Compte rendu

Commission
des affaires sociales

–  Examen, en application de l’article 88 du Règlement, des amendements à la proposition de loi portant abrogation de l’obligation vaccinale contre la covid‑19 dans les secteurs médicaux, paramédicaux et d’aide à la personne et visant à la réintégration des professionnels et étudiants suspendus (n° 991) (M. Jean-Victor Castor, rapporteur)              2

–  Table ronde avec des associations sur la prise en charge de l’autisme..2

– Audition du Dr Pierre Gabach, chef du service des bonnes pratiques de la Haute Autorité de santé, sur la prise en charge de l’autisme 18

– Audition de Mme Claire Compagnon, déléguée interministérielle à la stratégie nationale pour l’autisme et aux troubles du neuro-développement, sur la prise en charge de l’autisme              24

– Présences en réunion.................................38

 

 

 

 

 


Mercredi
3 mai 2023

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 78

session de 2022-2023

Présidence de
Mme Fadila Khattabi,
présidente

 

 


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La séance est ouverte à quinze heures.

La commission examine, en application de l’article 88 du Règlement, des amendements à la proposition de loi portant abrogation de l’obligation vaccinale contre la covid-19 dans les secteurs médicaux, paramédicaux et d’aide à la personne et visant à la réintégration des professionnels et étudiants suspendus (n° 991) (M. Jean-Victor Castor, rapporteur).

La commission n’a accepté aucun des amendements nouveaux. L’ensemble des amendements est donc considéré comme repoussé.

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La commission auditionne ensuite, dans le cadre d’une table ronde sur la prise en charge de l’autisme, les associations suivantes :

 Collectif Autisme : Mme Christine Meignien, co-animatrice du Collectif Autisme, présidente de la Fédération Française Sésame Autisme, et Mme Sophie Biette, membre du Collectif Autisme, vice-présidente de l’Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (Unapei)

 Vaincre l’autisme : M. M’Hammed Sajidi, président, fondateur de l’association

 

Mme la présidente Fadila Khattabi. Mes chers collègues, le bureau de notre commission a jugé utile, sur ma proposition, que nous consacrions cette réunion à la difficile question de la prise en charge de l’autisme. Nous entendrons tout à l’heure la Haute Autorité de santé et nous conclurons l’après-midi avec la déléguée interministérielle à la stratégie nationale pour l’autisme et aux troubles du neuro‑développement. Il a semblé indispensable de commencer par un échange avec les associations, que je remercie d’avoir répondu à notre invitation.

Je souhaite la bienvenue à Mme Christine Meignien, co-animatrice du Collectif Autisme, présidente de la Fédération Sésame Autisme et membre du Conseil national des troubles du spectre autistique et des troubles du neuro‑développement, ainsi que Mme Sophie Biette, vice-présidente de l’Union nationale des associations de parents de personnes handicapées mentales et de leurs amis, l’Unapei, qui est également membre du Collectif Autisme. J’accueille également M. M’Hammed Sajidi, président de Vaincre l’autisme, accompagné de Mme Rania Ben Fekih.

Mme Christine Meignien, présidente de la Fédération Française Sésame Autisme. Je suis présidente de la Fédération française Sésame Autisme et coprésidente du Collectif Autisme, qui regroupe les associations Sésame Autisme, Autisme France, l’Unapei, Agir et Vivre l’Autisme, Asperger Aide France, Pro Aid Autisme et l’alliance « Les 4 A ». Nous avons en commun d’être parents d’enfants autistes, donc tous concernés. Nous avons participé ces dernières années aux différents plans, notamment à la dernière stratégie de 2017 à 2022 dont nous avons réalisé le suivi avec le conseil national. Il en ressort un certain nombre de points que nous avons abordés avec la ministre déléguée Geneviève Darrieussecq en octobre dernier. En avril, nous avons publié un manifeste afin de présenter recenser les points auxquels, pour l’instant, les différents plans ou stratégies autisme n’ont pas répondu.

Certes, des avancées ont eu lieu. Pour l’histoire, c’est Simone Veil qui est à l’origine, en 1995, du premier rapport sur la situation des personnes autistes, enfants et adultes, ce qui a déclenché un premier plan en l’an 2000. Depuis se sont succédé un certain nombre de plans qui ont permis des avancées notables, notamment dans la reconnaissance de l’autisme. Dans la dernière stratégie, celui-ci est inscrit comme un trouble du neuro‑développement, qui commence donc à la naissance et se poursuit tout au long de la vie. Des évolutions ont lieu dans le parcours des personnes mais l’autisme n’est plus abordé comme une maladie mentale. Il n’existe plus d’élément autre que l’aspect scientifique de la nature de l’autisme, qui est bien un trouble du neuro‑développement. C’est un premier point important. Le deuxième point important sur lequel nous avons obtenu des avancées concerne depuis 2010 les recommandations de bonnes pratiques professionnelles de la Haute Autorité de santé, à la fois sur l’aspect du diagnostic, l’accompagnement des enfants et adolescents et, pour les dernières, l’accompagnement des adultes. Ce qui a été proposé est assez clair : il n’existe plus d’ambiguïté dans l’accompagnement nécessaire à ces personnes, qui doit être conforme à ces bonnes pratiques professionnelles.

Ces points constituent des avancées mais, concrètement, vers qui doivent aller les parents d’un enfant autiste ? Comment se faire diagnostiquer ? Quelles sont les interventions auxquelles prétendre ? Les familles peuvent-elles en trouver près de chez elles ? Ce parcours qui débute dès l’enfance et se poursuivra tout au long de la vie est parsemé d’embûches puisqu’il n’existe pas suffisamment de dispositifs de repérage et de diagnostic. Des interventions précoces sont pourtant nécessaires auprès de ces enfants dès qu’ils sont diagnostiqués. En effet, les scientifiques ont démontré que la plasticité du cerveau permet une rééducation de certaines fonctions mises à mal par l’autisme.

Tout ce parcours de l’enfance est jalonné d’obstacles, de dispositifs qui ne sont pas au rendez-vous, d’autres peut-être trop nombreux car il est difficile de s’y retrouver entre les pôles de compétences et de prestations externalisées (PCPE), les plateformes de coordination et d’orientation (PCO), les centres de ressources autisme (CRA)... Les acronymes pullulent et les parents se disent souvent démunis, ne pas savoir comment agir dans ce maquis.

Ceci concerne l’enfance. Ceux qui ont eu la chance d’aller à l’école, une fois à l’adolescence, rencontrent les limites à la scolarisation, notamment au collège. Beaucoup arrêtent leur scolarité à 10 ou 11 ans. Lorsqu’ils vont au collège, ils sortent parfois à 16 ans car certaines écoles pensent que leur mission prend fin à cet âge. Or, elle peut se poursuivre pour ceux qui en sont capables. Finalement, beaucoup d’adolescents n’ont plus aucun accompagnement et les familles sont en recherche de solutions. Pour l’instant, il n’en existe pas. C’est donc une errance de plusieurs années avant une orientation quasi systématique vers des foyers d’adultes de type foyer d’accueil médicalisé (FAM) ou maison d’accueil spécialisée (MAS). En effet, une personne mal accompagnée peut voir ses troubles s’aggraver et, devant la complexité de la situation, les orientations se font vers des MAS et des FAM alors qu’on aurait pu, plus tôt, trouver d’autres solutions.

Les différents plans et la stratégie ont donc apporté la reconnaissance. Il manque maintenant le maillage, à tous les âges et surtout lors de l’arrivée à l’âge adulte. C’est le cœur de nos inquiétudes car le système est saturé. Beaucoup de personnes ont été exilées en Belgique faute de places en France. Environ 8 000 adultes y sont accueillis, tous handicaps confondus ; beaucoup sont atteints de troubles du neuro‑développement (TND) ou de troubles du spectre de l’autisme (TSA). Certains souhaiteraient revenir et ne le peuvent pas. Un plan de prévention des départs en Belgique a été programmé mais nous n’en voyons pas l’efficacité. Un moratoire a mis fin au développement des offres en Belgique, demandant à ce pays de ne plus construire des places pour les Français. Il a permis une inspection des établissements qui accueillent des Français. Certains sont bons, d’autres difficiles, voire maltraitants puisqu’il a fallu en fermer un.

Quoi qu’il en soit, il manque des options, qu’on les appelle « place », « solution » ou « réponse accompagnée ». Actuellement, des milliers de personnes sont sans réponse, des enfants sont à la porte d’instituts médico-éducatifs (IME) parce qu’ils ne sont pas à l’école et ne sont pas non plus dans un service d’éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad). Pour les adolescents – et c’est pire à l’âge adulte – le paysage est complètement saturé. On ne peut plus donner d’espoir à aux familles en liste d’attente. Nous suivons deux cas d’urgence signalés au plus haut niveau. On ne peut pas y répondre. Ce sont des personnes qui ont subi des violences dans l’établissement où elles se trouvaient. On n’a aucune place pour elles, ni pour des d’autres qui ont perdu leurs derniers parents, qui n’ont plus de famille et pour lesquelles il faut autre chose que l’hôpital psychiatrique.

Nous ne demandons pas que se fasse tout et n’importe quoi. Les associations peuvent travailler avec les pouvoirs publics, les aider à construire des solutions diverses, pas forcément onéreuses mais de qualité pour accompagner ces personnes parce c’est notre devoir, notamment au regard des recommandations de bonnes pratiques.

Mme Sophie Biette, vice-présidente de l’Union nationale des associations de parents de personnes handicapées mentales et de leurs amis (Unapei). Je suis vice-présidente de l’Unapei mais aussi présidente de l’Adapei de Loire-Atlantique, qui accompagne 3 000 personnes. L’Unapei concerne 200 000 personnes en situation de handicap dans toute la France, dont une grande partie présente de l’autisme.

Le spectre de l’autisme est extrêmement large. Nous sommes représentants du secteur médico-social donc les personnes autistes que nous croisons sont plutôt celles qui présentent – pour être bref – une déficience intellectuelle associée. Ceci dit, nous voyons arriver dans nos services des personnes autistes sans déficience intellectuelle, aujourd’hui mieux diagnostiquées qu’elles ne l’étaient voici quelques années. Elles demandent des services d’accompagnement à la vie sociale, ce qui est extrêmement important, ou des dispositifs tels que les services d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés (Samsah), c’est‑à‑dire avec un peu de soin en plus, ou tout ce qui s’est développé autour de l’emploi accompagné. Ce sont des réponses adaptées à ces personnes.

Par rapport à 1995, il faut que tout le monde ait en tête que la prévalence de l’autisme a explosé. Je n’en connais pas les raisons. Pendant longtemps, on a dit que c’était parce qu’on le repérait mieux. Aujourd’hui, la France vient de lancer une recherche sur la cohorte Marianne : 6 millions d’euros ont été investis mais nous n’en aurons les résultats que dans dix ans. Une étude sera notamment menée sur les femmes enceintes et sur l’exposome, c’est-à-dire l’ensemble des expositions environnementales. Il reste que, pour l’ensemble des troubles du neuro‑développement, le diagnostic et le repérage sont en croissance exponentielle. Si tout est embouteillé aujourd’hui, c’est de ce fait. C’est un point extrêmement important.

D’autre part, en 1995, l’autisme a été reconnu comme handicap et non plus comme maladie, ce qui fait que les personnes ont eu accès au secteur médico-social. Un peu comme pour le handicap psychique qui n’a été reconnu qu’en 2005, il a fallu un certain temps pour que les personnes arrivent dans les services. Aujourd’hui, cela fait vingt ans et une masse importante de personnes sont concernées.

Un point intéressant dans la dernière stratégie est l’attention prêtée à la recherche et la mise en évidence de cinq centres d’excellence dirigés par des professeurs de médecine qui travaillent ensemble. Nous pensons qu’il en manque encore un ou deux pour couvrir l’ensemble de la France mais c’était important. Par ailleurs, vingt-trois centres de ressources autisme ont été ouverts, de façon un peu anarchique et sans forcément de ligne de conduite. Ils ont été assez inégaux ; cela va mieux même si ce n’est pas encore parfait. L’avantage des centres d’excellence est leur mission de diffusion des connaissances qui, aujourd’hui, évoluent rapidement. Les recommandations de bonnes pratiques professionnelles sont utiles mais, sur certains points, elles doivent être actualisées. La Haute Autorité de santé vous en parlera. Les centres d’excellence ont aussi une mission de formation et je voudrais attirer votre attention sur ce point. Je suis impliquée dans les plans autisme depuis le début. À chaque fois, l’État a mis la formation parmi les points forts mais, en fait, il n’a aucun moyen d’action : les universités et les centres de formation sont indépendants. Nous n’avons pas trouvé le bon levier. Vous poserez la question à Mme Claire Compagnon, qui l’a elle-même expérimenté.

Nous avons fait des tutoriels, des guides, des kits, de l’information autour des pratiques recommandées. Dans le cadre du troisième plan (2013-2017), nous avons effectué un audit des formations médico-sociales auquel près de la moitié des instituts régionaux du travail social (IRTS) ont répondu. C’était un audit fouillé qui examinait le programme, le curriculum vitæ des formateurs... Sachez qu’un éducateur spécialisé reçoit au maximum huit heures de formation sur l’autisme en trois ans d’études. En 2017, un tiers des formations était à rebours des recommandations de bonnes pratiques professionnelles. Un tiers faisait tellement de syncrétisme que les élèves pouvaient difficilement s’y retrouver. Un tiers seulement était correct et délivrait une information adaptée. Rien n’a été fait de cet audit parce qu’il n’existe pas de levier d’action. Aucune action normative n’est possible pour modifier les programmes. La situation est la même pour les études de psychologie. Un module a été créé en médecine mais il n’est pas obligatoire. L’intérêt des centres d’excellence est de s’attaquer à ce sujet. Ils ont commencé à le faire, avec des moyens limités puisque chacun ne dispose que de 100 000 euros par an pour ce travail.

Christine Meignien a parlé du repérage et du diagnostic. Dans le cadre de la stratégie ont été créées pour les enfants ces fameuses PCO, ces plateformes de coordination et d’orientation censées être un guichet unique d’orientation à partir du médecin généraliste. La plupart de celles qui fonctionnent sont surchargés. Normalement, elles doivent répondre en quinze jours, avoir analysé le dossier et dire s’il faut aller plus loin. Aujourd’hui, ces plateformes sont complètement saturées et, dans les territoires où il n’existe pas de service d’intervention précoce, on travaille avec des praticiens libéraux qui ne sont pas spécialement formés. L’intervention précoce est faite au doigt mouillé. Pourquoi prescrit-on telle solution à tel enfant ou tel autre ? Une étude doit être diligentée sur le sujet car ce n’est pas clair.

Le dernier point sur lequel je voudrais attirer votre attention concerne les adultes, notamment ceux qui présentent une grande dépendance à l’autre dans les actes de la vie quotidienne. Ce ne sont pas des cas complexes. Des unités pour situation très complexe ont été créées ; c’est très bien. Il arrive d’ailleurs que ce soit le cas parce qu’on ne s’en est pas occupé et, pour n’importe quel problème, les choses se compliquent quand on les néglige. Il existe aussi des personnes non complexes en situation d’autisme, comme ma fille autiste sévère qui habite en foyer d’accueil médicalisé, sans autonomie dans les actes de la vie quotidienne mais qui n’est pas complexe. Elle est autiste, elle a besoin d’un accompagnement vingt‑quatre heures sur vingt‑quatre. Beaucoup sont aujourd’hui en liste d’attente, en famille, à l’hôpital psychiatrique ou maintenus dans une structure destinée aux enfants.

La politique de l’autisme s’est inscrite dans la politique globale du handicap puisque ce sont des personnes en situation de handicap. En 2017, un indicateur fort a été lancé aux agences régionales de santé (ARS), avec interdiction de créer des places. Nous avons donc vécu sur le troisième plan autisme qui n’était pas terminé : la stratégie nationale qui a suivi (2018-2022) n’a prévu aucune création de places pour les personnes autistes, ni pour d’autres en situation de handicap d’ailleurs. Je ne sais si c’est lié à cette fameuse société inclusive. Tout ce que je sais, en tant qu’opérateur sur le terrain, c’est que nous avons travaillé à des possibilités de créer de l’habitat inclusif vingt‑quatre heures sur vingt‑quatre. C’est le même coût qu’un foyer d’accueil médicalisé. Il faut coordonner plusieurs opérateurs financiers mais c’est exactement le même coût, avec une certaine fragilité puisque c’est la personne elle-même qui cherche ses financements. Nous avions avancé avec les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) qui permettaient une certaine vision de l’avenir à cinq ans ; là, c’est au cas par cas, personne par personne. Je ne suis pas sûre qu’on s’en sorte au niveau financier mais pourquoi pas ? Il faut, en attendant, autoriser des créations de places. Lorsque j’ai commencé mon engagement associatif, on pouvait dire aux familles que, dans trois ou quatre ans, tel endroit ouvrirait, le département créerait quelque chose. Maintenant, en Loire-Atlantique en tout cas, je ne peux strictement rien dire. Un collectif s’est créé, Handicap 44 en danger. Je ne plaide pas particulièrement pour mon département mais c’est clairement une catastrophe. J’ai entendu le Président de la République dire devant la Conférence nationale du handicap (CNH) qu’il créerait 50 000 nouvelles solutions d’ici 2030, sans préciser le budget associé. J’ai fait un calcul : 50 000 personnes multiplié par 100 000 euros, soit à peu près à ce que coûte une place puisqu’il a indiqué viser ceux qui ne pouvaient profiter de la société inclusive telle qu’elle est aujourd’hui proposée. Cela fait 5 milliards d’euros.

Aujourd’hui, vous assistez une vraie désertion du secteur parce que les professionnels n’arrivent pas à travailler en suivant les recommandations de bonnes pratiques. Les établissements se sont vidés des personnes les plus efficaces puisque, avec la société inclusive, nous nous retrouvons dans les établissements avec 80 à 90 % de personnes extrêmement handicapées, sans qu’aient été revus les taux d’encadrement, les qualifications et les règles qui encadrent l’ensemble. Or, si on veut faire le lien avec les recommandations de bonnes pratiques professionnelles, il faut réinterroger les métiers dans les établissements. Je ne sais pas exactement quand les textes sur les FAM et les MAS ont été publiés, mais c’était dans les années 1970. Rien n’a été fait depuis. Il faut un plan Marshall. Les mesures empilées conduisent à un ensemble illisible. On dissémine de petites expériences sympathiques mais ça ne marche pas. Pensez à la formation et à tous les professionnels en train de quitter le secteur parce qu’ils ne peuvent pas travailler correctement dans les FAM et les MAS !

M. M’Hammed Sajidi, président de Vaincre l’autisme. Vaincre l’autisme porte depuis vingt‑deux ans une vision, un objectif sur la notion de droit et la définition de l’autisme. L’association, qui s’appelait d’abord « Léa pour Samy », est née en janvier 2001. En 2010, après avoir constaté sur le terrain des discriminations – je dis bien des discriminations –, elle a changé de cap. L’action de « Léa pour Samy » était à l’époque un exemple, comme l’était Act Up pour le sida dans les années 1980. Il a fallu beaucoup d’actions médiatiques, juridiques et citoyennes pour être entendu lors de la mise en place du deuxième plan autisme.

L’historique de la France est dramatique sur la prise en charge de l’autisme, de par la mainmise de la psychiatrie psychanalytique sur le sujet. Il était impossible de parler de l’autisme sans que des psychanalystes accusent les mères. Il fallait lutter pour changer cette situation. Alors que nous approuvions la stratégie menée sous la présidence de M. Sarkozy – mais nous sommes une association apolitique –, les gouvernements suivants ont dit : « Sarkozy a imposé certaines choses aux institutions. On va changer, on va renforcer le système. » Ils ont anéanti toutes les innovations. Je rappelle que les mesures présentes dans les plans, liées aux recommandations de la Haute Autorité de santé, ont été négociées pendant le deuxième plan. Un socle de connaissances a été publié en 2010, des recommandations en 2012 qui sont une évolution importante mais qui restent de simples recommandations. Depuis cette date, nous demandons des mesures coercitives que le politique ne peut mettre en place.

Je vous ai apporté un document. Vous y trouverez la liste de tous les documents sur l’autisme qui sont des rapports officiels, nationaux ou internationaux, ainsi que les politiques publiques mises en place. Vous disposez aussi des documents que notre association a publiés, c’est-à-dire trois rapports sur la situation de l’autisme.

C’est en 2013 que l’on a montré que l’autisme atteindrait une naissance sur cinquante. Cela fait dix ans et on vient de le reconnaître seulement cette année. Cela concerne quarante‑quatre naissances par jour et signifie, aujourd’hui en France, que 1 300 000 personnes sont touchées et non 700 000 comme on l’annonce. C’est une réalité et j’ajoute que cela touchera peut-être une naissance sur trente dans les quelques années à venir car le diagnostic des femmes n’est pas adapté. Il reste un diagnostic clinique et non médical parce que nous n’avons aucun marqueur biologique.

Sur la notion de maladie ou handicap, notre association est claire. Elle ne parle pas de handicap car le handicap n’est qu’une situation sociale, conséquence de l’autisme, qui donne accès à des droits sociaux. Toute maladie peut constituer un handicap et tout handicap peut résulter d’une maladie. En l’occurrence, l’autisme est classé parmi les troubles du neuro‑développement dans les classifications internationales. Trouble ou maladie, cela s’entend dans la même sphère des pathologies.

L’autisme est une collection de cas par cas, Il faut le voir ainsi car l’intensité diffère d’une personne à l’autre. Les traitements ne seront pas les mêmes mais on peut avoir la même technique d’intervention auprès de ces personnes, avec constat et évaluation sur le terrain. Notre combat est le changement de la prise en charge. Sanitaire ou médico-sociale, il s’agit d’abord de régler cette problématique et de sortir de ce système pour en créer un nouveau, adapté aux connaissances actuelles de la médecine, de la science et des pratiques. En France, nous sommes les meilleurs – mais les meilleurs dans le privé – pour l’intervention auprès de l’autisme par les parents et les professionnels libéraux. Nous défions tous les autres pays actuellement et nous le démontrons par des démarches scientifiques.

Le système ne répond pas aux besoins parce que la situation des personnes autistes est une situation de non-droit. J’insiste sur ce mot, sur l’absence d’état de droit pour les personnes autistes. La marginalisation est liée à cette absence. Nous le dénonçons depuis longtemps ; cela constitue une discrimination étatique, institutionnelle, sur laquelle il a été légiféré malheureusement. Dans les textes votés pour donner une spécificité et une reconnaissance, notamment la loi du 11 février 2005, on a privé les personnes autistes – notamment handicapées – de l’accès à tout droit commun. Il est impossible d’inscrire votre enfant dans une école sans un parcours légal du combattant. C’est ce que je voudrais que vous, les législateurs, regardiez. Changer cette situation est mon combat depuis vingt-deux ans pour que nous mettions en place une législation qui va dans la perspective de reconnaître d’abord l’accès au droit commun puis de prévoir les spécificités de la prise en charge. Cela réglera tous les problèmes que les intervenantes précédentes ont mentionnés sur la formation.

Nous avons cette problématique des compétences. Il n’existe pas de professionnel de l’autisme. En tant que président de Vaincre l’autisme, je dirais que nous avons des gens performants en la matière dont la spécificité n’est pas reconnue – qu’ils soient médecins, orthophonistes, éducateurs ou autre. Notre démarche est que l’on puisse reconnaître et labelliser cette spécialité pour aller vers « l’autismologie », reconnaître ce problème de santé publique pour qu’il soit investi sur le plan sanitaire. Les dégâts provoqués par l’autisme sont importants et les traitements qui fonctionnent, ceux que nous considérons actuellement comme des traitements, sont éducatifs. Tant que nous n’aurons pas reconnu l’impact de l’autisme sur la santé et les résultats de l’éducation pour améliorer l’état de santé, nous ne pourrons pas déployer une politique de santé publique adaptée à l’autisme.

Nous n’avons jamais demandé de moyens à l’État ou aux gouvernements successifs. Ils ont tous échoué à notre avis, malgré les évolutions que je reconnais et dont les intervenantes précédentes ont parlé. Cela reste faible. La Cour des comptes a démontré dans son rapport de décembre 2017 que 7 milliards d’euros sont dépensés chaque année pour l’autisme, dont quatre milliards d’euros de façon directe et 3 milliards d’euros de façon indirecte, tandis que seuls 15 % des enfants sont diagnostiqués. Certes, la stratégie a constitué une démarche innovante mais elle a aussi aggravé notre situation. La reconnaissance de l’outil de contrôle du neuro‑développement est une évolution mais inclure la stratégie de prise en charge de l’autisme dans tous les troubles du neuro‑développement l’a noyée. Les moyens mobilisés dans cette stratégie sont normalement alloués à l’autisme mais ils sont appliqués à l’ensemble des troubles du neuro‑développement et, de ce fait, nous ne sommes efficaces nulle part. Il faudrait éveiller les consciences sur ces deniers publics consacrés à des prises en charge inadaptées. Le système consomme beaucoup de moyens tandis que les familles, très militantes et très actives pour venir en aide à leurs enfants, n’ont aucune aide et que leurs projets innovants ne sont jamais pris en considération. La preuve en est que, dans les concertations, vous ne voyez jamais les associations innovantes parce qu’elles ne peuvent accepter une stratégie qui ferme la porte à ces prises en charge adaptées, jusqu’au cas par cas.

Mme Annie Vidal (RE). Je voudrais revenir sur ce quatrième plan autisme intitulé « La stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neuro‑développement ». Cette stratégie a été dotée d’un budget de 490 millions d’euros sur cinq ans. Elle reposait sur cinq axes majeurs, dont l’intervention précoce auprès des enfants et le soutien à l’inclusion des adultes autistes grâce à l’insertion professionnelle, à un accompagnement adapté et à l’accès au logement. Vous avez évoqué également, madame Biette, la recherche qui est fondamentale.

Aujourd’hui en France, environ 100 000 jeunes gens de moins de 20 ans et près de 600 000 adultes sont autistes. J’ai entendu tout ce que vous avez dit mais, toutefois, force est de constater que la politique menée associe de manière active les primo-concernés et les familles puisque les résultats de l’étude d’impact menée par la délégation interministérielle sur la petite enfance et la scolarisation sont positifs. L’âge de repérage précoce a été amélioré et, en quatre ans, 30 000 enfants ont été orientés vers une PCO. J’ai entendu que ces structures sont engorgées et mériteraient d’être aidées. Aujourd’hui, le taux de scolarisation à temps plein des enfants autistes a augmenté ; il atteint 65 %. En revanche, en ce qui concerne les adultes, la situation n’a pas varié : seuls 57 % d’entre eux sont en activité ou en formation.

Mon intention était de vous demander quels étaient les axes d’amélioration à apporter mais vous avez été clairs dans vos demandes et j’ai bien noté vos attentes.

M. Thierry Frappé (RN). Les échanges que nous avons eus et qui sont effectivement très clairs permettront d’améliorer les réflexions sur les besoins liés aux troubles du spectre de l’autisme. C’est un enjeu majeur pour notre pays, avec une prise en charge double à la fois pour les familles et les enfants. C’est un véritable dédale pour les familles – je ne pense pas que vous me contredirez – dès l’instant où le diagnostic est posé, avec parfois un retard dû à une errance au départ, lorsque les symptômes ne sont pas complets. Comme le disait M. Sajidi, il n’existe pas pour l’instant de diagnostic biologique même si je crois savoir que des recherches sont menées aux États-Unis ; vous me préciserez la situation.

65 % de ces enfants sont scolarisés, tous milieux scolaires confondus. La difficulté est de les garder le plus possible dans un milieu scolaire traditionnel. Pour l’avoir connu dans ma profession, c’est un parcours du combattant. Ne faut-il pas augmenter les recrutements d’accompagnant des élèves en situation de handicap (AESH) ou d’aide à la vie scolaire, ceci étant souvent une condition pour les chefs d’établissement ? Ensuite, il faut bien sûr inclure au mieux au sein des établissements scolaires par le biais d’une formation des enseignants, un diagnostic précoce permettant un meilleur accompagnement par le monde médical. Comme vous le disiez, le module est optionnel aujourd’hui. Or, on sait la plasticité du cerveau plus grande dès l’instant où le diagnostic est précoce.

Quels sont les travaux que vous attendez prioritairement par rapport à cet ensemble de sujets ?

Mme Laurence Cristol (RE). Les propos d’introduction de cette table ronde font vraiment prendre conscience, si ce n’était pas déjà le cas, de l’importance la prise en charge de l’autisme. À l’occasion de la Conférence nationale du handicap la semaine dernière, le Président de la République a cité l’autisme en parlant de l’enjeu primordial qu’est le repérage précoce, auquel 34 millions d’euros ont été alloués dans le cadre de la stratégie nationale pour l’autisme. Ces dispositifs et moyens dédiés permettront de mettre fin aux pertes de chance faute d’intervention adaptée ou parce que le repérage se fait tardivement. Au-delà, nous avons des médecins de protection maternelle et infantile (PMI) et de la médecine scolaire spécifiquement formés au repérage des troubles du neuro‑développement. Ils sont censés assurer les visites obligatoires à trois et six ans, lorsque suffisamment de professionnels sont disponibles.

Lors de l’audition d’Adrien Taquet organisée par le groupe d’études santé environnementale, prévention et numérique, il a confirmé l’intention de réorganiser le parcours des enfants dans le cadre des assises de la santé de l’enfant et de la pédiatrie, afin justement d’éviter des pertes de chance. J’aurais souhaité savoir si vous avez été associés à ces assises pour réfléchir à l’amélioration du repérage par une refonte du parcours, et quels sont pour vous les points bloquants en termes de repérage précoce qu’il faudrait pouvoir faire évoluer.

Ma deuxième question, à laquelle je suis particulièrement sensible et que vous avez abordée dans vos propos, concerne l’accompagnement des familles et des aidants. La dernière étude d’impact de la stratégie nationale parle de résultats fragiles sur le sujet, avec notamment des indicateurs en recul sur la vie professionnelle des parents. L’étude souligne également le besoin des parents de disposer de solutions de répit et de mieux connaître l’offre existante. Alors que la nouvelle stratégie nationale « Agir pour les aidants » est en cours de préparation, je souhaitais savoir quel bilan vous dressez de la dernière stratégie et les priorités que vous souhaitez porter pour celle qui arrive.

M. Thibault Bazin (LR). Ma première question est destinée à la présidente Meignien. Vous avez évoqué le point d’urgence pour les adultes. Vous avez aussi évoqué, tous handicaps confondus, le nombre de personnes actuellement à l’étranger et celles qui sont sans solution. Selon vous, combien manque-t-il de places spécifiques à l’autisme ? Sachant que nous n’avons pas de système d’information national, les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) étant par définition départementales, je serais intéressé par des indications sur le défi en volume.

Ma deuxième question est pour la présidente Biette. Vous avez évoqué le besoin d’autoriser les créations. Or, en fonction du type de structure, ce ne sont pas les mêmes financements en fonctionnement. Pour les MAS, c’est l’ARS ; pour les FAM, c’est le conseil départemental. Parfois, des appels à projets sont lancés pour financer de l’investissement en rénovation ou pour de la création, sans le financement en fonctionnement qui suit. N’avons‑nous pas un enjeu de clarification du financement sachant que, parfois, on oriente FAM/MAS sans s’interroger ? De l’investissement fléché a été prévu, notamment pour des structures pour autistes créées voici une vingtaine d’années. Finalement, on ne va pas plus loin du fait d’un problème de financement du fonctionnement. On raisonne à budget constant.

Ma dernière question est qualitative, au-delà de la question quantitative. Lors de la création de ces FAM et MAS pour autistes, les personnes concernées étaient d’âge peu avancé. Avec l’âge, des personnes sont maintenant en situation de handicap. N’est-il pas opportun de créer des structures ad hoc pour les personnes autistes vieillissantes ?

Mme Élise Leboucher (LFI - NUPES). Avant d’être élue, j’étais éducatrice spécialisée en pédopsychiatrie et j’exerçais notamment avec des enfants TSA. J’ai vu, dans le secteur psychiatrique, les évolutions de la prise en charge et les avancées dans les pratiques. Cela s’est beaucoup amélioré et je pense la psychiatrie psychanalytique derrière nous.

Je voulais aussi faire le parallèle avec la formation. En effet, la formation d’éducatrice spécialisée prépare peu mais, finalement, on apprend surtout sur le terrain, par la rencontre avec les familles et les personnes autistes. Il s’agit aussi de favoriser les formations tout au long de la carrière. C’est important parce que de nouvelles techniques arrivent, que rien n’est figé. Je pense à la formation des AESH et du corps enseignant, primordiale pour l’inclusion scolaire. Je pense aussi à la formation du milieu médical pour prendre en charge d’autres troubles, en particulier des dentistes, gynécologues... On sait l’espérance de vie des personnes autistes beaucoup plus faible que le reste de la population, justement parce que prendre soin d’elles est difficile aujourd’hui.

Vous parliez tout à l’heure des dispositifs en place, notamment les PCO. Je l’ai vécu dans mon département. Avez-vous une vision globale du risque de rupture de prise en charge que cela provoque ? En effet, j’ai pu voir des familles qui, après un an ou un an et demi, n’ont plus de soutien.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Ma première question porte sur le reste à charge. J’aimerais vous entendre sur ce sujet, sur le coût que doivent supporter les familles et la manière dont elles peuvent l’assumer. Comment envisagez-vous cette question ? Pouvez-vous nous en dire plus ? Une étude de la Cour des comptes chiffrait, je crois, à 3 000 euros les dépenses annuelles restant à la charge des familles.

Ma deuxième question concerne les formations. J’ai entendu ce que vous disiez et il faut visiblement creuser la question. Cela dit, il doit être possible d’agir pour un certain nombre de professionnels, par exemple pour les AESH pour qui c’est sans doute nécessaire. Comment avoir des personnels capables de bien accompagner les enfants concernés ?

Enfin, Thibault Bazin a raison d’aborder la question des personnes vieillissantes mais, auparavant, se pose la question des jeunes adultes. Nous avons tous en tête des exemples de familles et d’éducateurs qui ont accompagné des jeunes jusqu’à un certain point et qui, au bout d’un moment, craignent que le travail accompli ne soit compromis parce qu’il n’existe rien pour le consolider. Que pourrait-on proposer ?

M. Didier Le Gac (RE). Je voulais vous interroger sur le regard que vous portez sur les CRA. Je ne suis pas spécialiste mais j’étais élu local auparavant et ces questions étaient souvent posées. J’ai eu l’occasion de visiter à plusieurs reprises le CRA de mon département, à Brest. Il me semble plutôt bien répondre aux besoins, notamment sur l’accompagnement, l’aide au dépistage et l’accompagnement global, y compris le soutien. Que dit le dernier plan autisme ? Faut-il les développer ? Il en faudrait plus probablement car, dans celui de Brest, il faut plusieurs semaines, voire mois, avant d’avoir un rendez-vous.

M. Stéphane Viry (LR). À cet instant, j’ai le sentiment que nous devons tous faire profil bas et être vraiment à votre écoute par rapport à votre diagnostic, vous qui êtes des acteurs du terrain. Nous avons bien compris que vous avez des approches complémentaires, avec peut‑être comme clef de voûte cette reconnaissance acquise depuis maintenant quelques années, sur laquelle vous construisez chacun des actions de défense des droits et de militantisme. J’ai noté l’état de crise qui prédomine, semble-t-il, dans notre pays, et je ne fais de procès à personne. Je constate que, par rapport à d’autres pays – vous avez cité la Belgique – nous sommes dans un État carencé. Vous avez parlé de système saturé. Vous avez eu des mots très justes, qui montrent bien qu’on n’est pas au rendez-vous et, quand je dis « on », c’est « on ». Votre parole est par nature subjective mais j’ai le sentiment que la convention nationale du handicap tenue la semaine dernière n’apportera pas grand-chose, ne permettra pas une stratégie gagnante pour les personnes concernées et leurs familles.

Je voudrais poser deux questions. Que se passe-t-il de plus en Belgique et pourquoi la Belgique en est-elle là ? Quelles ont été les décisions politiques permettant d’armer le pays pour prendre en charge les personnes atteintes d’autisme ? Deuxièmement, vous avez évoqué la formation. Concrètement, dans quels métiers existe-t-il une carence en France ? Que faudrait‑il pour avoir les personnels nécessaires dans le champ du médico-social ?

M. Elie Califer (SOC). Je voudrais insister sur la prise en charge des autistes d’âge bien avancé. Je sais que, parfois, ils sont dirigés vers des lits de psychiatrie, ce qui cause certains soucis et n’améliore pas la qualité de vie de ces personnes.

Manifestement, des efforts sont nécessaires pour un plan autisme véritablement inclusif, pour une entrée dans la société avec des chances de vivre normalement. Il faut aussi penser aux constructions nouvelles : ce ne sont pas seulement les éducateurs spécialisés qui devraient être formés mais aussi les architectes car l’autiste « subit » assez dramatiquement un changement de contexte. Je crois que, après les plans que nous avons déjà portés et certainement aussi dans le plan hôpital, il faut traiter le sujet pour améliorer la prise en charge de ces 700 000 ou 800 000 personnes, dont 100 000 enfants. Les adultes sont nombreux et dans une réelle souffrance.

Mme Christine Meignien. Dans les stratégies en place, cent une mesures ont été annoncées mais force est de constater qu’il est inutile d’en décliner tant quand, in fine, si peu sont effectives. Nous n’en réclamons pas cent cinquante mais ne serait-ce qu’une, qui soit efficace, si c’était possible.

Vous parliez de la scolarité en disant que ça va mieux puisque 65 % des enfants sont scolarisés. Comment le sont-ils ? Des familles m’appellent parce qu’elles bénéficient d’une heure ou une heure et demie par jour. Est-ce normal ? Peut-on cocher la case scolarisation dans ces conditions ?

Des dispositifs ont été créés, dans lesquels Sésame Autisme et d’autres ont été parties prenantes, comme les unités d’enseignement en maternelle (UEM) qui permettent une inclusion : en classe, dans une école, avec des temps partagés et une équipe pluridisciplinaire autour de l’enfant ce qui permet à la fois de l’enseignement et un accompagnement éducatif. C’était vraiment important mais la place donnée aux familles est parfois problématique parce que, souvent, ils ne sont pas considérés comme parents d’élèves et ne peuvent pas participer de façon démocratique à la représentation des parents au sein des établissements. Ce sont aussi des positions qu’il faut entendre.

Soyons inclusifs ! L’école doit être la place des enfants, c’est normal tant que c’est possible. On ne dit pas que ce sera possible pour tous les enfants et on sait bien que ce sera compliqué pour certains. Pourtant, soutenons les expériences de classe inclusive, soutenons l’éducation nationale, aidons-les et faisons parfois entrer le médico-social et des libéraux dans l’école !

Le problème des AESH est crucial parce qu’on a pensé que cela allait tout résoudre. Il faut revoir leur statut. Il est délicat de demander d’accompagner tout handicap sans formation. Pour l’autisme, cela ne devait pas être mutualisé mais, avec la création de dispositifs comme les pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL), on a mutualisé. Des AESH sont chargées de plein d’enfants et ne peuvent pas vraiment se préoccuper de tous. De plus, pour un enfant autiste, c’est compliqué de changer d’accompagnant. C’est un point sur lequel il faut se poser les bonnes questions pour apporter les bonnes réponses.

Concernant les enjeux pour les familles, parmi les cent-une mesures se trouvaient des actions en faveur des aidants. Pourtant, il n’a rien été fait de précis pour eux et, les situations empirant, il faut voir la situation sociale des familles. Elles ne peuvent plus travailler. Elles gardent leur enfant ou leur adulte à la maison. Un enfant qui se dégrade est un enfant qui peut commettre des violences envers les autres, envers lui-même, dans son environnement proche. Il développe des troubles du sommeil. C’est très compliqué et les familles sont dans des situations difficiles.

Quels sont les moyens ? Le répit est un mot que nous n’aimons pas parce qu’on ne veut pas souffler cinq minutes et que ça voudrait dire que c’est une épreuve. Nous aimons nos enfants. J’ai eu pendant douze ans ma fille à la maison ; on les aime malgré tout ce qui arrive mais on voudrait avoir un accompagnement, pour qu’ils aient leur vie et que les parents puissent avoir la leur. C’est normal et c’est ce qu’il se passe pour tout le monde. Il en est de même pour l’école. On ne va pas à l’école pendant une heure mais du matin à huit heures et demie jusqu’à seize heures trente. Il faut penser globalement la vie des familles. Les associations peuvent aider à trouver des solutions. Sur le bilan au niveau des aidants, je dois dire que rien n’a été fait. C’est un zéro pointé. La première des choses est peut-être de s’occuper des enfants, des adolescents, des adultes. Je pense que, ensuite, les parents se sentiront beaucoup mieux dans leur vie.

Beaucoup de questions ont porté sur les personnes vieillissantes ainsi que sur une tranche d’âge qui nous interpelle beaucoup, les adolescents et jeunes adultes. Je pense que c’est crucial. J’ai demandé plusieurs fois à ce que l’on appréhende cette tranche d’âge 15-25 ans. Quand on est handicapé, on est découpé d’une façon extraordinaire : on fait partie des enfants jusqu’à 18 ans et, jusqu’à 20 ans, on est maintenu dans des établissements pour enfants, type IME. Même au-delà de 20 ans, parfois à 29 ans, on est encore dans des établissements pour enfants. On ne sait pas pourquoi mais il n’existe pas d’autre offre. D’un seul coup, on passe à l’âge adulte et on tombe sur des établissements plus cadrés, type FAM ou MAS. Entre-temps, on ne pense pas à maintenir les acquis dont certains ont eu la chance de bénéficier et on ne se projette pas dans leur vie d’adulte.

Les dispositifs du type des missions locales sont destinés aux 16-25 ans. Pourquoi ne prend-on pas cette tranche d’âge pour évaluer un parcours jusqu’à 15 ans, ce qu’on peut apporter et vers quel avenir on se projette ? Un seul établissement de Sésame Autisme a réussi à obtenir des financements pour un parcours 15-25 ans d’accompagnement individuel des personnes, en faisant une analyse de leur situation et de ce vers quoi les mener. Même au-delà de 25 ans, avec de la formation, il s’agit de faciliter une vie d’adulte inclusive, une participation à la société. Il ne faut pas basculer du tout au rien à un moment donné. Beaucoup sont délaissés au moment du collège et après parce que les établissements sont saturés, parce qu’il n’existe pas de dispositif, pas de service. Souvent, les familles attendent des années qu’une place se libère ; pour l’enfant, c’est une place qui se libère, point. Ce n’est pas un projet de vie. Il faut aller plus loin, penser projet pour la personne et pas seulement place à pourvoir.

C’est peut-être cette tranche d’âge qu’il faut regarder avec le plus d’attention, comme il faut regarder avec attention le vieillissement des parents et de nos enfants. Sésame Autisme a un établissement dédié au vieillissement près de Lyon et nous avons au sein d’établissements des unités pour personnes vieillissantes. Des pays européens viennent voir ce que nous avons fait parce qu’on redonne presque vie à ces personnes qui, pendant longtemps, ont été dans des établissements où on n’a pas regardé leur traitement, on a laissé aller l’accès aux soins somatiques, les dents, les oreilles. Les personnes autistes présentent 20 % de risques de plus que la population générale de mourir de cancer par manque de prévention. Pour les femmes, il n’existe aucune approche des problèmes gynécologiques. Il faut faire des efforts sur l’accès aux soins et on s’aperçoit que, parfois, ce qu’on attribue à un vieillissement précoce est un défaut d’accès à ces soins somatiques. Quand on remet au cœur cette problématique de la santé de la personne, de la remettre à faire du sport, à bouger et avoir des projets, on accompagne mieux le vieillissement. Nous allons jusqu’au bout de la vie et nous les accompagnons jusqu’à la fin, avec leurs familles car nous essayons aussi d’accompagner ces parents âgés sans rupture du lien familial.

Je voudrais éviter toute confusion. La Belgique et la France ne sont pas forcément meilleures pour leurs citoyens. Les enfants belges et les adultes belges manquent de place. Pourtant, la réglementation n’étant pas la même, des opérateurs belges ont proposé d’ouvrir des places financées par la France –ARS, départements – et dédiées à des Français. Pendant la montée en charge, 250 places étaient créées tous les ans en Belgique et personne ne regardait la qualité. Certains opérateurs sont de très bon niveau en Belgique et certains sont de très mauvaise qualité. Désormais, un contrôle est effectué. La commission des affaires sociales du Sénat a rendu un rapport : cela représente des milliards d’euros tous les ans. Nous avons milité sur la question : pourquoi nos enfants doivent-ils être expatriés ? Pourquoi ne pas créer à proximité ? Les métiers que l’on crée à travers l’accompagnement nécessaire pour nos enfants sont normalement non délocalisables ! Ils créent une économie. Pourquoi n’est-ce pas à proximité ? Des familles sont désespérées parce qu’elles n’ont pas les moyens d’aller les voir en Belgique. Je ne parle pas de la covid‑19 qui a été terrible ; des gens n’ont pas vu leurs enfants pendant deux ans. Bref, nous avons demandé à la France d’arrêter la création exponentielle de places en Belgique. Nous avions aussi demandé de créer en France. La première demande a été satisfaite, pas la seconde. On se trouve dans une situation où il n’existe plus de réponse en France.

Mme Sophie Biette. Je voudrais revenir sur la question de la précocité. Lorsque la stratégie nationale a été conçue, l’âge de diagnostic était au-delà de quatre ans. On a dû gagner deux ou trois mois. C’est bon mais pas suffisant : la plasticité cérébrale est entre douze mois et deux ans et demi. On peut repérer l’autisme à douze mois, le diagnostiquer à dix-huit mois. D’après les données scientifiques, les interventions sont efficaces avant quatre ans. Je n’ai pas dit qu’elles étaient inutiles après mais, avant, elles changent les trajectoires développementales. C’est un enjeu de santé publique et certains professeurs de pédopsychiatrie n’hésitent pas à dire en congrès que c’est exactement comme pour d’autres pathologies où il faut intervenir tout de suite ou être beaucoup moins efficace.

Les PCO avaient peut-être cet objectif d’intervention précoce mais, comme vous le disiez, nous avons un problème d’aval. Les personnes n’arrivent plus à y entrer parce qu’on n’arrive pas à les faire sortir. Comme le disait mon voisin qui a tout à fait raison, ce sont des traitements que l’on donne aux enfants, des traitements éducatifs et non médicamenteux puisque, aujourd’hui, il n’existe pas de médicament. Ce sont malgré tout des traitements qui ont été évalués, des quantités d’heures d’intervention de motricité, sur le langage, sur tous les domaines d’intervention. Vous intervenez, vous rééduquez, vous apprenez des choses à l’enfant. L’AESH ne répondra jamais à ce sujet. Vous pouvez mettre cinq AESH dans une école auprès d’un enfant autiste, cela ne servira à rien. Tant mieux s’il a un AESH pour mettre en application mais, sans les interventions spécialisées, c’est un coup d’épée dans l’eau.

On a dit tout à l’heure que l’autisme fait partie des troubles du neuro‑développement mais on ne s’occupe pas d’un enfant autiste comme d’un enfant qui a une déficience intellectuelle, ce qui ne veut pas dire que l’enfant autiste n’a pas aussi une déficience intellectuelle. Il peut avoir aussi un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) et il peut aussi avoir de l’épilepsie et pourquoi pas mal aux dents. L’autisme ne prémunit de rien. Il faut donc des équipes pluridisciplinaires.

Un autre âge où l’intervention est importante dans les troubles du neuro‑développement – c’est-à-dire au niveau cérébral – est à un autre moment de plasticité cérébrale que vous connaissez tous si vous avez des enfants : entre 14 et 16 ans, vous ne les reconnaissez plus ; ils ont complètement changé. Pour l’autisme, c’est une période de grande fragilité, où toutes les comorbidités peuvent s’installer, notamment les comorbidités psychiques. Bien sûr, on attend de la recherche plus de données sur ces sujets mais on en sait aujourd’hui suffisamment pour identifier cet âge essentiel, notamment pour une nouvelle interrogation diagnostique. Cela n’existe pas actuellement.

Vous avez parlé des centres de ressources. Ils ont un rôle dans le repérage et le diagnostic. Au début, ils ont été créés comme plateformes de diagnostic mais, vu l’afflux et les trois ou quatre ans d’attente, le troisième plan a réécrit le décret des centres de ressources et ils sont passés dans la « ligne 3 », c’est-à-dire pour situation complexe. Normalement, le diagnostic est en « ligne 2 », donc avec les centres d’action médico-sociale précoce (CAMSP), les équipes médicales des cabinets de santé. Le diagnostic ne peut être réalisé par une personne seule parce qu’un diagnostic d’autiste ne veut rien dire. Ce serait un peu comme dire que vous avez de la fièvre ; cela ne qualifie pas la chose. Ce sont les évaluations fonctionnelles qui permettront de qualifier. De plus, ce sera évolutif. En fin de compte, la présence d’un centre de ressources par région est satisfaisante. Leur travail doit être en lien avec les centres d’excellence ; par exemple, celui de Tours rayonne sur tout le Grand Ouest. Il faut maintenant renforcer les lignes 2, CAMSP ou autres, parce que leur nombre est resté stable alors que le nombre d’enfants qui y arrivent a augmenté.

J’ai déjà parlé des AESH. Tant mieux s’ils ont une formation ! Mais ce sont des accompagnateurs, pas des professionnels de la rééducation. Si l’école veut faire un pas de plus et accueillir tous les enfants de la République, notamment les enfants autistes, il faut révolutionner le système. Il faut que tous les professionnels soient présents dans l’école. Ce ne concerne pas seulement l’autisme mais le polyhandicap : jusqu’à dix‑sept types de professionnels peuvent intervenir et un unique AESH ne les remplacera pas. Il faut des espaces dans l’école. Cela fonctionne bien dans les pays nordiques. Lorsque vous entrez dans des écoles norvégiennes, vous avez l’impression de pénétrer dans des IME. Les écoles là-bas sont construites comme des IME. Donc, ici, ce ne sont pas les IME qu’il faut fermer, ce sont les écoles. La présence des équipes pluridisciplinaires dans les IME permet que les enfants grandissent tous ensemble.

La question des aidants revient sans cesse. Dans une pénurie d’offre de services, il n’est plus question d’aidant : le parent fait tout. La meilleure mesure est que l’enfant ait le bon accompagnement parce que tout parent est l’aidant de son enfant. Entre huit heures du matin et cinq heures de l’après-midi, l’enfant est à l’école mais, quand il revient, il est aidant. Les parents peuvent le faire mais il faut qu’ils aient le droit d’être seulement parents.

Dans le troisième plan, il est prévu une formation des aidants ou une assistance parentale dans le cadre des UEM. Mais rien ne se poursuit tout au long de la vie. C’est l’environnement autour de la personne autiste qui lui permet des progrès. Il faut que les parents puissent être « co‑thérapeutes », c’est-à-dire avoir la bonne posture auprès de leur enfant. Il faut les réassurer dans leurs compétences parentales et les guider. Par exemple, si l’enfant n’a pas de langage oral, on entre dans les communications alternatives. Cela ne pas tombe du ciel et il faut leur apprendre, leur apprendre des gestes techniques – un peu comme les parents d’un enfant diabétique apprennent des gestes techniques pour surveiller le taux d’insuline. Les parents d’enfants autistes ont aussi besoin de cet accompagnement. Je déteste le mot « répit ». Regardez dans le dictionnaire, répit désigne « un moment de pause entre deux situations intolérables ».

Un autre point important concerne la formation et la formation continue. Ce n’est pas l’accès à la formation qui est problématique, ce sont les contenus. Il faut être sûr que le contenu corresponde aux recommandations. En 2017, en tous les cas dans les IRTS, un tiers des formations était à rebours des recommandations de bonnes pratiques. Ce n’est pas le cas de tous mais il reste du travail !

Le repérage précoce est un enjeu de santé publique. Il faut aller beaucoup plus loin que ce qui est fait aujourd’hui. Attendre que le médecin généraliste repère n’est pas suffisant.

M. M’Hammed Sajidi. Je confirme tout ce qui vient d’être dit et je souhaite parler de solutions qui existent dans notre pays depuis plus d’une décennie et qui donnent des résultats performants. L’évoquerai le cas de mon fils. Il était pris en charge en hôpital psychiatrique – ce que l’on appelle encore un hôpital de jour – dans un CAMSP depuis le début. À l’âge de 14 ans, il était encore dans un état sauvage, je dis bien sauvage, avec automutilation, des violences impossibles et il était rejeté partout. Il a fallu quatre mois pour calmer sa violence. À l’époque, j’ai essayé d’organiser une conférence sur l’autisme pour savoir quoi faire pour ces personnes violentes et les raisons de cette violence. J’ai alors découvert l’analyse appliquée du comportement qui existe aux États-Unis depuis quarante ans.

Pourquoi n’est-elle pratiquée pas en France ? La psychiatrie s’est imposée et l’analyse du comportement a été diabolisée. C’est une science qui s’enseigne, une prise en charge avec un suivi rigoureux, qui reste éducatif ou psycho-éducatif. Il s’agit de psychologie comportementale, un champ connu de la psychologie. Elle traite les troubles des comportements, exactement ce qui exclut les enfants autistes, exactement ce pour quoi tous les professeurs n’ont pas réponse aux besoins des personnes autistes.

J’ai juré que cette méthode serait imposée en France. Cela a demandé dix ans, avec toutes les attaques des psychanalystes et des psychiatres. On nous traitait de dresseurs de nos enfants. Je vous défie aujourd’hui de relever une faute de mon fils en français. Il a 32 ans, il est autonome à 90 % et il est maintenu dans une prise en charge excellente liée à l’amendement Creton. Si ce monsieur n’avait pas agi, malgré tout ce que je fais, mon fils serait dehors. Malgré tout ce que je fais, ce que mon association et les parents avec moi font, il n’aurait pas de prise en charge. Pourquoi ? Parce qu’il n’existe pas de suivi, pas de budget qui suit la personne. C’est le problème majeur dans le système français. On finance des institutions. Elles décident de prendre ou non la personne. Là se situe la discrimination. En Suède, la référence en matière de législation pour les personnes autistes, le budget suit la personne. Pourquoi cette personne de 20 ans doit-elle être maintenue et financée dans une structure inadaptée alors qu’on peut la mettre ailleurs dans une structure adaptée où son budget la suivra ?

Qu’il s’agisse des AESH, éducateurs spécialisés ou pédiatres, sans cette reconnaissance d’« autismologie » et de la spécificité de l’autisme, on commet forcément des erreurs. Nous n’avons jamais soutenu le dispositif d’AESH pour cette raison : vous ne pouvez pas charger une personne qui n’est pas formée à l’autisme d’un enfant autiste. Vous ne pouvez pas mettre un enseignant en difficulté en lui confiant un enfant autiste, déjà compliqué à prendre en charge y compris pour ses parents.

Comme le disait Sophie Biette, nous identifier l’autisme à partir de douze ou dix‑huit mois. Nous savons diagnostiquer, nous devons diagnostiquer. Nous avons les savoir‑faire pour les prises en charge et les interventions précoces. Pourquoi n’est-ce pas dans la stratégie ? C’est l’origine de notre colère. La France a été condamnée par le Conseil de l’Europe et le moratoire contre l’envoi des Français en Belgique est lié à cette condamnation. C’est une discrimination directe envers les enfants autistes. Comment se fait-il qu’on ait délocalisé la solidarité nationale pour faire financer un exil organisé par le contribuable ?

Dans notre rapport 2021 se trouve le cas d’un adulte autiste qui a passé dix ans en Belgique, dans une situation dramatique avec un cocktail de psychotropes et de neuroleptiques comme la majorité des jeunes autistes en psychiatrie ou dans les MAS. C’était pendant l’épidémie de covid‑19 ; l’association s’est battue pour imposer à la structure, qui a refusé de le garder, de programmer des actions éducatives et pour que l’ARS Hauts-de-France le ramène dans notre pays. Nous alertions sur sa situation et le manque de formation des professionnels. 600 000 euros ont été payés en un an à une association pour le prendre en charge dans l’Oise et il est finalement en hôpital psychiatrique depuis deux ans. Il s’appelle Samuel. Son état de santé ne cesse de s’aggraver avec les psychotropes et la déléguée interministérielle nous dit ne pas avoir « les tuyaux pour imposer aux ARS une prise en charge ». Pourtant, le contribuable finance !

Ce n’est pas qu’il n’existe pas de place, c’est que des places sont financées en hôpital psychiatrique où on avoue ne plus savoir quoi faire et appeler au secours. On n’oriente pas ce budget vers une prise en charge adaptée. On affirme qu’il faut le diriger obligatoirement, d’après la loi, dans une MAS adossée à un hôpital psychiatrique. Nous sommes toujours dans la médicalisation, et surtout sur la notion de psychiatrie. La psychiatrisation est l’élément le plus important qui impose toute évolution de la prise en charge. Je vous invite à venir à l’association, à voir les prises en charge innovantes. La majorité des parents qui en ont la capacité physique, mentale et financière recourent à ces prises en charge qui font évoluer les enfants. 70 % des enfants diagnostiqués précocement peuvent aller à l’école avec cet accompagnement adapté. Il faut juste le décider.

Quelqu’un parlait tout à l’heure de la PMI. Ces professionnels commettent de bonne foi des actes graves à l’égard des personnes, des parents surtout. Nous menons depuis 2005 un combat contre ce que nous appelons le signalement abusif. La loi fait que, quand un enfant est maltraité, il faut soumettre son cas au juge. Toutefois, dans le cas de l’autisme, il est fréquent – nous avons des dizaines de dossiers et c’est dramatique – que le psychiatre ou le professionnel de la PMI ou de l’aide sociale à l’enfance (ASE) signale un enfant mal soigné parce que les parents utilisent cette prise en charge innovante dont je parlais tout à l’heure. Ils font alors un signalement au procureur. Lorsque le dossier arrive chez le juge pour enfants, qui veut protéger l’enfant et qui écoute le rapport de l’ASE, professionnel non formé et non compétent en matière d’autisme, il retire l’enfant à la famille. La pression exercée sans le vouloir est intense. Le parent qui maîtrise la question et qui voit le danger pour son enfant subit cette procédure pendant qu’on lui retire son enfant. Je ne peux pas confier mon enfant à l’État ou au système parce qu’il détruira ce que j’ai fait pour le sauver jusqu’à maintenant et, même si j’ai en vue un meilleur suivi pour lui, il m’est impossible de le financer parce que le système ne l’a pas prévu. Nous ne sommes pas entendus. Je précise que la majorité des parents qui choisissent ces prises en charge probantes militent pour les financer eux-mêmes et se débrouillent pour se former eux-mêmes.

La question de la Belgique reste dramatique. Le cas de Samuel montre que nous sommes incapables de récupérer ces personnes, même si les parents le demandent. Nous avons un témoin clef aujourd’hui, qui montre à tous les parents que, s’ils veulent ramener leur enfant, il arrive à l’hôpital psychiatrique. C’est triste alors qu’on dispose du savoir-faire. Les moyens sont donnés mais le contenu des formations et la compétence laissent à désirer. Continuerons‑nous dans ce sens ? Un débat national, notamment parlementaire, est nécessaire pour poser les choses sur la table. Des milliards d’euros sont dépensés mais je parle de compréhension, de reconnaissance et de valorisation des métiers. Les AESH ne sont pas spécialistes de l’autisme. Cette généralisation des compétences est un risque et provoque une dispersion des moyens.

Je voulais aussi répondre sur la question des CRA. Ils ont été mis en place en 2005. Nous avions forcément refusé car, en tant qu’association de défense, nous ne pouvons pas céder à un consensus inadapté. Les CRA ont mis pratiquement dix ans à s’améliorer de l’intérieur, grâce à certains professionnels que nous conseillons nous-mêmes aux parents. Dès le début, la psychiatrie a été intégrée parce qu’il ne fallait pas faire sans. Maintenant, 90 % des structures sociales et médico-sociales continuent à appliquer la même chose. Seuls les parents se plaignent. Vous avez le packing, vous avez l’Abilify qui est un psychotrope terrible. Nous avons lancé des alertes mais il est encore utilisé sur des enfants. Comment se fait-il que l’on n’ait pas de décision ? Pourquoi le politique ne prend-il pas des mesures coercitives pour faire respecter non seulement les recommandations mais aussi les connaissances actuelles de la science et de la médecine ?

Quand la personne est maltraitée, pourquoi une association de défense ne peut-elle pas accompagner un parent devant le juge ? Il y a une carence au niveau des compétences des avocats. Pourtant, on ne peut intervenir qu’à travers un avocat et nous sommes démunis. Nous avons mis en place des actions préventives. Dès le signalement, l’association attaque : c’est la raison pour laquelle on ne nous aime pas. Ce n’est pas pour rien, nous attaquons les gens qui ont signalé pour que le président du département, responsable de l’ASE, évalue les compétences de ces professionnels. Nous ne sommes pas contre ces gens mais, à partir du moment où une personne est maltraitée, où de la souffrance est générée, les parents ont besoin d’aide. Souvent, ce sont des gens démunis.

D’après un rapport du Conseil économique, social et environnemental en 2012, 80 % des couples sont séparés. Ce sont majoritairement des mamans avec leurs adultes autistes. D’ailleurs, le document qui vous a été remis présente le cas d’une mère seule avec trois autistes adultes et aucune prise en charge. Malgré tous les débats, il est impossible de trouver un financement. C’est dans la Sarthe.

Selon nous, pour régler le problème, il faut repartir de zéro. Le passé est un chantier, tout le monde pense tout et n’importe quoi. Pour le futur, nous avons le savoir-faire pour ne plus continuer cette prise en charge inadaptée. Il faut autoriser dans la nouvelle stratégie l’agrément de nouvelles structures ayant une prise en charge éducative, automatiquement inclusives, ainsi que la scolarisation effective. On a évoqué le chiffre de 65 % d’enfants scolarisés. Chaque fois que les politiques parlent d’un nombre, il concerne tous les enfants handicapés, jamais l’autisme. Les enfants sont peu nombreux et, comme disait Christine Meignien, ils sont scolarisés une heure, une heure et demie ou deux heures par jour. Nous avons démontré devant le Conseil de l’Europe que, en primaire, il n’en reste que 11 % ; au collège et lycée, seuls 1,2 % des enfants sont scolarisés. Nous avons saisi en 2011 le tribunal administratif de Paris qui a condamné l’État en 2015. Huit familles étaient impliquées. C’est une stratégie qui a bien marché. J’en suis ravi parce que cinq jurisprudences ont été créées par cette juridiction. Aujourd’hui, des centaines de condamnations de l’État sont liées à ces jurisprudences.

Les mamans quittent le travail, avec la précarité qui vient ensuite. Je parlais tout à l’heure de 80 % de divorce. Quand on donne le diagnostic précoce au couple, c’est un couple soudé pour aider son enfant. Quand on donne le diagnostic tardivement, le couple est déchiré par les besoins de l’enfant. L’éclatement des couples est lié pour majorité à l’absence de diagnostic.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je vous remercie infiniment de vous être prêtés à cette audition, en donnant des réponses très claires. Je sens que vous vous êtes exprimés avec votre vécu.

La commission entend ensuite le Dr Pierre Gabach, chef du service des bonnes pratiques à la Haute Autorité de santé, sur la prise en charge de l’autisme.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Notre commission a souhaité s’intéresser à la difficile et sensible question de la prise en charge de l’autisme. Nous avons entendu dans un premier temps les représentants des associations et nous conclurons tout à l’heure nos travaux avec la déléguée interministérielle à la stratégie nationale pour l’autisme et aux troubles du neuro-développement. Il nous a également paru indispensable de prendre connaissance de l’avis et des travaux de la Haute Autorité de santé (HAS). C’est la raison pour laquelle nous recevons le docteur Pierre Gabach, chef du service des bonnes pratiques.

Dr Pierre Gabach, chef du service des bonnes pratiques à la Haute Autorité de santé. Je vous remercie pour votre invitation. Je vais présenter rapidement les travaux de la Haute Autorité de santé sur le trouble du spectre de l’autisme (TSA). Comme vous le savez, le trouble du spectre de l’autisme fait partie des troubles du neuro-développement. C’est un domaine sur lequel la Haute Autorité de santé s’est investie depuis longtemps et a fait élaborer de nombreuses recommandations depuis 2011. J’ai repris l’historique du travail du service et de la HAS. Nous avons commencé nos travaux en 2011 sur le diagnostic du trouble du spectre de l’autisme de l’adulte. Nous avons continué en 2018 sur les interventions et le parcours de vie du trouble du spectre de l’autisme de l’adulte. En 2018, nous avons travaillé sur les signes d’alerte, le repérage et le diagnostic de l’évaluation des enfants et adolescents porteurs de TSA. En 2012, nous avons élaboré des interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez les enfants. C’est l’un des pans de l’activité importante de la Haute Autorité de santé puisque nous avons aussi travaillé sur d’autres sujets. En 2015, nous avons publié des travaux sur la manière de repérer le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) de l’enfant, un autre trouble du neuro-développement, qui peut être associé d’ailleurs au TSA.

Nous avons travaillé en 2018 sur les parcours du trouble dys, un autre trouble du neuro‑développement. En 2020, nous avons émis des recommandations sur l’identification des enfants à risque et l’orientation, qui forment le support méthodologique et scientifique des plateformes de coordination et d’orientation. Le travail s’effectue à partir de ces recommandations pour orienter les enfants et leur prise en charge. Nous continuons puisque nous avons en cours une recommandation sur le diagnostic et le traitement des TDAH de l’enfant, après le repérage. Nous continuerons par une recommandation sur le diagnostic et le traitement du TDAH de l’adulte. En 2022, nous avons proposé un premier volet de recommandations sur les troubles du développement intellectuel et nous sommes en train de travailler à l’actualisation de la recommandation de 2012 à travers des interventions éducatives, thérapeutiques et comportementales des troubles du spectre de l’autisme de l’enfant.

Vous voyez que la HAS, depuis 2011, a mis en place les recommandations pour prendre en charge les troubles du neuro-développement de l’enfant et de l’adulte. Leur mise en œuvre sur le terrain constitue un autre sujet. Il ne revient pas à la HAS d’évaluer les politiques publiques, mais nous savons qu’il reste du travail.

Si vous souhaitez que je revienne sur ces recommandations, je peux les balayer. En 2018, nous avons déterminé les critères d’identification du TSA de l’enfant. Il est important de repérer de manière précoce pour préparer les interventions, même si le diagnostic n’est pas finalisé. Il ne faut pas laisser ces enfants dans l’attente du diagnostic, il faut les prendre en charge et cet aspect apparaît important. Nous verrons ensuite quelle étiquette nous apposons sur le trouble du neuro-développement. Nous avons bâti plusieurs algorithmes avec une prise en charge en premier niveau, deuxième niveau, troisième niveau à destination des enfants. C’est ce qui est mis en place actuellement par la délégation interministérielle à l’autisme.

En 2012, nous avons mis en place les interventions éducatives, thérapeutiques, coordonnées de l’enfant, sans difficulté. Des tribunes étaient publiées dans la presse nationale sur les tenants et les aboutissants de telle ou telle thérapeutique de prise en charge de ces enfants et des handicapés. Nous avons mis en œuvre les interventions précoces personnalisées, globales et coordonnées. Nous avons encadré les prescriptions médicamenteuses, en précisant qu’elles n’étaient pas recommandées pour les enfants touchés par le trouble du spectre de l’autisme, et certainement pas en première intention. Il fallait assurer la cohérence, la continuité et la complémentarité du parcours de ces enfants et les associer, ainsi que leur famille, dans la prise en charge. Il est important de collaborer avec les parents et d’utiliser un mode commun d’interaction.

Pour l’adulte, nous avons également réalisé un travail important, toujours à la demande du ministère. Nous avons équipé nos professionnels de recommandations. Le premier sujet important est celui du diagnostic des adultes touchés par les troubles du spectre de l’autisme. De nombreuses personnes ne sont pas repérées dans les établissements sociaux ou médicosociaux. Il convient donc de mettre en place le repérage de ces autistes adultes au sein de ces structures. Il faut aussi revoir le diagnostic établi en 2018. Lorsque le diagnostic était connu, il fallait le revoir et se poser la question d’un Asperger de haut niveau.

Nous avons revu nos recommandations. Il fallait rechercher la survenue précoce de ces signes et les replacer dans l’histoire. S’agissant du diagnostic, nous devions tenir compte, dans le recueil des données cliniques, des comportements dans différents contextes, ce qui supposait d’adapter le diagnostic au contexte et à l’environnement familial. C’est sur cette base que les actions ont été mises en place pour identifier ces personnes autistes dans les institutions sociales ou médicosociales, qui n’avaient pas été diagnostiquées. En 2018, nous avons lancé nos recommandations sur la thérapeutique et la prise en charge de ces personnes autistes, selon des principes novateurs à l’époque. Je parle du respect de l’adulte autiste, de ses droits, de ses choix, de son autodétermination, de son information et de sa participation effective aux décisions qui le concernent. Il fallait accompagner les familles dans cette prise en charge, avec le respect du choix de l’adulte concernant l’implication, ou pas, de sa famille. Il convient également d’accompagner les familles au vieillissement des adultes autistes et à leur prise en charge.

La recommandation intégrait un sujet sur l’accompagnement des professionnels en charge de ces personnes autistes. Il fallait revoir le cadre de vie et l’architecture des lieux. C’était aussi l’accompagnement dans l’accès à la communication, au langage, au fonctionnement cognitif, à la sensualité, à la vie quotidienne, à la vie relationnelle et familiale, à la vie affective et sexuelle, aux activités, aux sports, aux loisirs, ce qui fait la vie. Je viens de vous brosser rapidement toutes les recommandations faites sur le trouble du spectre de l’autisme. Nous avons largement équipé notre pays.

S’agissant de la recommandation de 2012, nous l’actualisons en approfondissant les interventions, les évaluations, la place de la famille et des aidants, notamment sur l’assistance parentale. Nous prévoyons d’aborder des sujets émergents comme la place des outils numériques. À ce titre, nous avons rencontré professionnels et associations. Quelle est la place des outils numériques pour favoriser les apprentissages, le déploiement des compétences, le soutien à l’autonomie ? Quelle est la pertinence d’intégrer ces technologies dans la famille et comment impliquer les parents et les partenaires dans l’utilisation des outils numériques ? Nous travaillerons sur ces aspects en 2023.

Une difficulté est liée à la prise en charge des enfants victimes du trouble du spectre de l’autisme par la protection de l’enfance. De nombreux enfants placés par la MDPH dans les services de protection de l’enfance ne retrouvent pas les soins et l’accompagnement nécessaires. Il nous faut mettre en place des recommandations pour améliorer le signalement et la prise en charge. Il faut développer les actions sociales inclusives. Comment favoriser l’accès et la participation aux activités sportives, culturelles et de loisirs de ces enfants ? Enfin, il y a l’autodétermination. Comment la mettons-nous en place ? Jusqu’à quel niveau ? Comment accompagner ces enfants ? Un autre sujet important a été signalé, celui de la scolarisation, notamment l’école inclusive. C’était un chapitre de notre recommandation de 2012 et nous avons prévu de le mettre au cœur de la recommandation de 2023. Enfin, il nous a paru utile de travailler sur le parcours de vie, notamment la transition de l’enfant vers l’âge adulte.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo -NUPES). Je vous remercie pour cette présentation, très centrée sur le diagnostic et le sous-diagnostic de l’autisme et du spectre autistique. Nous savons que le sous-diagnostic a aussi pour conséquence les pensées suicidaires et les tentatives de suicide, avec une faible estime de soi et une fragilisation du parcours. De quelle manière appréhendez-vous cette dimension ? Quelle est la part de ces personnes parmi les personnes diagnostiquées ou non diagnostiquées ? Comment relier ce taux de suicide ? Les chiffres sont alarmants. Une personne autiste sur trois dit avoir des pensées suicidaires ; une sur cinq a fait une tentative de suicide. Je parle seulement des personnes diagnostiquées.

Mon second point concerne l’inégalité femme-homme. Nous savons que les femmes et les filles sont beaucoup moins diagnostiquées que les hommes et les garçons. Ce sont des discriminations dans le diagnostic et le traitement. De quelle manière réduire ces inégalités ?

M. Stéphane Viry (LR). Docteur, vous avez expliqué que vous aviez largement équipé notre pays en termes de recommandations. Je souhaite vous poser plusieurs questions. La première concerne les capacités opérationnelles du service que vous dirigez au sein de la Haute Autorité de santé. Combien êtes-vous ? Comment fonctionnez-vous concrètement pour produire ces recommandations ?

La deuxième question consiste à savoir si vous menez un travail de concertation ou simplement de consultation des parents ou des associations pour nourrir vos travaux. Ce serait peut-être une approche plus subjective, différente du point de vue scientifique.

Envisagez-vous des recommandations pour la formation de ceux qui interviennent dans le médicosocial ? Je parle des professionnels qui accompagnent et prennent en charge, aux côtés des enfants. Globalement, votre cahier des charges intègre-t-il cette réflexion relative à différentes recommandations afin que ceux, dont la mission professionnelle est de les accompagner, les enfants en particulier, soient le mieux équipés en termes humains, pour répondre présent face à des besoins parfois compliqués ?

M. Thibault Bazin (LR). Docteur, vous avez évoqué, de manière calendaire d’une certaine manière, les étapes qui vous ont amené à produire des recommandations sur le trouble du spectre autistique, puis du TDAH, puis du dys. Vous avez indiqué que ces recommandations pouvaient se superposer. En quoi d’ailleurs les recommandations initiales sur le TSA peuvent‑elles être modifiées quand elles se superposent avec les TDAH et/ou dys ? La conjugaison pourrait modifier les recommandations initiales. Nous pouvons imaginer des errances dans les diagnostics, voire des applications différentes.

Vous avez évoqué la protection de l’enfance que vous avez liée à la MDPH, ce qui m’a surpris. Pour moi, la protection de l’enfance équivaut à l’aide sociale à l’enfance (ASE) et j’avais cloisonné handicap et MDPH comme deux éléments différents. En quoi y a-t-il de bonnes pratiques spécifiques à l’ASE, qui d’ailleurs ne relèvent pas forcément de la MDPH, et comment la MDPH peut-elle être en lien avec l’ASE ? Nous nous situons sur deux procédures différentes, notamment en termes de justice.

Enfin, vous donnez aux professionnels des repères pour améliorer les bonnes pratiques. En quoi les vecteurs de diffusion concernent-ils la formation initiale et comment êtes-vous acteurs de la formation continue ? Lorsque nous évoquons les autorités de santé, nous voyons les services sociaux et médicosociaux, mais comment investissez-vous le secteur éducatif et le monde de l’éducation ?

M. Elie Califer (SOC). Je vous remercie pour ces précisions quant au travail accompli depuis des années avec la volonté peut-être de vous inscrire dans l’article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, mais aussi dans la convention relative au droit des personnes handicapées. Vous avez exposé les recommandations pour aider les professionnels dans leur pratique au quotidien. Avez-vous été influencé par les protocoles mis en place dans d’autres pays, qui se sont peut-être révélés efficaces ? Avez-vous ressenti les effets financiers du plan Autisme 2018-2022 ? Avez-vous le temps d’évaluer la mise en œuvre des recommandations ? Elles sont nombreuses et pertinentes, mais l’aspect important concerne leur mise en œuvre factuelle pour ceux qui pratiquent et pour les parents.

En matière de dépistage, le diagnostic impose un délai compris entre 300 et 400 jours. Ce délai s’est-il amélioré grâce aux nouvelles recommandations ?

Dr Pierre Gabach. S’agissant d’abord des suicides et des troubles psychiatriques, les personnes touchées par le trouble du spectre de l’autisme ont souvent des comorbidités psychiatriques. Nous les avons prévues dans notre repérage. L’une de nos recommandations à destination des plateformes de coordination et d’orientation vise le repérage de tous les troubles. Nous n’avons pas seulement vu le TSA, mais l’ensemble des troubles de neuro-développement et des troubles associés, dont les troubles psychiatriques. Il faut bien sûr rechercher les troubles dépressifs, anxio‑dépressifs et les risques de suicide.

La sous-représentation des filles et des femmes correspond à une réalité puisque le rapport est d’un à quatre dans le TSA : vous avez raison et je pense que nous y retravaillerons. La HAS a produit, il y a deux ans, un document sur le sexe, le genre et la santé. Notre médecine est plutôt celle de l’homme et pas celle de la femme. Nous devons revoir les critères de diagnostic, certainement différents entre l’homme et la femme ou le garçon et la fille. Les études cliniques sont plutôt réalisées sur l’homme que sur la femme et la médecine apparaît plus orientée vers le genre masculin. La HAS a mis en évidence cette réalité dans son rapport. Nous nous sommes engagés, à chaque fois, à prévoir un paragraphe sur les différences entre homme et femme dans la prise en charge et le diagnostic de toutes les maladies, au-delà du TSA.

Je vous remercie de vous interroger sur les moyens à ma disposition. Je suis venu en toute transparence. Le service s’appuie sur quarante personnes. Le travail ne se limite pas aux recommandations. Nous nous impliquons dans les parcours de santé, les protocoles de coopération pour lesquels nous sommes très sollicités actuellement, les fiches de pertinence. Nous travaillons sur les méthodes de développement professionnel continu (DPC) et nous avons élaboré la méthode de certification périodique des professionnels de santé. Selon mon tableau de bord, une quarantaine de dossiers est en cours de traitement. Nous ne pouvons pas tout faire en même temps. En 2012, les interventions éducatives et thérapeutiques pour le TSA de l’enfant avaient nécessité deux à trois ans de travaux avant de parvenir à un consensus et proposer une publication acceptée par tout le monde. Il y a le nombre, mais aussi l’importance et le temps de parvenir à un consensus.

Les parents sont systématiquement associés à nos travaux. La HAS y tient. Ils participent à la définition des travaux à travers la note de cadrage ainsi que les groupes de travail et de lecture. Ils sont partie prenante. Une réflexion est en cours pour déterminer leur nombre. Combien devons-nous en prévoir dans le groupe de travail par rapport aux professionnels de santé ? En général, ce sont deux ou trois, plus en fonction des sujets. Il est important de les associer directement et dès le début dans nos travaux.

La formation des professionnels a été évoquée ; ce n’est pas la mission de la HAS. Nous ne pouvons pas nous impliquer dans la formation des professionnels de santé. Nous disposons de peu de moyens et nous ne sommes pas en mesure de travailler sur des missions que le Parlement ne nous a pas confiées. Nous souhaitons que nos recommandations soient utilisées en formation initiale. Elles constituent parfois le support des questions d’internant et des épreuves classantes de médecine. Nous ne disposons pas de levier règlementaire et officiel pour imposer ces recommandations dans les formations initiales et continues.

L’une des questions portait sur la cohérence des recommandations. Par chance, toutes sont élaborées par le même service. Le chef de service veille à la cohérence de nos recommandations. Nous ne travaillons pas en tuyaux d’orgue, chaque équipe dédiée à une recommandation regarde ce qui a été rédigé afin de respecter une cohérence. Nous avons défini dernièrement une procédure d’actualisation de recommandations, qui permet de vérifier la cohérence et l’actualité desdites recommandations.

Je ne suis pas un spécialiste de la MDPH et je reprends notre texte, rédigé à la suite du rapport du Défenseur des droits qui mettait ce point en évidence. Le texte mentionnait les enfants en situation de handicap reconnus par la MDPH et accompagnés par les services de la protection de l’enfance ne recevant pas tous les soins et l’accompagnement nécessaires. La protection de l’enfance n’a pas la connaissance, les moyens ou les compétences pour prendre en charge les enfants sur ce plan. Il nous a été demandé de travailler sur cette articulation. L’une de nos prochaines recommandations porte sur la relation entre pédopsychiatrie et protection de l’enfance.

L’évaluation de l’impact de nos recommandations est un sujet que la HAS considère. Nous nous demandons si nos actions servent à quelque chose. Mme Le Guludec avait mis en place une commission d’impact des recommandations. Nous ne connaissons pas l’effet du plan Autisme 2018-2022. Statistiquement, nous ne connaissons pas très bien non plus le nombre d’autistes en France. Comment évaluer une politique publique sans repérer ces enfants et ces adultes ? Comment repérer ceux pour lesquels les bonnes pratiques sont appliquées ou pas ? Il est difficile d’avoir une évaluation des politiques publiques et ce n’est pas notre rôle. Nous mettons en place, pour d’autres pathologies, des indicateurs de qualité de parcours, mais nous n’avons pas les moyens de les calculer. Nous manquons d’éléments qui permettraient d’évaluer l’impact de nos recommandations. Nous le regrettons.

Mme Béatrice Roullaud (RN). J’ai été saisie en apprenant que certains enfants autistes étaient placés dans des hôpitaux psychiatriques, faute de place dans les établissements adaptés. J’aimerais savoir, de votre point de vue de médecin, si le fait de placer un enfant autiste, alors qu’il n’a pas d’autre signe de maladie psychiatrique, peut le faire régresser, créer un état de stress et s’avérer négatif.

Dr Pierre Gabach. Il faut savoir s’ils appliquent, ou pas, les recommandations. Je ne le sais pas. La prise en charge doit être assez hétérogène entre les hôpitaux psychiatriques et les différents services. Il existe d’excellents services de pédopsychiatrie et d’autres de moins bonne qualité. Je ne pense pas que ce soit adapté mais il peut y avoir une très bonne prise en charge. Nous ne pouvons avoir de jugement de valeur à l’emporte-pièce. Les recommandations, avec la participation des professionnels et des associations de parents et de patients, sont connues depuis longtemps et il faudrait que ces enfants puissent en bénéficier.

Si je comprends bien, ces enfants sont placés dans les hôpitaux par défaut de place. Ils devraient accéder à ces prises en charge, notamment celles proposées par l’école inclusive.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je vous remercie pour votre présentation des recommandations et vos réponses.

Enfin, la commission auditionne Mme Claire Compagnon, déléguée interministérielle à la stratégie nationale pour l’autisme et aux troubles du neuro-développement, sur la prise en charge de l’autisme.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Après avoir entendu les représentants des associations et celui de la Haute Autorité de santé, nous accueillons Mme Claire Compagnon, déléguée interministérielle à la stratégie nationale pour l’autisme et aux troubles du neuro-développement. Je la remercie infiniment d’avoir accepté notre invitation, mais d’une certaine façon, d’avoir décliné également l’invitation au Conseil national de la refondation. C’est la raison pour laquelle de nombreux députés ne sont pas présents aujourd’hui. Nous sommes sensibles à votre présence.

Mme Claire Compagnon, déléguée interministérielle à la stratégie nationale pour l’autisme et aux troubles du neuro-développement. Je vous remercie. J’ai suivi les auditions précédentes, celle des associations et celle de la Haute Autorité de santé, au cours desquelles j’ai entendu des choses que je partage évidemment, mais aussi quelques incohérences que je souhaiterais rectifier.

C’est la première fois que ce poste de déléguée interministérielle est créé. J’ai été nommée en avril 2018 pour assurer ce pilotage de l’action publique dans le champ des troubles du neuro-développement et en particulier des troubles du spectre de l’autisme. Si j’ai été nommée, c’est parce que j’avais conduit trois missions sur ce thème dans mes fonctions à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), la première concernant l’évaluation des centres ressources autisme, la deuxième sur l’évaluation du troisième plan autisme 2013-2017. Le Président de la République m’a demandé de piloter les travaux de la concertation, l’un des engagements de son premier mandat. Il s’agissait de travailler à une meilleure prise en compte de la question du handicap et en particulier de ce trouble. J’ai piloté les travaux de la concertation pendant une année ; ils ont permis de produire cette politique publique 2018-2022. Il ne vous échappe pas que nous sommes en 2023 et que la politique est arrivée à son terme, même un grand nombre de choses se poursuivent. Nous préparons la suite, qui devrait être annoncée dans les semaines qui viennent.

De nombreux chiffres vous ont été donnés lors des auditions précédentes. J’ai demandé, il y a quelques semaines, à un groupe d’épidémiologistes un point sur les données internationales de prévalence de ces troubles du neuro-développement. Quand on réfléchit à une politique publique, il est important de disposer d’éléments scientifiques relatifs à ces troubles, de savoir ce dont nous disposons et ce dont nous ne disposons pas. Les chiffres sont abyssaux, je ne trouve pas d’autre mot. Nous trouvons dans cette catégorie générale des troubles du neuro-développement, le docteur Gabach en a parlé tout à l’heure, les troubles du spectre de l’autisme, les troubles dys, les troubles du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) et les troubles du développement intellectuel que l’on appelait auparavant, selon un terme regrettable, la déficience intellectuelle. Si nous regardons ces troubles, contrairement à ce qui vous a été dit tout à l’heure, ce n’est pas pour les noyer dans une espèce de sac dans lequel on ne ferait pas la distinction. C’est parce que ces troubles ont beaucoup d’éléments communs. La recherche nous apprend que nous ne pouvons les regarder les uns à côté des autres et qu’il faut prendre en compte l’ensemble puisque la plupart de ces enfants et adultes ne sont pas simplement autistes – ils sont aussi porteurs d’autres difficultés, d’autres types de handicaps. Nous voyons le TDAH plus l’autisme, les troubles dys plus l’autisme, le trouble de l’autisme et le trouble du développement intellectuel. À l’adolescence, ce sont les troubles du spectre de l’autisme et, par exemple, un certain nombre de troubles anxieux, de dépressions. Vous avez parlé de risques majeurs de suicide. À l’adolescence, des particularités de ces troubles apparaissent, qui font que surviennent des problèmes de santé mentale. Ils sont parfois liés à de mauvaises prises en charge inhérentes à ces troubles mêmes.

Quand je parle de données abyssales, c’est qu’aujourd’hui, un enfant sur six présente un trouble du neuro-développement. Ce sont les dernières études internationales. Nous sommes à presque 18 % de prévalence de ces troubles, soit un enfant sur six. C’est aujourd’hui l’affection, le handicap le plus fréquent et le plus grave chez les enfants. Je le répète, un enfant sur six.

En France, on a annoncé pendant très longtemps, sur la partie spécifique des troubles du spectre de l’autisme, des chiffres autour de 700 000 personnes et, ce sont des chiffres que vous avez entendus tout à l’heure, 600 000 adultes et 100 000 enfants. Nous sommes sans doute sur des données plus importantes, autour de 2 % des naissances avec ces troubles. Je suis incapable de dire ce qu’il en sera dans cinq ans. Vous avez entendu tout à l’heure d’autres chiffres pour le futur. Je n’ai pas de boule de cristal ; je regarde les données actuelles fondées sur des études scientifiques. Si nous prenons le TDAH, dont on parle beaucoup aujourd’hui, dont certains remettent en cause l’existence, nous avons dans notre pays, d’un point de vue scientifique, deux millions de personnes adultes et enfants diagnostiquées.

Non seulement ces chiffres sont extrêmement importants en termes de santé publique, mais un certain nombre d’entre eux auront des conséquences lourdes pour les personnes et ces conséquences se manifesteront sur la vie entière. Une personne qui présente un trouble du spectre de l’autisme aura des besoins d’accompagnement éducatif, rééducatif, social, sanitaire durant l’ensemble de sa vie, ce qui amène à des choix de politiques publiques et de moyens pour conduire ces politiques publiques.

Les troubles qui augmentent le plus sont les TSA, l’autisme et les TDAH. Sans doute, les meilleurs diagnostics et repérages expliquent ces augmentations. Les scientifiques disent ces éléments contextuels insuffisants pour expliquer une telle augmentation de prévalence et qu’il y a donc, sans que nous en ayons les certitudes, d’autres facteurs liés à nos modes de vie, à notre alimentation, à des choix de vie. Les femmes ont des enfants plus tardivement. C’est aussi lié à ce que nous savons sur les facteurs d’environnement. Tout cela n’est pas démontré de manière scientifique et c’est la raison pour laquelle la question de la recherche est importante. Sophie Biette a évoqué la cohorte Marianne. Nous venons de financer à hauteur de 6 millions d’euros et nous allons continuer de financer le suivi de ces femmes enceintes qui présentent – l’expression n’est pas jolie – des facteurs de risque d’avoir un nouvel enfant touché par ces troubles du neuro-développement dès lors que leur famille ou leur fratrie a déjà été frappée.

L’autre sujet consiste à savoir ce que nous faisons en termes de politiques publiques. Depuis les années 2000, nous avons connu en France trois plans autisme successifs, dont le troisième s’est achevé en 2017. C’est celui que j’ai évalué dans mes fonctions au sein de l’Igas. Ces trois plans ont été majoritairement destinés à mettre en place les conditions du diagnostic avec les centres ressources autistes, dont vous avez eu écho tout à l’heure. L’autre réponse majeure est de mettre en place des moyens médico-sociaux pour financer les places pour les enfants et pour les adultes. Lorsque j’ai pris mes fonctions en 2018, il restait du troisième plan 1 500 places pour adultes à mettre en œuvre sur le territoire national. Ces trois plans ont été des axes d’organisation et un rattrapage des places et des services d’accompagnement des personnes, avec un accent sur la question des enfants.

Je pilote depuis cinq ans la politique publique 2018-2022. Elle a comporté cinq engagements majeurs. Le premier, c’est un engagement autour des questions de recherche pour trois raisons. Nous avons des équipes de recherche formidables, mais dont le travail était peu structuré et qu’il fallait étayer pour parvenir à un niveau qui permette de concourir aux appels à projets internationaux. Cela a été le cas : l’année dernière, la France a gagné les principaux appels d’offres européens sur ces sujets. Et c’est aujourd’hui la France qui coordonne des équipes de recherche internationales dans le programme Euranet. Nous avions un souci d’impulsion pour permettre un développement de la recherche.

Le deuxième enjeu de ces questions de recherche n’est pas moindre : l’histoire particulière qu’a la France avec l’autisme. Je parle de la méconnaissance des sujets et de ce qu’il convenait de faire, du débat sur la place de la psychanalyse dans la thérapeutique et l’approche des personnes qui présentent ces troubles du neuro-développement. On parle beaucoup de psychanalyse et autisme, mais on pourrait dire la même chose sur le TDAH. Il s’agissait de mettre en œuvre les bonnes pratiques d’accompagnement des personnes. Nous savons mieux aujourd’hui, comme l’a dit le docteur Gabach, ce qu’il convient de faire, ce qui est opérant, ce qui fait consensus à l’international, pour accompagner les personnes dans la phase de repérage, dans la phase de diagnostic et bien évidemment pour répondre à leurs besoins tout au long de leur vie. Nous avons une difficulté, qui s’exprime à la fois dans la formation initiale des professionnels, mais aussi dans leurs pratiques et encore dans la psychiatrie et la pédopsychiatrie : des pratiques qui ne sont pas pertinentes. Si nous reprenons les recommandations de la Haute Autorité de santé, elles ne sont pas consensuelles sur le mode d’approche et le mode d’accompagnement des personnes. J’ai passé beaucoup de temps ces cinq dernières années à recevoir un message sans ambiguïté de la part des pouvoirs publics, consistant à rappeler le consensus international sur ce qu’il convient de faire et sur le fait que la psychanalyse n’est pas une thérapeutique de l’autisme. Je le dis avec force, l’endroit s’y prête, je crois qu’il faut avoir conscience de cela. Il ne s’agit pas de contester ou de dire d’autres choses sur le rôle de la psychanalyse, ce n’est pas mon sujet. En tous les cas, sur le plan international, aujourd’hui, nous savons que ce ne sont pas des modes d’intervention adaptés.

Le troisième point consiste à savoir de quelle manière les données de la recherche peuvent être implémentées, diffusés dans les pratiques des professionnels qui interviennent dans la vie des personnes, quand elles sont à domicile, prises en charge ou accompagnées dans un établissement ou dans un service spécialisé. Ce travail est difficile et de longue haleine. Ce temps d’implémentation n’est pas le temps des familles ni des personnes qui demandent à ce que les choses aillent vite. Je dois prendre en compte la nécessité de cette transformation des pratiques. J’ai entendu vos interlocuteurs dire leur regret de ne pas voir de sanction, de coercition. J’aurais envie de leur dire qu’il appartient aux employeurs d’agir. Le pouvoir de sanction et de coercition appartient à l’employeur, il n’appartient pas à l’État. Je le dis de manière ferme parce que c’est renvoyer toujours sur l’État la responsabilité de cette politique. C’est la raison pour laquelle mon propos est sans ambiguïté. Il appartient aussi aux organismes gestionnaires d’accompagner les changements. Un grand nombre d’entre eux le met en œuvre mais nous avons encore des pratiques qui ne sont pas conformes aux données de la science.

C’était notre premier engagement. Nous avons structuré une politique de recherche sur le territoire national et nous allons poursuivre, avec les moyens financiers qui conviennent. Comme je le disais à l’instant, il convient de mettre en place les conditions du transfert de ces pratiques, de ces connaissances scientifiques vers l’ensemble des professionnels.

Le deuxième point important de notre politique publique concerne le repérage et l’accompagnement vers le diagnostic et l’intervention précoce auprès des enfants. Il y a eu un choix, fort et structurant sur le plan de la santé publique, de mettre en place un guichet unique, que j’appelle la fusée à trois étages. Les professionnels de la petite enfance, la protection maternelle et infantile (PMI), les médecins généralistes, les médecins pédiatres, les assistantes maternelles, les personnels de crèche ne disposaient pas d’outil pour repérer ce que l’on appelle les écarts au développement. Quand un petit enfant ne parle pas, ne babille pas, ne regarde pas dans les yeux, ne pointe pas du doigt, ne répond pas à son nom, ne sait pas passer de la position assise à la position debout, un certain nombre de parents se dit qu’il s’y mettra plus tard. Or, ces indicateurs, sont des signes d’alerte. Nous avons rédigé un livret de repérage de ces signes. J’en ai un avec moi. « Me lever seul, marcher au moins cinq pas, empiler deux cubes, introduire un petit objet dans un récipient, désigner un ballon quand on me le demande, chercher mon jouet préféré. » Ce sont des signes. Si on ne sait pas faire cela à dix‑huit mois, il faut aller vers un médecin. C’est le premier étage de la fusée : donner à connaître à tous les professionnels de la petite enfance ces écarts inhabituels au développement et être attentifs ensemble au développement de l’enfant, même pour des choses simples. Évidemment, tout cela correspond à des données sur la motricité, la motricité fine, le langage, la communication. Nous avons diffusé ces documents aux médecins généralistes, aux pédiatres, aux professionnels de la petite enfance, avec notamment la Caisse nationale des allocations familiales.

Le deuxième étage désigne la situation dans laquelle le pédiatre ou le généraliste a vu ces enfants et constaté que quelque chose ne va pas. Il doit savoir vers qui orienter cet enfant, c’est-à-dire les professionnels de ces troubles du neuro-développement. Nous avons doté le pays de 97 plateformes PCO. Les concordances font que c’est parfois compliqué. Nous avons engagé cette démarche à la fin de 2019 et au début de 2020. Ce n’était pas la bonne période en raison de la crise sanitaire. Toujours est-il qu’aujourd’hui, au 1er janvier 2023, 97 % du territoire est couvert. Pour continuer sur les données abyssales, entre la fin 2019 et le 1er janvier 2023, 41 000 enfants ont été repérés dans ce dispositif. Je veux bien entendre que nous n’avons pas fait grand-chose. Toujours est-il qu’il y a une bonne nouvelle : 41 000 enfants ont été repérés et confiés à un professionnel de santé ; ils ont fait l’objet d’investigations cliniques, de bilan pour savoir s’il y avait une difficulté et, le cas échéant, laquelle.

Le troisième étage de la fusée représente un point important. Jusqu’en 2019, ces dispositifs d’investigation, ces actes auprès d’un psychomotricien, d’un neuropsychologue, ces bilans de santé n’étaient pas remboursés par l’assurance maladie. Ils le sont aujourd’hui. Dans cette période d’investigation des premiers âges de la vie et des premiers temps d’intervention, les dépenses sont prises en charge à 100 %, ce qui a amené à une solvabilisation des familles. Plus de 25 000 enfants bénéficient de ces forfaits d’interventions précoces. Je n’oublie pas la difficulté, qui est que ce forfait a une durée maximale de deux ans conformément aux dispositifs législatifs votés en 2019. L’idéal serait de prolonger ces forfaits puisque les actes sont ensuite financés grâce aux droits à compensation délivrés par les MDPH.

Le dispositif de repérage précoce se veut considérable. Depuis début 2022, il connaît une augmentation de 5 000 enfants par trimestre, ce qui appelle à une grande humilité pour répondre à des enjeux quantitatifs si importants. Lorsque ces enfants sont diagnostiqués, il convient de les accompagner pour un certain nombre d’entre eux tout au long de leur vie et de mettre en place les moyens de cet accompagnement. Mon propos n’est pas de dire que tout va très bien. J’ai entendu tout à l’heure que tout allait très mal. Je voudrais que l’on trouve un juste milieu. Il y a des choses qui avancent. Je n’ai pas inventé ces 41 000 enfants, ils sont là, ils sont pris en charge et nous devons garantir les conditions de leur accompagnement. Je vous rassure : toutes les plateformes ne sont pas saturées aujourd’hui.

Le troisième engagement est la scolarisation des enfants. J’ai entendu certains d’entre vous faire état des travaux barométriques mis en place avec l’Institut Ipsos sur l’évolution de notre politique publique. Je tiens à saluer cette transparence, consistant à demander à un institut tiers d’évaluer si les choses évoluent favorablement. Nous avons des données favorables et d’autres moins. L’une des données favorables est parfois mal entendue par les associations, mais les 14 000 personnes qui répondent à cette enquête barométrique et les personnes qui s’adressent aux associations ne sont pas les mêmes. Les gens qui répondent à cette enquête sont de jeunes parents non adhérents d’associations et ils notent l’évolution favorable sur la scolarisation. Nous avons de plus en plus d’enfants, notamment autistes, scolarisés. Il y en avait 43 000 dans les données transmises par le ministère de l’éducation nationale à la rentrée de septembre 2022. Le nombre progresse chaque année, comme pour tous les enfants présentant un handicap, avec des durées de plus en plus longues. J’attire votre attention sur le décalage entre ce que dit la population générale confrontée à ces troubles et qui n’est pas nécessairement adhérente d’une association et ce que rapportent les associations du secteur. Mon propos n’est pas de mettre en cause ces associations, il est de dire qu’il ne s’agit pas du même public. Prendre en compte, accompagner, faire entrer dans les apprentissages un enfant autiste ou TDAH nécessite des moyens d’intervention spécialisés : la réponse apportée par les AESH n’est pas suffisante. L’une des pistes annoncées par le Président de la République lors de la Conférence nationale du handicap est la possibilité que l’école s’ouvre plus largement à l’intervention de professionnels de santé, de psychomotriciens, d’orthophonistes, de professionnels du médico-social. Au lieu d’amener les familles à faire ce parcours du combattant, il faudrait que l’école accueille ces moyens et ces professionnels pour que les écoliers reçoivent ces soins en plus du travail éducatif et pédagogique. C’est ce qui se passe en Italie, en Espagne, dans les pays d’Europe du Nord, au Portugal. Il n’y a aucune raison pour que la France ne réussisse pas cette transformation de l’école, même si elle nécessite du temps. Ce temps-là se confronte à l’exigence de rapidité et de transformation que souhaitent familles et associations. Elles sont dans leur rôle. Nous savons que c’est plus compliqué.

Nous avons beaucoup travaillé sur la question de l’école avec un accroissement du nombre d’enfants scolarisés. Certains de vos interlocuteurs ont parlé de dispositifs de scolarisation adaptés. Nous avons ouvert 425 unités d’enseignement en maternelle, en école élémentaire et en collège. Il faut augmenter ces dispositifs. Deux moments clés jalonnent la vie des élèves, le passage de l’élémentaire vers le collège et ensuite vers le lycée. Il n’y a pas longtemps, dans vos murs, un colloque était organisé sur la comparaison entre la France et Israël. Lorsque j’ai regardé les données sur la scolarisation en Israël, au regard bien sûr de sa population de onze à douze millions de personnes, ce pays laisse voir un résultat beaucoup plus performant que le nôtre mais, étonnamment, les mêmes cassures à l’entrée dans le secondaire, au lycée et dans la vie étudiante. Il reste un effort à faire pour accompagner cette transition, notamment vers le collège et le lycée. Sans doute la nature des troubles, la difficulté des troubles et le professionnalisme attendu des praticiens sont-ils aujourd’hui similaires dans beaucoup de pays... Nous ne sommes pas simplement les mauvais élèves en la matière. En matière de scolarisation, nous avons développé le soutien aux enseignants et leur formation sur ces troubles. Là aussi, c’est un travail considérable et de longue haleine.

Le quatrième engagement concerne les adultes. C’était l’urgence identifiée dans le rapport de l’Igas sur l’évaluation du troisième plan : une meilleure réponse aux besoins des adultes autistes. Mais je voudrais qu’on n’oublie pas les adultes TDAH car les professionnels notent, dans les centres d’addictologie dédiés à l’alcool et à la drogue, que 20 % des patients souffrent de TDAH, plus ou moins diagnostiqués et qui ne reçoivent pas les traitements dont ils pourraient bénéficier. Or, pour le TDAH, nous disposons de traitements avec peu d’effets secondaires qui donnent des résultats formidables. Ils rencontrent pourtant des difficultés à être prescrits. Certaines représentations sociales sont préjudiciables à la vie des personnes. L’expertise internationale récemment collectée sur le TDAH montre qu’un peu moins de 20 % des détenus en souffrent. Dans les données américaines, 45 % des détenus seraient concernés par leurs conséquences en termes d’addiction et de comportement délictueux. Nous avons, là aussi, un chantier considérable à ouvrir.

Notre quatrième enjeu s’adressait donc aux adultes. Nous avons avancé mais nous ne sommes pas allés aussi loin que souhaité. La crise sanitaire nous a beaucoup pénalisés, notamment sur le repérage de ces adultes alors que nous menions une action dans les établissements psychiatriques. Lors des confinements, ces établissements ont été fermés à l’extérieur. Nous n’avons pas pu mettre en place ces dispositifs. Nous voyons aussi un certain nombre de résistances sur ces questions. Il nous reste à mieux connaître les conditions de vie des adultes et à mieux les accompagner dans leur vie. Heureusement, tous ne sont pas en hôpital psychiatrique. Cette réalité existe mais elle est modeste au regard du nombre de personnes touchées par ces troubles. Néanmoins, nous avons un sujet : un meilleur repérage, un meilleur diagnostic et un meilleur accompagnement des personnes grâce aux techniques comportementales aujourd’hui avérées, grâce aux méthodes de communication qui leur permettent d’employer ces outils. Cette mesure a été annoncée la semaine dernière à la Conférence nationale du handicap.

Le cinquième et dernier engagement a trait aux familles. Comment leur redonner leur place et comment les accompagner ? Comme cela a été dit tout à l’heure par les représentants associatifs qui sont aussi des parents, il y a une nécessité de prendre en compte la famille. Des études montrent que, en l’absence d’une intervention de qualité à la fois envers la personne concernée par le trouble et sa famille, notre capacité à améliorer le parcours de vie de l’un et de l’autre diminue fortement. Nous devons avoir cette exigence vis-à-vis des structures et des professionnels, depuis le plus jeune âge, d’un soutien des familles et des fratries. On appelle cela la guidance parentale. En tous les cas, il s’agit de l’une des conditions de succès de l’intervention des professionnels. Nos amis québécois parlent des milieux de vie. On ne peut pas intervenir simplement à l’école ou à la crèche, il faut aussi agir à la maison et outiller les parents. Comment joue-t-on avec un enfant autiste ? Comment s’occupe-t-on d’un enfant TDAH ? Comment donne-t-on à manger, donne-t-on le bain ? Tous ces gestes du quotidien méritent d’être accompagnés. Les enfants et les adultes autistes supposent des modes d’intervention éducatifs et rééducatifs qui ont fait leurs preuves, qui sont pertinents et qui améliorent la qualité de vie de la personne elle-même et de son environnement. C’est notre enjeu pour les années à venir.

Vous qui êtes législateurs et qui votez les financements à travers la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale, comment répondre à ces enjeux qualitatifs et quantitatifs considérables ? Je le rappelle : un enfant sur six naît ou présentera ces troubles du neuro-développement avec une gravité variable. Évidemment, un trouble sévère de l’autisme avec des troubles du comportement et une absence de langage se traite différemment d’un trouble dys. Il ne s’agit pas d’établir une hiérarchie, mais de souligner l’acuité particulière qu’appellent les enfants autistes et aussi un certain nombre de troubles du déficit de l’attention avec hyperactivité.

Je partage l’analyse de la difficile situation française. Pour discuter avec un certain nombre de mes homologues étrangers, nous sommes malheureusement partout dans les mêmes situations, qui tiennent à la façon dont on a pensé, organisé et financé les politiques du handicap depuis trente ans. L’engagement d’un demi-milliard d’euros supplémentaire depuis cinq ans en matière d’autisme et de troubles du neuro-développement se veut important, mais il est indéniable que trente années de sous-investissement ne se rattrapent pas en cinq. Nous avons fait, je crois, beaucoup. Ce n’est pas toujours apprécié à sa juste valeur et je l’ai encore entendu tout à l’heure, mais c’est ainsi entre l’État et les associations.

M. Thibault Bazin (LR). Merci, madame la présidente, d’avoir invité la déléguée interministérielle à la stratégie nationale pour l’autisme et aux troubles du neuro‑développement. Vous avez évoqué énormément de choses. Je voudrais revenir d’abord sur la question de la prévalence. Vous avez mentionné le chiffre de 18 % des enfants. Était-ce la même proportion avant, mais que l’on ne dépistait pas ? Vous avez dit à un moment que d’autres facteurs augmentaient cette prévalence. Ces facteurs sont-ils issus des parents avant la conception, avant la naissance, pendant la maternité, pendant la grossesse ? Concernent-ils les enfants après la naissance ? Finalement, il y a beaucoup de questions sur la cohorte Marianne, mais je ne sais pas si elle répondra à tout.

Lors des auditions précédentes ont été avancés des chiffres, parfois tous handicaps confondus, sur un manque de places. Avez-vous une idée du nombre de places manquantes ? Parvenez-vous à distinguer les MAS, FAM et IME ? Les crédits imaginés, y compris dans le dernier plan et dans le futur plan sur lequel vous travaillez, seront-ils à la fois des crédits d’investissement et de fonctionnement ?

Vous avez à un moment évoqué la question du contrôle, qui relevait d’abord des établissements eux-mêmes. Finalement, n’avons-nous pas les deux, comme c’est le cas pour les maisons de retraite, soumises aux contrôles internes et externes ? Nous avons besoin des deux, ce qui permet aussi d’améliorer les recommandations et le suivi.

Vous avez parlé du rôle précieux des psychomotriciens. Or, il me semble que les derniers rapports font état de différences territoriales dans la présence des psychomotriciens. Votre prochain plan contiendra-t-il un axe sur le développement des places en formation ?

Pour conclure, connaissez-vous le calendrier de présentation de votre plan ? Nous voyons que vous êtes presque prête. Il me semble que c’est au mois de mai. Pourrons-nous en avoir communication ? Nous sommes en attente à la suite des différentes auditions de ce jour.

M. Thierry Frappé (RN). Madame la déléguée interministérielle, je vous remercie pour votre présence et toutes les informations communiquées. Il y a de nombreuses personnes atteintes de troubles du spectre de l’autisme dans notre pays. Je ne vais pas les chiffrer parce c’est un exercice incertain mais, au vu de la progression du diagnostic, la prise en charge est un enjeu majeur. Elle s’entend à la fois pour les intéressés et pour les familles. Pour cela, il semble important d’améliorer le suivi médical.

Avant de déceler l’autisme, les familles passent par plusieurs étapes d’interrogation et d’appréhension. Au final, il n’est détecté chez les enfants que tardivement, à un âge que l’on préférerait beaucoup plus précoce. L’amélioration de cette prise en charge commencerait par celle de la formation des professionnels de santé et du système scolaire. Cet objectif est bien sûr en totale corrélation avec l’inclusion des autistes dans le système éducatif. Les divers plans permettent des avancées sur ce point. Le chemin vers une scolarisation standard est une étape importante, mais difficile pour les parents, par la difficulté justement d’obtenir des accompagnants auprès des enfants. Il existe bien les IME, les MAS et les FAM, mais les listes d’attente sont longues et que ces établissements sont souvent éloignés du domicile. L’inclusion dans le système éducatif est encore limitée pour des raisons d’aide immédiate aux familles.

Comment comptez-vous améliorer la prise en charge ? Quelle priorité donnez-vous à la formation des familles, des enseignants, à la scolarisation ? Qu’en est-il de la prise en charge des actes hors nomenclature de la sécurité sociale, à l’instar de l’ergothérapie ou de la psychomotricité ?

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Madame la déléguée interministérielle, votre présentation fait état d’un diagnostic de ces troubles qu’il faut renforcer. Vous en avez longuement parlé mais votre approche laisse entendre des contours très médicaux. Vous avez moins insisté sur les aspects connexes, c’est-à-dire l’inclusion dans les dispositifs, l’accompagnement, la lutte contre les discriminations. En étudiant votre action, j’ai été frappée par le programme de recherche que vous financez à hauteur de 6 millions d’euros sur les femmes enceintes et le diagnostic prénatal, ce qui évidemment a son intérêt, mais qui semble très doté par rapport au reste de vos activités. Je cite par exemple les troubles du comportement liés à l’usage excessif d’écran, le suivi scolaire insuffisant ou insuffisamment inclusif – et nous savons combien l’éducation nationale peine à prendre en charge les différences dans les apprentissages. J’aimerais connaître les aspects, autres que médicaux, de la politique que vous entendez mener.

M. Elie Califer (SOC). Madame la déléguée interministérielle, vous avez fait votre exposé avec fermeté, donnant l’impression que vous vouliez fermer le ban, mais en même temps en l’ouvrant à travers l’évocation de ce qu’il faut améliorer. S’agissant de la prévalence et du travail épidémiologique effectué, la recherche se poursuit-elle ? Vous avez mentionné différents éléments qui intervenaient dans l’apparition de ces troubles.

En 2018, le Premier ministre Édouard Philippe a annoncé, lors du lancement du quatrième plan, que l’inclusion était la priorité des priorités. Vous avez détaillé tout cela à l’instant, mais a-t-on relevé des progrès qualitatifs et quantitatifs au sens substantiel ? Votre intervention laisse voir un décalage entre ce que les parents et les associations ont pu exposer et ce que vous décrivez. Y a-t-il des disparités territoriales dans l’accompagnement des personnes, d’un compagnon, des enfants, mais aussi dans la création de places ? Singulièrement, quelle est la photographie des territoires ultramarins et du territoire guadeloupéen ?

Mme Claire Guichard (RE). Je vous remercie pour votre document à l’attention du personnel de crèche. J’ai été, pendant douze ans, maire adjointe à la petite enfance et à la jeunesse de ma ville et je peux dire que souvent, quand un enfant intègre la crèche, les parents ne sont pas au fait des choses et c’est le personnel qui, au fur et à mesure, décèle le problème. Il fait face au déni des parents et il doit les orienter vers le médecin, le psychiatre, le psychologue pour expliquer la situation. Ce document à l’attention du personnel de crèche est fort utile même si, dans ma ville, l’association Autisme 92 était active et s’était rapprochée de quelques membres des crèches pour recevoir ces enfants.

Vous avez parlé d’ouvrir les écoles aux intervenants extérieurs. Je l’ai testé moi-même suite à la garde d’un enfant en crèche pendant quatre ans. Nous avons voulu l’envoyer en école primaire. C’est grâce aux élus municipaux que nous avons pu ouvrir l’école aux intervenants de l’extérieur pour que cet enfant continue à recevoir les traitements et la stimulation. Ensuite, un autre combat se dessine quand arrive le collège, puisque ce ne sont plus les communes qui gèrent les établissements.

Ma dernière remarque concerne le dépistage. On en a parlé à partir de douze et dix-huit mois, ce qui est une avancée énorme. À partir du moment où l’on décèle le plus tôt possible un souci et que l’enfant reçoit toutes les stimulations nécessaires, peut-on parvenir à le sortir de l’autisme ?

M. Jean-Hugues Ratenon (LFI - NUPES). Le Conseil de l’Europe conclut à l’unanimité que la France enfreint trois articles de la charte des droits sociaux et empêche les personnes handicapées de mener une vie indépendante. Il regrette notamment l’absence de politique coordonnée en matière de handicap. Dans mon département, Autisme Réunion agit depuis plus de trente ans pour faire évoluer les situations mais, aujourd’hui encore, les listes d’attente dans les établissements spécialisés sont extrêmement longues. Nous avons un problème de saturation dans le médico-social avec trois à quatre ans de délai.

Nous rencontrons toujours des difficultés dans l’accompagnement scolaire et un manque criant d’AESH. La scolarisation de ces enfants reste un parcours du combattant pour les familles. Il est ardu de trouver des logements et des moyens de transport adaptés. Autant d’écueils qui ne facilitent pas l’intégration dans la société ! À La Réunion, 1 % de la population est atteint de troubles du spectre de l’autisme, soit 8 000 personnes environ. Si les problèmes des enfants sont énormes, l’accueil des adultes est encore plus problématique : les structures d’accueil sont quasi inexistantes. Cette situation occasionne de grandes souffrances dans les familles.

Madame la déléguée interministérielle, ma question est simple. Quelles propositions avez-vous, quelles mesures spécifiques pour vous attaquer à cette problématique outre-mer, et notamment à La Réunion ?

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Madame la déléguée interministérielle, nous avons entendu ce que vous avez dit, qui nous avait d’ailleurs été indiqué par d’autres avant vous, sur les efforts consentis en faveur la recherche et du dépistage, notamment précoce. Cela dit, nous sommes confrontés à des situations de détresse, de colère, de beaucoup de familles qui éprouvent la difficulté à être accompagnées pour faire face – je fais référence au nombre de places en établissement susceptibles d’être proposées, voire à l’accompagnement sous toutes ses formes. Il a été rapporté, et il est rapporté régulièrement, nombre de cas sans solution. Cela ne devrait-il pas être l’une des priorités du plan à venir que de permettre de résoudre ces situations ? Cela ne supposerait-il pas de changer de paradigme, de se doter de moyens à la hauteur de ces situations et de l’attente des familles ?

Je voudrais ajouter une question concernant la situation des jeunes adultes dont nous avons parlé il y a quelques instants avec d’autres interlocuteurs. Nous rencontrons des enfants suivis plus ou moins au cours de leur scolarité et qui, au bout de cette scolarité, se trouvent en réalité sans issue, sans accompagnement, sans proposition. Que pouvons-nous envisager pour mieux accompagner ces jeunes dans leur jeunesse et leur avenir ?

Mme Claire Compagnon. En ce qui concerne la prévalence des troubles, nous avons des comparaisons. Entre 2010 et 2013, on parlait, pour l’autisme, de 1 % des naissances. Les recommandations dont a fait état le docteur Gabach au titre de la Haute Autorité de santé sont fondées sur ces données de prévalence. Les études plus récentes, pour beaucoup anglo‑saxonnes, avec sans doute un biais de surdiagnostic car ces systèmes offrent une protection sociale très différente de la nôtre dans laquelle le diagnostic ouvre immédiatement droit à un certain nombre de prestations, situent plutôt la prévalence autour de 2 %. S’agissant de la classification internationale des maladies et de la catégorie des troubles du neuro-développement, une étude américaine de 2019 fait état d’un pourcentage de 17,3 %. Il y a quelques années, ce taux se situait à environ 13 %.

Comment expliquer cette augmentation ? Il y a évidemment la meilleure qualité, dans la plupart des pays occidentaux, d’une offre de soins qui repère, diagnostique et prend en compte ces personnes. Cependant, les scientifiques et les épidémiologistes disent que cela ne suffit pas à expliquer ces augmentations de prévalence et qu’elles sont donc à rechercher dans des évolutions des modes de vie. Je pense à la prématurité, l’un des facteurs de risque de ces troubles du neuro-développement. Un nombre de plus en plus important d’enfants naissent prématurés par rapport aux années passées. Il y a aussi les grossesses tardives. Certaines questions se posent sur des facteurs d’environnement, qui ne font pas l’objet aujourd’hui de consensus, du fait que les études ne sont pas assez nombreuses ou ne justifient pas d’une antériorité suffisante.

C’est le sens du projet de recherche que nous soutenons et que ses promoteurs ont appelé la cohorte Marianne. C’est une cohorte épidémiologique qui réunira 1 700 femmes enceintes ayant dans leur famille ou leur fratrie des enfants porteurs de troubles du neuro-développement, qui sont des publics à plus grands risques d’avoir des enfants présentant lesdits troubles. L’un des facteurs majeurs identifiés, même s’il n’est pas exclusif, est le caractère génétique d’un certain nombre de ces troubles. Une équipe française, dirigée par le professeur Thomas Bourgeron à l’Institut Pasteur, a mis en avant ces gènes dans les troubles du spectre de l’autisme. Nous allons suivre pendant une dizaine d’années les enfants, leur mère, faire un certain nombre d’examens cliniques, d’interventions en termes éducatifs et rééducatifs, de prélèvements biologiques. Nous aurons évidemment les résultats dans un certain nombre d’années.

Madame Sandrine Rousseau, vous faisiez état du financement de cette cohorte, soit 6 millions d’euros dans le cadre du programme d’investissement d’avenir. C’est une enveloppe assez peu importante au regard des sommes nécessaires au suivi dans l’ensemble de la France d’environ 5 000 femmes, de leurs enfants et de leur conjoint pendant une dizaine d’années. La démarche suppose de mettre en place des équipes médicales, de soins et de rééducation, des chercheurs, des épidémiologistes. Il faut organiser la logistique liée à un certain nombre de ces prélèvements. Il ne s’agit pas de mettre en place les conditions d’un diagnostic prénatal. Je sais que c’est la crainte d’un certain nombre de mouvements, de petits groupes de personnes autistes qui se manifestent sur les réseaux sociaux depuis que nous avons annoncé le lancement de l’étude. Il s’agit de comprendre les causes de ces troubles et de disposer d’éléments précis sur leur nature et leurs causes, en suivant la trajectoire développementale de ces enfants et en regardant ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Comment ces enfants évoluent-ils ? Entrent-ils ou pas dans les apprentissages ? Je le répète avec force : nulle part, il n’est question d’une espèce de politique eugénique qui supposerait un diagnostic prénatal des enfants. Je rappelle que nous ne disposons dans aucun pays du monde de tests biologiques de diagnostic des troubles du spectre de l’autisme. Cela n’existe pas. Il faut raison garder. Ce n’est pas la politique que nous menons. Nous voulons parvenir à une meilleure prévention et, dans cette trajectoire à dix ans de ces enfants, comprendre leurs évolutions et les meilleurs moyens de les accompagner tout au long de leur vie.

Sur la question des facteurs, vous avez mentionné ce qu’il se passe au moment de la conception, de la conception à la naissance et par la suite. Je ne suis pas une spécialiste de la recherche même si les fonctions que j’occupe m’ont amenée à beaucoup lire et à échanger avec de nombreux chercheurs. Nous savons avec certitude que les troubles du spectre de l’autisme procèdent d’un certain nombre de causes clairement identifiées. Ce sont des facteurs génétiques, avec des dizaines et des dizaines de gènes responsables, qui jouent un rôle, quoique peut-être pas central, dans la survenue de ces troubles. Il y a d’autres éléments connus, dont la prise de médicaments pendant la grossesse et la question de la Dépakine, ce médicament antiépileptique prescrit un temps à des femmes, dont certaines étaient enceintes. L’étude publiée en juillet 2019 par l’assurance maladie et l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé montre qu’entre 15 000 et 30 000 enfants auraient été touchés par ces médicaments et auraient développé un certain nombre d’infirmités, de handicaps, de troubles du neuro‑développement et autres. Nous savons aussi, grâce aux évolutions de la recherche et de l’imagerie cérébrale, que les troubles prennent leur source pendant la vie fœtale et qu’ils sont préalables à la naissance même si, parfois, les conditions de l’accouchement peuvent avoir un impact. En tous les cas, les théories anciennes, et je rappelais l’histoire dramatique de la France sur l’autisme, qui expliquaient ces troubles par des comportements parentaux, apparaissent aujourd’hui infondées.

Vous m’interrogiez sur le fait que la stratégie et la politique publiques étaient très médicales. Elles ne sont pas simplement médicales. Je n’ai pas listé les cent une mesures de cette stratégie, qui intègre des actions sur l’emploi des personnes, sur l’inclusion dans le logement, sur l’habitat partagé, sur l’université et tout ce que nous faisons pour permettre à ces personnes autistes ou souffrant d’autres troubles de suivre des cursus universitaires. Tout cela fait partie de notre politique inclusive et du périmètre de la délégation interministérielle. Pour reprendre la question des écrans, il n’y a pas d’étude sérieuse qui fasse le lien entre ces troubles et l’usage des écrans. Si nous sommes tous inquiets du temps excessif que passent les enfants sur des écrans, avec ce que cela peut avoir comme impact en termes de concentration, de socialisation, de développement des liens familiaux ou extrafamiliaux, aucune étude ne montre un lien avec l’autisme. Il y avait des situations d’autisme au début du siècle dernier, puisqu’ils ont été identifiés dans les années 1950, et il n’y avait pas d’écran à cette époque. Au-delà de cette boutade, il y a un problème en termes de développement des enfants et d’usage des écrans, mais pas de lien entre trouble du neuro-développement et usage des écrans. Évidemment, en charge d’une politique publique à destination des enfants, je ne peux que rappeler que l’enfant tient une place plus grande dans le jeu, la socialisation, les relations affectives avec des adultes. Mais c’est déconnecté de la survenue du trouble. Par ailleurs, nous devons nous méfier de l’effet culpabilisant de cette idée reçue envers les proches. Dernièrement, un professeur de médecine me disait recevoir en consultation des familles qui s’interrogeaient sur leurs responsabilités dans la survenue de l’autisme chez leurs enfants, parce qu’ils les avaient mis devant des écrans à certains moments.

Nous identifions un enjeu dans les troubles du neuro-développement, et en particulier de l’autisme, à propos des enfants « non verbaux », qui ne communiquent pas ou qui communiquent peu. Nous avons besoin d’utiliser les outils de communication alternative augmentée, qui permettent à ces enfants d’engager un échange, de marquer leur autonomie et leur détermination en disposant d’un langage à travers un certain nombre d’instruments. Des milliers d’études montrent l’intérêt de ces outils numériques qui facilitent la vie des personnes, des familles et des enseignants. Je voulais éclairer le débat sur ce sujet.

J’ai évoqué le contrôle des praticiens par les établissements eux-mêmes mais il y a évidemment une responsabilité de l’État et des collectivités locales dans leur mission de tutelle sur ceux-ci. Ce double regard est extrêmement important ; c’est le sens d’une des propositions de la Conférence nationale du handicap que j’inclus dans le cadre de la prochaine stratégie. Elle porte sur une accentuation, avec les associations et les personnes elles-mêmes, des missions de contrôle dans les établissements pour vérifier l’adéquation de l’accompagnement proposé avec ce qui est attendu, et surtout ce qui est attendu par les intéressés. C’est un point essentiel et, en termes de politique publique, il est important d’être à la fois dans l’accompagnement des professionnels des structures, dans l’attribution des moyens qui leur permettent de fonctionner, et dans la vérification que leur travail corresponde aux recommandations de la Haute Autorité de santé.

Qu’en est-il de la prochaine politique publique 2023-2027 ? Elle est en cours d’élaboration. Nous y travaillons depuis quelques mois avec les associations, dont certaines étaient présentes aujourd’hui dans cette salle, et avec les professionnels, les structures, l’ensemble des parties prenantes. Cela donne lieu à une concertation exigeante puisque nous avons identifié les points de blocage connus pendant les quatre dernières années. L’idée est de partir de ces lacunes pour proposer une nouvelle politique publique. Notre travail est presque terminé. Il reste quelques étapes à franchir. La première est l’ouverture pour un mois, depuis jeudi dernier, de la plateforme numérique de consultation des citoyens sur cette politique publique. L’ensemble des personnes, des professionnels, des associations qui le souhaitent peuvent regarder ce qui est proposé, émettre des observations, voter pour ou contre, présenter de nouvelles propositions. C’est ce qui a été fait il y a quelques années pour la stratégie décennale de lutte contre le cancer. À l’issue de cette consultation, nous prendrons en compte les observations, les propositions et les votes et nous soumettrons à l’exécutif la formulation définitive de la politique publique. Je ne suis pas en mesure de vous dire quels seront les moyens budgétaires : nous entrons dans cette période passionnante des réunions interministérielles pour obtenir les arbitrages à ce propos.

Les aspects de formation ont été plusieurs fois évoqués. Je partage votre analyse sur leur importance. Notre difficulté, évoquée par certains de vos interlocuteurs de l’après-midi, correspond au manque de leviers. La formation universitaire relève évidemment des universités, avec le caractère sacro-saint de leur indépendance sur les contenus pédagogiques. Nous avons procédé avec elles à une analyse précise d’un certain nombre de diplômes universitaires sur nos sujets. Nous avons repéré les difficultés, en raison de théories peu pertinentes sur le plan scientifique, en termes de contenu et de pédagogie. Je vous invite, et ce serait d’une grande aide pour moi, à auditionner la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Nous avons produit un certain nombre de contenus de formation destinés à tous les professionnels de santé – étudiants en médecine, mais aussi des autres professions de santé. Et puis, nous travaillons sur la formation des travailleurs sociaux qui relève pour partie de la compétence des régions, avec notamment les instituts régionaux de travail social, ainsi que sur d’autres types de métiers. Je répondais hier à un journaliste sur les questions des métiers de la police et de la gendarmerie, notamment la prise en charge de personnes autistes. Le champ de la formation apparaît considérable parce que tout un chacun peut, à un moment ou à un autre, être amené à intervenir, à répondre. Nous avons ouvert la Maison de l’autisme il y a quelques semaines ; nous travaillons avec les équipes des stations de métro sur la formation des personnels d’accueil qui recevront ses visiteurs.

Vous avez fait état des actes absents de la nomenclature et je vois la justesse de votre questionnement. Effectivement, certaines professions sont importantes dans le champ de l’accompagnement et des bilans de ces personnes autistes. Je pense en particulier aux psychomotriciens, ergothérapeutes et psychologues. Nous avons réussi, dans le cadre du forfait d’intervention précoce, à prévoir la prise en charge de ces frais par l’assurance maladie. Mais ce n’est pas une reconnaissance. Là aussi, nous sommes en négociation avec la Caisse nationale de l’assurance maladie et la direction de la sécurité sociale pour une reconnaissance de ces professionnels et la prise en compte de leurs actes à la nomenclature. Je ne suis pas en mesure de vous dire si nous allons aboutir. En tous les cas, la négociation a démarré.

La question des places est centrale. Je reçois tous les jours du courrier de familles qui font état de leurs difficultés et qui sont en attente, parfois sur des durées très longues. Cela me met dans une tension élevée parce qu’il y a des choses compréhensibles quand il s’agit strictement de manque de places et des moments moins compréhensibles quand on pourrait proposer des choses d’un autre ordre à ces familles. La seule réponse en termes de places n’est pas satisfaisante. Des modes d’intervention sont possibles pour éviter un grand isolement et une grande détresse. Je ne suis pas en mesure de quantifier ce ressenti en l’absence de données MDPH consolidées sur le plan national. Le travail de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie sur ces questions est important. Nous disposerons de données dans quelque temps. Nous savons que des zones subissent de grandes tensions, notamment celles concernées par une poussée démographique importante. L’Occitanie, les Pays de la Loire, les départements ultramarins sont, pour différentes raisons, en grande difficulté. Le Président de la République annoncera la semaine prochaine la création de 50 000 nouvelles solutions, avec un plan de 500 millions d’euros qui démarrera ces prochains mois. J’espère que la démarche permettra de répondre de manière plus pertinente aux attentes.

Je ne voudrais pas conclure en laissant penser que la seule prise en compte de ces personnes dans le cadre de dispositifs institutionnels est à envisager. Il y a aussi d’autres types d’accompagnement. Le renforcement des moyens pour accompagner les enfants à domicile, pour les accompagner à l’école, devrait permettre leur maintien dans leur environnement immédiat et d’éviter leur départ en Belgique ou dans des structures de type IME, ou MAS et FAM pour les adultes. Il est important de réévaluer la situation des enfants en liste d’attente aujourd’hui pris en charge dans les IME – ce qu’on appelle les personnes sous amendement Creton. Nous devons, avec l’aide des ARS et des conseils départementaux, mener cette réévaluation parce que nous sommes nombreux à nous faire la réflexion sur un certain nombre de situations qui pourraient trouver d’autres réponses qu’institutionnelle. Il faut aussi penser les dispositifs médico-sociaux tels qu’ils existent aujourd’hui dans d’autres modalités. On parle beaucoup des dispositifs en plateforme pour répondre dans une structure aux besoins d’hébergement, mais aussi d’accompagnement et de prise en compte des périodes de crise. C’est important dans le champ de l’autisme. Il faut multiplier les dispositifs pour répondre à toutes les situations, qui sont d’intensité et de gravité très variables. C’est sans doute aussi ce qui nous manque, cette palette de réponses qui permette d’individualiser les prises en charge.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je vous remercie pour vos réponses étoffées. J’ai entendu que vous étiez sollicitée par des familles en détresse. Je tiens à vous dire que nous le sommes aussi, quotidiennement. Pour ma part, j’ai vécu un départ en Belgique. Cela a été extrêmement douloureux. Aujourd’hui, je me bats pour un enfant qui vient d’atteindre la majorité et pour lequel nous recherchons une structure. Nous travaillons avec les ARS, avec les départements, mais généralement, nous sommes confrontés à une difficulté : quand nous sommes avec les ARS, on nous dit aller voir les départements et quand nous sommes avec les départements, on nous dit d’aller voir les ARS. Peut-être viendrai-je vous voir parce que je me fais un point d’honneur d’éviter que ce jeune parte en Belgique, puisque c’est ce à quoi nous sommes confrontés. Il y a d’énormes attentes sur le terrain.

Mme Claire Compagnon. L’une des difficultés de ma fonction, et ce n’est rien à côté de ce que vivent et traversent les personnes, est de savoir comment intervenir dans l’ici et le maintenant pour répondre à ces situations d’urgence et comment orienter vers un développement pérenne qui réponde aux attentes. Je suis dans cette tension-là. Il ne s’agit pas de dire, et j’espère que mon propos a été le plus clair possible, que tout va bien. Il s’agit de dire que nous sommes est en train d’avancer, de structurer des choses, que ce temps-là n’est pas le temps des familles et des personnes évidemment, mais on ne transforme ni les politiques publiques ni la prise en compte de la question du handicap en claquant des doigts.

Nous sommes face à une situation insuffisamment prise en compte pendant tant d’années, dans cette phase de rattrapage importante. Je le dis de ma position de haut‑fonctionnaire : on n’a jamais mis autant d’argent dans une politique publique sur l’autisme que ces cinq dernières années. Mais il faut aller encore plus loin. Nous avons besoin du soutien des parlementaires dans le cadre des lois de financement de la sécurité sociale, parce que des moyens considérables sont nécessaires à cette politique, pour permettre aux personnes une vie digne. Il n’y a pas des vies petites, des vies misérables. Il y a des vies qui doivent être dignes et, dans un certain nombre de circonstances, la dignité n’est pas toujours au rendez-vous.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous ferons en sorte qu’elle le soit. Nous allons poursuivre nos travaux et nos débats. La dignité humaine doit être l’objectif de tous. Je vous remercie, madame la déléguée interministérielle, pour vos réponses.

La séance est levée à dix-huit heures cinquante-cinq.


Présences en réunion

Présents. – Mme Bénédicte Auzanot, M. Thibault Bazin, M. Elie Califer, M. Victor Catteau, Mme Laurence Cristol, M. Thierry Frappé, M. François Gernigon, Mme Claire Guichard, Mme Fadila Khattabi, M. Didier Le Gac, Mme Élise Leboucher, M. Jean‑Philippe Nilor, Mme Michèle Peyron, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Sandrine Rousseau, M. Jean‑François Rousset, Mme Annie Vidal, M. Stéphane Viry

Excusés. – Mme Fanta Berete, Mme Caroline Fiat, Mme Caroline Janvier, Mme Stéphanie Rist, M. Olivier Serva

Assistaient également à la réunion. - M. Pierre Dharréville, Mme Béatrice Roullaud