Compte rendu

Commission
des affaires sociales

– Audition de M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics, sur le projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale de l’année 2022 (n° 1268)              3

– Information relative à la commission.......................18

– Présences en réunion.................................19

 

 

 

 

 


Mardi
30 mai 2023

Séance de 17 heures 15

Compte rendu n° 86

session de 2022-2023

Présidence de
Mme Fadila Khattabi,
présidente

 

 

 


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La séance est ouverte à dix-sept heures vingt.

 

La commission auditionne M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics, sur le projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale de l’année 2022 (n° 1268).

 

Mme la présidente Fadila Khattabi. Avec la réforme organique de 2022, les travaux parlementaires relatifs à l’exécution des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) prennent une nouvelle dimension.

Il y a deux semaines, dans le cadre du Printemps social de l’évaluation, la rapporteure générale et les rapporteurs de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de la sécurité sociale (Mecss) ont présenté six évaluations transpartisanes portant sur certaines dispositions adoptées dans le cadre de précédentes lois de financement. À cette occasion, nous avons interrogé les responsables des caisses et des administrations centrales à propos de ces évaluations, mais aussi, plus généralement, des enjeux pour les branches concernées. Si vous en êtes d’accord, l’ensemble de ces évaluations et auditions fera l’objet d’un rapport d’information de la commission, qui sera publié en vue du débat organisé le mercredi 7 juin en séance publique, au cours duquel nos travaux seront restitués conjointement avec ceux de la commission des finances.

La Cour des comptes, quant à elle, nous a présenté la semaine dernière non seulement son rapport sur la certification des comptes de 2022, mais aussi son rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale (Ralfss), qui était jusqu’alors remis début octobre, en vue de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

Le calendrier a changé car un nouveau type de texte est désormais examiné au printemps : les projets de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale (Placss). Le premier texte appartenant à cette nouvelle catégorie de lois de financement a été adopté mercredi dernier en Conseil des ministres. M. le ministre délégué Gabriel Attal nous le présente aujourd’hui – ce dont je le remercie –, dans la perspective de l’examen du texte par notre commission, qui aura lieu dès demain, puis le mardi 6 juin en séance publique.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Je tiens à souligner à mon tour le caractère inédit et même historique de cette audition : elle inaugure l’examen d’une nouvelle loi financière résultant de la révision organique du 14 mars 2022, impulsée par Thomas Mesnier et à laquelle plusieurs d’entre vous ont participé. Je forme avec vous le vœu que les débats autour de ce texte permettront d’enrichir le temps consacré durant le printemps à l’évaluation et au retour sur les comptes de l’exercice clos, tant dans le champ de l’État que dans celui de la sécurité sociale.

Comme je l’ai souligné s’agissant du projet de loi de règlement du budget de l’État, il s’agit ici, pour l’essentiel, d’une photographie des comptes de l’année précédente. C’est donc aussi un test pour les parlementaires, qu’ils appartiennent à la majorité ou aux oppositions : ce texte permet de savoir qui se place dans une posture d’opposition systématique et stérile, consistant à rejeter tous les projets de loi, y compris ceux qui ne sont qu’un état des lieux de l’année précédente, auxquels on ne peut absolument rien changer – tout en sachant que les oppositions constructives, essayant d’améliorer les textes, peuvent formuler leurs propositions plutôt dans le cadre de la loi de financement pour l’année suivante.

Sur le fond, ce projet de loi donne une image sincère des comptes de la sécurité sociale. Trois branches sur cinq sont excédentaires : à hauteur de 200 millions d’euros pour la branche autonomie, dans sa deuxième année d’existence ; de 1,9 milliard pour la branche famille et de 1,7 milliard pour la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP). Toutefois, dans l’ensemble, les comptes des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) présentent un déficit de 19,6 milliards, en raison de la situation des deux principales branches : la branche maladie a un déficit de 21 milliards et la branche retraites de 3,8 milliards.

Le déficit de la branche maladie se résorbe, même s’il reste très important, du fait en particulier des dépenses liées à la crise sanitaire, qui se sont encore élevées à 11,7 milliards d’euros en 2022 et ont permis de financer la poursuite, notamment en début d’année, des tests de dépistage et de la campagne de vaccination.

S’agissant de la branche vieillesse, le déficit s’établit à 3,8 milliards d’euros dans le champ des régimes obligatoires de base, ce qui témoigne d’une dégradation par rapport à l’an dernier, même si la situation s’est améliorée par rapport à 2020. C’est précisément parce que la trajectoire de cette branche n’était pas soutenable que nous avons défendu une réforme qui permettra au système de retraite de revenir progressivement à l’équilibre.

Par rapport à 2021, le déficit global de la sécurité sociale se réduit de 4,6 milliards d’euros. Outre le fait que les dépenses liées à la crise ont été moindres, cette amélioration est largement le fruit de la politique économique que nous menons. Celle-ci a permis la création de 1 700 000 emplois depuis 2017, dont 337 000 pour la seule année 2022. Ces 337 000 nouveaux emplois représentent l’équivalent de 5 milliards d’euros de cotisations supplémentaires alimentant chaque année les caisses de la sécurité sociale. C’est autant d’argent en plus pour les hôpitaux, les crèches ou encore les Ehpad. Combinées aux hausses de salaires, ces créations d’emplois ont permis une croissance de la masse salariale de 8,9 % en 2022.

Au total, les recettes de la sécurité sociale, y compris la fiscalité affectée, ont progressé de 5,4 % en 2022. Les allégements généraux de cotisations font souvent l’objet de débats. D’une part, ils sont compensés à la sécurité sociale. D’autre part, et surtout, c’est cette politique qui a permis la création massive d’emplois. Si nous n’avions pas créé 1 700 000 emplois depuis 2017, le déficit de la sécurité sociale se serait alourdi de 25 milliards. Le meilleur moyen de financer nos politiques publiques, en particulier notre modèle social, c’est de faire en sorte que davantage de Français travaillent. Si notre taux d’emploi était le même que celui de nos voisins allemands, les recettes fiscales et sociales seraient tellement importantes qu’il serait beaucoup plus facile d’équilibrer les comptes chaque année et de réduire les déficits. Il faut donc tout faire pour améliorer le taux d’emploi. Nous nous y efforçons en luttant contre le chômage et en menant des réformes, notamment celle de l’apprentissage, et désormais celle du lycée professionnel. La réforme des retraites, quant à elle, se traduira par une amélioration du taux d’emploi des seniors, comme cela avait été le cas après la réforme Fillon de 2010 – il avait augmenté de 15 points.

En 2022, pour la troisième année consécutive, l’État a été non plus débiteur mais créancier de la sécurité sociale, à hauteur de 100 millions d’euros, alors qu’il avait accumulé, au cours de la décennie passée, des dettes atteignant parfois 1 milliard. Cela constitue un progrès en matière de transparence des relations financières entre l’État et la sécurité sociale.

Durant l’année écoulée, la sécurité sociale a aussi continué à rembourser ses dettes, à travers la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades), qui a amorti 19 milliards d’euros et continuera à fonctionner jusqu’en 2033, date prévue pour son extinction aux termes de la loi organique du 7 août 2020.

Par ailleurs, nous prenons acte du refus de la Cour des comptes de certifier les comptes de la branche famille pour l’année 2022. Ce n’est pas le premier refus de certifier prononcé par la Cour : il y en a eu huit depuis 2006, dont deux concernaient la branche famille. Toutes les majorités successives ont été confrontées à une telle situation. Cela dit, nous prenons les observations de la Cour très au sérieux et nous nous mobilisons sans attendre pour y répondre.

La majorité des erreurs de calcul soulignées par la Cour concernent le revenu de solidarité active (RSA) et la prime d’activité. La fiabilisation de la liquidation sera notre priorité, à travers le dispositif de ressources mensuelles (DRM), qui sera généralisé d’ici au début de 2025. Concrètement, les caisses d’allocations familiales (CAF) disposeront d’informations plus fiables, ce qui réduira drastiquement les erreurs de calcul. Dès le mois de juillet, le montant net social que doivent déclarer les allocataires sera inscrit sur les bulletins de paie, ce qui permettra de réduire les erreurs de bonne foi.

À ce propos, je ne saurais conclure sans confirmer l’intention du Gouvernement de lutter inlassablement et implacablement contre toutes les fraudes aux finances publiques. En matière de fraude sociale, j’ai annoncé un plan complet : cet arsenal de mesures permettra de combattre le travail non déclaré ainsi que les fraudes aux prestations de santé et aux prestations sociales.

L’an dernier, nous avons déjà obtenu des résultats historiques en matière de lutte contre la fraude. Plus généralement, depuis la première élection d’Emmanuel Macron, en 2017, les redressements concernant la fraude sociale ont progressé de 35 % : plus 50 % du côté des redressements des Urssaf, plus 30 % de préjudices détectés et évités par l’assurance maladie, les CAF et les caisses de retraite. Il en va de même en matière fiscale, même si ce n’est pas l’objet de cette audition : les mises en recouvrement par la direction générale des finances publiques ont atteint 14,6 milliards d’euros l’an dernier – un record.

Si nous avons déjà fait beaucoup, nos ambitions dans ce domaine sont encore plus élevées. C’est le sens du plan que j’ai présenté ce matin : nous entendons changer d’échelle. Après une progression de 35 % des redressements au cours des cinq années précédentes, je veux que nous progressions de 100 % durant les cinq années à venir, c’est-à-dire que le montant de la fraude redressée soit doublé en 2027 par rapport à 2022.

Cette politique nécessite des moyens supplémentaires. À cet égard, j’ai annoncé 1 000 postes de plus pour le personnel chargé des contrôles dans les caisses de sécurité sociale, soit une augmentation de 20 %. Cela suppose aussi un investissement technique. Pour ce faire, nous avons élaboré un plan, doté de 1 milliard d’euros sur cinq ans, ayant pour but de moderniser les systèmes d’information, ce qui permettra de croiser plus efficacement les données. Nous avons également annoncé de nombreuses mesures concernant les cotisations sociales, l’assurance maladie et les allocations sociales.

C’est un enjeu de finances publiques ainsi que de cohésion nationale : garder le contrôle de notre modèle social suppose de maîtriser les prestations et de savoir à qui nous les versons. Or, depuis longtemps, les gouvernements successifs avaient perdu ce contrôle, au moins dans une certaine mesure.

Financer notre modèle social par le travail : tel est le choix que nous assumons depuis 2017. C’est la condition essentielle pour assurer sa pérennité.

Mme Stéphanie Rist, rapporteure générale. Je tiens d’abord à vous remercier, monsieur le ministre délégué, d’être venu devant nous pour inaugurer cette nouvelle catégorie de textes dont notre assemblée a souhaité la création sous la précédente législature – à cet égard, j’ai une pensée pour Thomas Mesnier.

Nous disposons désormais d’un temps dédié à l’analyse et à l’approbation des comptes sociaux de l’année précédente. Comme vous l’avez dit, il s’agit d’une photographie de l’année écoulée. La Lacss s’inscrit ainsi dans le cycle du Printemps social de l’évaluation, qui nous a permis de formuler des propositions pour le prochain PLFSS en nous fondant sur l’évaluation des mesures votées les années précédentes.

En tant que rapporteure générale, je me réjouis que ce premier Placss se caractérise par la poursuite du rétablissement des comptes sociaux, après une crise sanitaire qui a mis à contribution notre protection sociale. Les régimes obligatoires de base, en incluant le FSV, affichent en 2022 un déficit de moins de 20 milliards d’euros, alors qu’il était deux fois plus élevé deux ans auparavant. Le rétablissement peut être en partie imputé à l’amélioration spectaculaire du solde de la branche maladie, son déficit étant passé de plus de 30 milliards en 2020 à 21 milliards en 2022.

Cette trajectoire positive est principalement due à la dynamique des recettes de la protection sociale, qui ont encore progressé de 5,4 % en 2022, après une hausse déjà forte en 2021. La dynamique positive devrait se poursuivre en 2023. J’y vois le résultat des réformes que nous menons depuis six ans, grâce auxquelles le taux de chômage est historiquement bas. Les emplois créés depuis 2017 – 1 700 000 – apportent des ressources cruciales pour l’ensemble de la protection sociale.

Les différences entre les branches demeurent notables. La branche maladie, malgré une nette amélioration, continue de présenter un déficit important, équivalent au déficit total hors FSV. La branche vieillesse, malgré une amélioration temporaire de son solde en 2021, accuse toujours un fort déficit, de l’ordre de 3,8 milliards d’euros, ce qui justifie amplement les mesures que nous avons prises pour viser l’équilibre du système de retraites à l’horizon de 2030. Les branches AT-MP, famille et autonomie, pour leur part, restent excédentaires.

Je relève, par ailleurs, les faibles différences existant entre les prévisions formulées en loi de financement pour 2023 et celles qu’il nous est proposé d’approuver dans ce projet de loi. Cela prouve la fiabilité des estimations qui nous sont fournies à l’automne.

Toutefois, le Placss est marqué par l’absence de certification des comptes de la branche famille par la Cour des comptes, après un refus concernant la branche recouvrement en 2021. Cette décision est due, notamment, à un nombre important d’erreurs résiduelles, imputables à des données déclaratives non corrigées au bout de vingt-quatre mois : les indus et les rappels s’élèvent à 5,8 milliards d’euros. Ces erreurs représentent environ 7,6 % du montant des prestations versées par la branche. Au total, la Cour des comptes a estimé, dans son dernier rapport, que le montant des fraudes aux prestations était compris entre 6 et 8 milliards.

Je retiens de mes échanges avec la Cour et avec la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), d’une part, que les effectifs dédiés au contrôle sont insuffisants, et, d’autre part, que les erreurs et les fraudes sont concentrées sur la prime d’activité, le RSA et les aides au logement. Si des réformes ont affecté la prime d’activité et les aides au logement, ce n’est pas le cas du RSA pendant la période récente : avez-vous prévu des mesures pour renforcer les contrôles et vous assurer de la bonne application des règles concernant cette prestation ?

La convention d’objectifs et de gestion (COG) entre l’État et la Cnaf est en cours de négociation. Les 1 000 postes supplémentaires que vous avez annoncés seront-ils équitablement répartis entre les branches, ou bien la branche famille nécessite-t-elle selon vous une augmentation plus significative de ses effectifs ?

Enfin, la Cour insiste sur la fraude émanant de certains établissements de santé, en lien avec le règlement des actes, des séjours et des prestations des professionnels. Le préjudice est estimé à 3,4 milliards d’euros. La Cour propose, notamment, de renforcer les contrôles automatisés portant sur les factures et de dématérialiser les ordonnances médicales. Comment le Gouvernement souhaite-t-il avancer en la matière ?

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Didier Martin (RE). Monsieur le ministre délégué, vous avez fait état avec lucidité de la situation financière des régimes obligatoires de la sécurité sociale. Ils présentent un léger excédent, mais l’assurance maladie et le régime vieillesse connaissent des déficits importants – 21 milliards d’euros pour la première et 3,8 milliards pour le second. Ces constatations doivent être replacées dans le contexte général, qui est marqué par des difficultés économiques, voire une crise économique, en lien, notamment, avec le surcoût de l’énergie, et par la crise sanitaire que notre pays a traversée. Nous sommes en sortie de crise, mais le contexte inflationniste nuit au pouvoir d’achat des ménages.

Heureusement, et c’est le sens de la politique conduite par la majorité, le travail doit permettre d’équilibrer progressivement les comptes sociaux. Création d’emplois, baisse du chômage, record en matière de taux d’activité dans notre pays : les efforts sont payants, y compris pour les comptes sociaux. Cela nous a permis de renforcer les solidarités. À cet égard, on pourrait parler non seulement du complément de libre choix du mode de garde, de la hausse du montant de l’allocation aux adultes handicapés, du versement des pensions alimentaires et des mesures de protection sanitaire décidées lors de la crise, mais aussi du Ségur de la santé, de la revalorisation pour les personnels non médicaux dans les établissements de santé, les Ehpad et les établissements médico-sociaux, ainsi que de ce qui a été fait pour les travailleurs indépendants, les exploitants agricoles, etc. L’effort de solidarité, pour préserver notre modèle social et protéger les plus vulnérables, est majeur.

Il faut chercher, bien entendu, à réduire les déficits et à limiter l’endettement. C’est ce qui est fait dans le cadre de la sortie de crise : nous commençons à maîtriser de mieux en mieux l’endettement des différentes branches.

Mme Joëlle Mélin (RN). Monsieur le ministre délégué, nous partageons entièrement votre avis au sujet des enjeux de cohésion dans le cadre de la protection sociale, à laquelle nous tenons. Nous soutenons également l’idée selon laquelle c’est par la croissance et l’emploi que nous arriverons à sauver les comptes de la sécurité sociale.

Pour cela, il faudrait également sortir d’un très ancien cercle vicieux : la Cour des comptes souligne tous les ans, depuis 1996, l’ampleur des anomalies et des dysfonctionnements. C’est à se demander si les gouvernements successifs l’entendent... Depuis 2006, la certification des comptes conduit, par ailleurs, la Cour à mettre le doigt sur des éléments problématiques. Comment se fait-il que l’on ne soit toujours pas sorti de ces difficultés au bout de vingt-cinq ans ? On voit cette année – et c’est un bonheur d’avoir à la fois le rapport relatif à la certification des comptes et celui portant sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale – que tout cela n’aurait jamais dû avoir lieu. La fraude vient largement obérer les comptes et porter atteinte à leur sincérité.

S’agissant des CAF, quand pourra-t-on enfin donner aux agents des moyens humains et financiers leur permettant de ne pas consacrer 50 % de leur temps à de la gestion pour tiers, en particulier les conseils départementaux ? Quand disposera-t-on enfin de capacités informatiques centralisées ? Nous savons que les bugs persistent, notamment pour ce qui est des indépendants et de la facturation individuelle des établissements de santé. Comment comptez-vous vous attaquer aux problèmes de la branche versant les allocations familiales, qui concentre une grande part de l’insincérité des comptes ? Il n’y a peut-être pas, en effet, tous les éléments qu’il faudrait dans la photographie que nous sommes appelés à approuver.

M. Yannick Neuder (LR). Nous vivons une première : nous allons examiner le premier Placss, portant sur l’exercice 2022. Le Gouvernement aurait pu nous présenter, à cette occasion, un projet cohérent avec la volonté exprimée par le Parlement lors du vote du PLFSS pour 2022. Or il n’en est rien. Le Gouvernement fait mine de présenter des comptes maîtrisés et fidèles aux prévisions, mais la situation n’est pas aussi reluisante qu’il veut nous le faire croire. À ce projet de loi maquillé, les députés Les Républicains souhaitent opposer la réalité, telle que nous la présente la Cour des comptes.

Nous dénonçons avec la plus grande fermeté l’attitude du Gouvernement et de son administration, qui ne respectent pas la loi votée par le Parlement et les décisions prises dans ce cadre. Comme le rappelle la Cour des comptes, le Parlement avait suivi ses recommandations en modifiant dans le PLFSS 2023 5 milliards d’euros relatifs aux comptes de l’activité de recouvrement. En effet, le Gouvernement avait fait porter dans l’exercice 2022 une charge de 5 milliards qui aurait dû être rattachée à l’exercice 2021. Malgré le vote du Parlement, les organismes nationaux du régime général et leur tutelle ont choisi de ne pas modifier la présentation des comptes et de se contenter d’expliquer, dans les annexes aux comptes des branches du régime général, les données figurant dans le tableau d’équilibre. Selon la Cour des comptes, « cette présentation ne rend pas compte de la portée des décisions adoptées par le Parlement lors de l’examen du projet de loi de financement pour 2023 ».

Nous dénonçons également la non-certification des comptes de la branche famille par la Cour. Celle-ci a relevé qu’un quart des montants versés en 2022 était affecté d’erreurs en ce qui concerne la prime d’activité, un sixième s’agissant du RSA et un huitième pour les aides au logement.

Pour toutes ces raisons, Les Républicains voteront contre le projet de loi, mais nous soutenons fermement la volonté du ministre délégué et de son administration de lutter contre les fraudes.

Mme Sandrine Josso (Dem). Monsieur le ministre délégué, merci pour votre présentation très claire des comptes de la sécurité sociale. Nous pouvons être fiers du modèle français, qui est unique au monde du fait de sa générosité et de la large protection contre les risques qu’il offre aux assurés. Tout cela a, bien sûr, un coût, au sujet duquel nous avons à nous prononcer. C’est de l’équilibre des comptes sociaux que dépend l’avenir de ce modèle auquel nous tenons tant. Il nous appartient de prendre des mesures fortes pour le préserver et le renforcer.

Ma question porte sur un thème cher au groupe Démocrate et qui permet de répondre à ces impératifs, à savoir le soutien à la natalité. Vous l’avez rappelé lors de la réforme des retraites, la démographie est un des éléments essentiels de la solidarité entre les générations. Notre natalité, pourtant, tend à diminuer : il y a eu 723 000 naissances en 2022, contre 807 000 en l’an 2000. Nous nous sommes mobilisés pour améliorer l’accompagnement psychologique des couples confrontés à une fausse couche. C’est un fléau trop souvent méconnu, pour lequel une prise en charge adaptée est nécessaire. Pouvez-vous détailler devant la commission des affaires sociales la feuille de route du Gouvernement en faveur des familles ? Quelles seront les mesures budgétaires pour soutenir la natalité ? C’est un investissement dans notre modèle social et surtout dans l’avenir.

M. Jérôme Guedj (SOC). Il s’agit d’un exercice inédit, puisque c’est la première fois que nous sommes saisis d’un Placss. Certes, ce texte a pour l’essentiel une dimension technique, et nous n’en sommes encore qu’au stade des balbutiements, mais il faut saluer la vertu des documents mis à la disposition des parlementaires, à savoir les rapports d’évaluation des politiques de sécurité sociale et le Ralfss – quand bien même l’annexe demandée par la loi organique au sujet des exonérations de cotisations sociales n’a pas d’originalité ni de valeur ajoutée par rapport à l’annexe 5 des PLFSS.

Un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l’Inspection générale des finances (IGF) relatif à une méthodologie d’évaluation des dispositifs d’exonération de cotisations sociales vient d’être rendu public, concomitamment à la présentation du Placss. L’intention du législateur était de mettre le doigt sur l’ampleur de ces exonérations, dont la plus grande partie n’a pas fait l’objet d’une évaluation, macroéconomique ou microéconomique. On assiste ainsi à une reproduction ad vitam æternam, alors qu’on pourrait trouver là des marges de manœuvre pour financer des politiques sociales. Nous venons d’engager, avec Marc Ferracci, un travail portant spécifiquement sur ce sujet, en particulier les exonérations de cotisations sociales sur les hauts salaires, dans le cadre de la Mecss.

Serez-vous un jour ouverts à l’idée de revenir sur tout ou partie de ces exonérations, notamment celles qui n’ont pas d’effets sur l’emploi et l’investissement ?

M. Frédéric Valletoux (HOR). Notre groupe est très heureux que ce débat ait lieu. C’est pour nous l’occasion de saluer l’initiative qu’avait prise, en son temps, Thomas Mesnier. Nous pouvons ainsi avoir, pour la première fois, une vision plus claire des enjeux des comptes de la sécurité sociale. Concrètement, le texte qui nous est soumis vise à clore les comptes pour l’exercice 2022. Il met en avant le fait que cette année a été marquée par une amélioration globale de la situation des finances de la sécurité sociale par rapport à l’année précédente. Les chiffres sont parlants : le déficit des régimes de base et du FSV a diminué de 4,6 milliards d’euros en 2022 – il atteint ainsi 19,6 milliards.

Les comptes de l’exercice 2022 traduisent le fait que les politiques menées par le Gouvernement ont porté leurs fruits et ont mieux protégé les Français – je pense à la bonne tenue du marché de l’emploi, à la progression des dépenses de santé et à l’augmentation sans précédent des prestations sociales pour faire face à l’inflation. Néanmoins, la situation reste préoccupante pour les années à venir, tant en matière de déficit que de dette. La majorité présidentielle en a pris la mesure en menant la réforme des retraites, dont les mesures paramétriques étaient nécessaires pour préserver la pérennité de notre système social : elles permettront un retour à l’équilibre à l’horizon de 2030.

Le vote du présent projet de loi est le moyen d’approuver les comptes de la sécurité sociale de l’année dernière. Cela ne vaut en aucun cas adhésion à la politique sociale du Gouvernement et de la majorité : c’est une mesure de transparence envers le Parlement au sujet des comptes. Nous soutiendrons ce texte, pour notre part, avec beaucoup de sérieux et d’enthousiasme.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Nous voici une fois encore réunis pour l’examen d’un projet de loi de financement de la sécurité sociale ; il s’agit en l’espèce, pour la première fois, d’un projet de loi d’approbation des comptes. Nous sommes toutes et tous conscients que leur examen deviendra pour le Parlement une formalité, sur le modèle des lois de règlement.

La présente audition nous permet toutefois de pointer quelques incohérences. La réforme organique de 2022 visait plusieurs objectifs, dont la rationalisation de l’examen des lois de financement de la sécurité sociale et la meilleure information du Parlement sur l’application de ces dernières. Or la Cour des comptes, dans son Ralfss, note l’effet inverse : bien qu’elle considère que les tableaux d’équilibre et le tableau de situation patrimoniale offrent une représentation cohérente des soldes, elle alerte néanmoins sur la moindre fiabilité des données comptables intégrées à ce dernier. En outre, elle remarque que les annexes explicatives des tableaux d’équilibre et du tableau de situation patrimoniale ne seront pas jointes au Placss, ce qui réduit en conséquence l’information communiquée au Parlement.

Le projet de loi entérine dans le tableau d’équilibre les comptes de la branche famille, qui n’ont pas été certifiés. Pour le groupe Écologiste, cette situation est particulièrement regrettable, d’autant que le Ralfss nous donne les informations tant attendues sur la réforme des retraites : une petite économie de 7 milliards d’euros d’ici à 2030, sous des hypothèses de productivité favorable et de chômage en baisse. Il confirme également les inégalités criantes entre les femmes et les hommes en matière de pensions, auxquelles votre réforme ne change rien ou presque.

Enfin, la Cour dessine une future cure d’austérité pour notre système de soins et d’accompagnement déjà exsangue. Après les économies sur les retraites, des économies sur l’hôpital ! Et pour quel résultat ? Travailler plus, produire plus, polluer plus, mourir plus jeune et ne pas avoir accès aux soins sur l’ensemble du territoire.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Ce projet de loi est une photographie des comptes de la sécurité sociale à la fin 2022. Précisons d’emblée que les chiffres ne disent pas tout – ils ne le disent jamais.

Vous avez commencé votre propos liminaire en indiquant que ce débat permettrait de voir si l’opposition pouvait être constructive. J’ai envie de vous renvoyer la question ! Le Gouvernement peut-il être constructif ? Ce n’est pas tout à fait le constat que nous dressons depuis plusieurs semaines.

Peut-on vous donner quitus ? La question mérite d’être posée, d’autant que la Cour des comptes a refusé de certifier les comptes de la branche famille.

Il ne faudrait pas que l’exercice tourne à l’autosatisfaction et à la célébration des effets supposés de votre politique. Je trouve que vous lui attribuez bien des mérites ! Ce texte semble surtout être le support d’une opération de communication...

Pourtant, la Cour des comptes n’est pas optimiste sur la situation financière de la sécurité sociale et appelle l’attention sur l’évolution préoccupante de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam).

Comment allez-vous relever ces défis ? Les choix opérés dans ce projet de loi d’approbation des comptes suffiront-ils pour répondre aux besoins ? Nous savons que ce n’est pas le cas. La crise sanitaire, la crise de l’hôpital public continuent. Il faudrait s’en occuper davantage. La Cades intervient souvent à contre-emploi. Et le résultat comptable de la mauvaise réforme des retraites est très critiquable.

M. Paul-André Colombani (LIOT). Nous regrettons que le tout premier Placss ait été déposé alors même que le dernier PLFSS n’a pas pu faire l’objet d’un vote à l’Assemblée nationale. Le débat sur notre protection sociale n’aura lieu qu’à travers l’examen d’un texte comptable venant clore les comptes de la sécurité sociale pour 2022.

Or même cet exercice s’avère laborieux, notamment du fait du refus de la Cour des comptes de certifier les comptes de la branche famille. On peut donc s’interroger sur la sincérité des articles présentés.

D’autre part, le Gouvernement ne donne pas de réelles perspectives concernant la lente réduction du déficit. Compte tenu des déficits de l’hôpital public, des difficultés d’accès aux soins, du vieillissement de la population, la question de la nécessité de doter le système de protection sociale de recettes pérennes demeure. Pourquoi ne pas évaluer l’efficacité économique et sociale des réductions et exonérations de cotisations ?

L’examen de ce projet de loi est enfin l’occasion de rappeler nos inquiétudes quant à la réforme des retraites. Son coût social est très élevé et son efficacité budgétaire faible. Même sur le plan comptable, elle semble être un échec. La Cour des comptes estime qu’à l’horizon 2030, son impact net sur le solde de la branche vieillesse ne serait que de 7 milliards d’euros. Cela nous conforte dans notre volonté que cette réforme injuste ne soit pas appliquée. Il convient de réfléchir collectivement à d’autres moyens plus efficaces de pérenniser notre système de retraite. C’est ce à quoi nous appellerons demain.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous en venons aux questions des autres députés.

Mme Annie Vidal (RE). La situation financière des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale et du FSV s’est améliorée en 2022, avec une diminution du déficit de 4,6 milliards d’euros par rapport à 2021, ce qui va dans le sens de la restauration de la trajectoire budgétaire des comptes sociaux. La récente réforme des retraites s’inscrit également dans l’objectif de pérennisation de notre système de protection sociale, auquel les Français sont très attachés – n’en déplaise aux anciens chantres de la rigueur budgétaire qui se posent aujourd’hui comme les pourfendeurs de la pérennité de notre modèle social.

Le texte que vous nous présentez s’inscrit dans le nouveau cadre organique, adopté en 2022, que nous devons à notre collègue Thomas Mesnier et qui vise aussi à renforcer la pluriannualité des lois de financement de la sécurité sociale. Nous avons adopté, à l’occasion de l’examen de la proposition de loi portant mesures pour bâtir la société du bien‑vieillir en France, le principe de l’élaboration d’une loi de programmation pluriannuelle pour l’autonomie des personnes âgées. C’est une étape importante vers la prise en compte du vieillissement de la population et la construction d’une société du bien vieillir. Les dépenses de la nouvelle branche autonomie, créée en 2020, passeront de 32,6 milliards d’euros en 2021 à 42 milliards en 2026. La loi de programmation constituera un signal fort et confortera nos engagements en faveur de l’autonomie. Comment allez-vous en assurer la confection et le financement et comment envisagez‑vous son articulation avec les lois de financement de la sécurité sociale ?

M. Freddy Sertin (RE). Pour inaugurer l’exercice d’approbation des comptes de la sécurité sociale, il nous faut revenir sur l’état des comptes pour 2022, en ébauchant un premier bilan de notre action commune.

La Cour des comptes s’est elle aussi saisie du sujet, en rédigeant un rapport dans lequel elle appelle notre attention sur la nécessité de réaliser des économies substantielles dans le domaine sanitaire. La Cour montre une véritable inquiétude quant à l’état des comptes dans un contexte où l’Ondam est inférieur à l’inflation. En effet, la trajectoire annexée à la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 fixe une progression hors covid de 3,8 %, qui reste inférieure de 0,5 point à l’inflation estimée par la loi de finances. Quelles sont les perspectives pour le budget 2024 et quelles mesures devons-nous prendre afin d’assurer le respect de l’Ondam ?

M. François Gernigon (HOR). Le rapport de la Cour des comptes sur l’exécution 2022 de l’Ondam met en évidence une progression significative des dépenses pour les soins de ville et les établissements de santé, respectivement de 4,7 et 5,8 milliards d’euros. La hausse est moins marquée pour les établissements pour personnes âgées et en situation de handicap, la progression étant respectivement de 0,4 et 1,6 milliard d’euros. Dans un contexte marqué par l’allongement de la durée de vie et la croissance du nombre de personnes en perte d’autonomie, ces chiffres peuvent nous interpeller.

Serait-il possible de disposer d’une estimation des dépenses liées aux soins aux personnes en perte d’autonomie actuellement prises en charge par les soins de ville et les établissements de santé ? À l’avenir, ces dépenses devraient en effet être intégrées à la cinquième branche. Une telle information serait d’une grande aide pour évaluer le coût réel de la transition et permettrait de mieux équilibrer les coûts supplémentaires à venir pour les établissements pour personnes âgées et les coûts économisés pour les autres établissements de santé.

M. le ministre délégué. Madame Rist, vous soulignez avec raison le déficit encore élevé de la branche maladie. Les dépenses de crise se sont maintenues en 2022 à un niveau très élevé : 11,7 milliards d’euros. Ce qui explique ces dépenses, c’est l’effort consenti pour compenser l’inflation : 800 millions au profit des hôpitaux, mesure largement réclamée par les parlementaires, 12,7 milliards au titre du Ségur de la santé, dont 10,3 milliards pour la seule revalorisation des personnels de santé.

La Cour des comptes a raison de souligner que nous devons fiabiliser le calcul des allocations sociales. La majorité des erreurs concernent le RSA et la prime d’activité. Il s’agit parfois d’erreurs de bonne foi, commises par les allocataires ou par les caisses de sécurité sociale, parfois d’actes frauduleux. Je rappelle que la fraude au RSA et à la prime d’activité est évaluée par la CNAF à 1,9 milliard d’euros par an.

L’objet du plan que j’ai présenté est précisément de remédier à la fois à la fraude et aux erreurs. Nous allons utiliser les données concernant les ressources connues des allocataires contenues dans le dispositif de ressources mensuelles pour préremplir les formulaires de demande de RSA et de prime d’activité. Le dispositif sera expérimenté dans plusieurs CAF en vue d’une généralisation au début 2025. Ce sera une petite révolution pour les allocataires, qui permettra une simplification et un meilleur accès aux droits : dans les erreurs relevées par la Cour des comptes, il y a aussi des prestations qui ne sont pas versées à des allocataires qui y auraient droit. Nous développons le projet, mis en avant par le Président de la République durant la campagne présidentielle, de solidarité à la source. La généralisation du DRM pour le préremplissage des demandes est à la fois une première étape vers cette solidarité à la source et un levier dans la lutte contre la fraude.

Sans attendre 2025, nous allons dès le mois de juillet indiquer sur le bulletin de salaire le montant net social que les allocataires doivent déclarer à la CAF, ce qui permettra de réduire les erreurs de bonne foi.

Enfin, nous allons accroître les moyens. Je ne peux pas encore vous donner dans le détail le nombre d’agents supplémentaires par caisse de sécurité sociale, puisque les COG n’ont pas toutes été adoptées par les conseils d’administration, mais je confirme le renfort de 1 015 équivalents temps plein et l’enveloppe de 1 milliard d’euros pour moderniser les systèmes d’information. Dans son rapport, la Cour regrette que le système informatique des CAF ne permette de remonter qu’aux deux dernières années. Grâce à l’investissement dans la modernisation des systèmes informatiques, on pourra aller jusqu’à cinq.

Vous dites, madame Mélin, que vous prenez acte de la photo mais que vous ne l’aimez pas pour autant. Moi non plus, je n’en suis pas totalement satisfait. J’aimerais qu’il y ait moins de déficits, moins d’erreurs, moins de fraudes – mais c’est une photo, et on ne peut pas la changer.

Monsieur Neuder, je suis sûr que l’on peut vous convaincre de voter pour ou, tout au moins, de laisser passer ce Placss. Si vous êtes un spécialiste des questions sociales, vous êtes aussi, depuis assez longtemps, un élu local – vous avez été maire et conseiller régional pendant de nombreuses années. Les élus d’opposition qui siégeaient dans votre conseil municipal votaient-ils contre le compte administratif de votre commune que vous leur présentiez ?

M. Yannick Neuder (LR). Cela dépend.

M. le ministre délégué. Alors, compreniez-vous qu’ils votent contre ?

Je suis moi-même, depuis dix ans, conseiller municipal d’opposition. Je n’ai pas le souvenir d’avoir voté contre un compte administratif : selon mon humeur, je votais pour ou je m’abstenais. Il n’y a aucun sens à voter contre une photo des comptes de l’année précédente ! On peut émettre des critiques mais on ne peut rien changer au passé – on ne peut que changer l’avenir.

La Cour des comptes a certifié les comptes de la branche recouvrement pour l’année 2022, alors qu’elle avait refusé de certifier ceux de l’année 2021 : il faut y voir une amélioration, que chacun peut saluer.

S’agissant de l’imputation des 5 milliards d’euros de cotisations que l’Urssaf avait reportés de 2020 à 2021 pour soutenir les travailleurs indépendants, au plus fort de la première vague de covid, nous avons saisi le Conseil de normalisation des comptes publics (CNCP) afin de déterminer si le Gouvernement devait modifier les comptes clos de l’exercice 2021 et changer sa doctrine de comptabilisation des cotisations sociales. La réponse du CNCP est claire : on ne peut pas modifier les comptes de l’année 2021, qui sont clos et dont les tableaux d’équilibre ont été validés par la Cour des comptes l’année dernière. Notre doctrine de comptabilisation des cotisations n’a pas non plus à être modifiée : les appels de cotisations des indépendants concernés ayant été reportés à 2021, il est cohérent qu’ils soient comptabilisés en 2021. Je souligne enfin que le projet de loi qui vous est soumis concerne les comptes de l’année 2022 ; or la question que vous avez soulevée n’a pas d’incidence sur les comptes de cette année-là, mais sur ceux de 2021.

Madame Josso, je l’ai dit dans le cadre du débat sur la réforme des retraites, et cela m’a parfois été reproché : la question de la natalité est évidemment importante, tant pour notre société, compte tenu du nécessaire renouvellement des générations, que pour notre modèle de protection sociale. Nous avons en effet un système de retraite par répartition, fondé sur le financement des pensions par les actifs, tandis que nos politiques publiques sont globalement financées par l’emploi. Les derniers chiffres publiés par l’Insee, qui montrent une baisse de la natalité dans notre pays, doivent nous alerter, même si la France reste nettement au-dessus de la moyenne européenne.

Il faut donc agir en faveur de la natalité. Nous avons déjà pris un certain nombre de mesures et prévu des investissements massifs dans ce domaine. Dans le cadre de la LFSS 2023, vous avez revalorisé de 50 % l’allocation de soutien familial pour 800 000 familles monoparentales. Cette mesure est effective depuis novembre 2022, pour un coût en année pleine initialement évalué à 900 millions d’euros mais qui pourrait en réalité dépasser 1 milliard d’euros en 2023.

J’insiste particulièrement sur l’importance du service public de la petite enfance. Les freins rencontrés par les jeunes couples dans leur projet d’avoir un enfant et de fonder une famille tiennent beaucoup au logement et aux modes de garde. Si nous arrivons à bâtir un véritable service public de la petite enfance, avec un droit opposable à l’accès à un mode de garde pour ses enfants, même si cela présente un coût, nous aurons réalisé une avancée majeure, y compris pour l’emploi puisque nous permettrons à des femmes de travailler. L’amélioration du taux d’emploi des femmes sert non seulement l’égalité, mais également notre modèle social du fait des recettes supplémentaires ainsi générées. La Première ministre fera jeudi un certain nombre d’annonces à ce sujet.

Monsieur Guedj, la loi organique du 14 mars 2022 a en effet introduit une obligation d’évaluer tous les trois ans les niches sociales. Cette règle très utile permet de nous assurer que ces niches sont efficaces et bien ciblées. Comme nous nous y étions engagés, nous avons missionné l’Igas et l’IGF, dont le rapport, publié cette semaine, propose une gouvernance associant notamment France Stratégie et des experts indépendants ainsi qu’une méthodologie d’évaluation de ces niches. J’ai bien noté que vous prépariez, dans le cadre de la Mecss, un rapport sur les allégements de cotisations patronales. Nous en débattrons lors de l’examen du PLFSS 2024, comme nous l’avons fait cet automne pendant la discussion du PLFSS 2023 puis cet hiver pendant celle du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale.

M. Jérôme Guedj (SOC). Si peu !

M. le ministre délégué. À qui la faute ? Nous avons cherché à avoir le plus de débat possible.

Il me paraîtrait tout à fait incongru d’augmenter les cotisations sociales sur les bas salaires ou sur les classes moyennes. Les allégements de cotisations ont permis de développer l’emploi dans notre pays, de faire baisser le coût du travail et d’améliorer la compétitivité de nos entreprises. Nous en avons vu le résultat : 1 700 000 emplois ont été créés ces dernières années. L’impact de la transformation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi en baisse de cotisations est indubitable.

Je crains l’effet d’une hausse des cotisations sur le taux de chômage. La fin des allégements généraux de cotisations, que d’aucuns ont défendue, notamment, dans le cadre de la réforme des retraites, reviendrait à une augmentation des cotisations patronales de 700 euros par salarié au Smic ; un artisan employant trois salariés au Smic serait donc obligé d’en licencier un pour payer les cotisations supplémentaires des deux autres.

Pour le reste, nous ne sommes pas fermés à la discussion. Nos services sont d’ailleurs en train de définir, avec plusieurs secteurs d’activité comme le bâtiment ou les transports, des trajectoires de mise en extinction de la déduction forfaitaire spécifique, une niche sociale d’un montant de 1,7 milliard d’euros par an. Nous savons donc être pragmatiques et efficaces pour redonner à la sécurité sociale les moyens de ses ambitions, mais nous sommes toujours guidés par la préoccupation de l’emploi dans notre pays.

Monsieur Peytavie, je vous confirme que les sept annexes de ce projet de loi d’approbation des comptes sociaux ont été transmises aux assemblées dans les conditions prévues par la loi organique. Vous y trouverez des informations sur la gestion de l’Ondam, sur les exonérations de cotisations sociales, ou encore sur les régimes d’assurance chômage et de retraite complémentaire. Il s’agit d’une nouveauté prévue par la loi organique et visant à améliorer l’information du Parlement.

Il est vrai qu’au tout début, la réforme des retraites coûtera davantage qu’elle ne rapportera. Cependant, en faisant ce reproche, vous répondez vous-mêmes aux critiques que vous avez formulées à son encontre. Vous démontrez qu’elle est tout sauf brutale, qu’elle s’appliquera progressivement et qu’elle est profondément sociale ; elle comprend des mesures d’accompagnement très fortes et, dans un premier temps, coûteuses – je le revendique –, s’agissant notamment des carrières longues ou des petites pensions, qui seront revalorisées. La réforme Fillon de 2010 prévoyait quelque 1,5 milliard d’euros de mesures sociales, la réforme Touraine de 2014 autour de 4 milliards, et la réforme que nous venons de défendre plus de 6 milliards ; autrement dit, il y a plus de mesures sociales dans la dernière réforme que dans les deux précédentes réunies.

Monsieur Colombani, vous avez souligné la nécessité d’évaluer l’efficacité des niches sociales. J’ai répondu sur ce point à votre collègue Jérôme Guedj : il s’agit désormais d’une obligation organique, qui sera mise en œuvre dans le cadre d’un programme de travail associant France Stratégie et des experts indépendants. Je souligne une nouvelle fois qu’une remise en cause de l’intégralité des allégements de cotisations sociales produirait un effet néfaste sur l’emploi, singulièrement des plus jeunes et des moins qualifiés.

Je vous remercie, monsieur Valletoux, d’avoir insisté sur l’importance des recettes pour notre modèle social ainsi que sur la question de l’emploi et du travail. Je salue une nouvelle fois les travaux de Thomas Mesnier, qui nous ont conduits à la présente audition. Nous pensons évidemment à lui.

Madame Vidal, nous nous sommes engagés à effectuer des travaux de fond sur le modèle économique des Ehpad. Une concertation avec les départements et le secteur a été lancée il y a quelques jours afin d’apporter des réponses plus structurelles aux difficultés budgétaires récurrentes rencontrées par les établissements.

Le niveau des transferts aux départements a augmenté de 22 % en 2022, ce qui est tout à fait considérable. Ce chiffre reflète le tournant majeur permis par la création d’une branche consacrée aux politiques de l’autonomie : la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) investit désormais massivement dans les politiques de maintien à domicile, ce qui traduit la réalité de l’engagement du Gouvernement en faveur du fameux virage domiciliaire. La hausse des transferts aux départements manifeste le soutien de la sécurité sociale à la réforme du financement des services d’aide à domicile, avec l’institution d’un tarif plancher rémunérant désormais à 23 euros par heure les interventions des professionnels partout en France, ainsi qu’avec la création d’une dotation complémentaire de 3 euros par heure et le financement par la CNSA de la nouvelle prestation de compensation du handicap parentalité à hauteur de 200 millions d’euros.

La branche autonomie est malgré tout excédentaire en 2022, ce qui résulte, comme je l’indiquais dans mon propos liminaire, d’une amélioration notable des recettes, soutenue par le taux d’emploi et par le dynamisme de la masse salariale du secteur privé. À compter de 2024, une fraction de la CSG – 0,15 point, soit près de 2,3 milliards d’euros – sera affectée à cette branche ; ces crédits supplémentaires nous permettront de disposer de marges financières suffisantes pour répondre aux défis de la transition démographique et réaliser l’indispensable travail de programmation des évolutions de l’offre médico-sociale. Je vous renvoie aux travaux menés par mon collègue Jean-Christophe Combe, chargé de ces sujets.

Monsieur Sertin, vous m’avez demandé comment nous entendions assurer le respect de l’Ondam en 2024. En lien avec le ministère de la santé, nous travaillons à des mesures destinées à renforcer l’efficience et la pertinence des dépenses de santé. Nous examinerons bien sûr les recommandations régulièrement formulées par la Cour des comptes, une institution abondamment citée par tous les groupes lors de cette audition. Lorsque nous défendrons certaines propositions visant notamment à maîtriser les dépenses, je me permettrai donc de mettre en avant les rapports de la Cour des comptes : je ne doute pas que ses recommandations seront alors tout autant suivies par l’ensemble des groupes. Nous travaillons notamment sur la dynamique des dépenses liées aux indemnités journalières, qui ont progressé de 7,9 % entre 2021 et 2022. Nous réfléchissons également à des mécanismes permettant de réduire la dynamique des dépenses de produits de santé – en hausse de 4,1 % pour les seuls médicaments, une augmentation bien supérieure à la trajectoire d’évolution à laquelle s’était engagé le Président de la République dans le cadre du Conseil stratégique des industries de santé –, tout en gardant une attention particulière à la recherche et à l’innovation, y compris dans l’industrie pharmaceutique, auxquelles Bruno Le Maire et moi-même sommes très attachés. Enfin, nous souhaitons stabiliser la part prise en charge par l’assurance maladie obligatoire dans les dépenses de santé, ce qui nécessitera des transferts entre l’assurance maladie obligatoire et les organismes complémentaires. Des pistes seront prochainement présentées par mon collègue François Braun dans le cadre du comité de dialogue avec les organismes complémentaires.

Monsieur Gernigon, vous m’avez interrogé sur la part des dépenses consacrées aux personnes en perte d’autonomie. Si nous ne disposons pas de données par catégories de patients, quelques éléments nous permettent d’évaluer très partiellement les dépenses de santé relatives aux personnes âgées. Ainsi, en 2019, l’ensemble des dépenses individualisables – c’est-à-dire rattachables à des assurés en particulier – des personnes âgées de 75 ans et plus, en perte d’autonomie ou non, à la charge de l’assurance maladie obligatoire, que ce soit pour des soins de ville ou en établissement de santé, s’élevaient à 43 milliards d’euros. En 2021, les dépenses d’actes infirmiers de soins en ville s’établissaient à 2,6 milliards ; elles sont presque exclusivement destinées aux personnes âgées en perte d’autonomie et, à ce titre, intégrées à l’agrégat « effort de la nation en faveur du soutien à l’autonomie » dans l’annexe 7 du PLFSS. Quant aux dépenses en ville et en établissement de santé des résidents des Ehpad, elles s’élevaient respectivement à 1,3 milliard et 1 milliard d’euros en 2018, selon des estimations publiées par la Cour des comptes dans son rapport de février 2022 relatif à la prise en charge médicale des personnes âgées en Ehpad.

Sur le fond, je ne suis pas sûr qu’il soit souhaitable d’intégrer à la cinquième branche l’ensemble des dépenses de soins de ville et en établissement de santé consacrées aux personnes en perte d’autonomie, car il nous faut conserver une cohérence entre les agrégats de dépenses par sous-objectif de l’Ondam et par branche de la sécurité sociale. Le rapport Vachey de 2020, qui s’était penché sur le périmètre de la cinquième branche, avait certes proposé, dans une vision très extensive de l’autonomie, quelques transferts de prestations de la branche maladie vers la branche autonomie – je pense par exemple aux dépenses de soins de longue durée –, mais il ne recommandait absolument pas de transférer dans la nouvelle branche l’ensemble des dépenses de soins de ville ou en établissement de santé destinées aux assurés en perte d’autonomie.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je vous remercie, monsieur le ministre délégué, pour vos réponses claires et précises.

 

 

 

 

 

 

 

 

La séance est levée à dix-huit heures vingt.

Information relative à la commission

La commission a désigné M. Louis Margueritte rapporteur du projet de loi portant transposition de l’accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise (n° 1272).


Présences en réunion

Présents. - Mme Anne Bergantz, M. Paul Christophe, M. Paul-André Colombani, Mme Josiane Corneloup, M. Pierre Dharréville, M. François Gernigon, M. Jérôme Guedj, Mme Servane Hugues, Mme Monique Iborra, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Caroline Janvier, Mme Sandrine Josso, Mme Fadila Khattabi, Mme Christine Le Nabour, Mme Christine Loir, M. Matthieu Marchio, M. Didier Martin, Mme Joëlle Mélin, M. Yannick Neuder, Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, Mme Michèle Peyron, M. Sébastien Peytavie, Mme Stéphanie Rist, M. Jean-François Rousset, M. Freddy Sertin, M. Emmanuel Taché de la Pagerie, Mme Prisca Thevenot, M. Frédéric Valletoux, Mme Annie Vidal

Excusé. - M. Jean-Hugues Ratenon

Assistait également à la réunion. - Mme Chantal Bouloux