Compte rendu

 Commission d’enquête relative aux révélations des Uber Files : l’ubérisation, son lobbying et ses conséquences

 

 Audition, ouverte à la presse, de M. Emmanuel Puisais-Jauvin, Secrétaire général aux affaires européennes 2

– Audition, ouverte à la presse, de MM. Maxime Klein, Léopold Treppoz et Stanislas Chastel, cofondateurs de la plateforme Mediflash              12

 Audition, ouverte à la presse, de M. Enzo Romoli, responsable des affaires européennes et de M. Parfait Bazebi, directeur des opérations de la plateforme Free Now              20

– Présences en réunion................................27

 

 


Jeudi
30 mars 2023

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 13

session ordinaire de 2022-2023

Présidence de
M. Benjamin Haddad,
Président de la commission

 


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Jeudi 30 mars 2023

La séance est ouverte à neuf heures dix.

(Présidence de M. Benjamin Haddad, président de la commission)

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La commission d’enquête entend M. Emmanuel Puisais-Jauvin, secrétaire général aux affaires européennes.

M. le président Benjamin Haddad. Nous avons l’honneur d’accueillir M. Emmanuel Puisais‑Jauvin, secrétaire général aux affaires européennes. Monsieur, nous vous souhaitons la bienvenue et vous remercions de vous être rendu disponible pour participer à cette audition.

À partir du 10 juillet 2022, plusieurs membres du consortium international des journalistes d’investigation ont publié ce qu’il est désormais convenu d’appeler les Uber Files : s’appuyant sur 124 000 documents internes à l’entreprise américaine datés de 2013 à 2017, cette enquête a dénoncé un lobbying agressif de la société Uber pour implanter en France, comme dans de nombreux pays, des véhicules de transport avec chauffeur (VTC) venant concurrencer le secteur traditionnel du transport public particulier de personnes réservé jusqu’alors aux taxis.

Dans ce contexte, notre commission d’enquête poursuit un double objet : d’une part, identifier l’ensemble des opérations de lobbying menées par Uber pour pouvoir s’implanter en France, le rôle des décideurs publics de l’époque et émettre des recommandations concernant l’encadrement des relations entre les décideurs publics et les représentants d’intérêts ; d’autre part, évaluer les conséquences économiques, sociales et environnementales du développement du modèle Uber en France, et les réponses apportées et à apporter par les décideurs publics en la matière.

Votre audition s’inscrit davantage dans cette seconde optique, compte tenu de l’émergence de nouvelles formes de travail résultant du développement des plateformes d'emplois notamment, entre le travail indépendant et le salariat comme le montrent l’évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation sur ces sujets et les discussions en cours au niveau européen sur le projet de directive relative à l’amélioration des conditions de travail des travailleurs des plateformes d’emplois.

Nous souhaiterions donc connaître l’état des négociations au sein de l’Union européenne (UE) sur ce projet de directive qui vient d’être amendé puis adopté par le Parlement européen, le calendrier d’examen du texte et la position de la France qui, selon la presse, semblait plutôt défavorable à la présomption réfragable de salariat pour l’ensemble des travailleurs des plateformes.

À cette occasion, pourriez-vous brièvement nous rappeler le rôle du secrétariat général aux affaires européennes (SGAE) et ses relations avec la représentation permanente française à Bruxelles ainsi que le fonctionnement du trilogue entre la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne pour l’adoption de ce projet de directive ?

Pourriez-vous également rappeler les différentes options envisagées lors de l’élaboration de ce projet de directive sur le statut des travailleurs des plateformes numériques et les choix opérés par la Commission européenne puis le Parlement européen à ce stade ?

Pouvez-vous nous préciser le champ d’application du texte retenu par le Parlement européen et son contenu ? Est-ce que toutes les plateformes numériques seraient concernées par la présomption de salariat ou seulement certaines d’entre elles ?

Au-delà de la seule question du statut de l’employé des plateformes, se posent d’autres questions relatives aux droits et obligations des plateformes et de leurs employés en matière de gestion algorithmique, de transparence et de droit au recours. Pouvez-vous nous éclairer sur ces sujets ?

Dans le cadre de ces négociations, avez-vous été témoin d’actions de lobbying de la part des plateformes pour orienter les choix de la Commission européenne, du Parlement européen ou des États membres ? Ces actions de lobbying sont-elles comparables à celles d’Uber révélées par les Uber files ? Je vous remercie d’avance pour la qualité de vos réponses.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Emmanuel Puisais-Jauvin prête serment).

M. Emmanuel Puisais-Jauvin, secrétaire général aux affaires européennes. Monsieur le président, Madame la rapporteure, Mesdames et Messieurs les députés, je vous remercie de me donner l’occasion d’évoquer avec vous cette proposition de directive sur l’amélioration de la condition des travailleurs des plateformes.

Permettez-moi d’abord de vous préciser ce que fait le secrétariat général aux affaires européennes et quelle est ma fonction. Je suis secrétaire général depuis le 25 juillet dernier et j’ai pris mes fonctions à la fin du mois d’août. Le SGAE est un service de la Première ministre, chargé de la coordination interministérielle pour les affaires européennes. Il permet à chaque ministère d’exprimer ses positions sur les sujets européens et a pour objectif d’assurer l’unité et la cohérence des positions françaises portées à Bruxelles.

Il s’agit d’un système singulier en Europe car on ne retrouve pas dans les autres États de service chargé de définir une position interministérielle « harmonisée » pour les affaires européennes. Très concrètement, le SGAE a la possibilité de convoquer rapidement l’interministériel dans le cadre de réunions de service et, en cas de divergences des positions exprimées, d’arbitrer. Lorsque les différences sont de nature politique, le sujet remonte auprès du cabinet de la Première ministre à Matignon.

Le SGAE a également une mission fondamentale de bonne diffusion de l’information sur les affaires européennes. À cet égard, nous sommes notamment à la disposition de votre assemblée parlementaire pour évoquer les sujets européens très nombreux qui intéressent le champ de toutes politiques publiques que nous conduisons dans notre pays.

S’agissant du suivi de cette proposition de directive sur les travailleurs de plateformes, il importe de revenir à la manière dont les choses se sont déroulées concrètement, en termes calendaires. La Commission a adopté sa position le 9 décembre 2021, dans le cadre d’une procédure prévue par les traités. Il s’agit d’une décision de nature politique prise par le collège des vingt-sept commissaires, même si ce sujet est plus particulièrement porté par un commissaire chargé du dossier, M. Schmit.

Elle a ensuite adressé son texte aux deux co-législateurs, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne. Ces assemblées ont ensuite travaillé sur ce texte dans leurs enceintes respectives afin de définir une position. Le Parlement a adopté sa position à la faveur de la plénière qui s’est tenue au mois de février mais le Conseil n’y est pas encore parvenu. Il était sur le point de le faire en décembre dernier, mais cela n’a pas été possible.

Dans ce contexte, le rôle du SGAE consiste à coordonner les positions que nos représentants à la représentation permanente portent ensuite dans les enceintes du Conseil. Ces enceintes se composent du groupe de travail (en l’espèce, le groupe des questions sociales), du comité des représentants permanents (Coreper), puis du niveau ministériel, en l’occurrence le conseil « Emploi, politique sociale, santé et consommateurs » (Epsco).

Au moment même où la Commission a proposé son texte, nous étions sur le point d’entrer en présidence française, le 1er janvier 2022. Il s’agissait là d’une situation singulière, puisque le pays de la présidence a un devoir d’impartialité. Il doit trouver les éléments du compromis et instruire ce dossier afin qu’une position du Conseil puisse ensuite être définie. C’est ce que nous avons fait lors du premier semestre de l’année 2022. Nous avons ainsi pu transmettre une première copie à la République tchèque, qui a pris le relais de la présidence française le 1er juillet 2022.

Désormais, le Parlement européen attend la position du Conseil, qui est régie par la majorité qualifiée, laquelle repose sur deux critères : 55 % des États membres (soit quinze États sur vingt-sept), représentant eux-mêmes 65 % de la population. À l’inverse, pour pouvoir bloquer le texte, il faut atteindre une minorité de blocage. La présidence désormais suédoise va tenter d’aboutir au cours de ce semestre mais, selon toute vraisemblance, ce compromis devrait intervenir sous la présidence espagnole, qui débute le 1er juillet.

Sur le fond de la directive à présent, cette proposition de texte de la Commission a un objet clair : l’amélioration des conditions de travail et des droits sociaux des travailleurs exerçant leur activité par l’intermédiaire de plateformes en ligne. La France souscrit pleinement à cet objectif. Afin de protéger les « faux » indépendants, c’est-à-dire ceux qui sont formellement indépendants mais qui ne le sont pas réellement, la Commission propose dans son texte (particulièrement dans son chapitre II et ses articles 3, 4 et 5) une présomption réfragable de salariat, qui peut donc être remise en cause ultérieurement, cette présomption étant établie sur la base d’une liste de critères expressément prévus.

La position de la France est claire sur ce sujet : nous voulons disposer des bons critères qui permettent de définir, pour chaque personne, la réalité de son lien d’emploi. On part en effet de situations très hétérogènes à la fois pour les personnes qui sont amenées à travailler via les plateformes ; et il existe aussi une grande variété de plateformes fonctionnant chacune de manière différente. Le champ d’application de ce texte est très large et, face à cette hétérogénéité de situations, les cas de figure et les degrés de dépendance des travailleurs aux plateformes sont très différents.

Pour nous, l’enjeu majeur de cette proposition consiste à trouver le juste équilibre entre deux préoccupations qui doivent être traitées ensemble. Il s’agit, d’une part, de protéger les « faux » indépendants, c’est-à-dire ceux des travailleurs de plateformes qui, en raison de la réalité de leur lien d’emploi avec la plateforme, doivent être qualifiés de salariés et bénéficier de la protection sociale correspondant à leur statut réel. Il s’agit, d’autre part, de préserver les « vrais » indépendants pour qu’ils puissent continuer à le rester, comme ils sont nombreux à le souhaiter. Il convient simultanément de veiller à renforcer leurs droits.

Tenir cet équilibre est le cœur de la position française. C’est ce qui nous permet aussi de poursuivre sur notre voie, qui est celle de la négociation collective et du dialogue social qui produisent également des résultats, y compris récemment.

Au-delà, la proposition de la Commission prévoit également des dispositions mettant en place un socle de droits minimal pour tous les travailleurs des plateformes, c’est-à-dire indépendamment de la qualification de leur lien d’emploi, par exemple sur la gestion algorithmique ou la transparence. Les travailleurs sont souvent en situation d’asymétrie d’informations par rapport aux plateformes, qu’il convient de corriger à travers des exigences d’information, de traçabilité et de protection des données. Les droits de ces travailleurs, notamment leur droits au recours, doivent être couverts.

Nous souscrivons bien sûr à ces éléments et à ces droits proposés dans la directive. Encore une fois, l’objectif de ce texte est bien d’améliorer les conditions de travail de tous les travailleurs des plateformes ; c’est dans cet état d’esprit que nous abordons ce texte.

Cela me permet de clarifier un point important sur la lecture que nous faisons de la position de la Commission européenne sur le sujet : comme je viens de le dire, la proposition de directive concerne tous les travailleurs, non seulement les « faux » indépendants, mais également ceux qui sont réellement indépendants. En d’autres termes, la Commission ne privilégie pas un statut par rapport à un autre. En revanche, elle cherche à s’assurer que ces statuts correspondent bien à la réalité de ces situations.

Selon les chiffres qu’elle publie, sur les 28 millions de travailleurs de plateformes dans l’Union européenne, 5,5 millions seraient susceptibles d’être concernés en étant des « faux » indépendants. Il ne me revient pas de commenter la pertinence de ce chiffre mais la Commission prend acte de ce que, même en corrigeant cette situation, il resterait un nombre significatif de « vrais » indépendants dans l’UE selon elle.

Cependant, il faut être clair : même si une norme européenne peut apporter des précisions utiles et davantage de sécurité juridique, le rôle du juge restera selon nous toujours important. La règle ne pourra pas appréhender tous les cas. C’est ce que nous tirons aussi de notre expérience au plan national, en constatant le rôle majeur de la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière, une jurisprudence bien établie et fondée sur le fameux triptyque du lien de subordination : direction, contrôle, sanctions.

Telle est, monsieur le Président, la position de la France, dont l’état d’esprit est constructif en vue de parvenir à un accord sur ce texte.

M. le président Benjamin Haddad. Pensez-vous que nous pourrons aboutir lors de la présidence suédoise ?

M. Emmanuel Puisais-Jauvin. Quinze groupes de travail se sont déroulés à ce jour : sept sous présidence française, cinq sous présidence tchèque et pour le moment deux autres sous présidence suédoise. La présidence suédoise a pour ambition de « monter » au Conseil « Epsco » de juin prochain pour pouvoir arrêter une orientation générale permettant de consolider la position du Conseil et passer ensuite le relais à la présidence espagnole, qui pourrait engager des trilogues. Ces trilogues réunissent les deux colégislateurs et la Commission. Cette dernière détient en effet le monopole de l’initiative au regard des traités et il est donc fondamental qu’elle soit toujours présente. Ces trilogues se réunissent autant de fois que nécessaire, pour rapprocher les positions des deux colégislateurs, la Commission jouant son rôle de facilitateur jusqu’à ce que le compromis soit obtenu.

En termes calendaire, cela est possible. En revanche, tout dépendra de la volonté des deux colégislateurs d’entrer dans une logique de compromis. Si l’on ne devait pas y parvenir sous présidence espagnole, il resterait ensuite quelques mois sous présidence belge. En effet, compte tenu des élections au Parlement européen au mois de mai 2024, les travaux du Parlement devraient s’achever à la fin du mois de mars ou au début du mois d’avril 2024. En résumé, la fenêtre n’est pas longue mais suffisante pour pouvoir aboutir.

M. le président Benjamin Haddad. Quels sont les États les plus impliqués dans le débat sur la présomption salariale ?

M. Emmanuel Puisais-Jauvin. Sur ces questions sociales, les États abordent généralement les débats à partir de leur propre législation. La France n’y échappe pas plus que d’autres. Ensuite, les sensibilités sur les questions sociales sont très diverses. Certains pays ne souhaitent pas nécessairement qu’une norme européenne se traduise par des règles
mieux-disantes mais d’autres agissent dans le sens inverse. Notre pays fait partie de ce dernier camp. Je rappelle d’ailleurs que lors de sa présidence, la France a obtenu l’établissement d’un salaire minimum européen.

Une dernière catégorie de pays dispose de telles spécificités au plan national, du fait de la place de la négociation collective – notamment les pays du Nord – qu’ils sont toujours interpellés lorsque l’Europe se mêle de questions sociales.

L’Espagne est très active sur ce texte dans la mesure où sa législation intègre le principe d’une présomption de salariat. À l’inverse, d’autres États sont soucieux de faire en sorte que ce principe n’empêche pas de préserver les « vrais » indépendants. Au-delà de ces différences, aucun État ne souhaite une requalification automatique. Personne ne remet en cause le besoin de critères. Pour le dire différemment, il y a plus des différences de degré que de nature entre les États.

Mme Danielle Simonnet, rapporteure. Je n’ai pu avoir le temps d’étudier les documents que vous nous avez adressés hier soir. Vous indiquez que le rôle du SGAE est de diffuser de la bonne information, notamment aux parlementaires, sur l’ensemble des sujets négociés à Bruxelles. Lors d’une séance de questions d’actualité, j’ai interpellé le ministre Dussopt sur la position de la France concernant la directive européenne de présomption de salariat, afin que celle-ci puisse faire l’objet d’un débat assorti d’un vote dans l’enceinte de l’Assemblée nationale. Pour le moment, le ministre n’a pas répondu à cette question orale, pas plus qu’à la question écrite que nous lui avons adressée. Que pensez-vous de la nécessité que l’Assemblée nationale puisse débattre de ce sujet ?

Ensuite, vous indiquez qu’aucun État ne souhaite une présomption automatique. Il s’agit pourtant de la position du Parlement européen qui l’a affirmée dans sa recommandation. Pouvez-vous nous confirmer que la France y est opposée ? Vous avez indiqué que les États se réfèrent à leurs propres législations mais de fait, en France, le code du travail est assez clair sur les liens de subordination et la manière de les caractériser. Les tribunaux, dont la Cour de cassation, ont également pris des décisions très claires sur ce sujet, notamment en matière de chauffeurs VTC ou de livreurs, dont les contrats devraient être requalifiés en salariat.

Enfin, vous indiquez que la Commission européenne estime que sur les 28 millions de travailleurs de plateformes dans l’Union européenne, seulement 5,5 millions d’entre eux seraient susceptibles d’être concernés en étant des « faux » indépendants. Pouvez-vous nous donner des exemples de travailleurs de plateformes en France qui ne devraient pas être requalifiés en salariés ?

M. Emmanuel Puisais-Jauvin. Le SGAE est à votre disposition pour vous éclairer sur l’état des négociations à Bruxelles. Ensuite, la question de la nécessité d’un débat à l’Assemblée nationale sur le fondement de l’article 50-1 de la Constitution est un sujet de nature très politique qui me dépasse. Par ailleurs, le Parlement a effectivement adopté une position très forte de présomption automatique de salariat, qui fera l’objet de discussions lors des trilogues qui auront vraisemblablement lieu sous présidence espagnole.

Sur le fond, on peut s’interroger sur l’automaticité de la présomption qui, si j’ai bien compris, se caractérise par la suppression de tous les critères et a mécaniquement pour objet de faire basculer tous les travailleurs vers la présomption de salariat. Cette approche permet-elle de se rapprocher de l’objectif de sécurité juridique du texte ? En l’absence de critères, ne
risque-t-on pas de renvoyer encore plus au juge le soin de trancher les questions qui ne manqueront pas de se poser ? Dans ce cas, le juge le fera sans être guidé par la norme.

De même, ne risque-t-on pas de se retrouver dans une situation de fragmentation au sein des États membres, qui n’est pas celle que nous visions au départ ? Or l’objectif d’une norme européenne consiste bien à parvenir à une harmonisation minimale. Je pense que cette question se posera lors des prochains débats au sein du Conseil. À cet égard, il sera intéressant de voir comment la Commission européenne se positionnera sur ce sujet.

Ensuite, je ne peux vous répondre sur la question de la présomption de salariat des travailleurs de plateformes en France. En revanche, cette question peut être posée à d’autres collègues de l’administration.

Mme Danielle Simonnet, rapporteure. Votre réponse me laisse sur ma faim. La directive européenne proposée par le Parlement européen estime que les travailleurs sont dans un rapport de subordination vis-à-vis des plateformes et doivent donc être requalifiés en salariés. C’est aux plateformes d’apporter la démonstration qu’il s’agit de « vrais » indépendants. Je ne vois donc pas en quoi il y aurait une fragilisation juridique. Au contraire, les travailleurs n’auraient plus à mener des démarches individuelles auprès des prud’hommes. La France s’honorerait d’être en cohérence avec son droit.

Ensuite, nous avons compris qu’à ce jour, la France s’oppose totalement à la position du Parlement concernant la présomption automatique de salariat. Quels sont les points de divergence du gouvernement français avec la position de la Commission ? Parmi les positions discutées au Conseil, est-il vrai que la France serait favorable à des clauses suspensives et à une exemption de la directive par les États membres dans certains cas ?

Sur l’ensemble de ces débats, avez-vous été témoins d’action de lobbying de la part d’Uber ou d’autres plateformes qui sont radicalement opposées à la présomption automatique de salariat ? Elles militent en effet pour l’instauration d’un tiers statut et souhaitent que les travailleurs des plateformes soient considérés comme ayant une relation strictement commerciale avec elles, et excluent donc toute requalification.

M. Emmanuel Puisais-Jauvin. Je n’exprime pas la position de la France mais essaye simplement de présenter le type de questions que cela susciterait au Conseil, compte tenu de l’état du débat. Ce débat ne porte pas sur l’existence de critères mais plutôt sur leur caractère. Le Parlement européen peut proposer de supprimer les critères mais je pense que cela suscitera des interrogations et cela fera partie des éléments de compromis délicats. Pour le moment, nous essayons de trouver un accord au Conseil et nous ne sommes pas en train d’examiner la proposition du Parlement, même si nous sommes attentifs à ce qui s’y passe.

S’agissant de la position de la Commission européenne, nous cherchons à trouver les bons critères. Nous pensons qu’il est nécessaire de traiter les dérives lorsqu’elles voient le jour, comme le cas des « faux » indépendants. L’objet de ce texte consiste bien à corriger les asymétries, lorsqu’elles existent, à l’aide d’une norme européenne. En effet, la plateforme se situe parfois dans un pays x et le travailleur dans un pays y.

La difficulté consiste à trouver la bonne pondération et le bon nombre des critères. La Commission avait proposé cinq critères et estimé que si deux d’entre eux étaient satisfaits, cela suffirait à qualifier une présomption de salariat. Les débats portent précisément sur ces éléments : ces critères sont-ils suffisamment fins, c’est-à-dire suffisamment différenciants, pour être certains que l’on n’embarque pas aussi de « vrais » indépendants ? Par exemple, le seul critère de supervision ne suffit pas à lui seul à caractériser la subordination : un vrai indépendant peut être supervisé par la plateforme pour s’assurer in fine de la satisfaction du client. En résumé, nous nous efforçons de mener ce travail de différenciation suffisamment fin des critères. Notre pays pèse fortement à Bruxelles mais la France ne peut tout bloquer à elle seule.

En ce qui concerne les autres dispositions de la Commission sur la gestion algorithmique, les droits de recours ou la garantie de bonne transmission des informations aux travailleurs, nous sommes totalement alignés. Le 8 décembre dernier, quand nous étions sur le point de nouer un accord de compromis au Conseil Epsco, la Commission était prête à l’accepter.

Mme Danielle Simonnet, rapporteure. Pouvez-vous préciser ces derniers éléments ?

M. Emmanuel Puisais-Jauvin. La Commission effectue une proposition, qui fait l’objet d’une discussion et finalement d’un compromis au sein du Conseil. À ce moment-là, la présidence du Conseil de l’Union européenne se tourne vers la Commission pour savoir si elle est en mesure d’accepter ce texte de compromis. Si la Commission refuse, les conséquences sont importantes et tout le monde s’interroge pour savoir le message qu’elle cherche à envoyer. Chacun, dans le système, fournit un effort de convergence, qu’il s’agisse de la Commission, du Parlement européen ou des États membres.

Mme Danielle Simonnet, rapporteure. Vous n’avez pas répondu sur les clauses suspensives.

M. Emmanuel Puisais-Jauvin. Le texte ne comporte pas de clauses suspensives. Nous l’avions proposé à un moment mais cet élément n’a pas été introduit dans le texte de la Commission.

Mme Danielle Simonnet, rapporteure. Est-il vrai que la France serait favorable à une exemption de la directive par les États membres dans certains cas ? La France semble considérer qu’elle peut être exemptée de la directive, puisqu’elle dispose déjà d’un cadre de discussion de quasi-convention collective grâce à l’Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi (Arpe).

M. Emmanuel Puisais-Jauvin. La France a plaidé pour cet élément dans les cas où une convention collective permettait de traiter le sujet. Dans les critères dont nous parlons, figure notamment un critère de rémunération. Pour pouvoir être dans une présomption de salariat, il faut que la plateforme ait un pouvoir de fixation de la rémunération de nature unilatérale. S’il existe en revanche une convention collective dans laquelle les parties se sont accordées pour convenir ensemble d’une rémunération – je pense notamment à l’accord récemment trouvé sur le tarif minimal de la course –, le critère de la rémunération au sens de la directive ne doit pas s’appliquer. À présent, nous verrons comment la négociation se poursuit. Mais pour revenir à votre question, nous avons effectivement porté ce point, compte tenu de l’importance que nous accordons aux accords collectifs dans le système français. Il ne s’agissait pas pour autant de tenir en échec tous les critères. Il faut étudier la question critère par critère, de manière très spécifique.

Mme Danielle Simonnet, rapporteure. Je suis malgré tout interloquée que vous ne puissiez me répondre sur des exemples de travailleurs de plateformes qui ne seraient pas des « faux » indépendants. Si vous n’êtes pas en mesure de me donner des estimations, qui sont certainement réalisées par la direction générale du travail, comment pouvez-vous à ce moment-là porter une position sur les critères ?

En effet, pour pouvoir mener un travail fin de différenciation des critères, il faut disposer de données fines sur la réalité de l’existence ou non de liens de subordination des travailleurs des plateformes. On sait que les livreurs et les chauffeurs VTC sont dans un lien de subordination au regard des décisions de justice portées en France. Or si on les exclut de ce périmètre, de qui parlons-nous dans ce cas ? De quels travailleurs de plateformes parlons-nous pour justifier la nécessité que la France « torpille » la directive proposée par le Parlement européen ? Puisque vous me confirmez la position de la France sur les clauses suspensives et l’exemption, cela signifie bien qu’elle estime que les normes européennes ne s’imposeront pas sous prétexte de l’existence de l’Arpe et de l’existence d’un accord sur un tarif minimum. Je suis très inquiète.

Madame Anne Genetet (RE). On s’aperçoit que dans d’autres pays, des chauffeurs de taxi par ailleurs déclarés comme artisans vont sur ces plateformes, qu’ils utilisent en complément de leur activité. Ce type de pratiques répond-il à la question que vous vous posez ? En l’espèce, il s’agit de « vrais » indépendants qui se greffent sur ces plateformes.

M. Emmanuel Puisais-Jauvin. Je suis désolé de ne pas être mesure de vous donner des données plus précises. Nous les demanderons à la direction générale du Travail que vous n’avez pas manqué d’interroger, j’imagine, lorsque vous l’avez entendue sur le sujet.

La difficulté en la matière tient au fait que les situations sont extrêmement variables. On aimerait dire que par essence certains domaines relèvent plus de la présomption de salariat que d’autres mais cela n’est pas aussi simple. Dans certains cas, les travailleurs indépendants peuvent intervenir dans des logiques de recherche de revenus d’appoint, pour compléter une activité.

Le champ est assez large et le point fondamental consiste à vérifier s’il existe oui ou non subordination. Il ne s’agit pas de tenir en échec un critère. Le fait de disposer d’un accord collectif sur la rémunération n’a pas d’effet sur les autres critères et n’empêchera pas la réalité de faisceaux d’indices suggérant une présomption de salariat. Malgré tout, il faut regarder à chaque fois ce qu’il en est pour chacun des critères. Ce travail fin de différenciation doit être mené.

Par ailleurs, je ne vois pas sur quels faits vous vous fondez pour estimer que la France essaye de « torpiller » cette directive. Si nous avions voulu torpiller ce texte, nous n’aurions pas tenu sept groupes de travail sous présidence française. En effet, si une présidence est impartiale, elle conserve néanmoins la maîtrise de l’ordre du jour. Nous avons instruit l’intégralité du texte, qui s’est traduit par un rapport de progrès soumis aux ministres compétents lors du Conseil Epsco de juin 2022.

Je le répète : nous avons choisi de traiter ce texte. Quand un pays ne veut pas avancer sur un texte, il peut le faire, grâce à la maîtrise de l’ordre du jour. Si tel avait été le cas, nous n’aurions pas autant recherché un compromis, y compris lors des derniers jours qui ont précédé le Conseil Epsco du 8 décembre dernier. De même, si nous avions dilué le texte, je ne vois pas comment la Commission aurait marqué son accord sur celui-ci.

Mme Danielle Simonnet, rapporteure. On pourrait imaginer qu’il s’agisse de trouver un accord de compromis conduisant à un détricotage de cette présomption automatique en augmentant le nombre de critères afin d’inverser totalement la logique. Soit il existe une présomption de salariat automatique et la plateforme doit démontrer qu’elle a affaire à de « vrais » indépendants. Soit, par l’instauration de l’ensemble des critères et l’augmentation de leur nombre, vous créez les conditions pour qu’il n’y ait pas de présomption automatique de salariat. Hélas, je ne doute pas un seul instant que la France ait consacré son énergie à « torpiller » la proposition du Parlement européen.

La question de ma collègue Genetet sur les chauffeurs de taxi est particulièrement intéressante. En effet, y compris en France, ces chauffeurs sont sollicités pour venir sur les plateformes. Dans la période actuelle, les plateformes peuvent avoir intérêt à créer plus de complications pour parvenir à leurs fins.

Enfin, je tiens à revenir sur une question du président, à laquelle vous n’avez toujours pas répondu. On sait que les plateformes, Uber en particulier, ont toujours plaidé en faveur d’un tiers statut, qui correspond par ailleurs de plus en plus à la position défendue par la France. Qu’avez-vous vu de ce lobbying d’Uber au niveau des institutions européennes ? Comment s’est-il exercé ? Même si des lois récentes l’ont remis en cause, la hiérarchie des normes empêche une convention collective d’être en deçà de la loi, un accord de branche d’être en deçà d’une convention collective et un accord d’entreprise d’être en deçà d’un accord de branche. Il en va de même pour le socle des normes européennes.

M. Emmanuel Puisais-Jauvin. La France n’a pas torpillé l’activisme du Parlement européen, simplement parce qu’en décembre dernier le Parlement européen n’avait pas encore pris position.

Aujourd’hui, le sujet qui fait l’objet des négociations au sein du Conseil n’est pas la position du Parlement européen mais la proposition de la Commission, qui ne porte pas sur une présomption automatique de salariat. Le débat pourra certes évoluer avec la proposition de directive du Parlement voté en plénière. Celle-ci constituera sans doute un des enjeux centraux de la négociation qui aura vraisemblablement lieu au second semestre. Mais on ne peut pas nous reprocher de torpiller la position du Parlement européen qui existe depuis peu, d’autant moins que nous travaillons sur la base de la position de la Commission. Je m’inscris en faux contre l’idée que nous aurions cherché à torpiller le texte : encore une fois, si tel avait été le cas, nous n’aurions pas été sur le point d’obtenir une majorité qualifiée. Si nous avions poursuivi ce funeste dessein, nous aurions été isolés.

Mme Danielle Simonnet, rapporteure. Qui sont vos alliés ?

M. Emmanuel Puisais-Jauvin. Ils viennent de toute l’Europe et se répartissent en différentes catégories, de la même manière que certains adoptent une ligne plus dure que la nôtre. Il n’existe pas de clivages par bloc géographique.

Ensuite, la question du tiers statut n’est pas présente dans les négociations européennes. La question se concentre sur l’architecture de la présomption de salariat, le choix des critères, leur nombre et leur pondération.

Par ailleurs, la question du tiers statut a pu être testée dans certains pays mais elle n’a pas toujours eu les effets probants qui étaient escomptés, comme en ont témoigné les requalifications. Quoi qu’il en soit, cette question n’est pas présente dans les débats européens, à la faveur de la proposition de cette directive.

Enfin, depuis ma prise de fonction, je n’ai eu aucun contact avec des plateformes et n’ai donc subi aucune forme de pression. À l’inverse, il existe des échanges avec ces plateformes mais c’est la Commission européenne qui est ici la première concernée. Avant de proposer un texte à l’adoption formelle du collège, la Commission consulte en effet l’ensemble des parties prenantes, de manière à ce que celles-ci puissent fournir leur appréciation. Dans le champ social, les partenaires sociaux sont ainsi consultés de manière formelle.

M. le président Benjamin Haddad. On parle d’échanges transparents, organisés et cadrés, n’est-ce pas ?

M. Emmanuel Puisais-Jauvin. Exactement. Ces échanges sont transparents et sont généralement consignés dans des textes par la Commission européenne. De même, les députés européens consultent et sont sollicités par l’ensemble des acteurs qui viennent présenter leurs propositions. Je n’ai jamais été approché par les plateformes mais sur bien d’autres textes, des gens me sollicitent et viennent me voir.

Au sein de l’administration française, il existe des acteurs dont le métier consiste à prendre constamment le pouls des entreprises, comme la direction générale des entreprises à Bercy. Il s’agit là d’une bonne chose car en l’absence de dialogue, la norme établie risquerait d’être déconnectée de certaines réalités. Des consultations existent mais il s’agit de tout autre chose que des pressions.

M. le président Benjamin Haddad. Je vous remercie de votre disponibilité et de vos réponses. Vous nous avez déjà transmis un certain nombre de documents qui complètent les réponses que vous venez de nous faire. Nous vous poserons éventuellement des questions complémentaires ou demanderons la transmission de documents dans les prochaines semaines. Je vous souhaite une bonne journée.

 

La commission d’enquête entend MM. Stanislas Chastel, Maxime Klein et Léopold Treppoz , cofondateurs de la plateforme Mediflash.

M. le président Benjamin Haddad. Mes chers collègues, nous avons l’honneur d’accueillir les trois cofondateurs d’une jeune plateforme de mise en relation entre des soignants indépendants et des établissements de santé, la plateforme Mediflash.

MM. Stanislas Chastel, Maxime Klein et Léopold Treppoz, nous vous souhaitons la bienvenue et vous remercions de vous être rendus disponibles pour participer à cette audition. Vous le savez, à partir du 10 juillet 2022, plusieurs membres du consortium international des journalistes d’investigation ont publié ce qu’il est désormais convenu d’appeler les Uber Files : s’appuyant sur 124 000 documents internes à l’entreprise américaine datés de 2013 à 2017, cette enquête a dénoncé un lobbying agressif de la société Uber pour implanter en France, comme dans de nombreux pays, des véhicules de transport avec chauffeur (VTC) venant concurrencer le secteur traditionnel du transport public particulier de personnes réservé jusqu’alors aux taxis.

Je vous rappelle que notre commission d’enquête poursuit un double objet : d’une part, identifier l’ensemble des opérations de lobbying menées par Uber pour pouvoir s’implanter en France et le rôle des décideurs publics de l’époque et émettre des recommandations concernant l’encadrement des relations entre les décideurs publics et les représentants d’intérêts ; d’autre part, évaluer les conséquences économiques, sociales et environnementales du développement du modèle Uber en France, et les réponses apportées et à apporter par les décideurs publics en la matière.

Votre audition s’inscrit davantage dans cette seconde optique, pour connaître l’origine et le fonctionnement de la plateforme Mediflash qui se présente comme une plateforme permettant aux professionnels du soin indépendants, essentiellement infirmiers et aides-soignants, de participer à des « missions de renfort valorisantes et très bien rémunérées ».

Notre commission d’enquête s’intéresse particulièrement aux nouvelles formes de travail résultant du développement des plateformes d'emplois notamment, et plus particulièrement à la question du statut des travailleurs des plateformes.

La réglementation en vigueur en France laisse le choix aux plateformes et à leurs employés d’arbitrer entre salariat ou travail indépendant. L’évolution de la jurisprudence montre que dans le secteur des mobilités – qui est différent de celui de votre plateforme – il y a une tendance à la requalification des travailleurs indépendants en salariés en raison de l’existence d’un lien de subordination de fait entre la plateforme et ses employés.

Qu’en est-il au sein de la plateforme Mediflash ? Les travailleurs du secteur de la santé passant par votre plateforme sont-ils attachés au statut d’indépendant ou non ? Comment un infirmier ou une aide-soignante par exemple peuvent-ils s’inscrire sur votre plateforme et entrer en contact avec un établissement de soin ? De quelle manière sont-ils rémunérés : par la plateforme ou par l’établissement de soins ? Qui fixe le niveau de rémunération ? Quelle est la commission prise par la plateforme pour le service d’intermédiation auprès du personnel soignant et auprès de l’établissement de soins ?

Notre commission se demande également si une plateforme comme la vôtre n’a pas pour effet de se substituer, d’une certaine manière, à des entreprises d’intérim dans lesquelles les travailleurs ont un statut de salarié.

Au-delà de la seule question du statut de l’employé des plateformes, se posent d’autres questions relatives aux droits et obligations des plateformes et de leurs employés en matière de gestion algorithmique, de transparence de leurs relations commerciales et de droit au recours en cas de déconnexion. Pouvez-vous nous indiquer les mesures prises par la plateforme Mediflash en la matière ? Enfin, considérez-vous aujourd’hui que votre business model repose essentiellement sur un statut d’indépendant pour les travailleurs auxquels vous avez recours ou s’agit-il d’un élément secondaire de l’offre que vous fournissez ? Je vous remercie d’avance pour la qualité de vos réponses.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Stanislas Chastel, M. Maxime Klein et M. Léopold Treppoz prêtent serment).

M. Maxime Klein, cofondateur de la plateforme Mediflash. Monsieur le président, Madame la rapporteure, Mesdames et Messieurs les membres de la Commission, je tiens d’abord à me présenter pour évoquer avec vous les raisons de la création de la société Mediflash. Infirmier diplômé d’État (IDE) de formation, j’ai suivi mes études à Metz et effectué de nombreuses missions d’intérim en tant qu’aide-soignant (AS), puis en tant qu’infirmier.

Quand nous nous sommes lancés, nous avions observé les difficultés de recrutement de la part des établissements dans un contexte sanitaire tendu mais il ne s’agissait pas d’un phénomène nouveau. Le rapport « El Khomri » sur l’attractivité des métiers du grand âge estime ainsi à 140 000 le nombre de professionnels de santé qu’il faudrait recruter d’ici 2030 dans les 15 000 établissements de santé présents sur notre territoire (dont 11 000 établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes ou Ehpad). De fait, à l’heure actuelle, 81 % des Ehpad ont des postes vacants et peinent à recruter.

Nous avons également constaté la fatigue des soignants qui opèrent dans des conditions de travail dégradées (bas salaires, horaires difficiles, travail de nuit.). Concrètement, les soignants quittent le monde de la santé. La profession n’attire plus, comme en témoigne la baisse de 25 % en six ans des candidatures aux concours d’accès à la profession d’ Infirmier diplômé d’État et d’aide-soignant, selon le même rapport « El Khomri ».

Cette situation a pour conséquence de réduire la qualité de la prise en charge des patients des établissements de santé. La volonté de Mediflash consiste à rendre plus attractives les professions de santé et à accompagner les soignants tout au long de leur carrière, dans leur orientation, leur formation, leur insertion ou reconversion professionnelle et leur recherche d’emploi à terme.

Nous voulons améliorer les conditions de travail des soignants en les aidant à mieux gérer leur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle mais également revaloriser les métiers du soin en offrant plus de liberté, tout en aidant les établissements à faire face aux tensions de recrutement et à travailler avec des effectifs complets.

Nous sommes une entreprise française, qui emploie une trentaine de salariés à ce jour. Nous nous sommes lancés dans le Grand Est, territoire où la pénurie de soignants est particulièrement forte du fait de la proximité avec le Luxembourg, où les salaires sont plus élevés. À Thionville, l’école d’infirmiers voit ainsi près de 60 % de ses étudiants travailler au Luxembourg trois ans après avoir été diplômés.

Nous mettons en relation des établissements de santé publics et privés qui ont des besoins de renfort ponctuels et d’urgence, avec des soignants paramédicaux qui ont un statut d’indépendant, autoentrepreneur ou libéral selon leur profession. Les soignants paramédicaux que nous couvrons sont les aides-soignants, les auxiliaires, les aides médico-psychologiques et les infirmiers.

Différents types de profil sont représentés. Il y a d’abord des étudiants en soins infirmiers qui cherchent à continuer de se former et à financer leurs études, comme j’ai pu le faire plus jeune, et qui souhaitent faire bénéficier le système de santé de leurs compétences. D’autres personnes souhaitent compléter leurs revenus ou concilier vie professionnelle et vie personnelle. Je pense ici aux mères et pères célibataires qui ont besoin de souplesse dans leur planning. D’autres soignants sont en transition entre deux emplois et ont envie de tester différents types d’établissement, différents services, pour ensuite se stabiliser dans un établissement où ils se sentent à l’aise.

M. Stanislas Chastel, cofondateur de la plateforme Mediflash. Nous sommes une plateforme créée par des soignants pour des soignants. Notre approche du modèle « plateforme » est complètement différente de celle d’Uber. Aujourd’hui, les soignants peuvent librement s’inscrire sur notre site et accéder à notre application, sur laquelle ils peuvent retrouver toutes les missions proposées par les établissements de santé.

Nous leur laissons une liberté totale dans le choix de leurs missions et de l’organisation de leur temps. De ce fait, ils se sentent valorisés et apprécient la souplesse du statut qui leur permet d’obtenir de bonnes rémunérations. En outre, nous leur proposons un suivi personnalisé. Nous sommes d’ailleurs en train de nouer des partenariats avec des écoles de formation pour aider chaque soignant qui le souhaite à monter en compétence.

Ce modèle est très plébiscité par les soignants et nous sommes convaincus que cette liberté permet ainsi de redonner de l’attractivité aux métiers du soin. Depuis notre création, 22 000 professionnels de santé se sont inscrits sur notre plateforme et 2 500 ont réalisé des missions grâce à elle, dans plus de 500 établissements.

Réhabiliter le soignant et rendre plus attractives les professions de santé permettent d’améliorer le système de santé et d’aider les établissements dans la prise en charge de nos aînés, dont le traitement s’est largement dégradé dans les dernières années.

Ensuite, Mediflash aide les établissements à assurer la continuité des services de soin, à améliorer les conditions de travail et à soulager les équipes. Nous les mettons en contact avec des soignants qualifiés pour des besoins de renfort. Nous vérifions les qualifications et les diplômes de chacun des soignants et nous nous occupons des tâches administratives. Les établissements qui utilisent notre plateforme nous font souvent part du sérieux et de la qualité des soignants indépendants qui travaillent chez eux grâce à Mediflash. Ainsi, nous avons réussi à construire un modèle équilibré au sein duquel tout le monde s’y retrouve.

Bien sûr, nous sommes conscients du caractère moins protecteur du statut d’autoentrepreneur mais les avantages pour les soignants sont bien réels. Nous leur permettons de reprendre en main leur vie professionnelle, de continuer à se former et de redonner du sens à leur métier. Concrètement, les soignants autoentrepreneurs sont affiliés au régime général de l’assurance santé et cotisent pour la retraite en payant leurs cotisations sociales à l’Urssaf tous les mois ou tous les trimestres. Ils sont systématiquement couverts par une assurance responsabilité civile professionnelle.

Nous sommes totalement transparents et nous expliquons au soignant ses droits et devoirs en tant qu’autoentrepreneur. L’objectif consiste ainsi à redonner du sens au métier et à réduire le nombre de départs du monde de la santé. Nous ne détruisons pas d’emplois dans les métiers du soin ; au contraire, nous créons des contrats à durée indéterminée (CDI).

Bien sûr, tous les soignants n’ont pas vocation à travailler sous le statut d’indépendant. Un soignant reste en moyenne quatre mois et demi sur notre plateforme. De fait, il n’y a pas de fuite des soignants vers l’autoentrepreneuriat. Souvent, après avoir été autoentrepreneurs pendant quelques mois, les soignants ont pu découvrir de nouveaux services, ont retrouvé une envie de faire partie d’une équipe et vont signer un CDI dans un établissement découvert sur la plateforme.

Ensuite, 60 % des soignants qui quittent la plateforme Mediflash le font parce qu’ils ont trouvé un poste en CDI ou CDD dans un établissement de santé. Mediflash vient donc en soutien et en relais du modèle classique de l’emploi. Si la plateforme est autant plébiscitée, c’est bien que le modèle apporte une réponse à des besoins précis et non comblés. Il s’agit là d’une nouvelle approche du métier mais en cherchant toujours à fidéliser les soignants dans les métiers du soin.

Notre modèle peut soulever des questions vis-à-vis des pouvoirs publics. Opérer en tant qu’entreprise privée, dans un pan qui relève du service public, et a fortiori de celui de la santé, peut susciter des réticences ou des interrogations. Aujourd’hui, malheureusement, malgré la pertinence de notre modèle à la fois pour les soignants et les établissements de santé, nous rencontrons des résistances importantes de la part des pouvoirs publics.

Par exemple, un courrier signé par les ministères de la Santé et du Travail le 30 décembre 2021, en pleine crise de la covid-19, mettant en doute le modèle des soignants indépendants a été adressé par les agences régionales de santé (ARS) aux établissements de santé. Ensuite, depuis janvier 2023, de nombreux contrôles de l’Urssaf et de la direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS) ont été diligentés dans des établissements utilisateurs de Mediflash. On a ainsi dénombré une cinquantaine de contrôles le même jour, avec une centaine d’agents mobilisés.

Ces contrôles ont eu un impact extrêmement fort sur les établissements qui ont pris peur, mais aussi sur des soignants qui se sont retrouvés sans activité du jour au lendemain. Nous avons engagé des discussions avec les pouvoirs publics pour dissiper tous les malentendus et venir en aide aux soignants et aux établissements, mais pour l’instant la situation n’avance pas. Nous pourrons développer ce sujet par la suite si vous le souhaitez.

Mais encore une fois, si Mediflash connaît une telle dynamique, c’est bien qu’elle a un vrai intérêt pour ceux qui l’utilisent et que nous répondons à un besoin qui n’est pas satisfait autrement.

M. le président Benjamin Haddad. Je vous remercie pour votre présentation et le dossier que vous nous avez transmis. Le courrier du 30 décembre 2021 soupçonne votre modèle de se fonder sur une forme de travail dissimulé. Pouvez-vous nous synthétiser les réponses que vous avez apportées à cet argument ? Pourquoi vous paraît-il inopérant ?

M. Léopold Treppoz, cofondateur de la plateforme Mediflash. Il convient de distinguer deux éléments. En premier lieu, le courrier indique que l’aide-soignant effectue ses missions sous la responsabilité de l’infirmier, selon l’article R. 4311-4 du code de la santé publique. L’interprétation juridique qui est ici faite place l’aide-soignant dans un lien de subordination vis-à-vis de l’infirmier. Nous estimons que cette interprétation est inexacte.

Les notions de responsabilité et de subordination doivent en effet être distinguées. Par exemple, notre avocat souligne que lorsqu’un infirmier effectue ses missions, il les réalise sous la responsabilité d’une prescription médicale, rédigée par un médecin. Or personne ne voit un problème à ce que l’infirmier soit libéral, donc indépendant. En résumé, la notion de responsabilité n’est donc pas équivalente à la notion de subordination. Lorsqu’un aide-soignant effectue ses missions de soins, il agit seul, sans qu’un infirmier lui indique ce qu’il doit faire. Ceci est particulièrement vrai la nuit.

En second lieu, l’argumentaire des ministères estime que, quand bien même un soignant pourrait exercer ses missions en tant qu’indépendant, il existerait un risque de requalification en salariat. Mais cette notion doit être appréciée au cas par cas par le juge. Les missions en tant qu’indépendant doivent comporter un certain nombre de règles que nous respectons. Ainsi, nous n’imposons pas au soignant ses horaires, celui-ci choisit ses missions, se vêt avec sa propre tenue... Nous pensons que le risque de requalification est réel mais cela ne signifie pas cependant que le modèle est interdit.

Mme Danielle Simonnet, rapporteure. Nous sommes conscients des difficultés de recrutement des établissements de santé. Pour un établissement de santé, quelle est la différence en termes de coûts d’avoir recours à un soignant ayant un statut d’autoentrepreneur par l’intermédiaire de votre plateforme et à un soignant via une agence d’intérim ?

M. Maxime Klein. Ces éléments peuvent varier selon les circonstances. La rémunération du professionnel sera différente par exemple selon qu’il s’agit d’un jour ouvrable ou d’un jour de week-end, du jour ou de la nuit. De plus, le soignant peut demander une rémunération plus élevée à l’établissement. En moyenne, l’économie est environ de 20 % à 25 % par rapport à une solution d’intérim.

M. Léopold Treppoz. La solution d’une plateforme comme celle de Mediflash est en moyenne 20 % moins chère que l’intérim pour l’établissement de santé.

Mme Danielle Simonnet, rapporteure. Du côté du soignant, quelle est la différence ?

M. Maxime Klein. Ici encore, tout dépend de la rémunération que le soignant peut demander. Il gagne à peu près 20 à 25 % de plus qu’en intérim.

Mme Danielle Simonnet, rapporteure. Qu’en est-il des droits à la retraite et des cotisations dans ce cas ?

M. Maxime Klein. En matière de sécurité sociale, le soignant cotise de la même manière que s’il était un salarié classique. Il paye 21,2 % de charges, dont une partie (41,5 %) pour ses cotisations retraite. En termes de taux de cotisation, puisque sa rémunération est plus importante que celle dont il bénéficierait en tant que salarié, il cotise autant. La véritable différence porte plutôt sur la partie chômage, puisque le soignant n’y cotise pas. Nous sommes particulièrement transparents en la matière.

Mme Danielle Simonnet, rapporteure. Il existe cependant une différence concernant les cotisations employeurs entre l’intérim et le statut d’autoentrepreneur, qui a de fait un impact sur les caisses de protection sociale.

M. Léopold Treppoz. Vous avez raison, il n’y a pas de cotisations sociales employeurs. Mais si le niveau de cotisations sociales pour un autoentrepreneur est moins important en pourcentage, la base de calcul est plus importante, puisqu’elle est proportionnée à la rémunération.

Mme Danielle Simonnet, rapporteure. Vous nous avez montré le caractère contesté de votre légalité à l’heure actuelle, comme en attestent les courriers des ministres de la Santé et du Travail. On peut ainsi envisager une responsabilité pénale, puisque les professionnels de santé effectuent des actes sous la responsabilité d’un supérieur hiérarchique. J’entends que vous portez une contre-argumentation mais pour le moment, votre plateforme continue son activité de manière illégale.

M. Maxime Klein. Nous ne considérons pas que nous agissions dans l’illégalité. Si notre modèle était illégal, nous aurions subi des actions en justice depuis l’envoi de ces courriers, ce qui n’est pas le cas. Rien dans la loi n’interdit à un aide-soignant d’être autoentrepreneur. L’interprétation des ministères consiste à indiquer qu’un aide-soignant est sous la responsabilité d’un infirmier et que de ce fait, il ne pourrait pas être indépendant.

Or il existe d’autres secteurs où la jurisprudence a établi le contraire. Par exemple, un commis de cuisine est sous la responsabilité d’un chef de cuisine mais la jurisprudence ne voit aucun problème à ce qu’il soit indépendant. À ce jour, rien n’interdit à un aide-soignant d’être autoentrepreneur.

M. Stanislas Chastel. Le sujet porte plus sur la méconnaissance de notre modèle, notamment de la part de l’Urssaf et des ARS, qui éprouvent des difficultés à appréhender ce sujet parce qu’il est nouveau. Lorsque nous parvenons à échanger avec eux, les pouvoirs publics comprennent notre modèle et sa légalité.

M. le président Benjamin Haddad. Vous avez adressé le 20 février 2023 un courrier au ministre de la Santé. Avez-vous obtenu une réponse ?

M. Léopold Treppoz. Nous n’avons pas obtenu de réponse. Je précise que nous avons adressé un courrier à un certain nombre de pouvoirs publics et avons rencontré des collaborateurs du ministre de l’Économie. Nous échangeons également avec plusieurs députés. Les questions sur notre modèle sont légitimes mais elles sont plus liées à sa méconnaissance qu’à un rejet.

M. le président Benjamin Haddad. Vos clients potentiels ont été mis en garde par ces courriers. Aucune procédure judiciaire n’a été engagée mais des contrôles de l’inspection du travail ont été réalisés.

M. Maxime Klein. Nous avons été effectivement surpris par l’ampleur des contrôles simultanés, qui sont intervenus le même jour au mois de janvier, dans quatre départements différents. Nous n’avons pas compris l’intérêt de mener une telle opération coup de poing. Nous nous sommes demandé s’il ne s’agissait d’une méthode d’intimidation auprès des établissements de santé travaillant avec nous. De fait, certains établissements ont pris peur et ont préféré suspendre leur collaboration. Depuis, ils éprouvent des difficultés pour trouver des soignants et constatent que la prise en charge des patients voit sa qualité diminuer. Des responsables d’établissement nous appellent pour nous dire que leur direction bloque la collaboration et nous indiquent être démunis.

M. Léopold Treppoz. Du jour au lendemain, les soignants indépendants qui travaillaient pour la plateforme ne peuvent plus exercer. Ils ont d’ailleurs adressé un courrier aux ministères de la Santé et du Travail pour le déplorer mais n’ont pas obtenu de réponse à ce jour.

Il faut bien comprendre que nous ne cherchons pas à remplacer le salariat. Les soignants présents sur la plateforme disposent d’autres alternatives : ils ne sont pas captifs. Cet après-midi, nous allons rencontrer des soignants à Metz, qui sont extrêmement satisfaits de travailler avec nous. Les soignants sont contents, les établissements sont contents dans un secteur sous tension et manquant d’attractivité, mais les pouvoirs publics « bloquent » une solution complémentaire. Nous avons du mal à le comprendre.

M. le président Benjamin Haddad. Que recherchent en priorité les soignants en travaillant avec vous ? S’agit-il d’une meilleure flexibilité, d’une meilleure rémunération, d’autres types de rapports avec les employeurs ?

M. Maxime Klein. Les raisons sont multiples. De nombreux professionnels nous ont indiqué que sans cette solution, ils auraient quitté le métier après la crise sanitaire. Le rapport au travail évolue au sein de la société, et pas uniquement dans le domaine de la santé. Par ailleurs, les services sont sous tension par manque de personnels ; les personnes qui restent salariées sont sur-sollicitées. La rémunération attire également au même titre que la reconnaissance. Nous échangeons avec les fédérations nationales, dont la Fédération nationale des associations d’aides-soignants, qui favorise la valorisation de ces métiers.

M. le président Benjamin Haddad. Vous ne sentez donc pas de bienveillance de la part des pouvoirs publics vis-à-vis de ce modèle, n’est-ce pas ?

M. Stanislas Chastel. Il ne s’agit pas tant d’une question de bienveillance mais d’incompréhension. Nous cherchons à expliquer notre modèle et les pouvoirs publics que nous avons rencontrés étaient ouverts à la discussion.

M. Léopold Treppoz. En réalité, tout dépend des interlocuteurs à qui nous nous adressons. Certains nous soutiennent mais la relation est plus difficile avec d’autres.

Mme Danielle Simonnet, rapporteure. Pour moi, le modèle est très différent de celui d’Uber, puisque vous ne fixez pas la tarification et que le soignant évalue le montant de la prestation qu’il propose aux établissements. Néanmoins, quel est le montant de votre commission ? Par qui est-elle réglée ? Enfin, qui contrôle la qualification des professionnels de santé qui postulent sur votre plateforme ?

M. Léopold Treppoz. Nous proposons une tarification que l’aide-soignant est libre d’accepter ou de négocier. La commission dépend du profil du soignant, de la journée ou de l’urgence. Globalement, elle oscille entre 18 et 22 % et est prélevée sur la rémunération du soignant. Ensuite, nous effectuons une facturation pour compte de tiers : nous récupérons le chiffre d’affaires pour le compte du soignant auprès des établissements et nous lui reversons la différence. Cela permet aux soignants d’éviter de se consacrer à la partie administrative fastidieuse et aux établissements de santé d’avoir un seul interlocuteur.

Ensuite, nous vérifions la qualification des soignants. Très concrètement, lorsque les soignants s’inscrivent sur la plateforme, nous leur demandons des informations sur les établissements dans lesquels ils ont travaillé et les missions qu’ils ont effectuées. Nous vérifions systématiquement leurs diplômes et après les deux premières missions, nous contactons les établissements de santé afin de connaître leur avis. Il ne s’agit pas d’avoir une notation « à la Uber », mais d’avoir un retour sur la qualité des soins et des relations avec les équipes.

M. Maxime Klein. Au-delà du contrôle, nous nous assurons que les soignants soient couverts par une assurance. Nous leur demandons également leur attestation de vigilance lorsqu’ils dépassent un certain seuil de chiffre d’affaires.

M. Stanislas Chastel. Le sujet des retours des établissements est particulièrement intéressant puisqu’il permet de valoriser les soignants.

Mme Danielle Simonnet, rapporteure. Quelle est ici la différence avec une agence d’intérim ? Le salariat permet d’assurer au soignant une bien meilleure protection et de financer notre modèle de solidarité sociale.

Par ailleurs, je suis choquée que la fonction publique hospitalière ait recours à de l’intérim plutôt que d’améliorer les conditions de travail des personnels soignants. Cela vaut également pour les statuts d’autoentrepreneur. Cela doit choquer profondément ceux qui sont attachés à la fonction publique hospitalière et à son statut. Les syndicats doivent être effrayés par cette évolution.

M. Maxime Klein. Je souhaite vous faire part de mon expérience. Lorsque j’étais élève infirmier, j’ai effectué une mission d’intérim qui s’est très mal déroulée. Lorsque j’ai appelé mon agence pour leur décrire des faits de maltraitance, ils m’ont uniquement répondu qu’ils ne m’y renverraient pas. J’attendais plus que cette simple réponse.

Au sein de Mediflash, nous embauchons de nombreuses personnes issues du monde de la santé, comme un ancien directeur d’Ehpad ou une aide-soignante hospitalière, afin de bien comprendre les problématiques des soignants. Lorsque les retours sont mauvais, nous faisons remonter l’information aux établissements de santé. Nous demandons en outre aux soignants de nous indiquer les axes d’amélioration qu’ils pensent nécessaire de mettre en place. Cela permet de valoriser le soignant et de donner des pistes d’amélioration à l’établissement de santé.

Ensuite, nous travaillons assez peu avec les hôpitaux : 80 % de nos clients sont des Ehpad ou des maisons d’accueil spécialisées. Nous travaillons avec des établissements publics, mais pas sur la partie hospitalière. Notre métier ne consiste pas à améliorer les conditions de travail de l’hôpital, nous ne sommes pas directeurs d’établissement mais nous faisons ce que nous pouvons pour améliorer les conditions des soignants et donc des bénéficiaires des soins.

Les soignants ont envie d’approcher le métier d’une autre manière que celle qui leur était proposée jusqu’à présent. Notre modèle vise à répondre aux volontés de chacun et à offrir de la liberté plutôt que de contraindre les soignants. L’objectif consiste à retenir les soignants et à redonner de l’attractivité aux métiers du soin. Il s’agit d’apporter une solution complémentaire, qui ne réglera certes pas toutes les problématiques, mais qui cherche à fidéliser les professionnels de santé dans les métiers du soin.

M. Philippe Schreck (RN). Depuis le début de cette audition, il a surtout été question des aides-soignants. Avez-vous recours aux infirmiers libéraux diplômés d’État (IDE) ?

M. Léopold Treppoz. Nous y avons effectivement recours. Ils représentent aujourd’hui 10 à 20 % des soignants présents sur notre plateforme.

M. Philippe Schreck (RN). Ce faisant, vous les faites sortir de la cotation par les actes. Normalement, l’activité des IDE répond à une nomenclature. Vous leur faites faire des actes d’infirmiers qui sortent de la cotation de l’assurance maladie.

M. Maxime Klein. L’accès des infirmiers libéraux a été facilité dans les établissements de santé pendant la crise de la covid-19. Un forfait horaire est choisi par le professionnel. Sur le terrain, on ne peut pas considérer qu’il est rémunéré à l’acte. Par exemple, en Ehpad, ces professionnels s’occupent de soixante-quinze résidents en une matinée à travers la distribution de médicaments ou l’injection d’insuline. Dans ce cadre, il est impossible de passer les cartes Vitale une à une. Pour faciliter les choses, l’établissement de santé accepte de payer un forfait choisi par le professionnel et qui ne correspond pas à la nomenclature de l’assurance maladie.

M. Stanislas Chastel. Les infirmiers présents sur notre plateforme sont essentiellement des infirmiers libéraux qui cherchent à remplir les trous dans leur planning. Ils viennent ainsi en renfort dans les établissements de santé.

M. Philippe Schreck (RN). De votre expérience, l’infirmier libéral est-il gagnant ? Je pense par exemple à la problématique des pansements. À la journée, le premier pansement est payé à 100 %, le deuxième à 50 % et le dernier ne l’est plus. Les infirmiers y trouvent-ils un gain par rapport à la nomenclature ?

M. Maxime Klein. Je peux difficilement répondre à cette question dans la mesure où la rémunération diffère selon l’acte réalisé à domicile. Par exemple, une prise de sang est rémunérée autour de huit euros, mais celle-ci peut être plus élevée dans le cas de la pose d’une perfusion, pour un traitement particulier. Tout va dépendre de la patientèle du cabinet. Les professionnels gagnent autant voire un peu moins que ce qu’ils auraient gagné sur les actes à domicile. Ce qui leur plaît, c’est de pouvoir retrouver un travail d’équipe et de pouvoir continuer à être proches des nouvelles pratiques de prise en charge.

M. le président Benjamin Haddad. Je vous remercie de votre disponibilité et d’avoir préparé ce dossier très complet. Nous formulerons peut-être d’autres demandes de documentation complémentaire dans les prochaines semaines. D’ici là, je vous souhaite une bonne journée.

Enfin, la commission d’enquête entend M. Enzo Romoli, responsable des affaires européennes et M. Parfait Bazebi, directeur des opérations de la plateforme Free Now.

M. le président Benjamin Haddad. Nous avons l’honneur d’accueillir M. Enzo Romoli, responsable des affaires européennes et M. Parfait Bazebi, directeur des opérations de la plateforme Free Now. Messieurs, nous vous souhaitons la bienvenue et vous remercions de vous être rendus disponibles pour participer à cette audition.

Vous le savez, à partir du 10 juillet 2022, plusieurs membres du consortium international des journalistes d’investigation ont publié ce qu’il est désormais convenu d’appeler les Uber Files : s’appuyant sur 124 000 documents internes à l’entreprise américaine datés de 2013 à 2017, cette enquête a dénoncé un lobbying agressif de la société Uber pour implanter en France, comme dans de nombreux pays, des véhicules de transport avec chauffeur (VTC) venant concurrencer le secteur traditionnel du transport public particulier de personnes réservé jusqu’alors aux taxis.

Notre commission d’enquête poursuit un double objet : d’une part, identifier l’ensemble des opérations de lobbying menées par Uber pour pouvoir s’implanter en France, le rôle des décideurs publics de l’époque et émettre des recommandations concernant l’encadrement des relations entre les décideurs publics et les représentants d’intérêts ; d’autre part, évaluer les conséquences économiques, sociales, environnementales du développement du modèle Uber en France, et les réponses apportées et à apporter par les décideurs publics en la matière.

La plateforme Free Now faisant partie des principaux concurrents de la plateforme Uber en France comme dans plusieurs pays européens, il nous est apparu indispensable de vous entendre pour, d’une part, recueillir vos impressions à la suite des révélations des Uber Files et, d’autre part, évoquer avec vous le fonctionnement de votre plateforme et plus généralement votre avis sur les conséquences de l’ubérisation de l’économie dans le secteur de la mobilité où vous opérez, mais aussi plus largement.

Sur le premier point, je constate que la plateforme Free Now est l’héritière de la plateforme Chauffeur privé, qui s’était installée en France avant Uber. Pourriez-vous nous décrire les relations que cette plateforme entretenait à l’époque avec les différents ministères pour pouvoir pénétrer le marché de la réservation préalable ? De quelle manière a-t-elle vécu l’arrivée d’Uber ? Soutenait-elle ses méthodes de lobbying ? Quel est votre point de vue aujourd’hui sur cette stratégie d’implantation en France à la suite des révélations des
Uber Files ?

Sur le second point, vous avez sans doute suivi nos auditions qui, depuis le début, abordent à la fois le sujet du statut des employés des plateformes de mobilité – considérés comme indépendants, mais requalifiés par le juge, le plus souvent, comme salariés des plateformes étant donné l’existence d’un lien de subordination de fait –, le sujet du dialogue social entre les employés et les plateformes, en particulier au sein de l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emplois, le sujet de l’emploi et des conditions de régularisation des travailleurs sans-papiers, le sujet des contrôles administratifs des plateformes sur le plan commercial, social, fiscal voire pénal, etc.

Je vous propose donc d’entrer rapidement dans le vif du sujet et de vous présenter en expliquant l’origine et les spécificités de la plateforme Free Now par rapport à Uber en particulier et votre positionnement par rapport à chacun de ces sujets.

Je note que M. Romoli a, dans ses précédentes fonctions, été conseiller pour les affaires européennes de l’Association française des entreprises privées (Afep). Vous avez donc une expérience particulière en matière de lobbying et peut-être des propositions pour améliorer le cadre juridique en vigueur, qui, j’en suis sûr, intéresseront aussi les membres de notre commission.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire, l’un après l’autre : « Je le jure ».

(M. Enzo Romoli et M. Parfait Bazebi prêtent serment).

M. Enzo Romoli, responsable des affaires européennes de la plateforme Free Now. Monsieur le président, Madame la rapporteure, Mesdames et Messieurs, nous comprenons de votre introduction que nous sommes la première plateforme de réservation de VTC entendue dans le cadre de cette commission d’enquête. Je vais donc commencer mon propos par une brève présentation de l’application Free Now qui ne propose pas que des VTC mais qui est en fait la première application multimodale en Europe.

Nous sommes une plateforme européenne, créée en 2009 en Allemagne et qui est soutenue par les groupes BMW et Mercedes-Benz Mobility. Nous sommes aujourd’hui présents dans dix pays et cent soixante-dix villes. Nous sommes la première application de mobilité urbaine en Europe, avec un modèle qui nous est propre : nous agrégeons via des partenariats quatorze fournisseurs de mobilité différents permettant à nos utilisateurs de bénéficier d’une expérience dite « de bout en bout ». Ils peuvent ainsi réserver et payer directement sur notre application des services de micro-mobilité, de véhicules en autopartage, des taxis, des VTC et depuis récemment en Allemagne – mais nous espérons développer cette offre ailleurs – les transports publics avec des billets de bus et de métro. Concrètement, avec les VTC, les taxis et les voitures en autopartage, nous proposons 430 000 véhicules sur une seule application.

Une autre spécificité tient au fait que, en dehors de la France, notre activité principale repose sur la réservation de taxis, qui est l’ADN de Free Now. Nous étions d’ailleurs auparavant connus sous le nom de Mytaxi. Nous sommes aujourd’hui un des leaders de la réservation de taxis en Europe avec par exemple 120 millions de courses réalisées en 2021. En Allemagne ou au Royaume-Uni par exemple, nous proposons les deux services. En France, nous avons récemment intégré cette offre à notre application et nous avons aujourd’hui plus de 1 500 chauffeurs de taxis actifs à Paris et dans son agglomération.

Pour revenir plus spécifiquement à la France, nous sommes présents depuis 2018 avec le rachat de la société Kapten, qui elle-même opérait sur le marché français depuis 2011 et qui était auparavant connue sous le nom de Chauffeur Privé. Nous sommes membre de la Fédération française du transport de personnes sur réservation (FFTPR) et nous participons à ce titre au dialogue social avec les organisations syndicales.

Comme pour les autres plateformes, notre modèle économique repose sur le prélèvement d’une commission sur le tarif des courses, qui s’élève à 24 %. Il est cependant important de préciser que nous sommes une plateforme européenne qui paie ses impôts et ses taxes localement, ce qui ramène le niveau réel de notre commission à 20 %, les 4 % restants correspondant à la TVA récupérable par les chauffeurs.

Monsieur le président, il m’est difficile de répondre à votre question sur Chauffeur Privé et ses relations avec les pouvoirs publics, dans la mesure où les personnes qui étaient en activité à ce moment-là ne le sont plus. Je ne peux pas fournir d’éléments particuliers, notamment sur le lobbying qu’aurait pu pratiquer Chauffeur Privé au moment de son implantation en 2011. Je pourrai peut-être vous apporter plus de précisions lors d’échanges ultérieurs.

M. Parfait Bazebi, directeur des opérations de la plateforme Free Now. Monsieur le Président, s’agissant du statut d’indépendant des chauffeurs VTC, vous avez précédemment reçu en audition M. Yassine Bensaci, vice-président de l’association VTC de France. Il vous a indiqué à cette occasion que les chauffeurs tiennent majoritairement à rester indépendants en France. Free Now est membre de la FFTPR et participe activement au dialogue social, lequel a permis d’obtenir des avancées sur le revenu minimum, dont vous avez pris connaissance.

M. Enzo Romoli. Vous m’avez également interrogé sur mes précédentes fonctions à l’Afep. Celles-ci s’exerçaient à Bruxelles et par conséquent, la pertinence de mon avis serait assez limitée.

M. le président Benjamin Haddad. Pouvez-vous nous indiquer ce qui vous différencie de vos concurrents français, en particulier Uber, sur le statut des travailleurs ?
A contrario, votre modèle est-il semblable au leur ?

M. Parfait Bazebi. Notre modèle comporte un certain nombre de spécificités en matière de relations avec nos chauffeurs. Nous travaillons avec nos partenaires indépendants chauffeurs, sur différents aspects, notamment la déconnexion.

Nous vérifions la concordance des documents des chauffeurs. Nos chauffeurs partenaires travaillent indépendamment sur nos plateformes. À la différence peut-être d’autres plateformes, nous ne pratiquons pas de déconnexions massives ou automatiques de nos chauffeurs. Nous les pratiquons dans des cas très précis : usurpation d’identité, fraude sur les documents ou non-renouvellement de documents obligatoires. Chacune de ces déconnexions est accompagnée d’une conversation entre nos équipes de service clients et les chauffeurs. Nous les accompagnons dans la transition écologique et faisons en sorte de créer un écosystème de partenariat qui puisse être avantageux pour eux.

M. le président Benjamin Haddad. Je souhaite connaître un peu mieux le profil de vos chauffeurs. Quel est leur nombre ? Dans quelle proportion exercent-ils cette activité à temps plein ? Sont-ils principalement connectés uniquement à votre application ou sont-ils également inscrits à d’autres plateformes ?

M. Parfait Bazebi. D’après les données établies sur la période 2020-2022, plus des trois-quarts des chauffeurs travaillent sur plusieurs plateformes en même temps.

M. le président Benjamin Haddad. De combien de chauffeurs disposez-vous dans votre base Free Now ?

M. Parfait Bazebi. Environ 30 000 chauffeurs sont inscrits dans notre base.

M. le président Benjamin Haddad. Arrivez-vous à distinguer ceux qui exercent cette activité de chauffeur VTC à plein temps de ceux qui la pratiquent pour obtenir un complément de revenus ?

M. Parfait Bazebi. Nous ne suivons pas cet élément : nos chauffeurs sont indépendants et ils travaillent comme ils le souhaitent, à mi-temps ou à plein temps. Cependant, l’Observatoire national des transports publics particuliers de personnes a publié des chiffres à ce sujet, que nous pourrons vous transmettre dans un second temps.

M. le président Benjamin Haddad. Disposez-vous de données sur le nombre d’heures consacrées à cette activité par vos chauffeurs ? Parvenez-vous à obtenir une visibilité sur leur pratique ?

M. Parfait Bazebi. Nous ne contrôlons pas ces chiffres mais nous pourrons vous fournir plus de détails par la suite.

M. le président Benjamin Haddad. Je vous pose ces questions à dessein. Comment réussissez-vous à évaluer la volonté des chauffeurs d’être indépendants ? S’agit-il essentiellement de conversations ? Utilisez-vous des outils plus quantitatifs ou scientifiques ?

M. Enzo Romoli. Nous disposons essentiellement de remontées de terrain car nos équipes discutent avec des centaines de chauffeurs, notamment dans le cadre du dialogue social avec les élus. Ces remontées sont toutes concordantes : les élus des organisations syndicales confirment que les chauffeurs sont indépendants et veulent le rester.

Mme Danielle Simonnet, rapporteure. Avez-vous fait l’objet de contrôles de la part de l’inspection du travail ou de l’Urssaf, d’enquêtes et de sanctions judiciaires ? Si tel est le cas, quels étaient les faits reprochés et à quels montants avez-vous été condamnés ?

Par ailleurs, votre plateforme paye ses impôts en France et s’acquitte de la TVA. Craignez-vous des situations de concurrence déloyale compte tenu de pratiques d’autres plateformes ? Enfin, comment protégez-vous les données personnelles de vos clients et de vos travailleurs ?

M. Enzo Romoli. Nous avons fait l’objet d’un audit de la part de l’inspection du travail, entre avril 2017 et mars 2018, concernant les opérations de Chauffeur Privé entre 2016 et 2017. Cet audit avait pour objet de vérifier le lien unissant la société aux chauffeurs utilisant la plateforme. En conséquence en mars 2021, l’Urssaf nous a communiqué un redressement et une amende pour travail dissimulé sur la période 2016-2017. Parallèlement une procédure pénale a été ouverte par le ministère public lors de laquelle aucun chauffeur ne s’est constitué partie civile.

Le 5 décembre 2022, le tribunal correctionnel a prononcé la relaxe de Chauffeur Privé, en concluant à l’absence d’éléments concrets et probants permettant de caractériser l’accusation de travail dissimulé. Le parquet a interjeté appel de la décision et nous sommes en attente d’une date pour ledit appel.

Ensuite, nous payons nos taxes en France et nous pouvons donc être affectés par une concurrence déloyale de la part d’autres plateformes qui ne le font pas. Nous nous efforçons de fournir les meilleurs services aux chauffeurs et aux utilisateurs pour essayer justement de dépasser les conditions de concurrence qui peuvent parfois être problématiques.

Mme Danielle Simonnet, rapporteure. Vous évoquez la TVA mais il me semble également que votre société est fiscalement domiciliée en France, n’est-ce pas ?

M. Enzo Romoli. Tout à fait. Par ailleurs, en matière de données, nous agissons dans les limites du règlement général sur la protection des données, qui encadre de manière stricte leur utilisation. Nous ne nous écartons évidemment pas de ce cadre.

M. le président Benjamin Haddad. Nous avons rencontré les différents syndicats représentés au sein de l’Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi (Arpe). Quelle est votre perception du dialogue social au sein de la profession, qui est encore balbutiant ? Quel regard portez-vous sur celui-ci et son évolution potentielle ?

M. Parfait Bazebi. Il me semble que vous avez reçu lors d’une audition M. Fabian Tosolini, délégué national d’Union-Indépendants. De son point de vue, tous les acteurs autour de la table, y compris les plateformes, travaillent ensemble pour améliorer les conditions de travail des chauffeurs. Nous partageons ce point de vue.

Aujourd’hui, nous sommes parvenus à des avancées majeures en termes de revenu minimum pour les chauffeurs. Nous continuons à travailler à partir d’un agenda établi entre les plateformes et les organisations syndicales, notamment sur la protection des revenus des chauffeurs et leur déconnexion. Globalement, le dialogue social en est à ses débuts mais les négociations sont sur le bon chemin et des résultats concrets ont déjà été obtenus. Nous en sommes satisfaits, comme nous nous sommes satisfaits de la place que Free Now occupe dans le dialogue social.

Mme Danielle Simonnet, rapporteure. Les représentants des chauffeurs siégeant à l’Arpe nous ont indiqué que la composition du collège des plateformes était telle qu’aucun accord ne pouvait être signé sans l’aval d’Uber, compte tenu de sa position prépondérante. Le confirmez-vous ? Ensuite, confirmez-vous que le tarif minimum est bien inférieur à celui auquel vos chauffeurs sont rémunérés par le biais de votre plateforme ?

M. Parfait Bazebi. L’objectif du tarif minimum mis en place consiste à fixer un minimum, quel que soit le contexte économique, et à faire en sorte que plus aucune des plateformes ne puisse pratiquer un tarif inférieur à ce tarif minimum. Au préalable, certaines plateformes étaient en dessous de ce tarif et d’autres au-dessus. Free Now était par exemple légèrement au-dessus de ce tarif minimum. Les plateformes et les organisations syndicales ont décidé d’aller plus loin et de poursuivre les discussions en matière de revenu. Il s’agit là du premier enjeu du dialogue social, qui permet d’améliorer la condition des chauffeurs.

Ensuite, nous pensons que les débats devraient effectivement être plus équilibrés au sein de l’Arpe. La FFTPR a d’ailleurs relayé cet argument à plusieurs reprises mais aujourd’hui, notre priorité porte sur les résultats concrets que nous pouvons apporter aux chauffeurs. Nous espérons que lors du prochain cycle de négociation qui débutera en septembre, des changements pourront intervenir en ce sens.

Mme Danielle Simonnet, rapporteure. Vous avez fait l’objet d’un redressement de la part de l’Urssaf sur la période 2016-2017. J’imagine que celui-ci était lié à l’existence d’un lien de subordination qui avait vocation à entraîner une requalification. Si j’ai bien compris, la relaxe pour absence d’éléments concrets et probants permettant de caractériser l’accusation de travail dissimulé a fait l’objet d’un appel par le parquet. D’autres interventions ont-elles eu lieu depuis 2017 ? La décision de justice s’appuyait-elle sur le faible nombre de chauffeurs volontaires pour répondre aux entretiens ? En effet, je crois comprendre que les démarches de l’Urssaf et de l’inspection du travail nécessitent de s’appuyer sur de nombreux entretiens avec des chauffeurs.

M. Enzo Romoli. Le tribunal a considéré qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments matériels pour caractériser une infraction. Il a notamment estimé que les entretiens réalisés dans le cadre du contrôle n’avaient pas été suffisants. Comme je vous l’indiquais, la décision a fait effectivement l’objet d’un appel.

Par ailleurs, nous avons actuellement une procédure aux prud’hommes, qui concerne un chauffeur. Là encore, l’affaire est pendante, puisque les deux parties ont fait appel.

Mme Danielle Simonnet, rapporteure. L’affaire est-elle en départage ?

M. Enzo Romoli. Non. Le jugement des prud’hommes a été rendu et il me semble que l’affaire est désormais examinée en cour d’appel.

M. le président Benjamin Haddad. Pouvez-vous nous donner votre point de vue sur les débats européens en cours au sujet de la directive européenne de présomption de salariat ? Si celle-ci était finalement retenue, votre modèle économique s’en trouverait-il menacé ?

M. Enzo Romoli. Nous suivons effectivement les débats en cours à Bruxelles. À cet égard, je tiens à partager avec vous deux observations. Tout d’abord, nous regrettons la position du Parlement européen qui élargit la présomption de salariat. En effet, les critères permettant de déterminer cette présomption ne tiennent pas compte des réalités différentes des plateformes et des secteurs. Dans le secteur des VTC, les chauffeurs indiquent à une très large majorité leur souhait de rester indépendants.

Ensuite, la manière dont les critères permettant de déterminer la présomption de salariat sont rédigés constitue pour nous une source d’insécurité juridique, à la fois pour les plateformes, mais aussi pour les chauffeurs. En effet, selon la proposition de directive, nous pourrions encourir une requalification, du simple fait des obligations contenues dans les législations nationales. Je pense notamment au contrôle des documents et de l’identité des chauffeurs. Nous souhaiterions donc une meilleure prise en compte des réglementations nationales et des accords collectifs. Dans le cas français, le dialogue social est en cours et nous espérons que celui-ci sera couronné de succès. Nous souhaitons donc que ce type de réglementation soit pris en compte dans la directive.

Enfin, la présomption de salariat telle qu’elle est prévue dans la directive aurait un impact réel sur Free Now. En effet, nous ne sommes pas une société de transport mais une plateforme de réservation de services de mobilité. Je ne peux chiffrer cet impact à ce stade mais ce texte entraînerait des conséquences importantes pour les plateformes, les chauffeurs et les usagers. Ce texte pose en effet des questions très pratiques. Par exemple, les chauffeurs apprécient de pouvoir utiliser plusieurs applications. Si une présomption de salariat était retenue et entraînait des requalifications, on ne sait pas concrètement comment les chauffeurs pourraient continuer à utiliser plusieurs applications. On ignore également l’impact sur leur niveau de rémunération et sur l’offre de VTC.

M. le président Benjamin Haddad. Nous avons achevé nos questions pour le moment. Nous vous ferons peut-être parvenir des questions ou des demandes complémentaires. De votre côté, n’hésitez pas à revenir vers nous pour nous communiquer d’autres éléments. Je vous remercie de votre disponibilité et de la clarté de vos réponses. Bonne journée à vous.

 

La commission s’achève à douze heures.

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Membres présents ou excusés

 

Présents.  Mme Anne Genetet, M. Benjamin Haddad, M. Philippe Schreck, Mme Danielle Simonnet

Excusés.  Mme Aurore Bergé, Mme Amélia Lakrafi, M. Olivier Marleix, Mme Valérie Rabault, M. Charles Sitzenstuhl