Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

  Commission d’évaluation des politiques publiques relatives à la mission Écologie, développement et mobilité durables (suite)              2

Discussion sur les thématiques d’évaluation :

-          Financement et efficacité des dispositifs de soutien à l’investissement et à la limitation des charges énergétiques des entreprises et des ménages (MM. David Amiel et Emmanuel Lacresse, rapporteurs spéciaux ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique)              2

-          Évaluation du système dual en matière de sûreté nucléaire, garanti par l’indépendance entre la fonction de régulateur assurée par l’ASN et celle d’expertise assurée par l’IRSN (Mme Alma Dufour et M. Sébastien Rome, rapporteurs spéciaux ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique)              15

  présences en réunion...........................27

 


Mercredi
31 mai 2023

Séance de 21 heures 

Compte rendu n° 86

session ordinaire de 2022-2023

 

 

Présidence de

 

M. Éric Coquerel,

Président

 

 


  1 

La commission, réunie en commission d’évaluation des politiques publiques, procède à l’examen des thématiques d’évaluation Financement et efficacité des dispositifs de soutien à l’investissement et à la limitation des charges énergétiques des entreprises et des ménages et Évaluation du système dual en matière de sûreté nucléaire, garanti par l’indépendance entre la fonction de régulateur assurée par l’ASN et celle d’expertise assurée par l’IRSN.

M. le président Éric Coquerel. Nous allons poursuivre la commission d’évaluation des politiques publiques (CEPP) entamée cet après-midi. Après avoir déjà examiné l’exécution budgétaire de la mission Écologie, développement et mobilité durables, en présence de M. le ministre Christophe Béchu et de M. le secrétaire d’État Hervé Berville, ainsi qu’une première thématique d’évaluation, en présence de M. le ministre Clément Beaune, nous examinons ce soir deux autres thématiques d’évaluation, en présence de la ministre de la transition énergétique, Madame Agnès Pannier-Runacher.

Nous allons d’abord nous intéresser avec MM. David Amiel et Emmanuel Lacresse, au financement et à l’efficacité du dispositif de soutien à l’investissement et de limitation des charges énergétiques des entreprises et des ménages.

M. David Amiel, rapporteur spécial (Énergie, climat et après-mines, Service public de l’énergie et compte d’affectation spéciale Financement des aides aux collectivités pour l’électrification rurale). Je souhaite concentrer mon intervention sur la question de l’efficacité de MaPrimeRénov’. Comme vous le savez, sa création et l’augmentation considérable de son budget ont marqué ces dernières années une rupture historique dans les modalités de soutien des ménages à la rénovation énergétique. En quelque sorte, cela a permis de faire entrer la rénovation énergétique dans les mœurs, avec une augmentation très importante du nombre de bénéficiaires de rénovations, près de 670 000 pour l’année 2022, et une efficacité accrue des gestes par rapport aux dispositifs antérieurs, en particulier le crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE). Néanmoins, une accélération considérable de la rénovation est indispensable pour tenir nos objectifs de rénovation et de souveraineté énergétique. Madame la ministre, vous avez récemment évoqué le mur énergétique auquel nous faisons face. Dans cette optique, il faudra encore massifier notre accompagnement. Le premier élément qui ressort des auditions est qu’il faudra continuer à améliorer sa mise en œuvre. Ce dispositif doit continuer à être fiabilisé afin de pleinement pouvoir exploiter son succès.

Pour lutter contre la fraude, qui consiste notamment à usurper des identités de demandeurs ou d’entreprises, des contrôles renforcés ont été mis en œuvre par l’Agence nationale de l’habitat (Anah), avec toutefois des délais qui ont pu être allongés en conséquence. Je souhaite, Madame la ministre, pouvoir vous interroger sur la manière dont vous percevez ces efforts de lutte contre la fraude, mais aussi de simplification et de raccourcissement nécessaire des délais pour les entreprises et les ménages. Il faudra pouvoir poursuivre cette simplification et améliorer cet accompagnement.

Il faut noter plusieurs évolutions très positives ces derniers mois en la matière. Mon collègue Emmanuel Lacresse et moi-même nous félicitons du lancement de France Rénov’, qui permet la mise en place d’un véritable service public de la rénovation de l’habitat, offrant une couverture nationale avec 554 espaces-conseils, ainsi que de Mon Accompagnateur Rénov’, depuis le 1er janvier 2023. Ce dispositif permet de fournir aux ménages des conseils sur le diagnostic préalable aux travaux et sur le plan de financement, et ainsi de les aider dans ces procédures. À ce titre, je crois que le soutien aux dispositifs d’accompagnement, et en particulier à Mon Accompagnateur Rénov’, devra faire partie des priorités pour les années à venir.

Il faudra enfin prioriser le ciblage de MaPrimeRénov’ en 2022. Sur les 670 000 rénovations aidées, 10 % peuvent être considérées comme des rénovations globales. Il faudra sans aucun doute inciter davantage les ménages à s’orienter vers des rénovations globales multigestes. Mon Accompagnateur Rénov’ jouera son rôle, mais il faudra peut-être aussi modifier les paramètres de MaPrimeRénov’ pour la rendre plus incitative. Quelles sont les orientations à l’étude en ce sens ? Par ailleurs, il est apparu lors des auditions que MaPrimeRénov’ est un outil indispensable, mais pas pour autant un outil suffisant. Il faudra aussi développer de nouveaux outils, avec une nouvelle logique, pour affronter ce changement d’échelle.

MaPrimeRénov’ cible en effet les ménages très modestes et modestes, qui représentent 84 % du montant total des primes accordées. Cela traduit un objectif social important pour une telle aide budgétaire, ce qui constitue d’ailleurs un net progrès par rapport au CITE, mais il en découle aussi que de nombreuses classes moyennes n’ont pas forcément les moyens de financer la rénovation et les travaux auxquels elles doivent faire face. Il convient de changer de logique, ou en tout cas de prévoir une logique supplémentaire. L’État ne peut pas tout payer, mais les ménages ne peuvent pas tout avancer.

Il convient donc de mobiliser des instruments financiers innovants pour avoir des aides budgétaires. Parmi les propositions de notre rapport figurera la possibilité de généraliser le prêt avance rénovation, en supprimant par exemple le plafond de ressources qui le prive aujourd’hui d’une part de son effectivité. Le prêt avance rénovation délivré par les banques permet de rénover son logement et de n’avoir à rembourser ni le montant principal ni les intérêts, jusqu’à la revente de son logement, donc au moment de sa mutation (revente ou succession).

En outre, MaPrimeRénov’ est avant tout conçue comme une aide pour la rénovation du logement individuel et elle reste aujourd’hui peu utilisée dans les copropriétés et dans les milieux urbains denses.

Il conviendra bien sûr de simplifier les modalités de décision au niveau de la copropriété. Je sais que le gouvernement travaille à cette question. Le ministre Olivier Klein y a souvent fait référence, mais il faudra aussi, selon nous, mettre en œuvre dans les prochaines années une planification territoriale, quartier par quartier, qui organise la rénovation en la pensant avec la décarbonation et l’adaptation au changement climatique. Plusieurs outils budgétaires peuvent y contribuer. Cela peut notamment être le cas au niveau des grandes propriétés problématiques. Un « fonds tours » pourrait être constitué sur le modèle du fonds pour le recyclage des friches. Cette démarche peut aussi être envisagée au niveau du quartier. La réussite obtenue autour du plan « Action Cœur de Ville », en réunissant différents financeurs et acteurs, pourrait aussi nous inspirer pour la rénovation et la construction des quartiers verts.

Enfin, face à l’ampleur de l’enjeu et à la nécessité de structurer une filière, d’assurer l’existence d’instruments adaptés à la diversité des ménages et des territoires, une programmation pluriannuelle des aides à la rénovation énergétique nous semblerait utile pour donner de la visibilité aux ménages comme aux acteurs professionnels. Là aussi, Madame la ministre, nous souhaitions vous interroger sur la manière dont vous envisagiez les choses, notamment dans le cadre des travaux que vous conduirez sur la loi de programmation énergie-climat.

M. Emmanuel Lacresse, rapporteur spécial (Énergie, climat et après-mines, Service public de l’énergie et compte d’affectation spéciale Financement des aides aux collectivités pour l’électrification rurale). En ce qui concerne le programme 345, nous avons réfléchi, lors de nos auditions, sur la manière dont le service public de l’énergie fait face à ce contexte d’augmentation considérable des prix. En conséquence, les énergies renouvelables ne sont plus aidées, mais deviennent plutôt des aidants pour la politique de l’avenir.

Le deuxième constat est celui de l’augmentation désormais rapide de la production massive d’énergies renouvelables, conformément aux objectifs que le président de la République a fixés dans ses deux discours de Belfort et de Saint-Nazaire. De nombreux dispositifs de soutien, portés par l’action 17 du programme 345, ont été mis en place, comme les « boucliers tarifaires », les « amortisseurs », notamment pour les boulangers, les collectivités territoriales, mais aussi les entreprises énergo-intensives. Évidemment, nous avons commencé à nous pencher sur l’efficacité du dispositif, dont le coût budgétaire est significatif. Le montant total de ces mesures est exceptionnel, même s’il est réévalué à la baisse par rapport au projet de loi de finances pour 2023 puisque les prix ont commencé à se réduire largement depuis.

Ce coût budgétaire nous pose une question sur l’avenir. Quels enseignements devons-nous tirer de la crise et notamment sur la manière dont ce budget pourrait devenir un véritable budget de l’énergie ? N’est-il pas temps, au regard de l’évolution du programme 345 et surtout des cours de l’énergie, d’en faire le support budgétaire des objectifs de nos politiques énergétiques ? Le but est d’assurer notre souveraineté : aujourd’hui, toute l’énergie produite sur nos sols, qu’elle soit nucléaire ou renouvelable, qu’il s’agisse de gaz décarboné ou non, permet la flexibilité d’un système global. Il s’agit également d’encourager la décarbonation de la production industrielle et de l’usage domestique de l’énergie, et, en dernier lieu, de fournir une énergie à des coûts abordables pour les ménages et les entreprises, parce que cette crise a révélé cette nécessité, notamment pour notre compétitivité économique.

Considérant ce programme 345, l’objectif du « Printemps de l’évaluation » est de faire cette réflexion prospective. Ne pourrions-nous pas instiller dans la stratégie de ce programme une notion de résilience énergétique française ? Les crédits en vue de la recherche sur l’hydrogène et le nouveau nucléaire, qui se trouvent dans d’autres chapitres, pourraient éventuellement réintégrer le programme 345, qui ne serait plus seulement la transposition pure de la directive très habile datant de début 2019. Il s’agit d’une réflexion prospective que nous vous soumettons.

La deuxième grande question qui anime l’hémicycle depuis qu’il débat de ces questions porte sur les règles européennes du marché de l’énergie, et notamment l’encadrement du soutien dans le domaine des énergies renouvelables. Au cours des auditions, nous avons étudié de très près la manière dont fonctionnaient les contrats d’obligation d’achat et de complément de rémunération, questions sur lesquelles nos prédécesseurs s’étaient déjà interrogés. Nous avons été fortement convaincus par la manière dont EDF gère ces aspects, mais il est clair qu’une nouvelle classe de contrats va voir le jour, à notre avis celle des contrats de long terme, pour lesquels EDF est motivé, avec la question du niveau auquel ces contrats seront calibrés.

Finalement, le programme 345 est destiné, sinon à fixer les cours de l’énergie, a minima à offrir un cadre grâce auquel les pouvoirs publics pourront constater un cours de l’énergie sur les marchés, après avoir fait en sorte d’assurer une production suffisante pour que ces cours soient les plus faibles possible, et à s’assurer de la manière dont le mécanisme fonctionnera, notamment à l’aune des ressources budgétaires susceptibles d’y être affectées. Ne faudrait-il pas y réfléchir de manière très prospective et très en avance, afin d’isoler l’investissement dans la recherche dans le nouveau nucléaire et dans la construction des EPR et ainsi éviter qu’un niveau de prix trop différent du niveau actuel de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) puisse à l’avenir exister ? En résumé, l’idée serait de ne pas financer par l’Arenh ce tarif réglementé du nucléaire et le nouveau nucléaire car sinon notre industrie ne pourra pas suivre. En conclusion, ne faudrait-il pas faire en sorte que ce contrat du programme 345 reflète un choix complet, souverain et décarboné de diversification de notre politique énergétique ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique. La première série de questions se concentre sur la rénovation thermique, avec un premier angle portant sur le processus, notamment les décisions prises pour lutter contre la fraude et les délais de contrôle induits pour l’Anah. En avril 2023, nous avons mesuré les délais moyens de traitement d’une demande de subvention, aujourd’hui de 28 jours pour la demande de subvention et de 45 jours pour la demande de paiement. Ces délais présentent évidemment un écart-type plus ou moins important, mais le suivi permet désormais d’avoir une notion très précise des dossiers qui ne seraient pas traités dans des délais jugés appropriés. Le plus souvent, ces retards sont liés à des pièces manquantes dans les dossiers.

L’Anah a, en trois ans, réussi à faire face à l’explosion du nombre de dossiers MaPrimeRénov’. Environ 670 000 dossiers ont été déposés l’an passé, soit dix fois plus en deux ans. Dès 2021, elle a mis en œuvre une cellule d’appui pour les dossiers individuels signalés, lesquels sont déposés par des gens qui écrivent directement à l’Anah. Ce sont d’ailleurs souvent des députés qui nous signalent certains dossiers pour s’enquérir des délais de réponse. Un double contrôle est institué pour s’assurer de l’absence de blocage. Tout au long de l’année 2021, un chantier de sécurisation globale de la plateforme informatique a permis de limiter au maximum la survenance d’anomalies informatiques et de résoudre les anomalies connues. Ce processus de stabilisation est arrivé à maturité, ce qui permet des délais réduits en dépit des contrôles complémentaires. Nous sommes très vigilants à ce que l’Anah déploie les efforts nécessaires pour traiter les problèmes à la racine. Signaler des dossiers posant problème permet de recueillir des signaux faibles d’éventuels dysfonctionnements.

Quant aux contentieux engagés ces dernières semaines autour de ces délais de traitement, plusieurs référés ont été déposés à l’encontre de l’Anah, notamment de la part d’une entreprise, Drapeau, qui invoquait d’excessifs retards de versements de l’aide MaPrimeRénov’. Un premier examen des référés a conduit le juge à constater que ces délais sont essentiellement liés à une problématique répétée, des dossiers incomplets déposés par l’entreprise mandataire, ne permettant pas à l’Anah de s’assurer en particulier du consentement du ménage. Or il existe des processus de fraude où ce consentement est un petit peu « accéléré », pour le dire ainsi. Les ménages se trouvent donc pénalisés en raison de ces démarches administratives incomplètes.

Dans ce contexte, nous travaillons aussi avec les professionnels, la confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) et la fédération française du bâtiment (FFB), pour renforcer notre coopération sur le signalement de ces mandataires faisant peser un risque sur les ménages en question et sur les entreprises, afin de lutter contre la fraude et fluidifier les rythmes des paiements. Mon collègue, le ministre chargé des comptes publics Gabriel Attal, a entamé tout un cycle de travail sur le renforcement de la lutte contre la fraude.

Dans cette optique, il nous semble important de traiter rapidement les bons dossiers, mais également de faire la chasse à tous les mécanismes, parfois assez sophistiqués, de fraude portés par des groupes, qui cherchent à capter l’argent public et ne visent nullement à rénover thermiquement les bâtiments.

Quant à l’accompagnement, Mon Accompagnateur Rénov’ est un dispositif relativement récent. Vous mentionnez un besoin de renforcement. Mes collègues, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires Christophe Béchu et le ministre chargé de la ville et du logement Olivier Klein, et moi-même partageons cette analyse. Nous avons proposé un renforcement des moyens de l’Anah et des services déconcentrés d’environ 200 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires en 2024, aux fins d’animer le réseau des accompagnateurs, de procéder à l’instruction des demandes d’agrément et d’opérer les contrôles nécessaires. Il apparaît en outre un enjeu de structuration de ce marché et de l’accompagnement dans la rénovation thermique. L’arrivée de nouveaux opérateurs aux côtés des opérateurs historiques est indispensable à cette aune. Un travail de qualification est mené pour faire face à la problématique liée au modèle économique. Cet accompagnement est-il correctement financé ? Différents niveaux de prise en charge de la prestation d’accompagnement seront proposés dans les prochaines semaines. Je confirme la réception de la demande invitant à rehausser ces forfaits afin de les convertir en accompagnement de qualité pour les ménages. Le paramétrage des aides est également étudié et fera l’objet de propositions de la part de mes collègues, Messieurs Olivier Klein et Christophe Béchu, et moi-même.

Je souhaite notamment que l’on travaille sur la question du reste à charge zéro, a minima pour les ménages les plus modestes, et d’une prise en compte des financements. Pour les autres ménages, il convient de bien accompagner l’avance financière, si c’est possible. Vous avez ainsi formulé plusieurs suggestions dans votre propos liminaire sur le prêt avance rénovation et sur la possibilité de le déplafonner. La position n’est pas arrêtée à ce stade, mais l’objectif doit être, collectivement de réduire au maximum la facture pour les ménages les plus modestes, et de sécuriser leur accompagnement. Pour les autres ménages, il convient de leur permettre de financer leurs travaux dans la durée, et non immédiatement, et de leur proposer des modèles de financement privés, dans un cadre public-privé qui fonctionne avec les banques. Tel est l’enjeu du dispositif éco-PTZ et de la combinaison de l’offre MaPrimeRénov’ et éco-PTZ.

Pour les copropriétés, comment débloquer les financements et faciliter le passage à l’acte ? Nous n’avons pas, à ce stade, prévu de « fonds tours », mais je pense que cette idée a déjà été soumise à mon collègue, Olivier Klein. En tout état de cause, là aussi, un travail est mené au ministère de la ville et du logement pour intégrer les copropriétés dans le dispositif. Il porte à la fois sur la décision, sur la question du mécanisme de la décision, sur la question des modalités de financement et sur le déblocage des crédits.

Concernant la programmation pluriannuelle, la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « Climat et résilience », prévoit que la loi de programmation énergie-climat établisse des trajectoires pluriannuelles. Je serais surprise si cette dimension ne figurait pas dans la proposition de loi présentée à l’Assemblée nationale et au Sénat. Dans les groupes de travail lancés, donner de la visibilité aux acteurs dans le cadre de certaines grandes actions fait partie des réflexions menées, sachant que le travail du projet de loi de finances est d’établir une vision budgétaire et la perspective de programmation des dépenses. Cependant, sécuriser une filière dans la réalisation de grandes actions, menées en appui de notre programme pluriannuel de l’énergie, me paraît assez fondé.

S’agissant du contexte des aides, comment le budget intervient-il en soutien pour encourager et reprendre toutes les actions de notre politique énergétique au service de trois objectifs : défendre notre souveraineté énergétique pour baisser notre dépendance, fournir une énergie à un prix abordable et encourager la production ? Il faut d’abord s’accorder sur la stratégie énergétique, objet des travaux que nous avons lancés. Il convient ainsi de se mettre d’accord sur le diagnostic relatif à notre positionnement énergétique. Les données dont nous disposons mettent en lumière le mur énergétique auquel nous serons confrontés en 2030, en 2050 et après 2050.

Après 2050, la situation ne sera pas stable. Il faudra continuer à s’interroger sur les modalités de production, puisque les réacteurs nucléaires arriveront, assez mathématiquement, en fin de vie. À quelle échéance ? Je l’ignore, mais on parle d’une capacité de production qui, suivant les années, varie entre 280 et 400 térawattheures, soit un écart conséquent.

De manière plus large, il convient de prendre en compte l’ensemble de notre système énergétique, afin de définir ce que l’on fait pour remplacer la variable gaz et la variable carburant, qui représentent l’essentiel de nos émissions de gaz à effet de serre dans notre mix énergétique. Quel est le programme mis en place pour produire de la chaleur renouvelable, du biogaz, des énergies renouvelables dans toute leur diversité ? On parlait de géothermie, d’éoliennes terrestres, marines et photovoltaïques et d’énergie nucléaire avec des échéances de nature différentes. Une décision qui serait prise aujourd’hui dans l’optique d’une production d’électricité avant 2030 ne peut concerner que le photovoltaïque, l’éolien terrestre et le biogaz, ou porter sur l’amélioration du fonctionnement de notre production nucléaire existante. Après 2030, une décision pourrait être prise aujourd’hui pour connecter de l’éolien marin sur notre réseau, puis du nucléaire. Il est nécessaire de bâtir simultanément le plan avant 2030 et le plan post 2030.

S’y ajoutent plusieurs enjeux majeurs. Comment accompagnons-nous la baisse de notre consommation d’énergie, en matière de sobriété énergétique ? Comment intégrer les incitations dans notre modèle d’accès à l’énergie ? Comment flexibilisons-nous nos besoins d’énergie, sujet également important ? Plus nous serons en mesure de flexibiliser notre consommation d’énergie, plus nous serons capables de produire sur notre territoire, plus les prix baisseront. Le premier levier de baisse des prix est d’être en capacité de produire de l’énergie à coût compétitif. Le mix énergétique nous le permet : les productions d’énergie photovoltaïque, d’éolien terrestre, d’éolien marin et d’énergie nucléaire sont compétitives. Nous devons en outre être capables de flexibiliser, c’est-à-dire de reporter une consommation ou d’interrompre pendant 20 minutes le chauffage dans un bâtiment qui a de l’inertie, parce qu’il a été rénové thermiquement.

Nous sommes en fait capables d’écraser la volatilité des prix du marché dès lors que nous sommes en pleine maîtrise de tout notre système énergétique. C’est vers cet objectif que nous devons tendre. Dans cette optique, il est important d’avoir une visibilité budgétaire sur les différents leviers dont nous disposons, à l’image du « fonds Chaleur », de la valorisation des appels à projets sur de nouvelles énergies. Vous avez raison d’affirmer que les énergies renouvelables sont plutôt contributives au financement de notre budget. Toutefois, il est nécessaire d’accompagner la maturité de la filière de l’éolien flottant et donc de consacrer des financements au portage de ces modèles. Ces démarches auraient vocation effectivement à s’inscrire dans une vision plus globale de la compréhension de notre politique énergétique.

Cet enjeu va de pair avec les investissements technologiques sur les prochaines générations de réacteurs dans le secteur nucléaire, sur la question des déchets et sur une vision complète des réseaux, puisqu’aujourd’hui, les réseaux s’appuient sur le tarif d’utilisation du réseau public d’électricité (TURPE). Ces derniers vont devoir être rebâtis dans les années qui viennent, ce qui suppose des niveaux d’investissement considérables. Il convient donc certainement d’instiller une notion de résilience dans le programme 345. De quelle manière, sachant que certains financements sont portés par l’entreprise EDF, et d’autres par l’actionnaire qu’est l’État, par le budget, par les charges de service public de l’énergie (CSPE) ou par le TURPE ?

Quant au cadre européen, je souhaite dire quelques mots sur la réforme du marché de l’électricité. Le texte présenté par la Commission européenne vise en particulier trois objectifs. Le premier objectif est de mettre en place des contrats de long terme, pour lutter contre la volatilité. Il s’agit soit de contrats par différence, c’est-à-dire le système qui existe aujourd’hui sur les énergies renouvelables, soit des contrats privés de gré à gré, mais qui donnent aussi une visibilité de long terme. Ces derniers contrats permettent d’écraser la volatilité, mais sont probablement des contrats plus destinés à des acteurs sophistiqués de type hyper électro-intensif ou électro-intensif. Ils valorisent non seulement l’accès à de l’électricité abondante, mais aussi leur capacité à effacer et à avoir des profils de consommation qui vont dans le sens contraire des pics de consommation. Enfin, il existe un système de protection du consommateur, un système prudentiel obligeant le fournisseur à avoir une couverture prudentielle, et à montrer qu’il a pris des contrats à long terme, de façon à garantir sa capacité à livrer de l’électricité sur le long terme. Il en découle différents sujets, notamment sur le rôle de l’autorité de régulation, pour lequel nous avons des propositions à faire : des discussions sont en cours entre les différents États membres. La prochaine réunion est programmée le 19 juin, afin de définir une orientation globale des États membres, ce qui permettrait ensuite d’engager le trilogue au cours du deuxième semestre 2023. Parallèlement, le Parlement européen a déjà démarré ses travaux avec des votes en commission qui sont prévus en juillet et un vote final en septembre, lui permettant ainsi d’aborder le triologue.

M. le président Éric Coquerel. Avec le ferroviaire, la question de la rénovation énergétique est un peu un des autres piliers d’une bifurcation écologique et s’avère absolument indispensable. C’est l’un des derniers débats que nous avions eus lors du projet de loi de finances 2023, l’augmentation des crédits alloués à MaPrimeRénov’ ayant été votée par toutes les oppositions en séance.

Pour reprendre la logique qui avait été celle de François Jolivet dans son rapport sur l’Anah, la question ne porte pas tant sur le nombre de rénovations dans le cadre MaPrimeRénov’, mais sur leur qualité. Si une chaudière est rénovée à l’intérieur d’un bâtiment catastrophique en termes d’isolation thermique, cette rénovation ne servira à rien. Tel est le principal problème à mes yeux. Il faut mener le nombre de rénovations de bâtiments nécessaires au regard des questions environnementales.

Par ailleurs, il faut s’interroger sur la nécessité de différencier le type d’aides. Selon les plafonds de ressources, il faudrait peut-être aborder la question des prêts. Il n’y a pas vraiment de raison d’attribuer des subventions à tous les propriétaires. La piste du prêt étalé dans le temps, avec un remboursement au moment de la revente, me semble constituer une piste intéressante, de façon à aider un peu plus ceux qui en ont vraiment besoin. Autant l’État peut être le garant d’un prêt, autant on peut s’interroger sur l’octroi d’une subvention dans ce cadre.

S’agissant de la poursuite des efforts en matière de réduction de délais d’instruction et de paiement et de lutte contre la fraude, cette question est corrélée à celle des effectifs chargés de ces missions. Dans le cadre du « fonds Chaleur », les personnels de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) indiquaient qu’en raison de l’insuffisance des effectifs, ils avaient l’impression de travailler dans un guichet recevant la demande, mais avec peu de possibilités de contrôle ou d’orientation. Pour mieux contrôler et mesurer les gains réalisés, la question des effectifs est fondamentale, de sorte qu’ils puissent assurer ces démarches de manière indépendante. Tout le monde s’accordera sur ce point. De même, l’État doit établir une planification pluriannuelle du financement de la rénovation énergétique.

Sur la question de l’énergie, je considère qu’il faut sortir l’énergie du marché, notamment des règles du marché européen avec l’alignement sur le prix du gaz. Nos collègues nous parlent de maintenir le régime des tarifs réglementés des particuliers, qui a été l’occasion d’un débat lors d’une proposition de loi. À mon sens, ce dispositif ne doit pas concerner uniquement les particuliers, mais doit être élargi aux très petites entreprises (TPE), aux petites et moyennes entreprises (PME), aux commerces, aux collectivités territoriales et aux bailleurs sociaux. En effet, l’augmentation des charges est une véritable catastrophe pour les locataires.

M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général. J’ai trouvé ce rapport particulièrement intelligent dans ses recommandations. Le dispositif MaPrimeRénov’ a souffert de quelques défauts de jeunesse, désormais derrière nous. Ils se sont traduits par un taux d’exécution de 84 %, que l’on peut améliorer. Les rénovations complètes restent assez faibles, alors que la fraude est maintenant traitée. Cela va dans le bon sens. Ce dispositif est un succès, touchant en particulier les ménages modestes à hauteur de 84 %. Comment accélérer encore sur les rénovations complètes que nous appelons tous de nos vœux ?

En outre, il apparaît que le bouclier a tenu ses promesses et a permis de protéger nos concitoyens ainsi que les collectivités territoriales. Cela représente plus de 30 000 mairies, quelques centaines de milliers d’entreprises. Je constate que certains, à l’origine réticents, souhaitent maintenant étendre ce dispositif. L’autofinancement, qui ne s’élève pas à 100 %, a permis de récolter 15 milliards d’euros, ce qui est absolument essentiel pour l’équilibre global de nos budgets. Cependant, les effets de fluctuation sur le prix de l’électricité pour nos entreprises sont absolument incompatibles avec la stratégie de réindustrialisation de notre pays. Le drame vécu cette année avec certaines entreprises, couvertes sur un contrat de trois ans, a conduit à des inégalités et des écarts. Je sais que ce marché est ouvert, mais certains mécanismes permettent d’éviter ces effets de fluctuation.

M. Daniel Labaronne (RE). Notre majorité a fait le choix, dès la mandature précédente, d’augmenter considérablement les moyens dédiés à la transition écologique. Les rapporteurs ont évoqué l’exemple de MaPrimeRénov’. Par rapport au CITE utilisé par la majorité de gauche, MaPrimeRénov’ est plus juste socialement, bénéficiant en très grande majorité aux ménages modestes et très modestes, et constitue une aide bien plus massive, à la fois financièrement avec un budget qui atteindra 2,5 milliards d’euros, et en nombre de rénovations, avec un record de 670 000 rénovations aidées en 2022 avec des gestes plus efficaces.

Cela illustre plus généralement une leçon pour notre politique économique, qui doit nous inspirer pour les années à venir : stimuler la croissance et réduire les dépenses inefficaces permet de dégager des moyens beaucoup plus importants pour la transition écologique. Les rapporteurs sont revenus sur la manière d’améliorer MaPrimeRénov’ et la compléter par des instruments financiers nouveaux. Au-delà du soutien à la demande de la rénovation énergétique, comment pouvons-nous garantir que nous disposons d’une offre de qualité pour aller vers davantage de rénovations globales ?

Par ailleurs, pourquoi le prêt avance rénovation est-il sous condition de ressources ? Ne pourrions-nous pas envisager de lever cette condition, puisque c’est un prix hypothécaire passé entre une banque et quelqu’un qui dispose d’un bien immobilier : ne pourrait-on pas laisser le marché libre jouer là-dessus ?

Enfin, les rapporteurs sont revenus sur les dispositifs permettant d’apporter des protections aux ménages, aux entreprises face à l’explosion des prix. Les études réalisées notamment par le centre pour la recherche économique et ses applications (Cepremap), montrent qu’ils ont été beaucoup plus efficaces macro-économiquement que les alternatives proposées par certains, notamment par rapport à l’indexation sur les salaires. Ils ont abouti à moins d’inflation et plus d’activité.

Les rapporteurs sont revenus sur les évolutions structurelles à apporter pour réformer la formation des prix de l’électricité. Quelles sont les évolutions dans les prochains mois que vous envisagez sur ces dispositifs ?

Mme Alma Dufour (LFI-NUPES). Concernant MaPrimeRénov’, je dois saluer votre positionnement, Madame la ministre, puisque vous travaillez sur le reste à charge zéro pour les ménages modestes, et sur les prêts bancaires, afin de lever les difficultés actuelles pour emprunter. Pour le coup, nous sommes plutôt agréablement surpris.

Sur la rénovation complète, sachant que le reste à charge, quelles que soient les catégories, les déciles, est beaucoup plus important, devons-nous nous attendre à un renforcement des crédits alloués à MaPrimeRénov’ à l’automne dans le PLF pour 2024 ? Quant aux critères d’appréciation de ce que serait un ménage modeste, ma peur serait que l’on concentre peut-être un peu trop les aides sur des ménages très modestes, comme c’est actuellement le cas aujourd’hui pour les bonus écologiques et les primes à la conversion pour les voitures. Ces dispositifs s’arrêtent au salaire minimum de croissance (SMIC). Dès qu’un ménage se trouve à 20 euros au-dessus du SMIC, les aides chutent assez vite. Au regard de l’inflation, néanmoins, une personne gagnant 1 400 euros peut être considérée comme modeste. Avez-vous déjà discuté des seuils et d’une plus grande progressivité des aides ?

Ensuite, je serai moins enthousiaste concernant le marché européen de l’électricité, ce qui ne vous étonnera pas. J’ai été quand même assez surprise de voir l’écart de prix (spread) de l’automne sur le marché de l’électricité, notamment la différence entre l’Allemagne et la France. Le marché est plus cher en France, alors que le coût de production de l’électricité y est moindre qu’en Allemagne. Le prix de marché n’est plus du tout construit en fonction des coûts de production réels, mais des vulnérabilités. Nous avons effectivement besoin de faire des économies, mais après avoir écouté Monsieur Darmayan de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) nous dire tout le mal qu’il pensait du marché, on ne comprend pas comment on peut se satisfaire d’une solution soumettant de nombreuses TPE-PME, des centaines de milliers d’acteurs économiques à la volatilité du marché, alors que de grands groupes bénéficieraient d’un contrat spécial de droit privé avec des tarifs préférentiels. Ce dispositif serait finalement garanti par la puissance publique, et par EDF en définitive, tant en termes de production qu’en termes d’équilibre du réseau. Les fédérations de TPE-PME craignent de se diriger vers un monde de plus en plus inégalitaire économiquement.

Mme Véronique Louwagie (LR). Concernant MaPrimeRénov’, Madame la ministre, vous êtes satisfaite de l’évolution du nombre de dossiers et de la simplification, évoquant notamment une stabilisation au niveau de l’Anah. Le problème devrait être traité à la racine. Les marges d’amélioration sont toutefois extrêmement importantes, Nous avions déjà abordé ce sujet lors de l’examen du PLF. Le ministre en charge des comptes publics avait expliqué que le dispositif allait être amélioré, mais nous ne constatons pas d’amélioration importante dans le traitement des dossiers.

Plusieurs exemples le démontrent. Un usager, dont le revenu fiscal de référence était erroné, a tenté de modifier l’information auprès du service’instructeur. Il a finalement renoncé, réalisant ses travaux sans avoir recours au dispositif MaPrimeRénov’. Un autre dossier, complet depuis un an, fait l’objet d’un second contrôle. La personne est toujours en attente de paiement. Il existe d’autres dossiers de cette nature.

Nous sommes très loin de l’objectif fixé pour MaPrimeRénov’, 80 000 logements sortis du statut de passoire thermique. Selon un rapport du Sénat, seuls 2 100 logements en sont sortis, soit 3 % de l’objectif. Quant à l’éco-prêt à taux zéro, l’échec est également patent. 130 prêts seulement ont été accordés depuis sa création, alors que ce dispositif pourrait concerner tous les bailleurs et les occupants qui sont dans un logement depuis deux ans pour financer des travaux. 12 % des Français sont en situation de précarité énergétique et 27 % d’entre eux éprouvent des difficultés pour payer leur facture d’énergie. Pourquoi ce dispositif ne fonctionne-t-il pas ? Il est probablement trop coûteux et exige des garanties probablement trop importantes. C’est un vrai enjeu.

Mme Marina Ferrari (Dem). Concernant le maintien en l’état du calendrier d’interdiction de location des logements dits « passoires thermiques », il demeure des interrogations aujourd’hui sur l’échéance de 2025, puisqu’elle approche pour les logements classés G. Il en découle des inquiétudes à la réalisation de ce chantier d’ici cette échéance.

Ma deuxième question porte sur les remontées de terrain qui ont fait état de difficultés rencontrées sur le traitement de certains dossiers avec l’Anah, concernant notamment les copropriétés, puisqu’en 2022, seules 523 copropriétés ont été traitées dans leur intégralité, pour 25 000 dossiers. Quelles mesures pourriez-vous mettre en œuvre ?

Une question se pose quant au déploiement de France Rénov et à l’augmentation du nombre de guichets physiques et du nombre d’opérateurs Mon Accompagnateur Rénov’. Vous avez parlé de visibilité, sujet qui inquiète plus particulièrement les collectivités : est-il possible d’envisager une rebudgétisation des lignes et de sortir du programme Sare (service d’accompagnement pour la rénovation énergétique), qui a été prolongé pour un an, afin d’assurer une rebudgétisation et de donner de la visibilité à nos collectivités, qui sont très engagées ?

Enfin, concernant le volet de l’évaluation des aides économiques, et en particulier le soutien aux entreprises, dans leurs principales recommandations, les rapporteurs spéciaux indiquent qu’il est nécessaire d’obtenir un tarif de gros pour les contrats de long terme. Où en sont les négociations actuelles entre EDF et certaines industries électro-intensives ? J’ai par ailleurs été alertée sur ce sujet par les salariés de l’entreprise Trimet en Savoie, un de nos fleurons industriels.

M. Mickaël Bouloux (SOC). Certes, les moyens alloués à MaPrimeRénov’ sont en hausse, mais ils ne représentent qu’un tiers du niveau nécessaire pour espérer atteindre la neutralité carbone en 2050, alors que l’accélération du changement climatique ne nous permet malheureusement pas de demeurer dans cette demi-mesure. Vous m’opposerez probablement le nombre important de dossiers de rénovations financés, mais les aides restent trop largement concentrées sur les propriétaires de maisons et sur les travaux partiels, les fameux mono-gestes. Vendredi dernier, à l’Agence locale Énergie Climat du Pays de Rennes, on me rapportait cet effet un peu pervers de MaPrimeRénov’, qui incitait plutôt les gens à faire des mono-gestes, sur lesquels il faut parfois revenir en arrière. En l’occurrence, il convient de travailler sur ce point et de privilégier des rénovations complètes, certes plus chères, en ciblant davantage les foyers, via le reste à charge zéro. Sinon, le risque est de passer à côté de l’essentiel. La sobriété solidaire est la seule ambition possible que nous devons viser pour assurer une indépendance énergétique et lutter réellement contre le changement climatique.

Aussi, nous appelons, Madame la ministre, à vraiment travailler sur ce reste à charge zéro et à consacrer plus de moyens à cette ambition. Les moyens que nous ne déployons pas aujourd’hui devront l’être plus tard.

M. Sébastien Rome (LFI-NUPES). Je reviens aussi sur le dispositif MaPrimeRénov’, ayant entrepris un travail au niveau local sur cette question de la rénovation dans les centres des petites villes et des villages. Parmi les sujets remontés, on peut mentionner le thème de l’amélioration au droit. Il existe un guichet unique, mais il faut aussi aller chercher les personnes concernées. Le non-recours aux droits est une question extrêmement importante.

Un autre thème remonté porte sur le regroupement des financements. Il existe un acquis de financement entre les collectivités et l’État, mais il convient d’ordonnancer cet ensemble. La territorialisation des aides à la rénovation doit aussi être prise en compte, car une rénovation ne s’opère pas de la même manière dans un centre de village et dans l’ancien. Enfin, la dissociation du bâti et du foncier pourrait, sur les centres-villes anciens, en zone non tendue, permettre d’entreprendre des projets de rénovation globale dans le cadre de certains projets.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Monsieur le président, vous mentionnez la question de la qualité de la rénovation, qui revient à plusieurs reprises. Les 2 500 logements sortis du statut de « passoires thermiques », selon le rapport du Sénat, bénéficient du bonus de soutien, mais il ne s’agit pas nécessairement de tous les logements sortis du statut de passoire thermique. En fait, il faut entreprendre un diagnostic d’un montant de 1 000 euros pour bénéficier de ce bonus. Or un certain nombre de logements dont nous savons qu’ils sont sortis du statut de passoire thermique ne font pas cet exercice. L’évaluation des rénovations permettant de sortir du statut de passoire thermique se situe plutôt autour de 70 000 à 80 000 logements, ce qui ne signifie pas pour autant que cela correspond à la trajectoire de baisse des émissions carbone pour tenir nos objectifs climatiques 2050.

Néanmoins, et c’est une question qui est assez récurrente dans vos différentes prises de parole et que nous partageons, comment faire en sorte d’avoir une incitation à réaliser deux, trois, quatre gestes efficaces, afin d’éviter les effets rebonds ? Sur ce premier pilier, nous allons faire évoluer les curseurs pour éviter les mono-gestes. Comment rendre plus accessible la rénovation globale, qui permet définitivement de sortir du statut de passoire thermique ? Il faut étudier les moyens de renforcer l’accompagnement. Lors de la discussion budgétaire sur ce sujet-là au moment du projet de loi de finances, les curseurs seront amenés à évoluer, aussi bien au niveau du reste à charge, des ménages modestes et du niveau d’accompagnement. En tout état de cause, nous partageons le diagnostic et la nécessité de faire évoluer les curseurs, mais il faut tenir compte de la notion de trajectoire des finances publiques.

L’objectif est de mettre le pied à l’étrier des ménages. Les plus modestes n’ayant pas des revenus réguliers, ont des difficultés à trouver des financements. Certes, les personnes rémunérées au Smic ne vivent pas très confortablement, mais elles peuvent se prévaloir d’avoir un revenu régulier et d’avoir un contrat de travail, ce qui peut être rassurant à l’aune des financements bancaires, type éco-PTZ. Il nous semble important aussi de proposer des systèmes de financement associant argent public et argent privé.

Monsieur le président, vous disiez qu’il n’était pas absurde que les subventions soient concentrées sur les ménages qui en ont le plus besoin et qu’en revanche, des incitations ne reposant pas forcément sur l’argent public soient prévues pour les autres ménages. Comment faire ?

La problématique des délais d’instruction ne m’a pas échappé. Je reçois également de nombreux courriers à ce sujet et j’y réponds régulièrement. En tout cas, je les transmets systématiquement à la directrice de l’Anah. J’ai mis en place un suivi régulier de ces dossiers qui ont été signalés pour m’assurer que des solutions ont été trouvées. Comme je l’ai indiqué dans mon propos liminaire, les systèmes d’information n’étaient pas adaptés et les changements étaient très difficiles à faire. Cela peut expliquer certains blocages par le passé, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Nous renforçons les effectifs, comme cela a également été demandé. Nous demandons que les effectifs soient renforcés d’environ 200 ETP au sein de l’Anah. Ce sujet fera l’objet d’arbitrages interministériels. Il sera présenté début octobre, puis vous vous en emparerez pour faire vos propres propositions.

Concernant la question du marché européen de l’électricité, je m’inscris en faux sur l’existence d’une corrélation aujourd’hui avec les prix du gaz. Ce n’est pas le principal élément du prix de l’électricité. Ce n’était d’ailleurs pas le cas au mois de septembre, lorsque les prix se sont envolés. Le sujet de la perception du risque de difficultés de fournitures est le principal élément explicatif. Au cours du premier semestre 2022, le prix du gaz a fait augmenter les prix du marché de l’électricité, puis, au deuxième semestre 2022, les prix que nous avons connus et le pic enregistré au début de l’année 2023 étaient liés à l’appréhension qu’avait le marché sur la quantité d’électricité livrée par EDF du fait des tensions sur son système de production nucléaire. L’enjeu d’augmenter la production de notre parc nucléaire en améliorant son excellence opérationnelle et en réalisant plus rapidement les maintenances est un facteur clé de détente du prix du marché de l’électricité en France.

De même, vous avez raison de le souligner, la sobriété et le fait d’avoir prouvé que nous étions capables d’effacer jusqu’à sept gigawatts de puissance, soit l’équivalent de sept réacteurs moyens en France, ont immédiatement contribué à détendre le prix du marché. Le 12 décembre, le pic de consommation a été moins élevé de 7 gigawatts que ce qu’il aurait dû être dans le cadre d’une situation météo équivalente les années précédentes. Dès le lendemain, le prix a commencé à descendre parce que nous avons fait la démonstration de la résilience de notre système. C’est un élément essentiel si on veut maintenir les prix de l’électricité à des niveaux corrects. Outre le coût de notre mix électrique, notre capacité à effacer et à faire face à des pics de puissance est fondamentale.

Le texte de la Commission européenne, mis ce jour sur la table, prévoit de créer des instruments qui permettent d’avoir des prix à long terme. Plus les prix seront fixés à long terme, plus ils seront proches de la réalité du coût de revient du mix électrique. C’est notre objectif : éviter d’être affectés par la volatilité liée à des situations particulières de marché et de prix d’énergies fossiles qui remontent, de risques de ruptures ou de surprimes de risque. Le système de contrat par différence est un système de régulation qui garantit aux fournisseurs et aux consommateurs un niveau de prix dans la durée. Ce prix est établi en fonction des coûts de revient : il est distribué de manière homogène sur l’ensemble des consommateurs. Personne ne bénéficie donc d’un avantage par rapport aux autres.

Pour les fournisseurs alternatifs, la régulation prévoit une couverture prudentielle qui les oblige à couvrir leurs prix et à avoir acheté par anticipation, s’ils ne sont pas capables eux-mêmes de produire l’électricité qu’ils mettent sur le marché. Ils doivent avoir acheté une certaine quantité d’électricité avec une maturité longue, pour les obliger à être en situation de fournir leurs clients et à ne pas se retirer du marché au dernier moment. Ce sont deux mécanismes présentés dans le texte de la Commission européenne.

Vous soulevez en creux la question des TPE et des ménages. En France, les TPE bénéficient du tarif réglementé de vente de l’électricité (TRVe) si elles sont équipées d’un compteur de moins de 36 kilovoltampères (kVA). Ce dispositif bénéficie ainsi à des centaines de milliers d’entreprises. Notre intention n’est pas de remettre en cause ces tarifs réglementés, lesquels sont aussi liés à l’évolution du marché. Lors de la crise traversée en 2022, le « bouclier » et « l’amortisseur » ont permis de limiter l’augmentation des prix auxquels ont dû faire face les ménages et les TPE, et non le tarif réglementé. Au niveau européen, l’Espagne propose un prix d’électricité moins élevé, mais c’était déjà le cas en avril 2021. Sinon, si l’on considère les prix aux Pays-Bas, en Belgique, au Royaume-Uni, en Allemagne, et en Italie, ils s’avèrent plus élevés pour les ménages qu’en France. Pour les entreprises, il existera nécessairement différentes catégories de contrats, comme actuellement. EDF peut proposer des contrats long terme pour certaines entreprises, mais ces consommateurs présentent des spécificités de consommation qui leur permettent d’apporter de la résilience au réseau. C’est aussi notre objectif. En concluant des contrats sur le long terme, ils renforcent aussi la stabilité dans les prix du marché.

Pour vous répondre, Mme la députée Marina Ferrari, les discussions entre EDF et les entreprises se poursuivent. Je suis régulièrement en contact avec les deux parties. Je crois néanmoins comprendre qu’il existe un chemin.

Plus vous donnez de signaux de long terme, plus il sera possible de fixer le coût des contrats en fonction des coûts de production, plus nous serons effectivement en capacité de parvenir à cette stabilité. La composante électricité du « bouclier » se situe, à dix euros près, au prix de notre mix électrique français, ce qui signifie que les mécanismes déployés en 2022, certes un peu conséquents, ont permis une reconstitution un peu frustre de ce que l’on prévoit de faire dans la réforme du marché de l’électricité. D’une part, on donne de la visibilité au prix, d’autre part, on récupère éventuellement les surprofits que l’on redistribue.

S’agissant du dispositif Sare, les financements postérieurs à 2024 ont été confirmés. J’ai écrit en ce sens aux élus. Concernant le non-recours aux droits, des points physiques ont été déployés, y compris les maisons France services, pour appuyer le dispositif MaPrimeRénov’. Il y a probablement d’autres actions à mener. J’ai peut-être quelques idées, mais je ne les évoquerai pas ici. Enfin, s’agissant de la dissociation entre bâti et foncier, je ne saurais pas vous répondre précisément parce qu’à titre personnel, je n’ai pas analysé ce point.

M. Emmanuel Lacresse, rapporteur spécial. Le débat d’aujourd’hui ne porte pas sur une loi de programmation énergétique. Nous débattons fondamentalement d’un système de prélèvement. Cet hiver, on nous demandera probablement de nous prononcer sur un nouveau système de prélèvement. Jusqu’à présent, dans le cadre de la directive du 5 juin 2019 sur le marché intérieur de l’électricité, nous procédions au fil de l’eau, au fil du mécanisme marché. Nous constations que les prix du nucléaire étaient fondamentalement assez inférieurs à ceux de l’énergie décarbonée d’origine éolienne et solaire. Nous devrons maintenant décider de manière volontariste entre deux grands systèmes. La conception du mraché (market design) fera que le système des énergies renouvelables devra se développer avec un soutien volontariste en matière de recherche, mais surtout en matière de réseau de transport. Sans ce réseau de transport et donc un effort budgétaire, nous ne parviendrons pas à soutenir les objectifs d’une augmentation de la consommation d’électricité. ’

En deuxième lieu, le sujet est celui du prélèvement sur le nucléaire, c’est-à-dire l’Arenh. Si on intègre dans le mécanisme de formation des prix que demandera EDF – c’est-à-dire le prix cible que la Commission de régulation de l’énergie (CRE) finira par fixer- –, tous les investissements pour le nouveau nucléaire et les EPR, les tarifs deviendront beaucoup trop élevés pour notre industrie. Il nous appartiendra probablement d’en rediscuter ici le moment venu.

M. David Amiel, rapporteur spécial. Je remercie Madame la ministre pour la clarté de ses réponses. Je tiens à rappeler l’utilité de ce Printemps de l’évaluation, qui nous permet aussi d’avoir un moment utile de réflexion collective sur des enjeux importants, en préparation notamment du projet de loi de finances. Je retiens aussi de nouvelles pistes depuis les débats de l’année précédente. Je pense notamment à l’accent à mettre sur les rénovations globales, à l’ambition d’arriver à un reste à charge zéro pour les plus précaires et aux instruments nouveaux à mettre en place pour réduire le reste à débourser pour les classes moyennes et intermédiaires. J’ai fait une proposition en ce sens, mais vous avez raison de souligner, Madame la ministre, qu’il y en a de nombreuses autres sur la table. En conclusion, ces moments-là permettent de définir en commun un diagnostic et des objectifs, et donc d’avancer de manière utile en prévision des prochains textes financiers.

La commission autorise, en application de l’article 146, alinéa 3, du Règlement de l’Assemblée nationale, la publication du rapport d’information de MM David Amiel et Emmanuel Lacresse, rapporteurs spéciaux.

M. le président Éric Coquerel. Mes chers collègues, nous abordons désormais la dernière thématique d’évaluation rattachée à la mission Écologie, développement et mobilité durables, relative à l’évaluation du système dual en matière de sûreté nucléaire garanti par l’indépendance entre la fonction de régulateur assurée par l’ASN, et celle d’expertise assurée par l’IRSN.

M. Sébastien Rome, rapporteur spécial (Paysage, eau et biodiversité ; Prévention des risques ; Expertise, information géographique et météorologie ; Conduite et pilotage des politiques de l’écologie, du développement et de la mobilité durable). Au regard des choix opérés par notre pays, les questions liées à la sûreté et à la sécurité nucléaires doivent être traitées, tant du point de vue technique que du point de vue démocratique. Il en va de la confiance de nos concitoyens : nous ne pouvons souffrir du défaut d’information. Aussi, nous exprimons, Madame la ministre, la grande surprise ressentie après le dépôt par le gouvernement, le 25 février dernier, de deux amendements transférant les compétences d’expertise et de recherche de l’IRSN vers l’ASN, sans consultation préalable des organismes concernés et des parlementaires, ce qui relève très nettement du défaut d’information.

Pourtant, le 8 février, vous aviez confié comme mission aux acteurs de la sûreté nucléaire le soin de formuler des propositions et de proposer une méthode de travail commune. Toutefois, 15 jours plus tard, la méthode expéditive a eu votre faveur, ce qui n’étonnera personne lorsqu’on considère les débats actuels sur les retraites. Or ce projet pose des questions de fond et de forme. Concernant les questions de forme, tout d’abord, la méthode employée par le Gouvernement a suscité la stupéfaction et l’insatisfaction des représentants du personnel de l’ASN que nous avons auditionnés. Une telle méthode a jeté un réel trouble sur les intentions de l’exécutif concernant le contrôle de nos installations nucléaires. Il entame in fine la confiance des citoyens dans ce contrôle.

Est-ce pour aller plus vite, pour accélérer ? Nos entretiens nous ont permis d’établir que nous ne gagnerons au mieux que quelques mois sur les nouveaux projets et sur la programmation des contrôles qui s’étalent sur plusieurs années. Y a-t-il des dysfonctionnements, des désaccords, des blocages entre les opérateurs justifiant la démarche du Gouvernement ? Aucun exemple de blocage ne nous a pourtant été soumis, même s’il peut y avoir des débats. Ces derniers sont même un objet de ce projet de sûreté, car ils permettent d’aligner les esprits sur un point haut d’équilibre entre savoir scientifique et protection.

Ce projet de transfert pose en outre d’importantes questions de fond. Premièrement, il remet en cause une organisation du contrôle de sûreté qui n’est pas absolument le fruit du hasard. Cette organisation est le résultat d’une construction progressive liée à la volonté de tirer les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl, puis des crises sanitaires des années 1990, avec la séparation entre les fonctions d’expertise et celles de gestion du risque pour atteindre ce point haut d’équilibre. Aussi, le contrôle de la sûreté nucléaire repose aujourd’hui sur la séparation entre l’autorité de contrôle, l’ASN, et un organisme principal d’expertise, l’IRSN, alors que les compétences sont clairement réparties de part et d’autre.

La séparation ne signifie pas étanchéité. Notre constat est qu’il existe un continuum entre expertise et prise de décision. La répartition des responsabilités de chacun est claire pour tous. Même sans changer l’architecture, tout fonctionnement est perfectible. Nous soumettons des propositions très concrètes dans ce sens, comme la création d’un centre de crise commun entre ASN et IRSN pour ordonner la chaîne de réponse en cas de situation d’urgence, ainsi que la création d’un régime juridique dédié aux lanceurs d’alerte dans le secteur du nucléaire. Nous proposons également une simplification de la lisibilité du budget consacré à la sûreté, fragmentée entre différents programmes relevant de plusieurs ministères, une taxe affectée et des ressources propres, en créant un jaune budgétaire retraçant l’ensemble de l’effort financier consacré à la sûreté nucléaire en France.

Deuxièmement, ce projet de transfert n’apparaît absolument pas opportun dans l’optique même du gouvernement au regard de sa politique nucléaire à venir. L’objectif de prolonger les centrales de 40 ans, voire 60 ans, les chantiers de démantèlement, la relance du nucléaire civil, ainsi que l’adaptation au changement climatique vont conduire à une très forte hausse de l’activité de contrôle et d’expertise. La mise en œuvre du projet de fusion du gouvernement mobiliserait des énergies et des moyens financiers et humains considérables, lesquels ne seront donc pas affectés à des activités de contrôle et d’expertise.

Nous avons de surcroît été convaincus qu’une telle fusion interviendrait au pire moment qui soit, alors même que l’organisation du contrôle a largement fait ses preuves et est reconnue à l’étranger. La conséquence, déjà sensible sur le terrain, pourrait être une fuite de notre expertise vers le privé, confronté à un besoin grandissant de personnel. On ne doit donc pas manquer d’experts pour le contrôle de nos installations nucléaires. Ce constat soulève aussi des questions d’ordre salarial, sur lesquelles je laisserai la parole à ma collègue, Alma Dufour.

Mme Alma Dufour, rapporteure spéciale (Paysage, eau et biodiversité ; Prévention des risques ; Expertise, information géographique et météorologie ; Conduite et pilotage des politiques de l’écologie, du développement et de la mobilité durable). Comme l’a dit mon collègue, Monsieur Rome, aucun des acteurs auditionnés n’a pu réellement nous donner des arguments définitifs sur les gains réels qu’apporterait la fusion au regard des risques qu’elle comporte quant au départ accéléré des salariés et à la désorganisation des services, alors que ces derniers sont confrontés à une forte charge de travail. L’argument principal mis en avant par les personnes que nous avons pu auditionner, y compris au sein de votre cabinet, Madame la ministre, est qu’il n’y a jamais eu autant de travail dans le nucléaire (relance des EPR, nouvelles technologies à l’étude et grand carénage à venir d’une partie très importante de nos réacteurs).

Sur ce point, personne ne peut discuter de la masse de travail à venir : vous l’avez dit vous-même, la résilience des prix de l’énergie sur le moyen terme en France dépend de notre capacité à éviter les risques de coupure. La question est de savoir comment s’y prendre pour éviter ces risques de coupures. Néanmoins, le réel enjeu par rapport à cette masse de travail supplémentaire semble résider dans le besoin en travailleurs, en ingénieurs, en experts, et non dans une fusion directement. Puisque nous avons besoin de ressources humaines supplémentaires, suite aux décisions prises sur la relance, quel est le plan du gouvernement concernant l’augmentation des effectifs au sein de l’ASN et de l’IRSN ? Qu’en est-il de l’augmentation des rémunérations des salariés, afin de rendre la profession plus attractive qu’elle ne l’est aujourd’hui par rapport à la concurrence du privé ?

L’ASN a demandé 29 ETP supplémentaires de cette année jusqu’en 2027, alors que, de son côté, l’IRSN a sollicité 38 ETP supplémentaires. Or pour l’instant, seule la moitié des ETP a été accordée, soit 15 ETP pour l’ASN et 20 pour l’IRSN. La DGPR, que nous avons auditionnée, nous assure de l’intention de l’État de débloquer la totalité des ETP demandés. Malheureusement, ces chiffres ne sont pas aujourd’hui dans la loi de programmation des finances publiques.

Comment être rassurés, sachant que l’ASN et l’IRSN ont une estimation conservatoire des besoins supplémentaires, connaissant le climat de contraintes budgétaires général qui pèse sur l’ensemble des établissements publics ? En réalité, les besoins semblent plus importants encore, d’autant plus s’il y a une volonté d’accélérer les calendriers tout en ne rognant pas sur les enjeux de sûreté ou si l’on souhaite adapter l’expertise actuelle à l’aggravation notable des impacts du changement climatique, notamment dans certaines régions du sud de la France.

Il en va de même concernant l’attractivité des métiers. Tous les acteurs auditionnés nous ont confirmé leurs craintes de voir les agents de l’ASN et de l’IRSN partir dans le secteur privé, considérant la faiblesse comparative de leur rémunération et les incertitudes pesant sur l’organisation et, de facto, sur la fusion. Une fois encore, il n’y a pas de proposition concrète d’augmentation salariale, certainement pas concernant les fonctionnaires, mais pas davantage d’annonces claires concernant l’ouverture à l’ASN de la possibilité de recruter des CDI. Nous alertons sur le risque de créer des distorsions de traitement entre fonctionnaires et nouveaux contractuels, qui ne feraient que précipiter les départs des agents déjà recrutés en tant que fonctionnaires à l’ASN ou l’IRSN.

Enfin, les enjeux de la fusion ne sont apparus qu’en dernier lieu, lorsque nous avons auditionné la Direction de l’ASN lors de notre rapport spécial que nous avons présenté tout à l’heure. Cette dernière s’inquiète du retard pris dans les économies d’énergie et le développement des énergies renouvelables, qui risque de générer des tensions de plus en plus fortes entre offre et demande d’électricité dans les prochaines années en France, puisque les nouveaux EPR ne seront pas disponibles avant 2037, voire 2040, et de créer pour l’ASN et l’IRSN un environnement susceptible de nuire à la protection de la sûreté nucléaire.

Alors que la fusion semble être programmée dans l’immédiat, les recrutements et les conditions de travail semblent pouvoir attendre. De même, les économies d’énergie et les ENR traînent aussi en termes d’objectifs chiffrés. Comment comptez-vous en conséquence tenir vos objectifs, si vous ne rassurez pas les salariés de l’ASN et de l’IRSN dès aujourd’hui, avec des annonces claires sur les ETP et sur leur traitement salarial ? Merci beaucoup.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique. Pour revenir sur différents éléments de votre présentation, et notamment sur la forme, je tiens à préciser, puisque vous mentionnez la mission confiée à Messieurs Niel et Doroszczuk sur la préparation d’un travail relatif à la fusion entre l’ASN et l’IRSN, que ces deux amendements ont été préparés dans le cadre de cette mission. Le résultat de leurs travaux a donc été présenté en commission des affaires économiques. Il s’agit bien de la continuité de cette mission qui comportait deux temps.

Le premier temps était consacré à l’établissement de propositions pour des amendements dans le cadre d’un projet à court terme. Le deuxième temps consistait à préparer le projet de loi de finances 2024, dans le cadre de cette potentielle réforme.

Sur le fond, ces amendements tiraient un premier renseignement puisqu’il ne s’agissait pas de supprimer l’IRSN, comme je l’ai beaucoup entendu, ni de supprimer des moyens, mais tout simplement de reconnaître la capacité d’expertise de l’ASN et de permettre un rapprochement entre les deux institutions. C’est le fruit d’un premier enseignement des rapports répétés de la Cour des comptes depuis 2007.

Je rappelle que l’ASN a été créée en 2006 et l’IRSN en 2002. Ce qui avait conduit initialement à la séparation entre ces deux organismes, alors qu’ils sont le fruit de regroupements successifs d’institutions, c’est le fait que l’ASN, devenue une autorité administrative indépendante, était une direction d’administration directement placée sous l’autorité d’un ministre. Vous pouvez mesurer le chemin parcouru par l’ASN en prenant cette dimension d’autorité administrative indépendante. Effectivement, dans la notion de travail et de prise de décision et d’accompagnement de la décision de la régulation, cette dimension d’autorité administrative indépendante est fondamentale et change complètement la donne.

Que dit la Cour des comptes, de manière répétée ? Je cite quelques extraits de son rapport de 2014 : « les recommandations formulées par la Cour à l’occasion de ses précédents contrôles ont globalement été suivies d’effets. Néanmoins, des efforts restent à réaliser pour rationaliser les implantations de l’établissement, pour mieux hiérarchiser et prioriser la stratégie de recherche et pour que la communication externe soit menée de façon plus concertée avec l’ASN. Les coûts complets par action nourrissent un conflit latent entre l’ASN et l’IRSN. Les relations entre ASN et IRSN sont difficiles et nourrissent une tension permanente. Tous les rapports de la Cour de ces dernières années ont mis en exergue cette tension jusqu’à considérer qu’il serait utile de rechercher des voies pour améliorer la collaboration entre les deux organismes. Les relations entre l’ASN et l’IRSN sont fondées sur une complémentarité qui n’exclut pas tensions et dysfonctionnements. »

Je ne vais pas rentrer dans les différents éléments, mais je constate qu’en dépit de la bonne volonté déployée, cela n’a pas empêché ces dernières années des actions de communication autonomes de l’IRSN qui posent des problèmes de principe. Ces constats sont documentés par la Cour des comptes. Nous ne partons pas d’un problème qui n’existerait pas, mais d’une situation qui demande à être traitée.

Quant à l’organisation de la sûreté nucléaire au plan international, le modèle le plus proche du nôtre est celui de l’Allemagne. Vous m’accorderez, compte tenu des décisions qui appartiennent au gouvernement allemand et qu’il ne nous appartient pas de commenter, ce n’est pas forcément l’organisation qui correspond le mieux à nos intentions pour la filière nucléaire. Si maintenant nous considérons la réalité des organisations d’autres pays (Japon, États-Unis, Canada, Royaume-Uni), nous pouvons constater que cette dualité n’est pas du tout organisée de la même manière et qu’en plus, on a un sujet de concentration des ressources ou de manque de concentration des ressources, pour l’ASN, pour accompagner la sûreté nucléaire, alors même que nous sommes en train de travailler à la relance d’un programme nucléaire, que la question de la prolongation des réacteurs en sûreté est une question majeure, et qu’un certain nombre de projets innovants émergent de la part d’acteurs qui n’ont pas cette forcément complètement cette culture du nucléaire qu’avaient les trois grands opérateurs internationaux, Westinghouse, EDF et la Korea. Ces acteurs devront réaliser des processus de validation, pour lesquels ils seront peut-être un peu inexpérimentés. Dans ce contexte, se poser la question de la meilleure organisation de notre sûreté nucléaire me paraît assez fondé.

Vous affirmez que les compétences sont clairement séparées entre l’ASN et l’IRSN, mais ce n’est pas le cas. Je rappelle que les compétences d’expertise sur ce qui fait les éléments les plus centraux d’un réacteur nucléaire, en particulier les équipements sous pression et la cuve, se trouvent à l’ASN. Faut-il donc couper l’ASN et la renvoyer à l’IRSN ? C’est ce que vous sous-entendez. Or, à ce jour, personne ne s’est jamais plaint du fait que cette expertise soit à l’ASN, alors qu’elle porte sur les équipements les plus critiques. Vous voyez bien qu’il y a des marges de progrès et des marges d’organisation à revoir sur l’organisation de la sûreté nucléaire.

Quant à la concurrence du privé, elle induit une très bonne question relative à l’attractivité des métiers et des rémunérations. J’ai pris une mesure à court terme, en intervenant personnellement auprès des acteurs de notre filière pour leur demander de ne pas recruter, de ne pas faire la chasse aux compétences au sein de l’IRSN puisque l’ASN applique strictement une déontologie de transfert de l’ASN vers les opérateurs. Les mailles du filet sont un peu plus lâches en matière de déontologie de l’IRSN vers les opérateurs, ce qui d’ailleurs pourrait être une question qu’on pourrait se poser, dans la mesure où d’un point de vue juridique, les deux organismes relèvent des mêmes textes.

Il est vrai qu’il existe des écarts de rémunération entre les deux institutions. Par ailleurs, certains écarts de rémunération pourraient être appelés à se creuser si effectivement nous relançons un programme, puisqu’il va y avoir des appels d’air de recrutement, et donc probablement des tensions sur un certain nombre de fonctions. Ce sujet-là doit être traité, à la fois dans la dimension parcours de carrière, c’est-à-dire comment permettre des évolutions au sein d’une institution qui gère la sûreté nucléaire, permettant de passer d’une entité à l’autre et d’avoir des parcours de carrière complets et passionnants, mais aussi sous l’angle de la rémunération et de ses modalités.

Le dernier point porte sur les moyens supplémentaires. Sur ce plan, je partage votre vision. A priori, si la filière nucléaire estime avoir besoin de 100 000 recrutements supplémentaires dans les années qui viennent, afin de couvrir les départs à la retraite et le recrutement de compétences supplémentaires nécessaires à la réalisation d’un nouveau programme nucléaire, à la mise en œuvre d’une prolongation des réacteurs et au fait de demeurer proactif sur les sujets d’amont du combustible, d’aval de combustible des déchets et des nouveaux réacteurs qui font l’objet d’innovations technologiques, il apparaît clairement que nous allons devoir renforcer les compétences de l’ASN et de l’IRSN. Dans quelle mesure ? Je n’ai pas les chiffres à ce jour, mais une analyse est en cours.

C’est un exercice que nous devons faire, comme nous le faisons pour toutes les filières. Cette analyse relève en réalité d’une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences en réel, que nous avons précisément fait pour le nucléaire. J’ai demandé que cet exercice soit réalisé pour la filière énergies renouvelables et pour les réseaux. Ce sujet nous concerne également dans les différents espaces administratifs, la délégation interministérielle au nouveau nucléaire, la question de l’ASN, de l’IRSN, de la direction générale Énergie Climat. Ces organismes travaillent sur des sujets absolument stratégiques dans le cadre de la transition énergétique. On leur demande de faire plus, mais ils vont avoir besoin de compétences supplémentaires.

Quant au retard que vous avez évoqué sur les énergies renouvelables, je précise qu’en 2022, nous avons connecté cinq gigawatts d’énergies renouvelables, soit le niveau maximal réalisé par la France au cours de son histoire énergétique. Ce chiffre est intéressant. Par ailleurs, le rythme de la France entre 2012 et 2021 est exactement identique à celui de l’Allemagne sur les énergies renouvelables, pays qui est plutôt présenté comme un bon élève en matière de déploiement des énergies renouvelables. En France, nous avions 13 % de la consommation finale en énergies renouvelables en 2012, comme l’Allemagne, et nous étions à 19,4 % en 2021, contre 19,2 % pour l’Allemagne. Chaque année, les résultats sont proches entre ces deux pays, l’écart n’excédant pas 0,3 %.

L’Espagne présente certes un meilleur résultat que nous, alors que l’Italie se trouve derrière nous. Parmi les pays les plus peuplés, nous nous positionnons effectivement juste derrière l’Espagne. Cela permet de remettre en perspective la perception que nous avons des énergies renouvelables en France et de leur déploiement. Il est vrai que, lors de sa présidence européenne, la France s’était engagée à atteindre un objectif plus élevé, 23 %, ce qui explique cet écart de perception au regard de l’engagement politique pris en 2010, qui n’a pas été tenu et qui aurait pu l’être par le biais de l’achat de transferts statistiques, comme de nombreux autres pays l’ont fait. Cinq pays ont ainsi procédé à des achats de transferts statistiques de mégawatts pour revenir sur leur production.

Nous sommes en discussion avec la Commission européenne, puisque nous considérons avoir su développer des énergies renouvelables. Il convient probablement de trouver un dispositif qui nous rassemble afin de tenir notre engagement politique et de faire en sorte que les mesures prises bénéficient à la filière des énergies renouvelables française.

M. le président Éric Coquerel. Cette thématique d’évaluation nous permet de revenir sur un débat parlementaire récent.

Il est heureux que nous n’ayons pas réalisé la fusion entre l’ASN et l’IRSN, organismes dont il convient de saluer la compétence. En matière de contrôle, d’expertise technique et de recherche, il n’existe que peu d’équivalents dans le monde dans le domaine du nucléaire, ce qui est normal, puisque nous avons un des programmes nucléaires les plus importants au monde. Il est normal de se donner les moyens de conserver cette expertise.

Je ne suis toujours pas convaincu par les arguments invoqués, notamment les arguments de comparaison avec des pays dont les profils sont assez différents. En outre, par coutume, je n’évalue pas forcément nos politiques en matière de sécurité nucléaire à l’aune de ce qui se fait ailleurs, notamment parce que les ressorts diffèrent, par exemple en termes d’intervention de la puissance publique.

Pourquoi changer quelque chose qui fonctionne ? L’indépendance entre ces deux structures, leur complémentarité, la reconnaissance internationale dont bénéficient ces deux organismes font que ce système, en dépit des besoins d’effectifs supplémentaires pour ces deux organismes, a largement fait ses preuves. À l’heure où le gouvernement veut relancer l’énergie nucléaire, notamment avec des centrales EPR dont on connaît les problématiques d’installation, de retards de coûts et de questions relatives à la sécurité, je ne vois vraiment pas d’un bon œil le fait de déstabiliser un établissement et deux fonctions aussi importantes. Je n’ai toujours pas trouvé d’arguments convaincants, autres que l’idée d’économie du fait d’une mutualisation, que je n’espère pas. À mon avis, ce n’est pas dans le secteur du nucléaire qu’il faut réaliser des économies, si tant est qu’il faille en faire ailleurs.

De surcroît, les rumeurs qui courent m’inquiètent, dans la mesure où elles proviennent de certaines communications de l’IRSN par rapport aux EPR et, dit-on, de l’intervention d’un opérateur très connu, aujourd’hui à 100 % public, sur les questions de développement industriel. Les représentants de l’IRSN seraient considérés comme des gêneurs, ce qui, à mon avis, correspond largement à la réalité de ce qui nous a conduits à cette situation.

Pour ma part, je ne suis toujours pas convaincu. Ce rapport a un mérite, puisqu’il tient compte effectivement de certaines remarques et critiques. J’espère qu’il pourra prévaloir par rapport à d’autres missions ambitionnant une fusion. Monsieur le rapporteur, c’est à vous.

M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général. Puisque notre collègue Sébastien Rome en a parlé, je tiens à lui dire qu’en matière de retraite, je serais assez prudent si j’étais lui, après les leçons d’obstruction et d’agressivité dont son groupe a fait preuve aujourd’hui, tout au long de la journée en commission des affaires sociales.

Nous nous accordons sur la nécessité, pour la France, de conserver une expertise et un contrôle nucléaire d’excellence, ce qui est absolument essentiel. Je ne suis pas convaincu par vos arguments visant à éviter la fusion. Je perçois quelques contradictions dans ces derniers. En premier lieu, vous démontrez que l’un des organismes est le premier commanditaire de l’autre, et que l’autre organisme est le premier prestataire de l’un. Il existe probablement des synergies extrêmement importantes entre ces deux organismes. Vous mentionnez d’ailleurs une vaste coopération entre les deux. Nous nous inscrivons déjà dans une coopération extrêmement forte. Pourtant, vous appelez à une meilleure clarification des compétences et à la mise en place d’un centre de crise commun qui, si ces deux organismes fusionnaient, seraient de facto des objectifs souhaités et atteints.

Ensuite, vous décrivez les fusions entreprises et évoquez une désorganisation sur plusieurs années, des pertes de financement et de pertes d’attractivité des métiers, ce qui me semble une vision assez apocalyptique. Or cela peut très bien se passer pour peu que, l’on s’entende sur les compétences, sur les objectifs en matière effectifs et sur les sujets de salaire après la fusion. Ces éléments peuvent au contraire alimenter une fusion.

En conclusion, je partage votre objectif de maintenir une sûreté absolue sur notre parc nucléaire. Je suis plus réservé quant à vos réserves sur la fusion entre les deux organismes.

M. Daniel Labaronne (RE). Nous pouvons nous féliciter d’une annonce de la relance du nucléaire civil en France, mais cette annonce doit s’accompagner d’une organisation de la sécurité nucléaire qui ne laisse place à aucun dysfonctionnement, qui développe une expertise incontestable, et qui assure notre protection nucléaire en toute sécurité. Cette annonce, par conséquent, doit tenir compte des observations formulées à de nombreuses reprises sur la relation entre l’ASN et l’IRSN, notamment les observations faites par la Cour des comptes et, Madame la ministre, vous avez rappelé quelques-unes des recommandations émises en la matière par la Cour des comptes.

Mes questions relatives aux relations entre l’ASN et l’ISRN portent notamment sur les pistes d’amélioration de l’organisation actuelle de notre sécurité nucléaire pour répondre justement au défi de la relance de la filière nucléaire, s’agissant par exemple du lancement de nouveaux programmes, du prolongement du parc actuel et des SMR. La région Touraine, qui souhaite candidater pour obtenir un SMR sur son territoire, est tout à fait attentive à vos propos sur les pistes d’amélioration de cette organisation.

Mme Véronique Louwagie (LR). La sûreté nucléaire est un enjeu primordial et une préoccupation qui doit être quotidienne. Elle repose sur deux acteurs, un régulateur, l’ASN, in fine autorité décisionnaire en matière de contrôle de la sûreté nucléaire, et un expert, l’IRSN, qui vient en appui technique, en matière de de recherche et d’expertise. Ce sont finalement des missions complémentaires induisant une coopération.

Plusieurs questions peuvent se poser à cette aune, mais deux d’entre elles me paraissent essentielles pour vérifier s’il est effectivement nécessaire de fusionner ces deux acteurs. L’indépendance de ces deux acteurs est-elle nécessaire ? La réponse à cette question conditionne la suite à donner, parce que si nous y répondons de manière positive, la fusion n’est pas envisageable. En revanche, si nous pouvons y répondre de manière négative, la question de la fusion peut être évoquée.

Une deuxième question a été un peu évoquée par le président de la commission. Cette fusion est-elle souhaitable ? Quels en sont les avantages ? C’est à ce niveau qu’il faut apporter des réponses. Comme cela a été dit par les rapporteurs, il convient de mettre fin à certaines complexités budgétaires et administratives. Il en ressort de réelles pistes d’amélioration, sur lesquelles nous devons pouvoir travailler très sereinement. Je crois qu’on ne peut pas éluder la question de l’évolution de ces dispositifs, mais il convient d’y réfléchir.

Mme Marina Ferrari (Dem). À la lecture de votre rapport d’information, je comprends que vous considérez que le transfert des compétences d’expertise et de recherche de l’IRSN vers l’ASN ne doit pas se faire, car, je vous cite, « elle mobiliserait des énergies et des moyens considérables, alors que ceux-ci pourraient être employés sur des activités de contrôle et d’expertise. » Cette opposition me semble, sur le fond, assez catégorique, tant l’appréhension des enjeux du secteur est complexe.

En effet, s’il est évident que la méthode n’a pas convaincu lors de l’examen du projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires, nous ne sommes idéologiquement pas opposés à l’existence d’une seule et unique structure de contrôle indépendante, car les défis techniques de ce secteur sont tels qu’une organisation simplifiée semble toujours plus efficace. En effet, nous nous apprêtons à engager un nouveau programme nucléaire. Les enjeux du vieillissement du parc sont de plus en plus importants. Il est indéniablement bienvenu de réfléchir à la manière dont sera assuré un fort degré d’exigence en matière de sûreté nucléaire. Vous considérez d’ailleurs que le rôle de contrôle de la sûreté nucléaire présente des complexités budgétaires, administratives qu’il serait nécessaire de corriger.

En outre, notre organisation duale est une spécificité française. Une grande majorité de nos voisins bénéficient d’une structure indépendante effectuant la recherche d’expertises et le contrôle en termes de sûreté nucléaire. Une fois n’est pas coutume, notre exception n’est pas un problème dès lors qu’elle fait sens et preuve d’efficacité. Je souhaitais savoir, Madame la ministre, si un travail d’évaluation et de comparaison était en cours sur le fonctionnement des structures d’autres pays, mais vous nous avez déjà éclairés sur le sujet (budget, ressources humaines, objectifs de résultats et de moyens). Ces éléments peuvent être intéressants afin de penser et analyser sereinement l’évolution de notre propre système.

Pour cela, vous aviez d’ailleurs missionné en début d’année les dirigeants de l’ASN, de l’IRSN et du CEA pour faire des propositions d’ici au mois de juin et en vue de la construction du PLF 2024, notamment sur le périmètre des transferts des différentes missions sur les sujets budgétaires et financiers et les évolutions réglementaires à prévoir. Ce travail est-il toujours en cours ? Si tel est le cas, pourriez-vous nous en faire un point d’étape ? Je vous remercie.

M. Mickaël Bouloux (SOC). Je souhaite redire notre attachement à cette organisation duale et indépendante que nous avons âprement défendue il y a quelques mois, dans le cadre du projet de loi d’accélération du nucléaire, défendue contre le gouvernement et les partis présidentiels. La mobilisation des oppositions et des organisations représentant les salariés de l’ASN et de l’IRSN a permis de repousser, du moins pour le moment, un projet de fusion brutal et expéditif décidé en catimini dans un Conseil de défense.

Ce rapport est le bienvenu, parce qu’il vient compléter d’autres rapports sur les matières qui intéressent particulièrement notre commission des finances. À deux reprises, la Cour des comptes a loué cette organisation et nous a mis en garde contre une fusion. Dans un référé du 25 juin 2021, elle soulignait, s’agissant de l’IRSN, que la gouvernance et l’organisation de l’Institut, bien que complexes, avaient trouvé un équilibre, que ce dernier remplissait les missions qui lui étaient confiées par le Code de l’environnement et qu’il avait atteint les objectifs du contrat d’objectifs et de performance.

Dans un rapport du 10 décembre 2014, la Cour des comptes indiquait que la fusion des deux organismes constituerait une réponse inappropriée par les multiples difficultés juridiques, sociales, budgétaires, matérielles qu’elle soulèverait. Il n’apparaît donc pas pertinent de remettre en cause cette organisation. En revanche, et dès le prochain PLF, nous devrons accompagner une montée en charge des moyens de ces deux structures au regard des objectifs nouveaux qui leur sont fixés par la loi d’accélération du nucléaire.

Mme Christine Arrighi (Écolo-NUPES). Je vous interrogeais, Madame la ministre, le 17 mars 2023, alors que nous découvrions par un communiqué du 8 février la décision du gouvernement de réunir les compétences techniques de l’IRSN et de l’ASN, et donc d’entreprendre une réforme du contrôle de la sûreté nucléaire, qui nous était présentée comme décision, et non pas comme discussion au Parlement.

L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), par la volonté de ses président et vice-président, s’était saisi du sujet, et, à l’issue d’une audition publique le 16 février, les approches étaient pour le moins différenciées, les uns plaidant pour la réforme, d’autres indiquant qu’ils s’y conformeraient, tandis que d’autres encore se sont exprimés en faveur de la préservation du système actuel. À cette occasion, je vous posais deux questions. La première était simple : pourquoi mettre la charrue avant les bœufs ? Pourquoi ne pas faire précéder cette réforme d’une phase de diagnostic et d’étude d’impact, suivie d’une phase de négociation ?

Je vous posais une deuxième question à laquelle vous n’avez pas répondu, mais que je vais vous reposer bien sûr. Au préalable, je voulais vous demander si vous pourriez convenir ici que la méthode qui consiste à décider d’abord, puis expliquer, sans d’ailleurs faire état des avantages et inconvénients de l’organisation actuelle et de l’organisation prévue est complément contre-productif, conduisant nécessairement au blocage et/ou au passage en force, toujours préjudiciable à court terme et à long terme à tout fonctionnement démocratique.

Ma deuxième question est la suivante : compte tenu de ce qui a été dit par nos deux co-rapporteurs et des conclusions de la mission sur ce projet de réforme confiée à l’OPECST, et menée par Jean-Luc Fugit et Stéphane Piednoir, quelles sont vos options si cette mission remettait en cause votre projet, considérant les multiples réserves déjà exprimées ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. L’ASN est la seule autorité nucléaire dans les pays ayant une politique nucléaire ambitieuse qui ne dispose pas de moyens d’expertise internes forts pour l’instruction de ses dossiers. Sous cet angle, il est intéressant d’examiner les ressources disponibles. On recense plus de 2 000 agents au sein de l’autorité de sûreté américaine, mais seulement 500 agents pour l’ASN.

Ces comparaisons étaient disponibles. Je tiens d’ailleurs à vous rassurer sur le fait que nous avions transmis des éléments évaluant l’impact au moment de l’examen des amendements, lesquels ont été travaillés dans le cadre de la mission menée, non par l’OPECST, mais par messieurs Niel et Doroszcuk.

L’enjeu est effectivement de faire en sorte que l’ASN dispose, sur les activités d’expertise, des ressources adéquates et qu’elle puisse par ailleurs faire appel à des expertises externes qui ne sont pas nécessairement toutes situées au sein de l’IRSN. Quant à la question de savoir s’il y a une raison cachée, tenant à l’intervention d’un opérateur, et puisque vous citez le rapport de la Cour des comptes, je rappelle que les éléments du rapport que je vous ai lus existent et me semblent assez clairs.

Que disait la Cour des comptes en 2019 ? Elle indiquait finalement que le rapprochement allait être compliqué à mettre en œuvre, parce qu’il supposait une loi et une stratégie immobilière commune. Au moment des investigations de la Cour des comptes, donc avant l’écriture du rapport et son approbation en chambre, le programme de relance du nucléaire n’était effectivement pas totalement dans l’air du temps. En tout état de cause, la mise en œuvre d’un rapprochement nécessite effectivement une stratégie immobilière commune et une loi sur les statuts.

Or ces deux motifs, dans le dossier qui nous occupe, la relance du nucléaire, ne justifient pas de ne pas initier un tel projet. Par ailleurs, tous les autres éléments pointés dans le rapport existent. Ils existent d’ailleurs dans les différents rapports, et je ne crois pas que la Cour des comptes soit sous l’influence d’un grand opérateur à 100 % public.

M. le président Éric Coquerel. Je n’ai pas dit cela, Madame la ministre.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Ce n’est pas un constat fantasmé ou inexistant. Un exercice de crise a été mené en 2021, au cours duquel il est apparu que notre autorité de sûreté nucléaire manquait de moyens d’expertise en cas de crise.

L’idée d’établir une organisation commune s’apparente d’ailleurs au rassemblement des équipes. En fait, sur le plan matériel, vous affirmez qu’il faut faire ce que l’on propose. La question de l’indépendance est aussi très intéressante. Quelle est l’autorité administrative ? C’est l’ASN. Quel est l’établissement public soumis au contrôle des ministres et donc du pouvoir politique ? C’est l’IRSN. Vous mentionnez la complexité. Il ne faut pas sous-estimer la complexité du rapprochement de deux structures. Il en découle des enjeux culturels et des enjeux d’identité. Chacun doit y trouver son compte. J’accepte complètement cette critique ou ce questionnement.

Néanmoins, de quoi parle-t-on ? On parle du rapprochement de deux structures publiques, qui mènent une mission commune de sûreté nucléaire au sein de l’État. Ce rapprochement permettra de mettre en cohérence leurs règles déontologiques et de renforcer leurs moyens. Même si l’on ne doit pas sous-estimer la complexité de la démarche, puisqu’il faut définir une animation commune et des organisations, ce rapprochement ne sous-tend pas d’enjeu de restructuration. Il ne s’agit pas de réduire les moyens ou de revoir les implantations géographiques. L’objectif est d’avoir la force de frappe la plus efficace possible, permettant effectivement à l’Autorité de sûreté nucléaire d’avoir de l’expertise en interne, de l’expertise en externe et de pouvoir mener à bien ses missions.

Pour répondre à votre question sur l’indépendance de ces deux acteurs très directement, Madame la députée Louwagie, je suis sûre que l’indépendance de l’Autorité de sûreté nucléaire est nécessaire et qu’une telle indépendance ne peut pas être apportée à l’IRSN. Cette fusion est-elle souhaitable et quels sont ses avantages ? Elle permet le renforcement qui est souhaité.

Effectivement, une mission de l’OPECST est en cours. Elle auditionne différents acteurs, avant de formuler des propositions. Pour ma part, je fonde ma position sur la science et sur une analyse contrefactuelle de la meilleure organisation.

La phase d’instruction correspond à la qualification et aux enjeux qui avaient été mis en avant par certaines autorités de contrôle. La phase de négociation devait être mise en œuvre, sachant que les amendements ne faisaient que créer un cadre permettant d’entrer dans cette phase de négociation autour d’une organisation et d’un rapprochement. En aucun cas, elle ne supprimait l’IRSN et ne portait atteinte à ses missions. Les amendements qui étaient proposés élargissaient les missions de l’ASN.

Mme Alma Dufour, rapporteure spéciale. Je souhaite revenir brièvement sur plusieurs points. Vous nous avez beaucoup parlé des rapports de la Cour des comptes. Nous essayons d’attirer votre attention sur l’état d’esprit des salariés de l’ASN et de l’IRSN, puisque vous compterez in fine sur eux pour mettre en œuvre le plan de relance du nucléaire que vous vous êtes en train de décider. Nous avons interrogé les syndicats et leur position est différente.

Les syndicats et de l’ASN et de l’IRSN nous affirment qu’il n’y a pas de problème relationnel aujourd’hui entre l’ASN et l’IRSN. Je vous cite le personnel de l’ASN qui nous dit : « Les liens sont professionnels et le travail se fait en bonne entente. Tout le monde est conscient de son rôle dans le domaine du contrôle et de la sûreté et de la radioprotection, et les rôles et missions font l’objet de notes de fonctionnement partagées entre les deux organismes. » Nous vous demandons de ne pas jouer avec le feu. Ne mettez pas la charrue avant les bœufs. Cela a déjà été dit : il y a des enjeux de recrutement et de rémunération. Vous ne pouvez pas arriver d’abord avec une fusion non concertée avec les acteurs, puis traiter plus tard ces questions majeures. Les acteurs nous ont alertés en premier lieu sur ces dernières, et non sur les enjeux de fusion. Ne cassez pas le jouet, parce que, pour l’instant, cela n’a pas l’air d’être un enjeu majeur pour les deux acteurs. Au contraire, nous sommes confrontés à une situation critique côté salariés. C’est aussi eux qu’il faut écouter en premier, puisque nous valorisons leur expertise et leur savoir-faire.

M. Sébastien Rome, rapporteur spécial. Je vais appuyer sur deux points un peu plus politiques ou philosophiques. On nous présente le rapprochement comme une étape technique. Je crois qu’il existe un élément démocratique extrêmement fort de communication auprès du grand public. Nous sommes d’accord sur l’ordonnancement de la communication auprès du grand public. Nous l’avons vu lors de la crise ukrainienne. Effectivement, je pense qu’une cellule de crise unique, avec peut-être un chef de file qui serait l’ASN et une expertise technique, susceptible d’être menée par l’IRSN, peut être une bonne chose. Nous pouvons y parvenir, mais cela ne suppose pas la nécessité de fusionner l’ensemble des équipes qui travaillent ensemble. Ce qui est important, c’est de maintenir cette séparation classique entre l’expertise et la décision. Elle est nécessaire, aussi pour les experts qui font la recherche et qui n’ont donc pas à prendre la décision, que pour le public, qui a besoin d’une expertise de confiance. Il doit avoir la certitude que le décisionnaire et l’expert ne sont pas la même personne. L’histoire des crises sanitaires nous a enseigné le caractère essentiel de cette séparation aussi entre expertise et décision.

Par ailleurs, j’entends bien les conclusions de la Cour des comptes. Nous pouvons le constater : il existe parfois des débats parfois un peu tendus entre les deux institutions, pour définir l’ordre d’agencement du travail. Mais il faut avoir conscience de ce qu’est la science. Cette controverse permet d’approfondir les sujets. Y a-t-il eu un problème de sûreté en France ? Non, et heureusement, parce que, justement, nous nous appuyons sur des experts avec des rôles différents, capables d’avoir des controverses de haut niveau et d’approfondir de ce fait leur enquête. Il est nécessaire de conserver ces débats entre les deux institutions, parce qu’au final, les organismes ont toujours trouvé une solution pour pouvoir avancer sur les questions de sécurité et de sûreté.

M. le président Éric Coquerel. Nous en rediscuterons probablement lors du prochain PLF.

La commission autorise, en application de l’article 146, alinéa 3, du Règlement de l’Assemblée nationale, la publication du rapport d’information de Mme Alma Dufour et M. Sébastien Rome, rapporteurs spéciaux. 

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

 

 

Réunion du mercredi 31 mai 2023 à 21 heures

 

Présents. - M. David Amiel, Mme Christine Arrighi, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, Mme Alma Dufour, Mme Marina Ferrari, M. Luc Geismar, M. Alexandre Holroyd, M. Daniel Labaronne, M. Emmanuel Lacresse, M. Pascal Lecamp, M. Sébastien Rome, M. Xavier Roseren

Excusés. - M. Karim Ben Cheikh, Mme Karine Lebon

Assistaient également à la réunion. - M. Mickaël Bouloux, Mme Véronique Louwagie