Compte rendu

Commission d’enquête relative à l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif ayant délégation de service public

– Audition, à huis clos, de M. Patrick Vieira, ancien footballeur international, actuellement entraîneur du Racing club Strasbourg Alsace (en visioconférence)              2

– Présences en réunion................................11

 

 


Mercredi
13 septembre 2023

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 12

session de 2022-2023

Présidence de
Mme Béatrice Bellamy,
Présidente de la commission

 


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La séance est ouverte à quatorze heures.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous avons le plaisir et l’honneur d’accueillir M. Patrick Vieira, à qui je souhaite la bienvenue et que je remercie de s’être rendu disponible pour répondre à nos questions.

C’est à la suite de nombreuses révélations de sportifs et de plusieurs affaires judiciaires que l’Assemblée nationale a choisi de créer cette commission d’enquête, dont les travaux, entamés le 20 juillet dernier, suivent trois axes : l’identification des violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport ; l’identification des discriminations sexuelles et raciales dans le sport ; l’identification des problèmes liés à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.

Si le football français fait rêver et peut être un formidable facteur d’émancipation et de cohésion sociale, notamment grâce à ses champions du monde, dont vous faites partie, son écosystème pose certains problèmes que vous avez eu l’occasion de dénoncer. En particulier, en 2020, vous avez publié dans L’Équipe une tribune dans laquelle vous dénonciez le racisme, ce « virus qui nous ravage depuis tant de siècles et semble encore plus incurable que les autres ». Vous y évoquiez « les injustices » qui « se multiplient sur tous les terrains », « les chants racistes dans les stades et la xénophobie banalisée ». En 2021, dans un entretien accordé au même journal, vous déclariez : « Sur le racisme, ce qui me fait réfléchir le plus, dernièrement, c’est qu’on est passé de cris venant des tribunes à des agissements de joueurs, voire d’arbitres. C’est en train de se dégrader. »

Deux ans après, quel constat dressez-vous ? Confirmez-vous cette tendance ? La situation est-elle différente à l’étranger ? Y avez-vous observé des pratiques dont nous pourrions nous inspirer ?

Vous regrettez régulièrement qu’il y ait encore trop peu d’entraîneurs noirs et de personnes noires aux postes de direction des clubs et au sein des instances des fédérations. Quelle réponse apporter face à cette situation ? Faut-il instaurer des quotas ?

En 2014, vous aviez décidé d’arrêter un match après des propos racistes à l’encontre d’un joueur. Estimez-vous que cela devrait être systématique en pareille situation ? Quelles seraient les autres sanctions possibles ?

Vous avez souvent interpellé l’ancien président de la Fédération française de football (FFF), M. Noël Le Graët, au sujet du racisme dans le football. Comptez-vous sensibiliser également les nouvelles instances, ou l’avez-vous déjà fait ? Avez-vous l’impression d’avoir été entendu ?

Nous serions également intéressés de vous entendre au sujet des autres formes de discrimination qui touchent le monde du football et de la situation du football féminin.

Vous avez été un observateur privilégié de la Fédération française de football ; que pensez-vous du scandale qui l’a traversée ces derniers mois ? Ces dysfonctionnements étaient-ils connus de tous ? Si oui, pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps avant que le scandale n’éclate ?

Lors de son audition, le journaliste Romain Molina a estimé, à propos de l’éviction de M. Noël Le Graët, qu’en France on s’attaque à une personne, généralement au président, alors que ce sont les systèmes qui sont déficients. Selon lui, ce serait tout l’écosystème du football, en particulier au sein de la FFF, mais aussi, plus largement, au niveau de la Fifa, qui favoriserait ce type de défaillances. Qu’en pensez-vous ?

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(M. Patrick Vieira prête serment.)

M. Patrick Vieira, ancien footballeur international, entraîneur du Racing club Strasbourg Alsace. Cela fait beaucoup de questions en même temps, madame la présidente. Mais d’abord, je voulais vous faire part de ce que je ressens. Je vous le dis avec beaucoup d’humilité et de respect : je me trouve en face de vous malgré moi. Je peux comprendre votre démarche et les résultats que vous en attendez, mais, personnellement, je ne souhaite pas faire partie du panel ni faire part de mon expérience dans le foot. Même si ce n’est pas mon rôle de dire si c’est utile ou non, je n’en vois pas l’utilité. Je suis devant vous du fait de ma responsabilité en tant que citoyen, parce que j’ai été convoqué. Quant aux questions que vous m’avez posées, je ne souhaite pas développer ni entrer dans ces sujets, car j’ai du mal à comprendre l’objectif visé et ce à quoi cela va servir.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Comme je vous l’expliquais au téléphone, le but de la commission d’enquête est que les affaires cessent, mais aussi et surtout d’apporter des solutions concrètes et de construire avec le mouvement sportif un collectif d’idées et de propositions. Pour cela, nous avons besoin de chacun de vous, qui avez connu et connaissez les différents interlocuteurs. Vos histoires personnelles sont intéressantes. Nous avons reçu la semaine dernière des victimes de violences, notamment sexuelles. Ce matin, nous avons entendu les représentants de quatre associations accompagnant de jeunes victimes. Au sein du mouvement sportif, nous recevons les fédérations et les différents cadres qui, de près ou de loin, contribuent peut-être à l’omerta. Ce que nous souhaitons avant tout, c’est que l’on puisse parler librement, confier nos enfants à un club de sport sans appréhension et construire le noble tissu sportif aux quatre coins de France, dans toutes les fédérations sportives. Les témoignages sont nombreux ; nous en recevons par téléphone, par courrier, par mail ; nous sommes contactées, madame la rapporteure et moi-même. Nous voulons apporter de la clarté et faire des propositions à la ministre des sports pour que les choses cessent.

M. Patrick Vieira. Chacun est libre de s’exprimer et de livrer son expérience. Ceux qui se sont exprimés l’ont choisi. J’aimerais bien que vous respectiez mon choix de ne pas m’exprimer devant la commission.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous souhaitions avant tout vous interroger sur des propos que vous avez cités, sur votre histoire, que vous avez racontée, et sur les différentes vidéos dans lesquelles vous étiez présent et avez témoigné. Nous voulons simplement discuter, communiquer avec vous. Vous avez souhaité que cette audition soit à huis clos ; elle l’est. Il s’agit d’un échange constructif, absolument pas d’un tribunal. Nous sommes tous là pour faire grandir le mouvement sportif.

M. Patrick Vieira. On sait très bien que rien n’est jamais à huis clos.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’ai été à l’initiative de cette commission d’enquête. Pour tout vous dire, je suis très extérieure au mouvement sportif ; je le connais de très loin. Vous demandez pourquoi cette commission d’enquête. Elle est née parce que des parents étaient inquiets à force de lire ce que dit la presse à propos du mouvement sportif ; il ne s’agit pas seulement de la Fédération française de football, mais, malheureusement, d’énormément de fédérations, touchées par toutes les formes de violence, de racisme, de harcèlement. Ces inquiétudes sont légitimes : ces parents vont confier leurs enfants à des structures, des entraîneurs, des coachs sportifs – au-delà du haut niveau, que vous représentez, le sport, ce sont 16 millions de licenciés en France.

L’objectif de la commission est de lever l’omerta : un propos récurrent des victimes est qu’elles ne peuvent pas s’exprimer et que, quand elles s’expriment, on ne les entend pas et que les affaires ne sont pas traitées. Surtout, nous voulons proposer des modifications du fonctionnement du mouvement sportif pour que ces faits n’arrivent plus. Il s’agit de redonner au sport son sens premier : l’émancipation et bien d’autres belles valeurs.

Je comprends tout à fait vos réticences. Nous sommes à huis clos : rien de ce qui se dit ici n’est ouvert à la presse. Si vous ne souhaitez pas faire part de votre expérience personnelle, peut-être pouvons-nous échanger au sujet de la Fédération française de football ; et peut-être avez-vous des propositions à faire pour que le monde du foot évolue et que des phénomènes qui existent encore aujourd’hui – nous avons par exemple évoqué ce matin l’affaire des quotas – ne puissent plus se produire.

M. Patrick Vieira. Je ne suis pas la personne idéale à interroger au sujet des quotas. Ce qu’il faut faire, c’est aller voir les personnes qui étaient présentes à la réunion en question : elles vous donneront des informations beaucoup plus concrètes que moi, qui n’y étais pas. La personne que vous avez devant vous ne peut pas parler des histoires de quotas. J’en sais autant que vous : je sais ce que j’ai lu dans les journaux.

Le sport, que je respecte et que j’aime beaucoup, a fait mon éducation. Le sport, notamment le football, m’a permis de voyager et de rencontrer des personnes importantes. Je comprends que je puisse être un exemple pour la future génération. Mais vous êtes en face de la mauvaise personne. Vous savez autant que moi ce qui se passe réellement dans le sport en général. Ce n’est pas ce que je vais vous dire ou non qui va changer les choses. Ce qui fera changer les choses, c’est d’aller voir les fédérations, les bénévoles ; ce sont eux, et non le milieu professionnel, qui vont régler le problème qui se pose en ce moment. Je ne suis pas la personne adéquate pour vous faire avancer.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Je veux d’abord vous féliciter pour votre excellente carrière. J’ai fait du football féminin il y a quelques années, je suis passionnée de foot, j’étais et je reste passionnée par le personnage que vous êtes et votre attitude sur le terrain. Vous êtes entraîneur d’une équipe. Vous avez forcément, au cours de votre carrière, vécu des choses qui ont pu vous interpeller. Votre formation vous a-t-elle sensibilisé aux violences que l’on rencontre dans le sport et au racisme qu’on observe malheureusement parfois dans le foot ? Avez-vous une formation en lien avec ces sujets ? La Fédération – avec laquelle vous avez forcément un lien – vous y sensibilise-t-elle ?

M. Patrick Vieira. Ma formation ? Je ne comprends pas bien la première partie de la question.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Je suppose qu’étant entraîneur, vous avez reçu une formation. L’enjeu est là. Nous souhaitons améliorer les choses et cela passe souvent par la formation. Vous devez être hautement diplômé pour être entraîneur d’une équipe de ce niveau. Dans ce cadre, avez-vous été sensibilisé, formé ? Vous pourriez être à court de réponses face aux alertes de vos joueurs.

M. Patrick Vieira. J’ai passé mes diplômes d’entraîneur à l’étranger, notamment au Pays de Galles. Ce domaine était couvert.

M. Julien Odoul (RN). Je tiens moi aussi à exprimer mon admiration pour votre belle carrière et ce que vous avez apporté à l’équipe de France. Ancien supporter inconditionnel d’Arsenal, je vous place dans mon panthéon personnel de joueurs et j’ai suivi assidûment votre parcours et la succession de vos trophées.

Vous avez témoigné de réalités insupportables, en particulier toutes les formes de racisme. De votre carrière de joueur à votre position actuelle d’entraîneur, sur dix ou quinze ans, avez-vous vu la situation se dégrader, alors même que l’on parle de plus en plus – et c’est une bonne chose – de la lutte contre le racisme, la violence et l’intolérance ? Les dispositifs, les campagnes, les labels, les slogans ont-ils amélioré les choses ou ces phénomènes intolérables se sont-ils au contraire banalisés ? Vous avez évoqué des cris de supporters que l’on a entendus notamment, mais pas seulement, dans le championnat italien. La situation s’est-elle détériorée ou la prise de conscience permet-elle des évolutions positives ?

M. Patrick Vieira. Merci beaucoup de vos éloges. Comme on dit, « once a Gunner, always a Gunner » !

Vous qui êtes de l’extérieur, qu’en pensez-vous ?

M. Julien Odoul (RN). De l’extérieur et de l’intérieur, car j’ai pratiqué le football étant jeune et j’ai été témoin de certains phénomènes. Mais je n’ai pas votre expérience – vous avez été entraîneur de plusieurs clubs, à l’étranger et en France – et je ne suis pas en contact avec le milieu professionnel. Ce que je vois comme élu et comme passionné de football, c’est que la situation ne s’est pas améliorée.

M. Patrick Vieira. Voilà : vous avez tout dit. Vous avez la même compréhension des choses qu’une personne de l’intérieur : il n’y a pas d’amélioration. On peut porter des t-shirts contre le racisme ou contre toute sorte de violence, cela reste de la politique ; c’est ce que je condamne et c’est pour cela que je suis contre ce type de commission. C’est de la politique, c’est – excusez-moi du terme – du bla-bla ; à l’arrivée, il n’y a rien de concret. Et ça fait des années que ça dure.

À mon niveau, je vais faire ce que je peux, avec les moyens que j’ai, pour essayer de me battre contre toute forme de discrimination ; mais ce que vous ressentez depuis l’extérieur est vrai. Cette commission est une commission de plus.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je crois que c’est la première fois qu’une commission d’enquête, avec les pouvoirs étendus qui la caractérisent, porte sur le mouvement sportif. Cela montre à quel point le sujet est pris au sérieux.

Je vous entends ; on entend d’ailleurs beaucoup ce que vous dites : que c’est ainsi depuis des années et que rien ne change – c’est en tout cas le sentiment que l’on a. Les associations nous disent qu’elles essayent de faire bouger les choses depuis quasiment vingt ans et que cela prend beaucoup de temps.

Nous partageons ce sentiment. Si nous sommes là, c’est parce que nous voulons faire bouger les choses. La commission d’enquête, ce n’est pas du tout du bla-bla ; d’ailleurs, nous sommes à huis clos. L’idée est au contraire de faire des propositions très concrètes au terme de nos travaux, qui ne dureront que six mois. Toutes les personnes que vous avez évoquées – les responsables de fédérations, les personnes impliquées par l’affaire des quotas – seront entendues et devront répondre à nos questions : pourquoi, comment, que fait-on pour que cela change ?

Vous nous dites que cela n’aboutira peut-être à rien, que rien ne changera. Nous avons justement besoin d’entendre les gens qui sont de l’intérieur et qui connaissent le milieu sportif pour déterminer quelles propositions mettre en œuvre, que cela passe par la loi, le règlement ou encore d’autres dispositifs. Des propositions ont d’ailleurs émergé depuis le début des auditions. En ce qui concerne le racisme, par exemple, on a évoqué l’idée d’arrêter systématiquement les matchs en présence de tels faits. Est-ce une option envisageable ou non ? Est-ce quelque chose que l’on peut rendre obligatoire ?

C’est pour cela que nous avons besoin de votre éclairage, pas pour nous vanter dans cinq mois d’avoir fait des auditions avec des stars du football ou d’autres disciplines, sans pour autant bouger d’un iota. Nous ne voulons surtout pas donner le sentiment de faire beaucoup de bruit pour pas grand-chose.

M. Patrick Vieira. Je comprends très bien mais, ces dernières années, j’ai malheureusement entendu beaucoup de bruit pour pas grand-chose. De même, aucune suite n’a été donnée au rapport remis en 2008 par la commission Grands Stades Euro 2016 présidée par M. Philippe Séguin. Je ne suis donc pas convaincu de l’utilité de mon témoignage.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Peut-être avez-vous des propositions à formuler, notamment si vous avez observé des bonnes pratiques dans des pays voisins ?

M. Patrick Vieira. Non, je n’en ai pas.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Je comprends tout à fait votre position. Vous estimez que rien n’a changé et que, de vos débuts dans le foot comme joueur à votre carrière actuelle d’entraîneur, le racisme s’est même accentué. Il est vrai que, d’un point de vue extérieur, notre commission d’enquête peut sembler participer du grand bla-bla auquel les politiques nous ont habitués. Cependant, le chemin est long et il faut avancer pas à pas.

Il est une question à laquelle je suis incapable de répondre, même en allant rencontrer tous les clubs de foot amateur de ma circonscription toulousaine, mais sur laquelle vous pouvez m’éclairer : les mécanismes conduisant au racisme, même insidieux, ont-ils évolué ? En tant qu’entraîneur de joueurs professionnels, de haut niveau, avez-vous perçu des changements, au niveau de la fédération, au sein de certains clubs ou plus généralement dans le milieu du football ?

M. Patrick Vieira. Je ne comprends pas bien votre question.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Quand un joueur se fait traiter de « sale noir » sur un terrain, personne ne conteste qu’il est victime de racisme. Mais quand on sélectionne des joueurs en supposant que les noirs sont plus athlétiques mais n’ont pas l’intelligence des blancs – mon exemple est caricatural mais ce sont des choses que l’on a entendues –, il s’agit d’un racisme plus insidieux, qui ne dit pas son nom. Avez-vous pu observer cette forme de racisme dans certains centres de formation, dans les clubs que vous avez fréquentés, ou avez-vous entendu parler de tels comportements ailleurs ?

M. Patrick Vieira. Où avez-vous entendu l’exemple que vous venez de donner ?

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Je faisais allusion au verbatim de la fameuse réunion de la FFF de novembre 2010, à laquelle participait le directeur technique national. Mais vous n’y étiez pas.

M. Patrick Vieira. Une commission d’enquête s’est déjà penchée sur cette réunion.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Au Sénat, effectivement.

M. Patrick Vieira. Une conclusion a-t-elle été tirée ?

M. François Piquemal (LFI-NUPES). La commission d’enquête a rendu son rapport mais, vous avez raison, il n’y a pas eu de conclusion politique.

M. Patrick Vieira. Une commission a été mise en place, elle a fait son travail et en a tiré une conclusion – peu importe qu’elle soit politique ou non. Quelle était-elle ?

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Tout le monde s’est accordé à dire que ces quotas étaient discriminatoires.

M. Patrick Vieira. C’est en effet ce qui est ressorti de la commission. Qu’a-t-il été décidé ensuite ?

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Rien, et c’est bien le problème !

M. Patrick Vieira. La personne qui a rapporté ces faits est en souffrance : elle n’exerce plus dans le milieu du football car elle est boycottée par tout le monde. Voilà le fond du problème ! Vous êtes en train de m’auditionner tout en sachant que d’autres commissions ont déjà effectué le même travail, rendu des conclusions mais que rien n’a été fait par la suite. De même, le rapport que vous allez produire sera mis sous la table et tout le monde passera à autre chose. Comment voulez-vous que les choses changent ? C’est impossible.

Malgré tout le respect que j’ai pour votre commission d’enquête et pour l’ensemble des députés qui la composent, vos travaux ne servent à rien et je refuse d’y participer. J’aimerais que vous respectiez ma décision.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Nous sommes habitués à faire de la politique et nous savons que le temps de la politique n’est pas celui des citoyens. Nous évoquons aujourd’hui le racisme dans le sport, mais nous avons aussi entendu parler de viols commis sur des enfants et d’entraîneurs léchant les lèvres de petites filles parce qu’elles saignaient. Pouvons-nous continuer de fermer les yeux et de ne rien faire, sous prétexte que nous ne servirions à rien ? Si nous passons tant de temps à assister à toutes ces auditions sans être nécessairement préparés à entendre de telles horreurs, c’est parce que nous voulons faire bouger les choses, notamment au niveau législatif. Certes, nous ne pourrons pas tout changer, du fait de l’omerta évoquée à chaque audition, mais nous considérons par exemple qu’il ne devrait pas être possible de recruter un entraîneur déjà condamné pour des infractions sexuelles. Cela dit, nous respectons votre point de vue, que vos derniers propos nous permettent de mieux comprendre.

M. Patrick Vieira. Je vous remercie de comprendre ma position.

M. Stéphane Buchou (RE). Je salue la carrière du joueur que vous avez été. Je vous félicite pour tous vos succès footballistiques et vous remercie chaleureusement pour tout ce que vous avez apporté à notre pays.

Malgré tout le respect que j’ai pour vous, je suis un peu surpris par les propos que vous avez tenus à l’encontre de notre commission d’enquête. Je reconnais que se sont succédé un certain nombre de rapports qui n’ont pas eu beaucoup d’effets. Le fait que nous soyons réunis aujourd’hui pour vous entendre est la preuve que beaucoup de chemin reste à parcourir. Néanmoins, alors que nous menons depuis plusieurs semaines des auditions sur le racisme et les violences faites aux enfants, la parole semble s’être libérée. Les nombreux témoignages que nous avons recueillis ne resteront pas sans réponse. Je vous lance un cri du cœur : nous avons besoin de vous ! Vous êtes auditionné à huis clos.

Vous n’avez pas dit que le politique ne servait à rien, mais qu’il ne ressortirait rien de notre commission d’enquête. Je peux vous assurer que nous ne sommes pas réunis aujourd’hui pour qu’il ne se passe rien. Nous avons entendu des témoignages édifiants qui nous poussent à l’action. Évidemment, ce n’est pas simple, du fait de l’omerta. Lors d’une audition ce matin, on nous a démontré que tout avait été organisé pour que les affaires ne sortent pas. Cependant, plus vous serez nombreux à témoigner et à vous confier, plus nous ferons œuvre utile. Nous avons besoin de votre témoignage, de votre aide pour libérer la parole, et le cas échéant de vos propositions. C’est ainsi que nous pourrons agir et empêcher que les choses restent telles quelles, comme vous l’avez dénoncé – ce n’est ni ce que vous voulez, ni ce que nous voulons. Nous avons besoin de cette solidarité entre ceux qui ont constaté des faits devant être dénoncés et nous qui, nous le croyons, avons les moyens de faire en sorte que cela change.

M. Patrick Vieira. Je vous remercie de vos éloges concernant ma carrière. Je comprends votre déception devant ma décision de ne pas participer aux travaux de votre commission. J’espère que, dans quelques mois ou quelques années, je regretterai mon choix : cela voudra dire que vous aurez fait avancer les choses.

M. Stéphane Buchou (RE). C’est un peu le serpent qui se mord la queue. Je crains que nous ne puissions pas vraiment faire avancer les choses si nous ne nous appuyons pas sur un certain nombre de témoignages. Vous êtes auditionné à huis clos.

Vous parliez tout à l’heure du port de t-shirts contre le racisme, mais c’est de la communication ! M. Piquemal a évoqué une réunion de novembre 2010 en présence du directeur technique national et du sélectionneur de l’équipe de France que, je crois, vous connaissez bien également. On sent bien qu’il existe une omerta.

M. Patrick Vieira. Il n’y a pas d’omerta. Une commission a été créée pour aller au fond de cette histoire. Alors qu’elle a rendu son verdict, rien n’a été fait, rien n’a été dit. La personne qui a été punie est celle qui a témoigné. Ma participation à vos travaux est donc inutile.

Je ferai ce que je dois faire au vu de mon expérience et de ma capacité à faire changer les choses. Je suis membre d’une commission au niveau de l’Union des associations européennes de football (UEFA). Je travaille avec des gens, dans le football et en dehors du football, pour essayer de faire passer des messages. Il ne servirait pas à grand-chose de raconter mon histoire à votre commission.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. L’affaire des quotas date de 2011 ; or nous sommes en 2023 et les choses n’ont pas changé. Nous évoquions encore ce matin l’affaire Galtier qui frappe l’OGC Nice : on y retrouve les mêmes mécanismes menant à la discrimination et au racisme. Quand on a une carrière dans le football aussi longue et riche que la vôtre, je comprends que l’on soit choqué !

Nous ne sommes qu’au tout début des travaux de notre commission – nous n’avons encore entendu que des victimes et des associations –, mais quelques pistes ont déjà été formulées. On nous a indiqué que les arbitres avaient l’obligation d’inscrire sur un procès-verbal ou un document de ce genre les propos racistes entendus au cours d’un match. Quel est votre regard d’entraîneur sur cette pratique ? Est-elle obligatoire, systématique ? On a aussi proposé que la justice puisse être saisie de certains faits de racisme visibles de tous et que les sportifs aient la possibilité d’être accompagnés lorsqu’ils déposent une plainte, alors qu’ils sont aujourd’hui livrés à eux-mêmes. De votre point de vue d’entraîneur, ce type de dispositif peut-il fonctionner ? Cela peut-il être une solution ?

M. Patrick Vieira. Oui, cela peut être une solution.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Les propos racistes entendus au cours d’un match sont-ils systématiquement inscrits au procès-verbal ?

M. Patrick Vieira. Je ne peux pas vous le confirmer.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je peux comprendre que vous soyez entraîneur à Strasbourg et que vous souhaitiez confirmer l’omerta qui règne dans le mouvement sportif.

M. Patrick Vieira. Je ne l’ai pas confirmée.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je déplore que vous n’ayez pas fait preuve de transparence en répondant à nos questions et que vous n’ayez pas eu la générosité de nous faire part de votre expérience personnelle, qui aurait certainement contribué à faire émerger des propositions dans le rapport que nous remettrons en décembre.

M. Patrick Vieira. Nous aurions tout à fait pu échanger, vous et moi, dans le cadre d’une conversation en face à face.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Ce format d’échange n’est pas recevable devant une commission d’enquête. Comme nous sommes à huis clos, vous pouvez aussi considérer que nous sommes tous les deux en face à face, auquel cas vous pouvez répondre à mes questions.

Il sera inscrit au compte rendu que vous ne souhaitez pas répondre davantage aux questions ni vous impliquer dans les travaux de notre commission.

M. Patrick Vieira. J’ai répondu présent à la convocation qui m’a été soumise : c’est pourquoi je me trouve face à vous.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. « En tant que citoyen », comme vous nous l’avez dit en préambule.

Pour notre part, nous avons fait preuve de transparence en vous envoyant des questions en amont de cette audition. Vous les avez encore entre vos mains. Si vous souhaitez y répondre, en quelques mots, afin de participer aux travaux de notre commission, vous pouvez aussi le faire par mail, en prenant votre temps – huit jours, quinze jours…

M. Patrick Vieira. Est-ce une obligation ?

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Non, c’est une proposition.

J’allais vous demander si vous pensiez nous avoir tout dit. Vous avez prêté serment…

M. Patrick Vieira. J’ai répondu aux questions que vous m’avez posées.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous avez le numéro de téléphone du secrétariat de la commission d’enquête, ainsi que le mien. N’hésitez pas à nous recontacter, si vous le souhaitez.

La séance s’achève à quatorze heures quarante.

 

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Membres présents ou excusés

 

Présents.  Mme Béatrice Bellamy, M. Stéphane Buchou, Mme Pascale Martin, Mme Sophie Mette, M. François Piquemal, Mme Claudia Rouaux, Mme Sabrina Sebaihi