Compte rendu

Commission d’enquête chargée de rechercher d’éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l’affaire dite Sarah Halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement

– Audition d’un témoin du voisinage......................2

 Présences en réunion...............................9

 


Mercredi
15 décembre 2021

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 43

session ordinaire de 2021-2022

Présidence de

M. Meyer Habib, Président

 


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Commission d’enquÊte Chargée de rechercher d’éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l’affaire dite sarah halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement

Mercredi 15 décembre 2021

La séance est ouverte à dix-sept heures quarante-cinq

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(Présidence de M. Meyer Habib, président)

 

M. le président Meyer Habib. Bonjour Madame. Vous êtes policière et étiez voisine de Mme Halimi. La commission souhaitait vous entendre, en tant que témoin, dont la famille était proche de Mme Halimi.

Avant de vous poser mes questions, je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme N. prête serment).

Vos parents habitaient-ils bien sur le même palier que Mme Halimi ?

Mme N. Oui. Mes parents ont emménagé en 1983 au 30 rue de Vaucouleurs. Mme Halimi est arrivée à la fin des années 1980.

M. le président Meyer Habib. Je vous propose de nous raconter les relations que vous aviez avec Mme Halimi, ainsi qu’avec l’assassin, qui habitait à l’étage au-dessous.

Mme N. Nous étions voisins de Mme Halimi depuis une trentaine d’années. Nous étions assez proches. Nous allions souvent dans son appartement, ne serait-ce que le vendredi pour lui allumer les lumières pendant le Shabbat. Elle avait une profonde relation avec mon père. C’était une femme extraordinaire, discrète et d’une très grande gentillesse. Mme Halimi regardait ses pieds quand elle marchait, elle n’embêtait personne. Ses enfants étaient inquiets, mais elle leur disait de ne pas se sentir préoccupés, car elle faisait partie du quartier.

M. le président Meyer Habib. Ces mots m’émeuvent. Je ne la connaissais pas. Au-delà des photos terribles présentes dans le dossier, j’ai vu des photos d’elle avec ses enfants et ses petits-enfants. Son visage porte toutes les qualités que vous lui donnez. Pourriez-vous parler de la famille Traoré ?

Mme N. Je n’ai pas réellement de relations avec eux.

M. le président Meyer Habib. Je vous rappelle que votre nom n’est pas connu. Je ne veux pas que vous craigniez de parler. Pour la transparence de nos travaux, il est important que vous nous parliez de cette famille, qui n’habite en outre plus dans cet immeuble.

Mme N. C’est une famille qui a connu beaucoup de problèmes. Ils ont perdu un enfant. L’un de leurs enfants est handicapé. La mère était assez respectueuse. Kobili me faisait peur, comme à Mme Halimi. Si j’arrivais au 30 rue de Vaucouleurs et qu’il était là, il claquait la porte. Je pense que c’était en raison de mes fonctions. Je suis policière dans le 11e arrondissement.

M. le président Meyer Habib. Il vous faisait peur, alors que vous êtes policière ?

Mme N. J’ai grandi dans un quartier où il y avait beaucoup de dealers dans la rue, mais ils ne m’ont jamais fait peur. Ils ne se préoccupaient ni de moi ni de mes sept frères et sœurs. Nous étions assez discrets. M. Traoré était le seul qui me faisait peur.

M. le président Meyer Habib. Ses sœurs vous faisaient-elles également peur ?

Mme N. Elles suscitaient le même sentiment. Cette famille n’était pas très agréable, ni très éduquée.

M. le président Meyer Habib. Est-ce la raison pour laquelle nous avons rencontré des difficultés à vous auditionner ?

Mme N. Non.

M. le président Meyer Habib. Pourquoi aviez-vous des réticences à venir témoigner ?

Mme N. Je crains quelque peu d’être reconnue dans le quartier.

M. le président Meyer Habib. Selon le témoignage d’un témoin et d’une personne travaillant au consistoire, qui est l’une de vos amies, vous auriez dit à votre frère la veille du drame de ne pas dormir chez vos parents parce que vous auriez eu un mauvais pressentiment.

Mme N. C’est une coïncidence. Mon frère devait dormir chez mes parents, mais j’ai préféré qu’il reste avec moi. Il n’y a aucun lien avec l’affaire. J’ai encore du mal à concevoir ce drame.

M. le président Meyer Habib. J’ai entendu les paroles de sincérité, d’amitié et de respect que vous aviez pour cette dame. Quand avez-vous appris ce drame ?

Mme N. Lorsque je suis sortie en me réveillant, la rue était fermée. J’ai rencontré le gardien qui m’a dit que Mme Attal avait été tuée. J’ignorais que c’était le nom de jeune fille de Mme Halimi. Au commissariat, où je me suis rendue pour travailler, j’ai vu les enfants Halimi à l’heure du déjeuner.

M. le président Meyer Habib. Je crois aussi que vous avez consulté la main courante informatisée pour en savoir plus.

Mme N. Non.

M. le président Meyer Habib. Le procès-verbal de votre audition l’indique : « Des collègues m’ont dit qu’un drame avait eu lieu dans la rue. J’ai appelé la gardienne de l’immeuble. » Puis, plus loin, mais vous l’avez sans doute oublié : « j’ai consulté la main courante informatisée pour en savoir plus. De retour du déjeuner vers 15 heures, alors que j’étais en compagnie du commandant, j’ai constaté que dans le hall du commissariat se trouvaient les enfants Halimi. » Avez-vous souvenir, la veille, d’avoir parlé des peurs de Mme Halimi ?

Mme N. La veille, ou en tout cas peu avant l’incident, j’ai eu une discussion à l’angle de la rue Vaucouleurs et de la rue de l’Orillon avec Mme Sarah Halimi, qui avait son chariot, et qui disait qu’elle avait peur de M. Kobili.

M. le président Meyer Habib. C’est extrêmement important. Vous êtes policière, assermentée, vous parlez sous serment, et vous avez le souvenir que quelques jours avant, à l’angle de ces deux rues, Mme Halimi disait avoir peur de Kobili Traoré.

Mme N. Oui, elle s’en plaignait. Ce n’était pas la première fois.

M. le président Meyer Habib. C’est exactement ce qui vient de nous être dit dans l’audition précédente.

Mme N. C’était juste avant les faits. Elle disait simplement « j’ai peur ». Elle ne donnait pas de détails. « Quand il passe, je me mets sur le côté ». Elle ne m’en a jamais dit plus.

M. le président Meyer Habib. Avait-il peur de vos parents ?

Mme N. Non, mais Mme Halimi se sentait en sécurité lorsqu’ils étaient là. Elle m’avait dit que leur absence ne la rassurait pas.

M. le président Meyer Habib. Dans le reste de votre audition, vous indiquez : « je me suis mise à l’écart pour appeler Mme Wittenberg qui a travaillé à la synagogue de la Roquette. Elle aide les gens de la communauté juive et je précise que c’est une amie ». Quels sont vos rapports avec Mme Wittenberg ?

Mme N. C’est une amie. Étant donné que les enfants de Mme Halimi ne comprenaient pas ce qui se passait, j’ai voulu les aider.

M. le président Meyer Habib. Pour vous, les enfants Traoré étaient-ils antisémites ? Vous êtes pour votre part de confession musulmane. Un esprit d’entente régnait globalement dans l’immeuble, à l’exception d’une famille.

Mme N. Il est difficile de répondre à cette question. Je ne crois pas avoir senti d’antisémitisme dans le quartier.

M. le président Meyer Habib. Tout le monde savait qu’elle était juive, n’est-ce pas ?

Mme N. Oui. D’autres familles juives habitent dans l’immeuble.

M. le président Meyer Habib. C’est ce qui nous a été rapporté dans la précédente audition, avec la précision que Mme Halimi avait l’apparence d’une juive pratiquante : elle portait une perruque, était orthodoxe, n’avait pas la télévision. Vous nous racontez que vous lui allumiez la lumière ou que vous lui ouvriez la porte pendant le Shabbat.

M. François Pupponi. M. Traoré connaissait les relations amicales entre vos deux familles. Il nous a été dit « si mes parents avaient été là, peut-être que le drame ne serait pas arrivé. » Pensez-vous que ce soir-là, M. Traoré savait que vos parents étaient absents ?

Mme N. Oui. Il devait savoir que l’appartement était vide.

M. le président Meyer Habib. C’est une excellente question. Il a été interpellé la veille par une policière que nous avons auditionnée. Saviez-vous qu’à une heure du matin, il a commencé à hurler « Allah akbar » dans la cour, deux heures avant de commencer son périple chez les voisins ? Connaissez-vous les Diarra ?

Mme N. Je les connais seulement de vue.

M. le président Meyer Habib. Ils ont immédiatement appelé la police et envoyé le trousseau de clés et le passe de l’immeuble aux policiers à leur arrivée. Avez-vous été étonnée de ne pas avoir été auditionnée par la juge d’instruction ?

Mme N. Je ne suis pas étonnée, car je n’étais pas là et je n’ai pas assisté à la scène.

M. le président Meyer Habib. Il est vrai que ce n’est pas aussi clairement exprimé dans le procès-verbal. M. Attal a indiqué à plusieurs reprises que lorsqu’il était interrogé par la police, le policier ne voulait pas retranscrire scrupuleusement tout ce qu’il disait. Vous nous dites qu’il savait que vos parents n’étaient pas là, et que Mme Halimi vous a fait part quelques jours auparavant de sa peur.

Mme N. Elle s’en est plainte souvent, mais ne m’en a jamais expliqué les raisons.

M. le président Meyer Habib. Pensez-vous qu’elle était rassurée parce que vous étiez policière ?

Mme N. Oui.

M. le président Meyer Habib. Nous avons compris qu’elle n’était pas une personne qui serait allée porter plainte.

Mme N. En effet.

M. le président Meyer Habib. Que pourriez-vous dire de ses filles et de son fils ?

Mme N. Ils sont très respectueux, polis et éduqués, à l’image de leur mère.

M. le président Meyer Habib. Vous habitez dans l’immeuble. Des hurlements ont été rapportés par des témoins. Chacun sait que M. Traoré a commencé à réciter des sourates du Coran, y compris des parties faisant allusion à la mort de juifs, des Allah akbar, puis s’est rendu chez Mme Halimi. Pensez-vous qu’il a pu s’y rendre par hasard ?

Mme N. Oui. Personnellement et sincèrement, mon ressenti quand il sort de l’appartement des Diarra…

M. le président Meyer Habib. Il sait où il va.

Mme N. Personnellement, oui.

M. le président Meyer Habib. Il savait pertinemment où habitait Mme Sarah Halimi qui était sa voisine de palier. Elle avait peur de lui.

Mme N. Elle habitait au-dessous. Les Diarra sont au même étage.

M. le président Meyer Habib. Que vous ont rapporté vos voisins sur les hurlements qu’ils ont entendus ?

Mme N. De ce que j’ai entendu ?

M. le président Meyer Habib. Pas ce qui figure dans le dossier. Parlez-moi de ce que vous ont dit les voisins. Nous avons le témoignage d’un journaliste à propos d’un immeuble où logent des étudiants qui ont entendu le drame, les hurlements, les coups, le bruit de chair, etc. Que vous ont dit les témoins ?

Mme N. Ils ont indiqué avoir entendu des cris.

M. le président Meyer Habib. Beaucoup de voisins ?

Mme N. Pas beaucoup. Des gens que je fréquente. J’ai une amie au quatrième étage, au-dessus du logement de Mme Halimi, qui a assisté à la scène. Elle rapporte qu’il était en plein délire, qu’il criait des sourates, et « Allah akbar ».

M. le président Meyer Habib. Vous mentionnez de témoins dont nous n’avons jamais entendu parler. Nous avons entendu deux témoins et le journaliste M. Christophe Dansette m’a fait écouter des témoignages d’étudiants. Vous parlez d’un témoignage d’une personne du quatrième étage. Connaissez-vous d’autres témoins ?

Mme N. Je pense que toutes les personnes de l’immeuble ont été témoins. Les habitants des quatrième, cinquième et sixième étages étaient présents.

M. le président Meyer Habib. Mme Halimi avait peur de lui. Elle s’en était confiée à vous très récemment. Il savait parfaitement où elle habitait.

Mme N. Elle avait toujours dit qu’elle en avait peur.

M. le président Meyer Habib. Il savait que vos parents n’étaient pas là le soir du meurtre. C’est important. Comment savait-il que vos parents étaient absents ?

Mme N. Ce genre d’information se sait dans le quartier.

M. le président Meyer Habib. Concernant la radicalisation de M. Traoré, nous savons que le dernier mois, il se rendait plusieurs fois par jour à la mosquée. C’est ce que rapportent ses amis.

Mme N. C’est également ce que j’ai entendu. Je ne l’avais pas remarqué. Pour moi, il était simplement un dealer.

M. le président Meyer Habib. Connaissez-vous Abdelkader Rabhi, l’ami chez qui il a dormi la veille et que nous essayons vainement d’auditionner ?

Mme N. C’est un voyou, l’un des petits chefs du marché de stupéfiants de la rue de l’Orillon.

M. le président Meyer Habib. Ils étaient très proches.

Mme N. C’est le même groupe.

M. le président Meyer Habib. Connaissez-vous des relations amoureuses à Kobili Traoré ?

Mme N. Absolument pas.

M. le président Meyer Habib. Nous sommes surpris que personne ne lui ait connu la moindre relation amoureuse. Un psychiatre nous a expliqué que selon lui, dans la tradition africaine, ce sujet pouvait l’obséder. Connaissez-vous Sofiane Si Bachir et Nabil Benhamida ?

Mme N. Oui, de vue. Ce sont des dealers du quartier.

M. le président Meyer Habib. Lui aussi était dealer ?

Mme N. Oui.

M. le président Meyer Habib. Nous savons qu’il n’avait aucun antécédent psychiatrique et qu’il fumait de la drogue. La personne chez qui il a passé la nuit a dit qu’il avait fumé un joint, ce qui est peu pour quelqu’un habitué à fumer. Vous faisait-il peur parce qu’il dealait ?

Mme N. Il dealait et consommait à la fois.

M. le président Meyer Habib. N’avait-il pas peur de vous qui êtes policière ?

Mme N. Non. C’est le seul des dealers du quartier qui me faisait peur. Son physique était imposant.

M. le président Meyer Habib. Il est physiquement impressionnant ?

Mme N. Il est impressionnant. C’est quelqu’un qui bousculait la porte à mon passage, et montrait quelque chose de haineux.

M. le président Meyer Habib. Jamais, cependant, au niveau des armes.

Mme N. Non, je sentais cela dans son comportement, et par rapport à mes fonctions.

Mme Florence Morlighem, rapporteure. Nous avons évoqué le franchissement du balcon par M. Kobili Traoré. Vous avez dit qu’il avait peut-être choisi ce côté du balcon par hasard. Pouvez-vous le reconfirmer ?

Mme N. J’ignore ce qu’il pensait. De l’appartement de la famille Diarra à celui de la famille Halimi, le passage n’est pas difficile. Je ne vois pas dans quelle autre direction il aurait pu aller. Notre appartement ne dispose pas d’un balcon et la porte était fermée. Il y a tout de même un appartement de l’autre côté. J’ai dit ma conviction à moi, mais je ne sais pas ce qui s’est passé dans sa tête.

M. le président Meyer Habib. Pouvez-vous imaginer que Sarah Halimi dorme avec la fenêtre ouverte ?

Mme N. Non. C’était une personne qui avait peur de tout.

M. le président Meyer Habib. Nous avons été surpris de constater sur place que le balcon était très encombré. S’il avait choisi aléatoirement, il aurait très facilement pu sauter du côté droit. De l’autre côté, l’accès était plus compliqué.

Mme N. N’ayant pas vu le balcon, je peux difficilement me prononcer.

M. le président Meyer Habib. Je vous remercie. Votre témoignage, sincère et poignant, était important. Nous sentons que vous venez d’une famille respectueuse des lois de la République et de son prochain. Nous vous sentons peinée du drame qu’a vécu une femme que vous aimiez, et que nous apprenons à connaître davantage à chacune de nos auditions. Merci d’avoir eu le courage de venir témoigner aujourd’hui.

 

La réunion se termine à dix-huit heures quinze.

 

 

 


Membres présents ou excusés

Commission d’enquête chargée de rechercher d’éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l’affaire dite Sarah Halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement

Présents. – Mme Camille Galliard-Minier, M. Meyer Habib, Mme Florence Morlighem, M. François Pupponi

Excusés. – Mme Constance Le Grip, M. Aurélien Taché