Compte rendu

Commission d’enquête visant
à établir les raisons de la perte de
souveraineté et d’indépendance
énergétique de la France

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Delphine Batho, Députée, ancienne Ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie (2012-2013).              2

– Présences en réunion................................25


Jeudi
9 février 2023

Séance de 14 heures 30

Compte rendu n° 42

session ordinaire de 2022-2023

 

Présidence de
M. Raphaël Schellenberger,
Président de la commission puis de Mme Julie Laernoes, vice-présidente de la commission
 


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Jeudi 9 février 2023

La séance est ouverte à 14 heures 05.

(Présidence de M. Raphaël Schellenberger, président de la commission)

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M. le président Raphaël Schellenberger. Nous recevons Mme Delphine Batho, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie de 2012 à 2013, actuellement députée.

Je vous remercie, madame la ministre, d’avoir en quelque sorte anticipé notre invitation, puisque vous aviez fait savoir dès l’origine que vous souhaitiez être auditionnée.

En matière d’énergie, vous disposiez à peu près des mêmes compétences que celles qui furent ensuite dévolues à Mme Ségolène Royal, que nous avons auditionnée en début de semaine.

Dans l’exercice de vos fonctions, vous avez connu les derniers soubresauts de la gestion du dossier relatif au gaz de schiste. Un événement a particulièrement marqué la période : la tenue du débat national sur la transition énergétique (DNTE), organisé sur le modèle du Grenelle de l’environnement – lequel comportait cinq collèges – et sur celui du débat national sur les énergies, lancé en 2003 par Nicole Fontaine.

Il s’agissait de répondre aux questions suivantes : comment aller vers l’efficacité énergétique et la sobriété ? Quelle trajectoire pour atteindre le mix énergétique en 2025 ? Quels choix en matière d’énergies renouvelables ? Quel coût et quels financements pour la transition énergétique ? Une synthèse des travaux a été présentée par le Conseil national du débat. Sans doute pourrez-vous nous donner quelques explications sur le déroulement des travaux.

Avant vous, nous avons auditionné, entre autres, Mme Lauvergeon et M. Colombani, qui devaient siéger au sein du comité des cinq sages que vous souhaitiez constituer pour guider les débats, mais, du fait de l’opposition de certains acteurs, ils n’avaient pas pu y participer.

Avant de vous donner la parole pour un propos liminaire, je vous invite, en application de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, à prêter serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

(Mme Delphine Batho prête serment.)

Mme Delphine Batho, députée, ancienne ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie (2012-2013). Toutes celles et tous ceux qui viennent répondre à vos questions éclairent telle ou telle période de l’histoire récente, assurant qu’ils ont fait au mieux. On pourrait en déduire qu’il existe une sorte de mystère aux origines de la situation énergétique actuelle de la France, ou encore s’abriter derrière la thèse selon laquelle cette situation s’expliquerait par un retournement soudain de la conjoncture que personne ne pouvait prévoir.

Il n’en est rien : la situation énergétique actuelle de la France était prévisible. À la question : « Qui aurait pu prédire ? », je répondrai : « Tout le monde ». Il n’y a pas d’imprévu dans les principales données qui sous-tendent le choc énergétique ; les gouvernements successifs pouvaient les anticiper.

En ce qui concerne, d’abord, la hausse des prix des énergies fossiles et ses conséquences, il est de notoriété publique que l’ensemble des risques est associé au fait que la principale énergie consommée en France est à 63 % d’origine fossile et importée. La France est à la merci de la hausse des prix du baril et des dépendances géopolitiques induites par le souci d’assurer son approvisionnement. Celles-ci engagent son autonomie stratégique sur la scène internationale.

La hausse des prix des énergies fossiles n’est pas conjoncturelle. Elle a d’ailleurs commencé, pour le pétrole comme pour le gaz, avant la guerre en Ukraine, dans le contexte de la reprise de la demande, après la première phase de la pandémie, qui avait mis à l’arrêt l’économie mondiale. Le phénomène est assez comparable à la hausse qui avait suivi la crise de 2008. Loin de provoquer un changement de modèle ou la construction d’un « monde d’après », les lendemains de la pandémie ont été marqués par un effet rebond et par une course à la reprise économique, avec l’augmentation dans les mêmes proportions des émissions de gaz à effet de serre – lesquelles ont atteint un nouveau record.

À défaut que l’état d’urgence climatique ait convaincu de longue date notre pays d’organiser une sortie rapide de la dépendance aux énergies fossiles, on aurait pu espérer que les enjeux de résilience, de sécurité et d’indépendance guident les choix publics. Force est de constater qu’il n’en a rien été. Pourtant, les sources d’approvisionnement de la France en hydrocarbures, bien que diversifiées, sont pour une bonne partie en déclin ou le seront au cours de la décennie 2030. Quant au déficit de la balance commerciale, lié aux importations d’énergie, il atteint un record historique.

L’exposition de la France à la volatilité des prix des énergies fossiles et à la hausse tendancielle liée à leur déclin n’est pas une nouveauté. Lorsque j’étais aux responsabilités, le déficit de la balance commerciale – plus de 60 milliards d’euros à l’époque – était au fondement de la nécessité de planifier la transition énergétique : il s’agissait de se défaire du boulet des énergies fossiles pour être enfin libres.

Les énergies fossiles sont la cause du changement climatique, mais aussi celle de l’inflation, puisque toute matière première, toute marchandise qui est fabriquée et qui circule en dépend. Quand le pétrole augmente, tout augmente. S’y ajoute, sur le front des prix de l’alimentation, l’augmentation du prix des denrées de base provoquée pendant l’été 2021 par l’impact du changement climatique. Là aussi, l’inflation est liée à l’impact des activités humaines sur le climat. Je fais notamment référence aux pertes de production de céréales liées aux vagues de chaleur en Amérique du Nord, en Europe et en Asie au cours de l’été 2021, dont on a vu les conséquences sur les marchés mondiaux dès l’automne de la même année.

Dans le débat public, on évoque souvent les conséquences de l’inflation. Or il est nécessaire d’ouvrir enfin les yeux sur ses causes. Celles-ci portent un nom : énergies fossiles.

Prévisibles aussi étaient les conséquences de l’absence de politique puissante et efficace en matière d’économies d’énergie. La hausse structurelle des coûts de l’énergie et la prévision de hausses futures plaident de longue date pour une politique soutenue de réduction des besoins et de protection des ménages face aux conséquences sociales de l’augmentation des prix, qu’il s’agisse du carburant pour se déplacer, du gaz ou de l’électricité pour se chauffer ou de tous les autres usages de la vie courante.

Le retard de la France en matière de réduction de la consommation d’énergie, d’éradication des passoires thermiques, d’économies d’énergie dans tous les secteurs d’activité et les bâtiments publics gonfle la facture et se paie cash. La précarité énergétique qui touche de nombreux ménages frappe aussi, désormais, les entreprises et les collectivités locales, qui sont soumises aux tarifs de marché pour le gaz ou l’électricité : elles sont dans l’incapacité de faire face à la hausse des prix.

J’invite à mettre en regard le coût astronomique du bouclier tarifaire et celui des investissements budgétaires dans les économies d’énergie, qui ont été pourtant refusés dans un passé récent. Si ces investissements avaient été massivement réalisés, nous serions bien plus résilients. Attendre de se retrouver au pied du mur et de n’avoir d’autre option que de sortir le carnet de chèques en urgence, ce n’est assurément pas un bon calcul pour la nation.

Le refus, depuis au moins quinze ans, de mener une politique de décroissance assumée de la consommation d’énergie a des conséquences lourdes dans les domaines social, économique et budgétaire.

Prévisibles également étaient les conséquences des règles absurdes du marché européen de l’électricité, selon lesquelles c’est le dernier moyen entré en production qui détermine le prix. Ainsi, d’une certaine manière, les prix de l’électricité sont indexés sur celui du gaz.

Prévisible, enfin, le fait que la trop grande dépendance de la France à l’égard d’une source de production électrique – à savoir le nucléaire – constituait une vulnérabilité. Le risque d’une mise à l’arrêt d’une partie importante du parc nucléaire pour raison de sûreté, à cause d’un défaut générique, avait été énoncé clairement et fortement depuis longtemps. M. Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire – dont j’avais proposé la nomination –, avait lancé l’alerte à ce propos en 2013, dans le cadre du débat national sur la transition énergétique que je présidais, et cet élément avait été pris en compte dans la synthèse. À ce risque identifié de longue date se sont ajoutés le décalage de certaines opérations de maintenance, lié à la pandémie, ou encore les dérogations demandées lors de la sécheresse. Ces événements illustrent la sensibilité du nucléaire aux chocs externes. Les conséquences sont très lourdes sur les plans économique et social, mais aussi écologique, avec une augmentation du bilan carbone de l’électricité.

Tous ces risques étaient donc connus. Ils sont au fondement de la nécessité d’une grande transformation de la politique énergétique du pays, et ce depuis longtemps.

Soit on recherche des boucs émissaires, dans une sorte de jeu politicien du mistigri, ce qui serait de peu d’intérêt et représenterait une immense perte de temps pour votre commission d’enquête, soit – et ce serait l’intérêt de la nation – on peut prendre un peu de hauteur et de recul, et constater, par-delà les alternances et les changements de ministre, certainement trop nombreux dans ce domaine, qu’il y a une permanence de l’inertie française. Il y a, en fait, une ligne de fuite continue, dont il faut examiner les causes profondes.

La première de ces causes est la négation des limites planétaires et de notre entrée dans une nouvelle ère géologique : l’Anthropocène. Celle-ci se caractérise par la destruction, à un rythme qui s’accélère, des conditions d’habitabilité de la Terre et par l’épuisement des ressources, résultat de la civilisation thermo-industrielle. Elle est porteuse d’une dynamique d’effondrements systémiques, de tout ce qui nous permet de vivre : chaos climatique, risques pour les éléments de base de la subsistance comme l’eau et l’alimentation, exacerbation des tensions géopolitiques face à la pénurie des ressources, et son cortège de guerres, conventionnelles ou hybrides.

Reconnaître les réalités de l’Anthropocène implique d’en finir avec une vision du monde relevant de « l’illimitisme », alors que les ressources terrestres sont limitées. Cette notion de limites physiques est au cœur des enjeux de la politique énergétique. Or, dans la prise de décision, les limites planétaires définies par les scientifiques ne sont pas considérées comme un déterminant fondamental. Ne sont prises en compte ni les conséquences de la poursuite de la consommation d’énergies fossiles – alors que le nouveau régime climatique qui en résulte constitue une menace existentielle sans équivalent dans l’histoire de l’humanité –, ni les contraintes physiques et la notion de sécurité d’approvisionnement, alors que le pic de l’extraction de pétrole a été franchi en 2008 et que celui du gaz l’a été en 2004 en Europe – au niveau mondial, on estime qu’il se situe à l’horizon de 2030-2045.

Bref, les données de base du nouveau régime énergétique sont niées. Le temps du pétrole pas cher, des ressources illimitées, de l’approvisionnement à flux tendu venant de l’autre bout du monde, auprès de puissances peu fréquentables, est révolu. On ne reviendra ni au capitalisme du XIXe siècle ni aux Trente Glorieuses. Ce n’est ni possible ni souhaitable – si nous entendons rester en vie.

Aussi, quand TotalEnergies affirme devant votre commission d’enquête qu’il n’y a pas de problème de souveraineté pour la France, ou encore qu’il compte continuer d’exploiter les énergies fossiles à leur niveau actuel, permettez-moi de dire, en tant que membre de la représentation nationale, que c’est du climato-obscurantisme et que c’est criminel.

Sortir des énergies fossiles est une urgence vitale pour le climat, mais c’est aussi un enjeu majeur de sécurité nationale : nous devons nous défaire de dépendances hautement problématiques et assurer la résilience de notre société face à la hausse des prix des énergies fossiles.

La place centrale qu’occupe le nucléaire dans le débat sur l’énergie est donc fallacieuse. Au mépris du bon sens le plus élémentaire, elle occulte le fait principal, l’éléphant dans la pièce, à savoir que l’énergie finale consommée en France est principalement d’origine fossile. Le nucléaire donne l’illusion d’un confort qui n’a jamais existé quand on considère l’ensemble de l’énergie consommée, et qui n’existe plus s’agissant de l’électricité. Le débat se focalise à nouveau sur les moyens de production – et parmi eux sur l’électricité –, et non sur la demande.

La première cause profonde de l’inertie que j’évoquais est donc le déni ou le relativisme dont fait preuve la décision politique à l’égard des connaissances scientifiques et physiques élémentaires. J’ai cru comprendre que votre commission s’interrogeait à ce propos. La démarche est fondée et le constat est exact, hélas, dans le domaine de l’énergie comme dans bien d’autres. En voici quelques exemples.

L’horizon de temps de l’état d’urgence climatique, scientifiquement, c’est 2030, et non 2050. Est-ce que l’on discute des décisions de politique énergétique sur cette base ?

La décision de réautoriser le glyphosate, malgré les alertes du Centre international de recherche sur le cancer, est-elle prise sur une base scientifique ?

La décision de réautoriser les néonicotinoïdes, malgré plus de mille études indépendantes sur leur impact destructeur sur le vivant, a-t-elle été prise sur une base scientifique ?

La décision de lancer un parc de réacteurs pressurisés européens de deuxième génération (EPR 2) a été annoncée alors que leur design n’est pas encore achevé – soit la même erreur que celle qui avait été commise avec l’EPR 1. Qui plus est, ils ne verront le jour qu’entre 2040 et 2045, dans le meilleur des cas, alors que l’enjeu est de réduire les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030. De surcroît, la décision a été prise en dehors de toute nouvelle programmation globale de la politique énergétique et sans tenir compte de ce que sera le climat en 2080. Une telle décision est-elle donc prise sur la base d’analyses scientifiques, énergétiques, techniques et industrielles robustes ?

L’importation de gaz de schiste par l’intermédiaire d’un terminal méthanier récemment autorisé – avec un bilan carbone pire que celui du charbon, pour l’un, et 2,5 fois plus élevé que celui du transport par gazoduc, pour l’autre – est-elle conforme aux conclusions des rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) ?

Le soutien de la France au projet de TotalEnergies en Ouganda, véritable bombe climatique, est-il conforme aux recommandations de l’Agence internationale de l’énergie, qui proscrit toute nouvelle exploitation des énergies fossiles ?

Le législateur lui-même a-t-il tenu compte, dans ses travaux sur la loi « climat et résilience », des recommandations du Haut Conseil pour le climat, qui démontraient l’indigence du texte ?

À chacune de ces questions, la réponse est non, et je pourrais allonger à l’infini la liste des exemples. Il faut donc se demander pourquoi la science n’est pas entendue. Le déni est tel que certains scientifiques, ne sachant plus comment lancer l’alerte, s’engagent dans des actions de désobéissance civile.

L’explication est assez simple : les conclusions de la science contrarient la vision du monde obsolète selon laquelle la croissance ferait le bonheur. Elles contredisent radicalement le productivisme et le consumérisme. Par conséquent, de puissantes résistances se dressent face à toute décision prise en cohérence avec ces connaissances. Le ministère chargé de l’écologie et de l’énergie doit être un ministère de combat, car il est difficile d’obtenir des décisions politiques fondées sur la science. C’est son lot quotidien et la cause de bien des tensions qui l’entourent.

J’en viens à la deuxième cause profonde, qui tient au fait que la nation a perdu la main. En l’espace de vingt ans, l’édifice de la maîtrise par la démocratie de la politique énergétique a été abandonné à la main invisible du marché. Ayons à l’esprit que la France n’aurait jamais construit son parc nucléaire si EDF n’avait pas été une entreprise publique, dont l’endettement était adossé à la garantie implicite et illimitée de l’État.

L’ouverture à la concurrence du secteur de l’énergie et la transformation des entreprises de service public en sociétés anonymes étaient des hérésies. Ces choix ont produit d’énormes dividendes, sur la base de rentes découlant des investissements consentis de longue date par la nation, alors que les profits étaient précédemment réinvestis et partagés au travers de tarifs de l’énergie abordables. Les actionnaires ont pris leur dû, l’État actionnaire aussi, jusqu’en 2015, dans un contexte d’austérité budgétaire.

L’entreprise EDF a été abîmée dans son identité. Si la culture du service public reste profondément celle de ses agents, auxquels je rends hommage, l’ouverture des marchés, la séparation des activités de réseau, de distribution et de production, la transformation en société anonyme ont provoqué une déstabilisation profonde, par étapes, à la façon d’un supplice chinois. Une fois cela fait, est venu le temps de la folie des grandeurs, de la bourse et de l’international, et de l’externalisation par la sous-traitance, bien loin du cœur de métier et du maintien de la performance industrielle.

Les mêmes règles, acceptées et négociées par la France à l’échelon européen, ont aussi fait obstacle à des décisions relevant de ce que j’avais appelé le « patriotisme écologique », qui visait à soutenir fortement le développement de filières industrielles dans le domaine des énergies renouvelables, enjeu absolument déterminant. Pourquoi confier l’éolien offshore à une multitude d’acteurs industriels ? Pourquoi interdire que les capitaux publics importants engagés dans les mécanismes de soutien aux énergies renouvelables s’accompagnent de critères élémentaires tels que le « made in Europe » ou le « made in France », alors que les panneaux importés de Chine étaient vendus à un prix de 90 % inférieur au coût de production ? Fallait-il accepter la capitulation européenne à cet égard ?

Là où nous avions des entreprises de service public, nous avons désormais une anarchie de développeurs et de fournisseurs, à laquelle plus personne ne comprend rien et qui ne produit aucune retombée industrielle d’ampleur. Le comble de l’absurde est que ces règles sont en réalité faussement libérales, car le secteur de l’énergie reste fortement régulé et que des capitaux publics importants continuent d’y être investis.

Nous sommes à la fin d’un cycle historique. Le retour de la puissance publique s’impose. Si, dès le début des confinements liés à la pandémie, l’Europe a su suspendre le pacte de stabilité, force est de constater que près d’un an après le déclenchement de la guerre en Ukraine, elle n’a toujours pas suspendu les règles du marché européen de l’électricité. Le secteur privé ne pourra jamais supporter la charge de l’investissement nécessaire pour conduire une politique énergétique : dans ce domaine, les cycles de rentabilité sont longs et l’intensité capitaliste élevée. Or, à partir du moment où c’est l’État qui porte cette charge, on ne voit pas pourquoi il devrait partager la rente qui en découle.

Ces constats ne sont pas nouveaux : ils m’avaient conduite, en 2012, à refuser la mise en concurrence de la première source d’électricité renouvelable de France, à savoir les barrages hydrauliques, qui sont un actif stratégique, et, en 2013, à proposer au Gouvernement la mise à l’étude de la renationalisation d’EDF. En responsabilité, j’étais très rapidement arrivée à la conclusion que cette opération était non seulement incontournable, mais qu’elle devait être également rapide – et ce, quels que soient les choix de politique énergétique.

La troisième cause est l’affaiblissement de l’État. Si la tendance s’observe dans toutes les politiques publiques, le ministère chargé de l’écologie et de l’énergie, ainsi que les directions qu’il partage avec ceux du logement et de la cohésion des territoires, selon les appellations, a subi un plan social massif au cours des quinze dernières années. La révision générale des politiques publiques (RGPP) et sa successeure, la modernisation de l’action publique (MAP), ont détruit plus 15 000 emplois d’agents de l’État et des opérateurs publics. Perdre des agents dans ce département ministériel, c’est se priver de techniciens et d’ingénieurs participant à la conception et à la mise en œuvre efficace de la politique énergétique au niveau central, puis à son déploiement à l’échelon local, en liaison avec les territoires.

On ne peut pas avoir un État fort, stratège et agile en supprimant un poste de fonctionnaire partant à la retraite sur deux. À ce titre, la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), malgré la qualité remarquable de ses agents, est clairement sous-dimensionnée au regard des défis que présente la transition énergétique. Elle n’est pas en mesure de produire tout ce qui est attendu d’elle avec la rapidité nécessaire. Sa charge de travail est considérable. Elle est dépendante des sources d’information des opérateurs et ne peut pas toujours lancer des contre-expertises dans les délais requis.

Il y a là un paradoxe : les éléments qui sont parmi les plus fondamentaux pour ce qui est de conquérir notre souveraineté – je parle de l’énergie – et d’assurer notre sécurité dans le chaos climatique à venir – à savoir l’écologie – ne sont toujours pas considérés comme relevant d’un ministère régalien. Avoir récemment cassé ce grand ministère en séparant l’énergie de l’adaptation au changement climatique et d’une approche systémique de l’ensemble des enjeux écologiques ne contribue pas au renforcement de la puissance publique dans ces domaines.

La quatrième cause réside dans une forme de confiscation démocratique hautement problématique. Historiquement, sous la Ve République, le nucléaire est le domaine réservé du Président de la République, notamment en raison du lien entre nucléaire militaire et nucléaire civil, mais c’est aussi vrai pour le pétrole et le gaz, et, par extension, pour l’ensemble de la politique énergétique. L’énergie appartient en quelque sorte au domaine de la raison d’État.

Cela explique un manque de culture démocratique, et celui-ci joue un rôle central dans la perte de souveraineté qui est au centre des travaux de la commission d’enquête. Il règne dans le secteur de l’énergie un entre-soi et un élitisme puissants, qui font que l’on accueille avec paternalisme l’avis des citoyens, des élus, de la représentation nationale et des ministres.

Cette culture issue des institutions présidentialistes de la Ve République a formé un cocktail détonnant et hautement problématique une fois qu’EDF, GDF et Elf sont devenues des entreprises privées. Depuis lors, la relation entre ces entreprises et la France, au travers de ses représentants, est ambiguë : on observe une savante confusion entre éthique de l’État et intérêts privés, d’autant qu’au moment de la privatisation partielle ou totale, la haute fonction publique a été fascinée par l’appel du secteur privé, par le pantouflage et le rétropantouflage.

Qui décide dans le domaine de l’énergie – et de quoi, étant entendu que chacun devrait être à sa place ? Ce n’est pas aux industriels de fixer les objectifs de la politique énergétique de la nation, même si leurs contraintes et leurs réalités peuvent être prises en compte. Inversement, ce n’est pas à l’État de dire quels choix industriels doivent être faits pour atteindre les objectifs fixés. À chacun son métier. Toutefois, la question se pose dès lors que les opérateurs continuent d’avoir besoin de certaines décisions de l’État, tout en se considérant comme émancipés, voire supérieurs aux gouvernants ou autorisés à louvoyer avec la décision publique. Lorsqu’ils ont besoin de l’État, ils savent le trouver, mais quand celui-ci énonce une décision qui contrarie une vision conservatrice, ils rappellent qu’ils ont des actionnaires et que la bourse ne sera pas d’accord, voire combattent publiquement la décision en question.

Un tel cocktail rend difficile pour les gouvernements l’exercice de leurs prérogatives en matière de politique énergétique, a fortiori quand le débat démocratique entend fixer un nouveau cap. Ce constat va au-delà d’une habituelle résistance au changement, car les opérateurs ont bénéficié d’une logique de passe-droit telle qu’ils semblent s’étonner lorsque les plus élémentaires exigences en matière de performance industrielle s’appliquent à eux, qu’il s’agisse du retard de l’EPR de Flamanville ou du scandale des forges du Creusot.

L’interview donnée ce matin par le PDG de TotalEnergies est à l’image de la prétention d’une sorte de caste d’énergéticiens à s’exonérer de ses responsabilités et à gouverner. Ce mélange des genres est celui auquel j’ai été confrontée lorsque j’étais aux responsabilités. Je ne vois pas en quoi il entre dans les prérogatives du PDG de TotalEnergies de criminaliser la jeunesse qui dénonce ses projets climaticides, ni au nom de quoi il s’autorise à interférer dans le débat politique national en soutenant la réforme visant à repousser l’âge légal de départ à la retraite.

Beaucoup s’imaginent que le secteur du pétrole et celui du nucléaire ne défendent pas les mêmes options dans les coulisses du pouvoir, qu’ils exercent des influences contradictoires auprès des décideurs. Bien sûr, il existe des points de frictions, mais la réalité est tout autre : si j’en crois mon expérience, les membres de ce couple dominant cheminent souvent bras dessus, bras dessous ; ils se retrouvent sur l’essentiel, c’est-à-dire quand il s’agit de prôner le conservatisme énergétique et la continuité de la politique énergétique, alors même que tout a changé.

Quand j’étais ministre, leurs relais technocratiques et politiques défendaient aussi bien le gaz de schiste que le nucléaire, le pétrole et le gaz. Ils militaient conjointement contre les énergies renouvelables, vues comme une politique superficielle, relevant de l’affichage, et non comme un enjeu industriel, pour la simple raison qu’ils n’y croyaient pas. Surtout, ils s’associaient, sur le fond, pour combattre toute politique rigoureuse d’économies d’énergie et pour s’opposer à une donnée scientifique pourtant indiscutable : toute feuille de route visant à atteindre la neutralité carbone doit commencer par diviser par deux la consommation d’énergie en France. Il n’y a pas de plan B à la réduction de la demande.

L’enjeu central est donc de reprendre le contrôle de la politique énergétique. Ce que je vous dis n’est pas nouveau : c’est ce qui a guidé mes décisions et mes orientations, et qui a donné lieu à un chapitre intitulé « De la souveraineté énergétique » dans le livre que j’ai consacré à l’exercice du pouvoir. J’y expliquais pourquoi le statu quo n’était pas une option et pourquoi la nation devait reprendre la main.

Selon l’article 3 de la Constitution, la souveraineté « appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants ». Il ajoute : « Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ». La lettre et l’esprit de cet article sont-ils respectés dans le domaine de l’énergie ? La réponse est non.

M. le président Raphaël Schellenberger. Nous nous concentrerons surtout sur la période pendant laquelle vous avez été aux responsabilités. À cet égard, pourriez-vous nous dire quelques mots du débat national sur la transition énergétique, que vous avez lancé et piloté ? Quels en étaient les objectifs ? Comment s’est-il déroulé et sur quoi a-t-il débouché ?

Mme Delphine Batho. Pour comprendre ce débat, il faut en revenir à l’objectif poursuivi. Pendant sa campagne, le Président François Hollande avait pris l’engagement d’engager la transition énergétique. Il s’agissait de réaliser des économies d’énergie, de diminuer la consommation d’énergies fossiles, de développer les énergies renouvelables et de limiter à 50 % la part du nucléaire dans la production d’électricité à l’horizon de 2025. Ces orientations avaient été approuvées par le peuple français lors de l’élection présidentielle. L’avenir du nucléaire avait été un élément important de ce moment de débat démocratique. M. Nicolas Sarkozy avait fait campagne sur le sujet, y compris en tenant des meetings dans des centrales – ce qui, en soi, posait question, car une entreprise publique n’avait pas à interférer dans une campagne électorale.

Je sais que vous interrogez l’objectif de 50 %. Il est curieux, au regard de l’article 3 de la Constitution, qu’une réflexion portant sur la souveraineté énergétique commence par contester une décision souveraine du peuple français, en l’occurrence celle de changer de politique énergétique par le mandat confié à ses représentants. L’objectif résultait du programme présidentiel, lui-même issu d’un accord entre le Parti socialiste et les Verts. Depuis quand faut-il s’excuser de vouloir mettre en œuvre le programme sur lequel on a été élu ?

Sur le fond, cet objectif est dans l’intérêt de la nation, car la trop grande dépendance de la France à l’égard du nucléaire pour sa production d’électricité est une vulnérabilité, comme les faits viennent de le démontrer. La diversification des moyens de production électrique est dans l’intérêt de la France.

Un autre élément est au centre des questions qui entourent le parc nucléaire depuis des années : l’effet de falaise, c’est-à-dire la charge d’investissement que représente la fin de vie des réacteurs, au bout de quarante ans, et dans un laps de temps réduit. Face à ce défi, le choix responsable consiste, non pas à repousser l’échéance, mais à étaler l’effort en fermant certains réacteurs et en en prolongeant d’autres.

L’enjeu du quinquennat du Président François Hollande était donc de prendre des décisions concernant l’avenir du parc nucléaire. L’engagement pris pour y parvenir consistait à élaborer une loi de programmation, équivalente à ce qui existait dans le domaine militaire.

Le débat national sur la transition énergétique différait des autres événements que vous avez mentionnés dans la mesure où ce n’était pas seulement un débat entre experts ou entre les parties prenantes, mais aussi un débat citoyen, dans les territoires. Nous étions partis du constat d’un échec relatif du Grenelle de l’environnement, lié au fait qu’il ne suffit pas d’énoncer des objectifs pour les atteindre : encore faut-il planifier et organiser, y compris en précisant les moyens.

Pour la durée du quinquennat, les choses étaient cadrées : nous prévoyions la fermeture de Fessenheim et l’ouverture de l’EPR de Flamanville. Comme vous le savez, cette dernière n’a pas eu lieu. Par ailleurs, sur une période de dix à quinze ans, la loi de programmation devait organiser les économies d’énergie, le développement des énergies renouvelables, la sortie des énergies fossiles et la diminution de la part du nucléaire. Le texte devait également comporter des clauses de revoyure.

Les études que j’avais demandées aux services montraient qu’il était réaliste d’envisager l’atteinte de l’objectif de 50 % entre 2028 et 2030, mais qu’il n’était pas souhaitable de retenir la date de 2025 – même si c’était possible –, car cela obligerait à recourir aux énergies fossiles pour remplacer le nucléaire. Telle n’était pas mon option, car je tenais à affirmer un modèle français de transition énergétique, avec l’ordre de priorités suivant : d’abord, des économies d’énergie massives ; ensuite, la sortie des énergies fossiles ; enfin, la diversification et la diminution du nucléaire par un développement massif des énergies renouvelables. Selon moi, il fallait fermer des réacteurs à mesure que des progrès étaient accomplis en matière d’économies d’énergie, de sortie des énergies fossiles et de développement des énergies renouvelables.

J’ai soumis au Président de la République, début 2013, la possibilité d’inscrire cette stratégie dans les conclusions du débat national, puis de la transcrire dans le projet de loi de programmation qui serait soumis au Parlement, en l’assortissant d’un calendrier précis, documenté et réaliste. Il ne l’a pas souhaité.

Comme vous le savez, j’ai quitté les responsabilités avant la conclusion du débat national, et il n’y a pas eu de loi de programmation. Le débat national n’a même pas donné lieu à des recommandations, puisque le Medef a jugé inacceptable que l’on préconise de diviser par deux la consommation d’énergie. Au terme de sept mois d’activité, et alors que le débat avait mobilisé un nombre considérable de personnes et d’intelligences, il a fallu se contenter d’une simple « synthèse des travaux ».

Par parenthèse, Mme Anne Lauvergeon et M. Bruno Rebelle – ancien directeur exécutif de Greenpeace France – avaient participé au comité de pilotage. Le choix politique avait été fait de ne pas organiser un débat national sur l’énergie sur le modèle du Grenelle en considérant que le nucléaire était un tabou et que l’on ne pouvait pas en discuter. Oui, d’ardents défenseurs du nucléaire, mais aussi d’ardents militants de la sortie du nucléaire étaient parties prenantes au débat national.

La loi de 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a énoncé des objectifs d’une façon purement déclaratoire, dans la continuité du Grenelle, sans préciser ni le calendrier ni les moyens de les atteindre, qu’il s’agisse de l’évolution du parc nucléaire ou d’autres domaines. Elle a, par exemple, repoussé de 2020 à 2030 l’objectif de réduction de la consommation d’énergie ; ce n’est pas un détail. Elle a confié la planification au seul pouvoir exécutif, à travers une programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) par décret. Celle-ci a renvoyé à 2019, soit après la fin du quinquennat, les arbitrages concernant l’avenir du parc nucléaire. On était donc très loin d’une loi de programmation.

En ce qui concerne le nucléaire, la loi a énoncé l’objectif de 50 %, mais la vraie disposition normative est celle qui gèle le parc à son niveau actuel, soit une capacité de 63,2 gigawatts. Ce dispositif a d’ailleurs donné lieu à une multitude d’interprétations, chacun y voyant des vérités différentes. Certains y ont ainsi perçu une intention réelle de diminuer le nucléaire, voire un point de passage vers la sortie. D’autres l’ont compris pour ce qu’il était au regard de sa portée juridique, à savoir un renoncement à la réduction, un plafonnement et une manière d’imposer le statu quo. D’autres encore se sont lancés dans des conjectures comme l’« addition énergétique » – du fait de l’augmentation de la consommation et du développement des énergies renouvelables, les 63,2 gigawatts représenteraient effectivement 50 % de la capacité de production électrique. D’autres, enfin, oubliant que le texte mentionnait la production d’électricité, ont imaginé que l’objectif de 50 % visait la consommation intérieure d’électricité, ce qui n’interdirait pas d’utiliser les 63,2 gigawatts pour l’export. Bref, c’était plus qu’ambigu.

L’ensemble de ces raisons m’ont amenée, étant redevenue députée, à ne pas voter le texte, à déplorer un enterrement de première classe de la transition énergétique et à dire que le fait de ne pas prendre de décision promettait de grandes difficultés à l’avenir.

M. le président Raphaël Schellenberger. Jusque-là, vous avez plutôt bien retracé la succession des échanges que nous avons eus au sein de la commission d’enquête…

Je partage l’idée selon laquelle l’énergie est au cœur du système économique, et donc de l’inflation. En revanche, je ne comprends pas complètement ce que vous avez dit, dans la mesure où le prix des énergies fossiles est déterminé par le marché international, mais aussi, pour une part, par la volonté politique, à travers la fiscalité. Par ailleurs, grâce à la possibilité de les stocker, ces produits donnent des garanties, dans la perspective d’assurer la sécurité de l’approvisionnement. Comment avez-vous agi ou envisagé d’agir sur le prix des énergies fossiles ?

Mme Delphine Batho. Ma vision, qui devrait être celle de tout le monde, est qu’il faut sortir des énergies fossiles le plus vite possible, de manière à ne pas rester dans cette logique de dépendance. Pour le reste, votre question concerne-t-elle la fiscalité des énergies fossiles ?

M. le président Raphaël Schellenberger. Non. Vous disiez que les énergies fossiles posaient un problème de souveraineté et d’indépendance. Avec ces produits, l’indépendance n’est pas acquise, j’en suis entièrement d’accord. Toutefois, la souveraineté est en quelque sorte assurée par le stockage – par exemple, nous avons des stocks stratégiques. Les hydrocarbures peuvent être stockés plus facilement que l’électricité.

Mme Delphine Batho. Certes, mais ils ne procurent qu’une illusion de souveraineté.

M. le président Raphaël Schellenberger. Permettez que je clarifie ma question.

Vous disiez ensuite que l’énergie était au cœur du système inflationniste.

Je ne rejette pas en bloc le modèle que vous proposez, mais comment organisez-vous, s’agissant du prix, la transition entre ce modèle davantage décarboné, moins dépendant du pétrole et du gaz, et celui dans lequel nous étions en 2012 – qui est certainement encore le nôtre aujourd’hui ? L’augmentation du prix est-elle un passage obligé, avec le risque que cela crée de l’inflation ?

Mme Delphine Batho. Il faut rappeler qu’en 2012, nous étions dans l’après-crise de 2008, qui s’était traduite par une flambée des prix des carburants. La situation était donc assez comparable à celle que nous avons vécue récemment.

Par ailleurs, il importe de pas confondre les moyens par lesquels la France tente d’assurer une sécurité relative de son approvisionnement en énergies fossiles – par la diversification de ses fournisseurs et par le stockage – avec une véritable souveraineté, car, en la matière, nous dépendons entièrement de produits importés.

Votre question vise-t-elle à savoir à quel point le budget de l’État dépend de la fiscalité des énergies fossiles ?

M. le président Raphaël Schellenberger. Dans votre propos introductif, vous avez longuement insisté sur le fait que l’inflation actuelle était liée à la dépendance aux énergies carbonées. Comment avez-vous agi sur les prix ?

Mme Delphine Batho. La question n’est pas tant d’agir sur les prix que d’agir sur la consommation du produit, donc sur la demande. Il n’y a d’ailleurs pas d’autre possibilité : on peut prendre toutes les mesures que l’on veut pour réguler les prix, mais le problème réside dans la consommation d’énergies fossiles – pour se chauffer, pour se déplacer, etc. D’où l’importance de mener une politique de réduction de la demande en énergie.

M. le président Raphaël Schellenberger. Au moment où vous êtes devenue ministre, c’est la réglementation thermique (RT) 2012 qui s’appliquait. La RT2020 était quant à elle en cours d’élaboration. Quelles actions avez-vous engagées pour accélérer les économies d’énergie ? Vous avez dit que les investissements dans les économies d’énergie avaient été refusés : pourriez-vous préciser ?

Mme Delphine Batho. Si ma mémoire est bonne, la RT2012 était issue du Grenelle de l’environnement. L’éradication de la précarité énergétique était un élément central du débat national sur la transition énergétique. À l’époque, l’enjeu devenait de plus en plus important. Plusieurs mesures y étaient donc consacrées. C’était même l’un des axes fondamentaux de notre action.

Nous avons ainsi créé le bonus-malus sur l’énergie. L’idée était d’offrir un tarif moins élevé en cas de faible consommation, un prix plus cher en cas de consommation moyenne et un malus important en cas de consommation déraisonnable. C’était l’objet de la proposition de loi défendue par M. François Brottes devant l’Assemblée nationale. Le texte a été censuré par le Conseil constitutionnel, sur la base d’un recours du groupe de l’Union pour un mouvement populaire (UMP). La censure portait, non pas sur le principe, mais sur les modalités d’application de la mesure, notamment dans l’habitat collectif : le Conseil constitutionnel avait considéré qu’il y avait là une rupture du principe d’égalité.

Il a donc fallu renoncer au bonus-malus et cela a constitué un échec important. Aucune autre option législative n’existant pour y revenir, j’ai ensuite travaillé à un mécanisme de modulation tarifaire, à l’image de celui qui existe aujourd’hui avec les heures creuses et les heures pleines, pour régler notamment le problème de la pointe électrique, qui avait augmenté de 68 % au cours des dix années précédentes si ma mémoire est bonne. Nous avons par ailleurs étendu les tarifs sociaux de l’énergie à 8 millions de ménages.

La RT2012 et toutes les questions relatives à la rénovation et à la performance énergétiques ont eu une place centrale dans le débat national sur la transition énergétique. Notre volonté était de créer un mécanisme de rénovation performant, bénéficiant d’un fort soutien des pouvoirs publics.

Avec Mme Cécile Duflot, ministre chargée du logement, nous sommes parvenues, au terme d’un combat homérique, à arracher une baisse à 5 % de la TVA sur les travaux d’efficacité énergétique. Mais j’ai constaté, à cette occasion, que Bercy refusait d’investir dans les économies d’énergie. Alors même que cela avait produit des effets sous le gouvernement de M. Lionel Jospin, Bercy refusait d’admettre qu’une baisse de la TVA pouvait entraîner une hausse de l’activité économique, donc des recettes fiscales. Non seulement Bercy n’admet pas cela, mais l’administration modifie presque chaque année les mécanismes de soutien public aux travaux d’efficacité énergétique dans les logements, ce qui rend cette politique publique totalement inefficace.

Par la suite, c’est l’austérité budgétaire qui a prévalu. Elle a entraîné une baisse de 7 % du budget du ministère de l’écologie et mon départ du Gouvernement. Cette austérité n’a pas permis d’investir dans les économies d’énergie.

M. le président Raphaël Schellenberger. En matière d’énergies renouvelables, quels ont été vos objectifs, vos moyens et vos résultats ?

Mme Delphine Batho. Je me permets de signaler que je suis favorable à la proposition de loi, en cours de discussion dans l’hémicycle, sur la nationalisation d’EDF ainsi qu’au rétablissement des tarifs réglementés pour les entreprises et les collectivités territoriales.

Lorsque nous arrivons, la situation des énergies renouvelables n’est pas réjouissante : à cause du moratoire pris sous le précédent gouvernement, 14 000 emplois ont été supprimés dans le solaire et le photovoltaïque et on accuse un déficit commercial lié à l’importation de panneaux solaires de plus d’un milliard d’euros ; le tarif de rachat de l’éolien risque d’être suspendu dans le cadre d’un contentieux devant la Cour de justice de l’Union européenne ; une ribambelle de contentieux entoure les projets éoliens, parce qu’il y a eu beaucoup de conflits d’intérêts, à l’échelle locale, au moment de la définition des zones de développement éolien (ZDE).

Nous avons fait le choix du « patriotisme écologique », qui recouvrait plusieurs choses. Je rappellerai d’abord que les énergies renouvelables ne se limitent pas aux énergies électriques – c’est fondamental. Produire de la chaleur renouvelable et, dans les années à venir, du froid renouvelable, est tout à fait essentiel. Quand on parle du nucléaire et des énergies renouvelables, on a tendance à faire une confusion entre mix électrique et mix énergétique. Il faut à la fois transférer des usages de l’électricité vers des énergies renouvelables non électriques et transférer des usages des énergies fossiles vers l’électricité. Mon premier acte, en tant que ministre, a donc consisté à développer la biomasse et à renforcer le fonds chaleur de l’Ademe, qui doit soutenir le développement de la chaleur renouvelable. Ce sont d’ailleurs les arbitrages budgétaires concernant ce fonds qui ont entraîné mon départ du Gouvernement.

L’idée centrale du patriotisme écologique, c’était que les soutiens publics, dans le domaine des énergies renouvelables, devaient conduire à la structuration de filières industrielles. Avec M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, nous avions demandé un rapport au Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies (CGEIET) sur cette question, qui a fait l’objet d’un débat lors de la conférence environnementale de septembre 2012. Pour moi, la loi de programmation à venir devait entièrement changer les règles du jeu en matière d’énergies renouvelables ; mais, comme un certain nombre d’acteurs étaient dans une situation critique, j’ai été amenée à prendre des mesures d’urgence, notamment pour le solaire et l’éolien.

En matière d’éolien, il y a d’abord eu la suppression des ZDE, avec la « loi Brottes ». Surtout, j’ai obtenu du commissaire européen Joaquin Almunia que le tarif de rachat de l’électricité éolienne soit considéré comme une aide d’État compatible avec les règles de la concurrence. Je me souviendrai toujours de ce qu’il m’a dit : « Que je suis heureux qu’une ministre française vienne me voir ! Les ministres allemands, eux, dorment devant ma porte. » Et il a ajouté : « Quoi que vous me demandiez, c’est oui, parce que vous êtes venue me voir. » Comme on savait que les actes juridiques définissant le tarif éolien allaient être cassés par la Cour de justice de l’Union européenne, j’ai publié un nouveau texte qui a été acté par la Commission européenne.

Dans le secteur du solaire, il restait très peu d’acteurs en France. Outre la mécanique des appels d’offres, j’ai introduit, au terme d’une rude bataille, une bonification pour les panneaux fabriqués en Europe. L’adoption de ce mécanisme a demandé énormément d’efforts, parce que Bercy n’y était pas favorable, et la bonification a été supprimée en avril 2015. J’ai par ailleurs supprimé le dispositif qui favorisait les projets solaires sur les surfaces agricoles, et je l’assume.

En matière d’éolien offshore, je n’ai pas compris pourquoi il y avait un acteur industriel différent pour chaque projet. On ne peut pas structurer une filière industrielle puissante en dispersant la compétence industrielle entre une multitude d’acteurs, qui sont tous confrontés aux mêmes problèmes techniques et juridiques. Pour moi, l’éolien offshore démontre l’absurdité du principe d’ouverture à la concurrence. La dispersion explique en grande partie le retard de la France dans ce domaine.

À cette époque, il y avait d’énormes problèmes. L’État devait 5 milliards à EDF au titre de la contribution au service public de l’électricité (CSPE) ; le mécanisme des tarifs de rachat sur vingt ans posait des problèmes ; celui des appels d’offres créait une imprévisibilité à long terme pour les acteurs industriels. La loi de programmation pour la transition énergétique devait changer tout cela. Il me semble qu’un soutien budgétaire direct à l’investissement et une planification territoriale des implantations – autrement dit, l’application de la culture du service public aux énergies renouvelables – auraient permis la structuration d’une filière industrielle.

Développer un acteur industriel nécessitait aussi de fabriquer un ou des champions européens. C’est le sens des échanges que j’ai eus, notamment avec l’Allemagne, en vue de la constitution d’un « Airbus du renouvelable ». Nous n’avions pas fait le même choix de mix électrique que les Allemands, mais nous avions des problèmes communs. Il s’agissait, premièrement, de créer une alliance à l’échelle européenne sur la question du backloading. À l’époque, le prix du carbone était désespérément bas, ce qui avait des conséquences très lourdes. Il fallait donc obtenir de la Commission européenne qu’elle supprime un certain nombre de quotas qui ne valaient rien pour faire remonter le prix du CO2. Par ailleurs, nous étions convaincus qu’il fallait aller vers la création d’une sorte de « zone euro de l’énergie », c’est-à-dire vers une coopération renforcée, avec un prix unique du carbone, une sécurité d’approvisionnement commune, un mécanisme de capacité commun et une stratégie visant à se dégager de notre dépendance aux énergies fossiles et à développer une industrie des énergies renouvelables.

Nous avons pris différentes mesures en faveur de l’effacement et de l’interruptibilité. En 2011-2012, Réseau de transport d’électricité (RTE) a annoncé des tensions pour 2015-2016 et un vrai problème pour 2017. Il était donc nécessaire de développer l’effacement et de mettre en place le mécanisme de capacité, qui devait garantir la sécurité de nos sources de production : ce fut l’objet d’un décret de décembre 2012. Il a fallu convaincre la Commission européenne que le mécanisme de capacité n’était pas le retour de la régulation, à travers la mise en œuvre de l’un des chapitres de la loi portant organisation du marché de l’électricité, dite Nome – que je n’avais d’ailleurs pas votée. Nous avons eu de nombreux échanges au sujet du mécanisme de capacité qui, dans son principe même, contredit la logique de laisser-faire et de marché.

M. le président Raphaël Schellenberger. Qu’est-ce qui était problématique pour l’Union européenne : la production, l’effacement, ou les deux ?

Mme Delphine Batho. Je dirais que c’était surtout la question de la capacité de production qui posait un problème, mais je ne veux pas vous répondre de manière approximative : il vaut mieux poser la question à M. Pierre-Marie Abadie.

M. le président Raphaël Schellenberger. L’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) était-il un sujet de préoccupation lorsque vous étiez ministre ? Avez-vous eu des alertes sur la question du prix ?

Mme Delphine Batho. Il n’y a pas eu d’alerte. M. Henri Proglio m’a raconté la façon dont le tarif a été négocié. Quand je suis arrivée, le personnel d’EDF et les organisations syndicales étaient très mécontents de ce dispositif, qui était très récent. Les alertes que nous avions à l’époque concernant la trajectoire tarifaire d’EDF concernaient le tarif réglementé, pour les ménages, bien plus que l’Arenh.

La question de l’Arenh s’est posée, indirectement, au sujet du mécanisme de capacité et des entreprises électro-intensives. Jusqu’en 2012-2013, les industries françaises hautement consommatrices d’électricité bénéficiaient d’un prix de l’électricité plus bas que les industries allemandes. Mais, à cette époque, l’Allemagne a pris des mesures, validées à l’échelle européenne, qui ont permis aux entreprises allemandes de bénéficier d’un tarif devenu moins élevé que les entreprises françaises. Cela m’a amenée à faire voter différentes dispositions au Parlement, puisqu’un certain nombre d’industriels étaient prisonniers du mécanisme Exeltium, dans lequel ils payaient plus cher que l’Arenh. Mais, pour revenir à votre question, j’avais beaucoup d’échanges avec la Commission de régulation de l’énergie (CRE) et je n’ai pas eu d’alerte au sujet du tarif de l’Arenh.

M. le président Raphaël Schellenberger. L’une des ministres qui vous a succédé nous a dit que l’Arenh n’était vraiment pas un sujet de préoccupation et que cela ne montait jamais au niveau ministériel. Vous nous avez expliqué qu’à votre époque, les tarifs de l’Arenh n’étaient pas un sujet d’alerte, dans la mesure où les tarifs collaient à la réalité du marché. Mais était-ce tout de même un sujet auquel on prêtait une attention particulière ? Était-il géré au niveau ministériel ? Ou bien est-ce seulement parce que vous étiez personnellement impliquée sur ce dossier de l’énergie que vous en aviez connaissance ?

Mme Delphine Batho. L’Arenh fait partie des sujets qui me confirment qu’il faut sortir EDF du statut de société anonyme et organiser sa reprise en main par la nation. Certains acteurs, à l’époque, avaient déjà imaginé que l’on pourrait se retrouver dans la situation actuelle. L’hypothèse d’une flambée des prix de l’électricité en Europe était envisagée. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’au moment de la réforme des tarifs du gaz, j’ai fait mettre la clause de sauvegarde – celle-là même qui a permis, plus tard, au Premier ministre Jean Castex de bloquer les tarifs du gaz. La demande d’une étude sur la renationalisation d’EDF a immédiatement été écartée, ce que je regrette, mais elle a au moins eu le mérite de bloquer le projet de l’Agence des participations de l’État (APE) de diminuer la part de l’État dans le capital d’EDF, dans le but d’améliorer sa valorisation boursière.

M. Antoine Armand, rapporteur. J’aimerais revenir sur la question des 50 %. En vous écoutant et en relisant vos déclarations de l’époque, il m’apparaît que votre priorité est – et a toujours été – de sortir des énergies fossiles. Même si vous avez un discours spécifique sur le nucléaire, vous n’opposez pas les modes de production d’électricité. L’urgence climatique vous amène à hiérarchiser les combats et à faire de la décarbonation de notre production énergétique une priorité.

Il y a une chose que j’ai du mal à comprendre. Des auditions précédentes, il ressort qu’il y avait quand même une opposition entre les énergies renouvelables électriques et le nucléaire. Au moment où vous êtes arrivée aux responsabilités, il me semble que la priorité était de baisser la part du nucléaire dans le mix électrique, et non de développer des énergies renouvelables susceptibles de concurrencer les énergies fossiles. Dans le débat de l’époque, faites-vous entendre une voix un peu différente ? Dites-vous que la priorité est de sortir des énergies fossiles ?

Mme Delphine Batho. Dans l’exercice de mes fonctions, j’exprime, non pas un point de vue personnel, mais la position du Gouvernement.

M. Antoine Armand, rapporteur. Ce qui nous intéresse, c’est de comprendre le processus de décision. Lorsque vous arrivez au Gouvernement, vous estimez que la priorité absolue, pour lutter contre le dérèglement climatique, c’est la diminution des émissions de gaz à effet de serre.

Mme Delphine Batho. Mais aussi la baisse de la facture énergétique, la résorption de la précarité énergétique et la diversification énergétique.

M. Antoine Armand, rapporteur. Alors pourquoi le débat s’est-il à ce point focalisé sur deux modes de production d’électricité ?

Mme Delphine Batho. Le retard de la France dans le domaine des énergies renouvelables n’était pas une question secondaire. Dans les années 1970, il n’y avait de choix qu’entre le pétrole et le nucléaire. Puis sont apparues les énergies renouvelables, qui sont globalement moins chères que le nouveau nucléaire – mais pas moins chères que l’ancien. Ma feuille de route était très claire et elle prévoyait aussi la diversification des modes de production d’électricité.

Mon propos, c’est de faire remarquer que, dans le débat sur les énergies renouvelables, on soulève le sujet – qui est réel – de l’intermittence de la production électrique, mais on oublie que la politique du renouvelable, ce ne sont pas que des éoliennes et des panneaux solaires. Le solaire, c’est aussi le solaire thermique, qui pourrait utilement remplacer la consommation d’électricité pour faire de l’eau chaude.

M. Antoine Armand, rapporteur. C’est à partir de 2007-2008 qu’on commence à décrocher de nos objectifs en matière d’énergies renouvelables. À l’époque où vous étiez ministre, quels étaient les obstacles à l’installation et à la production d’énergies renouvelables ? Comment, dans les décisions que vous avez prises et dans les politiques publiques qui ont été menées, se sont faits les arbitrages entre les énergies renouvelables non électriques, qui ont directement vocation à décarboner notre mix énergétique, et les énergies renouvelables électriques, qui constituent une nouvelle source d’approvisionnement, mais qui n’apportent pas grand-chose du point de vue de la réduction des émissions de gaz à effet de serre ?

Mme Delphine Batho. Le conservatisme énergétique du couple pétrole et nucléaire était tel qu’il ne croyait pas du tout aux énergies renouvelables. Et cette vision était largement partagée par l’appareil d’État. Si des mécanismes de soutien aux énergies renouvelables ont été mis en place, c’est sous la pression de la société civile dont les attentes étaient fortes. Le problème, c’est qu’aucune stratégie industrielle ne les a accompagnés. Cela signifie que, comme on n’a pas la maîtrise des technologies, on retombe dans la dépendance de l’étranger. On n’a pas non plus le modèle de notre production énergétique intégrant un service public et un monopole, et le modèle social qui l’accompagne avec des emplois à la clé. Or on aurait pu l’avoir ; la fatalité n’y est pour rien. Simplement, il aurait fallu changer les règles du jeu, car la mécanique articulant tarifs de rachat, appels d’offres et ouverture à la concurrence n’est pas propice au développement de vrais acteurs industriels, français ou européens – la notion de « souveraineté » doit aussi s’entendre à l’échelle européenne.

Les choses ont bougé un tout petit peu autour de l’éolien offshore, mais je n’ai pas vu les dirigeants des grandes entreprises de l’énergie faire le siège de mon bureau pour obtenir des mécanismes de soutien aux énergies renouvelables. Les demandes venaient plutôt des petits acteurs subsistants de la filière, qui venait de perdre 14 000 emplois.

Votre question recouvre aussi le sujet des différents scénarios. Le débat national sur la transition énergétique en a produit plusieurs, d’ailleurs assez comparables à ceux que propose RTE depuis quelques années. De ces débats sur ce que sera le mix énergétique en 2050, qui sont passionnants, intellectuellement stimulants et qui nous invitent à avoir une vision à long terme, j’ai retenu que les scénarios, même bâtis sur des visions divergentes, ont tous le même point de départ, et aucun n’est compatible avec le facteur 4 si on ne commence pas par diviser par deux la consommation d’énergie.

Le débat public sur l’énergie cultive l’expertise et la contre-expertise à un horizon lointain, alors que ce qui compte, c’est ce qu’on va faire d’ici à 2030. Quoi qu’on décide pour 2050, la priorité est d’investir dans les économies d’énergie. L’essentiel n’est pas tant de choisir entre les différents scénarios que de retrouver des leviers : la nationalisation d’EDF, des marges d’action à l’échelle européenne, la réduction de notre consommation d’énergie et l’adaptation au changement climatique.

Ce qui me frappe, aussi, c’est que la plupart des raisonnements sont construits à climat constant. Quand RTE propose un scénario intégrant le nouveau nucléaire, il se fonde sur le niveau des cours d’eau en 2050. Or un réacteur nucléaire ouvert en 2045 sera encore en fonction en 2085 : il faut donc envisager ce que seront les conditions de vie, les écosystèmes et la ressource en eau à cet horizon-là. Et cela vaut pour l’organisation du système énergétique dans son ensemble.

À mon avis, le développement des énergies renouvelables ne peut pas se faire sur le même modèle que celui qui a servi pour l’électricité nucléaire, avec un réseau national. La part du diffus, de l’autoconsommation, y compris l’autoconsommation collective à l’échelle locale, est complètement sous-estimée. Je ne plaide pas pour le chacun pour soi énergétique ; il faut évidemment garder la péréquation tarifaire, l’égalité des tarifs, la sécurité d’approvisionnement pour tous à travers le réseau et les interconnexions, mais le modèle actuel n’est pas le bon. Surtout, il n’est pas résilient dans cette période d’accélération du changement climatique. Compte tenu de l’inertie du système climatique, il est certain que, même si l’on arrive à limiter le réchauffement à deux degrés à l’échelle mondiale, ses conséquences seront déjà extrêmement graves pour la France.

M. Antoine Armand, rapporteur. Lorsque vous arrivez aux responsabilités, en 2010, le projet Astrid (réacteur rapide refroidi au sodium à visée industrielle) a été validé et lancé, et le réacteur thermonucléaire expérimental international (Iter) est en cours de construction depuis juillet – le décret qui autorise officiellement sa création est signé par le Premier ministre, mais aussi par vous-même, me semble-t-il. Quelle est votre vision, à l’époque, de la recherche de moyen et de long terme en matière nucléaire, en particulier concernant la fusion et la fission de quatrième génération, dont les cycles et les impacts environnementaux sont différents ? Vous opposiez-vous à cette recherche, à l’instar de ceux qui considèrent qu’on ne peut pas rester durablement producteurs d’énergie électrique à partir du nucléaire, ou estimiez-vous souhaitable de fermer un cycle, voire la fusion nucléaire elle-même à plus long terme ?

Mme Delphine Batho. L’engagement avait été pris de maintenir le programme Astrid et cette position a été actée par le conseil de politique nucléaire du 28 septembre 2012. Très vite, toutefois, l’examen du budget du CEA – pour 2013 ou pour 2014, je ne sais plus – a fait émerger la question de l’austérité budgétaire et a été l’occasion d’assumer la volonté politique de ne pas faire supporter aux énergies renouvelables l’ensemble des coupes dans les budgets de recherche. Dans le cadre des arbitrages liés au grand emprunt puis aux investissements d’avenir, j’étais opposée à ce que l’on diminue le budget de l’Ademe ainsi que l’effort de recherche dans le domaine des énergies renouvelables, tout en maintenant au même niveau les crédits pour le projet Astrid. Avec Mme Geneviève Fioraso, ministre chargée de la recherche, nous avons donc demandé au CEA d’en étaler le plan de travail, qui en était à peine à l’avant-projet sommaire.

Ma priorité concernant le CEA était qu’il réponde aux mises en demeure de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) sur la sécurité de vieilles installations. La sécurité, à mes yeux, n’était pas négociable, dût-elle entraîner des retards sur le programme Astrid.

Puisque vous me demandez ma conviction personnelle, je ne suis pas pour arrêter la recherche fondamentale ou même expérimentale sur l’énergie nucléaire, indépendamment de la manière dont je conçois son avenir dans le mix énergétique. Cela étant, la nation doit élargir son horizon. Jusqu’à ce qu’émergent les enjeux de la recherche sur le stockage de l’énergie, on pouvait défendre l’idée selon laquelle la quatrième génération nous ferait échapper aux limites planétaires et ouvrirait la voie, presque magiquement, à une sorte de nucléaire perpétuel. Il nous faut à présent concentrer l’essentiel de nos efforts sur le stockage, qui change profondément la problématique.

M. Antoine Armand, rapporteur. Au cours de la période où vous avez exercé vos responsabilités, avez-vous eu le sentiment ou avez-vous constaté qu’un arbitrage était opéré entre sûreté et production et que, d’une certaine manière, la sûreté des installations nucléaires n’était pas garantie au meilleur niveau possible en l’état des connaissances ?

Mme Delphine Batho. Ce risque existe toujours, et c’est parce que j’en avais conscience que j’ai proposé la nomination à la présidence de l’ASN de M. Pierre-Franck Chevet, dont j’avais pu mesurer les qualités d’indépendance, la faculté de dire les choses telles qu’il les pensait au Gouvernement et la capacité de résistance à la pression des opérateurs. On choisit le président de cette autorité sur cette base, à mes yeux.

Par ailleurs, les déterminants fixés par l’ASN sur le poste Fukushima suscitaient des protestations. EDF et Areva s’étaient néanmoins clairement engagés à les respecter.

Je souhaite lancer une alerte au sujet d’une information dont j’ai pris connaissance hier : le Gouvernement entend fusionner l’ASN et l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire). Cela me paraît absolument contraire à l’intérêt national en matière de sûreté nucléaire. Le nucléaire reste une énergie extrêmement dangereuse. De façon absurde, on compare le nombre de victimes que ferait un accident nucléaire potentiel à celui que feraient des accidents de la route. La question, c’est la durée des conséquences d’un accident nucléaire, qui se compte en milliers d’années. Ce n’est pas un risque que l’on peut se permettre de sous-évaluer. Le principe de base de la sûreté nucléaire, c’est l’humilité. Ce n’est pas de se dire qu’on est les plus forts et qu’on maîtrise tout ; c’est de se dire qu’un accident est possible en France.

De la même manière que le bicamérisme est positif pour faire la loi, en matière de sûreté nucléaire, il y a un grand intérêt à avoir l’expertise scientifique et radiologique de l’IRSN, d’un côté, et une autorité, de l’autre. Si une pression s’exerçait sur l’ASN – ce dont je n’ai jamais fait l’expérience personnellement – pour une raison tenant, par exemple, à l’urgence de la production, un organisme tel que l’IRSN, qui ne lui est pas assujetti fonctionnellement, pourrait lancer l’alerte.

Mme Julie Laernoes (Ecolo-NUPES). Les organisations industrielles et patronales, en particulier du secteur nucléaire, ont été assez critiques à l’égard du déroulement du débat national sur la transition énergétique (DNTE). Ont-elles tenté de freiner des quatre fers la fixation d’objectifs de réduction ? Ont-elles été concertées s’agissant des moyens à engager pour ramener la part de la production nucléaire dans le mix électrique à 50 % en 2025 ? Les industriels favorables à l’exploitation des gaz de schiste ont-ils exercé des pressions ? Il me semble qu’il y avait un désaccord avec le ministre Arnaud Montebourg. Considériez-vous que la politique n’avait pas la main sur les enjeux énergétiques, en particulier sur la filière du nucléaire ? Qu’en est-il aujourd’hui ? Quelle a été la réaction des parties prenantes à l’annonce de votre départ du Gouvernement quelques jours avant la fin des débats ? Peut-on dire que, pour le Président de la République, le DNTE ne représentait pas vraiment un enjeu du point de vue des choix énergétiques ?

Mme Delphine Batho. On peut comparer ce qui s’est passé avec le débat national sur la transition énergétique avec ce qu’a connu la convention citoyenne pour le climat (CCC). Les présidents veulent un processus de concertation, d’élaboration, de discussion citoyenne, entendant ainsi marquer une évolution de la politique française. Or, une fois le processus lancé, il échappe à leurs desiderata, comme à ceux de leurs conseillers et des chefs d’entreprise. Lorsque la discussion citoyenne, avec les experts scientifiques et les parties prenantes – ONG, organisations syndicales et patronales, représentants du monde agricole… –va à son terme, ce n’est pas une vision conservatrice qui en sort, tout le monde veut du changement. Les secteurs économiques ont besoin de prévisibilité. Les entreprises, des plus petites aux intermédiaires, ont besoin de connaître les tarifs de l’énergie sur la durée ; elles n’ont pas seulement besoin d’une aide pour payer la facture. Tout processus démocratique, quel qu’il soit, entre en confrontation avec le conservatisme énergétique. Ainsi, lors du débat national, de très nombreux acteurs ont plaidé pour que la France revienne sur l’interdiction de l’extraction du gaz de schiste par fracturation hydraulique. C’étaient d’ailleurs souvent les mêmes qui refusaient la fermeture de la centrale de Fessenheim ou la diminution de la part du nucléaire dans le mix électrique.

Mme Julie Laernoes. À votre sens, tout a-t-il été fait, à tous les étages de l’État, pour atteindre l’objectif de réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % à l’horizon 2025 ? Ce seuil résultait-il d’un choix politique fondé sur des travaux d’experts ? Était-il considéré comme techniquement atteignable ?

L’engagement pris devant les Français de fermer Fessenheim a-t-il été remis en question au moment du vote de cette loi ? Mme Ségolène Royal a affirmé, lors de son audition d’hier, que la fermeture de Fessenheim avait été conditionnée à l’ouverture de Flamanville. Est-ce pour cela qu’elle a tardé à acter sa fermeture ? Dit-elle vrai, selon vous ?

Mme Delphine Batho. Le seuil de 50 % était atteignable en 2028 ou 2030 si l’on écartait des procédés tels que des cycles combinés gaz (CCG) pour compenser la diminution du nucléaire. Le scénario 2025 impliquait une augmentation du bilan carbone de la production d’électricité. Je penchais pour le premier scénario, le second étant exclu pour moi.

Les moyens d’atteindre ne serait-ce que l’horizon de 2028 n’ont absolument pas été déployés. Les 50 %, comme la fermeture de Fessenheim, renvoient à la question centrale de l’avenir du parc nucléaire existant. La diminution de la part du nucléaire participe à la réduction de notre vulnérabilité : plus les sources d’approvisionnement électrique sont diversifiées, plus notre résilience et notre sécurité sont renforcées. C’est aussi une problématique économique et industrielle. Du fait de l’âge du parc, un mur d’investissement se dresse devant nous. La rationalité commande donc, pour diminuer la charge qui pèse sur la nation et l’opérateur, de casser ce mur. Cela implique de fermer des réacteurs, même s’ils auraient pu être prolongés, et d’en prolonger d’autres.

Lorsque j’ai pris mes fonctions, la première chose que j’ai demandée à la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) était qu’elle me transmette l’étude réalisée par les services sur les différents scénarios de prolongation du parc nucléaire, avec la mention des coûts, des procédures et des hypothèses envisagées. À ma grande surprise, cette étude n’existait pas. J’ai reçu rapidement une note m’expliquant ce qui avait été fait : la ministre en charge de la sûreté nucléaire avait demandé à l’ASN comment cette dernière allait déterminer sa position sur cette question. C’est tout. Or, dans la perspective du débat national, de la loi de programmation et de la fixation des moyens budgétaires, il était important de savoir ce qui était faisable à l’horizon 2028, avec le nombre de réacteurs à fermer – dont, à mon avis, pour des raisons liées au fonctionnement du système électrique national, le choix devait relever de l’opérateur et de Réseau de transport d’électricité (RTE) – et les options de prolongation.

L’avis générique de l’ASN était attendu en 2015 mais a été rendu beaucoup plus tard. J’ai tout de même fait passer l’amortissement comptable des centrales à cinquante ans dans les comptes d’EDF, ce qui a été matérialisé bien plus tard, sans que je comprenne pourquoi.

Je reste convaincue qu’il faut fermer des réacteurs, mais la situation, compte tenu du retard qui a été pris, commande très certainement d’en prolonger d’autres, puisque nous n’avons pas de moyens de remplacement immédiat. Cela dit, je ne sais pas si c’est possible. J’entends parler de prolongation jusqu’à soixante, voire quatre-vingts ans, mais on a très peu d’éléments pour se prononcer. L’ASN n’a pas donné d’avis à ce sujet, et j’ai appris qu’il faut être extrêmement prudent dans ses affirmations. Lorsque j’ai affirmé, au nom de la France et devant le peuple français, que l’EPR ouvrirait en 2016, je croyais à la véracité des informations que m’avait données la filière nucléaire, qui, après avoir dit : « c’est sûr, l’EPR ouvrira en 2012 », avait assuré qu’il ouvrirait en 2016. Ce manque de fiabilité de la filière est un problème majeur : on peut parler de fiasco.

J’ai acquis le réflexe, dans un cadre de gestion de crise, lorsque les services m’indiquaient que je pouvais annoncer la résolution d’un problème pour telle date, de dire la vérité : on n’en sait rien. Si j’étais aux responsabilités et que l’on me demandait quand l’EPR produirait de l’électricité, je répondrais : je ne sais pas. On ne peut pas jouer avec la crédibilité de la parole publique. Le manque de fiabilité est le problème majeur de la filière nucléaire. La fiabilité est la règle de base de l’industrie ; c’est aussi celle de la politique.

J’en viens à Fessenheim. Fermer un réacteur, ce n’est pas comme éteindre la lumière : sont en jeu, non seulement des emplois, mais aussi des questions liées à la sûreté nucléaire et à un territoire. Cela doit être préparé. Le statu quo, l’absence de décision et de préparation va rendre la situation complètement ingérable. Même si l’on souhaite renouveler le parc nucléaire – ce qui n’est pas mon cas –, il va falloir fermer des réacteurs, ce qui exige de la préparation. Ce facteur explique le temps qui a été nécessaire pour fermer Fessenheim. Par ailleurs, EDF est une société anonyme : elle a un intérêt social ; l’État ne fait pas ce qu’il veut. Je suis assez d’accord avec les remarques de la Cour des comptes sur les conditions d’indemnisation d’EDF. Il n’a jamais été démontré que Fessenheim pouvait produire de l’électricité jusqu’en 2041. Je ne vois donc pas pourquoi il faudrait indemniser l’énergéticien sur le fondement d’une hypothèse de production jusqu’à cette date.

Présidence de Mme Julie Laernoes, vice-présidente de la commission.

Mme Julie Laernoes, présidente. S’agissant de l’EPR de Flamanville, M. Henri Proglio nous a expliqué qu’on lui avait donné une date de connexion au réseau au doigt mouillé et qu’il avait ajouté deux ans par sécurité ; c’est pourquoi il a annoncé 2014. Cela fait écho à vos propos sur le manque de fiabilité de la filière. Celle-ci masque, en quelque sorte, la réalité, ce qui a des conséquences sur la robustesse de la filière mais aussi sur la parole publique.

M. Proglio, qui était proche de M. Nicolas Sarkozy, a été maintenu à la tête d’EDF par le Président François Hollande malgré son opposition marquée à la fermeture de Fessenheim. Avez-vous compris ce choix et avez-vous été associée à cette décision ? Après votre départ du Gouvernement, vous avez déclaré que l’influence du PDG d’EDF auprès de l’Élysée concurrençait celle du ministre de l’écologie. Quelle était la qualité de vos relations avec la direction d’EDF ? L’énergéticien, qui était alors contrôlé à 85 % par l’État, exécutait-il les orientations politiques du Gouvernement en matière de transition énergétique ? Était-il pleinement engagé en faveur de la fermeture de Fessenheim ou a-t-il traîné les pieds ? Dans l’exercice de vos fonctions ministérielles, vous étiez fermement opposée à ce que l’on ouvre davantage le capital d’EDF au secteur privé. Quelle était la position de M. Proglio à ce sujet ?

Mme Delphine Batho. S’agissant de l’EPR, j’ai vu, entendu et ai fini par penser moi-même, qu’il est démesuré. Un très grand nombre d’acteurs de la filière nucléaire ne sont pas convaincus par ce modèle de réacteur. Les échanges que j’ai eus avec le PDG d’EDF m’ont montré qu’il partageait ce point de vue.

Avec M. Henri Proglio, nous entretenions des relations franches. Nous ne partagions pas du tout la même vision de l’avenir de la politique énergétique, ce qui ne signifie pas que nous n’étions pas capables de nous comprendre sur un certain nombre de sujets, en particulier la trajectoire tarifaire d’EDF. Je ne me suis pas cachée, toutefois, de souhaiter son remplacement, que je n’ai pas obtenu. Toutefois, je suis vite arrivée à la conclusion que le problème excédait le choix du PDG d’EDF.

Cette réflexion m’a amenée à plaider en faveur de la nationalisation. Un autre argument joue en ce sens : l’hydroélectricité, qui représente 68 % de notre capacité de pointe. C’est un bijou du patrimoine national qui doit rester dans le giron public. S’il était question de privatiser 20 % du parc nucléaire français, je pense qu’on en parlerait tous les jours.

Je n’ai pas demandé à M. Henri Proglio son avis sur ce qui n’est jamais devenu un projet. J’avais demandé au Président de la République et au Premier ministre que l’on étudie la possibilité juridique et budgétaire de renationaliser EDF, ce qui aurait permis de reprendre la main et d’assurer, sur le plan juridique, l’avenir des barrages hydrauliques.

M. Antoine Armand, rapporteur. S’agissant des informations qui vous ont été communiquées sur le chantier de l’EPR de Flamanville, qui n’étaient pas « vraies », voulez-vous dire qu’elles n’étaient plus fiables en raison du retard qui s’était accumulé, ou considérez-vous qu’on vous a délibérément communiqué de fausses informations ?

Mme Delphine Batho. Je ne peux pas l’affirmer, mais cela ne signifie pas que le sujet soit clos. C’était un problème de fiabilité. Je ne dis absolument pas qu’il y a eu une intention de faire déraper le calendrier ou de faire exploser le budget. Reste que le rapport de la Cour des comptes nous apprend que des problèmes n’ont pas été signalés à l’ASN dans les délais requis. Un fiasco de cette ampleur doit normalement être analysé en long, en large et en travers. Surtout, on ne refait pas la même erreur, à savoir annoncer la construction de nouveaux réacteurs nucléaires pour des raisons politiques, alors que leur design n’est pas encore terminé, selon les ingénieurs.

La conclusion que l’on peut tirer du problème de Flamanville, ce n’est pas simplement qu’il s’agissait d’un réacteur unique alors que la filière avait appris, dans le passé, à régler les problèmes en construisant plusieurs réacteurs en même temps. Je ne suis pas en train de dire que des mensonges ont été proférés intentionnellement mais que, lorsqu’on s’engage publiquement sur un calendrier et un budget, et que l’on est en permanence obligé d’annoncer un retard et un dérapage des coûts, à la fin, les gens n’ont plus confiance : ils se demandent toujours si les informations données sont vraies.

Mme Julie Laernoes, présidente. Par rapport à des propos tenus par d’autres, vous apportez une nuance en disant ne pas savoir si ces propos étaient intentionnels ou si les intéressés n’avaient pas les éléments nécessaires.

Mme Delphine Batho. Rien ne me permet de dire que c’était intentionnel.

Mme Julie Laernoes, présidente. Mme Dominique Voynet nous a indiqué qu’en apportant des chocolats au personnel de la centrale nucléaire du Blayais, le 31 décembre 1999, elle est arrivée alors qu’une inondation était en cours. Elle n’en avait pas été informée. Vous est-il arrivé d’avoir l’impression que l’on ne vous avait pas transmis les éléments en temps et en heure ?

Mme Delphine Batho. Oui. Le problème le plus sérieux – qui a été jugé très important par l’ASN – ayant affecté la France au cours de la période récente a concerné le Blayais. Des conclusions en ont été tirées sur le plan du risque – par la prise en compte des embâcles, par exemple – et sous l’angle des procédures. Je ne sais pas si Mme Dominique Voynet connaît tous les prolongements qu’a eus cette affaire.

J’ai constaté de nombreux dysfonctionnements dans la gestion de crise au ministère de l’écologie, mais ils n’étaient pas propres au nucléaire et ne concernaient pas la remontée d’un incident de sûreté. Il est d’ailleurs à noter que le ministère dispose maintenant de procédures entraînant le signalement du moindre incident de sûreté au cabinet et au ministre. En revanche, un incident qui se produit dans une centrale nucléaire mais qui ne concerne pas la sûreté ne sera pas signalé. À titre d’exemple, j’ai appris par une chaîne d’information continue qu’un incendie s’était déclaré à la centrale de Fessenheim, qui n’avait pas de conséquence sur la sûreté. Nous avons fait réaliser un rapport d’inspection sur les rouages ayant conduit à un certain nombre d’événements que la culture des services a tendance à appeler des événements médiatiques parce qu’ils n’engagent pas la sûreté mais qui sont tout de même problématiques.

J’avais présenté devant une commission d’enquête sénatoriale la gestion de crise, au sens général du terme, en matière de risque industriel. Je n’ai toutefois pas eu à constater, comme Mme Dominique Voynet, de problème de sûreté nucléaire, c’est-à-dire d’incident qui entraîne des conséquences en termes de radioprotection.

Mme Julie Laernoes, présidente. Je vous remercie, madame la ministre, pour la précision des éléments que vous nous avez apportés.

 

La séance s’achève à 16 heures 15.

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Membres présents ou excusés

 

Présents.  M. Antoine Armand, Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Julie Laernoes, M. Raphaël Schellenberger.

Excusée.  Mme Valérie Rabault.