Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

 

–  Audition de M. Pierre Moscovici, président du Conseil des prélèvements obligatoires, sur le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires « La taxe sur la valeur ajoutée (TVA), un impôt à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques »              2

–  Examen de la proposition de loi visant à mieux indemniser les dégâts sur les biens immobiliers causés par le retrait-gonflement de l’argile (n° 887) (Mme Sandrine Rousseau, rapporteure)              18

–  Examen du rapport d’information, en application de l’article 146 du Règlement, sur l’économie de guerre (M. Christophe Plassard, rapporteur spécial Préparation de l’avenir de la mission Défense)              35

  présences en réunion...........................43

 


Mercredi
29 mars 2023

Séance de 9 heures 15

Compte rendu n° 55

session ordinaire de 2022-2023

 

 

Présidence de

 

M. Éric Coquerel,

Président

 

 


  1 

La commission entend M. Pierre Moscovici, président du Conseil des prélèvements obligatoires, sur le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires « La taxe sur la valeur ajoutée (TVA), un impôt à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques ».

M. le président Éric Coquerel. Je souhaite la bienvenue à Pierre Moscovici, qui, en sa qualité de président du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), nous présente le rapport sur la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) rendu public en février. Il s’agit d’un impôt qui, par l’ampleur des recettes qu’il procure, présente un grand intérêt. Il suscite aussi des interrogations multiples, relatives à son équité, aux différents taux applicables et à leur utilisation comme instrument de politique économique. Le rapport conclut ainsi notamment que la TVA n’est pas le meilleur instrument pour réduire les inégalités et relever les défis environnementaux et de santé publique.

M. Pierre Moscovici, président du Conseil des prélèvements obligatoires. Ce rapport a été adopté par le CPO le 17 janvier 2023. Le CPO a pour mission de nourrir le débat public, d’éclairer la décision – à commencer par la vôtre – et de contribuer à votre contrôle sur les dépenses et les recettes de l’État.

Le CPO traite ici un sujet qu’il n’avait pas abordé depuis décembre 2015. Ce rapport approfondi est le fruit d’un travail important, pour lequel je remercie chaleureusement le rapporteur général et l’ensemble des rapporteurs. C’est un rapport concis : celui de 2015 était cinq fois plus volumineux. Il répond à l’ambition que j’ai fixée au CPO et à la Cour des comptes d’être davantage au service des citoyens grâce à des travaux plus accessibles, mais aussi plus en prise avec le monde de la recherche académique. Il est enrichi par des comparaisons internationales qui font ressortir que la France se distingue par une taxation de la consommation inférieure à celle des pays européens, contrairement à une idée reçue. Il est enfin assorti d’une dizaine de recommandations directement opérationnelles.

La TVA représente la troisième catégorie de prélèvements obligatoires dans les comptes nationaux. Son rendement est de 186 milliards d’euros en 2021, derrière les cotisations sociales, qui pèsent pour 34 % des prélèvements, et les recettes d’imposition des revenus – impôts et CSG confondus – qui représentent 26 % des prélèvements. En réalité, la TVA est la première imposition de France, devant la CSG – 129 milliards d’euros –, l’impôt sur le revenu – 80 milliards d’euros – et l’impôt sur la société – 46 milliards d’euros –, tous ces chiffres concernant l’exercice 2021.

Cinq taux de TVA sont applicables en France métropolitaine, en complément des taux spécifiques en Corse et dans trois territoires ultramarins. L’environnement est devenu encore plus complexe qu’en 2015, en raison de l’assouplissement de l’encadrement européen. Lorsque j’étais commissaire européen en charge de la fiscalité, j’avais en effet souhaité cette mesure, car il me semblait préférable que les décisions sur la TVA soient prises à l’échelle nationale plutôt qu’à travers une liste définie à Bruxelles.

De nouveaux types de fraudes sont apparus, tandis que des débats ont émergé autour du pilotage conjoncturel de l’économie, de la réponse au choc énergétique ou encore des défis environnementaux et de santé.

Le rapport est concis et contient deux messages très clairs. Le premier est la nécessité de maintenir le rendement de la TVA pour les finances publiques. La TVA est une source de recettes essentielle pour l’État. Son rendement est déjà entamé par des taux réduits nombreux, qui pèsent fortement sur l’assiette de l’impôt. Aussi, n’y touchez pas trop. En second lieu – et ce message répond au premier –, la modulation du taux de TVA n’est pas l’outil le plus adapté pour faire face aux chocs économiques, à la crise énergétique et au défi environnemental.

S’agissant du premier message, trois principales problématiques menacent aujourd’hui le rendement de la TVA pour l’État.

La première est celle de l’affectation de la TVA à d’autres administrations publiques. En 2021, l’État ne perçoit plus qu’environ la moitié des recettes de TVA, contre 93 % en 2015. Depuis, nous avons assisté à des affectations croissantes aux organismes de protection sociale et aux collectivités territoriales. En 2023, la TVA constituera la première ressource des collectivités territoriales, avec un total 53,2 milliards d’euros à leur profit en loi de finances initiale. Ces affectations répondent à des choix structurants d’organisation des relations financières entre l’État et les autres administrations publiques, que la Cour ou le CPO n’ont pas de vocation à discuter – ce rôle est en effet le vôtre. Toutefois, cette situation nous interroge sur la soutenabilité des finances publiques, puisqu’elle a pour effet de contracter fortement les ressources fiscales de l’État, alors que le niveau de dépenses publiques et financier reste au moins inchangé. Par ailleurs, des affectations de TVA ont parfois lieu en dehors du champ des collectivités territoriales ou des organismes de sécurité sociale. Je pense notamment à l’audiovisuel public, qui bénéficie de 3,8 milliards de recettes de TVA en loi de finances initiale pour 2023, en compensation de la suppression de la contribution à l’audiovisuel public.

Le CPO recommande d’éviter désormais les affectations de TVA en dehors des collectivités territoriales et des administrations de sécurité sociale. Ces dernières seront interdites à partir de 2025, en application de l’article 2 modifié de la loi organique relative aux lois de finances, qui impose un lien entre les recettes fiscales affectées et les missions de service public confiées à l’organisme public affectataire.

Au-delà de l’enjeu de l’affectation, la deuxième problématique majeure autour du rendement de la TVA est le développement de la fraude. Les récentes estimations de la fraude à la TVA sont plus importantes que ce qui avait été suggéré antérieurement. L’Insee chiffre les irrégularités – intentionnelles ou non – entre 20 et 26 milliards d’euros, sur la base de données de 2012. Certains schémas sont déjà connus, comme la fraude carrousel ou l’économie souterraine. Toutefois, de nouveaux mécanismes frauduleux apparaissent en lien avec la numérisation de l’économie. Plusieurs types de fraudes continuent d’affecter les importations d’États tiers : la sous-valorisation du produit par le vendeur, la dissimulation de la qualité du vendeur, ou l’usurpation du numéro Import One-Stop-Shop (IOSS), qui forme un guichet unique de collecte de la TVA au sein de l’Union européenne. Ces fraudes concernent l’évitement tant des droits de douane que de la TVA.

À ce titre, le paquet TVA dit e-commerce entré en vigueur en 2021 révise profondément le cadre juridique des importations dans l’Union européenne en provenance d’États tiers. C’est une avancée notable. Le CPO suggère d’aller encore plus loin en accentuant le contrôle des plateformes de vente de biens d’États tiers à l’Union européenne, en rendant les plateformes de mise en relation par voie électronique redevables de la TVA et en harmonisant la facturation électronique au sein de l’Union européenne.

Le récent paquet dit TVA à l’ère numérique, présenté par la Commission européenne le 8 décembre 2022, va dans ce sens en mettant l’accent sur le passage à la déclaration numérique en temps réel, fondée sur la facturation électronique, la remise à plat des règles de TVA relatives au transport des personnes et aux plateformes d’hébergement de courte durée et, enfin, l’introduction d’un enregistrement unique à la TVA dans l’ensemble de l’Union européenne. Ces orientations pourront utilement alimenter la réflexion en cours sur le plan de lutte contre les fraudes annoncé par le Gouvernement. Je suggèrerai demain au ministre chargé des comptes publics que le CPO y participe directement.

Enfin, la dernière limite au rendement tient aux taux réduits de TVA. Ces dérogations représentent un manque à gagner d’au moins 47 milliards d’euros en 2021, soit près d’un quart des recettes de TVA. Le coût de ces mesures est très concentré puisque les dix premières niches représentent plus de 82 % du total des mesures dérogatoires de TVA. La France compte plus de mesures dérogatoires de TVA que tout le reste de l’Union européenne. Il résulte de ces taux dérogatoires que 65 % de l’assiette totale est soumise au taux normal de TVA, pour une moyenne européenne de 71 %. Nous nous classons ainsi au dix-neuvième rang de l’Union européenne. Or, les taux réduits de TVA ont une efficacité qui apparaît limitée pour atteindre les objectifs économiques et constituent une source de complexité pour les entreprises. Par ailleurs, cette diversité des taux est source de fraudes potentielles.

Le présent rapport suggère donc de renforcer le suivi et l’évaluation par le CPO des taux réduits de TVA existants. Notre institution, pluraliste, rassemble des élus, des personnalités académiques, des administrations ; la Cour des comptes y est présente. Nous pourrions contribuer à ce travail, qui pourrait toutefois également être délégué à une instance ad hoc. Sur la base des évaluations des taux réduits de TVA, il faut supprimer les taux réduits inefficaces, ou, à défaut, les relever à un taux supérieur du barème.

En second lieu, notre rapport montre que la baisse de la TVA n’est le meilleur moyen ni pour relancer l’économie, ni pour lutter contre l’inflation, ni pour conduire des politiques sectorielles, qu’elles soient environnementales ou sanitaires.

Une baisse de TVA n’apparaît pas comme un outil de politique conjoncturelle pertinent pour relancer l’économie française. Dans le contexte de la crise sanitaire de 2020, plusieurs États membres, comme l’Allemagne, ont procédé à des baisses de TVA, sectorielles ou générales, à des fins de relance contracyclique. Or, les études empiriques sur la base de ces expériences montrent des effets très limités pour un coût très élevé : la baisse temporaire de TVA en Allemagne menée durant six mois en 2020 a coûté 7 milliards d’euros à l’État, soit 1,9 % du budget fédéral annuel, pour un effet sur la croissance totalement marginal et temporaire. En France, une baisse de deux points de TVA aurait également un effet relativement marginal sur la croissance, estimé à une augmentation du PIB de 0,16 % au bout d’un an. En revanche, les outils alternatifs que sont la dépense publique ou l’investissement permettraient pour un coût équivalent des hausses du PIB respectives de 0,39 % et 0,66 %, dans le même délai. Si vous voulez relancer l’économie – vous trouverez sans doute la logique keynésienne –, il vaut donc mieux la dépense publique efficace ou l’investissement ciblé que des baisses fiscales inefficaces.

En outre, face au choc énergétique et à l’inflation qui en découle, une baisse de TVA sur l’énergie apparaît moins efficace que d’autres instruments budgétaires ou fiscaux. À la différence de ses voisins européens, la France a privilégié d’autres outils qu’une baisse de la TVA pour répondre à la hausse des prix de l’énergie, pour un coût supérieur, mais d’une efficacité meilleure. Les simulations conduites par le CPO montrent que le bouclier tarifaire est plus efficace qu’une baisse de taux de TVA à 10 % sur le gaz et l’électricité pour réduire l’inflation et soutenir le revenu des ménages, même s’il est trois fois plus coûteux. En effet, son coût s’élevait à 22 milliards d’euros en 2022 et son coût prévisionnel est estimé à 17 milliards d’euros en 2023.

Le chèque énergie – auquel je vous sais attachés – protège davantage les ménages modestes. Il réduit le taux de précarité énergétique mieux qu’une mesure de TVA non ciblée, tout en engendrant un coût moindre pour les finances publiques : 700 millions d’euros contre 2,7 milliards. La baisse de TVA n’est pas un outil redistributif pertinent parce que son bénéfice dépend de la valeur consommée et non, comme le chèque énergie, du niveau de vie.

Par ailleurs, une baisse durable de la TVA sur les énergies fossiles serait contradictoire avec les objectifs nationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre. En effet, à long terme, la priorité doit consister à modifier les comportements par des incitations structurelles à la décarbonation. Une réflexion générale sur la fiscalité des énergies et sur les dispositifs permettant d’accompagner les entreprises et de soutenir le pouvoir d’achat des ménages modestes apparaît donc nécessaire.

Enfin, d’autres instruments que la TVA sont plus efficaces pour réduire les inégalités et pour relever les défis environnementaux et de santé publique. D’une part, des outils de bien meilleure qualité existent pour lutter contre les premières. La modulation des taux de TVA, à première vue, pourrait apparaître comme un outil susceptible de lutter contre les inégalités dans la mesure où il s’agit d’un impôt régressif : sa part dans le revenu des ménages est plus élevée pour les ménages modestes, qui consomment une plus grande part de leur revenu. La logique, à nouveau, est keynésienne. Son caractère régressif est cependant fortement atténué lorsque l’on raisonne sur l’ensemble du cycle de vie et que l’on prend en compte les transferts monétaires et en nature que les recettes de TVA financent. De plus, une baisse de la TVA, notamment sur les produits alimentaires, par essence indifférenciée selon le revenu du consommateur, constitue une mesure moins efficace pour soutenir le pouvoir d’achat des ménages modestes que les transferts monétaires en raison de l’incertitude sur le taux de répercussion sur les prix et de l’impossibilité de cibler certaines catégories de ménages.

D’autre part, la TVA n’est pas non plus un instrument efficace pour répondre aux défis environnementaux et de santé publique. La proposition d’une TVA environnementale ou d’une TVA modulée selon un étiquetage alimentaire de type Nutriscore se heurte à d’importants obstacles qui limitent les possibilités de ciblage ainsi que son impact sur les différentes étapes de la chaîne de valeur. Tous ces éléments suggèrent de privilégier d’autres outils : je pense aux transferts ciblés, aux accises, au système européen d’échange de quotas d’émission, aux investissements, à la réglementation en matière énergétique, ou encore à la fiscalité nutritionnelle existante en matière de santé publique.

Le présent rapport aboutit à une conclusion similaire pour le soutien aux secteurs économiques sobres que sont le transport ferroviaire et l’économie circulaire. En revanche, le rapport recommande de systématiser l’intégration de la dimension environnementale dans les évaluations des taux réduits de TVA. Le CPO s’attachera à appliquer cette recommandation dans son prochain rapport, qui sera consacré à la fiscalité du logement.

M. le président Éric Coquerel. L’intérêt de votre rapport réside aussi dans le non-dit de ses conclusions. Ainsi, vous indiquez que la baisse de la TVA n’est pas le meilleur outil de redistribution des impôts : cela révèle surtout un problème global de segmentation des impôts en France. Le fait que les deux premiers impôts ne soient ni proportionnels ni redistributifs pose en effet le problème que vous évoquez. Le Gouvernement rappelle fréquemment que les impôts des Français ont diminué. Or, votre tableau montre que la moitié des Français les plus défavorisés n’ont en réalité connu aucune baisse d’impôts, puisqu’ils sont touchés par une fiscalité non redistributive et non proportionnelle à leurs revenus. C’est tout le problème de la trop grande importance de la TVA dans la fiscalité de notre pays.

Bien souvent, les taux réduits de TVA sont perçus comme la seule manière d’alléger l’impôt de nos concitoyens les plus défavorisés. Votre rapport aborde-t-il à la question des taux de TVA réduits pour tous les départements et régions d’outre-mer (Drom), pour compenser la cherté de la vie spécifique à ces territoires ?

Le sujet est en effet sensible : si je partage votre constat lorsque vous dites que cet impôt n’étant pas redistributif, toute la population bénéficie de sa modulation, les alternatives que vous proposez n’auront que des effets tardifs. Pour l’heure, remettre en cause des taux réduits de TVA augmenterait les prix pour les consommateurs. On voit là toutes les limites d’un système qui a donné trop d’importance aux impôts indirects.

Que pensez-vous du financement par une part des recettes de TVA de la suppression de plusieurs impôts, comme la contribution à l’audiovisuel public ou les impôts de production, qui la rende encore plus indispensable ?

Par ailleurs, il me semble que le principal problème est qu’une baisse de la TVA sans blocage des prix peut représenter un effet d’aubaine, à la fois pour les distributeurs et les fabricants : ainsi, les taux réduits de TVA peinent à produire les effets attendus, qu’il s’agisse de favoriser une dépense écologiquement utile ou de permettre à certains ménages de continuer à se nourrir. Qu’en pensez-vous ?

Comment pourrions-nous systématiser de façon simple et efficace les évaluations auxquelles votre rapport appelle ?

Enfin, vous suggérez une évaluation économétrique pluriannuelle confiée au CPO ou à une instance ad hoc. Quels seraient les avantages de l’une ou l’autre de ces solutions ?

M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général. Votre rapport indique que la baisse de la TVA n’est pas un instrument adéquat pour lutter contre l’inflation ou la hausse des coûts de l’énergie. Vous êtes également très sévère avec les taux réduits de TVA et vous nous incitez à les examiner de plus près pour réfléchir à leur évolution. Vous ajoutez que la TVA n’est pas un outil redistributif, mais proportionnel.

La baisse de la TVA, même si elle est ciblée, se traduit par une perte certaine pour les finances de l’État et par un gain incertain pour le consommateur. Des exemples que vous relevez, en France et dans d’autres pays européens, le montrent de manière très claire. Le bouclier tarifaire et le chèque énergie – même si nous en connaissons les limites – sont ainsi des outils plus efficaces qu’une baisse de la TVA pour soutenir les revenus des plus modestes.

La part des recettes de TVA qui revient aux collectivités territoriales s’établit à 20 %, soit 40 milliards : ainsi, les baisses d’impôts locaux que nous avons menées à bien – réparties pour moitié entre les ménages et les entreprises – n’ont pas été remplacées par des dotations, contrairement à ce que j’entends souvent, mais par des fractions d’un impôt dynamique national.

Votre rapport suggère de cesser d’adopter de nouveaux taux réduits de TVA et d’évaluer de manière plus systématique les taux réduits actuels. L’évaluation de certains d’entre eux vous paraît-elle prioritaire ? Pourriez-vous vous autosaisir pour mener le travail que vous recommandez ? Quel serait le calendrier envisagé pour ce travail ?

Nous constatons tous l’augmentation de la fraude à la TVA. Considérez-vous que le paquet européen et le travail mené à l’initiative du ministre chargé des comptes publics, Gabriel Attal, sont suffisants pour lutter contre la fraude à la TVA ?

Pourriez-vous préciser vos dispositions visant à moderniser le régime de TVA du secteur financier, eu égard à la tonalité générale de votre rapport tendant en général à sanctuariser, sinon à étendre, la base taxable au taux normal de 20 % ?

Enfin, je trouve très intéressante votre septième recommandation sur la convergence des accises sur l’électricité et le gaz. Comment pourrait-elle s’inscrire dans le cadre de la révision de la directive sur la taxation de l’énergie qui est toujours en cours ? Quel calendrier envisagez-vous dans ce cadre ?

M. Pierre Moscovici. Je souhaite d’abord préciser mon propos. Je ne pense pas que la TVA ait une trop grande importance dans nos recettes. Au contraire : les taxes sur la consommation sont moins importantes en France que dans la moyenne de l’Union européenne. Nous montrons que ce rendement est déjà compromis, car cet impôt est mité par un trop grand nombre de taux réduits qui en compliquent la lisibilité et facilitent certains mécanismes de fraude. Par conséquent, nous proposons de maintenir, voire de renforcer le rendement de la TVA, et de revenir sur des taux de TVA réduits inefficaces, afin que l’impôt soit plus lisible, et que ses rendements permettent de financer les dépenses publiques indispensables et les investissements qui nous attendent.

Certaines évaluations des taux réduits existent déjà. Une étude de l’Institut des politiques publiques de 2018 montre que la réforme du taux réduit de 10 % sur la restauration a surtout bénéficié aux propriétaires de restaurant, qui ont empoché 56 % de la baisse de la taxe, puis aux employés, à hauteur de 18,6 %, aux fournisseurs ensuite, pour 12 % ; ses gains pour le bénéficiaire théorique supposé qu’est le consommateur ne s’élevaient qu’à 13 %. Dans le cadre de son prochain rapport sur la fiscalité du logement, le CPO a prévu d’évaluer le taux de 10 % pour les travaux dans les logements anciens et le taux de 5,5 % pour les travaux de valorisation énergétique. Les résultats pourraient faire l’objet d’une discussion dans le cadre du Printemps de l’évaluation 2024.

Vous m’interrogez sur la meilleure instance pour mener cette évaluation. Je ne cherche pas à plaider pour la cause du CPO, mais il a l’avantage d’exister. En outre, ses discussions s’appuient sur des équipes disciplinaires, qui comprennent des économistes, des membres des corps d’inspections, des représentants des administrations et des élus. L’instance ad hoc évoquée risquerait de n’être qu’une duplication du CPO : il faudrait en plus un certain temps pour la créer.

Monsieur le rapporteur général, vous avez souligné qu’une part très importante de la TVA est affectée aux collectivités territoriales. Dans son rapport public annuel, récemment dévoilé, la Cour des comptes soulignait justement que la perte d’autonomie des collectivités avait été compensée par des recettes qui sont en effet stabilisées. C’est un choix politique. Le fait de savoir si ces recettes sont dynamiques est une autre question. Il ne me revient pas de me demander si nous avons besoin d’avoir des compétences clarifiées avec des ressources qui le sont aussi. S’agissant de la TVA, nous suggérons de ne pas aller au-delà des organismes de sécurité sociale et des collectivités territoriales. Implicitement, nous recommandons également de ne pas aller bien au-delà pour les collectivités territoriales afin de conserver une part de rendement de la TVA pour l’État.

La redevance à l’audiovisuel public, supprimée par la loi de finances rectificative du 16 août 2022, a été remplacée transitoirement par une affectation de TVA. Dans le projet initial du Gouvernement, la perte de recettes – de 1,5 milliard en 2022 et de 3,7 milliards en année pleine – a été compensée par la mise en place d’un transfert budgétaire. Pendant le débat, il a été décidé une augmentation du compte de concours financier par la TVA. La loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques du 28 décembre 2021 soumet à des conditions strictes l’affectation des impôts à partir de 2025 : toute nouvelle affectation d’un impôt à un tiers autre que les collectivités territoriales, leurs établissements et les organismes de société sociale est interdite à compter de cette date. Le maintien d’une affectation préexistante à un tiers autre n’est autorisé que si le tiers est doté de la personnalité morale et si l’imposition affectée est en lien avec la mission de service public qui lui est confiée. Nous en déduisons que l’affectation de la TVA à l’audiovisuel public pourra difficilement être reconduite au-delà de 2024. La TVA est un impôt assez large qui ne présente pas de lien particulier avec la mission de service public audiovisuel ; en outre, l’affectation de TVA instaurée au bénéfice d’entreprises audiovisuelles publiques, par la LFR du 16 août 2022, est temporaire. À notre sens, elle ne pourra donc être maintenue au-delà de la fin 2024.

Le paquet européen et les mesures de lutte contre la fraude envisagées par le ministre Gabriel Attal vont dans la bonne direction. La plupart des mécanismes de fraude numérique que nous avons identifiés devraient trouver une réponse dans le paquet numérique. Nous souhaitons qu’il soit adopté le plus vite possible – de manière à être également rapidement évalué.

M. le président Éric Coquerel. Je donne la parole aux représentants des groupes.

M. Mathieu Lefèvre (RE). Votre travail rétablit deux vérités : d’abord, la fiscalité n’est pas la bonne réponse aux maux de ce pays, qu’il s’agisse de réduire les inégalités, de favoriser la transition énergétique ou de lutter contre les conséquences de la crise énergétique. Deuxièmement, il rappelle que la majorité n’a pas augmenté les impôts sur la consommation, comme cela nous a été reproché à l’occasion du débat sur l’audiovisuel public.

Vous indiquez qu’en matière de dépenses énergétiques, les mesures ciblées sont plus efficaces et moins coûteuses que les baisses de taux de TVA. Pourriez-vous nous indiquer leur impact moyen sur un ménage ?

Avez-vous pu estimer l’effet de captation des baisses de taux de TVA par les entreprises ?

Il nous a été reproché de ne pas compenser les pertes de recettes aussi bien pour les collectivités que pour les organismes de protection sociale. Or, l’État est aujourd’hui minoritaire au capital de la TVA. Quelle appréciation portez-vous sur ce constat ? Ne craignez-vous pas qu’il soulève une question d’acceptabilité de cet impôt ?

Enfin, quelles mesures compensatoires jugez-vous utiles d’établir si nous décidions de revenir sur les taux réduits de TVA ? En effet, il faudra le cas échéant accompagner les filières qui ont vécu avec ces taux pendant des années.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). J’ai rarement lu un travail aussi indigent et malhonnête sur le plan intellectuel de la part de nos grands corps. Monsieur Moscovici, vous avez un certain talent pour commenter les méfaits dont vous êtes responsable : vous êtes connu pour avoir dénoncé le ras-le-bol fiscal des classes moyennes et populaires à l’encontre des hausses d’impôts de François Hollande, que vous aviez vous-même organisées comme ministre.

Ce rapport va dans le même sens : son objectif est de montrer qu’il faut consolider le rendement de la TVA. La TVA est injuste : c’est l’impôt qui rapporte le plus puisqu’il frappe toutes les classes sociales, quel que soit leur revenu, mais en particulier les classes moyennes – que vous n’avez d’ailleurs pas mentionnées dans votre exposé.

Je note aussi que la qualité du travail sur la TVA est très aléatoire : le montant de la fraude est réévalué de seulement 10 milliards à 20 à 26 milliards sur sept années, soit une erreur de 150 %. On peut s’interroger sur le sérieux de ce travail. Je note d’ailleurs que cette majorité, depuis six ans, n’a pas du tout lutté contre la fraude à la TVA, puisque le résultat de cette lutte en 2021 est inférieur à 2015. Cela représente une perte de 60 à 170 milliards d’euros en sept ans : ce n’est sans doute pas une priorité nationale ! Après tout, ce n’est que deux fois le déficit des retraites.

Cet impôt est donc injuste. Il est régressif, comme vous dites vous-même, avant d’ajouter qu’il suffit de le compenser par d’autres prestations sociales ; mais les Français ne veulent plus de compensations : ils veulent vivre de leur travail et pouvoir consommer sans que l’État leur fasse des chèques.

Vous dites que la doctrine vous donne raison : c’est faux. Contrairement à ce que vous avez affirmé à l’oral, votre rapport ne donne pas de réponse tranchée sur l’Allemagne. Il montre que selon une analyse, pour un coût de 7 milliards, la consommation des ménages a augmenté de 26 milliards, et que selon une autre – qui mentionne un rapport sans le référencer –, l’impact aurait été serré, mais elle n’en précise pas le montant.

De la même façon, vous dites que le chèque énergie est moins efficace pour les ménages modestes. C’est faux : vous réduisez les ménages modestes au premier décile. Or, pour 90 % de la population, la baisse de la TVA est plus efficace, comme chacun peut le voir sur le graphique de votre rapport.

M. David Guiraud (LFI-NUPES). Il est important que nous parlions de la TVA. Elle est l’impôt le plus injuste, supporté par les classes populaires et la classe moyenne. Vous avez indiqué qu’en 2015, 93 % de la TVA revenait à l’État. Aujourd’hui, l’État ne perçoit plus que la moitié de la TVA.

Le projet de loi de règlement pour 2019 expose l’un des facteurs expliquant cette diminution : « En 2019, la transformation du CICE en allègements de cotisations sociales a conduit à augmenter à due concurrence la part de la TVA affectée à la sécurité sociale. » En d’autres termes, ce sont les classes populaires et les classes moyennes qui paient les cadeaux fiscaux qui ont été faits aux entreprises. En effet, le taux de prélèvement obligatoire est globalement stable ; mais entre 2011 et 2021, il a augmenté de 11 % pour les ménages alors qu’il a diminué de 7 % pour les entreprises.

Par ailleurs, le nombre d’agents affectés dans les services de contrôle de la direction générale des finances publiques a baissé d’un tiers en dix ans. N’y voyez-vous pas une des causes des difficultés à lutter contre la fraude, notamment sur les nouveaux enjeux liés au développement des plateformes commerciales en ligne ?

M. Fabien Di Filippo (LR). La TVA était à l’origine un impôt de rendement, premier financeur des services publics de l’État sur tout le territoire. L’évolution à laquelle nous avons assisté ces dernières années est inquiétante : la suppression de certains impôts – comme la taxe d’habitation, la dotation globale de fonctionnement des régions, la contribution à l’audiovisuel public, et désormais la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) qui finance nos intercommunalités – est remplacée par une fraction de TVA et laisse un trou dans le budget de l’État, qui n’en perçoit plus que la moitié.

En résulte une déconnexion croissante des ressources des collectivités avec les missions qu’elles exercent. Autant, pour le bloc régional, la logique peut se comprendre ; autant, pour le bloc communal, j’y vois un réel problème. L’État transfère les compétences et assure maintenant le financement des communes par des subventions, des dotations et des impôts nationaux, ce qui menace l’autonomie financière et fiscale de ces collectivités territoriales. En effet, la dynamique de la TVA n’est pas corrélée à l’activité des territoires, comme c’était le cas avec la taxe d’habitation – qui augmentait avec la croissance de la population – ou la CVAE – qui faisait évoluer les recettes des intercommunalités au rythme du développement de l’activité économique ; en plus, elles n’ont aucune possibilité de voter ou d’agir sur les taux de TVA. Certes, on s’en félicite pour l’heure, car les ressources sont plutôt dynamiques dans un contexte de forte inflation ; mais en cas de récession, quelles seraient les conséquences pour les collectivités ? En les privant de moyens d’action pour adapter leurs ressources, ces solutions les exposent très fortement aux retournements de conjoncture.

M. Mohamed Laqhila (Dem). La fraude à la TVA a toujours été combattue, notamment au travers de la TVA intracommunautaire. Les flux financiers en matière de TVA sur les transactions intracommunautaires ont été supprimés, afin d’éviter la fraude, notamment le carrousel. Depuis la loi de finances pour 2018, nous avons procédé de la même manière à l’autoliquidation en matière d’importation. Faut-il pousser plus loin l’autoliquidation dans le commerce interentreprises ?

Un rapport pourrait être commandé au CPO concernant la perte de TVA en raison des liquidations judiciaires.

La monnaie fiduciaire facilite la circulation et notamment la fraude au travers des transactions quotidiennes. Pensez-vous qu’il faille accélérer ce mouvement et supprimer, ou réduire, cette monnaie ?

Enfin, vous avez indiqué que la suppression des taux réduits pourrait représenter plus de 40 milliards d’euros de recettes. Le taux de TVA sur les produits de luxe s’élevait autrefois à 33 %. Il est désormais de 20 %. Faut-il l’augmenter ?

M. Mickaël Bouloux (SOC). Le CPO estime dans ce rapport que diminuer la TVA ne permettrait pas d’augmenter le pouvoir d’achat des ménages modestes en période d’inflation. Selon votre étude, la suppression de la TVA sur les produits alimentaires de première nécessité augmenterait le niveau de vie des ménages les plus modestes de seulement 1,5 %, contre 2,5 % grâce au versement d’une prime individuelle de 250 euros. Plutôt qu’une baisse de la TVA, le CPO recommande donc le recours aux prestations sociales ou à la distribution de primes individuelles pour soutenir le pouvoir d’achat des ménages modestes.

Cette préconisation est à rebours de ce qu’expérimentent l’Espagne et le Portugal, qui ont établi une TVA à 0 % sur les produits de première nécessité. En revanche, la position du CPO répond à ce qui a pu être préconisé par Emmanuel Macron qui affirmait en 2017 sur RMC et BFMTV : « la TVA c’est injuste, c’est pour cela que je ne toucherai pas à la TVA : pas d’augmentation, pas de baisse ». Il s’agit d’une manière étonnante de remédier à une injustice.

Votre étude présente une lacune susceptible de renverser vos conclusions : le taux de non-recours aux prestations sociales est particulièrement élevé en France. Les chiffres de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) mettent en évidence que ce taux dépasse souvent les 30 %, selon les prestations : il s’élève ainsi à 34 % pour le RSA et à 50 % pour le minimum vieillesse. Il aurait été essentiel que votre rapport inclue cette dimension. Vos conclusions sur l’inefficacité d’une baisse de la TVA semblent par conséquent particulièrement lacunaires. En effet, le non-recours aux aides et aux prestations sociales engendre une perte de pouvoir d’achat – qu’il conviendrait d’appeler « pouvoir de vivre ». Tant que cette problématique n’a pas été résolue, l’État peut-il décemment faire l’économie d’une baisse de la TVA sur les produits de première nécessité ? En effet, le système d’octroi de primes et de prestations sociales est procédurier, alors que la baisse du taux de TVA est automatique.

M. François Jolivet (HOR). Le CPO estimait la fraude à la TVA en 2015 à 10 milliards d’euros. Selon l’Insee et la Cour des comptes, ce montant aurait atteint 12 à 20 milliards en 2019. En juillet 2022, l’Insee chiffre la fraude à 20 à 26 milliards. Tout le monde s’accorde à reconnaître que la fraude à la TVA augmente. Pourtant, les droits de TVA recouvrés dans le cadre du contrôle fiscal – alors qu’ils sont de plus en plus nombreux – enregistrent une tendance baissière. Le montant des encaissements diminue depuis 2015 de manière régulière. En 2021, il est inférieur de 15 % à celui de 2018. Comment l’expliquez-vous ?

Par ailleurs, quel regard portez-vous sur la coopération européenne et internationale des administrations fiscales en matière de lutte contre la fraude depuis 2021 ? En attendez-vous des résultats probants ?

Les mesures dérogatoires au taux normal de TVA représentent environ 47 milliards d’euros, soit l’équivalent de 24 % de son rendement en 2021. Pourriez-vous nous citer des taux réduits que vous jugez inefficaces ou injustifiés ?

Mme Christine Arrighi (Écolo-NUPES). La TVA est un pilier de nos finances publiques, ce qui inquiète mon groupe tant il s’agit d’un impôt injuste. S’assurer du rendement de cet impôt, pour le moins très peu progressif, est largement insuffisant quand la justice fiscale à laquelle aspirent nos concitoyens repose sur des prélèvements plus adaptés, notamment en faisant davantage contribuer les plus aisés, qu’il s’agisse des revenus ou du patrimoine des particuliers ou des entreprises.

L’un des enseignements de votre rapport concerne l’inefficience de nombreuses niches en matière de TVA et de politiques de modulation des taux. Le Gouvernement a annoncé des taux réduits pour certains biens et prestations dans le domaine de la rénovation énergétique. Nous n’y sommes pas défavorables, à condition que l’ensemble de la politique publique soit pensé, piloté et évalué dans une perspective de levier pour la transition écologique. Nous avions ainsi proposé une baisse du taux sur les billets de transport, mais nos amendements ont été refusés.

Nous sommes satisfaits de lire que le CPO partage notre opinion sur l’inutilité et le grand risque de baisser la TVA sur l’énergie de façon indifférenciée. Je lis aussi que le Conseil propose de revoir toute la fiscalité de l’énergie pour désinciter à la consommation et soutenir les plus précaires. Cette démarche est celle de mon groupe : en témoignent les propositions de Nicolas Thierry sur le bouclier énergétique, également rejetées. Je souhaiterais savoir quels sont les axes de travail du CPO sur ce point.

J’avais bien lu les inquiétudes du Conseil sur la faiblesse des exigences de lutte contre la fraude. Vous proposez aujourd’hui des mesures techniques, et notamment une évolution au niveau européen ; mais que faire pour la France quand le nombre de contrôles fiscaux s’effondre et que le nombre d’entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés et à la TVA explose ?

M. Jean-Marc Tellier (GDR-NUPES). En dehors de la question financière et de celle du rendement que nous pose ce rapport, ne devrions-nous pas entamer une réflexion plus large sur la TVA ? Ce rapport démontre en effet qu’il s’agit d’un impôt injuste, inéquitable et régressif, et qui affecte de manière disproportionnée nos populations les plus vulnérables et les plus modestes. En 2021, la part de la TVA affectée au budget de l’État ne représentait plus que 51 % contre 93 % en 2015, ce qui s’explique surtout par la suppression d’autres prélèvements obligatoires. Au fil des années, la TVA a remplacé la taxe d’habitation, la dotation globale de fonctionnement (DGF) des régions, la redevance audiovisuelle, et, aujourd’hui, la CVAE. Cet impôt, qui pèse le plus lourdement sur les plus démunis, sert à compenser pour les collectivités les impôts payés notamment par le capital.

D’autres impôts ont en outre baissé, comme l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les sociétés, l’impôt sur la fortune, tandis que la flat tax a remplacé l’imposition au barème progressif. Ces baisses d’impôts accroissent la part de la TVA, un impôt proportionnel et assis sur la consommation, au détriment d’impôts qui sont soit progressifs, soit prélevés sur le capital.

Quel est l’effet de la modification de la structure fiscale sur les inégalités économiques qui s’accroissent en France ? Quels dispositifs permettraient de les réduire, outre des baisses de TVA ciblées que vous excluez ?

M. Michel Castellani (LIOT). Je souhaite attirer votre attention sur plusieurs problèmes techniques. Je pense à la persistance de taux de TVA différents pour le même produit en fonction de son usage, à la date d’exigibilité du paiement pour les services transfrontaliers, ou encore à la clause d’achat des véhicules en location. Dans son rapport, le CPO propose deux pistes : actualiser au niveau européen le périmètre du régime ou repenser les règles d’exonération. Parmi ces deux options, laquelle vous semble la plus pertinente ?

Le transfert croissant des recettes de la TVA à des administrations autres que l’État est également un problème. Pouvez-vous revenir sur les rapports en matière de fiscalité entre l’État et les collectivités, dont un certain nombre revendiquent l’autonomie fiscale ?

On confie à la TVA toujours plus d’objectifs politiques. Cependant, dans certains cas, elle est inefficace. La baisse des taux n’est pas du tout répercutée sur le consommateur, mais elle renforce les marges des entreprises. La TVA peut-elle être utilisée à des fins sociales ?

Enfin, vous proposez d’augmenter le rendement de la TVA en relevant le taux intermédiaire à 10 %, tout en compensant les secteurs touchés par des mesures de pouvoir d’achat ciblées. Ne pensez-vous pas que de telles mesures compensatoires devraient intégrer des objectifs environnementaux ?

M. Pierre Moscovici. Monsieur Lefèvre, nous disons que la TVA n’est pas un instrument efficace de politique économique, structurelle ou conjoncturelle, environnementale ou sanitaire. Le rapport ne conclut pas que la fiscalité, en général, ne doit pas être utilisée dans ce cadre. L’outil redistributif privilégié reste ainsi l’impôt sur le revenu. Après avoir examiné la fiscalité du logement, le CPO se penchera à nouveau sur l’impôt sur le revenu et son effet sur la réduction des inégalités.

Vous m’avez interrogé sur les mesures compensatoires qui pourraient être décidées en raison de la réévaluation de certains taux de TVA. Le nombre de taux réduits de TVA en France affaiblit le rendement de cet impôt, qui est très important pour les finances publiques. Notre préconisation essentielle est donc de stabiliser le rendement, d’évaluer les taux qui seraient inefficaces et de supprimer ceux qui le seraient. Vous m’avez interrogé sur ces derniers : il faudrait examiner la restauration, puisque le consommateur n’est qu’un bénéficiaire très marginal de ce taux réduit, ainsi que les travaux sur des logements anciens. Pour ce dernier cas, cela sera fait dans le cadre des évaluations de la fiscalité du logement.

Monsieur Tanguy, votre logique est erronée sur un point central : selon vous, le chèque énergie ne serait favorable qu’à 10 % de la population ; or, il touche les trois premiers déciles, soit l’essentiel des couches populaires de ce pays et une partie des classes moyennes. Si l’on suivait votre raisonnement – selon lequel la TVA est un impôt régressif, injuste, et qu’il faut le démanteler en grande partie – et que nous décidions de la réduire, que se passerait-il ? Dans notre pays, 58 % de la dépense publique est socialisée ; le déficit s’élève à 4,7 % et la dette publique atteint 111 %. Pensez-vous que nous pouvons encore augmenter ces derniers, sans impact sur la signature française, les taux d’intérêt et, in fine, la restriction des investissements qui en découlerait ? Voudriez-vous compenser la baisse de la TVA par d’autres hausses d’impôts importants ? Le cas échéant, lesquels ? Enfin, pensez-vous que nous pouvons réduire significativement les dépenses publiques, dans une période où les besoins d’investissements sont massifs, notamment pour faire face aux défis sanitaires et environnementaux ?

Il est incontestable que la TVA n’est pas un impôt progressif. Cependant, la progressivité et la redistribution doivent être appréciées sur l’ensemble du système fiscalo-social, et non seulement sur l’impôt. La baisse du rendement de la TVA pour l’État est la traduction d’une affectation d’une partie de ses recettes au profit des collectivités locales et des organismes de sécurité sociale : la TVA finance donc des dépenses de transferts sociaux, qui sont progressives.

S’agissant des collectivités locales, la situation actuelle présente des avantages et des inconvénients : d’une part, elles disposent d’une recette stabilisée ; mais d’autre part, elles ont moins d’autonomie. Se pose alors la question de la prochaine étape de la décentralisation. La Cour des comptes a plutôt préconisé une clarification des compétences appuyée sur une clarification des financements, et, dans une phase intermédiaire, le renforcement du chef de filât et la simplification de l’organisation de la décentralisation.

L’augmentation de la fraude est largement liée aux mutations de l’économie, et non à une erreur d’évaluation entre 2015 et 2023. Depuis une dizaine d’années, le produit de la lutte contre la fraude a augmenté de manière constante et assez importante. Je souhaite qu’un plan supplémentaire soit déployé. Le paquet de la Commission ouvre des pistes que nous sommes encore en train d’expertiser, mais qui semblent répondre de manière essentielle aux différentes sources de fraude liées à la numérisation de l’économie. Le CPO devrait publier une note sur le sujet le mois prochain.

La TVA doit être abordée avec une forme de sérénité. Certes, ce n’est pas un impôt parfait, mais il ne faut toucher à la TVA qu’avec une main tremblante, car son rendement est important pour l’ensemble des finances publiques, et la substitution à de moindres recettes de TVA pose une série de difficultés – qu’il s’agisse de l’augmentation du déficit et de la dette, de la baisse de la dépense, ou de la création d’autres impôts qui poseraient des problèmes similaires.

M. Kévin Mauvieux (RN). Il y a bien une malhonnêteté dans le rapport. Ce dernier ne prend pas en compte la TVA sur les carburants, qui est très importante et qui représente deux tiers de notre programme. Par ailleurs, vous vous fondez sur un taux à 10 % sur l’électricité, alors que nous proposons 5,5 %, puisque nous considérons qu’elle est un bien de première nécessité. Vos calculs sont donc biaisés.

En outre, vous adoptez un point de vue purement comptable. Derrière ces chiffres, ce sont des Français qui vivent au quotidien ces difficultés, et qui ne comprendront pas le message que vous portez aujourd’hui : il faut augmenter la TVA sur un certain nombre de biens. L’inflation est inédite, les ménages n’arrivent pas à remplir leur frigo, et la commission des finances proposerait d’augmenter la TVA ?

Pourriez-vous comparer les gains du bouclier tarifaire assortie d’une baisse ou d’une hausse de la TVA pour un individu de classe moyenne dont les revenus s’élèvent à 1 700 euros de revenus par mois ?

Mme Marie-Christine Dalloz (LR). Vous recommandez d’éviter les affectations de TVA en dehors du champ des organismes de protection sociale et des collectivités territoriales. S’agissant de ces dernières, vous vous appuyez sur les chiffres de 2021. Cependant, en 2022, la CVAE a été réduite de moitié. Le rapport est donc faussé. Ainsi, ce ne seront pas 20 %, mais 25 % de la TVA qui seront affectés aux collectivités territoriales.

Vous évoquez le rapport entre la conjoncture économique et les évolutions de recettes de TVA ; cependant, en cas de baisse de la consommation, les recettes diminuent.

Enfin, quels sont les secteurs bénéficiant de taux réduits que vise votre cinquième préconisation ?

M. Patrick Hetzel (LR). Vous établissez un corollaire entre le développement de la numérisation de l’économie générale et l’émergence de nouveaux risques de fraude à la TVA. Dans votre troisième recommandation, vous indiquez qu’il convient de renforcer la lutte contre la fraude à la TVA dans le contexte de l’économie des plateformes. Quelles sont vos recommandations précises pour lutter de manière plus efficace contre la fraude ?

Mme Mathilde Paris (RN). La seule représentante des entreprises qui figure au CPO est la directrice fiscale de Total Énergies : les petites et moyennes entreprises semblent totalement oubliées. À cet égard, le régime de la microentreprise est un contre-exemple qui dément vos conclusions. Ce régime bénéficie d’une franchise en base de TVA en dessous de certains seuils. Il connaît un véritable engouement, puisqu’il représente 65 à 85 % des créations dans certains secteurs d’activités. Par ailleurs, de nombreuses entreprises – notamment dans le secteur du BPT – se plaignent régulièrement de la compétitivité des microentreprises étant donné qu’elles ne facturent pas la TVA aux clients. En résultent une véritable dynamique et un gain de pouvoir d’achat pour les clients. Comment expliquez-vous que les modulations de TVA puissent être inefficaces, alors que cet exemple prouve le contraire ?

M. Marc Le Fur (LR). La TVA présente un avantage que votre rapport souligne peu : elle est l’un des rares impôts qui traitent de la même manière les produits fabriqués en France et ceux qui sont importés. Alors que nous tentons de relancer l’idée de souveraineté, cet élément doit être pris en compte.

Deuxièmement, si je ne suis pas hostile à la TVA, je suis choqué par le fait que la TVA puisse porter sur l’impôt. On le voit en particulier dans la consommation d’énergie, puisqu’il existe une TVA sur la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP). Le CPO a-t-il réfléchi à cette question ?

M. Charles de Courson (LIOT). Votre sixième recommandation soulève le problème des rémanences. Il semble que vous recommandiez l’assujettissement de l’ensemble du secteur financier – banques et assurances – qui n’est pas concerné, sinon de façon très restreinte. En avez-vous mesuré les conséquences ? Seraient-elles positives ou négatives pour les recettes de l’État ? Existe-t-il encore des rémanences dans d’autres secteurs ?

Mme Christine Pires Beaune (SOC). On a coutume de dire qu’un bon impôt est un impôt à assiette large : c’est le cas de la TVA, même si la numérisation doit nous alerter. Cependant, un bon impôt, c’est aussi celui qui répond à l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, c’est-à-dire qui est payé en fonction des capacités contributives de chacun. Force est de constater que la TVA ne répond pas à cette définition. Comme le candidat à l’élection présidentielle Emmanuel Macron le disait en 2017, il s’agit d’un impôt injuste. Toutefois, il a l’avantage, pour tous les gouvernements, d’être un impôt indolore – même s’il l’est de moins en moins, étant donné que chaque Français consulte le montant de TVA, notamment lorsqu’il fait un plein d’essence.

Que proposez-vous pour que cet impôt sur la consommation devienne plus juste ? Quelle est la répartition du produit de TVA entre les ménages, les entreprises, les administrations, et, de manière résiduelle, les associations ?

Je n’ai pour ma part aucune objection à l’évaluation des niches TVA.

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES). La TVA est l’impôt le plus injuste qui soit, puisqu’il porte sur la consommation de manière indifférenciée vis-à-vis des revenus ; or, plus on a de revenus, plus on a d’épargne, ce qui signifie qu’une plus forte partie des revenus échappe à la TVA.

Par ailleurs, les microentreprises, à défaut de salariat, sont un lieu de précarisation des travailleurs : en l’occurrence, il n’y a pas de compétitivité, si ce n’est grâce à un dumping social.

Puisque vous étudiez la TVA sous le prisme de son rendement sur les finances publiques, pourriez-vous vous autosaisir sur une réforme fiscale d’ampleur sur le stock de patrimoine et d’épargne qui permettrait de compenser des baisses de TVA sur les produits de première nécessité ?

M. Victor Habert-Dassault (LR). Je souhaite revenir sur votre cinquième recommandation sur le taux réduit de TVA, sachant que notre taux est équivalent à la moyenne européenne. Ciblez-vous particulièrement la restauration ? Le cas échéant, dans le contexte de la crise inflationniste, quels seraient le coût et le risque pour ce secteur ?

Mme Eva Sas (Écolo-NUPES). Je souhaiterais vous entendre sur la possibilité de faire varier le taux de TVA en fonction de l’impact environnemental des produits : il s’agirait de fixer une TVA plus basse sur les produits dont l’impact environnemental est faible, et inversement. Nous avions proposé des amendements en ce sens dans le PLF.

M. Franck Allisio (RN). Ainsi que le souligne le CPO dans son rapport, l’objectif premier de la TVA telle qu’elle est conçue est le rendement pour les finances publiques. Bien que nous considérions pour notre part que la modulation de la TVA peut être un outil de politique publique en faveur du pouvoir d’achat, si nous nous en tenons à ce strict objectif de rentabilité fiscale, le premier problème sur lequel nous devrions nous pencher est celui de la fraude, intentionnelle ou non. Selon les estimations, elle représenterait une perte de 20 à 30 milliards d’euros, soit deux fois le coût d’une baisse de la TVA pour l’énergie à 5,5 %, comme nous le proposons.

Or, une partie importante de cette fraude est réalisée grâce à des mécanismes difficiles à détecter, et contre lesquels il n’est pas aisé de lutter avec les outils à disposition des services fiscaux. C’est notamment le cas de la fraude dite du carrousel de TVA. Ainsi, l’idée d’un prélèvement à la source de la TVA a été évoquée à plusieurs reprises ces dernières années et formait notamment l’une des propositions défendues par Marine Le Pen lors de la dernière élection présidentielle. En effet, ce mécanisme ferait disparaître nombre de possibilités de fraudes. Qu’en pensez-vous ?

M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général. Je déplore le ton utilisé par plusieurs de nos collègues. Le CPO, composé pour moitié de hauts fonctionnaires, est une institution indépendante au sein de notre République. Ces propos inqualifiables révèlent une dérive de notre débat public, et un travail de sape de nos institutions et de chiffres qui sont pourtant factuels et démontrés.

Je regrette que l’extrême droite mène des attaques ad hominem, qui ne grandissent pas ses représentants ici, tandis que l’extrême gauche nie la réalité des faits démontrés par le CPO. Je vous rappelle, d’ailleurs, que la dernière augmentation de la TVA – à la fois de son taux normal et de son taux intermédiaire – a été adoptée par la gauche.

M. le président Éric Coquerel. Monsieur le rapporteur général, je regrette que vous mettiez sur le même plan des problématiques de forme, que je partage, et des problématiques de fond : chacun est libre de s’exprimer sans que ces propos soient qualifiés de travail de sape envers les institutions. Ce discours polémique n’a pas lieu d’être.

Il est très difficile de produire des rapports sur une partie des impôts sans proposer une analyse globale de la fiscalité.

Si l’on revenait brusquement sur le taux réduit de la TVA, notamment pour des produits de consommation, comment nos concitoyens supporteraient-ils ce choc, en particulier dans les outre-mers ? N’est-ce pas là la faiblesse de préconisations qui surviennent, en outre, dans un contexte d’inflation, et alors que les distributeurs augmentent leurs marges et que les revenus du travail ne sont pas assez rémunérés ? L’augmentation des prix des produits de première nécessité serait en effet très difficile à supporter.

M. Pierre Moscovici. Chacun de vous est libre de se forger son opinion sur ce rapport, mais prenez le CPO pour ce qu’il est : il n’est pas représentatif d’un grand corps porteur d’intérêts ni de l’idéologie d’un candidat. C’est une institution qui a trois caractéristiques essentielles : elle est indépendante, elle est pluraliste, et elle travaille sur des données objectives. Par ailleurs, je ne suis pas responsable de la composition du CPO : elle découle des choix de l’autorité de nomination. Soyez cependant certains que tous nos rapports font l’objet d’un grand nombre de concertations et de consultations, notamment avec les partenaires sociaux. Aussi, lorsque je vous présente un rapport de la Cour des comptes, du Haut Conseil des finances publiques ou du Conseil des prélèvements obligatoires, je ne prétends pas vous délivrer une vérité, mais apporter au débat public un travail de qualité.

Monsieur le président, il faut en effet adopter une lecture globale du système fiscal. Si l’on décide de toucher au rendement de la TVA, nous devons nous demander comment nous le compenserons. Le législateur est libre de baisser les taux de TVA : il l’a déjà fait, affectant par conséquent les rendements, ce qui n’est pas sain pour les services publics, lesquels doivent être financés.

En février 2022, nous avons publié le rapport « Redistribution, innovation, lutte contre le changement climatique : trois enjeux fiscaux majeurs en sortie de crise sanitaire ». Au-delà de la seule question de la TVA, nous avons montré que notre système sociofiscal assure une redistribution qui bénéficie à deux tiers des ménages. Cette vision d’ensemble est nécessaire, car la TVA, de plus en plus, finance les collectivités locales et notre système de protection sociale : s’agit-il là de dépenses régressives ?

Je constate que beaucoup de pays ont recours à cet impôt « injuste ». Dans l’Union européenne, la Suède ou le Danemark en ont une utilisation plus importante que la France. La justice sociale et le système de protection sociale de ces pays ne sont pourtant ni les plus faibles ni les plus démantelés.

Monsieur Hetzel, les travaux récents de l’Insee réévaluent substantiellement les estimations de fraude à la TVA en dépit de la modernisation du contrôle fiscal et des évolutions du régime de territorialité de la TVA. L’écart constaté entre 2012 et 2023 est essentiellement dû à ce qui s’est passé entre temps, et non à une erreur. La numérisation de l’économie a pris une dimension importante.

La TVA à l’ère numérique doit s’appuyer sur de nouveaux instruments de lutte contre la fraude et des mesures de simplification pour les entreprises. Le paquet numérique TVA annoncé en décembre entrera en vigueur, je le souhaite, le plus tôt possible. Les régimes nationaux de facturation et de reporting seront encadrés à l’échelle européenne. La Commission estime que le passage à la facturation électronique contribuera à réduire la fraude à la TVA de 11 milliards d’euros dans l’Union européenne. Les obligations fiscales des plateformes sont renforcées pour lutter contre les activités occultes. La mise en place d’un mécanisme de solidarité des paiements des plateformes d’hébergement et de transport est envisagée. Nous suggérons d’aller plus loin dans notre recommandation n° 2 : « définir une méthodologie destinée à évaluer le montant de la fraude à la TVA et communiquer annuellement les résultats au Parlement » ; et dans notre recommandation n° 3 : « renforcer la lutte contre la fraude à la TVA dans le contexte de l’économie des plateformes à travers l’évaluation de l’efficacité des obligations de reporting des plateformes de mise en relation par voie électronique ; l’adaptation de la programmation du contrôle fiscal pour tenir compte des obligations de reporting des prestataires de services de paiement ; le soutien, sous réserve des arbitrages sur divers points de difficultés, à une réforme au niveau européen du régime de redevabilité des plateformes de services de transport et d’hébergement ».

Enfin, Monsieur de Courson, la question du secteur financier est doublement spécifique. D’abord, elle s’inscrit dans une stratégie de concurrence fiscale offensive du Royaume-Uni ; par ailleurs, le droit commun de l’Union européenne a défini une exonération des activités bancaires, financières et d’assurance, qui date de la sixième directive de 1977, laquelle n’a pas été modifiée depuis. Nous avions étudié ce problème dans notre rapport de 2015. Le CPO propose d’étendre le droit d’option qui existe aujourd’hui, ce qui revient à étendre le champ de la TVA – et non à le restreindre – même si la position globale des banques diminue du fait des moindres versements au titre de la taxe sur les salaires et des remboursements de TVA qu’elles peuvent percevoir. C’est le sens de notre recommandation n° 6.

M. le président Éric Coquerel. Je vous remercie pour ce rapport et pour le débat qu’il a suscité.

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Puis la commission examine la proposition de loi visant à mieux indemniser les dégâts sur les biens immobiliers causés par le retrait-gonflement de l’argile (n° 887) (Mme Sandrine Rousseau, rapporteure).

M. le président Éric Coquerel. Concernant la proposition de loi visant à mieux indemniser les dégâts sur les biens immobiliers causés par le retrait-gonflement de l’argile, j’ai été conduit à déclarer quatorze amendements irrecevables, deux car ils étaient sans lien avec les dispositions de la proposition de loi et douze car ils instituaient une charge publique. En effet, dans la mesure où le régime des catastrophes naturelles entraîne une réassurance publique par le biais de la Caisse centrale de réassurance, laquelle entre dans le champ de l’article 40, l’élargissement des possibilités d’indemnisation dans ce cadre est coûteux pour les finances publiques, de même que la facilitation des conditions de déclenchement de ce régime d’indemnisation.

Mme Sandrine Rousseau, rapporteure. J’ai l’honneur de vous présenter la proposition de loi visant à mieux indemniser les dégâts sur les biens immobiliers causés par le retrait‑gonflement de l’argile (RGA), qui sera discutée en séance le 6 avril prochain lors de la niche écologiste.

Ce texte répond à un phénomène déjà massif et d’une ampleur croissante. Le phénomène de retrait-gonflement de l’argile se caractérise par des mouvements alternatifs des sols argileux selon la variation de la teneur en eaux des sols : tantôt les argiles se rétractent et se fracturent en cas de sécheresse, tantôt elles se gonflent sous l’effet de l’accumulation en eau en cas de forte pluviométrie. Il en résulte une variation des sols de l’ordre de plus ou moins 10 %, provoquant d’importantes fissures sur les bâtiments.

Le rapport d’évaluation de la prise en compte du retrait-gonflement de l’argile, que j’ai rédigé avec Sandra Marsaud, dresse un état des lieux alarmant. En 2022, le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) indiquait que près de 50 % des sols du pays sont concernés par des retraits et des gonflements d’intensité moyenne et forte ; 10 millions de maisons individuelles sont très exposées, dont 3,5 millions situées en zone rouge. Dans 75 % des communes françaises, c’est plus de la moitié des habitations qui sont concernées.

Les dégâts pour les personnes victimes de ces sinistres sont matériels mais aussi psychologiques et beaucoup de propriétaires sont totalement démunis face à ce phénomène. Les lacunes du droit positif, s’agissant tant de la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, préalable indispensable, que de l’indemnisation elle-même – concrètement, pas plus de la moitié des victimes sont indemnisées – conduisent le législateur à agir.

L’article 1er vise à graver dans le marbre de la loi une méthodologie adaptée à la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle de sécheresse. Celle-ci doit se fonder sur un critère de variation de l’humidité des sols mesurée sur le terrain.

Il diminue également sensiblement la « période de retour ». Aujourd’hui, pour que la sécheresse soit caractérisée, l’indicateur d’humidité des sols doit être l’un des deux plus bas sur les cinquante dernières années, soit une période de retour de vingt-cinq ans. Nous proposons de la ramener à cinq ans : la sécheresse sera caractérisée dès lors que l’indicateur sera l’un des dix plus bas des cinquante dernières années.

Enfin, l’article 1er dispose que l’arrêté de catastrophe naturelle pris en cas de sécheresse ne peut avoir une durée inférieure à douze mois. C’est important, car les fissures découlant du RGA peuvent se manifester bien après la période de sécheresse elle-même. Ces évolutions permettront aux victimes d’être mieux indemnisées.

Le texte vise ensuite à instaurer un rapport de force favorable aux assurés en inversant la charge de la preuve du lien entre dommage et RGA. La reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle n’est qu’une première étape. En effet, une fois cet état reconnu, les assureurs engagent des experts parfois peu scrupuleux pour démontrer que le dommage constaté n’est en réalité par lié au phénomène de RGA. La proposition de loi instaure ainsi une présomption de causalité entre le dommage constaté et le RGA. L’assureur peut toujours faire appel à un expert, mais qui devra cette fois prouver l’absence de lien entre RGA et dommage. Afin de s’assurer que l’analyse de l’expert est complète, le texte lui impose de réaliser une étude de sols de type G5.

J’ai par ailleurs déposé un amendement qui vise à protéger encore davantage les assurés, en créant deux labels, l’un destiné aux experts, l’autre aux entreprises chargées des travaux de remise en état du bâti ayant subi des dommages liés au RGA. Ces labels seront la garantie que ces entreprises et ces experts ont suivi une formation spécifique sur le RGA. C’est une demande des associations de sinistrés.

J’ai également déposé des amendements à la suite des auditions que nous avons réalisées. Le premier a pour objectif d’assurer une meilleure information des assurés et des communes en cas de refus de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle. Trop d’associations de victimes nous ont fait part de leur désarroi face au silence de la puissance publique dans cette situation. Le deuxième amendement revient sur l’une des dispositions de l’ordonnance du 8 février 2023, qui limite l’utilisation de l’indemnité reçue par l’assuré à la réparation du bâti ayant subi des dommages. Étant donné l’état désastreux dans lequel se trouvent certains de ces bâtiments, il nous paraît souhaitable de permettre aux victimes d’utiliser cette indemnité pour se faire construire un nouveau domicile si cela est nécessaire.

Au-delà de ce texte, il sera nécessaire de penser la prévention, qui n’a pu être incluse dans le texte car cela aurait été irrecevable au titre de l’article 40. Les populations sont trop peu informées et il n’y a pas suffisamment de recherches pour prévenir le phénomène de RGA. Compte tenu du réchauffement climatique et du nombre d’habitations susceptibles d’être touchées, le renforcement de la prévention est un enjeu majeur.

Le phénomène de RGA touche des millions de nos concitoyens qui sont démunis face à la fois à une procédure complexe et peu transparente et à des assureurs prêts à tout pour ne pas les indemniser. Voter cette proposition de loi, c’est leur montrer que leurs représentants ont entendu leur appel de détresse. C’est aussi protéger les populations contre le risque que fait courir le réchauffement climatique, dans la perspective d’une France à + 4 degrés.

M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général. Merci d’amener ce sujet très important, qui touche beaucoup de nos territoires et de nos concitoyens, dans le débat public. Je salue aussi le rapport que vous avez cosigné avec notre collègue Sandra Marsaud pour le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques. Ma première question concerne son articulation avec la présente proposition de loi : je n’ai pas le sentiment que toutes les recommandations du rapport y aient été reprises. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?

Deuxième remarque, qui ne vous surprendra pas : je veux alerter nos collègues sur le coût de cette proposition de loi. De votre point de vue, quel serait-il, pour nos finances publiques ? Comment assurer un financement pérenne du système de catastrophes naturelles ? Quelles seraient les parts respectives des assureurs et de l’État dans ce financement ?

M. le président Éric Coquerel. Nous en venons aux interventions des orateurs de groupe.

Mme Sandra Marsaud (RE). Le phénomène de RGA affecte une bonne partie du territoire. Cette variation de volume du sol entraîne des mouvements sur le bâti, surtout quand les fondations ne sont pas suffisamment profondes. Un peu plus de 10 millions de maisons individuelles sont situées en zone d’aléa fort ou moyen, selon les cartes très précises établies par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).

Avec Sandrine Rousseau, nous avons formulé vingt-deux propositions pour améliorer l’expertise et l’indemnisation, renforcer la prévention et adapter le fameux régime « CatNat ». Nombre d’entre elles ont été reprises par le Gouvernement dans son ordonnance du 8 février dernier, en réponse à plusieurs limites du système actuel. Un projet de ratification est à venir, de même qu’un projet de mission parlementaire complémentaire.

Notre majorité porte une vive attention à ce sujet. Au regard de l’ampleur des conséquences pour nos concitoyens dans tout le territoire, nous contribuerons à cette proposition de loi, qui comporte quelques lacunes, en y apportant les modifications qui nous paraissent nécessaires. Nous proposerons notamment que le Gouvernement remette un rapport au Parlement pour évaluer l’impact financier des mesures à prendre.

Le groupe Renaissance ne s’opposera donc pas à votre texte, sous réserve de ces quelques modifications, soulignant ainsi l’intérêt qu’il y a à travailler tous ensemble à l’avenir.

M. Pierrick Berteloot (RN). La loi du 28 décembre 2021 relative à l’indemnisation des catastrophes naturelles a bouleversé le subtil équilibre entre assureurs et assurés. Des habitants de ma circonscription m’ont fait part des graves problèmes qu’ils ont rencontrés à la suite de phénomènes de sécheresse-réhydratation. Je n’ai pu que constater leur terrible détresse : non seulement leurs maisons sont complètement détruites par la sécheresse, mais ils font face à des assurances peu enclines à faire avancer leurs dossiers, sans même parler des défauts de la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle. Quand on voit des fissures béantes, des maisons en ruine et une loi inadaptée, on conçoit qu’il y ait urgence à légiférer.

La loi de 2021 est beaucoup trop favorable aux assurances. Son article 6 limite l’indemnisation à la valeur du bien au moment du sinistre. L’ordonnance du 8 février 2023 limite quant à elle la garantie aux dommages susceptibles d’affecter le bâti ou d’entraver l’usage normal du bâtiment. De ce fait, les dégâts non structurels sont désormais à la charge du sinistré. Le phénomène de sécheresse-réhydratation étant hélas de plus en plus fréquent, des milliers de Français se retrouvent seuls face à des assurances proposant des indemnités scandaleusement faibles – quand elles en proposent.

Les parlementaires ont bien compris l’urgence de la situation. J’ai moi-même déposé une proposition de loi sur ce sujet. Le présent texte, s’il est le bienvenu, ne va toutefois pas assez loin dans la défense des assurés. C’est pourquoi nous vous proposerons des amendements allant dans l’intérêt des victimes. L’objectif, que j’espère nous partageons, est de rétablir un juste équilibre entre les assureurs et les assurés, équilibre rompu avec la loi de 2021 et encore plus avec l’ordonnance de 2023.

M. Frédéric Mathieu (LFI-NUPES). Le nombre de logements touchés en France est particulièrement important. Permettez-moi de relater le témoignage d’un habitant de ma circonscription. Après m’avoir fait visiter sa maison endommagée par le RGA, il m’a montré sa chaudière à gaz, qui n’est plus aux normes et qu’il n’a pas les moyens de changer, en raison des travaux à faire. Il m’a dit : « Parfois, je me dis que ce serait mieux que la chaudière pète, et la maison avec, comme ça ce serait réglé… » C’est dire le désespoir de ces personnes qui voient le bien dans lequel elles ont investi toute leur vie se fissurer et s’affaisser, au point que l’on ne peut même plus ouvrir les portes ou les fenêtres.

Le problème est que le système n’est absolument pas adapté à la réalité de cette détresse, dans un contexte d’état de catastrophe naturelle permanent lié au changement climatique. Si la prise de conscience des conséquences de l’anthropocène dans le champ politique est assez récente, nous devons nous débarrasser de la vision du passé et envisager les choses d’une manière nouvelle pour assurer l’indemnisation des victimes. C’est dans cet état d’esprit d’ouverture que nous abordons l’étude de ce texte et que nous proposerons des amendements afin de mieux répondre aux attentes de nos concitoyens.

Mme Marie-Christine Dalloz (LR). Si ce phénomène n’est pas nouveau, nous constatons qu’il s’accélère. Cette proposition de loi constituerait indéniablement une avancée pour les propriétaires victimes de RGA. Néanmoins, elle va sans doute un peu trop loin car elle risque d’entraîner une forte augmentation des primes d’assurance, ce qui empêcherait de nombreux particuliers de s’assurer. Il faut parvenir à un équilibre entre la couverture du risque et la possibilité de s’assurer.

La disposition déclenchant automatiquement l’état de catastrophe naturelle quand une année fait partie des dix plus sèches des cinquante dernières années pose une réelle difficulté. Ne pourrait-on envisager, plus simplement, d’inscrire dans le périmètre déclaré en état de catastrophe naturelle les communes voisines de la commune concernée ? Ce serait déjà un réel progrès pour les propriétaires. Il faut éviter de provoquer une forte hausse du coût de l’assurance habitation.

Enfin, la proposition de renforcer la prévention et le traitement me semble intéressante. Il faudrait pour cela mobiliser le Fonds de prévention des risques naturels majeurs, dit fonds Barnier, pour financer des expérimentations et des techniques de prévention, par exemple l’injection de résine ou l’installation de micropieux. Il faut aussi soutenir la recherche pour améliorer la connaissance et résoudre les difficultés que rencontrent les propriétaires. Raser une maison et construire en l’état sur le même terrain, ce n’est pas la solution. Telle est la proposition du groupe Les Républicains.

M. Luc Geismar (Dem). Le rapport de Sandrine Rousseau et Sandra Marsaud souligne les deux principaux enjeux auxquels fait face le régime actuel : d’une part les difficultés d’indemnisation, dues à une inadaptation du régime CatNat au risque RGA, d’autre part le problème de la soutenabilité financière du système au regard de l’augmentation du nombre de sinistres, consécutive au réchauffement climatique. Bientôt, l’État devra soutenir la Caisse centrale de réassurance (CCR).

La forte hausse du nombre des sinistres et l’extension territoriale du phénomène nous ont conduits à avancer sur le premier de ces enjeux. La loi Elan de 2018 a revu les règles applicables aux constructions nouvelles. La loi du 28 décembre 2021, dite loi Baudu, du nom de notre ancien collègue du groupe Démocrate, vise à améliorer la transparence des procédures. L’ordonnance du 8 février 2023 renouvelle la procédure CatNat pour le RGA. Il nous paraît plus raisonnable d’évaluer les effets de toutes les mesures qui ont déjà été prises avant de procéder à une énième modification.

Nous regrettons que la question du financement soit éludée. Nous ne devons pas nous précipiter en adoptant un texte incomplet. Continuons à réfléchir ensemble sur le sujet, par exemple dans le cadre d’un groupe de travail transpartisan chargé d’établir un bilan des mesures récentes et surtout d’envisager de nouvelles modalités de financement. Dans cette attente, nous nous abstiendrons.

M. Philippe Brun (SOC). Le retrait-gonflement de l’argile est de plus en plus fréquent en raison de l’urbanisation croissante, des changements climatiques, de l’utilisation intensive des terres et de l’exploitation des nappes phréatiques. Les conséquences en sont importantes sur la sécurité des personnes et des biens, ainsi que sur les finances, dans la mesure où les personnes concernées ne peuvent ni vivre dans leur habitation ni la vendre.

La procédure d’indemnisation actuelle est inadaptée en raison des conditions de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, de la dépendance des experts aux assureurs et de la nature même de ce phénomène – contrairement à une inondation, qui arrive soudainement, les dégâts causés par le RGA s’installent progressivement, faisant souvent suite à plusieurs sécheresses, ce qui permet d’ailleurs aux assureurs d’éviter le classement en catastrophe naturelle. La question se pose aussi de l’indemnisation des catastrophes naturelles à venir, qui seront plus fréquentes en raison du changement climatique. Dans ma circonscription, 95 % des communes sont concernées. À Terres de Bord, commune de 1 500 habitants, 36 dossiers ont déjà été déposés.

Réformer l’indemnisation du RGA, c’est faire œuvre utile et c’est adapter notre droit aux changements climatiques que connaîtra le XXIe siècle.

Mme Lise Magnier (HOR). Ce sujet concerne un nombre croissant de nos concitoyens, sous l’effet du réchauffement climatique. Environ la moitié de notre territoire connaît une exposition moyenne ou forte au retrait-gonflement de l’argile, soit plus de 10 millions de maisons individuelles. Le Gouvernement et les parlementaires se sont saisis depuis plusieurs années de cette question, qu’il s’agisse de la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, de l’indemnisation ou encore de la prévention. La loi Elan, la loi Baudu, la loi « 3DS » de février 2022 et l’ordonnance de février 2023 ont tenté d’apporter des réponses. Le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques avait lancé des travaux sur le sujet lors de la précédente législature, travaux dont Mme la rapporteure a pris la suite avec Sandra Marsaud, et il reste encore à faire.

La proposition de loi apporte une réponse partielle. L’article 2 vise une meilleure indemnisation des assurés lorsque l’état de catastrophe naturelle est reconnu. Je salue cette avancée. Cependant, l’obligation de réalisation d’une étude des sols par l’expert pourrait être contre-productive au regard de ses conséquences sur le coût et les délais de procédure. Par ailleurs, l’amendement CF42 de la rapporteure, qui vise à imposer une motivation de la décision de refus de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, nous semble nécessaire pour assurer une bonne compréhension par nos concitoyens des décisions qui les concernent directement. En revanche, l’article 1er n’a pas à figurer dans le texte car il relève du pouvoir réglementaire.

En conclusion, nous ne nous opposerons pas à cette proposition de loi, qui constitue un pas supplémentaire pour mieux accompagner nos concitoyens face aux conséquences du réchauffement climatique. Il sera cependant nécessaire de poursuivre ce travail sur la base des propositions du rapport rédigé par la rapporteure avec Sandra Marsaud.

Mme Christine Arrighi (Écolo-NUPES). Dix millions : c’est le nombre de maisons individuelles construites sur des sols argileux qui sont menacées par le phénomène de RGA. Cette situation pourrait d’ailleurs s’aggraver, jusqu’à concerner une maison sur deux ! C’est le résultat de choix de construction datant des années 1970 et 1980, effectués par les pouvoirs publics et les constructeurs sans tenir compte de la spécificité des sols, dans une dynamique d’artificialisation à outrance de notre pays.

Le texte que nous vous proposons permet de venir en aide à ces millions de concitoyens qui font face aux lourdes procédures d’indemnisation des dommages. Il permet d’assouplir les démarches de reconnaissance de catastrophe naturelle et d’améliorer la charge de la preuve. Selon le BRGM, 48 % du territoire métropolitain se trouve en zone d’exposition forte ou moyenne. Voter ce texte, c’est décider d’accompagner des gens qui, pour la plupart, ont épargné toute leur vie pour vivre dans des maisons désormais inhabitables. Ce texte prévoit des mesures concrètes et efficaces pour garantir le droit à une vie digne et à un logement salubre.

Nous ne pouvons plus fermer les yeux face aux risques avérés du changement climatique et à ses conséquences désastreuses déjà perceptibles. La France métropolitaine vient d’enregistrer trente-deux jours consécutifs sans pluie significative, ce qui fait de février 2023 le mois le plus sec jamais enregistré, avec un déficit de précipitations d’environ 50 % et 80 % des nappes phréatiques à des niveaux bas à très bas. Chaque jour d’inaction, chaque recul, chaque reniement nous rapproche d’une catastrophe climatique incontrôlable.

Le Gouvernement s’applique à envisager une France à + 4 degrés, alors même que le PDG d’AXA nous prévenait, il y a quelques années, qu’un monde à + 3 degrés n’était pas assurable. Très récemment, en commission des finances, Groupama, Crédit Agricole et Pacifica nous indiquaient que le secteur assurantiel était organisé pour le risque conjoncturel, pas pour le risque structurel. Nous voterons donc pour ce texte.

M. Yannick Monnet (GDR-NUPES). Le Parlement a déjà voté sur ce sujet, à l’initiative du groupe Modem, la loi du 28 décembre 2021 relative à l'indemnisation des catastrophes naturelles. Celle-ci n’a toujours pas de décret d’application. Ce n’est pas très sérieux.

Le problème déjà très présent du retrait-gonflement des sols argileux va se renforcer avec la multiplication des phénomènes climatiques exceptionnels. Il est donc essentiel d’agir sur les failles du dispositif d’indemnisation : le régime des catastrophes naturelles n’est pas parfaitement adapté aux phénomènes de sécheresse-réhydratation et de nombreux sinistrés sont englués dans des litiges avec leur assurance.

Nous saluons cette proposition de loi, qui vise notamment à inverser la charge de la preuve lorsqu’il s’agit de déterminer le lien entre le retrait-gonflement des sols et les dommages causés sur le bâti. Cette disposition fait consensus parmi les associations de sinistrés. Nous approuvons aussi le relevé physique d’humidité des sols ou la définition de l’aggravation de fissures comme événement nouveau.

Son examen se télescope néanmoins avec la publication de l’ordonnance du 8 février 2023, qui prévoit une limitation des garanties des sinistrés, ce qui n’est pas acceptable et constituerait un cas unique au sein du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles. Nous espérons que l’examen de cette proposition de loi permettra de revenir sur cette disposition.

M. Charles de Courson (LIOT). Le retrait-gonflement de l’argile est un phénomène grave et important. Des millions de maisons y sont très exposées et on estime son coût, au cours des trente-trois dernières années, à environ un demi-milliard par an. Les prévisionnistes nous indiquent que ce chiffre pourrait passer à 1,3 milliard d’euros dans les trente ans à venir. La proposition de loi entend faciliter l’indemnisation de ce type de sinistres en simplifiant la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle et en présumant le lien de causalité entre le retrait-gonflement et les dégâts subis.

Madame la rapporteure, pourriez-vous nous éclairer sur l’explosion du coût des dégâts ? S’agissant des délais de travaux, les entreprises compétentes en matière de micropieux sont peu nombreuses et leurs carnets de commandes explosent : pouvez-vous nous éclairer sur les tensions qui existent sur ce marché ? Réfléchissez-vous à des solutions pour réduire le temps qui s’écoule entre l’apparition des fissures et la rénovation ?

La prévention des dégâts demeure un angle mort. Interdire toute construction sur les sols argileux semblerait une solution extrême ; il faut l’écarter, d’autant qu’elle poserait des problèmes de foncier, notamment dans le sud de la France. Renforcer les normes de construction renchérirait les coûts, alors que les prix s’envolent dans le secteur du bâtiment et que l’accès au crédit est difficile. Quelle est votre position sur ces sujets ?

Enfin, le problème de l’articulation entre le niveau d’indemnisation des sinistrés dans le cadre du dispositif de catastrophe naturelle, d’une part, et dans le cadre de leurs propres contrats d’assurance d’autre part, n’a pas été abordé. Or il arrive que le premier indemnise moins bien que les contrats.

Mme Sandrine Rousseau, rapporteure. Merci de toutes ces remarques.

Le retrait-gonflement de l’argile nous invite en effet à nous interroger sur l’avenir de notre système assurantiel face au réchauffement climatique et à ses effets sur les particuliers. C’est un problème d’une ampleur dont nous ne prenons pas suffisamment la mesure. Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat a montré que le réchauffement climatique n’est pas sous contrôle : nous devons aussi nous pencher sur la protection des populations et la résilience du système assurantiel dans notre État social.

On nous dit que cela coûte trop cher ; mais si nous limitons les dépenses d’indemnisation, ces coûts seront supportés par des particuliers. Nous laisserions des sinistrés sur le bord de la route. Nous y reviendrons, mais je suis prête à accepter des amendements qui amélioreraient le financement du régime CatNat.

S’agissant du lien entre le rapport et la proposition de loi, le premier a été remis après des mois d’auditions avec Sandra Marsaud, que je remercie ; il formule différentes propositions que je n’ai pas pu toutes reprendre dans ce texte, car certaines relèvent du domaine réglementaire et d’autres n’auraient pas passé la barre de l’article 40. Cela limite évidemment la portée de la proposition de loi. Mais je tenais à prolonger ce rapport, car l’ordonnance du 8 février 2023, loin de résoudre tous les problèmes, en crée de nouveaux. Nous avons connu cet été, puis cet hiver, une sécheresse exceptionnelle : nous devons envoyer aux sinistrés un signal fort, leur montrer que la représentation nationale s’occupe de leur situation.

Un amendement vise à demander un rapport sur l’impact financier de la proposition de loi. Sans trop spoiler, je lui donnerai un avis favorable. On estime le coût de la sécheresse de 2022 à 2,9 milliards d’euros. Si ce montant n’est pas pris en charge par un système assurantiel, alors ce sont des particuliers qui devront assumer les conséquences de cette sécheresse.

Monsieur Berteloot, nous constatons la même chose que vous : nombre de sinistrés sont laissés avec des fissures béantes et sans réponse d’aucune sorte. C’est pour cela que nous avons suggéré des améliorations concernant les arrêtés de péril.

S’agissant du rapport de force entre assurés et assureurs, la proposition de loi inverse la charge de la preuve : les assurés auront ainsi bien plus de poids, alors qu’aujourd’hui, pour refuser l’indemnisation, les assureurs prétendent souvent que le RGA n’est pas la cause des fissures.

S’agissant du montant des primes d’assurance, je suis prête à travailler, aujourd’hui ou d’ici à la séance, à des amendements sur ce thème.

Les communes limitrophes sont un sujet important : les arrêtés de catastrophe naturelle s’arrêtent aujourd’hui à la frontière administrative des communes concernées, alors que certaines communes limitrophes peuvent être affectées. Je n’ai pas pu l’inscrire dans la proposition de loi, en raison de l’article 40, mais je sais que le Gouvernement travaille sur ce sujet.

Sur la prévention, le fonds Barnier ne suffirait pas, mais serait un premier signe. Il faudrait certainement lui adjoindre d’autres crédits spécifiquement consacrés au RGA.

En ce qui concerne la question des travaux et des délais, nous proposons un label, car nombre de sinistrés se plaignent de travaux mal réalisés et de fissures qui réapparaissent.

S’agissant de la prévention et des conséquences du RGA, le Gouvernement vient de lancer un appel à projets dans le cadre du programme France 2030. Mais la recherche est bien trop absente : nous mettons la tête dans le sable face à l’ampleur de ce phénomène.

Il est donc essentiel de protéger nos concitoyennes et nos concitoyens en votant cette proposition de loi.

Avant l’article 1er

Amendement CF28 de M. Pierrick Berteloot.

M. Pierrick Berteloot (RN). Cet amendement porte sur le montant de la franchise spécifique, qui est plus élevée pour les dégâts consécutifs à un phénomène de sécheresse-réhydratation du sol. En effet, l’article A. 125-6 du code des assurances dispose que « pour les biens définis à l'article D. 125-5-3, le montant de la franchise applicable, pour chaque événement, aux dommages matériels directs définis au troisième alinéa de l'article L. 125-1 est fixé à 380 euros, sauf en ce qui concerne les dommages imputables à un mouvement de terrain consécutif à un phénomène de sécheresse-réhydratation du sol, pour lesquels le montant de la franchise est fixé à 1 520 euros ».

Cet amendement vise à interdire qu’une franchise plus élevée soit appliquée pour les dommages consécutifs à un phénomène de sécheresse-réhydratation du sol. Cela nous semble un acte de justice et de bon sens, car c’est là une rupture d’égalité. Il n’est pas concevable que, selon la catastrophe naturelle dont vous êtes victime, les franchises varient du simple au quadruple.

Mme Sandrine Rousseau, rapporteure. Le texte propose déjà des avancées concrètes pour mieux indemniser les assurés. La fixation d'une franchise plus élevée permet de maintenir quelque peu l’équilibre du système.

La proposition n° 10 du rapport que j’ai écrit avec Sandra Marsaud prévoit notamment la création d’un fonds social destiné à aider les personnes dont les franchises seraient trop élevées. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement CF28.

Article 1er A : Motivation des décisions de refus de reconnaissance d’un état de catastrophe naturelle

Amendement CF42 de Mme Sandrine Rousseau.

Mme Sandrine Rousseau, rapporteure. Les décisions de refus de reconnaissance d’un état de catastrophe naturelle ne sont pas motivées. Il est souhaitable qu’elles le soient, afin qu’il y ait un fondement sur lequel fait appel.

La commission adopte l’amendement CF42 et l’article additionnel 1er A ainsi rédigé.

Article 1er : Précision de la méthodologie de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle de sécheresse et adaptation de la durée de l’arrêté constatant l’état de catastrophe naturelle au phénomène de retrait-gonflement de l’argile

Amendement de suppression CF38 de Mme Sandra Marsaud.

Mme Sandra Marsaud (RE). Cet article traite d’un sujet que nous abordons dans notre rapport, mais qui est d’ordre réglementaire. De plus, il ne correspond pas à nos propositions.

Mme Sandrine Rousseau, rapporteure. Supprimer cet article 1er, ce serait accepter que le législateur ne prenne pas la parole sur un sujet qui touche des millions de Français. L’ordonnance du 8 février est insuffisante, et elle est en outre conditionnée à la parution de décrets, dans des délais dont nous ignorons tout. Le législateur doit prendre position et proposer des évolutions concrètes pour répondre dès maintenant à ce fléau.

Mme Véronique Louwagie (LR). Je ne comprends pas cet amendement de suppression. La situation est alarmante : plus de la moitié du territoire français serait concernée, 10 millions de maisons individuelles exposées. Mme la rapporteure a rappelé le coût extrêmement élevé de l’épisode de sécheresse en 2022 : 2,9 milliards, contre 445 millions en moyenne par an jusqu’en 2020, selon un rapport du Sénat.

Face à de tels risques, il nous appartient de nous emparer de ce sujet qui touche un grand nombre de propriétaires aujourd’hui démunis. La proposition de loi mérite sans doute des aménagements, comme l’a rappelé Mme Dalloz, mais nous nous opposons à la suppression du dispositif retenu.

M. Mathieu Lefèvre (RE). Nous sommes tout à fait ouverts sur ce texte et le sujet est important ; notre collègue Vincent Ledoux y travaille depuis des années, comme notre ancien collègue Stéphane Baudu.

Nous assumons qu’il est difficile de comprendre le critère météorologique. Mais nous ne souhaitons pas figer les critères dans la loi. Le règlement est un outil beaucoup plus souple.

La commission rejette l’amendement CF38.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CF43 de Mme Sandrine Rousseau, rapporteure.

Amendement CF15 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson (LIOT). Il vise à réduire le seuil à partir duquel la sécheresse peut être considérée comme une catastrophe naturelle, et élargit ainsi le nombre de cas dans lesquels le retrait-gonflement de l’argile peut ouvrir droit à une indemnisation.

Avec le réchauffement climatique, les règles proposées par notre rapporteure me paraissent trop laxistes : ce phénomène va devenir bien plus fréquent.

Mme Sandrine Rousseau, rapporteure. Aujourd’hui, la loi prévoit une durée de retour de vingt-cinq ans ; votre amendement propose une durée de quinze ans, plus favorable que la loi actuelle mais bien moins favorable que la proposition de loi, qui la ramène à cinq ans. Je vous propose donc de le retirer.

M. Charles de Courson (LIOT). Mais en bon centriste, je vous propose un compromis ! Si nous allons trop loin, les coûts vont exploser, et cela se répercutera sur les taxes sur les conventions d’assurance. Avez-vous pu établir une simulation sur les différentes durées ? Car avec une durée de cinq ans, nous risquons d’être en permanence dans un état de sécheresse.

M. Luc Geismar (Dem). Il convient d’abord de revoir le financement et d’évaluer les mesures nouvelles prises ces deux dernières années : nous voterons contre l’amendement.

Mme Sandrine Rousseau, rapporteure. Monsieur de Courson, je vous propose de discuter d’ici à la séance pour arriver à un compromis à dix ans – une proposition de centriste-gauche !

La commission rejette l’amendement CF15.

Elle adopte ensuite les amendements rédactionnels CF44 et CF54 de Mme Sandrine Rousseau, rapporteure.

Amendement CF55 de Mme Sandrine Rousseau.

Mme Sandrine Rousseau, rapporteure. Il vise à inscrire dans la loi la méthodologie du critère météorologique.

La commission rejette l’amendement CF55.

Amendement CF25 de Mme Véronique Louwagie.

Mme Véronique Louwagie (LR). La proposition de loi prévoit que « lorsque l’année considérée se classe entre le premier rang et le dixième rang des valeurs les plus basses de l’indicateur d’humidité des sols superficiels, l’état de catastrophe naturelle de sécheresse est constaté ». Ce critère semble trop large : les épisodes de sécheresse se multipliant, et chaque année qui vient risquant d’être plus chaude que la précédente, la déclaration de catastrophe naturelle serait trop systématique. Nous risquerions alors de voir une forte augmentation des primes d’assurance, ce qui empêcherait de nombreux particuliers de s’assurer. Cet amendement vise à corriger cette situation.

Mme Sandrine Rousseau, rapporteure. Avis défavorable. Je vous propose également de travailler ensemble d’ici à la séance publique pour trouver un compromis.

L’amendement CF25 est retiré.

Puis la commission adopte l’amendement rédactionnel CF56 de Mme Sandrine Rousseau, rapporteure.

Amendement CF58 de Mme Sandrine Rousseau et sous-amendement CF60 de M. Charles de Courson.

Mme Sandrine Rousseau, rapporteure. Il s’agit d’inscrire dans la loi le lien applicable entre les mailles et les communes, consolidant ainsi la doctrine actuelle. Lorsqu’une catastrophe naturelle de sécheresse est constatée sur une maille, c’est l’ensemble de la commune qui doit être reconnu en état de catastrophe naturelle.

M. Charles de Courson (LIOT). Le sous-amendement apporte une précision rédactionnelle afin d’éviter tout revirement de la doctrine administrative.

La commission adopte le sous-amendement CF60, puis l’amendement CF58 ainsi sous-amendé.

Elle adopte l’article 1er modifié.

Après l’article 1er

Amendement CF31 de M. Pierrick Berteloot.

M. Pierrick Berteloot (RN). Lorsque se produit un phénomène aussi complexe que celui de la sécheresse-réhydratation des sols, le citoyen est le plus souvent démuni, et plus encore lorsqu’il fait face seul à un expert mandaté par son assurance pour évaluer les dégâts et leurs causes. L’assuré, dans la plupart des cas, ne peut pas se défendre lors de la première expertise, pourtant déterminante pour la constitution du dossier.

Cet amendement vise à permettre à un propriétaire victime d’un épisode de sécheresse de se faire assister par un expert d’assuré, pris en charge par l’assurance. Le débat contradictoire doit avoir lieu dès le début de l’expertise : c’est capital pour que la victime soit correctement indemnisée.

Sans l’aide d’un expert d’assuré, le sinistré ne peut se défendre car il n’est pas un technicien ; il méconnaît bien souvent le fonctionnement du phénomène sécheresse-réhydratation. Une personne fragile ou âgée peut voir son dossier écarté sans savoir qu’elle peut demander une contre-expertise. C’est pourquoi la présence d'un expert d’assuré dès les premières investigations est essentielle.

Mme Sandrine Rousseau, rapporteure. Cette mesure nous paraît nécessaire pour qu’assureurs et assurés soient à armes égales. Nous avons cependant déposé un amendement qui satisfait le vôtre. Demande de retrait, ou avis défavorable.

La commission rejette l’amendement CF31.

Amendement CF33 de M. Pierrick Berteloot.

M. Pierrick Berteloot (RN). La contre-expertise engagée par l’assuré doit être prise en charge par son assurance.

Il n’est pas rare que le rapport de l’expert mandaté par l’assurance ne soit pas conforme aux attentes de l’assuré. Pourtant c’est de lui que dépend le sort du dossier. Il est donc normal qu’un sinistré qui se sent lésé se défende et engage un expert pour mener une contre-expertise.

Or la prise en charge par l’assureur d’une contre-expertise n’est pas systématique en cas de dommage consécutif à une sécheresse ; à ce jour, seule une minorité de compagnies d’assurance ont une clause qui la garantit, à l’inverse de ce qui se passe pour les incendies ou les inondations. Il y a une différence de traitement flagrante entre les victimes de sécheresse et d’autres catastrophes naturelles, ainsi qu’une inégalité lors de la détermination de l’origine des dommages entre le sinistré et le professionnel qui est un expert formé.

Mme Sandrine Rousseau, rapporteure. Même avis que précédemment, pour les mêmes raisons. Demande de retrait ou défavorable.

La commission rejette l’amendement CF33.

Article 2 : Instauration d’une présomption de lien de causalité entre les dommages constatés en cas de sécheresse et le phénomène de retrait-gonflement de l’argile et labélisation des principaux acteurs intervenant en situation de retrait-gonflement de l’argile

La commission adopte les amendements rédactionnels CF45, CF46, CF47, CF48 et CF49 de Mme Sandrine Rousseau, rapporteure.

Amendement CF50 de Mme Sandrine Rousseau.

Mme Sandrine Rousseau, rapporteure. Pour répondre à une très forte demande des assurés, l’amendement vise à obliger les experts à réaliser une étude de type G5.

La commission adopte l’amendement CF50.

En conséquence, l’amendement CF20 de M. Frédéric Mathieu tombe.

Amendement CF37 de M. Pierrick Berteloot.

M. Pierrick Berteloot (RN). Par cet amendement, nous souhaitons garantir une expertise fiable et honnête, dans l’intérêt des sinistrés. Les conflits entre les assurés et les assurances portent presque exclusivement sur le rapport d’expertise. Ce n’est guère étonnant puisque les experts en assurance sont commissionnés par les assurances elles-mêmes et travaillent conformément aux intérêts de leur employeur. Ce lien de subordination empêche souvent une expertise véritablement juste. Contraindre les assurances à faire appel à un expert indépendant garantirait une expertise impartiale et apaiserait les rapports entre les parties. Rappelons que l’expert prête serment d’accomplir sa mission, et de donner son avis avec honneur et conscience, objectivité et impartialité.

Mme Sandrine Rousseau, rapporteure. Cet amendement sera satisfait, à mon sens, par la création de labels spécifiques à l’expertise dont nous allons discuter. Le fait qu’un expert soit reconnu par un organisme d’État inscrit sur les listes des cours d’appel et des cours administratives d’appel, comme vous le proposez, ne permettrait de justifier ni de leur compétence sur les RGA, ni de leur indépendance. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement CF37.

Amendement CF21 de Mme Élise Leboucher.

Mme Élise Leboucher (LFI-NUPES). Nous proposons que, lorsque l’assuré conteste les conclusions de l’expertise réalisée par l’assureur, il puisse faire procéder à une contre-expertise par un expert mandaté par les services de l’État, à la charge de l’assureur.

Mme Sandrine Rousseau, rapporteure. Avis favorable. Cela rassurerait les sinistrés.

Mme Sandra Marsaud (RE). Le financement intégral par l’assureur créerait des effets d’aubaine : tous les assurés demanderaient une contre-expertise. Cela détériorerait, entre autres, le résultat technique des assurances et se répercuterait tôt ou tard sur la surprime, au détriment des assurés.

Vous proposez en outre que l’expert de l’assuré soit mandaté par l’État. L’application de cette disposition se heurterait à des difficultés concrètes à court terme. Il est nécessaire de constituer un corps d’experts réputés compétents, comme nous le proposons dans notre rapport, avant de voter ce type d’amendements.

M. Pierrick Berteloot (RN). Nous voterons pour cet amendement. Madame Rousseau, vous avez dit, au début de la réunion, que vous donneriez un avis favorable aux amendements qui visent à améliorer la proposition de loi. Or, l’amendement que j’ai proposé précédemment est très similaire à celui-ci ; par certains côtés, il va même plus loin. Mieux vaudrait que vous disiez clairement que vous ne voterez aucun des amendements émanant de notre groupe, bien qu’ils aient été préparés avec M. Dehaudt, président de l’association CatNat Flandres, avec qui vous avez travaillé pour élaborer votre rapport.

M. Charles de Courson (LIOT). La rédaction de cet amendement n’est pas très claire. En effet, il prévoit que l’assuré a la faculté « de se faire assister par un expert mandaté par les services de l’État ». On peut en déduire que l’assuré ne pourra pas choisir l’expert. Pourrait-on avoir des précisions à ce sujet ?

Mme Sandrine Rousseau, rapporteure. Je partage votre avis : c’est une formulation ambiguë. Mieux vaudrait écrire que l’expert est labellisé par les services de l’État, ce qui est l’objet d’un prochain amendement. Madame Leboucher, je vous propose de retirer votre amendement.

L’amendement CF21 est retiré.

La commission adopte l’amendement rédactionnel CF51 de Mme Sandrine Rousseau, rapporteure.

Amendement CF52 de Mme Sandrine Rousseau.

Mme Sandrine Rousseau, rapporteure. Voilà cet amendement qui propose de créer un label pour les entreprises et les experts, ce qui, outre le fait de rassurer les sinistrés, permettrait de remédier à l’incapacité des experts à mesurer tous les effets des RGA, que l’on constate dans nombre de dossiers. C’est une mesure très importante.

M. Luc Geismar (Dem). L’idée est très bonne mais il faudrait au préalable travailler sur le sujet avec les assureurs et les experts. Il ne faut pas forcément passer par la loi. Nous voterons contre l’amendement.

M. Philippe Brun (SOC). En tant que législateur, nous ne pouvons pas renvoyer en permanence au décret. L’intérêt de cette proposition de loi est de nous offrir l’occasion de débattre d’un sujet majeur dans nos territoires.

En outre, nous savons depuis 1982 et la décision du Conseil constitutionnel Blocage des prix et des revenus que le législateur peut adopter des dispositions dans le domaine du règlement, le Gouvernement ayant ensuite la faculté de les délégaliser sur le fondement de l’article 37, alinéa 2, de la Constitution. L’argument selon lequel certaines des dispositions de la proposition de loi appartiendraient au domaine réglementaire n’est donc pas recevable. Nous nous honorons à agir dans l’intérêt de nos concitoyens, pour assurer une meilleure indemnisation de ces dégâts écrasants.

La commission adopte l’amendement CF52.

Elle adopte l’article 2 modifié.

Article 2 bis : Possibilité offerte à la victime de dommages dus au retrait-gonflement de l’argile d’utiliser l’indemnité reçue en réparation de ceux-ci pour faire construire ou acquérir un nouveau logement

Amendements CF22 de M. Frédéric Mathieu et CF53 de Mme Sandrine Rousseau (discussion commune).

M. Frédéric Mathieu (LFI-NUPES). Nous proposons de tirer par anticipation les conséquences de l’adoption de la proposition de loi en demandant l’abrogation de l’ordonnance du 8 février 2023.

Mme Sandrine Rousseau, rapporteure. L’amendement CF53 vise à ce que l’indemnité perçue pour réparer les dommages consécutifs aux mouvements de terrain différentiels puisse être employée à la construction d’un nouveau logement. C’est une demande très forte des sinistrés, qui n’ont pas tous la possibilité d’effectuer les travaux nécessaires.

Monsieur Mathieu, je vous propose de retirer votre amendement. L’ordonnance du 8 février dernier est certes insuffisante mais elle se traduit tout de même par quelques avancées, en particulier la reconnaissance de la « succession anormale d’événements de sécheresses d’ampleur significative », qui ne figure pas dans la proposition de loi. Par ailleurs, les défauts de l’ordonnance sont assez bien compensés par la loi.

M. Charles de Courson (LIOT). Une ordonnance doit être ratifiée. Quand le Gouvernement souhaite-t-il la soumettre au vote ? Il en sera question en séance publique.

L’amendement CF22 est retiré.

La commission adopte l’amendement CF53 et l’article additionnel 2 bis ainsi rédigé.

Après l’article 2 bis

Amendement CF24 de M. Frédéric Mathieu.

Mme Charlotte Leduc (LFI-NUPES). Nous souhaitons évaluer les critères de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle en cas de retrait-gonflement de l’argile afin, notamment, de s’assurer que la proposition de loi permettra une meilleure prise en charge des sinistres. Les critères actuels sont peu adaptés au RGA, dont la causalité peut être complexe à établir, notamment du fait d’une possible apparition des dégâts de manière différée. Le critère météorologique est la principale source de contentieux. Le modèle de simulation de Météo France repose sur des calculs par saison, sans prise de mesures sur le terrain. Selon la Cour des comptes, le critère de la sécheresse saisonnière n’est pas adapté à l’alternance entre sécheresse et réhydratation. En outre, la modélisation à partir de mailles de 64 kilomètres carrés se traduit par le fait que l’intensité anormale de la sécheresse ne s’apprécie ni au niveau de la parcelle concernée par le sinistre, ni au niveau de la commune.

L’article 1er de la proposition de loi prévoit de prendre en compte les mesures de variation d’humidité du sol prises sur le terrain afin de caractériser le RGA, et de reconnaître l’état de catastrophe naturelle dès lors que l’année considérée fait partie des dix les plus sèches des cinquante années qui l’ont précédée. Nous proposons d’évaluer ces critères afin de confirmer qu’ils permettent de réaliser des analyses sur site.

Mme Sandrine Rousseau, rapporteure. Avis favorable.

M. Nicolas Sansu (GDR-NUPES). Je voterai cet amendement. La commune de Vierzon, dont j’ai été le maire pendant quelques années, est traversée par une veine argileuse. Nous avons créé une association avec les victimes de RGA et leur demandons de déposer un dossier tous les deux mois, pour s’assurer qu’ils n’auront pas de problème de dates. Cela ne peut pas continuer comme cela. Il est indispensable d’élargir les périodes prises en compte.

M. Mathieu Lefèvre (RE). Depuis le début, il y a un grand oublié dans ce débat : le coût de cette indemnisation supplémentaire. Nous souhaitons tous que les critères soient élargis, mais de deux choses l’une : soit ces 500 millions sont financés par l’État, et il faut expliquer comment, soit le dispositif est assurantiel, ce qui implique un prélèvement sur les marges des assurances – pourquoi pas ? – ou une surprime payée par les Français. Si c’est votre choix, il faut l’assumer. À titre personnel, j’y suis tout à fait défavorable. Nous avons déposé l’amendement qui suit pour que le Gouvernement nous soumette des pistes de financement de cet élargissement.

La commission rejette l’amendement.

Article 2 ter : Demande de rapport sur les incidences financières de la présente loi

Amendement CF40 de Mme Sandra Marsaud.

Mme Sandra Marsaud (RE). Nous proposons donc que le Gouvernement remette un rapport sur les conséquences de l’accroissement du nombre de sinistres à indemniser que va entraîner la présente proposition de loi. Nous avons mis en lumière, dans notre rapport d’information, la fragilisation du régime actuel et les défauts du système d’indemnisation. Nous devons connaître plus précisément les pistes de financement.

Mme Sandrine Rousseau, rapporteure. Avis favorable. Je ne comprends pas pourquoi vous vous êtes opposés à la demande de rapport de l’amendement précédent, qui visait à revoir les frontières du régime des catastrophes naturelles. Il faut permettre l’évolution de ce régime, qui a atteint ses limites.

M. Mathieu Lefèvre (RE). Madame la rapporteure, comment comptez-vous évaluer le coût de cet élargissement, et le compenser ? Quelles propositions ferez-vous en séance ?

M. Charles de Courson (LIOT). Le coût annuel moyen de ces catastrophes, au cours des trente dernières années, s’est élevé à 500 millions. Les études les plus récentes montrent qu’il devrait être multiplié par deux et demi, pour atteindre 1,3 milliard. Je ne vois qu’une solution : l’augmentation des taxes affectées. Il ne faut pas le dissimuler.

Mme Sandrine Rousseau, rapporteure. Le changement climatique va coûter de l’argent, et même beaucoup, ce n’est pas un scoop. C’est pour cela qu’il faut s’adapter au plus vite. En attendant, ma proposition de loi vise à changer le rapport de force entre assurés et assureurs, pour donner un peu d’air à des personnes qui se trouvent en très grande détresse. Et j’accepte votre demande de rapport, car le financement est un sujet important.

La commission adopte l’amendement CF40 et l’article additionnel 2 ter ainsi rédigé.

Article 2 quater : Demande de rapport sur les incidences sur les finances publiques de l’allongement du délai durant lequel l’assuré peut déclarer un sinistre à l’assureur à compter de la publication de l’arrêté interministériel constatant l’état de catastrophe naturelle

Amendement CF57 de Mme Sandrine Rousseau et sous-amendement CF59 de M. Charles de Courson.

Mme Sandrine Rousseau, rapporteure. C’est encore une demande de rapport, pour évaluer les conséquences de l’allongement du délai pendant lequel l’assuré peut déclarer un sinistre à l’assureur à la suite de la publication de l’arrêté interministériel constatant l’état de catastrophe naturelle. En effet, les fissures peuvent apparaître dans un second temps. Les assurés subissent une véritable maltraitance administrative, il faut y mettre fin.

M. Charles de Courson (LIOT). Les propriétaires ont dix jours pour déposer leur demande une fois l’arrêté publié. C’est bien trop bref. J’avais déposé un amendement pour porter ce délai à trente jours, auquel vous avez opposé, monsieur le président, l’irrecevabilité financière. Je m’en étonne, puisque les droits sont déjà ouverts.

M. le président Éric Coquerel. Votre amendement indiquait « au moins trente jours ».

M. Charles de Courson (LIOT). Il faut trouver une solution. Beaucoup de gens laissent passer le délai. Les maires sont contraints de diffuser des tracts pour alerter la population, et même cela ne suffit pas. Je me joins donc à cette demande de rapport.

Mme Sandrine Rousseau, rapporteure. Avis favorable au sous-amendement.

M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général. Madame la rapporteure, personne ne découvre aujourd’hui que la transition écologique nécessite des fonds colossaux dans de nombreux domaines. Nous nous efforçons de dégager des marges de manœuvre pour la mener à bien. La loi de finances pour 2023 en atteste, et j’espère que le projet de loi de finances pour 2024 amplifiera le mouvement. Mais il n’est pas scandaleux que les commissaires aux finances soulèvent la question du financement de votre proposition de loi. Le rapport demandé au Gouvernement devrait apporter des clarifications, qui s’ajouteront à celles que vous avez fournies dans le rapport d’information publié par le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques. Toutefois, je m’étonne que vous ne nous disiez pas d’ores et déjà comment vous envisagez les choses.

Mme Sandrine Rousseau, rapporteure. Notre rapport d’information et le rapport que remettra le Gouvernement dessineront des pistes très intéressantes pour consolider le régime CatNat.

La commission adopte successivement le sous-amendement CF59 et l’amendementCF57 ainsi sous-amendé et l’article additionnel 2 quater ainsi rédigé.

Article 2 quinquies : Demande de rapport sur la prévention du risque de sécheresse-réhydratation des sols

Amendement CF14 de M. Michel Castellani.

M. Michel Castellani (LIOT). Nous demandons un rapport du Gouvernement, dans un délai de deux mois à compter de la promulgation de la loi, sur la prévention du risque de sécheresse-réhydratation des sols. Un rapport avait été demandé par la loi du 28 décembre 2021 relative à l’indemnisation des catastrophes naturelles mais, quinze mois après sa promulgation, il n’a toujours pas été transmis.

Mme Sandrine Rousseau, rapporteure. La loi le prévoit déjà, en effet, mais cela servira de piqûre de rappel… Avis favorable !

La commission adopte l’amendement CF14 et l’article additionnel 2 quinquies ainsi rédigé.

Article 2 sexies : Demande de rapport sur l’opportunité d’élargir les possibilités de recours des sinistrés et des élus locaux vis-à-vis de l’État et des assurances

Amendement CF1 de M. Fabien Di Filippo.

M. Fabien Di Filippo (LR). Compte tenu de la multiplication des épisodes de sécheresse et de précipitations abondantes, l’état de catastrophe naturelle n’est pas systématiquement décidé. Lorsque l’arrêté n’est pas pris, les personnes affectées par le RGA sont privées de tout droit de recours individuel ; les maires ne peuvent pas davantage intervenir. Je propose qu’il nous soit remis un rapport évaluant l’opportunité d’élargir les possibilités de recours dans ce cas.

Mme Sandrine Rousseau, rapporteure. Il s’agit d’un sujet très important, qui mérite la remise d’un rapport.

M. Charles de Courson (LIOT). L’indemnisation prévue par le contrat d’assurance est souvent plus avantageuse que celle résultant du dispositif des catastrophes naturelles. Il y a un vrai problème d’articulation entre ce dispositif et les assurances privées. Il faut en discuter avec la Fédération française de l’assurance.

La commission adopte l’amendement CF1 et l’article additionnel 2 sexies ainsi rédigé.

Article 2 septies : Demande de rapport sur l’opportunité de mobiliser le fonds de prévention des risques naturels majeurs pour financer les expérimentations de techniques de prévention du risque de retrait-gonflement de l’argile

Amendement CF27 de Mme Véronique Louwagie.

Mme Véronique Louwagie (LR). Cet amendement reprend une proposition de la sénatrice Christine Lavarde, qui est l’auteure d’un rapport d’information sur le financement du risque de retrait-gonflement de l’argile et de ses conséquences sur le bâti. Il vise à renforcer la prévention, qui est probablement l’angle mort de la politique publique de lutte contre les dégâts liés au retrait et au gonflement de l’argile. Nous demandons la remise d’un rapport sur l’opportunité de mobiliser le fonds de prévention des risques naturels majeurs pour financer les expérimentations en matière de prévention du risque d’ici au 31 août prochain.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission adopte l’amendement CF 27 et l’article additionnel 2 septies ainsi rédigé.

Article 3 : Gage de recevabilité financière

La commission adopte l’article 3 non modifié.

La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

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*         *

Puis la commission examine le rapport d’information sur l’économie de guerre (M. Christophe Plassard, rapporteur spécial des crédits des programmes 144 Environnement et prospective de la politique de défense et 146 Équipement des forces de la mission Défense).

M. le président Éric Coquerel. Notre ordre du jour appelle la présentation d’un rapport d’information sur l’économie de guerre par M. Christophe Plassard, en sa qualité de rapporteur spécial des crédits de la mission Défense. Ce sujet nous intéresse particulièrement dans le contexte géopolitique actuel et alors que le projet de loi de programmation militaire (LPM) sera présenté en Conseil des ministres la semaine prochaine. M. Plassard souhaitait ainsi présenter son rapport sans attendre l’échéance du Printemps de l’évaluation, afin qu’il puisse enrichir notre réflexion lors de l’examen de ce projet de loi, dont notre commission se saisira pour avis.

M. Christophe Plassard, rapporteur spécial. Le Président de la République a déclaré, au salon Eurosatory en juin 2022, que la France était entrée « dans une économie de guerre […] dans laquelle on ne peut plus vivre au même rythme, avec la même grammaire d'il y a un an […] L’exigence sera plus ambitieuse, pour aller plus vite, plus fort, au moindre coût, pour innover plus rapidement ».

Dans un contexte géopolitique toujours plus incertain, la France n’est pas épargnée. Nos intérêts sont de plus en plus menacés, non seulement à l’intérieur de nos frontières, mais aussi en Indo-Pacifique et en Afrique. La LPM, qui arrivera bientôt devant notre Assemblée, devrait permettre d’accélérer la remontée en puissance de nos armées entamée depuis 2019.

Or, si l’augmentation des crédits budgétaires est une nécessité, elle n’est pas suffisante à elle seule. Nous devons mobiliser pleinement notre industrie de défense pour être prêts à relancer la production d’armement. Ce qui était jusqu’alors une variable d’ajustement est devenu une impérieuse nécessité pour préparer l’avenir.

Pour cela, il nous faut passer en économie de guerre. L’économie de guerre, ce n’est pas l’économie dans la guerre, mais un nouveau logiciel dans lequel nos forces armées, la direction générale de l’armement (DGA) et l’ensemble de la base industrielle et technologique de défense (BITD) sont capables de produire davantage, plus rapidement, et de soutenir ces efforts dans la durée.

Passer en économie de guerre, cela ne se déclare pas : cela se prépare, cela se finance. Lorsque j’ai lancé cette mission d’information, je souhaitais travailler particulièrement sur l’accès de l’industrie de défense aux capitaux nécessaires au financement de l’économie de guerre. Il s’agissait ainsi de faire un point d’étape sur le rapport de Françoise Ballet-Blu et Jean-Louis Thiériot de 2021, mais aussi de réaliser un audit sur la manière dont les pouvoirs publics ont appréhendé cette problématique de l’économie locale. Toutefois, les auditions ont révélé que les freins à cette remontée en puissance sont multiples. L’économie de guerre a besoin de capitaux financiers, mais aussi d’un capital humain et d’un capital confiance tout aussi indispensables.

Dans un premier temps, produire davantage suppose des investissements importants et supplémentaires pour les industriels. Ces derniers ont donc besoin d’une visibilité, qui peut être garantie d’une part par la LPM à venir et d’autre part par les bons de commande aux industriels.

Sur ce point, l’investissement de l’État est indispensable, car la commande publique n’est pas suffisante. Le marché national ne permettant pas de rentabiliser les investissements nécessaires, il lui faut s’ouvrir aux marchés extérieurs et exporter. Or, un État étranger n’achètera jamais à une entreprise des produits qu’elle n’a pas vendus à la France. En effet, il a besoin de savoir que le matériel qu’il acquiert est battle-proven. Si la France n’a pas confiance dans ses industries françaises pour participer à sa défense, qui le fera ? C’est encore plus vrai pour les entreprises ou les technologies nouvelles. Il est donc nécessaire que l’État accorde plus de marchés aux PME et aux start-ups afin de soutenir des innovations de rupture et des expérimentations au plus près du terrain. En effet, les grands groupes soutiennent les PME sous-traitantes, juste assez pour préserver leur chaîne d’approvisionnement, mais pas suffisamment pour leur permettre de se développer et de prospérer, au risque de voir en elles de potentiels concurrents. Ces chaînes d’approvisionnement doivent justement être sécurisées, à tout prix. La DGA a lancé une mission de cartographie des goulets d’étranglement : elle en a identifié plus de deux cents et en a résolu une trentaine à ce jour.

Il est également nécessaire de reconstituer et d’accroître les stocks stratégiques de matières premières et de composants sensibles afin d’anticiper l’accroissement des besoins en répartissant ces investissements de façon équilibrée entre les industriels et l’État. Cela peut notamment s’appuyer sur une mutualisation des stocks entre les industries civiles et militaires et entre les différents partenaires européens, tout en donnant l’ordre aux entreprises de renforcer leurs stocks stratégiques, par l’incitation ou par l’obligation.

L’État doit également prendre sa part pour relocaliser les productions et les entreprises stratégiques, afin de renforcer notre souveraineté. Ainsi, le Gouvernement a manifesté sa volonté de relocaliser la production de poudre d’obus à Bergerac ou encore des pièces critiques de moteurs d’hélicoptères dans le Puy-de-Dôme. J’en profite d’ailleurs pour vous alerter sur la situation de la société Segault, une PME stratégique qui équipe nos sous-marins nucléaires, mais également notre porte-avions Charles de Gaulle : si l’État n’agit pas, cette société passera sous contrôle américain au deuxième trimestre de cette année.

Afin de produire plus vite, nous devons procéder à plusieurs simplifications pour gagner en agilité. Cette recommandation s’applique notamment aux équipements et aux cahiers des charges, qui ont un impact excessif sur les coûts d’acquisition et de soutien – le maintien en condition opérationnelle (MCO) – ainsi que les délais de conception et de production. En effet, en économie de guerre, quel est l’intérêt de produire un missile capable de supporter des températures de moins 40 degrés, quand on sait qu’il ne sera jamais exposé à une température inférieure à moins 20 ?

La simplification doit aussi concerner les normes et les procédures. Notre industrie de défense est soumise à un enchevêtrement d’ordres et de procédures parfois absurdes et souvent démesurées. Ainsi, le code du travail, qui encadre la manipulation des explosifs, impose à notre BITD de procéder à ces essais indispensables de missiles hors de France, entraînant des coûts et des délais supplémentaires disproportionnés.

Cependant, tous les moyens que nous déploierons seront inutiles si nous n’avons pas le capital humain qualifié nécessaire à la montée en puissance de notre outil de production. Alors que la concurrence joue désormais entre les entreprises et les secteurs pour séduire les salariés, c’est à l’industrie de défense de faire en sorte d’attirer le plus possible les talents. Les processus de recrutement sont longs : la main-d’œuvre doit être formée à ces métiers techniques et les antécédents doivent être criblés de manière à ne pas laisser entrer n’importe qui dans des secteurs sensibles.

C’est pourquoi il est nécessaire de sécuriser ces emplois : à l’entrée, en garantissant que les étudiants qui sortent de l’École normale supérieure, de Polytechnique ou de Centrale retrouvent le goût du service de l’État plutôt que celui des salles de marché ; à la sortie, il faut mettre en place une réserve industrielle pour les jeunes retraités qui souhaiteront former la main-d’œuvre supplémentaire venue en cas de besoin grâce à des contrats d’intérim ou des portages salariaux.

Enfin, si l’on veut pouvoir assumer les coûts de l’économie de guerre, il convient d’assurer l’accès de l’industrie au capital financier. Le constat formulé par le Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (Gicat) en 2020, puis par Jean-Louis Thiériot et Françoise Ballet-Blu en 2021 se confirme en 2023, même si la guerre en Ukraine semble avoir fait bouger les lignes et que le soutien des Français envers leur armée ne se dément pas. Les banques et les institutions financières sont de plus en plus réticentes à financer l’industrie de la défense. J’en ai effet eu accès à des enregistrements téléphoniques et à des courriels dans lesquels des banques refusent catégoriquement l’accès de certaines entreprises duales à des prêts, ou même à l’ouverture d’un compte, pour la seule raison qu’elles sont impliquées dans l’industrie de défense. Elles en arrivent à le dissimuler, comme pour la pornographie. Certaines banques, comme la HSBC ou le Crédit Mutuel Océan, annoncent clairement n’accorder aucun encours au secteur de la défense, de la sécurité ou de la production d’armes à des fins militaires ou de police.

Il est donc urgent de réhabiliter l’image de notre industrie de souveraineté. Il appartient à chaque pan de l’État, parlementaires compris, d’y contribuer face aux entreprises de déstabilisation d’acteurs dits de la société civile, au mieux idéalistes et ignorants des standards particulièrement exigeants de notre pays en matière de défense, au pire, de connivence avec des pays qui ont intérêt à étouffer la défense européenne.

Cette réhabilitation peut passer par la création d’un label ou par l’intégration des entreprises de souveraineté au label « investissement socialement responsable ». Aussi, cette réalisation doit dépasser nos propres frontières et être portée jusqu’à l’Union européenne où les statuts de la Banque européenne d’investissement (BEI), dont les actionnaires sont les États membres de l’Union, excluent le financement de la BITD. Il faut approfondir et accélérer la mise en place des référents défense pour en faire des guichets uniques dans chaque banque, pour les entreprises du secteur, afin de renforcer les liens entre le monde de la finance et l’industrie de la défense.

Il est aussi nécessaire de rediriger l’épargne des Français, qui s’élevait fin 2022 à près de 510 milliards d’euros. Cela peut prendre la forme d’une redirection des financements du livret A, de la création d’un nouveau livret d’épargne réglementé, de la création d’un dispositif d’incitation fiscale ou, pourquoi pas, d’un grand emprunt d’État.

Enfin, on peut envisager de mettre les banques autour d’une table pour convenir de la création d’un pool bancaire géré par une entité publique spécifiquement dédiée à l’industrie de souveraineté. Ainsi, il permettrait d’accélérer le financement de l’économie de guerre et de protéger les banques face aux campagnes de déstabilisation dont elles font l’objet pour mettre à mal leur réputation, leur éthique ou leurs pratiques.

Les grands enseignements de ce travail sont la nécessité d’un triptyque capital confiance, capital humain, capital financier. Gageons que nous sommes tous capables de fournir ces efforts, et que la LPM que nous examinerons prochainement n’en sera que la première étape.

M. Émeric Salmon (RN). Votre rapport soulève des questions fondamentales pour la défense nationale : prioriser les PME dans la commande publique, relocaliser les productions critiques, lever les réticences des banques à financer nos industries de défense par peur des sanctions extraterritoriales américaines et surtout protéger nos entreprises des risques de rachat par des investisseurs étrangers.

C’est sur ce dernier point que je souhaite insister. En octobre 2022, plusieurs de mes collègues du Rassemblement national alertaient le Gouvernement sur le grave danger que représentait le rachat de l’entreprise Exxelia par le groupe américain Heico. Exxelia est une entreprise de la plus haute importante stratégique pour préserver notre indépendance et notre souveraineté. Elle fournit une grande partie de nos systèmes militaires : nos sous-marins Barracuda, les Rafale ou les lanceurs spatiaux Ariane 5. Or, l’État a laissé faire ce rachat, abandonnant ce fleuron industriel. Monsieur le rapporteur, comment vos recommandations permettront-elles d’empêcher un nouveau fiasco de cet ordre ?

Nous serons également vigilants sur le risque de rachat de l’entreprise de robinetterie Segault que vous avez évoqué.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Pour commencer, nous ne sommes pas en guerre : il me semble inopportun de s’obliger à penser sous l’empire d’un slogan comme celui de l’économie de guerre, quel que soit le degré de soutien que l’on souhaite apporter à l’Ukraine.

Le rapport témoigne du retour de bâton des politiques qui ont été menées dans le domaine de l’économie de défense ces dernières années. En effet, il nous indique qu’il faut rompre avec les logiques que vous avez promues ces vingt dernières années : le new public management, avec des attaques contre les statuts d’ouvrier et d’ingénieur d’État ; le pantouflage, longtemps encouragé, entraînant des pertes de ressources humaines, d’agilité, d’expertise et donc d’efficience ; la logique de flux, qui a prévalu sur la logique de stock, alors qu’elle va à l’encontre de l’esprit même de la défense et de son principe. La réforme des bases de défense, menée sous Nicolas Sarkozy, a ainsi mis en danger la résilience et la profondeur stratégiques, qui ont été redécouvertes comme des impératifs à l’occasion de la crise du covid.

Il faut aussi en finir avec la logique de privatisation et d’ouverture de marché qui a conduit à la survalorisation de l’export. Vous évoquez des problèmes de réputation : en réalité, le soutien à l’export est un poste de dépense très important, puisque neuf cents agents y sont alloués, soit plus de la moitié des effectifs du ministère de l’économie consacrés à la défense de l’exportation. Cette survalorisation de l’export a elle aussi entraîné une perte de souveraineté. L’ouverture des marchés s’est accompagnée de rachats d’entreprise : il a été question, entre autres, d’Exxelia, de Latécoère, d’Alstom, d’Alcatel, de Segault ou d’Aubert & Duval.

Cette survalorisation de l’export provoque une inadaptation des produits développés au besoin national, puisque la balance entre rusticité et technicité n’a plus été un sujet de préoccupation dès lors qu’étaient visés des marchés à très forte valeur ajoutée ou capables de payer de très fortes valeurs ajoutées. Je pense notamment aux marchés du Golfe, qui ne respectent pas les droits humains. Cette dépendance accrue à des régimes bafouant les droits humains est un grave problème.

Le cadre européen, en outre, est déstructurant : la proposition de règlement relatif à la mise en place d’un instrument visant à renforcer l’industrie européenne de la défense au moyen d’acquisitions conjointes (Edirpa) est un échec prévisible, étant donné la faible préoccupation de nos partenaires européens pour l’industrie. Les réductions de marge de manœuvre pèsent sur le pilotage de l’économie. En réalité, ce qu’il nous faut désormais, c’est une vraie planification, qui sécurise le financement et les approvisionnements, organise la transition énergétique et tire le meilleur parti de l’exploitation de la dualité des technologies du secteur.

Mme Véronique Louwagie (LR). Je tiens à saluer les travaux du rapporteur. L’approche qui consiste à prévoir, anticiper et organiser en amont devrait être adoptée bien plus fréquemment. Nous pourrions d’ailleurs élargir ces recommandations à tous les domaines qui relèvent de la souveraineté industrielle, et pas uniquement à l’industrie de défense.

Vous avez évoqué le risque de rachat de la société Segault qui équipe nos sous-marins nucléaires. Le président de notre groupe, Olivier Marleix, a posé une question à ce sujet à la Première ministre hier. Il s’agit en effet d’un enjeu essentiel à la fois pour notre souveraineté industrielle et notre sécurité.

Nous attendons avec impatience la LPM, qui pourra s’appuyer sur vos propositions et celles de Jean-Louis Thiériot qui a travaillé sur ces sujets.

S’agissant de la mobilisation des ressources humaines, vous soulignez un manque de main-d’œuvre qualifiée et suggérez d’entretenir un vivier. Quels dispositifs permettraient selon vous d’y remédier ?

Mme Lise Magnier (HOR). L’économie de la défense est un enjeu majeur pour notre pays, auquel doit contribuer l’ensemble de la Nation – citoyens, entreprises et banques. En tant que députée de la quatrième circonscription de la Marne, je sais que cette économie représente avant tout des emplois dans nos territoires, souvent à proximité de nos bases de défense. Plusieurs régiments de l’armée de terre sont installés dans ma circonscription et ont tissé des liens avec les entreprises et les grands groupes industriels implantés dans des territoires souvent ruraux. Je pense notamment au 40e régiment d’artillerie à Suippes, à proximité de l’entreprise du Bronze Industriel, leader international des alliages ferreux. La recherche que mènent ces industriels est indispensable à notre armée.

Vous avez évoqué l’enchevêtrement et la lourdeur des procédures des cahiers des charges. La réflexion sur leur allègement devrait être menée en s’appuyant sur l’expertise de ces entreprises labellisées défense.

Le financement de ces entreprises est également un problème, malgré la prise de conscience liée à la guerre en Ukraine. Vous invitez notre système de financement à faire preuve de moins de naïveté. Quelles seraient les solutions ? Les banques sont-elles coupables de l’absence de financements de notre industrie de défense, ou simplement victimes, notamment, des diverses réserves de l’opinion publique ?

Mme Constance Le Grip (RE). Je tenais à saluer la qualité du travail du rapporteur et à souligner que le rôle de la commission des finances, par-delà l’examen régulier de textes budgétaires, est également de poser des jalons pour l’avenir, sans pour autant sacrifier le court terme. Vos préconisations pour le développement d’une économie de guerre l’illustrent bien.

Les enjeux de souveraineté ont été clairement exposés. Nous les partageons, sans naïveté, mais en toute lucidité. Il nous faut également être conscients que l’ensemble des enjeux que vous avez évoqués doivent être appréhendés sous le prisme européen. La souveraineté européenne et la souveraineté française doivent en effet se compléter et s’articuler, notamment dans le secteur de l’industrie de la défense, afin d’apporter les progrès et la réponse adaptés aux défis du monde.

M. le président Éric Coquerel. Votre rapport montre bien les enjeux d’une souveraineté nationale sur l’équipement militaire et l’armement. Vous donnez quelques pistes pour l’améliorer, mais je crois qu’il nous faut parler d’objectifs, et même d’obligations.

Je défends pour ma part une vision indépendantiste de la souveraineté nationale et de la défense française, y compris vis-à-vis de l’OTAN et même de l’Union européenne. Le choix des Allemands d’acheter des F-35 au détriment d’un modèle français montre en effet les limites d’une souveraineté qui reposerait sur une coopération obligatoire dans le cadre de l’Union européenne. Je crois que cette dernière nous exposerait à des désillusions. Nous avons tous assisté aux errements de politiques qui, au nom du marché, nous ont par exemple conduits à ne même plus produire les cartouches de nos armes de poing. Il me semble que nous devons plutôt tâcher d’ouvrir une nouvelle ère.

M. Christophe Plassard, rapporteur spécial. Concernant Exxelia, l’État s’est vu attribuer une golden share, qui lui permet de garder un pied dans l’entreprise même s’il n’est pas majoritaire au capital.

S’agissant des solutions envisageables pour renforcer l’accès des entreprises de la BITD aux financements, il serait possible de créer de nouveaux fonds de capital-développement, en complément de Definvest. Par ailleurs, on assiste à l’émergence de fonds d’investissement privés français comme Tikehau Capital ou Weinberg Capital Partners, ce qui permet de garantir la souveraineté de nos entreprises lorsqu’elles sont en quête de capital pour s’agrandir. Ces fonds sont aussi un levier pour transformer nos PME en ETI – alors que ce changement d’échelle est souvent difficile à réaliser en France.

M. Saintoul, je vous confirme que nous ne sommes pas en guerre. J’ai établi une distinction entre l’économie « de guerre » et l’économie « de la guerre ». Je partage votre point de vue sur la logique de flux et de stock. La LPM qui s’achève, et qui pour la première fois a été respectée jusqu’à son terme, ainsi que celle qui s’annonce, marquent un réengagement de l’État à cet égard.

L’export, par ailleurs, est essentiel. Notre marché domestique n’est pas suffisant pour rentabiliser les investissements. Nous sommes obligés d’aller vers l’export. On ambitionne de produire davantage et à moindre coût ; pour cela il est nécessaire d’aller chercher des commandes à l’export. Cela est indispensable pour la solidité de notre BITD.

J’ajoute que le comportement de la France est exemplaire en matière d’export. Certaines ONG ont tendance à nous montrer du doigt, mais elles évoquent parfois des traités que nous n’avons même pas ratifiés. L’industrie de la défense est par définition interdite à l’export, sauf autorisation spéciale. Il est donc évident que la France ne fabrique ni n’exporte d’armes interdites.

Mme Magnier, les banques et les fonds d’investissement sont à la fois coupables et victimes. Certains fonds d’investissements étrangers se comportent très différemment lorsqu’ils sont sur leurs marchés exports et lorsqu’ils sont sur leur marché domestique. Outre les règles de compliance, les établissements financiers sont victimes des ONG qui tentent de nuire à leur respectabilité. Ils ont dès lors tendance à être dans une démarche de protection : lorsqu’ils disposent d’un portefeuille dans lequel la défense ne représente que 2 ou 3 %, ils vont éviter de mettre en danger l’ensemble de leurs autres activités et l’épargne qu’on leur a confiée. Or, si certaines ONG peuvent opérer de manière transparente, d’autres agissent sans doute comme le bras armé d’intérêts étrangers. Nous devons donc nous montrer moins naïfs.

Mme Louwagie, mon rapport s’inscrit effectivement dans la continuité de celui de Jean-Louis Thiériot et Françoise Ballet-Blu ; je pense qu’on est ici sur des sujets transpartisans. Concernant le livret d’épargne réglementé, j’ai bien parlé d’un livret « de souveraineté ». C’est plutôt sous cet angle qu’il faudrait examiner ce type d’investissements, au-delà des seuls sujets de défense. Pour monter en puissance et obtenir les bénéfices de la recherche et développement, ces industries doivent être autant que possible duales. De cette manière, nous pourrons financer à la fois une souveraineté industrielle et une souveraineté de la production de la défense.

Concernant les ressources humaines, la réserve industrielle devrait aboutir rapidement. Nous avons également exploré une autre piste : l’intérim et le portage salarial permettent aujourd’hui à l’industrie civile de monter en puissance en cas d’augmentation de la charge sur la production. Or, pour reproduire ce schéma dans l’industrie de défense et permettre l’accompagnement de l’accélération de l’activité, nous rencontrons des difficultés au niveau du criblage des effectifs. Il faut davantage anticiper et, peut-être, se diriger vers ces marchés de l’intérim ou du portage salarial, pour constituer une réserve et cribler des personnels de façon préalable et anticipée, de façon à constituer un vivier disponible en cas de besoin.

Mme Le Grip, le cadre européen est essentiel, mais l’Europe manque de cohérence. Le travail de la France est de remettre de la cohérence dans les politiques européennes. La BEI, qui est le bras armé financier de l’Union européenne, n’a pas le droit de réaliser des investissements dans les domaines touchant à la défense. De même, il y a d’un côté des outils de soutien à la défense et de l’autre la taxonomie. Nous devons donc travailler à l’échelle européenne, eu égard notamment à la dimension du marché, afin d’avoir des effets de volume nécessaires à la rentabilité des investissements, mais en améliorant la cohérence. Il faut reconnaître que la guerre en Ukraine – malheureusement – et notre sensibilité vis-à-vis d’une attaque proche de chez nous font en sorte que les choses évoluent dans le bon sens.

La commission autorise, en application du troisième alinéa de l’article 146 du Règlement de l’Assemblée nationale, la publication du rapport d’information.

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

 

 

Réunion du mercredi 29 mars 2023 à 9 heures 15

 

Présents. - M. Franck Allisio, M. David Amiel, Mme Christine Arrighi, M. Manuel Bompard, M. Mickaël Bouloux, M. Philippe Brun, M. Frédéric Cabrolier, M. Michel Castellani, M. Thomas Cazenave, M. Jean-René Cazeneuve, M. Florian Chauche, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, M. Dominique Da Silva, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Jocelyn Dessigny, M. Fabien Di Filippo, M. Benjamin Dirx, Mme Alma Dufour, Mme Stella Dupont, Mme Sophie Errante, Mme Marina Ferrari, M. Luc Geismar, Mme Félicie Gérard, Mme Perrine Goulet, M. David Guiraud, M. Victor Habert-Dassault, Mme Nadia Hai, M. Patrick Hetzel, M. Alexandre Holroyd, M. François Jolivet, M. Daniel Labaronne, M. Emmanuel Lacresse, M. Mohamed Laqhila, M. Michel Lauzzana, M. Marc Le Fur, Mme Constance Le Grip, Mme Élise Leboucher, Mme Charlotte Leduc, M. Mathieu Lefèvre, Mme Patricia Lemoine, M. Philippe Lottiaux, Mme Véronique Louwagie, Mme Lise Magnier, M. Louis Margueritte, Mme Sandra Marsaud, M. Denis Masséglia, M. Bryan Masson, M. Frédéric Mathieu, M. Jean-Paul Mattei, M. Kévin Mauvieux, M. Benoit Mournet, Mme Mathilde Paris, Mme Christine Pires Beaune, M. Christophe Plassard, M. Robin Reda, M. Xavier Roseren, Mme Sandrine Rousseau, M. Alexandre Sabatou, M. Michel Sala, M. Emeric Salmon, M. Nicolas Sansu, Mme Eva Sas, M. Jean-Philippe Tanguy

Excusés. - M. Christian Baptiste, Mme Émilie Bonnivard, Mme Karine Lebon, M. Sébastien Rome, M. Charles Sitzenstuhl

Assistaient également à la réunion. - M. Jean-Philippe Ardouin, M. Pierrick Berteloot, M. Yannick Monnet, M. Aurélien Saintoul, M. Jean-Marc Tellier