Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 Audition de Mme Jacqueline Gourault dont la nomination en tant que membre du Conseil constitutionnel est proposée par le Président de la République (M. Guillaume Larrivé, rapporteur)                            2

 Vote sur cette proposition de nomination dans les conditions prévues par l’article 29-1 du Règlement  21

 Bilan de l’activité de la commission des Lois sous la XVe législature et de la mise en œuvre des propositions formulées par ses missions d’information                            21

 

 

 


Mercredi
23 février 2022

Séance de 8 heures 30

Compte rendu n° 53

session ordinaire de 2021-2022

Présidence
de Mme Yaël Braun-Pivet,
Présidente


  1 

La séance est ouverte à 8 heures 35.

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.

La Commission auditionne Mme Jacqueline Gourault dont la nomination en tant que membre du Conseil constitutionnel est proposée par le Président de la République (M. Guillaume Larrivé, rapporteur).

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, nous auditionnons ce matin Mme Jacqueline Gourault, dont la nomination en tant que membre du Conseil constitutionnel est proposée par le Président de la République, en remplacement de Mme Nicole Maestracci. M. Guillaume Larrivé, notre rapporteur, a adressé un questionnaire à Mme Gourault, qui nous l’a retourné.

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. Je ferai trois remarques liminaires. Nous recevons, en la personne de Mme Jacqueline Gourault, une personnalité familière de l’exercice de l’État, tant dans sa composante législative qu’exécutive. En effet, madame la ministre, vous avez siégé longtemps au Sénat et êtes membre du Gouvernement depuis près de cinq ans. Certes, vous n’êtes pas juriste de formation, mais je ne crois pas qu’être professeur des universités ou membre de tel ou tel ordre juridictionnel soit une condition absolument nécessaire pour siéger au sein du Conseil constitutionnel. En revanche, il faut être familier de l’exercice de l’État et de la chose juridique.

Ce n’est pas la première fois qu’un membre du Gouvernement est nommé par le chef de l’État. Par exemple, au cours des quarante dernières années, cela s’est produit une dizaine de fois : François Mitterrand avait fait ce choix à quatre reprises, Jacques Chirac à trois reprises, Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron – en 2019 –, une fois. Il est plus rare que ce soit un membre du Gouvernement en fonction.

Cela appelle des questions quant à l’office du nouveau juge constitutionnel, s’agissant notamment des règles de déport, objet de l’une des questions que je vous ai posées. Vous assumerez en effet, si votre nomination est confirmée, des fonctions juridictionnelles éminentes.

Sans vouloir retomber dans les sujets classiques, mille fois rebattus – nous ne sommes pas là pour vous faire passer un oral de première année de licence en droit –, j’ai évoqué, dans le questionnaire que je vous ai soumis, l’office du juge. Je pense, d’abord, aux relations avec les autres cours suprêmes, notamment européennes. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu le 22 février 2022 une décision dans laquelle elle exprime – c’est le moins que l’on puisse dire – certaines réserves quant à la possibilité pour les cours suprêmes nationales de faire valoir l’identité constitutionnelle de leur propre ordre juridique. Entre les cours suprêmes européennes et nationales, le dialogue des juges est assez rugueux. Il serait intéressant de connaître votre regard personnel sur ces questions, au-delà du commentaire des jurisprudences actuelles : faut-il que le Conseil constitutionnel affirme l’identité constitutionnelle de la France sur des sujets qui engagent l’avenir de la nation ?

Ma question porte aussi sur le contrôle ultra vires. La Cour constitutionnelle allemande se reconnaît parfois le pouvoir de juger que la CJUE excède les compétences que lui confèrent les traités. Êtes-vous désireuse de faire progresser la jurisprudence dans cette direction ?

Le troisième chapitre que je voudrais ouvrir à titre liminaire concerne l’article 11 de la Constitution, qui confère au Président de la République la faculté, dans certains domaines, d’interroger directement le peuple souverain à l’occasion d’un référendum. Je voudrais souligner, à cet égard, ce qui m’est apparu peu ou prou comme une contradiction dans vos réponses aux huitième et neuvième questions. Dans la neuvième question, je rappelais qu’il y a une trentaine d’années, le comité Vedel avait suggéré que la Constitution soit révisée pour indiquer explicitement que le projet ne peut être soumis au référendum qu’après constatation par le Conseil constitutionnel de sa conformité à la Constitution. Depuis lors, dix-huit révisions constitutionnelles sont intervenues, qui ont été autant d’occasions pour le constituant de se prononcer. À dix-huit reprises, le constituant n’a pas choisi de confier cette mission au Conseil constitutionnel. Vous-même, madame la ministre, en prenez acte, en écrivant que « Le constituant n’a, jusqu’à présent, pas souhaité prévoir un contrôle a priori de la conformité à la Constitution d’un projet de loi soumis au référendum, sans doute en raison de l’article 3 de la Constitution qui dispose que “la souveraineté nationale appartient au peuple, qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum” ».

Toutefois, dans votre réponse à la question précédente, vous écrivez : « la doctrine a relevé que le contrôle [du Conseil constitutionnel sur le décret de convocation du référendum] pourrait, le cas échéant, lui fournir le moyen de s’opposer à ce qu’un référendum organisé sur le fondement de l’article 11 soit utilisé pour réviser la Constitution. Il appartiendrait donc au Conseil constitutionnel, s’il était saisi dans une telle configuration, d’en décider. » Vos deux réponses ne sont-elles pas quelque peu contradictoires ?

Cela m’amène à souligner la nécessité d’un vrai dialogue entre le constituant que nous sommes par intermittence et le juge constitutionnel, qui est une autorité éminente, constituée, déléguée par le constituant, chacun devant rester à sa place et exercer pleinement son office.

Mme Jacqueline Gourault. Je suis très honorée de me trouver aujourd’hui devant vous pour cette audition qui fait suite à la proposition du Président de la République de me nommer au Conseil constitutionnel. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, pour vos propos très clairs, qui répondent à des questionnements qu’on a pu entendre ici ou là. Je vous remercie également pour les questions écrites que vous m’avez adressées, sur lesquelles je reviendrai dans quelques instants. Je mesure, mesdames et messieurs les députés, l’immense honneur que représente pour moi cette proposition du Président de la République. Si votre commission et la commission des Lois du Sénat, tout à l’heure, l’approuvent, je m’engagerai bien sûr de toutes mes forces au sein de cette institution cardinale de notre République.

Je dois reconnaître que je ne m’y attendais pas et que rien ne m’y prédestinait. J’ai grandi dans une petite ville du Loir-et-Cher, dans un milieu rural et agricole. Je suis un pur produit de l’école républicaine. Mon parcours est celui de millions de Français : collège, lycée et université. Ce qui m’a été donné, bien sûr, j’ai voulu le rendre à mon tour. J’ai choisi l’enseignement, et j’ai été fière d’exercer pendant vingt-cinq ans cette fonction que je considère comme l’une des plus belles mais aussi des plus exigeantes. En 1989, je suis devenue maire de La Chaussée-Saint-Victor, une petite commune de 4 500 habitants, située tout à côté de Blois, à un moment où, je dois le dire, peu de femmes accédaient à des responsabilités politiques. J’ai exercé ce mandat pendant vingt-cinq ans avec passion. J’en ai gardé le goût de la proximité et du pragmatisme. J’ai aussi pu mesurer les difficultés concrètes auxquelles sont confrontés chaque jour nos élus locaux et leurs administrés.

En parallèle de ce mandat, j’ai également été conseillère régionale, conseillère départementale et présidente d’une communauté d’agglomération. Ces mandats locaux m’ont conduite, je dirais assez naturellement, au Sénat, où j’ai siégé quinze ans, et dont j’ai été, comme vous l’avez rappelé, vice-présidente et présidente de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation. J’ai pris part, durant toutes ces années, au travail législatif au sein de la commission des Lois avec rigueur et enthousiasme. En 2017, j’ai eu l’honneur d’être nommée au Gouvernement, d’abord au sein du ministère de l’Intérieur, puis en tant que ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Nous avons eu de nombreuses occasions de travailler ensemble, durant ces cinq années, autour de textes importants, dont le dernier – la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite 3DS – a été promulgué hier. Je pourrais également évoquer la loi organique d’application de l’article 72 de la Constitution ou la loi sur la création de la collectivité européenne d’Alsace. Lors de l’examen de ces textes, nous avons contribué à trouver des marges de manœuvre concrètes, dans le cadre du principe constitutionnel d’égalité, qui ont été les premières illustrations du principe de différenciation. Par ailleurs, j’ai activement participé au projet de révision constitutionnelle de 2018, qui prévoyait des adaptations nécessaires à une meilleure organisation des pouvoirs locaux, mais qui, comme nous le savons, n’a pas pu aboutir.

En somme, j’ai pratiqué de l’intérieur, comme vous l’avez gentiment rappelé, monsieur le rapporteur, toutes les institutions politiques qui forment notre République, sur le plan local comme national, à l’exception de l’Assemblée nationale – où j’ai toutefois passé beaucoup de temps ces dernières années. J’ai exercé des fonctions à chaque maillon de cette grande chaîne que nous formons ensemble au service de l’intérêt général. Mon approche et ma méthode – je pense que vous les connaissez –, sont le dialogue et la recherche du juste équilibre. C’est ce qui a guidé mon action tout au long de ma vie politique, y compris, ces derniers mois, dans le cadre de la discussion du projet de loi 3DS, où nous avons su trouver ensemble des solutions à des questions difficiles. Cette culture de l’écoute et du débat correspond pleinement, je crois, au fonctionnement collégial du Conseil constitutionnel.

Si vous acceptez ma candidature, j’y apporterai mon expérience, celle d’une ministre, d’une parlementaire, d’une élue locale, mais aussi d’une femme de terrain. J’ai beaucoup traversé la France, je me suis souvent confrontée aux réalités de nos territoires, et cela m’a donné, je crois, une appréciation concrète et humaine des enjeux qui traversent notre société. Cela m’a aussi apporté un certain recul sur le cadre normatif qui régit notre République et qui garantit l’équilibre des pouvoirs. Le recul, me semble-t-il, est une qualité importante d’un juge constitutionnel, qui doit en permanence arbitrer et concilier les principes de notre bloc de constitutionnalité : l’égalité et le droit de propriété, la liberté individuelle et l’intérêt général, la libre administration et l’équilibre des comptes publics… Arbitrer, concilier, c’est d’ailleurs aussi cela que fait un maire au quotidien pour trouver le bon équilibre entre des aspirations en apparence contradictoires.

Le bloc de constitutionnalité est notre bien commun, le cadre à partir duquel nous faisons société. Il porte la marque de notre histoire et de nos combats collectifs : la Constitution de 1958, adoptée par le peuple français par référendum, sous l’impulsion du général de Gaulle, la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, qui inspire le monde depuis plus de deux cents ans, le Préambule de 1946 et ses conquêtes sociales issues du programme du Conseil national de la Résistance, et la Charte de l’environnement, qui a affirmé, dès 2005, des principes d’une grande actualité. Cette matière constitutionnelle est vivante et résolument moderne. C’est peut-être cela qui fait la longévité de notre régime constitutionnel, lequel sera bientôt le plus long que notre pays ait connu.

Le Conseil constitutionnel est une institution qui s’inscrit dans son temps, comme en témoigne le succès de la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), introduite dans notre droit par le président Nicolas Sarkozy. C’est une institution dans la cité, à l’image des audiences hors les murs, impulsées par le président Laurent Fabius, une institution de l’urgence aussi, en particulier en temps de crise terroriste ou sanitaire, mais c’est aussi une institution du temps long, qui se caractérise par sa constance et sa stabilité. Son rôle est d’être, au-delà des vicissitudes de l’époque, le garant de l’équilibre du pouvoir, des libertés individuelles et collectives, de l’égalité des droits, sans se substituer au législateur, bien sûr, mais en créant du consensus autour de ce qui nous rassemble, c’est-à-dire nos valeurs constitutionnelles.

Mesdames et messieurs les députés, je suis convaincue que la délibération collective s’enrichit de la pluralité des parcours et des compétences. J’ai défendu cette idée tout au long de ma vie politique. J’ai acquis, depuis quarante ans, une connaissance concrète des institutions de la République, du pouvoir législatif, du pouvoir exécutif, de l’organisation des élections, du rôle des partis, de la décentralisation, de la manière dont s’élabore la norme et dont elle s’applique concrètement dans le quotidien de nos élus locaux et de nos concitoyens. Cette expérience des institutions, des territoires et de la fabrique de la loi, cette méthode et cette approche, je suis prête à les mettre au service du Conseil constitutionnel. Oui, je suis prête à faire ma mue, si je puis dire, à abandonner l’arène politique et le débat public. Je ne serai pas au Conseil constitutionnel pour défendre un programme, mais pour exercer ma mission de juge constitutionnel en toute indépendance et impartialité, et pour défendre avec détermination la République et sa Constitution.

M. Bruno Questel. Je salue l’objectivité et la justesse des propos introductifs de M. Larrivé. Madame la ministre, je voudrais vous dire, au nom du groupe La République en marche, combien nous avons été heureux de travailler avec vous au cours des cinq dernières années. Ce fut une source permanente de connaissances nouvelles et une aventure humaine, politique et juridique. Vous avez répondu au questionnaire de notre rapporteur avec force et conviction, sans faux-semblants ni détours, telle que nous vous connaissons. Nos échanges permettront, j’en suis persuadé, d’aller plus loin. Vous connaîtrez, au cours des neuf prochaines années, une nouvelle vie, en qualité de membre du Conseil constitutionnel. Vous mettrez certainement à profit votre connaissance de notre pays, du droit, dans toutes ses dimensions, et des enjeux liés aux équilibres institutionnels et juridiques auxquels sont confrontés tous les acteurs de la République.

Le Conseil constitutionnel d’aujourd’hui n’est plus celui qui avait été imaginé en 1958. Il n’est pas pour autant devenu une cour constitutionnelle suprême, contrairement à ce que certains juristes éminents ont pu penser. Après la réforme de 1974, adoptée à l’initiative du président Giscard d’Estaing, qui a notamment conféré à soixante députés ou soixante sénateurs le droit de saisir le Conseil, et l’institution de la question prioritaire de constitutionnalité en 2008, à l’initiative du président Nicolas Sarkozy, la question de l’évolution de l’institution se pose toujours aujourd’hui. Juge électoral et gardien des institutions, le Conseil constitutionnel dispose de compétences hybrides. Le savant dosage qui préside aux nominations entre magistrats de l’ordre administratif ou judiciaire, d’une part, et responsables politiques, d’autre part, émaille les chroniques, lesquelles sont oubliées dès le lendemain de la prestation de serment devant le Président de la République. Compte tenu du caractère hybride – ou, pourrait-on dire, bicéphale – des profils des membres du Conseil constitutionnel, vous paraît-il souhaitable qu’une clarification s’opère et que l’on s’oriente, soit vers une cour juridictionnelle suprême qui dit le droit, soit vers un organe de contrôle qui censure les actes législatifs manifestement attentatoires aux libertés publiques fondamentales ?

Si, par le passé, certains ont pu exprimer leur surprise à l’égard de telle ou telle nomination, aujourd’hui, on va jusqu’à contester à l’avance la légitimité des propositions formulées.

Ces cinq dernières années, nous n’avons pas manqué d’opposer les risques d’inconstitutionnalité à de nombreux amendements au nom, notamment, de la défense des grands principes constitutionnels ou de la nature de tel ou tel article.

Madame la ministre, si, demain, une réforme institutionnelle visant à associer plus étroitement nos concitoyens aux mécanismes d’élaboration de la loi devait être proposée, pensez-vous que le Conseil constitutionnel pourrait échapper à une réforme portant sur les fondements juridiques de son action et sur son rôle juridictionnel ?

M. Éric Diard. Je voudrais, en préambule, saluer votre parcours républicain, madame la ministre, qui vous a vu occuper, entre autres, les fonctions d’enseignante, de maire d’une petite commune et de sénatrice.

Cela étant, je pensais que, pour entrer au Conseil constitutionnel, il fallait avoir une certaine compétence dans le domaine du droit constitutionnel. Le Conseil ne doit pas être un fromage de la République, comme l’est le Conseil, économique, social et environnemental. La fonction de juge constitutionnel nécessite une certaine technicité, que, pour l’instant, vous n’avez pas. Vous n’êtes pas la première dans ce cas, mais je croyais que, dans le « nouveau monde », les méthodes changeraient, ce qui ne s’est hélas pas vérifié.

Je vous poserai simplement deux questions. Qu’est-ce qu’une décision d’inséparabilité ? Pour quelle durée le Président de la République nomme-t-il le président du Conseil constitutionnel ?

Je salue sincèrement votre parcours, mais on a le droit de se demander, n’en déplaise à certains, s’il est adapté au Conseil constitutionnel, comme on a pu se poser la question pour d’autres candidats.

Mme Isabelle Florennes. Madame la ministre, je voulais vous dire, au nom du groupe Mouvement démocrate (MoDem) et démocrates apparentés, combien nous sommes fiers et honorés d’être là aujourd’hui pour vous auditionner. Nous sommes heureux de cette belle nomination, qui constitue une surprise pour vous, mais qui – je le dis à M. Diard –, n’en est pas une à nos yeux. Nous vous connaissons depuis longtemps. Personnellement, j’ai eu la chance de vous rencontrer il y a près de trente ans, alors que je travaillais auprès d’un sénateur du Loir-et-Cher. Ce fut un honneur pour moi d’échanger avec vous lorsque vous étiez maire, de la même façon que nous sommes honorés de vous voir accéder à cette fonction. Nous sommes convaincus que vous l’assurerez avec dignité et que vous avez toutes les qualités requises. Je préfère le dire dès le départ, pour clore ces polémiques qui n’ont pas lieu d’être en ce jour.

En tant que sénatrice, vice-présidente du Sénat, puis ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, vous avez beaucoup œuvré pour la décentralisation et les rapports entre l’État et les élus locaux. C’est votre marque de fabrique, que chacun reconnaît. Quel regard portez-vous sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel en la matière, notamment concernant l’application du principe de libre administration des collectivités locales ?

Mme Cécile Untermaier. Madame Gourault, je salue à mon tour votre parcours d’excellence, que nous sommes sans doute nombreux à vous envier. Vous avez accumulé des connaissances, au cours de vos différents mandats, qui vous aideront sans nul doute dans l’appréciation des questions qui vous seront soumises et la prise de décision. Sans vouloir entrer dans une polémique inutile, je persiste à dire, comme je l’ai affirmé sous le précédent quinquennat, que la procédure de nomination des membres du Conseil constitutionnel n’est pas satisfaisante. Sous la XIVe législature, la mission sur l’avenir des institutions – coprésidée par MM. Bartolone et Winock –, dont j’étais membre, avait rendu des conclusions en ce sens, qui rejoignent celles de votre rapport de décembre dernier, madame la présidente. Vous n’êtes pas responsable de cet état de fait, madame Gourault ou, du moins, nous en sommes certainement plus responsables que vous.

Il faut admettre que nous n’avons pas progressé, contrairement aux États-Unis et à l’Allemagne, par exemple. Notre procédure de nomination est d’une grande faiblesse : il faut réunir les trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des commissions de l’Assemblée et du Sénat pour s’opposer à la nomination ; nous n’avons pas connaissance des autres candidats ; aucun critère de sélection n’est fixé à l’avance. Notre seule possibilité, pour nous faire une idée du candidat – même si nous avons l’avantage, en l’occurrence, de bien vous connaître – est de lui poser une dizaine de questions par écrit puis de l’auditionner en une heure et demie.

Pour ma part, j’aurai deux questions. Premièrement, en votre qualité de ministre, vous vous êtes soumise aux règles déontologiques relatives à la déclaration d’intérêts et à la déclaration de patrimoine. Or les membres du Conseil constitutionnel ont écarté, pour eux-mêmes, cette exigence que nous avions introduite dans la loi, estimant qu’il s’agissait d’un cavalier législatif. Cela nous a choqués car le Conseil constitutionnel peut s’appliquer ce dispositif à lui-même, sans qu’il soit besoin d’une loi. Envisagez-vous d’appliquer cette obligation de transparence, alors que, je le rappelle, les décisions du Conseil sont insusceptibles de recours ? Les précautions déontologiques sont essentielles pour rassurer les citoyens sur le degré d’exigence que s’imposent les membres du Conseil et sur le caractère impartial de leurs décisions.

Deuxièmement, le perfectionnement de nos institutions exige du Gouvernement et du législateur la conduite de réformes, mais il appartient aussi aux autres institutions de les promouvoir. Beaucoup se sont exprimés dans la presse à ce sujet, à propos des trois nominations au Conseil constitutionnel. Envisagez-vous, si vous devenez membre du Conseil constitutionnel, de faire progresser ces réformes que nous attendons tous ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Madame Untermaier, tous ceux qui souhaitent poser des questions pourront le faire. Nous ne sommes pas limités par le temps. Le Parlement doit mener ces auditions importantes de manière très complète.

Mme Jacqueline Gourault. Monsieur le rapporteur, vous avez insisté, dans votre questionnaire, sur la notion d’identité constitutionnelle de la France. Pour répondre à votre question, je considère que celle-ci doit être confirmée. Cela étant, les États membres de l’Union, de par la signature des traités, ont consenti à respecter la hiérarchie des normes et le droit européen.

Le Conseil constitutionnel peut se saisir de cette identité constitutionnelle, mais rappelons que le contrôle de la conventionalité est assuré par le juge administratif et le juge judiciaire. Lorsque des principes sont reconnus en droit interne comme en droit communautaire, le Conseil constitutionnel laisse le champ libre au juge de la conventionalité. Si, en revanche, sont en cause des règles et des principes relevant de l’identité constitutionnelle, le Conseil constitutionnel en assure lui-même le respect. Ainsi a-t-il reconnu l’an dernier un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, à savoir l’interdiction de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale relevant de l’exercice de la force publique. Cette décision du 15 octobre 2021 faisait suite à une QPC soumise par Air France. On pourrait imaginer que le Conseil constitutionnel se saisisse d’autres sujets, qui ne sont pas directement régis par le droit européen mais constituent une composante forte de notre identité constitutionnelle, comme la laïcité. Le principe d’identité constitutionnelle, de la France comme d’autres nations, est essentiel. La protection par le juge constitutionnel de nos spécificités me paraît très importante.

Vous avez évoqué une décision rendue hier par la CJUE, qui faisait suite à une question préjudicielle posée par une juridiction roumaine. On a le sentiment que l’arrêt de la Cour de justice européenne est une réponse à la décision rendue par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe il y a deux ans. En effet, celle-ci n’avait pas appliqué les recommandations de la CJUE, ce qui était une première. Le gouvernement allemand, quant à lui, n’a pas suivi sa cour suprême, ce qui a suscité un grand émoi.

Tout en étant attachée à l’identité constitutionnelle, j’estime que nous sommes liés à la juridiction européenne par la construction européenne et la signature des traités. Il nous faut respecter la hiérarchie des normes.

J’en viens à l’article 11 de la Constitution. Le référendum donne souvent lieu à des discussions animées. En principe, la révision de la Constitution doit emprunter la voie de l’article 89, mais chacun sait que le général de Gaulle, en 1962 et en 1969, a eu recours à l’article 11, qui permet la tenue d’un référendum sur l’organisation des pouvoirs publics ainsi que, notamment, sur des questions économiques et sociales. Je ne suis pas sûre qu’il y ait une contradiction entre mes réponses. Par sa décision Hauchemaille de juillet 2000, le Conseil constitutionnel a admis pour la première fois sa compétence juridictionnelle exceptionnelle pour connaître d’un acte préparatoire à un référendum. C’est pourquoi j’ai soulevé l’idée qu’il y avait là un moyen nouveau et clair permettant au juge constitutionnel de s’opposer à une révision de la Constitution qui ne serait pas conforme à la loi fondamentale. Je présuppose que l’on pourrait ainsi empêcher le recours à l’article 11.

Monsieur Questel, le fonctionnement du Conseil constitutionnel a évolué sous l’effet des réformes successives. Celle introduite à l’initiative de Valéry Giscard d’Estaing, en 1974, a conféré à l’opposition la faculté de déférer au Conseil une loi votée par le Parlement, avant sa promulgation. Cela a marqué une évolution essentielle. La QPC, insérée dans la Constitution en 2008 sur proposition du président Nicolas Sarkozy, a fait elle aussi évoluer de façon considérable le rôle du Conseil constitutionnel. Les justiciables se sont emparés de cette possibilité de faire vérifier, dans le cadre d’un procès, la conformité d’une loi par le juge constitutionnel. Cela a démocratisé, en quelque sorte, le Conseil constitutionnel, et c’est heureux.

Ce que vous avez appelé le caractère « bicéphale » des profils fonctionne bien et permet l’équilibre entre le travail a priori et le travail a posteriori. Tout cela s’inscrit dans l’ordonnancement général de la justice, où les autres juridictions que sont le Conseil d’État et la Cour de cassation assurent elles aussi un filtre.

Je n’imagine pas – encore – une réforme du Conseil constitutionnel sur ce point.

Monsieur Diard, votre question est tout à fait légitime. Il est exact que je n’ai pas étudié le droit, mais l’histoire et la géographie ne sont pas inutiles quand on fait du droit. Je pense d’ailleurs que l’histoire fait le droit. Du reste, comme vous l’avez vous-même rappelé, cela fait très longtemps que je pratique le droit.

Madame Florennes, la libre administration des collectivités locales est un principe consacré par l’article 72 de la Constitution. J’y suis évidemment très attachée. L’article 34 dispose que la loi détermine les principes fondamentaux de la libre administration et qu’elle fixe les règles concernant le régime électoral. On sait que le territoire de chaque canton doit être défini sur des bases démographiques et que le « tunnel » des plus ou moins 20 % d’écart entre la proportion de la population et le nombre de sièges attribués au sein des conseils communautaires et métropolitains a été encadré au niveau constitutionnel.

La libre administration, c’est aussi le pouvoir réglementaire, mais celui-ci demeure encadré par la loi. Nous l’avons bien vu avec le projet de loi 3DS : il a fallu préciser point par point les modalités de renforcement du pouvoir réglementaire des collectivités territoriales.

L’autonomie financière est très importante puisque les collectivités territoriales doivent pouvoir fonctionner, exercer leurs compétences et adapter leur action dans un principe d’intérêt général, de spécificité et d’égalité. Ce n’est que par la loi que l’autonomie ou la liberté d’administration peuvent être renforcées. Cette évolution, qui est en débat, est donc entre les mains du législateur.

Madame Untermaier, la procédure de nomination est ce qu’elle est : tous les trois ans, le Président de la République, le président du Sénat et le président de l’Assemblée nationale proposent la nomination de trois nouveaux membres. Le président du Conseil constitutionnel est par ailleurs nommé pour neuf ans.

M. Éric Diard. Cela n’est pas écrit !

Mme Jacqueline Gourault. Je suis pour la transparence, que je tiens toujours pour un progrès. Si vous m’autorisez à siéger au Conseil constitutionnel, je ferai une déclaration de fin de mandat en quittant le ministère, qui comportera une déclaration d’intérêts et une déclaration de patrimoine. Pour le reste, la situation sera celle que vous avez décrite.

Vous avez évoqué les États-Unis. Je rappelle que le Conseil constitutionnel n’est pas la Cour suprême, au sens où il ne chapeaute pas les deux autres grandes juridictions. Le système fonctionne bien de cette manière.

On peut toujours perfectionner nos institutions et je vous sais force de proposition pour leur modernisation, madame la députée. Cela relève essentiellement du législateur, qui est également constituant, et je ne doute pas que vous poursuivrez votre tâche.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous avons effectivement, avec Cécile Untermaier, une approche convergente des nominations au Conseil constitutionnel. Je considère que le double verrou démocratique – la nomination par une autorité élue, contrôlée par les commissions des Lois – est essentiel, compte tenu des fonctions du Conseil constitutionnel. J’ai préconisé, pour renforcer le contrôle démocratique, que les commissions approuvent la nomination par un vote à la majorité des trois cinquièmes, plutôt qu’elles puissent y faire obstacle par un vote à la majorité des trois cinquièmes.

M. Olivier Becht. Si monsieur le rapporteur le permet, je souhaiterais compléter ses propos. Beaucoup de membres du Conseil constitutionnel ont été nommés alors qu’ils étaient membres du gouvernement : ce fut le cas de Bernard Chenot, que le rédacteur de la Constitution lui-même, le général de Gaulle, nomma alors qu’il était garde des Sceaux. Par ailleurs, il n’est précisé nulle part dans la Constitution qu’il est nécessaire d’avoir fait des études de droit pour siéger au Conseil constitutionnel.

Vous avez, madame, l’expérience de l’État, et plus encore, celle des collectivités locales. Vous disposez de toutes les compétences et les qualités requises – le pragmatisme et le sens des équilibres n’en sont pas les moindres – pour exercer ces fonctions. Je l’ai vérifié moi-même lorsque vous avez présidé, d’une main de maître, aux travaux sur la collectivité européenne d’Alsace.

L’arrêt pris hier par la Cour de justice de l’Union européenne réaffirme la primauté du droit européen – lequel est élaboré avec les États et les parlementaires européens – sur le droit national. Toutefois, certains États, notamment dans l’est de l’Europe, remettent en question ce principe. En cas de conflits entre une norme européenne et une norme constitutionnelle française, quelle voie de résolution emprunterez-vous ?

M. Jean-Luc Warsmann. Le processus de nomination permet que siègent au Conseil constitutionnel des personnalités diverses, qui connaissent l’État et la vie publique. Je dois dire que j’ai été très impressionné par votre CV, madame la ministre. Vous avez exercé de multiples fonctions, tant dans les collectivités locales qu’au Parlement et au Gouvernement. Je voterai en faveur de votre nomination car je pense que votre profil apportera beaucoup au Conseil constitutionnel.

M. Ugo Bernalicis. Étant inculte en droit et licencié d’histoire, je serais bien mal indiqué pour critiquer vos compétences, madame la ministre. Ce qui m’intéresse, c’est ce que disent ces nominations, du point de vue des citoyens, dans un moment politique particulier où le Conseil constitutionnel a été beaucoup sollicité, à l’occasion de l’instauration du passe sanitaire et du passe vaccinal, sur la question des libertés fondamentales. J’estime, madame la ministre, que vous auriez dû refuser cette proposition car vous n’apportez pas les garanties d’impartialité que nous sommes en droit d’attendre de la part des membres du Conseil constitutionnel. Ne le prenez pas personnellement, vous êtes ici parce qu’il en a été décidé ainsi.

Ces derniers mois, on a souvent reproché au Conseil constitutionnel de ne plus être une instance juridictionnelle chargée de faire respecter les droits fondamentaux mais une instance politique dont l’objet est d’habiller de droit des décisions politiques qui s’imposent – ses seules critiques, car il faut qu’il marque son territoire, portent sur la rédaction des lois. Vous-même, avec le projet de loi 3DS, vous n’avez cessé de chercher à rogner, de pousser dans ses retranchements le Conseil constitutionnel. J’aurais préféré auditionner quelqu’un de plus conservateur sur le sujet, pour lequel les principes fondamentaux seraient fondamentaux, qui refuserait d’y déroger et qui serait là pour les faire appliquer – jusqu’à la prochaine révision constitutionnelle. Je n’ai rien contre vous, madame, mais je m’oppose à ce que vous représentez. Je suis éminemment défavorable à votre nomination.

Pensez-vous qu’il soit possible de convoquer une assemblée constituante pour changer de République par le biais de l’article 11 de la Constitution ? En tant que membre du Conseil constitutionnel, quel serait votre avis ? Pensez-vous qu’il soit confiscatoire d’imposer à 100 % l’héritage, au-delà de 12 millions d’euros ?

M. Paul Molac. Nous avons un certain nombre de points communs avec madame la ministre puisque nous avons fait des études d’histoire, exercé le métier de professeur, et sommes attachés à la ruralité. Que siège au Conseil constitutionnel une ancienne maire, élue pragmatique – ce sont les maires qui tiennent la République – et non une apparatchik changera les choses. J’espère, madame, que vous vous montrerez attentive à l’aménagement du territoire et à la vitalité du milieu rural, alors que la tendance est de se focaliser sur les grandes villes, qui rassemblent plus d’habitants.

Je me demande si vous pourriez être une amie pour les langues régionales – elles n’en ont pas au Conseil constitutionnel. À chaque fois qu’on interroge ses membres, la réponse est nulle et non avenue ; on en revient à la langue unique de l’État. Alors que le Conseil constitutionnel n’a pas hésité à revenir sur sa propre jurisprudence en acceptant les signatures électroniques, il demeure constant dans son refus d’une certaine égalité linguistique.

Vous savez que je défends ici, même si je suis minoritaire, l’autonomie fiscale et la libre administration des collectivités territoriales. J’ai tendance à penser que la France est à rebours des autres pays d’Europe, en demeurant très centralisée, avec un gouvernement qui donne le la, par la loi et le règlement, et laisse aux collectivités le soin de payer : il y a là quelque chose qui me paraît déséquilibré.

Mme Marietta Karamanli. En l’état de l’article 56 de la Constitution, un président de la République qui aurait été destitué ou condamné pour des faits graves demeurerait membre de droit du Conseil constitutionnel. Pensez-vous qu’il faille amender cet article ?

L’extension du domaine de compétences du Conseil constitutionnel pose la question de l’élargissement de son collège. Faut-il selon vous imposer une instance supérieure, dont les membres seraient d’éminents juristes – professeurs de droit, juges des ordres judiciaire et administratif ? Cette proposition avait fait l’objet d’un amendement de mon groupe au projet de loi de révision constitutionnelle. Nous avions aussi proposé que les membres du Conseil constitutionnel soient élus.

Mme Jacqueline Gourault. Monsieur Becht, vous avez, en Européen convaincu, posé la question des relations entre les États membres et la Cour de justice de l’Union européenne et fait allusion à des événements récents. Je pense à la Pologne, qui s’est démarquée du traité et qui a réformé son propre conseil constitutionnel en le transformant en un organisme plus politique qu’indépendant. Les voies de résolution existent : l’Union européenne a condamné la Pologne à verser des pénalités financières à la suite de ses prises de position. Entre les instances de l’Union européenne et les cours constitutionnelles de chaque État membre, nous disposons d’un arsenal juridique, et le dialogue entre juges fonctionne bien.

Je crois en la hiérarchie des normes et je considère que seule la justice européenne peut juger du droit européen – c’est ce que la CJUE a rappelé dans son arrêt, hier –, même si je reconnais l’existence d’une identité constitutionnelle. Je ne pense pas que cela soit contradictoire dans les quelques domaines qui ne sont pas reconnus au sein des droits et libertés de l’Union européenne. Je pense au concept de laïcité, qui fait partie du patrimoine français, de l’identité constitutionnelle, étant entendu que la Cour européenne des droits de l’Homme reconnaît la liberté de conscience et la liberté de religion.

Il faut toujours rappeler que l’Europe s’est construite pour la paix, la démocratie et l’État de droit : les pays qui ont reconnu ces principes doivent aussi se conformer à la hiérarchie des normes.

Monsieur Warsmann, je vous remercie pour vos mots fort élogieux et sympathiques.

Monsieur Bernalicis, nous avons certes des points communs, mais je ne me serais jamais permis de douter de l’impartialité et de l’indépendance d’un parlementaire. Ce sont, avec le discernement, des qualités très importantes à mes yeux et qui m’ont toujours guidée. Vous estimez que je ne peux vous apporter de telles garanties et je le regrette. Pour ma part, je fais confiance au législateur que vous êtes pour faire la loi.

J’ai bien pris connaissance des propositions de votre candidat concernant la convocation d’une assemblée constituante. Je les trouve plutôt malines, mais je me réserverai bien de porter aujourd’hui un jugement. Si ces mesures devaient être examinées par le Conseil constitutionnel, et si vous approuvez ma nomination, je prendrai part à la délibération collective.

Monsieur Molac, je connais votre combat sans relâche pour les langues régionales. Si l’article 2 de la Constitution dispose que la langue de la République est le français, l’article 75-1 reconnaît les langues régionales comme appartenant au patrimoine de la France. Il est toujours important de le rappeler.

Tout le monde se souvient du récent avis sur l’école immersive dans la République française. Il y a une distinction à opérer entre l’enseignement de la langue et le fait d’utiliser la langue comme outil de communication à l’intérieur des instances de la République française. C’est un débat qui reviendra et auquel je serai heureuse de prendre part, si vous m’autorisez à siéger au Conseil constitutionnel.

Vous connaissez le sens des mots : la Constitution reconnaît l’autonomie financière, et non fiscale, des collectivités locales. Ce n’est pas une interprétation du Conseil constitutionnel et cette question est dans les mains du législateur.

Madame Karamanli, je crois qu’il y a consensus en France pour abroger la disposition selon laquelle les anciens présidents de la République font, de droit, partie à vie du Conseil constitutionnel. C’était une des mesures du projet de réforme constitutionnelle voulu par Emmanuel Macron, avec laquelle beaucoup de courants d’opinion étaient d’accord. On remarque, d’ailleurs, que, depuis la disparition du président Valéry Giscard d’Estaing, le Conseil constitutionnel ne compte plus parmi ses membres d’anciens présidents de la République.

Vous m’interrogez sur les modifications à apporter à la composition du collège : il me semble difficile de commenter les propositions de réforme d’une institution à laquelle je n’appartiens pas encore… Il est important que nous soyons à l’écoute de ce que ressent le peuple français. Je le crois très attaché – si tant est qu’il connaisse bien le Conseil constitutionnel – à la diversité de sa composition. Je ne suis pas certaine qu’une instance supérieure, composée uniquement de magistrats ou de professeurs de droit, réponde à ses aspirations.

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. Je ne pense pas, madame la ministre, qu’il y ait consensus sur la question des anciens présidents de la République. À titre personnel, je suis favorable au maintien de cette disposition constitutionnelle, même si elle n’est pas appliquée actuellement. Quand on regarde les délibérés du Conseil constitutionnel, on voit par exemple que René Coty, injustement méconnu, a eu un rôle tout à fait majeur dans la jurisprudence des premières années du Conseil. Si l’institution doit s’inscrire dans le temps long, il n’est pas extravagant qu’un ancien chef de l’État, qui a exercé la fonction suprême de garant des institutions, puisse apporter son regard. Et si d’anciens ministres y siègent, pourquoi les ex-présidents de la République ne le pourraient-ils pas ? Mais nous sortons du périmètre de votre audition puisque vous n’êtes pas entendue ici en tant que futur constituant.

Sur la notion de hiérarchie des normes, je vois se dessiner un désaccord entre nous. Pardon de devoir le rappeler avec autant de netteté, mais la norme suprême dans l’ordre juridique national, c’est la Constitution. Ce ne sont pas les traités européens, et encore moins le droit dérivé de l’Union européenne. L’article 88-1 de la Constitution, introduit assez récemment, dispose : « La République participe à l’Union européenne constituée d’États qui ont choisi librement d’exercer en commun certaines de leurs compétences » en vertu des traités. La Constitution ne renferme donc pas l’idée d’une souveraineté européenne – celle-ci reste de l’ordre du discours ou de l’ambition politiques. La souveraineté est nationale. Le constituant a choisi de préciser que la République participe à l’UE pour certaines des compétences qui sont déléguées à cette dernière.

D’où la question essentielle de savoir qui contrôle le respect du périmètre de ces compétences. La Cour de justice de l’Union européenne, depuis sa position au sommet de l’ordre communautaire, considère que le droit de l’Union prime – c’est le sens de l’arrêt Costa contre ENEL. Pour le Conseil constitutionnel, en revanche, la norme suprême est la Constitution. La question de la prééminence de l’une ou l’autre de ces institutions est un enjeu démocratique fondamental ; elle se posera forcément et je ne suis pas certain de partager l’orientation que vous avez esquissée.

Pour ma part, j’aimerais que, dans le cadre du dialogue franco-allemand, si souvent évoqué, les juges français se rapprochent de la position de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe.

M. Guillaume Vuilletet. Je suis assez choqué, voire attristé par les remarques d’un collègue estimable, qui remettent en cause la légitimité de votre candidature, madame la ministre. Nous ne vivons pas dans une République des « sachants » – si tant est que le mot ait un sens. Que votre compétence, votre expérience et votre dévouement sans faille soient à nouveau mis au service de la République est une proposition qu’il convient de saluer et qui sert l’intérêt général.

Depuis 2003, la décentralisation et l’autonomie financière des collectivités territoriales sont inscrites dans la Constitution. Pourtant, le mouvement d’érosion du champ de la fiscalité locale ne s’est heurté à aucun garde-fou constitutionnel et, par suite logique, à aucun pare-feu organique. Dans les faits, l’autonomie fiscale des collectivités a été sérieusement malmenée – nombreux sont les élus locaux qui nous le reprochent, de façon assez rugueuse. À cette autonomie s’est substituée assez largement une série de mécanismes de remplacement et de dégrèvements législatifs, dont la pérennité n’a jamais été clairement posée. J’entends bien la nuance entre autonomie fiscale et autonomie financière, mais comme aucune jurisprudence de type « effet cliquet » ne permet de fixer la limite en deçà de laquelle le retrait ou la suppression d’impôts locaux constitueraient une entrave manifestement attentatoire à la libre administration des collectivités locales, ce lien se constitue peu à peu. Pensez-vous qu’une telle jurisprudence soit opportune ?

Mme Élodie Jacquier Laforge. Je tiens à saluer le parcours de la fille de Montoire, qui « villageait » avec son père en Loir-et-Cher, et même au-delà. Je tiens aussi à rappeler que, sénatrice, elle s’était interrogée sur sa légitimité à siéger au sein de la commission des Lois, parmi tous ces juristes, elle qui était professeure d’histoire-géographie. Cette nomination marque la reconnaissance d’une capacité d’écoute, d’un jugement sûr, d’une vision équilibrée et d’une grande capacité d’adaptation. Je ne doute pas que votre regard avisé enrichira les délibérations du Conseil constitutionnel.

La commission des Lois ne pourrait pas être composée que de juristes, la commission des affaires sociales que de médecins, la commission des affaires économiques que de chefs d’entreprise. La richesse de votre parcours est une vraie chance pour l’institution.

Quelle est la décision du Conseil constitutionnel qui vous a le plus marquée, et à quel titre ? Votre réponse nous permettra de comprendre la façon dont vous abordez la mission qui vous sera confiée dans quelques jours.

Mme Valérie Rabault. Tout le monde est potentiellement légitime à être nommé. La question est de savoir quelle orientation nous souhaitons donner au droit, notamment au droit constitutionnel, à travers cette nomination. C’est la seule boussole qui devrait guider notre décision. Telle est la question qui se pose, madame la ministre, avec tout le respect et l’amitié que nous vous portons, car le droit est le fondement de notre démocratie. Si nous nous en éloignons, nous perdons ce qui fait l’âme de notre système.

Vous vous êtes opposée, avec l’ensemble du Gouvernement, au référendum d’initiative partagée (RIP) que 248 parlementaires avaient soutenu et qui avait rassemblé 1,2 million de Français. Si vous aviez été membre du Conseil constitutionnel à l’époque, auriez-vous, oui ou non, validé le référendum d’initiative partagée ? Nous auriez-vous permis de l’enclencher ? Vous me répondrez sans doute qu’en votre qualité de membre du Conseil, vous auriez été tenue par le secret de la délibération, mais justement, vous n’en faisiez pas partie ; vous pouvez donc nous dire ce que vous auriez fait.

Le Conseil constitutionnel refuse généralement de se prononcer sur la sincérité des lois de finances – avant la crise sanitaire, s’entend : compte tenu de la situation, on peut admettre que personne ne soit en mesure de faire des prévisions sincères. Pensez-vous que, notamment du fait du niveau de dette très élevé, le Conseil constitutionnel devrait désormais faire preuve d’un peu plus de courage et se prononcer sur ce point ?

Enfin, comme l’a relevé le rapporteur, le droit constitutionnel, sous la Ve République, est aussi ancien que le droit européen : l’un et l’autre ont un peu plus de cinquante ans, et ils avancent en parallèle. Jusqu’en 2004 au moins, le Conseil constitutionnel a refusé d’être sous le joug du droit européen. La cour de Karlsruhe, qui est assez proche du Conseil constitutionnel, ne reconnaît pas la suprématie du droit européen. Comment voyez-vous l’articulation entre ces deux ordres juridiques dans les années à venir, et pensez-vous que le Conseil constitutionnel puisse se prononcer sur cet enjeu ?

Mme Emmanuelle Ménard. Comme la plupart de mes collègues, je salue l’excellence de votre parcours. Je tenais également à souligner votre écoute et votre disponibilité dans vos fonctions de ministre, y compris à l’égard des députés de l’opposition, ce qui est plus rare.

Néanmoins, je vous ferai part de deux interrogations.

D’aucuns reprochent au Conseil constitutionnel de prendre de plus en plus d’importance. Pour s’en convaincre, il n’est qu’à voir, jusque dans notre hémicycle, le nombre de fois où, au gré d’un amendement ou d’une proposition, on nous objecte, pour mieux les refuser, le risque d’inconstitutionnalité. Cela démontre combien notre assemblée elle-même a intégré le poids de cette institution, et est capable de s’autocensurer, à tel point d’ailleurs que certains y voient une illustration de ce « gouvernement des juges » qui fait tellement peur de notre côté de l’Atlantique. Vous prenez soin, dans l’une de vos réponses écrites, de rappeler que « le Conseil constitutionnel continuera à être attentif au fait de ne pas excéder son office ». Néanmoins, dans votre réponse à la huitième question, vous expliquez que le Conseil constitutionnel pourrait décider lui-même s’il peut « s’opposer à ce qu’un référendum organisé sur le fondement de l’article 11 soit utilisé pour réviser la Constitution ». Même si vous ne faites que supposer que cela soit possible, je vous avoue que cette partie de votre réponse m’inquiète beaucoup.

Et puis, comme une bonne partie de ceux qui suivent avec attention les questions juridiques, je voudrais savoir si votre formation, qui n’est pas celle d’une juriste, ne sera pas un obstacle à un exercice rigoureux de ces nouvelles fonctions. Vous avez déjà répondu sur ce point mais j’y reviens car, contrairement à ce qu’ont dit certains de nos collègues, je ne comprends pas pourquoi cette interrogation serait infamante ou illégitime au moment où vous vous apprêtez à siéger dans l’une des plus hautes institutions de notre pays : nous avons droit à toutes les réponses nécessaires.

Mme Jacqueline Gourault. Monsieur Vuilletet, vous avez dit que l’autonomie financière des collectivités territoriales n’était pas suffisamment garantie. C’est la loi organique de 2004 qui fait référence en la matière. Celle-ci précise que la part des ressources des collectivités locales ne peut être inférieure au niveau constaté en 2003.

La question de l’autonomie financière des collectivités a été posée au moment de la suppression de la taxe d’habitation. Le Conseil constitutionnel n’a pas censuré la disposition en raison de l’existence d’un dégrèvement.

Le législateur peut faire évoluer le rapport entre les ressources des collectivités et leurs compétences. L’évaluation des garanties financières intègre la part des impôts nationaux reversée aux collectivités. Les élus débattent souvent du rapport entre la part de recettes émanant d’impôts locaux, dont ils déterminent le taux et l’assiette, et celle provenant des impôts nationaux – à condition qu’il y ait une part d’assiette locale. Comme viennent de le dire un certain nombre d’entre vous, à commencer par madame Rabault, le contrôle de constitutionnalité consiste à s’assurer de la conformité de la loi à la Constitution. S’agissant de l’autonomie financière des collectivités locales, il ne revient pas au Conseil de modifier l’équilibre : c’est le rôle du législateur, à travers la loi ordinaire et la loi organique.

Madame Jacquier-Laforge, les QPC ont profondément changé les choses pour le Conseil constitutionnel. Elles ont représenté un progrès pour la démocratie, pour la connaissance du Conseil constitutionnel et pour le justiciable, car elles permettent d’examiner des lois qui n’avaient pas fait l’objet d’un contrôle a priori. La création des QPC a donc eu des conséquences importantes. Récemment, une décision rendue à ce titre a étayé le concept de fraternité. Ce beau concept, inscrit dans notre devise, méritait d’avoir un peu plus de contenu. C’est une avancée démocratique.

Madame Rabault, à ma connaissance, le RIP n’a pas récolté un dixième des électeurs.

Mme Valérie Rabault. Là n’est pas la question ! Auriez-vous autorisé son déclenchement ?

Mme Jacqueline Gourault. Madame, je ne répondrai pas à cette question. Il y a des règles de droit ; en l’occurrence, les conditions requises n’avaient pas été respectées.

Mme Valérie Rabault. Si ! Le Conseil avait dit oui !

Mme Jacqueline Gourault. Non. La démarche n’avait pas recueilli le soutien d’un dixième des électeurs.

Mme Valérie Rabault. Donc vous ne répondez pas à la question.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. La réponse ne vous convient pas, mais madame la ministre a répondu.

Mme Valérie Rabault. J’avais demandé une réponse par oui ou non.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Ce n’est pas à vous, madame Rabault, de dicter la réponse de votre interlocuteur !

Mme Jacqueline Gourault. Madame Ménard, vous avez raison : c’est le législateur qui compte. Le rôle du Conseil constitutionnel est de vérifier que les lois votées sont conformes à la Constitution. Vous avez fait allusion aux articles 40 et 45 de la Constitution. On parle régulièrement des « cavaliers ». Je rappelle à cet égard que ce sont les parlementaires eux-mêmes qui ont souhaité préciser les règles en la matière dans les règlements des assemblées – lesquels sont d’ailleurs visés par le Conseil constitutionnel. Les deux chambres ont établi des vade-mecum très précis. Le Parlement s’est ainsi donné une responsabilité supplémentaire, en amont de l’obligation posée par l’article 40, dont le Conseil constitutionnel évalue pour sa part le respect.

M. Stéphane Mazars. Je fais partie de ceux qui se félicitent de cette proposition de nomination. On ne peut être qu’admiratif devant votre parcours, qui constitue une illustration de la méritocratie républicaine. Vous avez eu une très belle carrière, qui vous a amenée à exercer des responsabilités importantes, notamment celles de ministre, après avoir acquis de l’expérience en tant qu’élue locale et sénatrice. Cette expérience sera très utile pour le Conseil constitutionnel. Les nouvelles fonctions que vous serez amenée à exercer – du moins je l’espère – nécessitent beaucoup d’engagement et d’expérience, et pas seulement des connaissances juridiques d’ordre livresque.

Vous appartenez à une famille politique singulière, celle de la démocratie chrétienne, qui a une place importante. Elle est fondée sur des valeurs, des convictions, je dirais même sur une philosophie. Alors que le Conseil constitutionnel est de plus en plus amené à se pencher sur les questions sociétales – ce sera peut-être le cas de la fin de vie, de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) ou encore de la procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes –, comment envisagez-vous de concilier l’exercice de vos fonctions, qui appellent un haut niveau d’exigence, avec les convictions qui vous sont chères ?

M. Didier Paris. Que l’on soit ou pas juriste, il faut d’abord et avant tout, pour devenir membre du Conseil constitutionnel, être un grand républicain ou une grande républicaine, ce que vous êtes.

Il faut, par ailleurs, être un grand serviteur de l’État et avoir une parfaite connaissance des rouages internes de celui-ci. C’est absolument essentiel pour exercer cette fonction « mixte », en quelque sorte.

Enfin, il faut être indépendant. Or l’indépendance ne se décrète pas : c’est une question d’état d’esprit. Vous avez largement démontré, au cours de votre carrière, que cet état d’esprit était le vôtre. À cet égard, votre réponse à la dernière question écrite du rapporteur est très claire : vous indiquez être prête, le cas échéant, à vous déporter.

Pour ces raisons, je serai extrêmement heureux, comme la plupart de mes collègues – en dehors des quelques résistances qui se sont fait entendre –, de vous voir siéger au Conseil constitutionnel.

La société est de plus en plus perturbée par les lois d’exception, qu’elles soient liées à l’état d’urgence résultant de la menace terroriste ou à l’état d’urgence sanitaire. Ces lois interrogent les limites de l’État de droit. Elles posent la question lancinante des libertés individuelles. Le Conseil constitutionnel a un rôle majeur à jouer en la circonstance, pour « calmer le jeu » et rappeler la réalité du droit. Selon vous, la situation est-elle satisfaisante, ou bien peut-elle encore évoluer ? On pourrait envisager, en particulier, une saisine automatique du Conseil constitutionnel pour toute loi d’état d’urgence, à l’instar de ce qui est prévu pour les lois organiques et les règlements intérieurs des deux chambres – textes qui, pour être franc, posent moins de problèmes, y compris aux yeux de l’opinion publique, que les lois d’exception.

M. Erwan Balanant. Un certain nombre d’entre nous ont fait des études d’histoire. C’est le cas de M. Bernalicis et de M. Molac ; c’est aussi le mien et j’en suis fier. Le droit constitutionnel est intimement lié à l’histoire, à tel point que le titulaire d’un master d’histoire contemporaine a travaillé davantage sur cette matière durant son parcours que le titulaire d’un master de droit. Le procès intenté ici est donc un peu ridicule. Du reste, la connaissance de l’histoire de notre pays est une compétence nécessaire pour faire évoluer le droit. Votre connaissance de l’histoire, combinée à celle du territoire et des institutions, est donc un atout, auquel s’ajoutent votre parcours politique et votre engagement, que je juge remarquables – mais peut-être est-ce dû au fait que je suis un de vos amis.

En devenant membre du Conseil constitutionnel, vous vous trouverez confrontée à un dilemme : à l’image de Robert Badinter, nommé par François Mitterrand, vous aurez un « devoir d’ingratitude », car appartenir au Conseil constitutionnel, c’est être un contre-pouvoir par rapport au pouvoir qui a procédé à la nomination. Comment envisagez-vous ce devoir d’ingratitude envers nous, vos amis ?

M. Matthieu Orphelin. Madame la ministre, j’ai toujours apprécié nos échanges, mais je suis défavorable à votre nomination au Conseil constitutionnel, et je vais vous en donner les raisons.

Le Conseil constitutionnel est notamment chargé de veiller à la régularité de l’élection présidentielle et des élections législatives. C’est aussi, comme le dit très bien Jean-Philippe Derosier, le « dernier rempart » face aux dérives possibles d’une majorité présidentielle, quelle qu’elle soit – on l’a vu ces derniers mois à propos des lois sécuritaires. Ma conviction est que la politique n’a pas sa place au Conseil constitutionnel. Du reste, on constate un certain trouble au cours de cette audition : certains députés vous disent que vous êtes leur amie.

Comprenez-vous, madame la ministre, que votre nomination cause un trouble et interroge au regard de l’indépendance et de l’impartialité qui doivent caractériser le Conseil constitutionnel ? Pensez-vous qu’une nomination dans cette institution puisse être une récompense pour services rendus, quand bien même ils auraient été bien rendus ?

M. Pierre Morel-À-L’Huissier. Madame la ministre, il ne vous étonnera pas que je vous parle de la ruralité. Vous avez été longtemps élue municipale et maire ; vous connaissez bien la complexité du maillage territorial.

Le Conseil constitutionnel défend le principe d’égalité, mais on peut décorseter celui-ci avec la différenciation, l’expérimentation et l’adaptation. Quand vous siégerez dans l’institution, serez-vous porteuse d’une conception de ce principe un peu plus ouverte que celle qui y prévaut ?

M. Gérard Leseul. Madame la ministre, le gouvernement auquel vous appartenez a eu l’intention d’inscrire dans la Constitution le principe de préservation de l’environnement, avant d’y renoncer. Quelle est selon vous la valeur de la Charte de l’environnement ? Est-elle la même que celle de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen ? Le principe de précaution, qui figure à l’article 5 de la charte, a-t-il vocation, conjointement avec le principe de prévention et celui du pollueur-payeur, à limiter l’étendue du droit de propriété et la liberté d’entreprendre ?

M. Rémy Rebeyrotte. Je suis stupéfait de la teneur du débat : si le constituant de 1958 avait voulu que le Conseil constitutionnel soit composé comme un jury d’examen de la faculté de droit, il aurait rédigé différemment le projet constitutionnel.

Le Conseil constitutionnel est l’émanation d’un pluralisme politique partagé entre trois institutions majeures : le Président de la République, qui nomme trois membres, et les deux chambres constituant le Parlement, qui en nomment six – à ces neuf personnalités nommées s’ajoutent les membres de droit. Ce mécanisme place le Parlement en situation de prééminence s’agissant de la composition du Conseil constitutionnel.

L’exercice du pouvoir législatif n’est pas non plus une affaire de spécialistes du droit. Tout cela est fortement politique, au sens noble du terme – je sais que le fait de s’y référer paraît choquant à certains, mais ce sens du mot « politique » devrait trouver un écho chez nous : nous n’avons pas à ramener en permanence la politique aux logiques politiciennes. Que le Conseil soit constitué de personnes ayant appartenu à des institutions politiques, et apportant de ce fait une certaine expérience, est une bonne chose. Le droit, cela s’apprend ; l’expérience, cela se construit au fil des années, et Dieu sait que vous avez une longue expérience d’élue locale. Je puis en témoigner : vous avez été constamment au service des élus locaux, pour faire avancer la République des territoires. C’est là quelque chose d’extrêmement important pour un grand nombre d’entre nous.

On ne saurait réduire le rôle du Conseil constitutionnel à une tâche de vérification, sous un angle exclusivement juridique, de la constitutionnalité des lois. S’il ne s’agissait que de cela on pourrait très bien mettre en algorithme des syllogismes juridiques. Ce qui est tout aussi important, c’est la délibération collective, les échanges entre des gens ayant des expériences et des origines différentes, qui évaluent ainsi la manière d’appréhender la constitutionnalité des lois votées.

En quoi votre profil, si particulier et si riche, peut-il apporter encore davantage à cette institution majeure, qui est l’un des fondements essentiels de notre Constitution ?

Mme Jacqueline Gourault. Monsieur Mazars, quand on devient juge constitutionnel, on doit mettre de côté ses convictions personnelles. C’est ce qui permet de rendre effective la collégialité qui préside à l’élaboration des décisions, même si le Conseil constitutionnel s’enrichit de la différence des profils de ses membres.

Monsieur Paris, l’indépendance est peut-être, en effet, l’un des traits de mon caractère. Quoi qu’il en soit, comme je l’ai indiqué au rapporteur, je respecterai bien entendu les règles de déport appliquées au sein du Conseil constitutionnel : si j’étais appelée à délibérer sur un texte que j’aurais contribué à élaborer – par exemple la loi 3DS –, je me déporterais immédiatement. Ayant été sénatrice pendant quinze ans, j’ai participé à l’élaboration de nombreuses lois. Même s’agissant d’un texte ancien sur lequel je me serais exprimée publiquement, je m’adresserais au président du Conseil pour savoir si la situation appelle le déport. Cela dit, la dimension collégiale de la délibération est fondamentale.

Le rôle d’équilibre du Conseil constitutionnel est très important, et j’ai bien noté votre proposition relative aux lois élaborées dans des circonstances particulières.

Monsieur Balanant, nous n’allons pas faire semblant de ne pas nous connaître… J’ai eu l’immense honneur de siéger au Sénat aux côtés de Robert Badinter, qui était encore sénateur quand je suis arrivée, en 2001. Je n’aime pas beaucoup le mot « ingratitude » ; je parlerais plutôt, quant à moi, d’un « devoir d’indépendance ».

Monsieur Orphelin, je n’ai jamais attendu de récompense au cours de ma vie. Quant au « trouble » que vous avez évoqué, la même question se pose à chaque nomination ; la mienne n’y échappe pas.

Monsieur Morel-À-L’Huissier, que ce soit en tant que parlementaire ou en tant que ministre, j’ai toujours été très attachée, dans le respect du principe d’égalité, à la reconnaissance de la différenciation. La loi organique du 19 avril 2021 élargit la capacité d’expérimentation, ce qui est un outil permettant d’aller vers la différenciation. J’ai défendu ce texte, qui a d’ailleurs été adopté très largement par le Parlement. Je suis très attachée à cette démarche, qui fait partie des libertés reconnues par la Constitution. Je ne vois pas pourquoi on reviendrait dessus. Naturellement, si je suis nommée au Conseil constitutionnel, je la défendrai. Du reste, le constituant peut décider de la conforter. Le projet de révision constitutionnelle lancé par le Président de la République, qui n’est pas allé jusqu’à son terme, visait à inscrire le principe de différenciation dans la Constitution. Sa portée était plus large que celle de la loi organique relative à la simplification des expérimentations.

Monsieur Leseul, la Charte de l’environnement fait partie des textes de référence de la Constitution, avec la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen et le Préambule de la Constitution de 1946. Par ailleurs, la Constitution évolue avec son temps et avec la société. La préoccupation environnementale est très importante.

Il y a plusieurs niveaux d’interprétation de la Charte de l’environnement. Le Conseil constitutionnel a mis en avant la préservation de l’environnement et la responsabilité des individus qui porteraient atteinte à la qualité de celui-ci, ainsi que la préservation de la santé. D’autres normes en la matière sont reconnues comme étant d’intérêt général, et donc susceptibles d’être invoquées à l’occasion d’une QPC. Enfin, le droit de l’environnement est appelé à évoluer.

Monsieur Rebeyrotte, je vous dirai très simplement que je veux servir mon pays comme je l’ai toujours fait.

Je remercie chacun d’entre vous, quelle que soit la teneur des propos que vous avez tenus – vous avez la liberté de vous exprimer comme vous l’entendez.

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. Ces deux heures d’audition, qui complétaient des échanges écrits, ont été utiles. Chacun est éclairé et nous ferons usage des pouvoirs que la Constitution nous donne en nous exprimant par notre bulletin de vote dans quelques minutes.

Madame la ministre, si votre nomination est confirmée, vous aurez devant vous neuf années, puisque l’horizon de votre mission serait 2031. C’est presque vertigineux pour nous, dont le mandat s’achève dans moins de quatre mois… C’est une responsabilité éminente que celle des membres du Conseil constitutionnel, qui consiste à s’inscrire dans la durée pour servir notre pays en essayant de concilier des exigences contradictoires. Il s’agit non pas d’être péremptoire, mais d’essayer de faire de son mieux pour concilier les exigences du droit et pour faire respecter la liberté politique, qui est au fondement de notre démocratie.

Dans notre système, le Conseil constitutionnel n’est pas l’autorité politique suprême, c’est un juge constitutionnel éminent. L’autorité politique suprême, c’est le souverain, c’est-à-dire le peuple. Celui-ci exerce sa souveraineté soit par notre intermédiaire – nous sommes les représentants du peuple – soit directement, par le référendum.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Merci beaucoup, monsieur le rapporteur. Merci à vous également, madame la ministre. Je vous laisse rejoindre nos collègues sénateurs.

Nous allons suspendre la retransmission vidéo. Je demande également au public de quitter la salle. Nous procéderons ensuite au scrutin.

 

*

*     *

 

 

À l’issue de cette audition, délibérant à huis clos, la Commission procède au vote par scrutin secret, en application de l’article 29-1 du Règlement, sur cette proposition de nomination.

Les résultats du scrutin ont été annoncés, simultanément à ceux de la commission des lois du Sénat, à 12 heures 20 :

 

 Nombre de votants : 45

 Blancs, nuls, abstentions : 1

 Suffrages exprimés : 44

 Avis favorables : 29

 Avis défavorables : 15

*

*     *

La Commission examine le bilan de l’activité de la commission des Lois sous la XVe législature et de la mise en œuvre des propositions formulées par ses missions d’information.

Après la présentation du bilan d’activité par la présidente Yaël Braun-Pivet, la Commission en autorise la publication.

Ces débats ne font pas l’objet d’un compte rendu. Ils sont accessibles sur le portail vidéo du site de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

https:ssnat.fr/EgU6xb

 

 

La séance est levée à 12 heures 25.

————


Membres présents ou excusés

 

Présents. - M. Jean-Félix Acquaviva, M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Erwan Balanant, M. Olivier Becht, M. Ugo Bernalicis, M. Florent Boudié, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Xavier Breton, M. Jean-Louis Bricout, Mme Blandine Brocard, M. Vincent Bru, MmeÉmilie Chalas, M. Éric Diard, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Jean-Michel Fauvergue, Mme Isabelle Florennes, Mme Camille Galliard-Minier, M. Raphaël Gauvain, M. Philippe Gosselin, M. Victor Habert-Dassault, M. Dimitri Houbron, M. Sacha Houlié, M. Sébastien Huyghe, Mme Élodie Jacquier-Laforge, Mme Catherine Kamowski, M. Guillaume Larrivé, M. Philippe Latombe, M. Gérard Leseul, Mme Marie-France Lorho, M. Stéphane Mazars, Mme Emmanuelle Ménard, M. Ludovic Mendes, M. Jean-Michel Mis, M. Paul Molac, M.Pierre Morel-À-L'Huissier, Mme Naïma Moutchou, Mme Valérie Oppelt, M. Matthieu Orphelin, M. Didier Paris, M. Pierre Person, M. Stéphane Peu, M. Jean-Pierre Pont, M. Éric Poulliat, M. Bruno Questel, Mme Valérie Rabault, M. Rémy Rebeyrotte, M. Thomas Rudigoz, M. Jean Terlier, Mme Alice Thourot, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, Mme Laurence Vichnievsky, M. Guillaume Vuilletet, M. Jean-Luc Warsmann

Excusés. - M. Ian Boucard, Mme Marie-George Buffet, M. Éric Ciotti, M. Philippe Dunoyer, Mme Paula Forteza, M. Guillaume Gouffier-Cha, M. Mansour Kamardine

Assistaient également à la réunion. - Mme Caroline Abadie, Mme Marietta Karamanli