Compte rendu
Commission d’enquête relative à l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif ayant délégation de service public
– Audition, ouverte à la presse, de Mme Catherine Petit, cheffe du service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes, à la direction générale de la cohésion sociale, ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations 2
– Audition, ouverte à la presse, de M. Michel Cadot, président de l’Agence nationale du sport (ANS), délégué interministériel aux jeux Olympiques et Paralympiques 2024 et délégué interministériel aux grands événements sportifs, M. Frédéric Sanaur, directeur général de l’ANS, M. Thierry Maudet, conseiller sport du délégué interministériel et Mme Agathe Barbieux, directrice du service du développement des pratiques au sein de l’ANS 13
– Audition, ouverte à la presse, de M. Alexandre Calvez, administrateur d’Anticor, responsable de la commission sport 27
– Présences en réunion.....................................37
Jeudi
28 septembre 2023
Séance de 14 heures
Compte rendu n° 18
session de 2022-2023
Présidence de
Mme Béatrice Bellamy,
Présidente de la commission
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La séance est ouverte à quinze heures trente
La commission procède à l’audition de Mme Catherine Petit, cheffe du service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes, à la direction générale de la cohésion sociale, ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous accueillons à présent madame Catherine Petit, cheffe du service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes à la Direction générale de la cohésion sociale du ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. Je vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions, madame.
Nous avons entamé le 20 juillet dernier les travaux de cette commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et de ses organismes de gouvernance. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.
Nos travaux se déclinent autour de trois axes : l’identification des violences physiques, sexuelles et psychologiques dans le sport ; l’identification des discriminations sexuelles et raciales dans le sport ; et l’identification des problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.
Notre commission a entendu de nombreuses victimes, parmi lesquelles on trouve beaucoup de femmes, mais pas uniquement. Qu’il s’agisse de sportifs de très haut niveau ou non, ils interviennent dans des disciplines différentes. Ces femmes et ces hommes nous ont décrit les violences qu’ils ont subies, principalement parce qu’ils étaient mineurs, essentiellement du fait de leur entraîneur ou de la part d’autres sportifs manipulés par leur entraîneur.
Ils ont également insisté sur l’omerta qui règne dans un milieu fermé où « tout le monde sait, mais personne ne dit rien ». La parole s’est beaucoup libérée à la suite des réévaluations de Sarah Abitbol, mais il reste beaucoup à faire pour briser l’omerta. À ces violences s’ajoutent des actes de discrimination fondés sur le sexe ou la race. Ils contribuent également au mal-être des joueurs et conduisent à des dérives.
Le service que vous dirigez impulse, coordonne et anime l’action ministérielle relative aux droits des femmes et à l’égalité entre les femmes et les hommes. Pourriez-vous nous présenter plus en détail l’action de ce service dans le domaine qui nous intéresse et la manière dont cette action s’articule avec celle des autres instances de la gouvernance du sport, en particulier la direction des sports ?
Comment le secteur du sport se situe-t-il par rapport à d’autres secteurs sur ces enjeux alors qu’on ne comptait récemment que 38 % de femmes parmi les licenciés de l’ensemble des fédérations sportives, 19 présidentes pour 115 fédérations, 11 femmes sur 70 directeurs techniques nationaux et alors que le sport féminin est encore seize fois moins diffusé à la télévision que le sport masculin ?
Quelle appréciation portez-vous sur les mesures mises en place au cours des années récentes afin de mieux lutter contre les violences sexuelles et sexistes et les discriminations dans le secteur du sport ? Je pense notamment à l’objectif de parité dans les instances dirigeantes, à la création de la cellule Signal-sports, à la formation des éducateurs sportifs ou encore au contrôle de l’honorabilité. Leur mise en œuvre vous paraît-elle satisfaisante ou faut-il aller plus loin ? La place des femmes dans le sport français est-elle meilleure ou pire que dans d’autres pays ? Y a-t-il à l’étranger de bonnes pratiques dont notre pays pourrait s’inspirer ? Que faudrait-il faire pour changer les choses profondément ?
Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Avant de vous laisser la parole et d’entamer nos échanges, je vous rappelle que vous devez prêter serment.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main et à dire : « Je le jure ».
(Mme Catherine Petit prête serment.)
Mme Catherine Petit, cheffe du service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes à la Direction générale de la cohésion sociale. Je vais commencer par vous présenter le service que je dirige ainsi que son périmètre d’action, en particulier dans le domaine du sport. Ce service est placé sous l’autorité de la ministre déléguée auprès de la Première ministre en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes et la lutte contre les discriminations. Il s’agit d’un petit service composé de 25 personnes au niveau central et donc d’une toute petite administration pour faire vivre la grande cause du quinquennat. Il dispose également d’un réseau déconcentré, à la fois régional et départemental, d’environ 130 personnes.
Sa mission est de contribuer à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques d’égalité dans une approche dite intégrée. Nous agissons de manière transversale sur les enjeux de l’égalité dans toutes les politiques publiques. Nous agissons également en proposant des mesures spécifiques, qu’elles soient positives ou correctives, en faveur des femmes et de la promotion de leurs droits.
Très concrètement, cette animation de l’action interministérielle nous conduit à piloter en propre très peu de dispositifs et de politiques publiques. Nous apportons essentiellement une contribution à l’élaboration, à la mise en œuvre et à l’évaluation de toutes les politiques qui contribuent à la promotion de l’égalité dans l’ensemble des champs de l’action publique et en étroite relation avec les ministères concernés.
Pour ce faire, nous mettons à disposition de nos partenaires en interministériel une expertise dans le champ de l’égalité nourrie par la production et la diffusion de données, d’analyses et de travaux de recherche en matière d’égalité entre les femmes et les hommes, et ce, dans toutes les politiques sectorielles. Nous participons aussi en tant qu’experts aux travaux du Haut conseil à l’égalité ainsi qu’à ceux de la mission interministérielle pour la protection des femmes.
Dans ce cadre, nous collaborons étroitement avec le ministère des sports. Nous venons en appui dans l’élaboration de ses dispositifs de promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes, et tout particulièrement de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, en sachant qu’elles relèvent de sa compétence, et non de celle du ministère de l’égalité. Je tiens à préciser que le ministère de l’égalité entre les femmes et les hommes ainsi que son administration ne sont évidemment pas en lien direct avec les fédérations sportives.
Pour autant, il reste encore beaucoup à faire pour promouvoir la place des femmes dans le secteur du sport. Nous agissons en étroite collaboration avec le ministère des sports afin d’y contribuer. On sait que le sport a été longtemps un bastion masculin, voire un bastion de construction de la virilité. Même si les femmes sont parvenues à s’y intégrer, il y a encore de nombreux domaines dans lesquels il faut agir pour promouvoir leur place et réduire les inégalités qui persistent, à la fois dans la pratique sportive amateur ou de haut niveau et dans l’accès aux fonctions d’encadrement dans les métiers du sport. C’est la question du niveau de rémunération des sportifs de haut niveau.
D’une manière plus générale, c’est la culture de l’égalité que nous promouvons puisqu’elle constitue la pierre angulaire de l’évolution en profondeur des mentalités, sur lesquelles il faut agir. Et ce, partant de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Pour résumer, nous avons auprès du ministère des sports un rôle d’impulsion et d’aiguillon que nous jouons en mobilisant notre expertise et notre réseau d’acteurs, en collaborant à la production d’outils de sensibilisation ou de formation et, bien évidemment, en soutenant les acteurs du secteur sportif qui sont engagés dans des actions de promotion de l’égalité.
Nous menons ces actions autour de quatre grands objectifs partagés avec le ministère des sports : promouvoir l’égalité et la mixité dans les pratiques sportives et les métiers du sport, faciliter l’accès des femmes à des postes à responsabilité dans les instances dirigeantes, rendre visibles et valoriser les femmes dans le sport via leur médiatisation, prévenir les violences sexistes et sexuelles et sensibiliser à l’égalité entre les femmes et les hommes.
Sur ce dernier point, nous menons des actions au niveau national. À titre d’exemple, j’en citerai deux qui couvrent les quatre champs que je viens d’indiquer. Nous apportons un soutien à la Fédération nationale profession sport et loisirs, qui porte un projet intitulé « Métiers Pluri’Elles » visant à faciliter l’accès des femmes aux métiers du sport. Nous l’avons soutenu à hauteur de 25 000 euros en 2023.
Nous travaillons également avec le collectif Femmes journalistes de sport pour favoriser toutes les actions permettant aux femmes d’être à la fois mieux représentées dans les médias sportifs, plus protégées et plus valorisées. À ce titre, en 2022, nous avons financé une enquête scientifique sur la place des femmes journalistes de sport dans les rédactions. Ces travaux ont donné lieu à la rédaction d’une charte pour une plus grande égalité dans les rédactions sportives. Cette charte a été présentée en juin dernier et a recueilli 48 signatures au sein des rédactions sportives. Ce projet fait partie du plan interministériel pour l’égalité entre les femmes et les hommes sur la période 2023-2027, qui a été présenté par la Première ministre le 8 mars dernier.
Nous contribuons également à soutenir un grand nombre d’actions au niveau local et ce, en lien avec le réseau local, les référents sport des Délégations régionales académiques à la jeunesse, à l’engagement et aux sports (Drajes), les clubs sportifs et les services sport des différentes collectivités sur la thématique globale « femmes et sport ». Je pourrai vous adresser la liste exhaustive des projets que nous soutenons au niveau local. Pour vous citer deux exemples parmi tant d’autres, il y a la Corse et le partenariat que nous avons sur ce territoire avec l’association Colosse aux pieds d’argile quant à des interventions auprès des fédérations sportives régionales sur la problématique des violences sexuelles dans le sport.
Je citerai également l’action que notre directrice régionale aux droits des femmes et à l’égalité en Occitanie a organisée en 2021. Ça a donné lieu au premier séminaire de lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans le sport. Il vise à sensibiliser les acteurs de la jeunesse et du sport pour les aider à prévenir et signaler les situations de dérive. Il s’agit également de mieux les accompagner lorsque la parole a été libérée. Nous avons également en Bretagne une opération intitulée « Zéro violence dans le sport », qui est menée en partenariat avec le CDOS (Comité départemental olympique et sportif) et le CIDFF (centre d’information sur les droits des femmes). C’est également mené en partenariat avec Colosse aux pieds d’argile afin de sensibiliser le monde sportif aux violences sexuelles et sexistes.
Au-delà du secteur sportif, nous agissons de manière plus globale et de manière transversale sur l’ensemble des politiques publiques afin de diffuser la culture de l’égalité et la promouvoir dès le plus jeune âge. Nous considérons que cette culture de l’égalité doit participer à la prévention des violences sexistes et sexuelles, notamment dans le sport. L’éradication de ces violences passe bien évidemment par la lutte contre les stéréotypes de genre.
C’est l’un des principaux objectifs de l’éducation à la vie affective et sexuelle, qui est une obligation dans les établissements scolaires depuis 2001. Nous œuvrons en lien avec l’Éducation nationale pour que les trois séances annuelles obligatoires puissent se développer. C’est là encore une mesure du plan égalité. Nous participons plus particulièrement au groupe de travail qui permettra de consolider les données statistiques pour ce suivi.
Hors milieu scolaire, le ministère de l’égalité finance aussi les espaces de vie affective, relationnelle et sexuelle, où cette éducation à la sexualité et tout autre sujet relatif à l’égalité, aux violences et aux questions de santé sexuelle, d’accès à la contraception et d’identité de genre peuvent se discuter. On recense 150 structures sur le territoire et 10 autres sont en cours de préfiguration. Nous les finançons en lien avec d’autres ministères.
Ces actions peuvent paraître éloignées du sujet. Pour autant, il nous semble que c’est au cœur de la problématique compte tenu de la spécificité des violences sexistes et sexuelles dans le sport. Il nous semble que des caractéristiques particulières doivent être prises en compte et qu’elles tiennent à l’organisation de ce secteur et à la pratique, notamment pour les jeunes. Vous avez rappelé que les violences sexistes et sexuelles concernent une majorité de mineurs, qui peuvent être amenés à quitter le milieu familial très tôt. Et ce, afin d’intégrer des centres sportifs en développant des relations particulières avec leur entraîneur.
Ces relations, qui peuvent être fusionnelles, sont faites à la fois d’autorité et d’affect. Il y a bien évidemment un rapport particulier au corps dans la pratique sportive puisque le corps est un instrument au service de la performance, qui justifie qu’on repousse certaines limites. On accepte que le corps puisse être manipulé. Je pense en l’occurrence aux corrections des gestes et des postures. On accepte aussi que le corps puisse souffrir au nom de la performance et pour l’atteinte des objectifs.
On accepte également qu’il soit exposé par la proximité et la nudité dans les vestiaires. Pour les filles, il y a aussi toute la problématique des tenues vestimentaires, qui peuvent être sexualisées dans certaines pratiques sportives. Ces spécificités peuvent contribuer à rendre un peu plus floue la limite entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas. Il nous semble donc primordial que les jeunes sportifs aient accès à cette éducation à la vie affective et sexuelle afin de pouvoir clairement distinguer les propos, les comportements et les situations de nature illégale, les situations abusives ainsi que les violences. Il s’agit d’être en mesure de mieux identifier là où se trouve la limite.
En lien avec le ministère des sports, nous mobilisons également nos associations partenaires, qui sont en première ligne pour soutenir et accompagner les victimes de violences sexistes et sexuelles. Je pense en particulier à nos grandes associations têtes de réseau, dont la Fédération nationale solidarité femmes, qui gère le 39-19 : le numéro d’orientation et d’accompagnement des femmes victimes de violences. Nous soutenons aussi le Collectif féministe de lutte contre le viol, l’association En avant toutes, dont l’action est plus spécifiquement dirigée vers les jeunes, et l’association de luttes contre les violences faites au travail. Tout ce réseau, tout cet écosystème, est bien évidemment mis à disposition des acteurs du secteur sportif. Ce sont des structures à mobiliser dans tous les secteurs, et notamment dans le secteur sportif.
Il y a par ailleurs un sujet sur lequel nous travaillons de longue date avec le ministère des sports. Nous agissons sur toutes les actions visant à la reconstruction par le sport, qui permettent aux femmes qui ont été victimes de violences de se reconnecter à leur corps et de regagner confiance en elles. Plusieurs associations ont mis en place des ateliers de reconstruction par le sport, qui peuvent d’ailleurs s’inscrire dans des parcours de soins.
J’en citerai une avec laquelle nous travaillons depuis plusieurs années. Il s’agit de Fight for dignity, qui a été créée en 2017 par la championne de karaté Laurence Fischer. Son objectif est d’utiliser le sport de manière thérapeutique. Nous accompagnons le développement de ces ateliers dans les lieux médicalisés. Nous avons également financé en lien avec cette association une recherche-action qui a été réalisée par l’université de Strasbourg sur la reconstruction des femmes ayant vécu des violences. Et ce, via la pratique du karaté.
Il est ressorti de cette étude que l’anxiété a significativement diminué chez les femmes intégrées dans ce programme. L’intensité de l’état de stress post-traumatique a été réduite et l’estime de soi s’est améliorée. Ça conforte donc la méthode, ce qui nous enjoint à poursuivre ce partenariat. Je pourrai là encore vous adresser ultérieurement la liste de l’ensemble des actions que nous pouvons mener sur ce sujet, la plupart d’entre elles se déroulant au niveau local.
J’ai cité tout à l’heure le plan interministériel pour l’égalité entre les femmes et les hommes sur la période 2023-2027. Plusieurs sujets sont en lien avec celui qui nous occupe. Je voudrais signaler le projet consistant à lancer une mission sur la prévention, la détection et l’accompagnement des victimes de violences sexuelles et sexistes commises par une personne abusant de sa position d’autorité ou de pouvoir. C’est évidemment une mission à laquelle le ministère des sports sera associé. Il s’agit d’un projet. Je ne peux pas vous en dire davantage à ce stade puisqu’elle n’a pas encore débuté. Néanmoins, elle figure dans ce plan ministériel.
Pour progresser dans la prévention, l’accompagnement et la prise en charge des victimes de violences, nous pourrons aussi nous appuyer d’ici la fin de l’année sur les conclusions du rapport sur lequel le Haut conseil à l’égalité est en train de travailler. Ce dernier a reçu la mission de formuler des propositions pour améliorer le traitement des victimes de violences.
Je conclurai mon propos en évoquant un projet qui vient d’être lancé. Ce projet est le fruit d’un travail que nous avons conduit en collaboration avec le ministère des sports pendant trois ans. Il s’inscrit dans le cadre du plan héritage. Il s’agit de la création d’un label destiné aux organisateurs de grands événements sportifs internationaux. Ce label d’État s’intitule « Terrain d’égalité ». Il a pour objectif de valoriser les grands événements sportifs internationaux sur le territoire français, de nature ponctuelle ou récurrente, qui s’engagent pour l’égalité entre les femmes et les hommes et contre toutes les formes de discrimination et de violences sexistes et sexuelles.
C’est une démarche volontaire de labellisation de la part des organisateurs. Nous pensons qu’elle s’inscrit dans une dynamique vertueuse de changement et d’exemplarité. L’obtention de ce label est conditionnée au respect d’un cahier des charges avec une vingtaine de critères. Parmi ces critères, on trouve la mise en place d’une cellule d’écoute et de signalement à destination des salariés et des spectateurs de ces grands événements.
La Coupe du monde de rugby est le premier événement labellisé, ce label ayant été obtenu en juillet. Le comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques Paris 2024 a également déposé un dossier de candidature qui sera examiné à la fin de l’année. Sur la base de cette première expérience que constitue la Coupe du monde de rugby, nous procéderons ensuite à une évaluation qui permettra de garantir l’effectivité des mesures et l’amélioration des candidatures. Il s’agit d’aider les futurs candidats à proposer leur candidature dans les années à venir.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous remercie de cette présentation des différents services et de vos missions. Je vais laisser la parole à madame la rapporteure.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je voudrais revenir sur certains points que vous avez évoqués lors de votre présentation. Vous avez parlé d’une petite administration de 25 personnes pour la grande cause du quinquennat, ce qui est très révélateur. Lors de notre audition des responsables de la cellule Signal-sports, ces derniers nous ont indiqué que quatre personnes géraient aujourd’hui cette cellule au sein du ministère des sports.
Il nous semble que les moyens sont très limités, que ce soit dans vos services ou au sein de cette cellule. Ma première question porte donc sur les moyens. Quels seraient aujourd’hui les moyens nécessaires pour traiter cette grande cause du quinquennat et y répondre correctement ? En sachant qu’environ 1 000 cas ont malheureusement déjà dû être traités dans le cadre de cette cellule.
Ensuite, vous avez évoqué le fait que l’organisation et la pratique sont une spécificité du monde du sport expliquant ces phénomènes de violences sexuelles et sexistes. Dans le cadre de cette commission, nous travaillons également sur le racisme, la discrimination, l’homophobie et tout le volet financier, y compris la question de la corruption financière. Vous avez bien détaillé la partie pratique, mais j’aimerais néanmoins quelques précisions sur la partie organisationnelle. Qu’est-ce qui explique selon vous que l’organisation de ce mouvement sportif permette ces dysfonctionnements graves qui engendrent autant de victimes ?
Enfin, j’aimerais avoir votre regard sur la cellule Signal-sports. Nous avons eu l’occasion d’auditionner des victimes lors de cette commission d’enquête. Nombre d’entre elles nous ont indiqué qu’elles n’en connaissaient pas l’existence. Quel bilan tirez-vous aujourd’hui de son fonctionnement, en sachant que vous êtes en relation directe avec le ministère ? Ne faudrait-il pas que vous puissiez aussi travailler directement avec les fédérations sur des sujets de cette importance ? Nous constatons le peu de féminisation qui existe aujourd’hui au sein de ce mouvement sportif, notamment dans les directions et au niveau des fédérations.
Vous avez mentionné la création de ce fameux label « Terrain d’égalité » sur les grands événements sportifs. La Coupe du monde de rugby est le premier événement labellisé. Je m’interroge sur le fait que cette Coupe du monde ait commencé par une polémique concernant un joueur condamné sur des faits dont on connaît à peu près tous l’existence aujourd’hui. N’est-ce finalement pas en contradiction avec ce label « Terrain d’égalité », qui promeut justement l’égalité, la non-discrimination et le non-racisme ?
Mme Catherine Petit. En ce qui concerne les moyens, le ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes dispose d’un budget lié au programme 137. Ce budget a doublé depuis 2017 et il s’élève à un peu moins de 60 millions d’euros en 2023. Il permet de financer une action sur un positionnement d’impulsion et de soutien aux actions, ce qui permet d’avoir un effet levier. Ce n’est évidemment pas l’ensemble des crédits dédiés à la grande cause du quinquennat.
Pour ce faire, il faut envisager l’ensemble des contributions de tous les ministères qui mènent des actions en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes et qui sont impliqués dans la mise en œuvre de certaines politiques. Je pense tout particulièrement à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. L’ensemble de ces contributions, qui sont résumées dans le document de politique transversal annexé chaque année au PLF, atteint 2,4 milliards d’euros en 2023. Par conséquent, le ministère de l’égalité entre les femmes et les hommes ne dispose pas d’un budget dont les crédits serviraient à couvrir la grande cause du quinquennat. De nombreux ministères contribuent bien évidemment à cette politique.
En ce qui concerne les moyens humains, notre service apporte une plus-value parce qu’il dispose d’une expertise. Nous agissons à la fois en appui et en accompagnement avec ce rôle d’aiguillon. Nous mettons à disposition une expertise et nous nous assurons également de la cohérence de l’ensemble des actions pouvant être menées dans chacun des ministères et ce, au regard des grandes priorités qui sont celles du ministère de l’égalité. Pour ce faire, nous travaillons en transversalité, en interministérialité et avec beaucoup d’agilité. C’est donc davantage une question de positionnement que de moyens strictement quantitatifs.
Vous m’avez ensuite interrogée sur l’organisation du mouvement sportif, qui permettrait plus facilement ces dysfonctionnements. Tout d’abord, je ne suis pas spécialiste du mouvement sportif, mais de l’égalité entre les femmes et les hommes. Il est donc tout à fait pertinent que le ministère des sports soit pleinement compétent sur ce champ de l’organisation du mouvement sportif. Le ministère de l’égalité n’a donc pas compétence en la matière. Vous me demandiez s’il serait opportun que nous travaillions directement avec les fédérations. Je ne le crois pas. Au contraire, notre action est plus efficace si chacun reste à sa place et joue son rôle dans le périmètre de compétence qui est le sien.
L’omerta que vous évoquiez pour qualifier les violences révélées et médiatisées dans le mouvement sportif ne caractérise pas que ce milieu-là. Il y a malheureusement beaucoup d’autres secteurs dans lesquels la loi du silence s’est imposée pendant longtemps. Un secteur tout à fait emblématique est notamment celui de la culture. D’ailleurs, c’est plus particulièrement dans le secteur cinématographique qu’émerge le mouvement Me Too.
Ce poids du silence est malheureusement très fortement lié, voire consubstantiel, à ces violences. Quel que soit le domaine dans lequel évolue chaque victime, on rencontre cette question du silence et de la difficulté à libérer la parole. Je ne pense pas que cette omerta soit plus forte dans le mouvement sportif puisqu’elle est malheureusement générale. À ce titre, je note qu’il y a des similitudes assez fortes avec le secteur culturel.
La problématique du rapport au corps que j’évoquais tout à l’heure existe également dans le secteur cinématographique. Dès lors que le corps est un instrument, dès lors qu’on est placé dans la situation d’agir au nom d’un objectif ou d’un idéal qui nous dépasse ou nous transcende, l’acte de création dans la culture ou la performance sportive, on retrouve effectivement cette zone grise, qui est peut-être un peu plus dense que dans d’autres milieux. Je ne pense pas que cette difficulté soit exclusivement circonscrite au secteur sportif. L’omerta règne malheureusement dans bien d’autres secteurs.
Vous m’interrogiez également sur la cellule Signal-sports. Le ministère de l’égalité n’est pas en charge de l’administration de cette cellule de signalement. Pour autant, il est pertinent que le ministère des sports dispose d’un outil permettant d’objectiver la réalité de la survenance des violences, des situations de harcèlement ou d’agissements sexistes. Sur la base des données récoltées, cet outil permet également d’améliorer les actions menées. Il me semble qu’il y a eu plus de 1 000 signalements entre sa création et aujourd’hui. Il répond donc à une nécessité.
De toute façon, dans le domaine de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, au-delà du domaine sportif, il y a évidemment encore beaucoup à faire. Tous les outils pouvant être mis en place doivent faire l’objet d’une évaluation de manière constante afin de vérifier leur efficacité, les améliorer et les mettre en adéquation avec les objectifs que nous poursuivons.
Je comprends votre question sur le label « Terrain d’égalité ». En l’occurrence, il a été décerné préalablement à la Coupe du monde, et plus précisément au mois de juillet. Vous évoquiez la condamnation d’un joueur, mais il me semble qu’il y a eu appel. Je n’ai pas de jugement à porter sur une affaire en cours. Quoi qu’il en soit, ce label fait bien évidemment l’objet d’une évaluation avec les organisateurs des événements et ce, à différents moments.
Une évaluation est conduite en amont par l’Afnor, qui est l’opérateur de ce label. Une évaluation est également conduite par la Commission nationale de labellisation, qui est composée de représentants de l’État : le ministère des sports, le ministère de l’égalité et la Dilcrah -, sur les questions relatives aux discriminations raciales. Elle se compose également de quelques personnalités qualifiées. Il y a actuellement une évaluation de l’Afnor sur le déroulement même de la Coupe du monde. Des personnes sont sur le terrain pour assister aux matchs. À l’issue de la Coupe du monde, nous ferons bien évidemment un bilan. Si le sujet de la participation du joueur en question est abordé, il sera donc traité à ce moment-là.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. On sort un peu du domaine de l’égalité et des violences sexistes et sexuelles. Un sentiment d’impunité règne depuis de nombreuses années et perdure aujourd’hui. Il y a eu de nouveau des insultes homophobes lors du match disputé hier à Lille. On entend également des cris de singe dans certains stades, en présence de joueurs noirs. Pour autant, les matchs ne sont pas interrompus et il n’y a pas de condamnations.
En l’occurrence, un label a été attribué en lien avec des valeurs d’égalité et de non-discrimination. Et ce, dans le cadre d’une Coupe du monde et avant la sélection des joueurs. Certes, ce joueur a fait appel, mais il a été condamné. Il s’agirait d’envoyer un signal fort pour montrer que tout ce qui a trait au racisme est inacceptable. A-t-il été envisagé de retirer ce label pour donner l’exemple ? Ce sentiment d’impunité qui perdure fait qu’on ne parvient pas à endiguer ce phénomène de racisme et de discrimination dans le monde sportif.
Mme Catherine Petit. L’attribution, comme l’éventuel retrait du label, relève des prérogatives de la Commission nationale de labellisation, qui se réunira à l’issue de la Coupe du monde. Cette commission est présidée par le ministère et la directrice des sports. Loin de moi l’idée de me défausser. Je tiens simplement à vous préciser le cadre institutionnel de fonctionnement. Étant donné qu’il s’agit d’une première, chacun des acteurs expérimente. Il est de toute façon prévu de faire un bilan à l’issue de cet événement.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je reviens à ma question liée au secteur du sport. Il y a 38 % de femmes parmi les licenciés, 19 présidentes pour 115 fédérations sportives et 11 femmes sur 70 directeurs techniques nationaux. Est-ce spécifique au milieu sportif ou retrouve-t-on cette même inégalité entre les femmes et les hommes dans d’autres univers ? Pour reprendre votre exemple, est-ce aussi flagrant dans la culture que dans le sport ? Quelles solutions pourrait-on apporter afin d’y remédier ?
Mme Catherine Petit. Il s’agit d’un combat culturel. Il est nécessaire de faire évoluer les mentalités. Il faut notamment déconstruire les stéréotypes dès le plus jeune âge. Il faut agir pour promouvoir une culture de l’égalité. La société a beaucoup évolué au cours des dernières années, en particulier après l’émergence du mouvement Me Too. Il y a aujourd’hui une attente sociétale très forte dans la prise en compte de ces violences. Pour autant, ce combat sera encore long à mener.
Le droit a beaucoup évolué. Je fais référence aux instances dirigeantes et aux fédérations sportives. La parité, fixée à 40 % en 2014, devrait devenir intégrale au niveau national en 2024 et au niveau régional en 2028. Nous progressons de la même manière en ce qui concerne le contrôle de l’honorabilité. Les évolutions législatives survenues ces dernières années ont permis d’étendre le périmètre des personnes concernées par ce contrôle.
C’est effectivement un combat culturel à mener en s’appuyant sur la parole des victimes, qui a mis beaucoup de temps à se libérer, et pas uniquement dans le sport. On peut retrouver les chiffres sans trop de difficultés. Dans le domaine culturel, le nombre de femmes qui dirigent des établissements culturels labellisés progresse, mais encore trop faiblement. Le nombre d’hommes en situation d’exercer des responsabilités et des fonctions de direction reste très important.
À ce stade, le point qui me paraît le plus important est celui de la difficulté à lier ces questions et les traiter de manière globale. Le fait d’agir en incitant les femmes à occuper des fonctions de direction et des responsabilités a un impact sur la prévention et le recul des violences sexistes et sexuelles. Plus les femmes seront amenées à exercer des responsabilités, plus nous nous y habituerons et moins les hommes se sentiront autorisés à commettre des agissements sexistes, voire des violences ou des agressions.
Vous évoquiez la sanction, mais comme chacun le sait, il y a tout de même un sentiment d’impunité intellectuelle et psychologique qui est assez lié à l’exercice du pouvoir. Cela explique l’emprise constatée sur les victimes d’agressions ou de violences sexuelles. C’est l’une des explications du long silence dans lequel elles peuvent être murées et de la difficulté d’en sortir.
Mme Nadège Abomangoli (LFI-NUPES). J’aurais une question en lien avec l’impunité, qui permet à un certain nombre d’oppressions racistes et sexistes de perdurer. Nous avons pu suivre l’affaire Rubiales en Espagne : ce président de fédération qui a commis une agression sexuelle devant les caméras. Nous avons assisté à la mobilisation de l’équipe de football féminine et d’un certain nombre de soutiens, y compris politiques. Ça s’est soldé par une victoire des joueuses de la sélection espagnole. Je pense que leur statut de championnes du monde y a contribué.
En France, le président tout-puissant de la Fédération française de football, Noël Le Graët, qui a officié très longtemps, a également été accusé de harcèlement moral, de harcèlement sexuel ainsi que de violences sexistes et sexuelles. L’issue n’a finalement pas été la même. En Espagne, l’affaire a fait grand bruit ; en France, tout cela s’est réglé un peu en catimini puisque Noël Le Graët a bénéficié d’une espèce de placard doré. D’après vos connaissances de l’évolution législative sur les questions tenant aux droits des femmes en France et en Espagne ainsi que des différentes mentalités sur le sujet dans les sociétés européennes, qu’est-ce qui explique selon vous la différence de traitement entre l’affaire espagnole et l’affaire française ?
Mme Catherine Petit. C’est selon moi une question de temporalité. L’Espagne a longtemps été confrontée au fléau des violences conjugales, qui était extrêmement important. Elle a réagi il y a une vingtaine d’années avec l’élaboration d’une grande loi-cadre en constituant un arsenal qui a progressivement permis d’agir à la fois sur la prévention, l’accompagnement des victimes et la répression. De fait, lorsque la loi évolue, les mentalités sont également amenées à changer. On constate une prise de conscience significative depuis ces vingt dernières années.
Nous sommes peut-être un peu en retard. C’est pour nous une source d’inspiration. Je pense notamment au Téléphone grave danger, qui a été généralisé après une première expérimentation en Seine-Saint-Denis. En fait, c’est directement inspiré d’un dispositif qui existait en Espagne. Cette bonne pratique espagnole, dont nous nous sommes inspirés, s’inscrivait dans le cadre de cette grande démarche de prise en compte des violences machistes et de lutte contre ces dernières.
Même si nous sommes sans doute en retard, nous progressons en la matière. L’arsenal législatif s’est significativement amélioré depuis dix ans, et tout particulièrement ces cinq dernières années. Je pense notamment à la loi du 3 août 2018 visant à renforcer la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, mais je pourrais également citer la loi qui a permis d’établir un seuil d’âge définissant le consentement à un acte sexuel pour un mineur à 15 ans. En sachant que les mentalités évoluent de manière concomitante avec l’amélioration de l’arsenal législatif.
Il y a certes un petit décalage avec l’Espagne, qui a pris un peu d’avance sur nous. Pour autant, c’est une source d’inspiration et nous avons beaucoup d’objectifs en commun. Je pense notamment à la manière dont l’affaire Rubiales a été traitée cet été, même si on a pu constater une certaine forme de résistance lors des premières semaines. Ça me paraît assez emblématique de l’évolution des consciences en Espagne, qui gagne aussi la France. En sachant que si une affaire similaire au cas Rubiales devait se produire dans deux ou trois ans en France, elle serait sans doute traitée de la même manière. En tout cas, nous l’espérons et il y a véritablement un engagement très fort de l’État ainsi que de tous les acteurs institutionnels et associatifs, qui sont extrêmement mobilisés pour faire bouger les choses.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La notion de formation est beaucoup ressortie lors des auditions. Il est question de la formation des sportifs, des cadres, des bénévoles, des familles, etc. On retrouve beaucoup de schémas dans le vécu des victimes, et en particulier l’isolement par rapport à la famille et l’emprise dans la relation entraîneur-entraîné. Ça a été très bien expliqué par certaines victimes. Une loi a prévu des formations mais seules quelques heures sont consacrées à la question de la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Ce sujet était donc survolé. Quel bilan tirez-vous de ce texte ? Y a-t-il aujourd’hui des villes qui conditionnent les aides aux clubs sportifs à l’existence de modules de formation sur la question des violences sexistes et sexuelles ? Ne faudrait-il pas aller plus loin sur ce sujet ?
Mme Catherine Petit. Je crois comprendre que vous faites référence à la loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France. Compte tenu de la date de sa promulgation, nous n’avons pas encore un recul suffisant pour en dresser le bilan. Pour autant, je voudrais tout de même signaler que le ministère des sports travaille actuellement sur le recensement des actions permettant d’attester de la mise en œuvre de cette obligation. Et ce, auprès des fédérations et des centres de formation. C’est la responsabilité du ministère des sports. Ce recensement n’incombe pas au ministère de l’égalité et à son administration. En tout état de cause, un an et demi après la promulgation de cette loi, un travail est déjà initié par le ministère des sports afin d’effectuer une première évaluation de sa mise en œuvre.
De notre côté, nous intervenons beaucoup plus modestement. Vous avez souligné la double nécessité d’une meilleure information et d’une meilleure formation. Nous apportons notre expertise au ministère des sports lorsqu’il nous sollicite pour participer à l’élaboration d’outils d’information et de sensibilisation.
Je pense notamment à Réglo’sport, qui a été créé en 2022. Il s’agit d’une adaptation du violentomètre des violences conjugales. Cet outil permet aux sportifs et à leur entourage de mesurer sur une échelle la nature des comportements. On peut ainsi savoir si un comportement est normal, si on entre dans une zone grise, s’il y a matière à s’inquiéter, si on atteint la fameuse limite que j’évoquais tout à l’heure et s’il s’agit d’une infraction caractérisée.
Nous contribuons à l’élaboration de ce type d’outils dans le cadre du périmètre qui est le nôtre et que j’ai rappelé. En août 2020, nous avions été associés à une campagne de prévention des violences dans le sport auprès du mouvement sportif et des collectivités. Elle avait été initiée par le ministère des sports.
Nous travaillerons très certainement avec le ministère des sports sur les campagnes de prévention et de sensibilisation sur la prostitution en lien avec les grands événements sportifs internationaux, et tout particulièrement dans le cadre des Jeux olympiques de 2024. Il s’agit de sensibiliser au respect de la loi du 13 avril 2016 puisque la prostitution est considérée comme une violence. Nous venons donc en appui sur l’information, la formation des acteurs et l’accompagnement des personnes, qui constituent des objectifs fondamentaux.
Nous nous plaçons toujours dans une position d’amélioration des dispositifs, des projets et des mesures mis en œuvre. À cette fin, je voudrais signaler que j’ai créé cet été, au sein de mon service et par redéploiement de moyens en interne, un poste qui sera spécifiquement dédié à la structuration d’une stratégie de lutte contre les violences sexistes et surtout sexuelles. Nous travaillerons tout particulièrement à l’élaboration de cette stratégie avec les ministères de la culture et du sport. Il s’agit d’améliorer le pilotage interministériel sur cette problématique de la lutte contre les violences sexuelles. L’agent en question a pris son poste le 1er août.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous vous remercions, Madame Petit. Je voudrais simplement revenir sur les effectifs que vous avez cités au début. Vous avez également mentionné 130 personnes en région, c’est-à-dire sur le terrain. À quel niveau interviennent-elles ?
Mme Catherine Petit. Il s’agit des services territoriaux de l’État. Ce sont les services déconcentrés du service des droits des femmes. Il s’agit des directrices régionales aux droits des femmes et à l’égalité ainsi que des délégués départementaux. On trouve un délégué départemental dans chaque département et trois personnes dans chaque région. Et ce, à la fois dans les territoires métropolitain et ultramarin, bien sûr.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. À quelle adresse siègent-ils ?
Mme Catherine Petit. Au niveau régional, ces agents sont placés en Sgar, c’est-à-dire au niveau du préfet. Au niveau départemental, il y a deux cas de figure. Les délégués sont placés soit en DDETS (direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités), soit auprès du préfet. C’est une décision du préfet de département.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. On les retrouve donc dans les services de la préfecture.
Mme Catherine Petit. Tout à fait.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous n’avions pas cette information-là.
Mme Catherine Petit. Je pourrai vous adresser des éléments complémentaires qui vous permettront de mieux identifier cette organisation.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous remercie.
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La commission procède à l’audition de M. Michel Cadot, président de l’Agence nationale du sport (ANS), délégué interministériel aux jeux Olympiques et Paralympiques 2024 et délégué interministériel aux grands événements sportifs, M. Frédéric Sanaur, directeur général de l’ANS, M. Thierry Maudet, conseiller sport du délégué interministériel et Mme Agathe Barbieux, directrice du service du développement des pratiques au sein de l’ANS.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Mes chers collègues, nous accueillons M. Michel Cadot, président de l’Agence nationale du sport (ANS), délégué interministériel aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024 et délégué interministériel aux grands événements sportifs, qui est accompagné de M. Frédéric Sanaur, directeur général de l’ANS, de M. Thierry Maudet, conseiller sport du délégué interministériel, et de Mme Agathe Barbieux, directrice du service du développement des pratiques au sein de l’ANS.
Madame, Messieurs, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie vivement de votre disponibilité.
Nous avons entamé le 20 juillet 2023 les travaux de cette commission d’enquête relative à l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.
Nos travaux se déclinent autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport ; les discriminations sexuelles et raciales dans le sport ; les problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.
Pourriez-vous revenir brièvement sur les missions de l’ANS et leur articulation avec celles du ministère des sports et des autres acteurs qui interviennent en matière de gouvernance ?
Pourriez-vous préciser le rôle de l’ANS s’agissant de la lutte contre les défaillances qui entrent dans le champ d’investigation de notre commission ? De quels leviers l’Agence dispose-t-elle et comment son action s’articule-t-elle avec les missions de la direction des sports ?
L’Agence peut-elle moduler l’octroi de ses crédits d’intervention pour tenir compte de la volonté des fédérations d’agir en faveur de l’éthique du sport ?
Plus généralement, quelle appréciation portez-vous sur les évolutions récemment décidées pour remédier aux défaillances auxquelles la commission d’enquête s’intéresse et que pensez-vous de la mise en œuvre de ces mesures ?
Enfin, avez-vous des recommandations à adresser à notre commission ?
Avant de vous laisser la parole, je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Michel Cadot, M. Frédéric Sanaur, M. Thierry Maudet et Mme Agathe Barbieux prêtent successivement serment.)
M. Michel Cadot, président de l’Agence nationale du sport, délégué interministériel aux Jeux olympiques et paralympiques 2024 et délégué interministériel aux grands événements sportifs. Je me présente devant vous dans ma triple qualité de délégué interministériel aux Jeux olympiques et paralympiques, de délégué interministériel aux grands événements sportifs, fonctions dans lesquelles j’ai été nommé en juillet 2020, et de président du conseil d’administration de l’Agence nationale du sport. J’exerce cette présidence, non exécutive, depuis septembre 2020. L’assemblée générale de l’ANS m’a reconduit à l’unanimité, il y a une quinzaine de jours, sur proposition de la ministre des sports et des Jeux olympiques et paralympiques.
La délégation interministérielle aux Jeux olympiques et paralympiques (Dijop), dont la direction constitue, en vérité, l’essentiel de ma tâche, est une petite structure, qui a longtemps compté moins d’une dizaine de personnes. Ses effectifs – des conseillers de haut niveau dans les différents secteurs – sont actuellement au nombre de vingt. Cette structure, rattachée à la Première ministre, est éphémère, puisqu’elle disparaîtra après la livraison des Jeux : il est prévu que sa quadruple mission se termine en mars 2025.
Tout d’abord, la Dijop est chargée de coordonner les acteurs pour garantir la bonne livraison des Jeux olympiques et paralympiques, qui est un défi très complexe, particulièrement en Île-de-France, où se concentrent 85 % des épreuves. Il s’agit de coordonner l’ensemble des ministères, des établissements publics et des actions menées par l’État, qu’il s’agisse de la sécurité, des conditions de transport, de la communication sur le sens des Jeux ou du respect des principes posés sur le plan environnemental et social, en matière d’éthique et en ce qui concerne les valeurs du sport, sujets qui mobilisent votre commission.
Par ailleurs, nous veillons à la bonne réalisation des équipements. L’État ne les livre pas, mais il garantit l’organisation. En effet, certains ouvrages sont construits par des collectivités, en tant que maîtres d’ouvrage, e des promoteurs privés, le tout étant placé sous la supervision ou la maîtrise d’ouvrage directe d’un établissement public d’aménagement, la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo). Celle-ci disparaîtra également à la fin des Jeux, selon un modèle tout à fait nouveau et assez rare dans l’administration française.
Cet établissement public aura rempli sa mission dans les délais et à l’intérieur du budget qui lui a été assigné. Les deux tiers des fonds publics, qui représentent eux-mêmes un tiers du total, relèvent de l’État. Un tiers des fonds publics est apporté les collectivités, et le reste des financements vient des promoteurs privés. Veiller à la réalisation des équipements revient ainsi à mener un travail de suivi opérationnel d’un grand projet d’aménagement et de construction en relation avec les collectivités locales.
La troisième mission de la Dijop concerne la relation avec le Cojo, le Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques. Le Cojo, qui est une association « loi 1901 » et a donc un statut privé, est financé à 97 % par des fonds privés, venant des sponsors internationaux ou nationaux, des droits télévisés ou encore de la billetterie. Les 3 à 4 % restants correspondent essentiellement à des fonctions de service public dans le cadre des Jeux paralympiques.
Nous travaillons non seulement avec les collectivités locales, je l’ai dit, mais aussi avec le Cojo. Il dépend du Comité international olympique, le CIO, qui est une organisation de droit suisse basée à Lausanne et ayant ses propres règles. La France et la ville hôte, Paris, ont donc signé une convention internationale avec le CIO.
La quatrième mission de la Dijop est de participer à la valorisation des effets des Jeux et de leur héritage, pour leur donner toute leur force. Il s’agit de ma responsabilité principale, compte tenu de l’enjeu, lequel oriente aussi, à certains égards, les travaux de la délégation interministérielle aux grands événements sportifs (Diges). C’est également sous cet angle que le rôle de l’ANS sera en grande partie jugé, puisque l’Agence a notamment été créée dans la perspective de l’actuelle phase préparatoire et dans celle de la haute performance.
Le Gouvernement a tenu à fixer un certain nombre de principes lors de la constitution du Cojo, dans le cadre de la loi dite olympique du 26 mars 2018.
Tout d’abord, des mesures générales ont été prévues en matière de déontologie et de transparence non seulement pour les responsables du Cojo, dont je rappelle que Tony Estanguet préside le conseil d’administration, mais aussi pour tous les hauts responsables du monde sportif, suivant une approche large : cela concerne les présidents des fédérations olympiques et paralympiques, les présidents des comités nationaux olympiques (CNO) et du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) ou encore les représentants légaux des organismes chargés des grands événements sportifs. Ces dispositions, adoptées à l’occasion des Jeux, constituent désormais un socle qui s’applique aux principaux responsables des grandes fédérations qui interviennent dans les Jeux olympiques ou dans les grands événements sportifs.
Le Gouvernement a également voulu instaurer, dans le cadre de cette loi, des mesures en matière de transparence, de partage de l’information et de surveillance de la bonne application des règles d’éthique. Un comité d’éthique, présidé par Jean-Marc Sauvé et composé de très hautes personnalités d’une grande rectitude morale, a ainsi été créé, de même qu’un comité d’audit, qui est présidé par le préfet Jacques Lambert, lequel a beaucoup œuvré pour de précédents Jeux olympiques, et auquel participe notamment la direction du budget. Il existe aussi un comité des rémunérations, présidé par Jean-Paul Bailly, et un contrôleur économique et financier. Pour veiller au respect des valeurs d’éthique, ces comités sont constitués d’un grand nombre de personnalités, et chacun d’entre eux compte un député et un sénateur.
Par ailleurs, tant la Solideo, ce qui est normal pour un établissement public industriel et commercial de l’État (Epic), que le Cojo, association de droit privé, laquelle fait donc l’objet d’une dérogation, sont soumis au contrôle de la Cour des comptes et de l’Agence française anticorruption. Il s’agit, là aussi, de veiller à un contrôle complet en matière de bonnes pratiques.
La loi a en outre prévu, d’une manière dérogatoire, dans une logique de précaution en matière de gouvernance, afin d’assurer une relation saine avec le monde du sport, que les règles de la commande publique devaient être respectées dans le cadre des marchés du Cojo. Ces derniers, s’agissant d’un organisme privé, devraient être des marchés privés, mais ils rentrent dans le cadre de la commande publique, sauf exceptions prévues par le droit européen.
Vous savez, par ailleurs, que les collectivités locales sont fortement représentées au sein des différentes instances, la maire de Paris étant elle-même la présidente de la Solideo.
Cette société est dotée d’exactement les mêmes organismes, selon le schéma très normé des établissements publics d’aménagement.
Comme pour le Cojo, par ailleurs, des mesures de vigilance ont été adoptées. Une plateforme de signalement est ainsi à disposition des collaborateurs pour tout type de violence ou de comportement inadapté. Il existe également une équipe « conformité » au sein du Cojo, et des mécanismes d’alerte ont été prévus aussi bien au niveau du CIO, pour les athlètes en particulier, qu’au niveau du Cojo. De plus, nous sommes en train de vérifier la question de l’implantation, lors du déroulement des Jeux, d’une permanence dans le village olympique où logeront les athlètes. Nous avons demandé au CIO, ce qui est nouveau par rapport aux précédentes olympiades, que tout fait signalé donne lieu non seulement à une évacuation de l’athlète impliqué, à un retrait de son accréditation, mais aussi à des suites judiciaires dans notre pays.
Enfin, tous les partenaires feront l’objet d’un contrôle d’honorabilité, y compris les volontaires – 45 000 personnes contribueront ainsi sans rémunération au déroulement des Jeux – et le Cojo est candidat à l’attribution du label Terrain d’égalité qui a été créé par la ministre.
J’en viens à la Diges. C’est aussi une petite structure, dont les effectifs ont varié entre six et huit personnes. D’abord rattachée à la ministre des sports, elle l’est, depuis 2022, à la ministre des sports et des Jeux. Cet organisme accompagne, par un suivi organisationnel, la tenue de grands événements, qui sont parfois de petite taille pour notre pays mais qui ont une envergure internationale. Nous aurons accompagné à la fin de l’année trente-quatre événements de ce type. Là aussi, des mesures sont exigées en matière de lutte contre les violences sexistes. Des cellules d’écoute ont ainsi été mises en place auprès du ministère – elles sont hébergées du côté de la direction des sports.
S’agissant de la Coupe du monde de rugby, je précise qu’un groupement d’intérêt public (GIP) a été créé en mars 2018 à la suite d’un rapport de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche, de façon à exercer un meilleur contrôle. Ce GIP, composé du CNOSF, de l’État et de la Fédération française de rugby, est doté de tous les organes de contrôle habituels, notamment un comité d’audit et un comité d’éthique. Les mauvaises conditions de travail qui ont été signalées par la presse en juin 2022 ont conduit à des réactions immédiates de la part de l’État dans le cadre de sa fonction de suivi du GIP. L’inspection du travail, à laquelle aucune plainte n’avait été signalée, non plus qu’au comité d’éthique, pour être tout à fait clair, a été saisie, puis le directeur général a été suspendu très rapidement, au bout de deux ou trois mois, avant d’être révoqué pour faute. Ont également suivi un changement complet de l’équipe de direction et un renforcement des pouvoirs du président du conseil d’administration, M. Rivoal. L’État s’est très fortement impliqué dans ce dossier.
Vous avez demandé quelles suggestions nous pouvions faire. Sur ce dossier, à l’évidence, l’absence de contrôle externe, comme celui qui est réalisé par la Cour des comptes et l’Agence française anticorruption dans le cadre des Jeux, par exemple, est certainement un point de faiblesse. Quand le directeur général est suffisamment puissant pour bloquer la remontée de signalements ou, en tout cas, lorsque ces derniers ne remontent pas vers les instances prévues à cet effet, on se heurte à ce problème.
S’agissant de l’ANS, ma responsabilité, en tant que président, est de veiller à la bonne montée en charge de cette agence qui a été créée par une loi de 2019. Les décrets sont sortis en 2020 et 2021, et nous avons accéléré la mise en place de toutes les instances. Toutes les conférences territoriales ont été mises en place, de même que les conférences des financeurs, et des stratégies ont été définies, aussi bien pour le développement des pratiques que pour la haute performance. Par ailleurs, les crédits des programmes ont fortement augmenté dans la perspective des Jeux : le budget de l’ANS est ainsi passé à près de 400 millions d’euros. Il est très bien géré par les équipes de l’ANS sous le contrôle de la Cour des comptes et de l’Agence française anticorruption. Enfin, toutes les instances de suivi des règles de déontologie ont été créées. Le directeur général pourra vous les présenter.
Je suis un peu moins précis, compte tenu de mes fonctions, sur les questions qui sont plus directement les vôtres, mais je tenais à vous montrer la volonté du Gouvernement et des hauts fonctionnaires qui exécutent les orientations gouvernementales d’appliquer au maximum les outils de contrôle pour se prémunir contre les violences inacceptables sur lesquelles vous travaillez.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quel héritage les grands événements sportifs dont vous êtes chargé, comme la Coupe du monde de rugby et les Jeux olympiques de 2024 à Paris, laisseront à la France en ce qui concerne la féminisation du sport et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles (VSS) ?
M. Michel Cadot. En matière de féminisation, les résultats sont d’ores et déjà acquis pour les Jeux, puisque chacune des équipes olympiques en compétition sera totalement paritaire. S’agissant de la Coupe du monde de rugby, la situation n’est pas la même : on suit la tradition du rugby. Il existe ainsi une Coupe du monde féminine et une Coupe du monde de rugby fauteuil mais le schéma n’est pas le même.
Pour ce qui est de la lutte contre les violences, l’exigence est très forte dans le cadre des Jeux : elle guide toutes les décisions qui sont prises. Des dispositifs de contrôle avérés ont donc été mis en place. Je crois que la notoriété des Jeux et leur dimension immédiatement nationale et internationale conduiront, par ailleurs, à accélérer la prise de conscience de ces questions qui, longtemps, n’ont sans doute pas été suffisamment mises en avant, ce qui, dans certains cas, n’a pas permis de corriger certaines situations, certains comportements ou certaines habitudes. Depuis la montée en charge de l’organisation des Jeux, début 2022, mais aussi dans le cadre d’autres événements, le Gouvernement a été d’une très grande rigueur quant au maintien en poste des personnes concernées chaque fois que des faits ont été signalés.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons auditionné deux sportives qui nous ont indiqué qu’elles avaient signalé des faits d’agression sexuelle impliquant des athlètes qui nous représenteront l’année prochaine aux Jeux olympiques. Elles nous ont dit avoir alerté la fédération : celle-ci aurait donc été informée, mais elle aurait choisi de ne rien faire pour le moment, parce qu’il faudrait protéger des athlètes médaillables l’année prochaine. C’est pour cette raison que je vous demandais quel serait l’héritage des JO sur le plan de la lutte contre les VSS.
M. Michel Cadot. La gestion des athlètes relève de l’ANS, au titre de la haute performance, pour les équipes de France, et du Cojo, qui a aussi un rôle dans ce domaine et qui est parfaitement sensibilisé en la matière. Je pense que cela ne doit pas rester exclusivement dans le seul cercle fédéral. Il est souhaitable que les situations de ce type soient signalées : des plateformes permettent parfaitement de faire remonter des messages, y compris de façon anonyme, au niveau du Cojo, du CIO ou du comité d’éthique de la structure concernée dans le cadre des JO.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. L’ANS est un acteur central, puisque les financements du mouvement sportif passent par elle. Je reviens toutefois sur la question de l’héritage des Jeux, parce qu’elle me semble vraiment très importante : quel héritage restera-t-il du côté des clubs et des fédérations en matière de féminisation ? Seules 19 fédérations, sur 115, sont présidées par des femmes. C’est une question qui est du ressort de l’ANS.
M. Frédéric Sanaur, directeur général de l’ANS. Il serait peut-être utile, pour répondre précisément à votre question, que je rappelle le contexte.
L’Agence nationale du sport dispose, pour déployer son action, d’un budget de près de 450 millions d’euros, qui est administré au niveau national par 70 équivalents temps plein (ETP), avec l’appui et le concours des services déconcentrés chargés du sport au niveau régional et au niveau départemental et des établissements sportifs pour le haut niveau, les Creps, les centres de ressources, d’expertise et de performance sportive, et les maisons régionales de la performance.
S’agissant de l’accompagnement du mouvement sportif, près de 800 millions d’euros ont été orientés depuis 2020 vers les fédérations, les ligues régionales, les comités départementaux et les clubs sportifs. Dans ce cadre, notre intervention en faveur du développement de la pratique sportive représente à partir de 2023 un budget annuel de plus de 300 millions d’euros, qui est orienté selon trois axes fondamentaux : soutenir, structurer et accompagner les clubs sportifs, le tissu associatif sportif ; professionnaliser celui-ci, par la création ou la pérennisation d’emplois d’éducateurs et d’éducatrices ou de développeurs d’associations dans tous les territoires ; enfin, développer les équipements sportifs.
Dans ces différents champs d’intervention, nous insufflons, nous incitons, voire nous prescrivons des orientations beaucoup plus fortes pour favoriser, dans l’ensemble des territoires, le développement d’une pratique sportive équilibrée, entre filles et garçons et femmes et hommes ainsi que sur le plan intergénérationnel, en utilisant des leviers qui permettent d’œuvrer pour toutes les formes de pratique sportive – cela peut concerner, par exemple, les vestiaires ou la manière dont les agrès sont adaptés à une pratique plurielle, d’une façon non genrée ou plus inclusive, la mise en accessibilité des équipements sportifs étant un aspect très important.
Par ailleurs, si on veut développer davantage de sections féminines et parasport dans les clubs, on doit professionnaliser les structures de manière à diversifier l’offre de pratiques et à accueillir le plus grand nombre possible d’acteurs et d’actrices, de pratiquantes et de pratiquants dans nos clubs Concrètement, nos interventions comprennent depuis 2019 un soutien à l’emploi sportif : en moyenne, 5 000 emplois sont cofinancés chaque année. Ce nombre a un peu augmenté ces deux dernières années, puisque l’action « 1 jeune, 1 solution », menée dans le cadre du plan de relance, a permis d’accompagner davantage d’emplois, notamment d’éducateurs et d’éducatrices, pour favoriser le développement de la pratique sportive féminine.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’entends ce que vous dites au sujet de la pratique sportive et de la féminisation. Pouvez-vous nous apporter plus de précisions sur ce qui a été mis en place en ce qui concerne les VSS ?
M. Frédéric Sanaur. Bien sûr. Vous avez posé tout à l’heure la question de l’articulation des compétences et des missions entre la direction des sports et l’Agence nationale du sport. Selon la convention d’objectifs et de moyens qui a été conclue, la direction des sports a compétence pour les missions régaliennes en matière d’éthique, de lutte contre les violences et toutes les formes de discriminations dans le sport, de dopage et d’animation des contrats de délégation qui régissent la mise en œuvre de la délégation de service public donnée aux fédérations. L’agence, en tant qu’opérateur de l’État, intervient en ce qui concerne les dispositifs opérationnels d’accompagnement et de soutien en matière de haute performance, de développement des pratiques sportives et d’accompagnement de la gouvernance, aussi bien nationale que territoriale, du sport.
Nous intervenons ainsi sur la question des violences sexistes et sexuelles, notamment en soutenant des structures associatives qui font de la sensibilisation et de la prévention, comme Colosse aux pieds d’argile, que nous accompagnons dans la création d’emplois, ce qui entre bien dans le cadre de nos prérogatives. Près de quinze emplois ont ainsi fait l’objet d’un accompagnement ces quatre dernières années pour la création d’antennes territoriales de Colosse aux pieds d’argile. Par ailleurs, des crédits sont territorialisés sous le contrôle des préfets de région, délégués territoriaux de l’Agence, en lien avec les Drajes, les délégations régionales académiques à la jeunesse, à l’engagement et aux sports, outre les crédits prévus en matière d’emploi ou d’équipement. Nous avons fléché au moins 50 000 euros par région, chaque année, pour accompagner des actions de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Depuis 2012, les crédits mobilisés pour la lutte contre toute forme de discrimination dans le sport ont augmenté de 477 %.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quelles sont concrètement, dans le cadre des plans de développement fédéraux, les actions financées pour lutter contre les VSS ?
M. Frédéric Sanaur. L’enveloppe globale, pour l’ensemble des projets sportifs fédéraux (PSF), est de 75 millions d’euros. À peu près 110 fédérations sont concernées, et environ 16 000 structures associatives, clubs, comités et ligues, sont soutenus. Des dizaines de milliers d’actions sont ainsi accompagnées. Il est un peu compliqué de vous donner tout de suite des exemples très précis, mais nous pourrons le faire par la suite. De manière générale, des plans de prévention sont mis en place, en faisant appel, notamment, à des associations expertes en la matière – j’en ai cité une –, ce qui conduit ensuite à des campagnes de prévention, de sensibilisation et d’accompagnement des clubs.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. L’Agence peut-elle décider de moduler l’octroi de ses crédits aux fédérations en tenant compte de leur volonté d’agir dans ce domaine ?
M. Frédéric Sanaur. C’est le sens des travaux que nous sommes en train de mener conjointement avec la direction des sports : dans le cadre des contrats de délégation conclus entre le ministère des sports et les fédérations, nous sommes systématiquement associés par la direction des sports aux rencontres qui se déroulent afin de bien clarifier les contreparties de la délégation de service public et de nous permettre d’aligner nos accompagnements sur les objectifs prioritaires fixés par l’État dans le cadre de cette délégation de service public. Théoriquement, ce que vous dites est bien entendu possible si le conseil d’administration le décide, en lien avec les priorités de développement que porte la fédération. Une des promesses lors de la création de l’Agence était, en effet, de responsabiliser le mouvement sportif et de l’autonomiser.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Quelles sont concrètement, en matière de lutte contre les VSS, les contreparties ?
M. Frédéric Sanaur. Nous avons cité quelques exemples : il s’agit d’actions de sensibilisation, de prévention et de formation pour les intervenants, les éducatrices et les éducateurs, les dirigeants…
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Ces actions sont-elles obligatoires ?
M. Frédéric Sanaur. Elles ne le sont pas aujourd’hui : cela dépend un peu de l’orientation donnée par la fédération, mais je pense que cela va s’organiser progressivement de manière plus formelle et plus prescriptive, notamment une fois que l’ensemble des contrats de délégation seront conclus.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Comment évaluez-vous les dispositifs de prévention que vous financez ? Quels sont les indicateurs ?
M. Frédéric Sanaur. Nous demandons, lors du dépôt des dossiers, un descriptif des actions et des objectifs, et des bilans des actions menées sont ensuite réalisés. Nous pouvons faire du monitoring par l’intermédiaire, notamment, de plateformes, d’outils informatiques et de systèmes d’information. Nous avons également décidé, au sein de l’Agence, de mener un certain nombre d’audits sur des fédérations, notamment en ce qui concerne les contrats de développement, pour voir dans quelle mesure les actions sont bel et bien réalisées. Nous l’avons fait l’année dernière pour vingt fédérations. S’agissant de 2023, notre objectif est non seulement de suivre au niveau national les actions engagées par les fédérations mais aussi d’aller plus loin dans le cadre des projets sportifs fédéraux en suivant plus précisément des clubs, des comités, des ligues et des structures qui bénéficient de crédits pour l’accession au sport de haut niveau. Nous regardons la réalisation des actions et nous faisons des comptes rendus d’audit très précis.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je reviens un peu en arrière : si des actions, par exemple de formation et de prévention au sujet des VSS, ne sont pas obligatoires, il ne peut pas y avoir de conditionnement des financements aux fédérations.
Par ailleurs, comment choisissez-vous les actions que vous décidez de financer en lien avec les fédérations ? Y a-t-il des appels à projets ? Un comité décide-t-il avec quelles associations le travail est mené et quel type d’actions est à mettre en place ? Ou bien est-ce que les fédérations vous sollicitent elles-mêmes pour certaines actions ?
M. Frédéric Sanaur. Nous avons une comitologie propre à l’ANS – cela faisait partie des fondamentaux requis lors de la création de l’Agence. Pour chacune des thématiques que j’ai évoquées, notamment l’emploi et les équipements, en lien avec la déclinaison territoriale – les conférences régionales du sport et les conférences des financeurs –, des comités réunissent les quatre collèges de l’Agence, à savoir l’État, représenté par le ministère des sports et des Jeux olympiques et paralympiques, le mouvement sportif, olympique et paralympique, les représentants des collectivités territoriales, principalement des élus, et les représentants du monde économique. Des commissions, à vocation consultative, traitent et évaluent l’ensemble des questions.
Nos soutiens aux fédérations reposent sur plusieurs dispositifs : des contrats de développement et des contrats de performance qui accompagnent, au niveau national, le développement du sport sous toutes ses formes, y compris le sport de haut niveau, et différents appels à projets qui nous permettent d’accompagner de manière assez spécifique la médiatisation du sport féminin et du parasport, la transformation numérique des fédérations ou encore le savoir-nager et l’aisance aquatique – il existe une dizaine de dispositifs de ce type afin de compléter les orientations données dans le cadre de la politique publique du sport.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous n’avez pas réellement répondu à ma question sur les critères. Quels sont ceux que vous utilisez ? Vous parlez de la pratique sportive, mais très peu de la lutte contre le racisme, les discriminations, l’homophobie ou les VSS. Avez‑vous été amenés à arrêter certaines actions sur la base des évaluations que vous conduisez ?
M. Frédéric Sanaur. Il y a plusieurs orientations. Dans les notes de service que nous diffusons pour cadrer les projets sportifs fédéraux ainsi que les contrats de développement, nous demandons qu’un certain nombre de projets – ce sont des éléments très précis dans la convention entre l’État et l’Agence – soient menés en faveur du développement du sport féminin, de la prise en compte des notions d’éthique, de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles et contre les discriminations – homophobie, racisme. Le budget correspondant a augmenté, je l’ai dit, de 477 % en dix ans.
Nous partons bien souvent des propositions d’action du mouvement sportif lui-même. Alors que le CNDS, le Centre national pour le développement du sport, qui existait jusqu’en 2019, fixait trois à quatre grandes priorités annuelles, nous avons décidé, à l’ANS, de donner un cap global tout en laissant chaque fédération proposer sa stratégie de développement de la pratique, afin d’atteindre l’objectif de 3 millions de licenciés et pratiquants supplémentaires d’ici à 2024. Nous partons de l’identification des besoins territoriaux et nationaux des fédérations. Nous disposons aussi d’une batterie de critères qui nous permettent d’évaluer la performance à la fois sociale et sportive de nos partenaires et des associations sportives autour des licences féminines, des licences parasport, des ouvertures de clubs et des interventions dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et en zone de revitalisation rurale (ZRR).
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quelles procédures appliquez-vous à l’ANS pour garantir la bonne utilisation des fonds en direction des fédérations ou des athlètes ?
À la suite des préconisations faites par l’Agence française anticorruption (AFA), nous avons appliqué plusieurs mesures. Au sein de notre gouvernance, les membres de l’assemblée générale et du conseil d’administration ainsi que l’ensemble des collaboratrices et collaborateurs de l’Agence sont soumis à une déclaration d’intérêts. De la même façon, le président, le directeur général et le responsable de la haute performance font une déclaration à la HATVP, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Nous appliquons aussi des procédures assez classiques – des déports systématiques en cas de risque de conflit d’intérêts et des formations délivrées par l’AFA – ou plus spécifiques en fonction des dispositifs, notamment en ce qui concerne les projets sportifs fédéraux auxquels sont alloués une enveloppe de 75 millions d’euros.
Les fédérations interviennent très fortement dans la mise en œuvre de ce dernier dispositif, dont bénéficient 16 000 structures. Un conseiller ou une conseillère de l’ANS suit en observateur les commissions tripartites qui sont chargées d’instruire les projets soumis par les clubs, les comités ou les ligues et qui sont composées de représentants des élus fédéraux, de cadres de l’État, lorsque c’est possible, et de cadres fédéraux. Les réunions de ces commissions donnent lieu à des procès-verbaux qui nous permettent de suivre l’instruction des dossiers des associations sportives pour lesquels la fédération sollicite un versement de l’Agence. Tous ces process sont très importants pour nous.
Dans le cadre des PSF, les présidents, directeurs généraux, directrices et directeurs techniques nationaux des fédérations doivent également nous adresser une déclaration d’intérêts, en l’absence de laquelle les paiements ne peuvent être engagés. Nous avons contractualisé avec un peu plus de cent fédérations dans le cadre de ces PSF.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Une fédération qui n’a pas de comité d’éthique peut-elle toucher des subventions ?
M. Frédéric Sanaur. Nous demandons qu’il y ait, dans les commissions relatives aux PSF, le président ou un représentant de la commission d’éthique de la fédération. Lorsqu’elle n’existe pas, sa création est fortement préconisée mais il me semble que l’installation d’un référent éthique ou d’une commission d’éthique ne relève pas forcément de l’autorité de l’Agence.
M. Michel Cadot. Nous sommes en train de finaliser la rédaction d’un cahier des charges rendant obligatoire l’obtention du label Terrain d’égalité, qui comprend des éléments précis en matière d’écoresponsabilité et des mesures de lutte contre les discriminations et les violences sexistes ou sexuelles, pour bénéficier des financements liés à l’organisation des grands événements sportifs.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous m’avez un peu perdue, avec toutes ces commissions, ces comités, tout cet empilement. Quand on se penche sur le monde du sport, on a l’impression qu’il y a plein d’agences, de structures. J’avoue que je ne comprends pas très bien comment tout cela est mis bout à bout. J’ai le sentiment, d’une part, s’agissant de la prévention et des financements, que les fédérations sont juges et parties puisqu’elles proposent et prennent les crédits sans réelles conditions et que, d’autre part, vous avez délégué la responsabilité de choisir les actions et les clubs à soutenir. Quelle est la responsabilité de l’ANS dans les instances dont vous avez parlé ? Nous avons l’impression que les décisions sont prises par plein de comités empilés les uns sur les autres. Quelle est la méthodologie ?
M. Frédéric Sanaur. Je pensais avoir essayé de l’expliquer, mais je vais tenter de faire mieux. À la création de l’Agence, l’un des souhaits était de réorienter ce que l’on appelait la part territoriale du CNDS, qui était pilotée par les directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale en lien avec les DDCS, les directions départementales de la cohésion sociale. Plutôt que de faire piloter le développement des pratiques sportives par le biais de structures nationales, notamment le CNDS, il a été convenu qu’il était préférable de confier cette question aux fédérations, parce que le développement de la pratique ne repose pas sur les mêmes leviers pour le judo que pour l’athlétisme, le handball ou le basket-ball.
À partir de 2019, il a été demandé à chaque fédération d’écrire son projet et sa stratégie en matière de développement des pratiques – stratégies disponibles sur le site internet de l’Agence nationale du sport. Ensuite, on a demandé aux fédérations de définir une méthodologie, encadrée par nos soins puisque nous restons le payeur in fine de l’ensemble des financements, afin qu’elles nous expliquent les priorités qu’elles soumettent à leurs clubs pour développer la pratique sportive. On retrouve très souvent le développement de la pratique pour les jeunes et pour les femmes, ainsi que d’autres leviers qui appartiennent à un tronc commun des politiques sportives, qu’elles soient territoriales, fédérales ou nationales.
En revanche, la méthodologie et l’instruction des dossiers sur le fond, c’est-à-dire la pertinence des actions menées par les clubs, ont été déléguées aux fédérations, parce que ce sont elles qui sont les plus à même de juger si, dans leurs clubs, leurs comités, leurs ligues, les leviers de développement sont bien mis en œuvre. C’est un parti pris à la création de l’Agence, qui allait de pair avec l’autonomisation des fédérations mais aussi leur responsabilisation, dans la mesure où elles sont co‑instructrices des dossiers de leurs clubs. Toutefois, dans le cadre des projets sportifs fédéraux, ce ne sont pas les fédérations qui perçoivent les financements en tant qu’entités associatives nationales, mais les clubs, les comités et les ligues régionales.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. C’est bien pour cela que je disais que nous avions le sentiment que la fédération était un peu juge et partie, puisqu’elle travaille avec ses clubs, qu’elle les évalue et qu’eux-mêmes font des propositions pour recevoir des financements. Exception faite de l’attribution des fonds, à quel moment intervenez-vous ? Les projets financés sont-ils ensuite évalués selon des critères précis ?
M. Frédéric Sanaur. Nous avons une équipe de huit personnes en charge du développement des pratiques sportives, qui suivent entre quinze et vingt fédérations en moyenne et sont responsables du suivi de l’instruction des dossiers.
Le respect des process est très important pour nous, puisque, quand on suit 26 000 actions par l’intermédiaire de huit personnes, on ne les connaît pas parfaitement chacune. Il faut donc des process solides permettant de garantir à la fois une bonne déontologie en matière d’instruction et un sérieux dans l’accompagnement.
Ensuite, c’est nous qui analysons les cahiers des charges donnés par les fédérations, les orientations proposées en matière de politique fédérale, puis qui mettons ou non en paiement les propositions des fédérations. Il peut nous arriver de ne pas valider un projet sportif fédéral ou des demandes de ventilation budgétaire si nous estimons que des questionnements demeurent ou qu’il y a un parti pris dans les projets.
Depuis 2022, par ailleurs, chaque association sportive ou club percevant un financement de l’Agence doit signer la charte de déontologie que nous avons instaurée, notamment sur le respect des principes de la République et de la laïcité.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. L’ANS a des prérogatives à la fois quant au choix des athlètes qui figurent dans le cercle de la haute performance et quant aux subventions individuelles fléchées pour ces athlètes. Selon quels critères procédez-vous à la sélection ?
M. Frédéric Sanaur. Selon des critères très objectifs : résultats sportifs dans les grandes compétitions internationales – championnats du monde, championnats d’Europe, Jeux olympiques et paralympiques – ou ranking international, c’est-à-dire le classement dans les différentes disciplines. C’est cela qui nous permet de déterminer les quelque 500 ou 600 sportives et sportifs de haut niveau qui émargent à ce cercle de la haute performance. Ce sont vraiment les résultats sportifs qui permettent de faire partie du cercle ou non. D’ailleurs, une fois que l’on y est, on peut tout à fait en sortir, pour des problèmes de dopage ou à cause de moindres performances. Pour nous, l’échéance suprême à court terme, ce sont les Jeux olympiques et paralympiques de 2024, mais ceux de 2026 et de 2028 viendront ensuite très vite.
Pour ces sportifs, nous nous sommes engagés à garantir un revenu minimum de 40 000 euros par an. Un peu plus de 2 000 athlètes, identifiés grâce à des cellules de performance en interaction avec les fédérations sportives et les directions techniques nationales, bénéficient également d’un accompagnement plus précis et sur-mesure, dans l’espoir qu’ils puissent un jour rejoindre le cercle de la haute performance.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous disiez que vous vouliez développer le sport féminin. Nous constatons que les victimes de VSS sont à plus de 90 % des femmes. Or, d’après votre bilan pour 2022, les moyens financiers de l’ANS consacrés à la pratique du sport chez les jeunes filles et les femmes sont passés de 9,6 % à 9,3 %. Comment l’expliquez‑vous ?
M. Frédéric Sanaur. Dans le cadre des analyses menées sur les actions que nous accompagnons, il n’est pas toujours simple de faire la part entre une action tournée spécifiquement vers les sportives et une action mixte avec nos associations sportives. Néanmoins, vous soulevez un point que nous avons identifié et que le commissaire du gouvernement auprès de l’Agence avait également relevé. Nous avons à cœur de nous améliorer sur ce sujet, en augmentant le nombre des licences féminines et en définissant une structuration qui doit permettre d’accompagner l’ensemble des pratiques.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez évoqué les athlètes qui sortent du cercle. Quelles en sont les conséquences concrètes, notamment matérielles et financières ?
M. Frédéric Sanaur. De manière générale, le cercle offre un suivi un peu plus précis en lien avec les conseillères et les conseillers haute performance de l’Agence et avec les maisons régionales de la performance. Notre objectif est de maintenir les athlètes qui sont dans ce cercle et de l’élargir encore, ce qui signifierait un renforcement de notre potentiel de médailles aux Jeux olympiques et paralympiques.
On peut sortir du cercle parce qu’on arrête sa carrière ou qu’une blessure éloigne trop un sportif des échéances identifiées. La conséquence est assez réduite, au sens où près de 2 000 sportives et sportifs de haut niveau bénéficient des aides personnalisées de l’Agence, au-delà du cercle de la haute performance. Ces aides personnalisées, que nous ventilons en interaction avec les coachs et les directions techniques nationales, perdurent. Nous sommes bien conscients qu’une blessure, une contre-performance ou des faits externes à la performance pure peuvent un peu éloigner les athlètes des terrains, des stades ou des piscines, sans remettre en cause pour autant l’échéance de 2024. De plus, on ne sort pas du cercle de la haute performance parce que l’on met un enfant au monde. Un accompagnement spécifique est prévu dans ce cas. Ces derniers mois d’ailleurs, nous avons, sous l’impulsion de notre ministre, alloué des financements dédiés à l’aide à la parentalité pour les sportives et les sportifs de haut niveau.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quelle est la moyenne des financements mensuels ? Quel est le montant maximum que les sportifs peuvent percevoir ? S’ils sortent du cercle, je suppose qu’ils ne sont plus financés.
M. Frédéric Sanaur. Les 40 000 euros annuels sont composés de plusieurs sources de revenus, qui peuvent être perçus dans le cadre de partenariats privés, de mécénats ou de relations avec des collectivités territoriales.
Le dispositif des aides personnalisées permet de moduler notre accompagnement. Si l’athlète perçoit déjà 80 000 euros, on n’apporte pas de complément. L’argent public est, à ce moment-là, fléché vers des athlètes qui sont plus éloignés de ce seuil de revenus. En revanche, on continue à assurer un accompagnement pour la participation à des stages ou à des compétitions internationales et pour la rémunération des préparateurs physiques ou mentaux, des kinés, des masseurs... L’accompagnement existe toujours par le biais de la fédération, mais les aides personnalisées sont modulées en fonction des revenus des athlètes.
Quand bien même on sort du cercle, il y a toujours des aides personnalisées. La moyenne de ces aides est d’environ 10 000 euros par an. Ces dernières années, nous nous sommes efforcés d’offrir aux athlètes paralympiques le même niveau d’aides personnalisées qu’aux athlètes olympiques, alors que le décalage était assez important.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quelles sont les autres aides personnalisées qui existent quand on sort du cercle ?
Vous avez évoqué la question des médaillables aux Jeux olympiques. Comment expliquez-vous que les critères de la haute performance ne permettent pas d’identifier tous les sportifs médaillés ? Ne faudrait-il pas des critères plus qualitatifs ?
M. Frédéric Sanaur. Le travail fait par notre pôle haute performance pour l’identification des médaillables laisse assez peu de place au doute. La maturation d’une médaille d’or olympique, c’est en moyenne six ans, et celle d’une médaille d’or paralympique, deux ans. À six mois ou à un an des Jeux, il est assez rare voire quasiment impossible qu’un athlète n’ait pas été identifié et qu’il ne fasse pas partie soit du cercle de la haute performance soit des 2 000 sportifs soutenus dans le cadre des aides personnalisées.
Il y a, en revanche, de nombreux athlètes – et c’est souvent relayé par les médias – qui souhaitent participer aux Jeux olympiques, qui s’entraînent très dur pour cela et participent à des test events, à des compétitions de référence, à de grands meetings ou à des championnats, pour lesquels ils peuvent percevoir des aides personnalisées, si la fédération identifie leur potentiel. Mais quand on est trentième, quarantième ou quatre-vingtième mondial, même s’il peut se passer beaucoup de choses dans le sport, il y a très peu de chances qu’en six mois on devienne numéro un olympique. C’est pourquoi il existe parfois un écart entre ce que l’on entend dire et notre identification, que l’on veut la plus objective possible.
M. Michel Cadot. Il est quasiment impossible d’imaginer qu’émerge tout à coup une personnalité qui n’aurait pas été identifiée dans les six mois ou les deux ans précédents. En revanche, il y a des aléas dans cette compétition de très haut niveau, dans ce concours d’une exigence exceptionnelle que sont les Jeux olympiques et paralympiques. Aussi, pour estimer la qualité de la préparation et la façon dont l’argent public a été employé, que ce soit pour les rémunérations des athlètes ou pour toutes les dépenses qui correspondent à la branche haute performance de l’Agence nationale du sport, nous avons prévu, et cela a été acté par une décision de Matignon, une évaluation de l’impact des financements octroyés au département de la haute performance après 2024, pour mesurer si l’emploi des fonds a été efficace du point de vue de la sélection et de la performance, si les choix ont été bons, si les financements versés à l’athlétisme, à la natation, au cyclisme ont correspondu à des actions valorisées par les résultats. Nul ne doute que cette évaluation extérieure, ainsi que l’évaluation interne que fera le ministère des sports en 2025, contribueront fortement à orienter la suite du dispositif instauré en 2019 pour le volet haute performance en vue des Jeux. Une évaluation sera faite de manière très sérieuse sur un travail déjà largement engagé selon des critères définis dès le départ.
M. Frédéric Sanaur. Il existe des aides financières directes dont le montant total est supérieur à 10 millions d’euros par an pour à peu près 2 000 sportifs. En complément, nous actionnons plusieurs dispositifs, notamment des contrats d’insertion professionnelle, pour des athlètes en reconversion ou encore engagés dans leur carrière, ainsi qu’un pacte de performance en partenariat avec la Fondation du sport français. Tout cela est animé soit par notre cellule de suivi socioprofessionnel, au niveau national, soit par les maisons régionales de la performance, pour les sportives et les sportifs de haut niveau qui sont dans les Creps, en internat, dans les pôles France et Espoirs ou en dehors des structures et établissements publics, pour leur apporter un accompagnement, des revenus et un lien avec le monde professionnel.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Il me semblait qu’à Tokyo dix médaillés n’avaient pas été identifiés dans le cercle de la haute performance.
Combien de sportives et de sportifs ont bénéficié de l’accompagnement à la parentalité ? Par ailleurs, quel est le revenu à partir duquel vous jugez qu’il n’est plus nécessaire de verser une aide personnalisée ?
M. Michel Cadot. Les Jeux de Tokyo ont eu lieu un an et demi après la création juridique de l’Agence, qui n’était pas encore complètement constituée. Or il faut du temps pour avoir des certitudes. Après Tokyo, des leçons ont été tirées du premier tri fait pour constituer le cercle de la haute performance, afin de l’ajuster de manière plus satisfaisante. Il sera intéressant de regarder le bilan des tests de qualification déjà réalisés cet été et qui vont continuer jusqu’à la fin de l’année : on verra si beaucoup de ceux qu’on imagine pouvoir arriver à la sélection ont été qualifiés. Il y a quelques mauvaises surprises, qui feront l’objet d’une analyse détaillée.
M. Frédéric Sanaur. Le fait que des sportifs ne soient pas identifiés dans le cadre du cercle de la haute performance ne veut pas dire qu’ils ne sont pas identifiés du tout. Ils bénéficient d’un accompagnement grâce aux aides personnalisées. Ils font partie des programmes des fédérations, mais en vertu des contrats de performance conclus entre elles et l’Agence, ces sportifs ne sont pas intégrés parmi ceux qu’on prépare lors des stages, qu’on emmène à des compétitions et qui ont un staff technique autour d’eux. L’intégration dans le cercle haute performance se fait sur la base de résultats sportifs en amont de la compétition et en lien étroit avec les directions techniques nationales, qui connaissent le mieux les fédérations.
Je ne sais pas combien d’athlètes ont bénéficié de l’accompagnement à la parentalité. C’est un dispositif assez récent. Jusque-là on traitait certaines situations particulières dans le cadre des contrats de performance. C’est ce qui s’est fait dans la fédération de judo – on en a d’ailleurs beaucoup entendu parler. On pourra très facilement vous faire passer les chiffres concernant cette nouvelle mesure, prise par la ministre des sports.
S’agissant des aides personnalisées, on estime qu’à partir de 40 000 euros de revenus annuels on peut se concentrer sur sa pratique sportive et que l’on n’est pas forcément obligé de multiplier les emplois et les sources de revenu. Dans le cadre du contrat de performance, néanmoins, la fédération prend en charge un certain nombre de déplacements pour des compétitions. C’est la fédération qui identifie les athlètes qu’elle accompagne, prend en charge, emmène en stage et soutient pour les grandes compétitions.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Si je vous ai bien écoutés, les Jeux de Paris en 2024 réserveront donc beaucoup moins de surprises sur l’identité des sportifs médaillés ?
M. Michel Cadot. Si le système fonctionne, effectivement ; ce sera même un critère d’efficacité. Nul ne peut écrire l’avenir, parce qu’il dépend des hommes, mais les athlètes ont en principe été accompagnés dans des conditions adaptées à l’échantillon de haut niveau qu’est le cercle de la haute performance.
M. Thierry Maudet, conseiller sport du délégué interministériel. Nous procédons au lancement de treize études relatives à l’impact des Jeux olympiques et paralympiques, dont l’une porte sur l’évaluation de la stratégie Ambition bleue de l’Agence, qui ne s’autoévaluera pas. Le travail est réalisé en deux temps : un rapport méthodologique a d’abord été rédigé à la fin de l’année 2022, puis aura lieu l’évaluation proprement dite, en parfaite indépendance, au cours de l’année 2024, sur la base de ce premier rapport et suivant environ soixante-dix critères d’évaluation de la pertinence et de l’efficience de la stratégie, en amont, pendant et après les Jeux. Nous vous enverrons le rapport méthodologique.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pourriez-vous aussi nous faire parvenir par mail des propositions visant à permettre aux parents de confier leurs enfants en toute tranquillité au monde sportif ?
* *
La commission procède à l’audition de M. Alexandre Calvez, administrateur d’Anticor, responsable de la commission sport.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous accueillons à présent M. Alexandre Calvez, administrateur d’Anticor et responsable de la commission sport.
Monsieur, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions. Nous avons entamé les travaux de notre commission d’enquête le 20 juillet 2023. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs, et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.
Nos travaux portent sur trois thèmes : l’identification des violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport ; l’identification des discriminations sexuelles et raciales dans le sport ; l’identification des problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public. Cette audition sera l’occasion d’approfondir ce troisième thème.
Vous pourriez, dans un propos liminaire, présenter à la commission d’enquête les règles auxquelles les fédérations sportives sont soumises sur les plans financier et comptable, ainsi que les mécanismes de contrôle de leurs comptes et les règles visant à garantir l’exemplarité et la transparence de leur gestion. Ces règles sont-elles bien appliquées ? Selon vous, devraient-elles être renforcées ?
Lors de l’université annuelle d’Anticor, vous avez évoqué des scandales à répétition au sein du monde du sport. Pouvez-vous présenter à la commission d’enquête les différents manquements dont vous avez eu connaissance ? Vous avez notamment ciblé des fédérations sportives internationales. Qu’en est-il pour les fédérations sportives françaises ?
Cette audition, ouverte à la presse, est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.
Avant de vous donner la parole, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, qui impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, je vous invite à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(M. Alexandre Calvez prête serment.)
M. Alexandre Calvez, administrateur d’Anticor, responsable de la commission sport. Nous sommes très heureux, chez Anticor, d’avoir l’occasion de participer aux travaux de cette commission d’enquête : lorsque la représentation nationale s’approprie ce genre de sujet, il devient, en général, de premier plan.
Ce n’est évidemment pas la première fois que l’Assemblée nationale se penche sur les sujets de gouvernance dans les fédérations sportives ; plusieurs textes portés par des parlementaires ont déjà été adoptés, comme la loi du 1er mars 2017 qui impose la création d’un comité d’éthique dans chaque fédération, et la loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France, dont les travaux préliminaires avaient témoigné d’une très grande ambition. Toutefois, nous avons le sentiment que nous sommes arrêtés au milieu du gué : depuis 2017, les progrès sur les aspects de gouvernance ont été relativement mineurs.
Je vous présenterai une nomenclature des risques auxquels s’expose une fédération sportive, en essayant de les illustrer par des cas concrets récents, qu’il s’agisse d’une affaire judiciaire ayant fait couler beaucoup d’encre ou d’un dysfonctionnement moins documenté mais, à mon sens, très éclairant pour les travaux de votre commission d’enquête.
En vertu de l’article L. 131-9 du code du sport, « les fédérations sportives agréées participent à la mise en œuvre des missions de service public relatives au développement et à la démocratisation des activités physiques et sportives ». Anticor, qui s’intéresse à la probité et à la lutte contre la corruption dans le domaine public, a jugé important de se pencher sur ces fédérations dans la mesure où des financements publics sont souvent mobilisés pour la pratique du sport ou dans le budget des fédérations. Historiquement, notre association a un ancrage plutôt territorial, par départements, et s’intéresse au fonctionnement des institutions politiques ou des administrations. Il y a quelques années, elle a inscrit parmi ses orientations stratégiques de former des militants et des bénévoles davantage spécialisés dans certaines thématiques. C’est ainsi qu’est née la commission dédiée aux questions de gouvernance dans le sport – nous en avons également consacré une aux questions d’éthique, de probité et de lutte contre la corruption dans le secteur de la santé, et nous réfléchissons à en créer d’autres pour des domaines dans lesquels nous identifions des risques importants, par exemple la gestion portuaire. Le mouvement sportif brasse de plus en plus d’argent et joue un rôle politique accru, y compris géopolitique. Nous avons donc considéré que ce sujet entrait désormais dans l’objet social de notre association.
La lutte contre la corruption et la promotion de l’éthique participent d’une certaine vision de l’égalité de tous devant la loi. Pour une association comme la nôtre, il s’agit de lutter contre les abus de pouvoir. Dans la mesure où les fédérations sportives concentrent de plus en plus de pouvoirs, économiques et politiques, nous renforcer sur ces sujets-là devient une évidence.
Le corpus juridique, législatif et réglementaire, bien que relativement robuste, ne protège pas de tous les dysfonctionnements, qui sont de natures assez différentes. Certains peuvent être aisément qualifiés pénalement par le juge. C’est le cas de la corruption, active et passive, qui est un délit. Un exemple récent en est fourni par la condamnation en première instance du président de la Fédération française de rugby (FFR) – celui-ci ayant interjeté appel, il bénéficie toujours de la présomption d’innocence. Anticor s’est constituée partie civile dans cette affaire.
D’autres situations ne sont pas nécessairement interdites mais soulèvent, de notre point de vue, des interrogations : les conflits d’intérêts. En soi, le conflit d’intérêts n’est pas une infraction ; c’est la prise illégale d’intérêts qui en est la traduction pénale et peut être prononcée par le juge. Notre association peut seulement faire état de soupçons. Le conflit d’intérêts se transforme en prise illégale d’intérêts si des mesures correctives ne sont pas prises. Nous avons identifié certaines fédérations dans lesquelles nous avons le sentiment que les mesures correctives n’ont pas été prises, ce qui justifierait probablement une analyse plus poussée et une appropriation par la justice. Je reviendrai sur le rôle que nous pouvons jouer en tant qu’association et sur les conséquences de la perte de notre agrément en juin dernier.
Les dysfonctionnements peuvent encore prendre la forme de pratiques relevant du clientélisme, notamment lors du renouvellement des instances dirigeantes dans les fédérations, qui touchent aux modes de scrutin ou au comportement des dirigeants en campagne, confondant parfois les outils de la fédération avec ceux servant leur candidature. D’autres sujets, plus spécifiques au domaine sportif, constituent aussi des points de vulnérabilité, tels les cadeaux, la billetterie et l’hospitalité, mais aussi l’organisation de grands événements sportifs internationaux en partenariat financier avec de grandes entreprises, dont nous nous interrogeons sur les contreparties qu’ils impliquent.
Après ces éléments de nomenclature, je reviens sur les tout derniers développements de l’affaire concernant la Fédération française de rugby.
Cette affaire porte sur la relation contractuelle qu’avait nouée, juste avant son élection à la présidence de la fédération, Bernard Laporte via sa société BL Communication, avec Mohed Altrad, PDG de Altrad Investment Authority (AIA), holding du groupe Altrad, et par ailleurs président du club de rugby de Montpellier. Le parquet national financier (PNF) a rapproché ce contrat de 180 000 euros TTC du contrat conclu entre la Fédération française de rugby et le groupe Altrad, par lequel, pour la première fois, un sponsor allait apparaître sur le maillot de l’équipe de France de rugby – sauf pendant la coupe du monde, le règlement de cette compétition l’interdisant. Le contrat portait au début sur huit matchs de l’équipe de France, mais étonnamment, son montant représentait dix fois celui du contrat avec BL Communication. Entre autres éléments, les juges ont considéré en première instance que Bernard Laporte avait utilisé son pouvoir de président de la fédération pour servir les intérêts de Mohed Altrad, de son club et de sa société, et non ceux de la fédération. Le 13 décembre 2022, ils l’ont condamné, en première instance, pour ce qui a été considéré comme une dérive en tant que président, en considérant tout de même que la fédération ne s’était pas appauvrie.
Dès lors, la question de la gouvernance de la fédération se posait. L’avocat de M. Laporte a immédiatement annoncé que son client ferait appel et que, bénéficiant toujours de la présomption d’innocence, il n’avait aucune raison de démissionner. Ce discours était assez paradoxal car, au même moment, Bernard Laporte annonçait sa démission des instances internationales du rugby et de la vice-présidence de World Rugby. Une zone d’ombre s’agissant des conséquences sur la gouvernance d’une condamnation pénale suivie d’un appel a ainsi été révélée, qui a suscité plusieurs réactions. La première fut celle de la ministre des sports, qui a indiqué clairement que la situation n’était pas tenable. Puis le comité d’éthique de la Fédération française de rugby a appelé à la démission, contrairement au bureau fédéral pour lequel il était hors de question de déstabiliser la fédération à neuf mois de la Coupe du monde. Sous pression, Bernard Laporte a finalement décidé de se mettre en retrait. Après une période d’intérim, une nouvelle équipe a été élue à la tête de la fédération.
Le sujet est-il clos ? Ce n’est pas à moi de le dire. Signalons toutefois qu’un nouveau contrat a été signé avec la société de Mohed Altrad pour que le sponsor puisse apparaître sur les maillots de l’équipe de France dans les années à venir. Ce contrat laisse Anticor et plusieurs acteurs du rugby dubitatifs. Mohed Altrad, convaincu en première instance de corruption active, se retrouve à nouveau sponsor principal du maillot du XV de France parce que la santé financière de la fédération est fragile. Doit-on vraiment redonner un contrat à une entreprise dont le principal actionnaire est condamné en première instance pour corruption ? On ne peut pas se contenter d’attendre le jugement en appel, voire en cassation. Ce sont des questions auxquelles nous devons réfléchir aujourd’hui.
Concernant le procès en lui-même, très peu de parties civiles étaient représentées, l’une d’entre elles étant la Fédération française de rugby, toujours dirigée par Bernard Laporte, le principal mis en cause. L’ubuesque de la situation n’aura échappé à personne et montre combien il est utile que des associations comme la nôtre puissent se constituer partie civile, comme nous l’avons fait dans cette affaire afin de contrebalancer une partie civile que je n’aurai pas de difficulté à qualifier de factice. Anticor ayant perdu son agrément, qui plus est avec effet rétroactif, notre association ne peut plus se lancer dans de nouvelles affaires. Or, dans ce procès, sans la participation de notre association, il n’y aurait eu aucune partie civile sérieuse. Ce mélange des genres et ce conflit d’intérêts devrait vous interpeller.
La corruption touche également les procédures d’attribution des grandes compétitions internationales, pour lesquelles on apprend parfois vingt ans après que des pots-de-vin ont été versés. Les risques sont donc importants, mais cela sort du périmètre de vos travaux puisque cela concerne des institutions internationales, dont la plupart ont leur siège en Suisse.
Les conflits d’intérêts, je ne crains pas de le dire, minent le sport français. Toutes les fédérations et tous les dirigeants ne sont pas concernés, mais des cas emblématiques montrent que des progrès restent à accomplir – j’évoquerai un peu plus loin les pistes d’amélioration envisageables. Les comités d’éthique, qui ne sont pas encore suffisamment robustes dans certaines fédérations, ont un vrai rôle à jouer.
Je peux citer une affaire récente sur ce sujet. En 2018, la France accueille la Ryder Cup, une grande compétition de golf, à Saint-Quentin-en-Yvelines. La mission d’organisation en est confiée à Pascal Grizot, par ailleurs vice-président de la Fédération française de golf. Comme n’importe quelle compétition sportive internationale, la Ryder Cup requiert une sécurisation importante des sites, assurée par des sociétés de sécurité privée. Des appels d’offres sont lancés, non pas par l’organisation française en charge de la compétition, mais par Ryder Cup Europe. Or Pascal Grizot est également à la tête du fonds d’investissement Alyan Group, alors propriétaire de 87 % de l’entreprise Continentale Protection Services (CPS), qui travaille dans la sécurité privée. CPS remporte un lot ou deux sur les cinq que comporte l’appel d’offres pour la sécurisation de la Ryder Cup 2018. Cette information, bien que révélée par la presse, est passée entre les mailles du filet. Voilà donc l’organisateur en chef de la compétition, par ailleurs vice-président de la fédération française du sport concerné, qui remporte un appel d’offres relatif à la compétition qu’il est chargé d’organiser avec une entreprise lui appartenant. Le conflit d’intérêts est manifeste mais aucune suite pénale n’a jamais été donnée à cette affaire.
Pascal Grizot a réfuté l’existence d’un conflit d’intérêts au motif que c’est Ryder Cup Europe, et non la société publique qu’il dirigeait au titre de l’organisation de l’événement, qui était en charge des appels d’offres. De plus, ses missions dans le cadre de la Fédération française de golf ne nécessitaient pas, selon lui, qu’il se mette en retrait de toutes ses affaires. Chez Anticor, nous avons évidemment une vision très différente : dans ce genre de situation, le minimum est de se déporter complètement ou, à tout le moins, de s’interdire de candidater à de tels appels d’offres.
À l’époque, les comités d’éthique, créés par la loi de 2017, se mettent en place progressivement – cela ne se fait pas du jour au lendemain. Celui de la Fédération française de golf s’est exprimé plusieurs mois après l’attribution des marchés, observant de façon intéressante que les appels d’offres étant lancés par Ryder Cup Europe, il n’y avait pas d’objection à ce que les entreprises d’Alyan Group participent, à condition que l’organisateur en chef, Pascal Grizot, se mette en retrait de ses affaires. Mais personne ne lâche tout son portefeuille d’activités pour répondre à quelques appels d’offres !
Depuis, M. Grizot a encore pris du galon et est devenu le président de la fédération. Nous allons suivre de très près l’attribution des marchés de sécurisation des Jeux olympiques qui auront lieu l’année prochaine. Nous espérons que les dysfonctionnements qui ont été identifiés et qui n’ont pas donné lieu à des poursuites ne se reproduiront pas, parce que nous trouvons ces conflits d’intérêts gravissimes. J’aurais pu vous citer, mais je vous les épargnerai, d’autres affaires dans le cadre de la Ryder Cup, concernant par exemple les équipementiers officiels.
On retrouve ce type de dossier dans une autre affaire qui a fait couler un peu d’encre, celle du Mulhouse Olympic Natation, géré par la famille Horter, qui pèse dans la natation française. L’un des frères était le distributeur officiel de l’équipementier Tyr, lui-même équipementier officiel de la Fédération française de natation, tandis qu’un autre était directeur technique national de la fédération.
Il serait utile que les comités d’éthique aient leur mot à dire dans les procédures d’attribution des marchés pour assurer un peu plus de transparence et dissuader certaines pratiques. Le problème, en cette matière, c’est que l’on nous oppose systématiquement la loi sur le secret des affaires, qui empêche de connaître les conditions dans lesquelles ces marchés sont attribués.
Toujours en matière de conflits d’intérêts, je ne peux pas éluder un autre cas, certes moins grave en ce sens qu’il ne mêle pas immédiatement des intérêts économiques, encore que... Le 29 juin dernier, le sport français a connu un événement important avec l’élection de M. David Lappartient à la présidence du Comité national olympique et sportif français (CNOSF). Chacun savait qu’il serait candidat à la succession de Brigitte Henriques mais il s’est déclaré officiellement relativement tard dans la campagne. Or M. Lappartient est par ailleurs à la tête de l’Union cycliste internationale (UCI) et du département du Morbihan, sans compter d’autres mandats locaux dont il avait indiqué, lors de sa campagne, qu’il se mettrait sans doute en retrait.
Je ne sais pas ce qu’il en est aujourd’hui mais le conflit d’intérêts est évident lorsqu’une personnalité s’exprime publiquement sur des sujets relatifs au cyclisme sans que l’on sache à quel titre il le fait – président de l’Union cycliste internationale, membre des instances dirigeantes du CIO (Comité international olympique) ? Pourquoi ce point n’a-t-il pas été réglé en amont ? Pourquoi des règles de déport n’ont-elles pas été clairement définies avant l’élection ? Il est regrettable qu’il se soit manifesté assez tardivement dans cette campagne, car le comité d’éthique du CNOSF rend un avis lors d’une élection à sa présidence. Je plaide pour que cet avis soit rendu public car une transparence accrue est nécessaire, comme c’est le cas pour les responsables politiques.
Le cas de David Lappartient soulève également la question du cumul des mandats. Étant parlementaires, vous savez très bien que c’est un engagement considérable, qui vous occupe beaucoup au quotidien. Affirmer dans la presse, comme l’a fait M. Lappartient, qu’on peut assumer toutes ces fonctions de manière sérieuse, c’est vraiment prendre la population et les membres du CNOSF pour des gens extrêmement crédules. Il n’est pas possible d’occuper pleinement trois fonctions de cette nature. Quand on est président de l’UCI, on se balade partout sur la planète, en permanence. Il suffit pour s’en convaincre de regarder le fil Twitter de David Lappartient : il était au Japon et en Chine ces tout derniers jours, et en Suisse, où se trouve le siège de l’UCI, la semaine dernière. En revanche, on ne voit plus grand-chose sur son activité dans le Morbihan.
En 2014, vous avez adopté une nouvelle législation visant justement à encadrer le cumul des mandats. Je sais qu’elle fait actuellement l’objet d’un débat mais, à l’époque, le législateur, dans le contexte de moralisation de la vie publique consécutif à l’affaire Cahuzac, avait justifié cette réforme en expliquant qu’il était difficile de mener plusieurs mandats concomitamment. Dans le cas que j’évoque, il s’agit de trois, quatre, voire dix missions si l’on ajoute les mandats locaux ! Ce n’est vraiment pas sérieux. Il sera sans doute très difficile d’adopter une nouvelle loi en la matière mais je pense que le législateur de 2014 n’avait pas pu imaginer un tel cas de figure, où l’on est à la tête tout à la fois d’un exécutif local important et d’une fédération internationale.
Nous aurions aimé un peu plus de déport. Je crois savoir que les fonctions exercées par David Lappartient à l’UCI sont assez intéressantes sur le plan lucratif. Par ailleurs, des articles de presse publiés en juin, peu de temps avant l’élection, faisaient état de relations étonnantes avec des oligarques russes et de décisions de l’UCI pour le moins surprenantes.
Pourquoi les Mondiaux de cyclisme sur route ont-ils été attribués – ils n’ont pas eu lieu en raison du covid – à Achkhabad, dont nul n’ignore qu’elle n’est pas un haut lieu du cyclisme ? Y a-t-il un lien entre l’attribution de la compétition à cette ville et les 2 millions d’euros que verse chaque année le groupe Makarov à l’UCI ? La question mérite d’être posée. Certes, elle n’entre pas dans le périmètre de la présente commission d’enquête, mais une association comme la nôtre ne peut pas ne pas la poser.
Au demeurant, nous avons publié un communiqué juste avant l’élection, non pour faire obstacle à la candidature, certainement légitime, de M. Lappartient, mais pour indiquer que des zones d’ombre subsistent et que des questions se posent, sur lesquelles il est nécessaire de s’exprimer avant le cycle électoral pour que le corps électoral du CNOSF s’exprime en conscience. Rien de tel n’a eu lieu.
Le moins que l’on puisse attendre, s’agissant d’une telle aventure électorale et sportive, est d’avoir la possibilité de s’exprimer en amont et d’obtenir des réponses aux questions qui restent en suspens. Par ailleurs, une évolution peut être réalisée sans complications : assurer la transparence et la publicité des avis du comité d’éthique du CNOSF, sur les candidatures. Tel devrait être le cas pour chaque fédération.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. L’audition de l’Agence nationale du sport (ANS) nous a appris que toutes les fédérations ne disposent pas d’un comité d’éthique, ce qui ne simplifie pas les choses en la matière pour celles qui n’en ont pas. Comment ces fédérations assurent-elles la transparence des subventions qui leur sont versées ? Le versement de fonds sans conditions nous intrigue.
David Lappartient, que nous auditionnerons, nous a adressé un courrier rédigé sur un papier à en-tête du CNOSF et signé en qualité de membre du CIO, ce qui montre qu’il peut s’exprimer avec ses différentes casquettes dans un unique document. Pour nous, le problème est réglé.
Nous nous interrogeons sur les marchés, notamment dans le cadre des Jeux olympiques. Des perquisitions ont eu lieu avant l’été, notamment au Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (Cojop) Paris 2024. Nous aimerions vous entendre à ce sujet.
Plus généralement, considérez-vous que le traitement des comportements problématiques par les pouvoirs publics et les acteurs de la gouvernance du sport est à la hauteur ?
M. Alexandre Calvez. En 2021, soixante-deux des soixante-quinze fédérations olympiques s’étaient dotées d’un comité d’éthique. Il faudrait se pencher sur le détail de celles qui n’en ont pas. Il s’agit peut-être des plus petites, dont les services administratifs sont les moins bien dotés. Toutefois, rien ne justifie que l’on ne respecte pas la loi.
Il faut sans doute conférer un rôle accru au comité d’éthique du CNOSF, lequel a la responsabilité particulière de faire respecter l’éthique et la probité au sein du mouvement sportif français. Par ailleurs, s’agissant des nominations comme du fonctionnement, son comité d’éthique est plus abouti que beaucoup d’autres. Celui de la Fédération française de rugby se distingue également.
L’intérêt du comité d’éthique du CNOSF est double.
D’abord, les compétences y sont réparties entre ses membres. Certains sont spécialistes des aspects juridiques, d’autres des questions techniques ou médicales, d’autres encore, spécialistes du sport lui-même, contribuent à son rayonnement. Il s’agit d’un panel de personnalités dont les compétences ne peuvent pas être discutées. Ce modèle a plus de pertinence que celui dans lequel les postes au sein du comité d’éthique sont honorifiques et attribués par copinage. Il doit faire tache d’huile et essaimer – il a été reproduit par la FFR.
Ensuite, le renouvellement de ses membres n’intervient pas au même moment pour tous, un peu comme celui des membres du Conseil constitutionnel, renouvelé par tiers tous les trois ans. Cela évite aux équipes d’être monochromes ou d’être très, voire trop liées aux dirigeants du moment.
Il faut envisager de délier complètement le calendrier électoral des instances exécutives de chaque fédération des procédures de nomination au sein de son comité d’éthique, et d’instaurer des renouvellements partiels à fréquence régulière. Par ailleurs, confier au CNOSF une mission d’accompagnement des fédérations dont le comité d’éthique est dysfonctionnel ou inexistant n’est clairement pas un objectif hors de portée.
S’agissant des compétences des comités d’éthique, dont il faut rappeler qu’ils sont récents, elles sont fonction de l’actualité des fédérations ou des scandales qui l’ont émaillé au cours des dernières années. Il en résulte un tropisme pour tel champ d’expertise ou d’activité. Certains sont solides sur les violences à caractère sexiste et sexuel, d’autres sur les discriminations.
Il serait pertinent de clarifier les missions qu’un comité éthique doit remplir, afin qu’elles ne dépendent pas des centres d’intérêt de leurs membres ou de l’actualité de la fédération. Chacun doit savoir que plusieurs sujets sont à couvrir et non un seul au motif qu’un article est paru dans L’Équipe ou qu’un scandale a éclaté il y a trois ans.
Les subventions attribuées aux fédérations me font penser à la réserve parlementaire. Il y a des enveloppes et on les verse, parce qu’on juge que tel projet est intéressant, parce qu’il y a un besoin particulier dans tel département ou parce qu’on veut s’assurer du vote du récipiendaire départemental ou régional votera à la prochaine consultation. Je ne dis pas que les subventions sont toutes dépensées n’importe comment. La transparence et les contre-pouvoirs internes aux fédérations sont manifestement insuffisants, s’agissant d’argent le plus souvent public, au moins en partie, pour en assurer une dépense pertinente.
Or les outils ne manquent pas. Quiconque est amené à dépenser de l’argent public, dans quelque secteur d’activité que ce soit, sait ce que sont un appel à projets et un comité d’analyse qui l’expertise selon des critères clairs. Doter les fédérations sportives d’instances de ce type est assez facile. Cela permettrait d’assurer l’opportunité des dépenses et de faire en sorte qu’elles ne soient pas le fait du prince ou destinées à satisfaire telle antenne départementale de telle fédération. Il faut s’inspirer des mécanismes utilisés à tous les échelons territoriaux, des communes aux administrations centrales en passant par les départements à savoir des appels à projet avec un jury compétent pour identifier les projets les plus convaincants.
L’Agence française anticorruption (AFA) a audité huit fédérations sportives ainsi que le Cojop Paris 2024 et la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo). Certaines subventions ont fait l’objet d’un signalement au PNF. L’AFA a publié un guide visant à limiter les risques que courent les fédérations sportives sur les sujets de probité et de corruption. Le chapitre relatif aux subventions est assez dense.
Assainir, à tout le moins éviter que ne surgissent les soupçons, n’a rien d’un objectif hors de portée, d’autant que l’existence d’un contre-pouvoir protège les exécutifs des dégâts du soupçon. Notre association est bien placée pour le savoir : partout où il existe un outil institutionnel permettant d’éviter que des soupçons ne naissent, la dépense est assainie et le clientélisme recule. De surcroît, les dirigeants de fédération ne sont pas tous de grands professionnels de la gestion associative et administrative. Souvent, ce sont des bénévoles qui n’ont pas toutes les compétences pour exercer sereinement leurs fonctions au quotidien sans prendre des risques inconsidérés ou faire l’objet d’une accusation de détournement de fonds publics cinq ans après les avoir quittées, à la suite de révélations de presse.
Le CNOSF peut sans doute jouer un rôle dans la formation des dirigeants et la diffusion des bonnes pratiques. L’AFA le fait déjà. Les outils existent, aux fédérations de se les approprier. Éviter les mécanismes précités n’est pas très compliqué, il suffit d’en avoir la volonté – peut-être n’est-ce pas le cas partout.
S’agissant des fédérations qui ne se sont pas encore dotées d’un comité d’éthique ou d’une charte d’éthique, s’il s’avère que le manque de compétences et de capacités internes n’est pas en cause, le ministère peut prendre ses responsabilités et les menacer d’un retrait de délégation. Cet outil n’a jamais été utilisé, mais il existe.
Par ailleurs, de nombreux agents de l’État sont mis à la disposition des fédérations, notamment les conseillers techniques et sportifs (CTS) et les directeurs techniques nationaux (DTN). Tous sont tenus, en vertu de l’article 40 du code de procédure pénale, de signaler au procureur de la République tout crime ou délit, par exemple un détournement de fonds publics, dont ils ont connaissance. Le non-respect de cette obligation est peu sanctionné au sein de l’administration en général.
Une autre responsabilité incombe au ministère des sports, celle de vérifier que ses agents mis à disposition des fédérations se livrant à des activités annexes lucratives ont obtenu une autorisation de cumul d’activités auprès de leur administration d’origine. Certaines affaires que j’ai citées en introduction ont montré que le ministère met peu le nez là-dedans. L’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) a aussi un rôle à jouer.
Certes, le ministère des sports ne dispose pas d’une administration très étoffée mais on ne peut considérer que les enjeux que l’on évoque ne sont pas tout le temps pris au sérieux. Il ne faut pas sous-estimer qu’il est difficile de suivre quotidiennement les activités des fédérations et les quelque 4 000 agents mis à leur disposition.
De manière générale, nous constatons que les sujets d’éthique et de probité, que nous sommes bien placés pour observer, font l’objet d’une prise en compte accrue de la population comme des responsables politiques et administratifs. Certaines pratiques, telles que la débrouille, le système D et le « je m’en mets un peu dans les poches », font l’objet d’une tolérance amoindrie, voire nulle. J’en veux pour preuve un sondage réalisé avant l’élection présidentielle de 2022 par Make.org et France 3, non pas auprès de 900 personnes appelées au téléphone, mais auprès de 1 million de personnes consultées. La priorité absolue pour la France d’après les élections n’est ni l’insécurité ni l’immigration, mais l’exemplarité des élus. Il y a une demande sociale d’exemplarité des élus, qui va croissant et fait tache d’huile jusque dans le sport. Combien de licenciés de la FFR ont été dégoûtés par l’affaire Laporte-Altrad ?
Par ailleurs, de plus en plus de gens, au sein des fédérations, sont sensibilisés aux questions de probité. On est loin de pouvoir prétendre que les phénomènes de corruption et d’infraction à la probité appartiennent au passé, mais la tolérance baisse, ce qui impose aux institutionnels de tenir compte de la demande sociale croissante d’éthique et d’intégrité.
J’ai tendance à penser que ceux qui ne sont pas encore convaincus finiront par devoir l’être. Au demeurant, les programmes électoraux au sein des fédérations, y compris celui de David Lappartient, accordent une place centrale à la gouvernance. Il est devenu difficile de faire campagne sans en parler. Il y a une volonté, au moins dans le discours ; dans les faits, les choses ne sont pas parfaites, mais des progrès ont été réalisés. Tant mieux ! Pourvu que ça dure !
Du côté du ministère des sports, la ministre a pris des positions assez fortes. Même si des articles de presse indiquent qu’elle aurait, dans de précédentes fonctions, validé des décisions contestables sur le plan de l’éthique au sein de la Fédération française de tennis (FFT), il faut reconnaître que les messages qu’elle a fait passer sur la FFR sont forts.
S’agissant du Cojop et de la Solideo, ils connaissent d’énormes conflits d’intérêts. L’événementiel sportif, comme l’événementiel en général, est un petit milieu. Il est une composante d’un secteur d’activité plus vaste organisé en oligopole. En France, le marché est dominé par RnK, Keneo et GL events. Seule cette dernière entreprise est partenaire officiel des Jeux olympiques. Elle apparaît dans toutes les campagnes électorales un peu sulfureuses. Son nom finit toujours par apparaître dans des articles de presse pour avoir accordé des ristournes susceptibles d’être considérées, d’après certains commentateurs, comme un financement illégal de campagne électorale.
L’événementiel est un secteur dangereux en matière de probité, car il réunit très peu d’acteurs. La défense de ceux qui, tels le Cojop, y font appel est la suivante : « Compte tenu de l’ampleur et de la complexité de la tâche, nous piochons parmi ceux qui savent faire ». Or « ceux qui savent faire » avaient des entreprises privées dans ce domaine auparavant. Il faut donc introduire des règles de déport très strictes s’agissant des cibles et du choix des prestataires. Je suis très reconnaissant à l’AFA d’avoir transmis un signalement au PNF.
En revanche, je suis surpris par celui qu’a transmis le ministère de l’économie et des finances il y a quelques semaines au sujet d’un ancien contrôleur général économique et financier des opérations liées aux Jeux olympiques, au motif qu’il a loué à la Solideo, pour un séminaire, des chalets appartenant à sa famille. Il s’agit clairement d’une faute individuelle.
Les comités d’éthique internes à ces structures sont solides mais, en l’absence d’une vigilance de tous les instants et de règles de déport très strictes, ils n’empêchent pas les dysfonctionnements. La probabilité que ceux-ci surviennent augmente à mesure que l’échéance approche. Tout le monde est dans l’urgence, il faut boucler les chantiers : la prise de décision est donc plus rapide, et l’erreur, qui peut amener à commettre des faits passibles d’une qualification pénale, davantage à craindre.
La vigilance et la transparence sont donc indispensables. Si des gens observent de très près, ils peuvent transmettre en interne le message qu’il ne faut pas se louper, sachant qu’aucun de ceux qui sont aux manettes n’a envie d’être traduit devant les tribunaux. Renforcer la transparence ne fait pas de mal, au contraire, cela augmente la capacité de dissuasion.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Toute proposition supplémentaire visant à améliorer la transparence au sein du mouvement sportif nous sera très utile en vue de la rédaction du rapport d’enquête.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. N’hésitez pas à revenir vers nous si vous avez d’autres informations à nous transmettre. Nous ferons de même.
Au nom de la commission d’enquête, je vous remercie.
La séance s’achève à dix-sept heures quarante.
Présents. – Mme Béatrice Bellamy, Mme Sophie Mette, Mme Sabrina Sebaihi
Excusée. – Mme Claudia Rouaux