Compte rendu

Commission
des affaires sociales

–  Examen de la proposition de loi visant à lutter contre le dumping social sur le transmanche (n° 798) (M. Didier Le Gac, rapporteur) 2

– Examen, en deuxième lecture, de la proposition de loi, modifiée par le Sénat, visant à améliorer l’encadrement des centres de santé (n° 856) (Mme Fadila Khattabi, rapporteure)              30

– Présences en réunion.................................44

 

 

 

 

 


Mercredi
22 mars 2023

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 63

session de 2022-2023

Présidence de
Mme Fadila Khattabi,
présidente

 

puis de

 

M. Paul Christophe,

vice-président

 


  1 

La séance est ouverte à neuf heures trente.

 

La commission procède à l’examen de la proposition de loi visant à lutter contre le dumping social sur le transmanche (n° 798) (M. Didier Le Gac, rapporteur).

M. Didier Le Gac, rapporteur. Il y a un an, le 17 mars 2022, la compagnie P&O Ferries licenciait ses 786 marins sans préavis ni consultation des organisations syndicales. Quelques jours plus tard, l’entreprise remplaçait ses équipages par du personnel recruté bien en dessous du salaire minimum britannique et dans des conditions sociales très dégradées.

La méthode brusque employée par l’entreprise britannique a choqué l’opinion publique de part et d’autre de la Manche, mais elle ne fait que s’inscrire dans le développement progressif d’un dumping social, qui menace les compagnies maritimes françaises, fait craindre pour la sécurité des navigations et conduira, si rien n’est fait, à la disparition progressive de tout un pan de notre marine marchande.

Dans ce contexte, les gouvernements britannique et français ont entamé des discussions pour mieux réguler les liaisons maritimes entre les deux pays. La proposition de loi que j’ai l’honneur de rapporter vient inscrire dans la loi cette volonté commune en réaffirmant que la juste rémunération des marins est aux fondements de notre modèle social et constitue un principe dont le respect est jugé crucial pour la sauvegarde de nos intérêts publics.

Par quel moyen comptons-nous imposer cette volonté commune de la France et du Royaume‑Uni, en dehors du cadre européen, dans le contexte de la libre concurrence du marché du transport maritime au sein de l’Union européenne ? C’est toute la difficulté de la proposition loi, qui vise à limiter des pratiques de dumping social lesquelles s’inscrivent dans un phénomène mondial, dont la Manche est un nouveau terrain de mise en œuvre.

Le libre pavillonnement, c’est-à-dire le contournement des règles en matière de pavillonnement, permet à des armateurs d’immatriculer leurs navires dans des États qui appliquent des normes minimales en matière de droit du travail maritime et de réaliser des économies de plus de 35 % sur leur prix final par rapport à leurs concurrents français. Cette situation inacceptable n’est pas tenable pour l’économie du secteur.

Le droit du travail maritime, issu de conventions internationales, se trouve en effet bien éloigné des exigences des armateurs établis en France. Le salaire minimum fixé par l’Organisation internationale du travail (OIT) est de 658 dollars par mois au 1er janvier 2023, soit moins de la moitié du salaire minimum français. Le temps et l’organisation du travail font également l’objet d’un encadrement limité par la convention du travail maritime de 2006, le texte de référence s’agissant des droits des gens de mer.

L’Union européenne, confrontée à une absence de consensus entre des États qui souhaitent promouvoir un modèle social exigeant et d’autres qui facilitent la concurrence par les salaires, n’a jamais véritablement pris la mesure de cet enjeu. Le droit européen encadre ainsi de façon minime le droit du travail maritime. En revanche, le principe de libre concurrence s’applique bien au transport maritime puisque l’ensemble des États membres ont accès aux liaisons maritimes entre tout État membre de l’Union européenne et un autre pays, quel qu’il soit.

Dans ce contexte, il n’est pas envisageable d’imposer à un armateur de battre pavillon français comme condition à l’exploitation d’une ligne maritime internationale. Il n’est pas non plus possible de lui imposer l’intégralité de notre droit du travail maritime puisque les obligations auxquelles il est soumis résultent des contraintes posées par son pays d’immatriculation.

La France a tenté de poser des règles d’encadrement du marché du transport maritime afin de promouvoir son pavillon, tout en s’inscrivant dans la concurrence européenne et internationale.

Les liaisons dans la Méditerranée bénéficient ainsi de régimes d’encadrement du dumping social. Pour ce qui concerne les ferries à destination de la Corse, la France a eu recours au dispositif dit de l’État d’accueil, permis par le droit européen, afin d’imposer aux navires assurant un cabotage national ou avec les îles d’appliquer à leurs marins les conditions sociales françaises, y compris les grilles salariales en vigueur et les règles d’organisation du travail.

Quant aux liaisons avec les pays du Maghreb, elles font l’objet d’une exception dans l’application du registre international français (RIF). Ce « pavillon bis » français permet normalement une application plus souple du droit du travail maritime français, avec 25 % à 35 % de marins français à son bord – ce compromis visait à accroître la compétitivité du pavillon français, pour prévenir son extinction.

Avec le Brexit, l’exclusion du RIF n’est plus explicitement prévue par le droit. Si l’on peut soutenir la démarche de certains d’entre vous visant à exclure du RIF les liaisons transmanche, il n’apparaît pas pertinent d’ajouter une exclusion à la loi car elle relève du pouvoir réglementaire. Je laisserai le Gouvernement s’exprimer en séance sur ce sujet et, à ce stade, je vous demanderai de retirer vos amendements afin de conserver, dans le présent texte, un message clair à destination de l’ensemble du secteur maritime du transmanche.

J’en viens à la méthode adoptée pour cette proposition de loi.

La loi de police est un objet législatif un peu particulier et rarement mis en œuvre. Le règlement Rome I de 2008 définit cette catégorie de norme même si la jurisprudence en avait déjà établi les critères auparavant. La loi de police n’est donc pas une innovation juridique à proprement parler : c’est un mécanisme auquel les États ont parfois recours afin de limiter l’application libre du droit des contrats.

Habituellement, celui‑ci permet aux parties de choisir la loi du pays applicable à leur accord dans les limites fixées par le règlement Rome I. La loi française ne peut donc s’appliquer à des contrats de travail régis par le droit d’un autre État membre de l’Union européenne ou d’un pays tiers dès lors que le pavillon n’impose pas le recrutement de marins dans des conditions particulières.

Néanmoins, lorsque le respect d’une disposition impérative est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, une loi de police peut s’imposer au contrat quelle que soit la loi choisie par les parties.

Lors des auditions, les spécialistes de la question ont tous souligné que le champ et l’ampleur de la loi de police n’étaient pas aisés à définir et qu’il fallait agir avec prudence dans une matière qui susciterait, à n’en pas douter, de nombreux contentieux. Les représentants des sociétés de ferries visées par la proposition de loi, Irish Ferries et P&O Ferries en particulier, ont d’ailleurs confirmé qu’ils s’opposeraient à notre législation et que des recours seraient engagés.

Il est alors apparu que la loi de police devait se conformer à un double critère de proportionnalité de la mesure au regard de la sauvegarde des intérêts publics en jeu et de lien entre l’application de la mesure et le territoire national. C’est dans ce cadre contraint que s’inscrit la proposition de loi. Les débats permettront de l’enrichir mais nous devons garder à l’esprit l’idée qu’une loi efficace est une loi qui s’applique de manière certaine et durable. Il ne s’agit donc pas de se faire plaisir avec un texte qui se trouvera écarté par un juge après quelques mois d’application, suscitant les faux espoirs de certains et renforçant les pratiques concurrentielles agressives des autres.

J’en viens à présent au texte lui-même.

L’article 1er constitue le cœur du dispositif avec, en premier lieu, la définition de la loi de police. Afin de respecter le critère de la territorialité, celle‑ci s’appliquera aux contrats de travail des marins embarqués sur des navires transporteurs de passagers assurant des lignes régulières internationales touchant un port français. Le renvoi à un décret en Conseil d’État précisant les critères d’application de ce dispositif permettra non seulement de conserver une certaine souplesse dans l’application de la loi, en cas d’évolution du trafic maritime dans la Manche, mais aussi de parer à d’éventuelles décisions de justice qui nécessiteraient des ajustements.

La proportionnalité de la mesure a fait l’objet de nombreuses discussions lors des auditions. La proposition de loi vise initialement à appliquer les grilles salariales des marins français à l’ensemble des navires entrant dans le champ d’application de la loi de police. Il s’agit non seulement de respecter le salaire minimum français mais également les minima conventionnels, qui assurent un salaire cohérent avec l’expérience et la qualification des marins.

Bien que centrale dans la structure des coûts de production sur les ferries dans le transmanche, la question de la rémunération n’est pas la seule variable à laquelle ont recours les armateurs pour maximiser leurs profits : le temps de travail, et en particulier le temps d’embarquement au regard du temps de repos à terre, est apparu comme une autre variable essentielle dans la discussion.

Le droit européen nous contraint cependant dans l’édiction de la loi de police : au nom de la libre concurrence entre les États membres, il n’est pas possible d’appliquer l’ensemble de nos règles d’organisation du travail aux navires touchant les ports français dès lors que des directives ont entrepris d’harmoniser cette question et que les marins n’effectuent pas l’intégralité de leur temps de travail dans nos eaux territoriales.

Nous avons néanmoins essayé de trouver une voie de passage : c’est le sens d’un amendement déposé par les groupes Renaissance et Horizons et apparentés que je vous proposerai d’adopter. Il s’agit d’édicter une autre loi de police, justifiée cette fois par l’enjeu de la sécurité maritime et de la prévention des pollutions, afin d’écarter partiellement le principe de la libre concurrence au sein de l’Union européenne.

L’article 1er comprend également d’autres règles en matière de sécurité, notamment la liste des documents présents obligatoirement à bord des navires ainsi que la langue dans laquelle ils doivent être disponibles. Il s’agit surtout de faire respecter cette loi de police par des sanctions pénales dissuasives. Elles s’élèveront à 3 750 euros par contrat de travail non conforme au droit maritime français applicable et, en cas de récidive, à une peine pouvant aller jusqu’à six mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende par contrat.

Les personnels habilités à constater ces infractions sont également définis à l’article 1er. Nous devrons nous assurer, notamment dans le cadre de la discussion budgétaire à venir, que ces personnes disposent des moyens nécessaires pour appliquer la nouvelle législation, tant en termes de moyens humains que de formation.

L’article 2, d’une portée plus limitée, corrige une anomalie du droit concernant l’aptitude physique des marins à bord des navires battant pavillon français. La sécurité à bord des navires dépend en effet d’un contrôle rigoureux de l’état de santé des marins avant leur embarquement, qui peut s’étendre sur des périodes longues. Si l’admission d’un marin ne disposant pas d’un certificat français d’aptitude médicale conforme à la réglementation est passible de sanctions pour l’armateur ou le capitaine du navire, celles-ci ne s’appliquent pas en cas de non-conformité d’un certificat médical étranger pourtant reconnu dans certaines conditions. L’article 2 corrige cette différence de traitement qui ne semblait pas compatible avec les exigences de sécurité à bord des navires.

La proposition de loi, qui peut sembler modeste par son ampleur, constitue en réalité une étape décisive dans la régulation d’un marché manquant cruellement de règles communes et dont l’objectif n’est rien moins que la sauvegarde de la marine marchande française.

Au-delà de l’enjeu pour la France et le Royaume‑Uni, la question de la souveraineté maritime européenne doit se poser afin de faire cesser des pratiques concurrentielles entre États européens, lesquelles n’auront d’autre conséquence que la disparition progressive des flottes nationales et de leur équipage. La présidence espagnole du Conseil de l’Union européenne, qui débutera à compter de juillet prochain, doit être l’occasion de faire vivre ce débat avec nos partenaires européens, que nous aurons alors à convaincre du bien-fondé de notre ambition.

Je vous invite à prendre en compte cet enjeu déterminant pour la souveraineté française et à voter, à l’unanimité je l’espère, cette proposition de loi.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Freddy Sertin (RE). M. le rapporteur a rappelé l’émoi qu’a suscité, il y a un an, le licenciement massif de marins français et britanniques par la compagnie P&O Ferries, connue pour effectuer notamment des rotations entre Calais et Douvres. En une journée, l’entreprise britannique avait mis à pied près de 800 marins, pour les remplacer par des travailleurs étrangers, à des conditions de rémunération bien inférieures.

Face à la dégradation des conditions de travail des marins, les acteurs français du secteur maritime se sont mobilisés, notamment en novembre 2022, en réunissant élus locaux et nationaux lors de l’appel de Saint-Malo. Ce temps fort avait pour objectif de sensibiliser le monde politique aux enjeux que rencontrent les armateurs français et d’envisager une possible régulation des conditions de travail sur le transmanche.

L’appel a été entendu : le secrétaire d’État chargé de la mer, Hervé Berville, a instauré, quelques semaines plus tard, une charte volontaire, qui prévoit le respect des salaires et acquis sociaux minimaux, au sens des standards français.

Surtout, il a été entendu par la représentation nationale. La proposition de loi vise ainsi à lutter contre le dumping social en instaurant un salaire horaire minimum, tout en prévoyant des sanctions pénales qui permettront d’harmoniser les conditions de validité du certificat d’aptitude médicale à la navigation.

Je salue le travail de coconstruction mené par le rapporteur avec chacun des groupes politiques pour aboutir à un texte de qualité, qui s’attache à préserver les droits des salariés et leurs acquis sociaux. Je sais compter sur l’ensemble des membres de notre commission pour soutenir les mesures marquantes de ce texte.

Au nom du groupe Renaissance, je défendrai un amendement qui instaure une durée de repos équivalente à la durée d’embarquement pour nos marins. Comme les divers groupes l’ont souhaité, la mesure a pour objet de protéger la santé et la sécurité des salariés d’une fatigue excessive, due à des périodes de travail prolongées.

Nos marins comptent sur nous pour les accompagner dans les crises et les difficultés que rencontre leur profession. Dans cette perspective, le groupe Renaissance soutient tout naturellement la proposition de loi de notre collègue Didier Le Gac.

M. Pierrick Berteloot (RN). Le 17 mars 2022, la compagnie maritime P&O Ferries licenciait 800 marins du jour au lendemain, pour les remplacer presque immédiatement par des personnes issues de pays à faible coût social. Si cet acte honteux a provoqué un émoi justifié au Royaume‑Uni, déclenchant l’application d’une loi pour protéger les marins britanniques, il a également permis, en France, de prendre la pleine mesure du risque que fait peser le dumping social sur nos compagnies maritimes. Ayant travaillé sur des ferries faisant la liaison régulière entre la France et l’Angleterre, je sais que nos marins attendent depuis longtemps qu’on les protège de la concurrence distordue à l’œuvre dans le transmanche.

Le fait que trois parlementaires, dont moi-même, aient déposé une proposition de loi pour lutter contre le dumping social, est encourageant. Ce texte est donc le bienvenu ; le groupe Rassemblement National y est favorable car il va dans l’intérêt des marins et des compagnies maritimes. Il est toutefois insuffisant car il omet des éléments essentiels dans la lutte contre le dumping social.

Nous avons déposé plusieurs amendements de bon sens, qui visent à rendre cette proposition de loi véritablement efficace – j’espère que vous les voterez. La défense de notre souveraineté nationale passe par celle des compagnies maritimes et des marins. Le sujet dépasse les clivages partisans et réclame que nous travaillions en bonne entente. La lutte contre le dumping social dans le transmanche demande des décisions fortes, efficaces et de bon sens telles celles que je proposerai.

M. Matthias Tavel (LFI - NUPES). La prédation sociale n’est pas plus acceptable en mer que sur terre. C’est la raison pour laquelle les députés de La France insoumise soutiennent les mouvements qui ont lieu en ce moment pour le droit à la retraite.

Le transport transmanche est l’archétype du dumping social, puisque 800 marins britanniques ont pu être licenciés en une journée par la société P&O Ferries. M. le rapporteur l’a reconnu, la question du dumping social dans le droit communautaire se pose indépendamment du Brexit : la liberté de pavillonnement consacrée, l’existence de pavillons de complaisance au sein de l’Union européenne, comme le pavillon chypriote, et, en France, la création du RIF, qui n’est rien d’autre d’un pavillon de dumping social, nous inquiètent, au même titre que l’extension des sociétés de manning par la « loi Macron » en 2015, sur laquelle la proposition de loi reste silencieuse.

Une loi de police dans l’urgence pour le transmanche est la moindre des choses, même si elle ne suffit pas à régler les questions. Pour cela, il faudra des dispositions plus globales. Allons-y franchement !

La seule question du salaire minimum n’est pas suffisante si l’on veut lutter contre le dumping social en matière de transport maritime. Celle du temps de travail est cruciale : nous avons déposé des amendements sur le sujet car ces dispositions doivent être introduites dans la loi.

La question des moyens de contrôle et des sanctions se pose également, face à des compagnies qui disposent de moyens financiers considérables. Des sanctions très dissuasives sont nécessaires.

M. Jean-Luc Bourgeaux (LR). La proposition de loi fait suite au licenciement par P&O Ferries de 800 marins, sans préavis, et à l’embauche rapide de marins des pays tiers, à des conditions sociales déplorables. Interpellé comme mes collègues par les syndicats en août 2022, j’ai rejoint l’appel de Saint-Malo, le 5 novembre dernier. Avec la société organisatrice Brittany Ferries, nous avons confirmé la nécessité de lutter contre ces pratiques déloyales afin de préserver notre modèle social. Il est urgent d’agir sur les salaires et le temps de travail, comme y tend le texte.

Les enjeux sont importants pour l’avenir de la marine marchande, des lycées maritimes et des écoles nationales de la marine. La proposition de loi, qui comprend des mesures essentielles, contribuera à la lutte contre le dumping social, même si des recours seront certainement déposés.

La cohérence avec le projet britannique est essentielle : pour mettre fin au dumping social sur le transmanche, nous devons agir en continuité avec les Britanniques.

M. Jimmy Pahun (Dem). Monsieur le rapporteur, votre proposition de loi n’a rien de modeste : elle nous permet, si j’ose dire, de mettre un pied dans la porte du droit du travail européen.

Le trafic maritime transmanche, zone de navigation la plus dense d’Europe – un bateau naviguant nord-sud croise dix navires voguant d’est en ouest –, demande des compétences et des savoir-faire à tous les niveaux, tant pour les personnels que pour les armements. La France dispose d’écoles – les lycées maritimes, l’École nationale supérieure maritime – à l’avant-garde de la formation. Elle doit conserver cet avantage.

Depuis un an, les compagnies embauchent des marins, souvent malgaches, qui passent de quatre à six mois sur les navires, restant à fond de cale pendant leur période de repos. Nous devons mettre fin à ces méthodes, sans surréagir car le sujet conduira vraisemblablement à une bagarre au niveau européen.

En France, le Gouvernement et le Parlement ont su réagir très vite à ce que l’on peut considérer comme une forme d’esclavagisme.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Le dumping social sur les liaisons maritimes transmanche est un fléau contre lequel il faut lutter, en mettant fin aux pratiques déloyales de certaines sociétés. C’est une nécessité pour préserver les compagnies sous pavillon français ainsi que les 38 000 emplois des marins français travaillant sur différents types de navigations. Le licenciement de près de 800 marins britanniques par P&O Ferries, filiale britannique de Dubaï Ports World, pour les remplacer par des marins extra‑européens, a créé un électrochoc. Comme le Royaume‑Uni, la France doit contribuer à réguler ce secteur d’activité. L’année dernière, j’avais d’ailleurs pris l’initiative d’un courrier transpartisan, que notre rapporteur a cosigné, pour alerter le secrétaire d’État chargé de la mer.

La philosophie de cette proposition de loi est donc pertinente. Celle-ci vise à assurer une rémunération minimale au niveau du Smic des marins employés sur des navires réalisant des liaisons comprenant au moins un port français, ainsi qu’à sanctionner pénalement les compagnies qui présentent des certificats d’aptitude médicale de leurs marins non valides.

Elle est cependant perfectible pour harmoniser les rythmes de travail et de repos, la couverture sociale, les conditions de travail et la représentativité des marins, qui constituent des facteurs de dumping social. C’est le sens des amendements que les députés socialistes ont déposés.

Il est également regrettable que le texte ne prévoie pas de renforcer les contrôles de l’administration.

Toutefois, le groupe Socialistes et apparentés soutient la proposition de loi et son objectif de lutter contre le recours, par des compagnies opérant des liaisons maritimes, à la main-d’œuvre extra‑européenne, moins coûteuse que les marins français.

M. Paul Christophe (HOR). Le licenciement de 800 marins britanniques sans le moindre préavis par la compagnie P&O Ferries au profit de travailleurs étrangers surexploités a constitué un choc pour chacun d’entre nous. L’ensemble de la communauté maritime s’est aussi émue de la volonté de certaines compagnies de dégrader les conditions de travail des marins à des fins économiques.

Ces pratiques délétères ne sont pas nouvelles mais leur augmentation soudaine après le Brexit fait peser un nombre inacceptable de menaces, tant sur les salariés, la sécurité maritime et le marché fluvial que sur l’attractivité des métiers de la mer. En imposant un nivellement par le bas des droits des salariés, ces entreprises ont décrété une guerre des prix dont elles se rêvaient les grandes gagnantes. Elles ont de surcroît mis en danger l’un des couloirs de navigation les plus empruntés au monde.

Face à d’aussi basses manœuvres, nous nous devions de renforcer et d’élargir notre modèle social afin de mieux protéger les marins. C’est pourquoi je salue le travail de M. Didier Le Gac, dont le texte revêt un caractère d’urgence.

En instaurant un salaire minimal pour les compagnies internationales touchant l’un de nos ports, similaire à celui prévu pour le pavillon français, et en créant un délit en cas d’invalidité des certificats d’aptitude médicale à la navigation, ces deux articles permettent de garantir les droits des salariés. Ces dispositions, prises en cohérence avec la proposition législative britannique, visent à protéger nos intérêts fondamentaux et à nous préserver de toute tentative de déstabilisation du marché.

Député du Nord, et d’une circonscription qui comprend le port de Dunkerque, je me réjouis de voir ce texte inscrit à l’ordre du jour car il est une avancée majeure pour la protection des gens de mer.

En complément, le groupe Horizons et apparentés a déposé un amendement portant article additionnel, qui vise à instaurer une durée de repos équivalente à la durée d’embarquement. Il permet d’éviter toute concurrence déloyale, conformément à l’objectif principal de la proposition de loi.

Ce texte s’inscrit dans le respect des compétences nationales : il nous faudra veiller à aller plus loin au niveau européen. Si nous voulons qu’il prospère, il nous faut l’adopter en l’état. C’est pourquoi nous soutiendrons la proposition de loi.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Dans la guerre ultraconcurrentielle des ferries transmanche, une nouvelle arme est née : « virer pour réembaucher » – fire and rehire –, procédé qui consiste pour une entreprise, dès lors qu’elle justifie de conditions économiques dégradées, à licencier ses salariés pour en embaucher d’autres à des conditions sociales bien moins protectrices, donc plus avantageuses pour elle.

Cet outil cynique, très utilisé au Royaume‑Uni, a été mis en œuvre en mars 2022 par la compagnie britannique P&O Ferries sur le transmanche, avec un licenciement massif de près de 800 marins, remplacés par des marins ressortissants de pays à bas coût de main‑d’œuvre. L’arrivée récente d’Irish Ferries dans le détroit du pas de Calais, avec des navires sous pavillon chypriote, employant des marins étrangers dans des conditions sociales bien inférieures aux normes françaises et britanniques, vient renforcer la concurrence agressive, injuste et déloyale de ces modèles sociaux à bas coût. Un écart de 60 % des masses salariales permet à Irish Ferries ou P&O Ferries de proposer des tarifs inférieurs de 30 % à ceux des sociétés exploitant des navires sous pavillon français. Le Brexit n’arrange rien : la traversée de la Manche est passée d’une navigation intracommunautaire à une traversée internationale. Le recours à des marins étrangers s’en trouve facilité.

Face à l’offensive des compagnies de ferries aux modèles sociaux à bas coût ainsi qu’à la menace pour l’emploi des partenaires sociaux, les armateurs, les syndicats de marins, les élus pressent les puissances publiques française et britannique d’agir.

La proposition de loi affiche l’objectif de garantir que le transport de passagers dans les dessertes de liaisons régulières internationales soit réalisé dans des conditions sociales soutenables, garantissant les droits des salariés et des conditions de concurrence équitables entre les différentes entreprises du secteur. Cette garantie est nécessaire pour permettre le maintien de l’emploi.

Si le groupe Écologiste - NUPES partage cet objectif, il invite les membres de la commission à adopter plusieurs amendements inspirés notamment par la proposition de loi de notre collègue Sébastien Jumel. Ce texte, qui visait à lutter contre le dumping social dans le cabotage maritime transmanche, se veut en effet plus protecteur s’agissant du rythme de travail et du paiement des heures supplémentaires.

Si la proposition de loi semble couvrir la sous-traitance et les territoires d’outre‑mer, non mentionnés dans le dispositif, le groupe Écologiste - NUPES souhaiterait toutefois que le rapporteur le rassure sur l’étendue de la couverture juridique du texte.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Je veux tout d’abord exprimer ma solidarité avec les marins-pêcheurs de Dieppe, d’Étaples et de Boulogne-sur-Mer, qui manifestent à Rennes aujourd’hui pour défendre leur gagne-pain.

2 500 marins français qui cotisent à l’Établissement national des invalides de la marine (Enim), chargé du régime social des marins, risquent de voir leur beau métier fragilisé si l’on ne stoppe pas le virus de la rage du dumping social. Un marin licencié témoigne : « Le 17 mars 2022, à dix heures cinquante, j’ai reçu un mail de la compagnie nous demandant de nous connecter à son site via le logiciel de vidéoconférence [...]. Je me suis connecté ; ça a duré trois minutes, on était viré, sans aucune forme de rien du tout. »

Après que le groupe communiste a rédigé une proposition de loi allant plus loin, notre collègue Didier Le Gac a réagi pour proposer un texte de régulation. Son texte, on l’a dit, va dans le bon sens, mais il reste au milieu du gué. Il vise à réguler le salaire minimum – c’est la moindre des choses, les marins sous pavillon de complaisance sont vraiment payés au lance‑pierre – mais pas le temps de travail, question pourtant consubstantielle à la sécurité en mer qui, à ce titre, doit figurer dans le texte. Il faudra aussi prévoir des sanctions.

Débarrassons-nous enfin de la crainte du contentieux avec Bruxelles. Que la France tape du poing sur la table et vote une loi de police pour protéger les marins français, parce qu’il y va de la sécurité des passagers comme des marins ! Nous devons cela aux gens de mer.

M. Paul Molac (LIOT). Les agissements de P&O Ferries ont choqué tout le monde, et je rappelle que ce n’est pas la première fois que cette entreprise défraie la chronique : en 1987, elle s’appelait Townsend Thoresen, et le naufrage d’un de ses navires a coûté la vie à 193 personnes : le bateau s’appelait le Herald of Free Enterprise, le héraut de la libre entreprise. Tout un symbole, sans doute.

Je note aussi que les navires de la compagnie Irish Ferries battent pour partie pavillon chypriote.

Nous devons nous prémunir contre ces méthodes agressives de dumping social, qui nivellent par le bas salaires et conditions de travail : elles nuisent aux travailleurs de la mer, bien sûr, mais aussi à la sécurité des navires et des passagers. C’est d’autant plus vrai dans la Manche, région du globe où le trafic est le plus important. La question de la sécurité maritime est indissociable de celle des conditions de vie et de travail des équipages. Or l’intensification des rythmes de travail induite par ces pratiques fait courir un risque plus élevé d’accident.

Ces méthodes nuisent aussi à nos entreprises françaises, à commencer par Brittany Ferries, qui subissent une concurrence déloyale et perdent des marchés alors qu’elles restent plus vertueuses que celles qui battent pavillon étranger. Comment rivaliser quand les coûts salariaux des concurrents sont inférieurs de 80 % ? Cela pose aussi la question de notre souveraineté maritime et de nos filières.

C’est pour ces raisons que j’avais cosigné la proposition de loi de notre collègue Sébastien Jumel.

Mon groupe est plutôt favorable à ce texte mais, pour nous prononcer, nous attendons encore quelques réponses. Le champ d’application de ce texte est renvoyé à un décret : quel sera-t-il ? Par ailleurs, au-delà de celle du salaire minimum, la question des conditions de travail – temps de travail, récupération, rotation... – se pose. Il serait judicieux d’intégrer ces enjeux au texte.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous en venons aux interventions individuelles.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Le transport maritime fait l’objet, depuis de nombreuses années, d’un dumping social massif, y compris sous l’égide de l’Union européenne, dont le principe de concurrence libre et non faussée a brisé beaucoup de normes et même remis en cause la continuité territoriale et les liaisons intérieures – je pense aux liaisons entre la Corse et le continent. Le travail détaché est devenu plus fréquent, et les logiques de délocalisation, aussi surprenant que cela paraisse, se sont renforcées.

Nous pensons qu’il faut promouvoir le pavillon premier registre, qui n’a pas suffisamment été défendu par les autorités de notre pays.

À l’heure d’aborder le sujet du trafic transmanche, il nous paraît aussi nécessaire d’établir des contacts avec nos homologues britanniques – mais peut-être l’avez-vous fait.

Cette proposition de loi concerne-t-elle vraiment le seul trafic transmanche, ou bien a-t-elle vocation à avoir des effets au-delà ? C’est pour nous une crainte.

Enfin, comment une telle disposition peut-elle mettre en échec les pratiques actuelles, avec des sociétés de manning qui recrutent des gens de mer et extraterritorialisent leur contrat de travail selon le principe du moins-disant social, contournant les règles françaises comme britanniques en matière de droit du travail ? La loi de police s’impose-t-elle à l’ordre public en droit du travail ? La CGT pose la question ; Sébastien Jumel et moi la relayons. Il semble qu’elle demeure une dérogation qu’il faudrait à chaque fois justifier pour la faire primer sur la liberté de contractualiser. Il y a un risque de désarticulation de la protection juridique des travailleurs par la loi, au seul bénéfice des contrats ; et quand on regarde le contenu des contrats actuels, il est évident qu’ils peuvent déboucher sur une déconstruction juridique de la protection des salariés.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Le transport maritime est la clef de voûte de la mondialisation : le grand déménagement du monde implique un coût de transport maritime aussi plus bas que possible. Depuis l’après-guerre, le trafic de marchandises a été multiplié par cinquante alors que le nombre de marins a été divisé par cinq. C’est un plan social qui se déroule à bas bruit depuis des décennies, comme cela s’est passé pour le textile ou la sidérurgie.

Je veux montrer la cohérence de ce qui se passe. Le point de départ de ce dumping a été juridique : en 1967, le Torrey Canyon fait naufrage, et les armateurs risquent d’être mis en cause directement. C’est à partir de là que se développent les montages qui passent par les Bahamas, par Chypre... Ce dumping juridique conduit à un dumping fiscal et social, avec l’emploi de marins indonésiens ou malgaches.

Dans cet univers de concurrence libre et complètement faussée ont été préservés quelques îlots : le trafic intrafrançais entre la Corse et Marseille, le trafic transmanche qui était intraeuropéen. Il y a aujourd’hui une volonté d’éroder le peu de socle social qui demeure en droit maritime.

Comment préserver ces îlots qui subsistent dans un océan de déréglementation ? Et surtout, comme reconquérir du droit en mer ? Comment échapper au dumping permanent entre marins philippins, français et anglais ? Comment faire pour que la réglementation française ne pratique pas elle-même son propre dumping, avec le pavillon des Kerguelen puis avec le pavillon du RIF ? Je ne vois aucune volonté de reconquête. Cela impliquerait de se heurter à la doctrine de Bruxelles selon laquelle la concurrence doit être la seule loi, celle qui règle tout.

Au-delà de la Manche, la question est bien celle du droit sur l’ensemble des mers.

M. le rapporteur. Monsieur Ruffin, nous essayons précisément d’agir en faisant voter une loi ! Oui, il faudra ensuite aller devant les instances européennes, car cette proposition de loi est une première étape, importante, mais aussi un message qui leur est envoyé. De nombreux pays d’Europe nous regardent et vont, je l’espère, engager la même démarche.

Le dumping social, ce n’est pas seulement un salaire insuffisant, mais aussi de mauvaises conditions de travail, j’en suis bien d’accord. C’est pourquoi j’ai déposé, avec d’autres, un amendement visant à instaurer une durée de repos équivalente au temps de travail. Nous reconnaissons ainsi la nécessité d’encadrer le rythme de travail.

Les critères de cet encadrement doivent être définis après une concertation que le Gouvernement engagera avant la promulgation du décret avec les organisations syndicales, les Armateurs de France et les parlementaires qui siègent dans différentes instances comme le Conseil supérieur des gens de mer ou le Conseil supérieur de la marine marchande.

Les Armateurs de France et tous les juristes que nous avons consultés nous l’ont dit : le droit maritime est l’un des plus internationaux. Un parlement national évolue donc dans un cadre extrêmement contraint, limité par l’OIT par l’Organisation maritime internationale, par les directives européennes... Nous voulons avancer, mais nous voulons aussi être efficaces, donc voter un texte parfaitement sécurisé juridiquement.

Monsieur Dharréville, cette proposition de loi ne s’appliquera pas en Méditerranée. Celle-ci dispose déjà d’un cadre juridique ; il ne changera pas, le Gouvernement l’a récemment réaffirmé aux organisations syndicales. Le présent texte ne s’appliquera qu’aux ferries transmanche.

Au moment même où nous allons débattre de cette proposition de loi, le Parlement britannique a adopté un projet quasiment identique. Je me félicite de cette volonté commune de lutter contre le dumping social. Une telle convergence est un beau symbole après le Brexit. Nos deux lois devraient être applicables au début de l’année 2024.

Article 1er : Imposition des minima hiérarchiques applicables aux marins établis en France à certaines lignes internationales régulières

Amendement AS6 de Mme Claudia Rouaux.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Cet amendement du groupe Socialistes et apparentés propose une nouvelle rédaction de l’article 1er. Il vise à appliquer la loi française et les conventions collectives à tout marin travaillant sur une liaison transmanche ; à punir tout armateur ne respectant cette harmonisation par le haut du droit du travail, à hauteur de 3 750 euros par marin ; à empêcher l’inscription au registre international français des navires opérés par des compagnies établies en France assurant des lignes régulières en Manche entre les ports français et les ports britanniques.

Cet amendement ne fait que reprendre la proposition de loi de notre collègue Sébastien Jumel, dont je salue la qualité, comme l’ont d’ailleurs fait l’ensemble des organisations syndicales.

M. le rapporteur. Je salue, moi aussi, le travail de Sébastien Jumel.

Vous proposez, madame Rouaux, de réécrire entièrement cet article.

Nous reviendrons un peu plus tard sur le champ de la loi de police, dont l’objet doit être limité à certaines règles essentielles pour lesquelles le risque juridique semble le plus raisonnable au vu des enjeux économiques et sociaux.

Nous sommes d’accord sur le fond : le dumping social ne se limite pas à la question des salaires. Je proposerai tout à l’heure, je l’ai dit, un amendement relatif au temps de travail.

Il faut absolument éviter que les armateurs ne soient victimes d’une décision de justice à l’encontre de notre texte : ils risqueraient de perdre ce que nous pourrions gagner avec cette proposition de loi. Cela a été pour moi une préoccupation constante au cours de la préparation du texte. Certains disent qu’il faut prendre le risque et ferrailler avec Bruxelles. Il est à mon sens préférable de proposer un texte solide avant de descendre dans l’arène politique européenne.

Sur les sanctions, votre amendement est moins ambitieux que le texte, puisque celui-ci prévoit des sanctions aggravées en cas de récidive – peine de prison et doublement de l’amende.

Enfin, le renvoi à un décret permet d’objectiver le critère d’application de la loi de police et de garder de la souplesse, notamment en cas de recours contre la loi. Un décret se modifie bien plus facilement qu’une loi.

Afin de débattre de tous ces points, je vous invite à retirer votre amendement.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Quand j’étais môme, il y avait un feuilleton un peu idiot qui s’appelait L’Amour du risque. (Sourires.) En l’occurrence, nous devrions tenter notre chance.

L’amendement de Mme Rouaux présente trois avantages.

D’abord, il grave dans le marbre de la loi que les bateaux opérant sur les lignes avec l’Angleterre sont exclus du RIF, alors que le Brexit rouvre cette possibilité puisque l’exclusion du RIF ne touche que les navires qui assurent des liaisons intracommunautaires.

Le rapporteur m’a présenté, il y a quelques minutes, son amendement qui prévoit un décret sur ce point, mais sans fixer de parité entre temps de repos et temps de travail ni prévoir de sanction. Cet amendement inscrirait au contraire dans la loi la question des rythmes de travail.

Irish Ferries et P&O Ferries nous menacent de contentieux. Ils sont favorables à une concurrence libre et faussée ! Ils étaient autour de la table avec le Gouvernement il y a quelques jours : on aurait cru une réunion de travail avec Adam Smith ! Ce sont vraiment des tenants du libéralisme le plus effréné. Et s’il y avait un contentieux, on nous dit que cela prendrait neuf ans – et ils ne sont pas sûrs de gagner, car les nombreux juristes que nous avons consultés considèrent qu’une loi de police peut protéger les liaisons transmanche, la sécurité maritime relevant des fonctions régaliennes de l’État.

J’appelle donc à voter cet amendement.

M. Paul Christophe (HOR). Je salue moi aussi le travail de Sébastien Jumel. Nous partageons la même ambition de réguler et de lutter contre le dumping social.

Mais voulons-nous prendre des risques ou faire du droit ? Au vu des compétences de la Commission européenne, en vous suivant, nous serions sûrs de déclencher un contentieux dont les juristes nous ont assuré, à nous, que nous sortirions perdants. Quel message voulons‑nous envoyer ? Voulons-nous un texte contraignant, mais applicable, ou bien une incantation ? Je préfère pour ma part voter un texte qui impose de nouvelles règles pour lutter contre le dumping et qui s’applique, plutôt que de prendre le risque de nous aventurer sur des champs qui ne relèvent pas de notre compétence.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Vous êtes face à des voyous, à des gens qui licencient des centaines de personnes en trois minutes par email et envoient la police à bord pour les virer avant de faire venir des marins brésiliens pour les remplacer dans la journée. Et vous nous dites qu’il y a un risque que ces voyous, que vous appelez « armateurs », portent plainte parce que vous iriez un peu trop loin dans la régulation de la concurrence, parce que vous diriez qu’il faut réglementer les horaires de travail ? Il faut au contraire entamer un bras de fer ! Il faut montrer aux Français, aux salariés, qu’ils sont défendus par l’État et par nous contre une mondialisation sauvage dont l’état du trafic transmanche illustre la brutalité. Il ne faut pas négocier avec Irish Ferries ou avec P&O ; il faut assumer le conflit. S’ils veulent porter plainte, cela prendra neuf ans – neuf années pendant lesquelles leur activité sera régulée ! Et s’il faut en passer par un référendum pour demander au peuple français ce qu’il en pense, faisons-le ! Il montrera le désir de régulation. C’est un cas d’école de la réponse que nous devons apporter à la mondialisation, qui est devenue insupportable aux Français.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Je partage l’idée que nous devons faire respecter le droit du travail dans notre pays, y compris pour le transport maritime. Il faut empêcher par la loi que certains aillent chercher du droit moins-disant ailleurs alors qu’ils répondent à des besoins locaux.

Nous devrions travailler sur la question de l’établissement : les compagnies de transport devraient être domiciliées dans les pays où elles agissent. De cette façon, le droit du travail et les pavillons concernés s’appliqueraient à elles, ce qui protégerait les marins qui sont sur ces bateaux.

Il faut dire le droit sans nous sentir obligés de plier devant cette volonté de concurrence à tout prix. Cela peut se heurter à quelques directives européennes, mais assumons‑le. C’est un combat qu’il faut mener.

M. Pierrick Berteloot (RN). Nous partageons la position de nos collègues de gauche. Quoi que nous fassions, ces armateurs feront tout leur possible pour que cette loi ne soit pas appliquée : allons donc jusqu’au bout des choses et adoptons cet amendement de bon sens, qui inscrit dans la loi la question du rythme de travail, et en particulier du temps d’embarquement, ainsi que des sanctions renforcées. Ces entreprises n’auront aucun scrupule à licencier à nouveau. Nous devons montrer ce que nous pouvons faire. La France doit être à l’avant-garde et ainsi, je l’espère, entraîner d’autres pays européens.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Occupons-nous d’abord du danger le plus immédiat. Lorsque nous sommes allés à Saint-Malo, les trois armateurs des liaisons transmanche nous ont tous dit que si rien n’était fait, d’ici un an leurs trois entreprises auraient disparu ou adopté un modèle low cost. Entre une disparition complète en une année et un contentieux incertain face à des voyous qui font subir à leurs marins un véritable esclavage moderne, mon choix est vite fait. Cet amendement répond à l’attente des marins et des syndicats. Il va bien plus loin que la proposition de loi.

En outre, nous avons auditionné hier le Gouvernement : il ne prévoit pas de moyens supplémentaires. L’application de la loi sera difficile à contrôler.

Je maintiens donc l’amendement.

M. le rapporteur. Nous avons été réactifs ! Les licenciements au sein de P&O ont eu lieu il y a un an ; la réunion de Saint-Malo et l’appel de Jean-Marc Roué, président du conseil de surveillance de Brittany Ferries, c’était au mois de novembre ; nous sommes au mois de mars et nous voici déjà en train de légiférer. Nous n’avons pas à rougir de ce calendrier, puisque quelques mois ont suffi pour que nous répondions à l’appel des armateurs pour sauvegarder leurs intérêts.

Nous sommes bien d’accord : nous sommes face à des voyous. Nous répondons avec cette proposition de loi, qui est une loi de police : ce n’est pas une loi franco-française ! Nous marquons par là que ce sont des intérêts majeurs qui sont en jeu. Je ne suis pas sûr pour autant qu’un référendum sur la question mobiliserait beaucoup les Français !

Le RIF relève du pouvoir réglementaire. Nous poserons la question en séance publique lundi au Gouvernement, qui pourra ainsi réexposer la position de la France sur le pavillon premier registre. Le décret permet une large concertation. Aujourd’hui, le décret prévoit que le RIF ne s’applique pas au transport de passagers. Ce sera réaffirmé par le Gouvernement.

En ce qui concerne la durée du contentieux, certains membres de l’administration nous ont parlé de neuf ans, mais d’autres d’un an seulement : un recours devant le Conseil d’État, c’est très rapide ! Je ne pense pas que nos armateurs aient envie de changer leur modèle économique pour devoir revenir en arrière dans un an ou deux...

J’entends que vous estimez cette proposition de loi timorée. Je vous proposerai, je le redis, un amendement sur les rythmes de travail : ce sera la première fois que la parité entre temps de repos et temps de travail est inscrite dans la loi.

Je réitère mon avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS35 de M. Pierrick Berteloot.

M. Pierrick Berteloot (RN). Cet amendement vise à préciser que seules les liaisons transmanche sont concernées. C’est là, depuis le Brexit, qu’est l’urgence, même si d’autres lignes sont aussi victimes du dumping social.

M. le rapporteur. Le titre de la proposition de loi montre que c’est bien des liaisons transmanche qu’il s’agit. D’autres liaisons vers la Corse ou le Maghreb font déjà l’objet de dispositions spécifiques qu’il n’est pas question de modifier ici.

J’appelle votre attention sur le fait qu’il n’est pas aisé de définir juridiquement ce qui caractérise une liaison transmanche, ni ce qui en fonde la spécificité au regard de la loi de police. On pourrait d’ailleurs y inclure l’Irlande, dans les eaux de laquelle naviguent parfois les mêmes bateaux.

Afin d’éviter tout risque de censure sur le fondement d’une rupture d’égalité devant les charges publiques, il semble que la définition de critères objectifs liés à l’exploitation des lignes internationales est une meilleure voie de passage qu’un critère géographique aux contours moins nets qu’il n’y paraît.

Demande de retrait et, à défaut, avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS24 de M. Pierrick Berteloot.

M. Pierrick Berteloot. Cet amendement vise à énoncer définir clairement les lignes régulières internationales touchant un port français, ce que ne fait pas la proposition de loi, qui renvoie cette définition à un décret en Conseil d’État. Un trajet régulier serait ainsi défini comme une ligne qui fait escale dans un port français au moins toutes les soixante-douze heures en moyenne ou plus de cent vingt fois par an.

Ces critères sont simplement tirés du projet de loi britannique relatif à la protection des marins, qui a impulsé cette volonté salutaire de protéger nos marins du dumping social.

Évitons les notions juridiques floues qui permettent aux compagnies maritimes de contourner les règles.

M. le rapporteur. Là encore, je comprends votre intention – comme le Gouvernement, qui entend retenir des critères analogues dans le décret en Conseil d’État. Le fait qu’une liaison soit assurée plus de cent vingt fois par an constitue en effet un critère essentiel, qui devrait être repris par les Gouvernements tant français que britannique.

Là encore, il me semble que le renvoi au pouvoir réglementaire présente des avantages. Plus souple, il permet d’adapter rapidement le champ de la loi de police alors que le vote d’une loi peut prendre plusieurs mois et souvent plusieurs années. Les autorités pourront aussi plus facilement tirer les conséquences d’éventuels changements dans le trafic des ferries. En cas de contentieux, il sera enfin plus facile de tirer les conséquences d’une décision judiciaire.

Votre amendement est donc satisfait sur le fond, mais le décret permet une adaptation plus rapide à de nouvelles réalités.

Demande de retrait et, à défaut, avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel AS40 de M. Didier Le Gac.

Amendements AS16 de M. Sébastien Jumel, AS1 de Mme Sandrine Rousseau, AS15 de M. Sébastien Jumel, AS2 de Mme Sandrine Rousseau, AS20 de M. Matthias Tavel, AS32 de M. Pierrick Berteloot, amendements identiques AS3 de Mme Sandrine Rousseau et AS21 de M. David Guiraud, amendement AS14 de M. Sébastien Jumel (discussion commune).

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Nous avons pris le temps d’écouter les marins licenciés par P&O. Leurs conditions de travail, leur salaire de 4 livres par heure payé au lance-pierre, l’insuffisance des jours de repos sont autant de manquements qui ne posent pas seulement la question de la protection des salariés mais aussi de leur sécurité ! Je vous invite à rester dix-sept semaines sur un bateau en n’étant pas payé quand vous êtes en repos et en étant hébergé dans des conditions proches de celles des salariés du Mondial au Qatar : vous verrez dans quelles conditions les marins low cost travaillent sur ces lignes. En inscrivant ces mesures dans la loi, nous nous prémunirions contre ce type d’esclavagisme moderne.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). L’amendement AS1, qui s’inspire de la proposition de loi de M. Sébastien Jumel visant à lutter contre le dumping social dans le cabotage maritime transmanche, tend à élargir le dispositif proposé. Il prévoit que les marins des lignes concernées, quelle que soit leur nationalité, bénéficient de la majoration des heures supplémentaires. D’autre part, il tend à garantir un rythme de travail équilibré fondé sur l’alternance entre les jours en mer et les repos à terre, le nombre de jours en mer ne pouvant excéder en durée celui prévu dans la convention collective dont relèvent les marins français.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Par l’amendement AS15, de repli, nous souhaitons qu’il soit tenu compte, en plus du salaire minimum horaire, des majorations pour les heures supplémentaires.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). L’amendement AS2, lui aussi de repli, tend à ce que les marins qui travaillent sur les lignes concernées bénéficient de la majoration des heures supplémentaires, quelle que soit leur nationalité.

M. David Guiraud (LFI - NUPES). Nous partageons l’objectif visé par ce texte d’éviter que les opérateurs ne recherchent un avantage économique en dégradant les conditions sociales au détriment de la sécurité maritime mais nous voulons aller plus loin. Le projet de charte d’engagement volontaire concernerait les autres paramètres visant à garantir les droits des salariés ; mais, puisqu’une telle charte repose sur le volontariat, elle ne permettra pas de leur garantir les droits minimaux. S’il est nécessaire de lutter contre les distorsions de concurrence, il est tout aussi prioritaire de garantir des conditions de travail décentes aux gens de mer.

M. Pierrick Berteloot (RN). L’amendement AS32 tend à protéger les heures supplémentaires, qui sont aussi essentielles que le salaire, contre le dumping social. Il est normal qu’elles soient récupérées, financièrement ou en heures de repos, selon les termes de la convention collective.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Il s’agit, avec l’amendement AS3, de garantir aux marins qui travaillent sur les lignes concernées, quelle que soit leur nationalité, des rythmes de travail fondés sur l’alternance entre les jours en mer et les jours de repos à terre, le nombre de jours en mer ne pouvant excéder en durée celui prévu dans la convention collective dont bénéficient les marins français.

M. Matthias Tavel (LFI - NUPES). Je défends l’amendement AS21. S’il est important de protéger la rémunération des marins, il l’est tout autant d’aligner leurs conditions de travail, en particulier leur rythme de travail, pour lutter contre dumping social.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). En défendant l’amendement AS14, je veux souligner que les rythmes de travail, en particulier l’alternance des jours en mer et des jours de repos à terre, sont au cœur des stratégies de dumping social de certaines compagnies observées sur les lignes régulières transmanche. En jouant sur ce paramètre, des entreprises en arrivent à imposer des temps d’embarquement de dix-sept semaines consécutives pour réduire leurs tarifs de 30 à 40 % en abaissant de 80 % le coût de la masse salariale. Lorsque les patrons des compagnies Brittany Ferries ou Det Forenede Dampskibs-Selskab (DFDS) Seaways tirent la sonnette d’alarme parce qu’ils craignent de ne pouvoir tenir encore longtemps en employant des marins français qui cotisent à l’Enim, c’est une manière de nous alerter sur l’urgence de prendre des mesures pour éviter un nivellement des conditions de travail des marins par le bas. Le château est sur le point de s’effondrer et les 2 500 marins transmanche qui cotisent à l’Enim vont fondre comme neige au soleil. De mon côté, j’ai pris des dispositions pour contraindre la compagnie DFDS, détentrice de la délégation de service public pour la ligne Dieppe-Newhaven, à opérer sous pavillon français et à engager des marins français qui cotisent au premier registre. En revanche, pour les autres lignes, ils peuvent, s’ils le souhaitent, niveler les conditions de travail et de rémunération par le bas.

Je ne doute pas de votre sincérité, monsieur le rapporteur, mais je préfère que l’on inscrive ces dispositions dans la loi plutôt que de les renvoyer au décret, d’autant que nous n’aurons même pas limité préalablement la durée du séjour en mer à trois semaines.

M. le rapporteur. En tant que législateurs, nous avons la responsabilité de nous assurer de la sécurité juridique et de la robustesse des dispositifs que nous adoptons. Je n’hésiterais pas, s’il le fallait, à mener le combat contre une compagnie maritime. Nous pouvons toujours prendre le risque d’un contentieux en adoptant, comme vous le proposez, des mesures contraires au droit communautaire mais ces mêmes mesures pourraient aussi enfreindre la Constitution. En voulant aller trop loin et trop vite, et en adoptant des dispositions contraires aux conventions internationales qui constituent le droit de la mer et au droit maritime, nous prendrions le risque de voter un texte inconstitutionnel.

La loi de police est un type de législation auquel il est rarement fait recours et dont l’étendue fait débat parmi les spécialistes. On s’accorde sur l’importance de deux critères : le lien entre l’application de la mesure et le territoire national et la proportionnalité de la mesure au regard de la sauvegarde des intérêts publics en jeu.

S’inscrivant dans le droit de l’Union européenne, la loi de police ne peut servir de prétexte à faire échec au principe de la libre concurrence entre les États membres. Par conséquent, elle ne peut entrer en contradiction avec des règles posées au niveau européen, une directive relative au temps de travail par exemple, qu’en raison d’un motif qui le justifie.

La question du salaire relevant essentiellement du ressort des États, elle peut faire l’objet d’une loi de police dès lors que les marins concernés se trouvent, de par la fréquence des liaisons transmanche, à exercer régulièrement dans les eaux territoriales françaises. Il s’agit en outre d’un principe essentiel et d’ordre public de notre droit du travail.

En revanche, le sujet du temps de travail ne peut être considéré comme relevant d’un intérêt public propre à la France, s’agissant notamment de marins qui n’effectuent qu’une partie de leur temps de travail dans nos eaux territoriales.

Les amendements qui prévoient des mesures en ce sens ne résisteraient sans doute pas à l’épreuve du contrôle par le juge, en particulier de la Cour de justice de l’Union européenne.

Nous devons donc chercher, comme l’a suggéré le professeur Patrick Chaumette, une justification à la loi de police, au regard de la sécurité maritime notamment.

C’est le sens de l’amendement que je vous proposerai, cosigné par deux de mes collègues, pour limiter le temps d’embarquement sur les bateaux qui assurent les lignes transmanche et inscrire le principe de parité avec le temps de repos à terre afin de garantir la sécurité et éviter les risques de pollution. Ces dispositions sont justifiées par des études qui seront remises l’année prochaine mais dont les premières conclusions nous parviennent régulièrement. Le renvoi à un décret permettra d’affiner le critère de la sécurité juridique en déterminant, pour chaque type de liaison, la durée d’embarquement maximale en lien avec la sécurité maritime. Il sera pris dans le respect de la concertation, notamment dans le cadre du Conseil supérieur des gens de mer et du Conseil supérieur de la marine marchande.

Le même raisonnement ne peut malheureusement pas être tenu pour les autres critères que vous souhaiteriez inscrire dans la loi, en ce qu’ils n’ont pas le même lien avec la sécurité de navigation.

Je vous invite par conséquent à retirer ces amendements pour leur préférer les amendements identiques AS39, AS37 et AS38, qui répondent à vos préoccupations sans ébranler la solidité juridique du texte.

M. Paul Christophe (HOR). Nous partageons vos préoccupations mais nous devons respecter notre champ de compétences. Les armateurs pourraient saisir la Cour de justice de l’Union européenne ou une juridiction française, par exemple un tribunal administratif, ce qui aurait un effet suspensif. Nous devons envoyer un message réaliste en adoptant une loi que nous pourrons appliquer.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Mais qui va trop loin, trop vite ? Ce sont ces patrons-voyous des mers qui, en trois minutes, décident de licencier 800 marins et font intervenir sur les navires des nervis, des bandes armées, dans la journée, pour faire évacuer les salariés. Alors que nous proposons, pour contrer cette violence de dirigeants d’entreprise, de réguler les horaires afin d’empêcher que des marins brésiliens, indonésiens ou malgaches passent dix-sept semaines en mer dans des conditions proches de l’esclavage, on nous rétorque que « ce serait aller trop loin et trop vite ». Les Français attendent des mesures protectrices. En l’espèce, je pense qu’un référendum serait pertinent pour soutenir le rapport de force avec une Union européenne qui place par-dessus tout la concurrence libre et non faussée alors que les Français sont au contraire convaincus que nous devrions être mus par la volonté de les défendre.

Les ouvriers, j’en suis convaincu, font le rapprochement entre ce qu’ont subi ces marins et ce qu’ils ont eux-mêmes vécu lorsque l’industrie du textile a été délocalisée au Maghreb, à Madagascar, en Chine ou que les sociétés de métallurgie se sont transportées en Slovaquie et en Pologne. Il ne s’agit pas d’opposer les peuples les uns aux autres mais, contre la concurrence libre et non faussée, l’État se doit de soutenir nos concitoyens.

M. Jimmy Pahun (Dem). Je crois, monsieur le rapporteur, que votre amendement qui tend à limiter le temps d’embarquement, s’il est adopté, aura résolu une vraie difficulté. En effet, pour le moment, lorsque les marins sont en repos après avoir navigué dix-sept semaines, soit ils sont renvoyés dans leur pays, soit ils passent leur temps de repos à fond de cale. Quand les armateurs seront obligés de les débarquer et de leur trouver un logement, ils verront les choses d’un autre œil et l’on peut espérer qu’ils seront alors soucieux de respecter notre législation.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Les liaisons entre le Royaume‑Uni, l’Irlande et la France peuvent être assurées par des armateurs qui choisissent de se placer sous des pavillons étrangers régis par un droit venu d’ailleurs : voilà la réalité. Le droit qui s’applique devrait être celui en vigueur d’un côté ou de l’autre de la Manche. L’amendement tend à limiter au maximum les conséquences de la législation actuelle en allant plus loin que votre texte. Son adoption serait un minimum pour défendre les conditions de travail des salariés de ces navires. Le paiement du salaire, la majoration des heures supplémentaires, la durée du temps de travail, les repos, les jours fériés, doivent être prévus par la loi. Nous devons défendre le premier registre du pavillon français.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Hier soir, nous avons auditionné les services de l’État. Ils semblent pétrifiés par l’éventualité d’un contentieux mais ils ont fini par admettre qu’ils n’avaient aucune certitude quant aux risques que nos amendements feraient courir au texte. Nous ne prenons donc pas de risque en adoptant ces amendements. La raison impérieuse qui légitime de recourir à une loi de police permet ce type de dérogation. Ne soyons pas plus bruxellois que les cabinets ministériels ! Surtout, il ne s’agit là que d’un amendement de repli par rapport à nos ambitions initiales : appliquer le droit du travail du pays dans lequel la compagnie est installée. Nous le ferons lorsque nous serons aux responsabilités. En attendant, votons au moins cet amendement.

M. le rapporteur. Nous partageons le diagnostic mais nous ne sommes pas d’accord sur les outils de riposte. Cela ferait tant plaisir aux entreprises que l’on s’engouffre dans cette brèche ! Elles se saisiraient alors de l’opportunité pour faire tomber cette proposition de loi. Je vous invite à retirer les amendements ; à défaut, avis défavorable.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement AS4 de Mme Sandrine Rousseau

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). La proposition de loi vise à lutter contre la pratique du fire and rehire qui consiste, pour l’entreprise, dès lors qu’elle justifie de conditions économiques dégradées, de licencier ses salariés pour embaucher à des conditions sociales moins protectrices mais plus avantageuses pour elle.

Afin de compléter le mécanisme, l’amendement tend à préciser que l’ensemble des dispositions du texte s’appliquent également aux salariés en sous-traitance.

M. le rapporteur. Vous proposez que la loi de police s’applique non seulement aux salariés recrutés par l’armateur mais aussi aux gens de mer placés par des sociétés de manning qui fournissent des équipages au travers de contrats de mise à disposition.

Je partage votre intention : la loi doit être la même pour toutes les personnes à bord des navires concernés. Cependant, votre amendement est satisfait par l’alinéa 7 de la proposition de loi, lequel prévoit déjà que la loi sera applicable aux contrats de travail des salariés sur les navires quelle que soit la loi applicable à ces contrats. Un employé ayant un contrat avec une société de manning sera tout de même soumis à la loi de police.

Je vous invite à retirer l’amendement.

L’amendement est retiré.

Amendement AS22 de M. Matthias Tavel

M. Matthias Tavel (LFI - NUPES). Il s’agit de prévoir une durée maximale d’embarquement de quarante-cinq jours pour les salariés employés sur les navires.

M. le rapporteur. Je vous invite à retirer cet amendement au profit de l’amendement AS39 que je vous présenterai bientôt. Il vise à renvoyer la détermination de la durée d’embarquement à un décret en Conseil d’État. Celui-ci affinera, selon les conclusions des études scientifiques menées, la durée adéquate pour chaque type de ligne – elle pourrait être inférieure à quarante-cinq jours si la sécurité maritime le justifie, ce qui, en l’espèce, sera sans doute le cas.

D’autre part il me semble nécessaire, pour des raisons juridiques, de préciser que cette loi de police est justifiée par la sécurité maritime et la lutte contre la pollution marine, afin que le dispositif ne soit pas considéré comme une entrave à la libre prestation de services au sein de l’Union européenne.

M. Pierrick Berteloot (RN). Quand j’ai lu l’amendement hier soir, j’ai cru tomber de mon siège car, je vous le rappelle, j’ai moi-même travaillé sur ces bateaux. Certes, quarante‑cinq jours, c’est moins que dix-sept semaines, mais je vous mets au défi de rester aussi longtemps sur ces navires qui assurent la liaison entre la France et l’Angleterre. J’ai fait le pont, lancé des toulines, récupéré des haussières. J’ai travaillé douze heures par jour au service général à laver des assiettes, servir des plateaux. Vous ne réalisez pas combien ce métier est fatigant et dangereux. Ce détroit est l’un des plus fréquentés au monde. Le temps d’embarquement des marins à bord des bateaux de Irish Ferries ou P&O Ferries est suicidaire ! Si nous n’imposons pas une durée maximale de trois semaines d’embarquement, nous serons tenus responsables en cas de drame. Les quatre mois et demi que j’ai passés sur un porte‑conteneurs de la compagnie CMA-CGM m’ont moins fatigué que les trois semaines à bord d’un ferry qui transportait 1 000 passagers par traversée. Je vous laisse imaginer l’état des marins après cinq mois d’embarquement et douze heures de travail par jour payées 5 livres de l’heure, si ce n’est pas moins.

M. Matthias Tavel (LFI - NUPES). Notre position est très claire : application du premier registre du pavillon français. Puisque vous n’en voulez pas au nom du droit communautaire, nous prévoyons des garde-fous. Je suis heureux de vous entendre dire que le temps d’embarquement pourrait être plus court, monsieur le rapporteur, mais je ne suis pas d’accord pour en renvoyer la fixation au décret. Nous pourrions éventuellement revoir la rédaction de l’amendement pour laisser la possibilité de décider d’une durée inférieure à quarante-cinq jours par décret, mais il est fondamental d’inscrire une limite dans la loi. Je n’ai pas suffisamment confiance dans ce Gouvernement pour lui renvoyer la balle.

M. le rapporteur. L’amendement AS39 prévoit d’inscrire dans la loi que le temps de repos doit être égal au temps de travail. D’autre part, un garde-fou de quarante-cinq jours n’est pas très protecteur ! Enfin, contrairement à ce que vous affirmez, le Gouvernement tient à conserver le premier registre du pavillon français.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels AS41 et AS42 de M. Didier Le Gac.

Amendement AS29 de M. Pierrick Berteloot

M. Pierrick Berteloot (RN). L’amendement tend à réguler le temps de travail des marins à bord en fixant une durée maximale d’heures consécutives travaillées. Le dumping social affecte autant les revenus que le rythme de travail aussi convient-il de garantir qu’une concurrence distordue ne naîtra pas du temps de travail.

M. le rapporteur. Je vous invite à retirer l’amendement au profit du mien, qui tend à renvoyer la fixation de la durée d’embarquement au décret.

La commission rejette l’amendement.

Amendements AS30 de M. Pierrick Berteloot, amendements identiques AS39 de M. Didier Le Gac, AS37 de M. Freddy Sertin et AS38 de M. Paul Christophe et sousamendements AS48, AS50, AS49 de Mme Claudia Rouaux et AS47 de M. Sébastien Jumel (discussion commune).

M. Pierrick Berteloot (RN). L’amendement AS30 tend à garantir un temps de repos aux marins équivalent au temps de travail effectué dans la journée. Le dumping social s’exerce aussi par les conditions et le rythme de travail. Un temps de repos est nécessaire pour le bien-être des marins et la sécurité des passagers.

M. le rapporteur. L’amendement AS39, en instaurant une durée de repos équivalente à la durée d’embarquement, vise à protéger la santé et la sécurité des salariés contre une fatigue excessive consécutive à des périodes de travail importantes. En préservant l’aptitude au travail des marins et en assurant leur récupération par des périodes de repos à terre, cette disposition assure la sécurité de la navigation et prévient les risques de pollutions marines dans une zone de navigation extrêmement dense.

L’amendement prévoit de renvoyer à un décret en Conseil d’État la fixation de la durée maximale d’embarquement qui pourra être adaptée en fonction des différentes situations de navigation – durée des voyages, périodicité, nombre de dessertes...

C’est à l’issue des auditions qu’il m’a paru important, non seulement de couvrir l’ensemble du sujet du dumping social, en étendant la loi de police à l’organisation du travail, mais aussi de faire en sorte que ce texte soit le plus abouti possible.

Cet amendement constitue un point d’équilibre entre notre volonté commune d’appliquer largement le droit du travail maritime français aux liaisons transmanche et notre souci de législateur de voter une loi applicable pour garantir la sécurité des acteurs économiques.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Le sous‑amendement AS48, auquel nous avons travaillé avec la CFDT Union maritime, vise à garantir que le temps de repos à terre soit équivalent à celui du temps d’embarquement et d’une rémunération au moins égale. L’harmonisation par le bas des salaires est un outil majeur de dumping social, qui dégrade les conditions de travail et altère la sécurité des liaisons.

M. Elie Califer (SOC). Le sous‑amendement AS50, également travaillé avec la CFDT Union maritime, vise à garantir que la durée de repos des marins qui travaillent sur les liaisons transmanche ne puisse être inférieure au repos prévu par le droit commun, soit trois jours calendaires par mois pour les congés payés.

Il tend également à étendre le bénéfice des conventions collectives ou des accords de branche aux marins travaillant sur les liaisons transmanche pour ce qui concerne l’organisation du travail – droit aux congés, repos compensateur...

Mme Claudia Rouaux (SOC). Il s’agit, avec le sous‑amendement AS49, de prévoir des sanctions en cas de non-respect des règles : 3 750 euros par salarié concerné et 7 500 euros en cas de récidive.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). J’ai rédigé le sous‑amendement AS47 à la va‑vite, mais en accord avec le rapporteur pour assortir le dispositif prévu de sanctions.

M. le rapporteur. J’invite M. Berteloot à retirer son amendement au profit des trois identiques, plus complets et plus conformes au droit international.

Je suis favorable au sous‑amendement AS47 visant à étendre les sanctions prévues par la proposition de loi au non-respect des obligations figurant dans mon amendement sur la parité du temps de travail car le volet coercitif me paraît indispensable.

En revanche, le sous‑amendement AS48 me semble moins bien rédigé en prévoyant dans un même article les sanctions pour les deux volets de la loi de police, qui ne sont pas justifiées par les mêmes motifs. Le sous‑amendement AS50 ne me paraît pas conforme aux justifications de la nouvelle loi de police et ne s’inscrit pas dans la préservation de la sécurité maritime et la lutte contre la pollution. De plus, en matière de loi de police, l’excès de précision ne me paraît pas de nature à garantir la sécurité juridique de la loi nécessaire à nos armateurs. Demandes de retrait.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Sur le fond, nous ne pouvons qu’approuver l’amendement AS39 mais, en renvoyant au décret, il n’en demeure pas moins imprécis. Sur quel fondement celui-ci sera-t-il rédigé et avec qui ?

M. Jimmy Pahun (Dem). Il convient de distinguer entre les métiers du pont, des machines et des services. Pour les deux premières catégories de personnels au moins, il n’est pas possible de travailler quarante-cinq jours en mer sur ce type de ferries. D’ici à l’examen en séance publique, pourrait-on travailler à un amendement visant à limiter le temps qu’ils passent en mer ?

M. Matthias Tavel (LFI - NUPES). À force d’argumentation, la question du temps de travail finit par s’imposer à tous. S’il est de bonne politique de poser des principes, nous ne fixons même pas un plafond auquel le décret ne pourrait pas déroger ; or un encadrement de la durée maximale de temps de travail me paraît indispensable.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). La limitation du temps de travail ne doit pas concerner les seuls personnels du pont et des machines. Les agents du service général (ADSG) abattent également un travail considérable. Je vous invite, monsieur Pahun, à devenir ADSG pendant quarante-cinq semaines : vous ne tiendrez pas tant ces métiers sont épuisants.

Je prends note de la sincérité du rapporteur mais, en séance publique, le ministre devra nous donner des engagements sur la rédaction du décret, qui devra être élaborée avec les organisations syndicales et le conseil supérieur de la marine marchande. Il devra également s’engager sur le respect de ce qui est vigueur chez nous.

M. Pierrick Berteloot (RN). Il n’est pas possible, en effet, de distinguer entre ces différents métiers. J’ai travaillé sur le pont et en tant qu’ADSG. Vous ne savez pas le travail que représente, pour ces personnels, une traversée avec 1 000 passagers : ils courent partout ! À l’escale, ils ont vingt minutes pour débarrasser, passer l’aspirateur, ranger les poubelles, remplir les frigos, et cela pendant douze heures et quinze jours.

M. le rapporteur. En séance publique, le ministre devra en effet rappeler un certain nombre de choses.

La loi de police justifie les dispositions que nous prenons au nom de la sécurité maritime. À ce propos, nous disposerons en fin d’année des conclusions d’une étude scientifique demandée par le secrétaire d’État chargé de la mer, qui conforteront les éléments que nous avons. Le décret sera élaboré sur le fondement de cette étude mais, aussi, à partir des discussions entre les armateurs, les organisations syndicales et les instances représentatives. Il n’est pas possible de demander à la fois une concertation et une prise de décision.

La commission rejette l’amendement AS30.

Puis elle rejette successivement les sousamendements AS48, AS50 et AS49.

Ensuite, elle adopte successivement le sousamendement AS47 et les amendements identiques AS39, AS37 et AS38 sous-amendés.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel AS43 de M. Didier Le Gac.

Amendements AS5 de Mme Sandrine Rousseau et AS25 de M. Pierrick Berteloot (discussion commune).

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Pour rendre ces dispositions encore plus dissuasives, notre amendement AS5 propose de durcir les sanctions prévues en faisant de la peine encourue en cas de récidive la peine principale et, ainsi, de doubler la récidive.

M. Pierrick Berteloot (RN). Une amende de 3 750 euros me semble assez dérisoire pour des compagnies qui s’enrichissent sur le dos des marins. Il convient de la porter à 37 500 euros. La compagnie Irish Ferries, l’année dernière, a engrangé 50 millions de bénéfices uniquement en économisant sur les coûts sociaux.

M. le rapporteur. Demande de retrait et, à défaut, avis défavorable.

Les sanctions proposées ne me semblent pas respecter le principe de la proportionnalité des peines puisque le premier amendement prévoit un emprisonnement dès la première infraction et que le second multiplie l’amende par dix ! Je rappelle, de plus, que cette amende s’applique pour chaque infraction constatée.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Les amendes pourraient être en effet énormes.

M. Pierrick Berteloot (RN). Vous estimez qu’une amende de 37 500 euros serait trop élevée, mais savez-vous combien de marins travaillent sur un ferry ? Une soixantaine.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement AS19 de M. Sébastien Jumel.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Amendement de coordination concernant le fait, pour l’employeur, de « méconnaître les dispositions ».

M. le rapporteur. Demande de retrait puisqu’il est satisfait par l’adoption de votre sous‑amendement AS47.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’amendement rédactionnel AS44 de M. Didier Le Gac.

Puis, suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement AS26 de M. Pierrick Berteloot.

Amendement AS27 de M. Pierrick Berteloot.

M. Pierrick Berteloot (RN). Cet amendement vise à interdire l’accostage aux navires ne respectant pas les normes sociales en vigueur. Nous devons être intraitables avec les compagnies maritimes qui pratiquent le dumping social et distordent ainsi la concurrence, menaçant les emplois des marins et un secteur stratégique indispensable à notre souveraineté. Si elles refusent une concurrence loyale en pratiquant les mêmes règles que les compagnies françaises, alors nous devons les exclure de ladite concurrence. Cette mesure étant expérimentale, un rapport jugeant de son efficacité devra être fourni aux parlementaires.

M. le rapporteur. Cette interdiction soulève à nouveau la question de la proportionnalité de la peine au regard d’autres infractions dont peuvent se rendre responsables les armateurs et au regard de ce que prévoit le code pénal.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel AS45 de M. Didier Le Gac, rapporteur.

Elle adopte l’article 1er modifié.

Après l’article 1er

Amendement AS33 de M. Pierrick Berteloot.

M. Pierrick Berteloot (RN). Cet amendement vise à empêcher qu’une flotte soit intégralement armée avec des CDD. Le besoin d’effectif minimum, en effet, doit être comblé par des contrats stables comme des CDI ou des équivalents communautaires. Des équipages complets de la compagnie Irish Ferries sont composés de salariés en CDD, ce qui précarise ces derniers et bloque de nombreuses applications des conventions collectives censées donner des garanties aux marins et les protéger.

M. le rapporteur. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

Le droit maritime français prévoit déjà des dispositions empêchant la succession de CDD pour un même salarié ou le remplacement immédiat d’un salarié en CDD par un autre salarié en CDD avant une certaine durée. Les articles L. 5542-11 et L. 5542-12 du code des transports sont très clairs.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS7 de Mme Claudia Rouaux.

Mme Claudia Rouaux (SOC). L’une des causes les plus importantes du dumping social sur les dessertes internationales réside dans l’application de conventions collectives les plus défavorables aux marins, voire, en l’absence de conventions collectives sur des points aussi cruciaux que la rémunération, le droit aux congés ou les conditions de travail. Cet amendement vise donc à protéger les travailleurs à bord et à lutter contre le dumping social afin qu’ils puissent bénéficier de la convention collective la plus favorable entre les deux pays desservis.

M. le rapporteur. Demande de retrait.

Outre les discussions que nous avons déjà eues sur la loi de police et son champ restreint par le droit européen, vos amendements visent à appliquer dans un autre port la loi française, ce qui ne me paraît pas conforme à l’application territoriale de notre droit.

De plus, la délimitation géographique de votre dispositif ne me semble pas appropriée. Pourquoi ne pas se limiter à l’Espace économique européen et inclure des pays tels que la Russie ou l’Azerbaïdjan alors même que d’autres liaisons, avec le Maghreb par exemple, pourraient davantage se justifier ?

De même, vous incluez des pays qui n’ont pas de côtes maritimes et pour lesquels la nouvelle législation serait donc difficilement applicable.

Enfin, il est très difficile, dans de nombreux cas, de déterminer la loi ou la convention collective la plus favorable, de sorte que la mesure conduirait à une application disposition par disposition, laquelle ne semble pas raisonnable pour la clarté et la lisibilité du droit.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS31 de M. Pierrick Berteloot.

M. Pierrick Berteloot (RN). Cet amendement vise à conditionner le temps d’embarquement pour les marins travaillant à bord d’un navire effectuant un trajet régulier sur la ligne transmanche à trois semaines consécutives et à accorder aux marins un temps de repos équivalent au temps d’embarquement.

Si le temps de travail est insoutenable, le manque de repos conduira inévitablement à une catastrophe. Lorsque l’on considère l’importance du trafic passager ou commercial, on imagine que trop les risques qui peuvent survenir parce que les marins sont sous-payés, manquent de repos et sont en tension.

M. le rapporteur. Nous avons déjà adopté un amendement sur le temps d’embarquement maximal des marins et le repos. Je vous invite à retirer celui-ci, qui est satisfait.

L’amendement est retiré.

Amendements AS10, AS11, AS8 et AS12 de Mme Claudia Rouaux (présentation commune).

M. Elie Califer (SOC). Nous osons encore présenter des amendements dans l’intérêt des travailleurs.

L’amendement AS10 vise à étendre le droit aux congés payés aux marins opérant sur des liaisons de passagers ou de marchandises entre un port situé sur le territoire national et un port situé dans un des pays européens.

Un des causes majeures du dumping social sur les dessertes internationales réside dans l’absence ou la faible rémunération des congés payés et des temps de repos sur les mêmes bases que les jours embarqués.

L’objectif de cet amendement est double : améliorer les droits sociaux des marins et lutter contre le dumping social.

Mme Claudia Rouaux (SOC). L’amendement AS11 vise à garantir que le temps de repos à terre soit équivalent à celui du temps d’embarquement et rémunéré d’une manière au moins égale.

L’amendement AS8 propose d’appliquer le droit français à tout marin travaillant sur un navire à destination ou partant d’un port français.

M. Elie Califer (SOC). L’amendement AS12, sur lequel nous avons travaillé avec les organisations syndicales, vise à interdire le recours au registre international français aux navires effectuant des liaisons entre la France et le Royaume‑Uni ou les îles anglo-normandes de Jersey et de Guernesey.

M. le rapporteur. Avis défavorable pour les raisons déjà évoquées lors de la discussion de l’amendement AS7. La délimitation géographique de votre dispositif, en particulier, ne me semble pas appropriée.

M. Nicolas Turquois (Dem). Dans la liste des pays que mentionne l’amendement AS10, la présence du Vatican me surprend : sans doute s’agit-il d’un transport mystique, voire d’une lévitation...

M. Matthias Tavel (LFI - NUPES). Nous voterons en faveur de ces amendements, révélateurs des limites de l’article 1er s’agissant du nombre de pays concernés et d’une volonté de limitation plutôt que d’imposition.

Par ailleurs, l’interdiction du RIF, en l’occurrence, ne fragiliserait en rien le transport en Méditerranée et constituerait un bon signal.

La commission rejette successivement les amendements.

Article 2 : Sanction de l’admission à bord d’un marin ne disposant pas d’un certificat d’aptitude médicale établi à l’étranger valide

La commission adopte l’article 2 non modifié.

Après l’article 2

Amendement AS13 de M. Sébastien Jumel.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Je remercie le rapporteur de s’inscrire dans une dynamique de coconstruction, mais celle-ci doit être concrétisée.

En raison du Brexit, l’exclusion du RIF ne s’applique plus pour les lignes anglaises. Je propose donc d’étendre cette exclusion aux lignes transmanche.

M. le rapporteur. La rédaction issue de la loi de 2005, renvoyant l’exclusion de certaines lignes au pouvoir réglementaire, doit être conservée en l’état. Cela permet au Gouvernement de garder une certaine souplesse dans l’application du dispositif tout en évitant un risque de rupture d’égalité devant les charges publiques en inscrivant certaines liaisons dans la loi.

Je vous invite également à interroger le Gouvernement sur ce point en séance publique.

Demande de retrait.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Comme disait ma grand-mère, « Méfie-té toujours, méfie-té encore ! ». Dans l’attente de l’engagement du ministre, je maintiens l’amendement. Nous ne donnerons aucun chèque en blanc.

La commission rejette l’amendement.

Article 3 (nouveau) : Rapport sur l’état des pratiques relatives au dumping social sur les lignes régulières de ferries au sein de l’Union européenne

Amendement AS17 de M. Sébastien Jumel et sousamendement AS46 de M. Didier Le Gac.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Il serait très utile de disposer d’un rapport sur les conséquences du dumping social, y compris en termes de concurrence déloyale, avec des opérateurs qui embauchent des marins français cotisant à l’Enim.

De plus, les témoignages sur les conditions des licenciements des marins et sur les conditions de travail des marins low cost décrivent un véritable esclavage.

M. le rapporteur. Avis favorable, sous réserve de l’adoption de mon sous‑amendement portant le délai de la remise du rapport de six à neuf mois.

Ce rapport permettra effectivement de compléter nos connaissances sur le phénomène, d’éclairer l’application de la loi et ses éventuelles évolutions.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Soit, mais si le rapport est achevé avant neuf mois, nous sommes tout de même preneurs.

La commission adopte successivement le sousamendement et l’amendement sousamendé

Article 4 (nouveau) : Rapport recensant les besoins humains et financiers des services en charge de l’inspection du travail maritime pour assurer leurs missions, notamment dans la lutte contre le phénomène de dumping social

Amendement AS18 de M. Sébastien Jumel.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Je propose que le Gouvernement remette un rapport précisant les pistes d’amélioration de la formation des agents en charge de l’inspection du travail maritime en matière de droit du travail maritime.

M. le rapporteur. Nous savons, certes, ce qu’il en est des demandes de rapport dans cette grande maison, mais, s’il est des corps d’inspecteurs à renforcer, c’est bien ceux de l’Inspection du travail et de l’Inspection générale des affaires maritimes. Avec un contrôleur pour 3 000 marins, je ne puis que donner un avis de sagesse.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Le manque d’effectifs, patent, empêche de vérifier ce qu’il en est du dumping social sur les navires. J’aurais souhaité un avis favorable de votre part.

M. Matthias Tavel (LFI - NUPES). Une task force des inspecteurs du travail et des inspecteurs des affaires maritimes doit être déployée pour lutter contre le dumping social. Depuis la privatisation de certains contrôles, le classement du pavillon français dans le Mémorandum de Paris s’est dégradé. L’État doit se donner les moyens de faire respecter ce que nous votons.

La commission adopte l’amendement.

Amendement AS23 de M. David Guiraud.

M. le rapporteur. Cet amendement est satisfait puisque le rapport permettra de savoir comment la task force sera déployée. Demande de retrait.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

 

*

La commission examine ensuite la proposition de loi, modifiée par le Sénat, visant à améliorer l’encadrement des centres de santé (n° 856) (Mme Fadila Khattabi, rapporteure).

 

Mme Fadila Khattabi, rapporteure. C’est avec beaucoup de plaisir que je reviens vous présenter cette proposition de loi qui, vous le savez, me tient particulièrement à cœur.

J’ai constaté en première lecture que ce sujet ne vous laisse pas indifférents tant vous avez été marqués par les récents scandales – les affaires Dentexia ou Proxidentaire.

L’encadrement des centres de santé est une nécessité. Il y va de la santé de nos concitoyens, notamment les plus fragiles d’entre eux. Nous devons absolument garantir que les soins prodigués dans ces centres, dentaires et ophtalmologiques, soient de qualité mais aussi respectent les règles de sécurité et de déontologie qui régissent la pratique médicale.

Cette proposition de loi a récemment fait l’objet d’un vote à l’unanimité au Sénat, ce dont je me réjouis. Nous l’avions adoptée en première lecture ici sur la base d’un large consensus qui était le résultat d’un véritable travail de coconstruction puisque des amendements issus de tous les bancs avaient été adoptés. J’en profite pour saluer particulièrement les travaux de notre collègue Thibault Bazin, qui est impliqué sur ce sujet depuis fort longtemps, mais également de notre collègue Sébastien Peytavie, qui n’avait pu être présent mais qui a grandement participé à enrichir le texte, notamment par la voix de Marie-Charlotte Garin. Je n’oublie pas non plus Thomas Mesnier, qui avait présenté un amendement très important permettant de soumettre les centres existants à l’agrément.

Le texte sera examiné en séance publique la semaine prochaine selon la procédure de législation en commission, à l’instar de ce qui avait été fait en première lecture.

Aussi, il me tient à cœur d’examiner les différents amendements que vous avez pu déposer, en espérant que nous pourrons conserver le même état d’esprit qu’en première lecture, au service des mêmes objectifs : enrichir le texte et garantir l’efficacité des mesures proposées.

Nos collègues sénateurs ont effectué plusieurs modifications. Certaines d’entre elles vont dans le bon sens, notamment lorsqu’il s’agit d’harmoniser la rédaction du texte ou encore de renforcer les dispositifs de contrôle et de sanction.

Dans d’autres cas, il nous faut procéder à quelques réajustements pour nous rapprocher davantage du texte que nous avions bâti ensemble en première lecture. Je pense notamment aux prérogatives du comité médical que nous avions créé ou encore aux objectifs de traçabilité que nous avions introduits, que ce soit par le biais du répertoire national, de la transmission des comptes ou encore de l’identité des praticiens exerçant dans les centres de santé.

Article 1er : Procédure d’agrément des centres de santé pour les activités dentaires et ophtalmologiques

Amendement AS13 de M Damien Maudet.

Mme Karen Erodi (LFI - NUPES). Nous partageons l’objectif de régulation des centres de santé, mais la proposition de loi présente deux défauts majeurs : elle ne renforce pas les moyens des agences régionales de santé (ARS) pour contrôler l’activité des centres ou leur délivrer un agrément ; elle ne répond pas au problème qu’ils posent en dévoyant leur but non lucratif.

L’amendement vise donc à interdire la délivrance d’un agrément aux centres de santé gérés par des groupes privés à but lucratif. Les dérives de certains d’entre eux tiennent au fait qu’ils contournent leur non-lucrativité pour devenir des machines à profit au détriment de l’humain.

En autorisant les groupes privés à gérer des centres de santé, on facilite le recrutement de nouveaux patients pour les cliniques qui leur appartiennent. Le groupe Elsan a ainsi ouvert un centre de santé en Seine-Saint-Denis pour profiter de « synergies », selon l’expression utilisée par Les Échos, avec la clinique de Stains qu’il possède. On ne peut plus accepter que l’argent public soit ainsi détourné vers le privé. La santé est un bien commun sur lequel la mainmise du marché est scandaleuse. Nous proposons d’y remédier modestement.

Mme la rapporteure. La mesure, que vous aviez proposée en première lecture, serait non seulement inutile mais aussi dommageable.

Inutile, parce que ce ne sont pas les gestionnaires privés à but lucratif, c’est-à-dire les cliniques qui gèrent des centres de soins, qui posent problème, mais les gestionnaires associatifs. Au contraire, ces cliniques sont des interlocuteurs bien identifiés des ARS, leur activité est largement contrôlée et régulée. Le combat que vous entendez mener n’est pas le bon.

Votre amendement serait aussi dommageable parce qu’il empêcherait de diversifier l’offre de santé pour lutter contre les déserts médicaux.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS8 de M. Pierre Dharréville.

M. Yannick Monnet (GDR - NUPES). Cet amendement vise à étendre l’obligation d’agrément à l’ensemble des centres de santé. En effet, si les dérives constatées concernent essentiellement les soins dentaires et l’ophtalmologie, toutes les activités médicales méritent d’être mieux encadrées.

Mme la rapporteure. Je reste défavorable à l’amendement, déjà examiné en première lecture, car il aurait pour effet d’alourdir considérablement le travail des ARS.

Ce sont les centres de santé dentaires et ophtalmologiques qui posent problème.

M. Yannick Monnet (GDR - NUPES). Nous ne considérons pas que l’ensemble des centres de santé posent problème. Nous défendons un encadrement plus strict des pratiques de santé.

Mme la rapporteure. Peut-être faudra-t-il renforcer l’encadrement mais, dans un premier temps, privilégions l’efficacité en ciblant les centres de santé défaillants.

La commission rejette l’amendement.

Amendements AS48 et AS47 de M. Christophe Bentz (discussion commune).

M. Christophe Bentz (RN). Nous portons un regard critique sur les ARS, qui sont des institutions trop centralisées. Les amendements visent donc à transférer la décision d’agrément à l’échelon départemental.

Mme la rapporteure. Je suis défavorable aux deux amendements. Ils ont pour objet de substituer, dans la procédure d’agrément, au directeur général de l’ARS le préfet de département pour le premier, et le délégué territorial de l’ARS pour le second.

Certes, les préfets ont une connaissance fine du territoire – ils l’ont démontré pendant la crise sanitaire. Néanmoins, nous souhaitons que l’ARS conserve sa compétence. Quant au délégué territorial, il est consulté si besoin. Votre exigence est donc satisfaite.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement AS23 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin (LR). Cet amendement concerne les pratiques frauduleuses des centres de santé pour les actes orthoptiques. Selon des témoignages, certains centres mentent sur les qualifications de leurs personnels en les faisant passer pour des médecins, appellent consultation d’ophtalmologie un simple bilan orthoptique ou facturent de l’orthoptie comme des actes médicaux. Plus récemment, pour contourner les nouvelles règles de la nomenclature générale des actes professionnels interdisant le cumul le même jour d’une consultation médicale spécialisée et d’un bilan orthoptique, certains centres de santé ont embauché un médecin généraliste pour prescrire un bilan orthoptique.

Par ailleurs, depuis peu, les orthoptistes peuvent effectuer, sans le concours d’un ophtalmologiste, un bilan visuel donnant lieu à la prescription de lunettes, mais ce dans les conditions suivantes : patient âgé de 16 à 42 ans, sans pathologie associée et pour des amétropies faibles.

Il faut adapter la proposition de loi pour couvrir ces situations et éviter de nouvelles dérives. C’est la raison pour laquelle l’amendement tend à élargir le périmètre de l’agrément aux activités orthoptiques.

Mme la rapporteure. À ce stade il n’existe pas de centres ayant une activité exclusivement orthoptique. Néanmoins je donne un avis favorable à l’amendement, en ce qu’il tend à anticiper d’éventuelles dérives.

La commission adopte l’amendement.

Amendement AS9 de M. Yannick Monnet.

M. Yannick Monnet (GDR - NUPES). En cela conforme au texte initial, cet amendement vise à étendre l’obligation d’agrément aux activités gynécologiques qui font régulièrement l’objet de plaintes.

Mme la rapporteure. En première lecture, nous avons retiré les centres gynécologiques du périmètre de l’agrément.

Il existe des centres « gynécologiques » plutôt tournés vers le bien-être féminin dont certains peuvent avoir des pratiques contestables sur le plan médical – ils proposent des thérapies alternatives dont l’efficacité peut être mise en doute. Toutefois, il ne s’agit pas de centres de santé au sens du code de la santé publique. La proposition de loi n’est donc pas le lieu pour traiter le problème.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS29 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin (LR). Cet amendement a pour objet, cette fois, d’élargir le périmètre de l’agrément aux activités d’imagerie médicale. Les retours des professionnels sur la pertinence des actes et la qualification des personnels sont parfois alarmants.

Mme la rapporteure. L’amendement, déjà rejeté en première lecture, est le fruit d’une confusion sur les centres de santé. Vous visez les centres d’imagerie médicale que l’on voit fleurir un peu partout. Or, renseignements pris auprès du ministère, il ne s’agit pas de centres de santé. Ils prennent souvent la forme de société à responsabilité limitée ou de sociétés d’exercice libéral à responsabilité limitée. D’ailleurs, ils pratiquent souvent des dépassements d’honoraires qui ne sont pas autorisés dans les centres de santé.

M. Thibault Bazin (LR). Nous devons rester vigilants sur les néocentres dans lesquels on ne sait même pas qui est médecin et dont les devantures se veulent attractives. J’ai l’exemple dans mon département d’un centre dont l’activité a été suspendue parce qu’elle outrepassait la légalité. Je ne vise pas les centres vertueux qui jouent le jeu de la permanence des soins.

Je voulais aussi évoquer les cas dans lesquels l’interprétation des images est effectuée à Monaco et à l’étranger sans aucune garantie quant aux qualifications de ceux qui en sont chargés ni à la protection des données de santé qui sont transférées. Cela pose des questions de responsabilité.

Mme la rapporteure. Le Gouvernement n’a pas pour l’instant de remontées sur ce sujet, mais peut-être mériterait-il des investigations complémentaires.

La commission rejette l’amendement.

Amendements identiques AS32 de Mme Fadila Khattabi et AS31 de Mme Claire Guichard.

Mme la rapporteure. En première lecture, l’Assemblée nationale avait imposé que le dossier d’agrément comporte, parmi d’autres documents, les contrats liant l’organisme gestionnaire à des sociétés tierces, et ce afin que le directeur général de l’ARS puisse déceler des montages à but lucratif derrière des centres de santé associatifs, le cas échéant avec le concours d’autres administrations de l’État.

Or le Sénat a choisi de renvoyer à un décret les critères régissant la transmission desdits contrats. Ceux-ci pouvant être très nombreux, en particulier lorsque le gestionnaire est une collectivité, il convient de définir ceux dont la transmission est prioritaire. J’approuve donc le renvoi au pouvoir réglementaire, qui permet de rendre l’obligation opérationnelle. En revanche, l’ajout de l’expression « le cas échéant » suggère que la transmission serait facultative. J’y suis opposée, raison pour laquelle je vous propose un amendement visant à le supprimer.

Mme Claire Guichard (RE). Il ne faut laisser aucun doute quant à l’obligation pour les gestionnaires de transmettre les documents nécessaires à la bonne information du directeur général de l’ARS.

La commission adopte les amendements.

Amendement AS57 de M. Sébastien Peytavie.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). L’amendement a pour objet de maintenir des visites de contrôle à l’initiative de l’ARS afin de s’assurer que les centres de santé sanctionnés pour manquement grave à leurs objectifs de conformité ne commettent pas à nouveau des abus.

De nombreux dysfonctionnements ont été constatés dans des centres de santé détenus par des groupes privés dont le nombre a explosé ces dernières années. Les innombrables cas de prescriptions excessives de soins dans l’unique but de facturer davantage à la sécurité sociale impliquent une réponse forte de la part des autorités sanitaires. Dans l’intérêt des patients, les contrôles doivent être renforcés non seulement en amont, lors de l’ouverture des centres de santé, mais aussi lorsqu’une sanction a été prononcée à l’égard d’un centre fautif.

Mme la rapporteure. Votre amendement est satisfait. Les ARS ont déjà la possibilité d’effectuer des visites et elles ne manqueront pas de l’utiliser dans les centres de santé dont l’activité a été suspendue.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). L’écrire noir sur blanc dans le texte peut donner plus de force à ces contrôles.

La commission rejette l’amendement.

Amendements identiques AS6 de M. Pierre Dharréville et AS26 de M. Thibault Bazin.

M. Yannick Monnet (GDR - NUPES). Il s’agit de rendre obligatoire la visite de conformité des centres de santé pendant leur année probatoire.

Mme la rapporteure. Avis défavorable.

La systématisation de la visite de contrôle aura pour conséquence d’alourdir le travail des ARS. En outre, une telle visite ne semble pas justifiée pour certains centres de santé – mutualistes ou gérés par les collectivités territoriales – qui ne posent aucun problème. Faisons confiance aux ARS pour juger de la pertinence d’une visite.

M. Thibault Bazin (LR). Nous rêverions d’un développement des centres mutualistes en lieu et place de l’essor, observé dans d’autres pays, des néocentres, qui sont guidés par des logiques financières, dépourvus de moralité médicale et soutenus par des fonds de pension. De surcroît, ces derniers ne s’installent pas toujours là où nous en aurions besoin et la qualité des soins laisse parfois à désirer.

La visite de conformité ne vise pas les centres mutualistes qui cherchent à survivre et à recruter dans le paysage médical actuel mais ceux qui ouvrent. Je comprends toutefois l’impératif, pour les ARS, d’adapter les contrôles à leurs moyens.

Je souhaite que notre commission, dans le cadre du Printemps social de l’évaluation, suive de manière rigoureuse cette question.

M. Yannick Monnet (GDR - NUPES). Je souscris aux propos de M. Bazin. Nous devons imposer une obligation de moyens. On n’imagine pas de rendre facultatives les visites des commissions de sécurité dans les établissements recevant du public.

Il est essentiel de surveiller le fonctionnement des centres de santé, au moins la première année après leur ouverture. L’ARS a un an pour s’organiser, c’est moins contraignant qu’une visite préalable.

Mme la rapporteure. Un an, cela reste très contraignant pour les ARS. N’oubliez pas qu’elles vont devoir aussi, grâce à vous, s’occuper du « stock ». Même si les moyens augmentent, ils ne seront pas suffisants pour remplir une telle mission. Soyons raisonnables et faisons confiance aux ARS pour faire leur travail avec discernement.

La commission rejette les amendements.

Amendement AS65 de M. Sébastien Peytavie.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). On peut imaginer que certains centres, faisant l’objet d’une visite de contrôle de l’ARS, cherchent à dissimuler des éléments potentiellement révélateurs d’un manquement à leurs obligations. Afin de prévenir toute fraude supplémentaire, il nous semble opportun que l’ARS puisse effectuer une visite sans avertir le centre concerné. Cela ne s’appliquerait qu’aux centres ayant écopé d’un retrait d’agrément pour faute grave.

Les centres de santé, en particulier les centres mutualistes et ceux gérés par les collectivités locales, sont un pilier de l’accès aux soins. Pour autant, l’extrême gravité des faits de mutilations à des fins lucratives commis par les groupes Dentexia et Proxidentaire nous invite à la plus grande prudence, en particulier vis-à-vis des centres gérés par des groupes privés à but lucratif.

Mme la rapporteure. J’entends votre appel à la prudence : j’émets donc un avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Amendement AS33 de Mme Fadila Khattabi.

Mme la rapporteure. Le Sénat a accédé à la demande des ordres professionnels de se voir communiquer le projet de santé du centre de santé.

Je vous ai déjà expliqué les raisons pour lesquelles les ordres n’ont pas à en connaître. Cela ne relève pas de leurs missions. Le projet de santé porte avant tout sur l’organisation des soins et non la déontologie.

Le texte élargit par ailleurs les prérogatives des ordres.

M. Thibault Bazin (LR). C’est le seul amendement de votre main sur lequel nous sommes en désaccord...

On l’a vu lors des auditions, la principale difficulté porte sur l’échange d’informations entre les ARS, les ordres, l’assurance maladie et les autres administrations pour détecter les montages frauduleux. Sur le projet de santé, l’ARS manque d’éléments pour se prononcer. Le regard des ordres peut être intéressant pour vérifier la cohérence des ambitions déontologiques du projet. Je suis opposé à l’amendement.

Mme la rapporteure. Je le maintiens car il me semble important de clarifier les prérogatives de chacun et de ne pas alourdir leurs tâches.

La commission adopte l’amendement.

Amendement AS53 de M. Sébastien Peytavie.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). L’article 1er vise à contrôler davantage les professionnels de santé exerçant dans les centres de santé. Toutefois, le rôle joué par les conseils départementaux de l’Ordre lors de la transmission des données n’est pas précisé. Nous proposons donc que ces organes puissent prononcer un avis contraignant sur les professionnels de santé concernés.

Mme la rapporteure. Vous souhaitez que l’avis rendu par l’Ordre sur les contrats de travail des professionnels médicaux d’un centre de santé devienne contraignant. Cela ne me paraît pas souhaitable. La décision sur la conduite à tenir doit absolument rester entre les mains de l’ARS, qui pourra, en fonction de l’avis de l’Ordre, engager un dialogue avec le gestionnaire, par exemple pour faire évoluer certaines clauses des contrats. Il me semble trop rigide d’attendre l’avis de l’Ordre sans laisser de marge de manœuvre au directeur général de l’ARS, qui est pourtant le seul responsable de l’octroi ou non de l’agrément. Faisons confiance aux ARS !

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS64 de M. Sébastien Peytavie.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Compte tenu de l’ampleur et de la gravité des violences gynécologiques en France, le groupe Écologiste regrette que la gynécologie ait été exclue d’une telle mesure d’encadrement. Cette proposition de loi entend pourtant prévenir efficacement toute dérive pouvant mener à des mutilations ou à des prescriptions de soins sans le consentement des patients, et la gynécologie n’échappe pas à ces abus.

Les violences gynécologiques font encore l’objet d’un tabou important en France ; il ne s’agit pourtant pas de cas isolés, mais bien de violences systémiques. Au cours de sa vie, une femme se rendra en moyenne cinquante fois chez un gynécologue. Il est urgent de mettre fin aux violences commises dans ce milieu, donc nécessaire de saisir l’occasion qui s’offre à nous en incluant les centres de santé pratiquant des activités gynécologiques dans le champ d’application de la présente proposition de loi.

Mme la rapporteure. Je me suis déjà exprimée longuement à propos des centres gynécologiques. À aucun moment, lors des auditions, nous n’avons reçu une quelconque alerte à ce sujet.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS12 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Nous souhaitons que l’avis rendu par le conseil départemental de l’Ordre soit le plus éclairé possible. Pour ce faire, il ne doit pas seulement s’appuyer sur les conditions de travail des professionnels salariés dans les centres de santé, mais également sur leur qualification.

La création de centres de santé est à nos yeux l’une des réponses possibles à la crise sanitaire que nous traversons. Nous sommes attachés à ce que ces centres aient un but non lucratif, ce qui réglerait un certain nombre des problèmes auxquels nous sommes parfois confrontés.

Mme la rapporteure. Je vous invite à retirer votre amendement, qui est déjà satisfait. À l’évidence, l’avis du conseil de l’Ordre portera sur les contrats de travail des professionnels médicaux au regard de leurs diplômes, qui lui auront également été transmis. J’ose espérer que les centres de santé ne signent pas de contrats de travail sans examiner les compétences ni les diplômes des professionnels qu’ils emploient !

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Nous ne doutons pas de votre intention, mais nous continuons de penser que cette précision serait utile. Lier l’avis rendu par le conseil de l’Ordre sur les contrats de travail à l’appréciation des diplômes constituerait une garantie supplémentaire, notamment lorsque les recrutements de faisant-fonction se multiplient. On a d’ailleurs bien vu dans les Ehpad que le contrôle des contrats de travail n’était pas toujours suffisant. Quoi qu’il en soit, notre amendement ne porte pas atteinte au dispositif législatif que vous voulez mettre en œuvre : l’adopter ne coûte rien !

Mme la rapporteure. Devant la pugnacité de M. Dharréville, je m’en remets à la sagesse de notre commission.

La commission adopte l’amendement.

Amendement AS11 de M. Yannick Monnet.

M. Yannick Monnet (GDR - NUPES). Nous souhaitons réaffirmer clairement que le non-respect des règles entraîne le retrait de l’agrément, et non une possibilité de retrait.

Mme la rapporteure. Vous voudriez que l’agrément soit systématiquement retiré dès lors qu’un manquement est constaté. Cela me paraît disproportionné. Il peut en effet se produire des manquements de tous genres : ne pas avoir actualisé à temps la liste des professionnels exerçant dans un centre de santé, ce n’est pas la même chose que de retirer toutes les dents d’un patient pour lui poser des implants ! Je donne donc à votre amendement un avis défavorable. Il faut laisser au gestionnaire la possibilité de corriger en temps et en heure les manquements constatés : nous n’allons tout de même pas fermer un centre de santé dès qu’une pièce justificative n’aura pas été produite !

L’amendement est retiré.

Amendement AS63 de M. Sébastien Peytavie.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). L’article 1er prévoit de conditionner l’attribution de l’agrément au respect des règles en matière de qualité et de sécurité des soins. Le groupe Écologiste propose toutefois d’aller plus loin en conditionnant également l’agrément à l’absence de tout conflit d’intérêts. Nous partons du principe que les conflits d’intérêts existant au sein de certains groupes privés ne sont pas sans lien avec les pratiques frauduleuses exercées par des gestionnaires obnubilés par l’appât du gain et ayant mené aux cas de mutilations que nous avons évoqués.

En première lecture, nous avions proposé d’interdire l’exercice d’une fonction dirigeante au sein d’une structure gestionnaire de centre de santé en cas de liens d’intérêts avec des entreprises privées lui délivrant des prestations. Cette mesure a été adoptée et reprise par le Sénat : c’est une première avancée. Cependant, encore une fois, nous devons aller plus loin dans la prévention des conflits d’intérêts qui, conjugués à la dimension lucrative des gestionnaires privés de centre, ouvrent la porte à tous les abus. L’Inspection générale des affaires sociales a en effet relevé, dans son rapport relatif aux centres de santé dentaires, que « certains dirigeants exercent, directement ou indirectement, des fonctions de gérant ou autres dans des entreprises en lien direct ou indirect avec l’association gérée, ces dernières ne s’inscrivant pas dans le principe législatif de non-lucrativité d’une association ». Aussi proposons-nous d’inclure dans les raisons motivant un retrait d’agrément l’existence de conflits d’intérêts au sein d’une structure gestionnaire.

Mme la rapporteure. Votre amendement est beaucoup plus restrictif que la rédaction actuelle de l’article 1er, qui permet un retrait de l’agrément dès lors qu’une des règles conditionnant l’octroi de cet agrément n’a pas été respectée – la règle de la prévention des conflits d’intérêts en fait partie. Avec votre amendement, on ne pourrait retirer l’agrément que dans cette situation. Que faites-vous du cas où des patients ont été mutilés, par exemple ? En l’absence de conflit d’intérêts avéré, faudrait-il maintenir l’agrément ?

Demande de retrait et, à défaut, avis défavorable.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’amendement rédactionnel AS40 de Mme Fadila Khattabi.

Amendement AS59 de M. Sébastien Peytavie.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). L’article 1er impose au représentant légal de l’organisme gestionnaire d’un ou plusieurs centres de santé d’informer l’ARS, la caisse locale d’assurance maladie ainsi que le conseil départemental de la fermeture de l’un de ses centres. Toutefois, dans un souci de transparence vis-à-vis des patients ayant fréquenté un centre de santé dont la mauvaise gestion aurait affecté la qualité des soins offerts, il est impératif que le groupe gestionnaire informe aussi sa patientèle de la fermeture du centre et de son motif. Les patients ont en effet le droit de savoir qu’ils ont peut-être été victimes d’une surprescription de soins inutiles voire dangereux afin de demander réparation et de déterminer, le cas échéant, l’impact de ces fraudes sur leur santé. Le groupe Écologiste souhaite donc qu’en cas de fermeture liée à une sanction, le gestionnaire soit également tenu d’informer sa patientèle s’étant rendue dans le centre concerné.

Mme la rapporteure. C’est une bonne idée que de prévoir l’information des patients en cas de fermeture d’un centre pour manquement. Il me semble cependant que ce devoir d’information revient plutôt à l’ARS – si le centre est déviant, je ne suis pas sûre qu’on puisse compter sur lui pour en informer les patients !

Par ailleurs, votre amendement aurait davantage trouvé sa place à l’article 4, qui porte précisément sur la conduite à tenir face à des manquements. Inspirée par votre amendement, j’en ai donc déposé un amendement AS79 à l’alinéa 4 de l’article 4 afin de prévoir une information systématique des patients en cas de fermeture d’un centre de santé. Aussi, je vous invite à retirer votre amendement au profit du mien.

L’amendement est retiré.

Amendement AS30 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin (LR). Afin d’éviter les dérives financières des centres de santé, qui prennent souvent la forme associative, il convient de connaître leurs liens avec d’autres sociétés. Je ne pense pas ici aux centres mutualistes, mais plutôt aux néocentres, dont la logique de fonctionnement est parfois abusive.

Dans certains cas, un centre de santé franchisé peut devoir verser des sommes importantes à une société mère au titre de l’utilisation d’une marque commerciale. De tels coûts peuvent être à l’origine de nombreuses dérives. Dès lors, nous proposons de conditionner l’obtention de l’agrément de l’ARS à la déclaration, par les néocentres de santé ou leurs antennes, de l’ensemble de leurs liens contractuels avec des sociétés. Un décret du ministre de la santé et de la prévention viendrait préciser les modalités d’application de ces dispositions.

Il résulte de travaux menés par les professionnels de santé avec des experts, notamment avec des juristes, que toute une ingénierie financière est en train de se développer. Elle peut paraître neutre, mais certains contrats conclus avec des prestataires éloignent les centres de santé de leur vocation originelle et suscitent des dérives commerciales. Aussi notre amendement assurerait-il une certaine visibilité sur ces montages, au-delà des projets de santé des centres et des qualifications des professionnels concernés.

Mme la rapporteure. Vous demandez que la délivrance de l’agrément soit soumise à la déclaration des liens contractuels du gestionnaire avec des sociétés tierces. Il me semble que votre amendement est pleinement satisfait par la rédaction actuelle de l’alinéa 6, qui prévoit que tous ces éléments doivent obligatoirement figurer dans le dossier d’agrément.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Je partage la préoccupation de M. Bazin. Il arrive que les gestionnaires de centres de santé poursuivent des logiques de contournement, d’aménagement ou de dissimulation ; on trouve parfois derrière ces centres des structures à but très lucratif à la recherche d’une façade plus acceptable. Nous devons lutter contre ce phénomène – tant mieux si c’est ce qui est prévu par ailleurs. Pour aller au bout de la démarche, il faudrait également revenir sur une disposition assez récente, adoptée lors de la précédente législature, qui autorise les centres de santé à avoir un but lucratif.

M. Thibault Bazin (LR). L’alinéa 6 semble en effet viser cet objectif, mais le diable se cache parfois dans les détails. J’ai en tête l’exemple de néocentres de santé installés dans des centres commerciaux ; les liens immobiliers qui posaient problème n’apparaissaient pas nécessairement dans les éléments médicaux contrôlés par l’ARS. Peut-être devrions-nous nous pencher sur ce sujet, qui mériterait la mise en place d’une mission d’information, d’ici au Printemps social de l’évaluation 2024. Pourriez-vous prendre date, madame la rapporteure ?

Mme la rapporteure. Je prends date. Quoi qu’il en soit, cette proposition de loi fera l’objet d’une évaluation.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’article 1er modifié.

Article 1er bis A : Conservation du dossier médical et mise à disposition de ce dernier en cas de fermeture

Amendement de suppression AS17 de M. Thierry Frappé.

M. Thierry Frappé (RN). Cet amendement vise à préserver le secret médical. En effet, le dossier médical est strictement personnel ; il ne peut être communiqué à un tiers que dans des conditions très strictes, par exemple en cas de décès du patient. Contrairement aux professionnels de santé, l’ARS n’est pas habilitée au secret médical : elle n’a donc pas à détenir les dossiers médicaux des patients.

Mme la rapporteure. Vous avez déposé plusieurs amendements visant à supprimer ou modifier l’article 1er bis A afin de garantir le bon usage et la confidentialité des dossiers médicaux des patients. Je partage pleinement votre préoccupation, car je suis moi‑même insatisfaite de la rédaction adoptée par le Sénat. Il me semble inadapté de prévoir le transfert de l’ensemble des dossiers médicaux à l’ARS, et le Gouvernement m’a d’ailleurs confirmé que cela n’entrait nullement dans les compétences de cette agence. C’est la raison pour laquelle je proposerai une réécriture de l’alinéa 4, qui vous satisfera probablement.

Je vous invite à retirer votre amendement de suppression.

L’amendement est retiré.

L’amendement AS49 de M. Christophe Bentz est retiré.

Amendement AS34 de Mme Fadila Khattabi.

Mme la rapporteure. Comme je l’ai annoncé, cet amendement vise à proposer une nouvelle solution garantissant la conservation des dossiers médicaux après la fermeture d’un centre de santé.

La fermeture des centres Proxidentaire et Dentexia a laissé des milliers de patients sans aucune trace des soins qu’ils avaient reçus. Ils se sont retrouvés avec des problèmes dentaires parfois très graves, et comme on ne savait pas quels soins leur avaient été prodigués, il a fallu réaliser de nouveaux bilans complets, longs et coûteux, avant de pouvoir reprendre les traitements. Pour remédier à cette situation, le Sénat a adopté l’article 1er bis A, mais le transfert à l’ARS de l’ensemble des dossiers médicaux pose problème à bien des égards. Je propose de confier cette mission aux ordres – ceux d’entre vous qui souhaitent absolument faire travailler ces instances s’en réjouiront ! Vous voyez que je ne suis pas dogmatique.

Mon amendement prévoit ainsi une information obligatoire des institutions ordinales s’agissant des dispositions prises en vue de garantir la conservation des dossiers en cas de fermeture prolongée ou définitive d’un centre de santé. Si nous l’adoptons, il fera tomber les autres amendements déposés à l’alinéa 4, mais je pense qu’il répond aux préoccupations de chacun d’entre nous.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, les amendements AS14 de M. Thierry Frappé, AS10 de M. Pierre Dharréville ainsi que les amendements AS15 et AS19 de M. Thierry Frappé tombent.

La commission adopte l’article 1er bis A modifié.

Article 1er bis : Interdiction d’exercer une fonction dirigeante dans une structure gestionnaire de centre de santé en cas de liens d’intérêts avec des entreprises privées lui délivrant des prestations

Amendement AS27 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin (LR). L’une des explications des nombreuses dérives constatées au sein des centres de santé dentaires et ophtalmologiques est l’absence de formation adaptée de leurs gestionnaires. Je propose donc que le dirigeant d’un centre de santé doive détenir une qualification professionnelle figurant sur une liste fixée par arrêté du ministre chargé de la santé. Cet arrêté fixerait les modalités transitoires et la date à partir de laquelle cette qualification deviendrait obligatoire.

Mme la rapporteure. Je partage pleinement votre ambition de responsabiliser davantage les gestionnaires des centres de santé et de faire primer la qualité et la sécurité des soins sur l’objectif lucratif. En ce sens, la présente proposition de loi contient déjà un certain nombre de garanties visant notamment à déceler les liens d’intérêts, à sortir du circuit certains dirigeants dont le management pose manifestement problème, ou encore à contrebalancer l’objectif de rentabilité du gestionnaire par la mise en place d’un comité médical responsable de la qualité et de la sécurité des soins.

J’ai conscience que nous pourrions aller encore plus loin, mais nous devons veiller à rester cohérents et à ne pas freiner le développement de ces centres. Certains gestionnaires sont tout à fait vertueux.

Avis défavorable.

M. Thibault Bazin (LR). Je m’étais un peu inspiré de votre témoignage et de ce que vous avez vécu avec effroi dans votre département – le responsable du centre que vous avez évoqué n’avait aucune compétence, malgré tout le respect que nous avons pour le métier qu’il exerce.

Je comprends qu’il ne faut peut-être pas faire figurer cette disposition dans la présente proposition de loi. Pour autant, nous devrons examiner cet aspect dans le cadre de la future évaluation que nous réaliserons. La gestion d’un centre de santé n’est tout de même pas rien : il faut avoir quelques notions des règles applicables, notamment en matière de déontologie. De plus en plus souvent, des cadres administratifs interviennent dans les cabinets médicaux de groupe afin d’assurer la gestion comptable et des ressources humaines – il arrive d’ailleurs que ce mode de fonctionnement soit prévu par la convention collective. Cependant, la formation de ces cadres peut paraître inadaptée. Il serait donc intéressant d’interroger le ministère sur les actions envisagées dans ce domaine afin que les gestionnaires des centres de santé respectent les règles de l’éthique à la française.

Mme la rapporteure. J’entends vos remarques, mais je pense que vous avez compris ma position. Il ne faut pas gripper le processus de développement des centres de santé en alourdissant outre mesure leurs obligations. Vous savez à quel point je suis favorable à la formation professionnelle, qui permet de monter en compétences, mais je considère que la proposition de loi apporte déjà beaucoup de réponses aux problèmes actuels et que, à ce stade, il n’est pas opportun d’aller plus loin.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’article 1er bis non modifié.

Article 1er ter (supprimé) : Information de l’agence régionale de santé, de l’assurance maladie et de l’ordre en cas de fermeture de centre de santé

La commission maintient la suppression de l’article 1er ter.

Article 1er quater : Procédure d’agrément pour les centres de santé dentaires et ophtalmologiques déjà autorisés à dispenser des soins

Amendements AS71 et AS67 de M. Christophe Bentz (discussion commune).

M. Christophe Bentz (RN). Vous nous avez appelés tout à l’heure à avoir confiance dans la direction générale des ARS, mais vous avez sans doute compris que ce n’était pas notre cas. Du reste, la confiance n’exclut pas le contrôle : c’est pourquoi nos amendements visent à renforcer ce contrôle et à le rendre plus départemental. Les ARS nous semblent trop centralisées, trop lointaines, trop déconnectées de certaines réalités territoriales vécues à des échelons plus petits. Il ne s’agit pas d’alourdir la procédure des demandes d’agrément mais de contraindre les ARS à prendre des décisions partagées avec les préfets de département, avec les conseils départementaux de l’Ordre des médecins, voire avec les conseils départementaux tout court.

Mme Firmin Le Bodo, la ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé, a annoncé la départementalisation des ARS. Ce projet, qui semble assumé par la majorité et le Gouvernement, va dans le bon sens. Je m’attends donc à ce que vous donniez un avis favorable à mes amendements, qui s’inscrivent dans cette logique.

Mme la rapporteure. Je reste constante et donne un avis défavorable à vos deux amendements. Contrairement à vous, je fais entièrement confiance aux ARS, qui mènent aussi une politique territorialisée au travers de leurs délégués départementaux.

Je vous rejoins quant à la nécessité du partage d’informations. Je ferai à l’article 4 certaines propositions en la matière.

M. Ian Boucard (LR). Je n’exprime pas de défiance à l’encontre des ARS mais je considère, comme M. Bentz, qu’elles sont trop éloignées du terrain. L’ARS dont dépend le Territoire de Belfort, où je suis élu, est celle de Dijon, une ville à la fois proche et lointaine – trop lointaine, en tout cas, pour répondre aux préoccupations exprimées sur le terrain. Pendant la crise sanitaire, on a vu que la gestion par les préfets des centres de test et des campagnes de vaccination a bien fonctionné. Je n’ai pas d’avis personnel sur les amendements de M. Bentz, mais je souhaiterais que les ARS soient placées sous l’autorité des préfets de département. Nous y gagnerions en efficacité, en efficience des politiques publiques et en connaissance du terrain. Je comprends que vous n’ayez pas la même préoccupation, madame la rapporteure, puisque vous avez été élue dans la ville centre. Dijon et Belfort ont toutes deux accueilli un centre de dépistage du covid, mais celui de Dijon était plus rapide car c’est dans cette ville que se trouvait l’ARS.

Mme la rapporteure. J’entends bien vos remarques et je considère que la mobilisation de l’ensemble des préfets pendant la crise sanitaire était pleinement justifiée, mais les ARS sont aussi organisées à l’échelle territoriale. Leurs délégués territoriaux réalisent un travail de qualité.

Je connais bien le Territoire de Belfort, où j’ai enseigné pendant quatre ans. Du reste, je suis née à Montbéliard.

Nous ne devons surtout pas mettre à mal les ARS. Peut-être conviendrait-il d’étoffer leurs moyens de contrôle. Puisque M. Bazin n’a pas redéposé sa demande de rapport, je défendrai moi-même un amendement visant à renforcer les moyens dont disposent ces agences pour mener efficacement les politiques publiques dont elles sont chargées.

La commission rejette successivement les amendements.

 

 

La séance est levée à treize heures.


Présences en réunion

Présents.  M. Éric Alauzet, Mme Bénédicte Auzanot, M. Joël Aviragnet, M. Thibault Bazin, M. Christophe Bentz, Mme Fanta Berete, Mme Anne Bergantz, M. Jean-Luc Bourgeaux, M. Elie Califer, M. Victor Catteau, M. Paul Christophe, Mme Josiane Corneloup, Mme Laurence Cristol, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Karen Erodi, M. Olivier Falorni, M. Marc Ferracci, M. Thierry Frappé, Mme Marie-Charlotte Garin, M. François Gernigon, M. Jean-Carles Grelier, Mme Justine Gruet, Mme Claire Guichard, Mme Monique Iborra, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Caroline Janvier, M. Sébastien Jumel, Mme Rachel Keke, Mme Fadila Khattabi, M. Didier Le Gac, Mme Christine Le Nabour, Mme Élise Leboucher, Mme Katiana Levavasseur, M. Matthieu Marchio, M. Didier Martin, Mme Joëlle Mélin, M. Yannick Monnet, M. Serge Muller, M. Yannick Neuder, M. Jimmy Pahun, Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, Mme Michèle Peyron, M. Sébastien Peytavie, Mme Stéphanie Rist, Mme Claudia Rouaux, M. Jean-François Rousset, M. François Ruffin, M. Freddy Sertin, M. Emmanuel Taché de la Pagerie, Mme Prisca Thevenot, M. Nicolas Turquois, Mme Isabelle Valentin, M. Frédéric Valletoux, Mme Annie Vidal, M. Alexandre Vincendet, M. Stéphane Viry

Excusés.  M. Sébastien Delogu, Mme Caroline Fiat, M. Jean-Philippe Nilor, M. Jean‑Hugues Ratenon, M. Olivier Serva, Mme Sophie Taillé-Polian

Assistaient également à la réunion.  M. Pierrick Berteloot, M. Ian Boucard, M. Pierre Dharréville, M. Jérôme Guedj, M. David Guiraud, M. Paul Molac, M. Vincent Rolland, Mme Sandrine Rousseau, M. Matthias Tavel