs et son budget de fonctionnement et d’investissement de plus de 1 % par an. Dans le même temps, les ressources propres ont évolué dans le sens contraire : elles ont augmenté de plus de 10 %. Cela démontre le volontarisme et le dynamisme de l’établissement et de ses personnels, malgré ces effectifs en baisse.

La loi de programmation de la recherche a été une première étape dont il convient de se féliciter, mais je dois vous dire que le compte n’y est pas encore. Notre dépense intérieure de recherche et développement (DIRD) stagne depuis vingt-cinq ans à 2,2 % du PIB. La France est le seul des grands pays scientifiques dans ce cas. Cette comparaison internationale est essentielle et doit tous nous interpeller. Les activités de recherche développement sont de plus en plus concurrentielles, et la compétition internationale de plus en plus intense.

Cela ne concerne pas uniquement les dépenses publiques. L’objectif de Lisbonne consistait en une DIRD à 3 % – 1 % de dépenses publiques et 2 % de dépenses privées. Or, pour les unes comme pour les autres, nous n’en sommes qu’aux trois quarts du chemin. Nous devons trouver des solutions tous ensemble, acteurs publics et privés, sous peine de voir la France décrocher, incapable de rester un grand pays de science et d’innovation, et aussi de voir sa souveraineté remise en cause.

Si je suis nommé une nouvelle fois à la tête du CNRS, je proposerai aux tutelles d’aborder la question des moyens, dans une perspective pluriannuelle, dès le début de mon mandat. J’insiste simplement aujourd’hui sur l’importance que j’accorde à l’idée d’avoir un véritable contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens. Ce serait l’intérêt de tout le monde.

Le CNRS est un organisme au meilleur niveau scientifique, reconnu et respecté. Pour autant, il doit continuer à évoluer, comme il le fait depuis sa création. Mon programme s’inscrit clairement dans cette dualité  : évoluer tout en s’appuyant sur une histoire exceptionnelle.

Le CNRS est un acteur unique à bien des égards. Il jouit d’une réputation internationale méritée, sans égale dans notre pays. Il est une réelle chance pour la France, notamment à une époque où la société dans toutes ses dimensions a plus que jamais besoin de science. La science peut et doit aider la France à rester une nation prospère, comptant sur la scène internationale. Avec humilité, mais conviction et enthousiasme, le CNRS doit poursuivre et développer son ambition de jouer un rôle important, voire essentiel, pour atteindre cet objectif.

M. Philippe Berta (Dem), rapporteur sur la nomination. Le CNRS, c’est 32 000 personnes au service de la recherche et plus de 1 100 laboratoires en France et à l’étranger. Les missions de cet organisme d’excellence couvrent cinq domaines essentiels pour notre ambition scientifique : la recherche, la valorisation, le partage des connaissances, la formation et la contribution à la politique scientifique.

La qualité de ses productions scientifiques est sans cesse démontrée. C’est un atout précieux pour le développement d’une économie de la connaissance. Dans la période que nous traversons depuis deux ans, la production de connaissances scientifiques de qualité et leur diffusion sont plus cruciales que jamais. La bonne conduite du CNRS est donc un impératif. Je salue en cela l’action que vous menez depuis quatre ans et la proposition du Président de la République de vous reconduire dans ces fonctions.

Avant même de vous interroger sur les projets stratégiques pour le CNRS, la culture scientifique, la valorisation, le budget de la recherche, la recherche en biologie-santé ou la dimension européenne, j’aimerais vous demander un « rapport d’étonnement » sur ce qui vous le plus marqué lors de vos quatre premières années à la tête du CNRS.

Concernant les projets stratégiques pour le CNRS donc, vos propos liminaires, très complets, étaient ceux d’un homme qui connaît bien la maison et les défis qu’elle doit relever. Quelles seraient, si vous deviez n’en retenir que trois, les priorités pour les quatre prochaines années ? Quels moyens faudrait-il mobiliser ?

S’agissant de la culture scientifique, j’ai eu le plaisir de vous rejoindre, avec Pierre‑Alain Raphan, pour la remise des médailles de la médiation scientifique, en septembre dernier. J’en ai mesuré la qualité. N’est-il pas devenu urgent, alors que notre pays est frappé par la crise sanitaire et que les jeunes se détournent des principaux secteurs créateurs de richesse – la science et l’industrie – de proposer un grand plan national pour que l’ensemble des élèves scolarisés vivent au moins deux jours de science par an, autour de pratiques de type Learning by dream ?

La valorisation a progressé, mais nous sommes encore loin du guichet unique. Certaines disciplines, comme la mienne, la recherche en santé, en souffrent plus que d’autres du fait de la multiplicité des acteurs. Les sociétés d’accélération du transfert de technologies (SATT) ne semblent pas avoir résolu le problème. Qu’attendez-vous de l’Agence de l’innovation en santé ?

Pour ce qui est du financement, nous avons travaillé ensemble lors des travaux préparatoires à la loi de programmation de la recherche, moi dans le groupe de travail sur l’attractivité des emplois et des carrières scientifiques, vous dans celui qui traitait de la recherche sur projet, du financement compétitif et du financement des laboratoires. La loi est à présent adoptée : que pensez-vous du budget de la recherche, des mesures qui ont été prises à la suite de la loi et de ce qu’il reste à faire ? Que préconisez-vous pour améliorer le financement de la recherche ? Un point sur le budget du CNRS serait également le bienvenu.

Vous connaissez mon attachement à la recherche en biologie-santé et mon souci de mieux structurer la recherche en santé dans notre pays. La crise sanitaire a mis en lumière les difficultés de l’Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé, et la nécessité de mieux fédérer les acteurs. Qu’en pensez-vous ? Comment le CNRS pourrait-il collaborer plus étroitement avec les autres organismes impliqués dans la recherche en santé ?

Enfin, alors que la présidence française du Conseil de l’Union européenne débute, je souhaiterais connaître les projets du CNRS pour une Europe de l’innovation.

Mme Danièle Hérin (LaREM). Le groupe La République en marche vous félicite pour votre présidence passée et pour la présentation de votre candidature au prochain mandat. Dès votre prise de fonction en 2018, vous avez conclu un contrat d’objectifs et de performance avec l’État pour la période 2019-2023, qui fixait clairement les missions du CNRS, tant en ce qui concerne la recherche que les relations avec les universités et les entreprises ou le lien avec la société.

Depuis, il y a eu la pandémie, la loi de programmation de la recherche, le cinquantième anniversaire de France Universités, qui a présenté ses perspectives de recherche, l’annonce d’un plan d’investissement France 2030. Comment envisagez-vous l’évolution de la politique du CNRS, s’agissant d’abord de la politique de site et donc de son positionnement par rapport aux établissements d’enseignement supérieur, universités et grandes écoles, dont il est partenaire à travers les unités mixtes de recherche (UMR), et ensuite s’agissant du plan France 2030, qui implique recherche et innovation, en particulier dans un objectif de réindustrialisation de la France ?

Notre groupe vous renouvellera sa confiance et votera en faveur de votre candidature à la présidence du CNRS.

M. Maxime Minot (LR). Après quatre ans, votre mandat est arrivé à son terme le 24 janvier dernier et le Président de la République propose votre nom pour un nouvel exercice. Sans préjuger de vos qualités, je m’étonne, compte tenu de l’échéance présidentielle, qu’il ne vous soit pas proposé d’assurer l’intérim jusqu’à ce qu’un nouveau Président – ou, je l’espère, une Présidente – soit élu. Cela aurait été à l’honneur du Président de la République et plus conforme à l’esprit républicain qui doit nous animer en cette période préélectorale.

Sur le fond, le CNRS publie depuis les années 1970 une longue série d’enquêtes sur la relation entre les Français et la science. Si une grande majorité de Français, entre 84 et 89 %, accordent une confiance de principe à la science et aux scientifiques, toutes les disciplines ne bénéficient pas du même niveau d’intérêt ni du même crédit. Plus récemment, la crise sanitaire a mis en exergue la relation ambivalente que les Français entretiennent avec la science. Sans doute la baisse du niveau scolaire en mathématiques et en sciences en est-elle une explication. Comment renforcer, voire renouer le dialogue entre la science et les Français ?

Mme Pascale Cesar (Dem). Chaque année, près de 30 % des scientifiques recrutés au CNRS sont de nationalité étrangère. Notre pays reste donc un très grand pays scientifique, qui attire des chercheurs et des chercheuses du monde entier. Cette attractivité est précieuse mais la concurrence est de plus en plus rude du fait de l’augmentation du nombre d’acteurs : après la Chine et l’Inde, Taïwan, Hong-Kong et Singapour sont devenus des concurrents très sérieux, notamment dans le domaine de l’intelligence artificielle.

Comme nos concurrents internationaux, nous devons être capables d’offrir aux meilleurs un environnement scientifique et personnel satisfaisant, des packages d’accueil alléchants et des salaires décents. Ainsi, les jeunes scientifiques de nombreuses grandes universités anglo-saxonnes reçoivent, dès leur arrivée, un package dont la somme peut atteindre plusieurs centaines de milliers d’euros sur trois ou quatre ans, afin de leur permettre de monter une équipe et de soumettre très rapidement des projets.

Au CNRS, vous proposiez en 2020, en moyenne, 10 000 euros. La misère du jeune chercheur, au sein d’un organisme de recherche ou d'une université, représente l’une des plus grandes faiblesses du système actuel. Selon vous, les dispositions de la loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 suffiront-elles à renforcer l’attractivité des métiers de la recherche dans notre pays ?

D’autre part, les chaires de professeur junior, nouvelles voies de recrutement instaurées par la LPR, ont-elles modifié les modes de recrutement et attiré de nouveaux chercheurs ? Que proposez-vous pour renforcer l’attractivité ?

Enfin, pensez-vous possible de mener en France une politique de chasse des meilleurs profils comme dans certains pays, où le démarchage et la loi du plus offrant sont de mise ?

Mme Michèle Victory (SOC). Vous avez déclaré que le CNRS devait permettre à la France de demeurer une nation prospère au niveau international mais que les financements étaient insuffisants. Le budget contraint rend les conditions de travail des chercheurs difficiles. Comment comptez-vous développer le CNRS et préserver la qualité unanimement reconnue de ses travaux si le budget n’est pas à la hauteur ? Quelles améliorations proposeriez-vous en matière de statut des chercheurs pour permettre à la France de s’affirmer au niveau européen et international et d’attirer les jeunes chercheurs, puisqu’il semble que nous soyons encore loin du compte ?

M. Pierre-Yves Bournazel (Agir ens). Nous connaissons votre engagement, monsieur Petit, et le travail que vous avez accompli depuis votre nomination, en 2018, à la tête du CNRS.

Dans le cadre des partenariats public-privé pour la recherche, le CNRS a ouvert de nombreux laboratoires en commun avec des entreprises privées. En novembre dernier, le 200e laboratoire de ce type a été lancé. Cette stratégie présente des avantages financiers, mais il est surtout utile de la placer dans une perspective plus globale de long terme. En effet, développement économique, progrès et recherche sont intimement liés. La réindustrialisation de la France passera par un développement soutenu et continu de la recherche fondamentale et appliquée. Nous avons entendu votre message et j’y souscris pleinement à titre personnel.

Ces partenariats s’inscrivent dans la continuité du plan d’investissement de 30 milliards d’euros décidé par le Président de la République afin de développer une réelle compétitivité industrielle et les technologies d’avenir. Je crois en la science. Elle est indispensable à notre société ainsi qu’à sa compréhension. Les grands défis de notre siècle, l’écologie, l’énergie, l’intelligence artificielle, la santé nous montrent que jamais, sans doute, l’humanité n’a eu autant besoin de sciences et de recherche qu’aujourd’hui.

Quelles sont vos ambitions pour le CNRS, notamment pour poursuivre et amplifier les partenariats avec les acteurs privés ?

Mme Muriel Ressiguier (FI). Le désengagement de l’État dans le financement de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) conduit les établissements à préférer l’investissement privé, ce qui limite l’indépendance et le pluralisme de la recherche. Depuis quelques années, l’ESR glisse vers un modèle néolibéral anglo-saxon que la LPR encore renforcé. Les appels à projets se multiplient au détriment des crédits récurrents, les CDI de mission et les tenures tracks grignotent progressivement le statut de fonctionnaire, la concurrence s’accroît entre les établissements, voire entre les différentes générations de chercheurs et entre les hommes et les femmes, tout cela étant censé stimuler le monde de la recherche et le rendre plus efficace.

Le CNRS n’est pas épargné par cette logique. L’institution a perdu 1 579 emplois statutaires entre 2007 et 2019. Dans les lois de finances pour 2021 et 2022, le nombre d’équivalents temps plein travaillé (ETPT) sous plafond a fortement baissé – 41 de moins l’année dernière, 128 de moins cette année. En revanche, le nombre d’emplois hors plafond explose puisque nous comptons 995 ETPT supplémentaires, après une augmentation de 485 l’an dernier. D’autre part, le salaire des femmes y est inférieur de 17 % en moyenne à celui des hommes.

Pensez-vous que le modèle anglo-saxon, basé sur la concurrence, la rentabilité et la marchandisation du savoir, soit une réponse satisfaisante aux défis sanitaires, environnementaux et sociétaux à venir, ainsi qu’au mal-être grandissant de la communauté scientifique ?

Enfin, pensez-vous que le crédit d’impôt recherche doive être conservé en l’état ?

M. Pierre Henriet. La confiance du grand public envers les scientifiques s’est considérablement amoindrie depuis la crise sanitaire. Ce n’est pas dû exclusivement au contexte : dans de nombreux laboratoires du CNRS, notamment en sciences humaines et sociales, les dogmes et courants militants gangrènent les travaux au détriment de la rigueur scientifique et des méthodes de réfutabilité. La loi de programmation de la recherche et les décrets qui s’y attachent ont renforcé l’arsenal législatif et réglementaire en faveur de l’intégrité scientifique. Face à cette défiance, elle est une boussole au service des chercheurs et de leur crédibilité. Que comptez-vous faire pour lutter contre ces courants militants et garantir la rigueur scientifique au sein de votre établissement ?

Mme Florence Provendier. Dès 2015, le CNRS a créé une task force « Agenda 2030 » pour traduire en questions scientifiques l’agenda politique des Nations unies et promouvoir les découvertes et innovations dans le cadre des dix-sept objectifs de développement durable (ODD). D’autre part, le CNRS est engagé au sein de l’Alliance nationale de recherche pour l’environnement, où il défend le rôle des scientifiques pour répondre aux ODD en valorisant notamment la science de la durabilité. Il l’est également dans des programmes internationaux comme Future Earth, outil de coordination de la recherche pour le développement durable et l’aide à la décision.

Où en sont les engagements pris par le CNRS pour atteindre les objectifs de l’Agenda 2030 ? Qu’en est-il de la task force ? Comment comptez-vous faire du CNRS un acteur du développement durable au sein de l’écosystème de l’enseignement supérieur et de la recherche, tant au niveau français qu’international ?

M. Yannick Kerlogot. Que pensez-vous de la manière dont est présentée votre candidature dans la presse ? On évoque un autre candidat plus enclin à développer la recherche exploratoire, à la limite des connaissances, alors que vous présentez un profil plus pragmatique, défenseur d’une recherche en lien avec l’industrie et à visée applicative. Au fond, quel serait l’intérêt de poursuivre dans cette voie ?

M. Antoine Petit. Je ne suis candidat contre personne, ce n’est pas le principe. La presse a fait état de candidatures, d’autres sans doute sont restées secrètes, je n’ai pas d’information à ce sujet. J’ai présenté mon programme comme étant celui de la recherche fondamentale au service de la société. La recherche fondamentale est la mission essentielle du CNRS et ce qui justifie notre existence, mais elle n’est pas à opposer aux relations avec les partenaires industriels. Lorsque nous travaillons avec un grand industriel, nous nous intéressons aux sujets dont il aura besoin pour avancer dans l’avenir et nous cherchons à résoudre les problèmes de recherche fondamentale qu’il rencontre. C’est cela qui passionne nos chercheurs. Généralement, ils considèrent un problème industriel avant tout comme une source de grandes questions scientifiques. Bref, le CNRS ne trahit pas sa mission en travaillant avec les industriels. Il essaie simplement de mettre ses connaissances au service de la nation, ce qui est normal.

Je vais peut-être vous décevoir, mais tout PDG du CNRS que je suis, si je vais voir un chercheur pour lui exposer le sujet sur lequel il devra travailler, il ne me suivra pas. Ce n’est pas ainsi que la recherche fonctionne. Ce qui intéresse les gens compétents, ce sont les grandes questions scientifiques.

Par exemple, nous cherchons des solutions pour atténuer le bruit, ce qui intéresse quasiment tous les domaines. Trouver des matériaux qui atténuent le bruit, c’est de la recherche incrémentale et nous en faisons de plus en plus. Mais le défi à relever, c’est trouver comment transformer le bruit que l’on absorbe en énergie. Un jour, nous saurons le faire. Cela, c’est une question de recherche fondamentale pour laquelle il existe des applications industrielles potentielles. Le quantique est un autre exemple : tout le monde travaille dessus, et nous commençons à trouver des applications aux capteurs quantiques, mais nous ne pouvons pas encore imaginer tout ce que le quantique nous permettra de réaliser dans dix, vingt ou quarante ans – de la même façon que, il y a cinquante ans, on ne pouvait connaître toutes les conséquences de l’intelligence artificielle ou de la montée en puissance de l’informatique. Pourtant nous y travaillons, avec les industriels.

Tous les sujets liés aux ODD des Nations unies ou aux grandes questions industrielles exigent des approches pluridisciplinaires et interdisciplinaires. Or, là réside la force du CNRS. Il ne s’agit pas d’opposer interdisciplinarité et approche par discipline, de réunir des disciplines moyennes en croyant qu’il en sortira un résultat pluridisciplinaire formidable – deux bouteilles de piquette mélangées ne donnent pas un grand vin. Il faut avant tout des disciplines de grande valeur, qu’il faut être capable de réunir, tant entre sciences dures qu’entre sciences dures et sciences humaines et sociales.

Ainsi, le domaine de la santé, particulièrement d’actualité, relève certes de la biologie, mais aussi de la chimie, des modèles mathématiques, du traitement de données ainsi que des sciences humaines et sociales. Certes, la façon dont les gens réagissent n’est pas toujours rationnelle, mais pour répondre à la question « qui réagit d’une certaine façon ? », ce qui permet d’anticiper, il faut mettre dans la boucle des sociologues, des géographes et des historiens. La force du CNRS est de rassembler toutes ces disciplines en son sein.

Il ne faut pas non plus céder à l’angélisme : le CNRS est une grosse machine et, si nous n’y prenons pas garde, nous pouvons avoir tendance à travailler en silo. Le rôle de la direction générale du CNRS et de son comité de direction est de veiller à ce que tel ne soit pas le cas. C’est pourquoi nous avons développé, au fil des ans, des outils très concrets permettant de mener des recherches pluridisciplinaires et interdisciplinaires. La bonne façon de faire travailler les gens ensemble n’est pas de leur dire comment il faut le faire en théorie, mais de les confronter à des sujets concrets. Tel est l’objet de la task force Agenda 2030.

S’agissant des relations avec le monde industriel, il faut continuer à encourager l’ouverture de laboratoires communs. Disposer de systèmes pour les soutenir est essentiel. À l’heure actuelle, nos modes de fonctionnement sont bilatéraux : l’industriel investit, nous investissons. Il serait intéressant d’adopter, comme d’autres pays, un système vertueux dans lequel l’État abonde les projets : le CNRS met x, l’industriel y et l’État z, dont on calcule la valeur par la formule miracle de votre choix. Un tel soutien aux laboratoires industriels est aussi une façon indirecte d’obtenir un effet de levier sur le financement privé de la DIRD.

Il ne faut pas opposer laboratoires industriels et création de start-up : ils sont complémentaires. Cela n’affecte pas les missions du CNRS. Nous ne sommes pas une société de services : ce n’est pas à nous que s’adressera un industriel pour régler un problème à échéance de six mois ou un an. Ce qui intéresse l’industriel chez nous, c’est qu’une recherche qui est parmi les meilleures à l’échelle internationale a des chances de développer une innovation de rupture, qui lui permettra de faire la différence face à la concurrence. La réindustrialisation de la France, qui est un vœu que nous partageons tous, suppose donc d’avoir la capacité d’augmenter la bande passante entre recherche académique et recherche industrielle.

Puisque je parle du meilleur niveau international, il faut souligner le rôle essentiel de l’évaluation par les pairs (peer review). Le haut niveau international ne se décrète pas, il se constate, au sein des communautés scientifiques. Il ne faut donc pas céder au culte des indicateurs quantitatifs. Le plus important, c’est la qualité, et ce partout dans le monde. De nombreux organismes et institutions affirment le caractère essentiel de l’évaluation qualitative des recherches.

S’agissant des liens entre la science et la société, la question de l’intégrité scientifique est primordiale. La société doit avoir confiance en la science, qui doit être aussi irréprochable que possible. Depuis le début de la crise sanitaire, dont j’espère qu’elle donnera lieu à un retour d’expérience une fois qu’elle sera terminée, nous avons souvent confondu, me semble-t-il, science et médecine. Les deux sont parfaitement respectables, mais elles n’obéissent pas aux mêmes échéances temporelles ni aux mêmes enjeux.

Par ailleurs, les scientifiques doivent respecter des règles de déontologie précises. Si vous vous présentez, sur un plateau de télévision ou à la radio, en qualité de directeur de recherches au CNRS, tout ce que vous direz sera écouté à cette aune. Or il est arrivé que certains de nos collègues s’aventurent sur des terrains n’entrant pas dans leur champ de compétences. Il faut lutter contre cette pratique, si minoritaire soit-elle – il n’y a pas de raison de penser que la population des chercheurs et des chercheuses serait la seule à ne pas compter une minorité de gens qui ne sont pas parfaitement « réglo ». Il faut être attentif à ne pas confondre sa casquette de scientifique avec celle de simple citoyen, sans même parler de militant. En tant que citoyens, les chercheurs et les chercheuses ont des idées, qu’ils doivent bien distinguer de ce qu’ils peuvent dire en tant que scientifiques. Les scientifiques ont le droit de s’exprimer en tant que citoyens, pas celui de confondre les deux casquettes, même si la frontière entre les deux n’est pas toujours facile à déterminer.

Pour ce faire, il est essentiel de donner plus de place à la parole institutionnelle. Nous avons vu se succéder, sur les plateaux de télévision, des gens qui parlaient en leur nom propre. En créant la mission pour l’expertise scientifique (MPES), conséquence de la crise que nous venons de traverser, nous avons voulu donner corps à la parole du CNRS, qui n’est pas celle de M. X ou de Mme Y. Notre objectif n’est pas de formuler des préconisations ; ce n’est pas notre rôle d’institution de recherche. Notre rôle est de dire ce que l’on sait – et l’on sait des choses. Il paraît que 10 % de la population mondiale pense que la Terre est plate, mais non, elle ne l’est pas, et le soleil ne tourne pas autour. Il faut donc affirmer ce que l’on sait, tout en étant capable de dire ce que l’on ne sait pas. Il arrive que l’on demande aux scientifiques ce qu’ils pensent d’un événement survenu la veille. La seule réponse sérieuse est : rien, faute d’avoir eu le temps d’étudier le sujet. Voilà donc l’objet de la MPES – et je pense que c’est ainsi que les organismes et institutions de recherche doivent intervenir dans le débat public : dire ce que l’on sait et ce que l’on ne sait pas, et énoncer les hypothèses. Tel est le rôle de la science, à laquelle on doit demander beaucoup, mais pas trop.

J’en viens à l’attractivité de notre modèle à l’international. La compétition internationale est un fait. Aujourd’hui, on veut de la mobilité, ce qui n’est pas malheureux ; après une thèse, on fait un post-doctorat, parfois deux, parfois plus, ce qui est probablement trop. Ce faisant, on se confronte à des systèmes étrangers.

Pour attirer les meilleurs, il faut pouvoir s’appuyer sur l’environnement scientifique, qui est bon puisque nous restons un grand pays scientifique, et sur l’environnement personnel du chercheur, d’où le package d’accueil des nouveaux recrutés. Au CNRS, ils ont souvent 33‑34 ans, voire davantage dans certaines disciplines. À ce stade, ils souhaitent avoir les moyens de diriger leur propre groupe de recherches, fût-il inséré dans un collectif plus large. Si une université ou un organisme de recherches d’un pays voisin leur offre ces moyens, cela peut les faire réfléchir.

S’agissant des salaires, la LPR a permis une avancée : dorénavant, les chercheurs recrutés à l’université, au CNRS ou dans des organismes de recherche sont payés au moins deux fois le SMIC. C’est bien mieux qu’avant, mais pas exceptionnel s’agissant de gens qui sont à thèse + 3 ou 5, soit bac + 13 ou 15. Sans aller au bout du monde, ils peuvent être payés une et demi ou deux fois plus en Suisse ou en Allemagne, voire davantage s’ils sont très prometteurs. Il faut admettre que nous vivons dans un monde concurrentiel, et que la recherche n’est ni française ni européenne, mais mondiale. Il faut en tenir compte, sans remettre en cause le statut de fonctionnaire attaché au CNRS.

À défaut de solution miracle, nous pouvons procéder à des modulations, notamment en matière de primes. Les chercheurs et les chercheuses travaillant à l’université au sens large et dans les organismes de recherche sont des fonctionnaires de catégorie A, mais le niveau de leurs primes est le moins élevé de la fonction publique, et dans des proportions gigantesques. La LPR permet quelques avancées en la matière. Il faut aller plus loin. La difficulté, dans le domaine de la recherche et de l’enseignement supérieur, est que les conséquences des décisions ou de l’absence de décision s’inscrivent dans le temps long. : si demain nous sommes moins attractifs, nous n’en verrons les conséquences que dans cinq ou dix ans.

S’agissant de la LPR, le Président de la République, lors de la présentation du plan France 2030, l’a caractérisée comme une première étape. Il faut aller plus loin. Elle permet notamment l’augmentation du budget de l’Agence nationale de la recherche (ANR), ce qui est une très bonne chose. Tous les grands pays scientifiques ont de telles agences – le pire étant d’en avoir une mal dotée, ce qui cumule les inconvénients.

Il faut à l’ANR un budget suffisant pour que le taux d’acceptation des projets soit aux standards internationaux, entre 30 % et 35 %, ce qui est un gage d’efficacité. S’il est plus bas, le système devient une loterie, ce qui n’est pas efficace : on passe beaucoup de temps à faire des propositions et pas assez à les réaliser. Or la fonction première des chercheurs est de faire de la recherche. Faire des propositions est utile, contrairement à ce qu’on entend parfois, mais en nombre limité. Et surtout, ensuite, il faut avoir les moyens de conduire la recherche
– c’est le principe du Conseil européen de la recherche (ERC).

Comment peut-on aller plus loin ? Il s’agit d’une question politique. La notion de package d’accueil est absolument essentielle. Soyons très concrets : le CNRS recrute chaque année 250 chercheurs ou chercheuses. Donner à chacun un package de 200 000 euros coûterait 50 millions, ce qui est certes une somme, mais qui ne représente que 2 % des 2,7 milliards versés au CNRS au titre de la SCSP. Ce n’est donc pas d’un objectif hors de portée. De telles mesures contribueraient à l’attractivité de notre pays.

S’agissant des politiques de site, le CNRS est probablement le partenaire numéro un des universités. Nous sommes très fiers d’avoir contribué aux bonnes places qu’elles ont obtenues dans les classements internationaux, auxquels on peut adresser de nombreux reproches, mais qui n’en sont pas moins pris en considération à l’étranger – certains pays n’attribuent des bourses aux étudiants qu’à condition qu’ils se rendent dans une université du top n de tel ou tel classement. La politique menée a eu l’avantage de favoriser le regroupement des établissements, dont l’université de Paris-Saclay offre un bon exemple. Premier établissement français du classement de Shanghai, elle rassemble l’ancienne université Paris-Sud, l’École normale supérieure de Cachan, devenue l’ENS Paris-Saclay, l’École centrale Paris et Supelec. Nous avons rassemblé plusieurs acteurs français de la recherche et le résultat est au rendez-vous.

Nous devons poursuivre cette évolution. Le rôle des organismes de recherche, et probablement celui du CNRS, doit évoluer, sans remettre en cause l’Unité mixte de recherche. C’est un outil très intéressant, mais qui ne doit pas être le seul outil de coopération entre institutions. On peut imaginer des coopérations à un niveau plus fin, par exemple celui de l’équipe, ou plus élevé, celui d’un observatoire ou d’une grande infrastructure de recherche. Il faut poursuivre la réflexion sur la répartition des rôles entre organisme national et université ancrée dans son territoire.

À cet égard, les programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR), lancés dans le cadre du quatrième programme d’investissements d’avenir, sont très positifs. Ils donnent aux organismes nationaux la mission de copiloter des programmes, au bénéfice de la communauté scientifique dans son ensemble. C’est l’occasion de souligner le rôle du CNRS : sur les vingt-trois PEPR qui ont été lancés – dix-neuf qui s’inscrivent dans des stratégies d’accélération de filières industrielles et quatre dits « exploratoires » – seize sont pilotés ou copilotés par le CNRS, ce qui illustre le rôle assez particulier que nous jouons dans le dispositif français.

À l’échelle de l’Europe, les résultats du CNRS sont bons. Cela s’explique en partie par notre taille : nous sommes le premier organisme bénéficiaire des programmes-cadres pour la recherche et le développement technologique depuis leur création. Mais, à l’ERC, le poids de nos chercheurs est de 11 %, pour plus de 50 % des résultats, ce qui est tout à fait exceptionnel.

Dans le cadre du nouveau programme-cadre Horizon Europe, nous pouvons aller plus loin. Mais la collaboration européenne en matière de recherche ne se résume pas aux programmes-cadres. Le CNRS est membre d’un groupe informel appelé G6, avec le Conseil national de la recherche italien, le Conseil supérieur de la recherche scientifique espagnol et trois acteurs allemands – les instituts Max-Planck, Helmholtz et Leibniz. Il importe que nous sachions travailler ensemble pour construire l’Europe de la recherche dont nous avons tant besoin.

Concernant les étudiants, l’Europe de la recherche et de l’enseignement supérieur offre des programmes de mobilité, type ERASMUS, qui fonctionnent plutôt bien. Quant à la mobilité des enseignants-chercheurs, nous pouvons aller plus loin, grâce aux universités européennes, même si elles ont, au moins dans un premier temps, donné à l’enseignement la priorité sur la recherche. Très clairement, le CNRS est un acteur majeur de l’Europe de la recherche.

J'en viens à notre action internationale. C’est l’occasion de répondre à la question de M. Berta sur ce qui m’a le plus marqué depuis quatre ans. Le CNRS jouit, grâce à ses quatre‑vingt-deux ans d’existence, d’une réputation internationale unique. L’un de mes plus grands étonnements, à chacun de mes déplacements hors du territoire français, qui ont été nombreux en 2019 pour la célébration des quatre-vingts ans du CNRS, est de constater à quel point son image à l’étranger est bonne. En France, il arrive que le CNRS soit critiqué ; à l’étranger, il suscite toujours un enthousiasme impressionnant, dont nous pouvons être collectivement fiers. L’image du CNRS à l’étranger, c’est l’image de la recherche française, et elle est excellente.

Le CNRS était peu présent en Afrique. Nous en avons fait une priorité, avec un plan pluriannuel de coopérations avec l’Afrique qui sera mené en lien avec d’autres acteurs français dont la présence est plus affirmée que la nôtre. Notre approche s’inscrit dans une logique de partenariat avec les institutions de recherche africaines, ce qui est essentiel. Par ailleurs, nous couvrons l’ensemble du spectre disciplinaire : pas seulement des sujets déjà très étudiés en Afrique, comme la santé et l’environnement, ou encore un pays ou une région, mais des domaines comme le numérique et les matériaux. Ces thèmes sont assez peu couverts dans les collaborations alors même qu’ils peuvent déboucher sur la création d’emplois et de valeur.

Le crédit d’impôt recherche (CIR), qui est toujours un sujet d’intérêt pour les chercheurs, représente environ 6 milliards d’euros par an. Si demain l’État me donne le double, je serai ravi, et la communauté scientifique avec moi. Que l’État ait obtenu cet argent grâce à une réforme du CIR ou autrement, peu importe.

Sans être spécialiste, il me semble utile de rappeler que le CIR vise à financer les dépenses non seulement de recherche, mais aussi de développement. Par ailleurs, la fin, à compter du 1er janvier 2023, du doublement d’assiette des dépenses relatives aux opérations de recherche confiées aux organismes publics n’est pas une bonne chose. Il faut explorer la piste du soutien aux laboratoires communs au CNRS et aux entreprises, qui sont conformes à la réglementation européenne dès lors que la subvention qu’ils perçoivent n’est pas attribuée à l’industriel, mais au laboratoire commun. Cette démarche est à conforter dans la logique de réindustrialisation du pays.

M. le président Bruno Studer. Monsieur Petit, je vous remercie. Je vais vous reconduire afin que nous puissions procéder au vote.

*

La commission procède ensuite au vote à bulletins secrets sur cette désignation en application de l’article 13 de la Constitution.

M. le président Bruno Studer. Mes chers collègues, voici le résultat du scrutin :

– nombre de votants : 25

– nombre de suffrages exprimés : 23

– pour : 21

– contre : 2

La commission donne en conséquence un avis favorable à la nomination de M. Antoine Petit à la présidence du Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

 

 

La séance est levée à douze heures dix.

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 2février 2022 à 11 heures

 

Présents.  Mme Géraldine Bannier, M. Belkhir Belhaddad, M. Philippe Berta, M. Pierre-Yves Bournazel, M. Bertrand Bouyx, Mme Anne Brugnera, Mme Céline Calvez, Mme Danièle Cazarian, Mme Pascale Cesar, Mme Sylvie Charrière, M. Stéphane Claireaux, Mme Fabienne Colboc, Mme Béatrice Descamps, Mme Elsa Faucillon, M. Alexandre Freschi, M. Jean-Jacques Gaultier, Mme Florence Granjus, M. Pierre Henriet, Mme Danièle Hérin, M. Régis Juanico, Mme Stéphanie Kerbarh, M. Yannick Kerlogot, Mme Brigitte Kuster, M. Grégory Labille, Mme Constance Le Grip, Mme Sophie Mette, M. Maxime Minot, Mme Maud Petit, Mme Béatrice Piron, Mme Florence Provendier, M. Pierre-Alain Raphan, M. Julien Ravier, M. Frédéric Reiss, Mme Muriel Ressiguier, M. Cédric Roussel, M. Bertrand Sorre, M. Bruno Studer, Mme Agnès Thill, Mme Sylvie Tolmont, Mme Souad Zitouni

Excusés.  M. Pascal Bois, M. Bernard Brochand, Mme Jacqueline Dubois, M. Luc Geismar, Mme Annie Genevard, Mme Karine Lebon, Mme Josette Manin, M. Benoit Potterie, Mme Cathy Racon-Bouzon, M. Patrick Vignal

Assistait également à la réunion.  Mme Michèle Victory