Compte rendu

Mission d'information
de la conférence des présidents
sur la résilience nationale

– Audition de M. Jean-Marie Le Guen, président de Résilience France et de M. Christian Sommade, délégué général 2

 Présences en réunion.................................15


Mercredi
3 novembre 2021

Séance de 17 heures 15

Compte rendu n° 47

session ordinaire de 2021-2022

 

Présidence de
Mme Sereine Mauborgne,

Vice-présidente de la mission d’information
 


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MISSION D’INFORMATION DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉSILIENCE NATIONALE

Mercredi 3 novembre 2021

La séance est ouverte à dix-sept heures quinze

(Présidence de Mme Sereine Mauborgne, vice-présidente de la mission d’information)

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Mme la présidente Sereine Mauborgne. Résilience France est la nouvelle dénomination du Haut Comité français pour la résilience nationale, lui-même héritier du Haut Comité français pour la défense civile créé en 1982 par Pierre Billotte et Maurice Schumann.

L’existence de Résilience France n’avait pas échappé à notre mission d’information. Nous avons jugé préférable de vous entendre alors que nos travaux sont déjà avancés. Vous nous expliquerez l’histoire de votre association, son mode de fonctionnement, l’étendue de son champ d’intervention. Nous serons également heureux d’échanger avec vous sur la conception de la résilience que vous développez, sur les modes d’action que vous préconisez et sur le regard que vous portez sur les travaux de notre mission d’information.

Monsieur le président Jean-Marie Le Guen, vous êtes ici chez vous puisque vous avez été longtemps député de la neuvième circonscription de Paris, celle dont notre collègue M. Buon Tan, membre de la mission d’information est aujourd’hui l’élu. Vous avez ensuite été secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.

M. Jean-Marie Le Guen, président de Résilience France. Je suis président de Résilience France depuis dix-huit mois. En tant que parlementaire, j’ai eu l’occasion de travailler avec le Haut Comité français pour la résilience nationale dans les années 1990 et 2000. Nous réfléchissions alors aux problématiques de pandémie. Nous avons mené une mission après l’épidémie de SRAS et nous sommes intervenus auprès des pouvoirs publics et du Président de la République pour insister sur la nécessité de se préparer à des risques pandémiques. La présidence avait alors répondu favorablement et de manière proactive. C’est ainsi que furent réactivés les premiers plans face aux risques pandémiques en 2004-2005. D’autres événements ont amené à une évolution pas nécessairement positive des postures de préparation de l’État.

Le Haut Comité français pour la défense civile est né dans un contexte de guerre froide. La problématique était celle de la nécessité d’organiser la défense civile face à un risque nucléaire existant. Le sénateur Maurice Schumann et le général Pierre Billotte, député du 12e arrondissement de Paris, se sont mobilisés autour de cette problématique. En effet, certaines réflexions stratégiques soulevaient la question d’une défense civile face au nucléaire et de l’acceptation d’une éventuelle première frappe sur le territoire national.

L’association a évolué vers une approche plus générale des risques, en insistant sur ceux liés à des confrontations d’ordre militaire, de souveraineté nationale ou de défense nationale, mais également sur les risques industriels et biologiques. Elle a toujours fonctionné en articulation forte avec le Parlement – le Sénat y tient un rôle important – des collectivités territoriales, des entreprises principalement concernées, des acteurs de l’État et des experts intéressés par ces questions. Il est désormais plus difficile d’entretenir des relations avec le Parlement et notamment avec les députés pour des raisons de compliance, c’est-à-dire d’éventuels conflits d’intérêts. Les députés hésitent davantage à s’impliquer dans notre association. C’est la raison pour laquelle il a été fait appel à un ancien parlementaire pour animer Résilience France.

Nous travaillons avec le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), qui a longtemps été un partenaire prioritaire de notre structure. Nous lui remettons actuellement un rapport dans le cadre de la réflexion menée par les pouvoirs publics. Cette dernière aura à s’articuler avec votre mission.

Nous sommes depuis plusieurs années les porteurs d’un label résilience visant à reconnaître et à promouvoir les collectivités territoriales qui adoptent des dispositifs de résilience : le Pavillon orange. Mme la ministre Barbara Pompili a repris l’idée de ce label dans sa politique de mise en place d’une culture de la résilience. Nous discutons actuellement avec son ministère pour que notre label devienne un label de reconnaissance pour l’ensemble des collectivités territoriales. Nous souhaitons également que des politiques cohérentes soient menées au niveau européen. Nous travaillons notamment à un projet appelé Community Resilience Assessment Label (CORAL) qui reprend la politique du label avec les autorités européennes.

M. Christian Sommade, délégué général de Résilience France. Le terme de « résilience » est aujourd’hui galvaudé. En effet, il est régulièrement utilisé sans que nous ne sachions le paramétrer en fonction des sujets traités. J’ai intégré des définitions du concept de la résilience individuelle versus celui de la résilience collective. Concernant les formes de la résilience, il est ici question de résilience organisationnelle, c’est-à-dire de la capacité à absorber un choc, avec des techniques que sont l’analyse du risque, la planification, la prévention, la préparation, la veille, l’alerte, la gestion de crise, la continuité de l’activité, la post-crise, le retour d’expérience. La résilience structurelle est davantage liée, quant à elle, aux changements et aux adaptations de notre société. Elle concerne, par exemple, le changement climatique. Dans de tels cas, il est question d’anticipation, de prospective des scénarios, d’effets cascade, ou encore de crises systémiques. La résilience structurelle a également trait à la réduction des vulnérabilités et à l’adaptation dynamique aux changements environnementaux et sociétaux. Lorsque nous établissons un plan, nous le pensons avec les moyens du jour, pourtant il ne sera pas mis en application immédiatement mais dans cinq ou dix ans. Cela exige un concept de révision dynamique de la planification qui existe peu aujourd’hui et qui fait défaut. La prise en compte de ces deux éléments liés à la résilience en permet la planification.

Il existe différentes sortes de résiliences : technique, des matériaux, écologique, psychique, ou encore psychologique, chère au professeur Boris Cyrulnik. Il importe, en matière de résilience, de parler de valeurs intrinsèques nécessaires à l’approche de ces questions et des valeurs positives et objectives. Au travers des politiques de résilience, nous recherchons la réduction de l’impact humain occasionné par des désastres et la réduction du coût des catastrophes – ce sont les objectifs des Nations unies, autour de la Disaster Risk Reduction Policy. En effet, les crises engendrent du stress et posent des problèmes de différentes natures. Nous entendons également insuffler une dynamique de progrès face à la complexité et au risque. À mon sens, il s’agit de disposer d’une assurance sociétale face au risque. Nous ne pouvons pas tout gérer, la technologie progresse rapidement, tandis que la population développe une peur du lendemain. Les politiques de résilience peuvent constituer des balances ou des contre-aspects à ces risques. Les rapports bénéfice-coût sont importants. Ainsi, les Nations unies suggèrent un rapport d’un à six en matière de prévention des risques, mais il n’existe pas d’étude macro-économique sur des politiques de résilience globale. Il serait possible d’atteindre des résultats encore bien supérieurs, de l’ordre de dix ou vingt. Des recherches dans ce domaine seraient toutefois un préalable.

La situation de la France en matière de gestion des grands risques intéresse votre mission d’information. J’ai repris une présentation que j’avais faite pour l’inspection générale de l’administration, à sa demande en janvier 2019. Elle évoque les dix scénarios « méga catastrophiques » ou « méga chocs », soit des situations dont le coût économique est de l’ordre de 50 à 100 milliards d’euros minimum. Il s’agit par exemple de crue centennale de la Seine ou de la pandémie de covid-19. Nous essayons de dégager de ces dix scénarios les points forts de la culture française de gestion du risque, mais aussi les points faibles. Parmi ces points forts, nous pouvons citer l’existence en France d’un cadre juridique puissant ; de grandes ressources publiques civiles et militaires – bien que celles-ci aient tendance à se restreindre – ; d’un système de santé professionnel – même s’il demeure limité quantitativement. Nous bénéficions également d’une forte présence territoriale de l’État – même si, sur certains plans de sécurité civile et de planification, nous constatons des faiblesses au niveau territorial – ; d’une grande proximité du citoyen avec un échelon public ; d’un système de commandement unique ; de grands opérateurs d’infrastructure ; d’un système européen de protection civile ; et d’un bénévolat large et généreux avec 80 000 bénévoles œuvrant dans le domaine du secours et 200 000 bénévoles dans les associations sociales. Ces derniers éléments traduisent une solidarité sociétale forte. Néanmoins, nous avons également des points faibles. Ainsi, notre culture est régalienne et peu sociétale concernant les démarches de gestion de crise. Si nous disposons d’une culture de prévention technique, nous effectuons peu de préparation aux situations d’exception par la planification et les exercices. Nous avons ainsi une culture qui est davantage basée sur la réaction, sur laquelle on dépense beaucoup, et très peu sur l’anticipation, sur laquelle on ne dépense pas. On dépense beaucoup d’argent pour pas grand-chose. Nous avons un système pyramidal très hiérarchisé mais des moyens limités, notamment en cas de gestion de crise dégradée, comme on l’a vu outre-mer. Une culture de l’homme providentiel plus que des équipes, souvent incarnée par le préfet. Il est l’alpha et l’omega de la gestion de crise et ce n’est pas possible. Nous avons des process minimum, nous écrivons peu, nos plans demeurent particulièrement légers en comparaison de ceux d’autres pays, notamment anglo-saxons. Nos exercices confinent à la démonstration. Notre mémoire est faible. Il existe un fort turn-over des personnels qui n’engage pas à la capitalisation. Enfin, les collectivités et les entreprises sont peu incluses dans le dispositif de gestion de crise publique, ce qui engendre une méfiance de la population sur ces sujets.

À partir de ces constats, nous formulons des propositions dont la première est la nécessité de construire des doctrines, des plans, des scénarios extrêmes sur lesquels il est essentiel de concentrer une réflexion. En cas de situation dégradée, une nouvelle approche s'avère primordiale par rapport à la planification traditionnelle. Nous n‘avons rien sur la planification extrême. Le boulot de la résilience est de voir tout en noir.

M. Thomas Gassilloud, rapporteur. Nos échanges seront riches, car vous traitez du sujet de notre mission d’information. Vous bénéficiez d’une profondeur temporelle qui vous offre un regard singulier sur un sujet qui est désormais d’actualité. Nous pouvons considérer cette audition comme une prise de contact afin de cheminer ensemble pour construire une stratégie française de résilience.

Lors d’une récente discussion avec des membres du ministère de la défense, ceux-ci m’ont indiqué que penser une stratégie de la résilience revenait à reconnaître que nous ne disposions plus de la puissance. Je m’inscris en faux contre cette idée, car nous pouvons être attaqués et faire face à des problèmes d’attribution, c’est-à-dire ne pas être en mesure d’identifier la provenance de l’attaque. Il est également envisageable que nous ne soyons pas en mesure de réagir. Au-delà de la menace géostratégique, il existe d’autres risques auxquels nous sommes confrontés. Notre société est affaiblie car plus dépendante à la technologie, aux flux, et nous en avons eu un avant-goût avec la crise sanitaire. Par ailleurs, nous devons penser l’hybridation des risques et le retour de la haute intensité des conflits majeurs. Si nous sommes confrontés à un ennemi lointain géographiquement parlant, le territoire national sera tout de même impacté. Or, l’armée pourrait se révéler insuffisante en cas de défaut de la population. Ces éléments démontrent l’urgence de travailler sur ces questions de résilience.

Votre travail est d’ores et déjà avancé. En quoi notre mission d’information peut-elle être utile au pays ? Qu’en attendez-vous à titre personnel ?

M. Jean-Marie Le Guen. La culture de la résilience doit être diffuse. Nos concitoyens comme les pouvoirs publics doivent considérer la problématique de la résilience comme un impératif moral. Il est nécessaire que les pouvoirs publics cessent d’avoir une vision régalienne articulée autour de l’autorité et s’engagent vers une dynamique davantage collaborative. Il faut comprendre que la résilience n’est pas uniquement le fait de l’État mais aussi de la société et donc de l’individu, des collectivités territoriales et de l’ensemble des communautés. L’idée et la problématique qu’il peut y avoir des chocs et que nous sommes dans une société complexe qui peut amener les risques à se multiplier doivent être portées par tous. En outre, l’introduction de cette problématique collaborative devra s’accompagner d’une réflexion sur la transformation de l’État. Ce dernier doit certes faire preuve d’autorité et de décision, mais il est primordial qu’il sache également occuper le rôle d’animateur des congruences des résiliences de la société.

En 2009, dans cette même salle, se réunissait une mission d’information sur le retour d’expérience de la crise pandémique grippale. J’étais membre de cette mission. Il était alors impossible de contester le fait que, par définition, ce qui avait été fait était grotesque et ridicule. J’étais moi-même très critique sur la manière dont la crise avait été gérée mais, il n’existait aucun recul sur l’idée qu’il était légitime de se préparer et qu’il peut y avoir des préparations qui ne servent à rien à un moment donné. Les conclusions tirées de cette mission sont d’ailleurs partiellement erronées. N’oublions pas que l’opinion publique et les parlementaires portaient un regard unilatéral sur la question, « tout ça ne sert à rien », alors qu’il aurait été préférable d’avoir un vrai retour d’expérience qui ne soit ni le lieu de la polémique ni celui de l’autosatisfaction.

Nous devons progresser sur la culture du retour d’expérience nécessaire au bon fonctionnement de notre pays.

M. Christian Sommade. Le Parlement a toute sa place dans la définition de la politique de résilience française. Bien que l’État occupe les fonctions de conception et d’exécution, le Parlement a, quant à lui, une fonction d’incitation, de proposition et de contrôle. Votre mission intègre cette dynamique.

Il est important d’avoir les idées claires, le terme de « résilience » est galvaudé et induit une certaine confusion. Il est nécessaire de faire preuve de pédagogie sur cette terminologie. La résilience est une fusion de nombreuses politiques publiques. Nous pourrions imaginer que certains projets de loi disposent d’un label résilience. Les notions de fléchage et de politiques cohérentes et globales demeurent primordiales. Dans ma présentation, j’ai souhaité insister sur le concept de décision résiliente. En effet, la résilience à un coût financier. Dans le cas d’une entreprise, il s’agit de disposer de plus de stock et de personnel, cela signifie des coûts supplémentaires, mais qui sont acceptés au regard de la criticité de l’action. Ce critère devrait aussi permettre de qualifier des entreprises avec des règles comptables ou des budgets d’investissement fléchés résilience, avec des dispositifs fiscaux ou des financements particuliers. Si nous n’engageons pas de frais, il n’y aura pas de changement. Il convient de mettre en place une véritable politique globale qui n’existe pas encore.

Concernant la résilience en matière de défense nationale, il est certain que l’abandon du service militaire éloigne la population générale des questions de défense. Cependant, ce sujet demeure important en termes de sécurité du pays. Un travail doit être entrepris quant aux réserves citoyennes ou opérationnelles, qui constituent des composantes essentielles, des forces, et une permanence. Elles représentent aussi un coût.

M. Jean-Marie Le Guen. Il existe une culture régalienne extrême du secret et de la confidentialité qui n’est pas toujours justifiée. Le Parlement doit être en capacité de choisir ce qui doit être transparent ou non. Les risques sont divers et touchent à des éléments très complexes. Or le rôle du Parlement doit être intense sur ces sujets, car nous touchons là à l’arbitrage entre le court et long terme et l’exécutif, par définition, est exposé en permanence à la tentation du court terme.

M. Thomas Gassilloud, rapporteur. Nous n’avons pas souvent l’occasion d’échanger avec d’anciens responsables politiques. Vous avez évoqué une culture régalienne et non sociétale, et finalement, l’héritage d’un État fort, réputé tout savoir faire, d’un État providence ne nuit-il pas le plus à la résilience en France ? C’est ce qui fait qu’on retrouve des touristes en baskets sur le mont-Blanc parce que, si j’ai un problème, les pompiers viendront, et ce qui fait que, quand les carburants augmentent, tout le monde se tourne vers l’État en disant « vous ne faites rien ». Ce n’est pas nouveau d’ailleurs, Lionel Jospin disait déjà « l’État ne peut pas tout », et l’opinion publique n’avait pas accepté ces propos. On a cette culture d’un État omnipotent et omniprésent. Selon vous, la population est-elle prête à entendre que, parfois, les capacités de l’État peuvent être dépassées et qu’on a besoin d’associer plus largement les uns et les autres pour faire face à des situations extrêmes ? Existe-t-il des visions différentes de la résilience en fonction de la sensibilité politique de chacun ?

M. Jean-Marie Le Guen. Je pense qu’il y a une évolution de la société, une maturité d’une partie de la population qui lui permet d’entendre un certain type de discours. Étant entendu que l’État doit aussi être ouvert à ce type de discours.

Notre État peut avoir tendance à conserver les problématiques en son sein, comme une sorte d’État profond. Il se place au-dessus de la société en se pensant le seul défenseur. Lors de la campagne de 2009 contre la grippe H1N1, l’État avait pris la main sur des dispositifs préalables qui étaient sociétaux. La militarisation du projet a été rejetée en masse par la société, d’autant plus que l’épidémie n’a pas été à la hauteur de ce qui était craint. Par conséquent, la réaction de l’opinion publique était à la mesure d’une intervention particulièrement dure de la part de l’État. L’écartement des médecins libéraux traduisait d’ailleurs ce phénomène. Tout n’est pas faux dans la prise de position et l’existence d’un État régalien. La nature du débat politique implique que les représentants politiques sachent répondre à tous types de questions et de sollicitations. Or il est nécessaire de prendre du recul par rapport à certains points, il faut pouvoir répondre qu’il n’y a pas forcément une réponse immédiate à tout. Cela demande du doigté et de la pédagogie.

Concernant la sensibilité politique, c’est indiscutablement le cas. Certains pensent que les problèmes découlent de la responsabilité individuelle – et non pas de la responsabilité sociétale – et d’autres considèrent que tout émerge de l’État. Nous militons pour une résilience sociétale. Cependant, celle-ci demeure impossible sans qu’une réflexion, y compris scientifique, ne soit entreprise concernant les raisons pour lesquelles des discours rationnels et structurés ne sont pas acceptés par certaines franges de la population. Derrière cela, il n’y a pas que des gens qui ne savent pas, il y a des conceptions d’ordre social, psychologique, qui renvoient à des visions politiques de la société, notamment des formes d’anarchisme qui surgissent. Il y a là matière à études sociales et psychologiques et à une réflexion politique à avoir Cela montre d’ailleurs que, désormais, les cadres politiques sont profondément transformés par rapport aux repères classiques bousculés par le surgissement de questions de société.

M. Christian Sommade. Vous évoquez les plans communaux de sauvegarde. Les maires considèrent que le préfet sera amené à prendre la relève en cas de crise d’ampleur. Pour le citoyen, c’est pareil, il appelle le maire quand cela ne va pas. On est toujours dans une situation où quelqu’un va venir nous aider, or dans une crise générale il n’y a plus tout ça et les gens ne savent pas se débrouiller tout seuls. Cet exemple illustre la nécessité de développer la culture du risque dans notre pays. Elle constituera un lien social important au moment critique. Cela implique des éléments fondamentaux comme 72 heures d’autonomie alimentaire et de produits de première nécessité.

Aux États-Unis, les problèmes que rencontre actuellement la Federal Emergency Management Agency (FEMA) sont de l’ordre de la résilience financière. Les Américains étant pour beaucoup rémunérés de manière hebdomadaire, ils n’ont aucune résilience financière en cas de crise. En l’absence de couverture sociale, la FEMA les prendra en charge socialement. Ce type de procédure témoigne des liens entre la structure sociale et la gestion de la catastrophe. En France, notre population a l’habitude que les assurances prennent le relais en cas de catastrophe climatique par exemple. La responsabilité est décorrélée. Dans ce cadre, un travail important s'avère nécessaire, il faut responsabiliser davantage la population au regard des risques qui nous attendent. Pour autant, il appartient aussi à l’État d’aider la société en cas de choc, d’assister les populations sinistrées et de reconstruire les dispositifs

M. Jean-Marie Le Guen. Ce type de discours est profondément anxiogène et peut créer des réactions politiques de refus ou d’évitement. Un des traits dominants de la société française demeure d’être travaillée par des angoisses puissantes qui aboutissent à des comportements divers et problématiques.

Mme Carole Bureau-Bonnard. Je vous remercie pour vos propositions de travail collaboratif. Il est dans notre intérêt de savoir à quoi nous pourrons être utiles ensuite.

Je vous rejoins quant à la responsabilité que nous devons endosser à l'égard des générations actuelles et futures. Nous avons été élevés avec la conscience d’un État providence et quelques personnes oublient que nous pouvons régler des problèmes par nous-mêmes ou du moins être force de proposition. Notre culture est rarement celle de la prévention, quel que soit le domaine. La mise en place d’exercices en entreprise sur le modèle de ceux qui existent dans les écoles pour répondre à différents risques ne devrait-elle pas être envisagée ? Nous pourrions également organiser des journées d’appréhension des risques pour savoir quelles sont les informations et comment les véhiculer pour qu’elles soient audibles par nos citoyens.

Quelles sont vos propositions pour accroître la réactivité de la population ?

M. Jean-Marie Le Guen. La prise de conscience qui s’effectue sur le changement climatique devrait permettre, sous des formes localisées, de mener des exercices en grandeur réelle. La région parisienne pourrait se poser la question de la crue centennale de la Seine. Nous pourrions accepter de construire des exercices sous forme de jeux, d’autant qu’il y a beaucoup de jeux virtuels et que cela correspond à une culture actuelle. Ces exercices existent pour les professionnels, il y a des simulations d’attentat par exemple au métro Invalides. Pourquoi ne pas élargir ce champ ?

Dans le département des Landes, les problèmes d’incendie pourraient mener à créer des jeux qui simuleraient des risques d’incendie. Je milite avec le professeur Serge Uzan, qui souhaite créer un centre de crise, d‘apprentissage de la crise et de virtualisation de la crise à l’hôpital universitaire de la Pitié-Salpêtrière, sur la problématique de l’attentat. Cet établissement a été particulièrement sollicité lors des attentats du 13 novembre 2015. Le professeur Serge Uzan souhaite mener une réflexion pour former le personnel et effectuer la congruence entre les différents services : ambulanciers, sapeurs-pompiers, police, services hospitaliers etc. Il existe donc des initiatives. Vous avez raison de suggérer la mise en place d’exercices qui mobiliseraient la population, en s’appuyant notamment sur les problématiques dites d’adaptation au changement climatique, auxquelles la population est très sensible.

M. Christian Sommade. Il existe une journée mondiale sur ce sujet le 13 octobre. Elle demeure peu développée en France.

La participation des citoyens aux exercices avec les professionnels est envisageable et prometteuse, mais elle n’a jamais été réalisée, justement parce que l’État fait les choses dans son coin. Prenons l‘exemple des plans particuliers d’intervention (PPI) nucléaires, dont nous avons étendu le périmètre à 20 kilomètres, ainsi que les zones d’évacuation. Cela représente 20 millions de personnes. Or la préparation des populations autour des sites nucléaires demeure catastrophique. La population n’est pas impliquée et elle n’est pas préparée. À ce sujet, vous pourriez solliciter les commissions locales d’information (CLI) sur le nucléaire. Il y a de nombreux sujets comme celui-ci et c’est la même chose pour la crue de la Seine, parce que nous n’expliquons pas les enjeux. Les Parisiens ignorent qu’aucun pont ne sera praticable lors de la crue centennale de la Seine. Bien sûr que c'est anxiogène de le dire, mais c’est parce que la situation est anxiogène. La résilience n’est possible qu’avec un langage de vérité et de transparence. Il faut être anxiogène si on veut que les gens s’occupent de leurs problèmes de résilience et il est nécessaire de fournir les informations pour permettre la résilience. C’est en tout cas mon avis.

M. Jean-Marie Le Guen. Nous pourrions déjà prendre en charge la préparation des risques d’ores et déjà repérés par la population. Il faut une pédagogie, il s’agirait de parler de la crue centennale de la Seine avant d’évoquer d’autres risques. De l’imagination et de la volonté sont nécessaires pour introduire ce type d’attitude dans le vécu.

M. Buon Tan. Mes questions sont pragmatiques. Existe-t-il d’autres organisations, des think tanks ou des instituts de recherche, qui travaillent sur le même sujet ? Travaillez-vous en réseau avec eux ? Des éléments sont-ils d’ores et déjà proposés dans d’autres pays ? Pourrions-nous les adapter au nôtre ?

Comment travaillez-vous sur les chocs importants qui ne sont jamais intervenus ? Quels sont vos paramètres et vos critères de simulation ?

Vous avez parlé d’impliquer et de former les gens. Je pense qu’il faut effectivement le faire à tous les échelons car je ne vois pas quel est l’intérêt d’avoir des hôpitaux très bien équipés alors que les enfants ne savent pas se mettre sous les tables en cas de tremblement de terre comme cela se fait au Japon, ce qui permet de limiter le nombre de personnes à sauver. Que préconisez-vous donc pour une efficacité totale et globale ?

M. Christian Sommade. Nous manquons de doctrine. Aux États-Unis, un pays qui écrit beaucoup parce qu’il planifie beaucoup, il existe le National Response Framework Plan, qui est l’organisation de l’État en crise comprenant tous les scénarios essentiels. Ensuite, il y a des systèmes de gestion de la crise, les Incident Command Systems. Le processus est davantage développé architecturalement, intellectuellement et structurellement parlant. On ne verrait pas, comme nous l’avons vu pendant la crise, des organisations changer du tout au tout en vingt-quatre heures : les gens ont été formés pendant des années sur des structures, sur des moyens, sur des capacités. Il est donc important de rédiger une doctrine et qui ne soit pas uniquement intellectuelle. Elle devra également être organisationnelle, technique et déclinable afin de s'avérer opérationnelle. Il s’agit d’un véritablement sujet d’intérêt, car aujourd’hui nous ne disposons pas de textes très précis, par exemple de textes ou de recueils définissant un centre opérationnel départemental. Des guides méthodologiques existent, mais ils sont peu structurés par rapport à d’autres pays.

Concernant les think tanks, il en existe peu comme le nôtre. Notre structure est petite, avec cinq permanents et deux stagiaires. Pour qualifier les crises, nous avons créé une grille de risques majeurs et, en fonction des conséquences, nous attribuons des niveaux. C’est à partir de ces niveaux que nous les qualifions dans nos veilles sur les risques. Trois personnes travaillent sept jours sur sept sur une veille permanente sur les risques en France et à l’international, que nous publions sur une plateforme dynamique. Environ quarante articles sont sélectionnés sur les supports français et une trentaine à l’international. Nous disposons également de plateformes qui nous permettent de suivre dynamiquement les crises avec des systèmes automatiques liés aux réseaux sociaux ou à la cartographie. Nous avons travaillé cette qualification en profondeur.

Il y a donc peu de think tanks mais il existe des instituts de recherche, souvent universitaires, tels que l’École polytechnique de Milan ou encore la Fraunhofer Gesellschaft en Allemagne.

M. Jean-Marie Le Guen. En France, même au plan académique, l’approche de cette problématique n’est pas structurée. Il existe des travaux dans les écoles d’ingénieurs sur ce qui s’y rapporte, mais l’académie du risque n’existe pas.

M. Christian Sommade. Effectivement, le problème est que ce domaine est sectorisé. Chaque structure dispose de son propre programme, notamment en ce qui concerne le risque industriel, comme l’École nationale supérieure des mines de Paris et celle d’Arles, qui travaillent également aux questions d’ordre organisationnel. Il existe plusieurs masters en sécurité-défense. Toutefois, il n’y a pas de cohérence d’ensemble dans les dispositifs académiques.

M. Jean-Marie Le Guen. Il n’existe ni cohérence ni transversalité. La culture de la transversalité demeure faible. À l’inverse, nous disposons d’une culture technique forte.

Mme la présidente Sereine Mauborgne. Dans le monde médical et militaire, nous avons une culture de l’évaluation des actions réalisées. Dans le domaine médical, ce sujet est permanent, mais il n’existe pas dans le monde civil – et dans le domaine politique, n’en parlons pas !

Le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) réalise une mission parallèle à la nôtre. Avez-vous été auditionné ?

M. Jean-Marie Le Guen. Nous avons été auditionnés et sollicités pour travailler sur un aspect du sujet, en l’occurrence les entreprises d’importance spécifique ou essentielle, une qualification qui a fait polémique durant la crise sanitaire. Comment aborder cette question-là et sur quels critères ?

M. Christian Sommade. Le SGDSN nous a commandé une étude concernant les opérateurs d’importance vitale (OIV), qui disposent d’un statut particulier de confidentialité. Ces derniers ont rencontré des problèmes pendant la crise sanitaire, car leurs sous-traitants n’étaient pas dotés de plans de continuité d’activité sérieux ni de structure de gestion de crise. Or ces sous-traitants ont failli dans la fourniture d’un certain nombre de services essentiels aux opérateurs d’importance vitale. La question était comment renforcer le concept d’opérateur d’importance vitale dans la supply chain.

Il existe également des activités spécifiques comme la fabrication de masques qui ne relèvent pas des opérateurs d’importance vitale, mais dont nous avons pu constater la criticité en l’absence de stock. On peut également citer les transports frigorifiques à très basse température. Ces éléments ont conduit le SGDSN à penser qu’il existe peut-être une place pour un nouveau statut d’entreprise moins contraignant, mais qui offrirait un niveau d’exigence et de sécurité plus élevé qu’aujourd’hui.

M. Jean-Marie Le Guen. La période n’est pas propice au débat d’idées serein et à la construction d’une politique à moyen terme. Pourtant vos travaux déboucheront sur des propositions. Le sujet est important, surtout lorsque nous observons le monde actuel, les changements climatiques, les risques géopolitiques, les problématiques de cybersécurité et une population soumise aux angoisses. Une réponse de politique publique s'avère nécessaire, bien qu’elle ne soit pas spontanément attendue, pour ancrer votre travail dans la réalité à venir.

Mme la présidente Sereine Mauborgne. Pouvez-vous nous préciser le fonctionnement de l’index de résilience territoriale ?

M. Christian Sommade. Dans le label, la résilience territoriale représente 400 questions pour les villes moyennes et grandes. Nous réfléchissons à un système pour les villes de moins de 1 000 habitants. Ce système fonctionne par socles qui correspondent aux demandes du plan communal de sauvegarde et aux capacités des villes, leur permettant d’obtenir des étoiles. La quatrième étoile est obtenue lorsqu’une ville dispose de trois étoiles pendant quatre années consécutives. Nous comptons de bons élèves dans ce classement. Nous espérons pouvoir développer ce système avec l’annonce du ministère de l’écologie et davantage de moyens, car nos moyens sont limités. Cela fait dix ans que l’on porte cela et même si nous avons de bons élèves, nous avons du mal à convaincre les autres.

M. Jean-Marie Le Guen. Ce processus repose sur la base du volontariat. Le retour de la population est positif. Il est à l’image de la culture de la résilience naissante et non encore installée dans le débat social et politique français.

M. Buon Tan. Vous avez évoqué le système américain et sa doctrine. Pourtant, la gestion de la crise sanitaire n’y a pas été exemplaire au départ. J’ai l’impression que, justement, quand on arrive à des situations qui ne sont jamais survenues, c’est assez compliqué. Les pays qui ont traversé la crise avec le moins de dommages sont d’ailleurs ceux qui avaient été touchés par le SRAS il y a quelques années et qui ont tout de suite réagi avec de bons réflexes. Une belle doctrine ne semble pas suffire. Est-ce que ce n’est pas des exercices de grande ampleur qui pourraient enseigner aux populations de nouveaux réflexes ?

M. Jean-Marie Le Guen. Sur de nombreux sujets aux États-Unis, il est clair que l’on trouve des choses très intéressantes, notamment des procédures développées par certaines administrations. Ces pensées stratégiques sont de très haut niveau, que cela soit sur le plan technique ou politique, mais la mise en pratique ne suit pas. Cela s’explique par différentes raisons : les conflits internes puissants, l’incapacité de la population à accepter les discours, le morcellement des États… Ces éléments font qu’il y a des incapacités à appliquer les choses. Nous regardons les travaux réalisés dans les universités et instituts américains, bien que les retours d’expérience ne soient pas toujours satisfaisants.

Par exemple, la stratégie du covid zéro est potentiellement intenable. La majeure partie des épidémiologistes occidentaux indique qu’on n’arrête jamais une épidémie : on peut la retarder, la contrôler, mais elle passe. Cela ne correspond pas à la pensée politique de tous, certains pensent spontanément qu’on peut s’en exclure Il y aura toujours dans le monde une problématique d’endémie, si ce n’est d’épidémie. Nous devons réfléchir au retour philosophique et éduquer la population sur des éléments qui ne sont pas simples, comme l’idée qu’une épidémie passe toujours. Nous avons connu une crispation, en partie légitime, sur les contrôles aux frontières au début de l’épidémie. Les impératifs de gestion de crise et la manière dont on parle à la population de sujets complexes peuvent être contradictoires. C’est ainsi que nous pouvons proposer des contrôles aux aéroports tout en sachant que l’épidémie, de toute façon, passera.

Mme Carole Bureau-Bonnard. Le préfet est chargé de la gestion de crise au niveau territorial, mais, avez-vous dit, cela n’est pas suffisant. Cependant, il faut que cette culture se diffuse dans les territoires et le préfet paraît être la personne qui est en capacité de diffuser l’information dans les territoires, particulièrement aux maires. Les maires ne sont pas toujours efficaces en matière de défense, notamment de cybersécurité. Le lot d’informations était-il trop important à gérer pour la préfecture ?

Ayant un regard sur les organisations possibles en cas d’accidents particuliers, avez-vous été sollicités dès le début de la pandémie ou alors êtes-vous sollicités pour trouver des solutions à ce qui pourrait nous arriver par la suite ?

M. Jean-Marie Le Guen. Nous n’avons pas été sollicités au début de la pandémie, car les pouvoirs publics – comme nous tous – sont entrés dans la crise sans savoir ce qu’il en était. En outre, l’État a la prétention, en partie justifiée, de savoir, d’être préparé et d’être mandaté pour réagir. Je ne suis pas certain que nous aurions pu tenir de bons discours. Nous ne sommes ni épidémiologistes, ni virologues. Nous aurions uniquement pu évoquer des principes fondamentaux comme la nécessité d’associer la population.

Par ailleurs, nous sommes une petite association. La reconnaissance n’est pas simple. Il existe des crispations de l’administration.

M. Christian Sommade a évoqué les préfets au sens de la personnalisation du pouvoir. Les préfectures restent un lieu fondamental. Cependant, la problématique de la gestion de crise n’est pas entièrement appréhendée au niveau préfectoral. La mise en commun n’existe pas, le préfet n’est pas assisté. Il reçoit des ordres nombreux, parfois contradictoires. Or il n’est pas fondamentalement soutenu par des équipes qui peuvent répondre à ces questions de manière transversale ou pédagogique. Si nous pensons que la réponse ne repose pas que sur des individus, qu’il ne s’agit pas uniquement d’un problème d’autorité, mais d’attitudes à diffuser dans la société, il y va de la responsabilité de l’autorité du préfet mais également d’un collectif plus large.

Mme Lauriane Abriat, déléguée générale adjointe de Résilience France. Nous avons été sollicités par nos membres. Au début de la pandémie, nous avons abreuvé les entreprises d’informations synthétisées qu’ils pouvaient transmettre directement à leurs directions générales et nous en avons été remerciés. Nous avions également été remerciés pour la sensibilisation que nous avions pu faire lors de la crise H1N1. Nos stagiaires ont alimenté les bases pour le suivi de la crise, ils avaient appris à veiller ces sujets-là avec nous et nous avons donc pu soutenir le ministère de la santé avec des forces vives. Vous disposez des deux rapports que nous avons réalisés. Ils sont également diffusés sur notre site internet et sur les réseaux sociaux.

M. Jean-Marie Le Guen. Ce travail de Résilience France est unique.

Mme la présidente Sereine Mauborgne. Mme Carole Bureau-Bonnard et moi-même avons connu une expérience malheureuse concernant la réserve sanitaire, qui s’est avérée rapidement inopérante. Son outil informatique était inadapté au nombre d’inscriptions –30 000 soignants la première semaine –, parmi lesquelles nous étions sans avoir jamais réussi à être mobilisées ni l’une ni l’autre. J’ai été mobilisée par le directeur régional de mon Agence régionale de santé (ARS) et c’est là où je rejoins votre propos, M. Le Guen : lorsque deux entités de décision sont différentes et que le préfet est obligé de réaliser les réquisitions que le directeur régional de l’ARS a négociées avec les ordres, il me semble que nous faisons face à un sujet de responsabilité et d’autorité. Il faut peut-être repenser la mobilisation de ces énergies. Comment faire en sorte que chaque ministère dispose de son volant opérationnel mobilisable à tout moment ?

M. Jean-Marie Le Guen. Vous pointez un véritable problème qui devrait être souligné par les retours d’expérience. Nous avons demandé à élaborer des retours d’expérience notamment avec l’Institut Montaigne. Nous éprouvons des difficultés à obtenir la présence des différents départements ministériels. La menace judiciaire gêne considérablement le retour d’expérience. On pourrait même dire que si demain on demandait à un ministre de discuter d’un point concret, il préférera attendre les six ou sept ans d’instruction judiciaire. Les quarante inspecteurs de police qui ont débarqué chez lui à six heures du matin, ont-ils contribué à améliorer le retour d’expérience et à l’avenir des politiques publiques dans ce pays ?

Mme la présidente Sereine Mauborgne. Et avec une extinction de la procédure à la fin de la pandémie qui sera peut-être dans dix ans !

M. Thomas Gassilloud, rapporteur. Effectivement, la juridicisation de la vie politique pose un problème face à la résilience. Elle nuit à la capacité des décideurs à prendre des risques qui sont pourtant parfois nécessaires.

Par rapport à la stratégie pandémique, tout est question de dosage en matière d’adaptation de notre mode de vie. Si nous sommes un jour confrontés à un virus avec un taux de létalité plus important, peut-être que nous devrons prendre des mesures plus radicales.

Pensez-vous qu’en France la catastrophe majeure est politiquement envisagée ? Nos grands ministères ont une culture de l’urgence que ce soit le ministère des affaires étrangères, le ministère de la défense ou le ministère de l’intérieur. Et le SGDSN n’est pas un outil de commande en tant que tel mais davantage un outil de planification.

Vous nous faites part d’une faiblesse en termes de doctrine. Quand on regarde les moyens, par exemple les contrats opérationnels des armées, l’hypothèse de l’engagement majeur concerne 21 000 hommes en six mois, soit 10 % des effectifs des armées. La perception d’un État fort et la possession de la dissuasion ne nous privent-elles pas de penser l’engagement ultime ? Les pays scandinaves le font et ont pensé des plans d’engagement majeur de leur société pour faire face à leur voisin encombrant. Est-ce qu’on pense vraiment la catastrophe majeure en incluant les forces de sécurité intérieure, les OIV, les citoyens ?

J’ai appris récemment qu’il existait un ministre russe des situations d’urgence. En France, nous avons des ministères qui ont des cultures de l’urgence, mais qui pilote les situations d’urgence ? Devrions-nous disposer d’une gouvernance plus affirmée à ce sujet ?

Que signifie pour vous le changement du ministère de la défense nationale en ministère des armées, sachant que la première appellation renvoie à un périmètre plus large de la défense globale.

Quels sont les pays intéressants en matière de résilience ?

M. Jean-Marie Le Guen. Les États-Unis sont un pays intéressant de ce point de vue, de même que la Chine qui met en place un système unique.

Sur le premier sujet, M. Christian Sommade a souligné qu’il n’existait pas de préparation autour de la problématique des risques majeurs. La catastrophe systémique lourde n’est pas envisagée. Elle l’est peut-être sur certains risques, au ministère de la défense, mais je pense que le reste n’existe pas et n’est en tout cas pas élaboré avec une ouverture minimum à la société.

Sur l’organisation ministérielle en matière d’urgence, je pense qu’il faut que ces missions doivent être présentes pour partie au SGDSN, pour partie au cabinet du Premier ministre. Il s’agit d’éléments interministériels. Il n’est pas nécessaire de nommer un secrétaire d’État qui risque ne pas avoir beaucoup de poids.

La question du temps long et de la résilience n’apparaît en aucune façon dans la problématique budgétaire française. Il n’y a pas de prévention en France, car le financement de la santé provient de la sécurité sociale et, pour des raisons connues, il est soumis à l’annualité budgétaire. Évidemment, on a tendance à toujours rogner sur la prévention quand il faut satisfaire les besoins de l’année qui vient et le retour sur investissement n’est pas intégré dans la problématique. Une réflexion serait bénéfique d’un point de vue budgétaire et procédural. Ce phénomène entraîne la prolifération des lois de financement et de programme. Il existe une contradiction, car la résilience représente de l’argent, de l’investissement, du temps long, voire de l’aléatoire. Il ne me semble pas que ces dynamiques soient convenablement gérées par l’État dans son fonctionnement institutionnel. La question de l’instauration d’outils comptables, budgétaires, politiques, constitutionnels se pose.

 

La réunion se termine à dix-neuf heures.

 


Membres présents ou excusés

Mission d'information sur la résilience nationale

Présents. – Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Thomas Gassilloud, Mme Sereine Mauborgne, M. Buon Tan

Excusé. - M. Alexandre Freschi